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Les "vertus" de l'éducation à la chinoise choquent l'Amérique

Avec son livre L'hymne de bataille d'une mère tigre, Amy Chua a créé la polémique
aux États-Unis.
De notre correspondante à Washington, Hélène Vissière

Modifié le 13/01/2011 à 16:13 - Publié le 13/01/2011 à 12:32 | Le Point.fr

À côté, le Père Fouettard a l'air d'un papa gâteau. Dans un livre qui fait beaucoup de
bruit, Amy Chua raconte comment elle a éduqué ses filles "à la manière chinoise",
bien supérieure, affirme-t-elle, aux méthodes occidentales. Ce professeur de droit de
Yale n'hésite pas à traiter ses filles de "déchets" ou de "boudins" si elles ne lui
rapportent pas des 20 sur 20, leur interdit d'aller jouer chez des copines ou de regarder
la télé, les oblige à jouer du piano et du violon (les seuls instruments nobles) trois
heures par jour et refuse la carte d'anniversaire qu'elles lui ont dessinée au prétexte
qu'elle est bâclée...

Rude ? Oui, mais pourquoi tant de Chinois sont-ils des prodiges en piano ou des
génies en maths, interroge l'auteur de L'hymne de bataille d'une mère tigre ? C'est
parce que leurs parents font passer le souci d'excellence avant tout. Travailler dur est
la seule voie pour réussir, et plus on réussit, plus on est sûr de soi et plus on enchaîne
les succès. CQFD. Les parents américains, eux, sont laxistes, abreuvent leur rejeton
de compliments pour ne pas blesser leur sacro-sainte confiance en soi, ce qui
débouche sur la médiocrité et ne les prépare pas aux dures réalités de la vie.

Profiter de la vie

Avec un aplomb incroyable, cette fille d'immigrant chinois raconte ses méthodes
tyranniques comme si elles étaient absolument normales. "La mère chinoise croit
que : (1) les devoirs passent avant tout ; (2) un A - est une mauvaise note ; (3) ses
enfants doivent avoir deux ans d'avance sur le reste de la classe en maths ; (4) elle ne
doit jamais complimenter son enfant en public ; (5) si l'enfant n'est pas d'accord avec
son prof ou son entraîneur, elle doit toujours prendre le parti du prof ou de l'entraîneur
; (6) les seules activités que ses enfants devraient être autorisés à faire sont celles dans
lesquelles, au bout du compte, ils vont gagner une médaille ; (7) cette médaille doit
être en or." Chua reconnaît que cette éducation n'apporte pas toujours le bonheur et
qu'elle ne sait pas très bien "profiter de la vie"...

Dans une des anecdotes les plus choquantes, elle raconte que Lulu, sa fille de 7 ans,
n'arrivait pas à jouer un morceau de piano particulièrement difficile. Elle travaille une
semaine dessus, plusieurs heures par jour. Finalement, la fille se rebelle, déchire la
partition. Mais Chua est inflexible, l'oblige à jouer et rejouer encore en la menaçant de
donner sa maison de poupée à l'Armée du salut, de la priver de déjeuner, de Noël,
d'anniversaires pendant quatre ans... Le mari, américain et prof à Yale également,
essaie de s'en mêler mais elle l'envoie balader. Elle fait travailler la petite la moitié de
la nuit sans l'autoriser à se lever pour aller aux toilettes ou boire un verre d'eau. Et
finalement ? Finalement Lulu maîtrise le morceau.

Les chiens, bons à rien

Si certains arguments de Chua sont parfaitement recevables - les heures passées par
les enfants américains sur Internet ou devant la télé ne sont pas un facteur
d'enrichissement -, ses méthodes apparaissent un peu trop radicales. Le livre a suscité
une énorme polémique aux États-Unis, où les commentaires sont assassins. On accuse
Chua d'être un "monstre", un bourreau d'enfant, de faire de ses gosses des "robots"...
Elle se défend en expliquant qu'elle a aussi connu des échecs : si sa fille aînée Sophia
est un prodige en piano qui a joué à Carnegie Hall à 14 ans, Lulu s'est "rebellée". Elle
a plus ou moins abandonné la musique pour le tennis... Ceux qui sont parents
apprécieront le niveau de rébellion.

Mais son plus grand échec, Chua l'a connu avec les deux chiens de la famille qu'elle a
essayé de diriger à la baguette avant d'admettre qu'ils n'étaient bons à rien sinon à
mendier des caresses. Ce qu'elle en conclut est tellement ahurissant que l'on se
demande si c'est sérieux ou de l'humour au 3e degré. "Même si certains chiens sont
membres d'une équipe de détection de bombe ou de drogue, il est parfaitement normal
que la plupart des chiens n'aient pas de profession ou même le moindre talent
particulier" !

«Sois poli, dis merci»: l'éducation à la française

OLIVIA LÉVY
LA PRESSE

Publié le 21 décembre 2014 à 8h00 Mis à jour le 4 février 2015 à 11h54


Pour la Dre Edwige Antier, pédiatre et auteure de nombreux livres à succès, il ne fait
aucun doute que l'éducation à la française est un modèle admiré. Notre journaliste
Olivia Lévy a discuté avec elle de politesse et bonne tenue chez les enfants, qu'ils
soient québécois, français ou d'ailleurs.

L'art d'éduquer
La pédiatre Edwige Antier est une référence pour les Français, un peu à l'image de
notre Dr Jean-François Chicoine. Dans son plus récent livre, Sois poli, dis
merci - L'éducation à la française, tout un art, elle dresse sous forme d'abécédaire
toutes les facettes de cette fameuse éducation à la française en les comparant à
d'autres cultures. « La parentalité à la française inculque aux enfants une façon d'être
que le monde entier nous envie, que ce soit la politesse, la bonne tenue à table et le
respect », affirme-t-elle. Interview.

Qu'est-ce qui a changé dans l'éducation en France des enfants d'hier à


aujourd'hui ?

L'éducation très stricte à la française a été adoucie et s'est ouverte avec Françoise
Dolto. Nous restons attachés à la tradition des codes de bonne conduite qui vont
permettre de bien s'insérer dans la société. Ce sont des règles fondamentales de
politesse et de respect envers les autres. Je compare souvent cette éducation avec les
jardins à la française, qui sont très bien dessinés et taillés de façon très rationnelle.
L'éducation à la française, c'est ce raffinement.

Les Français ne sont pas trop stricts ?

Oui, l'éducation est stricte, mais je dirais que le problème, c'est que les parents
français essaient d'inculquer certains principes de manière trop précoce. Par exemple,
je vois souvent à mon cabinet des enfants qui n'ont pas encore 18 mois et à qui la
mère demande : « Est-ce que tu as dit bonjour au docteur ? » J'entends ça à chaque
consultation alors que ce sont encore des bébés. On ne peut pas dire bonjour à 18
mois ! Ou encore, les parents vont emmener leur petit de 2 ou 3 ans au restaurant en
espérant qu'il se tienne à table pendant deux heures, c'est beaucoup trop tôt ! Il a
raison, le petit, d'avoir envie de bouger. Et ils vont ensuite revenir en me disant que
leur enfant ne se tient pas bien ! Les principes sont bons, mais le calendrier n'est pas
conforme au développement de l'enfant.

Et l'éducation au Québec ?

Nous, les pédiatres français, nous considérons l'approche québécoise de la petite


enfance comme un exemple. Au Québec, vous êtes particulièrement en avance sur
nous au sujet de la protection des enfants et le respect des besoins de la petite enfance.
Peut-être est-ce dû à votre influence anglo-saxonne et votre ouverture. Comme les
parents français, je pense que vous essayez de maintenir les traditions de codes de
bonne conduite. En même temps, la parole de Françoise Dolto a été comprise. Elle
disait que le bébé est une personne, qu'il faut parler à nos enfants et les comprendre.
Ce message est venu modifier la pratique de l'éducation. Cette alchimie entre vouloir
donner les codes et en même temps la volonté de bien comprendre l'enfant, vous
l'avez bien mise en pratique.

Qu'est-ce que c'est qu'être bien élevé ?

Dans le sens commun, être bien élevé, c'est être agréable et attentif à l'autre. Être
agréable, c'est savoir se tenir à table de façon plaisante, et ne pas parler la bouche
pleine, par exemple. Tous les codes d'éducation correspondent à ne pas être déplaisant
pour l'autre, ce qui est quand même très important. On ne peut pas jeter par-dessus
bord ces principes, et c'est pour ça qu'ils font l'admiration d'autres pays. Si je dis
« bonjour » comme ça à la volée, ça n'a pas la même valeur que si je dis « bonjour
Juliette » ou « bonjour madame », ce qui signifie que je me souviens de son prénom et
que c'est à elle que je m'adresse. Je lui donne ainsi une forme de reconnaissance. Le
« bonjour » seul n'est pas, en soi, suffisant. Le « bonjour madame », « bonjour
docteur » a beaucoup plus de portée de bonne éducation. Il faut l'adapter au
développement de l'enfant et ne pas lui inculquer trop tôt, sinon il va se braquer dans
le refus. Cette habitude de dire bonjour et au revoir doit rester charmante et délicate.

Les parents sont-ils plus laxistes, moins sévères ?

On trouve toujours que les enfants des autres sont mal élevés et insupportables ! On
parle beaucoup d'enfants rois, mais nos enfants ne sont pas des petits rois parce que le
miracle de la société d'aujourd'hui est d'arriver à concilier travail et vie de famille, et
c'est dur pour l'enfant, car les mots qu'il entend le plus fréquemment sont « vite, vite,
dépêche-toi ! ». L'enfant vit très tôt en collectivité et il doit s'adapter rapidement. Ce
n'est pas parce qu'on lui donne des gadgets à la caisse du supermarché parce qu'il
trépigne qu'il est un enfant roi. À mon avis, les enfants sont appelés à beaucoup plus
d'efforts qu'il y a un siècle. Les parents sont stressés, fatigués, ils se séparent, l'école
c'est difficile, et ils doivent s'adapter à tout ça. L'enfant n'est pas le roi du tout, il faut
regarder au fond des choses. On culpabilise, alors on compense.

Est-ce qu'il y a des comportements inacceptables que vous voyez et qui vous
choquent ?

Les enfants sont bien méritants de devoir s'adapter aux adultes, qui ont parfois des
comportements absurdes. C'est une situation que je prends à l'envers : il y a des
enfants qui ont des parents insupportables ! Aller faire les courses au supermarché
avec les enfants c'est parfois très long, c'est vrai, mais ils ont chaud, ils sont fatigués,
ils pleurent et parfois ils se roulent par terre, et on va dire : « Mais qu'est-ce que cet
enfant est mal élevé ! » Moi je dis, mais qu'est-ce qu'il fait dans ce supermarché
depuis deux heures ? Il ne faut pas le juger trop vite. On a des comportements
absurdes avec les enfants et les enfants ne savent plus se faire comprendre.

La fessée est une chose qui est très choquante pour nous, mais elle semble encore
exister en France...

C'est mon grand combat. J'ai été députée et j'ai déposé en 2010 une proposition pour
l'abolition des châtiments corporels qui ne sont pas abolis dans la loi, en France. On
va finir par y arriver. Il faut répéter l'importance d'abolir la fessée. Heureusement,
grâce à de nombreux articles et débats sur le sujet, les parents semblent être prêts. En
2000, 80 % des parents français avouaient lever la main sur leurs enfants, et ils ne
sont plus que 40 % aujourd'hui. Je sais que c'est encore beaucoup trop, mais au moins
ils comprennent que c'est très mal, mais ne savent pas faire autrement. Dans leurs
têtes, ils se disent : j'en ai eu, des fessées, ça ne m'a pas traumatisé. La fessée, c'est
très mauvais et vous avez raison à ce sujet, vous les Québécois.

Est-ce qu'on est moins sévères quand on a ses enfants plus tard ?

Bien sûr, on ne regarde pas la vie de la même façon à 40 ans qu'à 25 ans. À 40 ans,
c'est un vrai projet que celui d'avoir un enfant ou une surprise délicieuse parce qu'on
n'y comptait plus. À cet âge, on a déjà réglé beaucoup de problèmes avec soi-même et
on se concentre sur l'enfant, alors on sera plus en admiration, limite en adoration
devant ce petit être. À 25 ans, on est dans une grande lancée professionnelle, on est
plus en mouvement et il faut que l'enfant s'adapte. Chaque période apporte sa qualité,
que ce soit à 25 ou à 40 ans.

Vous parlez aussi des problèmes de sommeil quand les enfants sont petits ?

Le sommeil ! Alors ça ! C'est vraiment amusant, car les petits ont besoin de présence
quand ils font un rêve ou qu'ils ont une petite angoisse nocturne. Les parents sont dans
un déchirement entre le dogme du « chacun dans sa chambre » et comprendre le petit
en dormant avec lui.
Cette transhumance nocturne me fait sourire. Dans toutes les civilisations, on a
longtemps dormi avec ses enfants et je pense que là encore, il ne faut pas être trop
pressé de les rendre autonomes ! On se calme. Il y a un conflit entre le dogme et la
compréhension. Françoise Dolto a permis une alchimie plus nuancée, qui est de dire
qu'il ne faut pas dresser les enfants, mais plutôt les comprendre.

« Attends ! » Un mot que semblent comprendre les petits Français ?

Un enfant bien élevé sait attendre que sa maman ait fini sa conversation ou que sa
soeur soit servie. C'est un mot que l'enfant français intègre et c'est d'autant plus
important aujourd'hui, car on va être dans une nouvelle civilisation que celle du
multimédia.

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