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Pierre V. Zima, Critique littéraire et esthétique.

Les
fondements esthétiques des théories de la littérature
Paris, L'Harmattan, coll. « Ouverture philosophique », 2003
Marie Doga
Dans Sociologie de l'Art 2005/1 (OPuS 6), pages 175 à 181
Éditions L'Harmattan
ISSN 0779-1674
DOI 10.3917/soart.006.0175
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FICnnS DE LECTURB
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PmnneV. Zve
Critique littéraire et esthétiqae. Les fondements
esthéti4aes des théories de Ia littérature
Paris, L'Harmattan, coll. << Ouverture philosophique >,2003

Pierre V. Zima inscrit la critique littéraire dans une démarche ré-


flexive concernant ses problématiques et ses outils spéculatifs. Quels
questionnements philosophiques sont engagés dans le travail critique
en littérature ? Il met ainsi en lumière les présupposés philosophiques
présents dans les théories de la critique littéraire européenne et nord-
américaine. Un dialogue éclairant s'établit entre les interrogations
philosophiques et les enjeux des sciences sociales. Les différentes
théories de la littérature doivent être situées sur le plan des débats
philosophiques pour être clairement comprises. Telle est la thèse dé-
fendue par P.V. Zima dans son livre. La compréhension des courants
critiques nécessite une réflexion sur leurs genèses philosophiques et
historiques. Quelle dette les théories littéraires ont à l'égard de la
philosophie de I'art ? L'auteur tente donc de reconstruire les fonde-
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ments philosophiques et esthétiques de la critique littéraire. Il apparalt
indispensable de mettre au jour les structures conceptuelles d'origine
philosophique qui sous-tendent les théories littéraires. Ces dernières
sont articulées autour des postulats esthétiques contradictoires de Kant
et de Hegel. Les esthétiques kantienne et hégélienne sont en fait de
manière plus ou moins implicite au centre des controverses critiques
du X)f siècle.

Avant de dresser un panorama des différents systèmes critiques selon


leurs présupposés philosophiques et leurs contextes historiques,
P.V. Zima rappelle dans un premier chapitre ces deux approches
esthétiques qui apparaissent capitales. Kant, dans Critique de la
faculté de juger (1790), pense I'art comme autonome et inaccessible
aux tentatives de définitions conceptuelles, contrairement à Hegel
pour qui, dans Introduction à I'esthétique (1835), I'art appartient au
domaine de la pensée, c'est une pensée qui a pris forme. Hegel a mis
I'accent sur le caractère intelligible et idéologique de I'art. L'ensemble
des théories littéraires modernes est marqué par ces conflits entre des
postulats kantiens et hégéliens qui semblent inconciliables.

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Sociologie de I'art

Dans ces débats esthétiques de la première moitié du XX" siècle, le


New Criticism anglo-américain et le formalisme russe ont en commun
de rejeter tout positivisme littéraire et les explications socio-histo-
riques. Dans cette perspective, l'æuvre d'art ne peut être réduite à un
document historique ou à un témoignage. Ces deux théories critiques
prônent I'autonomie esthétique et I'impossibilité de conceptualiser les
Guvres d'art, de ce fait elles se placent dans I'héritage kantien. Elles
s'intéressent particulièrement à la poésie lyrique comme la manifesta-
tion d'un au-delà du domaine conceptuel et référentiel. [æs formalistes
russes, dans le contexte de Ia Russie pré-révolutionnaire, ont repensé
la conception idéaliste de I'art en la reliant à l'engagement révolution-
naire des avant-gardes. Ils ont intégré des idées apparemment contra-
dictoires comme le postulat a-conceptuel kantien et la notion d'inno-
vation issue de I'avant-garde. P.V. Zima étudie également, dans cette
veine de la refonte de I'esthétique kantienne, le structuralisme tchèque
qui se réclame à la fois des postulats kantiens et du mouvement
d'avant-garde, ce dernier considérant la littérature comme un ensem-
ble d'expériences situées sur le plan de l'expression et au-delà de
toute définition conceptuelle. L'auteur relève que les courants cri-
tiques se nourrissent d'influences divergentes voire antagonistes.
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L'esthétique du structuralisme tchèque porte I'empreinte de plusieurs
philosophies hétérogènes : kantisme, dialectique hégélienne, sociolo-
gie de Durkheim et avant-garde des années vingt et des années trente.
En effet, le structuralisme tchèque réactualise la conception historique
de I'art. Ces tensions entre la perspective historique de Hegel et la
notion a-temporelle du beau préconisé par Kant paraissent problé-
matiques. [æ kantisme historisé par la pensée dialectique hégélienne et
modernisé par un dialogue avec les mouvements d'avant-gardes parti-
cipe d'un renouveau au sein des débats critiques. P.Y. Zima
s'intéresse aux divers champs d'application de la pensée kantienne.
Kant a jeté les bases, non pas d'une esthétique, mais de plusieurs
perspectives théoriques.

L'auteur étudie également I'influence de la philosophie hégélienne et


de quelle manière elle a contribué au développement de l'esthétique
marxiste qui s'articule autour de trois idées fondamentales hégé-
liennes: la perspective historique, I'orientation vers la production
artistique et la définition de l'æuvre d'art comme apparition sensuelle
de I'idée. Ainsi, l'æuvre d'art exprime des formes de conscience

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Fiches de lecture

historique définissables au niveau conceptuel. G. Lukàcs et son dis-


ciple L. Goldmann reprennent I'idée hégélienne que les phénomènes
sociaux et historiques doivent être compris comme des totalités
imbriquées formant un tout significatif, et romp€nt avec le postulat de
I'autonomie artistique. L'art est à situer dans la sphère de I'esprit
absolu au même titre que la philosophie. Cette pensée hégélienne de la
totalité met en relief une certaine réduction monosémique de I'art et sa
clôture esthétique. C'est pourquoi til. Benjamin et T.W. Adorno choi-
siront plutôt d'osciller entre le kantisme et l'hégélianisme : en mettant
en doute le classicisme et le conceptualisme de Hegel, c'est-à-dire la
définition du texte littéraire comme un tout cohérent, tout en refusant
le postulat kantien du << sans concept >. lls adoptent un discours scep
tique envers la conceptualisation mais paradoxalement ils adhèrent à
la quête hégélienne de la vérité.

Dans le même esprit de distance critique par rapport au marxisme


mais de positionnement dans l'héritage hégélien, P.V. Zima situe les
travaux de M. Bakhtine qui cherche à renyerser la tradition hégélienne
en contestant ses prémisses classicistes, c'est-à-dire l'harmonie, le ton
sérieux et la structure monologique, et en privilégiant le monde car-
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navalesque, I'ambivalence et la polyphonie. Cette conception a une
portée politique qui ne vise pas seulement I'esthétique hégélienne
mais aussi les doctrines du réalisme socialiste. L'approche de
Bakhtine est un défi au marxisme léniniste soviétique comme idéolo-
gie dominante.

P.Y. Zima traite également de systèmes critiques qu'il est impossible


d'identifier à une esthétique philosophique particulière. Tel est le cas
de la sémiotique. A.J. Greimas explore une approche conceptuelle et
rationaliste. Il insiste sur le caractère totalisant et unitaire de I'univers
littéraire. L' analyse sémiotique des structures profondes sous-jacentes
aux textes révèle leurs fondements sémantiques et narratifs. Cette
sémiotique d'influence hégélienne et cartésienne tend à effacer le par-
ticulier des textes littéraires. U. Eco et R. Barthes vont eux s'intéresser
au caractère ouvert des textes. La théorie d'Eco oscille entre le pôle
kantien et hégélien : entre le discours kantien pour I'ambigulté et la
structure ouverte du texte, et le discours hégélien pour la limitation du
sens et de I'interprétation. Au cours des années, sa vision d'avant-
garde et son engagement politique combatif, des années soixante et

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Sociologie de I'art

soixante-dix. en réaction à I'aliénation moderne dans les sociétés


capitalistes s'est modérée jusqu'à un plaidoyer postmoderne pour une
esthétique de la consommation.

À l'opposé de Greimas et Eco, R. Barthes rejette I'idée d'une structure


sémantique qui limiterait I'ouverture du texte. Il est fortement marqué
par la philosophie nietzschéenne qui ouvre à I'infini le champ des
possibles. Barthes rompt avec le conceptualisme rationaliste hégélien.
Il insiste sur la particularité du signe et lutte contre la domination du
signifié et du concept. De ce fait, il conteste la notion d'auteur en tant
que sujet responsable d'un sens homogène. L'idée barthienne du texte
correspond à I'esthétique de I'avant-garde européenne des années
1960, notamment de la revue (< Tel Quel >, qui établit des liens entre
la domination du concept, la tradition métaphysique de l'occident et la
domination de la valeur d'échange dans les sociétés capitalistes.
Cette approche esthétique de Barthes annonce le tournant
nietzschéen de la critique littéraire et les arguments du déconstruc-
tivisme des années soixante-dix et quatre-vingts. [a déconstruction
comme théorie nietzschéenne du langage élimine la dimension méta-
physique et conceptuelle c'est-à-dire la dimension logique de la forme
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que toute philosophie idéaliste considère comme fondamentale. L'es-
thétique de J. Derrida valorise le plan de l'expression et les figures
rhétoriques. Elle s'oppose à tous les niveaux à la domination plato-
nicienne, rationaliste et hégélienne du concept que Derrida appelle
logocentrisme, mais il refuse les herméneutiques kantiennes modérées
d'Eco. Ce rejet du langage comme instrument de connaissance est à la
fois un héritage du romantisme allemand et de la pensée nietz-
schéenne. L'esthétique de la déconstruction annonce des enjeux
radicalement nouveaux qui marquent une rupture avec l'hégélianisme
et la catégorie de la totalité harmonieuse qui est remplacée par des
figures de la dispersion. Le déconstructivisme et I'esthétique
postmoderne nient la possibilité de définir une cohérence esthétique
univoque et, dans la lignée de Nietzsche, sapent tout fondement
philosophique. J.-F. Lyotard, en tant que critique postmoderne des
années 1980-90, donne en réponse aux défis économiques et
politiques du capitalisme, une négation radicale du sens. Pour cela, il
réinvestit la théorie kantienne du sublime qui permet d'ébaucher une
esthétique de la contradiction et de l'aporie adéquate à la situation
historique de notre époque. Le sublime détruit toute notion d'unité,

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Fiches de lecture

d'harmonie et de cohérence. Cette réinterprétation de Kant par


Lyotard montre à quel point les textes philosophiques ont des
réceptions contradictoires. Le postulat de beauté de Kant a inspiré des
théories de I'autonomie littéraire et a contribué à constituer la
subjectivité individuelle, alors que sa notion de sublime influence les
théories postmodernes de la négation de l'autonomie et du sujet. Le
beau unificateur, considéré par le formalisme, le nerv criticism et le
structuralisme tchèque comme le fondement de I'autonomie artistique,
contraste avec le sublime destructeur mis en lumière par Lyotard dans
le contexte postmoderne.

Le dernier chapitre présente une théorie personnelle de I'auteur qui


appelle au dialogue qui lui seul permet le dépassement des apories
philosophiques. Il faut tenir compte des conflits entre les interpré-
tations pour construire une théorie qui ne se laisse pas absorber par un
discours philosophique particulier mais qui confronte ces théories
hétérogènes. Cet ouvrage participe d'un effort réflexif et antidog-
matique pour ouvrir le questionnement critique.

Marie Doga
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P@RSAC3 (Champollion-Albi)
Université Paris IV - Paris-Sorbonne

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