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Le bonheur et le devoir

Analyse préalable :

=> 1er angle = bonne heure = le bonheur serait une question de moment ;
qu‘est-ce qui définit ou favorise ce moment ? En décide-t-on ? ( si j‘en
décide cela relève de ma liberté).
Ou est-il indépendant de notre volonté ? Dépendant des aléas de la vie
(contingence du bonheur : il serait le résultat du hasard, d‘un concours de
circonstances…).
Ou un peu des deux : choix et concours de circonstances ? D’où la distinction
proposée par les philosophes stoïciens notamment, comme EPICTETE, entre
« ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas » pour savoir ce qu’il faut
accepter -ce qui ne dépend pas de nous- et ce qui nécessite des efforts de
notre part -c’est-à-dire ce qui dépend de nous comme notre manière de
percevoir les événements. Ou encore nos désirs : DESCARTES sui s’inspire de
la philosophie stoïcienne, dit qu’il « vaut mieux changer ses désirs que l’ordre
du monde » car c’est ce sur quoi on peut agir surtout : nos désirs futiles, nos
désirs les plus fous, les plus irréalisables peuvent être alors plus ou moins
ignorés par un effort de notre volonté.
♪ A noter qu’en latin, on a par exemple le terme « fortuna » qui renvoie au
bonheur comme « hasard chanceux »: la « fortune » ce n’est pas ici
nécessairement une richesse matérielle à laquelle nous pourrions avoir accès
(mais c’est aussi une possibilité), mais le fait que ce qui nous arrive nous soit
favorable.

=> 2ème angle = satisfaction durable ou plaisir éphémère ?


L‘ataraxie (absence de troubles de l‘âme) et aponie (absence de troubles du
corps) est visé par le sage, dit EPICURE : il s‘agit alors d‘élaborer des
stratégies pour atteindre un bonheur durable, sous la forme d‘une sérénité
(être heureux = être serein); les stratégies proposées par Epicure se résument
à se libérer des peurs qui nous entrâvent par la connaissance (en prenant
connaissance, rationnellement donc de ce qui nous fait peur, cette rationnalité
éradique alors la peur fondamentalement irrationnelle).
♪Mais on peut aussi considérer ce « bonheur permanent » comme illusoire ; le
philosophe allemand R. SPAEMANN imagine, dans Notions fondamentales de
morale, l'expérience suivante : on place un homme sur une table
d'expérience, et, après l'avoir endormi, on lui injecte dans le cerveau une
substance chimique à dose régulière (une drogue) afin de lui procurer un
sentiment d'extase, de jouissance, permanent. Au bout de plusieurs
décennies, quand son corps est trop vieux, on l'euthanasie. SPAEMANN
nous pose la question suivante : qui veut tenter l'expérience ? On peut
parier que le nombre de candidats volontaires sera très réduit et ce refus
de tenter l'expérience est très révélateur : nous savons tous que le
bonheur ne se confond pas avec un état continu de jouissance. A noter que
l’ataraxie visée par Epicure ne se présente pas non plus comme un état de
jouissance permanent mais plutôt comme « l’absence de troubles ».
♪Si , à l‘inverse, d‘autres auteurs plaident pour un bonheur comme le cumul
de plaisirs éphémères c‘est pour nous amener à mieux considérer les petits
instants heureux de nos vies, petits instants que nous comparons aux
instants plus désagréables voire dramatiques afin de mieux les apprécier
(pas de prise de conscience de notre „chance“ quand elle se présente si nous ne
la comparons pas à des moments de „malchance“).

=> 3ème angle = bonheur comme béatitude fondée sur l‘ignorance ?


Le naïf, le crédule, celui qui ignore la méchanceté des autres peut-il être
plus heureux que les autres ? Le personnage de Candide de VOLTAIRE avec
son optimisme béat semble incarner cette position mais souhaite-t-on
traverser l‘existence comme Candide c‘est-à-dire sans se rendre compte
des malheurs du monde et de notre propre malheur au fond (Candide est
battu, vendu comme esclave…) ?
=> Le savoir peut nous rendre inquiet mais l‘ignorance nous semble
dangereuse aussi car si je ne connais pas certaines réalités je ne peux pas
lutter contre elles, je ne peux pas agir pour changer certaines situations
(je ne combattrai jamais l‘injustice par exemple) ; suis-je libre si je ne sais
pas ce qui peut me limiter ? Suis-je heureux si je ne suis pas libre (dans la
mesure du possible) ?
=> Savoir ce qui est bien peut aussi être une condition du bonheur :
s’efforcer d’être quelqu’un de bien, vertueux, nous permettrait de
« mériter » le bonheur (même si concrètement on peut se demander si
cette « recette » est toujours efficace).

=> 1er angle : le devoir / la contrainte :


On peut distinguer ce qu’on doit faire -pour des raisons morales ou juridiques
– et ce que nous sommes contraints de faire notamment pour des raisons de
« survie » (ce qui renvoie aux nécessités vitales) ou contraints de subir -comme
la maladie.
=> Le devoir renvoie donc toujours plus ou moins à l’idée de la possibilité de
choisir et va de pair avec une certaine liberté donc. / Tandis que la contrainte
limite étroitement nos choix et notre liberté.
=> Le devoir suppose une certaine autonomie / la contrainte renvoie à une
hétéronomie à l’inverse (à quelque chose d’imposé par l’extérieur ou par
quelque chose en tout cas qui ne dépend pas -ou peu car nos choix de vie
peuvent aussi avoir une influence, sur notre santé par exemple- de notre
volonté).

=>2ème angle : les devoirs du citoyen :


-Remarque : traditionnellement,notamment à partir de la philosophie kantienne
(cf E. KANT), la notion de devoir renvoie directement à la question d’un devoir
moral plus qu’à la question des devoirs du citoyen mais on peut aussi analyser la
notion sous cet angle.
-les devoirs du citoyen se définiraient comme le devoir de s’impliquer dans
la vie collective, de participer à la vie politique, devoir de voter, de
respecter les lois juridiques, devoirs de défendre sa nation de différentes
manières –y compris parfois en intégrant l’armée en temps de paix ou en tant
de guerre, ou en cherchant à valoriser certains éléments de sa culture comme
la DDHC- ou alors on se sent « citoyen du monde » avant tout et on
cherche à défendre les écosystèmes, les êtres vivants et notamment les
êtres humains de manière générale…
=> A noter que dans certains pays, le devoir de voter va de pair avec une
contrainte puisque ceux qui ne votent pas -alors qu’ils remplissent les
critères d’âge et de nationalité notamment- peuvent être sanctionnés par une
amende. Et, concernant le devoir de respecter les lois, de ne pas vandaliser
les biens d’autrui aussi bien que les biens publics… on voit apparaître
plusieurs raisons de le faire (de respecter) :
-parce qu’on a décidé que ces lois ont une raison d’être, une légitimité,
donc on accepte librement de s’y soumettre.
-mais on peut aussi se sentir contraint de les respecter même si on n’est
pas d’accord avec telle ou telle loi ou avec le pouvoir politique (sa nature,
ses représentants…) en place.
-parce qu’on est fasciné par le pouvoir en place (fascination mêlée de
crainte) : Conseil de lecture : E. DE LA BOETIE, Discours sur la servitude
volontaire.

=>3ème angle : Le devoir moral : suppose la volonté, volonté qui suppose la
conscience à priori, notamment une conscience morale qui s’appuie sur la
raison -et vice versa :
=> on peut suivre ce devoir moral, agir en accord avec ce devoir ou ne pas
le suivre ; d’où notre responsabilité morale, d’où aussi notre sentiment de
culpabilité éventuelle si nous avons « désobéi » à la Loi morale qui serait
inscrite en nous (culpabilité qui peut nuire à notre bonheur).
=> Ce devoir moral n’est donc pas incompatible avec notre liberté morale et
intellectuelle ; au contraire, il nous permettrait de ne pas être prisonnier
de nos pulsions mais d’écouter en nous une voix morale qui nous permettrait
d’avoir de bonnes intentions et -idéalement- de bien agir.
=> Le devoir moral donne lieu à des obligations morales (à distinguer des
« contraintes » mais aussi des « nécessités »). Il renvoie à des principes,
des maximes, des règles de conduite d’abord théoriques que l’on s’efforce
d’appliquer dans la mesure du possible (même si le décalage entre la
théorie et la pratique est inévitable, il s’agirait de réduire ce décalage).
=> Remarque : le devoir moral apparaît à première vue comme s’imposant « de
l’intérieur » donc on y obéirait de manière autonome, trouvant en soi les
raisons d’y souscrire.
=> Le devoir moral « permettrait » à l’individu de se sentir digne :
Chez KANT c'est d'ailleurs le respect de cette loi morale qui prime, et pas
la recherche du bonheur : il ne s'agit pas de se rendre heureux mais dignes
du bonheur en s'efforçant d'exercer une « bonne volonté » (= une volonté
qui vise le Bien). Ainsi si l'être moral ne peut jouir d'un bonheur terrestre,
il affirme néanmoins son humanité, sa dignité d'homme en étant notamment
libre (et responsable =autonome = qui se prescrit lui-même ses normes morales,
qui les trouve en lui-même). L'idée de Dieu permettait à Kant de se dire que
Dieu rétablirait la justice en promettant un bonheur véritable au-delà de
cette vie (principe du jugement dernier) d'autant plus que, selon Kant, certes il
faut s'efforcer d'être moral mais concrètement sans doute n'y eut-il
jamais d'exemple d'acte purement moral réalisé (rien de purement
désintéressé : on agit au minimum pour avoir « bonne conscience », pour avoir
une image positive de soi).
=> le sens du devoir comme « idéal de la raison pure » :
Un des textes fondateurs de cette morale du devoir chez KANT est
Fondements de la Métaphysique des Moeurs (1785) : il y définit le devoir -et
le sens du devoir- comme n'étant pas apporté par l'expérience mais comme
un idéal de la raison pure, comme une valeur a priori (=hors de
l'expérience), comme renvoyant à des normes universelles et nécessaires, le
devoir lui-même étant une norme de la raison (ce qui vaut alors pour tous les
êtres raisonnables, c'est-à-dire tous les êtres doués de raison donc tous les
hommes ; en somme la raison serait conçue de telle manière qu'elle nous
permettrait d'accéder à ces normes universelles).
Remarque : dans un autre texte, Critique de la raison pratique, il écrit aussi
« Devoir ! Nom sublime et grand, toi qui ne renfermes rien d'agréable (…)
mais qui réclames la soumission. »
Dans les Fondements..., il insiste bien sur le fait que ce sens du devoir ne peut
être tiré de l'expérience quotidienne car celle-ci nous prouve plutôt que
derrière nos actes en apparence vertueux, désintéressés, se cache
notamment l'amour-propre. Kant écrit : « il ne s'agit néanmoins ici en
aucune façon de savoir si ceci ou cela a lieu, mais que la raison commande
par elle-même (…) ce qui doit avoir lieu. » Peut-être n'y a-t-il jamais eu
d'acte purement moral qui soit réalisé (guidé par l'unique sens du devoir) mais il
faut s'y efforcer car c'est ce qui doit être (cf distinction : en fait # en
droit).
Kant établit ainsi une distinction entre un impératif catégorique et un
impératif hypothétique : l'impératif catégorique -quand on se dit « je dois »
sans qu'aucune condition ne soit exprimée, en somme « je dois parce que je le
dois »- est à proprement parler le seul impératif proprement moral
(remarque : la tradition judéo-chrétienne à laquelle appartient Kant est faite
d'injonctions, de prescriptions, de prohibitions, par exemple le « tu ne tueras
point »).
=>N.B. : il ne s'agit pas vraiment pour Kant de dire ce qu'il faut faire ou ne pas
faire mais de définir le critère de moralité de toute action possible (avoir un
idéal pour juger de la moralité, c'est ce qu'on appelle l'idéalisme kantien).
L'impératif hypothétique définit le fait qu'une action nous semble nécessaire
pour parvenir à certaines fins ; on peut par exemple parler de l'impératif
hypothétique de la prudence (ou de l'habileté) : je dois être prudent si je ne
veux pas être sanctionné par les lois qui régissent la société à laquelle
j'appartiens par exemple (en somme : « faites ceci si vous voulez obtenir
cela »).
=>Ainsi l'impératif catégorique, donc moral, dit « tu dois sans conditions » (par
exemple « tu dois être respectueux vis-à-vis de ton prochain » quels que soient
ses actes, nos sentiments à son égard, par principe...). Kant présente cet
impératif catégorique à travers 3 formules : l'exigence ou le principe
d'universalisation (= 1ère formule), le respect de toute dignité humaine (=
2ème formule) et l'autonomie (= 3ème formule).

-1ère formule : il faut toujours agir en se demandant « et si les autres


agissaient ainsi » sous-entendu « tel que j'ai agi ou envie d'agir » pour savoir
si on doit vraiment agir ainsi. Kant donne notamment l'exemple du vol dont il dit
qu'il est moralement impossible parce qu'on n'imagine pas que tous puissent y
avoir recours... ; par contre on pourrait universaliser l'altruisme. D'où la phrase
de Kant : « Agis comme si la maxime de ton action devait être érigée par
ta volonté en loi universelle de la nature ».

-2ème formule : Tu dois le respect à toute personne parce qu'elle est


une personne en somme. Pour Kant tout être humain a une valeur absolue,
inconditionnelle, d'où le fait qu'il dise que « l'homme en soi et dans les
autres ne doit jamais être considéré comme un moyen ». Je n'ai pas le droit
de le considérer ni de me considérer comme une chose, comme un être non doué
de raison, mais comme un être qui par principe est un être à respecter (par
exemple même lorsque je veux punir un criminel, je dois le voir comme une
personne et concevoir le châtiment en fonction de cela...) ; il s'agit d'adopter
comme principe le respect de toute dignité humaine.

-3ème formule : Tu dois être toi-même l'auteur de cette loi morale


(remarque : dans un autre texte intitulé Qu'est-ce que les lumières? , en 1784,
Kant dit qu'il faut « sortir d'un état de minorité » où on se laisse guider
par d'autres pour accéder à un « état de majorité » où on devient
autonome dans ses jugements, ses actes). Cette loi morale pourrait être la
même pour tous parce qu'elle est issue de cette faculté commune à tous les
hommes qu'est la raison. Ce principe de l'autonomie (qui renvoie à une certaine
définition de la liberté) implique que la volonté nous permet de décider, nous
conduit à nous dire « je dois » ; la volonté elle-même est définie ainsi comme
autonome, donc le sujet s'oblige lui-même, obéit à lui-même... Si d'ailleurs il
déroge à cette loi morale il se sanctionne lui-même puisqu'il se sent
coupable, éprouve des remords... => Sans autonomie, pas de liberté et sans
liberté il n'est pas possible de considérer l'être humain comme responsable
de ses actes... et la notion de devoir n'aurait alors aucun sens.

=> limites de « l’impératif catégorique » ? Cf KANT : pour définir le devoir


moral -ce qu’il appelle aussi « le sens du devoir »- Kant définit un « je dois »
sans condition, par opposition à un « je dois si... » donc sous conditions
qu’il appelle « impératif hypothétique ». L’impératif catégorique serait le
seul impératif purement moral mais est-il appliquable ? S’il permet à priori
de définir des intentions morales, qu’en est-il de ses conséquences (sont-elles
également toujours si morales ?) ?
Savoir à quel devoir on souscrit, c’est aussi prendre conscience des
limites de ce devoir : de manière générale, on peut dire que la théorie
kantienne est très formelle, très théorique et, concrètement, il n’est pas
facile de respecter cet impératif catégorique, de le constater même (de
l’aveu même de Kant d’ailleurs) et sans tomber dans un utilitarisme excessif, on
peut se demander quelle est « l’utilité » ou la valeur effective du moins d’un tel
devoir moral, d’autant plus qu’il pourrait conduire à une certaine rigidité
morale : parce qu’il faudrait dire absolument toute vérité, parce qu’il ne
faudrait être qu’altruiste aussi sans doute…
=> La figure du saint ou celle du héros qui nous sont présentées comme
exemplaires peuvent poser problème si elles servent de normes pour juger
les actions des hommes en général : peu d’entre nous seraient capables de se
jeter sur une grenade dégoupillée pour sauver ses camarades ou de choisir une
vie d’ascète éprouvante pour purifier son âme. Prendre alors ces êtres
d’exception -que sont le héros ou le saint- comme modèles à suivre
concrètement nous conduirait sans cesse à nous sentir ô combien
défaillants, « minables », à désespérer sans cesse de nos faiblesses…
=> Et celui qui se sacrifie sans cesse pour les autres ne leur rend peut-être
pas toujours service car ils les rend redevables vis-à-vis de lui, établissant
parfois -inconsciemment sans doute mais pas toujours- une forme de chantage
affectif : « regarde tout ce que j’ai fait pour toi »... « tu me dois au moins le
respect »… Sans parler du fait qu’il ne se rend peut-être pas toujours lui-même
service en se positionnant ainsi : on parle parfois du « syndrome de
l’infirmière » toujours dévouée , au chevet d’autrui, au point de s’oublier elle-
même...
=> Dire la vérité –exigence morale pour Kant- mais laquelle et même si elle
est au détriment de quelqu’un ? N’être qu’altruiste au risque de s’oublier
(même si Kant insiste sur le fait qu’il ne faut pas seulement respecter l’autre
mais aussi soi-même, inévitablement, on court le risque de se sacrifier peut-
être abusivement si l’altruisme n’est qu’une valeur absolue, sans défaut…).
B.CONSTANT, philosophe français du 19ème, écrira dans Des réactions
politiques que cette théorie ne prend pas en compte le résultat de
l’action alors que ce résultat peut se révéler nuisible (pour celui qui agit ou
pour celui est visé…).

=>Certains disent que cette théorie kantienne permet peut-être au sujet


moral de se considérer comme une « belle âme » -parce qu’il a de grands
principes- mais que ce sujet va éprouver bien des difficultés à agir
conformément à cette loi morale qu’il s’est prescrite (se culpabilisant peut-
être à outrance face à cette impossibilité d’agir, et de penser même, de
manière purement morale) : il paraît inévitable que ce sujet finira tôt ou tard
par déroger, ne serait-ce qu’un peu, à ses grands principes et éprouvera des
remords. NIETZSCHE parle d’une morale bien-pensante, et affirme qu’il faut
admettre que l’on va nécessairement nuire à quelqu’un à un moment donné
même avec les meilleures intentions du monde et que cela ne sert à rien de
se culpabiliser à outrance lorsque cela arrivera. Nietzsche ne fait pas
l’apologie de la violence mais il la constate et il dit qu’il faut prendre
conscience d’un certain « seuil d’immoralité » incontournable, et à ne pas
dépasser non plus…
Ainsi C. PEGUY, écrivain et notamment poète français (1873-1914), est, lui,
soucieux de transformer la société, de ne pas se couper du réel ; il parle
ainsi d’« une certaine fidélité au réel que je mets au-dessus de tout »,
rejetant ainsi une vérité désincarnée qui serait le propre d’un
« intellectualisme » dangereux. Il écrit aussi dans Pensées : « Kant a les mais
pures, mais il n’a pas de mains ». Il milite donc pour une morale plus souple,
qui permette d’agir concrètement en essayant d’être le plus moral possible,
admettant qu’il faille adapter cette morale aux situations qui se présentent (le
débat autour de l'euthanasie renvoie à cela : on pourrait par exemple avoir
comme principe de ne jamais tuer quelqu’un et être amené à le faire pour
abréger des souffrances intolérables ?).

=> devoir moral ou devoir social ? La question de savoir si ce devoir moral


n’est pas avant tout le résultat d’une pression sociale se pose inévitablement
(surtout si on réfléchit au rôle voire au poids de l’éducation dans le
développement de notre conscience morale).

Sujet 1 : Faut-il être vertueux pour être heureux ?


Problématique : Faut-il être quelqu’un de bien pour être heureux ou peut-on
être vicieux et avoir droit au bonheur ?

I) La morale nous incite à croire qu’être vertueux nous permet de mériter


le bonheur :
A) Être quelqu’un de vertueux, de « bien », n’est pas facile car il existe
maintes tentations qui pourrraient nous guider sur un autre chemin (moins
moral) et ces difficultés nous donneraient droit au bonheur « comme si la
roue devait nécessairement tourner en notre faveur » après avoir affronté
différents tourments.
C’est tout l’objectif de la discipline vantée notamment par la philosophie
stoïcienne : « Allons que la vertu nous guide, nous avancerons d’un pas tout
à fait assuré (…). Dans la vertu, on n’a pas à craindre quelque excès que
ce soit parce qu’elle est en elle-même mesure », écrit SENEQUE dans La
vie heureuse.
B) Les morales, religieuses notamment, nous laissent penser que ceux qui
s’efforcent de bien agir durant leur vie terrestre seront récompensés dans
un au-delà (à noter que même si on n’est pas croyant au sens religieux,
cette pensée peut nous influencer quand même). CF KANT : « l’important
c’est d’être digne du bonheur »…

C) C’est le rôle de l’éducation que de nous faire accepter l’idée selon


laquelle la méchanceté ne paie pas alors que la bonté doit nous permettre
d’être a minima reconnus pour nos actions et loués (=vantés pour cela). Le
crime n’est pas censé rester impuni –ce serait une question de justice-
donc les actions morales et raisonnables, elles, devraient nous permettre
d’accéder à une certaine gratitude à l’inverse.

II) Mais on peut penser que même les plus vicieux sont susceptibles d’être
heureux et que les plus vertueux peuvent être malheureux :

A) Les « méchants » peuvent être satisfaits d’avoir fait passer leurs


intérêts égoïstes en priorité alors que les « gentils » peuvent être
convaincus de n’en avoir jamais fait assez pour les autres…

B) Les « vicieux » ne sont pas forcément punis, donc s’ils échappent à la


sanction, ils peuvent profiter de leurs crimes… Tandis que le vertueux
s’astreint à une discipline qui peut l’amener loin de certains plaisirs (il doit
renoncer à se laisser porter par ses pulsions, renoncer à une somme
importante de plaisirs éphémères parce qu’il les a condamnés).
Cf G. De MAUPASSANT : « Ceux-là seuls qui se rapprochent de la brute
sont contents et satisfaits. Mais les autres, les poètes, les délicats, les
rêveurs, les chercheurs, les inquiets ? Ah les pauvres gens ! ».

C) Celui qui agit immoralement a aussi des qualités à priori donc il peut
avoir droit à certains plaisirs (le sourire d’un proche avec lequel il s’est
montré gentil par exemple). Tandis que celui qui s’est efforcé d’être le plus
droit possible, le plus juste peut être critiqué par ses pairs parce qu’il
apparaît comme trop exigent avec lui-même (comme « trop parfait » peut-
être) et peut-être que les autres ont l’impression qu’il a les mêmes
exigences vis-à-vis d’eux.

III) Au fond, la question est de savoir où on place la priorité : « être


quelqu’un de bien » -dans la mesure du possible- peu importe que cela nous
permette d’être heureux ou malheureux ou « être heureux » peu importe si
pour l’être on va à l’encontre de la morale ?

A) Être quelqu’un de bien, ou en tous cas s’y efforcer, peut paraître le


plus important car on se sentirait de toute façon trop coupable si on
agissait de manière trop immorale. Ce sentiment de culpabilité nous
empêcherait d’être heureux, serein, de coïncider harmonieusement avec
soi.
On pourrait postuler une forme de « devoir d’être heureux » comme le dit
ALAIN : « Il est toujours difficile d’être heureux ; c’est un combat
contre beaucoup d’événements et contre beaucoup d’hommes ; il se peut
que l’on y soit vaincu (…) mais c’est le devoir le plus clair peut-être de ne
point se dire vaincu avant d’avoir lutté de toutes ses forces. Et surtout,
ce qui me paraît évident, c’est qu’il est impossible que l’on soit heureux si
on ne veut pas l’être ; il faut donc vouloir le bonheur et le faire. (…) On
dit bien qu’il n’y a d’aimé que celui qui est heureux ; mais on oublie que
cette récompense est juste et méritée » car celui qui est heureux se bat
pour l’être en quelque sorte, et que ceux qui sont plus heureux sont plus
« attirants » que ceux qui sont malheureux (et peut-être méchants) et
qu’il est au fond beaucoup plus « facile » d’être malheureux.

B) Par contre, il faut accepter aussi l’idée selon laquelle on ne pourra


jamais être complètement verteux et sans doute aussi le fait qu’on ne sera
pas complètement heureux non plus; pas de bonheur stable, durable, mais
plus une succession de moments plus ou moins heureux. Il faut chercher à
être le plus vertueux possible en étant le plus humble possible à propos de
notre capacité à l’être (pour ne pas se culpabiliser à outrance).
CF Charles PEPIN, Une semaine de philosophe : « Le penseur lui non plus ne
sait probablement pas ce qu’est le bonheur. Pourtant, malgré la fatigue et
le doute, il éprouve une joie diffuse à se développer ainsi au contact de
ses pensées, voire à se demander simplement s’il est heureux. Peut-être
même ressent-il, au coeur de sa lucidité, une étrange satisfaction à
prendre la mesure du chemin qui le sépare du bonheur, à comprendre qu’il
ne comprendra pas tout. » remarque : on peut assimiler le penseur au vertueux
car il réfléchit avant d’agir, il s’efforce de distinguer le bien du mal et à priori
de choisir le bien dans la mesure du possible.

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