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Études calorimétriques aux températures extrêmement

basses
W.H. Keesom

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W.H. Keesom. Études calorimétriques aux températures extrêmement basses. J. Phys. Radium, 1934,
5 (7), pp.373-384. �10.1051/jphysrad:0193400507037300�. �jpa-00233248�

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ÉTUDES CALORIMÉTRIQUES AUX TEMPÉRATURES EXTRÊMEMENT BASSES (*),
Par W. H. KEESOM.

Sommaire 2014 L’auteur donne un bref aperçu des résultats des études calorimétriques aux tem-

pératures obtenues avec l’hélium liquide en se bornant aux recherches effectuées dernièrement au
laboratoire de Leyde. Il décrit la méthode et donne quelques détails sur le thermomètre à résistance
utilisé.
La chaleur spécifique de certains métaux (argent, zinc) montre une particularité aux températures
extrêmement basses à partir de 4 à 5° K. Elle dépasse la valeur qu’on devrait attendre si la loi de Debye
restait valable. Des expériences spéciales ont démontré que cet effet est bien réel. L’hypothèse est men-
tionnée qu’aux températures les plus basses la capacité calorifique des électrons libres ou quasi-libres
entre en ligne de compte.
La chaleur spécifique des métaux supraconducteurs subit une discontinuité au point de transition de
l’état supraconducteur à l’état non-supraconducteur. On vérifie une équation. déduite par M. Rutgers, et
qui relie cette discontinuité et la variation du champ magnétique seuil avec la température. Comme cette
équation suppose que la transition de l’état supraconducteur à l’état non-supraconducteur est réversible,
on en tire la conclusion que cette supposition est valable.
M. Kok et l’auteur ont mesuré pour le thallium la chaleur latente qui est liée à la transition de l’état
supraconducteur à l’état non-supraconducteur, si cette transition a lieu dans un champ magnétique. Les
résultats vérifient encore l’hypothèse de la réversibilité de cette transition. Les divergences constatées dans
certains cas s’expliquent par le fait que dans ces cas, ce n’était pas la totalité du bloc expérimental qui
avait subi la transition.
L’auteur donne ensuite un aperçu des résultats acquis concernant l’équation calorifique de l’hélium
liquide, et qui ont été résumés dans un diagramme entropie-température dressé par Mlle Keesom et l’auteur.
Ce diagramme montre clairement les particularités qui sont la conséquence du fait que la transition de
l’hélium liquide I en hélium liquide II est une transition de deuxième ordre, c’est-à-dire une transition sans
chaleur latente ni discontinuité de densité, mais avec des discontinuités de la chaleur spécifique, de la
compressibilité, du coefficient de dilatation thermique, du coefficient de pression.
Enfin l’auteur discute une méthode pour fixer l’échelle thermométrique au-dessous de 0,9° K, en com-
binant des expériences de démagnétisation adiabatique avec des mesures calorimétriques.

1. Introduction. - L’exploration du domaine des mettre à jour des faits d’une importance fondamentale
propriétés calorimétriques des corps a été commencée pour notre connaissance des propriétés du réseau ato-
dans le laboratoire cryogène de Leyde en 1912 environ, mique des corps solides, ainsi que de la structure des
d’abord par une étude des chaleurs de vaporisation de liquides pour autant qu’il en existe encore aux basses
l’oxygène et de l’hydrogène, suivie ensuite d’une re- températures.
cherche sur les chaleurs spécifiques de certains mé- Au cours des dernières années on est arrivé à recon-
taux. naître que de telles recherches sont susceptibles égale-
On savait déjà, d’après les résultats des premières ment de fournir des renseignements précieux sur
expériences de Behn (~), ainsi que de Dewar (2) et, en ce qui se passe à l’intérieur des atomes, notamment

particulier des recherches de Nernst et ses élèves (3), en ce qui concerne des phénomènes dans lesquels

que la chaleur spécifique décroît d’une façon très nette des passages d’un niveau d’énergie à un autre inter-
lorsqu’on abaisse la température. Einstein 1’) avait viennent.
donné une explication de ce phénomène en partant de Je me propose de vous donner ici un bref aperçu
la conception de Planck des quanta d’énergie; un peu de certains résultats obtenus, en me bornant aux re-
plus tard, Debye (5) a donné à la théorie des chaleurs cherches effectuées dernièrement au laboratoire de
spécifiques des corps solides élémentaires une forme, Leyde.
qui est aujourd’hui encore universellement acceptée
comme la base de la théorie du mouvement thermique ~?. Méthode. - En suivant la méthode élaborée par
des constituants d’un réseau cristallin. Nernst et Eucken (6), on apporte à une masse déter-
On pouvait, dès lors, prévoir que des recherches ca- minée de la substance étudiée, thermiquement isolée
lorimétriques aux basses températures pourraient aussi complètement que possible, une quantité con-

Article published online by EDP Sciences and available at http://dx.doi.org/10.1051/jphysrad:0193400507037300


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nue d’énergie, à l’aide d’un courant électrique et l’on d’hélium gazeux qui doit être enlevée par la pompe
mesure l’accroissement de la température qui en ré- avant de commencer l’expérience calorimétrique.
sulte. A cause de certains doutes sur lesquels je reviendrai,
La figure 1 représente le dispositif expérimental et nous avons élaboré l’année dernière une méthode de
montre clairement le bloc du métal à examiner. Dans refroidissement qui évite l’admission de gaz dans l’es-
un trou ménagé dans le bloc on a vissé un « noyau o, pace isolant.
figure 2, qui contient le fil à résistance servant au Toutefois, la réalisation d’un~isolement thermique
chauffage, et un ou deux thermomètres à résistance suffisant comporte certaines difficultés par suite du
pour la mesure de l’accroissement de température. fait que les capacités calorifiques deviennent très fai-
bles aux températures extrêmement basses. Nous avons,
M. Kok et moi (Î), établi une méthode permettant de
calculer la capacité calorifique à partir des indications
du thermomètre dans les cas où l’isolement thermique
n’est pas complet. Je n’entrerai pas ici dans les détails
de cette méthode.
J’ajoute quelques mots concernant les thermomètres
à résistance utilisés. Les thermomètres de platine ou à
fil d’or ordinairement employés ne peuvent pas servir
aux températures de l’hélium liquide, parce que leur
résistance y devient pratiquement constante. Le ther-
momètre de plomb n’est pas utilisable non plus, parce
que ce métal devient supraconducteur. Le constantan,
au contraire, est un métal approprié, mais en dessous
de 7°K il est suipassé en sensibilité par le bronze phos-
phoreux, qui malheureusement ne convient pas au-
dessus de cette température, parce que sa courbe de
résistance y devient horizontale.
La figure 3 donne la courbe des résistances d’un
échantillon de ce métal, jusqu’à la température

Fig. 1. -7 Dispositif expérimental Fig. 2.


-

Noyau contenant le
pour mesurer la chaleur spé- fil à résistance servant au
cifique d’un métal. chauffage, et deux thermo-
mètres à résistance.

Pour éviter que la résistance ne subisse des change-


ments à cause de déformations dues aux fortes varia-
tions de température, lors du refroidissement du sys-
tème, les thermomètres à résistance, au lieu d’être
soudés au bloc, sont suspendus dans une atmosphère
d’hélium. L’expérience montre que néanmoins le ther-
momètre suit immédiatement la température du bloc.
Fig. 3. -
Résistance électrique du bronze phosphoreux.
Il va de soi qu’on mesure séparément la capacité calo-
rifique du noyau.
Pour isoler thermiquement le bloc calorimétrique Mais le thermomètre à bronze phosphoreux présente
celui-ci est suspendu dans un espace qui peut être porté également un défaut, c’est que la chute de la résistance
à un vide élevé au moyen d’une pompe de grande ca- de cet alliage doit, selon toute probabilité, être attri-
pacité. Afin de pouvoir refroidir le bloc il est néces- buée à une très petite quantité de plomb dispersée
saire d’admettre dans cet espace une petite quantité dans le métal. Ces couches ou fils minces de plomb
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deviennent supraconducteurs au-dessous de et se trouve le thermomètre à résistance. On souhaiterait,


donnent lieu à la diminution de la résistance. Or, ceci pour ce pouvoir disposer d’un thermomètre indé-
cas,
implique que la résistance dépend de l’intensité du pendant du champ magnétique. Tout récemment nous
courant de mesure et en outre, ce qui est plus grave, avons trouvé que le cérium possède une résistance qui
varie encore notablement aux températures de l’hélium
liquide, mais qui ne dépend d’une manière sensible ni
du courant de mesure, ni du champ magnétique. La
figure 4 donne la résistance de ce métal en fonction de
la température. On y relève une légère déviation aux
environs de 1,15°K due probablement à une légère
contamination d’aluminium. Malheureusement, le cé-
rium est un métal peu maniable et facilement oxydable;
il est assez difficile de s’en procurer un fil d’une épais-
seur suffisamment réduite pour pouvoir servir à l’éta-
blissement d’une résistance convenable; en outre,
on y attache difficilement les fils nécessaires pour la
mesure de la résistance. Toutefois, ce sont des diffi-
cultés d’ordre expérimental qu’on peut espérer sur-
monter.
Voici, figure 5, encore un autre métal, le magné-
sium, dont la résistance varie^d’une façon très nette aux
Fig. 4. -
Résistance électrique du cérium
températures de l’hélium liquides. On remarquera,
fait très curieux, que la résistance s’élève lorsqu’on
qu’elle dépend du champ magnétique appliqué. Cette abaisse la température. Le magnésium pourrait donc
dernière circonstance constitue un grave inconvénient également donner un thermomètre assez sensible.
dans les cas où des courants persistants peuvent se Nous n’avons pas encore examiné si la résistance
former. En effet, on est alors plus ou moins incertain dépend du courant de mesure, ou du champ magné-
quant à l’intensité du champ magnétique dans lequel tique a ~

Fig. 5. -

Résistance électrique du magnésium.

3. Chaleur spécifique des métaux. - Les .mé- où [3 est une constantes la température caractéristique
taux suivent en général avec une très bonne approxi- dite de Debye, c la chaleur atomique.
mation la loi de Debye, qui pour les températures Certains écarts faibles, que je passerai sous silence,
très basses peut être écrite : ont été constatés. Mais une particularité intéressante
apparaît aux températures extrêmement basses, à envi-
ron 4 ou 5°K.
376

La figure 6 donne, pour divers métaux, les valeurs chaleur atomique, en supposant la loi de Debye va-
de a, calculées à partir des valeurs mesurées de la lable. En réalité, ce sont des courbes qui donnentt

Fig. 6. -
Valeurs de 0 == Tc 3 en fonction de la température.
1 sière dans les mesures ; une seule circonstance était
Tic 3 fonction de la température. Si la loi de Debye
en
susceptible de mettre en doute l’exactitude des résul-
est valable, on obtient une droite horizontale. On voit tats obtenus. C’était, en l’espèce, l’atmosphère d’hélium
que pour certains métaux, la courbe présente une que nous avons admise pendant le refroidissement
pente très inclinée aux températures les plus basses. préalable à l’expérience calorimétrique. On peut sup-
La figure 7 montre ce phénomène d’une manière très poser qu’une couche d’hélium est adsorbée sur le métal,
évidente pour l’argent. et il ne serait pas impossible que cette couche, en se
Ce résultat est tout à fait frappant, on pourrait même désorbant de la surface du métal, absorbe une quantité
dire embarrassant. En effet, on était disposé à admettre de chaleur suffisante pour donner l’apparence d’une
que c’est précisément aux températures les plus basses chaleur spécifique accrue. Je me réfère à une publica-
que la théorie de Debye devrait le mieux correspondre tion antérieure (1), pour les arguments qu’on peut citer
à la réalité. Il était donc naturel de se demander si les en faveur de la thèse qu’il n’en est pas ainsi. Toutefois,
résultats obtenus ne pourraient pas avoir été faussés nous avons jugé prudent de procéder à des expériences

par quelque erreur expérimentale. spéciales pour examiner ce point de plus près.
Or, on peut exclure la possibilité d’une erreur gros- En premier lieu, nous avons effectué une série d’ex-

Fig. ’~. -

Valeur de 8 = Tc -:3 pour l’argent.


périences calorimétriques sur un bloc, de zinc avec un plus élevée. La chaleur de désorption est donc mesu-
rapport surface : masse plus grand. Nous avons cons- rable. D’autre part, elle se montre trop petite pour
taté qu’en effet la capacité calorifique par unité de expliquer l’effet dont il s’agit.
masse mesurée dans ces conditions était légèrement En second lieu, nous avons élaboré une méthode de
377

refroidissement du bloc ne nécessitant pas l’interven- quer que l’explication donnée par M. Simon (l) pour
tion d’une atmosphère d’hélium gazeux. La figure 8 certains types d’écarts à la loi de Debye, savoir un
montre le dispositif imaginé. Le bloc métallique est passage quantique d’un niveau d’énergie à un autre
suspendu dans l’espace évacué à l’aide d’une tige A, peu différent, n’est pas applicable au phénomène en
de sorte qu’on peut le faire descendre assez bas pour question. En effet, l’effet est beaucoup plus faible que
qu’il vienne se poser sur le cône d’argent B soigneu- celui correspondant à la théorie de Simon. On serait
sement poli faisant corps avec le récipient. La pression forcé de supposer que seulement une petite fraction
que le bloc par son propre poids exerce sur le cône, des atomes subissent cette transition, ce qui est diffi-
permet de réaliser une conduction de chaleur suffisante cile à admettre.
pour le refroidissement. Toutefois, avec cette méthode, On a émis l’hypothèse qu’aux températures les plus
cinq heures sont nécessaires pour atteindre la tempé- basses, la capacité calorifique des électrons libres ou
rature de l’hydrogène liquide. A partir de cette tempé- quasi libres doit entrer en ligne de compte, idée qui
rature, le refroidissement a lieu suivant une allure plus semble attrayante. C’est la tâche des théoriciens d’éla-
rapide (15 minutes) à cause de la faible valeur de la capa- borer la théorie de l’état métallique, dé- sorte qu’une
vérification quantitative de ce point soit possible. Du
point de vue expérimental, il sera important de mesu-
rer la chaleur spécifique de substances non conduc-
trices à ces températures très basses.

4. Chaleur spécifique de métaux supracon-


ducteurs. - Que le degré de conductibilité d’un
métal ait une certaine influence sur sa capacité calori-
fique semble être prouvé par la conduite des supracon-
ducteurs. Pour l’étain, M. van den Ende et moi (’u)
avons constaté que la chaleur spécifique subit une
variation très brusque, peut être une discontinuité, au
point de transition à l’état supraconducteur, c’est-à-
dire qu’aux températures immédiatement au-dessous
de ce point, la chaleur spécifique est plus grande
qu’immédiatement au-dessus. Avec la collaboration de
M. Kok, j’ai pu apporter une confirmation de ce résul-
tat (1’) en mesurant les chaleurs spécifiques avec des
chauffages de l’ordre de grandeur de 0,01 degré. La
figure 9 donne le résultat ohtenu. La chaleur atomique de
l’étain subitune chute de 0,0078 à 0,0054 lorsque la tem-
pérature, en s’élevant, passe par le point de transition.
Récemment, M. Kok et moi C2) avons étudié le
thallium. A ~,36°K, point de transition de ce métal, la
chaleur atomique tombe de 0,013~ à 0,0118.
Rutgers (’ ~) a obtenu une équation qui établit un
rapport entre la chute de la chaleur atomique et la
variation que la température de transition à l’état
Fig. 8. -
Dispositif pour refroidissement par contact.
supraconducteur subit dans un champ magnétique.
cité calorifique à ces températures extrêmement basses. Le tableau 1 montre jusqu’à quel point cette équation
Or, les résultats obtenus dans ces conditions pour se trouve vérifiée par les données expérimentales.

l’argent, ont complètement confirmé nos résultats an-


TABLEAU I. -

Fquation de Rutgers
térieurs, de sorte que les expériences oous obligent , f1r..

à considérer les écarts par rapport à la loi de Debye


aux températures les plus basses comme réels.
Lorsqu’on regarde les courbes représentant 0 en
fonction de T (fig. 6), on est frappé par le faitqu’elles
semblent converger vers un même point aux tempéra-
tures les plus basses. Si ce fait se confirme, il signi-
fiera que la chaleur atomique s’approche d’une valeur
qui ePt indépendante de la nature du métal, c’est-à-dire
qui n’est pas déterminée par le poids atomique et les
forces interatomiques, comme c’est le cas pour la cha-
leur atomique aux températures plus élevées.
Quant à la cause de l’écart considéré, il est à remar-
378

On voit que l’accord des chiffres calcules avec les supraconducteur à l’état non-supraconducteur et vice-
valeurs expérimentales est très satisfaisant. versa, admettant la réversibilité du phénomène.
en

Or, l’éduation de Rutgers a été établie en appliquant Jusqn’à ces derniers temps, on n’avait pas admis que
les lois de la thermodynamique au passage de l’état la transition dont il s’agit pourrait être réversible.

Fig. 9. -
Chaleurs atomiques de l’étain.

Après les expériences de Meissner et Ochsenfeld (4), l’état supraconducteur à l’état non-supraconducteur est
les vues ont changé. En effat, les courants persistants, réversible si elle a lieu dans un champ magnétique
qui existent éventuellement dans un métal supracon- nul, mais encore qu’il en est ainsi dans des champs
ducteur, s’éteignent lorsque ce métal passe à l’état magnétiques infiniment faibles. Plus exactement, que
non-supraconducteur. Les expériences mentionnées 0 pour H -- 0, si a désigne la différence
suggèrent l’idée formulée par Gorter et Casimir (1,~), entre 0 S et r/ 1’.
que, quand le métal subit le passage inverse, des cou- M. Kok et moi (16) avons effectué également des
rants persistants peuvent naître dans le cas où le recherches sur le thallium dans un champ magnétique
métal se trouve dans un champ magnétique. Cette constant. La figure 10 donne les résultats d’une série
manière de voir réduit la difficulté de se figurer que le de ces expériences. De ces mesures, nous avons pu
passage mentionné soit réversible. Je n’ose pas dire déduire pour un certain intervalle de températures la
qu’elle supprime la difficulté. différence entre les chaleurs atomiques du thallium
Quoi qu’il en soit, on peut poser la question suivante. dans le cas où le métal est supraconducteur, et dans le
Si le passage que nous considérons a lieu dans un cas où la supraconductibilité est empêchée par un

champ magnétique, il se produit une certaine absorp- champ magnétique La thermodynamique apprend que
tion, ou, si le sens est renversé, un certain dégagement la différence des variations de l’énergie libre dans cet
de chaleur, que nous désignerons par le symbole r, et intervalle de températures, prises pour les deux états
que nous appellerons la chaleur de transition. Consi- du métal, est égale à l’énergie due au champ magné-
dérons la variation de l’entropie S et examinons si tique dans le corps étudié, sous-entendu que la transi-
î-/ 11 ou non. Nous appellerons la transitions réver- tion d’un état à l’autre soit réversible. Ceci donne un
sible si l’égalité existe. moyen pour vérifier cette condition de réversibilité
Dans cet ordre d’idées, la validité de l’équation de pour des champs magnétiques finis. Les résultats
Rutgers démontre non seulement que la transition de expérimentaux ont donné une réponse affirmative à la
379

question posée. Nous avons poursuivi les mesures jus- principes de la thermodynamique au cas considéré, on
qu’à un champ magnétique de 60 gauss. suppose qu’en passant la courbe de la valeur seuil du
Je faisais déjà allusion à la chaleur latente de transi- champ magnétique à température descendante, tout le
tison de l’état supraconducteur à l’état non-supracon- métal passe à l’état supraconducteur comme un corps
ducteur. Cette chaleur latente avait été déjà l’objet homogène. Or, il y a des raisons à peu près concluantes
d’une discussion au Conseil de Physique Solvay de pour croire que dans nos expériences ce n’était pas le
1924 (’7). On avait, sous réserve de la réversibilité de cas, que seulement une certaine fraction du métal a
la transition considérée, établi une relation entre la subi la transition considérée. Je n’entrerai pas dans les
valeur de la chaleur latente et la pente de la courbe de détails, je me bornerai à vous faire part de ma convic-
la valeur seuil du champ magnétique On peut déduire tion que l’étude calorimétrique de l’état supraconduc-
de cette relation que la chaleur de transition est nulle teur qui vient seulement d’être entreprise, parait
si la transition a lieu dans un champ magnétique nul. contenir des belles promesses pour l’accroissement de
Cette conséquence avait été vérifiée déjà d’une manière nos connaissances relatives à cet état si intéressant.
très exacte au cours de nos recherches sur l’étain, et Signalons que nous avons encore fait des expériences
fut confirmée par nos mesures sur le thallium. Mais calorimétriques sur le thallium, dans des états qui ont
pour le thallium nous avons pu constater l’existence de été établis en variant le champ magnétique, le métal
cette chaleur de transition dans un champ magnétique. étant dans l’état supraconducteur, de sorte que des
Nous en avons mesuré la valeur dans deux champs ma- courants persistants déterminés ont été produits. J’es-
gnétiques différents. père que les résultats de ces expériences, dans les-
Si l’on rapproche les données expérimentales de ce quelles la disparition des courants persistants se tra-
qu’apprend la thermodynamique, on constate mainte- duit par son effet calorimétrique, pourront être publiés
nant certaines divergences. En effet, en appliquant les sous peu (17a).

Fig. 10.
-
Chaleurs atomiques apparentes du thallium dans un

champ magnétique constant de 38,6 gauss appliqué à


montrant l’existence d’une chaleur de transition.

5. L’équation d’état calorifique de l’hélium un accroissement rapide de la chaleur spécifique suivi


liquide. ~-

En t924, Kamerlingh Onnes et Boks par une chute instantanée au point ~,19° K. Comme la
(18 ) consuatèrent la présence d’une singularité intéres- courbe a la forme du caractêre grec X, nous appellerons
sante dans la courbe des densités de l’hélium liquide ce point d’après une proposition faite par M. Ehrenfest,

(fig. il) à la température de 2,19°!{ dans l’échelle de le point lambda.


température actuelle. En 1927, NI. Wolfke et moi e 9), La figure 13 montre les résultats d’une nouvelle série
en étudiant divers phénomènes se présentant à ce de mesures effectuées par Mlle heesom et moi (21) avec
point, nous crûment autorisés à distinguer deux états des échauffements de l’ordre de grandeur de 0,01 degré
différents de l’hélium liquide, l’hélium liquide 1 au- pour examiner de plus près le voisinage du point A.
dessus de la température mentionnée, l’hélium liquide Les résultats principaux de ces recherches peuvent
II au-dessous. être résumés comme suit : le passage de l’hélium liquide
Une nouvelle lumière fut jetée sur ce phénomène par de l’état II à l’état 1 au point lambda a lieu sans aucune
les mesures calorimétriques exécutées avec la collabo- trace de chaleur latente, mais il est accompagné d’une
ration de M. Clusius (2°) en 1932. La figure 12 repré- chute de la chaleur spécifique de la valeur de 3,0 à la
sente la courbe des chaleurs spécifiques. On ,constate vateur de 1, 1, que dans les limites de précision expéri-
380

Fig. il. Densités de l’hélium liquide sous la pression


-

de sa vapeur saturée, d’après Kamerlingh Onnes et Boks.

Fig. 12. -
Chaleurs spécifiques de l’hélium liquide sous
la pression de sa vapeur saturée.

mentales (quelques millièmes de degré) on peut consi- obtenu au cours d’une autre recherche par M. Clusius
dérer comme instantanée. et moi (2¿), que le point lambda se déplace sous l’in-
Une série de mesures fut encore faite sous une pres- fluence de la pression.
sion d’environ 19 atmosphères. Les résultats n’ont pas En rapport avec ces résultats une étude fut entre-
été publiés à cause d’un petit défaut dans les expé- prise par Mlle Ileesom et moi (23) sur la densité de
riences causé par le fait que la boîte contenant l’hélium l’hélium en fonction de la température et de la pression.
liquide n’était pas absolument étanche. Une chute ana- La figure 14 résume les résultats dans un diagramme
logue de la chaleur spécifique fut observée, mais à une p, T. On distingue la courbe de pression de la vapeur
température différente, ce qui correspond au résultat saturée, la courbe de solidification, et la courbe
381

lambda, lieu géométrique des points lambda, qui sépare


le domaine de l’hélium II du domaine de l’hélium I.
Les autres courbes sont des isochores, lignes de den-
sité constantes.
Je m’abstiendrai de commenter en détail les points
intéressants qu’on peut relever sur ce diagramme.
J’attire seulement l’attention sur le fait que les isochores
présentent un point anguleux là où ils coupent la
courbe lambda. Cela veut dire que le coefficient de
pression y subit une discontinuité. La figure 15 qui
donne le diagramme p, 7 (densité-température), et
dans lequel les isobares ont été tracées, montre que le
coefficient de dilatation y subit aussi une discontinuité.
Il s’ensuit que c’est encore le cas pour la compressi-
bilité.
La courbe lambda a l’allure d’une courbe de transi-
tion entre deux phases différentes dans un diagramme
d’état. Il y a toutefois des différences essentielles. Le
passage d’une courbe de transition ordinaire est lié à
une chaleur latente. Comme nous l’avons déjà remar-

qué, le passage de la courbe lambda ne l’est pas. D’au-


tre part, ce dernier est accompagné de discontinuités
dans la chaleur spécifique et dans les coefficients de Fig. 13. -
Chute de la chaleur spécifique de l’hélium liquide.
dilatation, de pression et de compressibilité. Vu le

Fig. 14. -
Isochores de l’hélium liquide dans le diagramme p, T.
382

changement brusque que diverses propriétés de la a tout lieu de considérer ce passage comme une transi-
substance subissent en passant la courbe lambda, il y tion d’une phase dans une autre. Pour distinguer cette

Fig. 15. -
Isobares de l’hélium liquide dans le diagramme p, T.

transition d’une transition de phase ordinaire M. Ehren-


fest (2) a introduit la nomenclature suivante. Les
transitions de phase connues jusqu’à maintenant, et
dans lesquelles les dérivées premières du potentiel
thermique, savoir l’entropie et le volume, sont discon-
tinues, s’appelleront transitions de premier ordre. Les
transitions de phases dans lesquelles les dérivées pre-
mières du potentiel thermique restent continues, tandis
que les dérivées secondes sont discontinues, sont appe-
lées transitions de deuxième ordre.
Le passage de l’hélium liquide à l’état de vapeur ou
à l’état de solide est donc une transition de premier
ordre, la transition de l’hélium Il en hélium I une de
deuxième ordre.
Différentes autres transitions de ce dernier type sont
connues. Je ne mentionnerai que celle du méthane,
Fig. 1G.-
Déduction d’une relation entre la pente de la courbe
lambda et les discontinuités de la chaleur spécifique et du étudiée récemment avec une attention spéciale par
coefficient de dilatation thermique. MM. Clusius et Perlick (2~). La thermodynamique
383

donne pour les transitions de premier ordre une rela-


tion entre la pente de la courbe de transition dans le
diagramme p, l’ d’une part, et les discontinuités de
l’entropie et du volume d’autre part (équation de Cla-
peyron). D’une manière analogue, on déduit pour les
transitions de deuxième ordre deux équations qui re-
lient la pente de la courbe lambda aux discontinuités
correspondantes. Je n’en citerai qu’une :

Fig. 17. -

Vérification de la relation entre la pente de la


courbe lambda et les discontinuités de la chaleur spécifique
eL du coefficient de dilatation thermique par les mesures de
Cette équation fut vérifiée (26) pour l’hélium sous la
Kamerlingh Onnes et Boks sur la densité de l’héliuin liquide.
pression de sa vapeur saturée. De la pente de la courbe
lambda et de la discontinuité dans la chaleur spéci-
fique on calcule la discontinuité du coefficient de dila- Enfin, la figure 9 ~ résume dans le diagramme entro-
talion. La figure 17 montre que la valeur trouvée est pique les résultats expérimentaux acquis pour l’hélium
en harmonie avec les résultats des mesures de Kamer- liquide. Le diagramme se distingue d’un diagramme
lingh Onnes et Boks. entropique habituel en ce sens qu’il est pour ainsi dire

Fig. 18. -

Diagramme entropique de l’hélium liquide.

replié le long de la courbe lambda, de telle sorte que (te certaines parties des molécules passent, en abaissant
dans un certain domaine deux feuilles du diagramme la température, à des mouvements rotatoires oscil-
d’état se recouvrent. Je m’pbstienclrai de vous faire lire lants. Pour l’hélium, cette explication ne peut pas être
sur cette figure les différentes propriétés dont nous prise en considération. Je me suis permis l’8) de sug-
avons parlé. gérer que peut-être l’hélium liquide en traversant la
Laquestion se pose s’il y a quelque explication qui courbe lamba à température décroissante passe dans
ferait comprendre ce qui se passe dans une transition un état quasicristallin, savoir que les atomes d’hélium
de deuxième ordre. Pour des transitions comme celles se disposent plus ou moins régulièrement dans unréseau

qui se produisent dans le méthane et quelques autres qui, toutefois, dans ce cas, ne donne pas un tout rigide
substances, Pauling (27) trouve une explication dans la comme un cristal proprement dit, mais forme plutôt

supposition que les rotations libres des molécules ou une structure floue. La régularité du réseau ne régne-
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rait que dans des éléments de volume contenant un ~I. Giauque en 1927. Or, imaginons que nous effec-
nombre restreint et continuellement variable d’atomes. tuons une expérience de démagnétisation adiabatique
Mais j’avoue immédiatement que je ne puis pas don- en partant de T, H (fig. 19) ~ et encore une deuxième
ner des arguments concluants pour cette manière de
voir, ni déduire de cette hypothèse des prévisions
théoriques susceptibles d’être vérifiées par comparaison
avec les résultats expérimentaux. Voilà encore un
problème réservé aux théoriciens.
G. Echelle des au-dessous de
températures
O,9nK. - Je terminerai en dernière re-
faisant une

marque. L’échelle des températures a été fixée jusqu’à


0,9"K au moyen du thermomètre à hélium. Au-des-
sous de cette température, le thermomèlre à hélium
devien t vite impropre à cause de l’adsorption de l’hé-
lium sur la paroi. NI. Schmidt et moi (~9) avons étudié Fig. 19. -
Méthode de fixation de l’échelle thermométrique
cette adsorption pour voir s’il y avait peut-être un pour les températures ultra-basses.

moyen d’éviter cet inconvénient, par exemple en revê-


tant la paroi intérieure du thermomètre d’une couche expérience partant de 7’, Il + el Il. Nous marquons
en

d’un gaz noble, mais ces efforts n’ont pas été couronnés au moyen d’un thermoscope convenable les indicalions
de résullats positifs. correspondant aux températures obtenues, I"eL 7~-)-~7’B
La question se pose donc de savoir comment on Si nous connaissons à la température 7’ la manière
pourra fixer l’échelle des températures dans la région dont la magnétisation du sel paramagnétique dépend
des températures extrêmement basses où le thermo- du champ et de la température, la différence cl S peut
mètre à hélium ne sert plus. être calculée. Mesurons maintenant par une expé-
Nous éludions actuellement un thermomètre dont le rience calorimétrique la quantité de chaleur nécessaire
principe se base sur les lois des phénomènes thermo- pour chauffer le corps refroidi de l’une des deux tem-
moléculaires. pératures à l’autre. La température sur l’échelle Kelvin
Une autre manière pour fixer ces températures s’obtient alors par
serait en principe le suivant. Les expériences de
MM. de Haas, Wiersma et Kramers (3°) et de
M. Giauque (31) ont démontré que la démagnéti-
sation adiabatique de certains sels paramagnétiques Sans doute, les difficultés d’ordre expérimental sont
donne un moyen efficace pour obtenir des tempéra- grandes. Mais je ne les considère pas comme insur-
tures ultra-basses, comme l’avaient prévu déjà montables, tout au moins pas pour une certaine frac-
M. Delaye en et, indépendamment de lui, tion du domaine de température envisagé.
Manuscrit reçu le 15 mai 1934.
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