Chapitre 1
LE RAISONNEMENT CLINIQUE
Par François Ratté, M.D., Michel Cauchon, M.D., et Julie F. Thériault, M.D.
Illustrations : Isabelle Collin, M.D.
La médecine est une science d'incertitude et un art de la probabilité.
1.1 PROLOGUE
Madame Turmel, une femme de 82 ans, se présente
à votre service des urgences en ce vendredi soir. Son
médecin de famille l’a appelée plus tôt dans la journée
pour qu’elle se rende rapidement à l’hôpital au sujet
d’une douleur à un genou. La dame est en bonne santé
pour son âge. Elle prend une médication pour la pres-
sion et la glande thyroïde. Elle dit faire de l’arthrose dans
le dos, mais n’est pas limitée dans ses déplacements. Elle
est parfaitement autonome, marche de façon régulière
sans utiliser d’accessoire. Il y a 3 jours, en descendant un
escalier, elle a ressenti un craquement douloureux dans
son genou droit. Elle a mis sa jambe au repos quelques
minutes, puis elle a repris ses activités habituelles sans
rien ressentir de spécial. La nuit dernière, elle s’est
réveillée avec une vive douleur dans le même genou et
elle a constaté que celui-ci était enflé. La douleur géné-
rait une boiterie. Ayant de plus en plus de difficulté à se
tenir sur cette articulation, elle a décidé de consulter en
fin de matinée à la clinique de médecine familiale du
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quartier. Le médecin qui l’a évaluée a constaté un œdème
(enflure) du genou droit avec une chaleur significative et
un peu de rougeur. Devant un diagnostic de présomp-
tion d’arthrite du genou, il a pris la décision de ponc-
tionner l’articulation à l’aiguille. Un liquide jaunâtre a
été retiré du genou de madame Turmel et envoyé en
analyse. Initialement soulagée par le retrait du liquide
articulaire et une dose d’acétaminophène, la patiente a
été retournée à la maison en attendant les résultats de la
ponction. Une radiographie effectuée le jour même a
démontré des signes d’arthrose (usure de l’articulation)
sans évidence de fracture ou autre blessure traumatique
significative.
L’analyse préliminaire du liquide articulaire a mis
en évidence la présence de cellules inflammatoires en
Ratté, Francois, et al. Démarche Clinique. Raisonnement Clinique. Examen Physique. Entrevue Médicale, Les Presses de l'Université Laval, 2017. ProQuest Ebook Central,
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William Osler
quantité excessive (48 000 cellules/ul), soit près du seuil
diagnostique pour une infection bactérienne, une condi-
tion potentiellement grave et dangereuse pour l’intégrité
de l’articulation. Dans ces circonstances, la patiente fut
rappelée à 17 h par le médecin de famille, inquiet d’une
infection probable dans son genou. Le médecin lui a
suggéré de consulter sans délai à l’urgence. C’est dans ce
contexte que vous recevez madame Turmel qui
commence à être inquiète. Le service est bondé de
patients et madame Turmel est insatisfaite d’avoir
attendu deux heures avant de vous rencontrer. Après
tout, au dire du médecin de famille, son genou est en
danger ! C’est votre troisième soir consécutif aux
urgences. Vous êtes fatigué, mais disposé à aider madame
Turmel du mieux que vous le pouvez. La note de triage
rapporte une fièvre légère, très bien supportée par la
patiente qui ne s’en était même pas rendu compte. Les
autres paramètres vitaux sont parfaitement normaux, ce
qui a influencé la cote de triage à la baisse. Dans les faits,
la dame rapporte que la douleur et l’enflure du genou
ont diminué considérablement par rapport à la veille. À
première vue, madame Turmel ne semble pas très
malade. L’examen de l’articulation démontre un gonfle-
ment (épanchement) légèrement inflammatoire avec un
inconfort à la mobilisation. L’amplitude articulaire est
assez bien préservée. Pas de rougeur importante. Après
avoir répondu à deux appels de la part du personnel
infirmier pour d’autres patients à l’urgence sous vos
soins, vous décidez de coucher madame Turmel sur une
civière d’observation et de lui faire des prises de sang.
Une heure plus tard, vous constatez une élévation
marquée des paramètres inflammatoires sanguins,
compatible avec un diagnostic d’arthrite septique. Il est
passé minuit, vous êtes embêté. S’agit-il vraiment d’une
infection articulaire du genou ou d’une autre forme
d’arthrite ? Vous décidez finalement de ne pas prendre de