La revue de l’AE-EPS Association pour l’Enseignement de l’Education Physique et Sportive

Enseigner l’EPS N• 292 I Septembre 2023

Notre métier
Passé, présent et futur
de la praxéologie motrice
A la rencontre d’Alain Donnat

Enseignement
scolaire
Pour une appropriation
du thème d’entraînement
S’échauffer :
« Rendez-vous dans 25 minutes »
« Comme des flèches » :
s’engager et coopérer
en arcathlon
Plaidoyer pour une culture
du « lancer loin » en athlétisme
Courte réflexion autour des
combinaisons d’activités

Histoire
6 personnalités centrales
dans l’histoire
de notre discipline

www.aeeps.org
 Edito

Une rentrée sur les chapeaux de roue !

Nous espérons que les vacances furent bonnes et que vos
batteries sont bien chargées !
En effet, les régionales lancent leurs premières actions et nous
vous donnons rendez-vous à POITIERS les 21 et 22 octobre 2023
pour notre prochaine Biennale !
L’occasion sera donnée, encore une fois, de mettre en lumière ce
qui fait sens pour nous tous, à savoir l’éducation physique de tous
les élèves, au travers d’un concept : « L’expérience corporelle »,
envisagée bien plus qu’un simple contexte de mise à l’épreuve
du corps. En effet, quoi de plus important que de réfléchir sur ce
que vivent, ressentent les élèves au cours des leçons, ou ce que
souhaitent leur faire vivre les collègues pour qu’ils apprennent !
Lors de cette Biennale, nous aurons la possibilité d’envisager les
différentes significations de la thématique suivant 4 axes ; enjeux
et finalités de l’école, interprétation des conduites motrices,
contenus d’enseignement et progrès moteurs, évaluation.
Comme les années précédentes, vous aurez le plaisir de retrouver
4 conférenciers (C. SEVE, G. BUI-XUAN, B. HUET, J. GAILLARD),
N. GAL-PETITFAUX en grand témoin et une cinquantaine d’interve-
nants qui ont répondu à notre appel à communication ; venant de
l’ensemble du territoire, un certain nombre d’entre eux sont issus
de nos Groupes Ressources. Mais cette année, vous trouverez en
plus, des ateliers pratiques et des interventions illustrant des
liens, des ponts entre nos Groupes Ressources !
Bref, inscrivez-vous vite sur http://biennale.aeeps.org/ pour ne
rien manquer de cet évènement !
D’ici là, il nous faudra encore et toujours être vigilants et force de
proposition.
Les signaux d’alarme sur « l’état physique alarmant de nos jeunes »,
sur « le manque d’activité physique à l’École » oublient systémati-
quement (volontairement ?!) la discipline E.P.S. !
De même, les dispositifs « 2h de sport » ou « 30 minutes par
jour » restent des annonces qui entretiennent (volontairement ?!)
les confusions entre « activité physique », « sport », « éducation
physique ».
Enfin, les interventions prévues (« ambassadeurs », « champions »,
« animateurs », « entraîneurs ») omettent toujours (volontai-
rement ?!) la place et le travail de lu professeur !
L’A.E.E.P.S., à travers les différentes actions prévues dans nos
régions, la Biennale, les prochaines publications contribuera
encore et toujours à alimenter les débats et participer à cette
promotion de l’E.P.S. ; seule discipline scolaire où l’élève est
« physiquement éduqué » !
Plus que jamais, rejoignez-nous en adhérant à l’A.E.E.P.S. pour,
ensemble, construire une E.P.S. de qualité !
Pour la présidence de l’AE-EPS,
Fabrice Paindavoine

Enseigner l’EPS N• 292 I Septembre 2023 ENSEIGNER L’EPS est une publication trimestrielle.
Editeur : AE-EPS - 4, avenue de la Pelouse - 94160 SAINT-MANDÉ
Directeur de la publication : Fabrice PAINDAVOINE
Dépôt légal : 3ème trimestre 2023 - ISBN : 978-2-902568-66-6
13 rue François Liénart - 59272 DON - fabrice.paindavoine@aeeps.org
Pour toute demande d’abonnement ou d’expédition, s’adresser à :
Coordination
Fabrice PAINDAVOINE - fabrice.paindavoine@aeeps.org
Jean-Baptiste CHIAMA - jean-baptiste.chiama@aeeps.org Eric LEGAT - eric-legat@aeeps.org
262 l'Hépital - 24270 ANGOISSE - 06 72 89 29 37 54 rue des Docteurs Charcot - 42100 SAINT-ETIENNE Abonnement 1 an (4 numéros) : Individuel 40 € - Etablissement 80 €
06 50 02 04 36
Le numéro : 11 €
Philippe GAGNAIRE : philippe.gagnaire@aeeps.org
Pour toute observation concernant ENSEIGNER L’EPS, s’adresser au directeur de la
95 avenue de Lempdes - 63800 COURNON - 06 70 58 62 48
publication. L’Association des Enseignants d’EPS, association Loi 1901, a été créée en
Co-rédaction 1936 par les Anciens Elèves de l’Ecole Normale Supérieure d’Education Physique. Elle est
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- Magali BOIZUMAULT : magali.boizumault@aeeps.org - Pascal SIBE : pascal.sibe@aeeps.org et valable pour notre structure nationale mais aussi pour toutes nos régionales.
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- Alain LEMOINE : alain.lemoine@aeeps.org
Rue de la Maladrie - 22960 PLÉDRAN
 Le mot de la rédaction 1

Sommaire
Repartir pour une année enrichissante
Notre métier Nous espérons tout d’abord que vous avez toutes et tous passé un bel été. Ce nouveau numéro
de notre revue vous parvient alors que vous êtes dans la première phase d’une année scolaire
Passé, présent et futur et universitaire que nous vous souhaitons riche et intense, jalonnée de temps forts comme
de la praxéologie motrice le sera la 5ème biennale de notre association, à Poitiers les 20 et 21 octobre prochain.
Pierre PARLEBAS ............................................................ 2 Nous avons essayé de préparer un sommaire qui, de par sa diversité, les sujets abordés, pourra
également contribuer à un enrichissement pratique et réflexif.
A la rencontre d’Alain Donnat
Jean-Baptiste CHIAMA, Philippe GAGNAIRE ....................7 Il s’ouvre sur un texte que nous a proposé Pierre Parlebas dans lequel, tout en en reprenant les
fondements et les développements, il aborde la praxéologie motrice dans une visée prospective.
Cet éclairage, présenté par un acteur majeur de notre profession, est de nature à intéresser toutes
Enseignement scolaire celles et ceux pour qui l’identité de notre discipline est une question centrale.
L’article qui suit présente et analyse le second verbatim 1 que nous avons élaboré en échangeant
Pour une appropriation du thème longuement avec Alain Donnat à propos de son parcours et de ses convictions d’enseignant d’EPS.
d’entraînement, ouvrir à des modalités Comme pour le premier opus consacré à Alain Hébrard, nous avons fait le choix de revenir sur un
de pratiques variées certain nombre des points échangés afin d’en proposer une réflexion questionnante, qui pourra
Anne DEGIRONDE ........................................................... 11 faire écho chez nos lecteurs.
Anne Degironde nous expose, enrichies par un contexte après COVID, de nouvelles modalités
S’échauffer : de pratique en Lycée concernant le champ d’apprentissage 5. Cette démarche pédagogique en
« Rendez-vous dans 25 minutes » Terminale vise la recherche d’une santé mentale et physique afin d’ouvrir ce dernier vécu en EPS
Jérôme MARGALEJO, Laurent LECOMTE ........................17 à des pratiques futures.
« Comme des flèches » : Jérôme Margajelo et Laurent Lecomte font une proposition à propos d’une partie non négligeable
s’engager et coopérer en arcathlon de la séance d’Education Physique et Sportive, l’échauffement. Il s’agit de lui accorder vraiment la
place qui lui revient en termes de temps mais surtout d’ambition par rapport aux apprentissages
Sébastien CHANE-LAP, Martin ROUSSET .......................21 des élèves. La lecture de cet article incitera sans doute les lecteurs à réfléchir ensemble à cette
Plaidoyer pour une culture thématique au sein des équipes d’établissement.
du « lancer loin » en athlétisme Les trois articles qui suivent ont fait l’objet d’une approche spécifique et combinée. Sébastien
Teddy MAYEKO ..............................................................28 Chane-Lap et Martin Rousset présentent en effet, dans un article très complet, une articulation
particulière, entre une activité de demi-fond et un lancer de précision, le tir à l’arc. Nous savons
Courte réflexion autour des que le principe même de ce type d’articulation fait débat et nous en avons la preuve immédia-
combinaisons d’activités dans le cadre tement après puisque Teddy Mayeko nous a fait parvenir à peu près à la même époque, un texte
du champ d’apprentissage 1 dont le titre résume bien la pensée « plaidoyer pour une culture du lancer loin en athlétisme ». Il y
présente de façon claire et précise les arguments plaidant en faveur d’un strict recours aux lancers
Jean-Baptiste CHIAMA, Philippe GAGNAIRE .................33 athlétiques dans le cadre de la combinaison d’activités permettant de travailler les attendus du
champ d’apprentissage 1.
Histoire La réception de ces deux projets nous a donné l’idée de proposer aux auteurs un temps d’échange
en visio sur le sujet ; le court texte qui suit ces deux articles en est la synthèse. Une nouvelle
6 personnalités centrales occasion pour une réflexion en équipe.
dans l’histoire de notre discipline Pour clore ce numéro, nous avons eu le plaisir de travailler avec Laurent Grün sur l’idée d’une
Laurent GRÜN - Contributeurs : Thomas Bauer, courte mais précise présentation de six personnalités dont le parcours jalonne l’histoire de notre
Benoît Caritey, Jean-Jacques Dupaux, discipline. Laurent a réuni autour de lui une équipe de spécialistes qui nous apporte les clefs pour
Doriane Gomet, Willy Hugedet, Yvon Morizur, comprendre leur influence dans l’histoire de notre discipline. Les 6 noms n’ont pas été choisis au
Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, Jean Saint-Martin, hasard, ce sont ceux qui sont cités dans le programme de l’agrégation, mais au-delà, nous pensons
que tous les lecteurs trouveront dans cette lecture un intérêt certain.
Loïc Szerdahelyi ..........................................................34
Bonne lecture.
Jean-Baptiste Chiama, Philippe Gagnaire, Eric Legat
Pour proposer des articles
dans la revue « Enseigner l’EPS » :
contact : comite.redaction@aeeps.org

Numéro téléchargeable
gratuitement pour 1) A retrouver sur le site de l’association.

les adhérents sur revue.aeeps.org

2 Notre métier
Mots clés : action motrice - non-sport - logique interne - carte d’identité praxique - domaine d’action - sémiotricité

Pierre PARLEBAS, ancien élève de l’ENSEP, professeur d’éducation physique, professeur des Universités en sociologie,
doyen honoraire de la faculté des sciences humaines et sociales, Sorbonne - Paris-Cité

Passé, présent et futur de la praxéologie motrice

La connaissance des pratiques corporelles a été longtemps dépendante de théories qui relevaient de croyances non
validées. En opposition à ces courants étroitement liés aux techniques bio-mécaniques d’exécution, une conception inédite
explicitement soumise aux contraintes classiques de la recherche scientifique a été proposée il y a une cinquantaine
d’années.
Ce fut la naissance de la praxéologie motrice ancrée sur un objet pertinent, l’action motrice, objet qui dote cette discipline
de la spécificité indispensable tout en lui accordant son identité fondatrice. Cette science de l’action motrice s’est
développée grâce aux travaux de nombreux chercheurs de nationalités multiples. Elle a mis en évidence l’influence des
activités motrices sur les dimensions affective, cognitive et relationnelle de la personnalité des pratiquants. Elle a souligné
le modelage ethnomoteur provoqué par l’environnement culturel, et le rôle massif d’une sémiotique de la motricité qui est
à la racine des conduites motrices de tout sportif comme de chaque personne tout au long de son existence.
La praxéologie motrice est actuellement en plein développement, et les pistes qu’elle a ouvertes vont à coup sûr dévoiler
de nouveaux paysages.

La guerre des méthodes

C’est une avalanche de méthodes disparates d’édu-
cation physique qui s’est abattue sur les adeptes
des pratiques corporelles au cours des derniers
siècles. Les options militaires, médicales, scolaires
s’y sont succédées et entrecroisées avec surabon-
dance. Ces conceptions mettaient en avant des
finalités nobles et généreuses, mais exposaient
des procédures d’intervention inadaptées, peu
favorables à l’atteinte des objectifs déclarés. L’édu-
cation physique était le rendez-vous d’idéologies
diverses et d’intentions admirables liées à la santé
et à une socialisation réussie, mais elle s’appuyait
sur des conceptions hétéroclites et contradictoires.
Au cours du XXème siècle, l’éducation physique a été
plongée dans une crise notoire, ainsi que l’a magis-
tralement démontré Bertrand DURING en analysant
avec finesse cette « crise des pédagogies corpo-
relles ». Une telle brutale incohérence théorique
déniait toute unité de conception et transformait
l’éducation physique en un polypier de techniques.
Cette dispersion nuisible était accompagnée par
de réels efforts de réflexion et de mise en œuvre
pédagogique, mais ceux-ci butaient sur d’évidentes
insuffisances théoriques, sur des crispations philo-
sophiques ou politiques.
Cette époque a été le théâtre de ce qui a été appelé
la « guerre des méthodes ». Schématiquement,
trois grands courants ont dominé le débat : une
gymnastique de la posture, une gymnastique de la
nature et une gymnastique de la culture. La gymnas-
tique de la posture, sous le nom de gymnastique
de maintien, de gymnastique construite ou de
gymnastique suédoise, se plaçant dans la lignée
des travaux du professeur suédois Henrick Ling,
s’appuyait essentiellement sur des données
anatomo-physiologiques.
A l’opposé, la gymnastique de la nature, de type
global, créée par le lieutenant de vaisseau Georges
Hébert, cherchait à « retrouver les gestes naturels à
notre espèce » afin de « remplacer, disait-il, l’instinct
et le besoin, ces guides si sûrs du primitif ».
Quant à la gymnastique de la culture, elle se
prétendait l’expression des attentes sportives de la
population. Parfois certains courants étaient consi-
dérés comme des « gymnastiques de formation »,
parfois comme des « gymnastiques d’application ».
Finalement, cette guerre des méthodes a débouché
sur ce qui a été nommé « l’éclectisme » qui consistait
à accepter le recours à ces trois méthodes hétéro-
gènes dans une même séance ou dans des séances
séparées.

Des tentatives de rénovation

Cependant au cours des années 50 et 60 du siècle
passé, de nouvelles orientations surgirent et
s’imposèrent peu à peu. Les adeptes de la danse et
de l’expression corporelle mirent en avant l’apport
capital de la valeur symbolique des gestes et des
mouvements. La mise en jeu du corps subjectif
devint une production émotive liée au désir de
signification gestuelle. Le mouvement n’est plus
seulement une mécanique, il devient une symbo-
lique, il s’oppose radicalement aux techniques des
courants éclectiques.
Dans le flux de ces prises de position dissidentes,
s’imposa peu à peu le courant dit de la « psychomo-
tricité ». Née timidement au début du siècle de la
sphère de la psychopathologie, cette perspective
mettait en avant des relations fondamentales entre
les troubles ou les réussites des mouvements et les

Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023


caractéristiques globales cognitives et affectives
des pratiquants. C’est à coup sûr Jean Le Boulch
qui a été le représentant le plus productif et le plus
brillant de cette orientation qu’il marqua de ses
apports originaux.
Cependant, les données qui lui permirent d’affirmer
son originalité furent aussi celles qui l’enraci-
nèrent dans son échec final. En créant la « méthode
psycho-cinétique » en référence à une « science
du mouvement humain », le docteur en médecine
Jean Le Boulch s’inféoda, à son corps défendant,
à une conception bel et bien bio-mécanisante de
Le choix d’une pertinence identitaire
Une discipline s’édifie en respectant le principe
de pertinence qui définit ce qui la caractérise en
propre. Quel point de vue spécifique la praxéologie
va-t-elle adopter à l’égard des activités physiques ?
Ce cadrage va définir un « objet » qui n’est pas une
donnée d’observation brute mais une construction
abstraite, qui sera le référent sur lequel se projet-
teront toutes les manifestations motrices. Ainsi que
l’affirme le linguiste Ferdinand de Saussure, « bien
loin que l’objet précède le point de vue, on dirait
que c’est le point de vue qui crée l’objet ». L’acte de
naissance d’un courant scientifique correspond
L’action motrice au centre de la démarche
Toute science se définit par un acte arbitraire, ou
tout au moins arbitral, par lequel elle se construit
un objet. La discipline la plus rationnelle, les mathé-
matiques, sont bâties sur des postulats posés à
l’origine, postulats qu’Euclide a proposés a priori.
La linguistique elle-même n’a trouvé son véritable
essor qu’en s’évadant de l’observation phonétique
stricte au profit de la construction d’un objet
phonologique reposant sur des abstractions : les
monèmes et les phonèmes.
Se prémunir contre l’annexion
Depuis peu, les différentes disciplines scientifiques
ont montré un réel intérêt vis-à-vis du sport et des
activités physiques. Chacune de ces disciplines
présente des choses souvent très intéressantes
sur ce sujet ; faudrait-il en conclure que l’on aura une
compréhension lucide des pratiques motrices en se
contentant d’additionner les apports respectifs de
ces recherches disparates ?
De façon complémentaire, il importe de refuser
les tentatives impérialistes de certains courants.
Prenons l’exemple prestigieux des neurosciences
actuelles. Lorsque l’éminent neurophysiologiste
Alain BERTHOZ écrit, en 2003 : « les émotions jouent
un rôle décisif dans plusieurs des mécanismes de la
la motricité. A ce titre, Jean Le Boulch apparaît,
non comme au début d’un courant résolument
scientifique de l’éducation physique, mais comme
le dernier représentant, certes remarquable, de
la lignée séculaire des « Méthodes » d’éducation
physique.
Cette effervescence-psychomotrice et psycho-ci-
nétique a redistribué les cartes ; elle rompit le
sectarisme des méthodes et suscita des réflexions
fort fécondes qui renouvelèrent les analyses
relatives à la mise en jeu du corps, en rapport par
exemple à la notion de schéma corporel. Cependant,
ainsi à l’identification d’un objet spécifique, c’est-
à-dire d’une pertinence qui le différencie des autres.
De nombreuses sciences traitent des activités
physiques, mais elles le font selon leur propre perti-
nence car elles ont toutes leur objet particulier.
C’est ici que surgit la « tache aveugle » de la réflexion
sur l’éducation physique.
Les théories dominantes actuelles de l’édu-
cation physique s’appuient sur une « science du
mouvement », revendiquée d’ailleurs par Jean
Le Boulch et par de nombreux auteurs des siècles
passés. Quand, en 1857, N. Dally écrit un volumineux
En choisissant l’objet « action motrice », la praxéo-
logie conquiert sa spécificité et s’octroie son
identité ; elle assure ainsi son unité car cet objet
devient le dénominateur commun de toutes
les pratiques physiques, du saut en hauteur à
la natation, en passant par le basket ou le jeu
de Barres.
Enfin, ce choix autorise une scientificité de bon
aloi favorisant des recherches expérimentales et
décision », et que « l’émotion serait la clé de cette
capacité », on ne peut oublier que « l’affectivité clef
des conduites motrices » est le titre d’un article de la
praxéologie motrice, publié en 1970, soit trente ans
auparavant ! De même le rôle de la décision motrice,
de l’incertitude informationnelle et de l’évaluation
subjective des probabilités a été le fer de lance de la
compréhension praxéologique et de la classification
des situations motrices. Bien avant les publications
des neurosciences.
Sous l’angle strict de l’action motrice – et non de
la circuiterie nerveuse et des plans de câblages –
nous considérons que les neurosciences ne sont
pas un lieu de découvertes nouvelles, mais une
3
à aucun moment, les tenants de ces concep-
tions n’ont abordé le problème épistémologique
de fond en l’absence duquel l’éducation physique
serait condamnée à piétiner éternellement. L’édu-
cation physique peut-elle être fondée sur un objet
propre qui lui conférerait son identité ? Ou est-elle
condamnée à se mettre servilement dans le
sillage ancillaire des disciplines classiques déjà
en place, telles la physiologie, la sociologie ou les
neurosciences ?
ouvrage de 800 pages, intitulé « cinésiologie ou
science du mouvement », son propos correspond aux
connaissances de son époque. Deux siècles après,
les savoirs ont considérablement changé. Une telle
orientation, aujourd’hui semble particulièrement
désuète ; elle correspond à des connaissances
du 19ème siècle qui méconnaissait évidemment les
potentialités des sciences humaines et sociales.
Un siècle et demi plus tard, cette position, fondée
sur le concept de mouvement qui inféode l’édu-
cation physique aux disciplines classiques, apparaît
balourde et en étrange porte-à-faux.
cliniques. Dans une telle démarche, les caractéris-
tiques physiologiques, sociales et culturelles, sont
partie constitutive de l’action motrice et ne sont
donc pas imposées abusivement de l’extérieur
comme c’est le cas quand on parle du « mouvement »,
concept de la physique et de la mécanique.
confirmation des analyses psychosociologiques,
notamment de la praxéologie motrice. Il est bien
là une menace de phagocytose évoquée par
le Président de l’Association Internationale de
Psychologie, Paul FRAISSE quand il constate que
« l’expansionnisme des neurosciences inquiète les
psychologues qui redoutent une annexion pure et
simple des sciences humaines par ces disciplines
et la perte de leur identité ». Il ne s’agit évidemment
pas de contester les remarquables travaux des
neurosciences mais de refuser leur tentative
hégémonique, par abus de position dominante.
4 Notre métier
Education physique et praxéologie motrice
Résumons rapidement notre propos. La praxéo-
logie motrice est fondée sur un objet spécifique
qui lui accorde son identité : l’action motrice. Cette
science se confond-elle avec l’éducation physique ?
Celle-ci est-elle une science ? Notre réponse
sera résolument négative. L’éducation physique
n’est pas, et ne peut être une science ; elle ne se
confond aucunement avec la praxéologie. C’est une
pédagogie des conduites motrices, c’est-à-dire une
discipline qui recherche une influence normative
en intervenant concrètement sur les conduites
motrices des participants.
Un demi-siècle de recherches internationales
C’est en 1967, il y a plus d’un demi-siècle, que nous
avons présenté ce point de vue de façon explicite,
dans une série d’articles parus dans la revue
« Education physique et sport » sous le titre « L’édu-
cation physique en miettes ». Ces articles de fond
proposaient un changement de paradigme. C’était
une nouvelle façon de considérer la mise en jeu du
corps, tant dans ses racines que dans ses prolon-
gements en de multiples champs d’actualisation :
le loisir, l’éducation, le sport de haut niveau, le milieu
du handicap. L’accueil des publics fut parfois
houleux, tant cette conception novatrice rompait
avec les attitudes traditionnelles. Il est à remarquer
que les auteurs espagnols ont été parmi les tout
premiers à réagir de façon positive et à s’emparer
de la problématique ainsi posée. S’y illustrèrent
notamment les Iles Canaries sous l’impulsion de José
Hernandez Moreno, ainsi que de multiples auteurs
de la péninsule ibérique, tels Alfredo Larraz, Paco
Lagardera, Pere Lavega, Joseba Etxebeste ou Raul
Martinez parmi beaucoup d’autres.
C’est toute une pléiade de hardis pionniers qui
adoptèrent le point de vue praxéologique, pionniers
issus d’horizons variés : du continent européen
(Espagne, Italie, Suisse, France...), du continent
Sport et non-sport
La praxéologie motrice a bouleversé la façon
d’envisager, de décrire et d’analyser les pratiques
motrices. D’entrée de jeu, elle a souhaité préciser le
sens des mots afin de bien savoir de quoi l’on parle.
Le terme « sport » par exemple, qui est censé être
au centre de ce type de la réflexion, a été mis sur la
sellette. Est-ce la chevalerie des temps modernes,
est-ce une passion, une religion ? Sont-ce des
finales olympiques, des séances de jogging dans un
sous-bois ou quelques brasses au bord de la plage ?
Le terme « sport », outrageusement polysémique,
jette la confusion et entretient des polémiques
inépuisables.
Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023
L’éducation physique ne se veut pas neutre comme
la praxéologie ; elle est au service de valeurs
éducatives, morales ou politiques (par exemple
l’égalité homme / femme, l’émancipation ou la
stricte obéissance de l’enfant, la valorisation de
la rivalité ou de la solidarité...) Mais les rapports
entre ces deux disciplines sont très étroits, d’une
part dans la mesure où l’éducation physique offre
un champ d’épanouissement inépuisable aux
pratiques motrices, et d’autre part, en retour,
dans la mesure où la praxéologie tente de mettre
à découvert les mécanismes de fonctionnement,
africain (Sénégal, Mali, Burkina Faso, Congo, Tunisie,
Algérie...) ou de l’Amérique latine (Argentine, Brésil,
Mexique, Uruguay...).
Des laboratoires de praxéologie motrice ont été
créés et des dizaines de thèses universitaires
correspondantes ont été soutenues avec succès.
Tout ce travail de fond a été accompagné d’une
multitude de recherches de terrain, d’enquêtes,
d’articles et d’ouvrages scientifiques réalisés dans
des pays différents. Il s’ensuit qu’aujourd’hui, on
peut considérer que la praxéologie motrice a atteint
et dépassé la « masse critique » qui consacre la
validité et la reconnaissance de cette discipline.
La praxéologie motrice est une réponse à la crise
des pédagogies corporelles si bien analysée par
Bertrand During. Ainsi que le développe l’historien
des sciences Thomas KUHN « les crises sont une
condition préalable et nécessaire de l’apparition
de nouvelles théories ». Pour mieux comprendre
l’ensemble des activités physiques, il est néces-
saire de répondre à cette crise par une rupture
franche avec les conceptions dominantes.
Il convient d’abandonner l’idée naïve et fortement
répandue selon laquelle les théories scientifiques
Plus sobrement, la praxéologie propose une
définition en termes opérationnels : le sport se
définit par la présence conjointe, nécessaire
et suffisante, de quatre critères : une situation
motrice, des règles, une compétition et une institu-
tionnalisation. Dans cette perspective, le sport est
donc l’ensemble des situations motrices codifiées
sous forme de compétitions, et institutionnalisées
sur le plan mondial. Toutes les autres activités
motrices : les jeux traditionnels, les jeux de rue, les
quasi-sports et les quasi-jeux sont du non-sport.
C’est l’un des apports de la praxéologie motrice
que d’avoir montré que le non-sport n’avait pas
pour simple rôle d’être préparatoire au sport mais
de transfert et d’influence, liés aux différents types
de situation motrice. Nous parlerons de préférence
de « conduite » à propos de l’éducation physique car
celle-ci s’adresse électivement à des personnes,
qu’elles agissent en isolé ou en groupe. Cependant,
toute conduite motrice est une modalité particu-
lière du concept générique « action motrice » qui
recouvre aussi bien les manifestations individuelles
que collectives. Et cette conduite se concrétise par
des comportements observables qui témoignent
systématiquement de la compétence motrice de la
personne agissante.
progressent en avançant à petit pas, par petites
touches cumulatives. L’ampoule électrique n’est pas
née du perfectionnement progressif de la bougie !
« Il faut parfois susciter, affirme Thomas KUHN, une
véritable révolution scientifique » qui entraîne le
« rejet » des idées en cours, allant jusqu’à, écrit-il,
des « changements destructeurs ». La conception
praxéologique s’appuie sur une nouvelle vision
de la personne qui se meut et agit au sein de son
environnement. Elle dénonce les préjugés qui
relèguent les activités physiques dans une relative
insignifiance ; elle montre comment les jeux et
les sports mettent en scène les compétences
les plus nobles de la personnalité, compétences
biologiques, cognitives, émotives, relationnelles et
décisionnelles. Cette immense influence s’exerce
durant tous les parcours de vie de chaque individu,
dès sa naissance et jusqu’à sa disparition. Dans cet
arrière-fond incessant d’actions motrices qui se
déroulent au cours de la vie de l’individu, ce sont
les activités ludiques et sportives qui se taillent la
part du lion. Ce sont celles que nous examinons ici.
Essayons de faire le point de façon rapide ; peut-on
présenter aujourd’hui le cadrage de cette nouvelle
discipline et quelques-uns de ses apports ?
qu’il déclenchait de riches effets éducatifs très
différents de ceux du sport. L’analyse praxique
a révélé que le sport n’a retenu que les pratiques
compétitives qui favorisent la performance et la
mise en lumière de la domination des vainqueurs
dans le cadre de la spectacularité la plus exacerbée
possible. Ces exigences affectent en profondeur le
fonctionnement de ces pratiques et exercent une
influence très orientée, et parfois très discutable
sur les comportements des participants.
La praxéologie motrice s’est ainsi donnée pour tâche
d’analyser tous les sports et toutes les pratiques de
non-sport, afin d’en découvrir les mécanismes de
fonctionnement et leur influence la plus probable

sur les conduites des personnes agissantes. C’est
cette interaction entre l’objectivité du jeu et la
subjectivité du joueur qui est au centre de cette
La carte d’identité praxique de chaque activité
liée à son domaine d’action
Le praxéologue a résolument abandonné les critères
habituels et a retenu quatre traits objectifs et
observables qui caractérisent de façon pertinente
l’action motrice engagée par chaque jeu et chaque
sport : le rapport du pratiquant à l’espace, aux
objets, au temps et aux autres intervenants. Chaque
pratique va être dotée d’une « carte d’identité
praxique » ainsi caractérisée. Ces quatre traits
définissent la « logique interne » de chaque activité
qui est engendrée par la règle du jeu. Ces traits de
logique interne, qui sont au cœur de l’action motrice
de chaque pratiquant sont à l’origine de l’inter-
vention décisive d’un facteur abstrait : l’incertitude
informationnelle liée à l’interaction du pratiquant
avec son entourage. Le terrain de pratique est-il
stable et prévisible ? les autres intervenants
éventuels sont-ils des partenaires transparents
ou des adversaires opaques ? Les traits de logique
interne et la nature de cette incertitude sont fort
variables et vont déterminer le « noyau dur » de
chaque spécialité. C’est là qu’interviennent la
séparation cruciale entre d’une part, les situations
sociomotrices enclenchées par la communication
solidaire ou hostile liant les pratiquants, et d’autre
part, les situations psychomotrices dépourvues de
toute relation opérationnelle avec quiconque.
Sur le terrain, nous observons l’intervention d’une
« logique externe » classique ; celle-ci correspond à
des variables extérieures, qui vont être confrontées
à la logique interne : variables propres aux prati-
quants (âge, sexe, classes sociales, handicaps...)
éventuellement variables dépendant des specta-
teurs ou des pressions médiatiques… Ces deux
logiques sont en interaction, et il est capital de ne
pas les confondre.
Ethnomotricité et sémiotricité
Les pratiques corporelles sont à l’image de leur
culture d’appartenance. Elles sont le fruit d’une
histoire et le reflet de leur société d’accueil.
Chaque groupe social enfante ses propres activités
motrices qui deviennent ainsi des révélateurs
culturels dont le praxéologue va chercher la signi-
fication profonde. Cette perspective ethnomotrice
est particulièrement intéressante car elle permet à
1) Exemples : O _ lancer de disque, barre fixe ; P _ acrogym, aviron ; A _ judo, tennis ; I _ ski, surf, VTT ; IP _ voile, randonnées ; IA _ ski de fond, motocross ;
PA _ basket-ball, balle au prisonnier ; IPA _ voile en équipage, cross. Autre exemple la natation sportive se situe dans la classe 0 ; la natation synchronisée dans le classe P;
le water polo dans la classe PA. Ces trois pratiques, bien que relevant toutes des activités aquatiques développent des ressources et notamment des rapports à autrui différents.
2) Association Internationale de Praxéologie Motrice.
réflexion. Le problème s’impose alors d’établir
une classification cohérente de l’ensemble des
pratiques reposant sur le contenu praxique et
Cette analyse selon les « cartes d’identité motrice »
va permettre de situer chacune des activités dans
une classe d’équivalence de la classification, fondée
sur les modalités de l’intervention de « l’incer-
titude » liée au milieu et à autrui. On obtient un arbre
de classification ou un simplexe S3 composé de
8 classes (schéma 1). Chacune d’elles regroupe les
pratiques dont les traits d’action pertinents majeurs
sont semblables et correspondent à une même
grande catégorie d’expérience corporelle.
Chacune de ces huit classes définit un « domaine
d’action motrice ». Le praxéologue abandonne les
anciennes classifications qui s’appuyaient sur
les techniques ; il met en évidence la présence de
« champs » bien typés plutôt que des spécialités
particulières. Cette classification en domaines
d’action motrice s’appuie sur les mécanismes et
les processus d’action transversaux qui traversent
tous les membres de I’AIPRAM 2 d’enrichir le corpus
des jeux traditionnels ; elle dévoile des caracté-
ristiques autochtones originales qui ouvrent sur
l’immense variété de la créativité ludomotrice des
différents peuples.
L’un des champs parmi les plus délicats mais aussi
parmi les plus prometteurs est sans doute la sémio-
tique de la motricité ou « sémiotricité ». Il s’agit
5
l’objectif de chacune de ces activités. Sur quels
éléments cette classification est-elle fondée ?
Schéma 1 - Ce simplexe
laisse apparaitre les huit
classes de situations
motrices représentées par
les sommets et organisées
à partir de la présence ou
de l’absence de partenaire(s)
notée P, d’adversaire(s) notée
A et d’incertitude du milieu
notée I 1. Il est aussi possible
de considérer les faces
du simplexe qui permettent
de réunir par exemple toutes
les situations motrices
avec incertitude du milieu
(I; IA; IP et IPA).
les différentes situations sans se préoccuper des
découpages selon les catégories classiques. Des
études praxéologiques ont identifié certains de ces
mécanismes transversaux qui assurent le dérou-
lement des jeux et des sports, et ont mis en évidence
les modèles mathématiques simples et révélateurs
qui simulent leur mise en œuvre. Ces modèles sont
les « universaux » des jeux et des sports qui repré-
sentent les structures fondamentales invariantes,
du fonctionnement de tout jeu sportif en s’appuyant
sur la logique interne de celui-ci.
En cette minute même, je suis condamné à présenter
des résumés fortement simplifiés des recherches
entreprises par les praxéologues de nombreux
pays, recherches que je ne peux développer ici. Je
terminerai ce rapide tour d’horizon en mentionnant
deux secteurs passionnants et largement en cours
d’exploration : l’ethnomotricité et la sémiotricité.
de la prise d’information par le sujet en action :
comment décode-t-il le paysage et son entourage ?
Ces phénomènes se déroulent au cours de ses
jeux, mais aussi au cours de toute son existence,
en tant que bébé dans son berceau, au volant de
sa voiture ou en se déplaçant sur les trottoirs des
grands boulevards. Ces problèmes d’encodage et de
décodage de signes incitateurs, de méta-communi-
6 Notre métier

cations parfois paradoxales et de prises de décision
sémiotiques, renferment des processus particuliè-
rement complexes et révélateurs des compétences
praxiques des acteurs. La sémiotricité représente
à coup sûr l’une des voies royales des études sur
les processus d’interaction avec le milieu humain
et matériel, et plus particulièrement au cours des
intenses péripéties des jeux et des sports.
Toutes les études praxéologiques que je viens
d’évoquer peuvent être menées dans les grands
secteurs de la vie sociale : l’éducation, le loisir,
le sport de haute compétition, le handicap.
Les avancées de Luc Collard concernant
« la cinquième nage » davantage performante pour
le haut niveau, ou les propositions de Christian Alin
qui analyse finement les rapports entre l’autisme
et le sport en portent un éloquent témoignage.
La praxéologie n’est la propriété de personne ; c’est
un champ ouvert à toutes les initiatives et à toutes
les démarches cliniques et expérimentales.
Il est toujours audacieux et imprudent de vouloir
augurer de l’avenir, cependant une remarque
s’impose : au-delà d’oppositions naïves, crispées
ou mal informées, aucune objection scientifique
sérieuse n’a été dressée à l’encontre de la praxéo-
logie motrice. Au contraire, les résultats encoura-
geants, les articles et les livres affluent. Il convient
certes de rester vigilant, de garder le cap de
l’identité praxique et des exigences de la démarche
scientifique. Ces préoccupations assurées, la
praxéologie motrice devient un chantier ouvert
et bourdonnant, riche déjà d’un demi-siècle et qui
semble porteur d’un avenir prometteur.

BIBLIOGRAPHIE
Alin C. (2021). L’autisme et le sport. Editions Mardaga.
Berthoz A. (2003). La décision. Odile Jacob, p. 43.
Collard L. (2018). La cinquième nage. Editions Amphora.
Dally N. (1857). Cinésiologie ou science des mouvements. Librairie centrale des sciences.
During B. (1981). La crise des pédagogies corporelles. Scarabée (Cernea).
Fraisse P. (1982). Psychologie de demain. Puf, p. 267.
Le Boulch J. (1971). Vers une science du mouvement humain. Introduction à la psychocinétique. Editions ESF.
Parlebas P. (1970) L’affectivité, clef des conduites motrices. In revue « Education physique et sport » ; Ed. EPS.
Saussure (de) F. (Ed. 1972). Cours de linguistique générale. Payot, p. 23.

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Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023

 7

Mots clés : engagement - passion - singularité

Jean-Baptiste CHIAMA, professeur agrégé honoraire, coordonnateur du groupe « EPS 1er degré », co-responsable de la Revue Enseigner l’EPS - Jean-baptiste.chiama@aeeps.org
Philippe GAGNAIRE, professeur agrégé honoraire, co-coordonnateur du groupe « PLAISIR et EPS », co-responsable de la Revue Enseigner l’EPS - philippe.gagnaire63@gmail.com

A la rencontre d’Alain Donnat

« Ce truc que je fais, c’est pas un métier. C’est une passion. C’est une vie.»
1

L’équipe de coordination en charge de la conception de notre revue a souhaité renouer avec la modalité
d’échange de l’entretien pour enrichir son offre éditoriale, à cela plusieurs raisons.
Analyser de façon prospective une actualité par le prisme du point de vue d’une personnalité marquante de
notre discipline, personne qui peut être très connue, reconnue dans notre milieu ou au contraire œuvrant dans
l’ombre.
Au-delà de toute considération théorique, politique, idéologique, ce sont bien des femmes et des hommes qui
font vivre au quotidien l’EPS, qu’ils soient directement au contact des élèves, des étudiants, dans le cadre de
la recherche ou de l’institution. Ils sont l’incarnation d’une idée, l’Education Physique est une discipline scolaire.
Ces entretiens doivent nous aider à mieux cerner la réalité « du dedans ».

Pour ce deuxième entretien nous avons Retrouvez l’intégralité des propos d’Alain Donnat en consultant le verbatim
choisi de rencontrer Alain Donnat. Pur acteur sur le site de notre association www.aeeps.org
de terrain qui œuvrait avec passion, il a été
remarqué sur les réseaux sociaux à partir
d’une vidéo prise le jour de son départ en
retraite où l’on voit tous les élèves (plus
certains anciens) et des enseignants qui lui
font une haie d’honneur. Cette apothéose,
les images ont été vues dans le monde entier
des millions de fois, a, de l’avis d’un collègue
connaissant bien Alain, « fait plus pour recon-
naitre la profession des enseignants d’EPS
que tous les beaux discours politiques ou les
textes officiels » 2. Cela nous a donné envie de
le rencontrer, d’échanger avec lui pour mieux
comprendre son succès et le partager avec les
lecteurs de notre revue.
Alain Donnat a suivi des études pour devenir
professeur d’EPS dans la seconde partie des
années 1970 à Clermont-Ferrand. Après une
courte période dans un collège de Banlieue
parisienne, il fera toute sa carrière en
Côte-d’Or au collège Paul Fort d’Is-sur-Tille,
conjuguant son agenda professionnel déjà
chargé, où le sport scolaire de l’UNSS occupe
une large part, avec un engagement associatif
fort dans des clubs d’athlétisme et de football.

1) Plantu (2022) « Plantu dans le monde », in Le Monde Hors-Série Nov. 2022 - Jan 2023, pp. 27.
2) Denis Loizon, chercheur et enseignant émérite, laboratoire IREDU, université de Bourgogne Franche-Comté.
8 Notre métier
Il a par ailleurs joué au football a un niveau élevé et a
pu honorer quelques sélections en équipe de France
jeunes d’athlétisme comme triple sauteur.
C’est donc logiquement que nous lui avons proposé
d’être, durant 24 h, notre hôte et notre interlocuteur
pour une discussion à bâton rompu sur et autour de
l’EPS. Nous n’avons pas été déçus du résultat, convi-
vialité, réflexion, passion ; le parcours singulier
d’Alain Donnat, nourri par des valeurs qui nous sont
communes, illustre magistralement l’itinéraire d’un
professeur humaniste comme il en existe beaucoup
dans la profession.
Ghislain Carlier, relecteur du verbatim de l’entretien,
le présente avec pertinence 3. « Oui, Alain est un
militant, un pur, un vrai, comme on n’en fait plus (?).
Il est habité par sa passion, intensément, en tout
temps et en tout lieu.
Passion qu’il parvient à partager avec ses élèves,
avec ses athlètes. Il les embarque !
Il bosse, réussit, obtient des résultats probants, des
retours gratifiants, de la reconnaissance... jusqu’à
l’apothéose de la haie d’honneur. Le texte relate
bien ce qui caractérise le plus ce personnage, qui se
raconte lui-même avec verve et conviction : le souci
de chacun des élèves et de leur personne, la fierté de
représenter l’EPS et le sport comme moyen d’éman-
cipation par excellence et comme outil incomparable
pour faire vivre la puissance d’exister... en la parta-
geant. Diderot disait : “ Ne fît-on que des épingles,
il faut être enthousiaste de son métier pour y
exceller ! ” A fortiori quand il s’agit de l’EPS...
Pour y parvenir, il respecte les élèves, au point d’être
ambitieux pour eux. C’est sa façon de leur vouloir
Une EPS pour toutes et tous où les émotions alliant plaisir et efforts
sont mises en avant et s’appuient sur une approche où le meilleur
résultat possible de chacun revêt une réelle importance
S’intéresser à tous et proposer une EPS centrée
sur la confrontation (à soi et aux autres) est une
démarche qui se construit dans un rapport étroit
avec un itinéraire personnel articulant chez notre
collègue culture sportive personnelle et parcours de
vie empreint d’une grande empathie. Il est toutefois
possible d’interroger les termes de cette alchimie
complexe dont l’articulation peut soulever un réel
paradoxe. L’importance accordée à l’évolution du
résultat de l’action en termes de performances
individuelles et collectives ne risque-t-elle pas de
contrecarrer tous les efforts réalisés par l’ensei-
gnant qui a pour ambition que chaque élève, même
le plus réfractaire aux apprentissages en EPS,
vienne en cours pour apprendre ? Nous le savons
maintenant, les travaux de recherche le confirment,
la centration sur le résultat final entraîne souvent
des comportements de défiance, d’évitements qui
nuisent aux apprentissages des élèves, notamment
3) Le lecteur retrouvera le verbatim complet de notre entretien sur le site de notre association.
Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023
du bien.
Un de ses atouts majeurs : l’expérience (= vécu
chargé de sens). Contrairement à Marc Durand :
“ Faut-il avoir été enclume pour devenir un bon
forgeron ? ”, il considère que l’on ne peut exceller
dans la transmission (individualisée, différenciée),
qu’en maîtrisant parfaitement soi-même la disci-
pline pour l’avoir dûment pratiquée. D’où sa critique
à l’égard des formations initiales les plus récentes,
dans lesquelles la pratique diversifiée des APSA
a cédé du terrain aux approches théoriques. Il n’est
pas loin de considérer ces dernières comme décora-
tives, ornementales, peu mobilisables, peu action-
nables dans l’acte d’enseigner et d’aider à apprendre.
Alain est un enseignant charismatique. Ses élèves
l’ont bien remarqué et lui ont bien rendu son
engagement, à la manière d’un cercle vertueux :
donner, recevoir, rendre. De son action – son œuvre ! –,
qu’est-ce qui est transmissible aux générations
futures d’enseignants ? Une seule chose selon moi :
“ Voilà quelqu’un qui a accompli son métier à fond,
avec ses mobiles et ses atouts propres ! Il a enseigné
ce qu’il savait, mais surtout ce qu’il était !
Comment puis-je moi aussi – avec mes propres carac-
téristiques et celles de mon milieu, de mon époque –
réussir (dans) ma carrière ? ” ».
Dans le mot de la rédaction du dernier numéro de
la revue, nous nous interrogions à propos de la
visibilité de notre discipline hors de son microcosme
à un moment où tout le monde parle d’activité
physique à l’école et personne ou presque n’évoque
l’éducation physique et sportive discipline scolaire.
les plus fragiles (EPIC, à paraître). Le sentiment de
déplaisir, loin ici du rapport positif qu’il peut avoir
avec l’émotion positive du plaisir de pratiquer et
d’apprendre (PLAISIR et EPS, 2023) peut envahir
l’élève concerné au point qu’il se détourne de ce qui
lui est proposé en EPS.
Donc si, pour Alain Donnat, la compétition est un
extraordinaire moyen éducatif, sa représentation
est loin d’être partagée, autant chez les ensei-
gnants que dans la société en général. Un peu
comme la langue d’Esope, elle peut être la meilleure
ou la pire des choses ; elle est clivante. A quelles
conditions un enseignant d’EPS peut faire partager
cette conviction à l’ensemble de ses élèves en leur
garantissant réussites, progrès, épanouissement,
plaisir de pratiquer ? Autrement dit comment,
en s’appuyant principalement sur la motivation
compétitive, mobiliser et dynamiser cette diversité
de personnes aux différences souvent prononcées ?
L’une des pistes de réponses à cette problématique
est peut-être à chercher dans ce verbatim. Et si la
reconnaissance de l’importance de notre discipline
ainsi que des femmes et des hommes qui la font
vivre ne pouvait être finalement que locale ? Et si,
au-delà des grands discours institutionnels, média-
tiques, le plus important était que nous fassions
vivre aux élèves une réalité bien différente de
celle dont on entend parfois parler ? Une réalité
quotidienne, faite d’apprentissages, d’expériences
ordinaires et extra ordinaires. Si chaque élève
français, dans son parcours scolaire, a la chance,
l’opportunité, de se voir proposer une EPS positi-
vement marquante ? Et si l’influence positive de
l’EPS sur le parcours de chacun, sur l’évolution des
mentalités et des représentations (sur les pratiques
féminines, sur l’innovation, les modalités d’appren-
tissage, d’évaluation, le goût d’apprendre et de faire
des efforts, le vivre ensemble) s’exerçait dans un
cadre local, à bas bruit et sur le temps long ?
Notre ambition est ici d’interroger et de questionner
certains thèmes abordés lors de nos discussions.
Nous espérons nourrir nos réflexions actuelles sur
l’EPS et son enseignement. Nous posons comme
hypothèse au travers de cet exemple, sans néces-
sairement adhérer à toutes les idées développées
par notre interlocuteur, que c’est d’abord l’enga-
gement local des collègues, partout sur le territoire,
qui contribue à une reconnaissance très importante
de la part des personnes concernées au premier
chef, élèves et parents.
A cette question, Alain apporte peu ou prou plusieurs
niveaux de réponse :
• La nécessité sous-jacente de faire en sorte que
les élèves apprennent aussi la différence.
• Le fait que les élèves comprennent et s’appro-
prient pour eux-mêmes l’ambition que l’ensei-
gnant a pour chacun d’entre eux.
• La mise en avant d’une relation positive entre
le résultat et l’effort, relation qui, lorsqu’elle
fonctionne, engendre de réelles sensations
satisfaisantes.
Mais au final, tout ceci revient à considérer que
les élèves doivent intégrer la confiance en leur
professeur. C’est cette dimension qui, sans doute
dans l’esprit d’Alain et des collègues qui pensent
comme lui, rend positive cette approche pour les
apprentissages.

Dans cette conception singulière de l’EPS, la
question de l’évaluation et de la notation est
posée. Notre interlocuteur ne s’en cache pas, il
est favorable à la notation dans notre discipline :
« La note reflète la réalité et définit les axes sur
lesquels nous devons porter notre attention pour
apprendre, progresser et transformer » (p. 28 du
verbatim). De plus, … la note reste importante pour
justifier de notre enseignement » (p. 28 du verbatim).
Cohérent dans son propos global, il s’interroge :
« Il est difficile d’expliquer qu’un élève qui saute six
mètres en longueur sans prendre sa planche ait une
note inférieure à celui qui saute cinq mètres en ayant
pris sa planche » (p. 27 du verbatim).
Alors qu’une large réflexion et des évolu-
tions majeures autour de cette thématique se
Une autorité qui passe par la confiance en l’enseignant et l’obligation
pour l’élève dans un rapport équilibré entre bienveillance et exigence
C’est sans doute là que réside en grande partie la
réponse aux questions soulevées dans le chapitre
précédent ?
A écouter Alain, on comprend que la bienveillance
sans une forte exigence n’est qu’un bon sentiment,
une forme de tolérance parfois démagogique. Et, de
la même façon, une forte exigence sans une attitude
bienveillante peut vite conduire à une forme d’auto-
ritarisme. « Je pense que les gamins m’aimaient bien.
Ils le disaient souvent, mais quelque part, comme les
joueurs de foot, ils me craignaient. J’étais exigeant
et, à la limite, je ne laissais rien passer. » (p. 17 du
verbatim).
Alors comment agir pour faire autorité ? En prati-
quant une bienveillance exigeante, ce que P. Tudoret
(2019), nomme bénévolence. Autrement dit la
bénévolence est représentée, ici, par l’enseignant
en action qui aime tous ses élèves, est ambitieux
pour eux, et cherche à faire du bien. « Bénévolence
ne veut pas dire complaisance. Elle n’est ni complai-
sance ni facilité jusqu’à en être exactement le
Une continuité de pratiques (EPS, AS, club) favorise une éducation
motrice globale dans un ancrage territorial
Alain Donnat a totalement investi la dimension de
l’EPS scolaire et le champ des pratiques sportives
associatives dans son secteur et souvent avec
les mêmes élèves. C’est un engagement total et
permanent pour viser l’épanouissement des enfants
et des adolescents grâce à la pratique sportive mais
ce mélange de professionnalisme et de bénévolat
est-il si facilement transposable ? Cette idée d’une
continuité de pratiques entre EPS, AS et club permet
à la fois une différenciation des niveaux de pratique,
une légitimité de la pratique sportive et donne à
l’enseignant une autorité dépassant largement son
domaine scolaire initial.
développent à l’école en général, en EPS en parti-
culier (les classes sans notes, l’évaluation des
compétences, l’évaluation comme support d’appren-
tissage et non plus comme simple vérification
de résultats), cette position interroge. Alain en
convient « On retient aujourd’hui “ un côté négatif ”
et dévalorisant de la note car elle peut décourager,
éloigner encore plus les jeunes de la pratique d’une
activité physique. Certains relèvent aussi son côté
injuste car il ne reflète pas suffisamment les efforts
engagés. Dans le passé, il y a certainement eu des
abus car la performance était le seul critère d’éva-
luation pris en compte. Ces excès ont contribué à
donner une certaine représentation de l’EPS, matière
plutôt réservée à celles et ceux qui avaient la chance
d’être bons. D’autres qui éprouvaient des difficultés
contraire. Pour que bénévolence il y ait, il faut le
souci de l’autre avant tout, mais aussi une forte
exigence que l’autre n’a peut-être pas pour lui-même,
manquement souvent propre à décourager les
meilleures volontés ». (p. 33).
Dans ces conditions l’implication de l’élève peut
passer par des obligations. Par exemple, « Monsieur
Donnat, moi je veux rentrer en classe athlétisme
l’année prochaine ». Je dis : « Attends, dis, tu rigoles,
t’as vu comment tu te comportes, mais l’athlétisme
c’est de la rigueur, il faut que tu sois intéressé, il
faut que tu t’impliques, que tu t’investisses. » –
« Oui mais Monsieur Donnat, vous verrez, je ferai
des efforts. » Je dis : « Non, t’as fait 85ème au cross
du collège et tu veux en faire en classe athlétisme ?
Attends trouve-moi autre chose. » Et puis il insiste,
il insiste. Et je lui dis : « Ecoute OK un trimestre, tu me
fais tes preuves pendant le trimestre. » Au premier
trimestre, attitude beaucoup plus agréable, travail,
au cross du collège il fait dans les cinq premiers.
Un an et demi après, il est 3ème au Championnat de
Si une telle continuité est difficilement généra-
lisable, chaque enseignant d’EPS doit pouvoir
trouver un équilibre entre ces différents champs
afin de s’épanouir professionnellement tout en
« enrichissant » ces adolescents. Si nombreux
sont ceux qui ne s’impliquent pas ou plus dans la
pratique fédérale, ils restent majoritaires à « ne
pas compter les heures » qu’ils consacrent à l’asso-
ciation sportive de leur établissement. Cet investis-
sement engage quotidiennement les élèves dans
des pratiques physiques et sportives, celles-ci font
partie de leur cadre de vie scolaire et extrascolaire.
Chacun vit ses pratiques comme quelque chose
9
ne pouvaient espérer progresser tant leurs moyens
semblaient limités comme leurs rappelaient des
commentaires de leurs camarades ou quelquefois
de leurs professeurs. Aujourd’hui l’objectif principal
est de réconcilier nos jeunes avec l’activité physique
en adaptant nos contenus aux attentes des élèves
et en consolidant les apprentissages » (p. 27 et 28 du
verbatim).
La possible combinaison de ces différentes façons
d’appréhender l’évaluation, voire la notation reste
une question en suspens mais nous pensons pouvoir
affirmer que les acteurs sincères que sont les
enseignants d’EPS visent à ce que tous leurs élèves
apprennent et s’épanouissent, cette partie de leur
pratique professionnelle en est un des leviers fort.
France. » (p. 27 du verbatim). Nous pensons qu’il ne
faut pas mésestimer, dans une optique éducative,
ce sentiment d’obligation. « Il y aurait, à l’origine du
sentiment de l’obligation, le respect des consignes
données par des personnes en qui l’on a confiance. »
(M-C. Blais, 2008).
Or, la confiance que les autres nous accordent n’est
pas innée, elle se développe progressivement à
partir de notre investissement et de nos compé-
tences à faire progresser et réussir. Pour les élèves,
Alain Donnat était « la personne qui était investie, qui
faisait tout pour eux, mais qui en même temps les
stimulait pour aller le plus haut possible. J’étais un
“ chieur ” un peu, mais ce côté-là ils l’appréciaient
parce qu’ils en sortaient grandis, parce qu’ils avaient
vécu des choses qu’ils n’auraient pas vécues. Je leur
disais : si vous voulez vivre des belles choses, ça sera
par les efforts consentis et par la “ niaque ”. Vous
voulez aller aux championnats de France et faire un
podium, alors on va faire un entraînement de plus
dans la semaine. » (p. 26 du verbatim).
d’ordinaire pouvant côtoyer l’extraordinaire avec
des participations à des championnats nationaux
et/ou des titres sportifs soit pour soi-même, soit
par procuration avec ses « copains » d’établissement
ou de quartier.
Alain Donnat réussit à placer l’EPS dans la société,
pour lui elle n’est pas en dehors, bien au contraire.
Ce que font les élèves a de l’importance pour
l’ensemble du tissu social local. Cette préoccupation
n’est-elle pas un des meilleurs moyens pour que
l’EPS joue son rôle d’éducation à la santé, de lutte
contre la sédentarité ?
10 Notre métier

Cette approche nous rappelle celle de Québécois passion ». « Le modèle de l’intervention éducative pratique assidue des activités physiques et sportives
autour de l’idée de communauté de pratique avec repose sur le postulat que la “ passion ” est un état chez les jeunes aussi bien dans leur vie actuelle que
comme axe pédagogique « la puissance de la émotionnel suffisamment puissant pour favoriser la future. » p. 26 (Brunelle, 2012).

Conclusion : Une approche qui se veut d’abord réflexive

L’exemple, et en aucun cas le modèle, fourni par
Alain Donnat nous amène en conclusion à considérer
que notre hypothèse d’une EPS du réel incarnée
localement par des femmes et des hommes engagés
est très largement valide. Et comme toute chose
humaine, cette réalité amène de la complexité,
parfois des erreurs mais s’appuie le plus souvent sur
une grande honnêteté intellectuelle et un véritable
désir de bien faire.
C’est sans doute ici que réside l’analyse la plus juste
de ce parcours singulier. Chacun d’entre nous est
nourri de son histoire personnelle et profession-
nelle, de sa formation, de ses rencontres. Tout ceci
s’inscrit dans une construction progressive faite
à la fois de multiples influences et d’une capacité à
s’interroger en permanence.
A la fin de ce travail, nous avons le sentiment
d’avoir posé plus de questions que nous n’avons
apporté de réponses, sans doute cela vient-il du
fait qu’Alain Donnat peut nous avoir bousculé dans
certaines convictions. Il en reste une qui nous
permet de conclure : pourquoi cette haie d’honneur
et pourquoi un tel engouement de la part des inter-
nautes ? Nous osons penser que, comme le dit le
slogan d’une campagne passant sur les ondes radio
actuellement : « Un professeur, ça change la vie pour
toute la vie ».

BIBLIOGRAPHIE
Blais M-C., Gauchet M., Ottavi D. (2008). Conditions de l’éducation. Stock, Les essais.
Brunelle J-P, Brunelle J. (2012). Susciter la passion pour les activités physiques et sportives.
Philia, Université de Sherbrooke.
Tudoret P. (2021). Petit traité de bénévolence. Pour en finir avec les bons sentiments.
Tallandier Essais, Pocket, Collection Agora.

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Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023

 Enseignement scolaire 11

Mots clés : Santé - Entraînement - Réinvestissement – Condition physique - Choix pédagogiques

Anne DEGIRONDE, Professeure Agrégée EPS, Lycée T. Banville - Moulins (03) - anne.degironde@ac-clermont.fr

Pour une appropriation du thème d’entraînement , 1

ouvrir à des modalités de pratiques variées

Préambule : des conditions singulières
La pandémie de COVID-19 et sa gestion au sens large dans
la société a nécessité nombres d’adaptations renouvelées,
réajustées, parfois remises en cause… Au sein de l’Education
Nationale, l’évolution des protocoles sanitaires a vu se succéder
des mesures d’enseignement en distanciel, d’enseignement
« hybride », des fonctionnements en demi-classe livrant les chefs
d’établissement à une adaptabilité constante et les enseignants
à leurs responsabilités de suivi des élèves pour « une continuité
pédagogique » fragile et à préserver.
Notre discipline a été fortement impactée par ces protocoles.
Outre la limitation des brassages entre classes, la distanciation
sociale à assurer et les vestiaires à éviter, la profession a été
marquée par la suspension des activités physiques en intérieur
par le décret n° 2021-31 du 15 janvier 2021.
Conjointement à ce contexte sanitaire, la réforme du Baccalauréat
version 2021 offrait, en EPS notamment, un espace laissé aux
enseignants pour mettre en place des formes de pratiques dans
un cadre certificatif avec des référentiels nationaux libellés par
champ d’apprentissage et non par APSA.
Ce double contexte, à savoir l’imposition d’une EPS « extérieure »
et cette marge de liberté donnée par les nouvelles directives
certificatives nous ont amené à envisager autrement une
séquence d’apprentissage en musculation préalablement
construite en salle spécialisée. Cette expérience professionnelle
issue d’un contexte particulier (la pandémie) s’est avérée
bénéfique car porteuse de nouvelles modalités de pratique pour
les élèves. Au-delà de l’APSA, c’est bien la logique du champ
d’apprentissage et les attendus de fin de Lycée (AFL) qui ont
guidé ce travail, accompagné du souci de conduire les élèves de
Terminale vers une pratique autonome et pérenne. En investissant
des espaces de pratiques proches d’eux, l’ambition résidait dans
le fait de leur permettre de découvrir leur environnement et ses
possibilités tout en favorisant chez eux une prise d’initiative pour
pratiquer dehors, seul ou accompagné, en pleine confiance de
leurs capacités à savoir et pouvoir s’entraîner.

Introduction : L’enseignement du champ d’apprentissage n°5 :

Un processus de maturation chez les enseignants d’EPS
Nous allons faire un retour en arrière nécessaire
pour comprendre l’évolution professionnelle opérée
dans l’enseignement du champ d’apprentissage 5,
d’abord nommé compétence propre N°5. Avec le
programme Lycée 2010, la compétence propre n°5
« devient un passage obligé de formation » avec en
ligne de mire le niveau 4 à atteindre en classe de
Terminale. L’enseignement de cette compétence
vient bouleverser les programmations et les APSA
qui l’accompagnent deviennent pour les équipes
enseignantes EPS support d’objets d’enseignement
à construire. L’APSA musculation a donné lieu à des
leçons élaborées dans un 1er temps autour des
différents mobiles d’entraînement à s’approprier,
avec comme support de différenciation entre
les élèves les charges maximums aux appareils
servant de paramètres pour un travail adapté aux
possibilités de chacun. Cette première entrée
dans cette activité a eu le mérite d’offrir un cadre
structuré et rationnel aux enseignants avec des
1) Champ d’apprentissage 5.
éléments de différenciation pour permettre à
chaque élève de construire son programme en
fonction de ses données personnelles. Cependant,
des limites à cette forme d’enseignement sont
très vite apparues, nourrissant des insatisfactions
chez les enseignants et des frustrations chez les
élèves : la mise en place chronophage des charges
maximales sur différents appareils pour chacun des
élèves, la fiabilité de calcul de cette charge comme
repère pour les thèmes d’entraînement (en raison
notamment d’une réalisation parfois approxi-
mative des trajets moteurs pour rechercher la plus
haute charge), l’application d’une recette à répéter
(paramètres : durée, intensité, nombre de séries,
récupération « figées » et à appliquer selon le thème
d’entraînement choisi) avec peu de prise en compte
des ressentis respiratoires et/ou musculaires si ce
n’est dans une analyse assez formelle et scolaire sur
le papier.
Dans un 2 ème temps, ayant « apprivoisé »,
« didactisé », « scolarisé » cette APSA, les leçons
prennent un autre virage plus tourné vers les
ressentis recherchés par le thème d’entraînement.
Cette approche vise à aider l’élève à être à l’écoute
de ses ressentis en mettant en exergue les sensa-
tions témoignant du travail dans la filière recherchée
(par la prise en compte de la Fréquence Cardiaque
(FC) pour le thème « Entretien » notamment).
Même si on peut reprocher des approximations,
des difficultés de lecture de ces ressentis par les
élèves, cet angle a le mérite de leur apprendre
à être à l’écoute de leur corps, à « décrypter » les
sensations que provoquent l’effort physique et par
la suite à rechercher certains types de sensations
liées au thème travaillé. Nous sommes ainsi plus
près d’une EPS qui est « l’occasion d’une meilleure
connaissance par l’élève de ses possibilités et d’une
véritable éducation à faire des choix » (Programme
Lycée 2019).
12 Enseignement scolaire
1. Des convictions professionnelles autour
d’un engagement authentique des élèves
Selon P. Meirieu et M. Develay (1992), « il n’est pas
d’apprentissage sans un engagement, une prise de
risque, une inquiétude dont rien ni personne ne peut
faire faire l’économie à celui qui apprend ». L’ensei-
gnant d’EPS cherche donc à susciter cet engagement
auprès de chacun de ses élèves avec l’ambition de
dépasser l’investissement scolaire (pour une bonne
note) en multipliant les approches d’entrée dans les
APSA pour toucher à l’intime motivation de chaque
individu. La question du sens donné aux apprentis-
sages ainsi qu’à une pratique physique est un enjeu
que nous devons inscrire dans nos choix pédago-
giques et didactiques afin de viser un engagement
authentique et non artificiel. M. Develay (2012)
définit cette notion de sens comme « le lien que
2. Année scolaire 2020-2021 : Un contexte d’établissement,
des contraintes sanitaires et des choix ciblés de l’équipe enseignante
Cette expérimentation s’est déroulée avec des
contraintes « COVID » fortes impactant la program-
mation initiale de l’APSA Musculation en salle. Des
cours d’EPS en extérieur rendent impossible son
enseignement et le fonctionnement en demi-classes
impute le temps imparti à cette séquence en
divisant le nombre de leçons par deux pour chaque
élève. Face à cette situation, la volonté enseignante
était de maintenir une activité physique dans le
champ d’apprentissage n°5 pour préserver une
continuité éducative du parcours de formation du
lycéen et répondre à l’un des objectifs généraux de
notre discipline à savoir la construction durable de
la santé avec cette ambition que « grâce aux efforts
consentis, aux progrès réalisés et constatés, l’élève
éprouve le plaisir de pratiquer une activité physique
raisonnée et régulière tout au long de la vie ».
(Programme Lycée 2019).
Au travers du champ d’apprentissage n°5 :
« Réaliser une activité physique pour développer
ses ressources et s’entretenir », l’élève s’engage de
façon lucide et autonome dans le développement de
ses ressources à partir d’un thème d’entraînement
choisi. Le choix face aux contraintes sanitaires a été
de cibler le fait de savoir s’entretenir, de maintenir
ou améliorer une « bonne » condition physique avec
la recherche du plaisir de s’aérer comme seul thème
d’entraînement afin de doter les élèves de compé-
tences solides, de ne pas s’éparpiller par manque de
temps et de favoriser un investissement personnel
en distanciel lors de la leçon « à la maison ».
Document complémentaire N°1
sur le site de l’AEEPS
2) Au-delà de l’enseignement d’une APSA, notre choix s’est tourné vers un mode d’engagement choisi par l’élève pour atteindre un objectif d’entraînement.
3) Cité par F. Cury et P. Sarrazin, Théories de la motivation et pratiques sportives, état des recherches, PUF, 2001.
Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023
le sujet établit entre l’implication et l’explication
qu’il construit de ses actions ». Dans le cadre qui
nous intéresse, nous avons cherché à susciter une
implication chez tous nos élèves en leur donnant le
choix de leurs modalités de pratique au sein d’un
thème d’entraînement. Au-delà des paramètres à
personnaliser, il s’agit de leur permettre de choisir
« comment s’entretenir » avec des logiques d’entraî-
nements selon 3 profils (dominante courses,
dominante musculation ou séance mixte). Ces trois
modalités de pratique 2 physique nous apparaissent
comme une occasion de donner des clés aux élèves
pour exercer leur libre arbitre, vivre un espace de
liberté de leur activité physique ce qui est l’occasion
de stimuler leur sentiment « d’efficacité person-
L’environnement proche de notre établissement
offre la possibilité de parcours en pleine nature
arborée avec différentes tailles de boucles de
course à proposer, avec des dénivelés possibles et
quelques structures telles que des bancs en ciment,
des ponts pour des exercices de musculation.
Les modalités de pratiques du thème d’entraî-
nement « ENTRETIEN / TONIFACTION » (2020-21)
consistent à réaliser une séquence de travail de
35 mn à 40 mn composée de courses (1 à 3) et
d’exercices de renforcement musculaire. L’élève
construit sa séquence selon 3 schémas d’entraî-
nement possibles:
• DOMINANTE COURSE (Temps de course >
Temps d’exercices musculaires)
• DOMINANTE MUSCULATION (Temps d’exercices
musculaires > Temps de course)
• MIXTE (Temps de course =
Temps d’exercices musculaires).
Il devra mobiliser :
• De 3 à 6 zones corporelles différentes (selon la
dominante choisie) avec le haut du corps + la
sangle abdominale et lombaire + le bas du corps.
5 séries seront imposées et le nombre de répé-
titions se situe dans une fourchette de 12 à 20.
Un travail des muscles agonistes et antagonistes
pour le schéma d’entraînement à dominante
musculation est à rechercher.
• Choisir au moins 1 course parmi 3 parcours variés
en distance et dénivelé (700 m avec dénivelé,
1250 m plat, 1700 m parcours mixte) avec la
contrainte de maintenir un rythme au minimum
nelle » (Bandura, 2002) avec l’ambition de les
« armer » pour une pratique future. Notre objectif
est en lien avec la santé des adultes qui pourraient
davantage s’inspirer de leurs expériences en EPS,
à condition d’avoir été relativement autonomes,
en réussite (même relative) et d’avoir acquis des
connaissances sur eux-mêmes et sur le fonction-
nement du corps humain. Les travaux de Mc Auley 3
concluent que « si l’on souhaite que les participants
continuent d’être actifs, sans nécessairement repro-
duire tout le contenu d’un programme structuré
officiel, alors il apparait crucial d’établir les condi-
tions qui maximisent les perceptions de capacité
personnelle ».
au niveau d’une marche rapide (Plat : > à 8 km/h,
Mixte : 7 à 8 km/h / Dénivelé : 6 à 7 km/h).
• Proposer des étirements adaptés avec un relevé
régulier de sa FC et un temps d’analyse à la fin de
la séquence de travail.
Un carnet de suivi est tenu par l’élève à chaque
leçon aidant à l’élaboration finale de l’épreuve et à la
construction d’un vocabulaire spécifique et person-
nalisé des ressentis.
Document complémentaire N°2
sur le site de l’AEEPS
Le Projet personnel de l’élève consiste à construire
progressivement sa séquence d’entraînement en
choisissant sa dominante avec sa/ses course(s),
ses exercices musculaires, ses répétitions au sein
de chaque série et ses temps de récupération entre
chaque série ainsi qu’à la fin d’un travail muscu-
laire. La mise en relation de repères corporels liés
au thème ENTRETIEN repose principalement sur
le relevé régulier de la fréquence cardiaque, les
sensations d’essoufflement, mais aussi des « petits
tremblements », tétanie au niveau des sensations
musculaires.
De plus, une valorisation du critère d’intensité dans
les efforts engagés est à rechercher au niveau de
l’évaluation certificative du baccalauréat au travers
du degré 4 du BO N°36 du 03-10-2019 qui stipule dans
les éléments à évaluer l’atteinte de « techniques ou
gestuelles spécifiques ou efficientes pour atteindre
des zones d’efforts intenses et/ou prolongées ».
En effet, l’enchaînement de différentes boucles de
courses sans récupération dans les programmes
 13

Photo 1 - Elèves partenaires de l’AFL3, différentes responsabilités

d’entraînement au sein d’un binôme ont été proposées :
d’entraînement à dominante courses ou mixte le rôle de partenaire « sécuritaire »
accroît la difficulté au niveau cardio-respira- consistant à relever des indices de
toire dans le souci du maintien d’une allure postures sur la pratique d’un camarade
régulière. Le choix d’exercices musculaires et à gérer la continuité de l’effort en
sollicitant au niveau cardio-respiratoire et maintenant un rythme commun et le rôle
l’enchaînement de postures type Burpees, de partenaire « Entraîneur » où l’élève a
squat-jump dans les programmes mixtes ou construit et proposé à son camarade un
musculation témoigne d’une difficulté dans programme d’entraînement construit
l’effort plus importante. pour deux (Photo 1).
Dans le cadre de l’enseignement de l’AFL 2 et

3. Année scolaire 2021-2022 : Intégration du thème d’entraînement

« Puissance » aux modalités de pratique
Ces modalités de pratique créées dans le contexte • DOMINANTE COURSE (Temps de course > Temps • MIXTE (Temps de course = temps d’exercices
sanitaire ont été reconduites dans notre établis- d’exercices musculaires / les boucles de course musculaires).
sement pour cette nouvelle année scolaire. Les au choix sont à enchaîner) (Photo 2). l devra choisir :
élèves qui ont vécu cette séquence d’enseignement • MIXTE (Temps de course = Temps d’exercices • Des courses avec dénivelé et des courses frac-
en 2020-2021 ont apprécié de « découvrir un milieu musculaires). tionnées (court type 30/30).
proche du lycée où l’on peut s’entrainer le soir quand Il devra choisir : • 3 zones corporelles différentes avec 3 à 5 exer-
on est à l’internat » ou encore ils ont aimé pratiquer
• Plusieurs boucles à enchaîner parmi 3 parcours cices mobilisant le haut du corps, la sangle abdo-
la musculation en plein-air plutôt qu’en salle :
variés en distance et dénivelé (700 m avec déni- minale et lombaire et le bas du corps avec 3 à 5
« je préfère être au grand air ». Outre la découverte
velé, 1250 m plat, 1700 m parcours mixte) avec la séries de 8 à 10 répétitions en situation de plio-
d’un autre espace de pratique, certains adhèrent à
contrainte de maintenir un effort se situant entre métrie et d’explosivité ou réalisation de circuits
cette formule mixte et non exclusive autour d’une
65 % et 85 % de sa VMA. combinés (schéma 1).
APSA (Musculation ou Course en durée) : « C’est bien
de faire des séquences de course et de musculation, • 3 zones corporelles différentes avec 3 à 5 exer-
Document complémentaire N°4
c’est moins monotone ». L’enseignement de l’APSA cices mobilisant le haut du corps, la sangle sur le site de l’AEEPS
musculation ayant à nouveau lieu en salle, il nous a abdominale et lombaire et le bas du corps avec
semblé intéressant malgré tout de poursuivre ces 5 séries imposées et un nombre de répétitions
modalités de pratique qui permettent aux élèves variant de 12 à 20.
d’investir un espace proche de leur établissement, Pour le thème « Puissance », l’élève construit
d’en découvrir les possibles et d’envisager un entraî- sa séquence selon 2 schémas d’entraînement
nement à poursuivre hors temps scolaire et dans un possibles :
futur proche. Par contre, nous avons fait le choix de • DOMINANTE COURSE (Temps de course > temps Video complète
ne pas proposer des modalités à dominante muscu- d’exercices musculaires/ l’alternance course à retrouver
lation, celles-ci offrant plus de possibilités dans une avec dénivelé et courses fractionnées est à
salle spécialisée avec les différents appareils. rechercher)
Le thème d’entraînement « Puissance » a été décliné
en « dominante course » avec une priorisation autour
de courses fractionnées et / ou avec dénivelé et Photo 2 - Elèves sur le parcours course
en « entraînement mixte » avec la mise en place
en musculation d’exercices sous forme de circuit
valorisant l’explosivité.
Les modalités de pratique (2021-2022) consistent à
réaliser une séquence de travail de 30 mn à 40 mn
composée de courses et d’exercices de renfor-
cement musculaires autour de 2 thèmes d’entraî-
nement au choix « Entretien et tonification » ou
« Puissance ».
Document complémentaire N°3
sur le site de l’AEEPS

Pour le thème « Entretien », l’élève construit

sa séquence selon 2 schémas d’entraînement
possibles :
14 Enseignement scolaire
4. Une démarche répondant à « la nécessaire construction
d’un rapport positif au corps » (cf. Groupe EPIC)
Cette démarche s’inscrit en cohérence avec
l’analyse du groupe EPIC des « trois ruptures épisté-
miques » (Fayaubost et co. 2021) concernant la
matrice disciplinaire EPS. Reprenons cette image
de pyramide où « la référence culturelle dominait
le sommet », celle-ci orientant ainsi les étapes de
transposition didactique. Aujourd’hui la « pyramide
s’est aplanie plaçant sur pied d’égalité les préoccu-
pations liées à la santé, à la relation sociale et à la
culture » dans la construction de compétences chez
nos élèves.
De plus, notre démarche s’inscrit dans une
conception dynamique de la définition de compé-
tences. « La compétence est un agir compétent,
efficace et situé dans une famille de situations.
L’individu, son action et la situation sont envisagés
comme indissociables formant un système auto-
organisé et dont la dynamique s’opère à partir
de l’expérience vécue in situ par l’individu,
notamment sa perception des éléments de
familiarité entre les situations nouvelles et celles
vécues antérieurement. » (Gottsmann L., Trohel J.
et Gal-Petitfaux N., 2019) Notre action se situe dans
cette double inscription d’une démarche visant la
construction d’un rapport positif au corps en dotant
nos élèves de pouvoirs sur leur environnement par
une connaissance et une maîtrise des possibilités
qui leurs sont offertes (ressources personnelles à
investir au regard d’un environnement à s’approprier
5. Un approfondissement des modalités de pratique
en Enseignement de Spécialité EPPCS
Notre lycée a mis en place pour la rentrée scolaire
2021-2022 l’enseignement de spécialité EPPCS en
classe de 1ère, choix a été fait avec l’équipe EPS,
de proposer aux élèves de cet enseignement,
4) EPPCS : Education Physique Pratiques et Culture sportives.
5) L’APSA Cross-training est l’appellation en EPS aujourd’hui de l’APSA Cross-fit brevetée par Reebok. Lors de l’écriture de cet article et de l’enseignement de cette APSA,
Cross-training représentait pour nous un « mélange » de course type Cross et la notion de training faisant référence à un entrainement musculaire associé.
Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023
Schéma 1 - Circuit combiné
en fonction d’un choix d’entraînement).
Cette démarche nous semble essentielle car nous
nous adressons à des élèves de Terminale, nous
sommes la dernière « pierre à l’édifice » du projet
de formation de l’élève en EPS. Il nous apparaît
primordial que les élèves vivent un rapport positif
au corps et qu’ils soient confiants en leur capacité
à pratiquer une activité physique seul ou à plusieurs
de leur propre initiative.
Pour cela, nous aurons le souci d’articuler notre
séquence d’enseignement autour de 5 axes :
Axe 1 : Construire et soutenir le sentiment de compé-
tence et d’estime de soi en mesurant à chaque leçon
l’évolution des données personnelles réalisées en
lien avec les ressentis vécus in situ : un carnet de
suivi et une fiche-leçon pour suivre la progression
et construire des temps de référence en lien avec
les sensations cardio-respiratoires recherchées
(travailler avec la FC cible dans les courses et
exercices pour être dans le thème d’entraînement
approprié).
Axe 2 : Favoriser le sentiment de confiance en ses
possibilités et le plaisir de se voir progresser en
mobilisant à chaque leçon les ressources des élèves
et des choix à vivre in situ : Aller d’un cadre d’entraî-
nement pré-construit avec choix de variables indivi-
duelles pour structurer un entraînement cohérent
4
l’activité d’établissement CROSS-TRAINING 5 celle-ci
permettant par son traitement de répondre aux
attentes des programmes stipulant que « cet
enseignement de spécialité prolonge et enrichit
avec le thème ciblé pour amener les élèves à
opérationnaliser un cadre personnel prenant en
compte objectif entraînement et optimisation des
ressources personnelles.
Axe 3 : Entretenir l’envie d’apprendre par l’appro-
priation progressive de l’environnement et d’exer-
cices variés pour maintenir de la motivation par de
nouvelles formes de pratique à intégrer : Varier les
parcours de courses avec des « boucles-bonus »,
proposer des parcours en Musculation-Puissance
pour dynamiser l’engagement.
Axe 4 : Valoriser les prises d’initiatives par la mise
en place à chaque leçon de régulations person-
nelles à apporter par l’élève pour dépasser l’aspect
formel de l’AFL2 : Amener progressivement l’élève
à construire un « savoir s’entraîner » en proposant
dans chaque leçon des régulations personnelles
(Séries, répétitions, choix d’exercices, parcours,
formes de récupération à adapter en fonction de sa
progression et de sa « forme » du jour).
Axe 5 : Solliciter des actions de soutien et d’entraide
pour une opérationnalisation de l’AFL3 : Formation
progressive de binôme/ trinôme d’entraînement
pour construire un projet d’entraînement commun,
un soutien mutuel dans les courses pour « tenir »
la vitesse moyenne choisie, une correction de la
posture en musculation, un maintien de la vitesse
de réalisation.
l’enseignement commun (EPS…» ainsi qu’à un besoin
d’autonomie et d’initiative dans leurs pratiques
des élèves de cette spécialité. Ces modalités de
pratique sont une richesse dans l’articulation des

supports pratiques et théoriques à construire par
les élèves afin de préserver un lien essentiel à la
compréhension et à la maîtrise de notions plus
complexes. Une adaptation a été réalisée afin
d’amener les élèves de cet enseignement à un pas
en avant supplémentaire et à être en lien avec les
attentes institutionnelles.
5.1. Le cadre officiel
Nous nous appuyons sur différents éléments du
programme de spécialité du BO N° 25 du 24/06/21.
Deux AFL, « S’engager individuellement ou collec-
tivement pour atteindre son plus haut niveau de
performance » et « Analyser et interpréter des
expériences diverses relatives aux APSA pour
préciser et enrichir son parcours de formation » sont
priorisés sur cet enseignement.
Nous construisons autour du Cross-training les trois
compétences :
• Pratiquer : « Se préparer et accomplir une perfor-
mance physique dans des contextes variés en
toute sécurité et en mobilisant de façon optimale
ses ressources ».
• Analyser : « Connaitre les effets de la pratique
physique sur la santé et le développement de la
personne » et « à l’aide d’indicateurs, mesurer et
analyser les effets de l’activité physique ».
• Communiquer : « Développer une argumentation
autour d’une thématique relative à la pratique
physique en mobilisant des connaissances issues
de différents domaines ».
5.2. Les caractéristiques
des élèves de spécialité EPPCS
de notre lycée
Nous avons établi les caractéristiques d’élèves
au regard des 3 objectifs généraux de cet ensei-
gnement afin d’en dégager des enjeux de formation
(EF).
Objectif : le développement de compétences dans
plusieurs APSA
Nos élèves ont une appétence pour la
pratique sportive, ils sont volontaires et
15
persévérants dans l’effort, nous œuvrons donc D’autre part, dans le souci d’amener nos élèves
pour enrichir leurs possibilités motrices par une à s’approprier leur environnement proche afin
adaptation efficiente dans différentes APSA afin de de susciter un prolongement de leur investis-
favoriser une gestion autonome et performante de sement extra-scolaire, les élèves seront amenés
leur engagement physique. à construire et à planifier leur parcours de 5 km avec
Objectif : Le développement d’un regard critique l’utilisation du portail Web Geoportail. Cette planifi-
cation géographique fera l’objet d’une appropriation
Nos élèves pratiquent d’emblée, sont partants pour
progressive du milieu environnant, des possibilités
tout, quitte à ne pas se poser trop de questions. Ils
sont réceptifs mais assez passifs dans l’exercice
offertes par celui-ci (dénivelé, zone sablonneuse,
plat ligne droite, zone arborée) et de la mise en
d’un esprit critique. Nous souhaitons leur faire
adéquation entre celui-ci, les capacités de l’élève et
acquérir et s’approprier une démarche d’analyse de
son objectif d’entraînement.
leur pratique in situ et de celles d’autrui par l’exploi-
Les exercices de musculation seront orientés vers
tation maitrisée d’outils de différentes natures.
une musculation ciblée du coureur accompagnant le
Objectif : Le développement de compétences
projet de course de l’élève vers une motricité plus
transversales
efficiente.
Nos élèves ont connu un parcours scolaire plutôt
Enfin, l’analyse personnelle du coureur portera sur
en réussite mais avec le Covid en classes de 3ème et
la confrontation entre les données personnelles
2nde des difficultés dans la formalisation écrite sont
calculées et envisagées (vitesse moyenne, %
présentes. Ils sont, par contre, assez à l’aise dans
VMA engagé, FC Max, FC de réserve, FC ciblée), les
l’expression orale. Nous rechercherons à construire
données connectées et les ressentis cardio-respi-
une démarche d’analyse (orale et écrite) permettant
ratoires et musculaires en pratique.
d’éclairer leur pratique par des données théoriques
pour comprendre les mécanismes sous-jacents à
toute pratique physique.
5.4 Les cours théoriques
5.3 Les modalités de L’exploitation des données connectées donne lieu
à la construction de cours théoriques associés
pratique Cross-training par l’analyse des indicateurs de course en nous
en Spécialité EPPCS appuyant sur la lecture, la compréhension et le
calcul des données chiffrées (recueillies sur les
montres connectées ou sur une application). Nous
Le choix est fait de prioriser la dominante course
pouvons ainsi aborder concrètement le rapport
au travers d’un engagement sous forme de
VMA / VO2MAX, l’intérêt de la connaissance et la
2 défis : « Défi Régularité » ou « Défi Cross », le défi
régularité faisant écho au thème d’entraînement
maîtrise d’une Vitesse Moyenne dans une course
de 5 km, comparer des zones d’efforts variées
« Entretien »et le défi-Cross au thème d’entraî-
(parcours plat, course fractionnée) et l’impact
nement « Puissance ».
Pour le thème « Entretien », l’élève construit sa
physiologique sur le corps avec les différentes
filières énergétiques mobilisées.
séquence en recherchant la régularité de sa
Nous associons aussi à cette séquence d’ensei-
course au KM (type footing) avec des exercices de
gnement des connaissances en termes d’échauf-
musculation associés. Pour le thème « Puissance »,
fement et de récupération (active ou passive) où
l’élève recherche une course régulière du 2ème
comment préparer son corps à l’effort et l’aider à
km au 4 ème km avec une accélération au 5ème km
récupérer.
(engagement type Cross).
16 Enseignement scolaire

Conclusion : Une sensibilisation à une santé physique et mentale

Les contraintes sanitaires fortes qui ont impacté
notre enseignement en EPS lors de l’année scolaire
2020-2021 nous ont contraint à sortir de notre
confort de pratique, notamment dans ce cas
précis d’une salle spécialisée en musculation, pour
nous amener à rechercher des solutions visant à
respecter la programmation, le choix des élèves
et les attentes certificatives. Loin d’avoir réduit le
champ des possibles, ce contexte singulier a conduit
à la construction de nouvelles modalités de pratique
qui perdurent maintenant dans notre program-
mation pour nos élèves de Terminale. Au-delà des
contraintes qu’elle a pu imposer, cette situation
sanitaire a permis sans doute de faire évoluer le
débat entre une entrée par l’APSA vers une entrée
par les attendus du champ d’apprentissage.
Notre humble ambition réside dans le fait de sensibi-
liser nos élèves au travers des modalités de pratique
à la construction d’une santé mentale et physique.
Nous espérons actionner 2 leviers :
• Solliciter des composantes constituant la condi-
tion physique : « la condition physique liée à la
santé est centrée sur la composition corporelle,
l’endurance cardiorespiratoire, la force et l’en-
durance musculaires et la flexibilité musculaire.
La condition physique liée à la performance tient
compte de la puissance, de l’agilité, de l’équilibre
et du temps de réaction ; ces attributs influent sur
le rendement dans certains sports ou métiers. » 6
L’ANSES (2017) définit ainsi les effets de l’AP sur
l’organisme : développement de l’endurance,
renforcement musculaire, amélioration de la
souplesse ou développement de l’équilibre.
• Rechercher le bien-être par la pratique d’une
activité physique : L’OMS qualifie la santé
mentale comme « un état de bien-être qui permet
à chacun de réaliser son potentiel, de faire face
aux difficultés normales de la vie, de travailler
avec succès et d’une manière productive, et
d’être en mesure d’apporter une contribution à la
communauté ».
Nous espérons ainsi permettre à nos élèves de
Terminale de ressentir des effets immédiats d’une
pratique physique à savoir une réduction possible
de l’anxiété 7. Ainsi, nous inscrivons notre démarche
dans une orientation globale plus ambitieuse de
prévention du stress. Plusieurs études, notamment
Crews et Landers 8 (1987) comparant des individus
(actifs vs peu actifs) soumis à des situations de
stress, montrent qu’une bonne condition physique
a un effet qui diminue la réponse somatique d’un
individu (fréquence cardiaque, pression artérielle,
sueur, chaleur corporelle).
La Psychologie nous propose d’ailleurs 4 modèles
expliquant les bienfaits psychologiques de l’activité
physique (Toker et Biron, 2012) :
• Le pouvoir de distraction qui repose sur l’élimina-
tion des pensées négatives,
• Le sentiment d’efficacité personnelle (SEP-Ban-
dura) : une seule séance d’activité physique
améliore le SEP chez des personnes peu actives,
les personnes régulièrement actives ont un meil-
leur SEP.
• Le ressourcement : L’hypothèse sur le ressource-
ment fait référence à la capacité de récupération
physique et psychologique qui proviendrait de la
libération des tensions nerveuses cumulées à une
augmentation du niveau d’énergie, ce qui produi-
rait des bienfaits psychologiques.
• Les altérations physiologiques : Cet effet
psychologiquement positif « post-exercice » a
été associé à la diminution du potentiel d’action
musculaire, à l’effet euphorisant et apaisant des
endorphines, à l’augmentation du métabolisme
cellulaire et des flux sanguins cérébraux respon-
sables de la régulation émotionnelle et à divers
neurotransmetteurs (norépinephrine, sérotonine,
adénosine, dopamine).
Notre action pédagogique souhaite s’inscrire dans
cet axe des bienfaits psychologiques pariant sur
un dernier vécu en EPS ouvrant à de possibles
pratiques futures.

BIBLIOGRAPHIE
ANSES (2017). Etude individuelle nationale des consommations alimentaires (Etude INCA3). Avis de l’Anses 2017. Rapport d’expertise collective.
Bandura A. (2002). Auto-efficacité : le sentiment d’efficacité personnelle. De Boeck Université.
Develay M. (2012). Donner du sens à l’école, coll Pratiques et enjeux pédagogiques, ESF.
Fayaubaust R., Gibon J., Rossi D., EPIC (2021). Une démarche EPIC pour apprendre et enseigner en EPS. Revue AEEPS.
Gottsmann L., Trohel J. et Gal-Petitfaux N., (2019). La construction de compétences par les élèves en EP :
Etude de la dynamique d’engagement et d’actualisation des connaissances. eJRIEPS, 2, 5-35.
Meirieu P. et Develay M. (1992). Emile, reviens vite… ils sont devenus fous, Coll-pédagogies, ESF.
Toker S. et Biron M. (2012). Job Burnout and Depression: Unraveling Their Temporal Relationship and Considering the Role of Physical Activity.
Journal of Applied Psychology. 97(3), 699-710. In E. Poirel (2017) Bienfaits psychologiques de l’activité physique pour la santé mentale optimale,
Revue Santé mentale au Québec.

6) Gannon en 2002, cité dans la thèse de Damien Mack Inocentio (2020) sur Condition physique et santé :
du diagnostic à l’activité physique personnalisée chez le senior (ASM Vitaly Test).
7) Etudes menées O’Connor, Raglin et Martinsen qui indiquent que l’anxiété est réduite après 20 minutes d’activité physique continue
impliquant une large masse musculaire, en l’occurrence la natation, la bicyclette ou la course à pied).
8) Cité par E. Poirel in Bienfaits psychologiques de l’activité physique pour la santé mentale optimale - Revue Santé mentale au Québec (2017).

Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023

 17

Mots clés : Forme Scolaire de Pratique - Compétences - Parcours de formation autoréférencé - Echauffement

Jérôme MARGALEJO, Professeur d’EPS agrégé, Collège Varsovie –Carcassonne - Jerome.margalejo@ac-montpellier.fr

Laurent LECOMTE, Professeur d’EPS agrégé, Collège J. Rostand Nîmes, copilote du GAREEPS de Montpellier et du cercle d’étude CA4 académie de Montpellier
laurent.lecomte@ac-montpellier.fr

S’échauffer : « Rendez-vous dans 25 minutes » 1

Notre proposition s’inscrit dans une réflexion plus
large menée sur l’approche de l’enseignement par
compétences et la complexité des apprentissages
d’une part, la réflexion sur la place de l’échauf-
fement dans le cours d’EPS et le parcours de
formation de l’élève d’autre part.
Cette réflexion est le fruit d’un travail collectif
mené au sein du GAREEPS de Montpellier et de nos
équipes pédagogiques qui exercent dans différents
types d’établissement et avec différents publics
scolaires. S’il traverse toutes nos leçons, force est En effet l’hétérogénéité de nos élèves, tant sur les
de constater qu’il représente un volume de travail
inégal en temps consacré, en contenus d’appren-
tissage ou encore en engagement des élèves. Or, si
nous lui accordons 15 à 20 minutes par leçon, cela
représente plus une vingtaine d’heures d’ensei-
gnement sur l’année scolaire. Nous souhaitons
donc dépasser les habituels tours de terrains suivis
systématiquement de gammes athlétiques que les
élèves reproduisent tout au long de leur scolarité
sans vraiment en percevoir le sens et l’utilité
comme le montre l’enquête faite au sein de nos
établissements.
Photo 1 - Les élèves sont-ils tous les mêmes ?
Par ailleurs, considéré aussi comme un temps
d’observation du groupe, alloué à la mesure du
climat de classe permettant de préparer l’activité
qui va suivre, les échauffements sont souvent
identiques dans toutes les leçons et déconnectés de
l’APSA à laquelle, ils doivent préparer. Nous sommes
alors pris en tension entre un apprentissage
méthodologique, la singularité des élèves et une
perception toujours plus grande de leurs ressentis
et des métacognitions.
plans physiques, énergétiques, morphologiques,
cognitifs, psychologiques, méthodologiques, nous
conduit à considérer leurs besoins individuels pour
viser une préparation complète, sécuritaire et indivi-
dualisée ; l’Education Physique et Sportive étant
avant tout, mais s’en s’y réduire, une éducation du
physique. Comment considérer alors que tous les
élèves doivent travailler avec la même intensité,
faire les mêmes exercices pendant la même durée
pour obtenir des effets sur leur corps ?
De plus ce temps de préparation est souvent
directif, issu des seules réflexions de l’ensei-
gnant qui devient
l’unique animateur
de ce moment. Le
« talons-fesses » et
le « pas-chas sé »
règnent en maitre
sur ce moment de la
leçon où les apprentis-
sages sont rarement
provoqués par-delà
les simples repro-
ductions de formes
commandées. Nous
pensons que l’élève y
est trop passif, trop
fortement guidé par les
consignes qui lui sont
données et qu’il exécute en leur donnant finalement
assez peu de sens.
Fort de ce constat, nous lui proposons d’apprendre
à devenir progressivement l’acteur privilégié de sa
préparation, plaçant ainsi cette étape de prépa-
ration comme un temps d’apprentissage fort de la
leçon. D’ailleurs, l’attendu de fin de cycle 4 du champ
d’apprentissage numéro 1, « s’avoir s’échauffer »
des programmes du collège de 2015, renforce nos
réflexions dans ce sens. Nous défendons l’idée qu’un
échauffement identique pour tous les élèves nous
semble inapproprié et proposons qu’il soit adapté
aux ressources de chacun.
Nous proposons donc de poursuivre
un double objectif :
1) Construire un échauffement différencié et
adapté aux caractéristiques individuelles de
chacun, ciblé sur des besoins identifiés, afin que
l’élève puisse concevoir et mener avec plaisir et
autonomie un temps de préparation personnalisé
autoréférencé.
2) Permettre à l’élève tout au long des quatre
années de son parcours santé, de réaliser
et assumer des choix qui l’engagent dans la
progression de sa préparation à l’effort et vers
une pratique sécuritaire des activités physiques,
ce qui constituera un AFC transversal à tous les
champs d’apprentissage.
L’opérationnalisation de notre démarche
d’enseignement se fait autour :
• d’une situation complexe d’évaluation, « SCE » :
« Rendez-vous dans 25 minutes »
Un « point d’étape », réalisé 4 à 5 fois dans l’année
et destiné à mesurer la capacité des élèves, à
collaborer avec un pair de façon autonome, pour
gérer leur échauffement à travers une pratique
auto référencée et régulée grâce au contrôle de
ses sensations.

1) Le projet développé dans ces pages fait également l’objet d’une évocation, mais uniquement à titre d’exemple, dans un article à paraître dans la revue EP&S
qui propose plus largement une réflexion sur le parcours de formation de l’élève en EPS. Ce dernier présentera des illustrations sur les différentes étapes
d’un parcours de formation visant à faire progressivement monter en compétences les collégiens en les aidant à construire les outils et méthodes nécessaires
à cette pratique auto référencée basée sur l’analyse de ses ressentis attendue en fin de cycle 4.
18 Enseignement scolaire

• d’un parcours de formation envisagé en 4 étapes Figure 1 - L’étoile de positionnement

au collège, dont l’objectif est de faire progressi-
vement monter en compétences les collégiens,
en les aidant à construire les outils et méthodes
nécessaires à une pratique auto référencée
attendue en fin de cycle 4. Bien évidemment,
pour que ces étapes aient du sens pour eux,
elles doivent avoir été pensées et construites en
équipe pédagogique EPS, et surtout partagées
par tous les enseignants.

Démarche d’enseignement
articulée autour d’une SCE :
Edgar Morin nous éclaire sur ce terme : « Complexus »
(ce qui est tissé ensemble). Se représenter le monde
autrement que comme un progrès linéaire, imposant
d’aller du plus petit au plus grand, du plus simple au
plus compliqué ou bien / mal mais plutôt comme
une organisation complexe faite de relations entre
les éléments qui la composent.
• Cette situation complexe, véritable « point
d’étape collaboratif » où l’apprenant pour faire
la preuve de sa compétence va : 1) partir d’un
questionnement sur sa pratique, un problème
personnalisé, basé sur l’analyse de ses ressentis Cette tâche complexe repose sur le principe d’un 160 pulsations par minutes, et un essoufflement
par rapport aux objectifs qu’il s’est fixé, ce qui va élève qui travaille pendant qu’un autre relève la modéré caractérisera la zone bleue de la phase
créer l’intérêt, le SENS de ce qu’il doit apprendre. quantité de travail fourni « valide », ce qui alimentera d’échauffement cardio-respiratoire.
• Il va ensuite analyser, réguler son activité grâce à les analyses et orientera les régulations de l’activité. C’est à partir du moment où il identifie son entrée
une étoile de positionnement 2 et avec l’aide d’un Cette « SCE » vise à permettre aux élèves à prédire en zone bleue, qu’il déclenche son chronomètre pour
PAIR, qui va : et identifier des zones de travail optimales qui un temps de travail défini préalablement par l’ensei-
- passer au crible les choix effectués dans les leur sont propres, nous les avons appelés « zone gnant seul, dans les premières étapes du parcours
différentes étapes constitutives de l’échauf- blanche » et « zone bleue ». Ciblées et adaptées aux de formation, puis par l’élève lui-même à partir de
fement : activation cardio pulmonaire, renfor- ressources de chacun, elles se caractérisent par critères objectifs et argumentés. Par exemple,
cement musculaire et préparation spécifique à des sensations et des ressentis caractéristiques, lors de la pratique d’une APSA telle que le rugby au
l’APSA mais aussi : c’est en cela que nous nous inscrivons dans un cœur de l’hiver, il sera intéressant de questionner
- apprendre en observant, en confrontant ses travail autoréférencé. les élèves sur le temps qu’ils estiment nécessaire
critiques aux retours de son partenaire La « zone blanche » définit l’état de repos relatif dans en zone bleue, qui au regard des conditions météo-
- lors de ce point d’étape collaboratif que nous lequel se trouve l’élève avant toute forme de travail. rologiques hivernales devrait être allongé. Nous
appelons « Rendez-vous dans 25 minutes ». voyons bien que l’APSA programmée, les conditions
L’observateur sera très attentif sur les temps
• L’élève s’inscrit alors dans une démarche de projet passés dans chaque
à partir d’un diagnostic au service de la forma- zone qu’il chronomètrera Photo 2 - Le coureur et son chronométreur
tion de l’élève, permettant d’orienter ses axes de avec précision pour en
travail. Il va avoir le PLAISIR de piloter un échauf- consigner les durées afin
fement personnalisé, d’élaborer et mener une de s’assurer qu’elles sont
stratégie en fonction de l’analyse de son activité, conformes au projet.
d’adapter sa pratique à ses propres ressources,
tout en respectant une logique de mesure et de Le premier temps est
progrès ; ce qui va nécessiter de tisser des liens consacré à la phase
entre des compétences de différents domaines d’activation cardio-res-
à la fois motrices, méthodologiques et sociales piratoire, visant à se
permettant d’entrer dans la pensée complexe. réchauffer. Trois repères
sur soi sont alors donnés
Si, en fin de cycle 4, l’enjeu est d’apprendre à s’orga- aux élèves : l’apparition
niser efficacement seul dans sa préparation à une de la sensation de
APSA, voire dans un autre contexte qu’une leçon chaleur, des pulsations
d’EPS, cette SCE nécessite que les élèves travaillent cardiaques que nous
en binôme en co-évaluation afin de pouvoir ciblons entre 130 et
quantifier leurs progrès.

2) L’étoile de positionnement donne à l’élève des repères LISIBLES et VISIBLES des attendus de fin de cycle pour l’aider dans les choix de sa progression,
ce qui rend l’erreur UTILE et FERTILE.

Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023

 19

Photo 3 - 1er temps, phase d’activation cardio respiratoire
climatiques, l’état de fatigue, seront déterminants.
Nous constaterons alors que les chronomètres ne se
déclenchent pas au même moment, nous y voyons
un premier indicateur de différenciation et d’auto
référencement.
Etant donné que la « SCE » dure au maximum 25 mn,
si un élève a une « zone blanche » trop longue,
il devra jouer sur des curseurs d’intensité de l’effort
et sur la nature des mouvements, afin de respecter
les restrictions temporelles imposées. Lorsqu’il
constate que le temps demandé en zone bleue
est révolu (grâce à son chronomètre), après une
période de récupération (qui est également l’objet
d’apprentissages basé sur les ressentis et la mesure
de paramètres corporels), il bascule sur le deuxième
temps de son échauffement. Bascule qui se fait à
des moments différents et marque une fois encore,
l’auto-référencement de note proposition.
Le deuxième temps est celui
du renforcement musculaire.
Le principe reste le même mais les indicateurs de
zone bleue seront l’apparition de la sensation de
congestion musculaire ou de brûlures naissantes, ou
légers tremblements lié à la fatigue. Au moment où
apparaissent certains de ces ressentis, nous consi-
dérons que l’élève entre en zone bleue. Il compte
alors à voix haute repère pour son observateur et
l’enseignant) le nombre de secondes en zone bleue
qui a été arrêté par l’enseignant dans un premier
temps, puis par lui-même au cours de sa formation.
Par exemple sur un exercice de gainage dont la
qualité de la posture sera vérifiée en permanence,
l’élève réalise 34 L’exigence de cette démarche est que chaque élève
secondes en zone s’inscrive dans un projet. En jouant sur des curseurs
blanche avant les d’intensité de temps passé en zone blanche puis
premiers ressentis bleue, il s’assurera que « le rendez-vous dans
désagréables, puis 25 minutes » soit honoré au terme d’un échauf-
enchaine par les 12 fement complet dans les trois parties.
secondes prévues Basée sur l’observation et l’analyse d’un recueil de
en zone bleue. Les données, cette forme scolaire de pratique repose
progrès seront sur un aller-retour permanent entre l’activité et
alor s mesurables la réflexion sur l’activité, l’activité et l’évaluation
au fil des séances des acquis des élèves permettant de quantifier les
en additionnant les progrès réalisés au fil des séances. Nous estimons
deux temps : zone qu’il est parfois bénéfique de « savoir perdre du
blanche et bleue. temps pour en gagner » et que ces constructions de
Dans le cas d’exer- compétences peuvent raisonner dans le long terme
cices dynamiques, le éducatif.
principe reste le même
Notre objectif est qu’ils ne s’inscrivent pas dans un
et il s’agira d’ajouter le
cheminement commun, mais qu’ils soient incités à
nombre de répétitions réalisées en zone blanche à
piloter leur activité en construisant et menant leur
celui réalisé en zone bleue.
propre parcours de formation, favorisant ainsi la
C’est bien l’allongement du temps de travail en construction progressive d’une pratique autonome.
zone blanche qui témoigne de l’adaptation à l’effort Apprécier ses propres ressources, s’évaluer et se
grâce au travail réalisé de façon régulière. Elle doit conseiller entre pairs étant au cœur de la démarche
donc être mesurée avec précision par les élèves d’enseignement par compétences proposée par le
afin de leur permettre de la percevoir comme GAREEPS de Montpellier.
révélateur de progrès, ce qui permettra d’aug-
Par ailleurs, cette construction par les élèves
menter leur sentiment de compétence et d’estime
de leur échauffement individualisé et progressi-
de soi, qui selon Deci et Ryan, conditionne le plaisir
vement dévolué, leur permet d’être acteur de leur
d’apprendre.
pratique, même auteur dans une gestion de plus en
La troisième partie de l’échauffement sera consacrée plus autonome, l’enseignant peut alors prendre du
au travail spécifique à l’APSA programmée, travail recul sur sa classe et cibler l’accompagnement d’un
de gammes techniques, de répétition de gestes élève en difficulté, ou réaliser des aménagements
et d’habiletés qui répondent à des besoins spéci- à la marge…
fiques pour l’élève et Photo 4 - 2ème temps, phase de renforcement musculaire
qui ont été identifiés
durant les séances
précédentes. Ce temps
doit permettre une
individualisation des
contenus d’enseigne-
ments. (En référence
aux situations de
transformation
de l’or ganis ation
motrice –STOM- que
propose le GAREEPS
dans sa démarche
d’enseignement par
compétences).

Pour conclure
Organiser les enseignements en parcours de
formation, pour les synchroniser et allonger les
temps d’apprentissages est bien le cœur de notre
proposition. Par ailleurs c’est en nous appuyant
fortement sur les théories socioconstructivistes,
que nous défendons l’idée, à l’instar Lev Vygotski,
que « c’est à plusieurs que l’on apprend mieux tout
seul », ce qui aura une résonnance pour le futur
adulte dans sa capacité à s’adapter à son milieu,
à prendre des décisions concertées et à penser par
lui-même.
Si la gestion des zones blanches et bleues et du
temps contraint dédié à l’échauffement est installée
au sein de chaque leçon d’EPS, la confrontation à la
SCE (situation complexe autoréférencée qui permet
d’identifier des axes de travail personnalisés), quant
à elle, ne peut être qu’épisodique car chronophage.
La nécessité d’optimiser le temps de pratique
effective dans les leçons, nous amène à ne la
proposer que 4 ou 5 fois au cours de l’année scolaire.
« Savoir s’échauffer » étant une compétence trans-
versale, l’analyse de l’activité de l’élève régulée par
l’étoile de positionnement, peut donc se faire dans
le long terme éducatif, tout au long de la scolarité,
20 Enseignement scolaire

quelle que soit l’APSA support afin de mesurer des
repérer et capitaliser des progrès significatifs en
valorisant les bienfaits d’un travail régulier.
Cette progressivité dans la construction et dans
l’appropriation par l’élève de ce protocole doit
ainsi permettre une extrapolation de ces compé-
tences vers la création d’un habitus santé et vers
la maitrise d’une préparation physique réfléchie, Nous vous invitons à nous rendre visite sur le site
qui ne manqueront pas de raisonner dans le champ du GAREEPS pour des ressources vidéo qui illustrent
d’apprentissage 5 que l’élève rencontrera ensuite nos propositions de parcours de formation ciblés de
au lycée. C’est ainsi que notre démarche vise à la 6ème à la 3ème.
augmenter le pouvoir moteur des élèves, tout
en leur faisant construire des connaissances et
des méthodes, s’inscrivant dans une EPS « ici et
maintenant, pour ailleurs et plus tard ».

BIBLIOGRAPHIE
Deci E., Ryan RM. (2016). Théorie de l’autodétermination, in La théorie de l’autodétermination ;
aspects théoriques et appliqués. Coord. Paquet-Carbonneau-Vallerand. Ed. De Boech, pp. 15-22.
Morin E. (1990). Introduction à la pensée complexe, Ed. ESF.
Vygotski L. (1934). Pensées et langage. Ed. Messidor.

La problématique de l’évaluation par compétences fait l’objet d’une réflexion conséquente dans la
profession, nous en avons un exemple ici. Au sein de l’AE EPS, le groupe EPIC l’a lancée et développée
à la même période. Nous retrouvons, dans ces approches des éléments comparables. C’est sans
doute le sujet même, à savoir l’évaluation par (des) compétences, qui amène des équipes s’emparant
de cette question à des propositions similaires engageant un tournant de la conception même de
l’évaluation en EPS. Nous appelons de nos vœux la mise en œuvre d’échanges entre les équipes
intéressées à ce sujet.
L’équipe de coordination de la revue Enseigner l’EPS

L’AE-EPS est sur les réseaux sociaux

En plus d’un fonds documentaire fort de plus de 900 articles disponible sur son site, l’AE-EPS vous propose une veille d’informations.
Nous y rassemblons à destination des étudiants, enseignants de tous niveaux, formateurs et tous les autres acteurs de l’EPS de la
maternelle à l’université, l’essentiel de l’actualité de la discipline, de l’éducation ainsi que des regards décalés sur le monde des pratiques
physiques et du sport. N’hésitez pas à le faire savoir autour de vous.

actu.aeeps.org facebook.aeeps.org twitter.aeeps.org rss.aeeps.org

Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023

 21

Mots clés : engagement - coopération - interdépendance - arcathlon - pratique hybride

Sébastien CHANE-LAP, enseignant agrégé d’EPS, collège François Villon, REP+, Mulhouse - sebastien.chane-lap@ac-strasbourg.fr
Martin ROUSSET, enseignant agrégé d’EPS, collège Kennedy, REP+, Mulhouse - martin.rousset@ac-strasbourg.fr

« Comme des flèches » :

s’engager et coopérer en arcathlon

Une triple Genèse

Le contexte comme déclic Une expérience culturellement Les textes officiels
Donner le goût et le sens de l’effort aérobie est
signifiante comme ancrage comme appuis
une mission complexe. En dépit de nos stratégies
Le biathlon nordique, étendard de l’équipe de France Depuis 2015 et la parution des programmes pour
d’apprentissage pour la rendre attrayante, une
aux derniers J.O d’hiver à Pékin 2022, nous apportait le collège (BO du 21/11/2015), les « épreuves
majorité de nos élèves d’éducation prioritaire
la solution : un effort de puissance aérobie (exigeant combinées » sont devenus des attendus de fin de
vivait la séquence de demi-fond « traditionnelle »
et intermittent) et original (logique de l’enchaî- cycle à part entière. Dans les revues profession-
leçon après leçon, sans réel sens perceptible, et
nement), offrant par la diversité des épreuves nelles, des propositions voient le jour en ce sens,
pouvant se résumer ainsi : « on va encore courir ? ».
de nombreuses variables de pratiques, dans des en témoigne la lecture inspirante de l’article de
Leur engagement, (moteur, émotionnel et cognitif)
formats individuels et collectifs. En ce sens, le Cadière (2018) qui propose le « biathlon athlétique
tendait à se réduire, (particulièrement à partir
« fond culturel » (Testevuide et Ubaldi, 2021) sportif enchaînée ». C’est dans ce type d’épreuve globale
du cycle 4) de même qu’à rester majoritairement
devient un véritable ancrage pour construire une que notre démarche vient s’inscrire, en ciblant les
individuel, les rôles sociaux n’étant investis qu’avec
« forme de pratique scolaire » (FPS), le tout restant enjeux prioritaires au regard de notre contexte
peu d’intérêt. Pour dépasser ce constat, nous
relié aux besoins de nos élèves et à l’ADN du CA1 : d’enseignement initial.
avons cherché à élaborer une forme de pratique
l’arcathlon.
qui permette à la fois de les faire adhérer sur le
temps de la séquence à de vrais apprentis-
sages, tout en créant une réelle dynamique Tableau 1 - Planifier une FPS
collective – de coopération. Pour faire écho
aux propos de Travert et Gatouillat (2018),
cette pratique hybride offre à chaque élève
la possibilité de s’engager selon différents
motifs, tout en développant ses ressources.
Les transformations observées apportent
une plus-value significative, répondant
aux attendus du champ d’apprentissage
(CA 1) des programmes du collège (B.O du
26/11/2015), tout en ne s’y limitant pas.
En effet, le contexte de notre proposition
est coloré par des aspects qui dépassent
la seule relation que l’élève peut créer avec
le temps et l’espace : les rapports qu’il
peut expérimenter avec l’environnement
(adaptation de son projet de tir par rapport
aux conditions climatiques) et ceux vécus Tableau 2 - Des AFC 4 aux enjeux prioritaires
par l’opposition avec autrui (stratégie indivi-
duelle et collective pour faire basculer le
rapport de force) peuvent même contribuer
au dépassement des propositions contenues
dans ce CA.
22 Enseignement scolaire

Présentation de la démarche
Le matériel comme pré-requis Des outils facilitateurs

Au-delà des kits « softarchery » (cibles mobiles et

flèches à ventouse pour davantage de praticité, de
manipulation par les élèves et de sécurité), le petit
matériel pour fonctionner est le même que pour une
séquence du CA1 : petites coupelles, lattes, plots
de couleur, chronomètres. Certains outils facilitent
quand même grandement la mise en œuvre
proposée, pour détacher l’enseignement des tâches
d’organisation, faciliter l’observation des élèves ou
le recueil des résultats et réussites.

L’équipe comme point de départ

d’une « histoire collective »
(Evin, 2014)
Dans l’objectif de favoriser une réelle coopération
entre nos élèves, nous faisons le choix d’élaborer
des équipes de 4 – pour 4 rôles - dès le début
de la séquence, hétérogènes en leur sein mais
Tableau 3 - La constitution des équipes : un moment clef
homogènes entre elles, pour que se développe au fil
des épreuves, une réelle interdépendance sportive
et sociale.
Pour faire ces équipes, nous réalisons un diagnostic
« classique » du potentiel aérobie des élèves, via le
test VMA Spartacus (Rey et al., 2013), qui valorise
de façon sensible leurs performances, donc
susceptibles de favoriser leur engagement moteur.
Si ce protocole est impossible (pour des raisons
matérielles par exemple), un autre test intermittent
peut être proposé comme le « 36’’/24 »; s’appuyer Schéma 1 - La séquence en image
sur la connaissance de ses élèves et sur les acquis
des séquences antérieures peut également savérer
très efficace. De façon pragmatique, pour une
classe de 24 élèves : 6 équipes de 4 élèves, avec
4 potentiels aérobies différents, matérialisés par
des chasubles de couleurs différentes. Ces équipes
élaborées, la saison d’arcathlon peut commencer
(voir tableau 1 « planifier une FPS »)
Remarque : les équipes ainsi faites, chaque coureur aussi les témoins des manques de nos élèves pour les élèves sont fortement incités à coopérer
sera confronté lors des épreuves à des coureurs de proposer entre chaque épreuve, des situations puisqu’une partie de leur réussite dépend de la
sa couleur de maillot, pour maintenir l’égalité des de remédiations ou « petites boucles » (Ubaldi et réussite de leur partenaire. Cette « communauté
chances : les verts contre les verts… etc. Philippon, 2003), axées soit sur l’efficacité au tir, d’intérêt » (Galichet, 1998) a parallèlement tendance
soit sur l’efficacité du coureur). à augmenter significativement les échanges au sein
La séquence comme des équipes et les interactions d’entraide (Van de
« tranche de vie » (Portes, 2013) Le collectif comme fil rouge Kerkhove, 2020). Ainsi l’interdépendance indirecte
(cumul de performances individuelles au profit
d’arcathlète Chaque épreuve est l’occasion, par des critères de d’un résultat collectif) incite les membres d’une
réussites auto-référencées en lien avec sa VMA équipe à s’entraider pour progresser (en assurant
Du sprint aux relais, en passant par la poursuite (les élèves choisissent une vitesse cible et doivent efficacement les rôles sociaux) et à s’encourager
inversée (à handicap), ces situations complexes ou mener à bien leur projet d’allure), de valider des (pour capitaliser le maximum de points et gagner le
épreuves « grandes boucles » (Ubaldi et Philippon, compétences individuelles mais aussi de rapporter globe collectif). De même, l’interdépendance directe
2003), réparties au fil de l’eau durant la séquence, des points à son équipe. Ainsi, chaque épreuve suscitée lors des relais invite les membres d’une
sont des révélateurs des compétences atteintes donne lieu à deux vainqueurs du « petit globe » de même équipe à s’organiser, faire des choix et ajuster
(en tant qu’arcathlète et dans les rôles sociaux, la spécialité : a. Individuel pour chaque groupe de leurs actions en vue d’atteindre un objectif commun.
omniprésents car interdépendants entre eux) mais VMA ; b. Par équipe. Par cette forme de pratique, Les compétences méthodologiques et sociales sont

Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023

 23

donc progressivement sollicitées tout au long de la Schéma 2 - Des variables pour engager et réguler en arcathlon
séquence, et deviennent l’une des conditions sine
qua non pour réussir (voir évaluation).

Des variables comme leviers

Comme dans chaque FPS, le choix des variables a
des incidences sur la réussite ou la mise en échec
des élèves. La diversité des propositions permet
également de maintenir l’adhésion de nos élèves, en
instaurant de la nouveauté. Ainsi, chaque épreuve
est l’occasion d’introduire de nouvelles formules.

Proposition de trame de séquence

Tableau 4 - Des contenus par rôle
Leçon 1 : diagnostiquer le potentiel aérobie
des élèves (test VMA Spartacus ou 36’’/24’’)
Leçon 2 : le sprint
Cette épreuve est la 1ère d’une série de plusieurs
« grandes boucles » que l’élève sera amené à vivre
durant la séquence. Elle permet également d’affiner
les équipes - le cas échéant -, en cas d’écarts trop
importants à l’issue de la course. L’usage du tableau
blanc permet l’affichage des résultats, mais permet
aussi de libérer l’enseignant de l’organisation des
rotations, grâce à une fiche outil simple. Cette
1ère épreuve est donc riche d’apprentissages, car
tout en permettant à l’arcathlète de se confronter
aux exigences de la FPS, elle permet également
d’installer les rôles et de faire passer des contenus
d’enseignement essentiels mais parfois minimisés. Tableau 5 - Fiche de rotation
Remarque : en cas d’absence d’un élève dans
l’équipe, le juge points et le responsable matériel ne
font qu’un. Notons que cette FPS peut également être
proposée par équipe de 3, ce qui favorise le temps de
pratique et doit avoir pour conséquence d’augmenter
la charge de travail.

1) La charge de travail
A tour de rôle et en confrontation par niveau (entre
maillots d’une même couleur), chaque arcathlète
réalise : 2 tours + 1 volée de 2 flèches + 2 tours
Schéma 3 - L’aménagement matériel d’une épreuve « grande boucle » 1
chronométrés (critère de réussite individuel (CR)
n°1 de l’épreuve) ; pour mener à bien l’objectif
de vitesse attendu (= ou >) en lien avec sa VMA,
l’élève en début de séquence est aidé de repères
externes (annonce du temps intermédiaire au tour
par le chronométreur). La petite piste est réservée
aux élèves à besoin éducatifs particuliers, dans le
respect de l’égalité des chances.
Remarque : sur cette épreuve de sprint, la boucle de
pénalité est absente.

1) Plateau sportif, terrain ou longueur de gymnase type C)

24 Enseignement scolaire

Tableau 6 - Le CR du coureur sur la partie chronométrée

2) Les modalités du tir

Bonus de temps à déduire du temps final selon Tableau 7 - Le CR du tireur sur sa volée de 2 flèches
le score (critère de réussite individuel n°2 de
l’épreuve).
Remarque : sur la cible du kit « softarchery », le
comptage va de 6 à 10 points. Cependant, nous
faisons le choix d’attribuer 5 points pour toute flèche
qui colle sur la cible en dehors de la zone de marque
(zone rouge) ; également, pour compenser les failles
possibles liées au système de ventouse, 5 points Tableau 8 - Un outil simple de recueil des résultats et des réussites
seront aussi donnés pour toute flèche qui touche la
cible mais qui ne reste pas collée.

3) Le recueil des résultats

A l’issue du 1er temps de course (maillots verts), le
chronométreur et le juge points sont invités à se
rassembler et à venir autour du tableau blanc : le
chronométreur attribue les points correspondants
à la vitesse de course atteinte et le juge points a. Individuellement : le temps bonifié. Le 1er de (1er = 6 points si 6 équipes, 2ème = 5 points… etc.).
attribue le bonus de temps à déduire du temps final. chaque sprint par niveau devient le vainqueur du La 1ère équipe devient vainqueur du « petit globe »
Ensemble, ils calculent le temps bonifié. Deux types « petit globe » du sprint ; du sprint.
de résultats sont mis en avant : b. Collectivement : chaque coureur apporte à son … Tableau 8 avec autant d’équipes que besoin !
équipe ses points VMA + ses points « classement »
Leçon 3 : un détour vers
Schéma 4 - La Situation d’Apprentissage « dans le mille »
une « petite boucle »
Le tableau de recueil des résultats permet
de révéler chez nos élèves un besoin priori-
taire, en lien soit avec l’efficacité au tir (peu
de bonus de temps sont observés), soit avec
l’efficacité du coureur (peu de points VMA
sont marqués). Il s’agit alors de proposer en
L+1, une ou plusieurs situation(s) d’appren-
tissage (SA) de remédiation. Dans l’exemple
ci-dessous, la SA proposée permet de faire
progresser l’élève dans sa dimension de
coureur (identifier une vitesse cible > VMA
et la répéter), tout en respectant la logique
de l’enchaînement course-tir pour maintenir
son engagement.
Leçon 4 : « la poursuite inversée »
Il s’agit de la 2ème « grande boucle » de la
séquence. En gardant la même organisation que
pour les rotations du sprint, l’épreuve consiste
à faire partir le dernier de chaque groupe en 1er Tableau 9 - Ecarts au départ de la poursuite inversée
et ainsi de suite ; Le 1er du sprint partira donc en
dernier. Le but est alors de conserver son avance ou
de rattraper son retard pour gagner la course. Cette
épreuve permet de maintenir la motivation et l’envie
de se dépasser.

Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023

 25

La charge de travail et les modalités du tir évoluent, Tableau 10 - Gradation des pénalités
puisque la boucle de pénalité apparaît notamment.
Cette épreuve donne toujours lieu à 2 types de
résultats (individuel et collectif). Le classement
ne se fait pas cette fois au temps mais bien selon
l’ordre d’arrivée des coureurs. Pour en savoir plus
(charge de travail, modalités au tir et CR) Tableau 11 - Le CR du coureur sur la partie chronométrée
1) La charge de travail : 1 tour + 2 flèches + pénalités
éventuelles + 2 tours (chronométrés pour contrat
VMA). Remarque : pour donner des repères stables au juge de même sur toute la durée de la séquence sur les
2) Les modalités au tir à l’arc : à chaque volée, possi- points, nous faisons le choix de conserver le même volées de 2 flèches.
bilité d’un ou plusieurs tour(s) de pénalité. barème au tir que sur l’épreuve du sprint ; Il en sera

Leçon 5 : le retour vers Schéma 5 - La Situation d’Apprentissage Kill Bill

une « petite boucle »
Dans la même logique qu’en leçon 3,
nous utilisons à nouveau le tableau de
recueil des résultats issus de la poursuite
inversée pour déterminer un besoin
prioritaire des élèves. Dans l’exemple
ci-dessous, la SA proposée permet de faire
progresser l’élève dans sa dimension de
tireur (répéter et stabiliser un tir précis).
La logique d’enchaînement course-tir est
toujours présente.
Remarque : ces contenus ne font pas l’objet
d’une verbalisation collective, ils sont
donnés au cas par cas, en fonction des
besoins des élèves.
Leçons 6 et 8 : l’heure des relais Schéma 6 - Quelques contenus essentiels au tir
Les rôles étant bien installés, cette
dernière épreuve « grande boucle » apporte
une dynamique appréciée des élèves, où la
coopération tient toutes ses promesses
par des interactions riches, sur le plan
stratégique notamment (répartition des
choix possibles et pourquoi ?). Le relais
confronte également les élèves à la
nécessité d’enchaîner avec efficacité les
rotations dans les rôles, pour que l’équipe
perde le moins de temps possible. Les
formules sont diverses, de même que la Tableau 12 - Des propositions de relais « à thème »
charge de travail est modulable selon
les effets recherchés, d’où le choix de
les proposer sur plusieurs leçons. Il est
enfin possible de proposer 2 relais par
leçon. Dans un souci de clarté et de suivi,
les coureurs de chaque équipe portent le
même maillot de couleur. Pour la 1ère fois
de la séquence, des coureurs de niveau
très différents peuvent être en même
temps sur la piste.
Cette épreuve donne toujours lieu à 2 types
de résultats (individuel et collectif) selon
les mêmes modalités qu’à la poursuite.
Le classement général s’effectue encore
selon l’ordre d’arrivée des coureurs.

Leçon 7 : « ultime » retour à la case remédiation dans la même logique que les leçons 3 et 5)
26 Enseignement scolaire

L’évaluation comme révélatrice des apprentissages

Evaluer les compétences Tableau 13 - Fiche outil « classement de la saison » 2

entre « fil rouge

et « jour J »
Evaluer les acquis de l’apprentissage
est selon nous un acte complexe. Ne pas
prendre en compte les compétences
motrices, méthodologiques et sociales
des épreuves de la séquence vécue nous Tableau 14 - Fiche outil « mass start » 3
semble inenvisageable. C’est pourquoi
l’évaluation (par niveau de maîtrise et
sans note dans nos établissements) sera
la résultante de performances validées
« au fil de l’eau » parmi les 4 épreuves de la
saison d’arcathlète (le sprint, la poursuite
inversée + les 2 meilleurs relais), ainsi que
celles du « jour J » : la « mass start » (même
épreuve que la poursuite inversée mais Tableaux 15 et 16 - Proposition d’évaluation par compétence en cycle 4
avec un départ groupé des aracathlètes,
par niveau).

2) Tableau avec autant d’équipes que besoin !

3) Idem

Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023

 27

Conclusion
L’arcathlon s’inscrit pleinement dans les « épreuves
combinées » du CA1, en développant les compé-
tences motrices « traditionnelles » du coureur
de demi-fond, tout en permettant à nos élèves
d’aborder une activité de ciblage, riche de contenus
mais pourtant peu présente dans notre champ disci-
plinaire et professionnel (Borde, 2022). Également,
par son format hybride, elle permet de dépasser la
logique de champ en inscrivant des apprentissages
dans d’autres dimensions.
A travers nos choix, allant de la forme des équipes
(hétérogènes en leur sein et homogènes entre
elles), en passant par les épreuves (rendant les
rôles sociaux signifiants et indispensables), jusqu’au
recueil des résultats (individuels et collectifs,
créant ainsi de l’interdépendance), cette activité
nous permet aujourd’hui de dépasser le constat
initial concernant le manque de motivation, de sens
et de mise en œuvre concrète de la coopération de
nos élèves.
L’évaluation, parfois source de frustration ou
d’incompréhension, découle de la séquence, ce qui
la rend lisible et explicite pour nos élèves. L’objectif
étant de construire un vrai continuum de formation
en arcathlon, de la 4ème à la 3ème, les attendus
évoluent, tant pour l’arcathlète que pour les rôles
sociaux.
Chaque année, ces évolutions naissent en fonction
des réponses et de l’engagement de nos élèves,
afin que cette forme de pratique ne reste pas figée,
mais en constante évolution pour répondre au mieux
à leurs besoins tout en préservant la nécessité
d’apprentissages exigeants.
Les pratiques qui semblent aujourd’hui susciter le
plus d’adhésion sont celles dans lesquelles le choix
du type d’engagement n’est pas imposé, mais laissé
au libre arbitre du pratiquant, à l’image du choix que
les élèves ont à effectuer lors de l’évaluation de
leurs attendus de fin de lycée (AFL 2 et 3). Il parait
dès lors pertinent de proposer au sein d’une même
activité une offre d’engagement variée, permettant
à l’élève de choisir celle dans laquelle il souhaite
se réaliser.

BIBLIOGRAPHIE
Bordes P. (2022), Les pratiques de cibles ; point aveugle de l’EPS,
in Revue Enseigner l’EPS, n°287, Ed. AE EPS.
Cadière R. (2019), Le biathlon athlétique enchaîné, in Revue Enseigner l’EPS,
n°278. Ed. AE EPS.
Evin A. (2014), Des histoires collectives en EPS, in Le café pédagogique, le Mensuel n°150.
Galichet F. (1998), L’éducation à la citoyenneté, Ed. Anthropos, coll. Modèles et propositions.
Portes M. (2013). Qu’est-ce qu’une « tranche de vie de handballeur » ? Comment garantir
que le jeune joueur va en vivre une ? In Revue Contre-pied HS n°6, Ed. EPS et société.
Rey O., Rossi D., Nicol C., Mercier C-S., Vallier J-M., Maïano C. (2013), Évaluation indirecte
de la capacité aérobie d’adolescents obèses : intérêt d’un test de course à pied
intermittent court, progressif et maximal, in Revue Sciences et sport n°28.
Testevuide S., Ubaldi J-L (2021), Le fonds culturel comme boussole pour ne pas
se perdre dans la construction de FPS et le choix d’objets d’enseignement en EPS,
in Formes scolaires de pratique et formation des élèves. Quels enjeux pour l’EPS ?
Les dossiers EPS, vol 7., Ed AE EPS.
Travert M., Gatouillat C., (2018), Les rapports aux cultures sportives,
in Dossier EPS n°85, Ed. EP&S.
Ubaldi J-L., Philippon S. (2003), REP : quelle EPS ? Une illustration en basket,
in Revue EPS n°299, Ed. EP&S.
Van de Kerkhove A, (2020), Apprendre par et pour la coopération comme enjeu
à l’Ecole et en EPS, in Revue Enseigner l’EPS, n°281, Ed. AE EPS.

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28 Enseignement scolaire
Mots clés : combinés athlétiques - lancer loin - référence culturelle

Teddy MAYEKO, MCF, Université de Cergy-Paris (CY) - teddy.mayeko@cyu.fr

Plaidoyer pour une culture du « lancer loin »

en athlétisme
Revitalisée par la présence du combiné athlétique en collège, la famille des lancers refait progressivement son apparition
dans les programmations d’activités en EPS. Elle donne l’occasion à de nombreux élèves d’éprouver des registres de
motricité spécifiques, pour vivre des expériences qui contrastent avec les traditionnelles familles des courses et des sauts.
Néanmoins, dans les faits, les pratiques professionnelles des enseignants se démarquent par leur caractère hétéroclite.
Lancer de distance et lancer de précision se disputent une place de choix en éducation physique. D’un côté, la référence
culturelle au « lancer loin » est défendue par les adeptes d’une pratique scolaire de l’athlétisme pilotée par le développement
des ressources. De l’autre, la construction de pratiques hybrides, indexées sur le modèle du biathlon, attire les partisans d’un
athlétisme scolaire sublimé par la motivation et l’engagement des pratiquants.
Si ces deux formats cohabitent au sein de la discipline, je militerai dans cet article pour la revalorisation du « lancer loin », seule
modalité qui, me semble-t-il, engage les élèves dans le vécu d’une authentique expérience d’athlète. Au-delà, je tâcherai de
montrer que la famille des lancers offre de nombreux possibles, témoins d’apprentissages en devenir chez les élèves.

1. L’intérêt des épreuves combinées en EPS

Comme évoqué en introduction, les épreuves
combinées constituent aujourd’hui un point de
passage obligé dans la scolarité du collégien.
Inscrites dans les programmes EPS de 2015, elles
sont mises en œuvre au cycle 3 et au cycle 4 où il est
attendu que l’élève réalise une performance dans au
moins deux familles athlétiques. Leur introduction
dans les textes officiels de l’éducation physique
traduit la volonté de compenser la surreprésen-
tation des courses (demi-fond et relais-vitesse).
Elle tend ainsi à mettre à l’honneur des disciplines
qui sont généralement moins médiatisées, plus
éloignées des pratiques de terrain et peu prisées
par les enseignants d’EPS. C’est notamment le cas
des lancers, qui bénéficiaient jusque-là d’une repré-
sentativité limitée dans les programmations.
Il me semble que depuis 2016 (entrée en vigueur
des « nouveaux programmes » de collège), les
professeurs d’EPS se sont pleinement emparés de
ce chantier. Beaucoup y voient – et je partage ce
point de vue – l’occasion d’offrir une alternative
de pratique aux élèves. La référence au combiné
permet d’explorer la richesse des disciplines
athlétiques en confrontant les jeunes athlètes à
des expériences corporelles à la fois diverses et
contrastées.
Au-delà, l’enchainement des tâches, qu’il soit
envisagé de manière juxtaposée (selon le modèle
du décathlon et de l’heptathlon) ou de manière
combinée (par exemple : courir, lancer, courir),
permet aux élèves d’apprendre à gérer leurs
ressources afin de produire une performance
optimale, mesurable à une échéance donnée. Ce qui
importe ici, indépendamment de la structure des
épreuves (juxtaposées ou combinées), c’est de
créer les conditions du dépassement de soi, en
ciblant des principes d’action emblématiques de la
culture athlétique 1 (Hanula, 2020). J’insiste sur ce
point car il me semble capital : la pratique scolaire
de l’athlétisme a pour principal but d’engager l’élève
dans des registres de motricité non usuels, lui
permettant de mobiliser ses ressources au service
de la production d’une performance. Le contexte de
pratique est borné par des codes et un règlement
spécifique dont l’essence anthropologique consiste
à « agrandir l’espace ou raccourcir le temps » (Jeu,
1977). Si l’on respecte ce principe, toute forme de
combiné athlétique est bienvenue !
Enfin, je pense que l’intérêt des épreuves combinées
réside également dans la possibilité de mettre
l’élève en projet, de l’amener à se fixer des objectifs
de progression indexés à son niveau de ressources
et à ses propres motifs d’agir. A ce propos, la
bonification d’une discipline (selon un jeu de coeffi-
cients ou de recueil de performances) peut ancrer
les athlètes dans une culture de l’entrainement
et valoriser des profils habituellement moins en
réussite. Je pense par exemple, sans tomber dans
les clichés, que les lancers peuvent potentiellement
permettre à des élèves moins à l’aise en course de
trouver d’autres voies d’expression pour performer.
En somme, il s’agit de rendre la pratique de l’athlé-
tisme plus équitable et moins stéréotypée.

2. Lancer loin, oui ! Lancer précis, non !

Au risque de paraitre « fermé », je défends ici le
recours exclusif aux lancers de distance 2. En effet,
il me semble que l’athlétisme scolaire est traversé
par des enjeux d’apprentissage qui, sur un plan
technique et expérientiel, ne sauraient se confondre
avec du lancer de précision. Faire de l’athlétisme,
ce n’est pas viser une zone de plots, en adoptant une
posture à l’amble caractéristique d’un lanceur de
fléchettes. Ce n’est guère plus « lancer un frisbee »,
en construisant une gestuelle sans aucun rapport
avec les principes élémentaires de la création de
vitesse lors d’un lancer en rotation.
Aussi, il y a selon moi un risque à généraliser de
telles pratiques. Premièrement, celui de renoncer
à toute ambition d’apprentissage en emprisonnant
les élèves dans des modes de coordinations stables
et familiers, aux antipodes de la culture athlétique.
Loin de conforter les élèves dans ce qu’ils font déjà,
notre mission, rappelons-le, est de les aider à se
transformer.

Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023

 29

Deuxièmement, celui de tuer dans l’œuf l’émotion
athlétique. En hommage à Bernard Jeu (1977), je
trouve important de réaffirmer ici que l’athlétisme
est un sport piloté par une intention fondamentale
qui se colore singulièrement dans la famille des
lancers : agrandir l’espace pour suspendre le temps.
En effet, lancer loin c’est chercher à accroitre le
temps de vol d’un engin. C’est sublimer la mise en
apesanteur d’un projectile afin de vivre soi-même,
et de faire vivre au spectateur, un moment
d’éternité suspendu. Ce postulat anthropologique,
loin d’être optionnel ou secondaire, doit guider nos
choix didactiques et constituer le creuset de notre
enseignement.
Troisièmement, celui de rompre avec la logique des
programmes et l’essence du champ d’apprentissage
numéro 1. Pour s’en convaincre, il suffit de relire
l’AFC1 au cycle 3 : « réaliser des efforts et enchainer
plusieurs actions motrices dans différentes familles
pour aller plus vite, plus longtemps, plus haut,
plus loin ». Conformément à la devise olympique
– citius, altius, fortius 3 – l’athlétisme fédéral ou
scolaire reste profondément attaché, dans ses
dimensions anthropologiques et culturelles, à la
conquête de l’espace et du temps.
Non, enseigner ou faire de l’athlétisme à l’école, ce
n’est pas cautionner le lancer de précision ! C’est
penser, en cohérence avec les propositions du
CEDREPS, les pas en avant que pourront réaliser les
élèves dans des formes de pratiques ambitieuses
et cibler des tranches de vie constitutives d’une
authentique expérience d’athlète.
A cet effet, il me semble pertinent de faire un rapide
détour par un texte qui, selon moi, dit l’essentiel en
peu de mots : « Ce qui compte c’est que les élèves
vivent une expérience athlétique de même nature
que celle vécue par l’athlète confirmé et qu’ils
déploient la même activité pour affronter les mêmes
problèmes essentiels et vivre les mêmes émotions »
(Alain Soler, 2006).
Quels que soient les choix des enseignants, au bout
du compte, ce qui importe vraiment c’est que les
élèves puissent s’entrainer, travailler, répéter pour
apprendre à lancer loin. La recherche de perfor-
mance et la quête du record, voilà ce qui est mobili-
sateur, voilà ce qui doit être retenu !

3. Lancer loin, oui… mais pas n’importe comment !

Si je défends la « revalorisation » d’une culture du
lancer loin en éducation physique, la question subsi-
diaire qui se pose est : « oui… mais comment ? »
Cela fait déjà de nombreuses décennies que l’on
connait – grâce à la littérature spécialisée – les
principes d’action jugés essentiels à la production
de performance dans les disciplines athlétiques.
J’en retiendrai cinq 4 que je déclinerai brièvement
dans la famille des lancers.
3.1. Adopter une organisation
controlatérale en position finale
pour accorder les trajets
moteurs avec la trajectoire 3.2. Accroître les prises
sur l’organisation gestuelle et la pose d’appui. Par
exemple, « chercher à monter sur l’appui gauche
en position finale » 5 est un contenu métaphorique
qui présente un triple intérêt. Premièrement, cela
invite l’élève à créer un point d’ancrage en appuyant
fort sur le sol. Cette intention est fondamentale car
elle permet d’optimiser la transmission des forces
en vertu du principe mécanique d’action / réaction.
Deuxièmement, cela favorise la construction d’ali-
gnements segmentaires et le maintien du bassin
en position haute. Troisièmement, c’est un contenu
simple, intelligible, qui renforce l’idée d’une posture
redressée au moment de la propulsion de l’engin.
verticalité du corps lors des phases préparatoires
à l’éjection, il est essentiel d’aider l’élève à accroitre
ses prises d’avance d’appui. Très concrètement, cela
signifie que le pied gauche du lanceur doit toujours
être projeté en avant du bassin lors de la pose du
dernier appui. Ce repère est central car il permet
d’activer le cycle étirement-renvoi selon le modèle
de la catapulte (à la condition que le bassin soit gainé
et que les alignements segmentaires soient tenus).
De manière analogue, la dissociation des ceintures
pelvienne et scapulaire (que l’on associe généra-
lement à une « prise d’avance en rotation »), permet
d’amplifier la mise en tension des chaines muscu-
laires et par voie de conséquence, d’augmenter la
force propulsive du lanceur. On retrouve une fois de

de l’engin d’avance pour optimiser plus la même mécanique.

le cycle étirement-renvoi Ces éclairages doivent selon moi conduire les ensei-
gnants d’EPS à prioriser deux intentions techniques
La motricité de l’athlète, quelles que soient les chez le lanceur. Premièrement « chercher à poser
disciplines, n’est jamais pilotée par la recherche En athlétisme, les prises d’avance sont multiples et
de différentes natures. Il s’agit tantôt de les réduire le dernier appui gauche en avant du bassin tout
d’homolatéralité. Dans chaque famille, le pratiquant en maintenant l’épaule droite à l’aplomb du pied
doit construire des modes de coordination basés sur (en course de haies par exemple l’athlète doit
chercher à limiter les prises d’avance antéropos- droit ». Ce contenu est central car il vise à accroitre
une opposition bras-jambe systématique. Ainsi, la simultanément les prises d’avance et le chemin de
mobilisation des segments libres obéit à des règles térieures afin de diminuer la surélévation du centre
de gravité lors de la foulée de franchissement), lancement efficace 6. Deuxièmement, « chercher à
élémentaires pour assurer l’équilibre et la propulsion visser le sol avec le pied droit pour engager le bassin
du corps dans l’espace. Par exemple, au poids, au tantôt de les accroitre (en saut en hauteur, la
prise d’avance du pied d’impulsion par rapport à la vers l’avant tout en maintenant la ligne des épaules
javelot et au disque, un lanceur droitier proposera dans un plan fixe (le plus longtemps possible) ».
obligatoirement la jambe gauche en opposition lors projection verticale du bassin est un élément clef de
la performance). Cette action est essentielle car elle assure la trans-
de l’éjection de l’engin. Cette attitude assure à la mission des forces et augmente l’étirement des
fois la stabilité de la posture (équilibre) et la resti- En lancer, et notamment avec un public débutant, chaines musculaires (notamment postérieures).
tution des forces emmagasinées (propulsion). l’augmentation des prises d’avance est l’un des Bien évidemment, selon les disciplines et le niveau
En contexte scolaire, cela doit inciter les ensei- principaux facteurs de progrès. Effectivement, pour d’expertise des élèves, les repères donnés par
gnants d’EPS à délivrer prioritairement des contenus rompre avec des repères de terriens et casser la l’enseignant pourront varier et s’affiner.
1) Je rejoins pleinement l’auteur lorsqu’il dit que « tout combiné n’est pas combiné athlétique ». Par la suite, je montrerai d’ailleurs que le choix des disciplines et la façon
dont elles sont traitées (lancer de distance ou lancer de précision par exemple) conditionne ou non la validité de la démarche.
2) J’apporte ici une nuance. Apprendre à lancer loin suppose de construire des alignements entre les trajets moteurs de l’athlète et la trajectoire de l’engin.
En ce sens, lancer dans l’axe constitue une étape, voire un objectif d’apprentissage tout à fait cohérent (sur ce point, j’invite le lecteur à consulter les travaux engagés par
Hélène Bossé dans l’académie de Créteil). En effet, dans chaque discipline traditionnelle (javelot, marteau, poids et disque) un secteur de lancer définit les contraintes spatiales
de la zone de chute. Cependant, ce qui doit primer – au niveau de l’engagement et des intentions – c’est de trouver les solutions techniques les plus adaptées pour lancer loin.
3) A noter que depuis 2021, la devise olympique s’est enrichie d’un nouveau symbole : « citius, altius, fortius – communiter », dont la traduction officielle est « plus vite, plus haut, plus fort
– ensemble ». Cet état d’esprit correspond bien au cadre des épreuves combinées et plus largement à la façon dont les enseignants d’EPS appréhendent l’athlétisme scolaire.
4) Bien évidemment, ces cinq principes ne sont pas exhaustifs.
5) Pour chaque exemple, je partirai du principe que le lanceur est droitier.
6) Je reviendrai sur l’importance du chemin de lancement par la suite.
30 Enseignement scolaire
Des repères pour aider l’élève à construire
des prises d’avance en rotation
Le « vissage » est une action motrice, caractéris-
tique de la coordination du lanceur, qui est initiée par
le travail du pied droit. Très complexe, elle nécessite
la construction préalable de repères proprioceptifs
et une connaissance fine de son schéma corporel
(il s’agit in fine de réussir à dissocier le train
inférieur et supérieur). Bien qu’aucun contenu ne
soit « magique », je pense que les aménagements
suivants sont susceptibles de créer « des déclics »
chez le débutant en l’aidant à se défaire d’un corps
« monobloc ».
• Travailler si possible sur un sol lisse, non rugueux
(herbe ou terrain sablonneux) pour faciliter le
pivot du pied.
• Imposer un prérequis moteur : « pas de talon droit
posé au sol ». Cela oblige l’élève à être sur l’avant
du pied, ce qui, d’une part, facilite l’action de
pivot et, d’autre part, accroit la mise en tension
des muscles de la jambe et de la cuisse.
• Proposer un critère de réussite simple à
observer : « on doit voir la semelle de ta chaussure
à la fin du jet ». Pour cela, l’enseignant peut placer
un observateur derrière le lanceur.
• Délivrer un contenu métaphorique facile à visua-
liser et à intégrer : « écrase une cigarette ou un
chewing-gum avec l’avant de ton pied droit ».
• Contraindre le haut du corps pour décupler les
repères intéroceptifs. Par exemple, travailler
avec un élastique en résistance arrière 7 ou un
balai maintenu en « T » sur les épaules. Supprimer
les repères visuels en demandant à l’élève de
fermer les yeux peut également l’aider à se
recentrer sur les tensions musculaires générées
par la dissociation des ceintures.
En bref, il est important de donner des repères
ciblés et adaptés aux besoins des élèves. Pour cela,
l’enseignant d’EPS peut jouer sur divers paramètres
pouvant eux-mêmes se combiner (les contenus,
les consignes, les critères de réussite, le matériel,
la surface de pratique, etc.). Ce travail, loin d’être
simple, doit être répété en filigrane de la séquence
et associé à des intentions techniques 8 que les
athlètes devront chercher à investir lors des lancers
en situation globale.
3.3. Augmenter l’amplitude
segmentaire pour allonger le
temps d’application des forces
En lancer, la réduction de l’amplitude gestuelle est
un trait typique de la coordination du débutant.
7) Par exemple l’enseignant peut fixer l’élastique à une balustrade ou à un grillage. Dans la mesure du possible, il convient de le placer
dans le prolongement de la ligne des épaules (ni trop haut, ni trop bas).
8) Les intentions techniques sont brèves et localisées. Un lanceur expert les a préalablement automatisées. Chez le débutant, il faut les prioriser en fonction de ses besoins.
Je propose ici quelques exemples : « visser le pied droit » ; « maintenir l’épaule droite à la verticale du pied droit » ; « poser rapidement les deux appuis, droit et gauche » ; etc.
9) Bien évidemment, la volte ne peut être abordée « d’un seul bloc » avec des élèves débutants. Je préconise à ce titre de passer par des étapes intermédiaires
que sont par exemple les ¼ de volte, ½ volte ou ¾ de volte.
10) Les constris, de grands piquets généralement utilisés par les entraineurs de foot, sont parfaits pour cela.
Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023
Par exemple, au javelot, lors de la phase du double
appui, la position de la main du bras lanceur par
rapport à l’épaule est un indicateur de compé-
tence. Chez l’expert, l’allongement des trajets
moteurs (la main droite est éloignée de l’épaule
droite) permet d’agrandir le chemin de lancement et
d’augmenter le temps d’application des forces. Ces
deux paramètres concourent à l’amélioration de la
performance.
De même, au disque, lors de la volte 9, le débutant
aura systématiquement tendance à rapprocher
l’engin de l’axe du corps, tandis que l’expert
conservera le bras droit tendu afin de maintenir le
projectile éloigné de l’axe de rotation. Cette attitude
permet d’agrandir le rayon d’action et donc de
décupler l’énergie libérée lors de l’éjection.
De façon très générique, il me semble qu’un
repère demeure prioritaire. Dans tous les lancers,
l’amplitude gestuelle peut être obtenue en
focalisant l’élève sur l’intention technique suivante :
« loin derrièr / loin devant ». A l’image d’un arc que
l’on bande, le corps du lanceur déploiera davantage
de force pour propulser l’engin si les amplitudes
segmentaires sont allongées. Même au poids, alors
que le projectile est au contact de l’épaule droite
du lanceur, la capacité à « rester derrière le plus
longtemps possible pour finir haut et loin devant »
conditionne l’efficacité du jet.
3.4. Accélérer les trajets
moteurs pour accroitre
l’efficacité propulsive
La vitesse est un paramètre clef de la performance,
consubstantielle à toutes les disciplines athlétiques.
En l’occurrence, pour sauter ou lancer loin, l’athlète
doit être capable de produire des actions motrices
à haute vitesse. Le déplacement de son corps
dans l’espace et l’accélération des trajets moteurs
à des moments spécifiques de la coordination lui
permettent d’accroitre l’efficacité propulsive.
Dès lors, on pourrait parler de conflit « vitesse-am-
plitude ». En effet, en lancer il convient d’augmenter
l’amplitude du geste tout en cherchant à accélérer
les trajets moteurs. Je prendrai deux exemples.
Premièrement, lors du double appui final – et
quelles que soient les modalités préalables de
l’élan – les appuis droit et gauche doivent toujours
être posés « loin dans l’espace et proches dans le
temps ». En d’autres termes, le temps de latence
entre la pose des pieds droit et gauche doit être
le plus court possible, tandis que la spatialité des
appuis doit permettre une optimisation des prises
d’avance antéropostérieures. La coexistence de ces
deux intentions techniques paradoxales crée un
conflit « vitesse-amplitude » qui est essentiel à la
production d’une performance en lancer.
Deuxièmement, pour propulser un engin le plus loin
possible, le lanceur doit être capable d’accroitre
sa vitesse de bras en position finale. En consi-
dérant que l’athlète a construit des alignements
(pied, bassin, épaule) et qu’il possède de solides
points d’ancrage (au niveau des appuis plantaires
et du bassin notamment), la formule suivante peut
s’appliquer.
L’efficacité des coordinations lors de la phase du
double appui se traduit comme telle : le chemin
parcouru par l’engin (Cpe) x le temps de dépla-
cement du projectile de la pose du pied gauche
jusqu’à son éjection (Td).
Autrement dit, plus le chemin est long et plus la
vitesse de mobilisation du projectile est élevée,
plus l’athlète a des chances de lancer loin. Pour
aider l’élève à comprendre cette double commande
mécanique (« faire du grand dans un temps court »),
je propose de matérialiser l’amplitude du chemin
de lancement efficace à l’aide de piquets (deux
javelots plantés dans le sol peuvent convenir) 10.
Le premier piquet est situé à hauteur de la main qui
tient le projectile lorsque l’élève est dans la position
du double appui. Le deuxième piquet est situé au
niveau de la main qui lâche de projectile lorsque
l’athlète est en position finale, les deux épaules
orientées vers l’aire de chute. Cet aménagement
peut offrir des repères visuels concrets au lanceur.
3.5. Agrandir l’élan
pour augmenter la vitesse
de déplacement
Ce principe, relativement simple à comprendre,
est basé sur l’équivalence suivante : à force égale,
un corps possédant une vitesse faible (V1) pourra
libérer moins d’énergie qu’un corps possédant une
vitesse élevée (V2). Or, la vitesse de déplacement du
lanceur est corrélative à la structure de l’élan. Plus
l’élan s’accroit et plus l’athlète est « théoriquement »
en capacité d’augmenter la quantité d’énergie
déployée lors de la propulsion.
Je dis bien théoriquement… En effet, comme dans
beaucoup d’autres activités, la stabilité des coordi-
nations motrices se dégrade lorsque la vitesse de
mobilisation ou les contraintes imposées par la
tâche augmentent.
Très classiquement, le passage du cerceau ou de
l’anneau au disque impose de nouvelles contraintes
mécaniques à propos de la tenue du projectile qui

peuvent totalement réorganiser les habiletés
motrices du lanceur. Généralement, on constate
une résurgence des attracteurs spontanés
permettant de sécuriser et d’équilibrer le système
(raccourcissement des trajets, absence de disso-
ciation, etc.). Cette expérience est comparable à
celle d’un grimpeur en moulinette qui s’engage pour
la première fois sur une voie en tête.
De même, lorsque l’élève approche une nouvelle
forme d’élan, on constate quasi automatiquement
Tableau 1 - Proposition d’une progression d’exercices pour travailler la prise d’élan dans les lancers athlétiques
L’atteinte du palier 2 lors d’une première séquence
d’enseignement au collège me semble déjà satis-
faisant. A l’inverse, le palier 5 ne doit pas être
4. Lancer loin… oui, mais pas avec n’importe quel engin !
A l’instar de Michel Pradet (2017), je pense que le
vécu d’une expérience culturelle authentique ne
passe pas obligatoirement par la référence aux
épreuves fédérales. Dans la famille des lancers, rien
n’oblige les enseignants d’EPS à proposer du poids,
du javelot ou du disque aux élèves ! A l’inverse, je
me montrerai critique sur ce point en privilégiant
d’autres engins et d’autres modalités de pratique.
Ces choix sont motivés par les arguments suivants :
La sécurité des élèves
Le javelot et le disque notamment posent des
problèmes de sécurité et de gestion du groupe qui
peuvent s’avérer insurmontables dans certains
contextes. Je prendrai un exemple simple : en club,
lorsque les entraineurs encadrent ces disciplines, ils
ne le font jamais (sauf cas exceptionnel) en « grand
11) La comparaison des records sans élan et avec élan peut inciter l’enseignant à construire une performance cible (PC) en respectant globalement les paramètres suivants :
PC avec des engins légers = record sans élan + 30 % / PC avec des engins lourds = record sans élan + 15 %.
12) Sauf cas exceptionnel, si des jeunes sont très talentueux et possèdent de remarquables qualités motrices.
un recul momentané de la performance lié à l’éva-
nouissement de principes d’action pourtant acquis
au stade précédent. Par exemple, au poids, le
passage du pas chassé à la translation occasionne
très souvent un redressement précoce du buste et
une ouverture prématurée de la hanche gauche. Ces
deux comportements réduisent significativement le
chemin de lancement.
Pour cette raison, en EPS, je recommanderai
d’agrandir l’élan progressivement (il faut déjà que
proposé en EPS à des élèves non spécialistes 12.
Il peut éventuellement s’envisager avec des athlètes
ou des élèves de section. Dernière remarque : la
groupe ». En EPS, qui plus est dans une structure
combinée, il me semble que d’autres engins (balles
lestées, cerceaux, anneaux, frondes) peuvent être
utilisés.
Les contraintes d’aménagement
Toujours dans l’esprit des épreuves combinées, il
me semble que les enseignants d’EPS ont intérêt
à privilégier des disciplines athlétiques possédant
des niveaux de contraintes faibles en matière
d’aménagement et d’organisation. Je rejoins ici
Ghislain Hanula (2020) qui priorise le demi-fond au
relais-vitesse ou le saut en longueur au multi-bonds.
Le même principe s’applique en lancer ! La gestion
d’un concours de vortex est bien plus simple que
celle d’un concours de javelot.
31
les élèves intègrent les principes élémentaires
du lancer), en limitant le registre de technicité !
En effet, la construction de l’élan n’a qu’un seul but :
accroitre la vitesse tout en stabilisant des modes de
coordinations efficaces pour lancer plus loin. C’est
donc la performance qui constitue le principal juge
de paix 11.
Vous trouverez ci-dessous quelques propositions
qui ont pour objectif de dresser les contours d’un
continuum possible.
spécificité des lancers en rotation m’invite, pour des
raisons de repérage dans l’espace et de sécurité, à
décaler tous les paliers d’un cran.
Le temps d’apprentissage
Le cadre temporel d’une séquence d’enseignement
en combiné athlétique oblige les enseignants d’EPS
à faire des choix. A ce titre, je pense qu’il est plus
intéressant d’engager les élèves dans des registres
de motricité spécifique, même si pour cela, il faut
évacuer certaines contraintes mécaniques relatives
à la tenue de l’engin. Ainsi, le cerceau peut remplacer
le disque ou le médecine-ball supplanter le poids.
Ces aménagements permettront de faciliter l’accès
au « lancer loin » sans pour autant transiger avec les
apprentissages techniques, nécessaires à l’amélio-
ration des performances.
32 Enseignement scolaire

manipulables et finalement adaptés à leur niveau de par exemple qu’un médecine-ball de 1 kg (pour les
L’expérience du lancer loin ressources. Lorsque des séniors femmes lancent filles) ou 1,5 kg (pour les garçons) constitue déjà
le poids de 4 kg en compétition fédérale, elles le une valeur acceptable. En outre, la prise en compte
Retenir le lancer de distance, c’est naturellement
font avec leur bagage technique, leur taille et leur de la performance au troisième rebond 13 (P3R) peut
chercher à faire vivre aux élèves l’expérience du
poids de corps. Il est donc logique que des collé- valoriser les productions d’élèves et les inviter à
lancer loin. Propulser un poids à 3 m n’a jamais
giens ne soient pas placés dans les mêmes condi- se mettre en projet (la P3R est affectée de façon
fait « vibrer » qui que ce soit (à commencer par
tions et confrontés aux mêmes engins. En guise de significative si l’angle d’envol est trop ouvert ou
le lanceur). C’est pourquoi il me semble important de
repères, avec une classe de 6ème au cycle 3, je trouve trop fermé).
proposer aux élèves des engins légers, facilement

5. Conclusion
Pour conclure mon propos, j’invite simplement combiné. Les propositions atypiques (type lancer que les activités de précision (pétanque, möllky,
le lecteur à retenir trois choses. Premièrement, le de médecine-ball ou lancer de cerceau), loin de golf…) renvoient à d’autres enjeux de formation
choix du lancer de distance, comme seule modalité dénaturer l’activité, peuvent amener l’élève à et permettent aux élèves de vivre d’autres types
de pratique susceptible d’engager les élèves dans éprouver des expériences « de mêmes natures que d’émotions. Un argument supplémentaire, s’il en
une véritable expérience d’athlète. Deuxièmement, celles vécues par l’athlète » (Soler, 2006). fallait, nous invitant à penser l’athlétisme scolaire,
la référence aux principes élémentaires de la Pour ouvrir le débat, je me permettrai simplement et plus spécifiquement la famille des lancers,
coordination dans les disciplines athlétiques. Je de rappeler que Pascal Bordes (2022), dans un à travers le record et la distance. L’introduction des
pense à cet effet que de nombreux repères peuvent article très riche faisant la promotion des pratiques pratiques de cibles en éducation physique est une
aider les enseignants à transformer la gestuelle de cibles en EPS, critique leur absence à l’école, mais question vive qui mérite d’être posée… en dehors de
des élèves en lancer. Troisièmement, le choix des les distingue surtout des pratiques athlétiques. l’athlétisme !
engins et des formes de pratique dans le cadre du Sur le fond comme sur la forme, l’auteur souligne

13) Cette proposition est faite initialement par Michel Pradet ou encore Thierry Choffin.

BIBLIOGRAPHIE & SITOGRAPHIE

Bordes P. (2022). Les pratiques de cibles, point aveugle de l’EPS. Revue Enseigner l’EPS, 287, Ed. AE EPS, p. 2-6.
Hanula G. (2020). Le combiné athlétique : évitez les contrefaçons ! Cahier du CEDREPS, vol 17, Ed. AE EPS, p. 47-52.
Jeu B. (1977). Le sport, l’émotion, l’espace. Ed. Vigot.
Pradet M. (2017). Plaidoyer pour ne pas proposer d’emblée des pratiques sociales de référence
dans la construction d’un athlétisme scolaire. Atelier théorique de l’AEEPS.
Soler, A. (2006). La spécificité des formes scolaires de la pratique sportive : une nécessité.
L’exemple de l’athlétisme au lycée. Cahier du CEDRE, 5, Ed. AE EPS.

Retrouver l’ensemble des productions encore en vente sur le site de l’association.

Par exemple, les derniers dossiers « Enseigner l’EPS » parus.
Dossier N° 6 N°7 N°6
L’engagement
en EPS

L’engagement et le progrès Actes de la

L’engagement et le progrès des élèves

et le progrès
4ème Biennale
LES DOSSIERS “ Enseigner l’EPS ”

des élèves en EPS de l’AE-EPS

23 et 24 octobre 2021
Pistes pour l’enseignement
des élèves en EPS
LES DOSSIERS “ Enseigner l’EPS ”

et l’apprentissage
Formes scolaires
dans les activités de raquette
Pistes pour l’enseignement et l’appr
de pratique et
Comment favoriser l’engagement
et le progrès des élèves en EPS ? dans les activités de raquette
entissage

formation des élèves.

Quelles pistes peuvent être formulées
pour donner matière à
penser l’enseignement des activités
de raquette ? Ces Actes de la
9ème biennale de l’APRAPS, intitulée
« Les activités de raquette :

Quels enjeux pour l’EPS ?

Comprendre & Intervenir » (STAPS
de Calais, septembre 2021),
sont structurés en deux parties.
La première focalise sur l’activité
d’enseignement, en proposant
des contributions pour concevoir
un enseignement favorable
aux apprentissages, pour adopter
4 confére
innovantes, et pour varier lesnces -des
38modalités
contribud’interven
- AE-EPS - AFRAPS

tions tion
activités de raquette proposées.
La seconde déplace le curseur du côté
de l’activité d’apprentissage.
Des propositions sont formulées pour
amener les élèves à s’engager
et à interagir dans le cadre des activités
de raquette.
Ce dossier Enseigner l’EPS n° 6
intéressera donc aussi bien les
enseignants proposant les activités
de raquette à leurs élèves, que
DOSSIER « Enseigner l’EPS » N° 6

les étudiants se formant aux métiers

de l’intervention en contexte
sportif.

Prix de ce numéro : 25 €

www.aeeps.org
www.aeeps.org www.aeeps.org

Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023


Courte réflexion autour des
combinaisons d’activités dans le cadre
du champ d’apprentissage 1
Nous avons reçu les propositions des deux articles
qui précèdent au cours de la même période.
Nous avons pensé qu’une parution dans le même
numéro de notre revue dégagerait un réel potentiel
de réflexion.
Les deux projets, dont les préoccupations initiales
ne sont pas les mêmes, présentent une approche
très différente, à première vue antagoniste, de la
définition même des combinés athlétiques dont
l’utilisation est préconisée à certains niveaux par
les programmes en vigueur pour répondre aux
attendus d’acquisition de compétences dans le
champ d’apprentissage 1.
Le recours à des formes de lancers qui ne sont pas
issues de la famille des lancers athlétiques est-elle
possible, souhaitable, cohérente avec les attendus
des programmes ? En ayant recours à d’autres
types, ici un lancer de précision, ne sort-on pas du
cadre institutionnel et culturel ?
Une autre façon de poser la question est de se
demander si l’hybridation des pratiques peut-être
une approche efficiente du traitement des activités
physiques et sportive exploitées en EPS, à quelles
conditions et pour quel(s) motifs ou si l’on fait
fausse route en allant sur ce terrain.
Nous pouvions laisser le lecteur se forger sa propre
opinion à la lecture des deux articles.
Nous avons pensé que l’organisation d’un temps
d’échange entre les auteurs apporterait une
plus-value à un débat qui a lieu dans notre discipline,
au sein des groupes de réflexion ou des équipes
d’établissement 1.
Ils ont accepté immédiatement et avec intérêt notre
proposition, qu’ils en soient ici remerciés 2.
L’hypothèse que nous formulions avant cet échange
est que les points de vue, apparemment très
éloignés, voire antagonistes, pouvaient s’avérer
finalement complémentaires sur bien des plans.
Nous retenons tout d’abord que les préoccupations
des auteurs sont différentes.
1) Ce court texte n’a d’autre ambition que de laisser entrevoir la richesse d’un débat.
2) Ce texte leur a été soumis avant publication.
3) R. Dhellemmes (2022) « 55 ans de compagnonnage avec l’EPS. Plaidoyer pour un renouvellement de son enseignement », in Revue Enseigner l’EPS n° 289, Ed. AE EPS.
4) Ce qui, sur un autre plan, ne doit pas éluder la question de la place des lancers de précision dans les programmations comme le souligne P. Bordes
dans un article à ce sujet (revue Enseigner l’EPS n° 287).
Martin Rousset et Sébastien Chane-Lap se posent
une question professionnelle liée à la démobili-
sation constatée chez leurs élèves dès lors qu’il
s’agit d’entrer dans une activité de course longue.
Ils ne disposent pas des conditions matérielles, ni,
de leur point de vue, de la compétence nécessaire
pour aborder des formes de lancers athlétiques
en toute sécurité. Ils expriment à ce propos une
impression « d’un travail analytique et démotivant
par la répétition ». Ils éprouvent des difficultés dans
la « lecture de la motricité des élèves dans les lancers
athlétiques ».
Teddy Mayeko admet tout à fait la légitimité de ces
arguments, il considère de plus que, pour que le
travail autour des lancers athlétiques soit poten-
tiellement efficient, il est largement préférable de
proposer un lancer où l’engin va loin, produisant
certaines sensations et émotions chez le lanceur
plutôt que d’avoir recours, pour des raisons de place
par exemple, à un lancer court avec un engin lourd.
Si son avis est tranché sur l’utilisation des types de
lancers dans les activités athlétiques dans le cadre
du champ d’apprentissage 1, son propos vise surtout
à en montrer toute la potentielle richesse intrin-
sèque et à donner des pistes pour aider les collègues
qui ne se sentent pas armés pour les exploiter.
Ses interlocuteurs du jour indiqueront d’ailleurs au
cours de l’échange que son texte remplit cet office.
En cela, le second article apporte des réponses aux
préoccupations des auteurs du premier.
Pour Martin Rousset et Sébastien Chane-Lap la
nouveauté est un levier de remobilisation qui s’ajoute
la dimension collective proposée aux élèves. Leur
volonté est de « donner un second souffle » à cette
partie de leur enseignement centré finalement sur
la course longue. « On peut voir un danger du point
de vue de la culture, une perte » comme le dit Martin.
Mais au quotidien, dans une école inclusive où la
diversité et l’hétérogénéité des élèves sont très
importantes, ne peut-on pas aussi entrevoir dans
ces propositions l’enrichissement d’une culture
conçue plutôt comme un processus évolutif qui
n’oublie pas ce qui s’est déjà fait mais qui l’enrichit
33
plutôt que comme une pratique « réifiée comme
« œuvre à enseigner » 3 ? Dans l’exemple qui nous
occupe ici, le croisement entre « la quintessence des
activités athlétiques » et celui du biathlon nordique
relève-t-il de cet enrichissement ?
Cela pose sans doute la question des champs
d’apprentissage. Ne sont-ils pas arrivés, pour de
multiples raisons, au bout de leur pertinence ?
Les choix opérés par certaines équipes avec l’utili-
sation d’un lancer de précision dans le cadre d’une
combinaison d’épreuves, plutôt que d’une épreuve
combinée au sens strict athlétique du terme, vient
surtout de la nécessité de proposer, dans le cadre
des programmes en vigueur, un détour pédago-
gique mobilisateur pour un certain public. Il s’agit
là sans doute d’une volonté d’aller dans le sens des
programmes sans s’y enfermer, en tenant compte
d’un contexte spécifique où le public, les installa-
tions, le sentiment de compétence des collègues,
l’attrait de la nouveauté se conjuguent pour
proposer cette alternative. 4
Les propos échangés attestent sans conteste que la
formation dans les activités physiques et sportives
reste fondamentale. Teddy Mayeko indique par son
discours et sa proposition que l’on peut sans doute
et tout à fait obtenir le même résultat que celui que
recherchent Martin et Sébastien en utilisant les
lancers athlétiques. Les principes de « dépassement
de soi, de record et de confrontation, la mise en
place de modalités d’opposition à partir d’un principe
d’égalité » sont tout aussi envisageables lorsque
l’on a recours aux lancers athlétiques de façon
cohérente et efficiente par rapport au contexte
dans lequel on se trouve.
L’interrogation autour de la capacité à s’appuyer
sur les lancers longs est un exemple patent de la
nécessité d’outiller nos collègues présents et futurs
pour qu’ils puissent oser proposer à leurs élèves des
activités dont la richesse intrinsèque est percep-
tible mais dont les représentations constituent un
frein souvent envahissant.
Jean-Baptiste Chiama, Philippe Gagnaire
34 Histoire
Mots clés : acteurs clés - histoire - trajectoires - formation

Laurent GRÜN, PRAG EPS, STAPS Metz, Centre Régional Universitaire Lorrain d’Histoire (EA 3945) - laurent.grun@uni-lorraine.fr
Contributeurs : Thomas Bauer, Benoît Caritey, Jean-Jacques Dupaux, Doriane Gomet, Willy Hugedet, Yvon Morizur, Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, Jean Saint-Martin, Loïc Szerdahelyi

6 personnalités centrales
dans l’histoire de notre discipline.
Des trajectoires singulières au service de l’EPS
Le Comité de la Revue Enseigner l’EPS a l’immense plaisir de vous proposer un dossier thématique
« Histoire de l’éducation physique et sportive ». Les articles que vous pourrez lire sont l’œuvre
d’historien.nes reconnu.es. Le difficile exercice de vulgarisation auquel ils se sont livrés bénéficiera
sans nul doute aux candidat.es des différents concours, mais également aux lectrices et lecteurs
désireux de connaître plus en profondeur les trajectoires d’actrices et acteurs-clés de notre discipline.
Laurent GRÜN (Crulh, EA 3945), Coordonnateur du dossier spécial Histoire

Doriane GOMET, maître de conférences, IFEPSA, Univ-Rennes 2 - dgomet@uco.fr

Thomas BAUER, MCF HDR STAPS à l’Université de Limoges - thomas.bauer@unilim.fr

Maurice Baquet, une vie

au service de l’éducation par les sports
Sa biographie
Maurice Baquet (1897-1965) est connu pour
être l’un des pionniers dans la conception d’une
éducation physique par les sports. Si son œuvre
est intimement liée à la publication de l’un de ses
ouvrages, Education sportive. Initiation et entraî-
nement (1942), son nom, lui, est associé symboli-
quement aux stages éponymes organisés, à partir
de l’été 1965, par la Fédération Sportive et Gymnique
du Travail (FSGT).
Il naît le 10 mars 1897 dans une famille modeste
de huit enfants à Pont-l’Évêque. En 1909, il
déménage avec sa mère et ses frères et sœurs
à Eaubonne où il découvre les sports au Cercle
athlétique d’Enghien. Subvenant aux besoins de
tous, il occupe un poste d’apprenti clerc, puis de
clerc d’audience à Paris, jusqu’à son incorporation
dans l’armée en 1916. Au lendemain du conflit,
il retrouve rapidement le chemin du stade, parti-
cipant à plusieurs compétitions d’athlétisme et à
un stage de préparation aux Jeux interalliés. Il se
réengage parallèlement dans l’armée. Il est affecté
en tant que moniteur d’éducation physique à l’École
normale de gymnastique et d’escrime de Joinville
en avril 1920. Il rejoint Varsovie en 1922 dans le
cadre de la Mission militaire française en Pologne.
Moniteur d’éducation physique auprès des officiers
de Varsovie et à l’école militaire de Poznan, ensei-
gnant d’éducation physique au lycée français de
Varsovie, entraîneur national de l’équipe polonaise
d’athlétisme pour les Jeux olympiques de 1924, il se
constitue une solide expérience professionnelle qui
lui vaut, entre autres, d’être décoré de la croix du
mérite polonais. De retour en France en 1926, il se
réengage pour cinq ans dans l’armée et rejoint, en
tant que moniteur-chef, la nouvelle École supérieure
d’éducation physique. Chargé à Joinville de l’entraî-
nement des athlètes en stage pour la préparation
des Jeux olympiques d’Amsterdam (1928), il devient
conseiller technique au Paris Université Club
(PUC) puis au Racing Club de France (RCF) dont le
recrutement des sportifs parmi les élites sociales
parisiennes s’avère bien loin de ses origines sociales
modestes.
À la retraite de l’armée en 1931, il est nommé au
lycée Hoche à Versailles en octobre 1931 en faisant
valoir son diplôme de CAEG degré supérieur obtenu
en 1922. Parallèlement, son implication pour le sport
de haut niveau se poursuit auprès de la fédération
française d’athlétisme où il est nommé en 1934
entraîneur au sein de la commission de préparation
olympique. En novembre 1935, quelques mois avant
le fiasco berlinois, Maurice Baquet est détaché
à plein temps en qualité d’enseignant à l’École
normale d’éducation physique (ENEP) de Paris,
ouverte deux ans plus tôt.
La période de la Seconde Guerre mondiale constitue
un accélérateur de sa carrière. Appelé par Jean
Borotra à devenir cadre au camp de Randan
lui-même ouvert pour les Compagnons de France 1,
et avant d’être finalement reconduit à son poste

1) Les Compagnons de France sont un mouvement de jeunesse vichyste, dissous en janvier 1944 par le Régime de Vichy. L’esprit est patriotique, anti-collaborationniste,
proche de certaines positions résistantes se voulant malgré tout fidèle au maréchal Pétain et prônant une régénération française dans le cadre des valeurs
(pas toutes, pas l’antisémitisme) de la Révolution nationale.

Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023

 35

à l’ENEPS, Maurice Baquet participe à la rédaction
du rapport sur la doctrine nationale d’éducation
physique et sportive remis par Ernest Loisel à Jean
Borotra en octobre 1940. Fort de la publication de
son ouvrage Éducation sportive. Initiation et entraî-
nement (1942), l’ancien moniteur de Joinville gravit
les échelons et devient professeur de pédagogie
sportive au Centre National d’éducation générale, en
charge de la diffusion de la méthode sportive auprès
des centres de formation d’enseignants d’éducation
physique.
À la Libération, Maurice Baquet rejoint le Collège
national d’athlètes, lequel devient officiellement,
en 1946, l’Institut national des sports (INS). Nommé
chevalier de la légion d’honneur au titre de l’édu-
cation physique et des sports en 1946, il poursuit
ses travaux autour d’une « doctrine d’éducation
sportive » et suit les études consacrées à la mise au
point de la méthode d’éducation physique sportive
généralisée. Cette stabilité professionnelle ne
semble néanmoins pas lui suffire. Il s’engage dans
une autre carrière, militante cette fois, auprès de
la FSGT et ce, même si cet investissement nuit à sa
carrière. Il semble y puiser le ciment qui donne un
sens à l’ensemble de son parcours, de ses origines
prolétariennes à son expérience olympique – en
passant par son souhait d’œuvrer à une éducation
par le sport. Il tient ce cap jusqu’à sa retraite, qu’il
prend à 63 ans. Cette nouvelle étape est à vrai dire
l’occasion de s’impliquer davantage à la FSGT et
de rejoindre l’Algérie, deux ans après les accords
d’Évian, pour tenter de distiller les principes d’une
éducation sportive au service de la construction
d’une démocratie et former les cadres sportifs dont
le pays a besoin. Maurice Baquet décède quelques
semaines après son retour sur le sol français, le
dimanche 4 juillet 1965, d’une maladie soudaine.
Ses publications
Bourreau de travail et auteur prolifique, Maurice
Baquet signe de multiples travaux. On lui doit
57 articles dans la revue L’athlétisme entre 1933
et 1936, 12 articles dans la Revue du Racing, et
trois fascicules publiés par la fédération d’athlé-
tisme. C’est pendant la guerre qu’il publie ses deux
ouvrages de référence sur la méthode sportive :
Éducation sportive. Initiation et entraînement (1942)
et Précis d’initiation sportive (1943). Il poursuit ses
réflexions par la suite dans les revues INS et Héraclès
où paraissent 32 autres articles. Il s’investit par
ailleurs dans deux publications collectives abordant
la philosophie du sport : Regards neufs sur le sport
(1950) et Regards neufs sur les Jeux olympiques
(1952).
Son ouvrage de référence, Éducation sportive.
Initiation et entraînement (1942), est à la fois un
recueil de connaissances sur les sports et un
plaidoyer en faveur de l’éducation par les sports.
Il insiste d’ailleurs sur la complémentarité entre ces
deux domaines. Il assigne quatre finalités princi-
pales à l’Éducation physique d’obédience sportive :
le débrouillage physique via le développement
des qualités physiques, l’initiation aux techniques
sportives élémentaires, la spécialisation en fonction
des aptitudes et des motivations de chacun, le goût
de l’effort, de la perfection et de l’esprit sportif.
Souhaitant contribuer à la formation des ensei-
gnants, il décompose et décrit de manière analy-
tique les gestes sportifs. Il propose également un
schéma pédagogique à suivre pour apprendre à un
élève une technique sportive : la démontrer, puis
demander à l’élève d’exécuter à son tour le geste et
le corriger pour progressivement l’amener vers une
réalisation juste.

Loïc SZERDAHELYI, MCF, L-VIS UR 7428, Université Lyon 1 - loic.szerdahelyi@univ-lyon1.fr

Cécile OTTOGALLI-MAZZACAVALLO, MCF, L-VIS UR 7428, Université Lyon 1 - cecile.ottogalli@univ-lyon1.fr

Annick Davisse
« différents et ensemble », une posture de vie
DAVISSE Annick (2010). « Filles et garçons en EPS : différents et ensemble ? ».
Revue française de pédagogie, n° 171, p. 87-91.
En 2010, la Revue française de pédagogie publie, dans la rubrique « Contrepoints », un article engagé
intitulé « Filles et garçons en EPS : différents et ensemble ? » dans lequel l’autrice, Annick Davisse, le Nord, d’un père docker et d’une mère employée
synthétise un demi-siècle d’expériences pédagogiques autour de la question controversée des filles et de l’industrie pétrolière, Annick Davisse est l’héri-
des garçons en EPS. Un extrait de l’article est utilisé quatre ans plus tard dans l’écrit 1 des épreuves tière d’une culture familiale populaire, cultivée et
d’admissibilité du concours de l’agrégation externe d’EPS. Ce choix se justifie non seulement au regard communiste. Sa scolarité brillante dans la filière
du maintien des inégalités sexuées dans l’accès à la culture sportive, mais également de la permanence secondaire – où elle expérimente la différenciation
du débat professionnel sur le rôle des activités sportives dans le renforcement et / ou la réduction des sexes (Ottogalli-Mazzacavallo & Liotard, 2012) –
des inégalités. Ce choix consacre aussi l’action d’Annick Davisse en faveur de la mixité et de l’égalité. la conduit au baccalauréat philosophie en 1957.
Son ambition, replacée sur le temps long d’une vie, cultive une contradiction que les candidat·es sont Après une année de formation au CREPS de Poitiers,
alors amené·es à discuter : « Apprendre du non-familier, et l’apprendre ensemble » (Davisse, 2010, p. 90). elle intègre l’ENSEP filles de Châtenay-Malabry en
1958. Dans ce haut-lieu de préparation au profes-
sorat, la formation est encore tenue à distance du
La dialectique « différents et ensemble » synthétise fil d’un parcours oscillant du côté des différences processus de sportivisation à l’œuvre à l’ENSEPS
tant les propositions pédagogiques et didactiques (1940-1967) puis de l’ensemble (1968-1982) avant garçons. Son entrée à l’ENSEP coïncide aussi
d’Annick Davisse que son parcours biographique. d’aboutir à une forme d’équilibre (1983-2010) avec l’affirmation de son militantisme politique.
Actrice majeure de l’EPS, elle développe à la fin du où différent et ensemble s’articulent dans une Elle adhère au PCF, rejoint le SNEP et devient en 1960
XXe siècle une approche novatrice articulant les réalité complexe. Sur le plan historiographique, secrétaire générale du Cartel des ENS, aux côtés de
différences individuelles et l’exigence de culture cette dialectique rappelle combien l’histoire des Jacques Rouyer élu président. Si la séparation des
commune permettant de vivre ensemble (Ottogal- enseignantes d’EPS est l’histoire d’enseignantes sexes semble s’estomper dans ce mouvement de
li-Mazzacavallo & Szerdahelyi, 2018, 2019). Sur le paradoxales qui composent avec d’insolubles politisation étudiante, c’est bien dans un entre-soi
plan biographique, cette dialectique reflète une tensions socio-sexuées (Szerdahelyi, 2016). « féminin » qu’elle débute sa carrière d’enseignante
posture de funambule à la frontière des normes de « Différents donc séparés (1940-1967) » marque la d’EPS en 1961. Affectée au lycée de filles de Rouen,
genre et de groupes d’appartenance, construite au première phase de son parcours. Née en 1940 dans puis au CET de filles de Vitry-sur-Seine en 1963,
36 Histoire

Annick Davisse construit ses premières expériences
professionnelles à l’aune de la division sexuée
de l’EPS.
« Ensemble mais différents (1968-1982) » carac-
térise la seconde phase de son parcours. En 1968,
Annick Davisse demande sa mutation pour un
établissement mixte. Nommée au CES de Vitry-sur-
Seine, elle découvre le vivre ensemble mais n’est
pas formée pour enseigner en mixité. Ses diffi-
cultés personnelles sont plus largement celles d’un
héritage séparatiste de l’EPS, de discours essentia-
lisant omniprésents et de l’absence de réflexions
pédagogiques sur l’EPS des filles. Attentive aux
débats de la deuxième vague féministe, elle inten-
sifie son engagement politique et syndical. Membre
de la commission sportive du PCF, élue à la direction
nationale du SNEP en 1969, elle en devient perma-
nente en 1975 et défend la cause des femmes
dans les revendications corporatives. En 1980, sa
première expérience d’écriture – Olympie. La course
des femmes publiée pour les éditions du PCF –
amorce un virage. L’enjeu est désormais de rendre
visibles les oubliées de la culture sportive, autant
que le rôle de l’école et de l’EPS comme outils de
lutte pour leur émancipation. Une ligne de force se
dégage : il est possible de faire ensemble à condition
de « prendre en considération » – selon ses mots – les
différences.
« Différents et ensemble (1983-2010) » structure
l’engagement d’Annick Davisse lorsqu’elle est
promue IPR en 1983. Nommée dans l’académie de
Créteil, dans le département défavorisé de la Seine-
Saint-Denis, au moment où l’Éducation nationale
s’engage dans la lutte contre les inégalités sociales,
Annick Davisse innove en questionnant les inéga-
lités sexuées à partir du rapport que les élèves
entretiennent avec les savoirs en EPS. Elle devient
la leader d’un des GAIP instaurés par Claude Pineau
en 1987, celui de Créteil dont la spécificité est
de proposer une pédagogie du sens conciliant le
« familier » du patrimoine culturel de chaque élève,
dans le rapport aux APSA, et le « lointain » de ce
patrimoine, nécessaire à l’émancipation. Lors des
débats sur les programmes des années 1990, elle est
à l’origine avec le groupe de Créteil de l’adoption du
terme APSA (activités physiques sportives et artis-
tiques). En 2010, l’article « différents et ensemble »
synthétise la puissance dialectique qui sédimente
son parcours biographique et ses apports pédago-
giques. Il reprend – cette fois en l’articulant – l’oppo-
sition « ni comme ci, ni comme ça » mobilisée dans
l’ouvrage Sports, école, société qu’elle co-publie en
1991 avec Catherine Louveau. Sa posture s’affirme :
les différences sont une richesse pour l’EPS si elles
servent à construire du commun, ensemble.
Pour aller plus loin :
Ottogalli-Mazzacavallo C. & Liotard P. (dir.) (2012).
L’éducation du corps à l’école : Mouvements, normes et
pédagogies (1881-2011). Clapiers : AFRAPS.
Ottogalli-Mazzacavallo C. & Szerdahelyi L. (2018). « The Fight
Against Gender Inequality in French Physical Education in
the Late Twentieth Century : The Career and Pedagogical
Innovation of Annick Davisse — Regional Teaching Inspector
for Physical Education ». The International Journal of the
History of Sport, n° 35, p. 606-622.
Ottogalli-Mazzacavallo C. & Szerdahelyi L. (2019).
« Annick Davisse, une actrice innovante de l’EPS en faveur
de l’égalité des sexes (1961-2018) ». STAPS, n° 123, p. 67-80.
Szerdahelyi L. (2016). « Enseignantes paradoxales. Femmes
d’action en EPS (1941 et 1989) ». Tréma, n° 46, p. 41-50.

Benoît CARITEY, Maître de conférences, UFR STAPS Dijon-Le Creusot - benoit.caritey@u-bourgogne.fr

Jean-Jacques DUPAUX, agrégé d’EPS et docteur en sciences du sport, retraité de l’UFRSTAPS Besançon
dupauxjj@yahoo.com

Robert Mérand ; un agrégateur d’idées 2

pour une éducation physique

par les activités sportives
Né en 1920, il entre en 1936 à l’École normale d’ins-
tituteurs de Clermont-Ferrand avant de s’orienter
vers le professorat d’éducation physique. Il est
reçu 1er au CAPEP en 1942. En 1946, il est nommé
professeur à l’ENSEP jeunes gens. En 1951, il est
muté au lycée Buffon de Paris par décision adminis-
trative de la direction de la Jeunesse et des Sports.
Il réintègre l’ENSEP en 1956 où il enseigne jusqu’à sa
suppression en 1973, date à laquelle il est nommé à
l’UEREPS de Paris V. En 1982, il est détaché à l’INRP où
il termine sa carrière (1986).
En 1949, il adhère au Parti communiste et à la
FSGT, où il occupe une position de plus en plus
centrale au fil des ans. Il devient secrétaire de la
commission fédérale de basket en 1951. Il organise
avec René Rival le stage Henri Martin, prototype
des stages de « type nouveau » 3, devient membre
de la commission exécutive de la FSGT 4 en 1954,
et membre du cercle d’études créé en 1955 au sein
de la commission de formation des cadres de la
FSGT. En 1965, il est nommé co-directeur avec René
Deleplace du deuxième « stage d’expérimentation
comparée » organisé à Sète, futur stage Maurice-
Baquet. En 1967, le cercle d’études devient le conseil
pédagogique et scientifique (CPS) dont il prend
la présidence jusqu’à sa dissolution en 1985. Entre-
temps, il a quitté le PCF, en 1968, après la répression
du « Printemps de Prague » par l’Union soviétique.
Animateur d’un courant théorique (le « sport
éducatif ») plus que concepteur à proprement parler,
Robert Mérand a beaucoup causé et débattu, mais
peu écrit. Ses publications sont le plus souvent les
textes et les comptes rendus de ses nombreuses
interventions (conférences, causeries, allocutions
de clôture des stages Maurice-Baquet, etc.). Elles
reposent sur une trame identique. Dans un premier
temps, il pose les enjeux de la réflexion : élaborer
une doctrine du sport éducatif de masse 5 ; établir
la spécificité de l’éducation physique et sportive par
rapport à la pratique sociale des activités physiques 6
et enfin proposer aux enfants une pratique sportive

2) 1920-2011.
3) Dans ce type de stage, le stagiaire participe à une réflexion collective dont le point de départ est la pratique en situation, analysée, discutée
et dont émergent des propositions de remédiation aux problèmes constatés.
4) Commission chargée de diriger et administrer la fédération.
5) « L’évolution nous impose de réviser et remettre en question, non pas notre conception du sport de masse, mais la pratique du sport telle que nous la proposons actuellement
aux masses afin de déterminer si nos formes actuelles de travail reflètent bien notre conception du sport et si elles ne reflètent pas dans une certaine mesure des conceptions
sportives qui nous sont étrangères. » (Robert Mérand cité par Moustard R. (1967), « La signification des stages Maurice Baquet, rapport de René Moustard au congrès d’Alfortville »,
Sport et plein air, n° 92, p. 5).
6) « Une nation développée ne gagnerait rien, au contraire, à laisser la pratique sociale des activités physiques supplanter une véritable éducation physique,
mais pas davantage à laisser l’éducation physique moderne en l’état et dans les formes qui ont fait la spécificité de l’EP à une époque désormais révolue. »
(Mérand R. (1971), « Mais quelle est donc la spécificité de l’EPS ? », Sport et plein air, n° 150, p. 23).

Enseigner l’EPS N• 291 // Avril 2023

 37

tenant compte de leurs caractéristiques 7, etc. Dans
un deuxième temps, il présente une ou plusieurs
références scientifiques permettant d’atteindre le
but fixé, références qu’il puise dans le domaine de la
psychologie (Wallon, Piaget et leurs disciples), mais
aussi dans le domaine des sciences de l’éducation
(Mialaret, Léon, Legrand, de Landsheere) 8.
Le troisième temps varie selon les circonstances de
sa prise de parole : dans un stage, les enseignants
sont placés en situation d’expérimentation, ils
discutent de l’intérêt des références présentées,
élaborent des exercices et des situations qu’ils
mettent en œuvre avec des groupes d’enfants ;
dans une conférence ou un compte rendu, Mérand
expose le résultat de ce travail d’innovation pédago-
gique effectué à Sète ou ailleurs (à Vesoul en 1971
par exemple).
Robert Mérand ne fait pas l’unanimité – c’est un
euphémisme – pour différentes raisons : c’est un
communiste au temps de la Guerre froide ; il défend
une éducation physique par les activités sportives ;
sa démarche est jugée hasardeuse 9, voire ridicule 10.
Son influence sur l’évolution de l’EP dans les années
1950 à 1980 est cependant indiscutable. C’est un
agrégateur d’idées. Il s’empare des théories et
concepts susceptibles de nourrir la réflexion du
collectif réuni autour des stages Maurice Baquet
ou des stages de formation continue qu’il anime et
les réinjecte dans un dispositif de recherche-action.
Car de son point de vue, la nécessaire rénovation
des contenus d’enseignement de la discipline ne
peut qu’être le fruit d’un travail collectif des ensei-
gnants eux-mêmes.
Bibliographie
Mérand R. (1968). « Que devient la leçon d’Éducation
physique ? » Revue EPS, n° 90.
Mérand R. (1971). « Originalité de l’activité de l’enfant et
pédagogie ». Revue de l’Éducation physique, vol. XI, 4.
Mérand R. (1971-72). « Mais quelle est donc la spécificité de
l’Éducation physique ? » Sport et plein air, nos 150, 151, 152.
Mérand R. (1999). « Rôle et fonction de l’EPS comme
discipline d’enseignement », dans Couturier G. (coord.),
1945-1995. L’EPS face au sport : 15 acteurs témoignent,
Paris, EPS et Société.
INSEP (1992), Robert Mérand : L’enfant, le sport, l’école,
entretien avec Bertrand During, film réalisé par
Drevon A. et Simonet P., Paris, Production INSEP.

Willy HUGEDET, Docteur en STAPS et Professeur agrégé d’EPS, Laboratoire C3S « Culture, Sport, Santé, Société »
(UR 4660), Université de Franche-Comté - willy.hugedet@univ-fcomte.fr

Pierre Parlebas et la promotion

d’une éducation relationnelle
Introduction
En acteur majeur de l’EPS du second XXe siècle,
Pierre Parlebas s’engage pleinement dans la
définition d’une éducation démocratique concré-
tisée dans les pratiques corporelles. Afin de saisir la
singularité de son œuvre, il convient d’en considérer
trois facettes indissociables. En effet, son impli-
cation dans l’éducation populaire, son engagement
dans l’éducation physique scolaire et sa vision de
la recherche scientifique s’influencent récipro-
quement tout au long de sa carrière professionnelle.
Comme bien d’autres militants, l’horizon de pensée
de Pierre Parlebas dessine une « société des égaux »,
c’est-à-dire une démocratie qui réinvente en perma-
nence ses structures relationnelles pour construire
une égalité réelle (Rosanvallon, 2011). L’originalité
de son itinéraire intellectuel tient aux idéologies
défendues. En matière d’éducation physique
scolaire, Pierre Parlebas soutient notamment une
critique de la compétition sportive systématique,
en ce qu’elle pourrait exacerber les inégalités. L’un
des aspects les plus notoires et peut-être des plus
novateurs de son œuvre relève d’une attention
soutenue pour les relations sociales et, plus parti-
culièrement, d’une volonté ferme de réduire les
rapports de domination (Parlebas, 2010).
Quelques repères biographiques
Né en février 1934, Pierre Parlebas grandit en
banlieue parisienne, dans une famille ouvrière
relativement pauvre. Ses expériences marquantes
de jeunesse sont une évacuation pendant la
Seconde guerre mondiale et une vie de groupe dans
les bandes d’enfants du plateau de Vanves. Doué à
l’école, l’adolescent prolonge sa scolarité dans un
cours complémentaire et au lycée Michelet, avant
de rejoindre l’École normale d’Auteuil (1950-1954).
Passionné de football, il fait le choix de devenir
professeur d’éducation physique. Pierre Parlebas
se forme alors pendant un an au CREPS de Talence
(1954-1955) puis trois ans à l’ENSEP jeunes gens de
Joinville (1955-1958). Il est affecté pendant sept
ans à l’École normale d’Auteuil où il enseigne en
classes de Seconde, de Première et de Terminale et
dans laquelle il forme aussi les élèves-instituteurs à
dispenser l’éducation physique. Cet épisode profes-
sionnel est entrecoupé par un service militaire
de trente mois réalisés entre 1959 et 1962. Son
séjour en Algérie a pour principal effet un désen-
chantement politique et le renforcement d’une
sensibilité réfractaire à l’hostilité. Par ailleurs,
il commence à encadrer les colonies de vacances de
la ville de Vanves comme moniteur à partir de 1951
et en devient directeur en 1968. L’homme y trouve
une vie communautaire et un contact permanent
avec la jeunesse ; le pédagogue et chercheur y
trouve un authentique laboratoire.
À partir de 1965, Pierre Parlebas est recruté comme
attaché de recherches au laboratoire d’étude du
comportement psychomoteur, situé au sein de
l’ENSEP jeunes filles de Châtenay-Malabry. Yvonne
Surrel, directrice de l’établissement, lui demande de
renforcer la connexion entre les sciences humaines
et sociales et l’éducation physique. Pour commencer,
Pierre Parlebas s’intéresse à l’apprentissage moteur
et s’inspire notamment de l’œuvre de Jean Le Boulch
pour mettre en avant une psychomotricité.
Néanmoins, il s’en détache par la conceptualisation
d’une socio motricité. Dès 1967, Pierre Parlebas
s’oppose aux pratiques pédagogiques qui font de
la compétition un pivot doctrinal. Il prend alors ses
distances avec le courant du sport éducatif, incarné
par la figure de Robert Mérand, et commence à

7) « Notre refus du placage du sport de l’adulte sur les enfants va de pair avec l’acceptation de l’émergence hypothétique d’un sport de l’enfant (et non d’un sport pour l’enfant).
Nous postulons l’invention, par l’enfant, d’une activité sportive, originale par conséquent, éducative, de surcroît, puisque matériau de la construction active de sa personnalité,
d’une époque et d’une civilisation dont le sport nous semble une composante culturelle. »
(Mérand R. (1973), « Jeux et éducation sportive », Vers l’Éducation Nouvelle, hors-série « L’activité ludique », p. 71).
8) Pour un inventaire plus complet de ces références, voir Caritey B. et Dupaux J.-J. (2022), « Robert Mérand : son rôle dans l’évolution des bases théoriques des stages Maurice Baquet »,
STAPS, n° 135, p. 37-57.
9) Gréco P. (1976), « Entretien avec Pierre Gréco, Autour de la pensée de Piaget et des références qui peuvent en être faites dans le domaine de l’EPS », Revue EPS, n° 138.
10) Thibault J. (1993), « La face cachée de l’EP en France », dans René B.-X. (dir.), L’éducation physique au XXe siècle en France, Paris,
Editions Revue EPS, p. 340, note 43. Jacques Thibault cumule les trois griefs à l’encontre de Mérand.
38 Histoire

collaborer activement avec les Centres d’entraî- Figure 1 - La classification des situations motrices de Pierre Parlebas (1999)
nement aux méthodes d’éducation active (CEMÉA)
à partir de 1969. Pierre Parlebas met à profit ses
colonies de vacances pour entreprendre une vaste
recherche-action. Il se réapproprie de nombreux
travaux en psychologie sociale, en mathématiques
et en linguistique pour étudier attentivement
les relations sociales induites par les situations
sportives. Chaque séjour représente alors une
occasion d’analyser les jeux sportifs qu’il considère
comme des micro-sociétés. Aux côtés des instruc-
teurs des CEMÉA, il n’a de cesse de défendre le plein
air, pour ses vertus affectives et adaptatives. Aussi,
Pierre Parlebas promeut les jeux traditionnels dont
les relations ambivalentes dénotent par rapport à
un antagonisme strict entre les individus et dont la
codification plus souple autorise une implication des
joueurs dans la définition des règles.
Les prises de position de Pierre Parlebas le
conduisent à un certain isolement institutionnel.
À l’INSEP, ses choix épistémologiques en faveur
d’une praxéologie motrice engendrent une
sécession avec les autres laboratoires scienti- choix didactiques et pédagogiques des profes- Pierre Parlebas cherche bien à contrecarrer l’omni-
fiques entre 1973 et 1987. Le chercheur trouve sionnels des APSA (Figure 1). Or, les critères retenus présence des situations sportives individuelles
plutôt refuge à l’Université de Paris Descartes ne sont pas d’ordre biomécanique ou physiolo- et l’hégémonie de certains rapports antagonistes
où il est recruté comme professeur des univer- gique mais concernent les partenaires (P), les entre les pratiquants. Dans cette classification
sités. Le réseau des CEMÉA, bien que puissant, adversaires (A) et une incertitude liée à l’environ- transparaît la personne agissante, maîtresse de
reste positionné en marge de l’éducation physique nement (I). Une telle approche structurale vise le son destin et socialement éduquée.
scolaire. Pierre Parlebas en assure la présidence rééquilibrage des expériences corporelles vécues
entre 2002 et 2011 et en demeure aujourd’hui un en éducation physique, selon une lecture relation- Bibliographie
président d’honneur. Il continue d’en faire rayonner nelle et adaptative. Symboliquement, les situations Parlebas P. (1976). Activités physiques et éducation
l’éthique démocratique et s’investit toujours dans sociomotrices, au nombre de six, ont bien l’avantage motrice, Paris, Éducation physique et sport.
un groupe de recherche sur les pratiques ludiques. sur les situations psychomotrices, au nombre de Parlebas P. (1999). Jeux, sports et sociétés. Lexique de
deux. Pierre Parlebas fait un pas de côté quant aux praxéologie motrice, Paris, INSEP.
Un révélateur de l’œuvre : la classification
sports de base (athlétisme, gymnastique, natation), Parlebas P. (2010). « Coopération et opposition dans les
des conduites motrices sports et jeux traditionnels », Éducation physique et sport,
regroupés en une seule classe. De même, la focali-
Pierre Parlebas encourage une diversification des n° 343, pp. 34-36.
sation sur l’incertitude témoigne d’un parti pris pour
références culturelles. Si cet acteur classifie les le pouvoir de décision et d’initiative. Finalement, Rosanvallon P. 2011. La Société des égaux, Paris, Seuil.
situations motrices, c’est bien pour orienter les

Yvon MORIZUR, docteur en Science de l’éducation, professeur d’Education Physique, UFR STAPS INSPE Caen
yvon.morizur@unicaen.fr

Irène Popard, principes et fondements

d’une méthode d’éducation physique
Irène Popard et sa méthode (1916-1950) Popard et d’en préciser les conditions de diffusion
à travers quelques clés de compréhension de l’iti-
Resituer des événements, des épisodes de la vie
néraire professionnel et personnel. Il s’appuie sur un
d’une femme telle qu’Irène Popard, sans en trahir
corpus constitué de ses principaux ouvrages et une
la complexité et l’originalité, n’est pas une tâche
contextualisation de ses principaux travaux. qu’elle se retrouve comme investie d’une mission :
aisée et constitue bien une forme de « pari » (Dosse,
« Quelle révélation ! Dès ce jour, je décidais de “trans-
2005). C’est pourquoi et au regard des contraintes Une méthode d’Éducation Physique former les femmes françaises !” » (Popard, Mémoire,
éditoriales, le choix réalisé dans cet article n’est spécifiquement féminine p. 230). Comme le souligne Marie-Thérèse Eyquem,
pas directement biographique et ne présente ni les
Irène Popard est initiée aux pratiques sportives en l’apport original et durable d’Irène Popard est « l’édi-
éléments biographiques antérieurs à la création
Angleterre dans un couvent à Dartford au cours de fication cohérente d’un système de gymnastique
de sa méthode, ni les traits de la personnalité
son adolescence. C’est lors de son séjour à Boston pensé par une femme pour des femmes. En cela, elle
complexe d’Irène Popard. Ce travail vise à clarifier
entre 1911 et 1913, aux États-Unis d’Amérique, qu’elle fait œuvre de pionner » (Eyquem, 1959, p. 7). Cette
les principes et les fondements de la méthode
assiste à une représentation d’Isadora Duncan et méthode s’inscrit donc dans un contexte social de

Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023


différenciation des sexes. L’ÉP féminine proposée
par Irène Popard se trouve être conforme aux repré-
sentations et aux conventions sociales de l’entre-
deux-guerres tout en s’affranchissant de certaines
d’entre elles. En effet si des qualités comme la
grâce, la souplesse, le charme sont mises en avant,
la pratique féminine s’émancipe et s’autonomise par
rapport à celle des hommes. Selon les mots d’Ernest
Loisel, « “ le popard ”, c’est l’âme féminine avec tous
ses replis, qui se réalise dans l’espace en un dérou-
lement continu » (Popard, 1945, p. 3).
La Gymnastique Harmonique et Rythmique :
une méthode éclectique dans
ses fondements
Si les fondements de cette méthode font expli-
citement référence à Duncan, Demenÿ, Dalcroze
ou encore Bergson, il est important de noter que
cette dernière se suffit à elle-même. Ces éléments
hétérogènes sont synthétisés par Irène Popard, ce
qui donne une cohérence à l’ensemble. La méthode
se veut complète et « permet d’acquérir un total
développement fonctionnel et musculaire » (Popard,
1945, p. 5). La « Gymnastique Harmonique n’a point
besoin qu’on lui ajoute de la gymnastique corrective
puisqu’elle a comme base la parfaite correction
des attitudes et du mouvement » (Popard cité par
Jeandot-Ivard, 1988, p. 56) et se trouve être une
propédeutique aux sports car « seules les femmes
préalablement assouplies et musclées par une
gymnastique rationnelle, sont capables de pratiquer
les Sports intensifs » (Popard, 1946, p. 6). Il existe
deux types de mouvements fondamentaux qui
se combinent et s’articulent. Les mouvements de
Demenÿ « complets, continus et arrondis » (Popard,
1945, p. 4) et les mouvements lancés qui « s’opposent
au mouvement d’esprit statique » (id. : cf. icono-
Jean SAINT MARTIN, Professeur des Universités à la Faculté des sciences du sport de Strasbourg, Laboratoire PSMS
(UR 7507), Université Reims-Champagne-Ardenne (URCA) - jsaintmartin@unistra.fr
Yvonne Surrel, une « femme d’action »
de l’EP féminine du XXe siècle
Irène Popard et sa méthode (1916-1950)
Née le 1 juin 1912 à Tours, Yvonne Gasnot, est
er
décédée le 11 août 2003.
Fille d’un employé de commerce et d’une mère sans
profession, elle étudie à l’École Normale de Tours
avant d’intégrer à 21 ans la 1ère promotion de l’École
Normale d’Éducation Physique (ENEP) qui remplace
désormais l’illustre École de Joinville. À l’issue
de sa formation, elle réussit en 1935 le Certificat
d’Aptitude à l’Enseignement de l’Éducation Physique
(CAPEP) pour ensuite enseigner d’abord à Auch
puis à Tours. Le 22 juillet 1939, elle se marie avec
Robert Surrel puis intègre l’ENEPS en 1941 où elle
enseigne les fondements d’une éducation corporelle
graphie n° 5). L’opposition est claire avec la gymnas-
tique analytique suédoise. La méthode, attrayante
et éducative, vise « non seulement la robustesse et
la santé, mais la joie de vivre, le goût de ce qui est
bien, de ce qui est beau, de ce qui est vrai » (Popard,
1939, p. 15). La recherche de beauté provient donc
de l’harmonie et de la rythmique qui se déploie dans
une représentation collective (cf. iconographie
n° 4) : « beauté des lignes, pureté des formes et
des gestes, suprême élégance des mouvements
onduleux et de ce déploiement dans l’espace, qu’est
l’évolution rythmée du corps humain et surtout du
corps féminin » (Popard, 1945, p. 6).
Une méthode qui se diffuse
par le biais de son école
Formée au Cours Supérieur de Paris, Irène Popard
donne quelques cours au Lycée Lamartine à Paris
en 1914. Elle est reçue à l’examen de professeur de
gymnastique cette même année et par la suite elle
donne des cours aux Eclaireuses de France. Bien
qu’étant l’une des premières femmes détentrice
du diplôme permettant d’enseigner l’ÉP et qu’elle
revendique ce statut dans ses publications, Irène
Popard choisit la voie extra-scolaire par le biais
de son école pour diffuser sa méthode. Elle utilise
des moyens modernes de communication comme
la presse voire les images filmées. Les « démons-
trations » (Jeandot-Ivard, 1988, p. 5) assurent à
la méthode une audience auprès du public et des
médias du succès « des Petites Popards ». Mais
au-delà de l’intérêt de ces journaux tels que L’Auto
(Érard, 2020), il est important de noter qu’Irène
Popard n’hésite pas à promouvoir sa méthode d’ÉP
dans des encarts publicitaires qui jouxtent des
articles de présentation d’une leçon de Gymnas-
tique harmonique comme dans la revue Rester Jeune
éclectique ayant pour principal objectif le dévelop-
pement de la souplesse, de l’élégance, de la grâce,
considérées comme les qualités fondamentales à
acquérir pour les jeunes filles. En 1956, alors qu’elle
devient Directrice de l’École Normale Supérieure
d’Éducation Physique (ENSEP) de jeunes filles,
elle enseigne la méthode néo-suédoise en conti-
nuité des travaux de Maurice Cassagne. En outre,
sensibilisée aux idéaux hébertistes par l’intermé-
diaire des enseignements d’Ernest Loisel puis de
ses lectures personnelles, elle publie en 1947 son
premier ouvrage consacré au Plein air aux éditions
Bourrelier, alors très influentes. Deux ans plus
tard, en rédigeant un article dans l’ouvrage dirigé
par Gaston Roux, alors responsable de la Direction
39
à destination des jeunes femmes (Popard, 1935 ;
cf. iconographies 6 et 7). Sa formule, « Charme
et Santé à qui vient à moi » (cf. iconographie n° 6
et 7), fonctionnant ici comme un slogan, devient un
argument décisif pour convaincre les parents et les
jeunes filles d’adhérer à la méthode Popard.
Se revendiquant pionnière en matière d’ÉP féminine,
Irène Popard s’inscrit en cohérence avec son époque
tout en revendiquant une autonomie pour les
femmes. L’itinéraire professionnel de cette actrice
révèle les enjeux et les débats qui traversent le
champ de l’Éducation Physique de cette période.
Bibliographie et webographie
Documents complémentaires
sur le site de l’AEEPS
Buat C. et al. (1987). Cette gymnastique qui est aussi
de la danse, Irène Popard aujourd’hui, Paris, Chiron.
Dosse F. (2005). Le pari biographique. Écrire une vie.
Paris, La découverte.
Érard C. (2020). « Irène Popard et Alice Milliat intéressent
L’Auto », in Benoît Caritey (dir.), La fabrique de l’information
sportive : L’Auto (1900-1944), Reims, Épures, pp. 245-267.
Eyquem M-Th. (1959). Irène Popard ou la Danse du feu,
Paris, Editions du Temps.
Floor exercices, 1946, British Pathé :
https://www.youtube.com/watch?v=O6l1mdTT424
Gallica : Irène Popard [à g.] et la reine des sports
Suzanne Leffond : [photographie de presse] /
[Agence Rol] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/
btv1b531396123.r=popard?rk=21459;2#
Jeandot-Ivars S. (1988). Irène Popard et sa méthode :
la gymnastique harmonique et rythmique,
Mémoire pour le DU de 2ème cycle en Danse, sous la direction
de Germaine Prudhommeau, Université de Paris Sorbonne.
Générale de l’Éducation Physique et des Sports
(DGEPS), sur « le rôle de la femme dans la société »,
son engagement pour la promotion d’une Éducation
Physique féminine dans la société naissante des
Trente Glorieuses ne cesse de se confirmer.
Malgré ses responsabilités politiques et pédago-
giques très chronophages, elle poursuit sa réflexion
pour promouvoir une formation initiale de qualité
des enseignantes d’EPS en accueillant au sein
de l’ENSEP jeunes filles de nombreux stages et
congrès d’EP et en participant en 1953 à la création
40 Histoire

du laboratoire d’étude du comportement psycho- Yvonne SURREL

moteur dont la direction est confiée le 1er septembre
1954 à Edmond Hiriartborde, célèbre psychologue
spécialiste du développement de l’enfant et plus
particulièrement des questions de psychologie
expérimentale et appliquée.
Après avoir participé en août 1962 à la fondation puis
à la présidence de l’Association internationale des
écoles supérieures d’éducation physique (AIESEP)
puis aux travaux de l’Essai de doctrine du sport
en 1965, Yvonne Surrel remplace Laurent Haure-
Placé pour devenir la 2ème Inspectrice Générale de
la Jeunesse et des sports de l’histoire après Marie-
Thérèse Eyquem. Jusqu’en 1977, année de son départ
à la retraite, elle œuvre au quotidien à l’ensei-
gnement d’une éducation physique ouvrant la voie à
l’émancipation des jeunes filles et des femmes dans
une société des loisirs qui se développe de plus en
plus en France.
Y. Surrel, Plein air, Éducation physique et activités dirigées, 1950, 2Ème édition (1947).
Y. Surrel, « Un plein air authentique », in revue Éducation Nationale, n° 294, 1976.
Dans le cadre de ces deux publications, Y. Surrel développe une Éducation physique par et pour l’enfant
qui s’inscrit dans la continuité des hébertistes et notamment d’Ernest Loisel et de Pierre-René David :
« Aérer l’enfant, le faire sortir du cadre étroit et artificiel de la salle de classe, le mettre en contact direct
avec la nature, avec le réel, avec tous les obstacles et les duretés qu’ils comportent, lui donner le sens et le
goût des initiatives et des responsabilités, l’habituer à agir, cultiver toutes les forces de son être individuel
et non moins le sens de la solidarité, c’est l’objet de ce qu’on appelle par convention les méthodes actives.
La méthode française se cherche et n’a pas encore osé s’affirmer en grand mais les essais restèrent
timorés, tant on craint que l’attrayant soit pris pour l’inutile ou le pas sérieux. Lorsqu’on parle d’ensei-
gnement en France, on imagine aussitôt la salle de classe pour l’enfant, l’amphithéâtre pour l’étudiant »
(Surrel, Y., 1947).
« L’enfant est placé ici au cœur du dispositif d’apprentissage, et ses capacités sont la référence. L’EP
proposée par les enseignants devient d’autant plus attractive pour les élèves car elle leur permet de
progresser dans des domaines où ils étaient moins performants, et cela grâce à des exercices adaptés au
niveau des élèves. L’élève se sent concerné par l’apprentissage et sera ainsi motivé et attentif aux divers
exercices tout au long de la leçon » (Surrel Y., 1976).
« Les vertus pédagogiques du plein air, elles ne sont pas moins variées et éminentes car les acquisitions
qu’il peut permettre sont d’autant plus multiples et durables qu’elles se font dans l’effort volontaire et le
bien-être physique ». (Surrel Y., 1976).

Biennale 2023
Samedi 21 et Dimanche 22 Octobre
Retrouvez les dernières informations
sur le site aeeps.org
L’expérience corporelle : un concept intégrateur
au service de l’éducation de l’élève en EPS
Conférences
Axe 1. Expérience corporelle, enjeux et finalités de l’école
Axe 2. Expérience corporelle et interprétation des conduites motrices
Axe 3. Expérience corporelle, contenus d’enseignement et progrès moteurs
Axe 4. Expérience corporelle et évaluation

Enseigner l’EPS N• 292 // Septembre 2023

 NOUVEAU - Le second ouvrage du groupe EPIC
Des propositions ÉPIC pour
évaluer, enseigner et apprendre en EPS
Le premier ouvrage du groupe EPIC cadrait théoriquement et technologiquement sa démarche, ce 2ème opus se veut réellement
pragmatique… Ouvrage destiné aux professionnels et aux étudiants, les auteurs ont fait le choix de partir de réflexions émanant
d’enseignants perplexes ou hésitants pour clarifier leurs idées et les illustrer dans de nombreuses activités… »
CHAPITRE 1 - Des propositions EPIC s’appuyant sur des ressources CHAPITRE 6 - Propositions d’EPIC en Champ d’Apprentissage 5
professionnelles et scientifiques actualisées Une proposition de combo en musculation scolaire au lycée Henri Avril : le 16 384
Oser les indicateurs de compétence ! CHAPITRE 7 - Regards croisés entre groupes ressources
Évaluation, notation et stress… l’éclairage des neurosciences Apprendre à « apprendre ensemble » et à « vouloir apprendre ensemble »
en lien avec l’évaluation par indicateurs de compétence La démarche EPIC vectrice d’apprentissages coopératifs
Des propositions EPIC ancrées dans les apports de la recherche
CHAPITRE 2 - Proposition d’EPIC en Champ d’Apprentissage 1
Proposition d’un combo en BIATHLON pour une 1ère séquence
Proposition de deux combos pour nager plus vite du collège à l’Université :
de « l’indicateur technique capé » au « 22864 rapido »
Une proposition de combo en DEMI-FOND au collège : « le Peloton » et « l’échappée »
Exemple du collège Lafayette (Le Puy, 43)
Un exemple de combo dans l’APSA
Relais-Vitesse au collège Ségurane (Nice) : Le « 211 »
CHAPITRE 3 - Propositions d’Évaluation Par Indicateurs de Compétence
en Champ d’Apprentissage 2
Le « radar », indicateur de la compétence à savoir s’engager / renoncer dans le CA2
Sauvetage en piscine et savoir nager au-delà de l’ASNS en mer
Le « 125 », proposition d’un combo de la compétence à savoir nager sous l’eau
Pour le retour d’une autre expérience authentique de CA2
Proposition d’un combo pour une 1ère séquence en DISC-GOLF
CHAPITRE 4 - Propositions d’Évaluation Par Indicateur de Compétence
en Champ d’Apprentissage 3
Un exemple de combo dans l’APSA Danse au Collège V. Louis : le « 344 »
Une proposition de combo en step : Le STEPIC au collège Roger Vercel, Le Mans
CHAPITRE 5 - Propositions d’Évaluation Par Indicateur de Compétence
en Champ d’Apprentissage 4
Ultimate collège, une proposition ambitieuse pour une 2ème séquence
Proposition d’un Combo en Volley-Ball pour une première séquence
Une proposition de combo en thèque : « Le 1500 » au collège Yves Klein La colle/loup
Des indicateurs pour les AFL en VOLLEY-BALL au lycée
Exemple du lycée C. et A. Dupuy (Le Puy, 43)
Une proposition de combo en Basket-ball au lycée

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