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I Introduction
1°) Le titre
2°) Le contexte historique : cf sous-titre chronique de 1830
a) Quelle image de la restauration ?
c) La religion dans le roman
I Introduction
1°) Le titre
Pourquoi pas Julien, premier titre donné par S
Note dans un livre : « 1828, nuit du 25 au 26 octobre, Marseille, je crois, idée de Julien,
depuis appelé en mai 1830, Le Rouge et le Noir »
Je crois : S doute. Il a raison. Ce n’est pas en 1828 mais en 1829 et pas à Marseille où il ne
pouvait pas se trouver à la date indiquée, d’après son journal. Reste les deux titres, sur
lesquels S ne s’explique pas, non plus que sur le changement. La date du nouveau titre est
plus fiable, confirmée par Romain Colomb : mai 1830 (le livre paraît fin novembre).
Raisons du changement du titre : par différenciation avec le roman éponyme précédent,
Armance, 1827
Ne pas donner l’impression qu’il s’agit d’un roman biographique ou monographique, centré
sur un personnage.
Différenciation aussi avec la titraille romantique du roman sentimental : René, Corinne,
Delphine de Mme de Staël, deux écrivains que S n’aime pas. Adolphe.
Ce qui ne l’empêchera pas d’écrire ensuite Lucien Leuwen ou Lamiel.
Rouge et noir : la question porterait sur l’entité colorée : qu’est-ce qui est rouge et noir ?
Le Rouge et le Noir : la question porte sur la définition même : qu’est-ce que le rouge et le
noir, sur l’entité désigné par la couleur.
Paradoxe (mystère) : le déterminant présente le titre comme une réalité connue alors qu’on ne
sait pas ce que c’est.
Titres de couleur chez Stendhal : Les titres colorés sont comme une marque chez
Stendhal.
Le Rouge et la Blanche est un des titres pensés pour Lucien Leuwen. Le titre final n’a en
effet pas été arrêté par Stendhal puisque c’est un roman inachevé. Le Rouge et la Blanche a
donc fait partie des titres qu’il retenait. « Cela fournira une phrase aux journalistes », disait-il.
Il s’agit de comprendre : « le rouge », qui a des convictions républicaines, Lucien, et « la
blanche », l’héroïne qui a des convictions royalistes. Nous avons donc bien affaire à une
lecture politique.
Retour aux deux couleurs des états militaire et ecclésiastique. Crouzet : seul cas où les deux
couleurs sont présentes : parabole du chasseur et des fourmis, II, 44, 557 :
… Un chasseur tire un coup de fusil dans une forêt, sa proie tombe, il s’élance pour la
saisir. Sa chaussure heurte une fourmilière haute de deux pieds, détruit l’habitation des
fourmis, sème au loin les fourmis, leurs œufs… Les plus philosophes parmi les
fourmis ne pourront jamais comprendre ce corps noir, immense, effroyable : la botte
du chasseur, qui tout à coup a pénétré dans leur demeure avec une incroyable rapidité,
et précédée d’un bruit épouvantable, accompagné de gerbes d’un feu rougeâtre…
Le feu et le noir ou une teinte proche se retrouvent associée dans l’œil de Julien, vu par
Mathilde. Julien parle avec le comte Altamira, celui qui voit haut ou qui voit de haut,
l’homme que M admire parce qu’il a été condamné à mort comme son ancêtre Boniface de la
Mole, puis comme J.
II, 9 « feu sombre » de l’œil de J.
Couleur de la passion, mais de la passion destructrice, au sens réflexif où la passion détruit le
passionné mais aussi au sens transitif de la passion de détruire par la violence
révolutionnaire : M remarque le « feu sombre » du regard de J juste avant de se demander à
son propos : « serait-il un Danton ? » (id.)
« feu sombre » du regard qui fait la synthèse entre l’œil noir de Julien et le feu qu’on lit dans
son regard : voir la description liminaire, p. 63.
« grands yeux noirs » de J. Expression à l’identique dans la description d’Antoine Berthet.
Les mots « feu » et « flamme » sont très fréquents, associés à l’énergie, de la détermination,
qu’il s’agisse du regard ou de l’âme, de l’âme ardente de J.
L’abbé Pirard présente au marquis de la M J comme habité par « le feu sacré » : expression
banale, cliché resémantisé de se trouver dans la bouche d’un homme d’église.
M et Mme de R opposées par ce mot de « feu » : « feu de la saillie » et « feu des passions »
(lire p. 288 II, 2)
Quant à la couleur noire, elle n’est pas réservée à la soutane, si l’on s’en tient à l’habit.
Habit noir de la domesticité chez M. de Rénal (précepteur) comme chez le marquis
(secrétaire), en alternance avec l’habit bleu dont il lui fait cadeau : quand J le revêt, le marquis
le traite en égal, sans doute parce que le bleu est la couleur aristocratique, celle de la royauté :
sang bleu.
Par le noir, J cumule l’habit du précepteur et celui de l’ecclésiastique : J est « déguisé en
chacun de ces habits. Les libéraux de V jalousent « ce petit ouvrier déguisé en abbé » et M.
Valenod apprend par Élisa, la bonne des Rênal, que la femme qu’il a courtisée vient de
« prendre pour amant un petit ouvrier déguisé en précepteur ».
L’habit noir ecclésiastique est « l’uniforme du siècle » d’après J. J. affirme sa supériorité sur
les jeunes aristocrates qui courtisent M :
Plus largement, l’habit noir est l’uniforme du siècle, du XIXe siècle, l’uniforme laïc. « Triste
habit noir » caractérise l’homme du XIXe siècle, à la fois le dandy et Monsieur tout le monde,
couleur de la distinction et l’uniforme du siècle démocratique qui nivelle les conditions
comme l’apparence extérieure : voir Balzac, Musset et Baudelaire, Confession, chap. II, sur
l’habit noir comme vêtement de l’ennui et du deuil. L’habit noir, c’est l’uniforme de
l’uniformité, la perte de la distinction aristocratique, par opposition aux « brillant uniforme »
militaire.
Titre : Le Rouge et le Noir, sous-titre : « Chronique du XIXe siècle » : le noir convient au
sous-titre. C’est la couleur du XIXe siècle.
Le séminaire, lieu de l’habit noir, est trop noir pour un roman qui s’appelle « le rouge et le
noir ». Quelle est la couleur du roman ? Est-ce que le rouge n’est pas là pour éviter que le
roman ne soit trop noir ? Ce qui met de la couleur dans l’absence de couleur ?
Titre à lire en liaison avec le sous-titre : « Chronique du XIXe siècle », mais aussi avec
l’épitaphe de Danton, « La vérité, l’âpre vérité ». Si la vérité est âpre, dure, cruelle, c’est
qu’elle est noire (Taine : « la vérité est chose triste ») et rouge sang.
Il faut en tout cas considérer les deux couleurs ensemble, et non l’une indépendamment de
l’autre. J n’a pas le choix entre les deux carrières, qui doit faire son deuil de la carrière
militaire parce qu’elle est fermée aux jeunes hommes valeureux comme lui depuis la chute de
Nap., les deux couleurs ne sont même plus en alternance, mais il faut les prendre ensemble
dans un siècle dominé par l’ennui, la tristesse, le deuil, et entaché du sang de ceux qui se
révoltent.
Une chronique est un récit mettant en scène des personnages réels ou fictifs, tout en évoquant
des faits sociaux et historiques authentiques, et en respectant l'ordre de leur déroulement.
Le roman renvoie au XIXe mais également à 1830
Cf. avertissement de l’éditeur que l’on peut attribuer à Stendhal :
« Cet ouvrage était prêt à paraître lorsque les grands événements de juillet sont venus
donner à tous les esprits une direction peu favorable aux jeux de l’imagination. Nous
avons lieu de croire que les feuilles suivantes furent écrites en 1827. »
Toutes les séquences vont dans le même sens et donnent une image négative et même noircie
de la Restauration. On y constate une justice injuste (procès). Plus largement l’injustice règle
tous les rapports sociaux. Nous en avons un exemple avec la destitution de l’abbé Chélan,
homme intègre qui déplaît aux trois hommes qui font la loi à Verrières, soit Monsieur de
Rénal, Valnod et l’abbé Maslon, jésuite chargé de surveiller Chélan et quelques curés des
environs.
On voit à Verrières tous les traficotages municipaux et électoraux ; épisode de l’adjudication
(I, 3 « Le bien des pauvres »). L’affaire est difficile à démêler et à expliquer. Ce qu’on y
comprend et qui est à retenir, c’est qu’on manigance. Peu importe le mécanisme. Il y a
manigance, friponnerie ; c’est là l’essentiel à retenir. Interviennent à pleines mains les
autorités municipales et ecclésiastiques, Frilair, Maslon…
Ajoutons à cela le passage d’Un roi à Verrières - où il s’agit de fanatiser les foules et de
renforcer ainsi le pouvoir de l’Église -, le complot de la note secrète, où ultras et haut-
représentants du clergé entendent renforcer leurs pouvoirs. Si on fait le compte, le miroir
stendhalien va toujours dans le même sens ; il est assurément déformant.
Et si l’on revient au dialogue entre l’auteur et son éditeur, plusieurs fois cité déjà :
« Et, monsieur, un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à
vos yeux l’azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. », à observer le roman du
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Rouge et Noir, la fange est bien là, dans la peinture de la Restauration. Et l’azur ? Il n’apparaît
nulle part. Il y a bien de la part de Stendhal parti pris.
Les Jésuites et les Jansénistes sont des congrégations qui appartiennent au catholicisme. Il
s’agit de deux interprétations radicalement opposées du catholicisme.
Les jansénistes ont repris les théories de St Augustin tel que Jansen les a comprises. Au
collège de Port Royal, où étudiaient Racine et Pascal, la doctrine de Jansen est appliquée.
Leurs préceptes sont beaucoup plus sévères que ceux des Jésuites. Selon eux, l’homme est
irréversiblement déchu à cause du péché originel. Seule la Grâce de Dieu peut pousser
l’homme vers le bien. Il faut avoir la foi pour recevoir la Grâce de Dieu. L’homme doit faire
pénitence pour trouver la rédemption. Il faut que les hommes adoptent une attitude propice à
la rédemption divine, qu’ils se purifient et restent humbles.
La principale opposition
La liberté personnelle dans toutes les décisions (jésuites) s’oppose à la prédestination
(jansénistes).
Pour les Jésuites et plus globalement l’image donnée de l’Église dans le roman : vicaire
de Maslon, Abbé de Frilair (congrégation jésuite) vs Abbé Pirard (janséniste), Abbé Chélan
Chap. VII Les affinités électives
« Depuis la chute de Napoléon, toute apparence de galanterie est sévèrement bannie des
mœurs de la province. On a peur d’être destitué. Les fripons cherchent un appui dans la
congrégation ; et l’hypocrisie a fait les plus beaux progrès même dans les classes libérales.
L’ennui redouble. Il ne reste d’autre plaisir que la lecture et l’agriculture. »
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La religion y est vue d’abord comme une réalité politique, un moyen de pouvoir,
jamais comme une réalité spirituelle. La religion, chez et par Stendhal, n’est jamais vécue
comme ouverture à une transcendance. Elle est systématiquement ramenée sur terre, où les
jésuites, « la congrégation », constituent une bête noire, assimilée à une force occulte, toute
puissante, qui complote contre les citoyens. Le Rouge et le Noir hérite en cela de toute
l’activité de Stendhal comme journaliste sous la Restauration. Stendhal eut un problème sous
la Restauration. Il n’avait alors plus de revenus ; l’un de ces moyens sera le journalisme.
L’expérience du journalisme qui précède l’entrée dans le roman pour Stendhal est une des
étapes qui le conduit au roman. Son travail comme journaliste l’oblige à observer le monde
contemporain. Il est alors journaliste pour le compte de journaux anglais à qui il envoie
périodiquement des radiographies de l’état culturel de la France des années 1820. Cela
constitue un matériau formidable pour le romancier à venir. Le roman s’inscrit dans la lignée
des analyses de Stendhal journaliste sur la place des Jésuites dans la Restauration.
Stendhal, sur la question religieuse, se situe aux antipodes de Chateaubriand. Il en souligne la
nature profondément politique ; il y voit d’abord une force de coercition, de contrôle des
corps comme des esprits. Il retient dans la religion l’institution sociale à l’exclusion de toute
spiritualité. La religion est pour lui le « royaume du noir ».
Le noir, c’est le séminaire. L’épisode est l’occasion d’une vaste peinture satirique de
l’institution du séminaire et constitue une des grandes séquences libérales du roman. Il s’agit
d’une étape majeure de la formation de Julien Sorel. Or, paradoxalement, il n’y apprend pas
grand-chose. Rien d’utile pour la suite en tout cas. C’est pour lui une épreuve.
« Ce moment fut le plus éprouvant de sa vie. »
Et le narrateur voudrait passer un peu vite au motif que « peut-être ce qu’il vit au séminaire
est-il trop noir pour le coloris modéré que l’on a cherché à conserver dans ces feuilles. »
> description à charge où rien n’est à sauver sauf peut-être l’abbé Pirard qui prend Julien en
sympathie. Mais justement, l’abbé comme Julien quittera le séminaire pour devenir secrétaire
du marquis de la Mole, avant que la fonction ne soit dévolue à Julien. Le roman propose du
séminaire un tableau noir où se perçoit la position d’un Stendhal, athée, farouchement anti-
jésuite, dégoûté de ce qui fait la nature même du régime de la Restauration, l’alliance du trône
et de l’autel.
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Un univers carcéral
Si l’on adopte cette définition pour lire le séminaire, ce dernier est de fait décrit par Stendhal
sur un mode carcéral. En atteste ce monologue intérieur de Julien :
« Pour un pauvre diable comme moi, se dit Julien, sans protecteur et sans argent, il n’y aura
pas grande différence entre un séminaire et une prison. »
Il qualifie plus loin le séminaire d’« enfer sur la terre » et de « lieu terrible ». Les deux
principes qui organisent la vie au séminaire, donnés par l’abbé Pirard à l’arrivée de Julien :
obéissance et surveillance.
« Vous me devez la sainte obéissance ». « Dans cette maison, entendre c’est obéir ».
Pour ce qui est de la surveillance, à son arrivée, la malle de Julien est dûment fouillée par
l’abbé Castanède. Dans un autre passage, le séminaire est défini comme un lieu « plein de
délations et de méchancetés de tous les genres où l’espionnage et la dénonciation entre
camarades sont encouragés. »
De fait, l’épisode du séminaire ne permet à Julien de trouver aucun ami, aucun camarade. Le
séminaire s’avère un monde plein de conflits plus ou moins larvés.
Claustration, privation de liberté et d’intimité, contrôle permanent qui vise à briser toute
velléité d’indépendance et de singularité. Tel est le problème de Julien au séminaire.
Un lieu d’endoctrinement
L’entreprise de domestication, de dressage, si l’on suit la lecture d’Yves Ansel du séminaire
comme institution totalitaire, se perçoit sur deux volets complémentaires : assujettissement de
l’esprit / dressage du corps de l’autre. C’est pour Stendhal le fonctionnement concret de la
criminelle alliance du trône et de l’autel.
L’endoctrinement ne pose aucun problème à Julien. Il est capable de garder son quant à soi.
Apprendre par cœur des inepties sans y croire, il sait faire. Il l’a déjà fait pendant la première
partie, à Verrières. Il a appris par cœur la Bible et la récite quand on le lui demande pour
épater le bourgeois. Mais il n’y croit pas une seconde.
« Pour gagner le vieux Chélan duquel il voyait bien que dépendait son sort à venir il avait
appris par cœur tout le nouveau testament en latin. Il savait aussi le livre Du Pape de
monsieur de Maistre et croyait aussi peu à l’un qu’à l’autre. »
Julien est tout à fait capable de réciter deux piliers fondateurs de la religion catholique sans y
croire. Le problème pour Julien, au séminaire, ce n’est pas cela.
Il faut entendre ce que cela dit du point de vue de Stendhal : on peut entrer au séminaire, faire
une très belle carrière ecclésiastique sans y croire une seconde. La religion pour Stendhal c’est
une institution sociale.
« Il travaillait beaucoup et réussissait à apprendre des choses très utiles à un prêtre, très
fausses à ses yeux, et auxquelles il ne mettait aucun intérêt ».
L’enseignement aux yeux du narrateur relève de l’endoctrinement et de l’abrutissement :
« enseigner des choses très fausses à des imbéciles ».
Les séminaristes sont décrits comme « des êtres grossiers qui n’étaient pas bien sûrs de
comprendre les mots latins qu’ils répétaient tous les jours. »
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Le séminaire les confirme dans l’abrutissement, dans le psittacisme. Ils y subissent une forme
de lavage de cerveau comme l’explicite le discours du narrateur que l’on retrouve à
l’identique sous la plume de Stendhal dans les textes journalistiques.
Le dressage du corps
Le dressage du corps est le réel problème de Julien, soit l’incorporation de la norme, stricto
sensu de l’habitus, du corps de conduite. C’est le corps de Julien qui se rebelle ; le séminaire
est pour Julien une violence faite au corps. D’ailleurs, l’entrée au séminaire se traduit par
l’évanouissement de Julien comme si le corps lâchait. Dans un lieu censé être dévoué à la
spiritualité, Stendhal ne cesse d’insister sur le corps. Plus que sur l’âme. Pour Julien, il est
difficile d’adopter la démarche du séminariste, d’attraper le mouvement des bras, des yeux,
qui n’annoncent rien de mondain.
« Après plusieurs mois d’application de tous les instants Julien avait encore l’air de penser.
Sa façon de remuer les yeux et de porter la bouche n’annonçait pas la foi implicite et prête à
tout croire, et à tout soutenir même par le martyr. De même il doit se forcer à baisser le
regard, adopter une nouvelle posture. Il s’agissait de se dessiner un caractère tout nouveau.
Les mouvements de ses yeux par exemple lui donnèrent beaucoup de peine. Ce n’est pas sans
raison qu’en ces lieux là on les porte baissés. »
Derrière cette manière de lire le séminaire, qui évacue toute forme de spiritualité, on perçoit
pleinement le romancier. Il peint donc le corps, plus que tout autre chose. Il remplace la
spiritualité par la matérialité et cela participe de la déformation libérale du miroir romanesque.
Le matérialisme stendhalien
[Doctrine qui, rejetant l'existence d'un principe spirituel, ramène toute réalité à la matière et à
ses modifications.]
Se laisse entendre le matérialisme foncier de Stendhal dans la peinture qu’il donne du
séminariste. On peut continuer l’analyse en examinant les motivations que Stendhal donne des
séminaristes. À aucun moment ils ne sont montrés animés d’une foi réelle. Ils sont d’abord
mus par un régime alimentaire un peu plus riche que la moyenne et l’espoir d’obtenir une
bonne cure, non pas dans le dessein de sauver les âmes, mais pour les bénéfices matériels. On
ne peut qu’être frappé par l’insistance lourde sur la nourriture dans l’épisode sur le séminaire.
Ailleurs dans le roman, il n’est jamais question de ce qu’on mange. Il est fait mention des
échanges lors de repas, mais on ne sait pas ce qu’on mange, pas plus chez les Rénal, chez les
de la Mole ou au bal du duc de Retz. Au séminaire au contraire, l’insistance est constante sur
le réfectoire et les menus, qui nous sont connus - « saucisse et choucroute les jours de fête ».
C’est une épreuve pour Julien qui fait la fine bouche ; les autres y voient un véritable crime, et
il s’en trouve stigmatisé.
« Voyez ce bourgeois, ce dédaigneux, disaient-ils, qui fait semblant de mépriser la meilleure
pitance, des saucisses avec de la choucroute. Fi ! Le vilain, l’orgueilleux, le damné. »
Quant à la vocation des séminaristes :
« Mes camarades ont une vocation ferme, c’est-à-dire qu’ils voient dans l’état
ecclésiastique une longue continuation de bonheurs, bien dîner et avoir un habit chaud en
hiver. Ce sont des gloutons qui ne songent qu’à l’omelette au lard qu’ils dévoreront au
dîner. »
À lire donc l’épisode du séminaire en contraste avec le reste du roman ressort clairement le
libéralisme stendhalien qui passe ici par une forme de matérialisme.
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La topographie du séminaire
Ce matérialisme foncier s’exprime de la même manière dans la description des lieux du
séminaire. Dans la topographie du séminaire sont évoqués des murs, la porte d’entrée, des
corridors, les cellules. Il est question de l’infirmerie, parce que s’y trouvent quelques
mystiques, assimilés par Stendhal à des malades. Revient dans la topographie des lieux le
réfectoire, lieu des nourritures non pas célestes mais terrestres.
On n’entre jamais dans les salles de cours. Jamais dans une chapelle, dont on a juste une
mention très rapide. On n’assiste à aucun office, à aucune messe au séminaire. Julien y reste
quatorze mois pourtant.
La sélection faite est parfaitement parlante. Le miroir n’est pas neutre.
Le miroir peut aller même jusqu’à la déformation comme le laisse voir un petit détail, une
phrase qui pourrait passer totalement inaperçue.
« Un soir, au milieu de la leçon d’arme, Julien fut appelé chez l’abbé Pirard. »
Que fait-on au séminaire ? des leçon d’armes ? On forme des soldats ? On connaît le goût de
Stendhal pour les petits faits vrais ; mais il se fait ici le champion du "petit fait faux".
Volontairement, délibérément. Le détail est faux donc, mais il en dit long sur la représentation
stendhalienne de la religion et de l’institution religieuse. Il reprend là une rumeur, un
fantasme de la propagande libérale des années 1820, et il le fait tout à fait consciemment. On
retrouve déjà cette notation dans des textes journalistiques : compte-rendu d’un roman de
Mortonval Le Tartufe moderne.
« C’est une peinture fidèle de ce que font, loin de Paris, vingt-cinq mille jeunes sans
instruction que depuis six ans l’on a métamorphosés en curés de campagne. On leur apprend
surtout dans les séminaires à faire des armes. Le fait est historique. » Le Rouge et le Noir fait
écho à cette analyse.
Un roman polémique
Le discours ainsi développé par Stendhal dans son roman se place vraiment du côté de la
dénonciation libérale. Il n’y a pas une once d’objectivité. Les contemporains ne s’y sont
d’ailleurs pas trompés comme le montre ce propos de Jules Janin, 1830 :
« Je n’ai jamais vu nulle part plus de rage anti-jésuitique et anti-bourgeoise que dans le
livre de monsieur de Stendhal. La partie remarquable de ce roman est le séjour de Julien au
séminaire. Ici, l’auteur redouble de rage et d’horreur. Il est impossible de se faire une idée de
cette hideuse peinture. Elle m’a frappé comme le premier conte de revenants que ma nourrice
m’a conté. »
On sait que Stendhal était un grand relecteur de ses propres textes. Le Rouge et le Noir,
comme d’autres, a fait de sa part l’objet d’une relecture et l’on a un exemplaire annoté par
lui :
« Very well le séminaire ». Relu le 4 novembre 1831.
C’est le polémiste qui parle là et de fait le Rouge est un roman politique plus que réaliste.
Le séminaire cristallise de manière forte la donnée polémique dans Le Rouge et le Noir ; et de
fait, la peinture d’univers carcéral, politique et polémique, du séminaire vient de loin chez
Stendhal. Elle se nourrit à la fois d’un répertoire romanesque ancien et des obsessions de
Stendhal. On peut entendre, dans cette peinture polémique, une référence à la « tyrannie
Rayan » selon les propres termes de Stendhal. Dans son autobiographie Vie de Henry Brulard,
Stendhal fait état de l’éducation que lui a prodiguée son précepteur, l’abbé Rayan, et il partage
le sentiment d’avoir été « mis en cage ». Stendhal a de toute évidence un contentieux intime à
régler avec la religion.
[Avec la vivacité et la grâce |qui lui étaient naturelles | quand elle était loin des regards des
hommes], [madame de Rênal sortait par la porte-fenêtre du salon qui donnait sur le jardin,]
[quand elle aperçut près de la porte d’entrée la figure d’un jeune paysan presque encore enfant,
extrêmement pâle et qui venait de pleurer. ]
2°) Explication
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Après les détails relevés de façon spontanée, Mme de Rênal observe de façon plus réfléchie :
son regard revient sur le visage, remarque le « teint si blanc », sent intuitivement l’étrangeté,
le déclassement de Julien dans son milieu, puisqu’il n’a pas le teint bruni par les travaux des
champs. Tout cela amène la jeune femme à une hypothèse « romanesque » (qui pourrait faire
penser à une Madame Bovary) et à l’imagination d’un mini scénario : Julien pourrait être une
« jeune fille » déguisée.
Madame de Rênal s’approcha, distraite un instant de l’amer chagrin que lui donnait l’arrivée
du précepteur. Julien, tourné vers la porte, ne la voyait pas s’avancer. Il tressaillit quand une
voix douce dit tout près de son oreille :
.— Que voulez-vous ici,
=> Stendhal mentionne la position de Julien, placé devant la porte : il ne voit donc pas
Mme de Rênal « s’avancer » mais elle, elle a tout loisir d’observer le jeune homme. C’est un
moyen de ménager le caractère spectaculaire de la rencontre et l’effet de surprise produit. En
effet, Stendhal souligne les effets physiques de ce premier contact, d’abord auditif (tressaillit)
puis visuel « frappé par le regard », « étonné » images qui manifestent de manière très
=> L’émotion des personnages est trahie par d’autres notations sensorielles. Julien
« tressaillit », touché par le son « tout près de son oreille » de la bouche de Mme de Rênal. Ces
indications rendent concret l’effet produit.
La jeune femme et l’adolescent sont également « fort près l’un de l’autre » et cette proximité,
inhabituelle à l’époque et presque inconvenante, entre deux inconnus de sexes opposés et de
rangs sociaux si éloignés, est sûrement troublante pour l’une et pour l’autre, même s’ils n’en
ont pas conscience. La forme pronominale souligne la réciprocité de la relation. Stendhal se
sert de ce jeu de regards pour décrire les deux personnages et, le narrateur omniscient, précise
toutes les nuances des émotions liées aux observations enregistrées par ces regards. C’est
donc un double portrait, physique et moral, marqué par la subjectivé de chacun d’eux.
Madame de Rênal resta interdite ; ils étaient fort près l’un de l’autre à se regarder.
=> c’est au tour de Mme de R d’être décrite par le regard de J. Même si c’est un regard naïf, le
portrait de Mme de R est élogieux comme en témoigne les adverbes d’intensité :
Julien n’avait jamais vu un être aussi bien vêtu et surtout une femme avec un teint si
éblouissant, lui parler d’un air doux.
Le plus-que-parfait « n’avait jamais vu », qui exprime l’antériorité ainsi que la négation, révèle
l’inexpérience du jeune homme. Les indications retenues sont relativement asexuées, bien que
Julien soit sensible à la féminité de Mme de Rênal. Mme de Rênal prend dès cette rencontre
les traits de l’initiatrice, de la première femme qui amorce l’apprentissage affectif et social de
Julien.
Madame de Rênal regardait les grosses larmes, qui s’étaient arrêtées sur les joues si pâles
d’abord et maintenant si roses de ce jeune paysan. Bientôt elle se mit à rire, avec toute la
gaieté folle d’une jeune fille ; elle se moquait d’elle-même et ne pouvait se figurer tout son
bonheur. Quoi, c’était là ce précepteur qu’elle s’était figuré comme un prêtre sale et mal vêtu,
qui viendrait gronder et fouetter ses enfants !
=> le narrateur rend compte de la métamorphose des deux personnages. D’une part, le changement de
couleur de J le fait passer de l’individu maladif à la vie. D’autre part, Mme de R rajeunit comme si S
voulait la rapprocher de Julien par l’âge (30>17)
=> Quand Stendhal, après s’être attardé sur le regard de Julien vers Mme de Rênal, reporte son
attention sur elle, c’est un regard différent, lucide, qu’elle porte sur Julien : elle ne le voit pas encore
comme « un précepteur » à part entière, il est encore le « jeune paysan », mais elle oscille entre ses
craintes passées à l’idée d’un précepteur qui gronderait ses enfants et sa joie retrouvée (« d’abord »
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Le troisième mouvement est marqué par l’échange c’est-à-dire par l’interaction verbale. En
effet, S choisit de rapporter leurs propos au DD pour faire vivre la scène au lecteur. Ce
procédé de dramatisation présente également l’intérêt de souligner le premier contact entre les
futurs amants. Le discours de Louise est marqué par la surprise :
Conclusion
Stendhal renouvelle le topos de la scène de rencontre. Bien qu’elle soit empreinte
d’une grande émotion, elle ne révèle pas de sentiments très précis : l’attirance est évidente
mais rien ne laisse vraiment présager de la suite de la relation des deux personnages.
L’émotion de Mme de Rênal est surtout liée à sa propre erreur et à son soulagement de mère
quand le quiproquo se dissipe. Il y a, dans cette scène, un parfum mozartien : Julien est le
Chérubin des Noces de Figaro, ému, sans savoir pourquoi, devant la Comtesse. C’est à cette
parenté que Stendhal veut nous faire penser quand il met, en épigraphe du chapitre 2, ces
paroles de Chérubin qui chante son trouble d’adolescent, amoureux, sans savoir qu’il l’est, de
tout ce qui porte un jupon : « Non so più cosa son, cosa faccio » (Je ne sais ce que je suis, ni
ce que je fais).
=> textes complémentaires à lire
17
Sur l’esthétique
19
II, 45
L’inconvénient du règne de l’opinion, qui d’ailleurs procure la liberté, c’est qu’elle se mêle de
ce dont elle n’a que faire ; par exemple : la vie privée. De là la tristesse de l’Amérique et de
l’Angleterre. Pour éviter de toucher à la vie privée, l’auteur a inventé une petite ville,
Verrières, et, quand il a eu besoin d’un évêque, d’un jury, d’une cour d’assises, il a placé tout
cela à Besançon, où il n’est jamais allé.
LECTEUR
Nous
« Nous », : nous inclusif
« notre histoire »
Troisième personne
Liée à la fonction de régie du narrateur, ou métanarrative, qui produit un effet d’oralité, de
conversation
20
Lecteur inattentif, qui a tendance à oublier. Il faut lui rappeler des personnages, des situations.
« si le lecteur s’en souvient », (à propos de la fausse lettre anonyme composée par
Mme de Rênal)
Le lecteur voudra bien nous permettre de donner très peu de faits clairs et précis sur cette
époque de la vie de Julien. Ce n'est pas qu'ils nous manquent, bien au contraire; mais, peut-
être ce qu'il vit au séminaire est-il trop noir pour le coloris modéré que l'on a cherché à
conserver dans ces feuilles.
Lecteur surpris / oubli de dire, oralité du récit, linéaire, irréversible, qui empêche de
modifier le déjà dit. On peut revenir dessus, mais pas le changer. Si le narrateur écrivait, il
pourrait reprendre son texte. Effet d’improvisation, de liberté.
Ennui partagé par le lecteur. Lande de notre voyage
Ajouter une ligne pour faciliter l’intelligence, Faciliter l’intelligence ou compléter l’image
Happy few (table des matières). Pas de discrimination entre lecteurs dans le texte.
Mais quand même, voir la formule utilisée par Pirard :
Intelligenti pauca : Aux intelligents, peu suffit
Cependant, prise en compte de deux lectorats dans la discussion sur la politique avec
l’éditeur :
« Cette politique va offenser mortellement une moitié des lecteurs et ennuyer l'autre qui l'a
trouvée bien autrement spéciale et énergique dans le journal du matin... » (II, 22, p. 425)
L'inscription de Le Rouge et le Noir dans le genre du roman d'apprentissage peut ne pas aller
de soi. En effet, si le personnage quitte bien son milieu social pour évoluer vers de plus hautes
sphères au fil du roman, et s'il apprend à mieux se connaître à force d'introspection et
d'analyse, il n'en demeure pas moins que la fin du roman le ramène sur son lieu de départ, et
le condamne à mort. Étrange apprentissage, s'il en est, que de se laisser aller aux affres de la
colère et de la passion. Mais cet échec social représente en réalité une forme d'apothéose
spirituelle du protagoniste, qui sort« grandi ›› de cette longue aventure et acquiert une forme
d'immortalité littéraire.
Le trajet suivi par Julien Sorel n'est cependant pas tout à fait linéaire. Son parcours s'apparente
même à une boucle dans la mesure où il revient finalement sur ses pas en délaissant Mathilde
de La Mole pour retrouver Mme de Rênal. Il retrouve également son père qui ne semble guère
avoir changé depuis leur précédente rencontre. De même, sa relation avec Mathilde de La
Mole est particulièrement sinueuse : il peut soudainement passer du statut de vainqueur à
celui d'homme méprisé, avant d'être de nouveau aimé. Cependant, son discours devant les
jurés montre qu’il acquiert sa véritable identité dépouillée de l’image sociale et mondaine
qu’il affectait.
Étapes du voyages : aller-retour Province-Paris-Province > Quelle initiation si l’apprentissage
se fait de manière circulaire et si elle s’achève par la mort ?
Anticipation : la tête tranchée de Boniface de La Mole. Il ne s’agit pas d’une prolepse, mais
d’une annonce indirecte. Il n’y a pas récit anticipé d’un événement à venir, mais récit d’un
événement passé qui se répétera, le destin de J étant de rejouer, de rejoindre celui de Louis
Jenrel et de Boniface de la Mole, d’un côté le fait divers sordide dans parle le journal
(Antoine Berthet), de l’autre l’Histoire, la Légende héroïque.
pause TN>TH =0
ralenti TN > TH
scène : TN = TH
sommaire : TN < TH
22
« en un clin d’œil » : alors que la politique russe de Korasoff a montré son efficacité et que
Mathilde est vaincue par la jalousie suscitée par les lettres à Mme de Fervaques, J est prêt à
céder à l’impulsion d’un geste amoureux, mais il se ravise : « Il vit cette vérité en un clin
d’œil et, en un clin d’œil aussi, retrouva du courage »
Scène du premier rdv amoureux avec M., II, 19
Décision de monter à l’échelle : un instant, l’éclair du génie, en peu de minutes.
Descente : un moment, trois secondes après.
Minutes, secondes : comput du temps. Précision stendhalienne.
Bilan : « cette journée passa comme un éclair » S ne s’embarrasse pas de style, de variations,
de synonymes. Répète le mot, parce qu’il est pressé. Rapidité de l’écriture analogue à la
rapidité de l’action, mimétisme, garant de vérité.
Juxtaposition de contrastes
Rapidité dans l’enchaînement des actions, mais aussi dans le renversement des situations et
des états intérieurs.
23
Idée de prendre la main. Passe par trois états successifs : hardiesse / peur / accusation de
lâcheté. On passe de l’idée à l’action, à la décision de l’action.
Passage de l’amour au mépris.
Il suffit que J avoue qu’il aime pour qu’il ne soit plus aimé. Racine : amour proche de la
haine. Antithèse de nature, de caractère. Chez S., antithèse de réaction, de situation, dans un
jeu pervers.
Roue de la fortune : elle tourne, ce qui était en haut se retrouve en bas.
Mme de R heureuse d’aimer J et malheureuse de l’aimer.
Ce n’est pas en même temps, mais l’un après l’autre dès qu’elle a pris conscience de son
amour
Bonheur / malheur.
J passe ainsi du sommet au gouffre, dans un mouvement d’élévation et de chute, de haut et de
bas.
J sait suffisamment de latin pour connaître le sens de l’expression
Une citation latine l’a fait passer à la postérité : Arx tarpeia Capitoli proxima (généralement
traduite par les expressions « La roche Tarpéienne est proche du Capitole » ou « il n'y a pas
loin du Capitole à la Roche Tarpéienne »). Elle est généralement employée pour signifier
qu’après les honneurs, la déchéance peut venir rapidement, ou plus spécifiquement pour
mettre en garde sur le fait que la meilleure façon de vous faire tomber, vers une chute
mortelle, est de commencer par vous inviter à monter le plus haut possible.
Lieu d’exécution capitale pendant l’Antiquité, c’est de là qu’étaient précipités, jusqu’à la fin
de la République romaine, les criminels ;
Pas de descriptions
Pas de description : fait diversion à l’analyse morale, ralentit l’action, supprime la parole du
romancier et accable l’imagination du lecteur.
Pause dans le récit : Balzac et Flaubert.
Pas de description de la beauté ni du bonheur. Excès.
première nuit d’amour de J et de M
La Rochefoucauld : Deux choses ne peuvent se regarder en face, le soleil ni la mort.
Ne peuvent se dire.
Hasard
Rôle du hasard dans le récit.
Sujet de Gracq : non pas le résultat de la volonté, mais la survenue du miracle.
Dans l’article non publié, S. insiste sur le rôle du hasard dans les deux histoires d’amour : La
main de Mme de R touche celle de J par hasard
Ce qui survient sans préparation, sans motivation. Sur le plan narratif : ce qui se passe de
motivation. Pour le personnage : liberté, absence de calculs.
Justifications
« nous risquons de fatiguer le lecteur du récit des mille infortunes de notre héros »
« je me garderai de raconter les transports de j à la Malmaison »
Notes
S conscient de ses goûts narratifs, qu’il considère comme un défaut
L’habitude de la brièveté m’a égaré ; Mon amour pour aller vite m’a fait tomber dans cette
erreur [à propos du ton trop leste de l’abbé Pirard
Conseils à lui-même qui vont dans le sens d’ajouts, de transitions, en pensant au lecteur
Ajouter des mots […] pour aider l’imagination à se figurer.
Complaisance à l’égard du lecteur qui a des limites
Pas assez développé […] Quelle rapidité ! Pour les demi-sots, n’est-ce pas de la sécheresse ?
24
Roman d’avant-garde parce que s’inspire de plusieurs modèles romanesques sans les
reprendre totalement : roman d’apprentissage, roman historique, roman libertin (parle
de sexualité mais de manière allusive et voilée cf. I, 15 « Le chant du coq »)
25
Publié en 1830, Le Rouge et le Noir met en scène le parcours de Julien Sorel, fils de
charpentier, qui gravit les échelons de la société avant de connaître une fin tragique. Son
apprentissage passe d’abord par l’univers bourgeois des Rênal dans la petite ville de
Verrières. Naît alors une liaison entre Mme de Rênal et Julien qui est bientôt découverte. Pour
éviter la honte publique, Julien est envoyé au séminaire de Besançon, qui constitue la
deuxième phase de ce parcours initiatique. Stendhal prend le temps de raconter cette arrivée
au séminaire pour en montrer le caractère déterminant mais aussi inquiétant. Deux
mouvements :
- à l’extérieur du lieu
- à l’intérieur
Comment l’entrée du séminaire apparaît-elle comme une descente aux enfers, étape
importante du parcours de Julien ?
Le Séminaire.
Dans la religion catholique, établissement d'enseignement supérieur consacré à la formation
des jeunes gens qui se destinent à la prêtrise.
=> L’épigraphe oriente la lecture des chapitres qui vont suivre sur le mode de la critique. En
effet, il met en avant le coût matériel de cet enseignement en évacuant toute spiritualité. Le
matérialisme stendhalien laisse entendre que le séminaire est le lieu de l’abaissement, de la
privation de liberté. On peut continuer l’analyse en examinant les motivations que Stendhal
donne des séminaristes. À aucun moment ils ne sont montrés animés d’une foi réelle. Ils sont
d’abord mus par un régime alimentaire un peu plus riche que la moyenne et l’espoir d’obtenir
une bonne cure, non pas dans le dessein de sauver les âmes, mais pour les bénéfices matériels.
Il vit de loin la croix de fer doré sur la porte ; il approcha lentement ; ses
jambes semblaient se dérober sous lui. Voilà donc cet enfer sur la terre, dont je ne
pourrai sortir ! Enfin il se décida à sonner.
Le Rouge et le Noir partage avec les romans gothiques et les romans sadiens
l’insistance sur la claustration, l’évocation des murs qui enferment, de
l’emprisonnement.
Le bruit de la cloche retentit comme dans un lieu solitaire. Au bout de dix minutes,
un homme pâle, vêtu de noir, vint lui ouvrir. Julien le regarda et aussitôt baissa les
yeux. Ce portier avait une physionomie singulière. La pupille saillante et verte de ses
yeux s’arrondissait comme celle d’un chat ; les contours immobiles de ses paupières
annonçaient l’impossibilité de toute sympathie ; ses lèvres minces se développaient
en demi-cercle sur des dents qui avançaient. Cependant cette physionomie ne
montrait pas le crime, mais plutôt cette insensibilité parfaite qui inspire bien plus de
terreur à la jeunesse. Le seul sentiment que le regard rapide de Julien put deviner sur
cette longue figure dévote fut un mépris profond pour tout ce dont on voudrait lui
parler, et qui ne serait pas de l’intérêt du ciel.
Julien releva les yeux avec effort, et d’une voix que le battement de cœur rendait
tremblante, il expliqua qu’il désirait parler à M. Pirard, le directeur du séminaire.
D’ailleurs, S présente action de Julien mais rapporte ses paroles au DI comme si le
héros évoluait dans un monde muet. De nouveau, il insiste sur l’effort et les effets
physiques de cette épreuve.
Sans dire une parole, l’homme noir lui fit signe de le suivre.
S opère un raccourci dans la qualification. L’homme se confond avec son habit. Les
connotations du noir renforcent le caractère mortifère du lieu.
Ils montèrent deux étages par un large escalier à rampe de bois, dont les marches
déjetées penchaient tout à fait du côté opposé au mur, et semblaient prêtes à tomber.
Une petite porte, surmontée d’une grande croix de cimetière en bois blanc peint en
noir, fut ouverte avec difficulté, et le portier le fit entrer dans une chambre sombre et
27
basse, dont les murs blanchis à la chaux étaient garnis de deux grands tableaux
noircis par le temps.
Mouvement inverse de la catabase puisque l’on assiste à une ascension. Mais négation
du spirituel, nouveau signe du matérialisme de S qui s’exprime de la même manière
dans la description des lieux du séminaire. En l’occurrence, la topographie du
séminaire est marquée par la décrépitude : les marches, la porte difficile à ouvrir et
toujours la présence des symboles mortifères hérités du roman gothique, la croix du
cimetière. Deux couleurs seulement : le noir et le blanc témoignent d’un contraste, qui
rend irréel le décor
NB : Dans la topographie du séminaire sont évoqués des murs, la porte d’entrée, des
corridors, les cellules. Il est question de l’infirmerie, parce que s’y trouvent quelques
mystiques, assimilés par Stendhal à des malades. Revient dans la topographie des lieux le
réfectoire, lieu des nourritures non pas célestes mais terrestres. On n’entre jamais dans les
salles de cours. Jamais dans une chapelle, dont on a juste une mention très rapide. On
n’assiste à aucun office, à aucune messe au séminaire. Julien y reste quatorze mois pourtant.
Là, Julien fut laissé seul ; il était atterré, son cœur battait violemment ; il eût été
heureux d’oser pleurer. Un silence de mort régnait dans toute la maison.
Si le Rouge et le Noir est un roman de types, dans quelle mesure Julien Sorel est-il un type ? –
en d'autres termes, est-il le représentant le plus saillant d'une classe plus large de la population
? Stendhal là encore jette les fondations du personnage : «Julien est bien le petit paysan
humilié, isolé, ignorant, curieux, plein de fierté» ; il «ressemble en outre à tous les savants de
province. En province, il y a peu de livres, la plupart sont à l'index ; c'est maintenant parmi les
livres qui sont à l'index [le Contrat social de R., le Dict. philosophique de V.] que choisit tout
jeune homme qui se croit de l'avenir.» D'où la lecture privilégiée de Julien : le Mémorial de
Sainte-Hélène. Julien est donc le petit paysan ; les lectures qui le fondent ne sont pas même
originales ; son dessein (il «se croit de l'avenir») est vulgarisé. Voilà comment en 1832
Stendhal définit le héros de son roman : il dirige notre lecture vers celle du caractère
bien de son temps, non du personnage particulièrement saillant que doit être le héros.
Mais le Rouge et le Noir n'est pas un «roman de femme de chambre».
Il est assez intéressant de constater que toutes ces définitions des personnages sont
issues d'une autre bouche, celle de J. Janin (J. des Débats, 1830), et que Stendhal, mot pour
29
mot, en reprend les termes. En se les appropriant, il leur donne du crédit, celui de la parole
d'auteur (peut-être avec une nuance de désinvolture). On en déduit que la réception (Janin
n'est pas le seul à tracer ces portraits) a bien vu la dimension de chronique sociale dans le
Rouge et le Noir, peut-être même ne réduit-elle Julien qu'au type, quand il est sans doute
supérieur au type ; et que Stendhal valide les jugements de cette réception : c'est dire peut-être
que le propos de son roman a bien été compris par quelques observateurs. Julien Sorel n'est
pas seulement Julien Sorel : il contient en lui les ferments d'une génération plus large, qui
appelle (c'est en 1836) l'analogie chirurgicale de l'ouverture de la Confessions d'un enfant du
siècle de Musset : Stendhal, comme le fera Musset, coupe de la société un membre pourri, et
le fait circuler dans l'amphithéâtre pour le faire voir. Le narrateur de la Confession d'un enfant
du siècle écrit en ouverture :
Pour écrire l’histoire de sa vie, il faut d’abord avoir vécu ; aussi n’est-ce pas la
mienne que j’écris. (...) Ainsi, ayant été atteint, dans la première fleur de la
jeunesse, d’une maladie morale abominable, je raconte ce qui m’est arrivé
pendant trois ans. Si j’étais seul malade, je n’en dirais rien ; mais comme il y en a
beaucoup d’autres que moi qui souffrent du même mal, j’écris pour ceux-là, etc.
Si Julien est un type, c'est nécessairement qu'il n'est pas «seul malade», et qu'«il y en a
beaucoup d'autres qui souffrent du même mal», celui du XIXe siècle, celui de vivre en 1830.
C'est le discours critique qui nous mène à penser Julien comme caractère ; voyons ce qui se
trouve dans le roman.
b) Caractérisation
Pour individualiser le personnage, le romancier part d’un modèle type et lui ajoute une
caractérisation qui individualise le personnage, en faisant un être complexe et singulier. C’est
le cas du personnage de Julien, marqué par l’ambigüité et l’ambivalence.
Première apparition du personnage, p. 31-32
Julien au sommet d’un promontoire rocheux. Livre I, chap.X, "Julien reprenait
haleine...serait-ce un jour la sienne?", p. 90-91
Promeneur au dessus de la mer des nuages, Caspar David Friedrich (1818)
Texte 3. Les retrouvailles de Julien avec Mme de Rênal après le séminaire, livre I,
chap.XXX, p.311/312. "Après bien des conjectures...Plus qu’un triomphe".
Texte 4. Scène de bal avec Mathilde de la Mole. Livre II, chap.IX. "Vous avez de
l’humeur...à son grand chagrin", p.398/400
Que veut Julien ? Il veut s'élever. Son aventure est une aventure avant tout
personnelle. Il est et se dépeint seul contre toute la société : bourgeoisie provinciale,
aristocratie parisienne, jésuites en robe noire. Sa montée sociale, montée parisienne, exclut
pour lui un rôle de meneur. Mais les autres craignent en lui un nouveau Danton : c'est le sens
du discours de Mathilde, qui mêle répugnance de classe, fascination de l'héroïque, et qu'on
peut lire dans les chapitres qui ont pour cadre le bal de M. de Retz. A ce moment la
focalisation joue un rôle crucial : Julien rencontre Altamira (l'un des seuls purs du roman, qui,
menant sa révolution, n'a ni voulu tuer, ni voler dans les caisses), Mathilde les suit, les
écoute ; nous, lecteurs, nous suivons la pensée de Mathilde. Julien, par sa proximité avec
Altamira, et comme par un jeu de reflets, se révèle et s'amplifie :
30
Il cause avec le comte Altamira, mon condamné à mort ! se dit Mathilde. Son
oeil est plein d'un feu sombre ; il a l'air d'un prince déguisé ; son regard a
redoublé d'orgueil.
Plus loin paraît l'analogie avec Danton, dont l'épigraphe (là encore apocryphe)
surmonte le Rouge et le Noir, et qui dans une certaine mesure donne à l'oeuvre
une physionomie révolutionnaire :
Madame de Rênal esquissait déjà une analogie entre Julien, son appartenance, et
Robespierre ; ce sont les mêmes mots qui, quasiment trait pour trait, seront repris par Julien
au cours de son procès :
On entend encore cela, mais sans l'explicite référence révolutionnaire, lorsque Julien
défile en garde d'honneur :
- Il est sournois et porte un sabre, répondait le voisin, il serait assez traître pour leur
couper la figure.
lendemain matin à sept heures, ils vous font dire par le premier secrétaire
d'ambassade qu'on a été inconvenant.»
Comment classer ce mot des «trois cents mille jeunes gens qui désirent
passionnément la guerre» ? Dans les lieux communs des journaux ? Dans ce qui
est «vrai et neuf» ? Julien ne tranche pas ; aucune position politique n'est prise.
Choisir le «lieu commun des journaux», c'est passer à coup sûr pour libéral et
déplaire à La Mole sans doute ; choisir le fait «vrai et neuf», c'est faire preuve de
réalisme, mais La Mole n'est pas encore prêt à l'entendre ; pour le moment il faut
sauver l'apparence et demeurer obligeant avec les rois. (Écrivant ceci, on ne suit
que la logique esquissée par la narration du Rouge ici ; mais quel contraste entre
la politesse, la déférence de La Mole en cet endroit, et l'étalage sans fards des
forces en présences dans la Note secrète !)
Julien seul sait ce qu'il pourrait faire, et il ne tient pas compte du «peut-être» où les
autres tâchent de le classer : peut-être parce qu'il défie la notion de classe. Cependant, on l'a
vu avec le jugement postérieur de Stendhal, intégrer l'ordre instauré par la Restauration, mais
sur un pied supérieur (l'énergie le veut dans ce monde brillant et amorphe), c'est être un
homme de son temps, c'est prendre position dans la carrière du siècle ; dans une certaine
mesure, parce que Julien est aussi le représentant de sa classe, un type, celui du paysan qui
veut parvenir.
Parmi les personnages qui font l’objet d’une caractérisation complexe figure Mme de Rênal.
D'abord envisagée dans sa fonction d'épouse du maire de Verrières, et en tant que mère de ses
deux enfants; mais elle suscite dès leur première rencontre l'éblouissement de Julien, par sa
« grâce naturelle » et sa douce humilité.
C'est l'un des rares personnages du roman à ne pas être entachée parla médiocrité ambiante et
la vanité sociale qui l'entoure.
Élevée dans un couvent, elle ignore tout de la vie et de l'amour, jusqu'à ce qu'elle se laisse
aller à sa passion pour Julien. L'amour est pour elle une révélation, qui l'enflamme et à
laquelle elle se livre corps et âme, avec naïveté.
Très pieuse, elle pense que la maladie de son jeune fils est une punition divine reçue pour cet
adultère qu'elle se reproche tout au long de l'œuvre, jusqu'à se laisser influencer par des
directeurs de conscience jésuites au moment de rédiger sa lettre de dénonciation.
Il faut attendre l'attentat perpétré contre elle par Julien pour qu'elle se sente enfin délivrée de
sa faute, comme si elle l'avait expiée.
Julien prend la défense de Mme de Rênal lors de son procès, disant qu'elle a été d'une grande
bonté pour lui, agissant « comme une mère ».
Lorsqu'elle retrouve Julien en prison à la fin du roman, son âme romantique et exaltée
n'envisage plus de vivre sans amour ; et d'ailleurs, elle ne peut survivre au décès de son
amant, et meurt trois jours après lui. C'est encore dans cette fonction de mère qu'elle est
présentée à la fin de l'œuvre, puisqu'elle rend son dernier souffle « en embrassant ses
enfants ».
Ainsi, Mme de Rênal représente une figure à la fois innocente, naïve et pure. On peut
d'ailleurs lui reprocher cette trop grande naïveté, mais elle est d'une telle sincérité dans ses
32
actions et dans ses sentiments que le reproche doit sans doute être dirigé non pas vers elle
précisément, mais vers l'éducation religieuse qu'elle a reçue.
Mathilde de La Mole
Mathilde est un personnage qui oscille entre ennui et passion. Mathilde apparaît dans toute
l'œuvre comme une sorte de double féminin de Julien Sorel. Aussi orgueilleuse et courageuse
que lui, elle s'en distingue cependant parla classe sociale à laquelle elle appartient : jeune
aristocrate parisienne, elle est caractérisée par sa distinction, son esprit, mais aussi son
arrogance et l'ennui qui l'accable. Aussi exaltée que Mme de Rênal ou que Julien, mais pour
d'autres raisons, elle trouve un modèle indépassable d'héroïsme chez son aïeul Boniface de La
Mole, qui vécut une histoire passion née avec Marguerite de Valois, avant d'être exécuté pour
conspiration. Elle s'inspire aussi des personnages romantiques issus de ses lectures, qui lui
inspirent le désir de vivre un amour exceptionnel, à sa hauteur.
Elle aime Julien d'un amour de vanité (voir document complémentaire : Stendhal, De
l'Amour), et elle voit en ce « fils du charpentier du Jura » la réincarnation des héros qui
affrontent la mort avec courage et qu'elle admire. Julien aura raison d'elle et la fera éprouver
un véritable amour lorsqu'il fera mine de l'abandonner pour une autre.
Courageuse autant que libre, elle transgresse tous les obstacles sociaux afin d'assumer son
amour pour quelqu'un qui n'appartient pas à sa classe sociale, et ce malgré le refus de son
père. Enceinte de Julien, elle finira par obtenir son anoblissement. Elle trouve un
aboutissement parfait à cette histoire en se réincarnant pour ainsi dire en Marguerite de Valois
à la fin du roman, répétant la cérémonie funèbre que celle-ci exécuta pour son ancêtre
Boniface.
33
Adjuvants : Opposants
Chélan, Louise de Rênal, Pirard M.de La M de Rênal, Valenod, Frislair
Mole Mathilde,
la fois original et exemplaire : original car Julien est nourri de références illustres internes
(Napoléon) ou externes (Danton, Richelieu, Boniface de La Mole) qui trouvent dans ce jeune
homme un réceptacle, formant une entité inouïe presque, une anomalie , dans un moment de
l'Histoire où l'on ne connaît plus l'énergie, et un héros qui a tout du meneur d'hommes
potentiel : un bref instant il se vit Napoléon ; il pourrait, dit-on, mener une révolution.
35
Il passait la nuit seul dans sa chambre, auprès du corps de son ami, lorsqu’à sa grande
surprise, il vit entrer Mathilde.
Lorsque Fouqué eut la force de la regarder, elle avait placé sur une petite table de marbre,
devant elle, la tête de Julien, et la baisait au front…
Pour éviter de toucher à la vie privée, l’auteur a inventé une petite ville, Verrières, et, quand il
a eu besoin d’un évêque, d’un jury, d’une cour d’assises, il a placé tout cela à Besançon, où il
n’est jamais allé.
Stendhal est un écrivain français du XIXe connu pour ses grands romans, pour ses
innombrables écrits personnels (Journal, correspondance, notes, essais) ou encore par une
série de textes difficiles à classer : récits de voyage, dissertations sur la musique et la peinture,
brochures de polémique politique ou littéraire. Parmi les œuvres les plus connues figurent La
Chartreuse de Parme et le Rouge et le Noir. Publié en 1830, ce dernier relate l’ascension
sociale de Julien qui se termine par sa mort.
Ce texte correspond aux dernières pages du roman. Julien, qui a tiré sur Mme de Rênal, est
condamné à mort et attend son exécution. Réconcilié avec elle, il lui a fait promettre, après sa
mort, de ne pas se suicider afin qu'elle puisse s'occuper de son enfant à naître de Mathilde. Il a
aussi eu pour dernières volontés que Fouqué s'occupe de ses funérailles, et que son ami
éloigne les deux femmes de la scène de son exécution qui est d’ailleurs passée sous le silence
par le narrateur. C'est la fin du roman. C'est un moment stratégique puisque l'intrigue est
résolue, le sort des personnages est réglé, le sens de l'œuvre est délivré. C'est une aussi un
moment fort en émotion pour le lecteur.
Le passage commence alors que Julien vient d'être guillotiné à Besançon ; la première partie
du texte correspond au moment où Mathilde vient demander à Fouqué de voir le corps et où
elle prend la tête coupée, qu'elle embrasse. La deuxième décrit l'enterrement de Julien, et le
passage se clôt sur une sorte de double conclusion, dont chacune se réfère à la situation de
l'une des amantes de Julien.
En quoi ce passage constitue-t-il une clôture spectaculaire et solennelle au roman ?
Le passage s'ouvre sur la présence amicale de Fouqué ; cette notion d'amitié est mise
en valeur par la description de la situation, qui présente un homme «seul », dans « la nuit », en
train de veiller « le corps de son ami ». Il s’agit d’une phrase complexe, composée de deux
propositions : la première dont le V passer est à l’imparfait est la principale, la deuxième dont
le V voir est à l’imparfait est une subordonnée conjonctive (Complément Circonstanciel de
Temps). Le choix de la conjonction « lorsque » traduit la simultanéité des actions. Dans cette
scène calme et solitaire (aspect sécant de l’imparfait, qui présente l’action vue de l’intérieur
sans prendre en considération les limites initiales et finales), Mathilde surgit comme un
élément perturbateur, comme le prouvent l'expression « à sa grande surprise », et le rejet en
fin de phrase du V d'action « il vit entrer Mathilde » (aspect global du passé simple qui
présente l’action vue dans sa globalité comme un fait saillant par rapport aux actions d’arrière
plan exprimées à l’imparfait). Cette impression est renforcée par la cadence mineure de la
36
phrase : S commence par des éléments longs, retarde la fin de la subordonnée par 3 CC :
« dans sa chambre », « auprès du corps de son ami », CCL ; « à sa grande surprise » CC
Manière. Cette construction met en scène l’arrivée de Mathilde comme le surgissement d’un
intrus (dramatisation).
Cette apparition est presque fantastique, d'une part en raison du temps très court dans
lequel Mathilde est venue jusqu'à Besançon (« dix lieues » correspondent à environ quarante
kilomètres), d'autre part par la description qui en est faite, puisqu' « elle avait le regard et les
yeux égarés », où les expressions « regard » et «yeux» désignent paradoxalement deux choses
différentes ici. Cette insistance sur les yeux de la jeune fille annonce son intention, qu'elle
proclame au discours direct, dans une phrase lapidaire : « Je veux le voir, lui dit-elle ». Nulle
mention du nom de Julien, qui n'est désigné que par un pronom, ce qui insiste sur le verbe de
volonté à la première personne du singulier.
À l'inverse de Mathilde, qui surgit tout en mouvement et en volonté, Fouqué reste silencieux
et abattu par son chagrin. On relève la phrase négative « Fouqué n'eut pas le courage de parler
ni de se lever », où les deux infinitifs traduisent cette incapacité à agir. Il se contente de
désigner, dans un geste solennel et toujours silencieux, le corps de Julien caché par un
manteau. La périphrase « ce qui restait de Julien » permet à l'auteur de garder un discours
pudique sur l'évocation de la mort de son héros, qui n'est jamais décrit frontalement.
Encore une fois, Mathilde va jouer un rôle très théâtral dans ces dernières pages du
roman, trop théâtral même pour que le lecteur perçoive une quelconque forme de douleur
sincère chez elle. En premier lieu, « Elle se jeta à ses genoux ». Cette action emphatique est
immédiatement suivie par un commentaire ironique du narrateur, qui évoque son « courage
surhumain » au « souvenir de Boniface de La Mole et de Marguerite de Navarre », mais on
peut se demander s'il ne s'agit pas plutôt d'un courage inhumain ; ses souvenirs auraient
d'ailleurs dû être ceux qu'elle a partagés avec son amant plutôt que ceux d'une improbable
histoire d'adieux. De même qu'elle avait les yeux égarés, elle a ici les « mains tremblantes »,
ce qui traduit encore une forme d'émoi physique.
Mais Fouqué, comme le narrateur, ne peut observer la scène, et là encore, en passant par le
point de vue de Fouqué, Stendhal épargne au lecteur la description du corps décapité de
Julien. On entend alors ce que Fouqué entend (« Il entendit Mathilde marcher avec
précipitation »), et l'on ne voit que ce qu'il voit (« Lorsque Fouqué eut la force de la
regarder ») ; la découverte de la tête de Julien posée « sur une petite table de marbre, devant
elle », n'en est que plus sordide. On peut remarquer que le narrateur détaille toutes les étapes
de sa conduite, grâce à une succession de verbes d'action parfois juxtaposés (« elle avait placé
sur une petite table de marbre, devant elle, la tête de Julien et la baisait au front » ; et plus loin
on relèvera « elle porta sur ses genoux la tête de l'homme qu'elle avait tant aimé » ; « elle
voulut ensevelir de ses propres mains la tête de son amant »). Les points de suspension qui
suivent l'action « et la baisait au front... » semblent traduire le désarroi du narrateur, qui ne
trouve les mots pour qualifier l'attitude de Mathilde.
De « Mathilde suivit son amant » jusqu'à « fou de douleur »
Alors que l'on pourrait s'attendre à ce que le récit s'achève sur la mort du héros, le narrateur
choisit de raconter aussi ses funérailles; c'est l'occasion de mettre sur le devant de la scène, et
pour la dernière fois, les trois personnages les plus proches de Julien : Fouqué, Mathilde et
Mme de Rênal. Le paragraphe qui ouvre ce mouvement met encore une fois en valeur la
grandiloquence de l'attitude de Mathilde, qui organise des funérailles royales pour « l'homme
qu'elle avait tant aimé » (la périphrase elle-même est grandiloquente). On relève en effet
qu'elle a fait venir « un grand nombre de prêtres » et qu'elle les suit « seule dans sa voiture
drapée ». Mathilde, aveuglée par sa vanité de noble, après avoir théâtralisé ses dernières
retrouvailles avec Julien, reste enfermée dans sa caste au point de méconnaître complètement
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la vérité sur celui qu'elle a cru aimer : toute sa conduite est à l'opp0sé de la façon dont celui-ci
a vécu sa mort, « simplement, convenablement, et [...] sans affectation » Le lieu choisi par
Julien pour être enterré, près de Verrières, est doublement symbolique. La grotte signe d'abord
le retour de Julien dans cette ville qu'il déteste au début du roman (ce qui évoque son retour en
grâce par l'amour de Mme de Rênal) ; d'autre part, sa position dominante en fait un lieu
symbolique par son romantisme et par sa situation élevée qui coupe le personnage de
l'agitation du monde. Cette notion d'élévation est soulignée grâce aux adjectifs et à leur degré
(« le point le plus élevé d'une des hautes montagnes du Jura »). Mais le cérémonial rendu à
Julien correspond à ce que Mathilde souhaite, et non à ce qu'il aurait souhaité lui-même. La
description qu'en propose le romancier met en avant l'exagération de la cérémonie
(« magnifiquement illuminée d'un nombre infini de cierges », « vingt prêtres »), qui
s'opposent à l'adjectif antéposé « petite grotte ». D'ailleurs, cette cérémonie se transforme en
véritable spectacle, auquel « Tous les habitants des petits villages de montagne » viennent
assister, et c'est telle une comédienne que Mathilde « par[ait] au milieu d'eux en longs
vêtements de deuil ». On ne sait plus très bien alors si le vêtement n'est pas avant tout un
costume. Enfin, son geste final de faire « jeter plusieurs milliers de pièces de cinq francs »
paraît d'autant plus déplacé vu la douleur du moment. C'est encore une fois Fouqué qui paraît
ressentir la douleur qu'aurait dû partager avec lui Mathilde, puisqu'au moment où elle veut
« ensevelir de ses propres mains la tête de son amant », il manque d' « en devenir fou de
douleur ». Aucune émotion n'est exprimée par Mathilde, qui paraît pathétique et ridicule aux
yeux du spectateur, alors que Fouqué, qui n'a pas prononcé une seule parole durant tout
l'extrait, est terrassé par une douleur sincère.
De « Par les soins » à « en embrassant ses enfants »
Cet ultime malentendu entre Mathilde et Julien se marque dans la fin du roman par l'antithèse
entre la « grotte sauvage » et le « marbre sculpté à grand frais », qui prouve bien que Mathilde
n'a pas compris qui était Julien, d'où il venait, et en quoi il avait véritablement changé lors de
son passage en prison. À l'inverse de Mathilde, dont l'amour pour Julien est d'abord un amour
d'orgueil personnel, Mme de Rênal, même si elle n'apparaît que dans les deux dernières lignes
de l'extrait, représente aux yeux du narrateur la véritable épouse de Julien. Absente tout au
long de cette page, loin de l'horreur ou du spectacle, elle retrouve tous ses droits à la dernière
ligne qui la consacre comme l'héroïne du roman et la véritable amante. C’est à elle que Julien
a précédemment confié la garde de son fils, ce qui faisait d'elle sa véritable épouse de cœur et
lui redonnait l'image maternelle (maternante) qui avait caractérisé la jeune femme tout au long
du roman. Ainsi, Mme de Rênal, au contraire de Mathilde, lie son destin à celui de Julien, en
allant jusqu'au bout de sa passion. On peut remarquer d'ailleurs que, dans la construction de la
dernière phrase, les deux mots «Julien » et « elle » ne sont séparés que par une virgule. Elle
reste fidèle à elle-même et à ses convictions morales ou religieuses (« Elle ne chercha en
aucune manière à attenter à sa vie ») et meurt comme elle a vécu, en mère et femme aimante
(« en embrassant ses enfants »). Après la mort sanglante de Julien et le geste macabre de
Mathilde, le roman s'achève donc sur une mort douce. D'ailleurs, le style de l'auteur retrouve
sa sobriété, comme lorsqu'il a évoqué la mort de Julien : phrases simples, courtes, sans pathos
ni exagération. Au moment de ses funérailles, l'auteur semble réconcilier Julien avec lui-
même. Lui qui n'a pas réussi à s'intégrer dans la société voit en effet les trois ordres qui la
constituent réunis pour célébrer sa mort: l'aristocratie (représentée par Mathilde), le clergé
(représenté par les nombreux prêtres) et le peuple « des petits villages de montagne ». Par
ailleurs, cette « singulière » cérémonie nocturne, dans un lieu symbolique car élevé,
correspond bien à l'âme exalté et romantique du personnage tel qu'il nous est apparu tout au
long du roman, même si Mathilde dévoie en quelque sorte son humilité retrouvée. Il s'agit
bien des funérailles d'un héros particulier, singulier, et l'éloge funèbre rendu par les deux
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figures féminines du roman, chacune à leur manière, contribue à faire de Julien un personnage
hors du commun.
- « J’ai copié les personnages et les faits d'après nature » (Lucien Leuwen, préface) ;
- « [Un] roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux
l'azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. » (Le Rouge et le Noir) ;
=> Les deux premières citations renvoient à une esthétique réaliste (avant l’heure : le
mouvement ne se constitue vraiment qu’au milieu du XIXe siècle). En effet, le roman prend à
cette époque une dimension scientifique : il s’agit de calquer la démarche du romancier sur
celle du scientifique se fondant sur une démarche expérimentale (observation > hypothèse >
expérience > conclusion). Par ailleurs, les écrivains veulent lutter contre la concurrence de la
photographie qui apparaît au XIXe siècle et parvient à saisir la réalité. C’est pour cette raison
que la métaphore du miroir est fondamentale (cf. Cours).
- « [L]'âme de Julien, exaltée par ces sons si mâles et si pleins [des sons de cloche], errait dans
des espaces imaginaires. [...] Les âmes qui s’émeuvent ainsi sont bonnes tout au plus à
produire un artiste. » (Le Rouge et le Noir) ;
- « Oui, tu es mon maître, lui disait-elle [Mathilde] encore ivre de bonheur et d’amour ; règne
à jamais sur moi, punis sévèrement ton esclave quand elle voudra se révolter. » (Le Rouge et
Le Noir).
=> Les deux dernières citations cependant font entendre une tonalité romantique ; Julien est
un exalté dont l'âme se laisse transporter parle son des cloches de l'église, tandis que Mathilde
vit si intensément sa passion pour le jeune homme qu'elle entombe à ses pieds.
Fin du RN
L’inconvénient du règne de l’opinion, qui d’ailleurs procure la liberté, c’est qu’elle se mêle
de ce dont elle n’a que faire ; par exemple : la vie privée. De là la tristesse de l’Amérique et
de l’Angleterre. Pour éviter de toucher à la vie privée, l’auteur a inventé une petite ville,
Verrières, et, quand il a eu besoin d’un évêque, d’un jury, d’une cour d’assises, il a placé tout
cela à Besançon, où il n’est jamais allé.
Intervention de l’auteur à la S3 brise l’illusion de réalité en exhibant le caractère fictif
de son roman.
conformisme et cupidité bourgeoise => ce n’est pas le cas dans le RN sauf médiocrité
bourgeoise de M de R et chute de J à la fin
b) Procédés d’écriture
- Points de vue narratifs omniscient ou interne privilégiés pour des raisons différentes.
Le narrateur omniscient vise à donner une vision exhaustive de la réalité alors que le
point de vue interne donne l’illusion de l’authenticité.
- Ancrage spatio-temporel dans une époque contemporaine 1829/1830, familière au
lecteur (cf. Allusion à la bataille d’Hernani) et des lieux réels par rapport auxquels le
lecteur peut se référer : Besançon et Paris, idée de confondre l’univers romanesque
avec la réalité
- Vocabulaire adapté aux circonstances et aux personnages : technique en fonction de
l’univers exploré ou oral ou rural : mimétisme est recherché. Rare dans RN sauf I, 24
l’hôtesse des ambassadeurs parle de petit « boursicot », p. 199.
- Caractérisation du personnage : antihéros ou personnage naïf, de néophyte pour
permettre la découverte d’un univers. C’est le cas de Julien qui traverse plusieurs
univers et les fait découvrir au lecteur à travers son regard. Ex : ascension à l’échelle
dans la chambre de M, duel avec un valet, chute de cheval manifestent la naïveté du
personnage II, 3 p. 292
- Approche sociologique cf. Table des matières
« Une petit ville », « Un maire », « Le bien des pauvres », « Un père et un fils »,
« Négociation », « L’ennui », « Des affinités électives », « Petits événements », « Les
plaisirs de la campagne », « Façon d’agir en 1830 », « Chagrin des grandes places », «
Une capitale », « Le séminaire », « Le monde », etc.
Stendhal a fait le choix de titres brefs, nominaux, qui posent un ensemble de
réalités, de motifs : une petite ville, un maire, un père et un fils. Le roman semble
progresser par petites vignettes pour rendre compte de la France contemporaine. Le
roman se donne à lire, au moins en son début, comme une série de scènes de genre :
un père et un fils, une soirée à la campagne. Cf. les personnages : S opère une
typologie analytique de la France de 1830.
Le Rouge et le Noir est la mise en scène réaliste du monde de 1830 et Stendhal en propose une
vision satirique, directement polémique, d’orientation libérale. La dimension réaliste chez
Stendhal est incontestable et incontournable ; il ne s’agit pas d’occulter que Stendhal est aussi
et d’abord romantique. Il participe du reste très activement à la bataille romantique des années
1820.
Ainsi, on peut rattacher l’auteur au mouvement du réalisme par son ambition de donner à voir
une société à un moment donné de son histoire, ce que justifie d'ailleurs le sous-titre du roman
(Chronique de 1830), qui rattache l'œuvre à un récit historique, ainsi que l’épigraphe qui
ouvre le roman : « La vérité, l'âpre vérité. Danton ».
Cf. Mimesis publié par Erich Auerbach en 1969, à propos de la naissance du « réalisme
sérieux » ou « réalisme tragique » dans le roman stendhalien. Il permet de faire le lien entre la
peinture des personnages et celle de la société d'une époque :
« Le caractère et les attitudes des personnages mis en œuvre ainsi que les relations qu'ils
entretiennent entre eux sont donc intimement accordés aux circonstances de l'époque.
Les conditions politiques et sociales du temps sont intégrées à l'action d'une manière
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plus exacte et réaliste que dans aucun roman, et même dans une œuvre littéraire
antérieure, à l'exception des écrits essentiellement politiques et satiriques. »
Importe dans cette définition l’idée d’« état actuel des habitudes et des croyances »,
comprenons l’état des mœurs. Est donc « romantique » une littérature moderne, soit adaptée
aux mœurs contemporaines, aux habitudes morales des contemporains.
La littérature ne peut être adaptée sinon en peignant ces mœurs « les tendances morales de son
époque », comme le dit Stendhal. Il s’ensuit que le roman de mœurs mis en place par
Stendhal, mais aussi par Balzac, c’est justement le moyen de la mise en œuvre d’une
littérature pleinement romantique.
Il faut considérer que l’esthétique réaliste est la manière de mettre en scène la définition du
romantisme proposée par Stendhal. Pour faire simple et de façon paradoxale, on peut dire que
« Le réalisme c’est, pour Stendhal, le moyen du romantisme ».
Cette mise en scène réaliste est la manière d’intéresser le lecteur au texte, manière que le texte
s’adapte à son public en lui offrant une façon de saisir le monde qui l’environne. Cela, en
1830, la tragédie racinienne ne peut plus le faire. Elle ne parle plus du tout à des individus qui
ont connu deux choses qui vieillissent le théâtre classique : la révolution française et la retraite
de Russie. Ce sont les deux bouleversements historiques qui ont fondé le XIXe siècle.
La métaphore du miroir
La métaphore est au cœur du roman Le Rouge et le Noir. Elle y paraît trois fois.
1- Épigraphe du chapitre I, 13, p. 94
« Un roman c’est un miroir qu’on promène le long d’un chemin ».
L’épigraphe est attribuée à Saint-Réal, mais épigraphe apocryphe que Stendhal invente pour
les besoins de la cause. Pourquoi aller chercher Saint-Réal ? Une idée traverse l’esprit ; Saint-
Réal / Saint-réel – placer le roman sous le signe du réel. Saint-Réal est un historien du XVIIe :
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Il est sur ce sujet un texte important, le projet d’article sur Le Rouge et le Noir proposé par
Stendhal à un ami italien qui lui avait fait demande d’un canevas. Dans ce projet d’un article
qui ne verra jamais le jour, Stendhal commente donc Le Rouge et le Noir ; ce regard porté par
le romancier sur son propre roman est très important.
Stendhal y commence par une longue partie d’analyse sociologique de la France en
1829 ; tel est ce qu’il faut selon Stendhal pour rentrer dans Le Rouge et le Noir. Son propos a
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– L’idée de neutralité
La deuxième notion impliquée par l’esthétique du miroir est l’idée d’impartialité, de neutralité
du roman et du romancier. Stendhal insiste sur ce point à plusieurs reprises ; il dit en
substance qu’un miroir n’a pas de parti, il ne fait que refléter ce qu’il a devant lui. Il reflète
sans choisir, sans tri sélectif.
Là est le risque de dépolitisation du roman, préparé par Stendhal lui-même. L’esthétique du
miroir est pensée comme un objectivisme qui donnerait au romancier un rôle passif, celui qui
enregistre sans interpréter. Dans l’Avant-Propos d’Armance, on trouve cette formule de
Stendhal : « De quel parti est un miroir ? » ; d’aucun, donc. Le miroir reflète de façon neutre
ce qu’il a sous les yeux. »
« La politique est une pierre attachée au cou de la littérature et qui en moins de six mois la
submerge. La politique au milieu des intérêts d’imagination c’est un coup de pistolet au
milieu d’un concert. Ce bruit est déchirant sans être énergique. Il ne s’accorde avec le son
d’aucun instrument. Cette politique va offenser mortellement une moitié des lecteurs, c’est-à-
dire ceux qui ne partagent pas mon point de vue, et ennuyer l’autre qui la trouvait bien
autrement spéciale et énergique dans le journal du matin. » p. 425. II, 22
Cette image du coup de pistolet est récurrente comme celle du miroir.
La politique est pour Stendhal la nouvelle fatalité moderne. Cf. explication de Saint-Giraud
la référence faite à la tragédie, précisément à la Phèdre de Racine : « Mon mal vient de plus
loin ». Historiquement et littérairement, la campagne est le lieu de l’otium (en latin, « loisir
studieux ») où l’on se retire pour être à soi, coupé du negotium (« activités productives et
profitables »). Or, la campagne - celle du Rouge et le Noir à tout le moins - est devenue
l’exact contraire ; elle est aussi marquée que la ville par la politique. Cela justifie la
conclusion du chapitre ; il n’y a plus de lieu qui serait un hors lieu du politique.
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Scènes de meurtre
Problématique :
En quoi la scène de meurtre est-elle un moment propice à la caractérisation du personnage de
roman ?