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© Management Prospective Ed. | Téléchargé le 20/09/2022 sur www.cairn.info via Université Esprit de Tunis (IP: 196.203.180.242)
2009/6 n° 26 | pages 74 à 94
ISSN 1768-5958
DOI 10.3917/mav.026.0074
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2009-6-page-74.htm
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Résumé
La croissance fulgurante des centres d’appels est l’une des caractéristiques
de ces dernières années. Mais derrière ce nouvel «eldorado technologique»
(Buscatto, 2002) se dessine une réalité plus sombre. Les centres d’appels
sont devenus synonymes d’une forme moderne de dégradation des
conditions de travail et d’emploi des salariés. En effet, l’activité des centres
d’appels est soumise à des mesures très précises de productivité, impliquant
des conditions de travail et du stress professionnel chez les téléopérateurs.
Des stresseurs ont été identifiés et leur prise en compte semble nécessaire
en vue d’une meilleure gestion des ressources humaines. C’est dans cette
optique qu’une recherche qualitative auprès de 40 téléopérateurs tunisiens
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a permis de confirmer l’existence de stresseurs relevés par la littérature
mais également de dégager plusieurs autres stresseurs contextuels.
Abstract
The amazing growth of call-centers is an obvious world-wide trend. But
behind this new «technological eldorado» (Buscatto, 2002), an obscure
reality profiles itself as call-centers can be seen as a modern form of the
degradation of working conditions. Indeed, telemarketing activities are ruled
by very restrictive productivity rules, involving professional stress among
telemarketers. Taking stressors into account is crucial to HR management.
In this perspective, a qualitative research study among 40 telemarketers has
been carried out. It enabled to retrieve several of the stressors existing in the
literature, but also to highlight several new contextual stressors.
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Les centres d’appels : « eldorado
technologique » ou forme moderne de
dégradation des conditions de travail ?
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forme moderne de dégradation des conditions de travail et d’emploi des salariés.
Le travail dans les centres d’appel téléphoniques est particulièrement générateur
de stress (Cousin, 2002 ; Buscatto, 2002). Les centres d’appels seraient des
usines modernes où les employés des plateformes téléphoniques sont « les
nouveaux OS du tertiaire » (Di Ruzza et Franciosi, 2003, p 2). « Stress, pénibilité
au travail, précarité et flexibilité de la main d’œuvre sont devenus les maîtres
mots attachés à ces organisations » (Buscatto, 2002, p 100).
La Tunisie, considérée comme l’un des nouveaux lieux d’accueil potentiels pour le
marché des centres d’appels, est un pays où les centres d’appels sont en pleine
expansion. Le gouvernement tunisien espère que le flux des opérations continuera
à se développer pour résorber le chômage des diplômés. Le développement
des télécommunications, les infrastructures modernes, le faible coût de la main-
d’œuvre et la place de la langue française sont autant d’atouts favorables à
l’implantation des centres d’appels. Par ailleurs, les taux d’absentéisme et de
turn-over semblent particulièrement faibles (environ 5 %) comparés à ceux
enregistrés en Europe (Hatem, 2004, p 27). Notons que des centres d’appels
ont également été développés par des entreprises tunisiennes dans le but de se
rapprocher de leur clientèle. Alors que ce marché générateur d’emplois semble
en plein essor, les conditions de travail dans les centres d’appels sont toutefois
génératrices d’un stress important. D’où l’intérêt de se pencher sur ce nouvel
emploi et plus particulièrement sur les facteurs explicatifs du stress chez ces
téléopérateurs. Mener une telle recherche permettra de réfléchir sur la nature
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1. Cadre conceptuel
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Plusieurs modèles ont été proposés pour expliquer le phénomène du stress
(Gamassou, 2002), les plus utilisés dans le domaine de la recherche étant le
modèle biologique de Selye (1974) et les modèles du stress psychologique.
Le modèle biologique de Selye (1974) connu sous l’appellation de Syndrome
Général d’Adaptation a rendu populaire la notion de stress. Le S.G.A représente
l’ensemble des réactions de défense de l’organisme. Cette approche biologique
du stress se base sur l’effort adaptatif qui prépare les organismes vivants à des
réponses musculaires rapides et intenses augmentant la capacité de fuir ou de
lutter et donc de survivre. Le stress biologique est donc une réponse d’urgence à
court terme qui favorise la fuite ou la lutte c’est-à-dire l’évitement de la situation
pathogène.
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comme excédant ses ressources et menaçant son bien-être. Selon ces deux
auteurs, le stress ne réside ni dans la situation, ni dans l’individu mais dans la
transaction entre l’individu et la situation. Enfin Edwards (1992) propose un modèle
qui résume et complète les modèles précédents. Il définit ainsi le stress comme
une discordance entre l’état perçu par le salarié et l’état souhaité à condition que
cette discordance soit jugée importante par le salarié. En effet, le stress modifie
deux classes d’éléments : la santé mentale et physique appelée « bien-être » et
la stratégie d’adaptation.
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par une double logique, celle des flux et des consignes » (Cousin, 2002, p 504).
Toutes les activités doivent s’enchaîner machinalement les unes après les autres ;
d’où la tension ressentie par les téléopérateurs. Les centres d’appels sont par
conséquent caractérisés par « un travail répétitif et usant » (Buscatto, 2002, p
114) qui découle de la standardisation de la transaction téléphonique (Buscatto,
2002 ; Cousin, 2002 ; Di Ruzza et Franciosi, 2003). Le caractère répétitif du
travail engendre monotonie et frustration chez les téléopérateurs (Lemoine,
2001). « Le système informatique qui gère la base de données clients a été
conçu autour de la standardisation du produit offert et d’un déroulement précis
de la conversation téléphonique » (Buscatto, 2002, p 105). Pour un téléopérateur
traiter un appel consiste à se conformer à une définition précise du service à
rendre. Ainsi, la standardisation du travail semble particulièrement stressogène
pour les téléopérateurs (Buscatto, 2002 ; Cousin, 2002 ; Di Ruzza et Franciosi,
2003).
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une ampleur allant jusqu’à 10 heures ou plus entre une journée et le lendemain.
Ainsi, les horaires de travail « atypiques » (temps partiel, les quarts de travail, le
travail de nuit et de fin de semaine) s’imposent de plus en plus comme norme
dans les centres d’appels (Messing et Prévost, 1998). La variabilité des horaires
de travail accentue la difficulté de concilier les responsabilités professionnelles
avec les responsabilités familiales (Thévenet, 2001). Généralement, les horaires
des centres d’appels ne coïncident pas avec les horaires des autres membres
de la famille ou ceux imposés par les écoles et les communautés (Messing et
Prévost, 1998) ; ce qui engendre frustration et colère chez les employés des
centres d’appels.
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Le conflit de rôle est une autre source fréquente de stress (Turcotte et Wallot, 1979).
Dans les centres d’appels, la principale source de conflit de rôle réside dans les
exigences contradictoires des clients, des chefs de plateaux et des superviseurs.
Ces derniers encouragent les téléopérateurs à augmenter leur productivité en
se basant sur des critères précis tels le nombre d’appels téléphoniques traités
ou encore la durée des appels téléphoniques (Tuten et Neidermeyer, 2004). Ces
exigences semblent contradictoires avec les exigences des clients. Pour être
rassuré, le client a souvent besoin que le téléopérateur lui alloue davantage de
temps. Or, la durée de l’appel est généralement fixée par les centres d’appels.
Ce qui rend difficile la fidélisation de la clientèle et la résolution des problèmes de
celle-ci (Tuten et Neidermeyer, 2004). « Faut-il respecter un temps de traitement
moyen ou répondre aux attentes d’un client a priori difficile ? » (Buscatto, 2002,
p 111).
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Par conséquent, il va devoir s’adapter, en situation, à chaque cas rencontré voire
concilier entre de multiples règles, souvent contradictoires.
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des difficultés pour traiter leur interlocuteur comme un « client ». Ils reproduisent
consciemment ou inconsciemment, la culture historique du service public dans
laquelle le consommateur « use » le service mais ne « l’achète » pas (Cousin,
2002, p 23). De plus, le dialogue est constamment « recentré » sur le service
que doit rendre le téléopérateur, tel que défini par sa hiérarchie (Cousin, 2002 ;
Guerry et Mottay, 2003). Il faut donc exclure systématiquement tout ce qui ne fait
pas partie de la prestation prédéfinie (Cousin, 2002) ; ceci accentue le malaise
des téléopérateurs.
Les relations avec les collègues sont souvent à l’origine d’un sentiment
d’insatisfaction. Dans de nombreuses plateformes téléphoniques, les
téléopérateurs sont séparés par des cloisons (Buscatto, 2002). L’absence
de contacts peut créer un sentiment d’isolement voire de frustration.
Indépendamment de ce sentiment d’isolement, les relations entre les collègues
sont généralement entachées de malveillance. Une telle attitude peut s’expliquer
par les faibles perspectives de carrière caractérisant les centres d’appels. En
effet, la compétition entre les téléopérateurs est importante compte tenu du
nombre restreint de postes de niveau supérieur auxquels ils aspirent. Enfin, les
relations avec les supérieurs - superviseur et chef de plateau - sont généralement
tendues (Buscatto, 2002). Bien que les chefs de plateau aient pour mission de
contrôler l’activité des superviseurs (Buscatto, 2002 ; Cousin, 2002), ils peuvent
tout comme les superviseurs, intervenir pour juger le travail d’un téléopérateur
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ou même pour sanctionner le travail ; ce qui provoque de la pression et du stress
chez les téléopérateurs (Buscatto, 2002 ; Cousin, 2002).
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2. Eléments méthodologiques
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La stratégie tunisienne en matière d’attraction des investissements étrangers est
de mettre en avant la panoplie d’atouts qui fait de ce pays une destination de plus
en plus privilégiée par les donneurs d’ordre : richesse de son capital humain,
proximité géographique et culturelle, infrastructure télécoms développée, tarifs de
communication réduits ou identiques à ceux pratiqués dans leurs pays d’origine,
etc. « Autre atout, le pays dispose d’une cité technologique des communications
située dans la proche banlieue de Tunis et qui devrait accueillir d’ici peu des
bâtiments dédiés aux centres d’appels »45. Pour attirer davantage d’investisseurs,
les autorités vont jusqu’à créer des centres privés de formation de téléopérateurs,
l’ambition de la Tunisie étant de devenir un pôle de service à la clientèle à la fois
régional et international. Considéré comme un secteur porteur dans les années à
venir compte tenu du développement rapide de la télévente et du télémarketing,
désormais le grand défi de la Tunisie est d’adapter ses ressources humaines à
ces nouveaux métiers. Cette adaptation ne pourra être réalisée que grâce à une
formation préalable aux TIC, aux langues étrangères (le français et l’anglais) et
au webmarketing.
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Durant les entretiens, l’objectif recherché par les interviewers était la production
d’arguments et d’opinions à propos du stress et des situations qui y sont reliées.
Le guide d’entretien a été conçu autour des quatre grands thèmes développés
ci-dessus à savoir le poste de travail, la carrière, l’environnement physique et
social et l’organisation. Il s’agissait de produire des développements ayant pour
thème le vécu et l’expérience des téléopérateurs, de manière à y déceler ceux
qui comportent du stress. Une approche conversationnelle a été adoptée afin
de mettre à l’aise les téléopérateurs interrogés. Lorsque certains interviewés
n’étaient pas logiques, qu’ils présentaient des incohérences ou des contradictions,
l’interviewer s’abstenait de le souligner. En général, la plupart des personnes
interrogées ont accepté de s’exprimer en français. Les entretiens ont duré de 45
minutes à une heure trente. Les entretiens ont été enregistrés par magnétophone.
Notons que les recherches sur les centres d’appels téléphoniques sont encore
récentes. Ce qui explique le recours à une approche qualitative et en particulier
le recours à un entretien de recherche.
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qualitatives, les personnes choisies dans le cadre de cette recherche forment
un échantillon non-probabiliste. 40 téléopérateurs tunisiens opérant dans des
centres d’appels étrangers et tunisiens ont été sélectionnés de manière à créer
de la diversité (activité des centres d’appels, expérience professionnelle, niveau
d’instruction, sexe et âge). Diversifier la nationalité du centre d’appels se justifie
par le fait que les entreprises étrangères (Téléperformance, Stream, Phone
Media International et Vocal Tech) confient leur relation clientèle à un prestataire
extérieur via des centres d’appels externes ; ce qui n’est pas le cas des entreprise
tunisiennes (Topnet et Tunisiana) qui gèrent elles-mêmes la relation clientèle à
travers des centres d’appels internes. La taille de l’échantillon n’a pas été fixée
a priori : le principe de saturation a été appliqué (Miles et Huberman, 2007). Les
entretiens ont pris fin à partir du moment où aucun apport additif significatif n’a
été effectué durant quatre entretiens successifs menés. Le tableau nº 1 décrit
le type ainsi que l’activité des centres d’appels au sein desquels exercent les
téléopérateurs interviewés.
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Tunisiana 8 entretiens Emissions d’appels (4) Vente de lignes téléphoniques
Réceptions d’appels (4) et fidélisation de la clientèle
à travers les campagnes des
nouvelles offres publicitaires.
3. Résultats et discussion
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Les téléopérateurs interrogés semblent également perturbés par la forte
standardisation du produit dans les centres d’appels. Un script doit être
scrupuleusement suivi par les téléopérateurs, ce qui suppose de répéter toute la
journée les mêmes phrases. Or, la répétition des tâches va engendrer chez les
téléopérateurs monotonie et ennui : « On devient bête à force de répéter toujours
la même chose : c’est un métier abrutissant ». Selon la plupart des informants,
l’émission est moins standardisée que la réception d’appels. Dans l’émission
d’appels, les téléopérateurs effectuent des campagnes publicitaires qui changent
souvent de sujet. De plus, ce sont les téléopérateurs qui vont déclencher l’appel ;
ce qui leur procure le sentiment d’un certain contrôle sur leur travail.
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Les horaires dans les centres d’appels semblent particulièrement stressants pour
les téléopérateurs, étant à l’origine de nombreuses difficultés pour concilier leur
vie privée avec leur vie professionnelle. Les centres d’appels étant ouverts toute
la journée, les plannings changent toutes les semaines. L’irrégularité des horaires
de travail va donc confronter les téléopérateurs à des problèmes de conciliation
vie privée - vie professionnelle car risquant de ne pas coïncider avec les
horaires des autres membres de la famille. Par ailleurs, la plupart des personnes
interrogées considèrent que les horaires de travail sont particulièrement chargés.
Certains ont fait référence à la mauvaise répartition des horaires ou encore
aux longues heures de pauses qui les obligent à rester sur place. Le fait de
travailler très tard ou de travailler les week-ends semble également constituer
une gêne, en particulier pour les téléopératrices interviewées. Comportant moins
de fluctuations, les horaires de travail des centres d’émission génèrent moins de
stress que ceux des centres de réception. Dans les centres d’appels étrangers,
les horaires sont particulièrement stressants car ils suivent le régime européen.
Par conséquent, les téléopérateurs ne bénéficient pas des jours fériés tunisiens
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et des fêtes musulmanes ; ce qui les mettent en déphasage par rapport aux
autres membres de la famille.
Le contrôle exercé par les superviseurs est également une importante source de
stress pour les téléopérateurs interviewés. Alors que certains font référence au
contrôle quantitatif qui se fait par le biais de statistiques inhérentes aux objectifs
de travail (« Si vous n’atteignez pas l’objectif voulu, ils vous disent : ce n’est pas
la peine de venir demain. C’est très stressant »), d’autres soulignent le contrôle
qualitatif à travers les doubles écoutes ou encore la surveillance qui a lieu sur les
plateaux (« même le dimanche, lorsqu’il n’y a pas beaucoup de travail, on nous
interdit de lire des journaux par exemple. Même pour aller aux toilettes, il faut
demander la permission »). Dans la plupart des centres d’appels, le contrôle est
omniprésent. Il a pour but d’améliorer la prestation fournie. Le contrôle porte sur
tous les aspects du travail, entre autres, le respect des scripts, des horaires, de
la durée moyenne des appels, de l’accueil clients, etc.
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agressifs avec les téléopérateurs. L’attitude du client est différente selon que
l’appel est émis ou reçu. Dans les centres de réception d’appels, le client peut
devenir agressif lorsque le téléopérateur ne satisfait pas ses attentes (« lorsqu’on
n’arrive pas à dépanner le client, il nous traite d’incapable ; c’est très humiliant ».
Par contre, dans les centres d’émission, le client va agresser le téléopérateur
étant constamment sollicité par les centres d’appels (« dès que vous dîtes
« allo » on vous raccroche au nez, ou bien on vous insulte, c’est très stressant »).
Dans les centres d’appels étrangers, certains clients menacent carrément les
téléopérateurs de porter plainte contre le centre d’appels (« les clients nous
traitent de voleurs, d’arnaqueurs et nous disent qu’ils vont porter plainte contre
l’entreprise »).
Les relations avec les collègues de travail constituent une autre source de
stress très importante en particulier dans les centres d’appels étrangers. Ces
centres d’appels sont caractérisés par une ambiance de travail où il existe très
peu de confiance entre les téléopérateurs et énormément de compétition. En
effet, tous les téléopérateurs briguent les mêmes postes de superviseurs qui
restent très limités. Il en découle des comportements antisociaux, laissant les
téléopérateurs sur le qui-vive : « une fois, des techniciens ont tendu un piège à
un autre technicien. Ils ont inséré dans son poste de travail un film érotique pour
le faire virer. C’est horrible ! ».
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particulièrement préoccupés par la précarité de l’emploi laquelle est génératrice
d’un stress assez important : « du jour au lendemain, le centre d’appels peut
disparaître ».
Enfin, la rémunération est génératrice d’un stress énorme pour les téléopérateurs
interviewés. Une iniquité en matière de rémunération est ressentie par ceux
qui détiennent une maîtrise et qui jugent anormal de percevoir la même
rémunération que ceux qui ont uniquement leur baccalauréat. Par ailleurs, de
nombreux téléopérateurs considèrent leur rémunération insuffisante par rapport
au travail accompli. Enfin, dans les centres d’appels étrangers, les téléopérateurs
ont tendance à comparer les salaires distribués en Tunisie par rapport à ceux
distribués en France.
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moquée de moi et m’a dit : retournez dans votre pays ». Ces attaques verbales
et les pièges tendus par les clients peuvent survenir à tout moment et placent les
téléopérateurs dans une situation psychologique peu confortable. Ils peuvent en
retour générer une agressivité qui n’est pas toujours justifiée et qui est souvent
pénalisante pour eux.
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ci visent des personnes âgées, ce genre de démarche n’existant pas encore en
Tunisie : « au fond de moi-même, je ne suis pas convaincue du travail que je
fais. Je suis dégoûtée quand j’appelle une vieille dame et que je l’arnaque! Mais
je suis obligée de travailler ». Une telle attitude s’explique par l’appartenance
des téléopérateurs tunisiens à une culture plutôt collectiviste. Dans les cultures
collectivistes, l’identification à l’entreprise est telle que les téléopérateurs ont du
mal à prendre du recul et de la distance par rapport au travail qu’on leur demande
de faire (Bollinger et Hofstede, 1987). Ainsi, lorsque les pratiques commerciales
des centres d’appels sont douteuses, les téléopérateurs ne peuvent s’empêcher
de ressentir un sentiment de culpabilité. De plus, la prédisposition relationnelle
caractérisant les cultures collectivistes fait que les appels téléphoniques sont
vécus non pas comme des transactions passagères mais comme autant de
relations potentielles, qui vont rendre encore plus difficile la mise en œuvre de
pratiques dont ils ne sont pas convaincus. Enfin, à l’heure où une volonté politique
véhicule des principes éthiques de transparence et de bonne gouvernance46,
il peut paraître paradoxal aux téléopérateurs de devoir vivre ces situations
mensongères.
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3.2. Discussion
Avant de discuter les résultats ci-dessus, il serait intéressant de noter que les
centres d’appels ont une histoire, courte certes, mais qui a déjà abouti à plusieurs
actions concrètes, pouvant être reproductibles en Tunisie. Ainsi, d’après le
modèle des lignes directrices du travail dans les centres d’appels publiées par la
CFDT47 (2000-2005), le travail dans les centres d’appels doit obéir à huit volets
essentiels : la stabilité de l’emploi, la réglementation collective des horaires
standards, l’application de normes ergonomiques au travail et au poste de
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travail, le respect de l’autonomie individuelle dans l’organisation du travail, la
mesure des performances selon des critères de qualité plutôt que de quantité,
les perspectives de formation et de carrière, les structures salariales fondées
sur les connaissances et les compétences, et enfin, le droit de participation et
de représentation syndicale. Au mois d’octobre 200848, afin de redorer l’image
des centres d’appels, la CFDT va jusqu’à chercher à imposer aux entreprises
l’adhésion à un label social. Désormais, les entreprises doivent se sentir
socialement responsables en veillant à assurer de meilleures conditions de
travail, un bon niveau de dialogue social, un accès à la formation et de véritables
perspectives de carrière.
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Tout d’abord, la formation peut faciliter les rotations de postes et les promotions
horizontales. Les « call centers » ont, en effet, intérêt à encourager les rotations
de poste et les promotions horizontales afin de contrer l’ennui, la monotonie et les
faibles perspectives de carrière fortement générateurs de stress dans les centres
d’appels. Ainsi, les programmes de formation permettront aux téléopérateurs
d’acquérir des compétences supplémentaires, plus « transférables », l’objectif
recherché étant d’enrichir les emplois et par-là même valider les acquis
professionnels pouvant être obtenus dans les centres d’appels. Jusque-là,
occuper un poste dans un centre d’appels était peu valorisant et peu reconnu,
d’où le stress ressenti par les téléopérateurs, notamment par ceux pourvus d’un
diplôme d’études supérieures très nombreux dans le contexte tunisien. Conduire
un entretien, gérer la distance affective et émotionnelle de l’interlocuteur, organiser
ses idées, s’exprimer distinctement, travailler parallèlement sur un ordinateur et
répondre au téléphone, peut devenir une expérience intéressante pour les jeunes
diplômés, qui peut être valorisée et faciliter ultérieurement l’employabilité de ces
derniers. L’offre d’une formation solide peut également aider les téléopérateurs
à comprendre le pourquoi des pratiques commerciales adoptées par les centres
d’appels. Un certain recul par rapport à ces démarches doit pouvoir être pris par
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les téléopérateurs, celles-ci étant particulièrement génératrices de stress pour
ces derniers. Des jeux de rôles pourraient être organisés et permettraient aux
téléopérateurs de prendre de la distance par rapport au client (propos racistes)
mais également par rapport à l’entreprise (démarches commerciales et perte
d’identité).
Au cours des sessions de formation, les dirigeants des centres d’appels pourraient
également encourager la participation des téléopérateurs au projet de réalisation
des scripts ce qui pourrait réduire le stress généré par la standardisation, la routine
et le contrôle. Cela leur laisserait ainsi une certaine marge de liberté qui dépasse
l’habituelle ingestion de scripts prédéfinis (Gueye, 2007). De plus, à travers ces
sessions de formation, les téléopérateurs auront désormais le pouvoir de faire
remonter l’information, étant en contact permanent avec les clients. Une telle
participation permettra de se détacher du modèle taylorien, très mal vécue par
des téléopérateurs particulièrement instruits, à savoir de rompre la dichotomie
entre ceux qui exécutent et ceux qui réfléchissent et par conséquent d’améliorer
la qualité du service tout en valorisant le travail des téléopérateurs. Enfin, des
séminaires ou des colloques de travail regroupant les téléopérateurs favoriseraient
les échanges d’idées sur les difficultés rencontrées et contribueraient à améliorer
l’environnement social.
Les superviseurs doivent également saisir l’importance de leur rôle ainsi que du
soutien social qu’ils peuvent offrir aux téléopérateurs. Un meilleur encadrement
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technologique » ou forme moderne de
dégradation des conditions de travail ?
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les prendre pour des incompétents s’imposent.
Conclusion
Ainsi, cette recherche a permis d’identifier des différences existant entre les
centres d’appels étrangers et les centres d’appels tunisiens. En comparaison avec
les centres d’appels tunisiens, les centres d’appels étrangers se caractérisent
par un nombre considérable d’appels, une forte cadence de travail, ainsi que des
horaires et des plannings faisant abstraction du contexte tunisien. Ces stresseurs
sont d’autant plus importants qu’ils s’accompagnent d’un sentiment permanent
de précarité, les centres d’appels étrangers pouvant à tout moment fermer et
être délocalisés vers d’autres destinations. Mais au-delà de ces différences
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Identifier les facteurs explicatifs du stress reste donc fondamental dans la mesure
où suite à une telle identification, des stratégies pourront être mises en place. En
effet, plusieurs stratégies peuvent être déployées afin de réduire le stress dans
les centres d’appels : la coopération active des téléopérateurs avec la hiérarchie,
l’interprétation libre du comportement commercial, la protection négociée contre
l’usure, la fatigue et l’ennui, l’orientation vers un service professionnel plutôt que
la définition d’un produit standard, etc. De plus, l’adoption d’une bonne politique
de communication, par la participation des employées à la prise des décisions qui
les concernent, peut être une méthode efficace pour gérer le stress. Le soutien
social des supérieurs hiérarchiques, des collègues et de la famille, peut également
jouer un rôle très important dans la diminution du stress des téléopérateurs.
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