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En quoi l’admission de la théorie de la cause complète-t-elle celle de l’objet ?

Intro : La théorie de la cause est un des quatre piliers du droit français des obligations,
probablement le plus subtile et sans aucun doute le plus compliqué à appréhender pour un
juriste étranger. Même si aucun système de droit ne se repose entièrement sur l’obligation
abstraite, c’est-à-dire sur une obligation valant par le seul consentement de son débiteur, la
notion de cause ne revêt pas toujours la même définition et des alternatives existent. La
consideration en droit du common law est la contrepartie promise par celui qui entend tirer
un droit de la promesse faite par l’autre partie et est un critère de validité du contrat. En
droit suisse la notion de cause vise le transfert patrimonial et non la validité d’un contrat ou
d’une obligation. Et même en France la théorie de la cause cause bien des soucis à ceux qui
essayent d’en saisir les subtilités ou d’en tirer un rôle pratique efficient. La notion de cause a
exercé un rôle quand elle a été simple, car seules les idées simples répondent aux besoins de
la pratique. Mais les idées simples deviennent souvent savantes et complexes et c’est à ce
moment qu’on les remet en question. Pour Domat au XVIIème siècle, la cause est abstraite,
elle est toujours la même dans les contrats de même espèce et ne se trouve pas dans les
motifs du contractants et cette analyse est maintenue durant tout le XIXème siècle. La
notion de cause illustre la pensée d’une époque où on l’on croyait que tout ce qui était
contractuel était juste. Mais Plagnol à la fin du XIXème siècle reproche à la cause son
absurdité logique (si deux évènements se produisent au même moment, l’un ne serait être
la cause de l’autre) et l’analyse classique de la cause disparait. Au XXème siècle, la cause
renaît mais a perdu son abstraction. Le contrat n’est plus une fin en soi, il doit être juste et
les tribunaux font de la cause un instrument de lutte contre les clauses abusives et les
déséquilibres contractuels et ce même en l’absence de consécration législative. Or cette
application extensive a pour certains, condamné la cause, absente de la plupart des projets
de réformes du droit des contrats européens ou français. Pourtant le droit contemporain
demande à ce qu’un engagement ne contrarie pas l’ordre social et la cause est un outil
approprié pour contrôler l’engagement et ses finalités. Mais il serait peut-être possible
d’arriver aux mêmes résultats avec des moyens différents, l’objet, le consentement, la
loyauté, la bonne foi…car la cause devenue une accumulation d’opinions et de décisions est
devenue inutilisable par les praticiens. C’est pourquoi il convient de montrer que la cause est
complémentaire à l’objet et permet une maîtrise inédite de l’équilibre du contrat de la part
du juge (I) mais que sa complexification et son incompatibilité avec les systèmes étrangers la
mettent fortement en danger (II)

Avec son article 1108, le Code Civil impose clairement 4 éléments pour qu’une convention
soit légalement formée : « Le consentement de la partie qui s'oblige ; Sa capacité de
contracter ; Un objet certain qui forme la matière de l'engagement ; Une cause licite dans
l'obligation ».

I) Une cause complémentaire à l’objet et au domaine de compétence plus


étendue

Pour éviter toute confusion, il est nécessaire de rappeler ce que sont la cause et l’objet dans
un contrat.

L’objet est ce à quoi consentent les parties. Il doit être certain et c’est lui qui forme la
matière de l’engagement.
On peut distinguer l’objet de l’obligation, il s’agit de la prestation qu’une partie s’est obligée
d’accomplir ; de l’objet du contrat, qui correspond à l’opération prise dans son ensemble.

Dans les contrats unilatéraux il n’existe qu’un objet car le contrat n’existe qu’à la charge
d’une partie. C’est par exemple le cas dans une donation. Dans un contrat synallagmatique, il
y a deux objets car le contrat est à la charge de chacune des parties.

L’objet de l’obligation revêt trois caractères :

 Déterminé ou déterminable : cette exigence ne pose pas de problème pour les «


corps certains » car ils ont une individualité propre, mais pour les choses de genre
c’est un peu plus compliqué. De la même manière c’est assez difficile de déterminer
le prix lorsqu’il s’agit de contrats qui s’échelonnent dans le temps car il faut compter
sur l’instabilité de la monnaie.
 Possible : il doit exister ou être faisable selon le type d’obligation (donner, faire/ne
pas faire). Les choses futures peuvent être l’objet d’une obligation (article 1130 du
code civil).
 Licite : article 1128 dispose que les conventions ne peuvent porter que sur des «
choses qui sont dans le commerce ». Les choses « hors commerce » sont celles qui ne
peuvent donc pas faire l’objet de convention pour des questions de moralité ou
d’ordre public. (En règle générale on retient l’exemple du corps humain). Concernant
les cessions de clientèle on accepte les cessions de clientèle commerciale car c’est un
élément du fonds de commerce. Pour les cessions de clientèle civile on les accepte de
manière détournée en admettant la validité du droit de présentation mais les
patients doivent toujours conserver une liberté de choix. (Arrêt 7 novembre 2006, 1 ère

chambre civile)

Dans l’objet du contrat, on s’intéresse à l’équilibre des prestations. C’est la question de la lésion
qui est le préjudice subi par une partie au moment de la conclusion du contrat du fait d’un
déséquilibre entre les prestations.

La cause correspond au but fixé par celui qui s’engage. Par exemple, le bailleur s’engage pour
obtenir le paiement du loyer alors que le preneur s’engage pour la jouissance de la chose louée.
Les articles 1108 et 1131 du Code Civil disposent que la cause doit être licite et que « L'obligation
sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet ».
L’article 1133 du Code Civil complète ces dispositions en précisant que « la cause est illicite
quand elle est prohibée par la loi, contraire aux bonnes mœurs ou à l’ordre public ». La
conclusion du contrat n’est pas toujours commandée par la poursuite d’un seul but. On peut
alors trouver une raison immédiate et des raisons plus lointaines. On a donc deux approches
possibles pour appréhender la cause. C’est la distinction entre la cause objective ou cause de
l’obligation, qui est identique pour chaque catégorie de contrat; et la cause subjective ou cause
du contrat qui varie au sein d’un même type de contrat. On retient les deux en leur faisant
remplir des fonctionnalités différentes. Dans l’arrêt de la 1 ère chambre civile de la Cour de
Cassation, rendu le 12 juillet 1989, la Cour admet les deux conceptions mais en l’espèce, la
cause impulsive et déterminante consistant en l’exercice d’une profession illégale était la
cause du contrat. Donc avec la cause de l’obligation on vérifie l’existence d’une contrepartie
alors qu’avec la cause du contrat on vérifier la licéité de la cause. Dans la première
conception c’est une protection individuelle alors que la seconde a une fonction de
protection sociale (on protège la société dans son ensemble).
Concernant la cause de l’obligation, abstraite :

Dans les contrats à titre gratuit il n’y a pas de contrepartie alors la cause réside dans un
élément plus subjectif, c’est l’intention libérale (intention de gratifier). Dans les contrats à
titre onéreux unilatéraux où il n’y a pas non plus de contreprestation, la cause se trouve
dans le fait qui a motivé le contrat. Par exemple pour un contrat de cautionnement ce qui a
motivé à contracter est l’existence d’une dette à garantir. La notion de cause abstraite est
sans utilité pour les contrats à titre gratuits ou les contrats réels et l’analyse de l’objet suffira
dans les deux cas à annuler le contrat. En revanche on trouve une utilité dans les contrats
unilatéraux qu’il est possible d’annuler avec la cause sans que cela soit possible avec l’objet
ou le consentement. Si quelqu’un paie une somme en se croyant débiteur d’une obligation
naturelle alors l’engagement sera nul si l’obligation n’existe pas, faute de cause.

Dans les contrats synallagmatiques, la cause réside dans la contre-prestation. Par exemple
dans la vente, la cause de l’obligation du vendeur est le paiement du prix qui est l’obligation
de l’acheteur ; alors que la cause de l’obligation de l’acheteur est la délivrance de la chose
qui est l’objet de l’obligation du vendeur. Plagnol soutenait l’illogisme de cette conception
car si deux évènements se produisent au même moment, l’un ne serait être la cause de
l’autre. Mais dans un contrat synallagmatique, puisque les deux obligations naissent
ensemble, l’obligation de l’une des parties n’a pas vraiment pour cause l’obligation de
l’autre. La cause est la considération de l’engagement pris par l’autre, aussi la cause précède
bien l’effet. Cette légère subtilité permet de redonner à la cause sa logique mais pas sa
simplicité.

On pourrait donc penser que la notion de cause fait double emploi avec celle de l’objet. Mais
en réalité la cause permet d’expliquer et d’assurer une interdépendance entre les
obligations. . S’il n’y avait pas cette interdépendance liée à la cause, l’absence d’objet d’une
obligation devrait rendre nulle cette seule obligation.

L’intérêt moral va lui se retrouver dans la cause du contrat.

La jurisprudence annule les contrats lorsque les mobiles qui ont déterminé les parties
étaient illicites ou immoraux, prouvant que l’autonomie de la volonté a pour limites l’intérêt
social et l’ordre public. La cause permet d'introduire "un surplus d'équilibre et de flexibilité"
selon Denis Mazeaud
Mais seuls les mobiles déterminants sont retenus, et ce pour garantir tout de même une
certaine stabilité au contrat. De plus la jurisprudence estime que le motif illicite déterminant
n’est la cause du contrat que s’il était connu de l’autre partie. En effet elle pourrait ne pas
pouvoir se faire restituer sa propre prestation après la nullité du contrat.

La Cour de Cassation va rechercher des solutions sur le fondement de la cause parce qu’elle
ne pourrait pas les obtenir avec l’objet. Notamment afin de contrôler la conformité avec les
bonnes mœurs et l’ordre social alors que ce n’est pas la priorité de l’objet. Exemple de la
vente d’une maison mais en fait cette maison servirait pour le trafic d’arme. En l’espèce,
l’objet existe et est licite mais pas la cause du contrat. On protège l’ordre social en annulant
la vente.

La jurisprudence a donné d’autres utilisations à la cause ces dernières années :


C'est au nom de la cause que la Cour de cassation a réputé non écrite une clause limitative
de responsabilité au motif qu'elle privait le contrat de sa substance ou de sa cohérence,
relevant que la société Chronopost s'était engagée à livrer dans un délai déterminé et qu'en
raison du manquement à cette obligation essentielle, la clause limitative de responsabilité
du contrat, qui contredisait la portée de l'engagement pris, devait être réputée non écrite »
M. Delebecque, considère que les failles de la notion d'objet du contrat « dévoile que seul le
concept de la cause est capable de regrouper en totalité les idées que renferme le nom
générique d'obligation essentielle et de donner ainsi la compréhension de cette notion ».
L’arrivée de nouvelles obligations dans le champ contractuel comme par exemple
l’obligation de sécurité tend à étendre la notion d'objet du contrat, ce qui fait qu'on ne peut
plus se fier complètement à cette notion comme fondement de l'obligation essentielle.

La cause a permis d'assurer une sanction du caractère excessif des obligations de l'une des
parties eu égard à celles des autres parties. La Cour de cassation dans un arrêt de la
Chambre commerciale du 8 février 2005 a approuvé l'anéantissement d'un contrat
d'approvisionnement exclusif, pour absence de cause au motif que l'avantage procuré au
fournisseur en contrepartie de l'engagement d'exclusivité était dérisoire. Ici on subjectivise
la cause objective.

Cette jurisprudence illustre bien le fait que le juge s’est saisi de la cause comme gage de la
liberté contractuelle. Mais certains pensent qu’il va trop loin et la cause ne rencontre plus le
succès doctrinale qui la soutenait au long du XXème siècle.

Limites de son utilisation + critiques

Henri Capitant voulait que l’interdépendance des obligations existe également au cours de
l’exécution : si l’une des obligations n’est pas exécutée, l’autre n’a pas à l’être car elle n’a
plus de cause. C’est peut-être aller trop loin car la cause n’est qu’un élément de formation
du contrat. La cause n’a aucun rôle à jouer dans l’exécution des contrats synallagmatiques
et pourtant la Cour de cassation va en juger autrement et permettre à la cause d'imposer le
maintien de l'équilibre initial du contrat tout au long de son exécution.

Un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 29 juin 2010


semble, bien que la portée de la solution ait pu être discutée aller en ce sens. Dans cette
affaire, une société d'exploitation de chauffage avait conclu pour une durée de douze ans, un
contrat de maintenance avec une société portant sur deux moteurs d'une centrale
moyennant le paiement d'une redevance forfaitaire annuelle. Mais en cours d'exécution du
contrat, une évolution des circonstances économiques avait placé la société de maintenance
dans une situation difficile vu l'augmentation du prix des pièces de rechange. La Cour de
cassation décide d’utiliser la cause afin de vérifier si l’évolution des prix n’a pas privé de
toute contrepartie réelle l’engagement souscrit par la société de maintenance. (« qu'en
statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si l'évolution des circonstances
économiques et notamment l'augmentation du coût des matières premières et des métaux
depuis 2006 et leur incidence sur celui des pièces de rechange, n'avait pas eu pour effet,
compte tenu du montant de la redevance payée par la société [de chauffage], de
déséquilibrer l'économie générale du contrat tel que voulu par les parties lors de sa signature
en décembre 1998 et de priver de toute contrepartie réelle l'engagement souscrit par la
société S., ce qui était de nature à rendre sérieusement contestable l'obligation dont la
société [de chauffage] sollicitait l'exécution, la cour d'appel a privé sa décision de base
légale »)

Mais en comblant les lacunes, le juge crée un droit peu stable et difficilement lisible. Le droit
français des contrats, devenu droit doctrinal, ne peut se maintenir tel quel à l’heure d’une
concurrence internationale accrue entre les droits. « Propositions » et autres « avant-
projets » de réforme du droit des obligations se succèdent. Le projet dit « Catala » opte pour
son maintien, au point de lui consacrer davantage d’articles encore que le code civil actuel.

A contrario, l’avant-projet dit « Terré » propose sa suppression. La Chancellerie se perd un


temps sur la notion d’intérêt qui pour beaucoup ne présente ni intérêt pratique ni légitimité
historique. Voici maintenant que le projet actuel opine à nouveau pour la suppression de la
cause. Mais la cause a ses raisons et ses utilités qu’il convient de conserver : l’abandon de la
cause ne signifie pas l’abandon général des acquis jurisprudentiels qui lui sont attachés :
c’est le but poursuivi par les contractants qui permet de jauger la licéité et la moralité de
l’acte et en tant que cause de l’obligation elle permet de vérifier l’existence, voire
l’équivalence d’une contrepartie dans les contrats synallagmatiques. Enfin elle paraît à
l’origine d’une indéfinissable obligation essentielle détruisant des clauses pourtant
valablement stipulées.

Cela met en avant la justice contractuelle certes, mais la liberté contractuelle en subit les
conséquences. Le contrat qui devrait être la loi des parties risque de devenir la loi du juge.

Par ailleurs, au regard de sa proximité avec la théorie de l’objet, d’autres systèmes juridques
ne les distinguent pas et les rapprochent en une seule et même notion, c’est par exemple le
cas des droits allemand, suisse ou polonais. On parvient à la même solution mais en ayant
recours à d’autres éléments. Dans le cas où l’objet d’une obligation disparait mais que
l’autre obligation subsiste, le droit allemand passe par un mécanisme extracontractuel
notamment en prouvant qu’il y a un enrichissement sans cause. Ainsi la recherche de la
cause de l’obligation n’est que pure technique juridique.

La Cour de Cassation aussi semble prendre ses distances par rapport à une cause trop
subjective. D’abord dans un premier arrêt du 9 juin 2009 (Cass Com) dans lequel les faits
étaient très comparables à ceux qui avaient donné lieu à l'arrêt point club vidéo du 3 juillet
1996, la cour d'appel a relevé qu'en raison des circonstances, "le produit attendu des
locations ne pouvait en aucun cas permettre d'assurer l'équilibre financier de l'opération", et
décide ainsi que "le contrat, en l'absence de contrepartie réelle pour l'association, ne
pouvait être exécuté selon l'économie voulue par les parties". Or, la Chambre commerciale
casse cette décision, sous le visa de l'article 1131 du Code civil au motif "qu'en statuant ainsi,
alors que la cause de l'obligation d'une partie à un contrat synallagmatique réside dans
l'obligation contractée par l'autre, [elle] a violé le texte susvisé". Elle identifie à nouveau la
cause dans l’existence d’une contrepartie objective et est moins regardante sur la notion
d’équilibre du contrat. La cours revient plus récemment sur l’utilisation de la cause à travers
l’exécution du contrat, dans un arrêt du 18 mars 2014 (Cass Com) où elle affirme que la
cause de l'obligation constituant une condition de la formation du contrat, la cour d'appel,
appréciant souverainement la volonté des parties, a considéré que celle-ci résidait dans la
mise à disposition de la marque et non dans la rentabilité du contrat " Et même si elle ne fait
que défendre le pouvoir souverain des juges du fond, la cour cherche sans doute à calmer les
critiques d’une cause toute-puissante.

Car quatre projets de droit des contrats ne retiennent pas la cause : le projet de code
européen des obligations ou projet Gandolfi, les principes européens du droit des contrats
établis par la commission Lando, les Principes directeurs du droit des contrats ainsi que les
principes d’UNIDROIT. Ils préfèrent le mécanisme de la « lésion qualifiée ». La lésion
qualifiée permet le rééquilibrage du contrat en cas de disproportion évidente entre les
prestations si cette disproportion a été déterminée par l’exploitation de la gêne, de la
légèreté, de l’inexpérience de l’une des parties par l’autre. La lésion qualifiée ne propose
qu’un rééquilibrage des contrats en faveur du plus faible tandis que la cause assure
l’accomplissement de son intérêt pour tout contractant.

Mais défendre la cause n’est peut-être pas une cause perdue et le professeur Aynes écrit
que l’histoire de la cause est faite d’analyses qui se fondent en synthèses, lesquelles se
dégradent ensuite en analyses et que son évolution recommence ensuite en un éternel
retour.

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