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Dissertation : quelle doit être la place du monde agricole dans la société contemporaine ?

La France est traditionnellement un grand pays agricole, le poids de l’agriculture y est resté
longtemps plus lourd que dans les autres pays industriels. Jusqu’à la seconde guerre mondiale, la
population rurale y a conservé un poids démographique significatif. Ce n’est plus le cas
aujourd’hui, ¾ des français vivant en milieu urbain.

Néanmoins, le secteur agricole y conserve une importance économique notable : la France est le
deuxième exportateur mondial de produits agricoles (notamment de vin, qui représente 25% des
exportations françaises), et défend systématiquement les intérêts du monde agricole dans les
négociations au niveau européen (dans le cadre de la Politique Agricole Commune ou PAC) voire
international (dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce ou OMC).

L’exemple français conduit donc à s’interroger sur la place que doit occuper le monde agricole dans
la société contemporaine, tant dans les pays développés que dans les PVD. Cette place est-elle
secondaire, comme les apparences semblent le prouver (poids démographique, poids dans
l’économie) ? L’agriculture n’est-elle pas au contraire au cœur d’enjeux contemporains ?

La place du monde agricole est bien moindre que par le passé à l’époque contemporaine,
l’agriculture constituant la principale source d’activité et de revenu pour 40% de la population de la
planète, alors qu’au moyen-âge la population paysanne est prédominante à 90% (I). Mais les
apparences sont trompeuses, les enjeux liés à l’agriculture sont au contraire considérables comme
en témoigne sa place de tout premier plan dans les politiques publiques nationales et les
négociations internationales (II).

I. La place du monde agricole est bien moindre que par le passé à l’époque contemporaine,
son poids démographique et économique a beaucoup diminué. L’évolution historique montre en
effet un déclin du secteur agricole jusqu’à l’époque contemporaine dans les économies des pays
développés(1). Il en est résulté une fragilisation certaine du monde agricole(2).

(1) L’évolution historique montre en effet un déclin du secteur agricole jusqu’à l’époque
contemporaine dans les économies des pays développés
Le secteur agricole au sens large du terme (agriculture, pêche et élevage) fait partie du secteur
primaire, secteur dont la place dans l’économie s’est considérablement réduite, au profit du secteur
secondaire dans un premier temps (l’industrie), puis du secteur tertiaire dans un second temps
(services, distribution et commerce). Il ne représente plus qu’un faible pourcentage du PIB dans les
économies des pays développés (moins de 10%) et dans leurs exportations. La part des produits
agricoles dans le commerce international de biens en valeur est tombée à un plancher historique de
9% en 2005 (baisse ou stagnation des prix des produits agricoles face à l’envolée du prix des
métaux et de l’énergie).

Son poids démographique s’est également réduit comme peau de chagrin, sa part dans la population
active étant passée en dessous de la barre des 5% en France, par exemple (le secteur de
l’agriculture, de la pêche et de la sylviculture représente 4% de la population active occupée).
Le formidable accroissement des rendements à l’hectare permis par les progrès en agriculture
(outillage agricole, utilisation d’engrais et de pesticides) explique cette évolution. La taille moyenne
des exploitations a nettement augmenté, les petites exploitations ont disparu en nombre. En 1955,
on recense 2 280 000 exploitations en France (dont 5% de plus de 50 hectares). En 2005, il n’y plus
que 545 000 exploitations (dont 84% supérieures à 50 hectares). Le productivisme agricole a par
ailleurs été encouragé, en Europe, par la PAC, dont l’objectif était d’atteindre l’autosuffisance
alimentaire. On a ainsi favorisé l’augmentation de la production et des rendements (donc la
quantité) au détriment de la qualité, avec comme conséquence un avantage certain donné aux
grandes exploitations par rapport aux petites : d’où une concentration des exploitations et la
diminution du nombre d’agriculteurs.

2) Il en est résulté une certaine fragilisation du monde agricole

Celui-ci est tout d’abord devenu dépendant d’autres secteurs économiques : de l’industrie des biens
d’équipement (pour l’outillage agricole = tracteurs, moissonneuses-batteuses, machines pour la
traite des vaches…), de l’industrie chimique (engrais, herbicides, pesticides) voire de l’industrie
pharmaceutique pour l’élevage (hormones, antibiotiques pour favoriser la croissance des animaux).

Enfin, le rapport de force par rapport à la grande distribution et aux firmes agroalimentaires (pour la
plupart des firmes multinationales) étant en leur défaveur, les agriculteurs sont à la merci de la
politique des prix menée par ces derniers.

Le niveau de vie de bon nombre d’agriculteurs (ceux disposant de petites exploitations) a bien
reculé, la situation économique devenant beaucoup plus difficile pour eux : le monde agricole est
donc touché par les phénomènes d’exclusion (faillites d’exploitations, agriculteurs ayant des
revenus insuffisants donc considérés comme des travailleurs pauvres, salariés agricoles souvent
saisonniers donc connaissant la précarité, recours aux immigrés et au travail clandestins dans
certaines régions).

La désertification des régions rurales constitue un phénomène préjudiciable au monde agricole,


notamment en France. Des villages se meurent, la population âgée y devenant prépondérante. Les
services publics (poste, agences France Telecom) et les commerces de proximité ferment les uns
après les autres. L’isolement du monde rural est renforcé par l’éloignement des grandes
infrastructures de transport (réseau router) et de communication (accès aux réseaux informatiques
difficiles, ainsi qu’au câble ou à la téléphonie mobile).

Ces problèmes ont été pris en compte depuis longtemps en France, au travers de la politique
d’aménagement du territoire. Par exemple, le désenclavement du massif central a été permis par la
construction d’un réseau d’autoroutes. Cette politique s’est fixée comme objectif de soutenir les
régions rurales fragiles pour diminuer les disparités de richesse au niveau national. Mais elle n’a pas
empêché la désertification de se poursuivre dans certaines régions, celles qui n’ont pas su
compenser par d’autres atouts (tourisme vert ou rural, gîtes ruraux, stations de sport d’hiver) le
recul de la production agricole.

On peut donc conclure à une grande hétérogénéité du monde rural, une partie de ses membre s’étant
adapté avec succès aux mutations économiques modernes ; face à une partie de la population rurale
constituée de « laissés pour compte » du progrès. L’agriculture est en fait au centre d’enjeux
contemporains considérables (développement durable, relations entre pays riches et PVD,
protection de l’environnement, impact du progrès, rôle du principe de précaution..).
II Contrairement aux apparences, le monde rural conserve dans les enjeux du monde
contemporain une place centrale, avec des modalités différentes selon que l’on se place dans les
pays développés (1) ou dans les pays en voie de développement (2).

(1) Dans les pays développés, le poids économique et démographique du monde agricole a bien
diminué, néanmoins l’agriculture reste au centre de multiples préoccupations modernes.

L’agriculture a toujours une importance symbolique indépassable dans ces pays. Les produits
agricoles constituent en effet des produits de première nécessité, des produits de base indispensables
à la vie humaine. Ils représentent des enjeux de tout premier plan en matière de santé.

Les problèmes d’obésité, le thème de la « malbouffe » développé par José Bové et les courants
altermondialistes, prouvent que la place et l’utilisation des produits bruts issus du monde agricole ,
dans l’industrie agro-alimentaire, est un enjeu sociétal non négligeable. La qualité des produits
agricoles utilisés et la proportion d’adjuvants artificiels contenus dans les aliments (colorants, agent
pour modifier la saveur des produits…) pose des problèmes de santé publique.

Se pose également avec une acuité forte la question des risques alimentaires. Ces risques sont pour
une grande part liés au productivisme recherché dans l’élevage et l’agriculture (utilisation de farines
animales, d’hormones de croissance, élevage des animaux en milieu confiné..). Le monde agricole a
une responsabilité non négligeable dans ce domaine : ce sont les affaires de la vache folle, puis de la
grippe du poulet qui ont mis ces questions sur le devant de la scène. Face à ces risques, les autorités
considèrent qu’il faut appliquer le principe de précaution , à savoir prendre de mesures de prudence
sans attendre que le risque se soit concrétisé. Mais cette attitude n’est pas toujours bien comprise
par le monde agricole : en témoigne la réaction des producteurs d’huître du bassin d’Arcachon
quand leur production a été stoppé en en raison de décès subits non encore élucidés, mais qui
pouvaient être dus à l’ingestion d’huîtres.

Les questions posées par les OGM (organismes génétiquement modifiés) concernent également au
premier chef le monde agricole. Il s’agit de plantes dont le patrimoine génétique a été modifié par
l’ajout d’un ou de plusieurs gènes étrangers, afin de leur conférer des propriétés qu’elles ne
possédaient pas auparavant : résistance aux pesticides, aux insectes et aux maladies ; résistance
améliorée aux conditions naturelles (sécheresse, froid) ; amélioration de la qualité nutritionnelle des
plantes ; production de médicaments qui ne peuvent être synthétisés in vitro. Or de sérieux doutes
subsistent sur l’innocuité de ces organismes. Il n’est pas prouvé qu’ils n’auront aucune incidence
néfaste sur la santé humaine ou l’environnement à long terme. On redoute, tout d’abord, que
l’ingestion répétée de pesticides n’entraîne de graves troubles nerveux chez l’homme ; puis que les
insectes, bactéries ou virus ne deviennent plus résistants ; ensuite que les gènes des OGM ne se
disséminent dans les autres cultures ; et enfin que les OGM ne perturbent complètement les
écosystèmes en faisant disparaître par exemple des populations entières d’insectes. En Europe, une
fronde des agriculteurs a vu le jour, dirigée contre les OGM : arrachage de cultures (y compris de
cultures expérimentales destinées à la recherche), refus de ce type d’agriculture… Le monde
agricole y semble largement hostile, ce qui n’est pas le cas aux Etats-Unis (1er producteur mondial
d’OGM) et dans certains pays émergents (Chine, Argentine, Brésil).

L’importance du secteur agricole dans les PDEM (pays développés à économie de marché) est bien
visible si l’on considère la place qu’occupe la PAC dans les politiques communes européennes
(c’est le 1er budget européen, il draine 40% des ressources), et l’affrontement des USA et de
l’Europe sur le volet agricole dans les négociations commerciales du GATT puis de l’OMC
(l’agriculture y est une source de conflit majeure).
Enfin, une partie du monde agricole propose également un modèle de développement moins
productiviste et plus respectueux de l’environnement au travers de l’agriculture biologique. Le
secteur agricole est en effet source de problèmes environnementaux (pollution de l’eau à cause des
engrais et des pesticides, utilisation trop intensive de ressources naturelles non renouvelables
comme l’eau…). Ainsi, l’eau du robinet n’est pas consommable en Bretagne parce qu’elle est
polluée à l’excès par des nitrates. Par ailleurs, le niveau des nappes phréatiques ne cesse de
diminuer dans certaines régions françaises, en raison des prélèvements excessifs pour l’irrigation
(culture du maïs). C’est donc le modèle productiviste de l’agriculture des pays développés qu’il faut
revoir. L’agriculture biologique est une réponse à ces défis, en respectant la diversité et l’équilibre
des écosystèmes. Il s’agit d’un mode de production qui n’utilise ni engrais ni substances chimiques
(pour la conservation des aliments) et qui s’efforce d’être plus respectueux de l’environnement
(récupération des eaux de pluie, des déchets pour servir d’engrais…).Elle permet à de petites
exploitations de subsister car il s’agit également de produits plus rémunérateurs (prix supérieurs à
ceux des autres produits agricoles).

Les biocarburants constituent également une réponse du monde agricole aux enjeux
environnementaux. Carburants d’origine végétale, ils sont produits à partir de déchets végétaux ou
de plants cultivés dans ce but (colza, tournesol..). Les principaux sont le bioéthanol (produit à partir
de végétaux contenant de la saccharose : betterave, canne à sucre, maïs) et le biodiésel (obtenu à
partir d’huiles végétales, principalement de colza). Ces carburants disposent d’un avantage
précieux : ils ne produisent aucune émission de gaz à effet de serre.

L’agriculture est ainsi au cœur d’enjeux considérables au sein des pays développés, mais figure
également au cœur des relations entre ceux-ci et les pays en voie de développement.

(2) Dans les pays en voie de développement, les enjeux liés à l’agriculture prennent des modalités
différentes. Le poids du secteur agricole y est encore considérable : de 55% à 80% de la population
de ces pays est employée dans le secteur agricole. Le poids du secteur agricole dans les exportations
peut être considérable (ex : la Côte d’Ivoire avec le cacao et le café). Or ces pays sont devenus
importateurs nets de produits agricoles depuis 1997, ce qui a encore accentué malnutrition et
pauvreté.

En dépit de ces faits objectifs, le secteur agricole est largement délaissé par les politiques publiques.
Les problèmes liés au sous-développement y sont plus marqués que dans les villes (en particulier la
malnutrition), dans certains pays une réforme agraire paraît nécessaire pour améliorer le niveau de
vie de la population paysanne : il s’agit de renforcer les exploitations de petite taille, en leur
assurant un meilleur accès au crédit, ou de faciliter l’accès des paysans à la propriété des terres
qu’ils exploitent.

Le secteur agricole est également au cœur des conflits qui opposent les pays riches aux pays
émergents (comme le Brésil) et aux autres PVD dans les négociations de l’OMC. Au sommet de
Cancun en 2003, une alliance des PVD – réunis au sein du G20 sous l’impulsion du Brésil – a vu le
jour, pour obtenir des pays riches une modification de leurs politiques agricoles. Le refus de ceux-ci
a entraîné l’échec des négociations, tout comme celles de l’Uruguay Round (1986-1994) avaient
achoppé sur l’opposition USA/Europe concernant le volet agricole. Les agricultures européennes et
américaines sont en effet largement subventionnées. Les pays du Sud leur reprochent de fermer leur
marché intérieur aux produits agricoles des PVD d’une part, et d’autre part de concurrencer leurs
productions locales de manière déloyale au moyen de subventions à l’exportation, avec pour
conséquence la ruine des petits paysans locaux. Les pays du sud ont obtenu récemment la
suppression des subventions et autres aides à l’exportation d’ici 2013, couplées à une limitation des
aides et subventions internes versées aux agriculteurs. Les Etats-Unis et l’Europe s’y sont engagées
au sommet de Hong-Kong en 2005. Ces subventions représentent des sommes considérables = les
subventions européennes et américaines additionnées sont 6 fois supérieures au montant des aides
au développement concédées par les pays riches.

Néanmoins, le problème reste entier pour la plupart des pays du Sud, pour lesquels la priorité est de
pouvoir protéger leurs marchés face aux exportations non subventionnées en provenance des pays
émergents d’Asie ou d’Amérique Latine, seuls à tirer leur épingle du jeu grâce à cet accord.

Enfin, le secteur agricole est un des domaines d’application du commerce équitable, donc de
solutions alternatives au modèle dominant des relations économiques entre pays riches et PVD. Ce
commerce garantit en effet aux producteurs des pays pauvre un revenu minimum, en leur accordant
des prix supérieurs aux cours mondiaux. La société Max Havelaar, avec les producteurs de café
d’Amérique Latine et d’Afrique, a initié ce commerce alternatif. Il s’est depuis bien développé,
s’étendant d’ailleurs aux produits artisanaux (articles textiles, ustensiles de cuisine…) fabriqués par
les populations rurales des PVD = 15% des français consommeraient équitable en 2006. Le
commerce équitable est un des moyens permettant un développement durable dans ces pays, c’est-
à-dire un mode de développement plus respectueux de l’environnement et des besoins sociaux des
populations.

Le monde agricole semble en apparence occuper une place secondaire dans le monde contemporain.
Son poids démographique et économique est devenu mineur dans les pays développés face à
l’industrie et aux services, le monde agricole est largement fragilisé (désertification des régions
rurales, niveau de vie faible des agriculteurs) et dépendant (des aides, des subventions).
Néanmoins, il conserve un poids important dans les PVD et pour beaucoup d’analystes, ce secteur
serait indispensable au décollage économique de ces pays.

Il est également au cœur d’enjeux contemporains : protection de l’environnement, interrogations sur


les OGM, mise en œuvre du principe de précaution face aux risques alimentaires, relations entre
pays riches et PVD notamment lors des négociations de l’OMC.

Il participe enfin à l’élaboration partielle d’un nouveau modèle de développement pour le futur :
l’agriculture biologique est en effet une réponse aux nuisances agricoles (déforestation,
pollutions…), les biocarburants une énergie de remplacement du pétrole.

La place qui doit lui être accordée, tant dans les PVD que dans les pays développés doit donc
s’accroître et surtout évoluer. Favoriser l’agriculture biologique ou les biocarburants permettrait le
maintien de petites exploitations et constituerait un soutien appréciable au revenu agricole. Soutenir
les paysans des PVD par les politiques nationales axées sur le développement durable et le
commerce équitable permettrait de lutter contre la malnutrition et le sous-développement.

La question n’est donc pas tant la place du monde agricole, que le type d’agriculture qu’il s’agit de
favoriser et de soutenir, pour satisfaire les besoins actuels et futurs.

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