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LES CENTRES D'APPELS : « ELDORADO TECHNOLOGIQUE » OU FORME

MODERNE DE DÉGRADATION DES CONDITIONS DE TRAVAIL ?

Lamia Hechiche Salah, Imène Ben Radhia, Zeineb Ben Ammar-Mamlouk

Management Prospective Ed. | « Management & Avenir »


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2009/6 n° 26 | pages 74 à 94
ISSN 1768-5958
DOI 10.3917/mav.026.0074
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2009-6-page-74.htm
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Les centres d’appels : « eldorado


technologique » ou forme moderne de
dégradation des conditions de travail ?

par Lamia Hechiche-Salah, Imène Ben Radhia


et Zeineb Ben Ammar-Mamlouk

Résumé
La croissance fulgurante des centres d’appels est l’une des caractéristiques
de ces dernières années. Mais derrière ce nouvel «eldorado technologique»
(Buscatto, 2002) se dessine une réalité plus sombre. Les centres d’appels
sont devenus synonymes d’une forme moderne de dégradation des
conditions de travail et d’emploi des salariés. En effet, l’activité des centres
d’appels est soumise à des mesures très précises de productivité, impliquant
des conditions de travail et du stress professionnel chez les téléopérateurs.
Des stresseurs ont été identifiés et leur prise en compte semble nécessaire
en vue d’une meilleure gestion des ressources humaines. C’est dans cette
optique qu’une recherche qualitative auprès de 40 téléopérateurs tunisiens
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a permis de confirmer l’existence de stresseurs relevés par la littérature
mais également de dégager plusieurs autres stresseurs contextuels.

Abstract
The amazing growth of call-centers is an obvious world-wide trend. But
behind this new «technological eldorado» (Buscatto, 2002), an obscure
reality profiles itself as call-centers can be seen as a modern form of the
degradation of working conditions. Indeed, telemarketing activities are ruled
by very restrictive productivity rules, involving professional stress among
telemarketers. Taking stressors into account is crucial to HR management.
In this perspective, a qualitative research study among 40 telemarketers has
been carried out. It enabled to retrieve several of the stressors existing in the
literature, but also to highlight several new contextual stressors.

Fortement médiatisées depuis le début des années 90, les technologies de


l’information et de la communication sont communément présentes comme
vecteur majeur de changements économiques, organisationnels et sociaux. «
La diffusion généralisée des nouvelles formes de technologie de l’information
et de la communication dans les économies avancées ouvriraient ainsi une ère
de compétition généralisée entre entreprises dans un marché mondial virtuel »
(Pichault et Zune, 2000, p1).

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Les centres d’appels : « eldorado
technologique » ou forme moderne de
dégradation des conditions de travail ?

L’importance du facteur technologique dans la mondialisation de l’économie semble


se vérifier particulièrement dans le secteur des services. Parmi les nombreuses
activités de services centrées autour de l’utilisation des TIC, le cas des centres
d’appels téléphoniques s’avère intéressant dans la mesure où ils constituent un
exemple typique d’utilisation de ces nouvelles technologies. « Secteur d’activité
en pleine expansion dans les années 90, les centres d’appels téléphoniques
font figure de laboratoire du futur. Fondés sur une alliance du téléphone et de
l’informatique, ils incarnent une modernité technologique accessible à tous en
tout point du territoire » (Buscatto, 2002, p 100). Les centres d’appels délèguent
à des équipes de téléopérateurs la prise en charge d’actions téléphoniques dont
les formes et les finalités peuvent varier fortement : télémarketing, aide en ligne,
télévente, assistance téléphonique, assistance clientèle, etc. Ainsi, « avec les
centres d’appels, le client devient, sinon le roi maintes fois annoncé, un élément
central autour duquel l’entreprise se repositionne sans cesse dans le champ
concurrentiel » (Di Ruzza et Franciosi, 2003, p1). En effet, les centres d’appels
permettent de personnaliser la relation avec le client : identification des goûts et
des désirs des clients, traitement à distance de leurs attentes et enfin accès aux
produits et services de l’entreprise.

Mais, derrière ce nouvel « eldorado technologique » (Buscatto, 2002) se dessine


une réalité plus sombre. Les centres d’appel sont devenus synonymes d’une
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forme moderne de dégradation des conditions de travail et d’emploi des salariés.
Le travail dans les centres d’appel téléphoniques est particulièrement générateur
de stress (Cousin, 2002 ; Buscatto, 2002). Les centres d’appels seraient des
usines modernes où les employés des plateformes téléphoniques sont « les
nouveaux OS du tertiaire » (Di Ruzza et Franciosi, 2003, p 2). « Stress, pénibilité
au travail, précarité et flexibilité de la main d’œuvre sont devenus les maîtres
mots attachés à ces organisations » (Buscatto, 2002, p 100).

La Tunisie, considérée comme l’un des nouveaux lieux d’accueil potentiels pour le
marché des centres d’appels, est un pays où les centres d’appels sont en pleine
expansion. Le gouvernement tunisien espère que le flux des opérations continuera
à se développer pour résorber le chômage des diplômés. Le développement
des télécommunications, les infrastructures modernes, le faible coût de la main-
d’œuvre et la place de la langue française sont autant d’atouts favorables à
l’implantation des centres d’appels. Par ailleurs, les taux d’absentéisme et de
turn-over semblent particulièrement faibles (environ 5 %) comparés à ceux
enregistrés en Europe (Hatem, 2004, p 27). Notons que des centres d’appels
ont également été développés par des entreprises tunisiennes dans le but de se
rapprocher de leur clientèle. Alors que ce marché générateur d’emplois semble
en plein essor, les conditions de travail dans les centres d’appels sont toutefois
génératrices d’un stress important. D’où l’intérêt de se pencher sur ce nouvel
emploi et plus particulièrement sur les facteurs explicatifs du stress chez ces
téléopérateurs. Mener une telle recherche permettra de réfléchir sur la nature

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même du travail des téléopérateurs de telle sorte à « redonner une certaine


noblesse à ces emplois » (Descolonges, 1998), les centres d’appels constituant
en quelque sorte la vitrine des entreprises.

1. Cadre conceptuel

1.1. L’ambiguïté de la notion de stress


Le concept de stress est entaché d’ambiguïté (Routier, 1990 ; Ettighoffer et Blanc,
1998). Etant à l’heure actuelle « très à la mode » d’appliquer ce terme à toutes
sortes de situations de la vie autant publiques que privées, le stress est devenu
un concept « valise » (Gamassou, 2002, p 3). Ainsi, de nombreux auteurs ont
tenté de donner une définition du stress sans pour autant arriver à un consensus.
Le stress apparaît tantôt comme une réaction de base et non spécifique d’un
organisme lorsqu’il est placé en différentes situations lui imposant un ajustement
(Selye, 1974), tantôt comme « une relation entre une personne donnée et un
environnement donné dans laquelle l’individu considère que les sollicitations de
l’environnement mettent à l’épreuve ou dépassent ses capacités d’ajustement »
(Roques, 2001, p 3) tantôt encore comme « la conséquence d’une action ou d’une
situation qui fait peser sur une personne des contraintes spéciales, physiques ou
psychologiques ou les deux à la fois » (Cheour, 2002, p 17).
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Plusieurs modèles ont été proposés pour expliquer le phénomène du stress
(Gamassou, 2002), les plus utilisés dans le domaine de la recherche étant le
modèle biologique de Selye (1974) et les modèles du stress psychologique.
Le modèle biologique de Selye (1974) connu sous l’appellation de Syndrome
Général d’Adaptation a rendu populaire la notion de stress. Le S.G.A représente
l’ensemble des réactions de défense de l’organisme. Cette approche biologique
du stress se base sur l’effort adaptatif qui prépare les organismes vivants à des
réponses musculaires rapides et intenses augmentant la capacité de fuir ou de
lutter et donc de survivre. Le stress biologique est donc une réponse d’urgence à
court terme qui favorise la fuite ou la lutte c’est-à-dire l’évitement de la situation
pathogène.

Les modèles du stress psychologique quant à eux, accordent une grande


importante à la subjectivité de l’individu (Roques et Roger, 1996). La plupart intègre
l’adéquation personne-environnement. Ainsi, le modèle de Beehr et Newman
(1978) exprime la complexité du stress par la confrontation et l’enchaînement
de différentes facettes expliquant le stress : environnementale, personnelle,
processus, conséquences humaines, conséquences organisationnelles et
temps. Le modèle de Turcotte et Wallot (1979) met en évidence une distinction
fondamentale entre deux types de stresseurs : physiologiques et psychiques.
Les premiers provoquent généralement un stress physiologique. Quant aux

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technologique » ou forme moderne de
dégradation des conditions de travail ?

seconds, ils sont susceptibles de provoquer non seulement un stress psychique,


mais également un stress physiologique. Le modèle de Karasek (1979) part du
constat selon lequel les recherches sur les « latitudes de décisions » incluent
rarement des éléments sur les exigences professionnelles. C’est un modèle qui
propose une conception du stress en terme de déséquilibre entre les exigences
et les ressources. Un modèle bidimensionnel des tensions mentales déterminées
par les tensions au travail est ainsi établi et validé. Il conclut à la nécessité de
donner plus de latitude de décision à ceux qui en ont peu et qui subissent des
contraintes élevées afin de les rendre plus efficaces. Plus tard, une troisième
dimension est introduite dans le modèle de Karasek : il s’agit du soutien social
de la part des collègues et des supérieurs. Ce soutien social au travail réduit le
stress dans la mesure où il module le déséquilibre entre demande psychologique
et latitude décisionnelle. En effet, une situation combinant une demande
psychologique élevée et une faible latitude décisionnelle est mieux supportée si
la personne est soutenue par son entourage professionnel (Karasek et Theorell,
1990). Tout comme le modèle de Turcotte et Wallot (1979), le modèle de Ket
de Vries (1979) met en valeur de nombreux stresseurs que l’auteur classe en
trois grandes catégories : les variables du design organisationnel, les variables
interpersonnelles et les variables de carrière. Selon cet auteur, la personnalité, le
contexte socioculturel et l’environnement global exercent un effet médiateur entre
ces stresseurs et le stress. Quant à Lazarus et Folkman (1984), ils définissent
le stress psychologique comme le reflet d’une transaction perçue par l’individu
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comme excédant ses ressources et menaçant son bien-être. Selon ces deux
auteurs, le stress ne réside ni dans la situation, ni dans l’individu mais dans la
transaction entre l’individu et la situation. Enfin Edwards (1992) propose un modèle
qui résume et complète les modèles précédents. Il définit ainsi le stress comme
une discordance entre l’état perçu par le salarié et l’état souhaité à condition que
cette discordance soit jugée importante par le salarié. En effet, le stress modifie
deux classes d’éléments : la santé mentale et physique appelée « bien-être » et
la stratégie d’adaptation.

1.2. Les facteurs de stress chez les téléopérateurs


Compte tenu des exigences de l’environnement professionnel, le travail dans
les centres d’appels téléphoniques peut être générateur d’un niveau de stress
élevé (Buscatto, 2002 ; Cousin, 2002 ; Di Ruzza et Franciosi, 2003). Les sources
de stress professionnel dans les centres d’appels sont essentiellement liées au
poste de travail, à l’environnement physique et social et enfin à la carrière et à la
rémunération.

Le poste de travail est générateur d’un stress très important dû à la nature de


l’activité des centres d’appels. En effet, les téléopérateurs des centres d’appels
souffrent souvent d’une surcharge quantitative de travail (Cousin, 2002) découlant
en partie du rythme de travail. « L’organisation du travail est ainsi commandée

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par une double logique, celle des flux et des consignes » (Cousin, 2002, p 504).
Toutes les activités doivent s’enchaîner machinalement les unes après les autres ;
d’où la tension ressentie par les téléopérateurs. Les centres d’appels sont par
conséquent caractérisés par « un travail répétitif et usant » (Buscatto, 2002, p
114) qui découle de la standardisation de la transaction téléphonique (Buscatto,
2002 ; Cousin, 2002 ; Di Ruzza et Franciosi, 2003). Le caractère répétitif du
travail engendre monotonie et frustration chez les téléopérateurs (Lemoine,
2001). « Le système informatique qui gère la base de données clients a été
conçu autour de la standardisation du produit offert et d’un déroulement précis
de la conversation téléphonique » (Buscatto, 2002, p 105). Pour un téléopérateur
traiter un appel consiste à se conformer à une définition précise du service à
rendre. Ainsi, la standardisation du travail semble particulièrement stressogène
pour les téléopérateurs (Buscatto, 2002 ; Cousin, 2002 ; Di Ruzza et Franciosi,
2003).

La variabilité des horaires de travail constitue également une source


d’insatisfaction pour les téléopérateurs. Le travail en assistance téléphonique
nécessite souvent une ouverture des centres d’appels vingt-quatre heures sur
vingt-quatre, sept jours sur sept. Par conséquent, les centres d’appels sont obligés
de faire travailler les téléopérateurs par équipe ; d’où la variabilité des horaires
de travail. Même après 18 ans d’ancienneté, les horaires peuvent varier selon
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une ampleur allant jusqu’à 10 heures ou plus entre une journée et le lendemain.
Ainsi, les horaires de travail « atypiques » (temps partiel, les quarts de travail, le
travail de nuit et de fin de semaine) s’imposent de plus en plus comme norme
dans les centres d’appels (Messing et Prévost, 1998). La variabilité des horaires
de travail accentue la difficulté de concilier les responsabilités professionnelles
avec les responsabilités familiales (Thévenet, 2001). Généralement, les horaires
des centres d’appels ne coïncident pas avec les horaires des autres membres
de la famille ou ceux imposés par les écoles et les communautés (Messing et
Prévost, 1998) ; ce qui engendre frustration et colère chez les employés des
centres d’appels.

Le stress au travail peut également provenir du contrôle (Bibby, 2000 ;


Commeiras et al., 2003). C’est notamment le cas des téléopérateurs qui ont
à subir un contrôle quantitatif et un contrôle qualitatif (Pichault et Zune, 2000 ;
Di Ruzza et Franciosi, 2003). Le contrôle quantitatif a trait principalement aux
temps de paroles effectifs, aux temps de pauses volontaires ainsi qu’au nombre
de ventes réalisées. Le contrôle qualitatif porte sur le respect du script et le
traitement correct des appels (Pichault et Zune, 2000 ; Guerry et Mottay, 2003).
Les téléopérateurs sont écoutés en permanence par leurs responsables, soit
directement en étant présents sur les plateaux, soit indirectement par le biais
des doubles écoutes.

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technologique » ou forme moderne de
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Le conflit de rôle est une autre source fréquente de stress (Turcotte et Wallot, 1979).
Dans les centres d’appels, la principale source de conflit de rôle réside dans les
exigences contradictoires des clients, des chefs de plateaux et des superviseurs.
Ces derniers encouragent les téléopérateurs à augmenter leur productivité en
se basant sur des critères précis tels le nombre d’appels téléphoniques traités
ou encore la durée des appels téléphoniques (Tuten et Neidermeyer, 2004). Ces
exigences semblent contradictoires avec les exigences des clients. Pour être
rassuré, le client a souvent besoin que le téléopérateur lui alloue davantage de
temps. Or, la durée de l’appel est généralement fixée par les centres d’appels.
Ce qui rend difficile la fidélisation de la clientèle et la résolution des problèmes de
celle-ci (Tuten et Neidermeyer, 2004). « Faut-il respecter un temps de traitement
moyen ou répondre aux attentes d’un client a priori difficile ? » (Buscatto, 2002,
p 111).

L’ambiguïté de rôle, soit le degré d’incertitude rattaché à une tâche, peut


également créer un sentiment de malaise pour les téléopérateurs (Tuten et
Neidermeyer, 2004). « Dans les centres d’appels, l’activité téléphonique est
complexe car elle intègre de multiples paramètres techniques, technologiques,
commerciaux, relationnels dont l’articulation ne peut que se jouer dans l’action »
(Buscatto, 2002, p 111). Le téléopérateur doit donc parvenir à trouver un équilibre
entre les exigences du technique, de l’informatique, du produit et du commercial.
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Par conséquent, il va devoir s’adapter, en situation, à chaque cas rencontré voire
concilier entre de multiples règles, souvent contradictoires.

L’environnement physique et social peut être particulièrement anxiogène, en


particulier pour les téléopérateurs. L’environnement physique des centres
d’appels est caractérisé par des conditions de travail assez difficiles (Bibby,
2000 ; Buscatto, 2002 ; Di Ruzza et Franciosi, 2003). La plupart des centres
d’appels sont caractérisés par des températures élevées et une mauvaise
ventilation compte tenu de leur niveau d’occupation. Outre la chaleur, l’éclairage
permanent des centres d’appels peut créer de nombreux problèmes visuels aux
téléopérateurs (Bibby, 2002). Les mauvaises postures constituent également
une source de stress au travail (Sekiou, 2001). En effet, la manipulation de l’outil
informatique ainsi que du téléphone impose une pose assise bien établie, qui à
long terme peut engendrer une fatigue. Il en est de même des gestes répétitifs
qui peuvent engendrer des lésions. Autre source de stress, le bruit (les bruits de
fond ou les bruits de forte intensité qui éclatent souvent sans avertissement lors
des entretiens avec les clients). Le bruit est particulièrement stressant pour les
téléopérateurs (Bibby, 2000). Enfin, l’aphonie et la dysphonie sont des sources
de tensions caractéristiques des centres d’appels (Bibby, 2000).

Le stress peut également provenir de l’environnement social dans lequel évolue le


téléopérateur (Bibby, 2000). Les centres d’appels sont conçus autour de la relation
avec le client (Guerry et Mottay, 2003). Or, généralement les téléopérateurs ont

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des difficultés pour traiter leur interlocuteur comme un « client ». Ils reproduisent
consciemment ou inconsciemment, la culture historique du service public dans
laquelle le consommateur « use » le service mais ne « l’achète » pas (Cousin,
2002, p 23). De plus, le dialogue est constamment « recentré » sur le service
que doit rendre le téléopérateur, tel que défini par sa hiérarchie (Cousin, 2002 ;
Guerry et Mottay, 2003). Il faut donc exclure systématiquement tout ce qui ne fait
pas partie de la prestation prédéfinie (Cousin, 2002) ; ceci accentue le malaise
des téléopérateurs.

Les relations avec les collègues sont souvent à l’origine d’un sentiment
d’insatisfaction. Dans de nombreuses plateformes téléphoniques, les
téléopérateurs sont séparés par des cloisons (Buscatto, 2002). L’absence
de contacts peut créer un sentiment d’isolement voire de frustration.
Indépendamment de ce sentiment d’isolement, les relations entre les collègues
sont généralement entachées de malveillance. Une telle attitude peut s’expliquer
par les faibles perspectives de carrière caractérisant les centres d’appels. En
effet, la compétition entre les téléopérateurs est importante compte tenu du
nombre restreint de postes de niveau supérieur auxquels ils aspirent. Enfin, les
relations avec les supérieurs - superviseur et chef de plateau - sont généralement
tendues (Buscatto, 2002). Bien que les chefs de plateau aient pour mission de
contrôler l’activité des superviseurs (Buscatto, 2002 ; Cousin, 2002), ils peuvent
tout comme les superviseurs, intervenir pour juger le travail d’un téléopérateur
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ou même pour sanctionner le travail ; ce qui provoque de la pression et du stress
chez les téléopérateurs (Buscatto, 2002 ; Cousin, 2002).

L’absence de perspectives de carrière des téléopérateurs est également un


facteur de stress. « Si les centres d’appels offrent des emplois stables, ils ne
proposent guère de perspectives de carrières » (Cousin, 2002, p 506) ; ce
qui peut être particulièrement anxiogène pour les téléopérateurs. En effet,
l’organigramme des centres d’appels ne permet pas aux téléopérateurs de
s’élever dans la hiérarchie. Les seules perspectives concernent les promotions
horizontales. Or, celles-ci restent opaques et reposent sur des règles aléatoires
que les salariés ne maîtrisent pas (Cousin, 2002). Il en résulte ainsi une très
grande incertitude et par conséquent de la tension. Enfin, la rémunération
peut constituer une source de stress pour les téléopérateurs. Moins favorables
que ceux offerts par les autres entreprises, les types de contrat offerts aux
téléopérateurs prévoient généralement des salaires inférieurs. Ils peuvent
exclure les travailleurs des caisses de retraite et d’assurance sociale (Bibby,
2002). De plus, les téléopérateurs ne perçoivent aucune majoration pour le travail
en soirée, le week-end et les jours fériés (Bibby, 2002). Par conséquent, face à
leur rémunération, les téléopérateurs ressentent souvent une grande injustice,
génératrice de stress. Dans les centres d’appels, qualifications et compétences
ne vont pas de paire (Bibby, 2002 ; Clergeau et al., 2002).

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Il est légitime de se demander si cet ensemble de stresseurs, mis en valeur


dans une littérature principalement européenne et nord-américaine, revêt un
caractère universel, ou si de nouveaux stresseurs peuvent émerger de contextes
différents, comme celui des pays émergents. L’objet de la recherche empirique
est précisément de s’intéresser aux stresseurs pouvant caractériser les centres
d’appel dans un contexte tunisien.

2. Eléments méthodologiques

2.1. Le contexte tunisien


Depuis peu, la Tunisie est devenue une destination de prédilection pour le secteur
des centres d’appels. Le nombre de centres d’appels a atteint 185 pendant les 8
premiers mois de l’année 2008 contre seulement 127 durant la même période de
l’année dernière. Le nombre d’opérateurs, quant à lui, est passé de 4 à plus de
110 opérateurs. Le secteur des centres d’appels constituant un vecteur important
pour l’emploi, le gouvernement tunisien considère qu’il est, désormais, de son
intérêt de promouvoir ce secteur. Plus de 7000 emplois directs sont prévus par
les responsables tunisiens grâce au développement de ce secteur44.
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La stratégie tunisienne en matière d’attraction des investissements étrangers est
de mettre en avant la panoplie d’atouts qui fait de ce pays une destination de plus
en plus privilégiée par les donneurs d’ordre : richesse de son capital humain,
proximité géographique et culturelle, infrastructure télécoms développée, tarifs de
communication réduits ou identiques à ceux pratiqués dans leurs pays d’origine,
etc. « Autre atout, le pays dispose d’une cité technologique des communications
située dans la proche banlieue de Tunis et qui devrait accueillir d’ici peu des
bâtiments dédiés aux centres d’appels »45. Pour attirer davantage d’investisseurs,
les autorités vont jusqu’à créer des centres privés de formation de téléopérateurs,
l’ambition de la Tunisie étant de devenir un pôle de service à la clientèle à la fois
régional et international. Considéré comme un secteur porteur dans les années à
venir compte tenu du développement rapide de la télévente et du télémarketing,
désormais le grand défi de la Tunisie est d’adapter ses ressources humaines à
ces nouveaux métiers. Cette adaptation ne pourra être réalisée que grâce à une
formation préalable aux TIC, aux langues étrangères (le français et l’anglais) et
au webmarketing.

2.2. La collecte des données auprès des téléopérateurs


Le principal objectif de cette étude étant de comprendre les facteurs à l’origine du
stress chez les téléopérateurs tunisiens, des entretiens individuels semi directifs

44. El Watan du 21-10-2008.


45. www.animaweb.org (28/10/2008)

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auprès de 40 téléopérateurs ont été réalisés. Il s’agit donc d’une collecte de


données exploratoire.

Durant les entretiens, l’objectif recherché par les interviewers était la production
d’arguments et d’opinions à propos du stress et des situations qui y sont reliées.
Le guide d’entretien a été conçu autour des quatre grands thèmes développés
ci-dessus à savoir le poste de travail, la carrière, l’environnement physique et
social et l’organisation. Il s’agissait de produire des développements ayant pour
thème le vécu et l’expérience des téléopérateurs, de manière à y déceler ceux
qui comportent du stress. Une approche conversationnelle a été adoptée afin
de mettre à l’aise les téléopérateurs interrogés. Lorsque certains interviewés
n’étaient pas logiques, qu’ils présentaient des incohérences ou des contradictions,
l’interviewer s’abstenait de le souligner. En général, la plupart des personnes
interrogées ont accepté de s’exprimer en français. Les entretiens ont duré de 45
minutes à une heure trente. Les entretiens ont été enregistrés par magnétophone.
Notons que les recherches sur les centres d’appels téléphoniques sont encore
récentes. Ce qui explique le recours à une approche qualitative et en particulier
le recours à un entretien de recherche.

2.3. L’échantillon sélectionné


Conformément à ce qui se fait habituellement dans la plupart des recherches
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qualitatives, les personnes choisies dans le cadre de cette recherche forment
un échantillon non-probabiliste. 40 téléopérateurs tunisiens opérant dans des
centres d’appels étrangers et tunisiens ont été sélectionnés de manière à créer
de la diversité (activité des centres d’appels, expérience professionnelle, niveau
d’instruction, sexe et âge). Diversifier la nationalité du centre d’appels se justifie
par le fait que les entreprises étrangères (Téléperformance, Stream, Phone
Media International et Vocal Tech) confient leur relation clientèle à un prestataire
extérieur via des centres d’appels externes ; ce qui n’est pas le cas des entreprise
tunisiennes (Topnet et Tunisiana) qui gèrent elles-mêmes la relation clientèle à
travers des centres d’appels internes. La taille de l’échantillon n’a pas été fixée
a priori : le principe de saturation a été appliqué (Miles et Huberman, 2007). Les
entretiens ont pris fin à partir du moment où aucun apport additif significatif n’a
été effectué durant quatre entretiens successifs menés. Le tableau nº 1 décrit
le type ainsi que l’activité des centres d’appels au sein desquels exercent les
téléopérateurs interviewés.

82
Les centres d’appels : « eldorado
technologique » ou forme moderne de
dégradation des conditions de travail ?

Tableau nº 1 : Classification des centres d’appels selon le type d’appels


(émission/ réception).
Centre d’appels Nombre Type d’appels Type d’activité
d’entretiens (Emission / Réception)
effectués
Téléperformance 9 entretiens Emissions d’appels (5) Vente et commercialisation de
Réceptions d’appels (4) différents produits (Verbaudait,
Redoute)
Vente de lignes téléphoniques
(Endeis Telecom, Bouygues
Telecom, Coditel) ou encore
d’abonnement Internet
(wanadoo).
Stream 5 entretiens Réceptions d’appels (5) Abonnements Internet, réparation
des outils informatiques, etc.
Phone Media 4 entretiens Emissions d’appels (4) Vente des machines faisant de
International l’économie d’eau et de l’énergie.
Vocal Tech 2 entretiens Emissions d’appels (2) Vente de produits diététiques,
produits d’arts, grandes marques
de parfums, de porcelaines, etc.

Topnet 12 entretiens Réception d’appels (8) Abonnements Internet haut débit,


Emission d’appels (4) fidélisation de la clientèle.
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Tunisiana 8 entretiens Emissions d’appels (4) Vente de lignes téléphoniques
Réceptions d’appels (4) et fidélisation de la clientèle
à travers les campagnes des
nouvelles offres publicitaires.

Les personnes interviewées sont relativement jeunes. La tranche d’âge à laquelle


ils appartiennent varie entre 20 et 30 ans. La plupart des interviewés ont un
diplôme supérieur.

2.4. L’analyse de l’information


En vue d’identifier des thèmes majeurs à partir des données qualitatives
recueillies, chaque retranscription de corpus a fait l’objet de plusieurs lectures.
Les facteurs de stress ont été mis en évidence au moyen d’une analyse de
contenu thématique. Conformément à la méthodologie traditionnelle d’analyse
de contenu, une grille d’analyse a été élaborée au moyen d’une série d’allers-
retours entre le corpus et la définition des catégories (Bardin, 2007).

3. Résultats et discussion

Les entretiens ont permis de dégager de nombreux stresseurs liés au poste de


travail, à l’environnement physique et social, à la carrière et à la rémunération.
Ces stresseurs font écho à ceux de la littérature. Toutefois, l’analyse de contenu

83
26

a également permis d’identifier des stresseurs présents uniquement dans les


centres d’appels étrangers. Ces stresseurs sont caractéristiques de la Tunisie.
Il s’agit (1) des propos racistes, (2) des pratiques mensongères de la part des
centres d’appels et (3) de la perte d’identité ressentie par les téléopérateurs.

3.1. Stresseurs faisant écho à ceux de la littérature


Le poste de travail semble générer énormément de stress pour les téléopérateurs
interviewés. En effet, le travail dans les centres d’appels obéit à un rythme de
travail infernal. Les flux d’appels sont très importants, quelle que soit la période
de l’année. Un tel rythme de travail est à l’origine d’une surcharge quantitative
génératrice d’un niveau de stress très élevé pour les téléopérateurs : « le rythme
est infernal. Il m’est arrivé plusieurs fois de vomir à cause du rythme de travail ».
Le rythme de travail et la cadence sont beaucoup plus intenses dans les centres
de réception d’appels. Dans les centres d’émission, un temps de pause est prévu
entre deux appels ; de plus, certains clients potentiels peuvent être absents
ou abréger la conversation. Or, dans les centres de réception, les pauses sont
quasiment inexistantes, l’objectif étant de ne pas laisser le client en attente.
Les flux d’appels sont également beaucoup plus importants dans les centres
de réception étrangers. Le nombre d’appels peut atteindre jusqu’à 600 appels
par jour, la clientèle étant beaucoup plus importante que celle des centres de
réception tunisiens qui sont encore en phase d’expansion.
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Les téléopérateurs interrogés semblent également perturbés par la forte
standardisation du produit dans les centres d’appels. Un script doit être
scrupuleusement suivi par les téléopérateurs, ce qui suppose de répéter toute la
journée les mêmes phrases. Or, la répétition des tâches va engendrer chez les
téléopérateurs monotonie et ennui : « On devient bête à force de répéter toujours
la même chose : c’est un métier abrutissant ». Selon la plupart des informants,
l’émission est moins standardisée que la réception d’appels. Dans l’émission
d’appels, les téléopérateurs effectuent des campagnes publicitaires qui changent
souvent de sujet. De plus, ce sont les téléopérateurs qui vont déclencher l’appel ;
ce qui leur procure le sentiment d’un certain contrôle sur leur travail.

Les téléopérateurs interviewés, en particulier ceux qui détiennent une maîtrise


(bac + 4), semblent également ressentir une sous charge qualitative de travail
à l’origine d’un stress intense. Le taux de chômage en Tunisie étant élevé, de
nombreux diplômés, à la recherche d’une expérience professionnelle, acceptent
de travailler dans les centres d’appels, la principale exigence de ces derniers
étant la connaissance de la langue française. Surqualifiés pour le poste, ils se
rendent très rapidement compte que le travail dans les centres d’appels est un
travail abrutissant, que les perspectives de carrière sont limitées, que les études
réalisées sont inutiles, que les horaires astreignants des centres d’appels vont
entraver leurs recherches d’emploi et enfin que l’expérience espérée n’est pas

84
Les centres d’appels : « eldorado
technologique » ou forme moderne de
dégradation des conditions de travail ?

validée par les entreprises tunisiennes ; d’où un sentiment de désespoir à l’origine


d’un stress intense : « C’est un travail qui ne vous apporte rien. Au contraire, il
retarde vos connaissances et vous fait oublier les études que vous avez faites.
A cause de ce travail, j’ai oublié les connaissances que j’ai acquises durant mes
quatre années d’études ».

Les horaires dans les centres d’appels semblent particulièrement stressants pour
les téléopérateurs, étant à l’origine de nombreuses difficultés pour concilier leur
vie privée avec leur vie professionnelle. Les centres d’appels étant ouverts toute
la journée, les plannings changent toutes les semaines. L’irrégularité des horaires
de travail va donc confronter les téléopérateurs à des problèmes de conciliation
vie privée - vie professionnelle car risquant de ne pas coïncider avec les
horaires des autres membres de la famille. Par ailleurs, la plupart des personnes
interrogées considèrent que les horaires de travail sont particulièrement chargés.
Certains ont fait référence à la mauvaise répartition des horaires ou encore
aux longues heures de pauses qui les obligent à rester sur place. Le fait de
travailler très tard ou de travailler les week-ends semble également constituer
une gêne, en particulier pour les téléopératrices interviewées. Comportant moins
de fluctuations, les horaires de travail des centres d’émission génèrent moins de
stress que ceux des centres de réception. Dans les centres d’appels étrangers,
les horaires sont particulièrement stressants car ils suivent le régime européen.
Par conséquent, les téléopérateurs ne bénéficient pas des jours fériés tunisiens
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et des fêtes musulmanes ; ce qui les mettent en déphasage par rapport aux
autres membres de la famille.

Le contrôle exercé par les superviseurs est également une importante source de
stress pour les téléopérateurs interviewés. Alors que certains font référence au
contrôle quantitatif qui se fait par le biais de statistiques inhérentes aux objectifs
de travail (« Si vous n’atteignez pas l’objectif voulu, ils vous disent : ce n’est pas
la peine de venir demain. C’est très stressant »), d’autres soulignent le contrôle
qualitatif à travers les doubles écoutes ou encore la surveillance qui a lieu sur les
plateaux (« même le dimanche, lorsqu’il n’y a pas beaucoup de travail, on nous
interdit de lire des journaux par exemple. Même pour aller aux toilettes, il faut
demander la permission »). Dans la plupart des centres d’appels, le contrôle est
omniprésent. Il a pour but d’améliorer la prestation fournie. Le contrôle porte sur
tous les aspects du travail, entre autres, le respect des scripts, des horaires, de
la durée moyenne des appels, de l’accueil clients, etc.

Le conflit de rôle constitue une autre source d’insatisfaction pour les


téléopérateurs interviewés. Les téléopérateurs doivent augmenter le nombre
d’appels téléphoniques traités tout en fidélisant la clientèle. Or, la fidélisation des
clients est difficile compte tenu de la contrainte de temps à laquelle sont soumis
les téléopérateurs. Ces derniers ont, en effet, pour consigne d’écourter leurs
conversations téléphoniques. L’ambiguïté de rôle semble également perturber

85
26

certains téléopérateurs interrogés, plus précisément les téléopérateurs qui


travaillent dans les centres d’appels techniques. Ces derniers semblent éprouver
de nombreuses difficultés pour effectuer leur travail compte tenu du nombre
restreint de superviseurs et de l’imprécision des informations fournies par ces
derniers.

L’environnement physique constitue une autre source de stress pour les


téléopérateurs interviewés. Le manque d’aération régnant sur les plateaux, les
températures mal réglées et la luminosité des ordinateurs semblent perturber le
travail des téléopérateurs, à l’origine de nuisances auditives et visuelles assez
importantes. Les téléopérateurs interviewés considèrent également que les
plateaux sont fermés et cloisonnés ; ce qui provoque chez eux un sentiment
d’étouffement : « lorsque tu rentres sur le plateau c’est comme une prison,
quand tu en sors, tu respires. ». L’absence de stabilité a été évoquée par de
nombreux téléopérateurs : « ce qui dérange le plus, dans un centre d’appels c’est
qu’on change toujours de place de travail. Ce n’est pas stable. Or, moi, j’aime la
stabilité. J’aurais aimé avoir ma propre place de travail ».

L’environnement social est également à l’origine d’une tension intense ressentie


par les téléopérateurs interrogés. Ainsi, les relations avec les clients sont
particulièrement stressantes, ces derniers étant souvent exigeants, impolis et
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agressifs avec les téléopérateurs. L’attitude du client est différente selon que
l’appel est émis ou reçu. Dans les centres de réception d’appels, le client peut
devenir agressif lorsque le téléopérateur ne satisfait pas ses attentes (« lorsqu’on
n’arrive pas à dépanner le client, il nous traite d’incapable ; c’est très humiliant ».
Par contre, dans les centres d’émission, le client va agresser le téléopérateur
étant constamment sollicité par les centres d’appels (« dès que vous dîtes
« allo » on vous raccroche au nez, ou bien on vous insulte, c’est très stressant »).
Dans les centres d’appels étrangers, certains clients menacent carrément les
téléopérateurs de porter plainte contre le centre d’appels (« les clients nous
traitent de voleurs, d’arnaqueurs et nous disent qu’ils vont porter plainte contre
l’entreprise »).

Les relations avec les collègues de travail constituent une autre source de
stress très importante en particulier dans les centres d’appels étrangers. Ces
centres d’appels sont caractérisés par une ambiance de travail où il existe très
peu de confiance entre les téléopérateurs et énormément de compétition. En
effet, tous les téléopérateurs briguent les mêmes postes de superviseurs qui
restent très limités. Il en découle des comportements antisociaux, laissant les
téléopérateurs sur le qui-vive : « une fois, des techniciens ont tendu un piège à
un autre technicien. Ils ont inséré dans son poste de travail un film érotique pour
le faire virer. C’est horrible ! ».

86
Les centres d’appels : « eldorado
technologique » ou forme moderne de
dégradation des conditions de travail ?

La relation avec le superviseur est à l’origine d’un sentiment de malaise pour


de nombreux téléopérateurs interviewés. En effet, les relations entre les
téléopérateurs et les superviseurs semblent particulièrement tendues. Les
superviseurs sont exigeants, autoritaires et agressifs vis-à-vis des téléopérateurs.
De nombreux téléopérateurs ont carrément fait allusion à la « maltraitance » de
la part des superviseurs. De nombreuses restrictions sont imposées à longueur
de journée. Ces restrictions concernent les horaires de travail, les absences,
l’attitude à adopter sur le plateau, l’attitude au téléphone, les objectifs réalisés,
etc. Le comportement des superviseurs s’explique entre autres par l’obligation
de résultats. Cependant, un tel comportement génère énormément de stress
pour les téléopérateurs qui se sentent « humiliés, précisément lorsque le niveau
d’instruction de ces derniers est moins élevé que le leur ».

La quasi-absence de perspectives de carrière dans les centres d’appels est


particulièrement stressante pour les téléopérateurs qui détiennent une maîtrise
(bac + 4) et qui cherchent à évoluer vers des postes d’experts. L’iniquité perçue des
promotions semble également particulièrement anxiogène. Etant donné le faible
nombre de postes de superviseurs par rapport aux nombres de téléopérateurs,
l’absence de transparence en matière de promotion est fortement ressentie par
les téléopérateurs interviewés. Les téléopérateurs qui travaillent dans les centres
d’appels étrangers, en particulier ceux qui travaillent à plein temps semblent
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particulièrement préoccupés par la précarité de l’emploi laquelle est génératrice
d’un stress assez important : « du jour au lendemain, le centre d’appels peut
disparaître ».

Enfin, la rémunération est génératrice d’un stress énorme pour les téléopérateurs
interviewés. Une iniquité en matière de rémunération est ressentie par ceux
qui détiennent une maîtrise et qui jugent anormal de percevoir la même
rémunération que ceux qui ont uniquement leur baccalauréat. Par ailleurs, de
nombreux téléopérateurs considèrent leur rémunération insuffisante par rapport
au travail accompli. Enfin, dans les centres d’appels étrangers, les téléopérateurs
ont tendance à comparer les salaires distribués en Tunisie par rapport à ceux
distribués en France.

3.2. Stresseurs spécifiques au contexte tunisien


Les téléopérateurs des centres d’appels étrangers sont particulièrement stressés
par les propos racistes que peuvent proférer certains clients. La prononciation,
les erreurs de français commises, l’insertion involontaire de mots en arabe lors
de la conversation, la méconnaissance de certaines régions françaises, etc.
renseignent rapidement les clients sur la nationalité des téléopérateurs ; ce qui
peut les rendre agressifs : « une fois, une cliente m’a demandé le numéro d’une
agence assez connue en France, et moi je ne la connaissais pas, alors, je lui ai
dit d’épeler les lettres de ce nom pour m’assurer de la phonétique, alors elle s’est

87
26

moquée de moi et m’a dit : retournez dans votre pays ». Ces attaques verbales
et les pièges tendus par les clients peuvent survenir à tout moment et placent les
téléopérateurs dans une situation psychologique peu confortable. Ils peuvent en
retour générer une agressivité qui n’est pas toujours justifiée et qui est souvent
pénalisante pour eux.

Les pratiques mensongères de la part des centres d’appels étrangers semblent


également stresser les téléopérateurs des centres d’appels étrangers. La plupart
des centres d’appels étrangers ne souhaitent pas que leurs clients découvrent
qu’ils sont basés dans un pays étranger. Ils exigent donc que les téléopérateurs
se présentent aux clients sous un patronyme : « pour ne pas reconnaître que nous
sommes des Arabes, on change de prénom : Sophie, Nathalie ou Fabienne ».
Certains centres d’appels établissent des accords avec France Telecom de
façon à ce que leur numéro ne s’affiche pas sur les postes téléphoniques des
clients : « les clients nous demandent pourquoi le numéro est masqué, alors on
les roule dans la farine, en disant qu’il y a un problème avec France Telecom.
C’est une démarche commerciale ». Toutes ces manipulations commerciales
semblent particulièrement déranger les personnes interviewées. Elles les
perçoivent comme une manipulation voire de la tricherie de la part des centres
d’appels. Certains téléopérateurs ont également souligné être stressés par les
pratiques non éthiques de certains centres d’appels, en particulier lorsque celles-
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ci visent des personnes âgées, ce genre de démarche n’existant pas encore en
Tunisie : « au fond de moi-même, je ne suis pas convaincue du travail que je
fais. Je suis dégoûtée quand j’appelle une vieille dame et que je l’arnaque! Mais
je suis obligée de travailler ». Une telle attitude s’explique par l’appartenance
des téléopérateurs tunisiens à une culture plutôt collectiviste. Dans les cultures
collectivistes, l’identification à l’entreprise est telle que les téléopérateurs ont du
mal à prendre du recul et de la distance par rapport au travail qu’on leur demande
de faire (Bollinger et Hofstede, 1987). Ainsi, lorsque les pratiques commerciales
des centres d’appels sont douteuses, les téléopérateurs ne peuvent s’empêcher
de ressentir un sentiment de culpabilité. De plus, la prédisposition relationnelle
caractérisant les cultures collectivistes fait que les appels téléphoniques sont
vécus non pas comme des transactions passagères mais comme autant de
relations potentielles, qui vont rendre encore plus difficile la mise en œuvre de
pratiques dont ils ne sont pas convaincus. Enfin, à l’heure où une volonté politique
véhicule des principes éthiques de transparence et de bonne gouvernance46,
il peut paraître paradoxal aux téléopérateurs de devoir vivre ces situations
mensongères.

La perte d’identité semble particulièrement stresser les téléopérateurs qui


travaillent dans les centres d’appels étrangers. Le fait de parler une langue
étrangère, le manque de maîtrise des subtilités de la langue française, l’interdiction
46. En Tunisie, l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprise a publié 2 documents : Code éthique des entreprises maghrébines (2006) et
Guide de bonnes pratiques de gouvernance (2008).

88
Les centres d’appels : « eldorado
technologique » ou forme moderne de
dégradation des conditions de travail ?

de parler en arabe même lorsqu’on n’est pas en communication avec un client, le


recours malencontreux à une expression tunisienne au cours de la conversation,
l’adoption d’un prénom étranger ou encore la vente de produits non conformes à
la religion est perçu par la plupart des personnes interrogées comme une véritable
source de perte d’identité : « tu te rends compte, pendant la journée je m’appelle
Christine et le soir je redeviens Boutheina. C’est à en devenir schizophrène ». Le
fait que les superviseurs contrôlent en permanence la diction, la formulation des
phrases en français ou encore l’interdiction de parler en arabe sur le plateau ne
fait qu’accentuer ce sentiment de perte d’identité. Ainsi, le fait de devoir endosser
quotidiennement des personnages appartenant à des cultures différentes et
pas forcément compatibles contribue à créer un état latent de malaise que les
téléopérateurs ont eu des difficultés à exprimer.

3.2. Discussion
Avant de discuter les résultats ci-dessus, il serait intéressant de noter que les
centres d’appels ont une histoire, courte certes, mais qui a déjà abouti à plusieurs
actions concrètes, pouvant être reproductibles en Tunisie. Ainsi, d’après le
modèle des lignes directrices du travail dans les centres d’appels publiées par la
CFDT47 (2000-2005), le travail dans les centres d’appels doit obéir à huit volets
essentiels : la stabilité de l’emploi, la réglementation collective des horaires
standards, l’application de normes ergonomiques au travail et au poste de
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travail, le respect de l’autonomie individuelle dans l’organisation du travail, la
mesure des performances selon des critères de qualité plutôt que de quantité,
les perspectives de formation et de carrière, les structures salariales fondées
sur les connaissances et les compétences, et enfin, le droit de participation et
de représentation syndicale. Au mois d’octobre 200848, afin de redorer l’image
des centres d’appels, la CFDT va jusqu’à chercher à imposer aux entreprises
l’adhésion à un label social. Désormais, les entreprises doivent se sentir
socialement responsables en veillant à assurer de meilleures conditions de
travail, un bon niveau de dialogue social, un accès à la formation et de véritables
perspectives de carrière.

Une réflexion quant à l’amélioration des conditions de travail, la négociation


d’horaires non imposées unilatéralement, les systèmes de rémunération
encourageant simultanément l’effort individuel et le travail collectif, l’encouragement
du travail à temps partiel, la transparence et le respect des critères servant de
base aux promotions, le développement de pratiques favorables à la famille telles
que la création de garderies sur le lieu de travail, etc. est certes incontournable.
Cependant, de nombreuses actions ayant été entreprises par plusieurs centres
d’appels, nous allons focaliser sur les recommandations qui nous paraissent
davantage convenir au contexte tunisien. En effet, des efforts au niveau de la

47. Articles parus dans un magazine intitulé Centres d’appels.


48. Le journal des Centres d’Appels, Octobre 2008, n° 6.

89
26

formation et de l’encadrement peuvent atténuer de nombreux stresseurs présents


dans les centres d’appels.

Tout d’abord, la formation peut faciliter les rotations de postes et les promotions
horizontales. Les « call centers » ont, en effet, intérêt à encourager les rotations
de poste et les promotions horizontales afin de contrer l’ennui, la monotonie et les
faibles perspectives de carrière fortement générateurs de stress dans les centres
d’appels. Ainsi, les programmes de formation permettront aux téléopérateurs
d’acquérir des compétences supplémentaires, plus « transférables », l’objectif
recherché étant d’enrichir les emplois et par-là même valider les acquis
professionnels pouvant être obtenus dans les centres d’appels. Jusque-là,
occuper un poste dans un centre d’appels était peu valorisant et peu reconnu,
d’où le stress ressenti par les téléopérateurs, notamment par ceux pourvus d’un
diplôme d’études supérieures très nombreux dans le contexte tunisien. Conduire
un entretien, gérer la distance affective et émotionnelle de l’interlocuteur, organiser
ses idées, s’exprimer distinctement, travailler parallèlement sur un ordinateur et
répondre au téléphone, peut devenir une expérience intéressante pour les jeunes
diplômés, qui peut être valorisée et faciliter ultérieurement l’employabilité de ces
derniers. L’offre d’une formation solide peut également aider les téléopérateurs
à comprendre le pourquoi des pratiques commerciales adoptées par les centres
d’appels. Un certain recul par rapport à ces démarches doit pouvoir être pris par
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les téléopérateurs, celles-ci étant particulièrement génératrices de stress pour
ces derniers. Des jeux de rôles pourraient être organisés et permettraient aux
téléopérateurs de prendre de la distance par rapport au client (propos racistes)
mais également par rapport à l’entreprise (démarches commerciales et perte
d’identité).

Au cours des sessions de formation, les dirigeants des centres d’appels pourraient
également encourager la participation des téléopérateurs au projet de réalisation
des scripts ce qui pourrait réduire le stress généré par la standardisation, la routine
et le contrôle. Cela leur laisserait ainsi une certaine marge de liberté qui dépasse
l’habituelle ingestion de scripts prédéfinis (Gueye, 2007). De plus, à travers ces
sessions de formation, les téléopérateurs auront désormais le pouvoir de faire
remonter l’information, étant en contact permanent avec les clients. Une telle
participation permettra de se détacher du modèle taylorien, très mal vécue par
des téléopérateurs particulièrement instruits, à savoir de rompre la dichotomie
entre ceux qui exécutent et ceux qui réfléchissent et par conséquent d’améliorer
la qualité du service tout en valorisant le travail des téléopérateurs. Enfin, des
séminaires ou des colloques de travail regroupant les téléopérateurs favoriseraient
les échanges d’idées sur les difficultés rencontrées et contribueraient à améliorer
l’environnement social.

Les superviseurs doivent également saisir l’importance de leur rôle ainsi que du
soutien social qu’ils peuvent offrir aux téléopérateurs. Un meilleur encadrement

90
Les centres d’appels : « eldorado
technologique » ou forme moderne de
dégradation des conditions de travail ?

constitué de nationaux du pays d’accueil pourvus d’une formation internationale


peut aider les téléopérateurs à surmonter la perte d’identité fortement génératrice
de stress dans les centres d’appels étrangers. Des superviseurs pourvus de tels
profils sont à même de mieux gérer la diversité culturelle prédominante dans ces
centres d’appels voire faire face à la crise identitaire vécue par les téléopérateurs
et dépasser les pratiques mensongères adoptées par les centres d’appels. Bien
qu’étant contraints d’atteindre des objectifs, l’attitude autoritaire et agressive des
superviseurs, fortement génératrice de stress pour ces derniers, ne se justifie
pas. Les superviseurs doivent donc saisir l’importance de leur rôle en matière de
communication et de leadership. A titre d’exemple, ils ont tout intérêt à expliquer aux
téléopérateurs les obligations de résultats sur lesquels eux-mêmes sont évalués.
Ils doivent également informer les téléopérateurs des nouvelles opérations ou
campagnes instaurées. Un tel échange ne peut que valoriser les téléopérateurs
et les faire adhérer davantage aux objectifs fixés. Un meilleur encadrement
permettra également aux téléopérateurs de disposer d’un soutien plus efficace
en cas de problèmes. Un tel soutien de la part des superviseurs pourrait aider
les téléopérateurs à faire face à l’agressivité des clients, précisément faire face
aux railleries des clients voire aux propos racistes. Un meilleur encadrement
pourrait également contrer l’ambiguïté de rôle perçue comme stressante par les
téléopérateurs. Les téléopérateurs étant particulièrement instruits, des systèmes
plus réfléchis offrant un soutien nécessaire aux téléopérateurs sans pour autant
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les prendre pour des incompétents s’imposent.

Conclusion

Le vécu des téléopérateurs dans les centres d’appels téléphoniques se


caractérise souvent par une nouvelle forme de dégradation des conditions de
travail et d’emploi des salariés (Cousin, 2002 ; Buscatto, 2002 ; Di Ruzza et
Franciosi, 2003). Tout en étant à la pointe de la modernité technologique, les
centres d’appels apparaissent comme les usines du tertiaire qui annoncent le
retour du taylorisme (Di Ruzza et Franciosi, 2003). Ils peuvent être comparés aux
usines de l’industrie manufacturière d’autrefois, caractérisées par des conditions
de travail où la répétitivité, les séquences, les cadences, l’intensité, les postures
et surtout le stress dominent.

Ainsi, cette recherche a permis d’identifier des différences existant entre les
centres d’appels étrangers et les centres d’appels tunisiens. En comparaison avec
les centres d’appels tunisiens, les centres d’appels étrangers se caractérisent
par un nombre considérable d’appels, une forte cadence de travail, ainsi que des
horaires et des plannings faisant abstraction du contexte tunisien. Ces stresseurs
sont d’autant plus importants qu’ils s’accompagnent d’un sentiment permanent
de précarité, les centres d’appels étrangers pouvant à tout moment fermer et
être délocalisés vers d’autres destinations. Mais au-delà de ces différences

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manifestes, des stresseurs liés à l’identité des téléopérateurs émergent. Ces


derniers sont, ainsi, amenés à cacher leur véritable identité, à utiliser une langue
autre que la leur, et vivent de ce fait une crainte permanente d’être découverts.
En effet, les vis-à-vis des téléopérateurs tunisiens qui travaillent dans les
centres d’appels étrangers sont des clients étrangers. Or, lorsque ces derniers
s’aperçoivent que les téléopérateurs sont arabes, à travers leur accent, l’insertion
involontaire de mots en arabe ou la méconnaissance de certaines régions
françaises, etc., ils peuvent devenir agressifs, voire racistes, ce qui constitue
une source de stress pour les téléopérateurs. Les stratégies déployées par les
centres d’appels pour ne pas divulguer aux clients qu’ils sont basés en Tunisie,
semblent également constituer une source de stress pour les téléopérateurs
interrogés. Ces derniers semblent, en effet, ne pas comprendre le bien fondé
de telles pratiques mensongères. Quant à la fidélisation des clients, elle devient
difficile puisque reposant sur des relations mensongères. De plus, le fait de
demander aux téléopérateurs de se présenter sous un patronyme, d’interdire
aux téléopérateurs de parler l’arabe sur le plateau ou encore le fait de vendre un
produit non conforme à la religion des téléopérateurs semblent être à l’origine
d’une perte d’identité fortement génératrice de stress pour ces derniers. Enfin, le
passage incessant des téléopérateurs d’une culture à une autre aboutit souvent
à une véritable schizophrénie identitaire.
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Identifier les facteurs explicatifs du stress reste donc fondamental dans la mesure
où suite à une telle identification, des stratégies pourront être mises en place. En
effet, plusieurs stratégies peuvent être déployées afin de réduire le stress dans
les centres d’appels : la coopération active des téléopérateurs avec la hiérarchie,
l’interprétation libre du comportement commercial, la protection négociée contre
l’usure, la fatigue et l’ennui, l’orientation vers un service professionnel plutôt que
la définition d’un produit standard, etc. De plus, l’adoption d’une bonne politique
de communication, par la participation des employées à la prise des décisions qui
les concernent, peut être une méthode efficace pour gérer le stress. Le soutien
social des supérieurs hiérarchiques, des collègues et de la famille, peut également
jouer un rôle très important dans la diminution du stress des téléopérateurs.

Parmi les voies futures de recherche, il serait intéressant de réaliser une


étude comparative sur les conséquences physiques, psychologiques et
comportementales du stress dans les centres d’appels tunisiens et étrangers.
Le stress vécu par les superviseurs mérite également une attention particulière,
ces derniers devant jouer un rôle fondamental dans l’atténuation du stress des
téléopérateurs.

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