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2.

Une conséquence de ce premier postulat est la nécessité d’écarter


des études littéraires tout jugement de valeur sur les œuvres. Frye est assez
abrupt sur ce point ; on pourrait nuancer son verdict et dire que l’évaluation
aura sa place dans le champ de la poétique, mais que, pour l’instant, s’y
référer serait compliquer inutilement les choses.
3. L’œuvre littéraire, de même que la littérature en général, forme un
système ; rien n’y est dû au hasard. Ou comme l’écrit Frye : « Le premier
postulat de ce bond inductif [qu’il nous propose de faire] est le même que
celui de toute science : c’est le postulat de la cohérence totale » (p. 16).
4. Il faut distinguer la synchronie de la diachronie : l’analyse littéraire
exige qu’on opère des coupes synchroniques dans l’histoire, et c’est à
l’intérieur de celles-ci qu’on doit commencer par chercher le système.
« Lorsqu’un critique traite d’une œuvre littéraire, la chose la plus naturelle
qu’il puisse faire est de la “geler” [to freeze it], d’ignorer son mouvement
dans le temps et de la considérer comme une configuration de mots, dont
toutes les parties existent simultanément », écrit Frye dans un autre ouvrage
(Fables, p. 21).
5. Le texte littéraire n’entre pas en relation de référence avec le
« monde », comme le font souvent les phrases de notre discours quotidien,
il n’est pas « représentatif » d’autre chose que lui-même. En cela la
littérature ressemble, plutôt qu’au langage courant, aux mathématiques : le
discours littéraire ne peut pas être vrai ou faux, il ne peut être que valide par
rapport à ses propres prémisses. « Le poète, comme le pur mathématicien,
dépend non de la vérité descriptive mais de la conformité à ses postulats
hypothétiques » (p. 76). « La littérature, comme les mathématiques, est un
langage, et un langage en lui-même ne représente aucune vérité, bien qu’il
puisse fournir le moyen d’exprimer un nombre illimité de vérités » (p. 354).
Par là même, le texte littéraire participe de la tautologie : il se signifie lui-
même. « Le symbole poétique se signifie essentiellement lui-même, en sa
relation avec le poème » (p. 80). La réponse du poète sur ce que tel élément
de son œuvre signifie, doit toujours être : « Sa signification, c’est d’être un
élément de l’œuvre. » (« I meant it to form a part of the play ») (p. 86).
6. La littérature se crée à partir de la littérature, non à partir de la
réalité, que celle-ci soit matérielle ou psychique ; toute œuvre littéraire est
conventionnelle. « On ne peut faire de poèmes qu’à partir d’autres poèmes,
de romans qu’à partir d’autres romans » (p. 97). Et dans un autre texte, The
Educated Imagination : « Le désir d’écrire de l’écrivain ne peut venir que
d’une expérience préalable de la littérature… La littérature ne tire ses
formes que d’elle-même » (p. 15-16). « Tout ce qui est nouveau en
littérature est du vieux reforgé… L’expression de soi en littérature, voilà
une chose qui n’a jamais existé » (p. 28-29).
Aucune de ces idées n’est tout à fait originale (bien que Frye cite
rarement ses sources) : on peut les trouver d’une part chez Mallarmé ou
Valéry ainsi que dans une tendance de la critique française contemporaine
qui en continue la tradition (Blanchot, Barthes, Genette) ; de l’autre, très
abondamment, chez les Formalistes russes ; enfin chez des auteurs comme
T. S. Eliot. L’ensemble de ces postulats, qui valent aussi bien pour les
études littéraires que pour la littérature elle-même, constituent notre propre
point de départ. Mais tout cela nous a mené bien loin des genres. Passons à
la partie du livre de Frye, qui nous intéresse plus directement. Au long de
son ouvrage (il faut se souvenir que celui-ci est constitué de textes qui ont
paru d’abord séparément), Frye propose plusieurs séries de catégories qui
permettent toutes la subdivision en genres (bien que le terme de « genre »
ne soit appliqué par Frye qu’à une seule de ces séries). Je ne me propose
pas de les exposer en substance. Conduisant ici une discussion purement
méthodologique, je me contenterai de retenir l’articulation logique de ses
classifications, sans donner d’exemples détaillés.
1. La première classification définit les « modes de la fiction ». Ils se
constituent à partir de la relation entre le héros du livre et nous-mêmes ou
les lois de la nature, et sont au nombre de cinq :
1. Le héros a une supériorité (de nature) sur le lecteur et sur les lois de
la nature ; ce genre s’appelle le mythe.
2. Le héros a une supériorité (de degré) sur le lecteur et les lois de la
nature ; le genre est celui de la légende ou du conte de fées.
3. Le héros a une supériorité (de degré) sur le lecteur mais non sur les
lois de la nature ; nous sommes dans le genre mimétique haut.
4. Le héros est à égalité avec le lecteur et les lois de la nature ; c’est le
genre mimétique bas.
5. Le héros est inférieur au lecteur ; c’est le genre de l’ironie (p. 33-
34).
2. Une autre catégorie fondamentale est celle de la vraisemblance : les
deux pôles de la littérature sont alors constitués par le récit vraisemblable et
le récit où tout est permis (p. 51-52).
3. Une troisième catégorie met l’accent sur deux tendances principales
de la littérature : le comique, qui concilie le héros avec la société ; et le
tragique, qui l’en isole (p. 54).
4. La classification qui semble bien être la plus importante pour Frye
est celle qui définit des archétypes. Ceux-ci sont au nombre de quatre
(quatre mythoï) et se fondent sur l’opposition du réel et de l’idéel. Ainsi se
trouvent caractérisées la « romance2 » (dans l’idéel), l’ironie (dans le réel),
la comédie (passage du réel à l’idéel), la tragédie (passage de l’idéel au
réel) (p. 158-162).
5. Vient ensuite la division en genres proprement dits, qui se fonde sur
le type d’audience que les œuvres devraient avoir. Les genres sont : le
drame (œuvres représentées), la poésie lyrique (œuvres chantées), la poésie
épique (œuvres récitées), la prose (œuvres lues) (p. 246-250). À cela
s’ajoute la précision suivante : « La distinction la plus importante est liée au
fait que la poésie épique est épisodique, alors que la prose est continue »
(p. 249).
6. Enfin une dernière classification apparaît à la p. 308, qui s’articule
autour des oppositions intellectuel/personnel et introverti/extroverti, et
qu’on pourrait présenter schématiquement de la manière suivante :

intellectuel personnel
introverti confession « romance »
extroverti « anatomie » roman

Ce sont là quelques-unes des catégories (et, dirons-nous aussi, des


genres) proposées par Frye. Son audace est évidente et louable ; reste à voir
ce qu’elle apporte.

I. Les premières remarques que nous formulerons, et les plus faciles,


sont fondées sur la logique, pour ne pas dire le bon sens (leur utilité pour
l’étude du fantastique apparaîtra, espérons-le, plus tard). Les classifications
de Frye ne sont pas logiquement cohérentes : ni entre elles, ni à l’intérieur
de chacune d’entre elles. Dans sa critique de Frye, Wimsatt avait déjà, à
juste titre, indiqué l’impossibilité de coordonner les deux classements

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