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Thèse 2020 Open Access

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Adéquation des services et produits des institutions de microfinance (IMF)


aux besoins des personnes à faible revenu : l'exemple du Sénégal

Diop, Mouhamadou

How to cite

DIOP, Mouhamadou. Adéquation des services et produits des institutions de microfinance (IMF) aux
besoins des personnes à faible revenu : l’exemple du Sénégal. 2020. doi: 10.13097/archive-
ouverte/unige:138006

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Publication DOI: 10.13097/archive-ouverte/unige:138006

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Adéquation des services et produits
des institutions de microfinance
(IMF) aux besoins des personnes à
faible revenu : l’exemple du Sénégal
THÈSE
présentée à la Faculté des sciences de la société
de l’Université de Genève
par

Mouhamadou Diop
sous la direction de

prof. André Berchtold et


prof. François Grin
pour l’obtention du grade de

Docteur ès sciences de la société


mention Socioéconomie

Membres du jury de thèse:

M. André Berchtold, Professeur, Université de Lausanne


M. François Grin, Professeur, Université de Genève
M. Michel Oris, Professeur, président du jury, Université de Genève
Mme. Solène Morvant-Roux, Professeure, Université de Genève

Thèse no 144
Genève, 6 mars 2020

1
La Faculté des sciences de la société, sur préavis du jury, a autorisé l’impression de la
présente thèse, sans entendre, par-là, émettre aucune opinion sur les propositions qui
s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la responsabilité de leur auteur.

Genève, le 6 mars 2020

Le doyen
Bernard DEBARBIEUX

2
RÉSUMÉ

S’il est évident que l’arrivée de la microfinance dans les pays en développement,
notamment en Afrique subsaharienne, a permis à des millions de personnes à faible
revenu d’accéder aux financements des institutions de microfinance (IMF), il est aussi
important de rappeler que l’accès aux financements n’est pas une finalité en soi. Le
contexte particulier de l’Afrique subsaharienne, par sa diversité culturelle, l’ampleur du
marché informel et le cloisonnement des secteurs d’activés requiert d’accorder une
importance particulière à la diversité des besoins financiers des personnes à faible
revenu, fortement liés à leurs cultures, à leurs activités économiques, à leurs croyances
religieuses, bref à leurs pratiques quotidiennes, qui peuvent être différentes d’une
région à une autre. Par conséquent, utiliser les services de la microfinance comme
vecteurs de développement humain en Afrique subsaharienne nécessite une meilleure
connaissance des besoins financiers des personnes à faible revenu, de la nature de ces
besoins et des modalités d’intégration qui tiennent compte des opportunités et des
contraintes locales.

Le but de cette étude est de répondre principalement à deux questions :

1. Dans quelle mesure les pratiques actuelles des IMF, à travers leurs produits et
services, mais aussi leur fonctionnement sur le terrain, sont-elles adaptées aux
situations individuelles et communautaires des personnes bénéficiaires ?

2. Dans quelle mesure la microfinance peut-elle jouer un rôle majeur dans les
objectifs du développement durable ?

Pour répondre à ces questions, nous utilisons le Sénégal comme cas d’étude, pour les
raisons que nous évoquerons plus tard.

Mots clés : IMF, personnes à faible revenu, pratiques adaptées, langue et culture,
développement durable.

3
SUMMARY

The introduction of microfinance in developing countries, in particular in sub-Saharan


Africa, has allowed millions of low-income earners to access funding from microfinance
institutions (MFI). Nonetheless, this access is not an end to itself. Sub-Saharan Africa is
characterised by its cultural diversity, the magnitude of its informal market and the
compartmentalisation of its business sectors. Low-income earners therefore have a
variety of financial needs that are closely tied to their cultures, economic activities,
religious beliefs and everyday practices, which vary from one region to another. Using
microfinance services to drive human development in sub-Saharan Africa thus requires
a better understanding of the financial needs of the poor, the nature of those needs,
and methods of integration that can take into account local opportunities and
constraints.

This study seeks to respond primarily to two questions:

1. To what extent do current MFI practices meet the needs of individual cases and
community groups of beneficiaries, in terms of products, services and operations in the
field?

2. How can microfinance play an important role in fulfilling sustainable development


goals?

In order to to address these questions, and for reasons that will be given later, Senegal
will be used for our case study.

Keywords: MFI, low-income earners, MFI practices, language and culture, sustainable
development.

4
REMERCIEMENTS

J’aimerais tout d’abord remercier mes encadreurs, André BERCHTOLD et François GRIN,
pour leur encadrement et pour leur disponibilité. Durant ces cinq années de recherche,
j’ai toujours pu compter sur leurs services et sur leur disponibilité. Je ne saurais
exprimer en quelques mots toute ma satisfaction.

Je remercie également Michel ORIS, par qui toute mon aventure à l’Université Genève a
commencé. Je lui serai toujours reconnaissant.

Je remercie aussi Solène MORVANT-ROUX, pour sa disponibilité. Ses conseils et


orientations m’ont beaucoup aidé dans mes enquêtes de terrain.

Je voudrais également remercier toutes les personnes interviewées et toute l’équipe de


BAOBAB1 et de PAMECAS, particulièrement les deux Directions générales et les agents
de crédit. Sans leur disponibilité et leur gratitude il me serait impossible de réaliser
cette étude.

Je remercie Abou BA, Marco CIVICO, Djibril Faye, Aurélien RIONDEL, Monique LOSKI,
Danielle THIEN, et tous les collègues pour leurs commentaires et suggestions.

Je ne saurais terminer sans remercier vivement ma famille, au sens large, pour sa


patience et pour son affection à mon égard. Je ne me suis jamais senti seul tout au long
de cette aventure. J’ai toujours pu compter sur elle.

1
L’IMF BAOBAB avait comme nom MICROCRED. Le changement de nom est intervenu en juin 2019.
5
DÉDICACE

Je dédie ce travail à ma femme Maïmouna et à mes enfants Afia, Khalil et Zahra. Aucun
mot ne saurait exprimer mon respect, mon amour et ma considération pour les
sacrifices qu’ils ont consentis. Par devoir de témoignage, je leur consacre toute ma
reconnaissance.

6
TABLE DES MATIERES
1 Chapitre I : Introduction ..................................................................................... 19

1.1 Microfinance et lutte contre la pauvreté : l’expérience bangladaise ................................... 21


1.1.1 Le microcrédit comme outil de lutte contre la pauvreté ............................................... 22
1.1.2 L’appropriation du contexte local bangladais ................................................................ 25
1.1.3 La question de l’autonomisation des femmes ............................................................... 26
1.1.4 Les services d’assurance-maladie comme une nouvelle dimension.............................. 29
1.2 La microfinance en Afrique subsaharienne : des origines informelles aux
transformations contemporaines .................................................................................. 31
1.2.1 L’effet pressant de la financiarisation ............................................................................ 32
1.2.2 L’émergence d’un secteur aux origines informelles ...................................................... 34
1.2.3 De la mission sociale à une dynamique de recherche de profits................................... 38
1.3 Quelques défis de la microfinance à travers les IMF ............................................................ 40
1.3.1 Problématique des coûts élevés .................................................................................... 40
1.3.2 L’apport des innovations technologiques encore faible ................................................ 41
1.3.3 L’absence de gestion fiable ............................................................................................ 42
1.4 Dimensions linguistiques et culturelles : des variables négligées ......................................... 43
1.4.1 Culture et développement économique ........................................................................ 44
1.4.2 La langue comme facteur négligé dans le développement économique ...................... 46
1.5 Le terrain comme point de départ ........................................................................................ 49
2 Chapitre II : État des connaissances................................................................... 53

2.1 Développement financier et lutte contre la pauvreté .......................................................... 53


2.2 Microfinance comme outil d’intégration financière dans les pays en développement ....... 56
2.3 Pour une redynamisation du secteur agricole africain : l’exemple du Crédit Agricole
en France ........................................................................................................................ 60
2.4 Les obstacles à l’intégration financière ................................................................................. 66
2.4.1 L’asymétrie d’information.............................................................................................. 69
2.4.2 L’insuffisance de la sécurisation des crédits .................................................................. 71
2.5 Économie de la langue et développement ........................................................................... 73
2.5.1 La langue comme attribut ethnique en contexte d’information imparfaite ................. 75
2.5.2 La langue comme capital humain .................................................................................. 82
3 Chapitre III : Cadrage théorique ......................................................................... 87

3.1 Le besoin au sens économique ............................................................................................. 88


3.2 Le concept de besoin entre évolution et universalisation .................................................... 92
7
3.3 Le besoin dans une approche hiérarchisée ........................................................................... 97
3.4 La demande invisible : la grande oubliée en contexte de faible revenu............................. 100
3.5 Revisiter le concept de besoin ............................................................................................ 103
3.6 La pauvreté comme concept multidimensionnel et relatif ................................................. 104
PARTIE II : PROBLÉMATIQUE ET MÉTHODOLOGIE ............................................................. 111

4 Chapitre IV : contexte politique et socio-économique ................................... 113

4.1 De la colonisation à la première alternance politique ........................................................ 113


4.2 La restructuration du secteur agricole ................................................................................ 116
4.3 Premières expériences de la microfinance au Sénégal ....................................................... 118
4.4 Aperçu du secteur en quelques chiffres.............................................................................. 121
4.5 Cadre institutionnel et réglementaire................................................................................. 123
5 Chapitre V : problématique .............................................................................. 131

5.1 Vers une généralisation de l’approche commerciale.......................................................... 131


5.2 Entre standardisation des produits et réponse à des besoins différents ........................... 133
5.3 Une tendance à créer la demande plutôt que répondre à des besoins spécifiques .......... 137
5.4 Les langues locales comme vecteurs inclusifs..................................................................... 140
5.5 Hypothèses .......................................................................................................................... 142
6 Chapitre VI : Méthodologie .............................................................................. 145

6.1 Approche qualitative ........................................................................................................... 145


6.1.1 Focus group .................................................................................................................. 147
6.1.2 Entretiens semi-directifs .............................................................................................. 149
6.1.3 Échantillon.................................................................................................................... 153
6.1.4 Choix des IMF ............................................................................................................... 155
6.1.5 Élaboration des guides d’entretien .............................................................................. 158
6.2 Complément quantitatif ...................................................................................................... 166
6.3 Choix du terrain ................................................................................................................... 167
6.4 Analyse des données ........................................................................................................... 173
PARTIE III : ANALYSES EMPIRIQUES ..................................................................................... 175

7 Chapitre VII : Aspects financiers....................................................................... 177

7.1 Dominance de l’approche commerciale ............................................................................. 177


7.1.1 L’exclusion d’une frange importante de potentiels bénéficiaires (les personnes
pauvres) .................................................................................................................................. 178

8
7.1.2 La tarification excessive, parfois abusive, de certains services et produits ................. 189
7.1.3 L’absence d’une intégration claire d’objectifs sociaux dans les stratégies de
développement des IMF......................................................................................................... 193
7.1.4 L’inestimable pouvoir des agents de crédit ................................................................. 198
7.1.5 Synthèse par rapport à l’hypothèse 1 .......................................................................... 204
7.1.6 Conclusion pour l’hypothèse H1 .................................................................................. 205
7.2 La stratégie de la standardisation : une pratique non adaptée dans le secteur de la
microfinance sénégalaise ............................................................................................. 207
7.2.1 La standardisation des produits : une approche encore dominante dans
l’industrie de la microfinance au Sénégal .............................................................................. 207
7.2.2 L’approche commerciale : entre dérives et généralisation abusive ............................ 209
7.2.3 L’agriculture : un secteur négligé ................................................................................. 212
7.2.4 Le manque de flexibilité ............................................................................................... 214
7.2.5 Synthèse par rapport à l’hypothèse 2 .......................................................................... 218
7.2.6 Conclusion pour l’hypothèse 2..................................................................................... 219
7.3 Controverse sur le niveau « élevé » des taux d’intérêt dans les IMF ................................. 222
7.3.1 La problématique des taux d’intérêt ........................................................................... 222
7.3.2 Structure des taux d’intérêt ......................................................................................... 226
7.3.3 Coûts des ressources financières ................................................................................. 228
7.3.4 Charges d’exploitation ................................................................................................. 232
7.3.5 Dotation aux provisions pour créances douteuses ...................................................... 235
7.3.6 Qu’en est-il des bénéfices réalisés par les IMF ? ......................................................... 236
7.3.7 Synthèse par rapport à l’hypothèse 3 .......................................................................... 239
7.3.8 Conclusion pour l’hypothèse H3 .................................................................................. 240
8 Chapitre VIII : Aspects sociolinguistiques ........................................................ 243

8.1 Évolution du contexte juridique et historique des langues locales au Sénégal .................. 246
8.1.1 Le « français », à la fois unificateur et source d’exclusion en contexte multilingue
sénégalais ............................................................................................................................... 249
8.1.2 Une implication étatique en demi-teinte .................................................................... 251
8.2 Le système unilingue comme obstacle communicationnel dans les IMF sénégalaises ...... 252
8.2.1 La langue est-elle un facteur important dans l’industrie de la microfinance
sénégalaise ? .......................................................................................................................... 253
8.2.2 Qu’en est-il des pratiques dans les IMF ? .................................................................... 259
8.2.3 Des obstacles linguistiques identifiés à deux niveaux ................................................. 263
8.2.4 Synthèse par rapport à l’hypothèse 4 .......................................................................... 268
8.2.5 Conclusion par rapport à l’hypothèse 4 ....................................................................... 272
9
8.3 Peut-on contourner l’obstacle linguistique dans l’industrie de la microfinance ? ............. 273
PARTIE IV : APPLICATIONS/CONSÉQUENCES SUR LE RÔLE DES IMF DANS LE
DÉVELOPPEMENT ................................................................................................................. 279

9 Chapitre IX : Applications et recommandations.............................................. 281

9.1 Fonctions des IMF ............................................................................................................... 282


9.1.1 Partir plutôt des besoins .............................................................................................. 282
9.1.2 Intégrer la dimension linguistique ............................................................................... 285
9.1.3 Rééquilibrage des systèmes de gouvernance selon le statut des IMF ........................ 289
9.2 Microfinance et politiques publiques ................................................................................. 294
9.2.1 Intégrer « formellement » la cible sociale dans les objectifs des IMF ......................... 294
9.2.2 Reconsidérer le plafonnement du taux d’intérêt ........................................................ 297
9.2.3 Conditionner les exonérations en fonction des objectifs sociaux ............................... 298
9.3 Microfinance et organisation internationales..................................................................... 301
10 Chapitre X : Perspectives .................................................................................. 307

10.1 La microfinance au cœur du programme des Objectifs du développement durable ......... 307
10.1.1 L’inclusion financière à l’épreuve ODD ........................................................................ 308
10.1.2 Égalité des sexes et autonomisation des femmes ....................................................... 310
10.1.3 Privilégier la stratégie de la monnaie locale pour le financement des ODD ............... 312
10.2 Quel rôle pour la microfinance dans la lutte contre le changement climatique ? ............. 314
10.2.1 L’enjeu de la dimension climatique dans la microfinance ........................................... 314
10.2.2 La microfinance en tant qu’instrument de promotion de la durabilité
environnementale .................................................................................................................. 315
10.3 Microfinance et exode rural ................................................................................................ 321
10.3.1 La faillite du secteur agricole aux origines de l’exode rural en Afrique
subsaharienne ........................................................................................................................ 322
10.3.2 Remettre l’agriculture au centre des programmes d’inclusion financière .................. 323
CONCLUSION GENERALE ..................................................................................................... 329

BIBLIOGRAPHIE ..................................................................................................................... 335

Annexe 1: Question-guides du Focus group ....................................................................... 348

Annexe 2: Question-guides "financiers" pour les agents de crédit ................................... 350

Annexe 3: Question-guides "financiers" pour les clients ................................................... 354

Annexe 4: Question-guides "sociolinguistiques" pour les agents de crédit...................... 357


10
Annexe 5: Question-guides "sociolinguistiques" pour les clients ...................................... 363

11
LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1: Distribution des IMF dans le secteur de la microfinance au Sénégal en 2016 ......... 121
Tableau 2: Évolution du secteur de la microfinance au Sénégal entre 2005 et 2015 ............... 122
Tableau 3: Répartition des entretiens entre IMF ....................................................................... 175
Tableau 4: Fréquence des taux d'intérêt utilisés selon le statut de l'IMF (1997-2013) ............. 223
Tableau 5: Distribution des sources de financement et leurs coûts respectifs à PAMECAS et à
BAOBAB (2014-2018)................................................................................................................. 230
Tableau 6: Répartition (en %) des six langues nationales sur le territoire sénégalais ............... 244
Tableau 7: Fréquence des niveaux de compétence en français des clients............................... 260
Tableau 8: Fréquence des niveaux de compétence en premières langues des clients .............. 261
Tableau 9: Valeurs indicielles théoriques climatiques ............................................................... 320

LISTE DES FIGURES

Figure 1: Répartition des financements dans le paysage de la microfinance au Sénégal en


fonction des secteurs d’activités ............................................................................................... 208
Figure 2: Évolution du taux d'intérêt par rapport à l’actif dans les IMF au Sénégal .................. 223
Figure 3: Évolution du coût des ressources financières par rapport à l’actif dans le secteur de la
microfinance au Sénégal entre 1997 et 2013 ............................................................................ 228
Figure 4: Évolution du coût des ressources financières par rapport à l’actif à PAMECAS.......... 228
Figure 5: Évolution du coût des ressources financières par rapport à l’actif à BAOBAB ............ 229
Figure 6: Évolution des charges d'exploitation par rapport à l'actif dans les IMF au Sénégal entre
1997 et 2013 ............................................................................................................................. 232
Figure 7: Évolution des charges d'exploitation par rapport à l'actif à PAMECAS ....................... 232
Figure 8: Évolution des charges d'exploitation par rapport à l'actif à BAOBAB ......................... 233
Figure 9: Évolution du profit réalisé dans le secteur de la microfinance au Sénégal entre 1999 et
2014........................................................................................................................................... 236
Figure 10: Remboursement du crédit en fonction du niveau de compétence du client en
Français...................................................................................................................................... 254
Figure 11: Remboursement du crédit en fonction du revenu ................................................... 256
Figure 12: Distribution du PAR 30 par rapport au niveau de compétence du client à parler
français ...................................................................................................................................... 258

12
LISTE DES CARTES

Carte 1: Zone d'enquête dans la région de Dakar ..................................................................... 169

Carte 2: Zone d'enquête dans la région de Thiès ...................................................................... 171

13
LISTE DES ABRÉVIATIONS

ACDI : Agence canadienne de développement


DID : Développement international Desjardins
ACEP : Alliance de crédit et d’épargne pour la production
ANDS : Agence nationale de la statistique et de démographie
AOF : Afrique occidentale française
APB : Association professionnelle des banques
AP-SFD : Association professionnelle des services financiers décentralisés
BAD : Banque africaine de développement
BCEAO : Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest
BDS : Bloc démocratique sénégalais
BICIS : Banque internationale pour le commerce et l’industrie du Sénégal
BNDS : Banque nationale de développement du Sénégal
BRI : Banque Rakyat indonesia
CEDEAO : Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest
CGAP : Groupe consultatif d’assistance aux pauvres
CMS : Crédit mutuel du Sénégal
CNUCED : Conférence des Nations-Unies pour le commerce et le développement
CPEC : Caisse populaire d’épargne et de crédit
CPS : Caisse de péréquation et de stabilisation des prix
DMF : Direction de la microfinance
DR-SFD : Direction de la réglementation des services financiers décentralisés
DSRP : Document stratégique de réduction de la pauvreté
ESAM : Enquête de suivi auprès des ménages
ESP : Enquête sur les priorités
FAO : Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture
FMI : Fonds monétaire international
GOANA : Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance
IMF : Institution de microfinance
14
MEF : Ministère de l’économie et des finances
MIX : Microfinance exchange informations
ODD : Objectifs du développement durables
OHADA : Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires
OMD : Objectifs du millénaire pour le développement
ONCAD : Office national pour la commercialisation de l’arachide
ONG : Organisation non gouvernementale
ONU : Organisation des Nations-Unies
OPCV : Observatoire de la pauvreté et des conditions de vie
PAMECAS : Partenariat pour la mobilisation de l’épargne et le crédit au Sénégal
PAR : Portefeuille à risque
PARMEC : Projet d’Appui à la réglementation sur les mutuelles d’épargne et de crédit
PAS : Programme d’ajustement structurel
PIB : Produit intérieur brut
PSE : Plan Sénégal émergent
PUDC : Programme d’urgence de développement communautaire
RCP : Rentabilité des capitaux propres
ROSCA : Rotating saving and credit association
SFIO : Section française de l’internationale ouvrière
SGBS : Société générale de banques au Sénégal
SONACOS : Société nationale de commercialisation des semences
SONADIS : Société nationale d’approvisionnement et de distribution
SONES : Société nationale des eaux du Sénégal
TEG : Taux effectif global
TRE : Taux de rendement effectif
UBA : United Bank of Africa
UEMOA : Union économique et monétaire de l’ouest africaine
UIT : Union international de la télécommunication
UPS : Union progressiste sénégalais
15
USB : Union sénégalaise des banques
ZFID : Zone franche industrielle de Dakar

16
PARTIE I : CONTEXTE ET CADRE THÉORIQUE
Avec seulement 20% de sa population qui a accès aux crédits, le continent africain est
l’une des régions où l’on enregistre les taux de bancarisation les plus bas dans le
monde. L’arrivée de la microfinance dans le continent depuis les années 1980 sous
formes d’ONG, qui par la suite se sont transformées en IMF, a contribué à la croissance
du secteur financier, surtout auprès des personnes à faible revenu (Mouissi, 2016). Avec
une population très jeune, dont 70% ont moins de 30 ans, et dans une économie
encore dominée par un secteur informel exclu du système financier classique, le
continent africain dispose d’une marge de croissance considérable dans le secteur, et
met en place une nouvelle dynamique dans laquelle les IMF développent toute une
série de pratiques pour atteindre leurs objectifs financiers, alors que les clients
bénéficiaires, généralement des personnes à faible revenu, essaient de s’adapter tant
bien que mal aux exigences des IMF. Ce rapport déséquilibré, auquel s’ajoute un
marché défaillant au niveau systémique, donne naissance à des pratiques et
comportements qui ne profitent pas nécessairement aux deux principaux acteurs : les
IMF et leurs clients.

Dans cette étude, nous présentons d’abord le contexte et le cadre théorique de la


recherche, en se basant essentiellement sur l’expérience des certaines régions en
développement, notamment asiatiques. Ensuite, partant spécifiquement du cas du
Sénégal, nous présentons en deuxième partie et de façon plus détaillée notre question
de recherche, sa problématique et la méthodologie utilisée. Enfin, nous présentons la
troisième et la dernière partie qui portent respectivement sur la confrontation des
hypothèses à la réalité du paysage de la microfinance dans le contexte sénégalais, et
aux applications et conséquences sur le rôle des IMF dans les objectifs de
développement durable.

17
18
1 Chapitre I : Introduction
L’avènement de la microfinance et son succès dans les pays africains coïncident avec la
fin des programmes d’ajustement structurel2 (PAS), lesquels ont redéfini le rôle et la
place de l’État dans les pays en développement, notamment sur les marchés financiers
(Kassé, 1990). Cette période a été marquée par une série d’instabilités à la fois
économiques et parfois politiques dans les pays du Sud. Une des grandes difficultés
économiques rencontrées à l’époque, et particulièrement dans les pays africains et
asiatiques, était de résoudre la problématique de l’extrême pauvreté d’alors accentuée
par des crises alimentaires, mais aussi par une volonté des pouvoirs publics de réduire
leur domaine d’intervention, notamment dans certains secteurs comme la santé,
l’éducation et l’agriculture. Si dans les pays du Nord, non plus épargnés par les
instabilités d’alors, les marchés financiers et du travail ont été affectés, dans les pays du
Sud c’est surtout le rétrécissement de l’État et la suppression des programmes
d’assistance aux personnes démunies qui ont pris de l’ampleur (Diagne, 2006). C’est
dans ce contexte si particulier que sont officiellement apparus les premiers organismes
de microfinance, avec pour principale tâche de financer les activités des personnes à
faible revenu, victimes d’exclusion financière.

Depuis l’année 2005, décrétée l’année du microcrédit par l’Organisation des Nations
Unies (ONU), la place accordée à la microfinance s’est accrue dans le monde en
développement. Elle est entrée au cœur des stratégies politiques consistant à lutter
contre l’exclusion financière et la pauvreté. Avec un potentiel de croissance annuelle de
20% (Doligez, 2018), le nombre de personnes bénéficiaires des services de la
microfinance à travers les régions en développement est estimé à plus de 150 millions
d’individus, allant du service le plus classique dans le secteur, le microcrédit, à d’autres
services plus modernes et plus complexes, tels que la micro-assurance sous plusieurs
formes.

2
Les Programmes d’ajustement structurel (PAS) sont un ensemble de dispositions économiques mises sur
pied par le FMI et la Banque Mondiale au lendemain de la crise économique de 1970 dans les pays du
tiers-monde. L’objectif des PAS était de permettre à ces pays de retrouver une meilleure situation
économique. Les nouvelles dispositions exigées tournaient autour de deux points : diminuer
l’intervention de l’Etat dans le marché économique et privatiser les entreprises nationales.
19
Cependant, après trois décennies marquées par l’essor de la microfinance, depuis
quelques années cet outil tant plébiscité pour ses performances sociales et
économiques commence à montrer des failles. Force est de reconnaître que de
nombreuses controverses entourent encore la microfinance, entre les espoirs d’alors et
la réalité actuelle. Pour Littlefield et Rosenberg (2014), les produits offerts par IMF, tels
qu’ils sont conçus pour la plupart, posent surtout un problème de qualité et
d’adaptabilité pour répondre aux besoins des bénéficiaires. Il suffit d’effectuer des
enquêtes auprès des clients bénéficiaires pour se rendre compte des limites
importantes des services accessibles aux pauvres. Ils sont onéreux, risqués et peu
commodes (Littlefield et Rosenberg, 2014). Même lorsque les pauvres ont accès aux
établissements financiers formels ou semi-formels tels que les IMF, les prestations
offertes ne correspondent pas forcément à leurs besoins, et au fil du temps, ils se
rendent de plus en compte de l’écart existant entre les services et produits qui leur sont
proposés et leurs besoins financiers, parfois plus complexes. Il s’agit d’une période
assez particulière pour la microfinance. Désormais, de nombreuses questions qu’on ne
se posait pas durant les trois premières décennies commencent à apparaître. Elles
partent des contestations sur des résultats de plus en plus mitigés, d’une éventuelle
inadéquation de la plupart des produits et services développés par les IMF aux besoins
locaux, jusqu’à une remise en cause de leur objectif de lutter contre la pauvreté,
compromettant ainsi la viabilité du système. D’autres questions, considérées
auparavant comme des questions peu évidentes, se font place dans le secteur de la
microfinance au point de devenir des éléments non négligeables dans toute politique
de développement inclusive. Se basant par exemple sur l’expérience du terrain, il
semble de plus en plus évident que la maîtrise des ressources communicationnelles à
travers la culture et la langue devient une condition essentielle dans les régions en
développement pour l’introduction et la durabilité de tout projet pour le
développement local. Ces nouvelles questions mettent l’accent sur l’importance et la
capacité des acteurs du développement à identifier les besoins des personnes à faible
revenu, mais aussi les diverses contraintes liées à leurs situations individuelles, à leurs
activités et à leur environnement.

20
1.1 Microfinance et lutte contre la pauvreté : l’expérience bangladaise
L’exclusion financière, sous plusieurs formes, est une réalité quotidienne dans laquelle
vivent plus de deux milliards de personnes à travers le monde en développement. En
Asie du Sud-est, plus de 60% de la population sont exclues du système financier formel
et doivent compter sur des initiatives personnelles plus ou moins adaptées à leur
situation. C’est dans ce contexte d’exclusion à la fois financière et sociale que la
microfinance a été développée et expérimentée au Bangladesh, dans une volonté de
fournir des services financiers non seulement pérennisés mais aussi adaptés aux
besoins des personnes à faible revenu. Sous ce registre, la microfinance est conçue
comme un outil de démocratisation de l’accès au crédit, censé redonner espoir aux
exclus du système financier formel. Avec un portefeuille de plus de 40 milliards de
dollars US, l’Asie du Sud-est représente à elle seule près de 35% du portefeuille mondial
de la microfinance et plus de 60% de sa clientèle. Dans la dernière décennie, la région a
enregistré la plus grande croissance en termes de prêts (+23,5%) et de clients (+13,4%),
permettant à près de 100 millions de personnes à faible revenu d’accéder au
financement de leurs activités. Selon Isabelle Guérin (2005), l’essor de la microfinance
et de son ancrage dans le secteur financier semi-formel asiatique ont pris place au
moment où le G8 prônait l’utilisation des potentialités du secteur privé pour réduire la
pauvreté dans la sous-région. Dans le même temps, la Banque asiatique de
développement préconisait dans la foulée une marchandisation de la microfinance par
son intégration complète aux systèmes financiers formels, intégration présentée
comme la condition sine qua non d’une offre institutionnelle étendue à la grande
majorité des personnes pauvres, exclues du système financier.

21
1.1.1 Le microcrédit comme outil de lutte contre la pauvreté
La microfinance par l’intermédiaire du microcrédit était au cœur du plan de lutte contre
la pauvreté lancé en 1994 par les autorités bangladaises, avec l’objectif d’en sortir plus
de quatre-vingt millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. Les
conséquences dévastatrices de la pauvreté et les inquiétudes profondes de la
population bangladaise ont incité les autorités locales à lancer des programmes
susceptibles d’offrir aux laissés-pour-compte les ressources dont ils avaient besoin pour
améliorer leurs conditions de vie (Yunus 2007). À voir les pratiques des personnes à
faible revenu et les stratégies développées pour trouver des alternatives à l’exclusion
financière, on se rend compte que ces dernières sont parfaitement conscientes de la
nécessité d’épargner mais que les moyens posent très souvent problème. Au Pakistan
par exemple, dans les régions du Kush et du Pamir, tous les ans, les femmes devaient
épargner suffisamment de roupies pour acheter les provisions nécessaires leur
permettant de traverser les hivers longs et improductifs et la nourriture manquait
souvent (Sadeque et al., 2014). Il fallait attendre encore longtemps avant que les
premières cultures ne portent leurs fruits. Bien que leur besoin d’accéder au crédit soit
réel, il ne leur était pas accessible car elles étaient considérées par les banques comme
des investissements à risque trop élevé.

Dans ce cadre, de nombreux projets de microcrédit ont été lancés, dont certains en
nombre limité avec le parrainage d’institutions internationales telles que l’ONU et la
Banque Mondiale, ainsi que d’ONG comme OXFAM. Dans le système de financement
d’alors, le monde rural était la cible principale, et l’aspect commercial qui repose en
grande partie sur la rentabilité des fonds alloués restait marginal. Les crédits ainsi
octroyés ont très majoritairement bénéficié aux zones rurales ; ils visaient le plus
souvent à subventionner avant tout des opérations d’assistance ; leur attribution ne
s’est donc faite que très rarement avec le souci de la viabilité à long terme des IMF.
Absence de pérennité puisque le taux d’intérêt appliqué aux prêts dépassait rarement
3% l’an alors que le point mort supposerait un taux au moins égal à 12,5% (Guérin,
2005). À ce stade initial, la question de la pérennité n’était pas prioritaire, dans la
mesure où l’essentiel des programmes qui servaient de sources de financement pour
les opérations de microcrédit était assuré par des subventions étatiques ou d’ONG. Par
22
conséquent, qu’ils émanent d’acteurs publics ou privés, les programmes de microcrédit
d’alors étaient axés fondamentalement sur les groupements humains, en prenant
comme cible prioritaire l’amélioration des conditions de vie et de travail, ainsi que la
revalorisation de la perception que les bénéficiaires ont de leur valeur et de leur dignité
propres (Yunus, 2007). Bien que le ciblage des personnes à faible revenu en soit une
priorité, il est évident que les plans de crédit les mieux ciblés ne peuvent pas
transformer la pauvreté de masse, particulièrement symptomatique dans les pays en
développement, mais l’apport du secteur privé, notamment la Grameen Bank et le
BRAC, a permis en une décennie à plus de 47% des personnes bénéficiaires d’améliorer
leurs conditions de vie (Morduch et Haley, 2002). Les initiatives des autorités
bangladaises ont montré que l’accès au crédit des plus démunis est financièrement
viable, que les pauvres ne représentent pas un crédit à haut risque comme on aurait
également tendance à le croire, bref, qu’ils sont solvables. Elles prouvent que le
microcrédit, aussi modestes que soient les montants concernés, peut fortement
améliorer le bien-être physique et psychologique des personnes à faible revenu. Partant
de l’expérience bangladaise, il s’avère que le microcrédit, ou la microfinance au sens
large, peut être un outil de développement puissant, mais son efficacité dépend de la
manière dont il est utilisé et des conditions particulières dans lesquelles il est appliqué.
Un des enseignements de ces expériences est qu’il n’existe pas de plan de crédit idéal,
applicable à toutes les situations. Les besoins, qu’ils soient locaux ou universels, les
aspirations, les particularismes culturels et les systèmes sociaux, économiques et
politiques diffèrent les uns des autres. Par conséquent, les programmes de crédit,
lorsqu’ils sont conçus comme un outil de développement, doivent être développés de
manière à prendre l’ensemble de ces données en considération, sans qu’aucune ne soit
négligée. L’intégration de la microfinance dans les programmes de développements en
Asie du Sud-est livre au moins trois enseignements :

1. Elle montre que même si les plans peuvent être différents dans leurs
fonctionnements et orientations, certains plus axés sur le monde rural et
d’autres mettant en priorité les activités productives, ils ont tous un certain
nombre d’éléments communs qui servent de guide à ceux qui sont engagés dans
la planification et l’exécution des projets de crédit à l’intention des bénéficiaires.
23
Parmi ces éléments, il y a l’implication active des clients des IMF, comme
bénéficiaires mais aussi comme partenaires à part entière du développement. La
participation active des clients est fondamentale dans les projets de
microfinance, plus particulièrement dans les zones où les IMF ne disposent que
de peu d’informations et de garanties sur leurs clients. À défaut d’une
implication active des clients, « les plans de crédit courent le risque de devenir
des opérations mécaniques, rigides et déshumanisantes, incapables de répondre
à l’attente de ces populations et de galvaniser les talents et l’esprit si essentiels
au principe de développement autonome » (Bakhoum et al ; 1989, p.8).

2. Un deuxième élément, largement partagé dans les projets de microcrédit


développés en Asie, est une préférence portée sur la clientèle féminine. Plus de
70% des clients de Grameen Bank et de la Bank Rakyat Indonesia (BRI) sont des
femmes. Que ce soit en Asie ou dans les autres parties du monde, il s’avère
incontestablement que les femmes ont été trop longtemps négligées, voire
oubliées dans les programmes de développement en général. Un des
enseignements du microcrédit a été de démontrer la fiabilité des femmes
emprunteuses de crédit dans les IMF. La plupart du temps, elles sont plus
assidues que les hommes et remboursent plus rapidement (Guérin, 2005). Ce
comportement longtemps ignoré sur la base de préjugés sans fondement laisse
entendre que les femmes en général ont une plus grande capacité à générer un
revenu à partir d’un emprunt, aussi modeste soit-il. De même, leur revenu
profite souvent davantage à leur famille en termes d’alimentation, de
vêtements, de soins médicaux et de scolarité (Guérin, 2005).

3. Un troisième élément non négligeable est l’apport crucial des organisations non
gouvernementales (ONG) par leur rôle à travers la formation des populations
vivant dans le monde rural, peu initiées aux opérations de crédits formels. La
position particulière des ONG exerçant dans les zones reculées est certes
confrontée à des multiples obstacles notamment logistiques et financiers, mais
elle offre néanmoins quelques avantages sur le long terme vis-à-vis des autres
structures. Les expériences accumulées et les relations étroites développées

24
avec les populations locales leur ont permis de développer une compréhension
plus approfondie des conditions locales, une plus grande sensibilité aux besoins
et aux appréhensions des pauvres qui leur ont permis de gagner plus facilement
la confiance des populations.

Au-delà des impacts qu’elles peuvent avoir dans l’évolution des conditions de vie des
personnes à faible revenu, l’expérience asiatique, notamment bangladaise, suggère que
les interventions de microcrédit, aussi importantes soient-elles, ne suffisent pas à elles
seules pour réduire la pauvreté et que d’autres stratégies intégrées pour la réduction de
la pauvreté comme l’autonomisation des femmes est importante, tout en incluant la
microfinance en tant que composante. Le microcrédit, l'assurance, la formation au
développement de l'entreprise, la création d'actifs, et l’implication des bénéficiaires
font toutes parties de la stratégie requise pour réduire la pauvreté.

1.1.2 L’appropriation du contexte local bangladais


La Grameen Bank s’est illustrée dans une des régions les plus pauvres au monde,
confrontée à des catastrophes naturelles à répétition, comme les tsunamis et les
tremblements de terre. Dans des circonstances pareilles où la bonne marche des
activités financées tient à des aléas sur lesquels les acteurs ont peu de prise, les
structures financières se trouvent confrontées à des obstacles complexes et
difficilement surmontables. Surmonter ces obstacles nécessite une vraie réadaptation à
la fois sur l’organisation et sur le terrain. Selon Dowla Barua (2005), le principe sur
lequel ont reposé les exercices de la Grameen Bank est de faire rembourser le client
quelle que soit la catastrophe ou la tragédie qui s’abat sur lui, tant qu’il est vivant, mais
avec toute la flexibilité que cela nécessite, jusqu’à des remboursements d’un centime
par semaine. Ce principe peut sembler limite et très lourd pour des cas extrêmes, mais il
s’agit surtout par-là de fortifier l’autonomie de l’emprunteur, de développer sa culture
du remboursement, de l’inciter à ne pas baisser les bras et avoir confiance en ses
capacités personnelles, même en situation difficile. Par exemple, après les inondations
survenues au Bangladesh en 2006, certains clients agriculteurs ont vu toutes les
récoltes pour lesquelles ils avaient été financés détruites, et ont perdu des proches. Aux
yeux du banquier classique, non seulement ces agriculteurs sont pratiquement dans
une impossibilité de rembourser, mais ils perdent toute chance de pouvoir bénéficier
25
d’un crédit supplémentaire parce qu’ils deviennent trop risqués. Dans le cas de la
Grameen Bank, la démarche a été tout le contraire. Les agriculteurs victimes ont tous
immédiatement bénéficié d’un nouveau prêt, leur permettant de redémarrer leurs
activités. Contrairement aux prêts initiaux, ceux-ci sont transformés en un prêt à long
terme, avec des échéances échelonnées dans le temps, permettant aux clients de
rembourser sans que cela pèse lourd sur leurs activités. En l’espèce, « l’importance de
nouveaux prêts est avant tout d’ordre psychologique. Nous laissons certes à nos
membres le temps de pleurer leurs proches, mais nous tenons à ne pas les laisser
sombrer dans l’apathie et la léthargie qu’engendre le désespoir. Nous voulons qu’ils
repartent du bon pied, attachés à survivre et à reconstruire ce qu’ils ont perdu » (Yunus,
1997, p. 200). L’aide provenant des autorités nationales étant généralement
insuffisante et inadaptée, la seule façon de surmonter certaines catastrophes, surtout
lorsque ces dernières impliquent les activités productives des personnes à faible
revenu, c’est de les aider à reconstruire. Il n’y a pas d’autre solution, ni pour eux ni pour
une banque ayant réellement la volonté de les aider.

1.1.3 La question de l’autonomisation des femmes


La microfinance repose essentiellement sur l’hypothèse que les pauvres sont capables
d’emprunter et de rembourser, avec des taux d’intérêt en moyenne supérieurs à ceux
de la finance classique (Desmukh-Ranadive et Murthy, 2005). À partir des années 2000,
la microfinance est vue de plus en plus dans les pays en développement comme un
complément efficace dans les politiques de lutte contre la pauvreté (Dowla et Barua,
2006), au point que cette dernière occupe une place de plus en plus importante dans
les organisations internationales. Le Sommet mondial du microcrédit3 tenu à
Washington en février 1997 et consacré essentiellement à la microfinance traduit tout
l’espoir mis en elle. Au-delà de l’objectif d’atteindre les plus pauvres et les exclus
financiers sous plusieurs formes, la place accordée aux femmes dans ce nouvel outil est
prépondérante. Elle s’articule autour du terme « empowerment » des femmes, que l’on
pourrait traduire par « l’autonomisation des femmes » (Francina et Mary, 2013). Ce

3
Le sommet a réuni 2’900 personnes venues de 137 pays, membres d’organisation non
gouvernementales (ONG), chefs d’entreprise, représentants d’institutions internationales ou de
gouvernements.

26
ciblage consistait à accorder aux femmes une place particulière dans l’accès au crédit,
et ceci pour différentes raisons.

Les premières expériences de la microfinance au Bangladesh et dans d’autres régions


asiatiques ont montré que d’une part les femmes présentaient en moyenne un risque
de crédit moins élevé que les hommes, et que d’autre part l’accès au crédit semblait
davantage profiter au bien-être de la famille lorsque le bénéficiaire est une femme
(Guérin, 2005). Dans le contexte asiatique comme dans beaucoup de pays en
développement, les hommes ont toujours la possibilité de tenter leur chance dans une
ville voisine, plus ou moins proche, mais les femmes, compte tenu de plusieurs
paramètres à la fois culturels et politiques, ont moins de possibilités d’engager leur
avenir dans des localités éloignées de leur domicile, où aucune garantie en termes de
protection ou de sécurité ne leur est offerte. L’autonomisation des femmes n’est pas un
concept nouveau introduit par la microfinance, mais elle a été renforcée par cette
dernière, faisant de l’accès pérenne au financement une condition sine qua non à une
vraie indépendance à la fois politique et financière des femmes. Bien avant l’avènement
de la microfinance, les efforts allant dans ce sens ont été lancés au nom de
l’émancipation (P.X et Venus, 2013), mais l’arrivée de la microfinance semblait amener
un argument supplémentaire de type financier. À partir de là, les objectifs des politiques
nationales et internationales, des programmes de développement et des activités des
ONG ont pratiquement évolué vers l’autonomisation, qui de fait devient un objectif
principal qu’essaient de mettre en œuvre les pays en développement par
l’intermédiaire de la microfinance. D’après des études effectuées sur des groupes de
femmes membres de structures de microfinance au Bangladesh et sur d’autres qui ne
sont affiliées à aucune structure financière, Dowla et Barua (2005) constatent que non
seulement les femmes membres enregistrent une amélioration des conditions de vie
durant les années qui ont suivi l’accès au financement, en même temps elles jouissent
d’une meilleure autonomie vis-à-vis de leur environnement et disposent d’un pouvoir
d’influence supérieur aux groupes de contrôle. Selon Yunus (2007), la microfinance a
montré en une décennie au Bangladesh qu’elle peut être un apport essentiel dans les
programmes d’autonomisation des femmes. Au fur et à mesure que les femmes
acquièrent une plus grande indépendance économique, elles sont appelées à prendre
27
plus directement leur vie en main. Dans ses recherches au Sri Lanka portant sur l’effet
du microcrédit sur la clientèle féminine, Rahman (2009) constate que les femmes qui
sont clientes d’IMF prennent plus d’initiatives et affichent une plus grande
indépendance. Il estime que cela peut s’expliquer par fait que les maris, sans doute
impressionnés par les performances financières de leur femme, semblaient acquérir
une nouvelle ouverture d’esprit grâce à laquelle ils acceptent peu à peu que leurs
compagnes s’engagent dans des activités économiques extérieures au cadre familial.
Sadeque (2014) abonde dans le même sens et estime qu’avec l’impact de la
microfinance, il arrivera un jour dans les régions asiatiques les plus traditionnalistes,
même s’il semble encore éloigné, où la question complexe de la répartition des terres
entre les femmes et les hommes se posera.

L’expérience d’ASA, structure de microfinance créée en 1986 au Bangladesh est


éloquente pour illustrer les relations qui peuvent exister entre l’accès au crédit et
l’autonomisation des femmes. ASA était une simple association qui luttait contre les
inégalités et l’injustice dont les femmes sont victimes. Son approche de départ
consistait à mobiliser les femmes et à les accompagner pour défendre ce qui leur
revenait de droit, notamment l’accès à la terre, au bétail ou le droit d’exercer une
activité en dehors du ménage. Au cours de leurs expériences, les membres d’ASA se
sont rendus compte que l’émancipation sociale et politique des femmes qui constituent
le socle de leur combat est pratiquement impossible sans une vraie autonomisation
économique des femmes. Se rendant compte de cette réalité, qui paraît incontournable
par rapport aux objectifs fixés, ASA a mis en place d’abord un nouveau service qui
consistait à aider les femmes à se libérer de la servitude pour dette4, en leur accordant
le montant nécessaire au remboursement de leur usurier. Elle finit par introduire les
programmes de microcrédit et de microassurance, initialement destinés uniquement
aux femmes disposant d’activités génératrices de revenus, estimant que ces
programmes offraient un potentiel de réduction de la pauvreté et d’autonomisation des
femmes, plus particulièrement celles du monde rural. Vu le succès du programme

4
Très en vogue dans les sociétés traditionnelles d’Asie du Sud-est, elle est une façon de rembourser une
dette financière par du travail en nature. Par exemple, pour effacer sa dette, le débiteur peut être amené
à faire des heures de travaux pour le compte de son créancier.
28
auprès de ses clientes, ASA finit par se transformer en institution de microfinance en
1993, basé sur le modèle de la Grameen Bank. Pour Burra et al. (2005), le choix
privilégié d’ASA qui consiste à mettre les femmes au centre de leur dispositif financier
se justifie par leur impact dans le vécu quotidien des ménages, aussi bien en ville qu’en
milieu rural. Ils précisent leur analyse en ces termes : « The main reason for focusing on
women is ASA’s belief that women are the poorest amongst the poor and discriminated
against in gender-specific ways. Women are also seen as more honest and creditworthy
than men. […]. ASA believes that the fact that disbursing loans to women increases
theirs status and strengthens their position in the household” (Burra et al., 2005, p.
290).

Par ailleurs, bien qu’il ne fasse aucun doute que l’accès des femmes aux structures
financières entraîne un changement positif dans l’environnement économique, social et
politique des femmes, l’impact du microcrédit sur l’autonomisation des femmes peut
être complexe à observer. Cela s’explique par des raisons qui peuvent parfois sortir du
domaine de la rationalité, telles que la culture, la croyance, ou même d’autres raisons
purement rationnelles et politiques. Au-delà du pouvoir financier, l’autonomisation des
femmes nécessite de vraies évolutions des mentalités sur toutes les questions relatives
à la femme et sa place dans la société des régions en développement.

1.1.4 Les services d’assurance-maladie comme une nouvelle dimension


Bien qu’au début de leurs expériences, les IMF ne s’étaient pas intéressées à la
dimension sanitaire de la vie de leurs clients, celle-ci s’est avérée essentielle au fil du
temps pour deux raisons principales :

1. La première raison est que les fournisseurs se sont rendu compte que la bonne
marche de l’activité du client est inévitablement liée à son état de santé, et cela
est d’autant plus vrai dans le marché informel des travailleurs qui très souvent
ne sont assurés dans aucune caisse de maladie ou d’accident. Le petit
commerçant ambulant bangladais, qui gagne 200 takas5 par jour, l’équivalent de
3 $ US, sans assurance, se voit complètement dépendant de son état de santé.
Chaque jour non travaillé lui coûte explicitement 200 takas, de quoi mettre en

5
Monnaie du Bangladesh
29
danger sa capacité de remboursement auprès de l’IMF prêteuse. Fortes de ce
constat, beaucoup de structures financières comme notamment Grameen Bank
et BRI ont jugé utile d’inclure l’assurance-maladie dans les services proposés.
Dans la plupart des pays en développement, l’accès à des soins de qualité est un
bien de luxe que les personnes issues de ménages à revenu modeste ne peuvent
se permettre. L’absence d’un service public de qualité aussi bien dans la santé
que dans les autres domaines fait que pour obtenir des services de qualités dans
un délai convenable, il faut s’adresser à des prestataires privés, tels que les
cliniques, à des prix relativement élevés. Pour les personnes financièrement
aisées, le service privé reste abordable. Quant aux personnes démunies qui
doivent compter essentiellement sur leurs modestes revenus, elles n’ont tout
simplement pas accès aux soins. La vraie solution est que chacun reçoive un
revenu qui lui permet d’accéder aux soins médicaux. Une mesure adoptée à la
Grameen Bank, qui va dans le sens de trouver une solution à la vulnérabilité
sanitaire dont sont victimes ses clients, a été de mettre des services de santé à
la disposition de tous les clients, qui de fait sont couverts par les crédits octroyés
suivant le principe de la couverture des dépenses par les recettes. L’idée de
faciliter l’accès des clients aux services sanitaires n’est pas fortuite. C’est une
initiative tout à fait rationnelle dans le paysage de la microfinance. Si certaines
IMF sont devenues sensibles et attentives à ce point aux problèmes de santé,
c’est parce que l’expérience sur le terrain montre que les problèmes de santé
peuvent réduire à néant les plus grandes réussites réalisées dans le secteur
informel des pays en développement.

2. La seconde raison est davantage d’ordre social. Une question fréquemment


adressée aux experts de la microfinance et qui suscite de nombreux débats
porte sur les rapports entre la rentabilité financière de opérations de la
microfinance et sa mission sociale. Autrement dit, laquelle des deux a-t-elle la
primauté sur l’autre ? Si certains estiment que le but de la microfinance est
d’abord social, d’autres considèrent que la question de la pérennité financière
est aussi importante et nécessite que les opérations sur le terrain, qu’elle que
soit leur portée sociale, doivent d’abord être rentables. Sans nous attarder sur
30
cette discussion, sur laquelle nous aurons le temps de revenir, il semble évident
que les IMF gagneraient à donner, ou à renforcer leur crédibilité auprès des
bénéficiaires mais aussi auprès des bailleurs qui y voient une manière d’œuvrer
dans le social. En contexte de pauvreté, multiplier les initiatives sociales telles
que la facilitation de l’accès aux soins, l’accès à des logements de qualité et dans
une certaine mesure l’éducation des enfants devient impérative pour que la
microfinance puisse jouer pleinement son rôle de lutter contre la pauvreté.
L’idée n’est pas de dire que systématiquement la microfinance doit financer
l’éducation, mais surtout de défendre que l’accès au financement des IMF peut
indirectement encourager l’éducation des enfants, comme cela a déjà été
démontré en contexte de pauvreté (Banerjee et al., 2009 ; Diop, 2013). Quoi
qu’il en soit, que l’on aborde la microfinance dans une optique de marché ou
dans une optique sociale, la vocation doit rester la même : aider les personnes
privées d’accès aux services financiers à atteindre leur meilleur potentiel
économique et humain.

1.2 La microfinance en Afrique subsaharienne : des origines informelles aux


transformations contemporaines
Contrairement à l’Asie du Sud-est, l’implantation de la microfinance sous sa forme
moderne dans le continent africain est étroitement liée à la mise en place des
coopératives d’épargne de crédit en milieu rural. Suite à l’échec des stratégies de
financement du monde agricole à travers les banques d’État au lendemain des
indépendances, des tentatives institutionnelles que l’on peut assimiler à la microfinance
ont été mises en place sur le continent, plus particulièrement en Afrique occidentale.
Bien avant l’avènement de la microfinance tel qu’on a pu l’observer au Bangladesh, de
premières institutions sous forme de coopératives d’épargne et de crédit sont apparues
au Ghana dès 1956. Pratiquement à la même période, les mêmes types d’organisations
ont été observés dans d’autres pays de la sous-région, notamment au Sénégal en 1970,
au Burkina Faso en 1972 et au Bénin en 1975 (Ouédraogo et Gentil, 2008). Le rôle
principal de ces premières coopératives d’épargne et de crédit, essentiellement
concentrées en milieu rural, était de collecter l’épargne locale, pour ensuite l’octroyer
comme crédit à ses membres. Le plus souvent, ces crédits étaient utilisés à des fins
31
sociales (mariage, naissance, funérailles, etc.) et dans une moindre mesure à des fins
productives (agriculture, élevage, petit commerce).

Au Sénégal, ces initiatives ont été mises en place avec l’appui de certaines ONG comme
le Centre international de développement et de recherche du Canada, de l’USAID, ou du
Crédit agricole en France. Ces structures financières, généralement organisées sous
forme de coopératives, ont constitué le socle sur lequel s’est progressivement établie la
microfinance dans la sous-région. On constate dès lors que bien que l’Asie soit
considérée comme le berceau de la microfinance, des pratiques similaires à la
microfinance sous l’impulsion d’ONG sont antérieures à la création de la Grameen Bank
en 1983 et au sommet du crédit de Washington en 1997.

1.2.1 L’effet pressant de la financiarisation


Dans les économies en développement et en particulier dans les zones rurales,
beaucoup d'activités qui seraient considérées dans le monde développé comme
relevant du secteur financier peuvent ne pas être monétisées. Les personnes à faible
revenu savent faire preuve d'imagination pour faire face à leurs besoins, principalement
à travers la création et l'échange de différentes formes de biens non-monétaires. Les
substituts à l'argent varient d'un pays à l'autre, mais il s'agit typiquement de bétail, de
grains, de bijoux et de métaux précieux. D’autres formes d’échange basées sur une
solidarité réciproque ou même du crédit en nature existent, plus particulièrement dans
le monde rural. Par exemple, une pratique encore fréquente dans le monde rural
sénégalais est le crédit d’heures de travail en nature. Les cultivateurs s’échangent des
heures de travail entre amis et connaissances selon les besoins. Par exemple, si un ami,
un voisin ou une quelconque connaissance vient travailler pendant ses heures libres
dans le champ d’un cultivateur, ce dernier a une dette morale envers le premier et
devra aller l’aider quand il en aura besoin. Cette forme de solidarité continue mais
prend d’autres formes. Cela montre que dans certains contextes, différents certes de ce
que nous connaissons dans la plupart des zones urbaines, certaines activités peuvent
être menées à bien sans recours à l'argent. Cependant, il faut aussi admettre que le
recours à l’argent devient de plus en plus important même dans ses sociétés où il a
toujours joué un rôle marginal. Le décloisonnement des frontières commerciales et
culturelles aussi bien inter-régionales qu’intra- régionales remet l’argent au cœur des
32
échanges entre les individus. Les personnes à faible revenu ont très peu d'argent 6, mais
elles rencontrent souvent dans leur vie des circonstances dans lesquelles elles auraient
besoin d'argent ou de ce que l'argent peut acheter. Selon Rutherford (2001), l’évolution
des rapports intracommunautaires et leur ouverture vers le monde extérieur font
qu’aujourd’hui les besoins financiers dans les régions peu développées deviennent une
réalité pour plusieurs raisons qui peuvent être scindées en trois groupes :

1. les besoins liés au cycle naturel de la vie, qui de plus en plus sont monétisés.
C’est le cas du mariage, des naissances ou des funérailles ;

2. Ies besoins liés aux catastrophes personnelles et naturelles comme les maladies,
les vols, les incendies, les inondations, les mauvaises récoltes, etc. ;

3. les besoins liés aux opportunités d’investir, comme achat ou location de terre
cultivable, achat de matériel agricole, location de cantine commerciale,
renflouement de fonds de commerce, etc.

L’idée de fond est que le problème financier principal rencontré par les pauvres est
l’accumulation d’un montant d’argent suffisamment important pouvant leur être utile
en cas de besoin. Construire sa maison ou son atelier de fabrique peut nécessiter de
mettre en réserve divers matériaux de construction pendant des années, jusqu'à ce qu'il
y en ait assez pour pouvoir envisager de lancer la construction. La scolarisation des
enfants dans le monde rural, par exemple, peut être financée par l'élevage de poulets.
Ceci nécessite d'abord de les acheter, puis de les élever et de les mettre en vente au fur
et à mesure que tombent les échéances (inscriptions, achats d’uniformes, achats de
fournitures, etc.). Dans cette stratégie de gestion de l'argent, que l’on peut appeler
épargne « ex ante », le montant est accumulé avant les échéances. Dans d’autres
situations, les gens empruntent pour satisfaire un besoin qu'ils n'ont pas les moyens de
financer. Par exemple, un ménage à faible revenu pourrait emprunter à des proches
(parents ou amis) pour acheter une terre ou au prêteur du quartier pour acheter du riz
ou à une IMF pour acheter une machine à coudre. Comme ce type crédit, généralement
le plus répandu, doit être remboursé en économisant après avoir engagé la dépense, on
parle d'épargne « ex post ». Que l’on soit dans l’une ou l’autre, ces stratégies de gestion

6
1,25 $ par jour en moyenne selon la Banque Mondiale.
33
observées dans la vie quotidienne des personnes à faible revenu montrent que ces
dernières ont besoin d’accéder à des financements en argent pour des besoins de
production et de consommation.

1.2.2 L’émergence d’un secteur aux origines informelles


L’Afrique subsaharienne, à l’instar des autres régions du monde en développement,
comme l’Asie ou l’Amérique latine, a enregistré ces dernières années des résultats
impressionnants dans le secteur de la microfinance. Le nombre d’IMF officiellement
recensées dans la région est passé de 307 à 1800 entre 1993 à 2015, avec un
portefeuille de 10 milliards de dollars et une clientèle estimée à plus de 20 millions de
personnes en 2017 (MIX7, 2018). En une décennie, le secteur de la microfinance de
l’Afrique subsaharienne a beaucoup évolué (11% du secteur mondial) même s’il n’est
pas aussi gigantesque que celui de l’Asie du Sud-est. Avec une croissance de 15% en
termes de clientèle, l’Afrique subsaharienne arrive en deuxième position dans les cinq
principaux marchés de la microfinance à travers le monde. L’émergence de la
microfinance sur le continent africain est étroitement liée à l’évolution de la finance
informelle et de son rôle dans le processus de développement économique et humain
dans la région. Elle peut s’expliquer par cinq raisons principales :

1. Une première raison résulte de la capacité d’innovation de la finance informelle,


notamment les tontines. À travers les régions et les cultures, on peut répertorier
d’innombrables termes locaux qui désignent des regroupements d’épargnants
dont les membres versent à périodicité convenue une somme fixée à l’avance et
reçoivent à tour de rôle le produit des versements de l’ensemble des
participants (Servet, 2007). Cette forme de crédit est plus connue de nos jours
sous le nom de tontine dans les régions d’Afrique francophone, Rotating saving
and credit association (rosca) dans les régions anglophones, ou sous des
expressions locales réservées à une petite communauté locale, comme au
Sénégal où les Wolofs utilisent le mot « nâtte » pour désigner la tontine. Au
regard de ces facettes multiples et différentes selon les régions et les cultures, il
devient pratiquement impossible d’associer l’origine de la tontine à une région,

7
Microfinance Exchange Information est une plate-forme spécialisée dans la récolte de données en
microfinance. Elle est considérée comme étant aujourd’hui la première en la matière.
34
tout en la reconnaissant comme la forme de microcrédit la plus ancienne et
basique observée à travers les civilisations. Cette formule générale, basée sur un
groupe dont les membres se connaissent bien définit l’esprit des tontines
observées dans la plupart des pays africains. Cette façon de faire du crédit a été
reprise sur l’ensemble du continent, et partout elle aide les plus démunis à faire
quelque chose d’utile pour améliorer leurs conditions de vie, gagner leur vie et
celle de leurs enfants ; elle fait reculer la pauvreté, dans des proportions certes
différentes, et participe activement à l’émergence d’autres sources de
financement telles que la microfinance.

2. Une deuxième raison concerne le recours au financement extérieur, qui a


commencé après le choc pétrolier de 1973 et s’est peu à peu généralisé.
L’endettement excessif des États qui s’en est suivi a conduit à la crise de la dette
à laquelle étaient confrontés les pays en développement, dont en premier le
Mexique. Beaucoup de pays du Sud se sont trouvés dans l’incapacité de faire
face à leurs engagements. Dans une volonté de réduire le poids de la dette dans
les pays en développement, en particulier africains, la Communauté
internationale par l’intermédiaire de la Banque Mondiale et du FMI ont fini par
accepter, à la fin des années 80, une annulation partielle de la dette de certains
pays, c’est-à-dire une réduction du montant de leur dette. Et en 1996, la Banque
Mondiale et le FMI ont mis en place une initiative spéciale en faveur des pays
pauvres très endettés (PPTE), qui annonçait une réduction très importante,
allant jusqu’à 80% de la dette pour les pays les plus pauvres. Une des mesures
qui accompagnaient cette initiative était d’inciter les pays à faible revenu à
limiter le recours systématique au financement par l’extérieur. Dans ce cas, Il
fallait donc que l’épargne domestique prenne le relais crédits extérieurs, c’est-à-
dire de l’épargne étrangère (Ouédraogo et Gentil, 2008).

3. La troisième raison est une conséquence de la deuxième. Elle consiste en


l’inefficacité de la gestion de l’épargne domestique. Ce n’est pas le volume de
l’épargne qui pose problème, mais surtout son affectation. Le cas de l’Afrique
est à cet égard particulièrement surprenant. Il n’est pas rare de voir des banques

35
commerciales qui disposent de liquidités abondantes comme le montrent les
travaux de Doumbia (2011) ou de Lucotte (2012). Elles financent les
importations, le commerce de gros, la construction, mais elles financent
rarement les petites entreprises qui pourtant sont très souvent sont confrontées
aux manque de capitaux. Pendant ce temps, les populations locales manquent
d’argent pour développer des activités génératrices de revenu. Ce paradoxe
financier, propre aux contextes locaux des pays en développement, participe à
l’existence et à l’émergence du marché de la microfinance africaine.

4. Une quatrième raison concerne la limitation de l’intervention du secteur public.


Le modèle marxiste, très en faveur en Afrique dans les années post-
indépendances, s’estompait progressivement dans la plupart des pays africains.
La chute du mur de Berlin en 1989, l’éclatement de l’ex-URSS qui a suivi et la
volonté dominante d’une transition rapide vers une économie plus libérale ont
renforcé le sentiment que l’État ne doit pas tout faire. Dans bien des pays du
Sud, la plupart des entreprises publiques qui avaient commencé à être
privatisées l’ont été de plus en plus, non seulement parce qu’elles étaient peu
rentables, et parfois pratiquement pas, mais aussi parce que les pays prenaient
conscience du rôle moteur que devaient jouer les entreprises privées dans le
processus de développement économique. De même, les banques publiques,
qui étaient le plus souvent des banques nationales de développement qui
finançaient les grands projets, ont vu leur efficacité mise en doute et ont été,
fréquemment, purement et simplement liquidées, comme ce fut le cas de
beaucoup de banques nationales telles que la Banque nationale de
développement du Sénégal, dissoute en 1980.

5. Une cinquième et dernière raison tient aux programmes de lutte contre la


pauvreté, devenus une préoccupation majeure de la communauté
internationale. L’initiative PPTE de 1996 a été intégrée trois ans plus tard dans
un effort plus vaste visant à réduire la pauvreté dans les pays concernés. Un
document stratégique de réduction de la pauvreté (DSRP) a par la suite été
élaboré par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque Mondiale, avec

36
la participation active des autorités locales et de la société civile. Toujours dans
la même dynamique, les pays membres de l’ONU ont fait de la réduction de la
pauvreté le premier des Objectifs du Millénaire pour le Développement qu’ils
s’étaient engagés à réaliser au plus tard en 2015. Il y a bien des façons d’essayer
de réduire la pauvreté et, à long terme, un taux plus élevé de croissance et une
croissance durable, est sans doute la plus efficace. Le FMI, plus tourné vers la
macro-économie, évoque davantage les politiques structurelles et la gestion des
dépenses publiques. Mais la croissance dans les pays en développement, c’est
l’activité de l’ensemble des agents économiques, tant dans le secteur formel
que dans le secteur informel. Or dans les pays en développement, la majorité
des agents sont dans l’informel. Par conséquent, la question principale était de
savoir comment aider ces personnes, issues du secteur informel et
particulièrement vulnérable, à participer davantage aux objectifs de croissance
économique fixés. Une solution qui émergeait, sans doute parmi d’autres, était
de privilégier les financements pour leurs activités productives.

Au-delà des raisons évoquées, on voit les circonstances dans lesquelles une partie de la
finance informelle a évolué pour donner naissance à la microfinance. Là où l’épargne
était déterminante dans la finance informelle, c’est maintenant le crédit qui devient
l’élément essentiel dans la microfinance. Autrement dit, dans le système financier de la
finance informelle, ce sont les dépôts, donc les épargnes, qui font les crédits, alors que
dans le système financier de la microfinance, comme d’ailleurs dans les banques
classiques, ce sont plutôt les crédits qui font les dépôts. Malgré les liens évidents, la
microfinance est à la fois proche et différente de la finance informelle. Non seulement
l’importance est accordée au crédit et non plus à l’épargne, mais il ne s’agit plus de
pratiques qui mettent en présence des personnes. On se trouve cette fois face à une
institution présentant des caractéristiques parfois très différentes de celles de la finance
informelle.

37
1.2.3 De la mission sociale à une dynamique de recherche de profits
La recherche de la rentabilité est devenue une dimension supplémentaire dans le
paysage de la microfinance. Les premières expériences sur le continent africain ont
bénéficié d’aides internationales et de subventions publiques, qui avaient la
particularité d’accorder peu d’importance à la rentabilité financière des projets
appuyés. L’idée de base était de venir en aide aux personnes vulnérables et pauvres qui
n’avaient pratiquement pas les moyens de changer le cours de leur destin. Dans le cas
du Sénégal, ces initiatives ont été amorcées par des ONG comme l’USAID, le Centre de
recherche pour le développement international du Canada, l’Agence française de
développement et la Banque nationale pour le développement du Sénégal (BNDS). À
partir des années 1980, la reconfiguration des marchés mondiaux consécutive à la crise
économique d’alors oblige les institutions de microfinance à adopter de nouvelles
stratégies qui consistent à faire de la rentabilité financière une priorité dans leurs
politiques. Cette période coïncide avec les Programmes d’ajustement structurel, dans
lesquels les pays africains étaient appelés à réduire au minimum l’intervention des
pouvoirs publics dans les différents secteurs de l’économie. Dès lors, les IMF
disposaient de deux sources de financement. Elles devaient compter soit sur l’épargne
de leurs clients, soit sur des lignes de financements ouvertes dans d’autres institutions
financières, notamment les banques classiques. Ces dernières étaient, et restent encore
la première source de financement dans la plupart des IMF dans le paysage de la
microfinance africaine. Il faut noter que contrairement aux subventions, l’accès des IMF
aux lignes de crédit n’est pas gratuit. La plupart des IMF se refinancent auprès des
banques classiques à des prix qu’elles doivent ensuite couvrir à partir des bénéfices de
leurs prestations. Cette nouvelle dynamique met la rentabilité au cœur des opérations
microfinancières, au point que les IMF qui veulent se refinancer dans le marché
financier en font de plus en plus une priorité de leur fonctionnement. L’accès aux lignes
de crédit devient la source principale de refinancement, et conduit d’ailleurs à une
injection massive de liquidité dans le secteur à partir de la fin des années 1990
(Ouédraogo et Gentil, 2008), sans que les IMF aient nécessairement les capacités de
gestion requises. La croissance de l’offre de crédit, sous la pression des partenaires
fournisseurs tels que les banques classiques, a nourri de nouvelles pratiques dans les

38
IMF, consistant à mieux rentabiliser leurs opérations, et parfois au détriment des
activités à faible valeur ajoutée comme l’agriculture et la pêche artisanale. Ceci peut
être observé à travers l’évolution de la taille moyenne des montants de crédit prêtés
par les IMF, qui a été multipliée par dix entre 1990 et 2000. (MIX, 2010). Les institutions
de microfinance ont augmenté les montants des crédits octroyés afin de rechercher
une rentabilité plus grande. Prêter des petits montants s’avère en effet moins rentable,
en raison des différents coûts de transaction (temps de démarche, procédures de
sécurisation, etc.). Dans la zone UMOA, pour ce faire, les IMF, ou du moins la plupart
d’entre elles, ont réorienté le crédit vers les zones urbaines, vers des clients salariés ou
commerçants et vers le secteur informel, qui sont globalement plus rentables que
l’agriculture. Selon Gentil et Ouédraogo (2008), la recherche de rentabilité, parfois
démesurée, fait que l’octroi de crédit s’est ainsi trouvé de plus en plus orienté sur
quelques gros clients créant un « effet entonnoir» : alors que l’épargne est collectée
auprès de tous les membres de la coopérative, la plupart d’entre eux sont éliminés du
crédit, ce qui remet en cause la mission originelle de la microfinance.

La quête de profit devient une exigence dans toutes les opérations de microfinance, et
tend à reléguer au second plan la mission sociale. Elle crée des difficultés qui mettent
en lumière avec une extrême gravité à quel point le secteur a perdu certains de ses
repères qui ont été à l’origine de sa création. Il y a eu un long débat portant sur le
compromis délicat entre la proximité, c'est-à-dire la capacité des IMF à atteindre
réellement les plus pauvres et les plus exclus et la viabilité, leur capacité à couvrir de
façon autonome leurs coûts opérationnels pour leur clientèle à un moment donné et, si
possible, les coûts nécessités par l'élargissement de leur clientèle. Certains s'inscrivent
dans une logique de recherche du profit, mais minimaliste. D’autres excluent le profit.
Ce débat entre deux orientations ne touche pas seulement les IMF, mais également les
gouvernements et tous les autres acteurs engagés dans le développement de systèmes
de microfinance au niveau national (Babou, 2002). La microfinance s’était construite sur
une culture de confiance entre ses acteurs, d’accumulation progressive de l’épargne,
d’apprentissage et de maîtrise de l’outil. Or, la croissance rapide de ces dernières
années semble créer une tension entre le projet d’entreprise et le projet social originel
de la microfinance. Les exigences de rentabilité et de conformité du secteur, jusqu’à un
39
certain point, sont certes nécessaires mais elles induisent un mimétisme bancaire qui
limite progressivement l’intégration financière, la culture et les valeurs de l’économie
sociale et solidaire, entraînant une perte d’identité qui amène la microfinance à créer
ses propres exclus. Dans les milieux démunis, tel que dans le monde rural, il est en effet
impossible pour une IMF d’atteindre une rentabilité à court terme, sauf à exclure ce
type de clientèle et sélectionner d’autres couches plus rentables et moins risquées.

1.3 Quelques défis de la microfinance à travers les IMF


L’Afrique subsaharienne dispose d’opportunités et de potentiel pour développer
davantage son secteur de la microfinance. Avec une population estimée à plus d’un
milliard de personnes dont moins de 20% ont accès aux institutions financières,
l’Afrique subsaharienne est l’un des marchés les plus importants en termes de taille
pour la clientèle de la microfinance derrière le marché asiatique. Pour mettre à profit
ces opportunités, les acteurs de la région doivent faire face à des défis non moins
importants, tels que le niveau élevé des coûts d’exploitation et la faible utilisation des
nouvelles technologies.

1.3.1 Problématique des coûts élevés


L’Afrique subsaharienne est l’une des régions où le coût de conduite des affaires dans
le secteur de la microfinance est le plus élevé du monde (Earne et al., 2014). Les
charges d’exploitation y sont beaucoup plus élevées que dans d’autres régions où la
microfinance est en train de se développer. Earne et al., (2014) montrent avec
précision la différence de coût d’exploitation existant entre les IMF implantées en
Afrique subsaharienne et le reste du monde. À titre d’exemple, ils estiment que le
coût de la préparation de l’établissement d’une agence d’IMF de taille moyenne en
Europe de l’Est est en moyenne de 50’000 dollars, tandis qu’en Afrique subsaharienne
il varie de 150’000 à 200’000 dollars. En raison du manque d’infrastructures dans la
région et de l’ampleur du secteur informel, les coûts d’exploitation liés par exemple à
la communication, à l’accès à l’information et à la sécurité ainsi qu’au transport y sont
très élevés, et ils pèsent lourd sur le budget de fonctionnement des IMF. Une partie
des éléments explicatifs des coûts de production élevés dans les IMF africaines réside

40
dans leur structure financière. Les IMF financent leurs activités à partir de fonds
provenant de diverses sources, dont les plus importantes sont constituées de dettes
(lignes de crédit) et de capitaux propres. En Europe de l’est comme en Asie, l’une des
forces des IMF est de disposer de fonds propres assez conséquents leur permettant de
répondre à la demande de crédit sans nécessairement dépendre des emprunts, tandis
qu’en Afrique subsaharienne, les IMF doivent essentiellement compter sur les
emprunts et les dépôts des clients pour financer leurs activités. Les IMF africaines
financent moins de 25% de leurs actifs par fonds propres, tandis qu’en Asie et en
Europe de l’Est ce rapport est respectivement de 43% et 45% (Lafourcade et al., 2015).
Elles doivent compléter les trois quarts de leurs actifs par des emprunts auprès des
institutions financières bancaires et par les dépôts des clients pouvant revenir
respectivement à des taux annuels de 7%8 et de 5%9.

1.3.2 L’apport des innovations technologiques encore faible


Bien que le coût de refinancement pour les IMF soit encore élevé en Afrique
subsaharienne, l’utilisation des outils technologiques peut être un moyen efficace
pour contrebalancer le coût élevé de la conduite des affaires dans la région. En
analysant les difficultés que rencontrent les acteurs, telles que l’accès difficile aux
zones rurales, les pertes de créances dues à des dysfonctionnements au niveau du
remboursement des clients comme les oublis, les asymétries d’information etc., on
aperçoit les opportunités que peuvent apporter les innovations technologiques dans
le secteur, comme le téléphone mobile par exemple. Selon Etzensperger (2014), les
innovations technologiques relatives à la téléphonie mobile représentent de nos jours
le principal moyen de gagner des parts de marché sur le continent africain, et plus
précisément en Afrique subsaharienne où elles sont encore faiblement exploitées.
Elles peuvent être accompagnées par des agents bancaires qui sont des points de
vente et d’achat sous contrat avec l’IMF. L’agent bancaire peut être un grand
commerçant de la place, formé pour effectuer des transactions financières pour le

8
Les taux moyens à partir desquels les banques classiques financent les IMF en Afrique subsaharienne
peuvent aller jusqu’à 7% dans certains pays, comme le Sénégal. Dans d’autres pays ils peuvent même
sensiblement être plus élevés.
9
Face aux difficultés de recapitalisation, les IMF encouragent les clients à faire des dépôts à long terme,
en proposant des taux de rémunération qui restent attractifs (4% pour moins de six mois, et 5% voire
même 6% dans certaines IMF pour plus de douze mois).
41
compte des IMF. Ces innovations peuvent grandement participer à la volonté de
réduction des coûts d’exploitation dans le secteur, en donnant la possibilité aux clients
d’effectuer leurs opérations financières à distance. Ils n’auront plus besoin d’effectuer
des voyages long et coûteux vers les filiales mères pour effectuer leurs transactions
financières. Avec une telle pratique, les IMF peuvent augmenter considérablement la
taille de leur clientèle sans risque de voir leurs coûts augmenter dans les mêmes
proportions, car ces derniers seront pour la plupart fixes. Une enquête menée dans la
région montre que « les coûts par transaction dans un point de vente faisant office
d’agent s’élèvent à environ un tiers de ceux dans une filiale traditionnelle. La disparité
est plus grande si la filiale bancaire est sous-utilisée et si les coûts fixes sont ventilés
entre un petit nombre de transactions. Les agents, quant à eux, sont uniquement
payés à la transaction effectuée » (Etzensperger, 2014, p. 7). L’utilisation des agents
bancaires et la téléphonie mobile présentent aujourd’hui une phase essentielle pour le
secteur de la microfinance. On estime en 2014 à plus de 1,7 milliard de personnes à
faible revenu dans le monde qui n’ont pas de compte bancaire mais disposent d’un
téléphone mobile10. Une meilleure utilisation des outils technologiques dans le secteur
permet aux IMF de réduire considérablement les coûts d’exploitation, qui comme
nous le verrons constituent une part très importante des taux d’intérêt utilisés sur le
marché de la microfinance. Les innovations technologiques ont un important rôle à
jouer dans les IMF. Au-delà de leur potentielle implication dans la réduction des coûts
de production dans le secteur, elles permettent aux clients d’organiser leur vie
professionnelle de manière efficace et flexible, et augmentent davantage le potentiel
non encore exploité du marché de la microfinance.

1.3.3 L’absence de gestion fiable


La problématique liée aux manquements dans la gestion des entreprises travaillant
dans la microfinance est très souvent soulignée et désignée comme source
d’instabilité dans le secteur, plus particulièrement en Afrique subsaharienne. Pour
Attali (2015), la mauvaise gestion et les difficultés liées à la gouvernance restent des

10
Il s’agit de compte virtuel qui permet au bénéficiaire d’effectuer des transactions financières telles faire
des achats, payer des factures et retirer ou déposer de la liquidité. Par contre il n’est pas possible d’y
effectuer une demande de crédit. Le compte joue uniquement un rôle d’intermédiation financière.
42
défis importants du secteur de la microfinance en Afrique subsaharienne, caractérisé
par un capital humain relativement faible, un manque de transparence et des conflits
d’intérêts entre acteurs de la microfinance. Le contexte politique dans lequel se
trouve la région n’est sans doute pas anodin pour expliquer en partie cette situation.
Même si la plupart des pays de la région disposent d’un cadre réglementaire qui
définit l’activité et le fonctionnement des IMF, l’instabilité des régimes politiques
locaux rend difficile la pérennisation d’une gestion de qualité fiable. Dans un tel
contexte, une des priorités des IMF, notamment africaines, doit être axée sur la bonne
préparation de ses dirigeants, avec l’objectif de disposer d’une entreprise solide dans
son fonctionnement, mais aussi dans sa réglementation. Il conviendra de mettre
l’accent sur une information accessible à tous et sur la transparence durant tout le
processus contractuel, à savoir avant, pendant et après l’octroi de crédit.

1.4 Dimensions linguistiques et culturelles : des variables négligées


Le développement de l'Afrique, à travers les programmes de développement tels que
la microfinance, est souvent défini en des termes technocratiques qui accordent peu
de place aux dimensions culturelles, dont la langue en première ligne, notamment
l’apport des langues locales. Depuis les indépendances, combien de projets de
développement prometteurs à leur début comme le fut la microfinance, ont échoué et
continuent d'échouer en Afrique, faute d'établir une communication inclusive, sans
entrave et sans malentendu entre les agents de développement et les différentes
populations cibles ? Après une longue période d'économisme, la conception selon
laquelle le développement économique doit être un processus global incluant les
dimensions sociales et culturelles est de plus en plus partagée, et cela remet en cause
les fondements classiques du développement économique, où la culture comme la
langue ont été les grandes « oubliées », notamment dans les régions en
développement, en premier lieu l’Afrique.

43
1.4.1 Culture et développement économique
La conception dominante du développement en Afrique a été réduite pendant
longtemps à celle de la croissance économique. Or, beaucoup d’expériences dans le
continent africain semblent montrer que certains aspects de sous-développement
semblent liés d’une façon ou d’une autre aux dimensions culturelles et linguistiques.
Le terme « culture » utilisé dans ce travail fait référence à la définition de la culture
dans son acception la plus large, à savoir « l'ensemble des créations matérielles et non
matérielles d'un groupe humain dans ses relations avec la nature et avec d'autres
groupes, créations qui ont pour lui — ou pour la majorité de ses membres — un sens
propre, dérivé de son histoire passée ou en train de se faire » (Lê, 1984, p.15),
transmis dans une large mesure par l’éducation, sous différentes formes. Ce n’est que
récemment, précisément dans les années 1980, que la dimension culturelle, dont la
langue au premier plan, a été introduite progressivement dans l’analyse du
développement économique, et plus particulièrement dans les pays du Sud (Arcand,
1996), où la culture joue un rôle important dans la vie quotidienne des personnes. On
admet généralement aujourd'hui que le développement est — ou doit être — un
processus global incluant les dimensions économique, sociale et culturelle, certains
auteurs y ajoutant la dimension politique. Cette évolution sur l’approche du
développement économique correspond à une meilleure prise de conscience de sa
complexité et des relations qui unissent ses différents aspects.

La culture, à travers l'enseignement, est de plus en plus considérée comme un


élément ayant de grands effets sur l’activité économique. Pour mieux connaître son
fonctionnement interne et la manière dont ses structures agissent dans l'économie,
on peut s’intéresser aux rapports entre formation et emploi, entre apprendre et
travailler (Lê, 1984). Selon le contexte, plus particulièrement en Afrique où dans la
plupart des pays nous avons deux systèmes éducatifs parallèles, l’un (officiel) hérité du
système colonial, véhiculé à travers une langue officielle, et le second très souvent
dominant dans le marché informel, utilisant les langues locales comme principal
vecteur, nous avons des contradictions non seulement entre l'éducation et
l'économie, mais au sein même de l'éducation. Par exemple, si l’éducation se fait dans
une langue étrangère de grande communication, comme le français au Sénégal ou
44
l’anglais en Gambie, elle donne accès directement à la science et à la technologie,
mais en même temps, elle profite à une minorité et accentue les inégalités sociales et
culturelles. L‘industrie ne peut fonctionner efficacement sans personnel qualifié, mais
nous devons en même temps reconnaître que l'innovation technique, facteur essentiel
dans la structure moderne des économies, échoue si le milieu culturel n'y est pas
préparé.

Selon Lê (1984), de manière théorique et générale, on peut dire que la culture à


travers l’éducation peut être appréhendée comme un facteur de production dans la
mesure où elle contribue entre autre à :

- la propagation des connaissances et des attitudes favorables à la


production, telles que la rationalité scientifique, les compétences
techniques, l’esprit d'entreprise, etc. Dans ce cas de figure, on
s’attend à ce que les connaissances soient appliquées à la production
et que les attitudes se traduisent dans les comportements ;

- l'élévation des qualifications de la main-d’œuvre et par suite de la


productivité ;

- la formation des diverses catégories de cadres (administratifs,


techniques, économiques, sociaux) et de travailleurs (agricoles,
Industriels spécialisés, qualifiés) ;

- l'éducation des consommateurs pour qu'ils exercent des choix


rationnels entre les diverses offres de sorte que l'économie puisse
allouer les ressources de façon efficiente.

En outre, dans les pays africains, la faible valeur accordée à la dimension culturelle
dans les politiques de développement peut se traduire entre autre par
une inadaptation de l'enseignement à la production. Sur le terrain, cela se traduit
concrètement par un niveau de chômage élevé qui ne doit pas, bien entendu, être
attribué seulement au système d'enseignement. Le système économique mis en place,
tel que les programmes d’inclusion financière ou de lutte contre la pauvreté sont aussi

45
responsables, bien que ces derniers entretiennent des liens étroits avec le système
d’enseignement local.

Le continent africain, particulièrement les pays du Sud du Sahara, par son histoire et
par ses liens à la fois politiques, économiques et culturels avec l’occident, notamment
l’Europe, est soumis à l’influence de modèles culturels propagés par les mass media
(livres, cinéma, radio, télévision, etc.) qui sont très souvent d’origine étrangère, et par
conséquent peuvent avoir des effets économiques en-deçà des attentes. Une des
principales causes observées est liée aux habitudes de production et de
consommation inadaptées aux réalités locales, notamment par la non prise en compte
de la dimension culturelle, dont les langues locales. Ce problème d’inadéquation met
un accent particulier sur la dépendance communicationnelle entre pauvreté et
politiques de développement.

1.4.2 La langue comme facteur négligé dans le développement économique


Concrètement, la question et le rôle de la langue dans la gestion des entreprises est
encore récente dans le management des affaires. Holden (1987), puis Marschan et al.
(1997) font le constat de l’absence de la langue et de son utilité dans l’analyse de la
gestion des entreprises, malgré son rôle essentiel en contexte multilingue, notamment
en Afrique. Quelques années plus tard, Feely et Harzing (2002) décrivent la langue
comme le négligé ou l’orphelin dans le domaine du management des entreprises.
Quant à la littérature en économie des langues, bien que très peu d’études soient
consacrées aux relations entre main-d’œuvre plurilingue et processus de production
dans une approche macroéconomique, la question est encore moins souvent traitée
quand il s’agit de questions plus générales comme celui du rapport entre
l’environnement linguistique et activité de l’entreprise (Grin et Sfreddo, 2010). Pour
Saulière (2014), ces constants traduisent l’existence de barrières linguistiques dans
certaines entreprises travaillant dans un contexte particulier, et donc une nécessité
accrue d’intégrer la question linguistique dans le management des entreprises, et plus
particulièrement en contexte multilingue. Feely et Harzing (2002) estiment qu’assez
souvent, les barrières linguistiques évoquées font référence au problème managérial
rencontré par les entreprises internationales dans la mesure où ces dernières doivent
faire face à des obstacles linguistiques entre elles et leurs filiales, mais dans la même
46
mesure, elles s’appliquent aussi au sein d’une même entreprise unilingue installée
dans un milieu où la diversité linguistique est réelle. Cette diversité se manifeste par
l’éventail des langues qu’il est possible d’entendre et de parler dans la vie sociale,
culturelle et professionnelle des différents acteurs (Grin et Hennis-Pierre, 1997). En
Afrique subsaharienne, où la tradition orale a encore un certain poids dans les
rapports intercommunautaires et extracommunautaires11, la pauvreté s’accompagne
généralement d’une dépendance culturelle et communicationnelle, accentuée dans ce
cas par la fragmentation des groupes ethniques et linguistiques. Le peu d’importance
accordé aux dimensions linguistiques dans les anciennes colonies africaines,
notamment celles des langues locales, est symptomatique, et est source d’obstacles
dans l’élaboration de projets de développement depuis les indépendances.

Les langues locales, à travers la place qu’elles occupent dans les sociétés africaines en
tant qu’attribut ethnique et outil de communication sous toutes ses formes,
constituent pour l'Afrique de potentielles ressources qui ne peuvent—ou ne doivent
aucunement être négligées pour toute politique de développement qui se veut
inclusive. Or très souvent, ce qui est constaté depuis les indépendances est que la
plupart des politiques de développement appliquées dans le continent africain sont
parties de projets définis en des termes technocratiques et qui accordent peu
d’importance, ou pratiquement pas, aux langues locales (Djité, 1991).

L’un des défis majeurs qui se posent à l'Afrique d'aujourd'hui est la prise de
conscience du rôle fondamental que les langues nationales peuvent jouer dans un
processus de développement global et inclusif. Ce qui introduit la nécessité d’un
meilleur équipement des langues locales, notamment dans le domaine de
l’enseignement ; une politique qui faire encore défaut dans la plupart des pays
africains (Zouogbo, 2019). Il s’avère de plus en plus que la langue est un élément
important d'organisation sociale qui peut contribuer à l'amélioration des conditions de
vie. Selon Faty (2014), l’intégration des langues locales dans le processus de
développement peut être accompli en Afrique si l’on met l'accent sur la situation
macro-sociolinguistique des espaces et des réseaux de communication, ce qui de fait,

11
Les pratiques et comportements des agents peuvent être modifiés selon leur appartenance ou pas du
même groupe linguistique. Nous y reviendrons sur les nos analyses empiriques.
47
rendrait la planification linguistique et les politiques linguistiques non seulement
possible, mais réaliste et adaptée aux objectifs cibles.

Ce constat met l'accent sur un autre paradoxe, celui de l'arriération linguistique.


L'argument selon lequel le développement en Afrique ne peut se faire qu'au moyen
d'une langue internationale a essentiellement eu pour résultat, après plus soixante ans
d’indépendance, la cristallisation d’un espace politique et économique individualiste,
pratiquement réservé à une minorité généralement bien formée et instruite. Toujours
selon Faty (2014), à tous les niveaux, politiques et économiques, pratiquement
personne ne considère une alternative africaine aux causes profondes du problème de
l’articulation entre langue et développement dans le continent. Et pourtant, il n’est
plus à démontrer que les réseaux de communication qui dominent sur le continent
sont des facteurs pertinents pour l'intégration sociale, le développement économique
et la stabilité politique. Bien qu'elles ne soient pas souvent reconnues comme telles au
niveau officiel, les langues locales sont en Afrique, les meilleurs véhicules de la culture,
de la science et de la technologie moderne. Elles assument aujourd'hui, mieux que
toute autre langue, la fonction de participation non seulement au sens de la
communication inter-ethnique, mais aussi au sens de la collectivité.

Bien évidemment, la prise en compte et la gestion prudente et subtile de la diversité


linguistique sur le continent, notamment celle des langues locales, ne veut pas dire
non plus l'abandon ou le refus des langues internationales. Il s'agit, dans le cadre
d'une réforme linguistique, d'institutionnaliser et de maintenir un multilinguisme
hiérarchisé et fonctionnel, dans lequel des rôles clairs et importants sont assignés aux
langues locales, dans une approche à la fois pragmatique et sociolinguistiquement
cohérente. Dans son étude consacrée aux rapports multiformes entre langues et
développement en Afrique, Tourneux (2008) estime que depuis le rapport de la
Banque Mondiale sur le développement (2004), la réussite ou l’échec des projets de
développement en Afrique se voient explicitement corrélés au degré d’implication des
populations à faible revenu concernées dans le processus de prise de décision relatif à
leur mise en œuvre. L’expérience du terrain, notamment des ONG et des bailleurs
internationaux, est sans doute une des meilleures manières d’illustrer le rôle et la

48
place de la langue en terre africaine. On observe que la maîtrise des ressources
communicationnelles à travers la culture et la langue constitue une condition
essentielle pour l’introduction et la durabilité de tout projet pour le développement
local. De ce point de vue, on se demande comment il peut se faire que la dimension
linguistique soit ignorée et son rôle négligé dans la plupart des régions concernées.
Pour Bearth et Diomandé (2002), l’importance de la langue en Afrique en tant
qu’élément culturel et fédérateur a longtemps été méconnue par les spécialistes du
développement, et cela peut être mis en évidence dans de nombreux projets entamés
à partir de l’étranger et qui se sont quasiment chaque fois soldés par un échec. On
peut citer les Plans d’ajustement structurel, mais aussi des projets d’alphabétisation
entamés dans les années 1990 en Afrique subsaharienne, financés par la Banque
Mondiale. Il s’avère incontestablement que dans toutes les initiatives pour le
développement dans les pays d’Afrique, plus particulièrement ceux d’Afrique
subsaharienne où la diversité linguistique est plus conséquente, il est primordial, voire
capital, de se questionner sur la culture locale et de se demander en quelles langues
les bénéficiaires pourront faire entendre leur voix et s’impliquer sans intermédiaire.

1.5 Le terrain comme point de départ


Les relations qu’entretiennent les agents de crédit avec les clients leur donnent une
position privilégiée pour observer ce qui marche et ce qui ne marche pas dans la
collaboration entre l’IMF et ses clients. Ce travail est parti d’une expérience
personnelle connue sur le terrain de la microfinance. Comme nous le verrons plus tard
dans la partie empirique, en tant qu’agent de crédit, mon rôle était d’analyser les
demandes de financement des clients dans la zone qui m’a été affétée, ensuite
proposer des montants de financement avec les modalités de remboursement (durée
et montant de remboursement mensuel). Le travail de l’agent de crédit ne se limite
pas à cette phase de financement. Il y a la phase de prospection qui consiste à aller
rencontrer de potentiels clients, dans le but de les inciter à devenir client, et la phase
de suivi qui consiste à accompagner le client dans l’évolution dans son activité. Il
arrivait par exemple qu’un client m’appelle pour me demander mon avis sur une
question stratégique liée à son activité, et parfois sur d’autres questions pas
directement liées à première vue à son activité, par exemple les questions d’ordres
49
familiaux. La relation de confiance établie entre le client et l’agent de crédit instaure
une relation de proximité permettant à ce dernier d’être assez outillé pour mieux
connaître les besoins des clients, mais aussi les contraintes qu’ils rencontrent dans
leurs activités et dans leur relation contractuelle avec l’IMF. Une première impression,
qui pour moi était une évidence, était que les clients à faible revenu ont besoin de
financement et que les modalités de remboursement importent peu quelque soient
les secteurs d’activité. Cette impression, bien qu'assez partagée à tort, a sans doute
été renforcée par le contenu des séances de formations précédant mon entrée en
fonction comme agent de crédit. Ce qui est étonnant dans la formation des agents de
crédit, même si je m’en suis rendu compte bien après, c’est de voir à quel point les
formateurs font fi de l’environnement des clients et de la diversité de leurs besoins
suivant leurs secteurs d’activité. Par exemple, durant la période des trois mois de
formation que j’ai effectuée avec une vingtaine d’agents, le seul financement standard
sur lequel nous avons travaillé est celui du financement d’activités commerciales. Or
sur le terrain, nous voyions bien que les contraintes financières des commerçants et
celles des agriculteurs sont différentes. Lors de mes premiers entretiens avec mes
clients agriculteurs en tant qu’agent de crédit, une des questions qui revenaient assez
souvent dans nos discussions était de savoir si la période de remboursement mensuel
pouvait être modifiée en fonction de leurs activités, bien que ce type de
remboursement n’ait été prévu dans l’IMF. Même au sein des commerçants, il s’est
avéré que les modalités de financements peuvent être différentes si l’on veut
s’adapter aux contraintes qu’ils rencontrent dans leurs activités. Dans le cas du
Sénégal, on voit par exemple des commerçants qui se sont spécialisés dans le
commerce événementiel, plus particulièrement pour les événements culturels et
religieux, comme la Tabaski, qui correspond à la fête musulmane l’Aïd, la Korité, qui
marque la fin du ramadan, le Magal et le Gamou qui sont des pèlerinages annuels,
célébrés respectivement dans les villes de Touba et de Tivaone. Beaucoup de clients
souhaitaient prendre du crédit à l’approche de ces événements tout en ayant une
période de grâce qui qui leur permet de rembourser les montants empruntés et les
intérêts en une seule fois, généralement dans le mois qui suit l’événement. Mais vu
que les taux de remboursement dans le secteur de la microfinance restent encore très

50
élevés pour plusieurs raisons que nous évoquerons plus tard, les décideurs dans les
IMF se soucient moins de certaines exigences des clients, surtout lorsque ces derniers
sont issus de secteurs d’activité qui représentent moins de 10% des clients et moins
de 12% du portefeuille global. Entre agents de crédits, nous discutions de ces
constants assez paradoxaux sur le terrain, mais vu que nous n’avions aucune peine à
atteindre nos objectifs de financement mensuels, ces échanges étaient plus pour des
soucis de curiosité que de réelles interrogations sur l’organisation et la façon de
travailler des IMF avec leur clientèle à faible revenu.

Il en est de même pour la question linguistique. Dans mon rôle d’agent de crédit, j’ai
été étonné de voir l’absence de la langue wolof dans tout le processus de formation
alors qu’en milieu urbain (zone où j’ai effectué ma formation) la quasi-totalité de la
communication avec les clients se fait en wolof. Les agents de crédit doivent faire eux-
mêmes leur propre interprétation du français vers le wolof. Ce qui naturellement pose
problème parce qu’au-delà du problème d’horizontalité des discours entre agents de
crédit il se pose aussi un véritable problème dans l’interprétation des termes
techniques comme l’épargne dans ces différentes formes, le taux d’intérêt ou même
le contenu du contrat de crédit. D’autres témoignages d’agents de crédit faisaient
aussi office de leur difficulté à communiquer avec des personnes issues de minorités
linguistiques et n’ayant pas la capacité de communiquer en français ou en wolof.
Comme ces cas étaient conçus comme étant des cas « isolés », donc n’étant pas
prévus dans le fonctionnement de l’IMF, les agents de crédit essayaient de développer
leurs propres stratégies, en utilisant un collègue, un ami ou une connaissance qui
puisse jouer ce rôle d’interprète. Cela donne toute une marge de manœuvre aux
agents de crédit, parfois utilisée à tort, dans leurs interactions avec leurs clients. Les
multiples stratégies que les agents de crédit essaient de mettre en place pour
s’adapter tant bien que mal aux situations individuelles des clients témoignent de
l’ampleur du déphasage existant entre les besoins des clients à faible revenu et les
services et produits des IMF, plus particulièrement les modalités.

51
Ce travail s’inscrit dans cette dynamique et a été grandement motivé par ce
dysfonctionnement constaté sur le terrain et qui semble peu intéresser les IMF, du
moins pour le moment.

Parant de l’expérience du terrain en tant qu’agent de crédit et de l’état des


connaissances dans le secteur de la microfinance, nous essayons, à travers ce travail, de
répondre principalement à deux questions :

1. À quel point les pratiques actuelles des IMF, à travers leurs produits et services,
mais aussi leur fonctionnement sur le terrain, sont-elles adaptées aux situations
individuelles et communautaires des personnes à faible revenu ?

2. Dans quelle mesure la microfinance peut-elle jouer un rôle majeur dans les
objectifs du développement durable ?

Réponde à ces questions permet non seulement d’avoir un diagnostic plus précis sur
la portée de la microfinance par rapport à sa mission originelle essentiellement
consacrée aux personnes à faible revenu, mais aussi de voir comment la microfinance,
dans une meilleure approche, peut intégrer les nouvelles politiques de
développement.

52
2 Chapitre II : État des connaissances
Au fil des siècles, le rôle de la finance a beaucoup évolué dans l’économie, au point
d’être aujourd’hui incontournable pour tout projet de développement, que l’on soit
dans le cas du marché formel classique ou dans celui du marché informel. Sans système
bancaire ni système de paiement fonctionnel, il serait impossible de gérer l’ensemble
complexe des relations économiques nécessaires à une économie décentralisée
caractérisée par un niveau élevé de division et de spécialisation du travail. L’évolution
de la microfinance est parallèle à celle de la finance classique. Elle part d’un système
simplifié où le microcrédit constitue l’élément de base et aboutit à un système
beaucoup plus complexe qui doit assumer des rôles différents en fonction de contextes
généralement différents, avec des opportunités et des contraintes différentes.

2.1 Développement financier et lutte contre la pauvreté


Selon Panizza (2012), à l’ère de l’économie moderne, la finance est devenue le système
nerveux de l’économie mondiale et a la capacité de promouvoir le développement
économique de quatre manières différentes.

1. Un premier apport de la finance est sa capacité à mobiliser l’épargne pour la


mettre à la disposition du marché, et en assurer l’allocation auprès d’une
diversité de besoins et d’offres. Elle met l’accent plus sur la mobilisation, plutôt
que sur l’obligation de construire une épargne pour se financer. Bien qu’une
bonne partie de la littérature néo-classique sur la croissance économique se
focalise sur la primauté de l’épargne, Bagehot a souligné depuis 1874 que la
principale contrainte liée à la capacité d’un pays à financer des projets
importants n’était pas le taux d’épargne en lui-même, mais la capacité du
système financier à mobiliser et à attribuer les ressources disponibles. Que l’on
soit dans un pays développé ou en développement, peu d’investisseurs
possèdent les ressources nécessaires pour financer leurs projets, et même ceux
qui possèdent ce capital peuvent être réticents à l’idée d’investir une part
considérable de leur richesse dans un unique projet, jugé risqué. En l’absence
d’un mécanisme permettant de diversifier les risques dans différents projets, les
investisseurs individuels préfèrent consacrer leur argent à des projets à faible

53
risque et à faible rendement. La capacité du système financier à mobiliser et
attribuer les ressources financières de la collectivité permet non seulement aux
gros et petits entrepreneurs de se financer à des coûts soutenables, mais aussi
de limiter les risques du crédit, en les diversifiant sur plusieurs projets.

2. Un deuxième apport réside dans la facilitation des échanges de biens et de


services par la réduction des coûts de transaction. Dans ce deuxième point, les
institutions financières jouent un rôle d’intermédiation, permettant aux agents
économiques de différer ou d’anticiper leurs paiements dans certaines
situations.

3. Un troisième apport de la finance dans l’économie moderne est l’amélioration


de la répartition du capital investi grâce à la production d’information ex ante
sur les opportunités d’investissement. Le crédit est une activité qui nécessite
beaucoup d’informations, plus particulièrement sur les clients demandeurs de
financement. Pour chaque nouveau projet, les institutions financières doivent
collecter des informations sur la viabilité du projet et sur la solvabilité du
demandeur du crédit. Cela implique des coûts fixes importants, surtout dans un
environnement où l’asymétrie d’information entre clients et institutions
financières est réelle (Lefileur, 2009). Dans ce contexte, l’existence d’un marché
financier formel et transparent peut non seulement faciliter le choix des
institutions dans leur prise de décision, mais le partage d’informations entre
institutions peut aussi faire baisser davantage les coûts liés à la collecte
d’informations.

4. Un quatrième et dernier apport est l’augmentation de la propension des


investisseurs à financer de nouveaux projets par le biais de contrôle ex post et
d’une gouvernance d’entreprise. Les individus qui fournissent le capital
d’investissement (bailleurs ou actionnaires) ont généralement un droit de regard
sur le fonctionnement des institutions bénéficiaires, notamment sur sa
gouvernance. Ce contrôle exercé par les actionnaires ou par les bailleurs sur les
projets financés est parfois nécessaire pour limiter les dérives et les risques trop
élevés souvent pris par les chefs d’entreprise. L’implication externe dans la

54
gestion et dans la gouvernance des entreprises est un facteur positif pour la
transparence et même pour l’efficacité de ces dernières (Labie, 2007, 2009),
contrairement à ce que l’on croit généralement. Selon Panizza (2012), un
système fournissant aux chefs d’entreprise les motivations adéquates,
notamment liées à sa qualité de gouvernance, est plus susceptible d’optimiser la
politique de l’entreprise et, par conséquent, de mobiliser le capital en vue d’un
investissement productif générateur de croissance. Il faut cependant noter que
les actionnaires ne sont pas toujours dans cette logique de bonne gouvernance,
compte tenu de leurs avantages qui peuvent être autrement liés. Et même
lorsqu’ils sont animés de bonne volonté, ils peuvent ne pas avoir les
compétences nécessaires pour exercer ce contrôle sur les dirigeants
d’entreprises.

En outre, beaucoup de travaux se sont intéressés à la relation entre développement


financier et développement économique. Bien que Bagehot (1874) et Schumpeter
(1935) fassent partie des premiers économistes qui ont insisté sur l’importance de la
finance pour le développement économique, il a fallu, pour aller plus loin, attendre
Goldsmith (1969) qui fut le premier à démontrer une corrélation positive entre la taille
du secteur financier d’une région considérée et sa croissance économique sur le long
terme. Les travaux de Goldsmith, basés sur des données macroéconomiques de 35 pays
récoltées sur la période 1860-1963, ont établi le lien entre la valeur des actifs financiers
et la croissance du produit intérieur brut. Le lien entre les deux indicateurs a été
confirmé au début des années 1990 avec les travaux de King et Levine (1993), montrant
que la taille du secteur financier était un indicateur assez précis de la croissance d’une
économie. L’étude réalisée sur des données provenant de 77 pays pour la période
1960-1989 a montré qu’en 1960, la taille du secteur financier d’une économie donnait
une idée parfois précise sur la croissance économique, sur l’investissement, sur la
productivité au cours des trente années qui ont suivi même en tenant compte du
revenu initial, sur le niveau de scolarisation, sur la consommation publique et sur
l’ouverture commerciale. Dans d’autres études réalisées par Levine, Loayza et Beck
(2000) sur un échantillon de 71 pays, les auteurs ont constaté un effet important du
développement financier sur la croissance économique à long terme. Ils ont par la suite
55
conclu que leurs résultats étaient conformes à l’idée selon laquelle le développement
financier a un effet causal sur la croissance économique.

Cependant, des cas observés ailleurs par d’autres auteurs (Arcand et al., 2015) ont
montré que la taille du marché financier et la croissance économique peuvent évoluer
en sens inverse. D’une part, ils estiment qu’il existe un seuil au-delà duquel l’évolution
entre les deux indicateurs est inverse. Cette situation est généralement rencontrée
dans les pays qui disposent d’un système financier ayant déjà atteint un certain niveau
de développement. À partir des données provenant de travaux d’Arcand et de Berkes
(2011), Panizza démontre que l’impact du développement financier sur la croissance du
produit intérieur brut d’un pays est réel, et devient négatif lorsque le crédit au secteur
privé atteint 110 % du PIB. D’autre part, l’expansion exagérée du système financier peut
avoir des impacts négatifs sur la croissance du PIB. Dans l’étude réalisée par De
Gregorio et Guidotti (1995) concernant 12 pays d’Amérique latine, ces auteurs ont
constaté une corrélation négative entre le développement financier et la croissance du
PIB. Pour ces derniers, ce résultat s’explique par une expansion non maîtrisée du
système financier et une absence de réglementation adéquate dans le secteur.

2.2 Microfinance comme outil d’intégration financière dans les pays en


développement
Contrairement à ce que nous observons dans les pays développés, la part du système
financier dans les économies des pays en développement est encore relativement
faible. En Afrique subsaharienne, le niveau du crédit bancaire à l’économie rapporté au
PIB est en moyenne inférieur à 40%. En 2015, ce ratio est de 38% au Sénégal, 31% en
Côte d’Ivoire, 23% au Nigeria, 35% au Ghana, 20% au Bénin et 42% au Togo (Mbaye,
2017). Comme ces chiffres l’attestent, la majorité des pays africains se situe en dessous
du niveau à partir duquel le développement financier commence à exercer un effet
négatif sur la croissance de l’économie. Cela montre que les pays africains disposent
d’une large marge de manœuvre pour développer davantage leur système financier, en
qualité et en quantité, pour ainsi impacter positivement la croissance de leurs
économies. L’étroitesse du système financier dans la région est liée aux problèmes
d’intégration financière locale, où moins de 20% de la population accède au marché
financier. Le secteur financier de la région est souvent associé au faible accès au crédit,
56
au niveau élevé des taux d’intérêt débiteurs, aux coûts de transactions financières
élevés, à la prédominance des crédits à court terme, même lorsque ceux-ci sont
destinés à financer un investissement. Selon Mbaye (2017), les statistiques de la BCEAO
et d’autres études sur le contexte actuel du marché financier en Afrique confirment les
difficultés du secteur à répondre au besoin de crédit nécessaire pour financer
l’économie locale. Par conséquent, l’Afrique subsaharienne comme les autres régions
en développement ont besoin de construire et de développer davantage leurs systèmes
financiers, afin d’être mieux outillés pour apporter une meilleure réponse à l’intégration
financière. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que le développement du secteur
financier nécessite un cadre réglementaire adéquat, dans lequel les différents acteurs
ont confiance dans le système et se sentent en sécurité. Des expériences à travers
quelques pays en développement12 ont montré que lorsque le cadre réglementaire
n’est pas adapté au système financier local, une volonté d’augmenter rapidement la
taille du secteur financier peut mener à des crises dévastatrices et avoir un effet négatif
sur la croissance de l’économie.

Les instances internationales tournées vers le développement sont de plus en plus


conscientes du levier principal que constitue l’intégration financière, qui est
généralement définie comme la proportion de particuliers et d’entreprises qui ont
recours à des services financiers. Considéré comme étant l’un des grands absents du
programme des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), le
développement de services financiers accessibles aux personnes à faible revenu est
devenu une priorité dans les Objectifs de Développement Durable (ODD) élaborés par
l’Organisation des Nations Unies. Selon la Conférence des Nations Unies pour le
Commerce et le Développement (CNUCED, 2015), l’expérience encore récente des
OMD montre que l’inclusion financière, ou plus généralement l’intégration financière,
doit constituer une préoccupation importante, car elle peut contribuer à la réduction de
la pauvreté, au développement économique et social, mais aussi à la stabilité financière.
Plusieurs facteurs matériels, réglementaires, environnementaux ou culturels peuvent
expliquer le manque d’accès aux services financiers. Faciliter l’accès aux services
financiers dans les pays en développement apparaît comme une nécessité pour une

12
Afrique de l’ouest dans la période pré-ajustement structurel, Nicaragua
57
meilleure intégration financière mais aussi sociale. Cette question a été reprise comme
cible essentielle dans les ODD. Dans son objectif 10.2, l’ONU se fixe comme objectif
« d’autonomiser toutes les personnes et favoriser leur intégration sociale, économique
et politique, indépendamment de leur âge, de leur sexe, de leur handicap, de leur race,
de leur appartenance ethnique, de leurs origines, de leur religion ou de leur statut
économique ou autre ». Les services financiers, formels comme informels, peuvent
incontestablement jouer un rôle central dans le fonctionnement des marchés en
favorisant le développement socio-économique. Ils participent au fonctionnement de
l’économie à plus d’un titre. En tant que services d’infrastructure, ils pénètrent toutes
les activités économiques, étant à la fois très utiles aux secteurs primaire, secondaire et
tertiaire et aux particuliers. Sous la forme de divers services de banque, de courtage et
d’assurance, « les services financiers facilitent les transactions nationales et
internationales, mobilisent et orientent l’épargne intérieure et élargissent l’accès des
petites et moyennes entreprises (PME) et des ménages au crédit. Ils facilitent aussi le
commerce, non seulement en instaurant un environnement plus favorable aux
entreprises, mais aussi en proposant des produits tels que des lettres de crédit et des
assurances » (CNUCED, 2017, p.3).

Selon Mbaye (2017), le besoin d’accéder aux services financiers dans les pays en
développement, pour différents motifs, est observable à travers la forte croissance des
envois de fonds, lesquels constituent une source non négligeable de financement
depuis l’extérieur. Dans certaines régions, ces envois ont dépassé l’aide au
développement. En 2015, les envois de fonds par les travailleurs migrants vers les pays
en développement ont atteint 449 milliards de dollars, soit plus de 78% des envois de
fonds effectués par les travailleurs à travers le monde pour cette période. Selon
toujours Mbaye (2017), pour les pays qui sont fortement tributaires de ces fonds,
l’intégration financière peut contribuer à une meilleure allocation de ces ressources, en
permettant d’optimiser la contribution de ces fonds au développement par une
meilleure formalisation des transferts et la réduction des coûts qui y sont associés, pour
enfin mieux les orienter vers des activités productives par le canal du système financier
local. L’ampleur et la croissance des envois de fonds vers les pays du Sud témoignent du
contexte financier qui prévaut dans ces régions, caractérisées par un déficit permanent
58
de financements, plus particulièrement pour les petites et moyennes entreprises, les
travailleurs du secteur informel, et les ménages à faible revenu. L’exclusion financière
constitue un gros obstacle à des possibilités de revenus et au bien-être économique et
social des populations des pays en développement. Selon Morduch (2002), dans ce
contexte si particulier de déni d’accès de services financiers, les plus touchés sont les
personnes à faible revenu, les femmes, les jeunes entrepreneurs, mais aussi les
microentreprises qui n’ont pas encore atteint un certain niveau de développement leur
permettant d’assurer leur financement auprès des banques classiques.

Lelart (2006) estime que l’expérience de la microfinance dans les régions en


développement montre que les populations à faible revenu tirent profit des services de
base (l’épargne, le paiement automatisé, le crédit, l’assurance, le transfert de fonds,
etc.) lorsqu’elles y ont accès. Le degré d’intégration financière est encore très faible
dans les pays en développement, et varie d’une région à l’autre. En 2016, on estime que
plus de 50% de la population mondiale adulte n’a pas de compte bancaire, alors qu’en
Afrique subsaharienne ce taux varie entre 75% et 80% suivant les blocs régionaux. Bien
que l’intégration financière ne puisse se mesurer uniquement au fait d’avoir un compte
bancaire, la plupart des activités formelles et génératrices de revenus sont associées à
la détention d’au moins un compte bancaire. Le manque de financement est un des
principaux problèmes rencontrés par les microentreprises et les entrepreneurs
travaillant dans le secteur informel, bien que l’accès au financement, à un coût
raisonnable, aille de pair avec la création de richesse, l’innovation, donc la croissance
des activités productives. Dans la situation d’aujourd’hui, plus de 80% des petites et
microentreprises des pays du Sud sont dans le secteur informel et moins de 35%
d’entre elles parviennent à se financer auprès d’une institution financière formelle
(CNUCED, 2017).

59
2.3 Pour une redynamisation du secteur agricole africain : l’exemple du Crédit
Agricole en France
De multiples expériences dans le monde ont montré que les capacités de production du
secteur agricole dépendent en grande partie des capitaux investis dans le secteur
(Fontan, 2006). Une idée très voisine a été exprimée dans un document de
l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) publiée en
2012, intitulé « L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde », indiquant une forte
corrélation entre le stock de capital par actif agricole et le revenu des agriculteurs.
L’effet croissant de la financiarisation n’est pas seulement urbain, il est aussi très
présent dans le monde rural, notamment chez les agriculteurs. Une étude réalisée par
Keita (2012) au Centre d’Etudes de la Coopération Internationale et du Développement,
montre que dans les zones agricoles du Niger et du Mali, il existe des différences
significatives dans les rendements agricoles en fonction du niveau d’équipement des
exploitations agricoles. L’étude montre qu’entre les agriculteurs utilisant un outillage
manuel rudimentaire et ceux équipés de motoculteurs, l’écart de rendement va du
simple au double. Dans ce contexte, où l’utilisation des outils agricoles rudimentaires
s’explique par le défaut de capital, le recours au crédit peut être une opportunité pour
les agriculteurs. Il leur permet d’investir dans le matériel nécessaire pour moderniser
leurs pratiques et techniques de production, et aussi dans les semences et autres
produits phytosanitaires de qualité et à rendements importants. Dans certaines régions,
l’accès aux terrains n’est pas gratuit pour les agriculteurs non propriétaires de terres
cultivables. Cette situation est fréquente dans la vallée du fleuve Sénégal, où les
agriculteurs doivent louer des parcelles de terrain irrigables pour pouvoir les exploiter.
C’est aussi le cas pour les migrants venus chercher du travail dans la zone des
« Niayes»13, qui offre beaucoup d’opportunités en eau irrigable à cause de la présence
de nappes phréatiques non profondes et facilement accessibles. Pour ces personnes,
dont l’agriculture constitue la principale activité à la fois vivrière et génératrice de
revenus, la possibilité d’accéder à des financements adaptés et à un coût raisonnable

13
Le nom « Niaye » provient de la langue wolof, qui signifie le long du littoral qui va de la Casamance à
Saint-Louis et est utilisé pour l’agriculture maraîchère.
60
leur permet non seulement d’avoir accès aux biens fonciers (dont la terre), mais aussi
favorise la restructuration de leurs outils de production.

Des expériences relativement récentes dans le domaine agricole, comme celles du


Crédit Agricole, sont illustratives. Ce dernier a été un catalyseur essentiel de la mise en
œuvre de la politique de développement de l’agriculture française (Fouquet, 2014). La
nouvelle politique agricole française a été réformée progressivement à partir de la fin
du 19e siècle, à partir d’une restructuration des exploitations agricoles, dans le but de
moderniser les techniques de production. Selon Fouquet (2014), cette restructuration
n’aurait pas été possible sans des financements massifs accordés par le Crédit Agricole.
Le financement concernait exclusivement l’accès aux biens fonciers, l’acquisition et le
renouvellement du matériel agricole. Grâce à cette restructuration, dont le pilier
fondamental reposait sur un système de financement assuré par le Crédit Agricole, la
France a vu ses rendements agricoles augmenter considérablement, au détriment du
nombre d’exploitations agricoles. Entre 1892 et 2010, le nombre d’exploitations
agricoles en France métropolitaine a été divisé par douze, passant de six millions à
moins de 500’000. En 1970, moins de 2% des exploitations agricoles étaient comprises
entre 50 et 100 hectares, en 2010 elles sont plus de 20%. Concernant les rendements
agricoles pour les denrées de première nécessité, plus particulièrement les céréales, la
productivité par hectare oscillait entre 12 et 18 quintaux ; en 2010, elle a atteint le
niveau record de 97 quintaux (Fouquet, 2014). L’apport du Crédit Agricole a été de
répondre au besoin pressant de capitaux dans un univers jugé trop risqué et à
rendement faible par la plupart des institutions financières classiques. Il convient aussi
de souligner une réelle volonté politique des autorités françaises sans lesquelles
l’apport de capitaux dans le secteur serait encore marginal. Pour toute activité qui
requiert un financement, les banquiers sont amenés à prendre en compte tous les
risques liés à l’activité, tels que le secteur d’activité, les aléas concernant la production,
la commercialisation, la gestion de la trésorerie etc. Lorsqu’il s’agit d’activité agricole,
les banques sont confrontées à des risques supplémentaires, beaucoup plus difficiles à
maîtriser dans la plupart des cas. Il s’agit notamment des aléas climatiques, de
l’incertitude sur les rendements, ou de la volatilité des prix qui, de fait, augmentent le
risque de non-remboursement dans le secteur.
61
Fouquet (2014) estime qu’à l’instar d’autres institutions financières comme le
Mouvement Desjardins et la Rabobank, le Crédit Agricole a donné une impulsion au
secteur agricole français en commençant par maîtriser le niveau élevé des risques
divers, qui constitue l’obstacle principal pour une meilleure intégration financière. Par
sa structuration et son parcours, il s’est doté d’une réelle capacité à intégrer le secteur
tout en ayant une très bonne maîtrise des risques encourus. Quatre formes
d’organisation ont principalement permis au Crédit Agricole d’avoir une meilleure
maîtrise des risqués encourus dans le financement des activités agricoles :

1. La décentralisation : la décentralisation des décisions aux caisses locales


présentes sur le terrain permet aux dirigeants locaux d’être plus proches
des agriculteurs pour mieux comprendre leurs besoins et leurs
contraintes, et ainsi leur apporter des produits et services utiles et
adéquats. Cette décentralisation, qui est un principe fondamental au
Crédit Agricole offre, aux dirigeants un cadre approprié pour développer
des politiques spécifiques pour leurs caisses afin de tisser une relation de
confiance avec leurs clients.

2. Le caractère mutualiste de l’organisation : il induit une responsabilité


mutuelle entre les membres eux-mêmes, mais aussi entre ces derniers et
l’institution. Le Crédit Agricole est composé de caisses régionales et
locales qui appartiennent aux membres ou sociétaires, composés en
majorité d’agriculteurs. Les administrateurs sont élus par les
représentants des caisses régionales et locales, parmi lesquels figurent
beaucoup d’agriculteurs. Cette structuration mutualiste, qui part de la
base vers le sommet, permet de développer et de garder le sens de la
responsabilité envers la mission originelle de l’institution.

3. Des comités de prêt : dans les comités de prêts mis en place par
l’institution, on retrouve des agriculteurs membres qui sont élus par leurs
pairs. La présence d’agriculteurs dans les comités permet aux agents
bancaires de disposer d’informations supplémentaires sur les
demandeurs de financements. C’est aussi une manière de contourner le

62
manque d’informations des banques sur les clients issus du secteur
informel.

4. Un accompagnement personnalisé : le développement de compétences


techniques personnalisées et adaptées, comme les services de paiements
à distance accessibles aux agriculteurs quel que soit leur niveau
d’instruction, a été un atout majeur de l’institution. Les services du Crédit
Agricole ne se limitent pas aux activités financières dans le secteur
agricole. Le Crédit Agricole accompagne aussi les agriculteurs dans le
développement de produits agricoles plus efficaces (intrants, pesticides),
opérant également comme conseiller dans toute la chaîne de production.

À partir de cette expérience, qui montre l’apport fondamental d’une institution


financière entièrement conçue pour le secteur agricole en France et ailleurs comme au
Canada avec le Mouvement Desjardins, la question qui se pose est de savoir si un tel
système en réussite dans des pays du Nord pourrait être transposé dans les pays en
développement, en Afrique subsaharienne par exemple.

Le contexte historique qui a prévalu dans la société française en début du 20e siècle a
sans doute favorisé l’implantation et le développement du Crédit Agricole. On peut citer
deux éléments contextuels non négligeables.

1. Cette période a d’une part été marquée par une expansion du secteur industriel,
qui s’est matérialisée par l’augmentation de l’emploi industriel et commercial.
Le développement du secteur industriel a été un des éléments qui ont eu un
impact positif dans le secteur agricole, par la modernisation des outils de
production et de transformation des produits agricoles. L’industrialisation
moderne a donné au secteur une meilleure capacité d’absorption des produits
agricoles, qui logiquement s’est traduite par une hausse potentielle de la
demande dans le secteur.

2. D’autre part, on peut aussi estimer que l’évolution rapide du niveau de


scolarisation dans le monde rural français au début du 20e siècle a été un facteur
important dans les politiques de développement entreprises à l’époque dans le
monde rural, comme l’intégration financière. Le niveau de scolarisation en
63
milieu rural est devenu en quelques années relativement important, ce qui
permet de réduire l’écart pouvant exister entre d’une part les institutions
financières formelles utilisant des pratiques et procédures écrites et précises, et
d’autre part des agents économiques, grands artisans du secteur informel.

Au Sénégal, comme aussi dans beaucoup de pays de la région d’Afrique subsaharienne,


il existe un secteur industriel encore relativement faible, malgré plusieurs opportunités
présentes (population très jeune, faible coût de main-d’œuvre, abondance de matière
première, etc.). Cela se traduit par un niveau de chômage élevé et une bonne partie de
la demande de biens de consommation industrielle est orientée vers l’étranger. Quant
au niveau de scolarisation, par comparaison avec celui des pays développés, il reste
globalement faible, et la situation est encore plus alarmante pour les adultes, aussi bien
en ville qu’à la campagne. Au Sénégal, le faible niveau d’alphabétisation des adultes en
langue française, principaux acteurs des activités productives agricoles, ne facilite ni
l’intégration financière, ni l’adéquation des produits et services des institutions
financières aux besoins du monde rural. Il tend même à accentuer le problème
d’asymétrie d’information entre des institutions dont la plupart sont novices dans le
financement d’activité agricoles et des personnes vulnérables qui manquent
d’expérience en matière de crédit bancaire. Le contexte dans lequel le Crédit Agricole
s’est implanté et s’est développé en France est différent de celui du Sénégal, tant dans
le monde urbain que dans le monde rural. Au-delà des différences de nature
économique, les paysages culturels et sociologiques diffèrent entre les régions, ce qui
suggère que toute transposition de ce qui a fait le succès du Crédit Agricole en France
vers le Sénégal, sans tenir compte des réalités locales et spécifiques peut être
inefficace, voire contre-productive. Néanmoins, certains facteurs ayant expliqué le
succès du Crédit Agricole en France sont utiles et doivent inspirer les autorités
sénégalaises dans l’élaboration des politiques d’intégration financière dans le monde
rural. Une des clés essentielles à prendre en compte est le renforcement des
institutions financières impliquées dans le financement agricole, le développement des
stratégies de réduction du coût du crédit à l’agriculture pour rendre ce dernier
soutenable auprès des clients, mais aussi une meilleure maîtrise des risques agricoles
afin de rendre le secteur moins vulnérable aux aléas.
64
Le développement de stratégies de financement adéquates et accessibles au monde
agricole est une nécessité pour les pays africains (Mergeai, 2010). Pour la plupart de ces
pays, le secteur agricole revêt une importance économique et sociale de premier plan. Il
représente 35% du PIB dans la CEDEAO14. En dépit de son poids faible dans le
commerce international, l’agriculture constitue une importante source de recettes dans
la quasi-totalité des pays de la zone. 41% des recettes d’exportation du Burkina Faso,
par exemple, proviennent uniquement du coton, 48% de celles du Ghana viennent du
cacao et ce dernier représente 34% de celles la Cote d’Ivoire. Au Sénégal, bien que les
secteurs des services et de la construction soient les principaux moteurs de l’économie,
le secteur agricole représente tout de même 17,5% du PIB du pays et 36% des recettes
d’exportation globales du pays. Il emploie plus de 60% des actifs et fait vivre deux tiers
de la population encore majoritairement rurale du pays (MEF15, 2015).

Malgré une volonté politique qui s’exprime à travers quelques initiatives, il apparaît
clairement que le déficit de financement dans le secteur agricole constitue encore un
grand obstacle pour les économies régionales africaines. Au Mali, seuls 2% des
agriculteurs ont déjà bénéficié de financement bancaire. Au Sénégal, où l’agriculture
emploie plus de 60 % des travailleurs, le montant des crédits accordés à l’agriculture
représente moins de 3 % de l’ensemble des crédits du secteur bancaire (Mbaye 2017),
hormis les subventions provenant des pouvoirs publics. Bien que les autorités
sénégalaises aient mis en place depuis 2007 un vaste programme de développement du
secteur agricole dénommé la « Grande offensive agricole pour la nourriture et
l’abondance » (GOANA), beaucoup d’exploitations de tailles diverses ne disposent ni
d’équipement suffisant, ni d’accès au crédit bancaire pouvant leur permettre d’accéder
aux outils agricoles modernes nécessaires pour une production à la hauteur des
objectifs affichés. L’accès pérenne au crédit bancaire, à des coûts supportables, s’avère
indispensable pour le développement du secteur agricole.

14
Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Afrique de l’Ouest
15
Ministère de l’économie et des finances
65
2.4 Les obstacles à l’intégration financière
L’intégration financière rencontre différents obstacles dans les régions à faible revenu.
Ces obstacles rendent l’accès aux services financiers difficiles pour les micro-
entrepreneurs et les ménages. Les premiers obstacles se manifestent lorsque ces
derniers souhaitent ouvrir un compte bancaire auprès d’une institution. Beaucoup de
particuliers ou micro-entrepreneurs ont de la peine à ouvrir un compte pour diverses
raisons, dont les plus fréquentes sont économiques (frais élevés), matérielles (temps de
trajet long) ou administratives (formalités compliquées) (Tadjudje, 2016). Ces obstacles
pèsent encore plus lourdement sur les personnes les moins aisées dans le monde rural,
sur les femmes ou encore sur les jeunes qui souhaitent développer une activité
productive. Pour certaines catégories de personnes telles que les paysans et les
travailleurs du secteur informel, qui peuvent ne pas disposer de documents
administratifs (carte d’identité, salaires, registre de commerce, déclaration fiscale,
historique de crédit, titre foncier) exigés les institutions bancaires, une simple ouverture
de compte peut s’avérer impossible. Dans une étude d’Oudheusden et al., (2015) sur
143 pays et composée en majorité de régions en développement, il s’avère que les
obstacles à l’intégration financière sont permanents et diversement appréciés.
L’enquête révèle qu’auprès des populations, les obstacles les plus récurrents sont le
manque d’argent (65%), le coût élevé d’ouverture de compte (25%), le fait qu’un
membre de la famille ait déjà obtenu un crédit en cours (22%), l’éloignement de
l’institution (20%), l’absence de documents administratifs requis (18%) et le manque de
confiance vis-à-vis de l’institution (15%).

D’autres obstacles tels que l’asymétrie d’information et la concurrence imparfaite sont


caractéristiques des marchés financiers des pays en développement. En Afrique
subsaharienne, quatre personnes sur cinq n’ont jamais eu de compte en banque.
L’expérience de crédit la plus répandue est de loin celle du crédit informel. La plupart
des clients demandeurs de crédit ne disposent pas d’historique de crédit qui permette
aux IMF d’analyser les comportements du client ainsi que son niveau de solvabilité et de
risque. Ce contexte particulier, si fréquent dans les régions en développement,
accentue le manque d’informations des IMF sur leurs potentiels clients. D’une part,
nous avons des clients qui sont en besoin de financement, et d’autre part nous avons
66
des banques en surliquidité, mais n’ayant pas d’informations suffisantes sur leurs
potentiels clients. Dans ce contexte, l’asymétrie d’information crée une insuffisance de
l’offre de services financiers dont le crédit est sans doute la composante la plus
importante.

Quant à la concurrence imparfaite, elle entraîne une concentration de l’offre dans


certains secteurs d’activité et dans des zones plus urbaines au détriment d’autres zones.
Les zones les plus délaissées sont le monde rural et les centres péri-urbains où se
concentrent la plupart des activités paysannes comme l’élevage, l’agriculture et La
pêche. Les coûts d’ouverture de compte ou d’obtention de crédit indexés par les
populations bénéficiaires sont en partie tributaires de l’absence de concurrence saine
dans le secteur. Ces dysfonctionnements du marché, présents dans la plupart des
régions en développement, notamment en Afrique subsaharienne, montrent qu’il est
important d’avoir une réglementation solide et pas forcément contraignante, qui va
concrètement dans le sens de l’intégration financière, en encourageant la concurrence
et l’accès universel aux services financiers, aussi bien dans les centres urbains que dans
le monde rural.

Partant de cette littérature et expérience de terrain, on peut constater en effet que la


finance est au centre du développement économique dans les pays du Nord. Sans un
système bancaire accessible à un moindre coût et un système de paiement fonctionnel
moderne, il serait quasiment impossible de gérer la complexité des relations
économiques, surtout dans un marché devenu sans frontière, caractérisé par un niveau
élevé de division et de spécialisation dans presque tous les secteurs. Dans les pays à
faible revenu, la place et l’impact du secteur financier dans le développement
économique sont encore relativement faibles. Contrairement aux pays développés où le
total du crédit au secteur privé sur le PIB dépasse en moyenne les 100%, la majorité des
pays africains, dont le Sénégal notamment, présentent un ratio inférieur à 40%. Avec
moins de 20% de la population ayant accès au crédit des institutions formelles, l’Afrique
subsaharienne doit miser davantage sur l’impulsion de son secteur financier, à travers
son secteur privé, mais aussi de ses organismes étatiques, pour le financement de son
secteur agricole. En plus du secteur privé, les banques d’État peuvent jouer un rôle utile

67
pour certaines catégories de la population, en particulier les plus vulnérables. Des
études ont montré que pendant les périodes de crises économiques ou financières
(Yeyati et al., 2007), les banques d’État ont joué un rôle primordial dans le
redressement du marché, et même plus que les banques privées. C’est particulièrement
dans les pays à faible revenu que les impacts de ces dernières ont été les plus
conséquents. Face à la réticence des banques privées à octroyer du crédit en période de
crise, ce qui certes est une mesure de prudence mais risque d’aggraver la situation, les
banques d’État assurent tant bien que mal l’approvisionnement du marché du crédit,
avec des taux d’intérêt faible, et même parfois nuls pour les personnes vulnérables.
Pendant la crise financière de 2008, au moment où les banques privées étaient enclines
à prêter dans les pays à faible revenu, les banques d’État avaient joué un rôle essentiel
dans l’acheminement des fonds vers l’économie réelle et dans la mise en œuvre de
politiques anticycliques. La participation directe de l’État aux activités financières n’est
certes pas toujours recommandée, mais dans certaines circonstances, comme en temps
de crise, elle peut être justifiée dans le but de compenser les imperfections du marché
qui conduisent au sous-financement d’investissements. Lorsque par exemple, pour
différentes raisons, l’assurance-dépôts et la réglementation ne fonctionnent pas bien, la
propriété directe de l’État pourrait accroître la confiance du public dans le système
bancaire et donner naissance des marchés financiers plus conséquents (Panizza, 2012).
Cette position sur l’utilité des banques d’État peut être en contradiction avec celles des
grandes institutions internationales comme la Banque Mondiale ou le FMI, qui
considèrent que les banques étatiques sont moins efficaces et participent moins au
développement économique. Cependant, la crise financière récente a montré que cette
crainte est à relativiser en période conjoncturelle, surtout dans les pays en
développement où la réglementation du secteur et la confiance des banques vis-à-vis
des acteurs n’est pas forcément élevée.

En outre, il faut noter qu’au-delà des obstacles indiqués jusqu’ici, d’autres facteurs
culturels souvent négligés, dont la langue en premier plan, compliquent le
développement du secteur financier (Arcand, 1996) dans les régions en
développement, et donc accentuent l’exclusion financière en Afrique subsaharienne.

68
2.4.1 L’asymétrie d’information
La relation de microcrédit met en rapport deux acteurs qui sont l’IMF et son client.
Cette relation peut être considérée comme une relation d’agence, car elle met en
évidence un contrat par lequel l’IMF (le principal), loue une partie de sa richesse au
client (l’agent), qui en contrepartie s’engage à rembourser l’argent mis à sa disposition,
et payer les intérêts dans les conditions fixées au préalable. Comme dans toute
transaction de crédit, le prêteur est particulièrement intéressé par la rentabilité des
fonds et la solvabilité du client, alors que ce dernier est surtout préoccupé par la
rentabilité du crédit qui lui est accordé pour son projet d’investissement, et les deux ne
vont pas forcément dans le même sens. Prenons par exemple le taux d’intérêt utilisé
par l’IMF pour chaque crédit octroyé. Ce dernier est un élément central qui définit le
niveau de rentabilité de l’IMF. Dans la mesure où le client continue à rembourser, plus
ce taux est important, plus la rentabilité des fonds augmente auprès de l’IMF. Sur ce
point, les avantages divergent entre IMF et client, car ce dernier est plus avantagé au
fur et à mesure que le taux d’intérêt baisse. La relation d’agence est pratiquement
présente dans tous les contrats de crédit, mais sa particularité dans le marché de la
microfinance est qu’elle s’accompagne d’une asymétrie d’information entre prêteur et
emprunteur, et à des degrés variables (Gilles, 1992). D’un côté, nous avons des clients
qui ont les informations nécessaires, relatives à leurs propres activités, aux prêteurs et à
leur environnement. D’un autre côté, nous avons des IMF qui sont souvent face à la
difficulté, voire l’impossibilité de disposer de bonnes informations sur leurs clients et
leurs activités. Cela donne naissance à un marché de crédit imparfait, où les IMF se
retrouvent en face de clients demandeurs de crédit, sans qu’elles soient en mesure de
connaître leur niveau de fiabilité, à quelques exceptions près.

Depuis Stigler (1961) et surtout Akerlof (1978), le fonctionnement imparfait du marché


du crédit a largement a été au centre de la théorie financière. Pour Akerlof (1978),
l’asymétrie d’information est l’une des imperfections de marché constamment
présentes dans les marchés financiers peu développés, elle induit des comportements
ou des stratégies de contournement de la part des différents acteurs. Pour mieux
illustrer ses propos, Akerlof utilise l’exemple très célèbre du marché des voitures
d’occasion dans son article « The market for lemons ». Le vendeur d'une voiture
69
d'occasion connaît mieux les caractéristiques de sa voiture que son acheteur potentiel.
Or les acheteurs, bien qu’ils ne soient pas en mesure de d’identifier, à des coûts
raisonnables, les vendeurs peu fiables, sont quand même conscients que le marché
comporte des voitures de mauvaise qualité qui ne sont pas déclarées comme telles.
Face à cette incertitude, les acheteurs, dans une volonté de minimiser les risques
encourus, cherchent donc à payer les voitures au prix le plus bas. Sauf qu’à ce prix, les
propriétaires de voitures de qualité refusent de vendre et vont se retirer du marché. La
conséquence mise au jour par Akerlof grâce à cet exemple est qu’au final, il ne reste sur
le marché que des produits de mauvaise qualité, qui seront vendus à des prix supérieurs
à leur valeur réelle, du fait que les consommateurs ignorent qu’ils achètent
effectivement des produits de mauvaise qualité. Akerlof va plus loin, en mettant en
évidence une exception à la loi de la demande, considérée comme étant un des effets
de l’asymétrie d’information. Ce phénomène est plus connu sous le nom d’« effet
d’Akerlof » ou « effet de marque », qui fait que les consommateurs, dans un contexte
d’asymétrie d’information, ont parfois tendance à acheter, parmi un ensemble de biens
parfaitement substituables, des biens qui ont un prix supérieur au prix moyen en
croyant que celui qu’ils achètent est de meilleure qualité. La situation décrite ici sur le
marché des voitures d’occasion a été utilisée par Stiglitz et Weiss (1981), en montrant
que pour les mêmes raisons, les banques qui travaillent dans des contextes d’asymétrie
d’information ont tendance à maintenir les taux d’intérêt à un niveau plus élevé que ce
qu’il devrait être, empêchant dès lors une satisfaction d’une grande partie de la
demande de crédit, notamment pour les clients les plus sensibles au taux d’intérêt. Il
est souvent difficile et onéreux pour les IMF de mesurer les efforts déployés par un
agent dans l’accomplissement de ses obligations, et par conséquent, de spécifier par
contrat le risque réel que présente ce dernier (Charreaux, 1997). Il existe un niveau
d’incertitude entre les deux acteurs qui non seulement ont des intérêts divergents, mais
en plus, le prêteur, même s’il est convaincu de la solvabilité du projet de son client, ne
peut s’assurer, à un coût raisonnable, de la bonne utilisation des fonds accordés. Pour
De Briey (2005), une des causes du refus des banques classiques de financer les micro-
entrepreneurs s’explique par cette incertitude qui plane dans le contrat de crédit, en
plus des problèmes de détection de mauvais comportements tels que le non-respect du

70
contrat jusqu’à son terme, ce que Mosley et Hulme (1996) appellent « enforcement
problem ».

L’asymétrie d’information est un élément supplémentaire qui vient s’ajouter au


problème d’agence, et donne un certain avantage au client emprunteur vis-à-vis de son
fournisseur de crédit. En partant de l’hypothèse de la rationalité des individus, on peut
estimer que les clients emprunteurs, comme aussi les IMF, vont chacun chercher à
maximiser leur utilité, quelle que soit la nature du contrat qui les lie. Dans cette
perspective de maximisation d’utilité, les clients, en possession d’informations que les
prêteurs n’ont pas, sont dès lors enclins à profiter de leur avantage informationnel pour
poursuivre leurs propres intérêts au détriment de ceux du prêteur (De Briey, 2005).
Bien que les coûts induits par l’asymétrie d’information entre les IMF et leurs clients
soient plus lourds à supporter par les IMF (récolte d’informations, surveillance,
incitation et éventuelle baisse de profit), ils ne sont pas autant nuls pour les clients. Au-
delà du risque de ne pouvoir accéder aux fonds des IMF, les clients sont dans
l’obligation de présenter des garanties, matérielles ou morales, pour le bon respect du
contenu des dispositions du contrat.

2.4.2 L’insuffisance de la sécurisation des crédits


Comme nous venons de l’évoquer, l’asymétrie d’information est de loin la première
contrainte que rencontrent les institutions financières en Afrique subsaharienne.
Plusieurs éléments, liés à l’asymétrie d’information, et spécifiques au contexte régional
sont à l’origine de cet échec de marché qui plombe l’intégration financière. L’ampleur
du marché informel et son poids dans l’économie régional en est un. Au Sénégal, la
plupart des PME évoluent dans le secteur informel qui représente à lui seul plus de 80%
du marché de l’emploi (ANSD, 2015). Peu de PME du secteur informel sont en mesure
de remplir les exigences des institutions financières pour prétendre accéder aux
financements, comme disposer d’une attestation légale qui prouve l’existence de la
PME, des états financiers, ou une comptabilité appliquant les normes comptables
conformes aux exigences de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des
affaires (OHADA). Pour Kauffman (2005), la difficulté des entreprises à se conformer aux
exigences des institutions financières est accentuée par l’insuffisance de cabinets ou
d’experts comptables indépendants dans la région, mais aussi le niveau excessif de
71
l’information comptable exigée dans le cadre de l’OHADA. Une stratégie récurrente
dans les entreprises du milieu informel consiste à ne pas communiquer leurs
informations financières justes, dans le but d’échapper à la fiscalité. Enfin, il n’existe
souvent aucun outil permettant aux banques de connaître les comportements de
paiement de leurs nouveaux clients dans le passé. Les centrales de risque ou centrales
des incidents de paiement sont soit inexistantes, soit inopérantes. Dans ce contexte,
seule la communication informelle entre la banque et l’entrepreneur peut permettre de
pallier la déficience des canaux classiques de communication. La réputation de
l’entrepreneur et sa proximité avec le banquier sont des éléments au moins aussi
importants que la qualité des états financiers transmis à la banque (Lefilleur, 2009). La
possibilité de prendre comme garantie des biens matériels ou financiers de valeur
équivalente aux crédits octroyés pourrait sans doute atténuer le risque de non-
remboursement encouru par les institutions financières. Cependant, les micro-
entrepreneurs en question ne disposent que rarement de biens pouvant servir de
garantie ; et lorsque dans de rares cas ces derniers existent, les justifications formelles
et administratives attestant l’appartenance des biens au client font souvent défaut, ce
qui rend quasiment impossible toute saisie au cas où le client ne respecte pas son
engagement. Au Sénégal, l’entrée en vigueur de la loi du «domaine national » a encore
compliqué la situation et fragilisé le monde agricole. Cette loi fait des terres
sénégalaises un domaine national appartenant uniquement à l’État, à quelques
exceptions près16. Excepté les surfaces de terrain qui servent d’habitat, tout le reste du
foncier est sous la propriété de l’État, et donc ne peut techniquement être vendu ou
mis en garantie par une tierce personne physique ou morale. Certes, cela protège les
terres d’une spéculation démesurée, qui à la longue pourrait porter préjudice aux
petits exploitants agricoles, mais en même temps, la même loi empêche ces derniers
d’utiliser leurs surfaces cultivables, qui constituent les seuls biens physiques durables
dont ils disposent, comme garantie auprès des institutions financières. Dans les cas où
des exceptions sont possibles, la complexité du système judiciaire et les procédures de
recouvrement, notamment par rapport aux montants mis en jeu, font que la prise de

16
Les terres qui font l’objet d’une immatriculation au nom de particuliers, réservées à des besoins
spécifiques tels que l’habitat. Elles représentent moins de 5% du territoire sénégalais.
72
garantie n’apparaît pas être un bon moyen pour atténuer les risques encourus par les
institutions financières dans la région.

2.5 Économie de la langue et développement


Les définitions les plus classiques du développement se réfèrent souvent à celle donnée
par l’économiste français François Perroux (1981). Selon ce dernier, résumer le
développement à la croissance économique est une approche partielle et limitée, qui
néglige d’autres paramètres, au moins aussi importants que la croissance. Dans la
définition de Perroux, le développement est conçu comme « la combinaison des
changements mentaux et sociaux d’une population qui la rendent apte à faire croître
cumulativement et durablement son produit réel et global » (Perroux, 1981, p.16). Cela
implique deux faits principaux. Le développement est d’abord un processus de long
terme de changements positifs, à la fois quantitatifs et qualitatifs. Ensuite, son
appréciation peut être subjective dans la mesure où il est lié de manière importante aux
valeurs sociales et culturelles de la population concernée, bien que ces dernières aient
tendance à être négligées dans la plupart des analyses économiques, notamment quand
il s’agit des pays en développement. L’approche de Perroux était novatrice dans les
années 1990, parce qu’elle intègre des dimensions sociales longtemps orphelines dans
les approches classiques. Il faut souligner que bien que Perroux soit vu comme un des
premiers économistes à aborder la question du développement sous cet angle, l'opinion
selon laquelle les facteurs sociaux et culturels sont importants dans le processus de
développement économique est ancienne. Au Sénégal par exemple, la communauté
Mouride occupe une place très importante dans la transformation économique du pays,
et ce depuis la période coloniale (Halpern, 1972). Selon Wade (1972), la force
économique du mouridisme et son expansion économique au Sénégal s’expliquent en
grande partie par son esprit philosophique qui accorde une grande importance à
l’organisation interne hiérarchisée, la discipline et le culte du travail. En occident, on
peut se rappeler qu’il y a plus d’un siècle, le point de vue dominant sur les origines de la
révolution industrielle en Grande-Bretagne était associé à l’éthique des travailleurs
protestants (Weber, 1964). On ne peut pourtant, après plus d’un siècle, estimer que
cette approche a réussi à bouleverser la tendance dominante de la conception du
développement dans les sciences économiques. Selon Arcand (1996), beaucoup de
73
travaux théoriques tendent à ignorer les facteurs sociaux et culturels dans l’analyse du
processus de développement. Il la question du langage, qui au-delà d’être un outil de
communication, est aussi un élément culturel auquel s’identifie un groupe de
personnes, une ethnie ou même une région, n’est que rarement impliquée dans les
études de développement. Par conséquent, jusqu’aux années 1960, les études d'impact
du langage sur le développement sont rarement évoquées, même dans des régions
comme l’Inde, l’Asie du Sud-est et l’Afrique, où la langue en tant que dimension
culturelle est très importante en termes d’efficacité, d’organisation ou de productivité
du travail (Rubinstein, 1996).

Il faut remonter au milieu des années 1960 pour voir les analyses économiques
commencer à intégrer la dimension linguistique à travers une approche qui finira par
être désignée « économie des langues ». Sous l’hypothèse que la coopération et la
division du travail sont susceptibles d’améliorer la situation des agents opérant sur le
marché, les économistes commencèrent à s’intéresser aux effets de la langue sur les
comportements d’optimisation des agents. C’est précisément la problématique de
l’article de Jacob Marschak (1965), qui par la suite est considéré comme le point de
départ de l’approche économique du langage. Le postulat de Marschak est que qu’une
partie de l’évolution interne du langage suit le principe d’économie au sens d’un
raisonnement « coût-efficacité » dans la communication entre agents économiques.
L’idée a été reprise par Rubinstein (2000), notamment dans ces recherches sur l’origine
des langues, utilisant la théorie économique au domaine linguistique : « La théorie
économique est une tentative pour expliquer des régularités dans l’interaction des
humains et en dehors de la sphère physique, la régularité la plus fondamentale dans
l’interaction des humains est le langage naturel. La théorie économique analyse
soigneusement le dessein (design) des systèmes sociaux ; le langage est, pour une part,
un mécanisme de communication. L’économie cherche à expliquer les institutions
humaines en tant que régularités découlant de l’optimisation de certaines fonctions ;
cela peut s’appliquer également au langage » (Rubinstein 1996, p. 350). Dans des
approches plus modernes, l’économie de la langue est abordée comme une démarche
analytique, se référant à la définition fondamentale de Grin (1996) pour qui,
« l’économie des langues s’appuie sur le paradigme de la théorie économique et se sert
74
des concepts et outils de l’économie dans l’étude de relations dans lesquelles
interviennent des variables linguistiques ; elle se penche principalement, mais pas
exclusivement, sur les relations dans lesquelles interviennent également des variables
économiques » (Grin, 1996, p.6). Selon toujours Grin (2016), les contributions en
économie des langues sont devenues un vaste champ d’exploration mais peuvent
néanmoins être scindées en trois points structurels dans la littérature. Il y a d’abord une
possibilité de strucutration une approche qui traite principalement l'effet des variables
linguistiques sur les variables économiques. Parmi les auteurs abordant la question sur
cette approche on peut citer Grin (1994, 2016), Sutter et al. (2015), ou Caminal (2016).
D'autres auteurs se concentrent plutôt sur le type de relation inverse (Grin et al., 2002 ;
Delgado et al.2004). Dans une troisième possibilité, on utilise l'économie comme cadre
analytique dans l'étude de l'évolution des variables linguistiques (Grin, 1996, Gazzola et
al., 2016).

Dans une analyse plus approfondie, mais non exhaustive, la prise en compte de la
langue comme dimension culturelle dans l’activité économique peut être matérialisée à
travers deux perspectives. La première, qui met souvent l'accent sur les processus
microéconomiques, est une perspective où la langue comme attribut culturel d’une
communauté joue un rôle essentiel dans les choix des acteurs tels que l’allocation des
ressources ou le rationnement du crédit dans le marché financier, en contexte
d’information imparfaite. La seconde, qui se prête souvent mieux aux questions
macroéconomiques, est une perspective où la langue est prise comme facteur explicatif
dans la fonction de production.

2.5.1 La langue comme attribut ethnique en contexte d’information imparfaite


L’information constitue un élément important dans les sciences économiques. Son
niveau d’accessibilité et sa fiabilité conditionnent le comportement des agents
économiques, pris individuellement, dans des groupes isolés ou communautaires. Bien
qu’elle soit plus accessible et plus fiable dans les pays développés, l’information reste
un bien économique particulier avec des degrés de complexité qui varient
constamment selon le contexte environnemental. De nombreuses études, notamment
en sciences économiques, se sont intéressées à la question de l’information et à ses
enjeux dans le marché financier en particulier (Marshall et al., 1906, Akerlof, 1978,
75
Stiglitz et Weiss, 1981). Cette branche de l’économie, plus connue sous le nom de
« l’économie de l’information » étudie, en particulier, les cas où les agents manquent
d’information sur la qualité des biens et services qui doivent être échangés, mais aussi
le cas où ils ont peu d’informations fiables sur les autres agents avec qui ils doivent
effectuer des transactions. Ainsi l’hypothèse de l’information parfaite, qui est une
caractéristique fondamentale dans la concurrence pure, est remplacée par celle d’une
information imparfaite.

Selon Stiglitz (1988), l'économie de l'information imparfaite apporte une contribution


majeure à l’étude du développement économique, plus particulièrement dans les
régions où le secteur informel est important. Dans ce contexte particulier et fréquent
dans les pays africains, l’information n’est pas toujours disponible et par conséquent
l’accès devient coûteux. Dans certains cas, les échanges ont lieu entre des acteurs qui
n’ont pas la même information sur le bien ou le service échangé, et cela a de
nombreuses conséquences, avec des degrés d’importance qui varient d’un agent à
l’autre. Lorsque l’information n’est pas disponible ou fiable, les individus n’acquièrent
pas une information parfaite et leur comportement peut donc être très différent de ce
qu’il aurait été s’ils avaient eu accès à la bonne information. Lorsque par exemple des
usuriers, exerçant comme activité le prêt de crédit, se trouvent dans un contexte où il
existe des informations imparfaites sur les demandeurs de crédit, il est fort probable
que la quantité de transactions qui serait souhaitable en présence d'informations
parfaites soit supérieure à celle effectivement réalisée. Pour Stiglitz et Weiss (1990),
dans ce cas, les institutions s’adaptent à la situation pour refléter ces coûts
d’information (hausse des coûts de transaction) dans leurs opérations. Ce qui explique
que dans des cas comme celui-ci, répandus sur le marché du crédit, notamment dans
les pays en développement, les institutions ne doivent pas être considérées comme
exogènes. Elles sont endogènes, et les changements de l'environnement peuvent
entraîner, avec certes un certain retard, des changements dans la structure
institutionnelle. Les stratégies développées par les acteurs pour s’adapter à un
environnement, où l’accès à l’information fiable à un coût raisonnable est pratiquement
nul, peuvent être matérialisées à travers ce qu’on appelle la relation d’agence.

76
- L’approche par la relation d’agence à partir des coûts de transaction

La relation d’agence, telle que définie par Jensen et Meckling (1976), met en évidence
un contrat par lequel une personne (le principal) engage une autre personne (l’agent)
pour réaliser en son nom une tâche quelconque impliquant la délégation d‘un certain
pouvoir de décision à l’agent. Le concept, très utilisé dans l’analyse des formes
d’organisation économique, a été repris par Akerlof (1978) pour analyser la dynamique
de sous-information existant sur le marché des voitures d’occasion, et par Stiglitz et
Weiss (1981) pour étudier la question du rationnement de crédit sur le marché
financier.

La nature de la relation d’agence fait que les intérêts des deux acteurs, le principal et
l’agent, n’évoluent pas toujours dans le même sens, surtout lorsque le principal ne
peut, à des coûts raisonnables, contrôler l’activité de l’agent. Par conséquent, un
élément central dans l’analyse de la relation d’agence et qui nous intéresse
particulièrement dans cette étude est celui des coûts de transaction. L’approche par les
coûts de transaction permet d’appréhender les implications de l’information imparfaite
dans une économie en développement. Le mouvement économique néo-institutionnel,
lancé par Ronald Coase (1960), soutient que les institutions sociales évoluent dans le
but de minimiser les coûts de transaction consécutifs à la présence d’informations
imparfaites. De nombreux articles traitant de l'économie de la langue, tels que Breton
(1964, 1978), Breton et Mieszkowski (1979) et Carr (1985) peuvent tous être
interprétés comme des exemples de l'approche des coûts de transaction (Arcand,
1996).

Le secteur agricole est sans doute un parfait exemple pour comprendre le problème du
principal-agent qui est au cœur de l’économie du développement, plus particulièrement
sur le marché financier. Dans la théorie classique du développement, le "principal" est
généralement considéré comme un propriétaire foncier, tandis que "l'agent" est
généralement supposé être un paysan. L’exemple du métayage, qui est un type de
contrat dans lequel le propriétaire loue une parcelle de terre au paysan, qui en
contrepartie doit payer soit par un partage des fruits de la récolte, soit par le paiement
d’un montant d’argent fixe, indépendamment de la récolte, soit par les deux à la fois.

77
Le principal problème d’information dans cette relation est que, même s’il est supposé
que le propriétaire ne peut pas parfaitement observer l'effort fourni par le paysan, il
élaborera le contrat de métayage de manière à amener le paysan à faire ce qu'il veut.
L’idée maîtresse est que des informations coûteuses, dues au fait qu’il est pratiquement
impossible dans un certain contexte de surveiller parfaitement le paysan, obligent le
propriétaire à construire un contrat qui offre les bonnes incitations au paysan, l’incitant
ainsi à poursuivre ses efforts. On notera au passage que la présence de cette asymétrie
informationnelle coûtera quelque chose en termes d'efficacité par rapport à une
situation idéale où l'information est parfaite. Elle oblige le propriétaire, dans la
conception du contrat, à abandonner une certaine efficacité de la production afin
d'obtenir les incitations appropriées. Dans une situation idéale, où le problème
d’information imparfaite n’existe pas, le propriétaire serait alors en mesure de surveiller
parfaitement les activités du paysan, ce qui sur le plan fonctionnel équivaudrait à ce que
le propriétaire sélectionne le niveau d'effort du locataire. Ce faisant, le niveau d'effort
efficace serait choisi ; c'est-à-dire que le « gâteau agrégé », pour reprendre en français
l’expression d’Arcand en anglais, serait alors aussi grande que possible. Un optimum de
Pareto serait atteint, ce qui signifie qu'aucune des deux parties impliquées ne pourrait
voir sa situation améliorée sans péjorer la situation de l'autre partie. De ce fait,
contrairement à une situation où l’information est parfaite, l'issue de la transaction est
sous-optimale. La situation des deux parties en question (le propriétaire foncier et le
paysan locataire), pourrait être améliorée sans aggraver la situation de l'autre partie,
mais les informations imparfaites y font obstacle.

Arcand (1996) met en évidence le problème de la relation d’agence et de l’information


imparfaite dans sa modélisation du gain espéré dans le marché du crédit informel.
Prenant exemple le financement des agriculteurs, il met en relation l’agriculteur
emprunteur et son créancier qui peut être une personne morale (IMF) ou physique. Le
modèle simplifié d’Arcand peut être présenté comme suit : D’ = (1 + i) D*P + E (q), avec
D qui désigne le montant prêté à l’agriculteur au taux d’intérêt i, D’ le gain attendu
(montant prêté plus les intérêts), P la probabilité de remboursement de l’agriculteur et
E qui désigne la valeur du produit final du bien agricole (q) financé. Un élément qui nous
intéresse dans cette relation est la probabilité de remboursement de l’agriculteur qui,
78
selon Arcand, est en partie tributaire de l’information imparfaite présente dans le
marché informel du crédit à travers la relation d’agence. C’est notamment à ce niveau
que la langue intervient dans le modèle d’Arcand, comme facteur pouvant limiter ou
aggraver les problèmes causés par l’information imparfaite (par exemple le risque
moral) qui ont tendance à se répercuter sur la probabilité de remboursement du client
agriculteur emprunteur. Sur ce point précis, Arcand entend par « langue » non pas un
simple outil de communication, mais surtout un attribut culturel et identitaire auquel
peut s’identifier un groupe de personnes. Reprenant l’exemple du propriétaire foncier
et du paysan locataire17, Arcand estime qu’en contexte multilingue, il existe au moins
deux manières par lesquelles la dimension linguistique peut influer les termes du
contrat entre les deux acteurs.

1. Premièrement, si le paysan et le propriétaire foncier appartiennent au


même groupe linguistique, il se peut que le problème de risque moral,
c'est-à-dire le caractère non observable du niveau d'effort fourni par le
paysan, soit atténué. Lorsque par exemple les récoltes sont mauvaises,
il peut être difficile de connaître avec exactitude la part de
responsabilité imputable à des facteurs exogènes tels que la météo, et
celle du paysan. Dans ce cas de figure, le fait que les deux acteurs
appartiennent au même groupe linguistique et culturel peut permettre
de réduire ce niveau d’incertitude parce que les deux partageant le
même environnement socio-culturel. Le propriétaire est donc censé
disposer des informations nécessaires lui permettant de connaître le
niveau d’implication de son locataire et sa part de responsabilité sur la
mauvaise récolte, notamment grâce au réseau social existant entre les
membres de la même communauté. Le fait que le propriétaire foncier
et son locataire appartiennent au même groupe linguistique permet,
dans ce contexte, de réduire l’effet négatif que pourrait avoir le
manque d’information parfaite entre les deux acteurs. Une des

17
Dans cet exemple, on suppose que le paysan doit payer un prix fixe pour disposer des terres, mais doit
aussi, à la fin de la récolte, partager sa production avec le propriétaire foncier, qui doit fournir tout le
matériel et intrants dont a besoin le paysan.
79
implications est que la production attendue, toutes autres choses
égales par ailleurs, devient plus importante, comparativement à une
situation où les deux acteurs sont issus de groupes linguistiques et
culturels différents. Cette situation est d’autant plus valable dans le
contexte sénégalais où selon les groupes linguistiques, les activités
principales peuvent être forts distinctes et donc maîtrisées
différemment d’une communauté à l’autre. L’élevage de ruminants est
plutôt une activité dominée par les Peuls, quant à l’agriculture de
maraîchage, elle est plutôt répandue dans les localités habitées par les
Wolofs, les Sérères et les Diolas.

2. Deuxièmement, l’appartenance à un groupe linguistique minoritaire


peut entraîner la mise en place de normes sociales, parfois rigides,
auxquelles le propriétaire qui fixe les règles ne peut déroger sans risque
de se faire exclure socialement (Sen, 1966). En d'autres termes, le
propriétaire peut encourir des sanctions sociales s'il traite un paysan de
son propre groupe linguistique comme tout autre paysan. Il se peut
qu'une certaine « prime linguistique » doive être accordée aux paysans
du même groupe linguistique, en particulier si les deux appartiennent
au même groupe minoritaire. Autrement dit, le propriétaire ne pourra
pas facturer au locataire un prix supérieur à celui qui est socialement
accepté dans leur communauté. Dans ce cas, on peut observer un
comportement contraire au premier. Le propriétaire, pour éviter de
devoir verser cette prime linguistique, peut choisir de louer son terrain
à un locataire issu d’une autre communauté, donc d’un autre groupe
linguistique. Par contre, rien ne nous dit que ce comportement sera
privilégié par le propriétaire parce que ce dernier sait en même temps
que l’appartenance au même groupe linguistique réduit néanmoins le
niveau d’incertitude sur le comportement futur de son client. Par
conséquent, le choix du propriétaire entre des locataires appartenant à
son groupe linguistique ou à de groupes linguistiques différents
dépendra alors de quel effet domine.
80
Le marché du crédit est un exemple concret de la situation décrite par Arcand (1996) et
par Stiglitz et Weiss (1981). Il permet d’illustrer les effets de la langue dans un contexte
d’information imparfaite, et son implication sur les coûts de transaction. Considérons
un paysan qui souhaite contracter un crédit pour financer ses activités agricoles. Le
contexte du marché financier dans les pays en développement, notamment africains,
fait que le niveau d’incertitude peut être très élevé. Au-delà d’autres facteurs tels que
l’instabilité politique, l’ampleur du secteur informel et le déficit d’assurances
spécifiques aux différentes activités en présence, l’information imparfaite constitue un
facteur supplémentaire qui a tendance à aggraver un niveau d’incertitude déjà élevé.
Dans ce contexte, si le prêteur et l'emprunteur appartiennent au même groupe
linguistique, cela peut être un effet stimulateur sur le crédit car les conditions du crédit
deviennent plus avantageuses, comparativement à une situation où le prêteur et
l’emprunteur sont de groupes linguistiques différents. En effet, la probabilité de
défaillance stratégique, comme par exemple le détournement d’objectif, ou le risque de
s’enfuir avec le crédit obtenu, peut être plus faible, car la rigidité des liens sociaux qui
existent entre les deux acteurs en constituerait un obstacle. Ceci à l’image des crédits
groupés qu’accordent certaines IMF en milieu rural. Dans le cas du crédit groupé, des
sanctions internes (sociales) peuvent être imposées à l'individu défaillant par le reste du
groupe auquel il appartient. Or, pour un groupe ou une communauté donnée, il est plus
facile d’imposer des sanctions sociales lorsque l’individu est membre du groupe.

Par ailleurs, comme nous l’avons déjà vu, l’existence de certaines normes sociales
contraignantes, comme un taux d’intérêt maximum applicable sur les crédits qui serait
inférieur à celui du marché, peut inciter les prêteurs à préférer prêter des clients issus
d’autres groupes linguistiques. Mais là aussi, comme les prêteurs se trouvent
confrontés aux problèmes d’aléa moral qu’ils ont avec leurs potentiels clients
appartenant à d’autres groupes linguistiques, ils doivent faire le choix entre prêter à un
client de leur communauté et prêter à un client issu d’une autre communauté. Quoi
qu’il en soit, la différence linguistique entre les deux acteurs sera sans aucun doute un
élément non moins important dans la prise de décision. Par conséquent, dans un

81
contexte d’information imparfaite, un langage commun peut augmenter l'offre globale
de crédit et favoriser l’intégration financière des personnes à faible revenu par la
réduction de l'incertitude liée aux transactions de crédit. Arcand (1996) estime
qu’inversement, dans les sociétés multiculturelles où il y a une forte présence
d’information imparfaite entre les communautés, il peut bien exister une offre de crédit
sous-optimale en raison de coûts d'information exacerbés et des raisons évoquées
précédemment. Stiglitz et Weiss (1981) abondent dans le même sens, estimant que
lorsque pour différentes raisons, les prêteurs d'un groupe linguistique ne peuvent
facturer plus qu'un taux d'intérêt donné à des emprunteurs du même groupe
linguistique, ceux-ci peuvent se retrouver avec des contraintes de crédit. D'autre part,
en empruntant à des prêteurs appartenant à un groupe linguistique différent, cette
contrainte de crédit peut être assouplie. Si de telles normes sociales prévalent, alors on
s’attendrait à observer des contrats de crédit interlinguistiques. Par contre, sans être
catégorique, il est difficile de prévoir avec exactitude la réaction dominante des
prêteurs dans un tel contexte. On peut estimer que tout dépendra de l’arbitrage entre
le niveau d’incertitude existant entre acteurs de différentes communautés et les
normes sociales contraignantes entre acteurs de même communauté.

2.5.2 La langue comme capital humain


Le rôle de la langue en tant que cause ou en tant que conséquence du processus
économique a longtemps été négligé par les économistes, bien que la langue comme
variable explicative soit présentée comme un facteur important dans la littérature
économique depuis la fin des années 1960 (Grin et Sfreddo, 1998). Certains travaux
comme celui d’Arcand (1996) se sont appuyés sur des travaux de Kuznets (1973) qui
portent sur la question du développement. Kuznets écrivait que si l’on se base sur
l’évolution des trajectoires économiques des pays développés, on peut estimer qu’il
existe six faits18 importants, parmi lesquels il y a l’évolution continue des taux de

18
Le deuxième fait est une forte augmentation de la productivité du travail, induite par la technologie et
par la structure sociologique des régions considérées. Le troisième fait constaté par Kuznets est le taux de
transformation structurelle et la modification de la proportion des secteurs de l’économie. Le quatrième
fait est le niveau d’urbanisation croissant. Le cinquième fait est la croissance des rapports commerciaux
entre les pays développés, indépendamment de leur situation géographique. Le sixième et dernier fait
constaté par Kuznets est bien que la croissance économique soit moyennement importante, sa
répartition entre les pays développés et les pays en développement est très inégalitaire.
82
croissance du produit national brut par habitant, liés au développement économique.
L’analyse de Kuznets n’est sans doute pas exhaustive, compte tenu de plusieurs
paramètres socioculturels qui à priori semblent être noyés dans cette liste. Cependant,
la liste de Kuznets peut être un bon point de départ, dans la mesure où elle permet de
visualiser l’impact du langage sur le développement, dans une approche
macroéconomique.

Selon Grin et Sfreddo (1998), les considérations linguistiques intègrent de plus en plus
les analyses économiques avec des approches néanmoins différentes. Dans la première
approche, qui s’est inspirée des travaux de Becker (1957) portant sur la discrimination
sur le marché du travail, la langue est perçue comme un attribut culturel, caractérisant
un groupe ethnique. Dans une seconde approche, plus récente, la langue est considérée
comme une forme de capital humain que l’on peut identifier dans la plupart des
secteurs d’activité, à partir du processus de production. Cette deuxième approche
donne fréquemment naissance à des estimations des effets de la langue sur les revenus
des travailleurs. Mais comme le mentionnent Grin et Vaillancourt (1997), ces deux
approches dominantes dans la littérature économique reliant langue et développement
économique ont tendance à être regroupées dans une même approche sous deux
dimensions. En effet, depuis le début des années 1980, il est de coutume de considérer
la langue à la fois comme une appartenance ethnique et une forme de capital humain.
Ainsi, la manière la plus simple d’envisager le langage dans le contexte de la dynamique
du développement consiste à la considérer comme un facteur entrant dans une
fonction de production, comme dans le modèle de croissance économique standard de
Solow (1956). Selon Mankiw et al. (1992), dans une approche macroéconomique, la
langue est sans aucun doute un élément capital, en ce sens qu’il existe une
accumulation de stock de connaissances linguistiques, dans lequel le niveau de base du
PIB par habitant est une fonction croissante de la proportion de la production consacrée
à l’accumulation de compétences linguistiques. Grenier (1982), Sabourin (1985) et
Hocevar (1975) ont poursuivi l’approche de la langue en tant que capital humain, bien
qu’elle n’ait pas été intégrée à un modèle de croissance connu. L’opportunité d’acquérir
des compétences linguistiques en différentes langues n’est certes plus à démontrer
(Grin et Vaillancourt, 1997), mais la question est surtout de savoir si dans une approche
83
macroéconomique, analyser la langue comme capital humain est pertinent. Parce que
répondre à cette question, c’est apporter des éléments de réponses aux impacts de
l’uniformisation ou de la diversification linguistique sur la croissance économique. Selon
Arcand (1996), pour répondre à cette question il faut sortir du cadre néoclassique qui a
tendance à utiliser la langue comme facteur exogène, et entrer dans le domaine des
modèles de croissance endogène.

Dans la littérature sur la croissance endogène, deux hypothèses opposées sont émises
quant aux sources des externalités qui sous-tendent le processus de croissance. L'une
d’elle est qu'une plus grande spécialisation conduit à une plus grande productivité, ce
qui revient à la parabole d’Adam Smith. Ce point de vue est généralement associé au
travail fondateur d'Arrow (1962), ainsi qu'à une série de publications influentes de
Romer (1989, 1990) et de Stokey (1988), entre autres. L’autre point de vue, que l’on a
tendance à ignorer, soutient qu’une plus grande variété favorisant la richesse des idées
dans leur diversité peut être un véritable moteur de la croissance. Ce point de vue est
généralement associé aux travaux de Jacobs (1985) et ceux d’Arcand et Grin (2013)

Quelques expériences sur le terrain montrent par ailleurs que les estimations usuelles
de la valeur des langues sur l’activité économique peuvent être problématiques. En
effet, le calcul de la part du multilinguisme dans le produit intérieur semble être très
sensible à la méthode d’estimation utilisée, ce qui a tendance à sous-estimer l’apport
du multilinguisme dans l’activité économique d’une région. Si l'on veut observer
l’importance statistique de la langue dans l’activité économique, l’agrégation brute du
PIB n’est sans doute pas la méthode la plus appropriée, car il se peut, que dans cette
méthode de calcul, certains apports linguistiques à des postes divers ne soient pas
alloués à la langue, mais à d’autres secteurs. Dans ce cas, une méthode matricielle qui
consiste à observer la part des services linguistiques au niveau de chaque secteur est
plus adéquate, car elle permet de voir l’apport de la langue dans les postes respectifs du
secteur considéré.

Pour Arcand (1996), ce qui compte pour la majorité du public, et même pour certains
économistes, c’est de savoir entre la diversité linguistique ou l’uniformisation
linguistique, laquelle est la plus propice au processus de croissance économique ; or les

84
résultats peuvent être mitigés selon le contexte. Arcand estime que le degré optimal de
diversité ou de spécialisation linguistique n’est pas statique. Il peut constamment
évoluer selon le contexte, et dépend essentiellement de la relation fonctionnelle reliant
la productivité du travail à la proportion de personnes sur le marché du travail parlant
une langue donnée. Dans un contexte où la productivité relative des personnes en
fonction des langues utilisées est différemment répartie, il ne fait guère de doute qu’un
système plurilingue sera plus approprié, considérant que les effets exogènes tels que les
contraintes liées à la diversité linguistique sont marginaux. Dans le cas contraire, on
peut imaginer qu’un système unilingue serait plus propice au processus de croissance
économique. Par conséquent, le niveau du PIB par habitant peut augmenter ou
diminuer en termes de degré plus ou moins élevé d’uniformisation ou de diversité
linguistique. Tout dépend du niveau de productivité du travail et de la répartition des
langues concernées sur le marché du travail. Autrement dit, aucun argument théorique
clair ne peut être avancé pour déterminer si l’uniformisation ou la diversité linguistique
est optimale pour promouvoir la croissance économique, sans tenir compte du contexte
linguistique local et économique. Par ailleurs, même s’il était établi que la spécialisation
linguistique dans une langue donnée est optimale, il n’y a rien qui prouve que
l’optimalité sociale poursuivrait. Ce qui s’explique très certainement par l’existence de
contraintes systémiques telles l’échec de la coordination. De plus, cet échec de la
coordination est d'autant plus probable dans le contexte des pays en développement,
où pour différentes raisons, l’information circule moins librement que dans les pays
développés.

85
86
3 Chapitre III : Cadrage théorique
Si l’on estime que la consommation de biens et services est primordiale dans tout circuit
économique et même prioritaire par rapport à la production, on doit aussi admettre
que connaître la clientèle que l’on doit servir à travers ses besoins, ses contraintes, ses
considérations sociales, morales et religieuses, doit être au début et à la fin de tout
processus dont le but est d’améliorer des conditions de vies des personnes issues des
classes sociales défavorisées. C’est pour cela qu’il nous semble important, avant d’aller
plus loin, d’accorder une importance particulière à la question du besoin, de sa
conception en milieu pauvre, de son évolution et de sa relativité dans le monde en
développement. Clarifier la question du besoin en milieu pauvre, aussi complexe soit-
elle, constitue sans doute le premier pas pour toute tentative d’appréhender
l’adéquation des besoins des personnes à faible revenu aux services et produits des
IMF.

Un regard sur l’histoire des sciences économiques et sur son évolution montre que les
tentatives pour définir le concept de besoin sont sans doute aussi anciennes que la
civilisation humaine, mais elles sont apparues plus tard dans le champ économique.
Depuis environ deux siècles et à de rares exceptions près, les ouvrages d’économie
commencent leurs discours et délimitent leurs champs à partir de notions simplifiées,
sans d’ailleurs les expliciter mais au contraire en les présentant comme de simples
évidences de bon sens. À travers des définitions trop simplifiées comme celle-ci :
« L’homo economicus est un sujet du besoin qui cherche à posséder et à utiliser des
objets parce que, en leur absence, sa vie ou sa bonne santé sont menacées, son
équilibre physiologique ou psychologique, son homéostase, sont détruits» (Annelies,
2016, p.119), l’être humain est réduit à de l’organisme, à un simple animal, faisant fi de
plusieurs paramètres qui ne peuvent être ignorés. Bien que tout le monde soit d’accord
qu’il faut manger pour survivre, et que l’existence physique est une condition
absolument nécessaire, elle n’en est pas moins une condition totalement suffisante.
D’où la question suivante : les besoins de l’être humain peuvent-ils être conçus en
dehors de son environnement, de son milieu social, du système culturel dans lequel il
évolue ? Selon Rist (1980, 2007), même si beaucoup d’auteurs économistes accordent
une certaine importance aux valeurs culturelles dans l’étude des besoins, il y a moins
87
d’unanimité lorsqu’il s’agit de répondre à la question suivante : la notion de besoin est-
elle ou non capable de rendre compte de la diversité des pratiques sociales d’une
communauté ? Une quelconque société prise dans sa globalité peut-elle être
déterminée et comprise dans ses pratiques et comportements par la manière dont
s’organise l’existence de ceux qui la composent, comme notamment sa diversité
culturelle et linguistique ? Ainsi, là où certains parlent de satisfaction de besoins
fondamentaux, faisant référence aux besoins physiologiques, d’autres sont plutôt
orientés vers les conditions dans lesquelles une logique sociale peut être productive de
sens au point d’être déterminante et même fondamentale dans l’expression des
besoins. L’intérêt de ce débat n’est pas systématiquement de réfuter la conception
classique du concept de besoin, mais c’est surtout d’apporter une dimension
supplémentaire très souvent ignorée, telle que le lien entre besoins et logiques sociales,
l’influence que peut exercer l’un sur l’autre. C’est aussi une manière d’apporter une
critique positive sur les stratégies utilisées dans les politiques de développement, plus
particulièrement dans les pays du Sud, où les pratiques, les normes sociales et
symboliques ont encore une place non négligeable au sein des populations.

3.1 Le besoin au sens économique


Dans les sciences sociales, l’évolution du concept s’est faite avec l’histoire de la
civilisation et la place de l’individu dans la société. Les approches sur le besoin peuvent
être différentes et évoluer d’une discipline à l’autre, et la grande difficulté rencontrée
dans toutes les disciplines est l’absence d’une définition unanime et satisfaisante du
concept.

Bien qu’il soit présent dans les théories des grands auteurs économistes (Adam Smith,
David Ricardo, ou Jean-Baptiste Say), la notion du besoin n’y fait pratiquement l’objet
d’aucune étude particulière (Albou, 1975). Le concept de besoin reste flou et banalisé,
et est synonyme de manque et de nécessité dans la plupart des cas. On le distingue mal
des termes voisins comme désir, aspiration, et on le substitue indifféremment les uns
aux autres sans que la différence soit vraiment perçue. Qu’il soit conçu comme manque
ou nécessité, le besoin occupe une place très importante dans les sciences
économiques et constitue même le fondement de l’économie politique qu’Adam Smith

88
met en lumière dans sa dialectique « Donnez-moi ce dont j'ai besoin, et vous aurez de
moi ce dont vous avez besoin vous-même ». Cependant, cela ne nous dit rien sur le
contenu du besoin, ses caractéristiques, ce qui le différencie avec d’autres termes
voisins. Cette ambiguïté se retrouve chez presque tous les économistes, où il semble
exister un consensus unanime sur le terme, sans que l’on ne soit fixé sur la genèse et
sur le contenu du concept. Dans le meilleur des cas, le concept du besoin est ramené au
concept d’utilité.

Identifier la nature d’un besoin dans un environnement donné nécessite d’abord une
identification des différents types de besoin que l’on peut y rencontrer. Pour avoir une
idée de la nature des besoins en milieu rural par exemple, on pourrait se poser
quelques questions basiques : de quoi les paysans ont-ils besoins pour vivre décemment
dans leur terroir, se protéger contre le froid, les intempéries, la famine, les maladies
etc. ? De ce point de vue, le besoin peut être conçu comme un manque que l’on ressent
et que l’on souhaite combler. Dans ce cas, le produit ou le service qui, par sa
consommation, permet de satisfaire le besoin ressenti est appelé bien économique. Le
fonctionnement du circuit économique est caractérisé par un double phénomène qui
est la production et la consommation de biens et services. Ce circuit économique est
matérialisé à travers l’offre et la demande de biens et services, quel que soit le marché
considéré. Par offre de biens et services, nous entendons l’ensemble des biens et
services que l’appareil productif d’un système est disposé à produire. Quant à la
demande, nous faisons référence à l’ensemble des produits et services que les
consommateurs d’une région donnée, d’un secteur donné ou d’un sous-secteur sont
disposés à consommer, soit dans l’immédiat, soit sur le moyen ou le long terme. Ce
circuit économique, formé d’une part par un système de production (l’offre) et d’autre
part par un système de consommation (la demande) constitue les bases sur lesquelles
sont fondées presque toutes les analyses économiques, parfois dans des formes très
simplifiées. Avec une approche microéconomique, on constate que dans un marché
considéré, l’offre et la demande ne sont que la partie visible d’un ensemble de facteurs
complexes, parce que reflétant des choix individuels basés sur plusieurs paramètres pas
facilement mesurables, tels que les goûts et les envies des consommateurs, qui ne sont
pas statiques. Pour la plupart des économistes (Perloff, 2003), l’élément central qui est
89
au cœur du circuit économique est le choix du consommateur, qui est dépendant de
son besoin. Sous cet angle, le moteur du circuit économique est le besoin du
consommateur, auquel le producteur se doit de trouver les moyens nécessaires pour y
répondre, en mettant à sa disposition des biens et services capables de satisfaire ce
besoin. Pour Perloff, il y a même une primauté de la consommation sur la production
car les biens et services produits sur le marché ont pour vocation de satisfaire des
besoins des consommateurs. Au sens économique du terme, s’il est admis que les biens
et services produits par les appareils de production sont l’expression d’une volonté de
satisfaire les besoins des consommateurs, l’unanimité dans la définition du concept et
de ses différentes natures fait défaut. Pour Keynes, le besoin au sens économique peut
être conçu comme un manque éprouvé envers un bien dont la consommation en
quantité suffisante à tendance à diminuer ce sentiment de manque. Mais toujours selon
ce dernier, ces besoins sont complexes et de natures différentes. Dans un essai publié
en 1931, intitulé « Perspectives économiques pour nos petits-enfants »,
Keynes, de la même façon que Marshall (1906), développe une catégorisation des
besoins. Il estime que les besoins sont de deux natures. Il y a d’une part les besoins
absolus et d’autre part les besoins relatifs. Les besoins absolus ont un caractère absolu
en ce sens que nous les éprouvons quelle que soit la situation de nos semblables
(Keynes, 1931). Dans la distinction de Keynes, les besoins absolus peuvent être assimilés
aux besoins indispensables ou physiologiques. Quant aux besoins relatifs, Keynes
comme Marshall les définissent comme ceux qui possèdent un caractère relatif en ce
que nous ne les ressentons que si leur assouvissement nous place au-dessus de nos
semblables ou nous donne l’impression de leur être supérieurs (Keynes, 1931). Dans
l’optique de Keynes, la satisfaction du besoin relatif est perçue comme un moyen
pouvant donner à l’individu un certain statut et confort vis-à-vis de son environnement
ou de son milieu social. Ce type de besoin ne peut être considéré comme étant
fondamental et il peut varier suivant le contexte. Dans la réflexion de Keynes,
contrairement aux besoins relatifs, les besoins absolus, très généralement respectent le
critère de satiabilité. Que nous en soyons conscients ou pas, il existe pour cette
catégorie de besoins un seuil au-delà duquel ces besoins seront assouvis, et que nous
préférerons alors consacrer alors nos énergies encore disponibles à d’autres buts. La

90
satiabilité des besoins absolus ou fondamentaux n’est pas difficile à vérifier. Il tient au
fait qu’il existe non seulement un seuil de consommation ou de satisfaction, mais aussi
que le seuil peut même parfois être très proche. Nous avons tous le besoin de manger à
notre faim, de dormir quand nous avons sommeil, de nous reposer quand nous sommes
fatigués, mais une fois que nous sommes rassasiés ou que nous avons dormi
suffisamment ou que nous nous sommes assez reposés, le besoin de manger, de dormir
ou de se reposer disparaît, du moins dans le court terme. Quant aux besoins relatifs,
Keynes estime qu’ils correspondent au désir de supériorité et sont peut-être tout à fait
insatiables, car ils sont d’autant plus élevés que le niveau général de satisfaction est lui-
même élevé. Dans la typologie de Maslow, exceptés les besoins de la première
catégorie, notamment les besoins physiologiques, les autres catégories de besoins
(sécurité, appartenance, estime de soi et accomplissement), semblent remplir ce critère
d’insatiabilité auquel Keynes fait référence. Le besoin de sécurité ou d’estime de soi
que confère un certain prestige semble parfaitement augmenter avec le statut de
l’individu dans son environnement ou dans son milieu social. Perloff (2004) reste dans la
même classification, en parlant de besoins physiologiques ou vitaux, qui correspondent
aux besoins nécessaires aux individus pour vivre, et de besoins sociaux ou
psychologiques créés artificiellement par l’individu et son environnement. Sy (2014)
abonde dans le même sens, en estimant que le besoin est une sensation d’insatisfaction
éprouvée par l’individu avec une notion relative qui varie selon le contexte social. Pour
préciser son idée, Sy explique que les besoins « expriment la nécessité de consommer
provenant d'un désir, d'un sentiment de privation. Ils rendent nécessaire l'intervention
humaine, au travers de laquelle on distingue les besoins primaires, qualifiés de vitaux
(se vêtir, se nourrir, se loger) ainsi que les besoins secondaires, qui correspondent à des
besoins de civilisation (culture, confort, mode) » (Sy, 2004, p.20). En plus de ces deux
catégories, il peut aussi exister une troisième catégorie, appelé « besoin de luxe » qui
peut être non observable chez les personnes à faible revenu, mais a tendance à
apparaître avec la hausse du niveau de revenu.

Pour Bonenfant (2004), le besoin peut être vu comme un état d’insatisfaction ou un


sentiment de privation, de manque, parallèle à la notion de désir, que l'individu cherche
à faire disparaître par la consommation d'un bien. Cette définition met en évidence un
91
lien fort entre le besoin et le bien qui, au sens économique, se caractérise par sa
capacité à satisfaire un besoin. Sous cet angle, le besoin fait référence à un état
d‘insatisfaction consécutif à un manque ou un déficit de consommation d’un bien. Ainsi,
on peut intuitivement imaginer que chaque type de besoin correspond à un type de
bien précis, et que l’identification de ces besoins dans un environnement donné revient
à identifier les biens éventuellement disponibles dans ce même environnement.
Néanmoins, comme nous le verrons, la relation entre ces deux concepts est plus
complexe qu’il n’y paraît.

3.2 Le concept de besoin entre évolution et universalisation


On peut estimer que globalement, les travaux consacrés au concept de besoin
s’inscrivent dans deux orientations liées à l’économie. Il s’agit de l’orientation
philosophique et de l’orientation psychologique, qui dans une certaine mesure
montrent la complexité et l’insuffisance du concept. Ce prolongement sur la réflexion
du concept de besoin dans des disciplines voisines nous permet de mieux comprendre
le système des besoins, leurs particularités et leurs fondements.

Qu’il soit conçu, comme le suppose Allais (1953) « une réalité en soi », ou basé sur des
éléments constitutifs comme le manque/désir/croyance, il est étonnant de voir
l’absence de formule compréhensive, autre que purement verbale, qui puisse définir le
besoin. Selon Febvre (1951), cette discussion interdisciplinaire, bien qu’elle soit large,
semble se focaliser sur deux voies distinctes, dont l’une est théorique et l’autre
descriptive. L’approche théorique consiste à saisir les besoins à leur source, « à se
demander d'où ils viennent et comment ils s'expriment, l'autre statistique qui attend,
pour appréhender les besoins, qu'ils aient donné lieu à des consommations effectives et
borne ses recherches à ces consommations » (Febvre, 1951, p.328). Ces deux
approches sont plutôt complémentaires en réalité. L’utilisation privilégiée de l’une ou
de l’autre dépend de ce que nous cherchons à comprendre. Si l’on se propose de mieux
comprendre par exemple la nature et l’évolution des besoins dans une communauté,
l’approche théorique est sans doute celle qui est la plus adéquate parce qu’elle permet
de mettre en exergue la complexité du concept. Par contre, si l’on s’intéresse plutôt aux
questions de satisfaction d’un besoin déjà identifié, l’approche statistique ou descriptive

92
prend un intérêt renouvelé et reste pertinente, et même plus utile que l’approche
théorique. Les deux approches sont très complémentaires, et on voit mal comment
l’une peut aller sans l’autre.

Pour Nuttin (2015), le point de départ de toute recherche dans le domaine des sciences
économiques est la nature besogneuse de l'individu, sans laquelle il n'y aurait ni
économie ni science de celle-ci. Presqu’un demi-siècle avant, Freund (1970) estimait
qu’incontestablement le besoin est au début de toute étude économique, mais les
réflexions philosophiques ont la particularité de nous montrer son côté abstrait et
essentiel pour comprendre la conduite humaine, donc la conduite économique. Sans
cette compréhension, relevant des domaines philosophique ou psychologique, le besoin
apparaît auprès des économistes sous la forme d’une demande abstraite et solvable,
donc exprimée par une tierce personne ou une communauté. La plupart du temps, le
besoin est réduit à un caractère matériel et dénudé de son sens humain et contextuel.
Il est une sorte d’aliénation et son objet n’est plus perçu, au point que pour certaines
catégories de personnes, généralement vulnérables, le désespoir de ne pouvoir y
remédier est presque total. Pour les personnes plus aisées, son caractère d’urgence se
réduit au fur et à mesure qu’il se multiplie, se change en désirs, devient de moins en
moins vital. Dans l'un et l'autre cas, « l'homme ne se connaît plus comme porteur de
besoins et n'en perçoit plus consciemment la nécessité. L'argent, essence aliénée de
l'homme, devient un fétiche automatique en fonction duquel tout l'univers s'organise »
(Albou, 1975, p.207). Le lien de substituabilité entre le besoin et l’argent est encore plus
actuel dans les sociétés modernes. Il rend leurs frontières abstraites et confuses,
confond parfois moyens et finalités, en mettant l’accent plus sur la production de la vie
matérielle plutôt que sur la satisfaction des besoins des personnes.

Les économistes de l’école autrichienne (Menger, Walras, Jevons) ont tenté d’apporter
une analyse plus fine et concrète du besoin par la notion d’utilité, mais semblent
accorder peu d’importance aux interactions de l’individu avec son milieu social, mettant
plus l’accent sur l’aspect individualiste. Cette approche réductrice d’une notion aussi
complexe que le besoin pose problème, dans la mesure où elle conçoit un individu isolé,
complètement détaché de son environnement et de son milieu social. Or, le besoin de

93
l’individu semble être une combinaison de facteurs individuels et collectifs, fortement
dépendant de son environnement et du milieu social dans lequel il évolue. Partant de
cette limite, il devient nécessaire de privilégier une conception qui prenne en compte
les interactions de l’individu avec son milieu, afin de mieux comprendre son besoin et
comment il peut être exprimé ou observé.

Une telle conception du besoin a surtout été développée dans la psychologie


économique (Tarde, 2010 ; Hassael, 2010 ; Laguardia et Ryan, 2000), remettant
l’individu et son besoin au cœur d’un système collectif et interdépendant. Pour Tarde,
le besoin est certes le moteur de la vie économique, mais il n'est pas une donnée
première et il doit s'analyser comme une combinaison d'éléments (désir et croyance),
qui relèvent l'un et l'autre de la psychologie comportementale. L’apport de l’approche
de la psychologie économique a permis de répondre à une question centrale dans les
régimes communistes du début du XXème siècle. Une idée de base justifiant la
centralisation de l’économie dans les régimes communistes s’était fondée sur
l’hypothèse selon laquelle la multiplication des besoins dans une société n’était
favorable ni pour l’économie, ni pour la société dans sa globalité (Pirotte,
2011). Étudiant ces courants de besoins, tantôt appelés désirs, les psychologues
économistes ont permis de mieux comprendre la nature des besoins individuels ou
collectifs au sein d’un groupe social. Pour Albou (1975), accepter la multiplicité des
besoins dans une société, aussi variés soient-ils, est un premier pas vers le
renforcement de l’harmonie sociale. Autrement dit, contrairement à ce qui était
défendu par les penseurs communistes ou marxistes, la multiplication des besoins
favorise la diffusion de nombreux besoins, donc l’expression de la diversité, et tend à
accélérer le développement de l'activité économique et par conséquent renforcer la
paix sociale et l’harmonie dans le pays concerné.

De Lauwe (1956) insiste sur le lien entre besoin et structure sociale. Selon ce dernier,
l’étude des besoins ne peut être séparée de l’étude des structures sociales. En se
limitant à une définition statique et réductrice du besoin, on risque de tomber dans un
fonctionnalisme inapproprié et dépassé. De la même manière, s’attacher uniquement
aux structures sociales sans tenir compte des besoins et de leur évolution, fortement

94
dépendante des transformations économiques et sociales, risque de nous mener vers
une direction un peu éloignée de la réalité du moment. De Lauwe souligne l’importance
de la connaissance des faits sociaux pour avoir une idée plus juste sur la nature des
besoins. Il identifie quatre types de besoins présents dans la plupart des groupes
sociaux avec des variétés plus ou moins importantes selon la complexité de
l’organisation du groupe social.

1. Il y a d’abord les besoin-objet , qu’il qualifie comme un élément extérieur


indispensable soit au fonctionnement d'un organisme, comme la nourriture, soit
à la vie sociale d'une personne en fonction de son statut, tel qu'un logement
convenable, soit à un groupe social pour subsister et se maintenir en équilibre
dans une structure sociale, tel qu'un système de protection réclamé par des
syndicats ouvriers. Le besoin se rapporte donc soit à la personne, soit au groupe,
soit à la société globale. Dans ce cas de figure, l'objet, dont la présence est
nécessaire, répond aux exigences de la nature, de l’environnement, ou aux
impératifs de la vie collective. Pour De Lauwe, un besoin se manifeste d’abord
sous forme d’objet, donc comme un manque ou une privation de quelque
chose.

2. Ensuite, lorsqu’il n’est pas satisfait, cela engendre un état de tension qui peut
aller d’une simple préoccupation légère à un état d’angoisse. Le besoin qui fait
l’objet de privation, peut être un objet concret ou une position sociale capable
subjectivement d’apaiser « l’appétit » de l’individu. À partir de ce niveau, le
besoin qui s’était manifesté sous forme d’objet se transforme en besoin-état.
Cette deuxième manifestation du besoin est non seulement utile dans le
processus d’évolution, mais elle permet aussi de ne pas le confondre avec le
désir, bien que les frontières ne soient pas toujours très évidentes à identifier.
Sous cet angle, l’appétit que procure le besoin-état donne naissance au désir,
dans la mesure où l’individu en est véritablement conscient. L’intensité du désir
dépend alors à la fois des niveaux de manque et de conscientisation du sujet. La
particularité du besoin-état est son aspiration à être satisfait dans le court
terme.

95
3. De Lauwe distingue une troisième forme de besoin qu’il appelle besoin-
aspiration, qui fait référence à des images, des représentations, des modèles
engendrés dans des sociétés, dans des cultures, donc conditionné par le milieu
social. Les besoins sous forme d’aspiration, du fait de leur nature, sont
susceptibles d'être satisfaits dans un avenir moins proche. Ils permettent à
l'individu, dans une mesure plus ou moins grande, de s'élever au-dessus de sa
condition présente. Sa réalisation dépend de plusieurs facteurs parmi lesquels la
structure et les normes sociales du milieu dans lequel évolue l’individu.

4. Enfin, sous l’influence de trois facteurs relativement liés à la modernité et


fréquents dans les régions en développement (l’urbanisation, l’industrialisation
et l’informatisation), le besoin-aspiration peut se transformer progressivement
en une quatrième forme de besoin qu’il appelle besoin-obligation, qui
correspond à ce qu'on ne peut éviter de satisfaire pour permettre aux hommes
de survivre dans une société donnée. Ils sont donc à caractère plus urgent et
plus intense pour l’individu. Dans les pays en développement, la non-satisfaction
des besoins-obligations est parfois sources de contestations ou même de
révolutions contre le pouvoir public, comme ce fut le cas en 2011 avec le
printemps arabe19 dans certains pays du Proche Orient (Syrie, Yémen), d’Afrique
du nord (Tunisie, Égypte, Libye et Jordanie) et d’Afrique subsaharienne (Burkina-
Faso). La frontière entre le besoin-aspiration et le besoin-obligation n’est pas
toujours facile à identifier, et cela s’intensifie sous l’effet de la mondialisation,
aussi bien au niveau culturel qu’au niveau organisationnel des sociétés.
Toutefois, dans la distinction de De Lauwe, dès qu'un besoin-obligation se
trouve satisfait pour la plus grande partie de la population, il permet à de
nouveaux besoins-aspirations de se libérer, et ainsi de suite. Cette évolution
permanente des besoins auprès de l’individu, du groupe social ou de la
communauté explique en partie leur renouvellement perpétuel et le sentiment
d’insatisfaction qui caractérise généralement certaines populations, notamment
les plus aisées. Par exemple, dans les sociétés industrialisées, la course à la

19
L’expression est utilisée pour désigner les vagues de contestations populaires survenues au printemps
2010 dans le Proche orient et une partie de l’Afrique subsaharienne.
96
consommation joue un rôle de plus en plus important, et est accentuée par la
publicité. Par conséquent, les aspirations ne sont jamais satisfaites parce que de
nouvelles aspirations sont suscitées avant que le niveau antérieur ne soit atteint.
L’ampleur de ce sentiment d’insatisfaction tient à ce que les besoins sous forme
d’aspirations ont tendance à se développer plus vite que les moyens disponibles.

3.3 Le besoin dans une approche hiérarchisée


Dans sa théorie du choix, Glasser identifie des premiers besoins qu’il qualifie de
primaires dans la mesure où ils sont communs à tous les êtres humains et inscrits
génétiquement chez chacun d’entre nous. Il estime que les besoins primaires sont des
besoins physiologiques indispensables à la survie et ressentis par tous les êtres
humains, quel que soit leur sexe ou leur âge. Par conséquent, selon ce dernier, suivant
les régions et les époques, « les gens compétents peuvent décrire ou étiqueter
différemment ces besoins, mais personne ne peut sérieusement contester que, dans
toutes les cultures et à tous les degrés de civilisation, les hommes ont les mêmes
besoins essentiels » (Glasser, 1997 p.31). Dès lors, nous entendons par besoins
essentiels, l’ensemble des besoins fondamentaux qui sont constamment présents et
nécessitent d’être satisfaits continuellement (Galtung, 1980). Entre autres on peut citer
le besoin de respirer, de manger, de dormir, et de se soigner en cas de maladie. Ces
besoins sont fondamentaux au sens où nous prenons très vite conscience de leur
urgence quand ils sont insatisfaits. Lorsque nous manquons d’air ou que nous sommes
malades, le reste devient sans importance tant que ces besoins ne sont pas satisfaits.
Dans la classification de Glasser, tout autre besoin qui n’entre pas dans cette catégorie
primaire et commune à tous les individus est considérée comme besoin secondaire.
C’est la satisfaction de besoins primaires ou physiologiques qui introduit le second type
de besoins conçus comme étant des besoins secondaires ou psychologiques, tels que
l’appartenance, la liberté ou le pouvoir.

Bigler et Chevalley (2009) abondent dans le même sens que Glasser. Ils considèrent que
les besoins secondaires constituent la seconde catégorie de besoins et sont exprimés
lorsque les besoins primaires indispensables à la vie sont satisfaits. Par exemple, les
besoins de confort et de luxe sont considérés comme secondaires à partir du moment

97
où, pour prétendre au confort ou au luxe, il faudrait s’affranchir des besoins
indispensables à la vie. Ce sont des besoins qui dépendent de l’environnement culturel.
Ils peuvent varier selon les individus à l’intérieur d’un même groupe. Ainsi un compte
bancaire, un téléphone portable ou un téléviseur peuvent être superflus pour certaines
personnes, alors qu’ils sont ressentis comme très importants pour d’autres personnes.
Pour Bigler et Chevalley, la différence fondamentale entre les besoins primaires et les
besoins secondaires est que les premiers sont indispensables quel que soit le contexte
environnemental de l’individu, alors que les derniers sont composés de besoins
culturels et de besoins de luxe.

Le psychologue Maslow (1943) propose une classification plus complexe. Ce dernier


estime que les besoins que peuvent éprouver les êtres humains sont très divers et ne
peuvent être regroupés en deux catégories. Il considère qu’il existe d’une part les
besoins les plus fondamentaux, liés à la survie et d’autre part des besoins plus évolués
se rapportant à la satisfaction et à l’épanouissement personnel. L’ensemble peut être
classé en cinq catégories : le besoin physiologique, le besoin de sécurité, le besoin
d’appartenance, le besoin d’estime et le besoin de s’accomplir. Maslow préconise cette
classification des besoins humains dans le but de définir une hiérarchisation de leur
apparition chez les individus. Le principe de son raisonnement est basé sur le fait qu’il
considère qu'un besoin supérieur ne peut apparaître que lorsque les besoins inférieurs
sont satisfaits. L’idée de fond de sa théorie est importante pour comprendre le
fonctionnement des individus dans leurs choix et comportements. Dans la théorie de
Maslow, les besoins fondamentaux ont toujours une préséance sur les autres besoins
évolutifs, dans la mesure où le degré de variabilité de de ces derniers est plus élevé et
dépend d’un ensemble de paramètres qui peut changer d’un individu à l’autre, d’un
milieu à l’autre, et même d’un besoin à l’autre. Dès lors, on comprend aisément qu’il
faut d’abord survivre pour que l’épanouissement devienne une préoccupation
pertinente. Dans la typologie des besoins de Maslow, il y a tout d’abord les besoins
physiologiques qui sont fondamentaux car ils sont directement liés à la survie. Ils sont
d’ordre physiologique et prioritaire chez tous les individus. Ensuite, il y a les besoins liés
à la sécurité tels que la sécurité de l’emploi, la protection de la propriété, la stabilité
familiale ou dans le travail, qui sont aussi liés dans une certaine mesure aux besoins de
98
survie même s’ils ne sont pas d’ordre physique. Pour Maslow, les deux niveaux suivants
sont les besoins d’appartenance (amour, appartenance à un groupe, amitié, etc.) et les
besoins d’estime (appréciation des autres, liberté, estime de soi, etc.), donc ne peuvent
pas être considérés comme des besoins fondamentaux. Dans les besoins
d’appartenance que l’on peut aussi appeler besoins sociaux, l’individu cherche à
s’identifier à un groupe social, à appartenir à une communauté, à être admis et intégré
dans le groupe social auquel il s’identifie comme sa famille, ses amis ou ses
collaborateurs. Puis arrive le besoin d’estime de soi, dans lequel l’individu cherche
l’estime ou l’appréciation des personnes de son environnement, de ses supérieurs ou
de ses amis. Ces deux types de besoins relèvent de la vie sociale et concernent plus
directement la recherche de satisfaction dans laquelle les besoin d’appartenance
précèdent les besoins liés à l’estime. Dans les deux cas, l’enjeu n’est plus une question
de survie physiologique, mais un besoin de satisfaction psychique dans un
environnement social donné. Au dernier niveau de la pyramide de Maslow, nous
trouvons le besoin d’accomplissement, qui se démarque des besoins inférieurs.
Contrairement aux autres types de besoins, le besoin d’accomplissement n’est pas
forcément ressenti à partir d’un manque. Il s’agit d’un besoin de réalisation de soi où
l’individu développe un besoin d’affirmer son caractère unique et personnel au sein
d’une communauté qui lui confère dès lors une place particulière dans son
environnement. Ce type de besoin tend à se développer et à s’agrandir lorsque l’on
commence à le satisfaire. Il s’agit surtout du désir d’exploiter son potentiel au
maximum, entre autre la recherche de vérité, de justice, de créativité, etc. Une quête
qui, lorsqu’on l’entreprend, devient souvent interminable.

99
3.4 La demande invisible : la grande oubliée en contexte de faible revenu
L’apparition des besoins sous une forme individualisée est relativement récente, et a
été surtout développée dans les économies libérales du XIXème siècle, reconnaissant la
pluralité des besoins et leurs variétés. À mesure qu'évoluent les conditions
économiques et que régresse la pauvreté, s'affirment, à côté du besoin, les besoins,
c'est-à-dire des exigences nées de la nature et de la vie sociale : « les besoins du prince,
comme ceux de la république et de la cité (les exigences collectives), cèdent la place aux
besoins individuels » (Albou et al. 1975, p.199). Dans le secteur de la microfinance, si
l’on considère le besoin comme l’élément central que le producteur doit chercher à
satisfaire, l’analyse du circuit économique de la microfinance, constitué d’une part par
la demande de biens et services des clients et d’autre part par l’offre de biens et
services des IMF dans leur ensemble, devrait nous permettre de mettre en évidence
l’ensemble des besoins des clients de la microfinance sur un marché donné. Cela
revient néanmoins à sous-entendre que les clients des IMF expriment l’ensemble de
leurs besoins sur le marché de la microfinance, et qu’une simple analyse de l’offre et de
la demande les fait ressortir. La réalité est beaucoup plus complexe. Le marché de la
microfinance, à l’instar des autres marchés, régis par l’économie de marché n’échappe
pas à une sélection des demandes jugées solvables. Ce qui fait que pour une étude qui
part des besoins des personnes clientes des IMF, une simple analyse des produits et
services offerts par les IMF peut ignorer un ensemble de besoins parfois même
fondamentaux chez les clients. Cet aspect des besoins « invisibles » dans la demande de
biens et services adressée par les personnes à faible revenu aux IMF a été pour la
première fois identifiée par Théophile Sossa (2011) dans ses études sur les impacts de la
microfinance dans le monde rural béninois. Pour Sossa, il convient de garder à l’esprit
que ces besoins « invisibles » peuvent ne pas faire l’objet d’une demande de services
dans la mesure où les sociétés humaines fonctionnent sur une base d’économie qui ne
tient compte que des demandes solvables. « Quand bien même certains besoins ne
sont pas exprimés sous forme d’une demande pour laquelle il existe une offre, ils
restent identifiables à travers les détours pour les satisfaire ou les chocs d’existence que
subissent les familles et les efforts pour les prévenir ou y résister » (Sossa, 2011, p. 89).
Bien que la reconnaissance de la pluralité des besoins et la plupart des caractéristiques

100
énumérées soient aujourd’hui effectives, du moins dans une large mesure, les besoins
en question ne font référence qu’à ceux exprimés sur le marché. Dans nos sociétés
contemporaines, dominées à tort ou à raison par le libéralisme économique, très
généralement, les besoins répertoriés dans les marchés sont assimilés aux demandes
exprimées des consommateurs. Et dans ce contexte, seule la demande exprimée et
solvable est susceptible d’être satisfaite, puisque la production de profit est au début et
à la fin du système.

Or, vouloir limiter les besoins d’une communauté à la demande exprimée ne


correspond pas à la réalité. Cela est encore moins évident dans les pays en
développement pour principalement deux raisons.

1. La première suggère un niveau de conscientisation et d’informations suffisant,


permettant au consommateur de connaître avec précision ce que le marché
propose et les différentes dispositions nécessaires pour y avoir accès. Il permet
au consommateur de prendre connaissance de l’état du marché et des services
pour les confronter à ses besoins ou manquements. Ce niveau de
conscientisation et d’accès aux informations qui semblent évidentes dans les
régions dites développées, et capital dans la prise de décision, fait parfois défaut
dans les sociétés les moins développées économiquement, où l’accès à
l’information n’est pas toujours facile, plus particulièrement quand il s’agit de
personnes qui ne savent ni écrire, ni lire les langues officielles du pays.

2. La deuxième raison est que dans les régions les moins développées, une partie
des besoins peut ne pas être exprimée soit du fait que certaines personnes sont
exclues du marché pour différents raisons, soit du fait qu’elles n’ont aucun
moyen, à coût supportable, d’exprimer leurs besoins, à part se contenter des
produits et services qui sont déjà fournis. Dans ce sens, le besoin avec ses
caractéristiques complexes paraît plus large que la demande exprimée sur le
marché, soumise principalement à la condition de solvabilité.

Cela sous-entend que dans un groupe social avec des caractéristiques particulières,
telles qu’un niveau d’éducation très faible et un accès à l’information limité, les besoins
les plus importants des membres ou de la communauté ne sont pas forcément
101
observables à travers le marché, parce qu’en effet, pour différentes raisons, tous les
besoins n’occasionnent pas une demande, bien qu’ils restent observables à travers les
pratiques et comportements des individus dans le but de les satisfaire. Dans cette
perspective réductrice, ou la quasi-totalité de l’organisation sociétale, même les moins
modernes, tourne au tour du marché libéral et du principe de « solvabilité d’abord
avant production », c'est la quête du profit et à elle seule, dans son rapport avec le
capital utilisé, qui décide de l'extension ou de la limitation de la production au lieu que
ce soit le rapport de la production aux besoins sociaux, aux besoins d'êtres humains
socialement évolués et variés. Cela dit, l’analyse du niveau d’adéquation des besoins
des personnes à faible revenu à l’offre des IMF non seulement ne se limite ni à une
analyse comparative entre offre et demande, ni à un recensement des besoins
financiers des personnes en question. Elle part plutôt de l’analyse des comportements
financiers, des logiques et des contraintes des personnes à faible revenu dans leur vie
quotidienne, et des vecteurs de vulnérabilité qui influencent le bien-être de ces
populations.

L’approche qui consiste à rechercher les besoins des personnes clientes des IMF
constitue un fondement de notre recherche, plus particulièrement auprès de personnes
à faible revenu, clientes ou potentielles clientes. Identifier ces besoins financiers dans
leur diversité, leurs contraintes, telles que liées à aux activités financées ou aux
contextes sociaux constitue un préalable. Des enquêtes réalisées sur des clients de la
microfinance (Rutherford et al., 2002) montrent que les personnes à faible revenu
peuvent ignorer les services financiers qui pourraient répondre à leurs besoins, à part le
crédit. Cette asymétrie entre les besoins ressentis, parfois invisibles, et les besoins
exprimés à travers les dires des clients, est considérée dans notre étude comme un
élément central de l’inadéquation entre les besoins des personnes à faible revenu et les
offres des IMF.

102
3.5 Revisiter le concept de besoin
S’il est vrai que l’accès au crédit apparaît comme un besoin fondamental chez les
personnes à faible revenu, la nature des besoins financiers des personnes à faible
revenu et les contraintes qui y sont associées sont parfois ignorées dans les institutions
de microfinance. Selon Nowak (2004), le problème de l’exclusion financière, qu’il
s’agisse des paysans sans terre d’Asie, des petits travailleurs informels des favelas
d’Amérique latine ou des exclus des pays industriels, tient certes, au-delà de mille
autres raisons, au manque d’accès au capital, mais aussi au manque d’offres de services
financiers adaptés aux réalités quotidiennes des pauvres. À l’instar des riches
entrepreneurs, les personnes à faible revenu ont besoin de développer leurs activités
productives, d’épargner pour se prémunir contre certaines éventualités comme les
accidents, les maladies, et les mauvaises récoltes. Plusieurs expériences à travers le
monde montrent que les personnes à faible revenu ne vivent pas dans un état statique
de pauvreté. En utilisant leurs propres stratégies telles que les outils de financement
développés dans la finance informelle, des millions de personnes exclues du système
financier classique arrivent tant bien que mal à créer et à développer des activités, bien
que les conditions dans lesquelles elles sont financées peuvent être très difficiles, voire
inhumaine (servitude pour dette, taux usuriers de plus de 100%, pression sociale, etc.).
En milieu rural, la collaboration entre propriétaires terriens, fournisseurs locaux et
agriculteurs est parfois utilisée comme alternative pour ceux qui ne peuvent accéder
aux services financiers classiques. Dans la zone des « Niaye » du Sénégal, où
l’agriculture de maraîchage est très développée, la pratique du crédit d’avance sur
récolte est très fréquente. À l’approche de la saison agricole, les cultivateurs qui n’ont
pas les moyens d’acheter les semences doivent trouver des fournisseurs (usuriers,
boutiques) qui acceptent de leur faire un crédit remboursable après la récolte. D’autres
qui n’ont pas de terres cultivables doivent travailler pour le compte de ceux qui en
disposent, et seront rémunérés en fonction du bénéfice réalisé à la fin de la récolte.
Cette dernière est connue au Sénégal sous le nom de « Mbaye-séddo », pour laquelle le
partage des bénéfices se fait en trois parties égales. Les deux tiers vont au propriétaire
(un tiers pour lui et un tiers pour son champ, à titre d’amortissement) et le tiers restant
va au travailleur. En milieu urbain, ils investissent dans de nouvelles opportunités

103
commerciales et créent parfois même de nouveaux emplois grâce aux nouvelles
opportunités dont ils disposent, comme l’accès au crédit notamment. Et parallèlement
à ce constat, force est de reconnaître que dans plusieurs pays en développement,
malgré les nombreuses politiques de lutte contre la pauvreté dans lesquelles l’accès au
crédit est au centre du dispositif, il s’avère qu’un grand nombre d’individus ayant
bénéficié des services des institutions de microfinance se sont appauvris davantage.
Dans les régions les plus concernées, notamment l’Afrique subsaharienne, les facteurs
explicatifs les plus récurrents sont les problèmes de santé des travailleurs bénéficiaires,
la difficulté d’accéder à des financements de qualité et adaptés, ou encore les aléas
climatiques (Morduch et De Aghion, 2004). Dans ce contexte d’incertitude et de
questionnement sur les effets de la microfinance auprès des personnes à faible revenu,
il nous semble important, certes d’accorder une importance à l’accès au crédit, mais
surtout de miser sur des outils financiers efficaces tels que l’épargne, l’accès à des
financements de qualité et adaptés, à des assurances de différente nature, et à tout
autre instrument financier ou social capable de les aider à surmonter leurs situations
spécifiques.

3.6 La pauvreté comme concept multidimensionnel et relatif


L’approche multidimensionnelle et relative de la pauvreté met en évidence le caractère
social de la pauvreté qui peut constamment varier selon le contexte l’environnement
social. Pour la pensée économique ordinaire, le pauvre est généralement considéré
comme celui qui n’a pas le strict nécessaire pour subvenir à ses besoins. Ce qui semble
lié dans la plupart des cas à l’absence de ressources économiques. Selon Rist (2007),
l’approche mettant directement le lien entre la pauvreté et l’absence de ressources
économiques peut être réductrice et en oublier d’autres éléments constructifs non
moins importants. Selon toujours ce dernier, sans parler des nombreuses traditions qui
valorisent la pauvreté volontaire comme les ordres des mendiants ou les soufis par
exemple, il existe de nombreuses manières de définir la pauvreté : « le pauvre médiéval
s’opposait au puissant plutôt qu’au riche, un personnage riche peut bien aussi passer
pour affectivement pauvre et, en Afrique, on considère comme pauvre non pas celui qui
manque de biens matériels, mais celui qui n’a personne vers qui se tourner et qui passe
pour une sorte d’orphelin social » (Rist, 2007, p. 402). L’analyse de Rist met convoque la
104
pauvreté dans sa construction sociale, constamment liée à son milieu environnemental.
La pauvreté ne peut pas se limiter à l’absence de revenu. Elle fait intervenir d’autres
éléments multidimensionnels que les experts du développement tentent
progressivement d’intégrer dans l’estimation de la pauvreté.

C’est dans cette idée que la démarche d’identification de « noyau dur » a été introduite
par Delhausse et al. (1999) comme une approche non-welfariste et plus proche de la
réalité. Elle part de la distinction de Sen (1997, 2007) sur sa définition de la pauvreté,
qui repose essentiellement sur un espace des capabilités, qui renvoie à l’ensemble des
vecteurs de fonctionnement qui indiquent les possibilités d’un individu de mener telle
ou telle autre vie. L’approche du noyau dur est synthétique et consiste à combiner
plusieurs indicateurs de pauvreté et, à travers ces indicateurs, à capter le phénomène
dans plusieurs dimensions. Les indicateurs utilisés sont rangés sous trois groupes
distincts. Il y a les indicateurs monétaires, le plus souvent utilisés dans l’approche
welfariste, auxquels on rajoute deux groupes d’indicateurs non-monétaires qui sont les
indicateurs de privation relative et de patrimoine. L’indicateur de privation relative,
appelé aussi l’indicateur de Townsend, considère un certain nombre d’éléments
fondamentaux et nécessaires que doivent avoir tout individu comme l’habitat,
l’équipement ménager, l’accès aux infrastructures publiques de bases (hôpital et école)
et l’accès au crédit. Quant à l’indicateur de patrimoine, il est un composant de quatre
rubriques principales qui sont le capital humain, le capital physique, le capital financier
et le capital social. Dans ce cas, l’absence de patrimoine est aussi une caractéristique de
la pauvreté. On peut ainsi penser aux paysans sans terre suite à la loi du domaine
national du foncier au Sénégal, ou aux difficultés des petits commerçants travaillant
dans l’informel, notamment dans les banlieues dakaroises. Selon Dubois, « c’est souvent
le résultat d’une impossibilité à accéder aux biens et services (éducation, soins de santé,
terrains, information…) qui permettent la constitution, par accumulation, de capital
(physique, humain, social) et, plus généralement, de potentialités (savoir-faire, réseaux
sociaux…) indispensables pour entreprendre et sortir de la pauvreté. Les actions qui
sont menées en faveur de la microfinance s’inscrivent dans cette logique » (Lasida et al ;
2009, p.38)

105
Au Sénégal, une étude de la pauvreté avec l’approche du noyau dur réalisée en 2005
par Diagne et Faye, montrait que 28,4% des ménages sont pauvres, soit 18,5% de la
population. Alors que pour la même période, une autre étude réalisée par le Ministère
de l’économie et des finances avec l’approche welfariste estimait la pauvreté à 33% de
la population sénégalaise. Une des critiques portées à l’approche welfariste qui peut
expliquer en partie cette différence entre les deux approches est la non-prise en
compte de l’autoconsommation, qui est une donne non négligeable au Sénégal comme
dans la plupart des pays en développement où les activités informelles occupent une
place importante dans l’économie. L’approche du noyau dur met en évidence la
pauvreté dans plusieurs dimensions. Son approche met en évidence les personnes
vivant dans une triple pauvreté que l’on peut juger sévère. Au Sénégal, le résultat le
plus frappant des résultats d’enquête obtenus avec l’approche du noyau dur est la
présence de la triple pauvreté dans plus de 60% des ménages auprès desquels on a
enquêté dans les villes. Ce résultat peut sembler paradoxal compte tenu de l’écart entre
le niveau de vie en ville et à la campagne. Mais il peut s’expliquer par les vagues d’exode
du monde rural vers les villes depuis les années 1980, après de longues années de
sécheresse et de précarité dans les campagnes. En effet, le relatif développement
infrastructurel et les opportunités économiques plus grandes des villes attirent les
populations rurales, très souvent confrontées aux difficultés économiques. L’attraction
est plus importante pour les ménages et individus sans moyens ni espoir dans leur
terroir. Cette dynamique alimente les inégalités et une forme d’exclusion sociale dans
les centres urbains et expliquerait la forte prévalence du noyau dur dans les villes.
L’approche du noyau dur est importante pour plusieurs raisons différentes, mais sa
limite essentielle est qu’elle risque de se focaliser uniquement sur les populations
victimes de la triple pauvreté. Autrement dit, l’approche recense les personnes ou
ménages présentant cumulativement les trois indicateurs. Elle rend plus sévères les
critères de sélection, pouvant dès lors réduire, pour une personne ou, un ménage, les
chances d’y appartenir. Cela s’est confirmé sur les enquêtes de perception de la
pauvreté réalisées par le Ministère de l’économie et des finances (2010). Elles ont
montré que certains ménages, ne présentant pas forcément les trois indicateurs à la
fois, se considèrent comme pauvres, et parfois même très pauvres. La robustesse de

106
l’approche tend à réduire le noyau dur à une mesure de l’extrême pauvreté, qui de fait
cible une population particulièrement pauvre, mais en même temps elle ignore
beaucoup d’individus qui pourtant présentent toutes les caractéristiques de la
pauvreté.

En plus des approches welfariste et du noyau dur, d’autres approches ont été
développées dans le contexte sénégalais. Déjà en 2000, le Ministère de l’économie et
des finances a utilisé un indice multidimensionnel de pauvreté qui en plus de la variable
monétaire fait intervenir trois autres variables : l’accès à l’eau potable, la santé et la
scolarisation. En plus de contenir les trois rubriques formant l’indice de développement
humain (IDH), l’indice de pauvreté multidimensionnelle utilisée par le Ministère
introduit une rubrique supplémentaire très importante (accès à l’eau potable) dans
l’étude des conditions de vie dans les régions en développement comme au Sénégal, où
plus de 17 % de la population du monde rural n’ont pas accès à l’eau potable. Dans
cette étude, 66% des ménages estimaient vivre une situation de pauvreté. Dans la
même dynamique, Ki et al. (2005) ont utilisé un indice fondé sur le couplage entre
l’accès aux infrastructures routières et les avoirs des ménages pour évaluer le niveau de
vie des ménages. Il ressort de cette étude que 58% des ménages sénégalais vivent une
forme de pauvreté. Dans une autre étude consacrée à l’évolution de la pauvreté dans
les ménages sénégalais entre la période 1990 et 2004, les experts du Ministère de
l’économie et des finances (2004) estiment que les résultats observés à l’aide de
l’utilisation de l’indice multidimensionnel utilisant la rubrique supplémentaire « eau
potable » ont fait ressortir que la pauvreté était souvent plus répandue que ne le
révèlent les études antérieures. Dans la même perspective, Bosco et al. (2005) ont
tenté de mesurer la pauvreté au Sénégal en utilisant une approche non-monétaire.
Selon ces derniers, l’approche monétaire à elle seule ne peut pas appréhender le
phénomène complexe de la pauvreté dans la région. Elle ne suffit pas pour rendre
compte des phénomènes multiples et complexes qui en découlent et qui empêchent les
personnes qui en sont touchées d’avoir une vie décente. Même quand on a les moyens
financiers de satisfaire ses besoins, il faut aussi que certains biens et infrastructures
soient disponibles et accessibles dans la localité où l’on vit. Ces auteurs insistent sur les
questions de disponibilité et de liberté d’accès aux services de base. Cette approche qui
107
utilise la disponibilité et les libertés d’accès est fondamentale et même complémentaire
de l’approche monétaire. Dans certains contextes, des personnes peuvent être
amenées à boire de l’eau non potable alors qu’elles ont les moyens de se payer les
services de la société responsable de la distribution d’eau potable dans la région. Elles
peuvent avoir les moyens d’offrir une éducation à leurs enfants, non scolarisés faute
d’écoles dans leur résidence. Elles peuvent courir le risque de mourir d’une petite
maladie, non pas qu’elles manquent de ressources financières pour se soigner, mais du
fait qu’elles habitent très loin du centre hospitalier le plus proche. Tout ceci montre que
la pauvreté n’est pas seulement monétaire, elle est aussi liée à la capacité des
populations à avoir accès aux services de base, à des coûts relativement soutenables.
Cette approche, développée pour la première fois par Sen en 1990, place le bien-être
dans l’espace des libertés et accomplissements. Elle met l’accent sur le concept de
« functionnings », considérant que l’individu non seulement doit avoir accès aux besoins
de base, il doit aussi avoir les libertés de choisir tant pour la satisfaction de ses besoins
que pour ses orientations politiques, culturelles, cultuelles et sociales. L’étude de Bosco
et al. (2005) a permis de mettre en évidence dans le contexte sénégalais trois types de
pauvreté. Le premier est une forme de pauvreté qu’ils ont appelé « la vulnérabilité de
l’existence humaine » qui selon eux est la plus répandue. Cette forme de pauvreté est
celle que l’on perçoit de l’extérieur chez un pauvre. Elle se manifeste par les conditions
d’habitation (murs et clôtures fragiles, absence d’eau potable, de toilettes, d’électricité
etc…). Le second correspond à la pauvreté en infrastructure qui se manifeste par un
accès très faible aux infrastructures publiques et privées comme les écoles, les services
sanitaires, les marchés de produits alimentaires etc. cette seconde forme de pauvreté
dépasse les possibilités des ménages. Elle est sous la responsabilité des pouvoirs
publics. Cette forme de pauvreté est plutôt directement liée à la politique et à la
capacité de l’Etat à offrir de façon équitable les infrastructures de base nécessaires à
l’amélioration des conditions de vie des populations. La troisième et dernière forme de
pauvreté mise en évidence est la pauvreté en équipement et confort. Elle se traduit par
un sous-équipement des ménages en matière de biens ménagers tels que les
équipements de domicile, la télévision, la radio, le réfrigérateur etc. L’étude a par
ailleurs montré que le ménage dirigé par une femme est susceptible d’être moins

108
pauvre que celui dirigé par un homme, et que la pauvreté monétaire comme non-
monétaire augmente avec la taille du ménage jusqu’à un certain niveau. Par rapport à
l’état matrimonial des chefs de ménages, l’enquête montre que les ménages polygames
sont en moyenne plus pauvres que les ménages monogames et les célibataires. Par
rapport au secteur d’activité, le secteur agricole reste le plus vulnérable, avec
notamment des agriculteurs qui dépendent essentiellement des eaux de la pluie,
excepté quelques zones d’irrigation aménagées sur la zone du littoral. Il en ressort de
cette étude que plus de 40% des ménages sénégalais sont au moins affectés et par la
pauvreté monétaire et par la pauvreté non-monétaire. Ce phénomène, appelé aussi la
double pauvreté, est plus fréquent dans le monde rural qui en plus de la faiblesse des
moyens financiers dans les ménages, manque d’infrastructure et de cadre de vie
moderne permettant aux individus de satisfaire leurs besoins de base. On y rencontre
aussi des ménages qui échappent à la pauvreté monétaire parce que disposant de
quelques sources de revenus (activités, aides, solidarités, etc.) mais restent sous
l’apanage de la pauvreté non-monétaire du fait de la quasi-absence d’infrastructures
nécessaires et de capacités fonctionnelles par rapport à leurs besoins. Dans le milieu
urbain, l’étude montre plutôt une situation inverse. La proportion des ménages non
pauvres au plan non-monétaire mais pauvres au plan monétaire est particulièrement
élevée comparée à la zone rurale. Cela montre que malgré une présence
d’infrastructures plus importante en ville, par comparaison au monde rural, les
difficultés financières restent problématiques au sein d’une frange importante de la
population urbaine sénégalaise. Que ce soit au plan monétaire comme non-monétaire,
la zone rurale se trouve plus touchée que la zone urbaine. En zone urbaine, les
difficultés monétaires sont prépondérantes par rapport aux difficultés non-monétaires
alors que c’est l’inverse qui prévaut en zone rurale. Cela montre que malgré la relative
présence du capital humain et des infrastructures publiques dans le monde urbain, les
ménages ont toujours du mal à surmonter les difficultés monétaires, ce qui constitue
une situation symptomatique dans la plupart des économies des pays d’Afrique
subsaharienne, notamment sur les difficultés de l’emploi et de développement
d’activités productives au sein des couches vulnérables.

109
110
PARTIE II : PROBLÉMATIQUE ET MÉTHODOLOGIE
L’évolution du paysage de la microfinance présente des particularités selon les régions
en développement, et impacte à des degrés différents les dynamiques pouvant exister
entre les pouvoirs publics et les IMF, entre les IMF et les clients. Pour mieux
contextualiser cette étude, qui porte sur le Sénégal, nous présentons d’abord le
contexte politique et socio-économique du pays et son évolution, ce qui ensuite nous
permet de poser la problématique, et enfin nous présentons la méthodologie de
recherche utilisée dans cette étude.

111
112
4 Chapitre IV : contexte politique et socio-économique
Un des atouts majeurs du Sénégal, compte tenu de son contexte géographique, est sa
stabilité politique. Contrairement à la majorité des pays africains, le Sénégal est le seul
pays d’Afrique de l’Ouest ne pas avoir connu de coup d’État militaire. Il est cité comme
un exemple sur le continent africain et en est même considéré comme la « vitrine
démocratique ». L’évolution de la vie politique sénégalaise et son ancrage
démocratique, bien sûr par comparaison avec ses voisins de la sous-région africaine,
constituent des éléments essentiels pour comprendre la place et l’organisation du
secteur de la microfinance dans le pays.

4.1 De la colonisation à la première alternance politique


Le Sénégal dispose d’une longue tradition d’élections et de représentation des citoyens
aux institutions étatiques. Le corps électoral sénégalais a voté pour la première fois il y a
plus de cent soixante-dix ans. C’est précisément en 1848 que les Sénégalais vivant dans
les communes de Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis étaient appelés pour la
première fois à participer à des élections pour élire le représentant sénégalais à la
Chambre des députés français. Les autres personnes qui vivaient en dehors de ces
quatre communes qu’on appelait à l’époque « les sujets » ne jouissaient par contre pas
du statut de citoyens français. Ils ne pouvaient participer aux élections. Bien que le droit
de vote ne fût pas encore acquis dans les différentes communes sénégalaises en 1848,
l’expérience naissante des quatre communes est fondamentale car elle marque les
débuts d’une véritable culture électorale dans le pays. Outre la condition peu enviable
des indigènes, cela permet de voir que dans le Sénégal colonial, la démocratie multi-
partisane a véritablement commencé à l’intérieur des quatre communes. Il a fallu
attendre soixante-six ans pour voir le premier noir accéder à la chambre des députés de
la république, avec l’élection de Blaise Diagne en 1914 comme représentant des
Sénégalais des quatre communes dans l’hémicycle français. Il sera réélu aux élections
de 1928 et 1932 face à Ngalandou Diouf. Blaise Diagne reste le seul député sénégalais
au parlement français jusqu’à sa mort en 1934, puis il est remplacé par son principal
adversaire d’alors, Ngalandou Diouf. L’arrivée de Ngalandou Diouf à la chambre des
députés a surtout favorisé la naissance d’autres organisations politiques dans le

113
territoire sénégalais avec la création du Parti socialiste Sénégalais (PSS) par Lamine
Gueye en 1934 et du Bloc Démocratique Sénégalais par Léopold Sédar Senghor en
1948. L’existence de ces trois organisations (SFIO, PSS et BDS) dans le paysage politique
sénégalais durant la période pré-indépendance marque les prémices d’un régime
politique qui tend vers le multipartisme politique, et sera déterminante dans l’évolution
politique du Sénégal.

La victoire de Senghor sur Gueye aux élections de 1951 pour la représentation des
Sénégalais à la Chambre des députés suscite une nouvelle dynamique non pas
uniquement dans les quatre communes, mais aussi dans les autres territoires composés
majoritairement de populations rurales. Une des forces de Senghor a été de bâtir son
organisation politique autour de forces paysannes qui selon lui devraient être le moteur
du développement économique de la région. Contrairement à Lamine Gueye qui était
vu comme le « français africain », Senghor était vu comme certes un Français, mais plus
Africain que Lamine Gueye, et donc mieux accepté dans le monde paysan qui composait
plus de 80% de la population sénégalaise. En 1956, une nouvelle loi dans la constitution
française, plus connue sous le nom de « loi cadre » améliore le dispositif électoral en
instaurant le suffrage universel à l’intérieur de tous les États de l’Afrique occidentale
française (AOF). Ceci donna la possibilité à tous les Sénégalais, quelle que soit leur
commune de résidence, le droit de participer aux élections, donc de choisir leurs
représentants aux parlements locaux. Le Sénégal, à l’instar des autres colonies
françaises, est de fait doté d’un Conseil de gouvernement, émanant de son Assemblée
territoriale et jette les premières bases vers la décolonisation. L’indépendance d’un
pays voisin en 1957, la Gold Coast, devenue le Ghana, a accentué le souhait de
décolonisation de plusieurs hommes politiques d’alors de par la mise sur pied d’un
processus qui devrait aboutir à l’indépendance. Le retour du général De Gaule au
pouvoir en 1958 va accélérer le processus et permet au Sénégal d’accéder au statut
d’État membre de la république française à la suite du référendum du 28 septembre
1958. Le 25 novembre de la même année, le Sénégal devient une république et accède
à l’indépendance en 1960 avec comme Président Léopold Sédar Senghor.

114
On constate que le multipartisme au Sénégal est dans les faits antérieur à l’accession du
pays à l’indépendance. Mais jusqu’en 1973, le régime politique sénégalais fonctionnait
selon le système du parti unique. C’est en 1973 que le président Senghor, par la loi
constitutionnelle n° 78-60 du 28 décembre 1973 autorisa la formation de partis
politiques en plus de l’UPS, son parti politique. L’introduction du multipartiste a
contribué à l’instauration d’un régime politique stable, en permettant l’expression
d’idéologies politiques différentes. Elle a permis à de simples particuliers, à l’opposition
légale mais aussi et surtout à l’opposition clandestine, pratiquement interdites d’accès
dans les médias d’État, de mettre en place des organes de presse pour pouvoir
exprimer leurs opinions et pour se faire entendre (Ndiaye, 2016).

L’arrivée d’Abdou Diouf en 1981 comme successeur de Senghor a permis de consolider


le régime multipartiste, avec l’instauration du multipartisme sans restriction à partir de
1981, par la suppression de l’article 3 de la constitution d’alors qui limitait le nombre de
partis politiques à quatre. Ceci marque les débuts du multipartisme intégral, faisant
passer le nombre de partis politiques de quatre à une vingtaine en moins de cinq ans.
Ce climat d’apaisement politique et social est d’une importance prépondérante dans
l’histoire politique du Sénégal, parce qu’il concerne une période très instable sur le
continent africain, marqué par des coups d’État militaires et des guerres civiles qui ont
ravagé la plupart des pays du continent et bloqué leur décollage économique.

La stabilité étatique dont le Sénégal a hérité suite à la colonisation et renforcée durant


les années qui ont suivi a permis aux Sénégalais de disposer d’un État fort avec des
institutions stables et pérennes. Cette stabilité politique a constitué sa grande
particularité par rapport à ses voisins (tels que le Mali, la Guinée Bissau, la Guinée
Conakry et la Mauritanie), qui dans la période post indépendance ont connu beaucoup
d’instabilité politique.

Cette histoire politique a permis au Sénégal de développer tout un programme de


politique économique, encadré par des institutions stables depuis son accession à
l’indépendance, permettant ainsi de remonter et d’analyser tout le processus
organisationnel. Comme nous le verrons un peu plus loin, le Sénégal est l’un des rares
pays d’Afrique de l’Ouest, qui depuis les années 1990 s’est doté d’un cadre

115
réglementaire qui définit le paysage de la microfinance et des activités parallèles à la
finance classique, plus connu sous le nom de Système Financier Décentralisé (SFD).

4.2 La restructuration du secteur agricole


Le contexte dans lequel la microfinance s’est développée au Sénégal est assez
semblable à celui des autres pays en développement à travers le monde. Ses débuts
correspondent à la période d’après l’indépendance, précisément dans les années 1970,
marquées par la fragilité économique dans la plupart des jeunes États africains,
récemment indépendants. Les pays nouvellement indépendants en plus des priorités de
stabilité interne, tant politique qu’économique, devaient faire face à une crise
économique devenue mondiale, n’épargnant pas les pays développés d’alors. Durant la
colonisation, le système de politique économique développé au Sénégal était
pratiquement basé sur une économie de rente et d’exportation des matières premières.
L’objectif visé dans une telle démarche était de servir la métropole en produits de base.
L’agriculture, qui occupait plus de 80% de la population sénégalaise, était dès lors
orientée vers l’arachide, devenue la seule culture de rente, au détriment des cultures
vivrières telles que le mil, le sorgho ou le niébé. Dès lors ont été développées des zones
spécifiques pour assurer la production massive d’arachides à but commercial, sous le
nom de bassin arachidier du Sénégal. Ces zones couvrent le centre ouest du pays, qui
jusque-là possédait une longue tradition de cultures vivrières. Elle concentrait près de
70% de la population rurale (Copans, 1989) et fournissait l’essentiel de la production
arachidière du pays, transformée en culture de spéculation. Cette politique, entreprise
par l’autorité coloniale française depuis le 16e siècle, a rendu l’économie sénégalaise
dépendante de sa production d’arachide. L’héritage colonial a joué un rôle primordial
dans l’orientation de l’économie sénégalaise, « car c’est la France qui a spécialisé le
pays dans une économie agricole extravertie, extrêmement sensible aux cours
mondiaux des matières premières agricoles et énergétiques : le Sénégal produit pour
l’exportation, tandis qu’il doit importer du riz devenu un élément essentiel du régime
alimentaire du sénégalais » (Mbodj, 1992, p.3). Pendant ce temps, l’arachide reste la
principale culture de rente du pays. Elle emploie encore directement plus d’un million
de personnes, occupe plus de 40% des terres cultivées et donne toujours le ton de la
situation économique générale. Si le pays, en l’occurrence ses agriculteurs, semblaient
116
profiter de cette situation durant des décennies, celle-ci va drastiquement changer à
partir des années 1970. Trois facteurs essentiels sont pointés du doigt :

1. Le premier élément explicatif est la grande sécheresse des années 1970 quasi-
mondiale qui a frappé la plupart des économies dépendantes de l’agriculture,
comme ce fut le cas dans les régions asiatiques comme l’Inde et le Bangladesh.
L’économie sénégalaise, comme la plupart de ses homologues africains, a été
fragilisée durant cette période du fait de son manque de diversité dans les
filières de production. Elle reposait essentiellement sur la filière agricole, et
notamment l’arachide.

2. Le deuxième élément va venir d’un choc exogène avec la crise pétrolière de


1974 qui a changé complétement le décor économique et financier des marchés
mondiaux. Les pays dont l’économie dépendait en grande partie de leurs
exportations agricoles sont de fait fragilisés par la forte baisse de la demande sur
le marché mondial, mais en même temps font face à la montée brutale des prix
des biens qu’ils doivent importer comme le pétrole raffiné, le riz, les produits
industriels etc. La baisse des rentes agricoles issue de la grande sécheresse et
l’envolé des prix des produits de base importés a accentué les difficultés
financières du pays durant cette période et a nécessité l’intervention
d’organismes internationaux comme la Banque Mondiale et le FMI pour une
nouvelle restructuration pour redynamiser l’économie nationale.

3. Le troisième élément, qui est une conséquence des deux premiers, est constitué
par un changement radical et structurel dans l’organisation et le
fonctionnement de l’économie locale des pays en développement concernés. Il
s’agit des Programmes d’ajustement structurel dirigés par le FMI et la Banque
Mondiale. Même si l’objectif du FMI était de redynamiser l’économie nationale,
ses principaux leviers étaient des pratiques visant à réduire de façon
considérable les charges des pouvoirs publics, en limitant leurs interventions au
strict minimum. La suppression des subventions agricoles en reste sans doute la
plus illustrative dans le monde rural. Au Sénégal, cette nouvelle politique
économique libérale s’est déployée en trois étapes. D’abord par la dissolution en

117
1980 de l’Office national de coopération et d’assistance au développement
(ONCAD), qui était l’organe public chargé de l’organisation et du développement
du secteur agricole. Ensuite, la suppression de l’ONCAD a été suivie par la mise
sur pied d’une réforme des structures d’encadrement entre 1980 et 1985, avec
notamment la création de la Société nationale de commercialisation des
oléagineux du Sénégal (SONACOS) qui est un organisme plus axé sur la récolte et
la commercialisation des produits agricoles que sur la formation et le
financement des agriculteurs. La dernière étape de la restructuration du
système agricole sénégalais a été la mise en place d’une Nouvelle politique
agricole commune (NPA) à partir de 1984. La NPA tournait autour de l’idée que
le secteur agricole devait désormais être régi par les règles de l’économie de
marché en général, et par celles du profit au niveau du paysan et cela se
traduisait par la nécessaire réorganisation du monde rural, marquée par le
désengagement de l’État. En particulier, l’État ne fournissait plus d’engrais et de
machines subventionnées (Mbodj, 1992).

Avec cette réorganisation dans le secteur agricole, dans laquelle le FMI a joué les
premiers rôles, les autorités publiques d’alors, encouragées par la Banque Mondiale
mirent fin à l’État-providence, dans lequel les populations rurales ont toujours pu
compter sur les aides et subventions étatiques pour financer leurs activités paysannes
et écouler leurs récoltes.

4.3 Premières expériences de la microfinance au Sénégal


Les premières expériences de la microfinance au Sénégal ont débuté dans le monde
rural dans les années qui ont suivi la crise économique de 1974 et la restructuration du
secteur agricole. Après la grande sécheresse de 1971, la crise économique de 1974 et
les plans d’ajustement structurel de 1980 ont redéfini le rôle et la place des pouvoirs
publics dans plusieurs secteurs de l’économie, plus particulièrement dans le monde
rural. La population du monde rural, qui jusque-là avait des rapports privilégiés avec
l’État, notamment dans les subventions agricoles et différentes formes d’assistance,
devait maintenant compter sur ses propres stratégies financières pour répondre à ses
besoins de financement. C’est dans ce contexte qu’à côté de la finance informelle telle

118
que les tontines et les crédits informels qui pouvaient être rémunérés à plus de 100%
l’an, se sont développées les premières activités de microfinance formellement
identifiées. Elles étaient généralement sous l’égide d’ONG à but non lucratif pratiquant
des taux d’intérêt en-deçà des taux appliqués dans le marché informel à travers des
usuriers.

Selon Mbodj (1992), « les premières expériences de microfinance remontent aux


années 1980. Elles se présentaient comme une alternative aux prêts à taux usuraire des
prêteurs professionnels, très largement présents, notamment en zone rurale, et
considérés comme un fléau » (Mbodj, 1992, p.53). Elles ont notamment débuté en
1986 dans la région centre-ouest du Sénégal considérées à l’époque comme le principal
centre du bassin arachidier du pays (Kaolack et Fatick) avec l’appui de l’USAID. Ce
projet, qui avait pour but d’appuyer les ONG et les entrepreneurs de la région, va à
partir de 1989 commencer à céder ses actifs à l’Alliance de crédits et d’épargne pour la
production (ACEP), avec l’objectif de voir cette dernière prendre la relève et devenir
une institution financière rentable dans le court terme. ll s’en est suivi une
réorientation du projet, avec l’introduction à l’annexe I de l’accord de subvention, d’un
amendement qui indiquait sans équivoque, qu’il y’aurait à la fin du projet 20, une
institution financière privée rentable ayant son siège à Dakar pour continuer les
activités de crédit. Comme prévu, l’entrée en fonction de la nouvelle institution a
débuté le 1er janvier 1994. Elle devient une IMF privée qui doit dès lors compter sur la
rentabilité de ses activités pour assurer sa pérennité.

La deuxième expérience a débuté en 1988. En partenariat avec le Ministère français de


la coopération internationale et du Centre international du crédit mutuel (CICM), le
gouvernement du Sénégal met en place la Caisse populaire d’épargne et de crédit
(CPEC), qui démarre ses premières activités en milieu rural dans la région de Kaolack.
Quelques années plus tard, elle devient le Crédit mutuel du Sénégal (CMS), considérée
aujourd’hui comme la première institution de microfinance au Sénégal.

À partir de 1990 arrive une troisième organisation dans la région avec les mêmes
objectifs que l’ACEP dénommée Partenariat pour la mobilisation de l’épargne et du

20
À la date du 31 décembre 1993
119
crédit au Sénégal (PAMECAS). Elle a pu bénéficier du soutien de la fondation
canadienne Desjardins. Le projet a démarré ses activités en 1995 dans la banlieue
dakaroise avec le financement de l’Agence canadienne de développement international
(ACDI) et l’apport technique de la fondation Desjardins. Aujourd’hui PAMECAS est
devenue un géant de la microfinance dans le Sénégal et dans d’autres pays de la sous-
région. Derrière le CMS, elle arrive en deuxième position sur le marché national.

L’expérience de la microfinance au Sénégal a démarré avec ces trois IMF créées


pratiquement toutes en une décennie, entre 1986 et 1995. On notera que ces trois IMF
ont suivi le même parcours d’implantation. Comme pour la plupart des premières IMF
implantées dans la sous-région, dans la période post-crise de 1974, elles ont été mises
en place et dirigées dans un premier temps par des organismes étrangers, tels que des
centres de coopération ou des ONG. Une fois que l’IMF s’est bien implantée, la seconde
phase consistait à remplacer le personnel étranger par du personnel local qui devait
ainsi prendre la relève pour assurer le fonctionnement et la pérennisation de
l’organisme. Dans ses premières expériences, le choix des IMF d’implanter leurs
premières agences dans des régions défavorisées comme le monde rural ou les
banlieues n’est sans doute pas anodin. C’est dans ces zones que l’on retrouve le plus de
personnes pauvres, ayant peu ou presque pas d’accès au financement de leurs activités.
Par ces pratiques, on aperçoit le ciblage sur les personnes à faible revenu qui doivent
être les principaux bénéficiaires des politiques d’inclusion financière développées par
les IMF. Quatre décennies plus tard, la situation a beaucoup évolué. En 2017, plus de
deux millions de personnes à faible revenu sont clientes dans les IMF sénégalaises, soit
un taux de pénétration de 16,4%, avec une part de clientèle féminine de 42% (DMF,
2018).

120
4.4 Aperçu du secteur en quelques chiffres
Le marché de la microfinance a vite évolué au Sénégal. Jusqu’en 1990 on comptait trois
IMF opérant sur le marché local, à savoir ACEP, PAMECAS et le CMS, sous forme de
mutuelles ou coopératives. En 2016 il en existe 383 formellement identifiées par la
Direction de la microfinance (DMF), avec différents statuts. En plus des coopératives et
des mutuelles, le secteur s’est enrichi avec l’arrivée de nouvelles IMF sous forme de
banque de microfinance, mais aussi de nouvelles ONG.

Tableau 1: Distribution des IMF dans le secteur de la microfinance au Sénégal en 2016

Type d'IMF Mutuelle et Coopérative Banque ONG


Effectif 343 18 22
Source : Graphique réalisé à partir des données du MIX, 2016

Le tableau 1 montre l’importance des IMF sous forme de coopérative ou mutuelle dans
le marché de la microfinance au Sénégal. Sur l’ensemble des IMF répertoriées, 90%
d’entre elles ont le statut de mutuelle ou coopérative, tandis que les banques et les
ONG occupent respectivement 4% et 6% du marché. La prédominance des coopératives
et des mutuelles s’explique par l’historique de la microfinance dans la région, qui au
début était réservée uniquement à ces dernières. Seules les coopératives, mutuelles et
ONG à but non lucratif pouvaient légalement exercer des activités de microfinance, et
ce jusqu’en 2007, avec l’ouverture du marché aux banques de microfinance. Certaines
IMF, en plus de pouvoir accorder des prêts, avaient aussi le droit de collecter des
dépôts d’argent des clients voulant épargner ou seulement sécuriser leurs liquidités.
Pendant les années 1980, seules ces deux pratiques existaient dans les IMF. Les IMF qui
avaient l’autorisation de la BCEAO et du Ministère de l’économie et des finances avaient
le droit de recueillir des dépôts. Aujourd’hui, en plus de ces deux pratiques classiques,
les IMF sénégalaises fournissent des services supplémentaires comme la micro-
assurance sous plusieurs formes, le crédit-logement, le crédit-warrantage et différentes
autres formes de crédits et d’épargne, le transfert d’argent, etc. On est passé d’un
système de de microcrédit à un système de microfinance, où le microcrédit est un des
produits offerts dans la microfinance.

121
Tableau 2: Évolution du secteur de la microfinance au Sénégal (en chiffres) entre 2005 et
2015

Crédits Dépôts Emprunteurs Taux de


Année (en millions de $) (en millions de $) actifs pénétration

2005 162 124 115'711 5%

2015 464 410 416'525 16%

Source : Direction de la microfinance, 2018

Entre 2005 et 2015, le taux de pénétration21 de la microfinance est passé de 5% à 16,4%


dans la population sénégalaise. Si on travaille avec la population active, les taux de
pénétration de la microfinance et de la finance classique correspondent respectivement
à 26,84% et 8,38% en 2015 (DMF, 2015). Dans la même période, le nombre
d’emprunteurs actifs est passé de 115’711 clients à 416'525 clients, correspondant à
une hausse de 260% de la clientèle en dix ans. Quant aux encours de crédit et de
dépôts, ils ont chacun connu hausse de près de 200% en dix ans. Il faut souligner que
tous les membres et clients des IMF ne sont pas emprunteurs. Il peut même être
étonnant de voir l’écart qui existe entre le nombre de personnes membres ou clients et
le nombre de personnes qui a bénéficié d’au moins un crédit. En 2015, sur les 2’075’827
de personnes détentrices de comptes actifs dans une IMF sénégalaise, seuls 20%
d’entre elles ont emprunté au moins un crédit. Parmi les 80% restants on y trouve celles
qui, en dehors du service de dépôt, ne souhaitent pas d’autre service pour différentes
raisons, telles que le non besoin de financement, l’asymétrie d’informations ou l’auto-
exclusion. On y retrouve aussi d’autres clients qui souhaitent bénéficier de services
supplémentaires, comme prendre un crédit, mais ne remplissent pas toutes les
conditions définies par leur IMF. Quoi qu’il en soit, on retiendra que seul un client sur
cinq contracte un prêt dans les IMF sénégalaises, et les quatre cinquièmes pour des
raisons multiples sur lesquelles nous reviendrons s’en tiennent aux services de dépôts.

21
Le nombre de personnes ayant formellement détenu un compte dans une IMF.
122
Quant au niveau des risques encourus dans le secteur, il reste encore faible. Un des
indicateurs utilisés dans la microfinance pour évaluer le niveau de risque encouru par
une IMF est le portefeuille à risque (PAR). C’est le rapport entre le montant total de
crédit en cours et en retard sur l’encours total de crédit de l’IMF. Il y a deux types de
PAR. D’une part, nous avons le porte de feuille à risque de trente jours qui concerne les
montants de crédits qui sont en retard de remboursement de trente jours maximum,
appelé couramment le PAR 30 dans les IMF. Quant au portefeuille à risque de quatre-
vingt-dix jours (PAR 90), il concerne les retards de remboursement compris entre trente
et quatre-vingt-dix jours. Tous les autres retards dépassant cette dernière tranche sont
considérés comme un crédit en souffrance qui pourrait ne pas être recouvré et doit être
provisionné par l’IMF dans la mesure du possible pour limiter ses pertes sur créances.
Dans l’espace UMOA, la banque centrale a défini des normes limites sur les PAR 30 et
90 que les IMF doivent tâcher de respecter pour minimiser les risques de leurs activités.
Prises individuellement, les IMF ne doivent en principe pas avoir un PAR 30 supérieur à
5% ou un PAR 90 supérieur à 3%. Dans le secteur sénégalais, les PAR 30 et 90 en 2018
sont sensiblement plus élevés que les normes de la BCEAO. Ils sont respectivement de
7% et 6.5%. Le risque du marché est non négligeable, compte tenu des normes
affichées par la BCEAO22, mais comparé aux résultats enregistrés dans les autres régions
africaines telles que le Bénin où le PAR 30 tourne autour de 12%, le secteur sénégalais
est de loin l’un des moins risqués dans la sous-région africaine.

4.5 Cadre institutionnel et réglementaire


Les premières réglementations relatives aux activités de la microfinance au Sénégal
remontent aux années 1970, avec notamment la loi n° 70-26 du 27 juin 1970. Même si
elle ne mentionne pas le terme microfinance, elle parle des activités financières dans
lesquelles des taux usuraires peuvent exister. Les deux principales activités visées à
l’époque sont le crédit informel et le microcrédit, considérés comme les deux types de
financement alternatifs aux banques classiques. À l’Article 541 du code des obligations
civiles et commerciales, les autorités sénégalaises, dès 1970, ont défini clairement le
contenu et la méthode de calcul du taux d’intérêt que les prêteurs d’argent ne
devraient en aucune manière dépasser sous le nom de « taux effectif global ». Ce
22
Organe financier de l’UMOA
123
dernier est calculé dans des conditions fixées en tenant compte des frais, commissions
et rémunérations de toute nature, même justifiés par des débours réels ou versés à des
tiers et, s'il y a lieu, des modalités d'amortissement échelonné du prêt. Ainsi, le taux
d'usure est défini comme étant le taux effectif global dépassant de plus de deux tiers le
taux maximum des intérêts débiteurs que les banques classiques sont autorisées à
appliquer à leur concours, ce qui à l’époque limitait de fait le taux effectif global à
25,83% par an. Les premières réglementations se plaçaient dans une logique de
protection des clients et emprunteurs de crédits informels ou de microcrédit. Durant
cette période, la principale activité des structures opérant dans le microcrédit était
d’octroyer de petits montants d’argent à des personnes à faible revenu. À part les
banques classiques, seules les structures financières qui avaient une autorisation
spéciale auprès de la BCEAO et du Ministère de l’économie et des finances pouvaient,
en plus des opérations de crédit, recueillir des dépôts de clients ou membres.

Deux décennies plus tard (1992), en collaboration avec la Banque Mondiale et l’ACDI,
les autorités sénégalaises, dans le but de renforcer la réglementation des structures
financières décentralisées, initient le projet d’Appui technique aux opérations
mutualistes bancaires du Sénégal (ATOMBS), et « ce processus s’inscrivait donc dans
une logique de dynamisation et d’autonomisation des mouvements mutualistes
bancaires ouest-africains par rapport aux États » (Lhériau, 2005, p.62). Pour mieux
harmoniser la pratique mutualiste entre pays membres de l’UMOA dans le cadre du
processus d’intégration, le projet qui jusque-là était piloté par le Ministère de
l’économie et des finances du Sénégal est transféré à la BCEAO, qui est l’organe exécutif
de l’Union. En 1993, cela devient une nouvelle loi promulguée par la BCEAO sous le nom
de Programmes d’appui et de réglementation des mutuelles d’épargne et de crédit
(PARMEC). La nouvelle loi est validée dans l’espace UMOA à partir du 30 décembre
1993 par le Conseil des ministres.

En 2007, l’UMOA intervient à nouveau dans le secteur pour répondre aux évolutions
rapides et récentes du paysage de la microfinance. L’objectif principal de cette
intervention était de faire face aux défaillances systémiques apparues dans la dernière
décennie, notamment sur la croissance des demandes de licence. Parmi les innovations,

124
on peut citer l’instauration d’un régime unique d’autorisation de licence et l’avis
conforme de la BCEAO dans la délivrance de l’agrément. Dans cette nouvelle loi,
l’innovation marquante reste sans doute l’élargissement du marché de la microfinance
aux sociétés anonymes (SA). Désormais, les banques de types SA peuvent opérer dans
le marché de la microfinance, et donc prêter à des taux supérieurs à ceux des banques
classiques. Dans la même année, la première banque de microfinance type SA, BAOBAB,
devenue BAOBAB en 2019, voit le jour.

Selon Doligez et al. (2018), de par son expérience et du soutien de ses autorités locales,
la microfinance sénégalaise est devenue un secteur institutionnalisé et relativement
bien structuré. Elle conserve une forte légitimité à l’égard de l’État, qui la considère
comme un outil de développement économique et social (Faye, 2012). Pour
accompagner et encadrer le secteur, l’État s’est doté de six structures clés qui entre
temps sont devenues incontournables dans les interactions entre les pouvoirs publics et
les institutions de microfinance (Touré, p.58).

Depuis 2007, le premier organe institutionnel de la microfinance dans les tous pays de
l’UMOA est le Ministère de l’économie et des finances. Il supervise le secteur et veille à
ce que les directives données par la BCEAO soient respectées par les IMF. Il en est de
même pour les demandes d’agrément ou de licence. Toute demande d’agrément doit
passer par le Ministère de l’économie et des finances, et celle-ci ne peut être transmise
à la BCEAO qu’une fois acceptée par celui-ci. Au Sénégal, pour mettre en application les
directives telles que la réglementation, l’encadrement des IMF et l’ensemble des
organismes opérant comme système financier décentralisé, le Ministère de l’économie
et des finances a mis en place trois principaux organes intermédiaires qui sont chargés
non seulement du contrôle et du suivi, mais aussi de l’accompagnement des IMF
suivant les objectifs du secteur.

125
1. Direction de la réglementation des services financiers décentralisés

La Direction de la réglementation et de la supervision des systèmes financiers


décentralisés (DRS-SFD) est l’organe institutionnel, rattaché au Ministère de l’économie
et des finances, chargé du contrôle et du respect des normes juridiques établies dans
l’UMOA. Elle a été créée en 2008 dans le cadre de l’application de la loi n° 2008-47
portant sur la réglementation des systèmes financiers décentralisés. Selon l’article
premier de l’arrêt n° 05472 du 21.06.2010, la tutelle des institutions de microfinance,
comme celle des autres systèmes financiers décentralisés, est assurée par la direction
de la réglementation des systèmes financiers décentralisés. À ce titre, la DRS-SFD a pour
mission de :

- veiller à l’application de la réglementation des SFD ;

- instruire les demandes d’autorisation de toute activité financière liée à


l’épargne, au crédit ou aux dépôts ;

- assurer le contrôle et le suivi permanant des SFD pour le respect des


normes établies dans l’Union ;

- assurer la diffusion des textes réglementaires, des guides de contrôle et


de surveillance, ainsi que la formation des intervenants sur les pratiques
comptables et financières, en vigueur dans l’Union ;

- proposer au Ministère de tutelle toutes les mesures appropriées contre


les SFD, tout dirigeant et toute autre personne, en cas de violation de la
réglementation en vigueur sur les SFD ;

- contribuer à l’élaboration et à l’amélioration du cadre juridique,


comptable et financier applicable aux SFD ;

- assurer la mise à jour des bases de données statistiques et contribuer à


l’élaboration des stratégies nationales sur le secteur.

126
2. Direction de la microfinance

La Direction de la microfinance (DMF) est l’organe exécutif étatique qui a pour rôle
d’organiser et de promouvoir la microfinance par l’intermédiaire des deux acteurs
principaux que sont les IMF et les clients. Elle a été créée en 2003 et logée au Ministère
de l’entrepreneuriat féminin et de la microfinance. En collaboration avec la DSR-SFD,
elle est chargée d’assurer la coordination et la vision du gouvernement sénégalais dans
sa politique de microfinance, notamment les stratégies de développement dans le
secteur. Elle est dotée de deux départements stratégiques à partir desquels s’effectuent
la coordination et la promotion. Il s’agit des divisions « Professionnalisation et
promotion » et « Financement et partenariat ». Les tâches de la division pour la
professionnalisation et la promotion de la microfinance s’articulent autour de quelques
points tels que la promotion du secteur par l’encouragement et la facilitation à la
création de caisses d’épargnes et de crédit, l’accompagnement et l’encadrement des
IMF déjà créées, l’élaboration de systèmes de suivi et d’évaluation des IMF, le
développement de politiques de communication dans les directions, et la proposition
de mesures incitatives pour une décentralisation des SFD. Ce rôle d’accompagnement
est central et s’explique par plusieurs raisons. La microfinance et le marché informel
entretiennent des relations étroites. Avant l’entrée en vigueur de la loi PARMEC, les
associations ou groupements issus du marché informel tels que les groupement
d’intérêt économique (GIE) ou les ONG avaient plus de facilité à organiser des activités
liées aux crédits ou à collecter de l’épargne pour leurs membres. Mais depuis 2008, la
DRS-SFD a mis en place en collaboration avec le Ministère de l’économie et des finances
un nouveau système qui légifère sur les conditions préalables pour tout organisme
voulant entrer dans le secteur. Cela a entraîné depuis lors la disparition de plus d’une
centaine d’IMF, le plus souvent par un retrait de licence. Le rôle de la DMF à ce niveau
est d’accompagner les IMF nouvellement implantées en mettant par exemple à leur
disposition un système d’information complet sur la nouvelle réglementation en vigueur
et le processus d’implantation suivant la clientèle ciblée. Quant à la division du
financement et du partenariat, son rôle principal est d’aider les IMF, surtout les plus
jeunes et pas encore matures, à trouver des financements. Dans le secteur sénégalais et
plus généralement ouest-africain, les dépôts des clients dans les IMF agréées couvrent
127
en moyenne 50% des demandes de crédit. Les IMF doivent compléter sur leurs
disponibilités et par un mélange de sources différentes, dont la plus importante
constitue les lignes de crédits accordées par les banques classiques. Dans cet exercice,
on revient à la même situation de départ. D’une part nous avons des IMF en besoin de
financement qui cherchent à se refinancer, et d’autre part nous avons des banques
classiques très souvent en surliquidité, mais qui préfèrent financer les IMF matures.
Nous sommes dans une situation exactement comparable à celle que vivent les
personnes à faible revenu lorsqu’elles souhaitent être financées par les banques, alors
que ces dernières les considèrent comme trop risquées pour prendre un crédit. C’est à
cette problématique complexe que s’attaque la division « Financement et Partenariat »
de la DMF, en mettant en place un réseau de partenariat avec les banques classiques
pour le financement de la microfinance. La DMF travaille aussi sur un projet de créer un
fonds souverain qui serait alimenté par un partenariat public-privé, qui puisse à l’avenir
jouer un rôle de garant auprès des banques classiques pour faciliter l’accès des IMF non
encore matures aux banques classiques et à des taux modérés.

3. Association professionnelle des systèmes financiers décentralisés (AP-SFD)

Sous l’impulsion des trois grands acteurs locaux du secteur à l’époque qu’étaient le
PAMECAS, le CMS ET l’ACEP, les professionnels de la microfinance ont jugé nécessaire
de créer une instance fédératrice qui regroupe l’ensemble des IMF œuvrant sur le
territoire. Elles ont sans doute été inspirées par l’Association professionnelle des
banques (APB) qui de fait regroupe les banques locales sénégalaises et défend leurs
intérêts auprès de tiers comme l’État ou la BCEAO. C’est dans cet esprit que les
professionnels de la microfinance ont mis en place un collectif pour la défense des
intérêts des IMF sous le nom d’Association professionnelle des institutions de
microfinance d’épargne et de crédit (APIMEC). Elle a été créée le 1 er août 1996 avec
pour but principal d’œuvrer à la défense des intérêts moraux et matériels des Systèmes
financiers décentralisés. À partir de 2002, l’APIMEC est officiellement reconnue auprès
des autorités nationales après six ans d’attente et devient la seule organisation officielle
regroupant les IMF reconnues officiellement par le Ministère de l’économie et des
finances. Pour s’ouvrir aux différents acteurs professionnels fournisseurs de services

128
microfinanciers, elle change de nom et devient Association professionnelle des services
financiers décentralisés (AP-SFD) à partir de 2008. L’adhésion à l’AP-SFD est devenue
obligatoire pour toutes les IMF agréées auprès du Ministère de l’économie et des
finances. Toute IMF ayant reçu sa licence d’exercer doit obligatoirement adresser sa
demande d’adhésion au plus tard dans les trois mois suivant son officialisation, et
devient de fait membre. Pour répondre à la problématique de la diversité d’IMF
concentrées en son sein, l’AP-SFD a mis en place deux structures internes sous forme de
collèges, pour différencier la nature et les types d’IMF. Il y a d’une part le collège des
institutions mutualistes ou coopératives d’épargne et de crédit, qui regroupe
l’ensemble des structures financières décentralisées reconnues sous forme de sociétés
mutualistes ou de coopératives. D’autre part, il y a le collège des autres SFD non
mutualistes (SA, Association) qui regroupe toutes les IMF qui n’ont pas le statut de
coopérative ou de mutuelle, comme les banques de microfinance telle que BAOBAB.
Cette organisation interne sous forme de collège est censée permettre à l’association
de mieux prendre en considération les préoccupations des IMF suivant leur statut, mais
en même temps, les collèges ont strictement les mêmes droits et prérogatives au sein
de l’AP-SFD. Depuis que l’adhésion est devenue obligatoire, l’AP-SFD a vu ses membres
augmenter fortement, témoignant de l’activité densifiée du secteur. Entre 2013 et
2015, ses membres sont passés de 165 à 272, ce qui correspond à un taux d’adhésion
de 71% sur 383 IMF agréées. Malgré l’obligation des IMF à adhérer à l’AP-SFD, le
constat est que presque 30% d’entre elles n’en sont pas membres, ce qui s’explique par
l’effet non contraignant de la disposition d’adhésion, mais aussi du peu d’importance
qu’accordent les IMF à la structure.

À travers son organisation structurelle, on aperçoit assez clairement le but final de l’AP-
SFD, qui est de défendre les intérêts des professionnels de la microfinance, à l’image de
l’APB. Par contre, on remarque une absence de représentation des clients ou membres
bénéficiaires des services des IMF. Même si l’AP-SFD dispose d’un protocole de
déontologie que doivent respecter tous ses membres, la présence des clients dans la
structure pourrait mieux articuler la relation entre les deux acteurs pour faciliter
l’harmonisation des pratiques dans le secteur.

129
130
5 Chapitre V : Problématique
La dynamique nouvelle de la microfinance, de plus en plus orientée vers l’approche de
l’économie de marché, crée un déséquilibre dans le marché de la microfinance ; un
déséquilibre dans lequel pour plusieurs raisons les clients à faible revenu sont sans
doute les grands perdants, du moins sur le court terme. Dans le secteur microfinancier
du Sénégal, on peut observer ce déséquilibre problématique à travers les pratiques des
IMF, notamment à trois niveaux : l’approche commerciale généralisée, la stratégie de la
standardisation des offres et l’imposition d’un système unilingue qui offre peu
d’alternatives aux personnes qui ne savent ni lire ni écrire le français.

5.1 Vers une généralisation de l’approche commerciale


Depuis pratiquement deux décennies, la question de la pérennité des IMF occupe une
place prépondérante dans l’industrie de la microfinance. Pour Labie et Mess
(2005) l’approche dite commerciale de la microfinance a eu tendance au fil du temps à
devenir le paradigme dominant pour le secteur, suggérant qu’il s’agissait là de la
meilleure manière de la développer et de la pérenniser. L’approche se caractérise par
une volonté des IMF d’évoluer de plus en plus vers des organismes à but lucratif, sous la
contrainte des logiques et pratiques bancaires classiques. Dans l’approche commerciale
des IMF, tout le fonctionnement, bien qu’orienté vers les personnes à faible revenu,
doit d’abord tourner autour de la rentabilité des opérations. On comprend ainsi les
raisons historiques et idéologiques qui font de plus en plus émerger l’approche
commerciale des IMF dans le marché de la microfinance, et par conséquent amènent
des interrogations sur les conséquences que peut avoir ce tournant sur les pratiques
des IMF et leur gouvernance, surtout en matière d’inclusion financière (Lapenu, 2002).

L’évolution de la microfinance et la reconfiguration du secteur durant ces dernières


décennies a fait évoluer certains paradigmes fondamentaux et fait émerger une
nouvelle question, qui est celle de la pérennité des institutions de microfinance. Pour
Reinke (2009), la pérennité financière va de pair avec la rentabilité des opérations et la
recherche de profit, justifiant que l’approche commerciale de la microfinance prenne le
pas sur les opérations à but non lucratif. La commercialisation de la microfinance peut
être comprise comme une tendance des IMF à orienter leurs activités vers des

131
opérations à but lucratif, avec l’application des principes de marché selon lesquels le
gain obtenu doit effectivement couvrir les coûts engendrés. Cette logique de
commercialisation comporte trois phases (Diani, 2019).

1. La première phase a commencé dans les années 1980 avec la montée des
politiques libérales, amenant les ONG pionnières dans le domaine du
microcrédit à commencer par adopter timidement des principes de
fonctionnement commerciaux qui étaient jusque-là réservés aux entreprises
commerciales.

2. La deuxième phase a débuté dans les années 1990, avec la transformation


progressive d’ONG à but non lucratif en institutions commerciales
réglementées ; c’est la période durant laquelle les banques traditionnelles
commencent à entrer dans le secteur de la microfinance.

3. La dernière phase, qui est celle que nous connaissons aujourd’hui, est la
conséquence des performances financières enregistrées dans le secteur de la
microfinance au cours de la dernière décennie, avec notamment un taux de
croissance annuel moyen de 20% et des taux de rendement sur actif pouvant
aller dans certains cas jusqu’à 20% (Rosenberg et al., 2013). Cette dernière
phase marque l’entrée massive des sociétés anonymes dans le secteur, avec des
investissements motivés par l’intention de faire du profit dans un secteur jugé
prometteur en termes financiers.

Pour d’autres auteurs comme Urgeghe (2009), l’approche commerciale de la


microfinance est devenue une réalité et précède la période dorée des organismes non
lucratifs qui comptaient essentiellement sur des dons et des subventions. Nous
assistons aujourd’hui à une entrée d’IMF plus réglementées dans le secteur comme les
Banques de microfinance et les Holdings, uniquement attirées par le potentiel financier
du secteur. Pour Barlet et Granger (2010), la montée en puissance de la
commercialisation de la microfinance est devenue une réalité grâce l’écart existant
entre l’offre et la demande potentielle de services de microfinance dans les pays en
développement. L’approche commerciale se généralise de plus en plus dans le secteur

132
de la microfinance, et celle-ci s’effectue indépendamment de la nature des activités
financées et de l’environnement des clients bénéficiaires.

5.2 Entre standardisation des produits et réponse à des besoins différents


Le développement de la microfinance s’est focalisé sur une offre de services financiers
standardisés tels que l’épargne et le crédit. Ce système financier venu du Bangladesh a
été copié et exporté dans la plupart des pays en développement, gardant le même
système, les mêmes services et les mêmes pratiques. Si, aux origines de la microfinance,
le maintien d’un tel système basé sur des produits standards et faciles à gérer se
justifiait, aujourd’hui les IMF doivent passer à une nouvelle étape parce qu’il reste des
besoins importants à couvrir, et aussi parce que la demande de la clientèle
d’aujourd’hui évolue plus rapidement (Creusot, 2004). Dans les pays en
développement, la diversité des forces en présence, religieuses, sociolinguistiques,
politiques ou économiques, fait qu’au-delà de cette volonté de toucher le maximum de
personnes à faible revenu, il devient important pour les IMF de s’assurer que leurs
offres tiennent compte des besoins spécifiques des populations bénéficiaires, qu’elles
soient en ville ou en campagne. L’exemple des crédits accordés aux agriculteurs
sénégalais l’illustre parfaitement. En milieu rural, la nature des financements dont ont
besoin les paysans diffère de celle dont ont besoin les commerçants de la ville. Au-delà
de l’accès aux services financiers,« se pose pour l’agriculture, davantage que pour toute
autre activité, la question de l’adéquation entre, d’une part, l’offre relativement
standardisée de la microfinance et, d’autre part, les besoins diversifiés et les capacités
de remboursement des agriculteurs » (Morvant-Roux et al., 2009, p. 13). Pour Meyer
(2009), les produits standard de la microfinance, tels qu’ils sont conçus depuis des
décennies, supposent des remboursements fréquents et réguliers, et ne sont donc pas
idéalement adaptés aux flux de trésorerie saisonniers caractéristiques des activités
agricoles.

Il importe aussi de souligner que dans les pays en développement, notamment en


Afrique subsaharienne, les croyances religieuses et culturelles occupent une place très
importante. Quelle que soit la conception que nous nous faisons des rapports existant
entre croyances religieuses et développement, positifs pour certains, négatifs pour

133
d’autres ou différenciés, nul ne peut l’ignorer pour tout mécanisme qui se veut inclusif
et approprié aux populations locales. De nos jours, malgré une vision couramment
répandue consistant à reléguer la religion au second plan, l’histoire montre qu’en
Afrique, les idées et les acteurs religieux constituent des vecteurs de changements
sociaux incontournables dans la plupart des initiatives de développement (Desroches,
1971). Au Sénégal, l’implication des organisations islamiques et catholiques dans
l’éducation et à tous les niveaux en est une illustration (Cooper, 2006 ; Brenner, 2001).
Selon Ter Haar et Ellis (2006), le poids de la religion comme de la culture également
dans les pays en développement a été longtemps ignoré ou marginalisé dans les
politiques de développement des années 1960, et ce n’est que très récemment que
celles-ci ont été redécouvertes comme véritable force de changement dans certaines
régions en développement. En 2004, la Banque Mondiale publiait un livre intitulé
« Mind, heart, and soul in the fight against poverty », dans lequel les experts soulignent
la nécessité de la collaboration entre organisations religieuses et organisations de
développement pour mieux lutter contre la pauvreté. Pour des domaines aussi variés
que la santé, l’éducation, l’intégration financière voire la stabilité politique, les acteurs
religieux semblent incontournables si l’on veut toucher les cibles prioritaires. Une
attention particulière accordée à la religion, comme nous le suggérons dans ce travail,
dans les politiques de développement peut surprendre, du fait que religion et
développement ont semblé pendant longtemps appartenir à des logiques différentes,
voire opposées. Avec le paradigme de la modernisation, devenu dominant dans les
études et la pratique du développement à partir des années 1960, « la religion est
supposée être hostile au changement, exerçant une force d’inertie destinée à
disparaître avec la modernité et l’accès du plus grand nombre à l’instruction » (Kaag et
Saint-Lary, 2011). Toujours selon ces derniers auteurs, les choses ont commencé à
changer à partir des années 1980 avec les politiques d’ajustement structurel et le retrait
des pouvoirs publics de secteurs sociaux de base, précipitant ainsi la diversification des
acteurs de développement tels que les ONG, et surtout les associations religieuses qui
tentent tant bien que mal de combler le déficit d’État dans certains secteurs clés.
Parallèlement à cela, les approches classiques du développement strictement
macroéconomiques, sont graduellement complétées par des approches plus inclusives,

134
comme celle du développement humain (Sen, 1997, 2000) qui en plus de l’approche
purement économique incluent également les aspects sociaux, psychiques et culturels.
Cette approche que l’on peut qualifier de nouvelle des relations entre religion et
développement est encore relativement récente. L’idée selon laquelle la culture, et
principalement la religion, peut avoir une influence négative sur le développement est
encore dominante, et un exemple révélateur est la théorie du « choc des civilisations »
(Huntington, 1996), devenue un prisme de compréhension des conflits géopolitiques.
Contrairement à Huntington, d’autres spécialistes du développement, comme dans le
rapport de la Banque Mondiale cité plus haut, Copan (1989) ou plus récemment Fall
(2011), mettent plutôt en avant le rôle important, voire incontournable, des
organisations religieuses et culturelles dans l’organisation et le développement
économique des pays en développement, plus particulièrement africains. Le rôle et la
place de la religion musulmane au Sénégal est un exemple révélateur, aussi bien sur
l’échiquier politique qu’économique. Selon Seck (2010), l’islam constitue au Sénégal un
moyen puissant dans les mains des élites politiques et religieuses pour maintenir et
renforcer leur pouvoir et leur influence sur les populations, parce qu’en effet, par les
liens qui existent entre les deux sphères, l’islam à travers ses confréries religieuses
comme les Mourides ou les Tidianes, joue un rôle non négligeable pour assurer une
forme de protection sociale, basée sur des principes de solidarité et de charité. Dans
l’histoire contemporaine du développement économique, le fait culturel, au sein duquel
se trouve la religion, est abordé de façon renouvelée dans ses liens au politique et à
toutes les initiatives qui nécessitent l’implication des populations vivant dans les régions
en développement. Certains de ces faits sont notamment observables dans le secteur
de la microfinance. Des personnes rencontrées au Sénégal au cours d’enquêtes
réalisées dans le cadre de cette thèse estimaient vouloir faire une demande de crédit
alors que leur religion leur interdit non pas le crédit, mais la forme sous laquelle il est
accordé dans les IMF. C’est notamment le cas du taux d’intérêt, banni dans la finance
islamique. À la place du taux d’intérêt, les institutions financières islamiques utilisent le
principe de la marge bénéficiaire. Lorsqu’un client souhaite du financement pour
acheter une machine qui coûte 2'000 $, l’IMF appliquant les principes de la finance
islamique doit en principe lui acheter la machine et la lui revendre à prix supérieur. Par

135
exemple, elle peut acheter la machine à 2'000 $ et la revendre au client à 2'500 $. Cette
pratique, même si dans le fond elle n’est pas très différente du principe du taux
d’intérêt classique, permet aux IMF de s’adapter aux principes et lois de la finance
islamique et toucher une clientèle sensible à ces genres de questions. Dans le cas du
Sénégal, bien que la population soit constituée de plus de 90% de musulmans, la
finance islamique n’y connaît pas un grand essor, et les clients dans la généralité
semblent lui accorder peu d’importance, hormis dans la cité religieuse de Touba où les
pratiques de la finance islamique sont fortement encouragées par le guide religieux de
la communauté Mouride. Intégrer les questions religieuses sur l’organisation et les
pratiques des IMF peut certes paraître complexe, mais à voir l’importance accordée à la
religion et à la culture dans la plupart des pays en développement, il semble opportun
d’en tenir compte dans la conception des produits financiers (Baumann, 2004). Il est
probable que la microfinance doive à l’avenir accorder beaucoup plus d’attention à la
spécification des besoins des personnes à faible revenu, selon le contexte dans lequel
elles évoluent, en différenciant les produits en fonction des besoins. Une telle politique
sur mesure devrait permettre d’éviter toute standardisation des services des IMF,
d’autant plus que de nombreuses difficultés apparaissaient dans le système actuel,
aussi bien en Asie et en Amérique latine qu’en Afrique. Cette question d’adéquation est
loin d’être évidente. En effet, si dans les années 1970 les pratiques des IMF
ressemblaient beaucoup à celles de la finance informelle en essayant tant bien que mal
de s’adapter aux besoins des clients par une certaine flexibilité, au fil du temps elles ont
beaucoup évolué pour ressembler de plus en plus aux banques traditionnelles. Nombre
d’entre elles se focalisent principalement sur l’augmentation de la rentabilité au point
d’oublier les besoins des clients dans leur diversité (Fouillet, 2006).

136
5.3 Une tendance à créer la demande plutôt que répondre à des besoins
spécifiques
La microfinance telle qu’elle fonctionne aujourd’hui dans les pays en développement
peut être divisée en deux marchés. Sur le premier marché, on retrouve une clientèle
relativement bien servie par les IMF. Il s’agit de la clientèle vivant en grande partie en
milieu urbain et disposant d’une activité génératrice de revenu, par exemple les
commerçants qui constituent plus de 80% des clients des IMF au Sénégal (DM23, 2015).
Sur le second marché, se trouve une clientèle qui n’est pratiquement pas servie par les
IMF. On la rencontre généralement dans le monde rural, elle est principalement
composée d’agriculteurs, de pêcheurs et d’éleveurs de bétail. Dans les rares cas où
cette clientèle accède aux produits des IMF, par exemple pour l’obtention d’un crédit,
elle est soumise aux mêmes conditions que les commerçants, bien que les deux
activités soient très différentes. Cette situation est problématique pour plusieurs
raisons. La plupart des IMF se concentrent sur le milieu urbain, généralement dans les
grandes villes où l’on rencontre plus d’activités productives. Au Sénégal, trois régions
sur quatorze se partagent près de 70% de l’encours de crédit de la microfinance avec
Dakar (46%), Thiès (15%) et Ziguinchor (7%), et représentent 37% de la population
sénégalaise. Cela donne lieu à une concentration massive de l’offre de crédit sur une
clientèle relativement réduite, et cela amène les IMF à développer différentes
stratégies du fait d’une concurrence devenue intense. Dans ce contexte, les agents ont
tendance à combiner différentes stratégies pour forcer la main aux clients, en créant
parfois les besoins, utilisant injustement de techniques commerciales pour éveiller
l’intérêt du client à reprendre d’autres crédits et s’endetter davantage (Fouillet et al.,
2016). À BAOBAB, il est de coutume pour les agents de crédit de demander aux clients à
qui il reste moins de quatre mois de remboursement de renouveler leur crédit pour
éviter que le client ne se tourne vers les autres IMF concurrentes dans le secteur.
Depuis 2017, BAOBAB a mis en place un système de renouvellement automatique de
crédit, qui permet aux clients de prendre un nouveau crédit sans introduire une
quelconque nouvelle demande, pour ainsi sauter toute une procédure. La concurrence
exacerbée des IMF en milieu urbain est un facteur qui peut non seulement aggraver le

23
Direction de la microfinance
137
surendettement, mais aussi pousser les clients à prendre des produits dont ils n’ont pas
besoin.

Pour Fouillet et Augsburg (2010), depuis les années 2000, une stratégie des IMF
consiste, à l’instar des banques traditionnelles, à embaucher de plus en plus de
spécialistes en marketing qui ont pour tâche de développer des campagnes de
promotion dans le but d’encourager les clients bons payeurs à acheter davantage leurs
produits. Ces campagnes de promotion peuvent être dangereuses pour une clientèle
sans expérience en matière de produits financiers, qui a de la peine à fixer ses besoins
de façon claire. Des pratiques similaires ont été observées en République Dominicaine
par Guérin (2005), où des agents de crédit affirment avoir utilisé des stratégies dans le
but de stimuler la demande auprès des clients en leur faisant croire à la nécessité
d’avoir certains produits qui, en réalité, n’étaient pas indispensables. Par exemple, sur
le conseil de leurs agents de crédit, certains clients ont constitué une épargne à long
terme ou anticipé leur demande de renouvellement de crédit sans nécessairement être
dans le besoin. Pour Servet (2006), le système de rémunération des agents de crédit,
basé en grande partie sur les primes proportionnelles au montant global de crédit
débloqué, est aussi une source de motivation pour ces derniers à utiliser tous les
moyens possibles pour amener leurs clients à acheter leurs produits. De telles
pratiques, devenues courantes dans le secteur, amènent très souvent des clients à
acheter des services financiers qui ne leur sont aucunement nécessaires, mais ne le
sachant pas, ils se laissent convaincre.

Un autre problème survient dans le cas des produits proposés aux rares clients du
monde rural, composés d’agriculteurs, d’éleveurs et de pêcheurs. Tels que conçus à
l’origine, les crédits de la microfinance étaient destinés à financer des activités qui ont
un flux de trésorerie fréquent comme celui des commerçants. Ceci permet à ces
derniers de respecter la fréquence des remboursements, qui peut aller d’une semaine à
un mois. Pour les autres types d’activité comme l’agriculture, l’élevage et la pêche, les
acteurs ont besoin d’une plus grande distance entre les échéances. Ceci leur permet
d’adapter leurs remboursements aux flux de leur trésorerie. Les agriculteurs ont besoin
de travailler au minimum trois mois avant de récolter leurs produits, alors que dans les

138
IMF sénégalaises, à quelques exceptions près, quel que soit le type de client, le
remboursement débute la semaine qui suit ou au maximum dans les trente jours
suivant l’octroi du crédit. Ainsi, dans les pays en développement où le secteur agricole
reste très vulnérable bien qu’il occupe plus de la moitié de la population, on constate
que non seulement l’agriculture demeure insuffisamment financée, mais aussi que
l’offre des IMF ne répond qu’imparfaitement aux besoins des producteurs agricoles
(Morvant-Roux, 2009).

Entre un milieu urbain où règne une concurrence croissante et un monde rural


quasiment délaissé, les IMF, soucieuses de prendre des parts de marché qu’elles ont du
mal à contrôler, tentent sans cesse de rivaliser sur la rapidité d’octroi des crédits, en
créant une demande supplémentaire (particulièrement dans les villes) dont leurs clients
n’ont pas forcément besoin, mais aussi en vendant des produits qui ne correspondent
pas aux besoins des clients. Ceci les amène, là encore, à se lancer dans un démarchage
actif, voire à faire preuve d’agressivité commerciale auprès d’une population
inexpérimentée en produits financiers. Plusieurs facteurs sont signalés comme sources
d’aggravation : des nouveaux entrants peu soucieux d’éthique, la concurrence,
l’absence de centrales de risques, des attentes excessives en matière de croissance, les
comportements prédateurs, et l’instabilité des revenus des clients (Fouillet et al, 2016).

C’est dans ce contexte si particulier qu’aujourd’hui de plus en plus d’initiatives se


développent afin de remettre la satisfaction des clients au centre des pratiques des IMF.
Au Sénégal, l’organisation qui regroupe les différentes IMF reconnues par l’État
sénégalais, l’Association professionnelle des systèmes financiers décentralisés, a adopté
depuis 2011 un code de déontologie auquel doivent se soumettre toutes les structures
financières travaillant dans le secteur. Ce code déontologique reprend certains points
fondamentaux de la « Smart microfinance », plus connue sous l’acronyme anglais Smart
campaign, établissant des principes fondamentaux pour la protection des clients des
IMF, parmi lesquels on peut citer le développement de produits appropriés aux besoins
et à la capacité de remboursement, la transparence dans la tarification, le traitement
respectueux et équitable des clients et une meilleure souplesse et confidentialité dans
le mécanisme de résolution des plaintes. Une telle réorientation, axée sur les besoins

139
des personnes à faible revenu, devient impérative pour l’activité de la microfinance afin
que cette dernière soit conçue comme un véritable moyen d’inclusion financière dans
les pays en développement.

5.4 Les langues locales comme vecteurs inclusifs


Au Sénégal comme dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, le langage joue un
rôle important dans la délimitation des frontières entre les groupes sociaux actifs dans
le même secteur économique. Bien que chaque langue soit relativement homogène, du
moins jusqu’à un certain niveau, elles subissent chacune à une époque donnée au cours
de l'histoire certaines variations ; « et aucune langue déterminée n'est dans un lieu ou
dans un groupe social donné, identique à ce qu'elle est dans un autre lieu ou dans un
autre groupe social » (OKafor, 1985, p.3). Le rôle et la place de l’anglais et du français à
travers leurs audiences internationales et dans différentes régions du monde,
notamment africaines, en est une illustration. La fonction sociale du français en Afrique
occidentale est, à bien des égards, très différente du rôle que joue le français en France.
Par exemple, alors qu'en France le français est, dans la plupart des cas, la seule langue
maternelle des citoyens français, au Sénégal comme au Mali et dans beaucoup d’autres
pays africains il n'est qu'une langue véhiculaire, utilisée surtout pour assurer la
compréhension entre les divers groupes linguistiques de ces pays, chaque groupe ayant
sa propre langue maternelle. La même situation est pratiquement présente dans la
plupart des anciennes colonies britanniques, telles que le Nigéria où existent plus de
deux cents groupes ethniques avec des variétés linguistiques différentes.

La question de la langue est devenue problématique dans les anciennes colonies


africaines, certes bien avant même les indépendances, mais l’enjeu a pris d’autres
dimensions au lendemain de la colonisation. En Afrique subsaharienne, le contexte
linguistique d’aujourd’hui est marqué par une dualité entre les langues locales et les
langues officielles, très souvent héritées des anciennes métropoles. Les langues
coloniales sont restées après plus d’un demi-siècle d’indépendance les langues de
travail dans l’éducation, dans les médias, dans l’administration, bref dans toutes les
démarches officielles des États concernés. Quant aux langues locales, au-delà leur

140
appartenance identitaire/communautaire, elles sont souvent réservées à un usage
purement familial, et dans une certaine mesure au secteur informel (Sénéchal, 1997).

Si dans les années qui ont suivi les indépendances, l’hégémonie des langues
européennes en Afrique ne souffrait d’aucune contestation, ces dernières décennies la
situation est en train de changer. Pour les jeunes générations, l’émancipation de la
culture africaine doit commencer dans la réforme du système éducatif, en replaçant les
langues africaines au premier plan et ainsi reléguer les langues coloniales, n’ayant
qu’une fonction véhiculaire, au second plan. Bien que les langues coloniales, à l’instar
du français et de l’anglais aient un rôle encore important dans les anciennes colonies,
notamment dans le monde de la recherche scientifique et dans l’accès à la
mondialisation, cela ne peut pas constituer un argument solide pour reléguer au second
plan les langues locales africaines, d’autant plus qu’il est démontré que l’uniformisation
linguistique ne constitue pas une garantie d'impacts macro-économiques plus
favorables (Arcand et Grin, 2013). Le succès du swahili en Tanzanie est très souvent
cité comme exemple de politique linguistique réussie quant à la promotion des langues
africaines en Afrique. À l’instar des langues européennes, le swahili est aujourd’hui
utilisé en Tanzanie comme une langue véhiculaire dans l’éducation et l’administration,
diminuant ainsi le fossé linguistique pouvant exister entre les personnes instruites et les
moins instruites. L’expérience africaine encore visible montre que l'enseignement
donné exclusivement dans une langue étrangère est considéré comme une source de
rupture entre la vie familiale et la vie scolaire, entre la jeune et la vieille génération,
entre un système financier formel et des populations vulnérables non instruites. Cette
rupture systémique, profonde et plus dommageable pour les personnes vulnérables, va
à l'encontre d'un développement harmonieux et inclusif.

Sur le marché de la microfinance, les entreprises qui travaillent dans le secteur


rencontrent divers obstacles liés aux réalités régionales, dont la variété des langues
locales, rarement prise en compte, et pourtant nécessaire pour mieux inclure les
populations locales. Si le succès de l’entreprise dépend de sa capacité à développer une
communication proche de sa cible, procurant des résultats en terme de renforcement
de son image parce qu’intégrant des facteurs linguistiques, alors la langue possède une

141
valeur ajoutée intrinsèque permettant de renforcer la confiance dans la relation
bancaire. Bien que la microfinance ait permis à des millions de personnes pauvres
d’accéder au financement de leurs activités (Banerjee et al., 2009; Servet, 2007; Novak,
2005), il faut en même temps reconnaître que l’adéquation de leurs services aux
besoins de la clientèle locale est très controversée, ce qui, au-delà d’autres facteurs,
pourrait en partie s’expliquer par la barrière linguistique entre les IMF et la clientèle de
la microfinance.

5.5 Hypothèses
Il semble exister un grand écart entre les services offerts par les IMF et les besoins des
personnes à faible revenu. Au vu de leurs pratiques, il semble que les IMF soient plus
préoccupées par la rentabilité que par la satisfaction des besoins fondamentaux des
personnes à faible revenu. Bien évidemment, la rentabilité et la satisfaction des clients
doivent aller de pair (Halpern, 2000), mais comme nous l’avons vu et le défendons dans
nos hypothèses, les personnes à faible revenu peuvent dans certaines conditions être
peu sensibles aux coûts des crédits, tels que le taux d’intérêt. Elles peuvent l’être soit
par ignorance, soit parce qu’elles sont dans l’urgence, soit parce qu’elles sont moins
préoccupées par la volonté de rembourser, ce qu’Akerlof (1978), Stiglitz et Weiss (1981)
ont bien démontré. Ce rapport déséquilibré entre IMF et clients, dans lequel les
derniers sont sans doute les plus fragiles, n’est pas viable et remet en cause l’objectif
fondamental de la microfinance. Si la question des disponibilités financières n’est plus
une contrainte majeure dans beaucoup d’IMF, on estime que les innovations de
produits financiers sont généralement confrontées à d’autres contraintes, telles que le
système de garantie, la formation du personnel, le niveau de littératie des clients des
IMF et l’absence de cadre réglementaire approprié. La persistance de l’exclusion
financière dans les pays en développement montre que l’objectif de la microfinance de
permettre aux personnes à faible revenu d’accéder au crédit est loin d’être atteint. Ce
constat laisse entrevoir un champ considérable d’expansion de services financiers et
sociaux adaptés aux besoins des personnes à faible revenu. Pour étudier cette question
d’inadéquation entre les services des IMF et les besoins des personnes à faible revenu,
nous essayons de répondre à plusieurs questions formulées sous forme de quatre
hypothèses, classées en deux groupes différents.
142
Dans le premier groupe (H1, H2, et H3), nous avons les hypothèses qui concernent les
aspects financiers mettant en relation l’IMF et son client. Quant au second groupe (H4),
il est constitué d’une hypothèse principale relative aux aspects sociolinguistiques des
pratiques et comportements ayant—ou pouvant exister entre les acteurs.

1. Hypothèse sur la dominance de l’approche commerciale

H 1 : les services et produits des IMF auxquels ont accès les personnes à faible rrevenu
répondent plus à une logique de minimisation des risques du crédit et de rentabilité
pour les IMF qu’à une volonté de répondre à la demande (exprimée et non-exprimée)
des personnes à faible revenu.

2. Hypothèse sur le problème de la standardisation

H2 : la standardisation des services et produits financiers proposés dans les IMF est
problématique, du fait qu’elle ne tient pas nécessairement compte des opportunités et
contraintes spécifiques des personnes et des activités.

3. Hypothèse sur les coûts de production

H3 : le niveau élevé des taux d’intérêt sur le marché de la microfinance s’explique en


grande partie par l’importance des marges bénéficiaires appliquées par les IMF sur
chacune de leurs opérations de crédits.

4. Hypothèse sur la diversité des langues

H4 : la mise en œuvre de stratégies linguistiques dans les IMF, en tenant compte des
langues locales, est une nécessité pour faciliter la communication et la compréhension
mutuelle entre l’IMF et ses clients.

Dans le chapitre suivant, nous présentons les différentes procédures utilisées dans ce
travail pour vérifier ces quatre hypothèses, essentiellement dans le secteur sénégalais
de la microfinance.

143
144
6 Chapitre VI : Méthodologie
Notre étude porte sur des dynamiques et processus existant dans les interactions entre
les IMF et leurs clients. Elle essaie de comprendre, d’une part, comment les deux
acteurs interagissent sur le marché de la microfinance et, d’autre part, ce qui peut
motiver certaines pratiques et certains comportements observés dans les interactions.
Cette démarche n’a pas de vocation finale à quantifier ou à mesurer le niveau de
satisfaction des clients à faible revenu sur le marché de la microfinance, mais elle
consiste surtout à construire une démarche procédurale et interprétative en recueillant
des données verbales auprès des deux groupes d’acteurs. Pour mener ce travail, les
enquêtes qualitatives nous paraissent plus appropriées pour comprendre les
dynamiques dans lesquelles fonctionnent les IMF et leurs clients, dans des
environnements pouvant être complexes et fermées au monde extérieur. Néanmoins,
quelques analyses quantitatives viendront en guise de complément, permettant de
suivre les tendances observées dans certains sous-secteurs du paysage de la
microfinance. Comme nous le verrons dans les parties qui suivent, la méthodologie de
travail adoptée reste dans une logique de pertinence par rapport aux questions
auxquelles nous cherchons à répondre, mais aussi d’adéquation par rapport au contexte
local.

6.1 Approche qualitative


Plusieurs événements récents, décrits dans les deux premières parties, montrent qu’il
existe un hiatus entre les services des IMF et les besoins des clients à faible revenu.
Comme nous l’avons déjà évoqué, certains besoins pourtant fondamentaux chez les
personnes à faible revenu, ne sont pas visibles dans les demandes de biens et services
de ces dernières auprès des IMF, parce qu’ils ne sont pas exprimés, sans doute pour
plusieurs raisons que nous souhaitons comprendre à l’issue de ce travail. Dans ces
conditions, seule une analyse basée sur les caractéristiques et les comportements des
différents acteurs peut nous aider à mieux comprendre les dynamiques et processus
existant dans l’expression des besoins des personnes à faible revenu, mais aussi de
l’offre de biens et services financiers par les IMF (Dumez, 2011). Avec une démarche
qualitative, on peut avoir une meilleure compréhension des pratiques des clients des

145
IMF, mais aussi de ces dernières grâce à l’observation de l’action des agents de crédit et
des dirigeants. À ce titre, l’approche qualitative est particulièrement adaptée à notre
thème de recherche, car elle permet non seulement de répondre aux questions de type
« pourquoi », comme par exemple ce qui peut amener un client à préférer le crédit
informel au crédit accordé par une IMF, mais aussi aux questions de type « comment ».
La recherche qualitative est particulièrement appropriée lorsque les facteurs observés
sont subjectifs, et particulièrement difficiles à mesurer. Les applications en sont très
concrètes, plus particulièrement pour les aspects relationnels. La démarche fait
référence aux modèles culturels et à la culture vécue. Si nos méthodes d’analyses
statistiques sont capables de quantifier ce constat, sans recours aux démarches
qualitatives, elles restent d’une portée limitée pour l’expliquer, du fait de la complexité
comportementale caractérisant l’action des différents acteurs. Dans ce cas, « le but de
la recherche qualitative est d’aider à comprendre les phénomènes sociaux dans leur
contexte naturel. Elle essaye de définir un critère et d’en connaître les variations en
fonction de différentes circonstances » (Borgès et Da Silva, 2001, p.22). Par exemple,
comment les clients font-ils pour se réapproprier certaines pratiques des IMF, et
comment cette appropriation est-elle perçue par les dirigeants des IMF ? Les outils
quantitatifs ne permettent pas de répondre à la totalité des questions soulevées dans
les sciences sociales, confirmant que « il y a un peu de vérité dans la boutade comme
quoi les méthodes quantitatives sont fiables mais non valables et les méthodes
qualitatives sont valables mais non fiables » (Britten et Fisher, 1993, p.3).

Les questions auxquelles nous essayons de répondre sont assez complexes, surtout
dans le contexte qui est celui des personnes à faible revenu. Qui plus est, nous
travaillons sur le cas spécifique du Sénégal. Il s’agit d’une société dans laquelle
beaucoup de questions liées à la vie familiale, au statut social ou au revenu sont
rarement discutées en public. Dans ce genre de contexte, « Il arrive que des personnes
ne veuillent pas ou ne puissent pas répondre à certaines questions, en particulier
lorsque les questions touchent à la vie privée, à la pudeur, à l’ego ou au statut »
(Malhotra et al., 2011, p.95). Pour mieux tenir compte des diversités à la fois
nombreuses et complexes, notre approche est basée sur le qualitatif avec des
entretiens groupés et individuels. Ces enquêtes qualitatives consistent à interroger
146
quelques individus et les laisser s’exprimer longuement par des entretiens. L’objectif
d’une telle approche est de comprendre certaines pratiques, comportements et
motivations des personnes à faible revenu vis-à-vis des services de la microfinance.
Selon Bréchon (2010), «la démarche d’enquête qualitative correspond tout
particulièrement à l’idéal épistémologique de Weber (1922) qui privilégie une
démarche de compréhension, consistant à découvrir le sens que les humains donnent
aux choses, la signification qu’ils accordent à leurs actions. Les intentions des acteurs
sociaux, individuels et collectifs, leurs motivations, contribuent à expliquer les
événements et le devenir des sociétés » (Bréchon, 2007, p.8). Pour ce faire, nous avons
travaillé sur deux types d’enquête qualitative. Le premier type recourt à des entretiens
de groupe plus connus sous le nom focus groups. Quant au second type, il sera consacré
à une série d’entretiens semi-directifs visant à compléter les premières données.

6.1.1 Focus group


Les besoins des personnes à faible revenu sont complexes et divers. Cela concerne
surtout les pays en développement où de nombreuses pratiques destinées à la
satisfaction des besoins sont informelles. De ce fait, pour établir un guide d’entretien
ou un questionnaire qui puisse inclure de façon plus ou moins exhaustive toutes les
questions aidant à vérifier nos hypothèses, il s’avère nécessaire de prendre un premier
contact avec les clients sous forme de focus group. Le focus group que nous utilisons
dans ce travail comprend une dizaine de personnes qui échangent et discutent autour
d’une question centrale de manière non structurée, libre et naturelle. Un des avantages
du focus group est qu’il peut être très interactif s’il est bien animé. Il suscite aussi une
dynamique de groupe intéressante, en amenant les différents intervenants à s’engager
et à s’expliquer davantage sur leurs choix respectifs. Dans un contexte multiculturel
comme celui-ci, où les pratiques et les comportements diffèrent d’un secteur d’activité
à l’autre, il y a de fortes chances que l’enquêteur, quelle que soit sa capacité à
reconnaître la diversité ou la régularité d’un phénomène, ignore toute une série de
pratiques ou de comportements liés d’une façon ou d’une autre à son étude. Un moyen
de surmonter ce genre d’obstacle, très fréquent dans les recherches de terrain, est de
débuter par des entretiens de groupe dont l’objectif essentiel est d’obtenir des
informations en écoutant parler un groupe de personnes appartenant à la population
147
cible. L’intérêt de cette technique est de faire apparaître des résultats inattendus,
souvent obtenus au cours de la discussion libre du groupe.

Par rapport à notre thème de recherche, qui porte en grande partie sur les besoins des
personnes à faible revenu et le processus suivant lequel elles prennent leurs décisions
de recourir à un produit proposé par une IMF ou au contraire d’y renoncer, le focus
group peut nous aider à identifier les critères de choix de ces personnes dans leur
diversité, il peut aussi mettre en évidence d’autres aspects ou comportements capables
d’influencer les choix que font les clients. Dans ce travail, le focus group que nous
utilisons peut aussi contribuer à élaborer des questions en vue d’un entretien semi-
directif, qui constitue dès lors la seconde étape. Il nous permet donc de recueillir les
informations nécessaires, afin d’approfondir et de mieux préciser le questionnaire
utilisé lors de l’entretien semi-directif. Les discussions informelles entraînant des
interactions spontanées entre les membres sont pleines de surprises, car elles offrent
un environnement favorisant l’expression des personnes interviewées, quel que soit
leur niveau d’éducation. EIles n’écartent personne, y compris les illettrés, car
« l’expression sans tabou de certains peut lever les inhibitions des autres. L’expérience
commune partagée peut entraîner des solidarités. Le collectif peut donner plus de poids
aux critiques que dans des entretiens individuels » (Moreau et al ; 2004, p.2). Ce genre
d’interaction peut nous révéler des besoins ou autres questions liés à nos hypothèses,
qui par la suite pourront être reformulées et étudiées sous forme de questions précises
dans les entretiens individuels semi-directifs. Ainsi, en combinaison avec les
informations dont nous disposons, le recours au focus group conçu dans cette étude
comme une phase préparatoire, nous permet de mieux préparer les entretiens
individuels, par la confection d’une grille de questions pouvant répondre au mieux aux
questions que soulèvent nos hypothèses.

Cependant, parallèlement aux avantages qu’offre le focus group, il présente aussi des
obstacles pour les participants et pour le chercheur. Avoir un groupe diversifié dans sa
composition est certes un avantage pour l’enquêteur qui cherche à obtenir le maximum
d’informations de natures diverses, mais il peut être problématique à cause de la
présence de personnalités différentes. Dans ce genre d’enquête, il se dégage toujours

148
des personnalités qui ont tendance à monopoliser ou dominer la discussion, soit par
leur éloquence, soit par leur statut social. Une telle attitude peut entraîner « la
standardisation des opinions qui tend parfois à s’instaurer et dissimule souvent
l’existence d’avis divergents non exprimés soit par inertie, soit par solidarité ou comme
résultat de rapports de pouvoirs » (Creusot, 2004, p.3). Il se pose aussi le problème de
la confidentialité qui fait que dans un focus group les participants peuvent préférer
rester dans des idées considérées comme socio-culturellement correctes, empêchant
certains participants d’aller au bout de leurs idées.

Cet obstacle est susceptible d’apparaître dans les sociétés où la sphère familiale est très
séparée de la sphère publique. Pour notre étude, ce type de problème peut être en
partie résolu par les entretiens semi-directifs conduits ensuite. Ces derniers permettent
d’approfondir, au niveau individuel, certaines questions et opinions jugées
intéressantes. Dans cet exercice, le rôle du modérateur, qui est en même temps le
chercheur, est au centre du dispositif. Il nous appartient, en tant que modérateur,
d’animer le groupe, de faire émerger les points de vue les plus intéressants par rapport
à notre thème de recherche, tout en laissant la dynamique de groupe agir librement
mais recentrée sur le thème général. Ce rôle que doit jouer le modérateur, qui suppose,
approfondir une idée intéressante d’une part et orienter la discussion d’autre part, peut
paraître complexe. Assurer un équilibre tout en évitant d’influencer la discussion n’est
pas évident, et repose sur la maîtrise et la vigilance du modérateur, sans qu’il doive
pour autant dissimuler sa sensibilité. Les langues utilisées dans les Focus group sont le
wolof et le français, même si de temps en temps des participants ont utilisés d’autres
langues locales (pular, sérère et soninké) pour expliquer certains termes utilisés à
d’autres participants.

6.1.2 Entretiens semi-directifs


Comme les focus group, l’entretien semi-directif est une technique qualitative de
recueil d’informations, dans laquelle l’enquêteur oriente le discours des personnes
interrogées autour d’un thème général dont les axes sont définis préalablement dans
un guide d’entretien (Michelat, 1975). Avec l’entretien semi-directif, nous avons la
particularité de donner une certaine liberté à la personne enquêtée bien que les
contours du thème soient définis à l’avance. Contrairement à l’entretien directif, celui-ci
149
n’enferme pas le discours du sujet dans des questions préfabriquées. Au contraire il lui
laisse une certaine marge, lui permettant de développer, d’orienter, d’argumenter ou
même de se répéter dans ses propos. Cette flexibilité donnée au client enquêté peut
certes l’amener de temps en temps à s’éloigner du thème de recherche, mais peut
procurer aussi de riches informations auxquelles nous ne nous attendions pas. Dans ce
type d’entretien, il y a davantage de liberté pour le chercheur mais aussi pour l’enquêté.
Dans notre cas, cette liberté accordée à l’interviewé est fondamentale pour espérer
recueillir le maximum d’informations pertinentes portant sur son interaction avec les
IMF, et aussi avec le marché financier du secteur informel. Formellement, nos
interventions vont se situer à deux niveaux. D’abord au niveau de la consigne en tout
début d’entretien, ensuite au niveau de la relance pendant l’entretien, dans le but
d’approfondir les idées et propos tout en restant dans le thème d’étude.

Dans notre partie qualitative, la consigne a un effet inducteur sur la logique des
personnes que nous allons interroger. C’est par là que l’enquêteur définit les contours
du thème qu’il aborde avec son sujet. Chaque terme doit être soigneusement pesé,
d’autant plus que nos interviewés ont en moyenne un niveau d’instruction bas, et ne
savent pas pour la plupart d’entre eux, communiquer en français24. La consigne doit
absolument tenir compte du type de client ou d’enquêté en face duquel on se trouve.
Lorsqu’elle est bien utilisée, elle évite de placer l’enquêté seul face à ses pensées
(Duchesne, 2000). Vu que nous aurons devant nous des personnes qui n’ont pas
beaucoup d’expérience en matière financière et qui ont peu de connaissances dans le
domaine, une approche qui consiste à poser certaines consignes sous forme de
questions nous paraît plus apte à mettre le client à l’aise et à ouvrir le dialogue. Nous
démarrons par exemple avec une des questions suivantes : « Est-ce que vous voulez
bien qu’on parle de votre collaboration avec BAOBAB ? » « En tant que client de
PAMECAS depuis quelques années, est-ce que cela vous dérangerait que l’on discute de
votre expérience ? » Ce genre de questions reste ouvert et pose déjà les bases
essentielles de la consigne. De telles questions devraient permettre aux clients de
connaître dès le début de la conversation les contours du thème. Il nous semble

24
Les documents de travail utilisés pour les enquêtes sont écrits en français. Ils sont réexpliqués
oralement en cas de besoin.
150
important de prendre le temps de réexpliquer aux enquêtés le but de ce travail et
comment nous comptons procéder en tant que chercheur.

En ce qui concerne la relance, dans ce travail elle ne consiste pas à uniquement


reprendre les derniers mots prononcés par l’enquêté. Pour Sophie Duchesne (2000),
cette façon de faire n'a de sens que s'il s'agit d'étudier les réactions du sujet, et elle est
réservée à d’autres disciplines comme la psychologie expérimentale. Pour cette étude,
ce qui pour nous est le plus intéressant, c’est le contenu du discours, même si nous
accordons beaucoup d’importance à la façon dont il est émis. La relance peut procéder
par reformulation des derniers propos de l’enquêté, sa dernière séquence de
propositions par exemple, en utilisant parfois les mots utilisés par ce dernier dans le but
de l’aider à exprimer et préciser sa pensée et son point de vue. Le fait que cette
reformulation soit prononcée par un autre peut aider le client enquêté à trouver une
expression plus juste et précise de ce qu’il voulait dire. C’est aussi une façon de l’aider à
ne pas perdre le fil de son raisonnement. On peut utiliser des phrases comme « Tout à
l’heure vous avez dit… », « Que voulez-vous dire par là… ? ». Une bonne utilisation de la
relance dans notre étude nous permet de donner une liberté d’expression à l’interviewé
tout en gardant la main sur l’orientation de la discussion. La nature de nos enquêtes et
le terrain choisi font que nos interviewés peuvent être entraînés dans des discussions
où les thèmes abordés ne leur seront pas familiers. La question du timing est
importante parce qu’il faut surtout éviter de relancer l’interviewé au moment où il est
en train de développer ses propos. C’est une façon de lui permettre d’aller au bout de
son raisonnement sans perdre le fil conducteur, ce qui est très exactement un des
objectifs recherchés par la relance.

L’utilisation de ces méthodes nous permet de connaître la perception des clients sur les
produits et services des IMF, à tester leur sentiment de satisfaction sur ces derniers.
Dans l’ensemble, ces services sont au nombre de cinq au Sénégal. Il s’agit de l’épargne,
du crédit, et dans une moindre mesure du transfert d’argent, de la micro-assurance et
de la domiciliation salariale. Les services de crédit et d’épargne restent les plus
répandus, et les formules proposées sont quasiment identiques dans les IMF. Ils sont
offerts sous deux formes : le crédit d’investissement ou le crédit à la consommation, et

151
dans une moindre mesure, l’épargne volontaire et l’épargne forcée. Quant aux services
de micro-assurance et de domiciliation salariale, à part CMS, PAMECAS ACEP et
BAOBAB, aucune autre IMF de la place ne les propose. À cela s’ajoutent aussi les
conditions et les modalités sous lesquelles ces services sont offerts. Une enquête
qualitative auprès des bénéficiaires portant sur ces services existant et sur les
conditions et modalités de leur fourniture permet d’évaluer le niveau de satisfaction
des clients. Par exemple, on peut poser des questions telles que : comment avez-vous
connu le CMS ? Depuis quand êtes-vous client ? Quelles sont les raisons qui vous ont
motivées à vous adresser à lui ? Sur quoi porte votre crédit ? Le trouvez-vous
avantageux ? Quels sont les avantages ? Pourquoi n’êtes-vous pas allé voir d’autres
IMF ? Pourquoi n’avez-vous pas emprunté à un voisin, à un membre de la famille, à un
ami ? Comment voyez-vous les délais de remboursement, les taux d’intérêt, les
recouvrements ? Sont-ils avantageux ?

Au-delà des produits et services existants, d’autres questions qui nous intéressent et qui
font l’objet d’étude dans ces enquêtes concernent des produits qui sont, pour le
moment, absents des offres des IMF. Le manque de diversité dans les produits offerts
fait que certains clients peuvent être insatisfaits non pas parce que l’offre ne s’adapte
pas à leurs besoins, mais du fait que le service dont ils ont besoin est absent dans l’offre
des IMF. Autrement dit, à ce niveau, il faut distinguer deux problèmes. D’une part, pour
certains clients, les offres disponibles peuvent ne pas répondre à leurs besoins
spécifiques, comme celle du crédit standard pour les agriculteurs. D’autre part, pour
d’autres clients, les services dont ils ont besoin ne sont pas fournis dans les IMF, ou du
moins ne leur sont pas accessibles pour différentes raisons sur lesquelles nous
reviendrons, comme ceux liés aux assurances dont ont besoin les commerçants.
Cependant, vu que les personnes auxquelles nous avons affaire ne connaissent pas
forcément les autres services dont elles auraient besoin en matière de finance, la tâche
peut sembler compliquée quand il s’agit de se prononcer sur ces autres services. À ce
niveau, les informations tirées des focus group peuvent être importantes. Avec les
données recueillies dans le focus group, l’enquêteur est déjà assez outillé pour trouver
des formulations qui aident à simplifier les questions posées à ces interviewés. Par
exemple, imaginons que dans les entretiens des focus groups, il est apparu que les
152
clients des IMF ont besoin de crédits d’urgence ou de crédits pour financer l’éducation
de leurs enfants. Pour avoir plus d’information sur ces produits et le type qui leur
conviendrait, l’enquêteur peut par exemple poser des questions comme celles-ci :
comment faites-vous lorsque vous avez un besoin urgent en argent ? Vos enfants sont-
ils scolarisés ? Qui paie leurs frais d’inscription, leurs frais de scolarité ? Comment
faites-vous pour assumer toutes ces charges ?

L’approche par les entretiens de focus groups et semi-directifs nous permet à la fois de
tester le ressenti des clients dans leur collaboration avec les IMF dans le contexte
sénégalais, et d’analyser plusieurs pratiques complexes observées dans les rapports
entre les deux acteurs.

Comme nous venons de le montrer, l’entretien semi-directif présente beaucoup


d’avantages dont le principal est sans doute la possibilité de recueillir des informations
approfondies sur certaines questions complexes comme les valeurs, les faits et
comportements constatés grâce au focus group. Cependant il est très difficile d’en tirer
des conclusions générales, car chaque individu interrogé représente un élément d’un
grand ensemble où les réactions peuvent être différentes d’un individu à l’autre. Le
matériau recueilli dans un entretien semi-directif, bien qu’il puisse être un plus précis
que celui d’un focus group, dépend des connaissances individuelles des interrogés. Par
comparaison avec le focus group, l’entretien semi-directif peut donc livrer des
informations plus précises, mais moins riches dans leur diversité ; d’où l’importance de
procéder successivement à ces deux types d’enquêtes pour à la fois disposer
d’informations précises et représenter une diversité d’opinions.

6.1.3 Échantillon
La constitution de l’échantillon est l’une des questions les plus complexes rencontrées
dans ce travail de terrain. Nous devions sélectionner un nombre limité d’individus en
ayant en ligne de mire les questions suivantes : qui peut nous fournir des éléments dont
nous avons besoin pour notre travail ? S’agit-il d’individus directement concernés par
notre question de recherche ou de simples individus qui ont leur point de vue, bien
qu’ils ne soient pas directement concernés ? L’échantillon dépend de la question de
recherche de l’enquêteur, de ce qu’il veut savoir à propos de son sujet. Cela nécessite

153
pour l’enquêteur de clarifier son sujet et de bien préciser son thème de recherche avant
d’en arriver aux questions liées à la méthodologie (Pires, 1997). Cette étape est très
importante pour la suite, parce qu’elle nous permet d’être plus précis à propos du type
de client dont nous avons besoin pour éclairer notre problématique. À ce propos, les
hypothèses de recherche nous semblent constituer un bon point de départ. Pour cela,
nos enquêtes ont porté en tout sur 84 individus, composés d’une part sur des clients
d’IMF et sur de potentiels clients d’IMF selon des critères sur lesquels nous reviendrons,
et d’autre part sur les dirigeants d’IMF tels que les développeurs de produits et les
agents de crédit qui jouent le rôle d’intermédiation entre l’IMF et ses clients.

L’évolution de la microfinance fait que de nos jours, on rencontre des clients de toutes
catégories sociales dans les IMF. Tous les clients des IMF ne peuvent pas être
considérés comme des personnes à faible revenu, loin s’en faut. Les fourchettes de
crédit sont un bon indicateur de l’hétérogénéité de la clientèle des IMF. À BAOBAB, les
crédits octroyés se situent dans une fourchette allant de 150'000 à 320'000 $ US. Pour
notre étude, la clientèle-cible est constituée des personnes que nous considérons
comme relevant de la catégorie à faible revenu. Pour cela, le critère fondamental que
nous avons utilisé, pour les clients effectifs et pour les clients potentiels, est similaire à
celui dont se servent également les IMF sénégalaises, c’est-à-dire que le client doit
disposer d’une activité génératrice de revenu. Mais comme ce critère ne suffit pas pour
être considéré comme personne à faible revenu, nous y avons rajouté que l’activité
productive doit être de faible envergure financière. Ainsi, nous excluons les grossistes
commerçants et les grands propriétaires terriens, qui dans ce contexte ne peuvent être
considérés comme des personnes à faible revenu. L’indicateur financier utilisé, pour ne
retenir dans notre échantillon que des personnes considérées comme étant à faible
revenu, est le montant maximal de crédit obtenu. Dans la catégorisation utilisée par les
IMF sénégalaises, nous avons des clients qui appartiennent au groupe des « petits
montants » et d’autres clients qui sont dans le groupe des « gros montants ». Le groupe
des « petits montants » sont les clients qui ont déjà obtenu un crédit inférieur ou égal à
500'000 FCFA (900 $ US), l’équivalent de 80% du produit national brut par tête au
Sénégal. Tous les crédits supérieurs à ce montant appartiennent au groupe des « gros
montants ». Cette catégorisation de la clientèle en deux groupes permet aux IMF
154
d’avoir d’un côté les clients considérés comme étant à faible revenu, donc plus risqués,
et d’un autre côté les autres. Ainsi, comme nous nous intéressons principalement aux
personnes à faible revenu, seuls les clients appartenant au groupe des « petits
montants » sont pris en compte dans notre échantillon. Ce critère financier nous
permet de nous centrer sur une clientèle plus homogène en termes de besoins services
financiers, composée notamment de petits commerçants, de menuisiers artisanaux, de
petits exploitants agricoles, de pêcheurs etc. En plus des clients des IMF, que nous
appelons parfois « clients effectifs », nous avons rajouté à notre échantillon des
personnes considérées comme « clients potentiels » Par clients potentiels, nous faisons
référence aux personnes qui exercent une activité productive de petite taille mais n’ont
pas encore accès au financement d’une IMF. Cela correspond par exemple aux
personnes qui, pour plusieurs raisons que nous évoquerons plus tard, se financent sur le
marché informel. Nous avons ainsi interrogé 84 personnes sur la partie concernant les
aspects financiers, et 32 personnes sur la partie qui concerne les aspects
sociolinguistiques, composées essentiellement par des clients effectifs sur le marché de
la microfinance, et des clients potentiels qui ne sont pas encore effectifs.

6.1.4 Choix des IMF


Vu la nature des enquêtes requise par la présente étude, le choix des IMF sur lesquelles
porte l’enquête est très important. Nous avons établi trois critères fondamentaux : le
niveau de maturité, le type d’organisation (statut) et l’accessibilité.

1. La maturité

La direction de la microfinance définit la maturité des IMF par rapport au niveau de leur
couverture nationale et à leur solidité financière. Pour être considérées comme
matures, les IMF doivent d’abord avoir une couverture nationale quasi-complète, du
moins dans les grandes villes du pays. Cette couverture peut être assurée soit par des
agences de l’IMF soit par de simples guichets à partir desquels les clients peuvent
effectuer des opérations basiques, telles que déposer de l’argent dans leurs comptes ou
en retirer jusqu’à certains montants. Elles doivent ensuite présenter un résultat
financier qui prouve leur indépendance financière vis-à-vis des subventions et autres
aides externes. Autrement dit, en plus d’assurer une couverture nationale, les IMF

155
matures doivent nécessairement être dans une phase de rentabilité financière qui
puisse assurer leur pérennité.

2. Le statut

Le deuxième critère est basé sur le statut. L’évolution du secteur de la microfinance fait
que dans son paysage, on trouve des types d’IMF avec des statuts différents. On y
rencontre des IMF sous forme d’ONG, d’autres sous forme de coopératives, de
mutuelles ou encore des formes plus récentes comme les banques de microfinance
avec un statut de SA. Notre étude consiste à analyser et à comprendre les dynamiques
des IMF avec leurs clients dans le développement de services et produits financiers. Ces
dynamiques peuvent être différentes selon l’organisation, les objectifs et les priorités
des IMF. Pour ces raisons, nous avons choisi de travailler sur un échantillon d’IMF en
mesure de représenter la diversité du secteur du côté des fournisseurs. Dans le
contexte sénégalais, les fournisseurs de services et produits microfinanciers peuvent
être scindés en deux groupes. Nous avons d’une part des groupes mutualistes qui sont
dans la même logique que les ONG (PAMECAS, CMS, ACEP) et d’autre part des
structures commerciales comme les banques de microfinance (BAOBAB, CAURI,
COFINA). Les IMF de type mutualistes ou coopératifs sont de loin les plus fréquentes, et
occupent plus de 90% de la clientèle de la microfinance. Mais depuis que le secteur a
été libéralisé en 2007 pour faciliter l’entrée des autres structures, les IMF commerciales
à statuts bancaires sont de plus en plus nombreuses sur le marché et deviennent de
véritables concurrentes pour les mutuelles et coopératives. Dans notre échantillon
d’IMF, nous pensons qu’il est nécessaire d’avoir deux parmi ces géants du secteur, qui
en plus d’être mature, doivent refléter la mixité du paysage de la microfinance. Il nous
faut au moins une IMF à statut mutuel ou coopératif, et une autre IMF à statut
bancaire. La diversité recherchée dans la représentation des IMF est fondamentale par
rapport à notre question de recherche. Le statut des IMF influence leur style de
gouvernance, leurs priorités par rapport à des objectifs financiers et/ou sociaux, donc
leurs pratiques et leurs comportements vis-à-vis de leurs clients. Bien qu’une rentabilité
financière soit devenue une exigence dans toutes les IMF qui se veulent pérennes et
durables, les objectifs financiers affichés varient, parfois même considérablement, selon

156
que l’on se situe dans une mutuelle ou dans une banque de microfinance.
Théoriquement, les mutuelles et coopératives cherchent à rentabiliser leurs activités
uniquement dans le but de pérenniser leurs activités et de les agrandir, afin de mieux
servir leur clientèle en termes de quantité et de qualité. Il n’existe pas dans les
mutuelles ou coopératives un reversement des profits aux membres. Les profits
dégagés doivent uniquement servir aux activités de la structure, mais pas directement
aux membres. Dans les IMF à statut bancaires, la donne est différente. Elles sont à
l’image des banques classiques dans leur organisation, car appartenant à des
actionnaires à qui les profits doivent être reversés à la fin de l’année. Suivant ces
paramètres qui impactent assez nettement l’organisation et le fonctionnement des IMF,
des enquêtes effectuées séparément dans chacun des deux types d’IMF présents nous
permettent d’une part de comprendre les modes de fonctionnement de ces dernières
selon leur statut, et d’autre part de saisir la place accordée aux besoins des personnes à
faible revenu dans l’exercice des activités de l’institution.

3. L’accessibilité

Un travail exploratoire sur le terrain a montré que suivant les IMF, l’accès aux données
peut être compliqué si l’enquêteur n’a aucune personne de contact dans la structure
d’accueil. La réticence des IMF à accueillir des chercheurs est une réalité bien présente
au Sénégal. L’ampleur de certaines pratiques parfois informelles, et non
conventionnelles dans les IMF, donc difficilement acceptables par le grand public, est
sans doute un des mobiles de cette réticence. L’une de ces pratiques est le système de
recouvrement25, parfois abusif, utilisé pour amener les clients emprunteurs
retardataires à rembourser leur crédit en souffrance. Beaucoup d’IMF ont aussi été
épinglées par des audits externes dénonçant la gestion financière des dirigeants
(PAMECAS, FIDES26). Cette situation met les chercheurs dans une position inconfortable,
dans laquelle ils peuvent être vus non pas comme des chercheurs, mais comme des
contrôleurs. Cela montre combien il peut être important pour le chercheur d’avoir des

25
Certaines pratiquent consistent à intimider le client retardataire, d’autres vont plus loin jusqu’à la
confiscation de biens du client, dans le but de le forcer à régler le montant dû, peu importe la manière.
26
FIDES a été racheté par BAOBAB en 2017.
157
contacts préétablis dans son terrain de recherche, bien avant la phase officielle qui
débute par l’entrée en contact avec l’institution en question.

L’évaluation des IMF présentes sur place, sur la base des trois critères ci-dessus, nous a
amené à en choisir deux pour réaliser nos enquêtes. Nous avons porté notre choix sur
PAMECAS et BAOBAB.

Les deux IMF sont jugées matures. Elles ont atteint une couverture nationale et
présentent une solidité financière qui leur permet d’être rentables, ce qui répond à
notre premier critère de sélection. Elles ont des statuts différents du point de vue de
l’organisation institutionnelle, et n’ont pas forcément la même cible prioritaire.
PAMECAS est une mutuelle de crédit, donc détenue par ses clients ou membres, alors
que BAOBAB est une banque de microfinance avec un statut de société anonyme,
détenu par des actionnaires privés. Les statuts différents des deux IMF nous permettent
d’effectuer une analyse plus complète et plus riche du paysage sénégalais de la
microfinance. Pour les deux IMF, nos démarches pour mettre en place une
collaboration avec la direction ont été facilitées par des contacts que nous avions déjà
dans chacune d’elles. À BAOBAB, il a été plus simple d’avoir une autorisation d’enquêter
sur la clientèle27.Quant à PAMECAS, le protocole était plus long, et a pris en tout deux
mois depuis les premiers contacts officiels.

6.1.5 Élaboration des guides d’entretien


Conformément à notre choix de travailler avec deux instruments qualitatifs, à savoir le
focus group et l’entretien semi-directif, nous avons utilisé deux guides d’entretien
spécifiques à chaque instrument, même s’il y a forcément quelques ressemblances,
notamment sur la formulation de quelques questions. Que l’on utilise l’un ou l’autre
instrument, l’objectif est de formuler des questions qui nous aideront à répondre à la
question de recherche, tout en évitant de poser des questions trop fermées.

27
J’ai réalisé ma première enquête de terrain à BAOBAB. C’était en 2013, dans le cadre de mon mémoire
pour le M.A en socio-économie. J’étais donc en contact avec la direction et plus particulièrement le
directeur général.
158
1. Guide d’entretien du focus group

Le guide d’entretien que nous avons utilisé vise à favoriser l’émergence de


connaissances, aussi diverses soient-elles, d’opinions ou d’expériences vécues. La prise
en compte de la diversité des opinions, des questions de valeurs, des croyances
religieuses ou culturelles au sein des groupes de personnes interrogées doit donc se
traduire par des questions ouvertes qui permettent de s’exprimer librement.
L’élaboration de notre guide d’entretien a misé sur les expériences des participants,
leurs besoins, leurs attentes, et leur niveau de satisfaction. Lorsque le guide est bien fait
et adapté aux groupes enquêtés, il permet de mieux comprendre la manière dont les
sujets perçoivent la réalité et la complexité de la question étudiée, ainsi que de saisir
comment et pourquoi ils adoptent certains comportements et pratiques dans certains
contextes (Touboul, 2010). Même si notre guide d’entretien est unique pour tous les
focus groups, il peut être réadapté en fonction des caractéristiques des groupes, qui
peuvent être sensiblement différents en fonction du milieu, par exemple entre le milieu
urbain et le milieu rural. La langue utilisée pour réaliser la plupart des entretiens est le
wolof. Ce choix s’explique par le fait que pour cette partie du travail, le wolof sert de
langue véhiculaire dans les localités où les entretiens ont été réalisés, à quelques
exceptions près. Dans d’autres entretiens réalisés, notamment sur la question
sociolinguistique, sur laquelle nous reviendrons, la langue pular a été utilisée.

Le guide d’entretien, fait en français, comporte trois grandes parties distinctes. La


première est consacrée à la présentation du modérateur. C’est aussi le moment de
revenir sur le sujet qui fait l’objet de l’enquête et l’objectif recherché. Des enquêtes
précédentes sur le terrain (Diop, 2013) montrent que parfois le mot « enquête » n’est
pas bien accueilli auprès des populations à faible revenu. Pour contourner cet obstacle,
à la place « d’enquête » nous utilisons « recherches universitaires ». En plus d’être
mieux accepté, ce terme semble donner un peu plus de crédit auprès des personnes
interrogées. Une fois la présentation faite, nous exposons clairement les règles de la
discussion, en précisant le caractère anonyme des données qui recueillies. La
participation individuelle aux discussions nous paraît importante, voire capitale, parce
que tous les participants doivent comprendre que le but n’était pas de trouver un

159
consensus sur les questions à évoquer, mais de donner la possibilité à chacun de
s’exprimer librement sur le thème en cause. Il importait donc de faire comprendre qu’il
n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse.

La deuxième partie porte sur les questions posées aux groupes de discussion. Une
caractéristique fondamentale de ces questions est d’être ouvertes, ne donnant pas la
possibilité aux interrogés de répondre par « oui » ou par « non ». Les questions
tentaient de respecter au mieux un principe de neutralité, tout en étant cohérentes par
rapport aux hypothèses émises. Comme les personnes à faible revenu rencontrées dans
les IMF étaient susceptibles d’avoir un niveau d’étude inférieur à la moyenne, les
questions devaient être formulées de façon très simple, pour permettre aux
participants de les comprendre sans difficultés. Pour parer à toute incompréhension,
chaque question comporte une seule idée et n’est connotée ni positivement ni
négativement, afin d’éviter toute orientation (même inconsciente) des intervenants.
Pour amener les participants à partager leurs expériences personnelles liées au thème
étudié, nous évitions de commencer nos questions par le mot « pourquoi », et avions
privilégié le mot « comment ». Nous avons utilisé par conséquent des questions ayant la
forme suivante :

- Quelles sont les circonstances qui peuvent vous amener à demander du crédit à
un membre de votre famille/un ami/une connaissance au détriment d’une IMF ?

- Comment cela s’est-il passé en pratique quand vous aviez besoin de financer
votre activité par les fonds de l’IMF X ?

- Quels genres de difficultés avez-vous rencontrées pour refinancer votre


activité ?

Des questions de ce type nous paraissent mieux adaptées à nos questions de recherche
en raison de leur caractère ouvert, mais aussi de leur ancrage orienté vers une
dynamique plus procédurale, faisant appel aux expériences des participants.

La troisième et dernière partie est une forme de première synthèse des grandes
observations. Dans cette partie, certaines grandes lignes apparues ou observées lors de
la discussion peuvent être reprises et évoquées pour étudier l’appréciation des

160
participants. C’est aussi un moyen de recueillir le point de vue des participants sur les
premières observations de l’enquêteur.

2. Guide des entretiens du semi-directif

Pour les entretiens semi-directifs, le guide dont nous avions besoin est moins ouvert
que celui du focus group, mais quand même un peu plus précis. Les questions ont été
un peu moins générales et surtout ont porté sur des comportements, des motivations
individuelles, des pratiques soulevées lors des focus groups et moins sur des opinions.
Cela a nécessité une adaptation spécifique à chaque client rencontré, en utilisant sa
langue active afin de rendre la compréhension mutuelle plus facile. Dans les grandes
villes le wolof est la langue la plus utilisée, et dans une moindre mesure le français. Dans
les autres régions nous-nous sommes adaptés aux langues locales. Dans certains cas,
nous avons utilisé des intermédiaires qui ont joué le rôle d’interprète, qui de temps en
temps intervenaient lorsqu’une question ou un terme n’était pas bien compris. Mais le
français et le wolof restent les deux principales langues utilisées. Nous avons surtout
utilisé le français avec les deux Directions (PAMECAS et BAOBAB). S’agissant des
questions, leur formulation devait permettre à nos interviewés de s’exprimer sans pour
autant qu’ils se sentent en position d’accusés. L’échange devait ressembler à une
conversation libre, bien qu’il ne s’agisse pas de cela pour l’enquêteur. Dans ce but, nous
réutilisons de préférence la même technique de questionnement que lors du focus
group, à savoir poser des questions plutôt sous la forme « comment » que « pourquoi ».
Ce qui est surtout intéressant, c’est de découvrir grâce aux clients eux-mêmes leurs
pratiques et comportements adoptés pour résoudre leurs besoins financiers, tout en
confrontant leurs besoins aux services proposés par les IMF. Conscient que certains
besoins des personnes à faible revenu, parfois même fondamentaux, ne sont pas
toujours exprimés dans les demandes adressées aux IMF, la nature de ces besoins peut
refléter une dynamique complexe qui ne peut être identifiée et comprise qu’à travers
un processus qui tend à répondre à la question du « comment », plutôt que du
« pourquoi ».

Quelques entretiens semi-directifs ont été réalisés avec les agents de crédit, qui sont les
principaux contacts des clients dans les IMF. Pour ces derniers, le focus group ne nous

161
paraît pas approprié, dans la mesure où les agents de crédit évitent de parler en public
leurs expériences personnelles avec leurs clients, surtout quand cela sort du cadre
formel. L’entretien semi-directif nous permet ainsi d’établir une meilleure relation de
confiance avec les agents de crédit, d’autant plus que certaines de leurs pratiques,
comme nous les verrons, vont au-delà de leurs compétences.

Le rôle de l’agent de crédit est généralement perçu par le client emprunteur comme
étant le plus important, du fait de sa capacité à accorder ou à refuser un financement.
Lorsqu’un client introduit sa demande de financement auprès de l’IMF, la demande est
transférée à l’agent de crédit responsable de la zone où se trouve l’activité du
demandeur. Il appartient dès lors à l’agent de crédit d’aller visiter l’activité du client en
question, et d’analyser son activité et la moralité du client. C’est à l’issue de cette visite
que l’agent de crédit propose à son supérieur, appelé généralement le chef d’agence,
un financement avec un montant précis ou un rejet de la demande de crédit
(Honlonkou et al., 2006). Au cas où le crédit est accordé, le client est affecté à l’agent de
crédit qui doit dès lors l’inclure dans son portefeuille de crédit. Une fois le crédit
déboursé, il appartient à l’agent de crédit de suivre le client et son activité tout au long
du crédit, en vérifiant la régularité de ses remboursements et l’avancement de son
activité. Dans ce processus, l’agent de crédit joue un rôle d’intermédiation entre l’IMF
et le client. Cela montre le rôle essentiel des agents de crédit dans le fonctionnement
des IMF, qui ne saurait être ignoré dans toute analyse visant à comprendre l’interaction
des clients avec les IMF. Pour cela, après avoir rencontré les clients, des entretiens sont
effectués avec des agents de crédit dans le but de comprendre les dispositions dans
lesquelles ils travaillent avec leurs clients, leurs pratiques et comportements, et les
raisons qui les ont motivées. L’objectif principal de ces entretiens est d’évaluer dans
quelle mesure la prise en compte des besoins des clients est intégrée dans le processus
d’élaboration des services des IMF. Cette question est très importante parce qu’elle est
au cœur de notre étude qui consiste à voir si les services et produits des IMF sont
adaptés aux besoins des personnes à faible revenu. Il est important de voir, par
exemple, sur quels critères se basent les agents de crédit pour définir les besoins
financiers de leurs clients, pour ensuite évaluer les dossiers et estimer les capacités de
remboursement. Tout le processus contractuel, qui va de la demande de crédit au
162
financement, nous intéresse. La période qui précède l’octroi de crédit peut être une
source d’informations pertinentes, parce qu’elle marque les premiers contacts de l’IMF
avec son nouveau client. Il y a certes des clients qui font le premier pas vers les IMF,
mais d’autres, très souvent novices sur les produits financiers, sont démarchés par les
IMF, via leurs agents de crédit. En abordant des questions portant sur les méthodes
utilisées et les motivations, les interviews avec les agents de crédits peuvent nous
permettre de comprendre le sens donné à leurs pratiques et comportements. L’idée est
la même pour la période qui suit l’octroi de crédit. Une supposition relative à une de
nos hypothèses est que pour les IMF, seul le remboursement du crédit est important,
qu’importe la manière. Des questions portant sur les types de relations
qu’entretiennent les agents de crédit avec leurs clients une fois que le crédit est
octroyé, sur la nature de ces relations, leur ordre d’importance et leurs motivations
peuvent sans doute permettre de vérifier la pertinence de cette idée. Pour que les
agents de crédit puissent aborder tous ces éléments, nous travaillons avec un guide
d’entretien semi-directif, comportant toutefois des questions assez précises sur chaque
point. Certaines questions ressemblent à celles posées aux clients dans le but de
procéder à des recoupements. Par contre, d’autres sont exclusivement posées aux
agents de crédit. Pour les entretiens avec les agents de crédit comme avec les chefs
d’agence, à l’image du focus group, l’entretien fermé ne nous paraît non plus idéal,
parce qu’il nous semble plus pertinent de laisser une certaine liberté aux agents de
crédit pour expliquer les interactions avec leurs clients, une fois que la relation de
confiance est établie. Contrairement aux questions posées aux clients, des questions
commençant par « pourquoi » sont plus fréquentes dans le guide d’entretien avec les
agents de crédit. Nous avons besoin de comprendre certaines de leurs motivations, le
fait par exemple qu’ils préfèrent travailler dans la zone X plutôt que dans la zone Y, avec
les clients X plutôt que les clients Y, avec le chef X plutôt que le chef Y. Cela se traduit
par des questions telles que :

- Pourquoi avoir choisi ce métier ?

- Quels sont les différents services que vous proposez aux clients ?

163
- Quelles sont les principales activités économiques qui font l’objet de demande
de crédit dans votre zone ?

- Quelles sont les principales activités que vous financez dans votre zone ?

- Dans les cas où vous avez financé un crédit à la consommation, vos supérieurs
étaient-ils au courant ? Si oui comment ont-ils réagi ?

- Comment faites-vous pour avoir de nouveaux clients ?

- Comment êtes-vous évalués ?

- Quelles sont les principales contraintes que vous rencontrez dans votre activité ?

En plus des clients et des agents de crédit, les entretiens concernent aussi les dirigeants
des IMF. Nous entendons par « dirigeants d’IMF » ceux qui prennent les décisions en
dernier ressort dans les IMF. Il peut exister une grande variété dans les orientations et
la clientèle cible des IMF. Certaines sont focalisées sur le milieu urbain et d’autres,
quoique dans une moindre mesure, sur le milieu rural. Que l’on soit en milieu rural ou
en milieu urbain, les IMF doivent s’adapter au contexte local et prendre nécessairement
des décisions quant à l’orientation et au fonctionnement de l’institution. Ce rôle est du
ressort des dirigeants, plus particulièrement de la direction générale. C’est cette
dernière qui fixe les objectifs à atteindre par l’IMF, sa clientèle cible, et qui définit les
voies et moyens pour la réalisation des objectifs fixés, tout en laissant de façon
délibérée une certaine marge de manœuvre aux agents de crédit. Les agents de crédit
appliquent en principe les directives venant de leurs supérieurs, et ces derniers essaient
d’atteindre les objectifs définis par leur hiérarchie qui est la direction générale. Dans
cette configuration où chaque entité a son rôle spécifique à jouer, une entrevue avec la
direction générale est nécessaire pour recueillir des informations sur certaines
questions stratégiques de l’IMF. Elle seule peut expliquer les vraies raisons d’un choix
de zone d’implantation, de la clientèle ciblée, des taux d’intérêt, du développement de
certains services au détriment d’autres. Pour réaliser ce travail, un guide d’entretien sur
le même modèle que celui utilisé pour les agents de crédit est approprié, avec
l’utilisation du « comment » et du « pourquoi » pour comprendre les choix assumés ou
non assumés des dirigeants. En même temps, il faut garder à l’esprit que la question

164
principale reste celle de savoir si les besoins des personnes à faible revenu sont pris en
compte dans le processus de développement des services et produits des IMF. Ainsi,
nous posons des questions formulées comme suit :

- Dans quel contexte votre IMF a-t-elle été créée ? Par qui ?

- Quelle est votre clientèle cible ?

- Sur quelles bases avez-vous défini votre clientèle cible ?

- Quelle place accordez-vous aux personnes à faible revenu ?

- Comment faites-vous pour fixer les objectifs à atteindre ?

- Comment faites-vous pour mettre en place un nouveau service/produit ?

- Qu’est-ce qui vous permet de connaître les besoins financiers des personnes à
faible revenu ?

- Par quels moyens communiquez-vous avec vos clients ? En quelles langues ?

- Quels sont les éléments fondamentaux que le client doit absolument


comprendre avant de signer un contrat de crédit ?

- Comment faites- vous pour vous assurer que le client comprend le contenu du
contrat ?

- Pouvez-vous nous expliquer comment vous faites pour évaluer le travail de vos
chefs d’agence et de vos agents de crédit ?

- Comment faites-vous pour savoir si le client est satisfait ou pas ?

- Les clients disposent-ils de possibilités de faire recours au cas où ils ont un


différend avec leur agent de crédit ?

165
6.2 Complément quantitatif
Bien que toutes nos enquêtes de terrain soient de type qualitatif, quelques analyses
portent sur des données quantitatives. Dans la même dynamique que les enquêtes
qualitatives, avec une approche différente mais complémentaire, les données
quantitatives utilisées dans ce travail nous permettent de suivre des tendances
générales dans le secteur de la microfinance sénégalaise, telles que l’évolution des taux
d’intérêt dans les IMF, les coûts moyens de production dans le secteur, l’assiduité des
clients aux remboursements, sa répartition selon le niveau de compétence linguistique
en français du client, etc. Au-delà du travail qualitatif, l’approche quantitative nous a
paru utile dans ce contexte, parce qu’en plus de nous apporter des informations sur les
tendances générales, elle permet aussi, dans une certaine mesure, de contrôler la
portée des informations obtenues à partir du qualitatif, à un niveau plus agrégé.

Les données quantitatives que nous utilisons dans cette partie proviennent du groupe
Microfinance Exchange Informations (MIX), spécialisé dans la collecte de données dans
le secteur de la microfinance, particulièrement dans les régions en développement,
notamment en Afrique subsaharienne, en Amérique latine et en Asie du Sud-est. Les
données quantitatives que nous utilisons pour la partie « aspects financiers »
proviennent de données récoltées auprès de 32 IMF sénégalaises. Elles ont été tirées
d’une enquête longitudinale couvrant la période 1994-2014, portant sur 25 variables.
Concernant les données quantitatives utilisées pour la partie « aspects
sociolinguistiques », elles ont aussi été récoltées durant la même période auprès de 217
clients d’IMF sénégalaises.

Pour le traitement des données quantitatives, nous travaillons avec le langage R, qui en
plus d’être gratuit, nous permet de réaliser toutes les analyses statistiques dont nous
avons besoin pour ce travail.

166
6.3 Choix du terrain
Pour cette étude, nous avons choisi de nous concentrer sur le cas du Sénégal, qui est un
acteur majeur de la microfinance en Afrique de l’Ouest. Bien que par comparaison avec
les pays asiatiques ou latino-américains, l’expérience sénégalaise dans le secteur soit
encore récente, elle occupe néanmoins une place importante dans la région ouest-
africaine. Parmi les pays de la zone UMOA, seuls le Sénégal et le Bénin dépassent les
deux millions de clients, même si dans d’autres régions comme l’inde et le Pérou, on
compte respectivement plus de trente millions et plus de 13 millions de clients actifs
(CGAP et MIX, 2018). Depuis plus d’une décennie, la microfinance est en train de se
développer au Sénégal à l’image d’autres pays de l’UMOA régis par les mêmes lois et
règlements dans le cadre du PARMEC. Le choix du Sénégal est aussi lié au souci d’accès
aux informations nécessaires. Son avantage est de disposer de structures assez
autonomes et décentralisées comme la Direction de la microfinance, chargée de
coordonner toutes les activités institutionnelles du secteur.

En outre, l’évolution du secteur a été facilitée par la stabilité politique du pays qui a
permis aux premières structures de bénéficier d’un environnement moins contraignant
par comparaison aux autres pays de la sous-région africaine tels que le Mali, la Gambie
et les deux Guinées voisines. En moins de trois décennies, le Sénégal a su mettre sur
pied un système microfinancier solide, encadré et garanti par des institutions fortes et
pérennes.

Quant aux régions choisies pour les enquêtes, elles dépendent en grande partie des IMF
choisies dans notre échantillonnage. Il convient tout d’abord de s’assurer que dans
chacune des régions retenues, il existe au moins une agence pour chacune des deux
IMF. Cela permet à la fois de rencontrer les dirigeants des IMF et leurs clients. Ce critère
ne pose pas de problème, car les deux IMF choisies ont une couverture nationale. Elles
sont présentes dans toutes les régions du pays. Le second critère est lié à la volonté
d’interviewer une clientèle relativement expérimentée, et issue de différents secteurs
d’activité. L’idée état de travailler, en partie, avec des clients qui ont déjà acquis une
certaine expérience dans la microfinance. Cette expérience suppose que les clients ont
pour la plupart un historique de crédit avec leur IMF et connaissent déjà comment

167
fonctionnent les interactions entre client et IMF, ainsi qu’entre client et agent de crédit.
Pour cette raison, nous avons choisi des régions où les IMF en question ont eu une
présence effective au cours de ces dernières années, ce qui en principe permet, avec
moins de difficulté, de rencontrer des clients ayant une certaine familiarité avec les
pratiques de la microfinance. Ces derniers seront complétés par des clients potentiels
venant pour la plupart du secteur informel.

Pour entrer en contact avec les clients potentiels, nous avions deux possibilités. La
première possibilité consiste à reprendre les demandes de crédit qui sont rejetées, et à
identifier les personnes qui remplissent nos critères de sélection. Mon ancien rôle
d’agent de crédit m’a facilité l’accès aux dossiers de clients dont les demandes de
financements ont été rejetées. Les agents de crédit avec qui j’ai collaboré sur cette
question, à part quelques rares exceptions, n’ont eu aucune peine à me transmettre les
dossiers de clients concernés. Quant à la seconde possibilité, elle consistait à demander
aux clients rencontrés de nous mettre en rapport avec leurs connaissances susceptibles
de remplir les critères établis. Le troisième et dernier critère est lié à l’accessibilité des
régions d’enquête. Si dans certaines grandes villes sénégalaises l’accès à certaines zones
ne posait pas beaucoup de problème (à part les embouteillages), dans d’autres villes les
déplacements pour aller d’un terrain à l’autre pouvaient être très difficiles du fait du
déficit d’infrastructure régionale. Par conséquent, l’accessibilité des zones où nous
voulions enquêter était aussi fondamentale que la diversité des clients à interviewer.

Par conséquent, nous avons choisi deux régions qui remplissent ces trois critères pour y
mener nos enquêtes. Par la place qu’elles occupent dans le paysage de la microfinance
au Sénégal et leurs caractéristiques respectives, Dakar et Thiès constituent sans doute
un terrain adéquat par rapport à nos recherches. En plus d’être des bastions de la
microfinance dans le pays, On y rencontre une clientèle diversifiée, issue de secteurs
urbains et ruraux.

168
1. La région de Dakar

Il existe un grand fossé entre Dakar et les autres régions du Sénégal. Fort de son
héritage colonial28 et de sa position géographique qui fait d’elle une presqu’île facilitant
les échanges commerciaux et touristiques avec le monde extérieur, Dakar exerce une
forte influence sur l’économie sénégalaise et reste le premier pôle de développement
de la région.

Carte 1: Zone d'enquête dans la région de Dakar

De même que dans les autres activités financières, Dakar occupe une place particulière
dans la microfinance. Sur une population de 2'956'023 habitants (ANSD, 2017)
habitants, 28,8% des habitants sont clients dans une IMF, l’équivalent de 56% si on ne
tient compte que de la population en âge de travailler. Son taux de pénétration est de
loin le premier de la région, devant Ziguinchor et Thiès qui viennent en deuxième et
troisième position avec respectivement 17,8% et 15,65%. En raison des mouvements
massifs « d’exode rural29 » enregistrés depuis les années 1970, Dakar présente une

28
Durant la colonisation, le Sénégal avec comme capitale Dakar, était la capitale de l’Afrique
occidentale française (AOF), ce qui lui a permis de bénéficier de plusieurs infrastructures de
bonne qualité et a fait de la région un véritable pôle de développement depuis les
indépendances.
29
Dans le contexte sénégalais, l’exode rural fait référence aux populations paysannes qui, en
quête de travail, quittent leurs terroirs pour s’installer dans les villes. Ce séjour en ville peut
169
population active très diversifiée. On y rencontre différentes activités telles que le petit
commerce et l’artisanat, surtout dans la banlieue où sont regroupées les personnes à
faible revenu. Parmi celles-ci on y trouve des petits commerçants que l’on appelle
« ambulants »30, des détaillants et des grossistes, des cordonniers, des bijoutiers, des
tailleurs, des maçons, des menuisiers entre autres. La clientèle diversifiée et plus
importante en nombre, auquel s’associent les multiples avantages présents à Dakar,
telle qu’une population plus aisée que la moyenne nationale, constitue une des
explications de la position privilégiée qu’occupe Dakar dans le marché de la
microfinance. Les encours de dépôts et de crédit dans la région de Dakar constituent
respectivement 46% et 44%, soit 140 millions et 155 millions de dollars US.

La forte diversité de la clientèle dakaroise, fournie par l’exode rural qui vient de toutes
les régions du Sénégal, constitue un marché financier où les besoins peuvent être
différents d’une activité à l’autre. Par conséquent, il semble évident que les populations
dakaroises, surtout à faible revenu, présentent des besoins plus divers, auxquels les
institutions financières devraient accorder beaucoup d’importance.

concerner uniquement la saison sèche où les activités sont pratiquement inexistantes en milieu
rural. Mais du fait de l’avancement de la sécheresse dans le monde rural, les paysans sont de
plus en plus nombreux à abandonner leurs villages pour venir habiter dans les villes, précisément
dans les faubourgs, où la vie est moins chère.
30
Les marchands ambulants sont de « petits » commerçants détaillants très présents dans la
région de Dakar. Selon l’ANSD (2017), ils sont plus de 50'000 personnes dont la majorité est
constituée de jeunes. À défaut d’avoir une boutique sur les centres commerciaux, ils restent très
mobiles dans les rues de la ville à la recherche d’éventuels acheteurs.
170
2. La région de Thiès

Avec une population de 1'709’112 habitants et un taux de pénétration de 15,65% du


marché de la microfinance (soit l’équivalent de 30% de la population adulte), Thiès est
aujourd’hui considérée comme la deuxième région où la microfinance est en plein essor
au Sénégal.

Carte 2: Zone d'enquête dans la région de Thiès

On y rencontre les trois IMF les plus développées. Son portefeuille représente 15% des
dépôts de la microfinance, soit 52,13 millions de dollars et 15% des crédits, soit 70
millions de dollars. Comparée à Dakar, la région de Thiès est moins riche en activités
commerciales et industrielles faisant l’objet de financements des IMF. Cela s’explique
en partie par un manque d’infrastructures, mais aussi par le fait que plusieurs autres
opportunités sont pratiquement concentrées dans la capitale sénégalaise. C’est surtout
dans les activités agricoles et d’extraction minière que Thiès dispose de certains
avantages, du fait de l’expansion de sa superficie cultivable et de la richesse de son
sous-sol en calcaire, notamment dans les sites de Pout et de Sindia31.

31
Sindia et Pout sont des localités situées dans la région de Thiès. Elles sont très riches en
calcaire et convoitées par les entreprises extractives.
171
Cette étude accorde beaucoup d’importance aux populations exerçant une activité
agricole. La région de Thiès offre donc un cadre idéal du fait de l’importance de sa
population paysanne. Anciennement appelé bassin arachidier du Sénégal, à l’instar des
régions de Kaolack et de Diourbel, Thiès garde toujours son héritage agricole et reste un
grand pôle de production agricole grâce à ses nombreuses potentialités hydrauliques et
pédologiques. Contrairement à Dakar, Thiès présente plusieurs exploitations agricoles
nous permettant de travailler sur une échelle assez importante et diversifiée. Si les
activités agricoles sont très différentes des activités commerciales et industrielles, les
services auxquels elles ont accès auprès des IMF sont très souvent identiques. La forte
dépendance des agriculteurs à la pluviométrie très irrégulière et leur accès difficile et
sélectif32 aux intrants agricoles, expliquent en partie que leurs besoins auprès des IMF
soient différents de ceux des activités commerciales. En plus de l’agriculture, d’autres
activités productives sont aussi présentes dans la région de Thiès en dehors du pôle
urbain. Mentionnons la pêche, qui est la première activité dominante dans certaines
localités du littoral, précisément à Mbour et à Kayar où se trouvent les deux grands
marchés de poissons de la région. L’élevage est aussi une activité bien présente dans la
région en raison de l’existence d’une grande zone sylvopastorale dans la partie Ouest de
la région, et aussi de la présence d’une importante communauté peul dans le
département de Mboro, dont l’activité principale reste l’élevage. La région de Thiès par
la diversité de ses d’activités, particulièrement rurales, offrait un cadre assez complet
qui permet de prendre en compte la diversité des activités des personnes à faible
revenu dans le secteur de la microfinance au Sénégal.

32
La distribution des intrants agricoles et semences peut être sources de tensions dans le monde
paysan. Du fait que très souvent les quantités disponibles sont insuffisantes par rapport à la
demande, on reproche assez souvent aux distributeurs de privilégier leurs militants politiques. Au
Sénégal, l’accès aux intrants et semences agricoles ont toujours été des promesses électorales
aux paysans qui représentent plus de 60% de la population.
172
6.4 Analyse des données
L’analyse des entretiens a eu lieu en deux étapes. La première étape peut être conçue
comme une phase de pré-analyse parce qu’elle consiste à réécouter les
enregistrements audio après chaque séance. Pour cette première phase d’analyse,
l’entretien n’est pas transcrit mot à mot. L’objectif recherché était de se replonger dans
les discussions pour mieux saisir les propos des participants, leurs enchaînements et
leurs cohérences. Ces premières écoutes ont permis aussi d’améliorer les entretiens
suivants, essayant de réadapter si nécessaire le guide d’entretien en fonction de la
composition des groupes. Pour une enquête qualitative, la première phase d’analyse
marque le début d’un processus évolutif et continu très utile pour la suite des
entretiens. En plus de nous aider à réajuster son guide si nécessaire, elle nous permet
aussi de déterminer le moment où l’on arrive à une saturation d’idées, à partir de
laquelle les discussions ne font plus émerger d’idées nouvelles.

La seconde étape est l’analyse proprement dite des données récoltées, basée avant
tout sur les transcriptions des enregistrements ainsi que sur les notes et les débriefings.
Elle procède par une transcription complète des énoncés des participants aussi bien sur
le verbal que le non verbal, et l’émotionnel33. L’utilisation de la technique « de la table
ronde » est adoptée dans l’analyse des données. Elle consiste à analyser les
transcriptions des paroles des participants, à repérer les thèmes qui reviennent le plus
souvent, pour ensuite les classer en sous-thèmes qui parcourent les points saillants de
l’entretien. Ceci exige le codage des déclarations verbatims, et permet de les répartir en
catégories véhiculant chacune une idée principale. Il peut arriver qu’une partie d’un
texte se retrouve dans plusieurs catégories différentes, mais cela n’enlève rien à sa
pertinence, dans la mesure où certaines idées ou expressions peuvent être reprises
dans plusieurs sous-thèmes différents. Ces idées peuvent être véhiculées par une
expression, une phrase, un sentiment, un mot clé. Pour le traitement des textes
transcrits, nous avons utilisé le langage R, le même que nous utilisons pour les analyses
quantitatives. Avec le package RQDA, R offre la possibilité de faire des analyses

33
Au cours des entretiens, les gestuelles des interviewés et leurs émotions peuvent être importantes
pour la phase d’analyse. Bien que nous n’ayons pas utilisé la vidéo, nous avons essayé de noter ces
gestuelles et émotions à chaque fois que nous les avons jugées utiles à la phase d’analyse.
173
qualitatives. Cela nous a permis de travailler à la fois sur nos données qualitatives et
quantitatives, tout en utilisant le même logiciel.

174
PARTIE III : ANALYSES EMPIRIQUES
Comme nous pouvons le voir dans le tableau ci-après, les entretiens ont porté
globalement sur 84 personnes, dont 70 qui sont clientes effectives d’IMF, réparties
entre BAOBAB et PAMECAS, et 14 autres personnes qui sont des clients potentiels, non
encore affiliées à une IMF. Trois focus groups ont été réalisés, deux à BAOBAB et un à
PAMECAS.

Tableau 3: Répartition des entretiens entre IMF

Types d’entretiens Aspects abordés Participants BAOBAB PAMECAS Autres

Aspects financiers et
Focus group
sociolinguistiques 17 12 5 0

Entretiens
Aspects financiers
individuels 35 17 9 9

Entretiens Aspects
individuels sociolinguistiques 32 20 7 5

Total 84 49 21 14

Les résultats de ces études sont présentés en deux sous-parties. La première est
consacrée aux aspects financiers, dans lesquels nous mettons en évidence les logiques
de travail adoptées par les IMF et les stratégies développées pour l’atteinte des
objectifs financiers fixés par la Direction. Quant à la seconde sous-partie, elle aborde
l’enjeu de la dimension sociolinguistique dans le paysage de la microfinance dans le
contexte sénégalais, mais aussi des difficultés rencontrées par les IMF dans la
réalisation de leurs objectifs, notamment liées aux obstacles linguistiques et culturels.

175
176
7 Chapitre VII : Aspects financiers
L’approche financière des IMF, bien que s’adressant à une clientèle particulière, occupe
une place très importante dans leurs pratiques. Comme nous le verrons dans ce qui
suit, dans certaines IMF sénégalaises, seules les considérations d’ordres financiers sont
prises en compte dans l’élaboration des stratégies de développement, faisant de ces
dernières des institutions à caractère commercial. Cette partie du travail est consacrée
au poids et à la place accordés aux logiques financières dans les IMF sénégalaises à
travers leurs pratiques, leurs objectifs formels comme informels, mais aussi du sens
qu’elles donnent à ces pratiques. Pour cela, dans cette partie, nous essayons de
répondre à trois hypothèses qui nous paraissent fondamentales pour comprendre les
liens qu’entretiennent la plupart des IMF sénégalaises avec leur clientèle, mais et
surtout les pratiques développées dans l’atteinte des objectifs financiers. Pour appel, la
première hypothèse est consacrée à la dominance de l’approche commerciale. La
seconde hypothèse suppose une stratégie de standardisation des produits offerts,
indépendamment des contraintes du client et de son secteur d’activité. Quant à la
troisième hypothèse, elle tente d’expliquer le niveau élevé des taux d’intérêt dans les
IMF. Une analyse approfondie et critique sur la structure du taux d’intérêt utilisé par les
IMF viendra apporter une contribution au débat controversé sur certaines pratiques
financières des IMF dans le contexte sénégalais.

7.1 Dominance de l’approche commerciale


H1 : les services et produits des IMF auxquels ont accès les
personnes à faible revenu répondent plus à une logique de
minimisation des risques du crédit et de rentabilité pour
les IMF qu’à une volonté de répondre à la demande
(exprimée et non-exprimée) des personnes à faible
revenu.

L’approche dite commerciale de la microfinance peut être comprise différemment. Pour


certains, elle se caractérise par la volonté de faire évoluer les IMF vers des organismes à
logique et pratique bancaire du point de vue classique, pour d’autres c’est la recherche
de mise en concurrence qui est l’élément essentiel. En ce qui nous concerne dans cette

177
étude, l’approche commerciale à laquelle nous faisons référence est celle qui consiste
pour les IMF à vouloir non seulement couvrir tous leurs coûts, mais à chercher
automatiquement à maximiser leurs profits, indépendamment du contexte et de la
situation du client. On aurait ainsi, voire sans vouloir généraliser, des IMF qui à trop se
focaliser sur la maximisation du profit en oublieraient leur mission qui entre autre est la
satisfaction des besoins de personnes à faible revenu. Si on peut comprendre les raisons
historiques et idéologiques qui ont fait émerger l’approche commerciale, et parfois de
façon excessive, on se doit néanmoins de s’interroger sur les impacts que cela peut
avoir sur la pratique de la microfinance notamment en matière d’inclusion sociale du
plus grand nombre de personnes pauvres. À travers les données recueillies au Sénégal,
on voit mieux la portée et la dynamique de l’approche commerciale dans les IMF, mais
aussi ses impacts directs et indirects dans le paysage de la microfinance sénégalaise.

Sur ce point, nos enquêtes réalisées sur le terrain ont révélé quatre problèmes majeurs
à caractère financier :

- L’exclusion d’une frange importante de potentiels bénéficiaires (les personnes


pauvres)

- La tarification excessive de certains services et produits

- La non-prise en compte des objectifs sociaux dans les stratégies de


développement des IMF

- Le pouvoir inestimable orchestré et mis en place pour les agents de crédit

7.1.1 L’exclusion d’une frange importante de potentiels bénéficiaires (les personnes


pauvres)
Nos entretiens révèlent que l’approche commerciale des IMF devient de plus en plus un
paradigme central dans le paysage de la microfinance. Les dirigeants y voient la seule
manière de faire de la microfinance un outil d’inclusion financière pérenne. Selon le
type d’IMF, l’importance accordée et la rigueur systématique appliquée à l’approche
commerciale varient constamment, et impactent leurs activités de façon très marquée.

Les enquêtes ont porté sur deux IMF sénégalaises de statuts différents. BAOBAB et
PAMECAS sont des IMF qui, théoriquement, financent des activités génératrices de

178
revenu. Dans la clientèle qui a fait l’objet des focus group, quatre activités principales
ont été identifiées.

1. Le commerce

L’activité dominante financée par les IMF sénégalaises est le commerce. Il représente
respectivement 77% et 67% à BAOBAB et à PAMECAS. Bien que le commerce ne soit
pas vu comme l’une des activités où l’on rencontre les personnes les plus vulnérables, il
reste néanmoins l’activité de prédilection des IMF. Ce constat est renforcé par nos
entretiens avec les agents de crédit. Le choix de prédilection porté sur le commerce
n’est pas fortuit, il rejoint une logique de minimisation des risques encourus par les IMF
dans le financement de petites activités. Sur cette question, les agents de crédit sont
pratiquement unanimes, aussi bien ceux de BAOBAB que ceux de PAMECAS.

« Moi j’ai toujours préféré les zones à forte concentration


d’activités commerciales, comme le marché Tilène par
exemple. Avec les commerçants c’est toujours plus simple
d’entrer dans tes fonds en cas de retard sur les
remboursements, ce qui n’est pas le cas des autres
activités comme la couture, la menuiserie ou l’élevage de
poulets » (agent de crédit à BAOBAB, 32 ans)

« Dans la zone où je travaille, je n’ai pas beaucoup de


commerçants. Les activités dominantes sont l’agriculture
et l’élevage. C’est une zone que je n’ai pas choisie, elle m’a
été affectée par mon responsable, et pour vous dire la
vérité, je pense qu’il m’a amené ici pour uniquement me
sanctionner parce qu’il sait qu’aucun agent de crédit
n’aime ces genres de zones. L’explication est très simple,
même si on ne le dit pas tout haut. Le risque de non
remboursement est trop élevé, surtout durant les
périodes de non-récoltes (rires). Si ça ne dépendait que de
moi, je travaillerais dans les zones commerciales. Moi je
179
suis franc et je veux être honnête avec vous. Et comme
vous dites que vous avez été agent de crédit, vous devez
comprendre ce que je suis en train de dire » (agent de
crédit à PAMECAS, 29 ans).

L’argument principal développé par les agents de crédit dans leur préférence portée sur
les activités commerciales est pratiquement toujours le même. Nous ne pouvons pas
nier cette réalité que la plupart des acteurs de la microfinance ont au moins connu sur
le terrain. La différence fondamentale entre les activités commerciales et les autres
activités telles que la couture, l’élevage, la maçonnerie ou la pêche, réside dans la
fréquence des flux de revenus engendrés. Les flux de liquidité quasi-permanant, certes
à des montants variés, donnent un certain avantage aux activités commerciales, du
moins pour les agents de crédit. Cela fait des activités commerciales les activités les
moins risquées dans le modèle d’évaluation des IMF, car elles génèrent des flux de
liquidité quotidien, permettant aux clients de s’acquitter de leurs remboursements avec
moins de contraintes. Ce constat n’est pas seulement valable dans ces deux IMF
sénégalaises. Au Maroc, où le secteur de la microfinance est considéré comme l’un des
plus développé en Afrique, 75% des activités financées sont de natures commerciales,
l’agriculture et l’élevage faisant en tout moins de 10%. Dans le cas du Sénégal, les
tendances moyennes sont même plus importantes de ce que nous révèlent nos
entretiens. Selon la Direction de la microfinance (2015) plus de 80% des activités
financées dans le secteur bancaire sont commerciales, et ces dernières, hors secteur
informel, génèrent 30% des emplois. L’activité commerciale est massivement
concentrée dans le milieu urbain sénégalais. La clientèle touchée est souvent assez
variée et comprend entre autres les propriétaires de boutiques ou de cantines et les
marchands ambulants.

2. L’artisanat

Dans cette étude, on entend par activité artisanale l’ensemble des activités de
transformation dans lesquelles la part manuelle est plus importante que l’industrielle.
Ils représentent 12% à BAOBAB et 26% à PAMECAS. Constitués principalement de
producteurs artisanaux ou de prestataires de services traditionnels comme la danse, on

180
les retrouve surtout dans les centres urbains et dans les zones touristiques. Il s’agit d’un
secteur assez répandu au Sénégal comme c’est généralement le cas dans les pays en
développement. Il faut dire que dans certains cas, notamment dans le contexte du
Sénégal, travailler dans le secteur artisanal peut être un choix, mais assez souvent le
choix s’impose presque à l’acteur. Les personnes qui ont acquis des connaissances dans
le secteur de l’artisanat, notamment dans les centre de formation, comme la très
convoitée maison artisanale de Thiès, sont généralement des gens qui ont choisi
d’exercer un métier artisanal, et sans doute pour différentes raisons. Certaines activités
artisanales comme la percussion traditionnelle sont très convoitées dans le milieu
touristique, notamment dans la petite côte où sont implantées les activités touristiques.
Ce genre d’activité, saisonnière, qui offre beaucoup de flexibilité aux acteurs avec une
rémunération relativement bonne par rapport aux salaires locaux, peut être source de
convoitise supplémentaire. Mais pour bon nombre de personnes qui travaillent dans le
secteur, la situation est différente. Intégrer les écoles ou les centres de formations
nécessite un certain niveau d’apprentissage acquis. Ce qui n’est pas le cas pour la
plupart des travailleurs du secteur. Comprenons par-là que les acteurs de l’artisanat
issus de formations formelles sont une minorité. La grande majorité provient soit de
formation informelle, soit d’un héritage familial. Dans la société traditionnelle
sénégalaise, certaines activités, notamment du domaine de l’artisanat, sont
apparentées à des groupes sociaux, appelés aussi castes. Par exemple, les
percussionnistes et les danseurs traditionnels proviennent généralement d’une caste
appelée « Guéwél », alors que les cordonniers et les menuisiers métalliques34 sont
plutôt issus d’autres groupes qui sont respectivement les « Raabb » et les « Teugg ».
Pour les personnes issues de ces milieux, qui n’ont pas eu la chance de bénéficier de
formations autres que celles qu’elles ont hérités de leurs familles, il leur est
pratiquement difficile d’avoir un autre choix que celui imposé par la société, comme
semble l’exprimer un client « teugg » rencontré à Thiès.

« J’ai ouvert mon atelier il y a bientôt deux ans. Si je vous


dis que je n’ai pas besoin de financement, je mens (rires).

34
Ce sont de petites unités de productions artisanales qui confectionnent des biens d’équipement à
partir du fer.
181
Mais de mon expérience, les « microfinances » ne sont pas
motivées à nous financer. J’ai deux amis qui font la même
activité que moi, à qui on a refusé le financement, alors
que l’un demandait juste 200'000 FCFA (400 $) et l’autre
250'000 FCFA (500 $). J’aurais bien aimé pouvoir faire
quelque chose d’autre pour mieux accéder aux
financements des « microfinances », mais moi en tant que
« teugg », tout ce que je sais faire, c’est la menuiserie
métallique. Je peux même dire que j’ai un don dans ce
métier. Il me manque juste un accès au financement »
(menuisier métallique et client potentiel, 43 ans).

Il s’avère que les activités informelles telles que l’artisanat souffrent d’un
déficit de financement dans le secteur de la microfinance. Si les clients qui
travaillent dans le secteur semblent ignorer les véritables causes de l’accès
difficile au financement des IMF, pour les agents de crédit, il est bien clair
que l’irrégularité des entrées de fonds, comparativement aux activités
commerciales, en constituent la première explication.

3. L’élevage

Pour ce qui est de l’élevage, nous avons deux types d’activités. D’une part nous avons
l’élevage nomade, dont les acteurs principaux sont les Peuls. On rencontre cette activité
plus fréquemment dans les zones périphériques, notamment au nord du Sénégal,
(Saint-Louis, Matam, Podor), à l’ouest sur tout le littoral, plus particulièrement à Mboro
où il y a une forte présence des Peuls, et au sud. L’élevage nomade est généralement
une activité familiale qui consiste à élever un troupeau, non pas dans le but de le
vendre dans le court terme, excepté certaines périodes comme les grandes cérémonies
traditionnelles, mais plutôt dans le but de commercialiser le lait produit. Dans ces
localités, la première activité commerciale est la vente de lait. Pour des éleveurs
interrogés à Mboro, les ventes d’animaux n’arrivent qu’occasionnellement, par exemple
pendant les cérémonies rituelles ou dans le cas d’un besoin urgent. C’est dire qu’en plus
de l’activité commerciale, notamment par la production et la vente de lait, le troupeau

182
sert de garantie pour toute la famille et leur permet de faire face aux besoins immédiats
de l’argent. D’autre part, nous avons aussi un autre type d’activité qui est aussi associé à
l’élevage. Il s’agit de personnes qui achètent des animaux, puis les élèvent dans le but
de les engraisser et de les revendre sur le marché à court terme. Cette activité est en
nette progression dans le milieu urbain, plus particulièrement dans la banlieue.
Contrairement à l’élevage nomade dominé par les Peuls, ce type d’élevage que nous
appelons « élevage à vocation commerciale» n’a pas d’apparenté ethnique, et est plus
développée dans le milieu urbain qu’en zone rurale. L’élevage de poulets, plus connu
sous le nom aviculture, est de loin l’activité dominante depuis l’interdiction des
autorités sénégalaises d’importer de la viande de poulet dans territoire national, en
2005. Selon l’ANSD (2017), la filière avicole a généré en 2016 plus de 50'000 emplois
directs et indirects et représente 17% du PIB du Sénégal. Mais paradoxalement, on voit
que le succès de la filière ne fait pas d’elle un secteur convoité par les IMF dans leurs
stratégies de financement. Au niveau national, les financements accordés au secteur de
l’élevage représentent moins de 10% des fonds investis par les IMF (DMF, 2015). Cela
s’explique par la stratégie dominante des IMF dans leur logique de minimisation des
risques encourus dans les financements accordés. Cette stratégie consiste à récupérer
les fonds prêtés dans le plus court délai possible. Pour cela, elles privilégient les activités
qui ont des flux de revenus plus réguliers et à intervalles de temps courts, comme le
commerce proprement dit. Un autre paramètre non moins important est la perception
qu’ont les IMF des risques dans certaines activités comme l’élevage nomade ou à
vocation commerciale. Très souvent, pour ne pas dire toujours, les animaux élevés ne
sont pas assurés, ni contre le vol, ni contre le décès. Et dans les cas où ces risques se
réalisent, les IMF craignent être dans l’impossibilité de recouvrir les fonds accordés.
C’est d’ailleurs ce que nous confirme un agent de crédit à BAOBAB en ces termes :

« Moi, j’évite toujours d’avoir plus de deux ou trois


aviculteurs dans mon portefeuille. Ce n’est pas que je ne
veux pas les financer, mais je ne veux pas courir le risque
de voir leurs noms dans ma liste des clients en retard de
remboursement. Avec les commerçants c’est toujours plus
simple, parce que même s’ils sont en retard, tu peux
183
toujours te pointer devant leurs cantines pour récupérer
leurs premiers encaissements de la journée. Mais avec les
aviculteurs, c’est la loi du tout ou rien. Soit ils ont de
l’argent, c’est-à-dire que la vente est bonne pour le
moment, soit c’est rien, par exemple dans le cas d’une
épidémie c’est toujours le cas. À cause de cela, deux ou
trois aviculteurs me suffisent largement » (agent de crédit
à BAOBAB, 30 ans)

4. L’agriculture

Deux types d’activités agricoles ont été identifiés parmi les activités qui ont bénéficié de
financements auprès de BAOBAB et de PAMECAS. L’activité agricole la plus répandue
est l’agriculture maraîchère, pratiquée dans la zone des « Niayes », qui s’étend le long
du littoral. Il s’agit de cultures de légumes, de fruits et de fleurs. Parmi les praticiens,
nous avons d’une part, des agriculteurs qui sont motivés par la réalisation de profits, en
cultivant des produits entièrement destinés à la vente, bien qu’une partie de la
production serve aussi à l’autoconsommation. D’autre part, nous avons des agriculteurs
dont l’essentiel de la production est utilisé à des fins de consommation. Ce type
d’activité à vocation familiale est surtout concentré en zone rurale, mais aussi dans les
zones périphériques urbaines comme dans la banlieue dakaroise, notamment à Keur
Massar, à Thiaroye ou à Malika. En plus de l’agriculture maraîchère, nous avons aussi
l’agriculture saisonnière, pratiquée durant la période pluvieuse qui s’étend
généralement de juin à septembre. Il faut aussi préciser que certaines cultures
effectuées durant la période pluvieuse sont aussi du maraîchage, même si les graines et
les produits céréaliers tels que l’arachide, le mil et le maïs sont les plus fréquents. Ce
qui est important dans cette distinction, c’est de comprendre la perception qu’ont les
IMF, ou plus précisément les agents de crédit, des opportunités et des risques liés à
chacun des types d’activités agricoles pouvant susciter des demandes de financements.
Il s’avère que les cultures maraîchères jouissent d’une meilleure cote auprès des IMF.
En plus de leur aspect plus commercial, il faut aussi comprendre que généralement ce
sont des activités faites à partir de systèmes d’irrigations permanents, à partir de la

184
nappe phréatique. C’est pour cette raison que les grandes zones de maraîchage sont
situées sur le littoral, où la nappe phréatique est peu profonde et est accessible en
moyenne à 7 mètres de profondeur.

L’accès à cette source d’eau abondante permet à ces agriculteurs de travailler durant
toute l’année, avec des campagnes agricoles qui durent en moyenne trois mois entre la
mise en terre des semences et la récolte. Cela leur donne en moyenne la possibilité de
récolter au moins quatre fois durant l’année, contrairement aux cultures saisonnières
dépendantes de la pluviométrie, où la production est annuelle. À BAOBAB par exemple,
bien que cela soit informel parce que n’étant défini dans aucun règlement de
l’institution, nous avons constaté que les agriculteurs saisonniers qui souhaitent
bénéficier de financement devraient aussi avoir d’autres sources de revenus,
indépendantes de leurs activités agricoles. Cette mesure est pratiquée par la plupart
des agents qui ont des clients agricoles dans leur zone d’activité. Pour ces derniers, c’est
une mesure de sécurité au cas où l’hivernage n’est pas pluvieux, où tout simplement si
les récoltes ne sont pas bonnes. Quant aux cultures maraîchères, trimestrielles, elles
ont moins de difficultés à accéder aux financements par rapport aux cultures
saisonnières annuelles. Bien que le risque soit plus élevé que celui du commerce, le fait
que le client puisse au moins effectuer trois campagnes agricoles durant l’année réduit
considérablement le risque de non remboursement. Il faut aussi préciser que dans le
cas de BAOBAB, des efforts ont été effectués durant ces deux dernières années avec
l’introduction d’un nouveau produit appelé « crédit agricole ». Contrairement au crédit
standard, pour lequel le remboursement commence le mois suivant l’octroi du crédit,
ce type de crédit sur lequel nous reviendrons donne une certaine période de grâce au
client bénéficiaire, bien que ce dernier doive quand même commencer à rembourser
les intérêts à partir du mois suivant l’octroi.

Dans le cas de PAMECAS, les financements accordés au secteur agricole sont


relativement plus importants par rapport à BAOBAB. D’après la direction, la part relative
du portefeuille global accordé aux activités agricoles est supérieure à 15%, dont 10%
sont en milieu rural et les 5% concernent des activités agricoles péri-urbaines. Il faut se

185
rappeler que contrairement à BAOBAB, qui est une société autonome à caractère
bancaire, PAMECAS est une mutuelle dont les principaux actionnaires sont les clients, à
qui sont prélevés des cotisations mensuelles. À partir de là, les stratégies de
financements peuvent être différentes jusqu’à un certain niveau, dans la mesure où
tout client membre peut théoriquement bénéficier d’un financement, dans la mesure
du possible. Ce qui n’est pas forcément le cas à BAOBAB. En plus de cela, il faut
recontextualiser l’historique de PAMECAS, qui contrairement à BAOBAB avait à l’origine
comme clientèle cible les personnes exerçant des activités génératrices de revenus,
particulièrement résidentes dans les zones périphériques comme le milieu rural et les
banlieues, zones dans lesquelles on trouve le plus d’activités agricoles. L’historique de
PAMECAS et son statut mutualiste constituent très certainement un des éléments qui
différencient ses pratiques et ses priorités par rapport à BAOBAB. Selon un cadre de
PAMECAS, historiquement, le financement du secteur agricole est au cœur des objectifs
de PAMECAS, et ce depuis sa création. Il précise son idée en ces termes :

« Depuis bientôt une dizaine d’années, les financements


accordés au secteur agricole, en terme relatif, ne
descendent pas sous un certain seuil encore en vigueur
dans notre institution. Bien évidemment, le montant
moyen des crédits accordés à d’autres secteurs tels que le
commerce ou les petites activités industrielles est plus
élevé, mais dans nos stratégies de développement, nous-
nous sommes donnés des engagements parmi lesquels il y
a l’objectif annuel d’accorder au moins 12% de notre
portefeuille au secteur agricole » (cadre à PAMECAS, 51
ans).

Les objectifs de financement définis par rapport au secteur agricole, dans le cas du
PAMECAS, peuvent être vus comme des initiatives pour renforcer les garde-fous contre
d’autres manœuvres consistant à réorienter la quasi-totalité des fonds de la
microfinance vers d’autres secteurs jugés plus rentables. Si le maintien de ces objectifs
est encore possible, même durant les périodes pour lesquelles PAMECAS a rencontré

186
des difficultés financières, c’est en partie grâce au poids des clients membres qui,
contrairement à BAOBAB, sont représentés dans toutes les instances de décisions,
notamment dans les comités de crédit qui approuvent ou non les demandes de
financement après évaluation de l’agent de crédit responsable.

Dans la dynamique actuelle de la microfinance, comme le soutiennent les dirigeants des


IMF de BAOBAB et de PAMECAS, on ne peut sous-estimer la portée de l’approche
commerciale et ses vertus dans le secteur. Elle est censée permettre aux IMF de réaliser
des bénéfices leur permettant, dès lors, de pouvoir toucher un plus grand nombre de
personnes à faible revenu. Elle suppose faciliter leur accès aux financements. Dans le
contexte sénégalais, où nous avons quatre grandes IMF sur plus de 250 qui
monopolisent plus de 80% de l’offre de crédit, une meilleure approche commerciale
peut considérablement encourager la concurrence dans le but d’améliorer la qualité
des services et des produits offerts, avec des prix attrayants. L’orientation de la
microfinance vers une approche commerciale permet, entre autres, de répondre à trois
enjeux, non moins importants dans le secteur :

1. L’objectif de diminuer la dépendance financière vis-à-vis des bailleurs et des


mécènes semble bien compatible avec une approche commerciale dans les IMF.
Si de ses débuts, jusqu’aux années 1990, la microfinance était pratiquement
financée par des fonds de subventions et d’aides internationales, aujourd’hui la
plupart des IMF doivent compter sur des fonds propres ou des lignes de crédit
ouvertes dans des établissements financiers classiques, avec des taux d’intérêt
relativement élevés. Dans ce cas de figure, devenu presque la norme à l’heure
actuelle, à quelques exceptions près, l’approche commerciale est sans doute un
moyen de s’assurer une solidité financière en vue de pérenniser ses activités.

2. L’approche commerciale semble aussi impacter positivement le système de


gouvernance dans les IMF. Dans le cas du Sénégal, depuis l’ouverture du secteur
aux entreprises de types SA, on voit de plus en plus d’actionnaires privés entrer
dans le capital des IMF. Bien évidemment, cela peut avoir des effets contraires
par rapport aux objectifs originels de la microfinance, mais l’expérience montre
qu’elle intègre mieux et plus efficacement la question de la gouvernance et du

187
contrôle interne dans les IMF. Il faut rappeler que dans le paysage de la
microfinance, bien qu’aujourd’hui le risque du crédit soit un peu plus maîtrisé,
celui de la gouvernance et du contrôle interne présentent des défis non
marginaux. L’exemple du PAMECAS est illustratif. À la suite des cas de
détournements révélés par une enquêtes conjointe de la BCEAO et le Ministère
de l’économie et des finances, pour un montant de plus 1,5 milliards de FCFA (3
millions de dollars US), PAMECAS est mis sous tutelle dudit Ministère depuis
2015. À titre comparatif, on constate à BAOBAB, une IMF de type SA, un
système de gouvernance relativement horizontal et transparent, avec l’existence
de corps de contrôle internes tant au niveau des opérations de terrain qu’au
niveau des institutions qui la composent. Cette dernière, dans la pratique fait
défaut dans le cas de PAMECAS, ce qui sans doute a facilité les écarts de
conduite observés précédemment.

3. Enfin, sans prétendre généraliser, et à juste titre, l’approche commerciale peut


être un levier important pouvant faciliter le développement de nouveaux
services/produits dans les IMF. Mettre en place une diversité de services et
produits requiert un coût relativement plus élevé que dans le cas d’une
production standardisée, comme c’est le cas dans le contexte actuel du Sénégal.
Cette question a été amplement évoquée dans les entretiens, notamment sur
les enjeux de développer un service plus adapté à la spécificité des clients,
comme par exemple un service d’interprète pour clients illettrés. Pour un cadre
de BAOBAB, le paramètre le plus important à prendre en considération dans le
développement de nouveaux services ou produits est la question de coût
marginal, qui selon lui, n’est que rarement intégré dans les décisions politiques
prises dans le secteur de la microfinance.

« Nous aurions bien aimé pouvoir répondre aux besoins


de chacun de nos milliers de clients, en mettant par
exemple des services spécifiques aux cultivateurs, aux
commerçants, aux personnes illettrées, et même aux
mendiants si vous voulez, comme cela s’est fait dans

188
d’autres pays. Mais la priorité pour nous, c’est d’abord de
rentabiliser nos opérations, et ceci n’est pas facilité par la
fixation du taux d’usure à 24%. Cette question de
diversification est d’abord politique avant d’être
économique. Les autorités doivent libérer ce taux
d’intérêt, avant d’exiger une diversification des services et
produits dans les IMF. Tant que cela n’est pas fait, la
question changera de couleur ou de forme, mais elle sera
toujours d’actualité » (cadre à BAOBAB, 53 ans).

7.1.2 La tarification excessive, parfois abusive, de certains services et produits


Dans le marché du crédit, l’indicateur qui permet généralement d’appréhender le coût
du crédit auprès du bénéficiaire est le taux d’intérêt utilisé par le prêteur. Dans
certains contextes et pour différentes raisons, le taux d’intérêt ne constitue qu’une
partie, et parfois infime, du coût du crédit supporté par le bénéficiaire. Dans l’espace
UEMOA, légalement, les taux d’intérêt utilisés par les IMF dans le secteur de la
microfinance ne doivent pas dépasser un certain taux limite que l’on appelle le taux
d’usure. Le taux dont on parle n’est pas forcément le taux utilisé par les IMF, affiché
sur les contrats de crédit. En effet, les taux affichés sur les contrats de crédits
correspondent à la part relative des intérêts que doivent rembourser le client, en plus
du capital dû. Ce taux à pourcentage fixe ou variable, appliqué au montant du crédit
est aussi appelé taux débiteur. Or, en plus du taux débiteur, qui ne nous renseigne que
sur le montant total des intérêts à reverser, l’emprunteur doit s’acquitter d’autres
charges et obligations durant tout le processus d’octroi de crédit. À BAOBAB par
exemple, avant qu’un crédit ne soit octroyé, le client demandeur doit passer par trois
phases durant lesquelles il doit verser de l’argent pour chacune d’elle.

1. Les frais de demande de financement

Les clients qui souhaitent faire une demande de crédit dans une IMF sont tenus de
verser un montant forfaitaire, ce qui leur donne le droit d’avoir deux comptes, qui
sont le compte courant et le compte épargne. Le compte courant est celui qui permet
au client d’effectuer une demande de crédit, et à travers lequel le client effectue ses

189
remboursements une fois que le crédit est accordé. Quant au compte épargne, il est
exclusivement utilisé pour l’épargne, et l’IMF ne peut en aucune manière l’utiliser
pour un remboursement, même dans le cas où le client ne respecte pas ses
engagements. Bien que dans le milieu bancaire, l’ouverture de compte pour une
demande de crédit soit en général gratuit, dans le secteur de la microfinance les
services sont facturés, avec des différences importantes selon les IMF. À BAOBAB par
exemple, les frais d’ouverture de compte en vue d’une demande de crédit sont de
3'000 FCFA (6 $) pour les petits35 montants et 15'000 FCFA (30 $) pour les gros36
montants.

2. Les frais d’assurance

La contraction d’assurance de crédit devient obligatoire à partir du moment où la


demande de crédit du client est acceptée. L’assurance de crédit est utile au cas où le
client bénéficiaire de crédit décède avant que tout son crédit soit remboursé.
L’assurance de crédit permet à l’IMF de récupérer le montant du capital encore dû par
le défunt. Dans un tel cas, l’assureur devra verser le montant dû à l’IMF. On voit que
cette forme d’assurance est surtout profitable à l’IMF, si ce n’est le seul gagnant, dans
la mesure où les IMF ne sont pas censées demander des garanties matérielles à leurs
clients, vu que ce sont généralement des personnes à faible revenu. Et comme elles
n’ont pas de garantie, le fait d’assurer le crédit en cas de décès n’est qu’une autre
manière de diminuer le risque du crédit, en faisant couvrir ses charges d’assurance par
le client, et non pas l’IMF. À BAOBAB, les frais d’assurances représentent 1% du
montant accordé. Par exemple, pour un crédit de 500'000 FCFA (1'000 $ US), le client
en plus des intérêts, et des frais d’ouverture de compte doit s’acquitter d’un versement
de 5'000 FCFA sous forme d’assurance.

3. Les frais de décaissement

Les frais de décaissement constituent les ultimes charges supportées par le client avant
d’avoir accès au financement accordé. C’est un montant proportionnel au montant du
financement prêté par l’IMF qui est prélevé sur ce dernier au moment du décaissement.

35
Ils correspondent aux montants inférieurs ou égaux à 500'000 FCFA (1'000 $ US).
36
Ils correspondent aux montants supérieurs à 500'000 FCFA.
190
Dans le cas de BAOBAB, les frais de décaissement varient entre 1,5% et 3%, selon le type
de financement accordé. Pour un montant de 500'000 FCFA, le client ne recevra en
réalité que 485'000 FCFA, les 15'000 FCFA ayant servis de frais de décaissement.

Pour avoir une meilleure vue sur la situation, prenons par exemple le cas d’Ibrahima, qui
est client à BAOBAB. Il est commerçant au marché de Tilène, situé dans la rue Blaise
Diagne. Ibrahima a fait une demande de financement de 1'000'000 FCFA (2'000 $), et
finalement il a obtenu 750'000 FCFA, qu’il doit rembourser en 10 mois avec un taux
d’intérêt de 17%. La Situation de Ibrahima est résumé ci-après :

- Frais de demande et d’assurance : 2%

- Taux d’intérêt : 17%

- Frais de décaissement : 3%

Dans le cas d’Ibrahima, ce qui est mentionné comme coût du financement par l’IMF
dans le contrat de crédit est le taux d’intérêt débiteur de 17%. Or, Ibrahima doit faire un
versement supplémentaire de 5%, correspondant aux charges supplémentaires. Ce qui
en réalité lui revient à un coût global de 22%, appelé taux effectif global. Autrement dit,
pour un crédit de 750'000 FCFA, Ibrahima devra rembourser 915'000, pour une durée
de dix mois.

La stratégie qui consiste à surfacturer les frais liés à la demande de crédit et aux
commissions de décaissement est fréquente dans l’industrie de la microfinance. Cette
stratégie présente deux avantages pour les IMF. Nous avons constaté au cours de nos
enquêtes que d’une part, la majeure partie des clients qui viennent demander du
financement ne s’intéresse pas vraiment aux autres charges à part le taux d’intérêt, et
dans une moindre mesure les frais de demande de financement. Quant aux frais de
commissions et aux frais d’assurances, plus de 77% des clients interrogés estiment
n’être au courant qu’après que le financement ait été accordé, précisément au moment
supposé du décaissement. Selon Ousmane, un parmi les nombreux clients ayant vécu ce
scénario, cette façon de faire des agents de crédit est une stratégie délibérée qui
consiste à leur cacher le coût réel du financement, dans le but de les motiver à prendre
le crédit.

191
« C’est lorsque je suis arrivé à l’agence pour prendre mon
argent (le financement accordé) que la conseillère de
clientèle m’a informé que je devais payer des frais
d’assurance d’un montant de 20'000 FCFA (40 $ US). Au
début je pensais qu’elle s’était trompée, mais quand j’ai
appelé mon agent de crédit, il m’a confirmé cela. J’étais
surpris et dégoûté mais je n’avais pas le choix. Et ce qui
m’a le plus dégoûté ce n’est pas le montant à payer, mais
c’est surtout le fait que je n’ai pas été informé à temps »
(Client commerçant à BAOBAB, 40 ans).

Interpellés sur cette question, les agents de crédit réfutent l’idée de cacher ces frais
supplémentaires aux clients et estiment que ce sont plutôt les clients qui ne
s’intéressent pas aux procédures, mais que toutes les informations nécessaires sont en
principe données soit au moment de la demande de financement, soit au moment de
l’évaluation. Mailck, agent de crédit, utilise le même discours, mais reconnaît avoir eu
un client qui a décliné au dernier moment le financement qui lui a été accordé, à cause
des frais de commissions et d’assurance qu’on lui a demandés avant de pouvoir
décaisser son crédit.

D’autre part, il y a aussi la volonté de contourner l’obstacle que constitue le


plafonnement du taux d’intérêt maximal applicable dans le secteur de la microfinance.
Dans la zone UMOA, le taux annuel d’usure appelé aussi taux de plafond était fixé à
27%, mais depuis 2014, il a été ramené à 24% annuel. En théorie, ce taux doit
comprendre l’ensemble des frais et charges appliqués par l’IMF sur un financement
accordé. Autrement dit, il ne s’agit pas seulement des intérêts que doit reverser le
client. Toutes les autres charges, telles que les frais d’ouverture de compte (ou de
demande de financement), les frais d’assurance de crédit et les frais de commissions de
décaissement, doivent être comptabilisées dans le calcul du taux d’intérêt, qui dès lors
devient le taux effectif global. L’importance du taux effectif global est qu’il donne le
coût effectif du crédit appliqué par l’IMF. Du côté du client, ce taux peut encore être
plus élevé selon son environnement. Par exemple, le client emprunteur qui habite assez

192
loin de l’agence dans laquelle il doit faire sa demande de financement, sera sans doute
contraint de payer le transport pour se rendre à l’agence. Ces frais de transport ajoutés
au coût du crédit appliqué par l’IMF, donnent un coût effectif global plus élevé. Ainsi,
auprès de chaque client et suivant le contexte, le coût du financement obtenu peut être
différent. Le taux effectif global plafonné par l’UMOA ne tient pas compte des frais
spécifiques des clients, seuls les frais appliqués par l’IMF à l’ensemble des clients sont
pris en compte. Et ce dernier, quel que soit le contexte et le type de client, ne peut
légalement dépasser la limite de 24% annuel. Cette contrainte valable dans tous les
pays de la zone, amène parfois les IMF à trouver des stratégies qui leur permettent de
la contourner. Une stratégie classique utilisée dans le calcul du taux d’intérêt déclaré
consiste à ne pas prendre en compte les frais supplémentaires appliqués dans le crédit.
Cela permet ainsi aux IMF de déclarer un taux d’intérêt annuel inférieur à 24%, et de
rabattre une partie de leurs bénéfices dans les frais supplémentaires demandés aux
clients. Quelques expériences montrent que dans certains cas où existe un taux de
plafond, les IMF ont tendance à gonfler les frais et commissions à la charge des clients,
comme ce fut le cas au Nicaragua en 2004. Suite à une décision de l’État nicaraguayen
de fixer le taux de plafond dans le secteur de la microfinance, les IMF ont adopté une
stratégie qui consiste à compenser une partie de leur manque à gagner par la mise en
place de charges et commissions qui masquent le coût réel du crédit appliqué sur le
client emprunteur. Une année après cette décision, les deux tiers des revenus des IMF
provenaient de commissions liées à l’octroi de crédit, bien que le taux de plafond soit
encore en vigueur (Boyé et al, 2009).

7.1.3 L’absence d’une intégration claire d’objectifs sociaux dans les stratégies de
développement des IMF
Les critiques à l’égard de la microfinance par rapport à ses orientations commerciales
au détriment du social ne sont pas nouvelles, mais elles prennent de plus en plus
d’ampleur ces dernières années. Selon Décaillot (2011), la pratique actuelle de la
microfinance ne laisse que peu de place aux objectifs sociaux pour lesquels elle a été
mise en place et médiatisée à travers le monde. Pour Latouche (2007), les IMF
apparaissent de plus en plus, dans les pays en développement, comme des instruments
d’un modèle néo-libéral, en servant de vecteur à une monétarisation galopante des

193
sociétés, mettant le lien sur la relation étroite que la microfinance entretiendrait avec
l’approche néo-libérale, dans laquelle les politiques sociales sont les grandes oubliées.
Dans la campagne de dénonciation de l’orientation trop commerciale des IMF, l’année
2007 a été un tournant décisif avec deux faits majeurs. En avril 2007, Compartamos,
considérée comme la première IMF d’Amérique latine et symbole de réussite dans le
paysage de la microfinance dans les pays en développement, entrait en bourse. Ce
choix, considéré comme stratégique par les uns, était vu comme une exposition à une
perte de contrôle de l’IMF, notamment par une réorientation de ses priorités et de ses
objectifs d’inclusion financière. L’introduction de Compartamos en bourse a suscité
beaucoup de réactions hostiles à la microfinance, dans un système qui désormais,
semble plus se préoccuper des logiques commerciales qu’à d’une réelle volonté de
servir les personnes à faible revenu. Un autre événement qui a secoué le paysage de la
microfinance dans la même année a été une vague de suicides de clients d’IMF qui s’est
déroulée en Asie du Sud-est, considérée comme un terreau de la microfinance. Victimes
de pratiques révoltantes et d’humiliations de la part des agents de crédit, sous prétexte
qu’ils n’avaient pas respecté les délais de remboursement, des clients emprunteurs sans
doute dépassés par l’ampleur de la violence physique et psychologique exercée par les
IMF, se sont trouvés dans une impasse au point de mettre fin à leur vie. Ces
événements dramatiques survenus dans le paysage de la microfinance, et liés d’une
façon ou d’une autre aux pratiques des IMF, renforcent le doute et les
questionnements sur la portée des objectifs sociaux qui pourtant est le socle originel de
la microfinance.

L’absence de planification et de cibles sociales claires pour les objectifs sociaux


constituent un paradoxe dans la microfinance parce que les cibles sociales constituent
l’origine même de la microfinance, particulièrement dans les régions en
développement. La restructuration du secteur, qui passe d’ONG à but non lucratif à
d’institutions de plus en plus orientées vers la recherche de profit constitue sans aucun
doute un facteur aggravant dans la réorientation des objectifs des IMF. En se mettant
du côté des IMF et abordant une démarche purement rationnelle, les IMF peuvent en
effet ne pas être intéressées à intégrer la dimension sociale avec des objectifs précis à
atteindre, dans la mesure où cette dernière peut dans le court terme être relativement
194
coûteuse, alors que les IMF disposent encore d’un stock de demandes de financement
important qui leur permet d’atteindre leurs objectifs de production. L’idée n’est pas de
dire que l’intégration des services sociaux n’est pas rentable, mais comme nous le
verrons dans les recommandations, son apport sera plus consistant et visible dans une
approche long-termiste, notamment avec la concurrence grandissante en zone urbaine.

Dans le cas du Sénégal, on observe des pratiques et des comportements différents


selon le statut de l’IMF. Avant 2007, le paysage microfinancier du Sénégal comptait
principalement deux types d’IMF. Nous avions des IMF sous forme d’ONG et des IMF
sous forme de mutuelles et coopératives. Pour les ONG, les fonds disponibles
proviennent essentiellement de dons et de subventions. Ce qui fait que les
financements accordés ne répondent pas forcément à des logiques de rentabilité.
Quant aux mutuelles et coopératives, les fonds qui servent de financement
appartiennent aux membres de l’IMF, et ne peuvent être prêtés qu’aux membres
seulement. À la différence des ONG, les mutuelles et coopératives ont l’obligation de
rentabiliser les fonds prêtés dans un souci de pérenniser leurs activités. Cependant, au
cas où il y a bénéfice, ce dernier ne peut nullement être redistribué aux membres. Il
servira à renflouer les fonds de l’institution, en vue de mieux répondre à la demande
des clients membres. Le point commun dans ces deux types d’IMF, c’est la priorité
accordée aux objectifs sociaux dans pratiquement toutes leurs stratégies de
développement. Nous avons retrouvé cette même approche à PAMECAS. Un des points
forts de PAMECAS dans ses stratégies développées pour impacter la vie sociale de ses
clients est sans doute son volet médical. PAMECAS a mis en place un service médical
accessible à tous ses clients en cas de maladie. Ainsi, tous les clients malades peuvent se
soigner auprès de centres médicaux agréés, en ne payant que la moitié des frais
facturés. La mutuelle de santé est mise en place à partir d’une cotisation individuelle et
mensuelle de 250 FCFA (0,50 $) par client, qui donne droit au client à une assurance
maladie avec une couverture de 50%, ainsi que dix autres personnes de sa famille. Mais
vu le nombre d’adhérents encore faibles, moins de 20'000 membres, par rapport à
l’objectif fixé, qui est de 600'000 membres, le service reste largement déficitaire. Par
exemple pour l’année 2017, le montant des cotisations récoltées pour la mutuelle de
santé était de 4'529'750 FCFA, alors que l’institution a remboursé plus de 15'000'000
195
FCFA en termes de frais médicaux. Le statut mutualiste de PAMECAS lui permet en effet
de financer le déficit de ses prestations médicales par les bénéfices réalisés par à partir
de ses autres produits, dont le crédit est le plus important. 95% du déficit est financé
par le bénéfice des crédits et les 5% restant sont financés par des opérateurs externes
sous formes de subventions. Bien que PAMECAS soit encore loin de son objectif des
600'000 adhérents, l’intégration de cette dimension sociale semble déjà être une
réussite et est bien appréciée auprès de la clientèle, comme en témoigne les propos du
client ci-après :

« Je suis fils aîné d’une fratrie de treize personnes. Comme


on le dit ici, je suis le seul soutien financier de ma famille.
Et pour vous dire la vérité, je peux dire qu’à 80%, c’est la
mutuelle de santé qui m’a motivée à quitter mon ancienne
IMF et venir à PAMECAS. J’habite à Pikine, et à moins de
quinze minutes de marche il y a un centre hospitalier
agréé par PAMECAS, dans lequel toute ma famille peut se
soigner à des prix subventionnés à moitié. Avant (d’être
client), quand un membre de ma famille était malade,
comme j’avais peur que les frais médicaux soient trop
élevés pour moi, j’attendais de voir si la maladie allait
s’aggraver ou pas avant de l’amener à l’hôpital. Mais
maintenant, même avec un simple mal de tête (rires), je
les amène sans hésiter au district sanitaire de mon
quartier » (Client à PAMECAS, mécanicien, 49 ans).

Quant à BAOBAB, les services sociaux sont pratiquement inexistants dans la palette
d’offre à laquelle ont accès les clients, et cela ne semble pas être une priorité pour les
dirigeants, du moins pour le moment. Contrairement à PAMECAS, BAOBAB se limite
exclusivement aux produits et services financiers classiques, tels que le crédit,
l’épargne, la domiciliation salariale et le transfert d’argent. Les services tels que
l’éducation et la santé ne bénéficient d’aucune possibilité de financement à BAOBAB,
bien que la Direction soit consciente de l’existence du besoin, surtout dans la banlieue

196
et dans le monde rural. Selon un responsable de la Direction, il n’y a rien de surprenant
à ce que BAOBAB n’offre pas de services sociaux. Selon ce dernier, BAOBAB est une
banque, et bien qu’elle soit dans le secteur de la microfinance, l’offre de services
financiers rentables constitue le paradigme fondamental sur lequel repose son activité.
Pour argumenter ses propos, il précise :

« Pour nous, la meilleure façon d’impacter le social de nos


clients, c’est de les accompagner dans leurs activités
génératrices de revenus. À la place de mettre en place des
services de santé, qui d’ailleurs ne sont presque jamais
efficaces parce que tout simplement ils ne sont pas
rentables à cause des risques élevés sur le marché, nous
les aidons à améliorer leurs situations financières, qui
elles, seront plus à même d’impacter leurs vies sociales. Il
nous arrive de constater qu’un client vienne demander du
financement pour son fonds de roulement, alors qu’en
réalité il l’utilise pour des besoins personnels, sans doute
pour des besoins sociaux. Dans ces genres de cas, nous
sommes très tolérants, bien que cela soit du
détournement d’objectif » (cadre à BAOBAB, 43 abs).

À BAOBAB, on voit que la Direction est bien consciente de l’existence et la pression des
besoins sociaux auprès des clients à faible revenu, mais que pour le moment le niveau
de rentabilité, jugée trop faible, ne permet pas d’entrer en matière. Par conséquent, les
agents de crédit préfèrent fermer les yeux, en laissant les clients utiliser une partie des
financements accordés à des fins sociales, sans que cela ne pose problème, du moins
tant que le client rembourse comme prévu.

Du coté des IMF, les besoins sociaux des clients à faible revenu, tels que l’éducation ou
la santé, ne sont pas forcément aussi rentables que les besoins financiers dans le court
terme. Mais dans moyen et le long terme, la non-rentabilité du financement des
besoins sociaux est à relativiser, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, il y a un élément
très important et qui compte beaucoup pour les IMF, comme d’ailleurs c’est le cas pour

197
toutes les entreprises à but lucratif, à savoir la satisfaction de la clientèle. Avec la monté
grandissante de la concurrence dans le secteur de la microfinance, et plus
particulièrement en zone urbaine, le niveau de satisfaction des clients vis-à-vis de leur
IMF est déterminant par rapport à leurs comportements actuels et futurs, et sur la
fidélisation. Dans d’autres pays, où l’expérience de la microfinance est plus ancienne,
les IMF se rendent compte de l’évidence de développer davantage de services sociaux,
et parfois même à des prix nuls ou quasiment gratuit. À la Grameen Bank, une initiative
mise en place depuis de 2004 est la possibilité de financement supplémentaire
accordée aux parents ayant des enfants scolarisés, et à des taux préférentiels,
largement en dessous du taux en vigueur. Ces financements scolaires sont accordés à la
veille de la rentrée scolaire de chaque année. À la Banque Rakyat Indonesia (BRI), les
parents sont appelés à envoyer les notes de leurs enfants à l’IMF. Les dix meilleurs
élèves à chaque niveau d’étude bénéficient d’une bourse d’étude pour l‘année
suivante. Pour la Grameen Bank et le BRI, ces initiatives sont essentielles pour
accompagner ces familles, mais elles comptent aussi pour la fidélisation de la clientèle.
Ensuite, le financement de certains besoins sociaux tels que la santé, au-delà du souci
de garder le client, peut participer aux stratégies de minimisation des risques de non-
remboursement. Nous avons vu dans nos entretiens que certains clients estimaient être
tombés en retard dans les remboursements à cause de raisons médicales. Cela est aussi
confirmé par les agents de crédit qui précisent que les périodes où le risque de non-
remboursement est relativement plus élevé est la saison des pluies, et ce à cause des
maladies récurrentes dont la plus fréquente est le paludisme. Dans ce contexte,
disposer des services sociaux aux clients peut non seulement participer aux politiques
de fidélisation de la clientèle, mais en même temps il peut être très utile dans la
minimisation des risques encourus.

7.1.4 L’inestimable pouvoir des agents de crédit


Officiellement, comme stipulé dans les cahiers de charges, le travail des agents de crédit
est pratiquement similaire dans les IMF, indépendamment de leurs statuts. Que l’on
soit à BAOBAB ou à PAMECAS, les tâches officielles des agents de crédit peuvent être
scindées en quatre phrases. Il y a d’abord la prospection, le traitement des demandes
de financement, le suivi de portefeuille et le recouvrement. Toute la subtilité se trouve
198
entre ce qui est décrit comme tâches officielles et la réalité sur le terrain. Entre BAOBAB
et PAMECAS, si la proximité sur les tâches se rejoint sur les trois premières, elle se
différencie particulièrement sur la dernière, c’est-à-dire le recouvrement.

1. La prospection

La phase de prospection correspond à la période de contact avec de nouveaux clients.


On peut l’observer à deux niveaux. Le premier concerne les IMF nouvellement arrivées
dans un secteur et qui vont à la rencontre des potentiels clients pour à la fois avoir une
meilleure visibilité sur la place publique et exposer leurs produits et services. Dans ce
rôle de prospection, les agents de crédit sont très sollicités à cause du principe du
zonage qui fait que chaque agent devient responsable pour une zone bien déterminée.
En effet, la plupart des IMF utilisent le principe du zonage pour répartir leurs agents de
crédit sur le terrain. Il s’agit d’affecter chaque zone de clients à un seul agent de crédit,
qui de fait est chargé de traiter toutes les demandes de financement émanant de la
zone. L’idée du principe de zonage est de limiter au maximum l’asymétrie d’information
entre les clients et l’IMF. L’agent de crédit responsable d’une zone, après quelques
mois, voire quelques années, bénéficie d’une solide expérience dans sa zone, et
développe des rapports personnalisés avec sa clientèle. Ce rapport avec les habitants de
la zone est très important, parce qu’il permet à l’agent de crédit de pouvoir recouper et
vérifier la plupart des informations concernant ses clients et les demandeurs de
financement. Dans chaque zone ou quartier, les clients ont comme seul interlocuteur
l’agent de crédit qui y est affecté. La stratégie du zonage permet aussi aux responsable
de l’IMF d’éviter au mieux toute forme de concurrence déloyale entre agent de crédit,
parce qu’un agent ne peut prendre une demande de financement que lorsque celle-ci
provient de la zone qui lui est affectée, sauf dans de rares cas37. Cela ne fait pas
disparaître la concurrence dans la réalité, mais elle se fait plutôt par rapport aux
objectifs fixés par la direction, qui peuvent compter dans le cas d’une promotion
interne, ou d’un poste vacant. Le second type de prospection concerne le lancement
d’un nouveau produit. Bien que la prospection se fasse en groupe, c’est l’agent
responsable de la zone qui est mis en devant. Cela est aussi pour l’IMF une façon de

37
Par exemple lorsqu’un agent est en congé. Et même dans ce cas, le financement accordé entre dans le
portefeuille de l’agent responsable de la zone. C’est plutôt une forme de solidarité.
199
mettre son agent de crédit au premier plan auprès de ses clients. C’est dire à quel point
la phase des prospections est importante dans le paysage de la microfinance, et pour
l’IMF et pour les agents de crédit.

2. Le traitement des demandes de financement

Les agents de crédit reçoivent toutes les demandes de financement qui émanent de
leurs zones de clientèle. C’est à ce niveau que s’exerce tout le pouvoir des agents de
crédit, qui ont seule habilité de sélectionner les demandes de financements éligibles
auprès du Comité central qui lui a le dernier mot pour confirmer la décision de
financement ou pas de l’agent de crédit. Le Comité central a certes le pouvoir de
refuser une proposition de financement d’un agent de crédit, mais son action n’entre
en jeu qu’après proposition de ce dernier. Autrement dit, toute demande rejetée par un
agent de crédit ne peut en aucune manière être validée par le Comité central, bien que
ce dernier soit la dernière instance où sont prises les dernières décisions de
financement. Avant une proposition de financement, les agents de crédit doivent faire
la visite de l’activité du client demandeur, et si besoin de son domicile. L’objet de la
visite est d’avoir des données précises, quantitatives et qualitatives, qui serviront pour
l’évaluation financière de l’activité du client, et pour l’évaluation de la moralité du
client. Après une évaluation proprement dite, basée sur les informations recueillies au
cours de la visite, l’agent de crédit a deux possibilités. Soit, il propose un financement
avec les modalités qui l’accompagnent, telles que le montant du financement, le
montant des remboursements, l’épargne obligatoire et la durée de remboursement.
Soit il rejette la demande de financement, en motivant sa décision. Les deux motifs de
refus les plus fréquents dans les dossiers de rejets sont respectivement « capacités
financières insuffisantes » et « manque de confiance ». Ce rapport, fait individuellement
par l’agent de crédit, se basant à la fois sur des indicateurs objectifs et subjectifs,
montre tout le pouvoir dont disposent les agents de crédit dans le fonctionnement des
IMF.

200
3. Le suivi de portefeuille

La phase de suivi de portefeuille démarre à partir du moment où le financement


accordé est effectif. Elle correspond à des visites de clientèle et de leurs activités, dans
le but de voir l’évolution de leurs activités pour de futurs financements, mais et surtout
pour maintenir et renforcer la relation de confiance avec la clientèle. À PAMECAS, la
fréquence de visites des clients qui ont bénéficié de financements n’est pas précisée,
mais les agents de crédit interrogés estiment que ces dernières sont très importantes
car elle leur permet d’être toujours en contact avec leurs clients. Quant à BAOBAB, le
suivi des clients est pris très au sérieux, et par la Direction, et par les agents de crédit. Il
est demandé aux agents de crédit de faire au moins auprès de chaque client financé,
une visite par mois, et plus particulièrement aux clients ayant bénéficié de gros
montants. Pour les agents de crédit interrogés à BAOBAB, le fait d’aller rendre visite aux
clients permet de minimiser les recouvrements à la fin du mois, qui en moyenne
constituent près de 20% de l’activité d’un agent de crédit. Sur le rôle et l’importance du
suivi personnel, un agent de crédit se confie :

« Pour certains clients, je n’ai même pas besoin de leur


rendre visite. Pour d’autres, c’est devenu pour moi une
exigence et je le fais même parfois plusieurs fois dans le
mois. Par exemple, j’ai un client commerçant de tissu au
grand marché (à Thiès). Comme il a l’habitude de
tomber en retard à la fin du mois, je me suis fixé
l’obligation de passer le voir à chaque fois que je suis en
déplacement dans son quartier. Et à chaque
déplacement, je lui demande de me verser une avance
pour le remboursement futur. Parfois, c’est comme ça
que je fais avec lui jusqu’à ce que son remboursement
mensuel soit au complet avant l’échéance. Il est à son
troisième crédit, et ça a toujours marché ainsi. Pour
moi, c’est aussi une stratégie pour ne pas en arriver à ce

201
que je déteste le plus dans ce boulot : le
recouvrement » (Agent de crédit à BAOBAB, 30 ans).

4. Le recouvrement

L’activité dite recouvrement est sans doute la plus redoutée et du côté des agents de
crédit, et du côté des clients. C’est une pratique qui est mise en œuvre pour les clients
qui ont dépassé leurs délais de remboursement. La marge de retard tolérable est de
trois jours au maximum. Suivant les IMF, les moyens utilisés pour le recouvrement ne
sont pas les mêmes. À PAMECAS, les agents de crédit privilégient le dialogue avec le
client, mais et surtout la menace de ne plus lui accorder un financement à l’avenir.
Quant à BAOBAB, les moyens utilisés sont plus divers et sont plus intimidants pour les
clients. Un des moyens de recouvrement utilisé à BAOBAB et tant redouté par les clients
est ce qui est appelé communément dans le jargon du recouvrement « la descente en
groupe ». Il s’agit d’une dizaine d’agents de crédit, accompagnés par le chef d’agence
ou par le superviseur des opérations, qui investissent le lieu de travail du client, ou de
son domicile, et parfois les deux. Les clients craignent beaucoup ces scènes
d’intimidations, d’autant plus que généralement, ils ne veulent pas que leurs voisins
soient au courant de la situation ; crainte malheureusement exploitée par les agents de
crédits. L’importance accordée aux recouvrements à BAOBAB s’explique en partie par la
perte de bonus sur salaire encourue par l’agent de crédit dans le cas où son client ne
rembourse pas à temps. Le salaire des agents de crédit, comme dans la plupart des
banques, est constitué d’une partie fixe qui est le salaire de base, et d’une autre partie
variable constituée par les bonus. À BAOBAB, le salaire mensuel de base d’un agent de
crédit est d’environ 250'000 FCFA (500 $). Quant aux bonus versés, ils n’ont pas de
limite. Un des agents interrogés, a reçu pour son dernier salaire, au moment des
entretiens (juillet 2017), une paie mensuelle de 565'000 FCFA, ce qui constitue un
bonus sur salaire de plus de 55% du salaire global reçu. L’agent de crédit dont nous
parlons ici, et que nous appelons Ndiogou, avait un portefeuille de plus de 60 millions
de FCFA (120'000 $). Mais il suffisait qu’un de ses sept gros clients soit en retard de plus
de 30 jours pour que Ndiogou perde au moins la moitié de son bonus mensuel,
l’équivalent de 250 $. Les entretiens réalisés avec les agents de crédit nous montrent

202
toute leur préoccupation sur les rétentions de bonus dues aux retards de leurs clients
aux remboursements, et celle-ci explique en partie les méthodes de recouvrement
utilisées, car pour ces derniers, tous les moyens sont bons pour amener le client à être à
jour dans ses remboursements.

On constate à travers ces récits et témoignages que les agents de crédit sont au centre
du dispositif de la microfinance. La plupart des clients ne font pas la différence entre
l’IMF et l’agent de crédit. Ils pensent qu’il est du ressort de leur agent de crédit, et à lui
seul, de leur accorder un crédit et d’en fixer toutes les modalités qui vont avec. Cette
perception des clients sur les agents de crédit, observée aussi dans d’autres régions
telles que le Maroc (Morvant-Roux, 2009) peut s’expliquer par deux choses :

1. D’une part, elle s’explique par une volonté des agents de crédit d’être le
principal point de contact du client dans l’IMF. C’est aussi une façon de
développer une relation personnalisée entre l’agent de crédit et son client, une
relation qui peut être efficace lorsque par exemple le client est irrégulier dans
ses remboursements. Ce type de relation mixte alternant l’informel et le formel
est fréquent dans le marché de la microfinance parce qu’il offre une certaine
flexibilité aux agents de crédit suivant les objectifs poursuivis (Moisseron et
Malanaïne, 2013). On constate par exemple que dans la phase pré-crédit, les
agents de crédit ont tendance à privilégier la relation informelle (réseautage,
identité culturelle et cultuelle, etc.) dans le but d’inciter de potentiels clients à
devenir clients, mais aussi de sélectionner ceux jugés moins risqués. À ce titre, il
est démontré que les agents de crédit affectés dans des zones où ils ont des
liens sociaux et informels forts ont plus de facilité à atteindre leurs objectifs de
production (Moisseron et Malanaïne, 2013). Dans la phase post-crédit, c’est
plutôt la relation formelle qui est privilégiée pour éviter que la relation
personnalisée ne soit un obstacle pour le respect du contrat, notamment le
remboursement. Dans cette stratégie délibérée des agents de crédit, l’objectif
principal est d’avoir un meilleur contrôle sur le client, quitte à lui donner une
impression démesurée parfois différente de la réalité. Nous avons constaté par
exemple dans nos entretiens, qu’aucun client interrogé n’était au courant d’un

203
possible recours une fois leur demande de financement rejetée. Or cette
information doit en principe être délivrée par les agents de crédit.

2. D’autre part, vu que certaines pratiques assez fréquentes utilisées par les agents
de crédits sont douteuses du point de vue de la légalité, comme les types de
recouvrements utilisés, elle peut aussi s’expliquer par une volonté de la
Direction, qui consiste à rende les agents de crédits « seuls » responsables des
relations développées avec leurs clients. Il faut préciser que ce pouvoir « trop
important » des agents de crédit est plus perceptible à BAOBAB qu’à PAMECAS.
Ce qui peut s’expliquer par le fait qu’à PAMECAS, les clients intègrent les
comités de crédit. Dans chaque comité de crédit, il existe au moins un client. Ce
qui par conséquent réduit l’impression qu’ont les clients sur le pouvoir de leur
agent de crédit.

7.1.5 Synthèse par rapport à l’hypothèse 1


Les analyses précédentes permettent de confronter notre première hypothèse qui
suppose une prédominance de l’approche commerciale, essentiellement basée sur une
logique de minimisation des risques du crédit. On voit toute l’importance des logiques
commerciales dans la pratique de la microfinance au Sénégal. Il apparaît assez
clairement qu’au moment où les IMF doivent de plus en plus compter sur leur
autonomie financière, l’approche commerciale constitue un vecteur essentiel pour
l’amélioration des conditions d’octroi et un accès plus généralisé, notamment dans les
régions où la vulnérabilité est plus accentuée. Elle peut aussi être essentielle dans le
fonctionnent interne des IMF, notamment par la gouvernance et le contrôle des
opérations, telles que le respect des critères de sécurité et de l’audit interne
(Nsabimma, 2009). De ce point de vue, l’approche commerciale est un plus pour les
IMF, et vient même renforcer le secteur qui, pendant longtemps a manqué de
dynamisme et de rigueur dans la gestion.

Cependant, malgré les avantages que présente l’approche commerciale dans le secteur
de la microfinance, cette dernière ne peut être la norme systématique et dans les
mêmes conditions, quel que soit le contexte et l’activité financée, du moins si l’on veut
que la microfinance garde toujours sa dimension originelle. De notre point de vue, les

204
activités à faible valeur ajoutée, telles que l’agriculture ou l’élevage, dans les formes
actuelles dans lesquelles elles sont pratiquées chez les personnes à faible revenu,
notamment au Sénégal, ne peuvent être soumises à la même approche commerciale
que le sont le commerce ou les activités de petites et moyennes entreprises. Lorsque
les financements accordés servent à des fonds de roulement ou à de petits
investissements à forte valeur ajoutée, à court ou moyen terme, avec des risques
relativement maîtrisées et dans des zones à densité de population suffisante, par
exemple en zone urbaine, il est assez compréhensible de privilégier l’approche
commerciale en raison de la capacité de celle-ci à mieux répondre à l’ampleur de la
demande et de sa diversité. À l’inverse, quand la clientèle concernée se particularise par
la nature de ses activités à faible valeur ajoutée, et pour lesquelles les risques sont
beaucoup moins maîtrisés, l’approche commerciale telles qu’appliquée dans la plupart
des IMF n’est sans doute pas adaptée. Elle consiste en une généralisation qui offre peu
de marge aux bénéficiaires, qui très souvent ne disposent presque pas d’autres sources
de revenus, à part leur activité principale. À voir l’ampleur et la généralisation des
pratiques commerciales dans les IMF, il n’est pas étonnant de voir toute la difficulté
rencontrée par les clients issus du monde rural ou travaillant simplement dans des
secteurs autres que le commerce ou dans la petite et moyenne industrie. Il ne s’agit non
plus de dire que les IMF doivent produire à perte dans les secteurs vulnérables, mais
que l’approche doit être adaptée au secteur, tenant compte des contraintes
spécifiques, qui font que les IMF ne peuvent pas s’attendre à la même rentabilité
procurée dans les autres secteurs.

7.1.6 Conclusion pour l’hypothèse H1


Bien que la cible prioritaire de la microfinance soit les personnes à faible revenu,
l’approche commerciale constitue la dynamique principale sur laquelle travaillent les
IMF. Elle se matérialise essentiellement, à travers leurs pratiques, par des logiques de
rentabilité qui laissent peu de place aux besoins jugés moins rentable, notamment les
besoins sociaux. Dans le contexte actuel de la microfinance, où nous avons des IMF qui
doivent d’une part satisfaire une clientèle diverse par ses besoins et par ses contraintes,
et d’autre part assurer une certaine autonomie financière pour pérenniser leurs
activités, il nous semble nécessaire d’avoir une approche fondée sur un réel équilibrage
205
entre la satisfaction des besoins du client à des prix accessibles et la pérennité de l’IMF,
notamment par une production à des coûts soutenables. Par conséquent, sous-estimer
ce que l’approche commerciale peut apporter comme contribution positive dans la
lutte contre l’exclusion financière, en raison de considérations morales, et parfois à
juste titre, peut différer de la réalité. En même, temps, surestimer cette approche en la
présentant comme la seule référence possible, partout et dans n’importe quelle
situation, serait une autre erreur qui risque de menacer l’objectif originel de la
microfinance. L’approche commerciale, telle qu’appliquée dans l’industrie de la
microfinance sénégalaise et indépendamment des activités financées, au-delà des
opportunités qu’elle offre, risque de créer une nouvelle génération d’exclus de services
financiers. Au-delà d’un raisonnement purement rationnel,
mettant au-devant l’intérêt des IMF sans nécessairement tenir compte de ceux des
clients à cause des dysfonctionnements du marché dus en partie à un marché
oligopolistique, la dimension éthique ne doit être aucune négligée parce qu’elle
constitue le fondement originel sur lequel la microfinance a pris naissance. C’est à ce
niveau que les pouvoirs publics et les institutions internationales ont un rôle important
à jouer, notamment dans la régulation du marché de la microfinance. Nous y
reviendrons dans la partie recommandations.

Par ailleurs, bien que l’approche commerciale soit de plus en dominante dans les
pratiques modernes de la microfinance, le degré d’implication des IMF dans ladite
approche varie selon le statut. Les IMF à caractère mutualiste, telles que PAMECAS
essaient tant bien que mal d’allier objectifs financiers et objectif sociaux, alors que pour
les IMF à caractère bancaire telles que BAOBAB, les objectifs sociaux n’entrent
aucunement dans leurs paradigmes de fonctionnement.

206
7.2 La stratégie de la standardisation : une pratique non adaptée dans le secteur
de la microfinance sénégalaise
H2 : la standardisation des services et produits financiers
proposés dans les IMF est problématique, du fait qu’elle
ne tient pas nécessairement compte des opportunités et
contraintes spécifiques des personnes et des activités
financées.

Le savoir-faire des IMF dans plusieurs régions d’Afrique subsaharienne reste focalisé sur
des produits standards, faciles à gérer, tels que le microcrédit et l’épargne classique,
dans le but d’assurer une croissance rapide et moins risqué. L’hypothèse implicite est
que le client se satisfait de tels services classiques et uniformisés, puisque ce client est
par ailleurs exclu des systèmes financiers formels, et est prêt à payer un taux d’intérêt
élevé contre un accès à des services financiers basiques, cela sans se soucier de leur
adéquation à leurs besoins et contraintes. L’évolution de la microfinance, à travers les
besoins de sa clientèle et de ses exigences en matière de financements, redéfinit une
nouvelle dynamique dans laquelle, l’accès aux financements ne doit plus être une
finalité, mais et surtout un moyen de répondre aux besoins aussi nombreux que divers
des personnes à faible revenu.

7.2.1 La standardisation des produits : une approche encore dominante dans l’industrie
de la microfinance au Sénégal
Avec une croissance annuelle de plus de 20% en termes de clients durant la dernière
décennie, et un marché potentiel de plus d’un milliard de personnes à travers le monde,
la microfinance a réussi à répondre à un de ces défis classiques qui était de couvrir un
nombre significatif de personnes à faible revenu en peu de temps. Cependant, le
développement des produits de la microfinance s’est focalisé sur une offre standardisée
telles que l’épargne et le crédit. Ce système financier, venu d’ailleurs, a été copié et
exporté dans la plupart des pays en développement, gardant la même dynamique, les
mêmes produits et les mêmes pratiques. Selon les régions, l’ajustement du secteur à la
diversification des besoins ne s’est pas faite de la même manière (Poursat, 2005). Si
dans les pays asiatiques, les IMF ont intégré la diversification des produits au cœur de
207
leurs stratégies de développement, en Afrique subsaharienne, dont le Sénégal
notamment, les IMF tardent à s’adapter à cette nouvelle donne, ou plutôt préfèrent
rester dans le système classique, standardisé et simplifié, indépendamment des
activités financées.

Nos enquêtes réalisées au Sénégal montrent l’ampleur et les difficultés de la stratégie


de la standardisation dans l’offre de microfinance et à différents niveaux. Dans le
contexte sénégalais, bien que les commerçants constituent de loin la première clientèle
des IMF, d’autres secteurs d’activité tels que l’agriculture et l’artisanat font aussi l’objet
de financement. Nos enquêtes montrent que la diversité des secteurs d’activité
répertoriés dans les IMF n’est pas un indicateur fiable permettant d’analyser le degré
de diversité dans l’’offre des IMF. À BAOBAB par exemple, l’offre est constituée
principalement de cinq secteurs d’activité, couvrant près de 300'000 clients en 2019.
Les commerçants constituent la première clientèle avec un niveau de représentation de
près de 77%. À PAMECAS, la répartition est certes moins inégalitaire entre le commerce
et les autres activités, mais elle reste largement favorable aux commerçants qui à eux
seuls constituent plus de 67% de la clientèle. Il convient aussi de souligner que bien que
PAMECAS soit une mutuelle en principe orientée dans la satisfaction des besoins de sa
clientèle, la seule offre supplémentaire comparativement à BAOBAB est l’assurance
santé. Excepté cette offre, subventionnée à plus de 50%, les deux IMF offrent
pratiquement les mêmes services, à des prix sensiblement différents.

Figure 1: Répartition des financements dans le paysage de la microfinance au Sénégal en


fonction des secteurs d’activités

Source : DRS-SFD, 2016

208
La présentation du secteur en termes d’activités financées peut laisser croire à une
diversité de services et produits auxquels ont accès les clients, en fonction de leur
secteur d’appartenance. On pourrait imaginer une dizaine de produits financiers
différents dans la forme et dans le contenu, disponibles dans la microfinance
sénégalaise. Or, à voir le fonctionnement des IMF dans leurs pratiques, on aperçoit que
la réalité est bien différente. Comme nous pouvons le voir ci-après, le type de
financement développé pour les activités commerciales reste l’unique modèle de
référence pour l’ensemble des autres secteurs d’activités, bien que les contraintes
rencontrées soient différentes et spécifiques dans chaque secteur.

7.2.2 L’approche commerciale : entre dérives et généralisation abusive


Le constat général est que le secteur a évolué en termes de chiffres, notamment par
l’accroissement du nombre de clients comptabilisés et du portefeuille de crédit réalisé.
Cependant, les pratiques ont beaucoup moins évolué. Une des différences entre les
financements des banques classiques et des IMF se trouve dans la périodicité des
remboursements. Une pratique universelle des IMF consiste à accorder de préférence
des crédits à très court terme, assez souvent inférieur à 12 mois. Le principe de cette
pratique est que les activités financées par les IMF sont généralement risquées, et les
IMF ne disposent pas toujours de la bonne information pour le contrôle des activités
financées, ce qui leur donne une faible marge de manœuvre pour le suivi personnalisé
du client financé et de son activité. Dans ce cas de figure, le produit de base développé
est un crédit pour financement d’activité génératrice de revenus remboursable en
quelque mois. La particularité de ce type de financement est qu’il peut être adéquat
pour les activités qui ont des flux de trésoreries fréquents, comme c’est notamment le
cas des activités commerciales. Dans leur logique de minimiser les risques encourus par
les financements accordés, PAMECAS et BAOBAB, bien que s’adressant à une clientèle
diverse avec des contraintes diverses, offrent des produits financiers pratiquement dans
les mêmes conditions. Tous les crédits accordés, à quelques exceptions près et quelle
que soit leur destination, sont à l’image des crédits commerciaux. Les échéances sont
très courtes, et le premier remboursement commence le mois qui suit l’octroi de crédit

Comme nous l’avons évoqué en partie, l’approche commerciale présente des avantages
essentiels pour la pérennité de la microfinance, pour un accès plus accru dans les
209
régions en développement, pour le développement de services et produis divers et
adaptés, et pour une meilleure gouvernance et de contrôle interne dans les IMF.
Cependant, nos enquêtes nous ont permis d’identifier deux grandes difficultés dans
l’objectif de servir financièrement une population à faible revenu, liées de façon directe
ou indirecte à l’approche commerciale des IMF.

1. Dans la dynamique de l’approche commerciale, les IMF, comme toute entreprise


à but lucratif, se comportent comme des fournisseurs motivés principalement
par la réalisation de profit. Dans cette optique, les critères de rentabilité et de
performance financière risquent de prendre le dessus sur les objectifs sociaux,
alors que ces derniers constituent un élément important qui ne peut être ignoré
dans le secteur de la microfinance. Nos enquêtes ont montré que, sur le terrain,
l’approche commerciale s’est faite au détriment d’opportunités pour certains
clients, notamment ceux résidants dans les zones les plus vulnérables. Le cas de
BAOBAB est éloquent. En 2017, BAOBAB a racheté l’institution de microfinance
FIDES, qui s’était spécialisée dans l’offre de services financiers en zone rurale,
zone péri-urbaine et dans une moindre mesure en zone urbaine. L’une des
spécialités de FIDES était le « crédit groupé ». Il s’agit d’un financement accordé
à un groupe de personnes, travaillant dans le même secteur d’activité. À la place
de demander une garantie matérielle, les personnes membres se cautionnent
mutuellement, ce qui est appelé communément « caution solidaire ». Du temps
de FIDES, cette pratique était très répandue dans le milieu rural, et était
précédée par un travail de terrain consistant à échanger fréquemment avec les
populations sur la nature des services et produits offerts, et ensuite proposer
aux intéressés quatre séances de formations dans lesquelles sont sélectionnés
les clients aptes à contracter un financement. Un des premiers changements
appliqués par BAOBAB après le rachat de FIDES a été de supprimer trois séances
de formations pour n’en laisser qu’une, parce que jugeant trop chères, en
termes de temps et de coûts financiers, les séances de formation. Or, selon un
agent de crédit, anciennement développeur de nouveaux produits et services à
FIDES, les séances de formation étaient riches d’enseignement, et étaient le
principal moyen qui permettait d’identifier avec précision les besoins des
210
populations rurales, mais aussi leurs contraintes spécifiques. La reconfiguration
des activités de FIDES dans le monde rural, bien que le besoin soit là, plus
particulièrement du côté des clients, montre à juste titre les effets que peuvent
avoir une approche commerciale standardisée et trop orientée vers la recherche
de profit.

2. Un autre fait observé sur le terrain est le ciblage systématique des activités
commerciales dans les financements des IMF, et ce au détriment des autres
activités, notamment celles relevant du domaine rural, ou d’autres relevant
même du domaine urbain, mais jugées moins rentables. Les agents de crédits
accordent beaucoup d’importance à la régularité des entrées de revenus et
leurs fréquences, comme on peut le voir dans la grille de questionnaire qui leur
sert d’évaluation suite à une demande de crédit :

 « Pouvez-vous nous dire combien vous gagnez par jour pour estimer que
vous avez fait un bon chiffre d’affaire journalier ? »

 « Pouvez-vous nous donner votre chiffre d’affaire journalier en dessous


duquel vous estimez n’avoir pas fait une bonne vente journalière ? »

Ces deux questions, fondamentales dans la prise de décision sur le montant à accorder
et sur la durée de remboursement, ne sont pas évidentes à répondre pour les activités
pour lesquelles les entrées de revenus sont au meilleur des cas mensuelles ou même
trimestrielles. Ainsi, on comprend mieux ce qui fait du commerce l’activité de
prédilection des IMF dans leurs stratégies de financements.

L’analyse des liens et rapports entre l’approche commerciale des IMF et l’inclusion à la
fois sociale et financière des personnes à faible revenu, certes nous permet de
comprendre la relation de cause à effet, du moins jusqu’à un certain point. Cependant,
la question reste complexe quand il s’agit de définir les contextes dans lesquels telle ou
telle autre approche convient le mieux.

Nos enquêtes révèlent que cette uniformisation de financement pose beaucoup de


problèmes aux clients issus de secteurs autres que le commerce. Elle ne tient pas

211
compte des contraintes spécifiques des clients, notamment ceux qui sont dans des
secteurs dont les flux de revenus sont moins réguliers.

7.2.3 L’agriculture : un secteur négligé


Un des points frappant dans l’activité de la microfinance au Sénégal est la faible
importance accordée au secteur agricole. Cela se matérialise par le poids relatif des
financements qui vont aux agriculteurs, et surtout les dispositions et les conditions dans
lesquelles ces financements sont accordés. Les seuls produits financiers auxquels les
agriculteurs ont accès sont le fond de roulement, dans les mêmes conditions que les
commerçants. Ce sont des crédits que les agriculteurs commencent à rembourser dans
le mois qui suit le déblocage des fonds. Or, dans le contexte du Sénégal, nous avons
deux types d’activités agricoles, que sont l’agriculture maraîchère, pratiquée
généralement sur le long du littoral durant toute l’année, et l’agriculture saisonnière,
entièrement dépendante de la pluviométrie, qui dure en moyenne trois mois, couvrant
la période juin-septembre. S’agissant de l’agriculture maraîchère, bien qu’elle soit
annuelle, elle est décomposée en quatre périodes de trois mois, offrant la possibilité
aux paysans du littoral d’avoir autant de périodes que de récoltes. Autrement dit,
lorsqu’un paysan reçoit un crédit pour financer ses activités agricoles, il doit quand
même commencer à rembourser dans le mois qui suit, bien que ses premières récoltes
soient prévues trois mois plus tard. Pour limiter le risque que présente l’irrégularité des
rentrées d’argent des agriculteurs, une pratique fréquente chez les agents de crédit est
de demander aux clients qui souhaitent avoir un crédit de disposer d’autres sources de
revenus, leur permettant d’assurer le remboursement du crédit durant la période pré-
récolte. Le témoignage d’un agent de crédit rencontré à l’agence de Mboro décrit toute
la réticence des IMF envers les activités agricoles, mais et surtout les stratégies « peu
adéquates » développées pour extérioriser le risque encouru par le crédit.

« En ce qui me concerne, je fais très attention aux


demandes de financements pour activité agricole, plus
particulièrement pour les agriculteurs qui n’ont pas
d’autres sources de revenus. Avec les commerçants,
c’est beaucoup plus simple, parce que même pour les
retardataires, vous pouvez toujours passer chez eux
212
vers la fin de la journée, récupérer une partie du
remboursement encore non versée à partir des ventes
journalières. Mais pour un agriculteur, cette pratique
n’est possible qu’à partir du moment où il commence à
écouler ses récoltes. Par conséquent, lorsque le client
agriculteur n’a pas d’autres sources de revenus, je lui
exige d’amener un garant qui au moins possède des
sources de revenus non agricoles » (Agent de crédit à
BAOBAB, 27 ans).

Cette pratique assez fréquente des agents de crédit est cautionnée « informellement »
par la Direction, qui certes n’exige pas des agriculteurs de présenter d’autres sources de
revenus pour prétendre à un financement, mais qui à travers des décisions rendues sur
les préavis des agents de crédit, fait comprendre implicitement que le fait de disposer
d’autres sources de revenus est pratiquement indispensable pour sécuriser le crédit
agricole. Cette pratique est tellement ancrée dans le secteur agricole que même les
clients du secteur en sont conscients. Un client habitant du village « Keur Lémou », que
nous considérons comme client potentiel parce que remplissant toutes les
caractéristiques d’une personne en besoin de financement, estime que cette condition
supplémentaire demandée aux agriculteurs bloque l’inclusion financière dans son
village, parce que l’agriculture y constitue la principale activité génératrice de revenu.
Une autre pratique utilisée à PAMECAS est d’inciter les agriculteurs à être garantis par
d’autres clients non agriculteurs, leur permettant d’honorer leurs remboursements
périodiques, indépendamment des cycles de production.

On peut constater toutes la difficulté des IMF dans le financement des activités
agricoles. Les contraintes du secteur agricole diffèrent de celles du secteur commercial,
un crédit destiné aux activités agricoles ne peut être adéquat qu’au moins s’il tient
compte de l’espacement des flux de trésorerie des agriculteurs. Par exemple, les IMF,
tout en restant dans leur logique de court terme, peuvent accorder des crédits
remboursables en deux ou trois fois, à des moments correspondants aux phases post-
récoltes des agriculteurs. Cela donnerait le temps aux agriculteurs de rentabiliser les

213
fonds empruntés, mais aussi de limiter les risques de non remboursement encourus par
le secteur.

Incontestablement, les activités agricoles, comparées aux autres activités dominantes


dans le secteur de la microfinance, présentent plus de risques de rentabilité en raison
de l’aspect périodique des revenus. Comme nous l’avons déjà évoqué, une bonne partie
de l’agriculture sénégalaise est encore tributaire de la pluviométrie, échappant
complétement au contrôle des acteurs. Une pluviométrie non abondante, comme celle
de 2018 enregistrée au Sénégal, condamne pratiquement les agriculteurs à des récoltes
en deçà des prévisions. Ce qui dès lors peut avoir des répercussions dans les
engagements pris par les agriculteurs, notamment dans le marché du crédit. Un
élément supplémentaire qui échappe au contrôle des paysans est la volatilité des prix
de vente des produits agricoles sur le marché. Cette dernière constitue un véritable
problème auquel sont confrontés les agriculteurs. Des problèmes structurels, tels que le
déficit d’interconnexion entre les marchés régionaux et l’absence de zones de stockage
suffisantes et à moindre coûts pour les denrées de premières nécessité, entre autres,
renforcent la fragilité des prix sur le marché des denrées de premières nécessité. Par
conséquent, les IMF, dans leurs stratégies de développement, ne peuvent faire fi de ces
réalités propres au secteur agricole. Le développement de services financiers adaptés
aux contraintes spécifiques du secteur agricole, tels que la micro-assurance sur laquelle
nous reviendrons, des financements avec des remboursements échelonnés en fonction
des périodes de récolte, doit être une priorité dans les IMF.

7.2.4 Le manque de flexibilité


Les IMF s’adressent à une clientèle dont la plupart travaille dans le secteur informel.
Une des stratégies développées par les IMF à l’origine de la microfinance a été de se
démarquer des approches classiques de la finance, notamment le manque de souplesse
dans la collaboration avec la clientèle, considéré comme un des freins de l’inclusion
financière, particulièrement dans les régions en développement. Dans le contexte
sénégalais, les IMF offrent une certaine flexibilité qui fait défaut dans les banques
classiques. Mais ce que nous constatons dans nos enquêtes, c’est que cette flexibilité
est surtout concentrée dans la phase préfinancement, dans laquelle l’IMF, à travers son
agent de crédit, incite le client à contracter un crédit. Par exemple, le seul document
214
qu’un client doit obligatoirement présenter pour effectuer sa demande de crédit est la
carte d’identité. Tout client possédant une carte d’identité, et pas forcément en cours
de validité, peut introduire une demande de financement dans n’importe quelle IMF
sénégalaise. Pour le chargé de communication de PAMECAS, la date d’expiration de la
pièce d’identité importe peu, ce qui est intéressant pour l’IMF, c’est de pouvoir
identifier le client. Ainsi, d’autres documents que demandent systématiquement les
banques classiques, tels que le certificat de résidence du client, l’attestation qui prouve
que l’activité que le client souhaite financer est sous sa propriété, les factures d’achat et
de vente ainsi qu’un business plan, certes constituent des suppléments positifs pour les
clients qui en disposent mais ils restent facultatifs. Cette approche est adéquate dans le
contexte local sénégalais, vu le degré d’informalité dans lequel travaillent les clients, et
l’ampleur du marché informel qui génère plus de 80% de l’emploi et 35% du PIB.

Dans la phase post-financement, la flexibilité offerte aux clients est moins marquée. Or,
cette phase est aussi importante que la précédente dans la mesure où c’est la
rentabilité des opérations de l’IMF qui est mise en jeu. À BAOBAB et à PAMECAS, que le
client emprunteur soit commerçant, menuisier, artisan ou agriculteur, ce sont les
mêmes modalités de remboursement qui s’appliquent à eux. Un client couturier
participant au premier focus group réalisé à BAOBAB a par ailleurs émis une idée quant
au type de remboursement qui selon lui convient le mieux au secteur couturier. Dans le
contexte sénégalais, les phases d’expansion de l’activité couturière sont les mois qui
précédent les cérémonies communautaires et traditionnelles, telles que la Korité, qui
marque la fin du ramadan, la Tabaski, qui correspond à la fête musulmane l’Aïd, le
Magal et le Gamou, qui sont des pèlerinages annuels, célébrés respectivement dans les
villes de Touba et de Tiwawone vers où convergent chaque année plus de cinq millions
de personnes, et fêtés dans pratiquement toutes les autres villes du Sénégal. Le client
couturier, président d’une association de jeunes couturiers, estime qu’un type de
remboursement adapté à leurs flux de revenus, notamment à chaque lendemain de ces
événements, serait sans doute beaucoup plus simple et efficace, et pour l’IMF et pour
les couturiers. Il permettrait à ces derniers d’être plus réguliers aux remboursements et
avec moins de difficulté, ce qui tend à diminuer le risque de non remboursement et les
recouvrements. BAOBAB a fait des efforts non négligeables sur ce point, en mettant en
215
place depuis bientôt deux ans un service destiné spécifiquement aux agriculteurs. Il
s’agit du crédit agricole. Même si le produit est encore en phase test, il est globalement
bien apprécié chez les agriculteurs. En effet, avec le crédit agricole, le client agriculteur
bénéficie d’une période de grâce qui peut aller de trois à huit mois, durant laquelle il ne
rembourse que les intérêts mensuels. Arrivé à la dernière échéance, le client rembourse
la totalité du capital. Ce type de remboursement, bien qu’intéressant parce qu’il permet
au client de bénéficier d’une période de grâce d’au moins trois mois, durant laquelle il
peut rentabiliser le financement obtenu, présente néanmoins quelques inconvénients.
Par exemple, le fait que le client doive rembourser tout le capital en une seule fois pose
problème. Pour les montants de crédit élevés, les clients peuvent rencontrer des
difficultés à honorer leurs engagements, surtout dans un contexte où les prix du marché
sont très volatiles pour les denrées de première nécessité. Même dans les cas où de
nouveaux produits sont mis en place, dans le but de répondre à des contraintes
spécifiques, on constate que les IMF ont parfois du mal à adapter complétement le
produit aux besoins de ses clients. On peut constater cela sur le crédit agricole,
notamment lorsque le client souhaite solder son crédit avant l’échéance prévu dans le
contrat initial, où l’IMF lui exige de payer une taxe supplémentaire globale de 10% du
montant encore dû. La situation peut être décrite comme suit.

Prenons par exemple un agriculteur qui prend un crédit agricole de 10'000 $ US


(500'000 FCFA), à rembourser dans huit mois, avec un taux d’intérêt de 17%. Si on fait fi
des autres frais comme les frais d’ouverture de compte, de décaissement et
d’assurance, le client devra payer un intérêt global de 1700 $ sur huit mois, ce qui lui
fait 212,5 $ par mois. Au huitième mois, il versera en plus des 212,5 $, le capital
initialement emprunté.

Pour les agriculteurs, le problème se pose lorsque pour différentes raisons ils souhaitent
solder leur crédit avant le terme du contrat, pour éventuellement prendre un nouveau
crédit. Supposons qu’au bout de sept mois, l’agriculteur fait des récoltes qui lui
permettent de solder et de reprendre un nouveau crédit d’urgence. Dans ce cas, il lui
est appliqué une taxe de 10% sur le montant du capital encore dû. Ce qui correspond à
1’000 $, car le capital emprunté doit être remboursé à la dernière échéance. Donc

216
finalement, l’agriculteur devra payer en tout 12'487,5 $ pour pouvoir solder son crédit à
un mois du terme du contrat, contre 11'700 $ s’il attend la fin du contrat initialement
établi à huit mois.

Le principal problème dans cet exemple de crédit agricole, que rencontrent beaucoup
de clients qui sont à leur premier essai, n’est pas la taxe des 10%, du moins dans la
forme. Mais c’est surtout dans l’application de la taxe. En effet, la taxe des 10%38 a été
mise en place pour recouvrer une partie des gains perdus à cause de l’anticipation de
remboursement sur le capital restant. Mais vu que la mesure était surtout développée
pour les crédits commerciaux, le client ne perdait pas au final parce qu’après quelques
mois de remboursement, une bonne partie du capital emprunté est déjà remboursé. Ce
faisant, pour l’activité commerciale, la taxe des 10% ne s’applique que sur un montant
infime du capital, qui est celle restant après plusieurs remboursements. Si nous
reprenons le même exemple précédent, supposant qu’il s’agit cette fois-ci d’un crédit
commercial du même montant et pour la même durée, le client commerçant devra
rembourser chaque mois 1'462,5 $. Si au bout de sept mois il souhaite solder son crédit,
contrairement dans le cas du crédit agricole, le montant du capital encore dû est de
1'25039 $. Ainsi la taxe des 10% s’applique sur les 1'250 $ restant. Au final, si le
commerçant souhaite solder au bout de sept mois, il aura payé en tout 11'612,5 $
contre 12'487,5 $ pour l’agriculteur. L’initiative du crédit agricole développée à BAOBAB
est novatrice, mais elle reste incomplète et inadaptée, dans la mesure où la logique de
différenciation entreprise ne va pas jusqu’au bout de la procédure de financement et de
remboursement.

D’autres sources d’incompatibilité sont aussi identifiées, au-delà des remboursements.


Prenons par exemple les types de financements disponibles pour les clients. Quel que
soit le secteur d’activité du client et le motif du financement demandé, il y a une durée
minimale de remboursement total du crédit qui tourne autour de six mois. Autrement
dit, le client couturier ou agriculteur, qui souhaite un financement d’urgence à
rembourser dans les deux ou trois mois qui suivent se trouve dans l’impossibilité de

38
La valeur peut varier d’une IMF à l’autre.
39
Pour les sept premiers mois, il a fait un versement mensuel de 1'462,5 $, y compris un intérêt mensuel
de 212,5 $. Donc le capital déjà remboursé après de six mois est de 8’750 $.
217
solder son crédit courant pour éventuellement en reprendre un autre, du fait que la
règle générale appliquée dans les IMF est que le crédit doit au minimum durer six mois
pour certaines IMF et plus pour la plupart des autres IMF. Cette pratique s’explique du
fait que les intérêts reçus par les IMF sont appliqués sur le montant du capital encore
dû. Par conséquent plus le crédit dure dans le temps, plus il apporte au prêteur. Sans
vouloir remettre en cause la logique des IMF derrière cette pratique, qui consiste à
rentabiliser les opérations de crédit à très court terme, on peut imaginer que des types
de financements spécifiquement réservés aux crédit d’urgence pourraient tout à la fois
s’adapter aux besoins des clients et être profitables à l’IMF.

7.2.5 Synthèse par rapport à l’hypothèse 2


Le problème de la standardisation des produits et des services offerts par les IMF est
réel dans le secteur de la microfinance. Elle peut être mise en évidence à travers la
relation contractuelle entre l’IMF et son client, mais aussi à travers d’autres circuits
moins officiels pouvant par exemple exister entre l’agent de crédit et le client. Dans nos
entretiens, on aperçoit, parfois avec étonnement, que l’inquiétude dominante des
clients n’est pas toujours le coût du crédit, loin sans faut, mais surtout les conditions et
les modalités dans lesquelles les financements sont accordés. Développer des produits
adaptés aux contraintes spécifiques des secteurs d’activité peut d’une certaine manière
entraîner des coûts supplémentaires, mais peut aussi permettre en même temps de
réduire le risque encouru par le crédit. Au-delà de la question financière immédiate,
notamment sur le dilemme coût marginal et avantage marginal induit par le
développement de nouveaux produits, il y a la question de la satisfaction de la clientèle
qui est au cœur des nouvelles stratégies de marketing dans la microfinance moderne.
Déjà en 2005, Guérin soulignait que les IMF gagneraient davantage à mieux intégrer
dans leurs stratégies de développement la satisfaction des besoins des clients, car
l’accès aux financements ne doit pas être une finalité. Selon toujours cette dernière
c’est d’ailleurs à ce niveau que la finance informelle se distingue de la microfinance
comme de la finance classique. Elle a la faculté de s’adapter aux besoins et aux
contraintes du client, notamment par sa flexibilité, ce qui très souvent fait défaut à la
microfinance telle que pratiquée dans la plupart des IMF. Par conséquent, si aux
origines de la microfinance le maintien d’un système financier basé sur des produits
218
standards et faciles à gérer se justifiait, aujourd’hui les IMF doivent passer à une
nouvelle étape parce qu’il reste des besoins importants à couvrir, et aussi parce que la
demande de la clientèle d’aujourd’hui évolue plus rapidement. La diversité des forces
en présence, aussi bien dans le secteur formel que dans le secteur informel, les
opportunités et les contraintes que présente chaque secteur d’activités font qu’au-delà
de cette volonté de toucher le maximum de personnes à faible revenu, il devient
important pour les IMF de s’assurer que leurs offres tiennent compte des besoins
spécifiques des populations bénéficiaires, qu’elles soient en ville ou en campagne. Ainsi,
à la question des stratégies développées pour toucher le maximum de personnes dans
les pays en développement, viennent s’ajouter d’autres questions, notamment axées
sur la diversité des produits offerts aux clients.

7.2.6 Conclusion pour l’hypothèse 2


L’évolution du secteur de la microfinance a montré que le paradigme originel de la
microfinance qui d’une certaine manière se limitait à l’accès au crédit standard doit
évoluer pour tendre vers des services plus divers et plus appropriés. Les crises répétées
de la microfinance dans les années 2000 dans plusieurs régions en développement
(Bolivie en 2000, Nicaragua en 2008, Maroc en 2009) ont soulevé la question
fondamentale sur l’importance unilatérale accordée au crédit standard, initialement
consacré aux activités commerciales (Mader et Morvant-Roux, 2019). L’idée de base sur
laquelle sont partis les acteurs de la microfinance, du moins jusqu’aux années 2000,
était que la diversification des produits et services offerts n’était pas forcément un
besoin pour les personnes à faible revenu et implique des coûts qui risquent d’exclure
une frange importante de potentiels clients. Or, plusieurs études ont montré par la
suite que c’est surtout un problème de qualité de service lié en grande partie au
manque de diversité dans les offres des IMF (Collins et al.2009). L’expérience de la
microfinance a fini par montrer que les personnes à faible revenu sont capables
d’utiliser et de payer pour des produits financiers jugés coûteux si cela leur convient, en
termes de qualité et de calendrier de remboursement, ce qui remet la microfinance au
centre des politiques d’inclusion financière, faisant du microcrédit un produit parmi tant
d’autres offerts par les IMF.

219
L’analyse de l’hypothèse 2 montre qu’une des évolutions du secteur de la microfinance
reste incontestablement le besoin de plus de diversité dans l’offre des IMF. Cette
évolution s’explique, entre autre, par deux choses. D’une part, malgré la croissance du
secteur, il reste des besoins financiers importants à couvrir, notamment dans les pays
en développement, où l’on estime que plus d’un milliard de personnes potentiellement
clientes n’a pas accès aux produits et services de la microfinance. D’autre part, les
exigences et la demande de la clientèle actuelle de la microfinance évoluent. Elle passe
de services basiques tels que le crédit et l’épargne sous des formes standards, à des
services plus diversifiés tels que la micro-assurance dans plusieurs formes, le crédit à la
consommation, le crédit au logement, l’avance sur récolte à court terme, bref à des
produits qui tiennent compte des contraintes spécifiques des activités financées.

S’il est vrai qu’aujourd’hui les IMF exerçant en Afrique subsaharienne disposent d’une
certaine marge de manœuvre dans la diversification et dans la différenciation des
produits et services qu’elles proposent, dans les années à venir la situation va très
probablement changer. La situation actuelle s’explique par beaucoup d’éléments
combinés tels que la situation de quasi-monopole de certaines IMF dans des localités
parfois reculées, mais aussi et beaucoup par le bas niveau de formation des clients.
L’expérience sur le terrain montre que dans certains cas, les personnes à faible revenu
ignorent leurs droits et les obligations des IMF en leur faveur, laissant aux IMF une
totale liberté dans l’exercice de leurs fonctions. Les méthodes de recouvrement illégales
(dénonciation auprès de la famille ou du voisin, saisie de biens de production ou même
vivriers, emprisonnement40 dans certains cas, etc.) utilisées contre les clients qui sont
en retard de remboursement, en sont une illustration. Cette situation n’est que le reflet
du contexte dans lequel fonctionnent les IMF, un milieu où une personne sur deux ne
sait pas communiquer dans les langues officielles de la région et vit en dessous du seuil
de la pauvreté. Cette situation, due en grande partie à un niveau de formation bas, à
une expérience faible en matière de crédit, mais aussi à une vulnérabilité omniprésente
devrait s’améliorer dans un proche avenir. D’après la Banque Africaine de

40
Des cas où des agents de crédit ont réussi arbitrairement à faire emprisonner des clients qui sont en
retard de remboursement ont été observés au Sénégal. Selon les agents de crédit, les emprisonnements
ne dépassent jamais quelques heures de la journée, et restent un moyen de faire peur au client, dans le
but de trouver une solution.
220
Développement (2013), en 2030, près de 40% de la population d’Afrique subsaharienne
aura entre dix ans et vingt-neuf ans, avec un taux d’alphabétisation qui aura atteint
80%. Dans la même étude, la BAD estime qu’en Afrique subsaharienne la classe
moyenne représente 34% de sa population (en 2013), et devrait augmenter en nombre
d’ici 2030. On s’attend à une population très jeune, de plus en plus formée et exigeante
en termes de qualité et de diversification des produits et des services. La nouvelle
configuration du marché ces prochaines années, avec une expression plus marquée des
besoins divers et une meilleure concurrence dans le secteur, va sans doute inciter les
opérateurs à une meilleure connaissance des besoins de leur clientèle. Celle-ci devra
nécessairement passer par l’octroi de services divers et adaptés aux populations à
modeste revenu tels que les services agricoles qui concernent plus de 60% de la
population d’Afrique subsaharienne, mais aussi le financement de l’accès au logement,
dont ont besoin plus 200 millions de personnes à bas revenus (Attali, 2014).

En outre, compte tenu de l’importance du secteur agricole dans les régions en


développement, notamment en Afrique, les secteurs d’activités à faible valeur ajoutée,
tels que l’agriculture et l’élevage, doivent être mieux intégrés dans les cibles prioritaires
de la microfinance pour non seulement mieux impacter les secteurs dans lesquels on
retrouve le plus de personnes défavorisées, mais aussi proposer aux acteurs des
produits qui tiennent compte de leurs contraintes sectorielles, complétement
différentes des activités commerciales.

221
7.3 Controverse sur le niveau « élevé » des taux d’intérêt dans les IMF
H3 : « Le niveau élevé des taux d’intérêt sur le marché de
la microfinance s’explique en grande partie par
l’importance des marges bénéficiaires41 appliquées par les
IMF sur chacune de leurs opérations de crédits.

L’analyse des pratiques des IMF dans le secteur de la microfinance sénégalaise, mettant
l’approche commerciale au cœur des stratégies utilisées pour servir une clientèle à
faible revenu, amène une autre question qui suscite de plus en plus de controverse. Il
s’agit de la question du niveau général des taux d’intérêt, devenue préoccupante dans
l’industrie de la microfinance. Elle continue à susciter débats et polémiques dans un
secteur relativement jeune mais marqué par des crises de plus en plus fréquentes.
Après quelques années marquées par une forte croissance dans les pays en
développement, certaines pratiques de la microfinance sont remises en question à
travers des aspects complexes parmi lesquels figurent les taux d’intérêt appliqués par
les IMF, jugés trop élevés par rapport aux prix du marché.

7.3.1 La problématique des taux d’intérêt


Aux controverses classiques vient s’ajouter le débat sur les taux d’intérêt pratiqués par
les institutions de microfinance sur leurs clients. Pendant longtemps les praticiens de la
microfinance ont assuré que les taux d’intérêt ne constituaient pas un obstacle pour les
emprunteurs, et que la priorité était l’accès au crédit. Une étude de Waruiru (2011)
réalisée sur la microfinance au Kenya aborde la question dans ces termes : « Defenders
of commercial microcredit claim that access to credit is more important than the cost of
credit, and that the mere fact of steady growth in the number of clients willing to pay
the high interest rates is proof that microfinance provides a valuable service» (Waruiru,
2012, p.13). D’autres auteurs (Fouillet, 2010 et Fall, 2011) estiment que beaucoup de
difficultés rencontrées dans le secteur sont liées d’une façon ou d’une autre aux taux
d’intérêt élevés dans le secteur, surtout par rapport à sa clientèle cible. La discussion
sur la problématique du niveau élevé des taux d’intérêts appliqués par les IMF peut être

41
La marge bénéficiaire correspond à la part relative des bénéfices dans le taux d’intérêt
222
dès lors résumée en une question centrale : Les taux appliqués par les IMF sont-ils
justifiés par les coûts du marché de la microfinance ?

Pour avoir plus de précisions sur ces questions, nous allons nous intéresser dans la
partie qui suit à la structure des taux d’intérêt dans le secteur de la microfinance et à
ses composantes. Une analyse détaillée de ses composantes et de leurs évolutions dans
32 IMF sénégalaises devrait fournir un éclairage important sur cette problématique très
complexe qui selon certains remet en cause la justification éthique et morale de la
microfinance.

Figure 2: Évolution du taux d'intérêt par rapport à l’actif dans les IMF au Sénégal

223
Tableau 4: Fréquence des taux d'intérêt utilisés selon le statut de l'IMF (1997-2013)

Niveaux des taux d’intérêt 0-0.15% 15%-20% 20%-30% 30%-50%

Mutuelle et Coopérative 12,%7 17% 56% 14,%3

Banque 0 0 38,6% 61,4%

ONG 100% 0 0 0

Comme nous pouvons le voir sur le tableau 4 et sur la figure 2, le taux d’intérêt moyen
utilisé dans le secteur de la microfinance au Sénégal n’a pratiquement pas varié en
terme réel durant la dernière décennie. De 2003 à 2014, il est resté quasiment stable
autour de 27%. Par contre, le tableau 4 montre assez clairement que le taux d’intérêt
moyen du secteur cache des disparités importantes entre les IMF selon leur statut,
d’autant plus qu’il faudrait prendre en compte que le nombre d’IMF varie d’une année à
l’autre, et que ce ne sont pas forcément les mêmes IMF qui sont représentées entre
deux années consécutives sur la figure 2. Autrement dit, la figure 2 est surtout utile
pour nous donner un panorama généralisé du secteur de la microfinance au Sénégal
dans une période relativement longue, mais les résultats observés peuvent
constamment varier d’une année à l’autre. Se basant sur les données disponibles, on
constate que c’est dans les ONG que l’on retrouve les taux d’intérêt les moins élevés,
suivis respectivement par les Mutuelles et Coopératives, et enfin par les banques. Ainsi,
sur l’ensemble des IMF sous forme d’ONG recensées au Sénégal, aucune d’entre elle
n’utilise un taux d’intérêt annuel supérieur à 15%, alors que 56% des Mutuelles et
Coopératives utilisent des taux variant de 20% à 30%, et plus de 60% des banques
utilisent des taux supérieurs à 30% annuels. Dans les coopératives et mutuelles, nous
avons un taux d’intérêt annuel moyen de 25%, avec une valeur médiane de 21%. Bien
que ces dernières soient inférieures à la moyenne générale dans le secteur, elles
montrent le poids non négligeable des coopératives et mutuelles. Comme nous allons le

224
voir plus tard, dans la section réservée aux coûts des ressources financières, les types
d’organisation impactent principalement le taux d’intérêt. Le principe de
fonctionnement des mutuelles et des coopératives est de s’autofinancer à partir des
dépôts des clients membres, sans redistributions de profits. Tous les profits réalisés
restent dans l’institution et sont réutilisés pour les besoins de l’IMF, notamment dans le
développement et la subvention de nouveaux services moins rentables. Contrairement
aux mutuelles et coopératives, les banques de microfinance sont obligées de se
refinancer sur le marché financier, car leurs fonds propres couvrent en moyenne moins
de 25% de leurs besoins de financement (Direction de la microfinance, 2015). Elles se
refinancent auprès des banques classiques et autres institutions financières comme les
groupes d’assurances ou de gestion de fortune à des taux annuels pouvant aller jusqu’à
7%. À cela s’ajoute la meilleure expérience dont disposent les coopératives et mutuelles
dans le secteur de la microfinance, qui font encore défaut aux banques de microfinance
dont les plus anciennes au Sénégal ont été créées en 2007. Quant aux ONG, elles sont
généralement à but non lucratif. Installées le plus souvent dans les zones défavorisées,
notamment dans les banlieues et dans le monde rural, elles sont financées à partir de
dons et de subventions et non assujetties à l’impôt. La part des dépenses
administratives et opérationnelles, pour plusieurs raisons que nous allons évoquer dans
la section réservée à la structure des taux d’intérêt, impacte aussi le niveau du taux
d’intérêt et est plus importante dans les banques de microfinance que dans les autres
types d’IMF.

Dans les années 1970, si l’arrivée du microcrédit était conçue comme un moyen de
combattre les taux d’intérêt de la finance informelle jugés usuraires, quatre décennies
plus tard, l’impression que les clients des IMF sont encore victimes de taux d’intérêt
trop élevé et parfois abusifs reste largement partagée. Dans une étude réalisée au
Kenya, Edouard Totolo affirme que « Respondents reported problems with excessively
high interest rates and the general terms and conditions attached to MFI loans »
(Totolo, 2015, p.12). Les taux d’intérêt appliqués par les IMF sur les crédits constituent
donc toujours un souci majeur pour les personnes à faible revenu. Face aux
nombreuses interpellations formulées sur le secteur et notamment sur ses taux
d’intérêt pratiquement constants durant la dernière décennie, l’UMOA a décidé de
225
forcer la main aux IMF, en baissant le plafonnage du taux d’intérêt annuel dans le
secteur depuis le premier janvier 2014, faisant passer ce taux de 27% à 24%. Dans la
même période, les taux d’intérêts pour l’octroi de crédit dans les banques classiques
sont plafonnés par l’UMOA à 15%. Le plafonnage des taux d’intérêt suscite une grande
interrogation dans le secteur parce qu’elle suppose que les IMF, tout en restant
rentables, peuvent utiliser des taux d’intérêt inférieurs à 24%, et indépendamment de
leur statut. Pour répondre à cette problématique, l’analyse de la structure du taux
d’intérêt dans le secteur de la microfinance et son évolution nous sera sans doute très
utile. Dans les sections ci-après, nous essayons de déterminer avec les données du MIX
et celles récoltées sur le terrain, si les taux appliqués par les IMF sont justifiés par la
nature du marché et ses spécificités telles que sa structure, ou plutôt par l’introduction
d’une marge bénéficiaire trop élevée.

7.3.2 Structure des taux d’intérêt


Il semble important de faire d’abord une distinction entre les différents types de taux
d’intérêt que l’on peut retrouver dans les IMF que sont le taux de rendement effectif
(TRE)42 et le taux effectif global (TEG)43. Par la suite, nous verrons que pour comparer ce
que remboursent réellement les emprunteurs pour un crédit accordé par une IMF,
l’indicateur TEG est plus fiable que le TRE car il prend en compte des paramètres qui
sont ignorés dans le TRE, comme les dépôts obligatoires après un crédit, par exemple
l’épargne forcée, qui consiste à imposer au client emprunteur d’épargner une partie du
crédit qui lui est octroyé. Cette pratique a pour effet d’augmenter le taux d’intérêt
effectif global car l’obligation d’épargne réduit le montant du décaissement net que
l’emprunteur peut utiliser alors qu’il verse des intérêts sur le montant total du prêt.
Considérons l’exemple ci-après pour mieux comprendre.

Imaginons un crédit de 1'000 FCFA qui produit des intérêts totaux de 200 FCFA. On peut
alors estimer le taux de rendement effectif à 20%. Supposons maintenant que pour le

42
Il correspond à l’ensemble de tous les revenus disponibles dérivés des prêts (intérêts,
commissions, autres frais de crédit) en pourcentage du portefeuille de prêts bruts du prêteur.
43
Il « tient compte du montant et de la séquence chronologique de tous les flux de trésorerie
associés au prêt, y compris les éléments clairement considérés comme des intérêts ou le
principal, mais aussi tous les autres frais ou commissions ainsi que les dépôts obligatoires qui
conditionnent le prêt » (Rosenberg et al, 2013, p.4)
226
même crédit, l’IMF a obligé le client bénéficiaire à faire un dépôt obligatoire de 100
FCFA sur les 1'000 FCFA accordés. À partir de ce moment, la valeur du TRE ne change
pas, elle reste 20%, par contre le TEG sera de 22.22%, car il ne prend compte que le
crédit productif (1'000 FCAF – 100 FCAF). Il s’avère incontestablement que le TEG
reflète mieux le coût du crédit auprès du client emprunteur. Mais à défaut de disposer
de toutes les informations nécessaires pour le calculer, la plupart des organisations qui
travaillent dans la microfinance utilisent le TRE, comme le MIX et le CGAP.

L’objet de cette partie n’est pas de dire si les activités financées permettent
véritablement aux personnes à faible revenu de rembourser ou non leurs crédits, mais
plutôt d’analyser les fondements des taux d’intérêts très souvent jugés abusifs et ne
reflétant pas la réalité du marché, donc le coût du crédit.

Les données portent essentiellement sur la structure du taux d’intérêt débiteur utilisé
dans les IMF, donc appliqué sur les clients emprunteurs. Pour se conformer aux
techniques et normes utilisées par le MIX et le CGAP dans le calcul d’indicateur de la
microfinance, nous travaillons sur la structure utilisée par ces deux institutions pour le
calcul du taux d’intérêt. Cette structuration nous paraît pertinente parce qu’elle fait
ressortir en détail les différentes composantes du taux d’intérêt, ce qui n’est pas le cas
dans une formule plus agrégée. Ainsi nous aurons une formule comme suit :

Revenu des prêts =

coût des ressources financières

+ charges d’exploitation

+ dotation aux provisions pour créances douteuses

+ bénéfice

Dans cette formule, le revenu des prêts est assimilé au taux d’intérêt pratiqué par les
IMF, qui en principe leur permet de couvrir toutes leurs charges, en plus du bénéfice
qu’elles se sont fixé comme objectif.

Les résultats que nous allons présenter proviennent de deux sources. La première est
tirée d’enquêtes effectuées par le MIX auprès de 32 IMF au Sénégal, couvrant la

227
période 1997-2014. La seconde provient d’une enquête qualitative pour les besoins de
la présente thèse auprès de deux grandes IMF (BAOBAB et PAMECAS) durant la période
2014-2018.

7.3.3 Coûts des ressources financières


En dehors des subventions qui deviennent de plus en plus rares, les fonds qu’utilisent
les IMF pour financer leurs clients demandeurs de crédit proviennent pour la plupart de
deux sources. Il s’agit de fonds propres ou de dettes contractées auprès des tiers. Les
fonds propres sont des capitaux qui proviennent des actionnaires de l’IMF. Dans cette
étude, on peut estimer que le coût des fonds propres, comparé aux capitaux
empruntés, est pratiquement gratuit pour l’IMF car elle peut les utiliser sans aucune
contrepartie sous forme d’intérêt, sauf au cas où elle réalise un bénéfice comptable à la
fin de l’année. Quant aux capitaux empruntés, ils constituent la dette, et l’IMF doit les
rembourser, majorés d’un service de la dette sous forme de charges d’intérêt à verser
aux créanciers. Toutes les charges et tous les frais induits par ces capitaux provenant
des créanciers de l’IMF sont appelés ici coûts des ressources financières, qui comme les
taux d’intérêt, varient selon le statut de l’IMF.

Figure 3: Évolution du coût des ressources financières par rapport à l’actif dans le
secteur de la microfinance au Sénégal entre 1997 et 2013

228
Figure 4: Évolution du coût des ressources financières par rapport à l’actif à PAMECAS

Figure 5: Évolution du coût des ressources financières par rapport à l’actif à BAOBAB

De façon générale, les coûts des ressources financières dans le secteur de la


microfinance ont sensiblement augmenté durant la dernière décennie, passant de 1,5%
à 4% des actifs entre 2003 et 2013. Hormis l’année 199944, la valeur maximale a été
atteinte en 2002 (5.2%). Sans être catégorique, nous estimons que le pic soudain
enregistré en 2002 peut être expliqué par une réaction du marché suite à la décision de
l’UMOA de normaliser le secteur, notamment avec l’introduction de nouvelles
exigences, telles que les critères de rentabilité et de transparence. On constate qu’à

44
L’échantillon petit à n = 2 peut aussi expliquer en partie le pic de 1999.
229
PAMECAS aussi on enregistre une hausse soudaine dans la même année qui de façon
globale s’est poursuivie dans la période précédente. La hausse généralisée des coûts
des ressources financières constatée durant ces dernières années sur le marché de la
microfinance s’explique en partie par une reconfiguration du secteur, qui passe d’un
secteur lourdement subventionné à un secteur de moins en moins subventionné. Elle
s’explique également par la hausse du coût des ressources pour les prêteurs qui font
appel aux emprunts commerciaux pour compléter leurs fonds subventionnés, parce que
ces derniers ne sont plus suffisants pour faire face à la demande de crédit (Rosenberg et
al., 2013). La situation financière dans le reste du monde a aussi son impact. On
constate que depuis 2007, l’année de la crise financière, les taux d’intérêt ont
tendanciellement augmenté, surtout au niveau des IMF bancaires qui se refinancent sur
le marché financier international. Des données récoltées sur le terrain montrent qu’au
Sénégal, quel que soit le statut de l’IMF, la recherche de refinancement à bon prix pour
satisfaire la demande de crédits des clients peut s’avérer difficile et coûteuse, comme
nous pouvons le voir dans le tableau ci-après.

Tableau 5: Distribution des sources de financement et leurs coûts respectifs à PAMECAS


et à BAOBAB (2014-2018)

Financement provenant Financement provenant Financement provenant des


de l'épargne d'ONG banques classiques

Coût Couverture Coût Couverture Coût Couverture

4% 40% 7% 10% 11% 50%

Les enquêtes réalisées à PAMECAS et BAOBAB montrent que la situation en termes de


coûts de financement n’a pas beaucoup évolué dans la dernière décennie. Elles
montrent que la collecte de fonds pour le financement des crédits pèse un certain
poids, parfois même très lourd pour les IMF. Ces IMF disposent de trois moyens
principaux pour lever des fonds sur le marché sans faire appel à une recapitalisation par
leurs actionnaires :

1. Il y a d’abord la collecte de l’épargne qui de loin est la moins chère. L’épargne


collectée couvre en moyenne 40% des besoins de fonds dans ces deux IMF et
leur coûte en moyenne 4%.

230
2. Ensuite, nous avons les financements provenant d’ONG partenaires, lesquels
peuvent être utilisés par les IMF bénéficiaires à un prix moyen de 7%. En
moyenne, cet argent provenant d’ONG couvre 10% des besoins de liquidité des
deux IMF.
3. Enfin, il y a les lignes de crédits dont bénéficient les IMF auprès des banques
commerciales. Ces dernières, qui sont relativement plus chères que les deux
précédentes, permettent en moyenne aux IMF de couvrir 50% de leurs besoins
de liquidité et leur coûtent en moyenne 11%.

Un calcul de pondération à partir des données recueillies sur les ressources


financières à PAMECAS et à BAOBAB donne un coût moyen annuel de 7,8%. Par
ailleurs, le Sénégal étant membre de l’UMOA, le taux d’intérêt annuel pouvant être
appliqué par les IMF sur les crédits qu’elles octroient est plafonné à 24%. Cela
signifie qu’aucune IMF ne peut appliquer un taux d’intérêt supérieur à ce plafond.
Pour les IMF jugées matures au Sénégal que sont PAMECAS, BAOBAB, CMS et ACEP,
le problème ne se pose pas, du moins pour le moment. En 2016, parmi ces quatre
géants du marché sénégalais, le taux d’intérêt annuel le plus élevé pratiqué a été
celui de BAOBAB, avec 23,76%. Si on y enlève le coût du crédit estimé à 7,8%,
BAOBAB considérée comme étant l’IMF la plus rentable au Sénégal en 2015 se
retrouve avec une marge hors coûts de fonctionnement de 15,96%. Contrairement
à ce que l’on observe actuellement sur les marchés financiers des pays développés,
le coût du crédit est encore élevé, voire très élevé dans les pays en développement,
et plus encore pour les IMF, comme le confirme une étude du MIX : « A large
portion of an MFI’s funds are sourced from commercial banks and the cost of these
funds is the market interest rate. In fact, this financial expense, combined with the
fees paid on such loans and deposits taken from the public, account for 23% of the
interest rate charged by profitable microfinance providers » (MIX, 2018). La nouvelle
configuration du secteur, de moins en moins subventionné, expose les IMF à devoir
se refinancer aux prix du marché, ce qui a tendance à se répercuter sur le niveau
des taux d’intérêt.

231
7.3.4 Charges d’exploitation
Les charges d’exploitation correspondent aux coûts liés directement aux activités de
crédit comme la rémunération du personnel, les fournitures de matériel, l’entretien des
locaux, les frais de déplacement et autres charges liées au fonctionnement des activités
de crédit. Le graphique ci-après montre l’évolution des charges d’exploitation dans les
IMF45.

Figure 6: Évolution des charges d'exploitation par rapport à l'actif dans les IMF au
Sénégal entre 1997 et 2013

Figure 7: Évolution des charges d'exploitation par rapport à l'actif à PAMECAS

45
Le nombre d’IMF prises en compte dans ces figures varie selon les années, excepté celles concernant
BAOABAB et PAMECAS.
232
Figure 8: Évolution des charges d'exploitation par rapport à l'actif à BAOBAB

Les charges d’exploitation correspondent à ce qu’on pourrait qualifier ici de train de vie
des IMF. Ce dernier est assez variable et dépend des choix de politiques mis en place
par les IMF, mais se situe le plus souvent dans une fourchette de 10 à 20% de l’actif des
IMF dans la zone d’Afrique de l’Ouest (Rosenberg et al ; 2013). Les charges de
fonctionnement et de personnel sont de loin le facteur de coût qui pèse le plus lourd
sur la composition du taux d’intérêt. Sur plus de 800 IMF enregistrées au MIX, elles
représentent en moyenne 52% des taux d’intérêt pratiqués par les IMF et 13% du
portefeuille de crédit des IMF, absorbant dès lors la majorité des revenus des IMF, et à
ce titre elles constituent le principal élément déterminant le taux dont s’acquittent les
emprunteurs. Pour un cadre de BAOBAB, le niveau élevé des charges d’exploitation
dans le paysage de la microfinance au Sénégal s’explique en partie au coût de la vie qui
est un des plus élevés dans la sous-région.

« Dakar, fait partie des 5046 villes où le niveau de vie est le plus
cher au monde. Donc c’est pour te dire qu’en Afrique de l’ouest
c’est très difficile d’être rentable dans la microfinance avec un
taux d’intérêt limite de 24% annuel. Parce qu’il faut avoir un
système informatique très robuste, alors qu’ici au Sénégal le coût
de l’informatique est l’un des plus cher au monde, les salaires

46
Cette information est basée sur un classement des métropoles les plus chères intitulé « cost of living
rankings » effectué en 2013 par le Cabinet ECA International, dans lequel Dakar figure à la 47 e place. À
noter que ce classement évolue constamment. En 2017, Dakar est passé à la 79e place dans ce même
classement.
233
sont relativement très élevés, la location est aussi très chère,
l’électricité est encore très chère. Par exemple, la facture
d’électricité de BAOBAB de ce mois de (décembre 2016) est de 14
millions de FCFA (28'000 $). C’est une des raisons qui font qu’il y a
pas mal d’IMF qui font faillite dans la sous-région. Comparé à un
autre pays comme Madagascar, ici au Sénégal la limite du taux
c’est 24%, alors qu’à Madagascar la limite est fixée à 50% »
(Cadre à BAOBAB, 51 ans)

Dans les années 1990, période où les taux d’intérêt de la microfinance étaient plus
élevés et tournaient autour de 30%, nombreux sont ceux qui espéraient une baisse
rapide en se fondant sur l’hypothèse selon laquelle une plus solide expérience des IMF
dans le secteur d’activité permettrait à ces dernières de gagner en maturité, ce qui
devrait se traduire par une meilleure efficacité dans la gestion des charges
d’exploitation. Certaines grandes IMF comme PAMECAS et BAOBAB ont connu cette
phase de décroissance des coûts d’exploitation à des degrés différents (voir figures 7 et
8). Mais pour autant, l’analyse de la courbe d’évolution des charges d’exploitation dans
le paysage de la microfinance au Sénégal montre que la baisse n’est pas systématique
au niveau général. En théorie économique néo-classique, on admet que les entreprises
jeunes ont tendance à avoir des coûts d’exploitation de plus en plus faibles au fur et à
mesure qu’elles gagnent de l’expérience dans leur domaine. Mais cette phase n’est pas
continue, elle concerne généralement la période qui suit l’implantation de l’entreprise
et correspond à ce qu’on appelle la phase d’apprentissage. Vient ensuite une période
où il devient plus compliqué pour les entreprises de continuer à baisser leurs coûts
d’exploitation parce que leur marge de manœuvre sur le gain d’expérience aura été
épuisée. À partir de là, c’est la capacité d’accéder à d’autres marchés ou le
développement technologique qui permet d’entamer une nouvelle phase de baisse des
coûts d’exploitation. Dans le cas du marché sénégalais de la microfinance, la situation
est plutôt inversée, car les charges liées au fonctionnement et à l’exploitation ont
d’abord connu une tendance haussière d’une dizaine d’années avant de connaître une
baisse à partir de 2012. L’évolution du secteur de la microfinance durant cette période
ne s’est pas accompagnée d’une meilleure efficacité dans la gestion des opérations liées
234
au fonctionnement des IMF. La nouvelle reconfiguration du secteur, qui depuis les
années 2001, devient de moins en moins subventionné, est en effet une des
explications de cette évolution. Une autre explication pertinente et plausible est une
éventuelle saturation sectorielle de la microfinance. Elle concerne surtout le milieu
urbain sénégalais, qui constitue un pôle d’attraction pour les IMF, à cause des
nombreux avantages qu’il procure par rapport aux régions rurales. La concentration des
IMF en milieu urbain entraîne une rude concurrence entre elles dans des périmètres
très réduits et concentrée sur moins de 17% de la clientèle potentielle de la
microfinance (Banerjee, 2015), ce qui ne favorise pas des économies d’échelle et donc
une réduction des coûts, du moins dans l’immédiat.

7.3.5 Dotation aux provisions pour créances douteuses


Pour la plupart des IMF, les crédits accordés ne sont nullement garantis dans le cas où
le débiteur ne parvient pas à respecter son engagement de rembourser la totalité du
montant emprunté. Par conséquent, lorsqu’un client emprunteur est en retard de
remboursements, à partir d’une certaine durée, variable d’une IMF à l’autre mais en
moyenne de 30 jours, la pratique comptable adoptée consiste à évaluer le montant
encore dû et à l’enregistrer sous la rubrique de dotation aux provisions pour créances
douteuses. Cette technique est utilisée pour permettre aux IMF de récupérer ces
montants éventuellement perdus sur le bénéfice avant impôt, du fait qu’ils n’ont pas
été garantis ou assurés en cas de non-remboursement. Durant cette dernière décennie,
les IMF semblent mieux maîtriser leurs pertes sur les créances douteuses, au fil des
années d’expérience acquise sur le terrain. À part l’Inde47 et le Mexique secoués par des
crises répétitives depuis 2008, la plupart des autres régions en développement ont vu
une nette amélioration de la gestion des pertes sur créances. Elles sont passées en
moyenne de 4% à 2% du montant des portefeuilles bruts de crédit des IMF depuis 2009
(MIX, 2018).

47
Suite à une crise du secteur déclenchée en 2008 avec des vagues de non-remboursement, les
pertes de créances sur le marché indien de la microfinance sont passées de 9,7% à 28% entre
2009 et 2011.
235
7.3.6 Qu’en est-il des bénéfices réalisés par les IMF ?
Comme nous pouvons le voir dans la figure ci-après, contrairement au taux
d’intérêt, la part du profit dans le portefeuille des IMF a connu une variation plus
significative. Elle est passée de 5% à presque 1% entre 2000 et 2014, alors que
dans la même période les taux d’intérêt sont restés pratiquement stable.

Figure 9: Évolution du profit réalisé dans le secteur de la microfinance au Sénégal entre


1999 et 2014

La plus forte baisse enregistrée en 2008 pourrait certainement être liée aux effets de la
crise financière. Quand on prend le secteur dans sa globalité, on constate que les
bénéfices48 enregistrés par les IMF sénégalaises sont très faibles, même s’il peut y avoir
des disparités entre les IMF. L’évolution générale du profit dans les IMF par
comparaison à celle du taux d’intérêt montre que le niveau élevé des taux d’intérêt ne
peut être expliqué par une marge bénéficiaire trop importante. Ce point nous paraît
très important parce qu’il apporte un éclairage sur une question centrale dans le
secteur de la microfinance qui porte sur les taux d’intérêt, jugés trop élevés, ne
reflétant pas les coûts de l’activité. Il est nécessaire, voire fondamental, d’aller au-delà
de ce qui paraît comme une évidence dans l’explication des taux d’intérêt, pour mieux
comprendre les contraintes de l’offre de produits de microfinance, telles que le coût
élevé du refinancement, la collecte d’information sur les clients, le niveau élevé des
charges d’exploitations et administratives, etc. La difficulté des IMF dans la recherche

48
À partir de la formule du taux de rendement effectif, le bénéfice est donné par la formule suivante :
Bénéfice = Revenu des prêts - coût des ressources - charges d’exploitation - dotation aux provisions pour -
créances douteuses
236
de refinancement n’est sans doute pas la contrainte la plus importante rencontrée par
les IMF mais elle reste non négligeable. Les rendements moyens enregistrés sur fonds
propres dans le secteur en sont une illustration ; ils sont restés inférieurs à 10% dans la
dernière décennie, excepté l’année 2011 où il a été enregistré un rendement sur fonds
propres de 10,2%. Par comparaison avec le secteur financier classique, notamment les
banques classiques telles que CBAO, BICIS, SGBS ou UBA, le rendement sur fonds
propres des IMF est relativement faible. Ces dernières ont pour la même période atteint
un rendement moyen sur fonds propres de 17%. Sachant que la rentabilité des capitaux
propres (RCP) est calculée selon la formule suivante :

On peut en déduire que les entreprises qui ont plus de capacité à mobiliser des fonds
au-delà de leurs fonds propres sont susceptibles d’avoir des rendements sur fonds
propres plus importants, car elles ont un pouvoir d’endettement supérieur. La capacité
d’une institution financière à mobiliser des fonds dans le marché financier, au-delà
d’autres facteurs, dépend du pouvoir financier de cette dernière, telle que sa crédibilité
sur le marché, son expérience et ses résultats financiers. La plupart des IMF sont actives
dans des secteurs jugés risqués par les acteurs de la finance classique, raison pour
laquelle le secteur est sous-financé. Au Sénégal par exemple, après trois décennies
d’expérience, sur plus de 300 IMF formellement identifiées, seulement quatre d’entre
elles sont considérées matures et financièrement rentables. Cette perception du risque
dans le secteur, qui peut être certes surestimée mais réelle, et à des degrés différents,
constitue un des obstacles pour la capacité des IMF à lever des fonds dans le marché
financier. Elles doivent compter en grande partie sur les fonds apportés par les
actionnaires, sous peine de devoir se refinancer sur un marché ou la perception du
risque se traduit par des taux d’intérêt relativement élevés, et du côté de l’IMF, et du
côté du client emprunteur. Ainsi, le profit réalisé par les IMF ne nous semble pas très
pertinent, du moins pour le moment, pour justifier le niveau des taux d’intérêt dans le
secteur de la microfinance. Une manière de mieux voir cette relation est d’estimer
l’impact qu’aurait le bénéfice sur le taux d’intérêt. Il convient de voir si les taux d’intérêt
élevés des IMF s’expliquent par une marge bénéficiaire élevée dans le contexte actuel
237
de la microfinance, comme beaucoup d’observateurs le pensent. Toutes les institutions
actives dans la microfinance ne sont pas forcément des organismes à but lucratif, même
si les institutions à but non-lucratif ont perdu de la place au cours des dernières années.
Mais dans cette analyse, ce qui nous intéresse, ce sont surtout les institutions à but
lucratif dont la pérennité dépend en grande partie de leur solvabilité, et donc de leur
marge bénéficiaire. Vu la vocation de servir des personnes à faible revenu n’ayant pas
accès à la finance classique, les bénéfices réalisés par les IMF sont parfois critiqués.
Cela conduit parfois à surestimer leur poids relatif dans les taux d’intérêt pratiqués par
les IMF, ce qui parfois diffère de la réalité. Le niveau des marges bénéficiaires reflète
d’une part les choix et politiques mis en place par chacune des IMF par rapport à ses
objectifs et ses priorités, mais aussi la réalité du marché. Si certains estiment que les
IMF ne doivent pas être motivées pas la recherche de profits parce qu’elles ont avant
tout un but social, d’autres pensent qu’il est primordial pour les IMF de dégager des
bénéfices, d’abord pour garantir leur pérennité, et ensuite pour élargir leurs services
afin de toucher le maximum de clients nécessiteux. Elles doivent aussi supporter les
coûts liés à la diversification des produits, devenue une nécessité dans le secteur de la
microfinance. Cette tendance, sans doute la plus partagée dans l’ère moderne de la
microfinance, renforce les doutes légitimes qu’on peut avoir sur l’impact réel de cette
marge bénéficiaire sur les taux d’intérêt débiteurs des IMF.

238
7.3.7 Synthèse par rapport à l’hypothèse 3
L’analyse de la structure du taux d’intérêt et l’évolution de ses différentes composantes
montre un impact relativement faible de la marge bénéficiaire. L’évolution du profit par
comparaison à celle du taux d’intérêt semble plutôt confirmer une part assez
négligeable des bénéfices sur les composantes des taux d’intérêt utilisés dans le secteur
de la microfinance au Sénégal. Sur la figure 3, on voit quelles auraient été les
conséquences d’une baisse considérable des marges bénéficiaires dans les IMF, voire
même leur annulation. Prenons comme exemple l’année 2013 où le taux d’intérêt
moyen était de 25%, avec une marge bénéficiaire correspondante à 2% hors inflation
(figure 9), soit 8% en pourcentage du taux d’intérêt. Dans un scénario extrême où les
IMF ne réalisent aucun profit sur les crédits qu’elles octroient, on constate que les taux
d’intérêt uniquement composés du coût des ressources, des charges d’exploitation et
de la dotation aux provisions pour créances douteuses resteraient quand même élevés
et seraient de 23%. En tenant compte de l’inflation estimée à 0,5% au Sénégal dans la
même période, le taux d’intérêt sans profit s’établirait à 23,5% pour l’année 2013. À
noter que ces chiffres sont des résultats moyens, et qu’il peut exister des IMF qui
réalisent des marges bénéficiaires très importantes en pourcentage du taux d’intérêt.
On constate donc que contrairement à une croyance répandue, les taux d’intérêt très
élevés de la microfinance ne s’expliquent pas, dans la plupart des cas, par la présence
de marges bénéficiaires importantes dans le taux d’intérêt. Ils s’expliquent, du moins en
grande partie, par les autres charges, dont principalement les charges d’exploitations
qui à elles seules constituent plus de 60% du taux d’intérêt appliqué. Le niveau élevé
des coûts de production paraît dès lors comme étant un facteur plus pertinent que celui
de la marge bénéficiaire pour expliquer le niveau des taux d’intérêt dans le secteur de la
microfinance.

239
7.3.8 Conclusion pour l’hypothèse H3
Ce résultat vient apporter une contribution au débat sur l’opportunité de fixer un taux
d’intérêt maximal dans le secteur de la microfinance, comme cela a été fait dans la zone
UMOA depuis 2014. Les analyses ci-dessus montrent qu’une telle pratique peut être
contre-productive car toutes les IMF qui ne parviennent pas à produire des services
financiers à des coûts inférieurs au seuil de 24% sont appelées à disparaître du paysage
de la microfinance. Et même pour celles qui arrivent à se conformer à cette exigence,
l’obligation de pratiquer des taux plus faibles que la moyenne régionale risque de les
conduire à se concentrer uniquement sur les clients les moins vulnérables, donc les
moins pauvres. De ce fait, les IMF vont essayer de diminuer les charges liées au crédit,
en augmentant la taille du crédit moyen au détriment de la clientèle à faible revenu
(Acclassato, 2011). Une étude du CGAP (2004) sur les impacts éventuels de la limitation
des taux d’intérêt en microfinance est encore plus formelle. Elle estime qu’en dépit de
bonnes intentions, la mise en place d’un taux maximal est généralement préjudiciable
aux personnes à faible revenu parce qu’elle rend la création d’IMF plus difficile et pose
problème aux IMF existantes et non encore matures. Quelques expériences montrent
que dans certains cas, les IMF les moins performantes, confrontées à l’obligation de
rester en dessous du taux plafond, se retirent du marché, ou dans le meilleur des cas
gonflent les frais et commissions à la charge des clients, comme ce fut le cas au
Nicaragua en 2004. Suite à une décision de l’État nicaraguayen de fixer le taux d’intérêt
maximal de la microfinance à 8%, les IMF ont adopté une stratégie qui consiste à
compenser une partie de leur manque à gagner par la mise en place de charges et
commissions qui masquent le coût réel du crédit. Une année après cette décision, les
deux tiers des revenus des IMF provenaient de commissions liées à l’octroi de crédit,
bien que le taux plafond soit maintenu à 8% par an (Boyé et al., 2009). Fixer un taux
plafond pourrait sans doute être productif dans le cas où il existerait une marge
bénéficiaire relativement importante dans le taux d’intérêt, mais dans le cas contraire, il
ne peut être que contre-productif, surtout lorsque le taux d’intérêt maximal toléré est
sensiblement proche au coût réel du crédit, voire inférieur dans certains secteurs,
notamment celui de l’agriculture. Le cas du Mali est un autre exemple. Sur les 22 IMF
officiellement enregistrées dans ce pays, deux seulement étaient financièrement viables

240
jusqu’en 2017. Cela peut s’expliquer en partie par la limitation du taux d’intérêt à 18%,
qui ne permet pas à la plupart des IMF de couvrir leurs coûts de production. Dans un tel
cas, les IMF croissent plus lentement, sont moins transparentes en termes de coûts et
réduisent leurs activités dans le secteur rural ou dans d’autres secteurs à coût élevé
(Sangaré, 2001). Les clients les plus pauvres ne sont donc plus servis et la seule
alternative qui s’offre à eux reste le marché informel des usuriers, où les taux peuvent
dépasser les 100% annuels.

241
242
8 Chapitre VIII : Aspects sociolinguistiques
H4 : la mise en œuvre de stratégies linguistiques dans les
IMF, en tenant compte des langues locales, est une
nécessité pour faciliter la communication et la
compréhension mutuelle entre l’IMF et ses clients.
Le développement de l'Afrique est souvent défini en des termes technocratiques qui
accordent peu de place aux questions culturelles, dont la langue en premier lieu. Bien
que la langue soit un élément culturel, nous nous limitons dans cette étude aux
dimensions communicationnelles de la culture, sans pour autant entrer en profondeur
dans les liens pouvant exister entre langues et cultures. Ainsi tout au long de cette
partie, l’élément culturel qui nous intéresse est surtout le lien de proximité utilisant la
langue comme facilitateur dans la communication.

Au Sénégal, après plus de soixante ans d’indépendance, le français reste l’unique langue
officielle à travers laquelle toutes les informations officielles doivent être véhiculées,
par exemple les lois et règlements, et ce pour une population dans laquelle plus de 50%
ne savent ni lire, ni écrire le français. Quant aux langues locales, elles n’ont aucune
fonction officielle établie, bien qu’elles soient incontournables dans la vie quotidienne
de la plupart des Sénégalais, et à des degrés différents, que l’on soit en ville ou en
campagne.

Or, beaucoup d’expériences semblent montrer que certains aspects du sous-


développement manifestement fréquents dans la plupart des pays africains sont liés
d’une façon ou d’une autre à la question de la langue.

Comme nous le verrons plus tard, l'intégration des langues locales dans les circuits
officiels et administratifs devrait non seulement contribuer aux politiques de
développement, mais pourrait aussi donner lieu à un rééquilibrage entre langues
officielles et langues locales, et ainsi mieux impliquer les groupes linguistiques
minoritaires et les personnes illettrées.
Le cas d’étude présenté ici a d’abord pour but de montrer, à travers l’exemple du
Sénégal, que la différence linguistique entre l’IMF et le client est source de
disfonctionnement dans la relation contractuelle entre les deux acteurs, se
matérialisant en partie dans certains comportements observés chez les clients. Ensuite,
243
toujours se basant sur des enquêtes réalisées au Sénégal, nous allons montrer la nature
des principaux obstacles que rencontrent les groupes linguistiques minoritaires et les
personnes illettrées dans leur recherche de financement auprès des IMF ; enfin, nous
proposerons un mode d’organisation interne des IMF pour contourner cet obstacle
linguistique.

8.1 Contexte linguistique


Comme nous l’avons déjà évoqué, le Sénégal dispose d’une vingtaine de langues locales
et une seule langue officielle qui est le français. Les langues nationales au Sénégal
peuvent être classées en deux groupes. Nous avons les langues ouest-atlantiques, qui
sont originaires de l’ouest du Sénégal, même si avec l’urbanisation grandissante on les
retrouve de plus en plus un peu partout dans le pays. Parmi ces langues ouest-
atlantiques, le wolof, le sérère et le pular49 sont les plus répandues. Avec un effectif de
presque 40%, le wolof reste de loin la première langue en termes de locuteurs. On le
retrouve dans pratiquement toutes les régions, sauf dans la partie inférieure du pays,
en dessous de la Gambie et au sud-est à la frontière avec le Mali, où sont concentrées
les langues mandingues (malinka, soninké, jalonké, etc.).

Tableau 6: Répartition (en %) des six langues nationales sur le territoire sénégalais

Source : ANSD, 2014

49
Le pular est la langue parlée par l’ethnie peule.
244
Un élément important pour la suite de notre analyse est la géolocalisation des groupes
linguistiques. Sur le tableau 6, on constate que la plupart des Wolofs résident dans les
grandes villes du Sénégal situées à l’ouest du pays et au nord (Dakar, Thiès, Louga et
Saint-Louis). Il faut aussi noter que même à l’intérieur de ces grandes régions, le
pourcentage de personnes parlant wolof a tendance à diminuer au fur et à mesure que
l’on s’éloigne des zones urbaines. À Thiès nous avons la présence importante de Peuls
dans les zones périphériques, notamment à Mboro. Cela s’explique en grande partie par
l’activité dominante des Peuls dans la région qui est l’élevage. Le même constat est fait
dans la région de Dakar, notamment à Médina Gounass et à Malika, où vit une
importante communauté peule, ayant comme activités principales l’élevage et
l’agriculture.

Si dans l’ouest du pays et au centre, les langues dominantes sont le wolof et le peul,
dans le reste du pays la donne est complétement différente. La répartition des langues
dans le territoire sénégalais montre qu’il faut prendre avec beaucoup de prudence une
donnée du dernier recensement sur la population qui estime à plus de 75% le
pourcentage de Sénégalais pouvant tenir une conversation en wolof. Ce résultat a du
sens lorsqu’on se trouve dans la partie supérieure du pays, mais elle cache les disparités
parfois importantes qui existent entre les villes, les centres péri-urbains et les
campagnes. Dans la partie sud-est du pays, précisément à Tambacounda, on estime à
moins de 22% la population en mesure de tenir une conversation en wolof.

Deux situations se dégagent dans ce contexte. D’une part, nous avons de façon
générale, une prédominance de la langue wolof, mais plus particulièrement dans les
zones urbaines où huit personnes sur dix parlent wolof (ANDS, 2013). D’autre part, nous
avons une diversité de langues locales dans les zones périphériques, avec le mandingue
et le pular comme langues dominante dans sud-est, tandis-que dans le sud-ouest ce
sont surtout les langues pular et diola qui sont les plus parlées.

Ce panorama linguistique divers et contrasté, présent dans la plupart des pays africains
et à des degrés différents, a des répercussions dans la vie quotidienne des populations,
notamment les plus démunies et les moins instruites.

245
8.1 Évolution du contexte juridique et historique des langues locales au Sénégal
Au Sénégal comme dans beaucoup de pays d’Afrique, les langues locales ont seulement
une tradition orale, et les langues coloniales, telles que le français, l’anglais ou le
portugais, sont utilisées comme langues officielles. Après près de soixante ans
d’indépendance, le français reste l’unique langue, du moins obligatoirement, à travers
laquelle toutes les informations officielles doivent être véhiculées. Or en moyenne une
personne sur deux ne sait ni lire, ni écrire le français. Pour comprendre pourquoi le pays
en est arrivé à cette situation, il faut remonter plus loin. Durant la colonisation,
l’administration française avait déjà défini la place et la fonction des langues nationales,
qui de fait ne pouvaient être utilisées que dans les communications informelles
(Pakarinen, 2009). Selon Cissée (2005), il n’est pas anodin de constater que
contrairement aux anciennes colonies britanniques où les langues locales ont toujours
eu une certaine reconnaissance formelle, dans les anciennes colonies françaises la
France avait interdit dans le domaine public toute communication en langues locales.
Ce choix délibéré de l’administration d’alors, avait sa raison d’être dans une stratégie de
promouvoir la langue française dans les nouvelles régions conquises. Dans le cas du
Sénégal, comme d’ailleurs dans beaucoup d’Afrique francophone, après près de six
décennies d’indépendance, le paysage linguistique, du moins réglementaire, n’a pas
évolué.

Au Sénégal, les lois linguistiques sont institutionnalisées par le décret présidentiel


n°71566 du 21 mai 1971. Le texte constitutionnel reconnaît deux catégories de
langues et définit leur statut : une langue officielle, qui est le français, et six langues
nationales qui sont le diola, le malinké, le pular, le sérère, le soninké et le wolof. La loi a
été modifiée dernièrement avec la constitution de 2001, dans laquelle le statut de
langue nationale est élargi à d’autres langues locales. En son article 1, il est mentionné
dans la constitution sénégalaise que « la langue officielle de la République du Sénégal
est le français. Les langues nationales sont le diola, le malinké, le pular, le sérère, le
soninké, le wolof et toute autre langue nationale qui sera codifiée ». L’évolution dans la
constitution de 2001 est que toute langue locale codifiée devient de facto officiellement
une langue nationale, mais que le français reste l’unique langue officielle de la
république. La constitution encadre même les choix linguistiques dans la liberté
246
d’expression et d’engagement politique. Par exemple, l’article 4 interdit à tout parti
politique de s’identifier à une langue nationale ou à un groupe ethnique et précise que
la langue administrative est uniquement le français : « Tout candidat à la présidence de
la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise, jouir de ses droits
civils et politiques, être âgé de 35 ans au moins le jour du scrutin. Il doit savoir écrire,
lire et parler couramment la langue officielle ».

Par ces dispositions de la constitution sénégalaise, le français reste aujourd’hui l’unique


langue officielle qui sert au travail administratif et à l’enseignement à tous les niveaux.
Bien que les langues nationales aient une grande importance pour l’expression orale au
sein des groupes ethniques, et expriment dans certains cas l’identité d’une ethnie, elles
ne sont pas utilisées dans les circuits officiels, saufs dans des rares cas comme dans les
tribunaux, où les juges peuvent permettre à un citoyen mal à l’aise avec le français de
s’exprimer en wolof (Cissé, 2005). La fonction des langues nationales dans les structures
publiques est encore très faible, voire inexistante dans certains services. Par exemple, il
n’existe aucune disposition réglementaire qui oblige une institution à traduire un
document officiel en langues nationales. Le seul secteur public dans lequel on note une
présence effective des six langues nationales est le secteur des médias (la télévision et
la radio), où chaque jour un bulletin d’information est diffusé, au moins une fois, dans
les six langues nationales.

S’agissant de la codification, qui permet à une langue locale d’être reconnue comme
étant une langue nationale, il existe un grand vide dans cette disposition. Le statut de
langue codifiée ou non codifiée n’est pas très clair. La constitution ne précise pas de
quelle manière une langue locale doit être codifiée pour qu’elle obtienne le statut de
langue nationale. Dans ce sens, l’Académie africaine des langues (ACALAN), créée en
2001 et chargée de promouvoir les langues africaines dans le continent, propose aux
États de mettre en place au niveau national un dispositif clair et précis pour la
codification des langues locales. Néanmoins, l’exemple du Sénégal montre que la
codification ou le statut d’une langue ne sont pas des facteurs fonctionnels et suffisants
si l’implémentation de la langue n’est pas proprement un objectif politique. La langue
peut être codifiée, mais sa mise en pratique dans les circuits officiels implique une

247
réelle volonté politique. Le statut seul ne change pas la situation linguistique dans un
pays, loin sans faut.

Bien que la constitution sénégalaise cite explicitement six langues nationales, le dernier
recensement de 2013 portant sur la population fait état de 23 langues nationales,
codifiées à des degrés différents. Cela fait du paysage linguistique sénégalais un
système certes unilingue officiellement, mais renfermant une diversité de langues
nationales, avec des fonctions différentes. Selon le schéma de Calvet (1987), on peut
distinguer dans le cas du Sénégal deux variétés de langues. D’une part nous avons une
variété haute qui remplit les fonctions officielles telles que les lois, les règlements, les
discours officiels, les sermons, l’enseignement moyen et parfois supérieur. Et d’autre
part nous avons une variété basse qui joue une fonction de langue véhiculaire, et très
souvent populaire dans le milieu informel, tel que dans le monde des ouvriers et des
personnes à niveau d’instruction modeste. Dans ce schéma, la dichotomie entre le
français et les langues nationales est évidente. La première est très clairement une
variété haute, comme le sont la plupart des langues coloniales en Afrique. Selon
Pakarinen (2009), plusieurs constats en milieu urbain montrent le statut du français au
Sénégal, ce qui est aussi valable pour le Mali. Par exemple, le fait que les locuteurs de
langues nationales puissent ressentir l’infériorité de leur propre langue témoigne le
ressenti général. Bien qu’elles soient les plus parlées en termes d’effectifs, les langues
nationales restent dans la variété basse. Le seul moyen de diminuer ou de faire
disparaître ce sentiment d’infériorité est de donner plus de fonction aux langues
nationales, notamment dans les circuits officiels de l’administration.

248
8.1.1 Le « français », à la fois unificateur et source d’exclusion en contexte multilingue
sénégalais
Le Sénégal, à l’image des pays africains francophones enregistre un taux
d’alphabétisation en langue française très faible, et ce malgré une volonté politique à
travers différentes stratégies de scolarisation depuis les indépendances. L’horizon de
2015 qui a été fixé à Dakar en 2000 pour atteindre la scolarisation complète des enfants
au niveau du primaire est désormais derrière nous et cet achèvement n’a toujours pas
été accompli. L’UNESCO (2015) estime ainsi qu’il faudra encore au moins deux
générations pour atteindre cet objectif. Quant à l’accomplissement complet du niveau
secondaire, jugé nécessaire pour donner une aptitude à communiquer en français, à
l’oral comme à l’écrit, l’UNESCO estime qu’il ne pourra se faire avant l’année 2100. Dans
Le contexte actuel, le Sénégal fait face dans tous ses secteurs d’activité à une diversité
linguistique impliquant un rapport diglossique entre les langues locales et la langue
française. Ce rapport diglossique n’épargne aucun secteur d’activité et, comme nous le
verrons plus tard, constitue une source d’exclusion pour les personnes qui ont des
difficultés à communiquer en français, confirmant l’idée de Tourneux : « Si le français,
notamment, permet indéniablement une ouverture à l’international il est aussi,
localement, facteur d’exclusion d’une grande partie des potentialités humaines dans les
pays d’Afrique dite francophone » (Tourneux, 2008, p. 15).

Dans la plupart des pays africains anciennement colonisés, dont le Sénégal, l’initiative
de renforcer officiellement le système unilingue colonial est née au lendemain des
indépendances, certes dans une volonté de garder l’héritage colonial pour différentes
raisons50, mais aussi d’un contexte où les jeunes dirigeants africains ont jugé nécessaire
d’avoir une langue partagée par l’ensemble de leurs citoyens, qui généralement vivent
dans des régions où peuvent cohabiter plus d’une vingtaine de langues locales. À
l’époque, la plupart des pays africains nouvellement indépendants51, ont mentionné
dans leur constitution la langue officielle adoptée dans le pays, qui en fait, n’est rien

50
Elles sont politiques et économiques. Au Sénégal par exemple, l’enseignement du français bénéficie
toujours de subventions, notamment des livres et des infrastructures scolaires, venant de la France.
51
On peut citer l’exception guinéenne qui, contrairement aux autres pays africains, avait décidé
d’instaurer un plurilinguisme pour lequel huit langues nationales ont été choisies comme langues
d’enseignement et d’alphabétisation. Il sera remplacé par un système unilingue à partir de 1984 à la fin
du règne de Sékou Touré, avec notamment le français comme unique langue officielle dans le pays.
249
d’autre que celle de l’ancien colonisateur. C’est ainsi que le français fut adopté comme
langue officielle au Sénégal, l’anglais au Nigéria, le portugais au Cap-Vert, et ainsi de
suite. Par conséquent, dans chacun de ces pays, toutes les démarches administratives
et transactions officielles doivent être rédigées dans la langue officielle du pays,
indépendamment du contexte multilingue local et du niveau d’alphabétisation de la
population en langue officielle (Bélisle, 2004). Au lendemain des indépendances, le
niveau d’alphabétisation en langue officielle dans les anciennes colonies d’Afrique était
très faible voire marginal en dehors des capitales ou des grandes communes. Au
Sénégal, seuls 4% de la population adulte était alphabétisée en français en 1960 (Diallo,
2004), et cette population résidait principalement dans les quatre communes françaises
d’alors en territoire sénégalais qui étaient Saint-Louis, Rufisque, Dakar et Gorée. Le
français dès lors était vu comme une langue appartenant à une élite, mettant en
parallèle deux mondes différents : un qui se sent complétement exclu, et un autre qui a
le privilège d’être instruit. Saltevo (2005) estime que le français est surtout considéré au
Sénégal comme une langue citadine à cause du lien avec la scolarisation et les emplois
en ville qui nécessitent une certaine maîtrise de la langue. Au Mali, Sénéchal (1997) fait
un constat similaire à partir d’enquêtes qualitatives réalisées auprès de jeunes
entrepreneurs. Il constate que dans ce pays où le bambara, à l’image du wolof au
Sénégal, est la langue la plus parlée, l’usage du français est réservé à l’écrit et plus
largement à l’administration, au système bancaire, ainsi qu’à la communication avec les
étrangers et notamment les bailleurs de fonds. Toujours selon Sénéchal (1997), dans les
sphères de la modernité malienne, la langue française est utilisée par les jeunes
diplômés pour afficher leur rang social par rapport aux analphabètes en langue
française. Il reste la seule langue officielle et garde son rôle d’outil politique de
domination au profit des élites locales, en accordant d’une certaine manière des droits
et des privilèges à ceux qui ont appris à le manier (Sénéchal (1997). Que l’on soit au
Sénégal, au Mali, ou dans les autres pays de la sous-région, le paysage linguistique est
pratiquement dans le même décor. Les Sénégalais souhaitant être acteurs de la vie
économique se doivent de maîtriser le français, surtout s’ils veulent occuper une place
importante dans le marché formel, accéder aux différentes institutions formelles, pour
ainsi éviter d’être relégués au marché informel.

250
8.1.2 Une implication étatique en demi-teinte
Pour éviter ce type de stratification par les langues, il faudrait que les langues locales
aient plus de fonctions dans l’administration; toutefois, de vraies politiques linguistiques
allant dans ce sens font encore défaut dans beaucoup de pays. Le Sénégal exerce plutôt
une politique de non-intervention qui consiste avant tout à choisir la voie du laisser-
faire, à ignorer les problèmes linguistiques lorsqu'ils se présentent et à laisser évoluer
de lui-même le rapport des forces en présence. Dans la pratique, il s'agit d'un choix
véritable, donc d'une planification, qui joue toujours en faveur de la langue dominante,
qui dans ce cas est le français. Un gouvernement peut pratiquer une politique mixte,
par exemple, en choisissant de ne pas intervenir à l’égard de la langue officielle mais en
même temps protéger les langues locales, d’autant plus que dans le cas du Sénégal,
certaines langues locales ont plus de locuteurs que la langue officielle. Bien
évidemment, il faut admettre que le paysage linguistique sénégalais a hérité d’un lourd
passé colonial, avec la vraie volonté d’imposer le français au détriment des langues
locales. Au-delà des raisons politiques et stratégiques évoquées, les priorités des États
africains nouvellement indépendants étaient sans doute orientées vers d’autres
secteurs, visant des finalités telles que l’indépendance économique, la santé et
l’éducation, mais aujourd’hui, après six décennies, on se rend compte qu’aucun de ces
secteurs ne peut réellement prospérer en marge des politiques linguistiques. En son
article 2, la constitution sénégalaise garantit aux citoyens sénégalais l’accès de tous sans
discrimination aux services publics à tous les niveaux. Nous voyons mal comment cette
disposition peut être garantie au moment où les lois ne sont pas traduites en langues
nationales, et les informations qui permettent d’accéder aux services publics ne sont
disponibles qu’en français, à quelques exceptions près. Dans la vie de tous les jours des
fonctionnaires, il est fréquent de voir une situation dans laquelle les agents de
l’administration publique et leurs interlocuteurs, généralement des personnes à niveau
d’instruction bas, ne se comprennent pas pour des raisons linguistiques, sans que la loi
n’exige l’amélioration de ce type de situation. Un enseignant de philosophie rencontré
dans la région de Thiès nous explique comment dans certaines situations il se sent
obligé d’utiliser le wolof pour s’assurer que ces élèves comprennent bien certains
concepts, bien que ce genre de pratiques soit officiellement déconseillé dans le

251
règlement intérieur qui notifie que seul le français doit être la langue de communication
entre enseignant et élève. Dans de pareils cas, sans doute fréquents dans toutes les
régions du pays et dans tous les secteurs, accorder plus de fonctions aux langues
nationales, suivant les régions, peut sans doute être une solution médiane entre la
variété haute du français et la variété basse des langues locales.

8.2 Le système unilingue comme obstacle communicationnel dans les IMF sénégalaises
La situation insatisfaisante en matière de rôles des langues officielles et des langues
locales dans un contexte de faible niveau d’alphabétisation n’épargne pas le paysage de
la microfinance. La clientèle de la microfinance est majoritairement composée de
personnes à faible revenu, donc remplissant les caractéristiques les plus fréquentes en
milieu pauvre, telles que le niveau d’alphabétisation en langue officielle faible chez les
adultes, et une prédominance du secteur informel où les langues locales servent de
moyen de communication par excellence. Ce contexte, particulièrement fréquent dans
beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne (Caseau et Kouamé, 2015), met en évidence
la question du multilinguisme et ses problématiques dans le secteur financier. Dans ces
sociétés multilingues et faiblement alphabétisées en langues officielles, les institutions
de microfinance rencontrent plusieurs obstacles liés aux réalités régionales, dont la
variété des langues locales. Les personnes qui ne parlent pas la langue officielle du pays,
servant de moyen de communication dans les transactions officielles, sont dès lors
confrontées au problème de la barrière linguistique, du fait que leur souhait ou besoin
d’être servis en langues locales soit pratiquement non-prévu dans l’organisation et le
fonctionnement des IMF. Dans ce cas de figure, Caseau et Kouamé (2015) considèrent
qu’une politique d’endogénéisation linguistique qui consiste à recourir aux langues
natives des clients pourrait être un moyen efficace pour faciliter la communication
entre IMF et clients. Cela montre que si la question du multilinguisme dans le monde
des entreprises se pose beaucoup plus pour ce qui est des transactions à l’international,
elle est davantage une question du fonctionnement quotidien des IMF dans le contexte
multilingue africain où la plupart du temps, la grande majorité des transactions se font
dans les langues héritées de la colonisation qui de ce fait supplantent les langues
africaines. Au Sénégal, bien que la loi régissant la fonction des langues dans les circuits
officiels du pays ait été modifiée avec la constitution de 2001, dans laquelle le statut de
252
langue nationale est élargi à d’autres langues locales, il n’existe cependant aucune
disposition réglementaire qui oblige une institution à traduire un document officiel en
langues nationales. Le secteur financier ne fait pas exception. Les institutions
financières, banques ou IMF, travaillent officiellement en français, et rien qu’en
français, or seuls 15% des Sénégalais eux estiment être à l’aise pour communiquer en
français et sur n’importe quel sujet (Faty, 2016). Autrement dit, nous avons des IMF
unilingues qui s’adressent à des clients multilingues dont la plupart ont pour première
langue une langue autre que celle dans laquelle travaillent les IMF.

8.2.1 La langue est-elle un facteur important dans l’industrie de la microfinance


sénégalaise ?
Pour répondre à cette première question, portant sur le degré d’importance des
langues utilisées dans les IMF, nous partons de l’hypothèse que dans le cas du Sénégal,
la différence linguistique entre le français, qui est la langue de travail de l’IMF, et la
première langue du client, qui très souvent est une langue locale, appelée parfois
« dialecte », est déterminante dans la nature de la collaboration entre les deux acteurs,
plus particulièrement quand il s’agit de clients à niveau d’instruction faible.

Dans cette partie du travail, on s’intéresse à l’accès aux financements des personnes à
faible revenu en contexte unilingue « officiellement » mais « multilingue » en pratique,
et à comment la différence linguistique entre les deux acteurs peut influencer certaines
pratiques, tout au long de leur collaboration. Pour cela, certaines analyses vont porter
sur une variable linguistique « niveau de compétence en français des clients »,
notamment sa distribution par rapport à des tendances observées. L’idée est de voir
comment certaines pratiques ou comportements évoluent en fonction du niveau de
compétence en français du client.

Pour cela, nous utilisons dans un premier temps des données quantitatives, récoltées
auprès de 217 clients d’IMF. Dans un deuxième temps, nous compléterons cette partie
quantitative par des analyses qualitatives réalisées au Sénégal, dans le but de
déterminer les liens pouvant exister entre la variable linguistique et des variables
financières dans l’industrie de la microfinance.

253
1. Évolution des remboursements en fonction du niveau de compétence en
français

L’objectif dans ce premier point est d’avoir une idée plus précise sur l’interaction entre
le niveau de compétence du client en français et son assiduité aux remboursements.
L’idée n’est pas d’établir une relation de causalité entre les deux variables, mais nous
cherchons l’existence d’une éventuelle relation entre ces dernières, ce qui peut être
une raison suffisante pour influencer les choix des IMF dans l’octroi de financements.
En outre, trouver ce lien peut contribuer à une meilleure compréhension sur la place
des langues dans l’industrie de la microfinance en contexte multilingue, bien que
n’étant pas suffisant pour établir un lien définitif entre le niveau d’assiduité des clients
aux remboursements et leur niveau de compétence en français.

Figure 10: Remboursement du crédit en fonction du niveau de compétence du client en


Français

Les clients qui ont de meilleures compétences en français « medium and high » ont des
taux de remboursements moyens (95,30%) légèrement plus élevés que les clients à
niveau de compétence faible en français « low52 » (93,34%). Bien que la différence ne
soit pas très importante, elle nous apporte néanmoins une information non négligeable,

52
Le groupe « low » est composé de 114 individus contre 103 individus pour le groupe « medium and
high ».
254
d’autant plus qu’au Sénégal, le taux moyen de remboursement des crédits dans le
secteur de la microfinance est estimé à 95%53 (DM, 2015).

Cependant, dans cette partie, l’analyse de la dispersion, liée au risque de non-


remboursement que présente chaque client, nous paraît plus pertinente. Vu que nous
sommes dans le secteur bancaire, le facteur risque au niveau individuel, au-delà des
valeurs moyennes, est d’une importance particulière pour les décideurs. Pour cela,
intéressons-nous aux distributions de la mesure d’assiduité dans chaque groupe dans la
figure 10. On constate à première vue que la distribution de la variable « assiduité aux
remboursements54 » est plus dispersée chez les clients à faible compétence en français
que chez les clients à compétence moyenne ou élevée en français, avec notamment des
variances respectives de 80’% et 12% Non seulement les clients à faible compétence en
français sont en moyenne moins réguliers aux remboursements, mais aussi ils
présentent un risque plus élevé de non-remboursement compte tenu de l’importance
relative des variances entre les deux groupes. On a alors une différence marquée entre
les deux groupes, selon leurs niveaux de compétences à communiquer en français. Ce
constat semble se confirmer avec le résultat du test de comparaison des moyennes de
Student55 qui donne une p-value de 0.02. La tendance qui se dégage, du moins jusque-
là, est que les clients qui ont un niveau plus élevé en français sont plus assidus aux
remboursements que les clients qui ont de la peine à soutenir une discussion en langue
française. À ce stade, bien que le lien entre les deux variables semble exister, on ne
peut pas exclure l’effet du revenu des clients. On peut en effet supposer une corrélation
positive entre le niveau de richesse et le niveau de compétence en français, d’autant
plus qu’il est démontré que la pauvreté au sein des ménages sénégalais est un des
facteurs de l’abandon scolaire (Diallo, 2004). Dans ce cas, la tendance observée pourrait
être expliquée non pas par le niveau de compétence en français, mais par le niveau de
richesse du client. Ainsi, avant d’aller plus loin, nous allons vérifier la nature du lien

53
Valeurs moyennes calculées à partir du rapport du crédit en souffrance sur le portefeuille global de
l’IMF
54
Elle fait référence à la régularité des clients aux remboursements, au respect des échéances préétablies
dans le contrat de crédit. En principe, les remboursements sont mensuels, et prescrits à des dates
précises.
55
L’assiduité au remboursement selon le niveau de compétence du client en français.
255
entre le niveau de richesse des clients et leur régularité aux remboursements des
crédits.

2. Évolution des remboursements en fonction du niveau de revenu

En effet, on sait que les clients les plus aisés ont tendanciellement un niveau
d’instruction plus élevé. Donc on ne peut pas exclure, à ce stade, que la relation
observée entre l’assiduité aux remboursements et le niveau de compétence en français
s’explique par une variable intermédiaire qui serait le niveau de richesse des clients.
Pour exclure de cette possibilité, nous allons reprendre la variable « assiduité aux
remboursements » et étudier sa distribution par rapport au niveau de richesse des
clients.

Figure 11: Remboursement du crédit en fonction du revenu

La forme de la distribution de la variable « assiduité aux remboursements » par rapport


au montant du crédit exclut l’hypothèse d’un lien significatif entre l’assiduité des clients
aux remboursements et leur niveau de revenu. La variable « montant du crédit par
rapport au revenu national brut par tête » indique le montant du crédit relatif de
chaque client. Bien que cet indicateur ne nous donne qu’une idée sur la taille du crédit
octroyé, il nous paraît aussi important pour classer les clients en fonction de leurs
niveaux de richesse. Nous sommes partis d’un fait réel dans la pratique des IMF. Les
256
clients sont financés sur la base de l’évaluation financière de leurs activités, mais aussi
de leurs actifs financiers. Au-delà de l’activité du client, les agents de crédit évaluent
aussi la valeur de l’ensemble des biens dont dispose le client (maisons, voitures, biens
d’équipement, etc.). Les clients qui souhaitent avoir des financements de « gros
montant56 » doivent en principe montrer que la valeur des biens qu’ils ont en leur
possession dépasse le montant souhaité. Cela explique en partie que les IMF qui
travaillent avec une clientèle plus aisée ont généralement des montants moyens de
crédit plus importants (Fouillet et al, 2016), ce qui est d’ailleurs constaté en zone
urbaine. Sur la base de ce fait, nous avons utilisé la variable montant du crédit comme
une variable de revenu pour les clients, capable de nous donner une idée sur la nature
du lien pouvant exister entre l’assiduité aux remboursements et le niveau de revenu.
L’absence de lien significatif entre ces deux variables est importante à ce niveau, dans la
mesure où, même si elle reste insuffisante pour expliquer le lien existant entre
l’assiduité des clients aux remboursements et leur compétence en français, elle exclut
au moins la corrélation entre cette première et le niveau de richesse du client. D’autres
analyses complémentaires, notamment qualitatives, nous permettent d’approfondir ces
premiers résultats observés.

3. Distribution du portefeuille à risque par rapport au niveau de


compétence en français

Pour approfondir nos analyses, toujours sur la variable linguistique, nous allons voir
maintenant comment la compétence linguistique des clients en français est distribuée
par rapport à la variable « portefeuille à risque de 30 jours » (PAR 30). En effet, dans le
système comptable des IMF, il y a une partie du portefeuille global que l’on appelle PAR
30, et qui correspond aux montants de crédit des clients qui sont en retard de
remboursement d’au moins trente jours. Cela permet aux IMF d’inscrire cette créance
considérée comme douteuse au compte de provision. Les montants recouvrés seront
par la suite « déprovisionnés » en cas de succès du recouvrement. Le PAR 30 est l’un
des premiers indicateurs de risque à observer par les acteurs de la microfinance dans
l’analyse des performances financières d’une IMF. Dans la figure ci-après, nous

56
Montants supérieurs à 500'000 FCFA (1'000 $ US)
257
observons comment le PAR 30 est distribué par rapport au degré de compétence
linguistique du client en français.

Figure 12: Distribution du PAR 30 par rapport au niveau de compétence du client à


parler français

Ce graphique montre que les clients qui ont moins de compétences linguistiques en
français présentent des risques plus importants à entrer dans le PAR 30, avec un risque
moyen de 6,5% contre 4,7% pour les clients à compétence moyenne ou élevée en
français. Concernant la variance, la dispersion de la distribution du risque de crédit est
plus importante chez les clients à niveau de compétence faible en français par rapport
aux autres clients, avec des variances respectives de 78% et 12% Du point de vue de
l’IMF, les indicateurs tels que la moyenne et la médiane sont certes importantes, mais
au-delà de ces dernières, le niveau de dispersion autour des valeurs moyennes et
médianes, observées au niveau de chaque groupe à partir des variances, constitue une
information aussi importante que les premières, notamment pour la prise de décision.
Elles permettent de situer avec plus de précision le niveau de risque que présente
chaque client. À titre d’exemple, la dispersion importante observée dans le groupe
« low » montre que le risque est moins maîtrisé dans ce groupe, bien que connaissant
les valeurs moyennes et médianes. Ces résultats, certes partiels, ne nous permettent
pas à ce stade de confirmer avec précision la significativité du lien entre compétence
linguistique et l’assiduité aux remboursements, mais contribue positivement à notre
hypothèse de départ selon laquelle la différence linguistique entre l’IMF et le client est

258
déterminante dans le comportent futur du client vis-à-vis de l’IMF. Ces résultats
combinés à celui du test de Student (avec une p-value de 0.029) nous permettent de
penser que les clients qui ont moins de compétence à communiquer en français
présentent un risque financier plus important par rapport aux autres clients. Cela nous
amène à supposer l’existence d’un obstacle lié à la langue entre les deux acteurs qui
sont les clients et l’IMF, et ce dernier pourrait être, en partie, à l’origine des écarts
constatés dans ces premières observations. Pour aller plus loin dans cette question,
nous avons effectué des enquêtes qualitatives avec des clients et des dirigeants d’IMF,
dans le but d’observer et de comprendre les différentes interactions pouvant exister
entre les deux acteurs durant le processus de crédit, mais surtout durant la phase pré-
crédit.

8.2.2 Qu’en est-il des pratiques dans les IMF ?


L’objectif dans cette seconde partie de nos analyses est d’identifier les pratiques des
IMF pouvant être perçues comme des sources d’obstacles linguistiques entre IMF et
client, mais aussi du sens que les auteurs donnent à leurs pratiques. Trouver ce lien
permet de mieux comprendre, en contexte multilingue sénégalais, la place des langues
locales dans la microfinance.

Un des indicateurs de la clientèle des IMF est la faible maîtrise de la langue


d’enseignement et langue de travail des IMF qui est le français, alors que ces dernières
opèrent dans un contexte multilingue. Face à cette situation, où nous avons des IMF qui
travaillent dans une langue que la majorité de sa clientèle ne comprend pas, la
communication entre les deux acteurs a toutes les chances d’être imparfaite à cause de
l’existence d’un obstacle linguistique. Si cet obstacle linguistique existe, comme
semblent le montrer nos premières analyses, comment peut-on l’observer en réalité
dans le contexte sénégalais ? Existe-t-il une ou des solutions pour contourner cet
obstacle linguistique ? C’est à ces questions que nous essayons de répondre dans cette
partie du travail empirique.

Nous cherchons à comprendre si les IMF, dans l’utilisation des langues de travail, ont
prévu des stratégies d’entreprise bien définies, et si oui comment elles les mettent en
application. Cela supposerait que les entreprises prennent des décisions explicites,

259
prévoient des investissements, du temps, du personnel et des moyens matériels et
juridiques pour mettre en œuvre une politique linguistique comme elles le feraient pour
élaborer une stratégie de recrutement ou une autre stratégie économique, par
exemple. Pour cela, nous avons réalisé des entretiens avec différents acteurs, avec trois
types de questions. Les premières questions, sous forme de diagnostic général,
permettent de faire un état des lieux des contextes linguistiques dans les IMF. Ensuite,
nous avons utilisé un second type de questions qui porte sur les problèmes linguistiques
diagnostiqués, et de façon plus approfondie. Enfin, le troisième type de questions
s’intéresse aux intérêts et au degré d’implication des acteurs (dirigeants et employés)
pour la mise en place de politiques linguistiques dans les l’IMF. Les résultats obtenus
auprès de trente-deux clients sont résumés ci-après

Tableau 7: Fréquence des niveaux de compétence en français des clients57.

Compétence  Comprendre Parler Lire cette Écrire dans


des gens qui cette langue cette
Niveau  parlent la langue langue
langue

« parfaitement ou presque » 2.3% 5.5% 7% 10.6%

« bien » 3% 7.7% 11% 13.3%

« basique » 32.7% 38.3% 39.2% 41.5%

34.6%
« rien ou presque 58
62.0% 48.5% 42.8%

TOTAL 100% 100% 100% 100%

Intéressons-nous au type de compétence « lire cette langue ». Sur le total des 32 clients
interrogés, plus de 40% estiment ne pas comprendre un texte écrit en français, et 39%

57
Les tableaux 7 et 8 (subdivisés en quatre degrés) qui ont servi dans la prise d’information dans cette
enquête sont inspirés de Grin (1999).
58
Cette valeur, qui est moins importante que la proportion des enquêtés qui estime ne pas être en
mesure de comprendre des gens qui parlent le français, peut être étonnante parce qu’en principe on
suppose qu’il est plus facile de parler une langue que de l’écrire. Mais dans le contexte linguistique
sénégalais, où très souvent on apprend d’abord le français dans un contexte scolaire qui recourt
beaucoup à l'écrit, avant de commencer à le parler, il est assez fréquent de voir des gens qui savent lire et
écrire certains mots sans vraiment connaître leurs sens.
260
estiment être en mesure de comprendre de quoi parle un avis ou une affiche écrits en
français, mais pas plus. Seuls 7% des enquêtés se considèrent être en mesure de lire et
de comprendre les textes écrits en français, et même dans un style soutenu. Le
pourcentage des clients pouvant lire et comprendre le français nous paraît très
important, dans la mesure où tous les contrats de crédit liant le client et l’IMF sont
écrits en français, et il n’existe aucun service de traduction ou d’interprétation
disponibles pour les clients.

Tableau 8: Fréquence des niveaux de compétence en premières langues des clients

Compétence  Comprendre Parler Lire cette Écrire dans


des gens qui cette langue cette
Niveau parlent la langue langue
langue

« parfaitement ou presque » 91% 92.3% 5.8% 6%

« bien » 5.2% 4.2% 9.0% 10.4%

« basique » 3.8% 3.5% 15.2% 5.3%

« rien ou presque » 0% 0% 70% 78.3%

TOTAL 100% 100% 100% 100%

Dans ce tableau, on voit que plus de 90% des enquêtés estiment parler parfaitement
leur première langue et sont aussi en mesure de suivre et de comprendre les
discussions en cette langue sans efforts particuliers. Les langues que les clients
interrogés estiment avoir comme première langue sont le wolof (45%), le pular (21%), le
sérère (17%), le diola (5%) et autres diverses langues (12%). Le tableau 8 montre un
autre résultat non moins important. La compréhension des clients de leurs premières
langues se limite quasiment à l’oralité. Bien qu’ils sachent communiquer oralement et
parfaitement dans leur première langue, ils sont 6% pouvant la lire et écrire.

La combinaison des deux tableaux montre la portée limitée du français en termes de


compréhension chez les clients, alors que les langues nationales telles que le wolof, le

261
pular et le sérère sont de loin les langues les plus parlées. Il faut noter que le poids
relatif des langues change considérablement selon que l’on se trouve en milieu urbain
ou en zone rurale. Par exemple, dans les entretiens réalisés à Dakar, plus de 65% des
enquêtés ont le wolof comme première langue, contrairement à Mboro en zone rurale,
où nous avons le pular comme langue dominante avec 70% des clients qui l’ont comme
première langue. La particularité en zone urbaine est que généralement même les
personnes qui ont une première langue autre que le wolof comprennent le wolof. On
estime qu’au Sénégal, en milieu urbain, neuf personnes sur dix savent communiquer en
wolof (Faty, 2016). Aux yeux de certains clients commerçants qui ont une langue autre
que le wolof comme première langue, le wolof s’impose à eux. Non seulement ils
doivent le comprendre, ils doivent aussi être en mesure de marchander sans difficultés
en wolof. Saliou, un commerçant soninké rencontré au marché HLM nous décrit
l’importance du wolof dans son activité en ces termes :

« Quand je suis arrivé ici (à Dakar), je ne savais même


pas comment on dit « comment t’appelles-tu en
wolof ». Mais comme je voulais faire du commerce,
j’étais obligé d’apprendre le wolof qui est la langue de la
plupart des acheteurs (rires). Mon petit frère là que tu
vois, je ne le laisse jamais travailler seul, en tout cas pas
pour le moment, car il ne parle pas bien (le wolof). Il est
arrivé de Tamba (Tambacounda) pour me donner un
coup de main à l’approche de la Tabasaki » (Client à
BAOBAB, commerçant, 25 ans).

Dans les zones rurales, le décor linguistique change considérablement. Le wolof qui sert
par excellence comme langue véhiculaire en zone urbaine cède la place à une diversité
de langues locales. À Kolda c’est surtout le pular qui est utilisé comme langue
véhiculaire, à Ziguinchor et à Kédougou ce sont surtout le diola et le malinké qui sont
utilisés.

262
8.2.3 Des obstacles linguistiques identifiés à deux niveaux
Les enquêtes réalisées mettent en évidence la présence d’obstacles linguistiques dans
le secteur de la microfinance au Sénégal, et apportent aussi des précisions sur la nature
de ces obstacles. Les obstacles linguistiques identifiés se trouvent principalement à
deux niveaux différents.

1. En milieu urbain

Le premier obstacle linguistique apparaît durant les campagnes de prospection qui


consistent à recruter de nouveaux clients et à faire la publicité pour les nouveaux
services proposés par l’IMF. Suivant que l’on soit en ville ou en zone rurale, la situation
n’est pas la même. Dans pratiquement toutes les grandes villes du pays comme Dakar,
Thiès, Saint-Louis ou Diourbel, le wolof reste la langue de communication par
excellence. Par conséquent, les agents de crédit rencontrent moins de difficultés à
communiquer avec la population urbaine. Pour ce type de clientèle urbaine, la difficulté
principale réside dans l’explication et la compréhension des services financiers proposés
par les IMF. Même si la plupart des clients des centres urbains parlent wolof, cela ne
suffit pas pour comprendre le fonctionnement des produits financiers comme les taux
d’intérêt lorsqu’ils ne sont pas constants, les découverts et les pénalités engendrées, la
caution solidaire, le dépôt à terme ou l’épargne avec ses différentes variantes. Dans un
tel contexte, le manque d’éducation financière en wolof constitue un handicap pour
l’intégration financière d’une population qui en moyenne a peu de compétence dans la
langue de travail de l’IMF. D’autant plus que, même chez les plus avertis, comprendre
les produits financiers nécessite la maîtrise du langage technique et de concepts
complexes (Bunzova, 2014). Les documents qui servent de référence pour les agents de
crédit sont écrits et illustrés en langue française, mais les agents de crédit, la plupart du
temps, doivent faire l’interprétation du français vers le wolof pour expliquer aux clients
le contenu des documents, une tâche qui peut être complexe suivant la nature du
document, d’autant plus que les agents de crédit n’ont pas été formés pour ce genre
d’exercice. Prenons par exemple la question des taux d’intérêt. Les agents de crédit
soulignent les difficultés qu’ils ont à expliquer les taux d’intérêt aux clients illettrés de
façon précise, surtout pour ceux qui veulent prendre un crédit dont la durée de

263
remboursement est inférieure à douze mois. Demba, un agent de crédit wolof à Mboro,
qui a rejoint BAOBAB, témoigne en ces termes :

« Une de mes premières surprises quand j’ai été affecté en zone


rurale est que la première question que posent beaucoup de
personnes était de savoir à quel taux d’intérêt nous prêtions. Au
fil du temps, je me suis rendu compte que beaucoup d’entre
elles n’avaient aucune idée sur le contenu du taux d’intérêt,
d’autant plus que le taux d’intérêt à lui seul ne reflète pas à vrai
dire le coût du crédit chez le client, surtout en zone rurale où
s’ajoutent d’autres coûts comme le transport et le temps
nécessaire pour aller faire un versement. » (Agent de crédit à
BAOBA)

Dans les interviews réalisées avec les clients, nous nous sommes rendu compte que la
plupart des clients interrogés ignorent l’essence du taux d’intérêt, bien qu’ils disent
avoir compris après que leurs agents de crédit leur aient expliqué. Par exemple, à la
question « saviez-vous à quel taux d’intérêt BAOBAB vous prête de l’argent ? »,
beaucoup de répondants donnent une valeur plus ou moins juste (entre 20% et 23,5%).
Mais en creusant davantage la question, en leur demandant « s’ils jugeaient ce taux
élevé ou normal », on se rend compte qu’ils n’en savaient pas plus. En effet, de façon
unanime, l’ensemble des participants ont déclaré que le taux d’intérêt n’est pas élevé,
certains même considèrent qu’il est bas. Pour nous assurer de la justesse de leur
réponse, nous leur avons présenté un cas concret. Il s’agit d’un client qui avait
emprunté 150'000 FCFA à BAOBAB, et qui devait rembourser 177'000 CFA en neuf
mois. Ils ont tous estimé, et certains avec stupeur, qu’un intérêt de 27'00059 CFA sur
150'000 CFA en neuf mois était trop élevé. Un client parmi eux, a même qualifié
« d’exagération » un tel intérêt prélevé sur des personnes pauvres. Il en est de même
pour d’autres services proposés par BAOBAB comme l’épargne, le dépôt à terme ou
l’assurance-vie, qui a eu peu de succès auprès de ses clients. Bien évidemment, la
question n’est pas seulement linguistique, elle est aussi culturelle. Par exemple, les

59
Ce qui équivaut à un intérêt annuel de 24%.
264
questions relatives au décès sont traitées avec beaucoup de prudence et de discrétion
dans certaines ethnies au Sénégal, notamment chez les wolofs qui sont plus présents
dans les grandes villes. Aborder ces questions nécessite une certaine connaissance dans
la culture de l’autre, pour éviter que ces dernières soient mal perçues. En zone urbaine,
bien que le wolof puisse jouer ce rôle de langue véhiculaire, permettant aux IMF de
mieux communiquer avec la clientèle peu aisée en français, il s’avère nécessaire de
mieux outiller les agents de crédit en langues nationales, et en wolof en particulier, afin
qu’ils puissent jouer leur rôle. Cette stratégie, sur laquelle nous reviendrons, devrait
passer par une intégration du wolof dans les langues officielles avec lesquelles
travaillent les IMF en milieu urbain.

2. En milieu rural

Le second obstacle est observé en milieu rural. Si les obstacles linguistiques posent
moins de problèmes en zone urbaine, à cause du rôle que joue la langue wolof, en
milieu rural le contexte est tout différent. Plus on s’éloigne des centres des grandes
villes sénégalaises, plus le taux d’illettrisme devient important et moins les
compétences linguistiques en français sont élevées. En même temps, la langue wolof
qui servait de substitut au français devient de moins en moins partagée par les
locuteurs. On voit apparaître de plus en plus d’autres langues suivant les régions. Au
nord nous avons la langue pular, au centre la langue sérère avec ses différentes
variantes, au sud-ouest nous avons plusieurs langues qui cohabitent, telles que le diola,
le socé, le malinké, le mankagne et le pular. Au sud-est nous avons le bambara et le
soninké. Dans ces régions périphériques, il est très fréquent de voir des personnes qui
ne parlent que leur langue maternelle, assez souvent différente du wolof. Dans ce cas
précis, le locuteur non seulement ne parle pas la langue officielle du pays, qui est la
langue de travail des IMF, mais aussi ne parle pas le wolof. Donc il ne peut se servir que
de sa langue maternelle. Dans une telle situation, assez fréquente en milieu rural et
dans une certaine mesure dans les banlieues, les IMF, dont une partie importante de la
clientèle habite ou provient de ces zones, font face à un obstacle inter-linguistique.
D’une part elles ont des agents de crédit qui, certes, parlent tous le français et le wolof
à quelques exceptions près, mais en face ils ont des clients potentiels qui ne parlent ni

265
le français, ni le wolof. L’obstacle inter-linguistique constaté sur le marché de la
microfinance, plus particulièrement en zone rurale, ne facilite pas l’implantation des
IMF dans les ces zones, où réside pourtant une partie importante de la cible originelle
de la microfinance, à savoir les personnes à faible revenu. Dans certains cas, ce sont
même les clients qui s’auto-excluent pour des raisons linguistiques. Nous avions vu
précédemment que certains clients préfèrent se financer dans le secteur informel au
détriment des IMF du fait que le secteur informel présente des avantages qui font très
souvent défaut dans les IMF, tels que la flexibilité dans les remboursements et les types
de recouvrements utilisés par les IMF, jugés trop sévères par les clients. Mais au-delà de
ces raisons, nos enquêtes révèlent que des clients s’auto-excluent du fait qu’ils ne
parlent pas le français et qu’ils ne sont pas à l’aise avec le wolof. Ces cas sont plus
fréquents en zone rurale, mais on les rencontre aussi en milieu urbain, plus
particulièrement chez les groupes linguistiques minoritaires et chez les personnes
immigrées issues de pays non francophone. Le cas d’une éleveuse peule rencontrée à
Mboro, considérée comme une cliente potentielle d’IMF, illustre bien la situation des
« auto-exclus » pour des raisons linguistiques :

« Je n’ai jamais travaillé avec une banque, mais l’idée


m’est venue lorsque j’ai appris qu’une nouvelle banque
est arrivée dans notre commune et qu’elle finance les
éleveurs sans demander de garantie. Mais lorsque je
suis allée pour voir comment ça marche, la dame qui est
à l’accueil (la gestionnaire de compte) m’a demandée si
je parle français. Je lui ai dit non. Ensuite elle m’a
demandée si je parle wolof, je lui ai fait savoir que je
comprends un peu mais pas vraiment beaucoup. Elle
m’a expliqué en wolof les conditions d’accès au
financement, et m’a donnée des documents écrits en
français. Mais honnêtement à la fin, je n’ai presque pas
compris si par rapport à mon activité je pouvais avoir un
financement, non plus les conditions dans lesquelles
j’aurais ce financement. Consciente que je n’avais pas
266
bien compris, elle m’a même proposée de venir une
seconde fois avec un ami ou un membre de famille qui
comprend bien soit le wolof soit le français, mais je
n’avais pas envie que ma famille soit au courant que je
sollicite un crédit, parce qu’à ma connaissance je serais
le premier à le faire dans ma famille []. J’ai finalement
décidé de ne pas y retourner » (Cliente potentielle,
éleveuse, 49 ans).

L’existence d’obstacles linguistiques sous différentes formes, aussi bien en zone


rurale que dans le milieu urbain, semble confirmer les résultats observés dans les
données quantitatives. Bien que travaillant en contexte multilingue, il apparaît
clairement que les IMF n’ont pas encore réussi à développer des stratégies leur
permettant de répondre et de façon efficace aux réalités locales telles que le
niveau de compétence des clients en français, généralement très faible par
rapport aux nécessités de la relation contractuelle. La principale conséquence est
le déficit de communication claire et précise identifié entre les clients à niveau
d’instruction faible et l’IMF, tant au niveau des agents de crédit qu’au niveau des
gestionnaires de clients. Ce problème communicationnel dû à l’absence de
stratégies claires et officielles et l’incapacité des agents de l’IMF à utiliser un
langage adapté aux clients nous paraît pertinent pour expliquer en partie les
écarts identifiés dans la régularité des remboursements entre clients selon leurs
niveaux de compétences en français.

267
8.2.4 Synthèse par rapport à l’hypothèse 4
En contexte multilingue, notamment au Sénégal et dans la plupart des pays d’Afrique
subsaharienne, nous considérons la diversité linguistique comme un élément culturel
qui ne peut être ignoré ou négligé pour tout projet de développement, dont les
potentiels bénéficiaires sont les personnes à faible revenu, caractérisées dans une large
mesure par un niveau d’instruction très bas et une incapacité à communiquer dans les
langues officielles qui servent de moyens de communication dans toutes les
transactions impliquant les structures officielles. Dans le secteur de la microfinance où
l’on rencontre toutes les caractéristiques énumérées ci-dessus, le partage d’une même
langue avec la clientèle peut être vu comme un atout de marketing rationnel et
efficace.

Or, à travers les analyses quantitatives et les entretiens qualitatifs réalisés, on aperçoit
assez clairement l’existence d’obstacles linguistiques dans le paysage de la microfinance
au Sénégal, entre les IMF et leurs clients. Ces obstacles linguistiques observés prennent
naissance à partir de l’écart linguistique entre les IMF et leurs clients. L’expérience
montre que selon que l’on est en ville ou en zone rurale, la nature des obstacles peut
considérablement changer.

À voir l’ampleur de ces difficultés rencontrées par les IMF, notamment au niveau des
remboursements, de l’auto-exclusion de certains clients du fait qu’ils ne comprennent
ni le wolof ni le français, et du risque d’entrer dans le PAR 30 que présentent les clients
à faible compétence en français, il s’impose aux IMF de mettre sur pied des stratégies
diverses et adéquates afin d’apporter une solution à ce problème. Cela devrait
commencer par intégrer la question linguistique dans les stratégies économiques des
IMF, notamment par une stratégie de proximité, pour remettre le client et ses besoins
au centre des préoccupations des IMF. Nous estimons qu’une stratégie de proximité par
la langue, notamment celle du client, peut être un moyen de renforcer le dynamisme de
la microfinance et de la rendre plus inclusive à travers trois niveaux :

268
1. une proximité d’accès : Évoluant comme un instrument qui facilite la
compréhension mutuelle, l’usage de la langue du client donne un accès
facile à l’institution bancaire. Gloukoviezoff (2004) identifie la complexité
du langage bancaire comme étant parmi les causes de l’exclusion
financière chez les personnes à niveau d’instruction bas. Ainsi, on peut
analyser la proximité de la langue comme une des solutions au
phénomène d’exclusion bancaire, observé dans le paysage de la
microfinance au Sénégal.

2. une proximité identitaire : Le partage d’une même langue peut être une
source de rapprochement identitaire. En Côte d’Ivoire, une étude de
Caseau et Kouamé (2015) montre qu’en zone rurale lorsque l’agent
d’accueil d’une banque ne parle pas la même langue que le client, celui-ci
ne l’accepte pas comme quelqu’un de sa culture, c’est-à-dire quelqu’un
qui comprend et accepte son environnement comme lui. Dans nos
entretiens au Sénégal, il est apparu que les clients, généralement sous-
scolarisés, sont très sensibles aux conditions dans lesquelles ils sont
accueillis, et notamment la langue utilisée par l’interlocuteur, qui dans ce
cas est le gestionnaire de clientèle. Dans ce contexte, accueillir le client
dans sa première langue instaure un climat de confiance, dans lequel ce
dernier voit en son interlocuteur une personne sur qui il peut compter,
d’autant plus que la plupart des clients des IMF sont novices en matière
de produits financiers.

3. une proximité relationnelle : l’usage de la langue du client, qu’elle soit


minoritaire ou non dans la région, peut être un atout supplémentaire
pour les IMF opérant en contexte multilingue. Au-delà des raisons déjà
évoquées, l’usage de la langue des clients peut être perçu comme un
ancrage culturel fort, ce qui tend à renforcer la solidité des rapports
entre l’IMF et sa clientèle locale. Au-delà de la relation avec son agent de
crédit (proximité identitaire), le client développe un sentiment
d’empathie envers l’institution.

269
L’exemple de la banque Raiffeisen en Autriche

En Autriche, précisément à Vienne, le groupe bancaire Raiffeisen


construit une politique active de développement et de fidélisation auprès
d’une clientèle d’immigrés originaires de l’ex-Yougoslavie et de la Turquie.
Son activité et sa communication mettent principalement l’accent sur la
proximité qui passe par le fait de communiquer avec le client dans sa
langue active. Par exemple, parmi les 72 agences de la banque à Vienne,
dix travaillent pour les services aux étrangers et reçoivent ces derniers
dans leurs langues maternelles d’origine.

Une enquête de la banque réalisée parmi sa clientèle a révélé que les


clients souhaitent être reçus de façon continue par un interlocuteur natif,
recevoir de l’aide pour surmonter les barrières linguistiques, et
apprécient d’obtenir des informations et explications facilement
compréhensibles.

Pour s’assurer de l’aptitude de son personnel à faire face à une telle


demande, la banque organise des ateliers interculturels pour ses
employés, dans le but de les préparer à se familiariser avec la culture de
bienvenue des clients. À titre d’exemple, chaque gestionnaire de
portefeuille est tenu de savoir qu’un entretien avec un client turc peut
tourner à 80% autour d’une discussion pas forcément liée à sa relation
contractuelle avec la banque (Caseau et Kouamé, 2015). Selon
l’expérience des conseillers de la banque, les conversations tournent
également autour du pays ou du lien d’origine commun, de la famille, du
travail, de la vie au pays d’accueil, et autour d’autres sujets qui ne sont
que rarement abordés de la même façon avec les clients germanophones.

Dans la communication bancaire de proximité en contexte multiculturel, l’usage des


langues actives des clients constitue un moyen permettant de capitaliser la
confiance entre les acteurs. À travers l’analyse ci-dessus, on constate qu’au-delà même
de l’enjeu de la performance financière, le partage de la langue peut être un facteur
d’intégration et de développement capable de contribuer à la lutte contre l’exclusion
270
financière, à travers le pacte de confiance qui s’établit entre les deux acteurs. Comme le
souligne Tiran (1997), la confiance entre acteurs est le socle sur lequel repose le secteur
financier. Avant d’avoir une transaction financière avec quelqu’un, telle que le crédit,
l’épargne ou l’assurance, il convient tout d’abord de savoir à qui on a affaire pour mieux
cerner les éventuels risques et opportunités encourus. C’est ce que Bruna et Deluzet
(2014) désignent comme « confiance sociale », qui est ce savoir préalable qui permet de
réduire le risque encouru et donc de renforcer la confiance en soi et la confiance dans
l’autre, donc le capital social. Le concept de capital social a été introduit en sociologie
par Bourdieu (1980) pour éclairer le phénomène de préservation des classes sociales. Il
est aujourd’hui mobilisé en économie pour étudier la proximité des relations entre
acteurs. Ainsi, dans le domaine bancaire, Caseau et Bonescu (2014) ont montré que la
rhétorique de proximité en contexte multilingue, qu’ils définissent comme le fait de
s’adresser au client dans sa propre langue, affecte positivement l’attitude du
consommateur vis-à-vis du produit proposé. Dans le paysage de la microfinance où les
relations sociales sont très fortes, la langue du client, à travers laquelle il s’exprime
naturellement et comprend son environnement, est incontournable si l’on veut être et
rester dans une relation équilibrée entre IMF et client. Cela induit le rôle de plus en plus
important de l’usage de la langue de proximité dans un tel secteur où le niveau
d’analphabétisme est encore important, et où les acteurs, ou du moins un des acteurs,
accordent une certaine importance aux valeurs identitaires et d’appartenance
culturelle. Ainsi, le traitement de la confiance peut être considéré comme un capital au
sens économique du terme qui se singularise par le développement d’un modèle de
communication plurilingue de proximité dont la Banque Raiffeisen s’est inspirée en
Autriche. Ce modèle de communication inclusif et dynamique met en évidence
l’efficience de l’utilisation des langues des clients dans l’élaboration de la relation avec
la clientèle.

271
8.2.5 Conclusion par rapport à l’hypothèse 4
Par conséquent, l’utilisation des langues locales comme moyen de mettre en place une
communication de proximité permet de constituer un capital de confiance, facteur
d’essor et de progrès dans la relation entre l’institution financière et son client. Dans
certaines populations pratiquant encore l’épargne thésaurisée, notamment au Sénégal
et principalement en zone rurale, où les pratiques financières telles que nous les
connaissons aujourd’hui ne sont pas fréquentes, le rapport à la banque peut parfois
susciter crainte et angoisse. Dans ce contexte multiculturel, où les représentations
sociales associées à l’argent peuvent susciter une certaine méfiance entre les acteurs, la
compréhension mutuelle à travers des valeurs identitaires et d’appartenance
communes, comme la langue de proximité, se positionne incontestablement comme
une réponse au phénomène de l’exclusion sociale et financière. La relation bancaire
doit donc reposer d’abord sur l’empathie, puis sur la confiance. De ce fait, en tant
qu’outil d’intégration, qui vise en permanence la légitimation des actions de l’acteur
fournisseur de services et produits, par l’accessibilité du jargon et du discours déployé,
elle permet de renforcer son capital social auprès de la clientèle tout en restant efficace
et inclusive. On peut aisément comprendre que quand le conseiller en clientèle d’une
banque dispose aussi bien des compétences linguistiques nécessaires et des
connaissances de la culture de son interlocuteur, son client, la confiance et l’empathie
s’établissent plus facilement.

À partir de là, considérer la langue comme un capital dans le secteur de la microfinance


et en contexte multilingue, apparaît comme une thèse scientifiquement fondée,
puisque du simple moyen d’intermédiation, elle devient un élément sensé procurer une
valeur supplémentaire à l’IMF prestataire de services microfinanciers.

272
8.3 Peut-on contourner l’obstacle linguistique dans l’industrie de la
microfinance ?
Même si, en milieu urbain sénégalais, le wolof comme langue de substitut au français
permet aux agents de crédit d’entrer en matière avec la plupart de leurs clients sous-
scolarisés ou illettrés, les IMF ne peuvent ignorer les minorités linguistiques qui font
partie de la cible prioritaire de la microfinance. En zone urbaine sénégalaise,
particulièrement dans les grandes villes, la cohabitation entre plusieurs groupes
ethniques est fréquente, notamment dans les banlieues de Dakar telles que Pikine,
Guédiawaye et Thiaroye. Ce contexte multiculturel, répandu dans les zones urbaines et
parfois trop simplifié à tort, peut induire en erreur lorsqu’il s’agit de définir les besoins
et priorités de ces populations. Dans la plupart des sociétés multiculturelles,
notamment africaines, l’expérience de terrain montre que les styles de vie, les formes
linguistiques et les registres d’une même langue, les modes de communication et
même les systèmes de pensée, ne peuvent pas être ramenés à un seul modèle ni se
concevoir en termes de représentations définitives (UNESCO, 2015). Par exemple, dans
la communauté multiculturelle sénégalaise, les groupes ethniques minoritaires qui
viennent s’installer aux alentours des grandes villes (dans les banlieues) ont tendance à
garder leurs langues et pratiques qui, pour eux, constituent une référence à laquelle ils
sont particulièrement attachés. Pour ces derniers, la langue, comme la culture, joue un
rôle déterminant dans la construction et l’affirmation de leur identité particulière, tant
à l’intérieur qu’à l’extérieur d’une même communauté linguistique. Dans un tel
contexte, il appartient aux IMF de s’adapter aux réalités sociolinguistiques régionales,
afin d’inclure le maximum de personnes à faible revenu, aussi diverses soient elles.

Une solution pour ce cas précis, observé en milieu urbain et semi-urbain, serait de
prendre le temps de former des agents de crédit qui parlent parfaitement les langues
locales présentes dans ces villes, en tenant compte des minorités linguistiques.
L’objectif serait de les préparer techniquement et psychologiquement, et de les
immerger dans la culture des populations locales, dans ses pratiques et ses symboles,
afin qu’ils soient en mesure d’instaurer une communication claire et précise avec les
clients, quelle que soit la nature des produits financiers et leur complexité. Dans de
pareils cas, où l’imperfection du marché due en partie à une asymétrie d’information,
273
l’empathie avec les populations concernées est une nécessité si l’on veut établir une
relation de confiance qui part de la structure sociale à partir de laquelle est définie la
nature de la plupart des relations entre individus et groupes sociaux. Et cela d’autant
plus que le lien entre la structure sociale et l’activité économique n’est plus à
démontrer (Granovetter, 2006), plus particulièrement en cas d’imperfection du marché
comme celui de la microfinance où l’essentiel de l’information est subtil, nuancé et
difficile à vérifier. Comme nous l’avons constaté dans les entretiens, lorsqu’un client
voit un agent de crédit qui comprend sa langue, il en fait un frère et la relation de
confiance s’établit naturellement. Elle s’établit à des coûts relativement faibles,
constituant dès lors un moyen de contourner l’asymétrie d’information entre le client et
son agent de crédit. Des pratiques similaires existent déjà dans le milieu bancaire. Une
étude d’Uzzi (1999) consacrée au marché bancaire des PME dans la banlieue de Chicago
a montré que certaines banques investies dans les activités informelles utilisent une
stratégie qui consiste à donner la possibilité à leurs clients, avec qui elles ont développé
des relations personnalisées, de payer des taux d’intérêts plus faibles que la moyenne
générale existant sur le marché. De ce fait les banques cultivent de tels contacts comme
une stratégie d’entreprise qui leur permet de baisser les coûts liés à l’asymétrie
d’information mais aussi de fidéliser le client. L’intégration des langues locales dans le
processus de production, sans oublier celles minoritaires, est sans doute un moyen
efficace d’utiliser la structure sociale dans laquelle vivent les personnes à faible revenu
comme un atout pour les IMF.

S’agissant du taux d’intérêt, l’expérience montre que les personnes sous-scolarisées


peuvent avoir des difficultés techniques à les comprendre, surtout lorsqu’il est expliqué
en une langue autre la sienne. Une meilleure stratégie consisterait non pas à leur parler
du taux d’intérêt appliqué, mais plutôt à leur donner le montant supplémentaire qui
sera versé sous forme d’intérêt. Cela nécessite d’intégrer les langues locales dans la
formation des agents de crédit, mais aussi de tous les autres agents qui sont amenés à
être en contact avec les clients. Nos entretiens montrent par exemple qu’une des
difficultés rencontrées par le personnel, notamment les agents de crédit et les chargés
de clientèles, est de traduire les montants accordés aux clients en langues nationales.
En effet, quand il s’agit de traduire un montant d’argent en FCFA vers le wolof par
274
exemple, pour donner sa valeur exacte, le montant est divisé par cinq. Par exemple, un
montant de 2'000 FCFA serait traduit en 400 « deureum60 », sachant qu’un « deureum »
équivaut à cinq FCFA. Par conséquent, pour un client illettré sénégalais qui a obtenu un
financement de 200'000 FCFA, il y a davantage de sens à lui dire que vous avez obtenu
un montant de 40’000 « deureum », ce qui n’est pas évident lorsque les agents ne sont
pas préparés à ce genre d’exercice. Lors des focus group, nous avons constaté toute la
pertinence d’une telle stratégie qui consiste à utiliser les langues locales quand il s’agit
d’expliquer à des personnes sous-scolarisées ou illettrées certains termes financiers qui
leur sont utiles, comme le taux d’intérêt, les montants accordés ou les montants des
remboursements mensuels.

Si en milieu urbain la problématique concerne surtout la non-prise en compte des


minorités linguistiques, en milieu rural c’est surtout l’accès des clients aux IMF qui pose
problème. En dehors de la faiblesse des montants demandés considérés comme frein
au développement de la microfinance en zone rurale (Servet, 2007 ; Morvant-Roux,
2009), des études montrent que même lorsque les IMF sont présentes en zone rurale,
l’obstacle linguistique freine l’adhésion de nouveaux clients (Fasse Mbouya, 2014). Un
responsable de PAMECAS nous décrit la situation en ces termes :

« De mon expérience personnelle, le problème linguistique est


plutôt présent en zone rurale, comme aussi dans la banlieue où
nous avons beaucoup de clients « analphabètes » qui ne parlent
pas forcément wolof. Par exemple, à Médina Gounass, devant
certaines situations, j’ai été obligé de faire appel à un agent de
crédit qui parle la langue du client » (Cadre à PAMECAS, 43 ans).

Un autre responsable de BAOBAB livre un témoignage qui décrit parfaitement des


événements inattendus que les agents de crédit ou autres responsables rencontrent de
temps en temps sans qu’ils ne s’y soient préparés.

« Je suis parti faire un audit dans un quartier de la banlieue en


zone rurale. Quand je suis arrivé sur place, j’ai trouvé des clients

60
Proviendrait de la monnaie maghrébine « dirham », introduite en Afrique de l’Ouest par les arabes vers
le XIIe siècle
275
qui ne savaient parler ni le français ni le wolof. Ils ne savaient
communiquer qu’en pular. Bien que l’agent de crédit
responsable de la zone se débrouille en pular, je ne pouvais pas
l’appeler parce que j’étais venu auditer son travail auprès des
clients. J’avoue que ce genre de situation n’est pas prévu, mais
je me suis débrouillé avec un collègue qui lui aussi sait se
débrouiller en pular. Ceci pour vous dire qu’à chaque situation,
nous trouvons les moyens de nous adapter parce que nous
sommes des professionnels » (Cadre à BAOBAB, 41 ans).

En milieu rural où les obstacles linguistiques entre les agents de crédit et les
personnes à faible revenu sont plus persistants, la solution pour les IMF doit
nécessairement passer par une réorganisation interne de leurs stratégies. L’une
d’elles serait de tenir compte de cette diversité linguistique et même ethnique
dans la formation des agents de crédit et dans leur affectation. C’est donc dire
que les IMF ont tout intérêt à développer des stratégies leur permettant de
contourner l’obstacle linguistique en zone rurale. Pour ce genre de situation, les
IMF peuvent développer une formation en langues locales, tout en en intégrant
les langues locales minoritaires. Pour Lämmermann (2010), quelle que soit
l’opinion que l’on ait à ce sujet, que l’on soit pour ou contre, il est clair qu’intégrer
dans les institutions de microfinance et dans les procédures de prêt une meilleure
compréhension des besoins des minorités et de leur culture constitue la
première étape vers l’offre d’un service inclusif pour ce genre important de clients
potentiels. Une méthode utilisée dans certaines IMF, comme à BAOBAB, est de
prendre des « interprètes informels » dans les régions où les clients et les agents
de crédits ne parlent pas la même langue, comme en témoigne un ancien agent
de crédit, devenu cadre :

« Dans les formations que nous faisons dans le monde rural,


nous avons toujours une personne de référence dans la localité,

276
et c’est toujours un « intellectuel61». La personne
intellectuelle joue un rôle très important dans la transmission
des informations, car on a noté que parfois, les clients qui ne
parlent pas le français sont complexés de prendre la parole
même quand ils n’ont pas compris. Mais comme ils n’ont pas de
complexe vis-à-vis de « l’intellectuel » qui est un des leurs, ils lui
posent les questions et ce dernier nous en fait part. Pour nous,
ce relais est très important dans la communication avec les
clients, surtout en zone rurale » (Cadre à BAOBAB, 38 ans).

Mais cette stratégie a montré ses limites, car les personnes engagées comme
« interprètes » n’étant pas des professionnels du milieu, elles ne maîtrisent pas
forcément les produits financiers en cause ; d’où la nécessité de recruter et de former
des agents qui pourront communiquer avec les clients, dans leurs langues locales. Dans
l’étude Mbouya (2014), portant sur le multilinguisme dans le contexte camerounais, un
de ces interviewés, chargé de clientèle dans une IMF disait : « lorsque dans la
prospection vous détectez un client qui partage la même langue locale que vous, ce
patrimoine commun crée rapidement une relation et un climat de confiance car le
client voit toute de suite un frère ou une sœur du village qui ne peut certainement pas
lui mentir » (Mbouya, 2014, p.12). Ceci est d’autant plus valable que la microfinance
souffre d’une crise de confiance ces dernières années. Quand l’agent de crédit parle la
langue de son client, il se donne la possibilité de lui expliquer oralement les détails des
services et le contenu du contrat, mais aussi de l’aider pour le remplissage des
documents. À BAOBAB, une pratique qu’utilisent les clients sous-scolarisés ou illettrés
consiste à venir avec un membre de leur famille ou un ami, qui a un bon niveau de
compétence en français, dans le but d’être assisté durant toute la procédure
administrative.

Cependant, il convient aussi de souligner que lorsque les relations entre l’agent de
crédit et son client sont trop personnalisées, parce qu’ils parlent par exemple la
même langue locale, ou qu’ils sont de la même ethnie, cela présente certes des

61
Par intellectuel, il sous-entend une personne ayant fait des études qui lui permettent de tenir une
communication plus ou moins soutenue en français.
277
avantages comme nous venons de le montrer, mais cela peut aussi engendrer des
difficultés, surtout dans le long terme. En effet, un lien linguistique ou ethnique,
au-delà des avantages dont nous avons parlé, peut créer une familiarité entre
l’agent de crédit et son client qui n'est pas toujours favorable pour l’IMF. Un agent
de crédit rencontré à Mboro et membre de l’ethnie peul dit avoir dans certains
cas transféré des clients à d’autres agents parce qu’il n’arrivait plus à gérer la
relation devenue trop familière. Il explique cette situation en ces termes :

« Durant son premier crédit, le client en question s’est très bien


comporté. Je pense que sur dix remboursements il n’a été en
retard qu’une seule fois. Mais après le renouvellement de son
crédit, tout a changé. Et personnellement, je pense que ce
changement provient de la relation que j’ai naïvement développée
à tort avec lui, parce que justement nos parents viennent du même
village, à Podor62. Il se permettait même de me demander de lui
compléter son versement mensuel. Bref, il ne faisait plus la
différence entre ce que nous avons en commun et l’institution »
(Agent de crédit à BAOBAB, 38 ans).

Ce lien de familiarité, s’il n’est pas bien canalisé, peut amener le client à prendre des
libertés et aborder avec légèreté le remboursement de sa dette, pensant que son agent
de crédit prendra sa défense au cas où il ne rembourse pas comme il faut.

62
Podor est une région située au nord du Sénégal, majoritairement peuplée par les peuls.
278
PARTIE IV : APPLICATIONS/CONSÉQUENCES SUR LE RÔLE DES IMF
DANS LE DÉVELOPPEMENT
À partir des analyses empiriques et de l’évolution de la microfinance dans le contexte
sénégalais, et de façon plus générale dans les régions en développement d’Afrique
subsaharienne, on voit que les acteurs actuels, tels que les pouvoirs publics, les IMF, les
organisations internationales et les clients doivent nécessairement réadapter certaines
de leurs pratiques pour amener la microfinance à jouer un rôle plus important dans la
question du développement. Cette quatrième et dernière partie de notre travail va dans
ce sens et est organisée en deux sous-parties. La première est consacrée aux
applications et recommandations, et la seconde sous-partie présente des perspectives
modernes à explorer dans le paysage de la microfinance.

279
280
9 Chapitre IX : Applications et recommandations
L’analyse de la dynamique de la microfinance dans les pays en développement,
particulièrement au Sénégal, fournit des exemples de réussite, tels que l’accès pour de
plus en plus de personnes à faible revenu au financement des IMF, mais en même
temps son émergence reste émaillée d’échecs par rapport aux objectifs originels de la
microfinance. Comme nous l’avons évoqué dans les deux chapitres précédents, les
difficultés rencontrées par les IMF pour un financement adéquat des personnes à faible
revenu sont d’une part de type financier et organisationnel, comme la problématique
des coûts de production élevés, la standardisation systématique des offres
indépendamment des activités financées ou l’absence d’une gouvernance adéquate,
mais d’autre part elles sont aussi socio-culturelles, dans la mesure où certains aspects
importants de la vie culturelle, tels que la langue, ne sont que rarement pris en compte.
Cette situation crée un rapport déséquilibré dans le secteur qui nécessite une prise de
conscience des différentes parties, mais aussi une réattribution précise et adaptée des
responsabilités entre les différents acteurs qui interviennent dans le secteur : les IMF,
les clients, l’État et les organisations internationales.

281
9.1 Fonctions des IMF
L’adéquation des offres des IMF aux besoins des clients à faible revenu requiert non
seulement de connaître les besoins des clients, dans leur diversité et leurs contraintes
relatives, mais elle est aussi fortement dépendante du type de gouvernance mis en
place, de son adaptabilité au contexte local compte tenu de plusieurs paramètres et de
son efficacité. Elle met en avant la responsabilité des fournisseurs de services et
produits microfinanciers, dans leurs pratiques et organisations.

9.1.1 Partir plutôt des besoins


Les clients des IMF, dans la plupart des cas, présentent des caractéristiques qui ne
peuvent être ignorées pour le développement de services et produits microfinanciers
adaptés à leurs situations. Le manque de revenu est sans doute la caractéristique le plus
médiatisée et la plus facile à observer, mais il existe d’autres caractéristiques, qui certes
sont liées d’une façon ou d‘une autre au manque de revenu, et qui sont essentielles
dans la mesure où elles impactent directement les moyens et les méthodes
d’expression de la personne, qu’elle en soit consciente ou pas. Dans une analyse
microéconomique classique, l’analyse du circuit d’un marché permet d’appréhender les
besoins des consommateurs à travers les produits et services mis en circulation par les
producteurs, ce qui reste dans une logique de répondre à la demande exprimée par les
consommateurs sur le marché considéré. Cependant, bien que cela ne soit pas toujours
mentionné, cela suppose un marché où l’information est parfaite, permettant aux
producteurs d’être informés des besoins des consommateurs, des quantités souhaitées,
et d’autres informations nécessaires comme le prix que les consommateurs sont
disposés à payer pour les biens en question. Pour que ces conditions soient réunies, au
moins trois éléments sont indispensables : la certitude que les consommateurs
expriment leurs besoins dans leur diversité, le prix qu’ils sont prêts à payer, et l’accès
des producteurs à ces informations.

Or, pour différentes raisons évoquées dans nos entretiens, il est quasiment impossible
de répertorier avec précision les besoins des clients de la microfinance à partir de la
demande exprimée. Reprenant le cas du Sénégal, on constate que ce sont plutôt les
clients qui ont tendance à s’adapter aux offres des IMF, en dissimulant leurs besoins

282
réels pour les faire coïncider avec l’offre des IMF. Cela se voit par exemple dans les IMF
qui « officiellement » n’octroient que des crédits à des fins d’investissement. En
pratique, il apparaît selon nos entretiens que près de 30% des crédits accordés ont servi
à d’autres fins, telles que l’éducation des enfants, la formation, ou d’autres besoins
socioculturels. Bien qu’étant conscients que les modalités d’accès et de
remboursements sont faites à partir d’activités productives, et plus généralement le
commerce, les clients souhaitant accéder à des financements autres que commerciaux
se trouvent presque dans l’obligation de contourner le système de financement mis en
place, car ce dernier n’est pas directement adapté à leurs contraintes. Dans ce type de
marché, la demande exprimée reste le financement d’activités productives, bien que les
besoins financiers des clients, rien que concernant les types de financements dont ils
ont besoin, soient multiples. C’est aussi un des problèmes de la standardisation dans le
marché de l’offre.

Dans le marché de la microfinance, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, il existe au moins


trois obstacles qui vont à l’encontre de la réalisation de conditions optimales pour bien
identifier les besoins des clients dans leur diversité.

1. Le premier obstacle que l’on rencontre dans la clientèle est le niveau


d’instruction qui est plus bas que la moyenne en général. Elle est
essentiellement constituée de personnes à faible revenu. Dans le cas du
Sénégal, on estime à moins de 15% les clients des IMF pouvant faire leurs
transactions en français, sans besoin d’aides. Cela pourrait ne pas être un
problème majeur si des mesures spécifiques étaient prises par les IMF dans le
but d’instaurer une communication inclusive et participative pour les deux
parties. Or, le constat général est qu’aucune stratégie linguistique n’est mise en
place dans les IMF sénégalaises, à part de rares tentatives individuelles et
dispersées d’agents de crédit mis devant le fait accompli. L’existence d’obstacles
linguistiques dans la communication entre IMF et client renforce le manque
d’informations des IMF concernant les besoins de leurs clients et les contraintes
spécifiques qu’ils sont susceptibles de rencontrer.

283
2. Le deuxième obstacle que l’on rencontre dans le marché de la microfinance,
notamment dans l’estimation des besoins des clients à faible revenu, est que
dans certains cas, le client peut ne pas connaître le produit financier adapté à
son besoin. Cela s’explique par le fait que ce sont généralement des personnes
qui ont peu d’expérience dans le marché financier, et qui à part le crédit
d’investissement ont peu d’information sur d’autres produits financiers pouvant
exister dans les IMF. Pour cette raison, l’introduction d’un nouveau produit dans
un secteur de la microfinance peut être délicate, car elle demande un travail
préalable auprès de la clientèle potentielle, permettant de savoir avec précision
ce dont réellement elle a besoin selon ses contraintes. L’échec du produit
d’assurance-vie que BAOBAB a essayé de mettre en place en 2015 sous le nom
d’« assurance vie » est un cas parmi beaucoup d’autres. Nos entretiens avec la
Direction de BAOBAB laissaient entendre que la clientèle n’était pas intéressée
par ce produit d’assurance. Pourtant nos enquêtes sur le terrain montrent tout
le contraire, mais cela nécessite une communication participative dans laquelle
le client parvient à identifier les tenants et les aboutissants du produit. L’erreur
de BAOBAB dans cette tentative a été de partir du produit pour convaincre les
clients, ce d’autant plus que les questions relatives au décès sont très sensibles
dans la plupart des communautés sénégalaises.

3. Le troisième obstacle concerne l’absence d’informations des IMF à propos de


leurs clients, ce qui ne leur permet pas de répondre avec précision à l’une des
questions essentielles avant la production de tout bien et dans tout secteur :
pour qui produire ? Les IMF ont généralement peu d’information sur leurs
clients, non pas parce qu’elles n’en veulent pas, mais du fait que la plupart de
ces clients sont issus du secteur informel, d’où une quasi impossibilité pour les
IMF d’obtenir des informations fiables sur leurs clients à un coût raisonnable. Ce
troisième obstacle pourrait être à priori réglé progressivement par le souhait des
IMF de mettre en place une centrale des risques accessible à toutes les IMF,
dans laquelle elles enregistreraient toutes les informations dont elles disposent
sur leurs clients. Mais cette centrale des risques tarde à être mise en place, du
fait que l’UMOA n’a pas encore donné son accord.
284
9.1.2 Intégrer la dimension linguistique
Tout au long de ce travail, nous avons pu constater la place et l’importance des langues
locales au sein de la clientèle de la microfinance. Dans les grandes villes, notamment
Dakar, Thiès, Diourbel, Kaolack et Saint-Louis, la langue wolof est par excellence la
langue de communication dans la vie quotidienne des Sénégalais, bien que dans les
zones périphériques, comme dans les banlieues, les autres langues locales,
particulièrement le pular, le sérère et le diola, sont très présentes, cela s’expliquant en
partie par l’exode rural. Dans les régions plus éloignées de la capitale comme
Ziguinchor, Sédhiou, Kolda, Tambacounda, Kédougou et Matam, la langue wolof perd sa
première place en tant que langue de communication, au profit du socé, du diola, du
malinké, du bambara ou du pular. Ce panorama linguistique fait du Sénégal un pays
profondément multilingue, à des degrés différents selon les régions. Bien que le
français soit la langue officielle dans laquelle travaille toute l’administration, y compris
la plupart des institutions privées officiellement reconnues, on estime que moins d’une
personne adulte sur six est capable de tenir une communication en français. Ce ratio est
encore plus alarmant si l’on considère uniquement les personnes à faible revenu, au
sein desquelles on trouve les plus faibles taux de scolarisation en français. Par
conséquent, le paysage linguistique sénégalais ne peut pas être indifférent aux acteurs
de la microfinance, plus particulièrement aux fournisseurs de services et de produits
microfinanciers, qui ont comme clients principaux les personnes à faible revenu n’ayant
pas accès aux services financiers classiques. Autrement dit, les IMF doivent éviter la
stratégie utilisée par l’administration sénégalaise, qui consiste à n’accorder aucune
fonction officielle aux langues locales, et ce pour deux raisons.

1. Premièrement, l’administration sénégalaise, telle qu’elle est organisée et telle


qu’elle fonctionne, ne laisse que peu de place aux personnes n’ayant pas fait des
études avancées. Elle reste élitiste et est vue par certains comme une forme de
domination exercée sur les personnes ayant un niveau d’instruction bas ou très
faible. Or, un des objectifs importants de la microfinance, si ce n’est le plus
important, est de mieux inclure à la fois socialement et financièrement ces
personnes considérées comme les principales victimes du système. Reconduire
285
le même système que l’administration sénégalaise, en termes de stratégie
linguistique, qui consiste à n’offrir aucune alternative linguistique aux personnes
ne sachant pas communiquer en français, risque de creuser davantage l’écart
existant entre la classe élitiste des 10% et la classe la moins favorisée des 90%.

2. deuxièmement, accorder une fonction importante aux langues locales peut être
une stratégie efficace dans le fonctionnement des IMF et économiquement
rationnelle par rapport aux objectifs financiers. On peut se demander pourquoi
les IMF sénégalaises, considérant qu’elles sont des agents rationnels, ne jugent
pas opportun en l’état actuel des choses d’intégrer les langues locales dans leur
fonctionnement interne. Dans le contexte sénégalais, l’écrasante majorité des
personnes à faible revenu n’a pas accès aux services microfinanciers. En dehors
de la région de Dakar, on estime à plus de 80% les personnes qui n’ont jamais
contracté un service financier dans une institution financière (Direction de la
microfinance, 2018). Cela fait que les IMF, malgré certaines difficultés, disposent
encore d’une grande marge de leur clientèle. Cela explique en partie qu’en
dehors de la région de Dakar la concurrence entre IMF dans la recherche de
nouveaux clients n’est pas forte, ce qui tend progressivement à changer avec la
forte croissance de la microfinance. Récemment, à BAOBAB, avec l’arrivée de
plus en plus de nouvelles IMF dans le centre urbain, un service pour le suivi de la
clientèle a été créé dans le but de fidéliser la clientèle. Une façon intelligente de
se différencier des autres IMF serait d’intégrer les langues locales dans le
fonctionnement des IMF, en leur donnant des fonctions officielles, de sorte que
tous les clients, quel que soit leur groupe linguistique, puissent être accueillis et
servis dans leur première langue.

D’un point de vue pratique, l’intégration des langues locales dans les stratégies de
développement des IMF ne doit pas se faire par des initiatives personnelles des agents
de crédit. Elle doit être organisée et planifiée par les IMF au cœur de leurs stratégies de
développement, tout en fixant des objectifs clairs. Un principe sur lequel les IMF
pourraient travailler serait de spécifier un programme avec des délais précis qui à la fin
permettrait à tout client d’avoir la possibilité d’être servi en sa langue première. Cela

286
peut bien évidemment poser la question de l’équipement des langues locales, compte
tenu de plusieurs paramètres tels que la faiblesse des moyens techniques, la non
disponibilité de support techniques, le manque de terminologie spécialisée, plus
particulièrement dans le domaine financier (Zouogbo, 2019). Mais pour éviter d’aller
trop loin sur cette question hautement importante et long-termiste, nous nous limitons
aux changements immédiats que les IMF doivent nécessairement apporter dans leur
organisation interne pour mieux intégrer la dimension linguistique.

L’idée n’est pas de couvrir toutes les vingt-deux langues nationales codifiées, vu
l’investissement que cela pourrait nécessiter, mais de couvrir au moins les six langues
nationales qui servent comme langue de communication pour plus de 90% de la
population sénégalaise. Pour cela, les IMF peuvent par exemple mettre dans chaque
agence des agents qui savent parler chacun une des six langues nationales. Elles
peuvent aussi faire un ciblage, basé sur les langues dominantes dans chaque région. Par
exemple, vu que dans la banlieue dakaroise, les langues sudistes comme le diola et le
socé sont très fréquentes, il pourrait être intéressant de doter de moyens techniques et
financiers l’agence responsable de cette zone, en y affectant des agents préparés et
parfaitement formés pour entrer en matière avec la clientèle régionale en les servant
dans leur propre langue. Dans un tel système, il ne serait pas exclu de voir quelques
clients intéressés, issus de zones dans lesquelles ce choix linguistique n’est pas prévu.
Mais dans de pareils cas, l’IMF pourrait tout à fait les transférer dans les agences
équipées pour ce genre de situation. Ce dispositif linguistique, à la fois progressif et
flexible, pourrait être un point de départ pratique et efficace pour mieux intégrer la
dimension linguistique dans le secteur de la microfinance.

En pratique, le dispositif pourrait prendre forme à trois niveaux :

1. Au premier niveau, selon les besoins linguistiques régionaux, la formation des


agents, plus particulièrement celle des chargés de clientèle et des agents de
crédit, doit prévoir des modules dans lesquels on forme ces derniers en langues
nationales, en fonction des langues dominantes dans la région. Les modules
devront être axés sur les besoins financiers régionaux, lesquels sont liés aux
activités dominantes dans la région. Dans les régions du sud où les activités

287
dominantes sont l’agriculture et la pêche, il peut être très utile que les agents
non seulement puissent communiquer avec les Diolas, les Socés et les Peuls,
mais aussi qu’ils comprennent le jargon technique utilisé, ainsi que les valeurs
culturelles et symboliques auxquelles les personnes s’identifient.

2. Au deuxième niveau, le recrutement d’interprètes et de traducteurs pourra être


un complément du premier point. Mettre en place un service de traduction, du
français vers les langues locales, peut être opportun pour les clients qui ont un
niveau faible en français mais sont capables d’écrire et de lire en langues
nationales. Il faut préciser qu’en plus des langues nationales et le français,
l’arabe constitue une langue d’alphabétisation pour 11% de la population
sénégalaise (ANSD, 2014). Parmi les personnes qui n’ont jamais été à l’école
française, beaucoup savent parler, lire et écrire l’arabe, du fait que la plupart des
ménages, surtout ruraux, amènent leurs enfants à l’école coranique dès le bas
âge. Contrairement au français, vu comme la langue des intellectuels et des
acteurs économiques du secteur formel, l’arabe est surtout associé au domaine
religieux, notamment dans les écoles et organisations musulmanes. En dehors
du domaine religieux, la langue arabe reste très marginale par rapport au
français et aux langues locales. Nos enquêtes ont aussi montré que beaucoup de
clients ont comme première langue une langue autre que le français
(généralement une langue nationale), mais que pour la majeure partie d’entre
eux, la connaissance de leur première langue est seulement orale. Pour ce genre
de clientèle, mettre en place un service d’interprétation, capable de leur
expliquer en langue locale tous les éléments nécessaires dans la relation
contractuelle, plus particulièrement le contenu du contrat de crédit, peut être
une solution adaptée et efficace.

3. Enfin, pour éviter des écarts de conduite et de traitement asymétrique des


agents, les dispositions prises doivent être prescrites dans le règlement qui régit
le fonctionnement des IMF, afin qu’elles soient reconnues comme étant
officielles. Le droit de tout client d’être servi en sa première langue, ou au moins
dans une des six langues nationales, pourrait même être la disposition générale

288
à partir de laquelle toutes les stratégies linguistiques consistant à intégrer les
langues locales seraient appliquées. Rendre officielles de telles dispositions dans
les IMF, au-delà des avantages que nous avons évoqués, est aussi un moyen de
mieux outiller ces dernières dans leurs perspectives de développement, tant sur
le plan juridique que sur le plan financier.

9.1.3 Rééquilibrage des systèmes de gouvernance selon le statut des IMF


Qu’elle soit mesurée par le taux de remboursement, par la capacité d’autofinancement
ou par la gestion des risques, l’efficacité de la gouvernance dont nous parlons dans ce
travail renvoie à la fiabilité et à la transparence du processus de décision opérationnelle,
c’est-à-dire à la gouvernance interne des IMF dans leur fonctionnement, mettant en
lien l’institution elle-même et les clients. À travers BAOBAB et PAMECAS, on s’aperçoit
que le type de gouvernance mis en place est très dépendant du statut des IMF, et qu’il
constitue incontestablement un point de départ pouvant expliquer la nature des
produits financiers créés par les IMF et leurs caractéristiques.

L'analyse de la gouvernance dans les IMF constitue donc pour la microfinance un


élément supplémentaire qui permet sans doute de mieux comprendre le fait que
certaines IMF, en fonction de leur statut, sont plus outillées par rapport à d’autres et
pourtant s’adressent pratiquement à la même clientèle. On peut observer cette
différence dans deux niveaux :

1. La typologie

L’analyse de la typologie met en avant une question centrale dans la gouvernance des
IMF, à savoir : qui a le pouvoir ? Elle est importante dans la mesure où répondre à cette
question permet au moins de clarifier deux points importants, variant en fonction du
statut de l’IMF.

Le premier point consiste à clarifier qui sont les propriétaires de l’IMF, à travers lesquels
sont fixés les objectifs et les moyens financiers mis en place pour l’atteinte de ces
objectifs. PAMECAS et BAOBAB constituent à cet égard des cas éloquents pouvant
illustrer le paysage microfinancier du Sénégal, notamment dans les styles de
gouvernance observés. Comme nous l’avons dit, PAMECAS comme la plupart des IMF
opérationnelles dans le secteur de la microfinance au Sénégal, a un statut de mutuelle
289
sous forme de coopérative. L’IMF appartient exclusivement à ses clients, appelés aussi
membres, qui de fait détiennent chacun des parts sociales équivalentes selon le
principe « une personne = une voix ». Cependant, bien que les clients soient
propriétaires de PAMECAS, la distribution de revenus aux clients n’est pas prévue. Les
bénéfices réalisés doivent servir uniquement au développement de l’IMF, telle que
l’amélioration de la qualité des produits et le développement de nouveaux services et
produits, comme cela a été le cas avec l’introduction de l’assurance maladie, couvrant
50% des dépenses médicales des clients de PAMECAS. Quant à BAOBAB, elle a statut de
Société Anonyme, ce qui contrairement à PAMECAS confère à ses actionnaires la
propriété des bénéfices réalisés en fonction de la distribution des actions. Autrement
dit, dans le cas de BAOBAB, les actionnaires s’attendent à une distribution des revenus,
au cas où l’IMF réalise des bénéfices.

Le second point concerne le pouvoir formel de décision dans l’IMF, dans lequel on
distingue la place et le rôle de chaque acteur dans le processus qui définit le
fonctionnement de l’IMF dans sa globalité. Selon que l’on soit à PAMECAS ou à
BAOBAB, la différence fondamentale réside dans les rôles attribués aux clients. En effet,
à BAOBAB, les propriétaires sont différents des clients bénéficiaires, alors qu’à
PAMECAS, ce sont les propriétaires qui eux seuls peuvent bénéficier des services fournis
par l’IMF, faisant de ces derniers des « membres – bénéficiaires ». Ce statut assez
spécial des clients dans les mutuelles et coopératives est très important, car il constitue
une particularité par rapport aux IMF sous forme de Société Anonyme, où les clients
sont quasiment absents dans tout le processus d’élaboration des produits et services. À
PAMECAS par exemple, les clients sont présents à tous les niveaux de responsabilité, à
savoir le Conseil d’administration, le Comité de surveillance des opérations et les
différents Comités de crédit à qui reviennent la décision d’accorder ou non un
financement. Cette représentation des clients aux différents postes stratégiques
impacte les choix et orientations de l’IMF, dans la mesure où elle limite la relation
d’agence pouvant exister entre propriétaires, administrateurs et clients. Par exemple, la
cible annuelle des 10% du montant global des financements réservés au secteur
agricole n’est aucunement présente dans le règlement qui régit le fonctionnement de
PAMECAS, mais elle a été décidée au sein des Comités de crédits, dans lesquels les
290
clients bénéficiaires sont très influents et disposent d’un droit de vote. Or, à BAOBAB, la
situation interne est complétement différente de celle de PAMECAS. Les clients ne sont
présents dans aucune structure interne, et de ce fait n’ont aucun droit de participation
ou de regard dans l’élaboration des cibles et des stratégies de développement. Ils
restent de simples clients, liés à l’IMF par une simple relation de crédit. La meilleure
implication des clients dans les structures de gouvernance à PAMECAS constitue sans
doute, au-delà des objectifs financiers fixés en fonction des statuts des IMF, une
explication pertinente dans la prise en compte des besoins des clients, telles que
l’importance et la nécessité de mettre en place des services sociaux de base comme
l’assurance santé.

2. La gestion des risques

L’importance de la gestion des risques et les stratégies mises en place pour l’encadrer
font partie intégrante du système de gouvernance des IMF (Urgeghe, 2009). À ce titre,
la gestion des risques peut être considérée comme un levier de la performance
financière et de la pérennité des IMF (Tchuigoua et al., 2012). À travers les institutions
de microfinance et suivant leur statut, on peut rencontrer deux types de dispositifs
élaborés pour la gestion des risques.

Le premier dispositif intervient dans la méthodologie d’accord de crédit, dans laquelle


l’IMF essaie de minimiser les risques encourus sur les crédits octroyés. Comme nous
l’avons déjà évoqué, un des facteurs qui amplifie les risques du crédit dans le secteur de
la microfinance est l’asymétrie d’information entre le client et l’IMF. Dans ce cas précis,
le type de contrat très en vogue développé par les IMF est le contrat de crédit groupé,
dans le but de minimiser les risques d’anti-sélection (section adverse) et d’aléa moral
dans la relation de crédit. Dans le cas du Sénégal, ce premier dispositif, axé sur la
formation et la composition des groupes de crédits, est utilisé dans pratiquement
toutes les IMF, indépendamment de leur statut. BAOBAB a été l’une des dernières IMF
à mettre en place ce dispositif et ce choix stratégique a été motivé par deux choses. La
première est que BAOBAB, comparativement aux autres IMF sénégalaises, avait mis en
place un type de recouvrement personnalisé de tolérance zéro. Il s’agissait d’un
« harcèlement » quasi-quotidien auquel était soumis le client retardataire à partir de

291
trois jours de retard, à compter du jour de remboursement préétabli dans le contrat.
Les entretiens avec des clients ayant été soumis à ces rudes épreuves, pendant
lesquelles les agents de crédit n’hésitaient pas à appeler les parents, amis et conjoints
du client, dans le but d’exercer une pression autour de lui, montrent à quel point cette
pratique était redoutée. Ce type de recouvrement est personnalisé et est plus simple à
appliquer lorsque le contrat de crédit est individualisé, contrairement à un crédit
groupé où les responsabilités sont partagées entre différents membres. Ce choix
stratégique a été payant pour BAOBAB, du moins durant les premières années.
Beaucoup de clients rencontrés estiment avoir dû se sacrifier, par exemple s’endetter
auprès d’un proche ou d’une autre IMF, pour éviter d’être exposés à des mesures de
recouvrement par les agents de BAOBAB. Mais cette pratique tant décriée, qui dans
certains cas était à la limite de la légalité, a été adoucie depuis 2017 après que quelques
épisodes aient mal tourné, notamment des agents traduits en justice parce qu’ils
avaient utilisé des méthodes de recouvrement peu conventionnelles, telles que la
confiscation de biens de production. BAOBAB dispose maintenant d’une cellule de
recouvrement, composée essentiellement d’agents formés pour le recouvrement,
connaissant parfaitement les textes qui régissent leurs activités. La deuxième
explication est que BAOBAB était dans sa première décennie d’existence, couvrant la
période 2007-2017. Elle reste relativement jeune, comparativement aux autres IMF
matures opérant au Sénégal, comme PAMECAS, Crédit Mutuel Sénégalais ou ACEP, qui
ont chacune plus de trente ans d’expérience. L’expérience montre que les IMF sont de
plus en exposées à certains risques, comme celui du non remboursement, au fur et à
mesure que leur clientèle augmente. Cela s’est vérifié avec BAOBAB, parce qu’après
avoir réussi à maintenir le niveau moyen des crédits non remboursés à moins de 2.5%
par rapport au portefeuille de crédit durant la première décennie, cet indicateur plus
connu sous le nom de PAR 30 jours est de moins en moins maîtrisé depuis trois ans,
même s'il reste encore en dessous des 3% qui est la limite suggérée dans le secteur de
la microfinance dans l’espace UMOA. Depuis bientôt deux ans, BAOBAB, comme
l’ensemble des autres IMF de la place, accorde des crédits groupés dans le but de mieux
encadrer et gérer certains risques du crédit liés à l’asymétrie d’information.

292
Le deuxième type de dispositif qui intervient dans la régulation prudentielle des IMF
met l’accent sur l’organisation structurelle et la mise en place de ratios de prudence.
Sur ce point, il faut souligner qu’il existe dans le cas du Sénégal des différences
importantes selon le statut de l’IMF. Les IMF à caractère bancaire, comme BAOBAB
appartiennent généralement à des Société-mères sous forme de Holding
internationales, à partir desquelles sont définis les règlements et stratégies de gestion
des risques utilisés par l’IMF. Dans le cas de BAOBAB, elle appartient à Positive-Planet,
anciennement appelé PlaNet-Finance, qui a son siège social à Paris. Bien qu’il existe un
corps de contrôle interne à BAOBAB, dirigé principalement par le bureau des audits et
contrôles internes, il appartient à la Holding d’exercer un contrôle externe permanent,
par le biais d’experts indépendants, en s’assurant que l’IMF respecte tous les critères
prudentiels, aussi bien sur le plan organisationnel que sur le plan des opérations. Ce
double corps de contrôle permet aux IMF à caractère bancaire d’être assez outillées
pour maintenir à des niveaux faibles les risques liés à leurs activités, ce qui n’est pas
toujours le cas avec les IMF mutualistes. Bien qu’étant outillées pour le contrôle
interne, la plupart de ces IMF ne bénéficient d’aucun corps de contrôle externe, si ce
n’est le Ministère de l’économie et des finances, qui généralement n’intervient que
lorsque des disfonctionnements sont soulevés, comme ce fut le cas avec la PAMECAS
dans le cas d’un détournement interne de près de 3,5 millions de dollars US. Un des
problèmes soulevés par le rapport conjointement mené par le Banque centrale (la
BCEAO) et le Ministère de l’économie et des finances, et qui a été en grande partie à
l’origine des pertes subies par PAMECAS, était celui de crédits octroyés à des employés
de PAMECAS. Or, ce genre de pratique est fortement déconseillé dans les IMF, pour
éviter tout conflit d’intérêt. C’est d’ailleurs le cas à BAOBAB, où le seul crédit dont les
employés peuvent bénéficier est l’avance sur salaire. Dans le cadre de l’UMOA, les
crédits octroyés aux employés de la même institution ne sont pas interdits, mais ne
peuvent dépasser 10% du portefeuille global. Cette mesure de prudence n’est certes
pas suffisante, notamment quand il s’agit des IMF qui n’ont pas forcément de corps de
contrôles externes, comme ce fut le cas à PAMECAS, mais aussi au CMS et à ACEP qui
dans le passé ont connu des situations d’instabilité financière quasi-identiques.

293
On voit mieux comment le système de gouvernance établi dans les IMF impacte le
fonctionnement et l’efficacité des opérations. Dans les IMF mutualistes, la place et le
rôle des clients dans l’organisation interne de l’IMF permet d’intégrer les besoins des
clients et leurs contraintes spécifiques, tant bien que mal, dans tout le processus de
développement des produits et services. Le pouvoir des clients dans les instances de
décisions et d’orientations permet à ces dernières de rester dans leurs cibles sociales
originelles, bien que la dynamique commerciale prenne de plus en plus d’ampleur. Sur
ces points, les IMF bancaires sont moins bien outillées, dans la mesure où le client est
pratiquement absent dans le processus décisionnel de l’institution. Cependant, si les
Mutuelles, du fait de leur organisation, sont plus adéquates pour la satisfaction des
besoins des personnes à faible revenu, elles sont moins équipées, juridiquement et
structurellement, pour mettre en place une régulation capable de renforcer la viabilité
de l’institution. L’absence de corps de contrôles externes en est une parfaite
illustration.

9.2 Microfinance et politiques publiques


L’analyse du marché de la microfinance au Sénégal, dans sa dynamique et dans les
rapports existants entre les acteurs, met en relief des contraintes liées aux défaillances
du marché. Comparée au reste du secteur financier, notamment la finance classique, la
microfinance est relativement récente et ne cesse d’évoluer depuis la reconnaissance
officielle de la première IMF au Sénégal en 1988. En trois décennies d’existence, la
microfinance est passée d’un secteur informel à un secteur semi-formel, de mieux en
mieux réglementé dans l’espace UMOA, mais elle reste encore tributaire à des
difficultés systémiques, s’expliquant en partie par la spécificité de sa clientèle qui, entre
autres, nécessite de temps à autre une meilleure implication des pouvoirs publiques.

9.2.1 Intégrer « formellement » la cible sociale dans les objectifs des IMF
Le secteur de la microfinance est par excellence un marché défaillant. D’une part, nous
avons des personnes à faible revenu, peu instruites, mal informées des lois et
règlements régissant le fonctionnement du secteur financier. D’autre part, nous avons
des IMF qui bénéficient d’une certaine flexibilité d’exercer dans le secteur à cause d’un
règlement semi-formalisé et non soumis à un contrôle systématique. À cela s’ajoutent
les risques encourus par les financements accordés par les IMF, parce que travaillant
294
avec des clients dont la majorité ne dispose pas de garanties financières ou matérielles,
suffisantes pour couvrir leurs demandes de crédit en cas non-remboursement. Cela fait
du secteur de la microfinance sénégalaise un marché spécifique avec diverses
défaillances justifiant l’intervention des pouvoirs publics. L’intervention de l’État dans le
système microfinancier doit aller dans le sens d’assurer la stabilité du secteur et la
protection des différents acteurs. Cela doit nécessairement passer par un cadrage
réglementaire approprié qui puisse tenir compte des contraintes des acteurs, aussi bien
les clients que les IMF.

Contrairement aux autres espaces économiques régionaux d’Afrique subsaharienne,


l’UMOA dispose d’un cadre réglementaire spécifique à la microfinance, composé de 114
articles régissant l’organisation du secteur. Ce cadre réglementaire, appelé la loi
PARMEC, est identique dans tous les pays de l’espace UMOA, bien que son degré
d’application puisse sensiblement varier d’un pays à l’autre.

Cependant, bien que la Loi PARMEC puisse être une base solide pour le bon
fonctionnement de la microfinance, elle reste principalement campée sur l’organisation
du secteur et des acteurs, particulièrement les IMF, mais laisse aux États la priorité de
définir le fonctionnement des IMF. Autrement dit, la loi PARMEC s’intéresse plus aux
institutions des IMF qu’à leur fonctionnement. Elle dit par exemple comment une
organisation peut officiellement devenir une institution de microfinance, mais par
contre elle ne délimite pas les fonctions des IMF, laissant un grand vide dans lequel
s’engouffrent certaines institutions financières, dans le but de profiter des avantages
procurés par les deux secteurs (finance classique et microfinance). Entre une banque
classique et une banque de microfinance exerçant toutes deux au Sénégal, sur le plan
institutionnel, la différence s’opère uniquement sur deux niveaux, qui sont l’agrément
bancaire et le taux d’usure autorisé. L’agrément bancaire est utilisé pour accorder ou
non des exonérations fiscales aux institutions bancaires. Naturellement, les institutions
qui ont un agrément d’IMF bénéficient de plus d’opportunités pour avoir des
exonérations ou des retours d’impôts. Quant au taux d’usure, il est de 24% pour les
IMF, et 15% pour les banques classiques. Cela montre tout l’enjeu des agréments dans
le secteur de la microfinance.

295
Par conséquent, une tendance observée dans le secteur de la microfinance, et qui
devient de plus en plus fréquente, est que certaines institutions se définissent comme
des IMF, alors qu’en pratique elles opèrent sur le terrain comme des banques
classiques. Il s’agit d’IMF à but lucratif, essentiellement motivées par la recherche de
profit, n’accordant aucune place aux objectifs sociaux, bien que s’adressant à une
clientèle essentiellement pauvre. C’est à ce niveau que l’intervention des pouvoirs
publics peut être importante. Au-delà des critères institutionnels définis dans le cadre
de l’UMOA, les États doivent spécifier, bien sûr en fonction de leurs objectifs
économiques et politiques, les institutions qui peuvent être considérées comme
relevant du domaine de la microfinance. Parmi les critères retenus, les cibles sociales
doivent être prioritaires au même titre que les objectifs financiers que se sont fixés les
IMF. Cela permettrait de régler deux problèmes. Premièrement, avec une telle
organisation, on s’assurerait à long terme d’un équilibre entre objectifs financiers et
objectifs sociaux. Les IMF qui s’engagent dans la microfinance ne pourraient en aucune
manière s’affranchir de proposer des services sociaux tels que l’intégration des clients
dans les stratégies de développement de l’institution, ou l’accès à des services de base
comme la santé, l’éducation et la formation. Cela n’implique pas que les IMF devraient
offrir gratuitement ces services à leurs clients, mais elles devraient préciser les objectifs
sociaux qu’elles se sont fixées avec leurs clients, au-delà des objectifs financiers. Ce
point constitue le fondement originel de la microfinance, qui consistait à réintégrer
financièrement et socialement les personnes à faible revenu. Les expériences sur le
terrain montrent que cet objectif est plus facile à atteindre lorsque les IMF parviennent
à trouver le juste équilibre. Or, tout semble montrer que l’intervention des pouvoirs
publics, du moins jusqu’à un certain niveau, est nécessaire, pour éviter que la
microfinance ne perdre sa mission d’antan. Une manière d’inciter les IMF à ce sens est
de conditionner les exonérations fiscales et les subventions auxquelles elles peuvent
accéder auprès des pouvoirs publics.

296
9.2.2 Reconsidérer le plafonnement du taux d’intérêt
La structure des coûts sur le marché de la microfinance dans la zone UMOA, plus
particulièrement au Sénégal, montre que le plafonnement des taux d’intérêts, bien
qu’intéressant dans le principe, peut être un handicap pour le secteur. Bien
évidemment, à l’origine de la microfinance, un des objectifs avait été de lutter contre
les taux d’intérêt exorbitants appliqués dans la finance informelle. Au sein de l’UMOA,
ce taux de plafond est conçu comme un moyen d’intégrer les objectifs sociaux dans les
cibles de la microfinance. Or, nos enquêtes montrent que sur certains marchés, les
coûts globaux du crédit peuvent très facilement dépasser la barre des 24% annuels, si
l’on prend en compte tous les coûts induits par la transaction. L’analyse de l’évolution
du profit net réalisé dans le secteur de la microfinance montre à quel point ce dernier
ne constitue pas l’argument le plus pertinent pour expliquer l’ampleur des taux
d’intérêt dans le secteur. De 2002 à 2014, les profits nets dans le secteur ont été
inférieurs à 2% par rapport au portefeuille global des IMF, alors que le taux d’intérêt
moyen annuel est resté au-dessus de 24%, et cela après l’intervention de l’UMOA. Les
implications immédiates de cette mesure sont d’une part le développement d’une
stratégie observée chez les IMF, qui consiste à augmenter les frais de commission,
notamment les frais de demande de crédit et les frais de décaissement. D’autre part,
cette mesure peut handicaper les institutions nouvelles qui ont besoin d’une certaine
période pour atteindre un niveau de maturité leur permettant de proposer des produits
en dessous d’un taux d’intérêt annuel de 24%. Dans la configuration actuelle du secteur,
gangrené par un manque de services et de produits divers, et par la concentration des
IMF dans le domaine urbain à la recherche d’activités plus rentables, desserrer le taux
d’intérêt tout en fixant des objectifs sociaux que doivent intégrer les IMF peut être un
moyen efficace pour relancer une concurrence saine et pérenne dans le secteur de la
microfinance.

L’intervention des pouvoirs publics sur le taux d’intérêt devrait plutôt porter sur des
stratégies qui consistent à réduire le niveau de risque et les coûts d’exploitations
présents sur le marché de la microfinance. À ce titre, un dispositif qui pourrait être
intéressant est la création d’une centrale des risques. Il s’agirait d’un organisme public
qui, à partir des informations fournies par les IMF sur leurs clients, serait en mesure de
297
répertorier certains comportements à risque des clients. Par exemple, une pratique
assez fréquente chez certains clients de la microfinance est de prendre simultanément
deux ou trois crédits auprès d’institutions différentes, parce que ces dernières n’ont
aucun moyen de contrôler si le client a déjà pris ou pas un crédit dans une autre IMF.
Différentes raisons peuvent expliquer cette pratique. Certains clients le font lorsqu’ils
sont dans des difficultés de respecter leurs remboursements dans une autre IMF.
D’autres y trouvent un moyen de diversifier leurs sources de financement. Mais quoi
qu’il en soit, cette pratique constitue un facteur non négligeable qui tend à renforcer le
surendettement dans le secteur de la microfinance, et de fait renforce le risque de non
remboursement. Pour diminuer ce risque, l’État sénégalais pourrait par exemple créer
une base de données dans laquelle seraient répertoriés tous les clients des IMF
officiellement reconnues. De ce fait, quand une IMF recevrait une demande de crédit,
elle pourrait directement vérifier, avec l’institution étatique en charge, si le client a déjà
un crédit en cours ou pas. L’idée n’est pas de refuser systématiquement toutes les
demandes de crédit venant de personnes qui ont déjà un autre crédit en cours dans une
autre IMF, mais c’est surtout de donner la possibilité aux IMF de pouvoir estimer avec
précision le risque de chaque crédit octroyé. La mise en place d’une telle mesure,
réclamée de plus en plus par les IMF, pourrait non seulement être un moyen de limiter
le risque du crédit dans le marché de la microfinance, mais pourrait aussi protéger
davantage les clients du risque de surendettement, qui dans certains cas constatés au
Sénégal oblige le client à vendre ses biens production pour échapper aux
recouvrements des agents de crédit.

9.2.3 Conditionner les exonérations en fonction des objectifs sociaux


Le secteur de la microfinance ne peut être laissé uniquement sous la responsabilité des
IMF. Les pouvoirs publics sont aussi tenus responsables des résultats enregistrés dans le
secteur. Cette responsabilité de l’État, de façon générale, bien que défaillante en partie,
notamment sur la réglementation des pratiques des IMF, est assumée tant bien que mal
à travers les subventions et exonérations accordées aux structures opérant dans le
secteur. Elles constituent pour les États un levier important leur permettant d’intervenir
dans le secteur afin d’inciter les IMF à atteindre certains objectifs. Dans le contexte
sénégalais, bien que la promulgation de la loi PARMEC et les dispositions qui
298
l’accompagnent prévoient ces politiques incitatives, elles laissent une marge de
manœuvre faiblement maîtrisée, dans laquelle les pouvoirs publics n’ont pratiquement
prévu aucun dispositif pour mesurer les impacts ou les initiatives des IMF bénéficiaires.
Comme nous pouvons le voir dans la loi organique n° 2008-47 du 3 septembre 200863,
portant sur la réglementation des IMF au Sénégal, en son article 118, le droit aux
exonérations est plutôt axé sur la forme d’organisation des IMF que sur le contenu de
leurs activités. Or, le principe des exonérations et subventions accordées aux IMF est
d’aider ces dernières à couvrir les coûts induits par leurs activités, notamment
consacrées à un marché considéré comme très risqué et peu rentable. Les aides
financières auxquelles ont accès les IMF doivent en principe leur permettre de servir
une clientèle exclue des services financiers classiques pour plusieurs raisons évoquées,
comme l’absence de garantie matérielle ou financière, la perception du risque que
présentent leurs activités, le niveau élevé des coûts opérationnels et transactionnels,
notamment en zone rurale. Dans ce contexte, le fonctionnement des IMF, à travers
leurs pratiques sur le terrain, nous paraît plus pertinent et adapté pour pouvoir
distinguer les IMF qui méritent d’être soutenues financièrement à travers les
subventions et les exonérations des pouvoirs publics. Pour faire cette distinction, les
pouvoirs publics devraient disposer de critères de performance en termes de rentabilité
et d’impacts sociaux des IMF sur la vie des personnes bénéficiaires.

Pour aller dans ce sens, l’État pourrait conditionner les aides financières à des objectifs
définis préalablement sous forme de contrat de performance. Vu l’importance accordée
au volet social dans les politiques de microfinance et l’arrivée de plus en plus massives
d’institutions dans le secteur, au-delà des objectifs financiers, un volet au moins devrait
être consacré au social. Par exemple, il pourrait être établi dans le volet social que les
aides financières soient en partie liées à l’implantation géographique des IMF, pour ainsi
mieux intégrer le monde rural dans les stratégies d’inclusion financière. Les secteurs
d’activité les moins convoités pour des raisons de rentabilité, comme l’agriculture,
l’élevage et l’artisanat, pourraient aussi intégrer la même dynamique, en prenant en

63
« Les institutions mutualistes ou coopératives d’épargne et de crédit sont exonérées de tout impôt
direct ou indirect, taxe ou droit afférents à leurs opérations de collecte de l’épargne et de distribution du
crédit »,
299
compte la part du portefeuille de chaque IMF consacrée à ces secteurs. Dans le but
d’accorder plus de crédit à ces contrats de performance, il devrait être spécifié quelles
sont les conséquences d’une déviation par rapport aux normes et engagements établis,
par exemple la réduction, voire l’arrêt total et immédiat des aides financières.

En ce sens, l’intervention de l’État à travers les subventions et les exonérations pourrait


être un moyen efficace dans l’objectif de pérenniser les activités des IMF tout en
restant dans le principe originel du secteur, malgré les multiples obstacles présents.
Mais cela demanderait non seulement une certaine rigueur dans la réglementation et
son application, mais aussi des choix ciblés et efficaces. Afin de minimiser les effets
négatifs et rendre les subventions et les exonérations plus efficaces, les pouvoirs publics
devraient favoriser certains types d’aides financières plutôt que d’autres. Ainsi, il
pourrait être plus efficace de :

- axer les aides financières sur les IMF plutôt que sur les clients ;

- privilégier les IMF qui n’ont pas encore atteint la phase de maturité qui leur
permet d’être autonomes financièrement ;

- privilégier dans les subventions les IMF mutualistes et coopératives plutôt que
les IMF sous forme de SA ;

- accorder des subventions assorties d’une stratégie de sortie64 plutôt que des
subventions systématiques et de long terme ;

- accorder des subventions dégressives plutôt que des subventions linéaires ;

- lier les aides financières aux performances (financières et sociales) des IMF.

Une telle approche basée sur une orientation claire et précise des objectifs poursuivis,
ainsi que sur le ciblage des IMF susceptibles de bénéficier du soutien financier et
technique des pouvoirs publics, est sans doute la plus appropriée pour rendre plus
efficace toute intervention de l’État dans le secteur, en dehors du cadre défini par
l’UMOA.

64
Le principe est d’aider les IMF à être indépendantes financièrement à terme.
300
9.3 Microfinance et organisation internationales
La structure des coûts et l’évolution du taux d’intérêt sur le marché de la microfinance
montre que la mesure politique consistant à limiter le taux d’intérêt applicable sur un
crédit n’est pas efficace. D’une part, elle casse la dynamique de la concurrence entre
IMF, en favorisant un marché oligopolistique dans lequel seules les IMF financièrement
puissantes peuvent exister. D’autre part, les expériences dans d’autres pays,
notamment en Amérique du Sud et en Asie du Sud-est, montrent que lorsque les IMF
n’arrivent pas à opérer en pratiquant des taux en dessous du taux d’intérêt plafond,
certaines développent des stratégies visant à contourner cette contrainte, par exemple
en gonflant les frais et commissions dont doivent s’acquitter les clients durant le
processus de la demande de crédit.

Contrairement à d’autres secteurs financiers, la microfinance bénéficie d’un solide


soutien venant des organisations internationales, et plus particulièrement dans les pays
en développement. Au Sénégal, les deux premières organisations ayant joué un rôle de
précurseur ont été l’Agence des États-Unis pour le développement (USAID) et le
Développement International Desjardins (DID)65, qui ont respectivement participé aux
créations des IMF ACEP et PAMECAS. Après trois décennies d’expérience, le constat
général est que la plupart des IMF, au-delà des initiatives développées par les pouvoirs
publics, comme les exonérations fiscales et les subventions publiques, ont besoin de
soutien financier plus conséquent venant des organisations internationales, parce que
la plupart des États concernés sont des pays en développement qui généralement ont
peu de ressources financières à accorder au secteur de la microfinance. L’apport des
organisations internationales, dans le contexte actuel de la microfinance, peut viser
particulièrement deux objectifs :

1. Permettre aux IMF de se refinancer à des coûts bas

Une des causes du niveau élevé des taux d’intérêt appliqués par les IMF est la difficulté
rencontrée par ces dernières quand elles doivent se refinancer. Vu que peu d’IMF
disposent des moyens financiers propres leur permettant de répondre à la demande de
leurs clients, la plupart d’entre elles sollicitent les banques classiques pour répondre à la
65
Le DID est une organisation internationale de développement qui à l’image de l’USAID intervient dans
les pays en développement comme à la fois acteur et financier pour des programmes de développement.
301
demande de financement de leurs clients. Au Sénégal, le coût du crédit moyen dans les
banques classiques pour un particulier tourne autour de 9% par an. Les IMF
« privilégiées », du fait de leur solidité financière, à l’image de BAOBAB, peuvent
bénéficier de lignes de crédits avec des taux d’intérêt annuels de 7%. Sur cette base, on
constate que près de 29% du taux d’intérêt annuel maximal applicable dans le secteur
de la microfinance au Sénégal sont essentiellement constitués de coûts de
refinancement des IMF auprès des banques classiques. Cela est non négligeable,
d’autant plus que les coûts d’exploitation peuvent aller jusqu’à plus de 60% du taux
d’intérêt annuel dans certaines IMF. À ce niveau, l’apport des organisations
internationales pourrait consister à développer des stratégies visant à faciliter aux IMF
qui en ont besoin l’accès au refinancement.

Un des moyens possibles serait de mettre sur pied des fonds de garanties
internationaux, sous forme de systèmes de cautionnement, exclusivement destinés aux
IMF suivant des critères bien établis. Pour les organisations internationales œuvrant
pour le développement, participer au financement de systèmes de cautionnement par
la couverture d’au moins une partie des risques, pourrait constituer une possibilité
intéressante pour renforcer leur rôle d’appui à des dynamiques locales par
l’intermédiaire des IMF. La mise en place et l’activation du fonds de garantie pourrait se
dérouler comme suit :

- Dans le but de répondre aux besoins financiers de ses clients, une IMF en faible
capacité de financement cherche à se refinancer auprès d’une banque classique
qui lui demande des garanties financières ou matérielles, sous peine d’appliquer
un taux d’intérêt annuel relativement élevé.

- L’IMF saisit l’organisation internationale en question qui va d’abord vérifier si


l’IMF remplit les critères de sélection, tels que l’effectivité de la fourniture de
services sociaux, la mise en place d’une gouvernance équilibrée et transparente,
la performance financière des opérations de l’IMF, la couverture au moins d’une
partie du montant de financement demandé (50% par exemple), etc.

- Si les critères établis sont remplis, l’organisation va s’engager auprès de la


banque à partir du fonds de garantie, qui serait activé au cas où les opérations
302
tourneraient mal, pour couvrir les éventuelles pertes engendrées. En
contrepartie, la banque accepte de baisser le taux d’intérêt, au moins d’un
montant équivalent à celui de la couverture du risque de non remboursement
(5% en moyenne).

- Si toutes ces conditions sont remplies, les contrats sont établis. Pour assurer la
pérennité du fonds de garantie et élargir ses opérations, les IMF bénéficiaires
peuvent être amenées, en fonction de leur solidité financière, à payer une
commission annuelle en fonction du montant des opérations couvertes par le
fonds de garantie.

- La garantie prend fin dès lors que l’emprunt a été remboursé dans sa totalité.
Par contre, en cas de non-remboursement, la garantie sert de recours pour la
banque prêteuse.

À travers cette forme de soutien à la couverture des risques, qui semble plus adaptée
aux contextes locaux, les organisations internationales auraient en effet une fonction
d’appui indirect diminuant ainsi fortement leur emprise souvent considérée comme
gênante dans la recherche d’une plus grande autonomie des acteurs locaux. Elles
faciliteraient ainsi l’émergence de mécanismes de développement provenant
d’initiatives locales et aideraient les acteurs à se responsabiliser. L’apport extérieur se
concentrerait sur la couverture des risques difficilement maîtrisables par les acteurs
locaux. Il s’agirait de supports indirects qui n’interféreraient plus sur les règles du jeu en
vigueur sur le marché local, se bornant à participer à la couverture des risques qui sont
hors contrôle et qui surviennent indépendamment de la volonté des acteurs concernés.
Ce fonds de garantie, aurait pour principal objectif de servir de garant pour les IMF
auprès des banques classiques, dans le but de leur permettre d’accéder au financement
à des prix relativement bas. Elles pourraient ainsi contribuer au dynamisme de la
microfinance par la constitution de fonds qui seraient activés dans les cas où les
opérations de crédit tourneraient mal. La priorité serait portée sur les IMF naissantes et
celles exerçant en zones rurales qui, pour des raisons de coûts de production
relativement élevés et de manque d’expérience, ont plus de peine à rentabiliser leurs
opérations immédiates.

303
2. Lier les subventions et autres aides financières aux exigences de bonne
gouvernance

À travers les aides financières qu’apportent les organisations internationales aux IMF,
que ce soient des subventions ou des fonds de garanties, les organisations
internationales peuvent jouer un rôle important dans le système de gouvernance des
IMF. À la différence des pouvoirs publics, qui très souvent ne disposent pas de
compétences adéquates à des coûts raisonnables pour vérifier la compatibilité du
système de gouvernance dans les IMF avec les objectifs qu’elles se sont fixées, les
organisations internationales sont généralement assez outillées pour bien mener ce
travail. Cela leur donne la possibilité de lier leurs apports financiers à des critères de
bonne gouvernance, selon le statut de l’IMF. Nous avons vu par exemple, dans le cas
du Sénégal, que dans les IMF mutualistes et coopératives, les clients sont assez bien
impliqués dans l’organisation interne de la gouvernance, telle que dans les comités de
crédit et de surveillance, mais que ces dernières présentent des défaillances élevées
dans la gestion des risques, telles que l’absence de services externes indépendants pour
le contrôle des opérations financières. Quant aux IMF sous forme bancaire, les clients
sont pratiquement absents de tout le processus d’élaboration du produit financier, et
ne sont pratiquement pas représentés dans l’organisation interne. Cependant, ces
dernières sont plus outillées dans la gestion des risques liées aux opérations de crédit.

Les organisations internationales pourraient jouer un rôle important dans le contexte


actuel de la microfinance, en intégrer la question de la « bonne gouvernance » dans les
critères de sélection de potentielles IMF bénéficiaires, et ainsi en incitant les IMF
souhaitant bénéficier de leurs apports financiers (fonds de garantie, subventions et
expertises) à promouvoir la bonne gouvernance. L’apport viendrait compléter le rôle
central attendu des pouvoirs publics, qui dans ce contexte, consisterait plus à
accompagner les IMF, particulièrement dans les secteurs les plus risqués et les moins
rentables.

Devenue un secteur de moins en moins subventionné et qui doit essentiellement


compter sur sa capacité de séduction du marché financier à travers les indicateurs
financiers, la dynamique actuelle de la microfinance amène les IMF à développer des

304
stratégies de survie à tort ou raison, mais qui peuvent à la longue n’être bénéfiques
pour aucun acteur du secteur. L’implication des pouvoirs publics comme celle
organisations internationales à travers une approche complémentaire et incitative peut
sans doute contribuer à mieux équilibrer le système, permettant de remettre la
satisfaction des besoins des clients au centre du dispositif du paysage de la
microfinance.

305
306
10 Chapitre X : Perspectives
Le lien entre la finance et le développement économique et humain n’est plus à
démontrer. Mais comme nous l’avons vu, l’utilisation de ce lien se heurte très souvent à
des contraintes systémiques qui empêchent les populations locales de bénéficier
pleinement des programmes de développement. Par conséquent, en nous basant sur
les résultats de cette étude, nous estimons qu’au-delà d’être un outil d’inclusion
financière dans les régions en développement, la microfinance, à travers son approche
inclusive et personnalisée, peut être utilisé comme facteur supplémentaire pour
d’autres objectifs du développement humain, tels que le développement durable, la
lutte contre le changement climatique et l’exode rural.

10.1 La microfinance au cœur du programme des Objectifs du développement durable


L’année 2015 a été une année charnière pour le développement à l’échelle mondiale.
Elle marque d’une part la fin d’un programme de développement humain connu sous le
nom d’Objectifs du millénaire pour le développement (OMD), et le début d’un autre
programme encore plus ambitieux appelé Objectifs du développement durable (ODD).
Le programme des OMD, essentiellement consacré aux développements économiques
et humains, a été adopté en 2000 lors du Sommet du millénaire de l’Organisation des
Nations Unies, avec notamment huit objectifs66 principaux qui devaient être atteints en
2015. Au terme de l’échéance, bien que dans les pays émergents la plupart de ces
objectifs aient été atteints, dans les pays du Sud et plus particulièrement en Afrique
subsaharienne, le bilan reste mitigé. C’est dans ce contexte, que de nouvelles
perspectives ont été mises en place au lendemain de la fin du programme des OMD,
dans le but d’apprendre des manquements précédents afin de mieux impacter la vie
des personnes qui vivent encore dans la vulnérabilité, quelle qu’en soit la nature. Suite à
la conférence sur le financement du développement tenue à Addis-Abeba en 2015, puis
la conférence sur le changement climatique à Paris (COP 21) la même année,
l’Assemblée générale de l’ONU a mis en place un nouveau programme de
développement avec de nouveaux objectifs à l’horizon 2030 pour les pays membres de

66
Réduire l’extrême pauvreté et la faim. Assurer l’éducation primaire pour tous. Promouvoir l’égalité des
sexes et l’autonomisation des femmes. Réduire la mortalité des enfants de moins de 5 ans. Améliorer la
santé maternelle. Combattre le VIH/sida, le paludisme et d’autres maladies. Assurer un environnement
durable. Mettre en place un partenariat mondial pour le développement.
307
ladite organisation, dans le but d’améliorer les conditions de vie des populations
vulnérables. Les ODD sont composés de 17 objectifs et de 169 cibles qui tiennent
compte des priorités de développement dans les différents pays membres67, telle que la
place et le rôle de la microfinance, bien que ce dernier puisse constamment évoluer
suivant les pays. Les 17 objectifs se rapportent à trois dimensions principales qui sont la
croissance économique, l’inclusion sociale et la protection de l’environnement. Par ces
trois dimensions, la communauté internationale est impliquée à travers des objectifs
économiques, environnementaux, mais aussi à travers des financements à mobiliser
pour assurer le financement d’un programme aussi ambitieux et innovant.

En mettant l’accent sur le traitement social, tel que l’inclusion financière, la réduction
des inégalités ou l’autonomisation des femmes, les ODD s’intègrent parfaitement dans
le principe originel de la microfinance.

10.1.1 L’inclusion financière à l’épreuve ODD


Les questions posées par les ODD englobent les trois axes du développement durable, à
savoir les domaines économique, social et environnemental, dans lesquels la
microfinance peut apporter sa contribution. En effet, l’inclusion financière occupe une
place de choix en tant qu’élément propice à la réalisation de certains des objectifs du
développement durable. Huit68 objectifs parmi les 17 ODD font de l’inclusion financière
une cible prioritaire. L’expérience sur le terrain montre que les stratégies d’inclusion
financière adoptées dans la microfinance, si elles sont adaptées au contexte local,
notamment aux besoins et aux contraintes des personnes bénéficiaires, peuvent
contribuer efficacement à l’évolution des conditions de vie. En outre, sur le plan
théorique, il est prouvé que dans les pays en développement, les modèles d’inclusion
financière, véhiculés à travers la microfinance, peuvent dans une certaine mesure
contribuer à la croissance économique régionale et contribuer à la réalisation
d’objectifs de développement plus larges (Morduch et Armendariz, 2005). L’accès aux

67
193 États membres de l’ONU.
68
l’ODD 1 sur l’élimination de la pauvreté ; l’ODD 2 sur l’élimination de la faim, la réalisation de la sécurité
alimentaire et la promotion de l’agriculture durable ; l’ODD 3 sur la bonne santé et le bien-être ; l’ODD 5
sur l’égalité des sexes et l’autonomisation économique des femmes ; l’ODD 8 sur la promotion de la
croissance économique et de l’emploi ; l’ODD 9 sur la promotion de l’industrialisation, de l’innovation et
des infrastructures; l’ODD 10 sur la réduction des inégalités et l’ODD 17 sur le partenariat pour la
réalisation des objectifs.
308
outils digitaux financiers, tels que les « mobile-Banking » qui permettent aux clients
habitant dans des zones enclavées d’effectuer à distance la plupart de leurs
transactions financières, en constitue une illustration. Dans le cas de BAOBAB, qui a
introduit ce type de services depuis trois ans, bien qu’il ne soit disponible qu’en
français, près de la moitié de ses opérations de retraits et de dépôts se font par
l’intermédiaire de ce service à distance, permettant ainsi aux clients et aux IMF de
limiter considérablement les coûts liés aux transactions financières. Selon Roxburgh et
al. (2010), la dynamique de la finance digitale enclenchée dans le secteur de la
microfinance pourrait à elle seule injecter près de 4’000 milliards de dollars
supplémentaires dans le PIB des économies émergentes en l’espace de dix ans. Une
autre étude réalisée par Adad (2016) au Kenyan sur un service de « mobile-Banking »
dénommé le « M-Pesa69 » a conclu que l’argent mobile avait permis à 194 000 ménages
(soit près 2 % de la population kenyane) de développer leurs activités productives et
d’être financièrement autonomes. Les faits montrent en outre que les politiques
d’inclusion financière, quand elles s’adaptent aux réalités locales, créent des systèmes
financiers inclusifs et des économies plus stables. En plus de la finance digitale, le
microcrédit peut être un outil efficace pour contribuer à l’ODD1 qui s’est fixé comme
objectif de mettre fin à la pauvreté dans ses formes rudimentaires à travers le monde.
L’expérience de la microfinance durant ces trois dernières décennies montre que
l’accès au microcrédit a favorisé l’autonomisation des individus à faible revenu, isolés et
exclus du système bancaire traditionnel, en leur offrant la possibilité de créer leur
propre emploi et de devenir financièrement autonomes (Banerjee et al., 2009). Il peut
contribuer efficacement aux politiques d’autonomisation des femmes.

En outre, tel que nous le recommandons dans ce travail, les IMF doivent davantage
accorder de place aux services non-financiers et plus particulièrement à la santé. Dans
les IMF coopératives ou mutuelles, il est fréquent de voir parmi les offres proposées des
services annexes étroitement liés au succès du microcrédit qui prennent des formes
variées : prêts sanitaires, micro-assurances sanitaires et campagnes de sensibilisation
pour les cas de maladie les plus fréquents. Ces activités, répliquées à des échelles plus

69
Un service de « mobile-Banking » lancé depuis 2007 par les opérateurs Safaricom et Vodafone
309
importantes, entrent parfaitement dans les cibles du troisième objectif des ODD, qui
prévoit un accès accru aux soins de santé pour les populations vulnérables.

10.1.2 Égalité des sexes et autonomisation des femmes


L’ODD 570 du programme des objectifs de développement durable est exclusivement
consacré à l’égalité des sexes. L’un des objectifs recherché est l’élimination de toutes
formes de discrimination dont les femmes peuvent être victimes, que cela soit dans le
cercle familial ou professionnel. Or, l’expérience montre que l’élaboration de lois
instaurant l’égalité entre hommes et femmes n’est pas un moyen suffisant pour
autonomiser les femmes, surtout dans les régions en développement, à cause de
plusieurs facteurs parmi lesquels figurent la culture, la religion et surtout
l’indépendance financière. Au Sénégal par exemple, et plus particulièrement en milieu
rural, au sein du ménage c’est traditionnellement l’homme qui est en charge de toutes
les dépenses familiales, indépendamment des revenus de la femme. La pratique est
moins courante en milieu urbain, et encore moins pour les jeunes générations où l’on
voit les femmes occuper de plus en plus de postes à responsabilités dans le monde
professionnel. Certaines pratiques ou considérations de genre assimilées à des
croyances culturelles vieilles de plusieurs générations, comme notamment la place de la
femme dans les pays en développement, trouvent généralement leur origine, d’une
façon ou d’une autre, dans le poids économiques de ces dernières, ou autrement dit,
dans leur autonomisation financière. Lorsque les femmes sont moins autonomes
financièrement, elles ont moins de liberté et peuvent être plus exposées à différentes
formes d’injustice ou de discrimination, aussi bien dans la cadre du ménage (le choix du
nombre d’enfants par exemple) qu’en dehors du ménage. Au-delà de plusieurs mesures
évoquées telles que l’introduction de lois contraignantes pour assurer l’égalité de genre
dans toutes les sphères de la vie quotidienne, ou l’introduction de la discrimination
positive envers les femmes dans certains contextes, il semble évident que
l’autonomisation financière des femmes constitue sans doute le meilleur moyen
capable d’inverser la tendance.

70
« Parvenir à l'égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles »
310
C’est à ce niveau que l’apport de la microfinance peut être important. Comme nous
pouvons le voir dans la cible 471 de l’ODD1, une des difficultés que rencontrent les
femmes, particulièrement dans les pays en développement, est le manque de
ressources financières. Cela peut s’expliquer par plusieurs facteurs, comme les
inégalités en matière de droit successoral qui empêchent les femmes de devenir
propriétaires de terres cultivables ou d’autres types de biens pouvant leur permettre de
disposer de garanties financières solides auprès des institutions financières, comme les
banques ou les prêteurs individuels.

Selon le rapport du baromètre de la microfinance (Severino, 2018), 84% des 150


millions de clients de la microfinance sont des femmes, parmi lesquelles près de 80
millions faisaient partie des plus pauvres lorsqu’elles ont obtenu leur premier crédit. Le
microcrédit, lorsqu’il est adapté et bien utilisé, joue un rôle capital en matière
d'autonomisation des femmes. Il aide à susciter le respect pour les femmes et à
renforcer leur indépendance et leur participation dans le cadre de la communauté et du
foyer. Autrement dit, les services de microfinance, lorsqu’ils sont bien adaptés au
contexte local, peuvent efficacement contribuer à l'autonomisation des femmes en
exerçant une influence positive sur leur pouvoir de décision et en renforçant leur statut
socio-économique au niveau du ménage, par exemple dans le choix du nombre
d’enfants que le ménage souhaite avoir, d’autant plus que dans la plupart des ménages
à faible revenu ce sont les hommes qui ont ce pouvoir décisionnaire. Cette
caractéristique de la microfinance correspond au cinquième objectif, qui est cependant
loin de sa réalisation effective.

L'incidence positive de la microfinance sur l’égalité des sexes à travers l'autonomisation


des femmes est réelle. Cependant, l’expérience montre que dans certains cas, l’accès
des femmes aux services microfinanciers peut avoir des impacts imprévus et négatifs
auprès de certaines bénéficiaires. Des études (Goetz et Gupta, 1996) ont montré que

71
« D’'ici 2030, faire en sorte que tous les hommes et les femmes, en particulier les pauvres et
les personnes vulnérables, aient les mêmes droits aux ressources économiques et qu'ils aient
accès aux services de base, à la propriété et au contrôle des terres et à d'autres formes de
propriété, à l'héritage et aux ressources naturelles et à des nouvelles technologies et des
services financiers adéquats, y compris la microfinance ».

311
dans certains contextes, où l’inégalité de genre est très présente, les femmes ont
parfois peu de contrôle sur les financements qu’elles obtiennent auprès des IMF, leurs
maris prenant toutes les décisions relatives à l’argent reçu, bien qu’elles soient les
uniques responsables pour le remboursement. En outre, les femmes bénéficiaires de
financement pour activité génératrice de revenu peuvent aussi rencontrer d’autres
types de difficultés liées à la charge de travail supplémentaire qu'engendre la
responsabilité de générer un revenu pour rembourser le prêt en plus des tâches
ménagères. Par conséquent, il n’est pas à exclure que, jusqu'à un certain point, le
microcrédit puisse augmenter la charge de travail des femmes, même si cela peut être
compensé par une plus grande égalité dans la prise de décisions au sein du ménage
(Dahoun et al., 2013).

10.1.3 Privilégier la stratégie de la monnaie locale pour le financement des ODD


Les engagements respectifs des pays développés pour financer les ODD s’élèvent à
5'000 milliards de Dollars US par an, dont plus de 85% est exclusivement réservé aux
pays en développement. Selon Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, il
faudrait au minimum 2'000 milliards de dollars US supplémentaires pour espérer
assurer le financement des 17 objectifs que se sont fixés les pays membres, sans
compter les événements inattendus qui peuvent à tout moment arriver (crises
politiques, économiques ou catastrophes naturelles). Cela sous-entend qu’au-delà des
engagements étatiques, le secteur privé, dont la microfinance au premier plan, a un
rôle important à jouer dans le financement des ODD. Comme nous l’avons expliqué
dans le chapitre 9, une des difficultés des IMF dans la recherche de refinancement est
l’absence de garanties suffisantes, ce qui explique en partie les taux d’intérêt élevés
appliqués par les institutions qui leur prêtent de l’argent destiné au financement de
leurs clients. Dans ce contexte, l’apport des IMF dans la réalisation des ODD pourrait
passer par des engagements financiers provenant des pays donateurs, qui
consisteraient à déposer des cautions solidaires, sous forme de fonds de garantie, pour
des IMF sélectionnées suivant les critères évoqués dans le chapitre 9 (bonne
gouvernance et représentativité des clients à faible revenu dans les comités de crédit),
auprès de banques classiques régionales. L'idée est de stimuler le financement privé,
particulièrement les secteurs informels et semi-formels, où l’on rencontre la plupart des
312
personnes à faible revenu. À partir de là, l’ensemble de ce financement induits se ferait
exclusivement avec de la monnaie locale, les apports étrangers ne servant que de
garantie pour les IMF bénéficiaires. Un engagement financier des bailleurs en ce sens
pourrait procurer un solide soutien pour la réalisation des ODD, à travers la cible
financière, en offrant aux IMF locales du financement en monnaie locale, éliminant ainsi
les décalages habituels qui se créent entre les recettes en monnaies locales et les
passifs en devises étrangères.

En Afrique subsaharienne, près de la moitié des financements du secteur de la


microfinance provient d’organismes étrangers (MIX, 2015), en devises étrangères. Cette
source de financement est importante et stratégique dans la mesure où le secteur peut
compter sur la stabilité opérationnelle des fournisseurs étrangers, mais en même temps
elle expose les IMF bénéficiaires à des risques qu’elles ne maîtrisent pas, tels que la
variation du taux de change des devises étrangères par rapport à leur monnaie locale,
mais aussi la volatilité des taux d’intérêts réels. Le financement en monnaie locale à
travers les IMF peut également stimuler et encourager le développement des marchés
de capitaux locaux, d’autant plus que les collectivités territoriales et les emprunteurs du
secteur privé ont assez souvent un accès plus limité aux marchés de capitaux
internationaux, ce qui se traduit par des quantités limitées de financements de projets à
des coûts relativement élevés et assortis d’échéances plus courtes. Se basant sur une
étude consacrée à la diversification des sources de financements dans les pays en
développement, Hurley et Voituriez (2016) estiment qu’en plus de sa capacité de
générer davantage de liquidité dans l’économie réelle, le financement à partir de la
monnaie locale améliore l’accès au financement à un coût raisonnable, et permet
d’améliorer ainsi la solvabilité de projets qui génèrent uniquement des revenus dans la
monnaie locale.

L’idée du financement des pays en développement en monnaie locale suscite de plus en


plus d’intérêt depuis bientôt une dizaine d’années, mais la mise en place d’une telle
initiative tarde à se faire à causes de difficultés qui n’encouragent pas les prêteurs à se
lancer dans cette dynamique. En effet, ce type de financement soulève un problème de
gestion de risque auquel les prêteurs ne sont généralement pas confrontés lorsqu’ils

313
prêtent en devises convertibles autre que la monnaie de l’emprunteur. Il s’agit surtout
de l’exposition des prêteurs à une perte financière due aux fluctuations potentielles des
taux de change. Mais contrairement aux prêteurs privés étrangers, les fonds débloqués
dans le cadre du financement des ODD serviront non pas directement à financer les
IMF, mais à des garanties sous forme de cautions solidaires, permettant à ces dernières
de se refinancer auprès d’organismes locaux en fonction de leur besoin de financement
et à des prix plus soutenables que ceux qui leur sont proposés actuellement72.

10.2 Quel rôle pour la microfinance dans la lutte contre le changement climatique ?
Dans la microfinance classique, les questions environnementales telles que nous les
connaissons aujourd’hui ne sont pas explicitement évoquées. Mais à voir le
fonctionnement de la microfinance à travers la logique individualiste et la promotion de
« bonnes pratiques » chez les personnes bénéficiaires, on peut sans doute estimer que
la microfinance comporte des outils hautement stratégiques et utiles pour renforcer la
lutte contre le changement climatique. Des dispositifs supplémentaires, rarement
utilisés dans le secteur de la microfinance, peuvent, bien entendu, compléter les outils
existants afin de mieux intégrer la question environnementale dans le combat de
l’exclusion financière.

10.2.1 L’enjeu de la dimension climatique dans la microfinance


La question du changement climatique prend une place de plus en plus importante
dans les programmes de développement. Elle constitue un paramètre particulier qui
impacte l’évolution des conditions de vie, plus particulièrement pour les populations
vulnérables. Durant ces dernières années, plusieurs phénomènes inattendus ont
considérablement impacté les conditions de vie dans certaines régions, au sud comme
au nord (Gemenne et al., 2017). À la différence des pays développés, les pays du Sud
sont moins outillés techniquement et financièrement pour faire face aux changements
imprévus, lesquels affectent sérieusement leurs conditions de vie. Suivant les lieux, ces
phénomènes environnementaux les plus fréquents peuvent être de diverses natures.
Contrairement à d’autres régions du monde telles que l’Asie du Sud-est ou les États-

314
Unis, où l’une des catastrophes les plus palpables et immédiates est la fréquence plus
élevée des tsunamis et la montée du niveau des océans, en Afrique subsaharienne ce
sont plutôt les modifications liées à la pluviométrie et à la montée des températures qui
affectent la vie quotidienne des populations. Bien évidemment, ces phénomènes
environnementaux ne sont pas uniquement répertoriés en Afrique ; ils le sont aussi
dans les autres régions. Mais la dépendance des populations à faible revenu aux
activités liées à la pluviométrie et à la température ambiante, et leur faible capacité à
s’adapter aux changements, font que le ressenti est parfois plus important dans les
régions en développement. En Afrique subsaharienne, le secteur agricole fournit à lui
seul plus de 60% des emplois, avec des disparités qui peuvent être très importantes
selon les régions73 (Banque Mondiale, 2016). Cela fait de l’Afrique subsaharienne une
région très exposée aux changements climatiques, qui nécessitent des adaptations
immédiates afin de préserver la dynamique positive de l’amélioration des conditions de
vie. C’est précisément cette dimension supplémentaire qui est ajoutée dans le
programme des Objectifs du développement durable, qui contrairement aux
précédents Objectifs du millénaire pour le développement, accorde à travers l'ODD 13
une importance particulière aux mécanismes de prévisions et de protection aux aléas
climatiques.

10.2.2 La microfinance en tant qu’instrument de promotion de la durabilité


environnementale
Au-delà des enjeux financiers et sociaux, visant particulièrement à améliorer les
conditions de vie des personnes à faible revenu, les sollicitations pour la prise en
compte, et de façon explicite, du pilier environnemental sont devenues de véritables
enjeux pour les différents acteurs du secteur (Huybrechs et al., 2016).

À l’image du programme des Nations Unies pour le développement, notamment en son


ODD 13, de nombreuses motivations incitent les acteurs de la microfinance à
développer des mécanismes qui tiennent compte davantage des questions
environnementales. Outre une référence à la responsabilité sociale, il y a certaines
motivations plus ouvertement instrumentales, telles que la gestion des risques

73
32% au Sénégal, 80% au Tchad, et 5% en Afrique du Sud.
315
environnementaux, dans le but d’avoir plus de contrôle sur la capacité de
remboursement des clients.

Les liens qu’entretiennent la microfinance et l’environnement se matérialisent par les


impacts du changement climatique sur les activités des personnes à faible revenu,
susceptibles d’être financées par les IMF. Par exemple, au Sénégal, notamment en zone
rurale où les activités agricoles dépendantes essentiellement de l’hivernage constituent
une part importante des activités financées par les IMF, tout changement
environnemental imprévu peut avoir des impacts considérables sur les revenus futurs
des clients, lesquels doivent servir pour le remboursement des crédits contractés.
Les acteurs deviennent de plus en plus conscients des conséquences du
changement climatique, auxquels les habitants les plus vulnérables des pays en
développement sont de loin les plus exposés. Ces derniers étant les personnes cibles de
la microfinance, des voix s’élèvent pour que celles-ci jouent un rôle en faveur de
l’adoption de pratiques de prévision et d’adaptation aux multiples facettes du
changement climatique (Rippey, 2012).

La contribution des services de la microfinance à la promotion de la durabilité de


l’environnement peut s’effectuer à deux niveaux distincts et complémentaires. D’une
part nous avons une série de pratiques qui peuvent être conçues comme des moyens
de prévention du dérèglement climatique, et d’autre part, nous avons d’autres
instruments qui consistent à faciliter l’adaptation des personnes à faible revenu aux
conséquences induites par le changement climatique.

- Mesures préventives

Par le biais des activités entreprises et financées pour leurs clients, les IMF peuvent
avoir un impact environnemental dans leurs régions d’implantation. En finançant les
activités de leurs clients, généralement productives, les IMF participent indirectement à
l’élaboration des stratégies de développement entreprises pas leurs clients ; des
pratiques qui, selon leur nature, peuvent avoir des impacts positifs ou négatifs pour
l’environnement. Dans le secteur agricole, où l’on rencontre sans aucun doute le plus
de pratiques ayant trait à l’impact environnemental, on peut citer la perte de fertilité
des sols cultivables, ou l’impact de l’utilisation des produits chimiques. Dans le secteur
316
commercial, un peu moins concerné comparativement au secteur agricole, on peut
citer les problèmes induits par la mauvaise gestion des déchets (ordures et matière
plastique), qui dans certaines régions du littoral sénégalais (Saint-Louis, Thiès et Dakar),
finissent dans les caniveaux, lesquels sont déversées dans la mer.

Une stratégie peut consister à accorder plus de responsabilité aux IMF. Dans le cadre
d’un partenariat avec les organismes chargés d’appliquer les mesures de l’ODD 1374, les
IMF peuvent jouer un rôle central, incitant par exemple les clients à adopter des
pratiques qui vont dans le but des objectifs fixés. Il s’agira dans ce cas d’établir un
programme environnemental, qui sera proposé aux IMF. Vu que l’ODD 13 du
programme des Nations Unies est entièrement consacré aux moyens de lutte contre le
dérèglement climatique, le programme élaboré peut avoir une contrepartie financière
et une assistance technique pour les IMF qui accepteront de l’intégrer dans leur
approche avec leurs clients. Selon les secteurs d’activité, les IMF pourraient par
exemple adopter des mesures incitatives pour favoriser et répandre certaines « bonnes
pratiques », ou dans un cas extrême interdire certaines pratiques, sur la base de leur
dangerosité par rapport à l’environnement. Elles pourraient par exemple prescrire une
série de pratiques facultatives à adopter par les clients, mais qui peuvent se révéler
importantes au cas où le client a besoin d’un renouvellement de financement. Dans le
cas du Sénégal, surtout en milieu urbain où la gestion des ordures est parfois
problématique dans les grands marchés comme Tiléne et Sandaga, les IMF pourraient
inciter leurs clients à trier les ordures selon leur nature, et à les déposer dans les
endroits adéquats, en les dotant par exemple de poubelles adéquates, financées à
partir des fonds de subventions reçus. D’autres pratiques pourraient être de type
« incitation monétaire », sous forme de taux d’intérêt différenciés, de prime, ou de
conditions de financement qui dépendraient de l’adoption de « bonnes pratiques »
environnementales (Cranford et Mourato, 2014). On peut citer pour exemple le projet
CAMBIO qui s’inscrit dans cette mouvance, combinant des services de crédit, de
l’assistance technique et des incitations monétaires en vue d’une transformation des
pratiques agricoles des clients, dans le but de protéger la biodiversité. Le projet était

74
« Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs
répercussions »
317
financé par la Banque centraméricaine d’intégration économique (BCIE), le Programme
des Nations unies pour le développement (PNUD) et le Fonds pour l’environnement
mondial (FEM). Il s’est déroulé entre 2008 et 2013 au Guatemala, au Honduras, au
Salvador, au Costa Rica et au Nicaragua. Le projet proposait aux IMF intéressées de
l’assistance technique et des primes en espèces, en mettant par exemple en place des
lignes de crédit pour ces dernières à des taux d’intérêt bonifiés de 4,5% annuels, au
moment où les taux proposés aux IMF dans le marché financier local étaient proches du
double (Huybrechs et al., 2016). Les IMF bénéficiaires, comme Fondo de Desarrollo
Local (FDL), prêtaient à leur tour à leurs clients à des taux annuels moyens de 20%,
réalisant ainsi des marges brutes importantes à cause des taux bonifiés. Dans le cas de
FDL, les activités agricoles étaient la cible prioritaire des mesures environnementales
intégrées avec le projet CAMBIO. Le contrat avec les clients stipulait par exemple que
les clients qui atteignaient les objectifs environnementaux fixés toucheraient, après
vérification conjointement menée par l’IMF et ses partenaires (BCIE, PNUD et FEM), une
prime en espèces d’un montant pouvant aller jusqu’à 14% du financement obtenu, et le
FDL recevrait une prime pouvant aller jusqu’à 6 %, incitant ainsi tant le producteur que
l’IMF à (faire) respecter les termes du contrat (Huybrechs et al., 2016).

Toujours pour les stratégies incitatives, l’utilisation des énergies renouvelables constitue
une mesure qui peut davantage intéresser les populations des régions en
développement. À BAOBAB, par exemple, des lampadaires solaires sont proposés en
offre supplémentaire aux clients qui contractent un crédit. De telles mesures renforcées
peuvent s’inscrire dans l’ensemble des efforts visant à limiter l’impact des clients sur
l’environnement, en les combinant avec des objectifs socio-économiques et
environnementaux (Morris et al., 2007).

318
- Mesures d’adaptation

Selon l’Organisation des Nations Unies, 80% des catastrophes naturelles recensées ces
dernières années sont liées au climat, et celles qui auront lieu au cours des
20 prochaines années devraient croître en nombre et en intensité (Gemenne et al.,
2017). Aucun secteur d’activité n’est épargné, même si certains secteurs comme
l’agriculture, fortement tributaire des conditions climatiques, plus particulièrement
dans les pays en développement, constituent des secteurs plus directement menacés.
La rapidité des variations climatiques, telles que les températures et les précipitations,
modifient l’activité agricole et menacent la résilience des systèmes agraires et leur
productivité dans les pays en développement. En affectant directement les revenus des
travailleurs du secteur agricole, les effets induits par le dérèglement du climat risquent
d’amplifier la vulnérabilité des personnes à faible revenu, plus particulièrement celles
dont l’activité agricole constitue la principale source de revenu. Compte tenu de
l’importance du secteur agricole et de son exposition aux risques induits par les
catastrophes climatiques, il s’avère nécessaire de développer des actions concrètes et
immédiates en matière d’adaptation au changement climatique.

La microfinance, à travers ses produits modernes tels que la micro-assurance, regorge


d’opportunités pouvant être utiles aux mécanismes de lutte permettant de préserver le
bien-être des populations soumises aux risques immédiats d’événements liés aux
changements climatiques. Il s’agira d’une assurance privée, qui permettra de
compenser, a posteriori, la perte de revenu liée à la diminution de la production du fait
de l’aléa climatique. Ce type d’assurance climatique, plus connu sous le nom
« d'assurance indicielle », est un instrument privé de gestion des risques utilisé dans les
secteurs d’activités où les risques sont faiblement maîtrisés (Chetaille et Lagandré,
2010). Contrairement au fonctionnement d’une assurance classique, qui en principe
protège les dommages aux biens, par exemple les dégâts causés par l’utilisation (à son
insu) d’intrants de mauvaises qualités, l’assurance indicielle climatique protège le
manque à gagner provoqué par les événements liés directement au changement
climatique, comme la variation des températures ou des précipitations, susceptibles
d’affecter le rendement des activités agricoles. Le calcul du manque à gagner est

319
effectué à partir d’indices climatiques fournis par des acteurs externes, généralement
publics, comme les stations de météorologie, permettant ainsi d’évaluer la mise en péril
du rendement des activités concernées et de déterminer les seuils en-dessous ou au-
dessus desquels les rendements attendus sont sérieusement compromis et remettent
en cause les prévisions financières des producteurs concernés. Le tableau ci-après, basé
sur deux événements climatiques (la pluie et la température) 75 permet de comprendre
le fonctionnement de la micro-assurance indicielle climatique.

Tableau 9: Valeurs indicielles théoriques climatiques

Indice Pluie Température

Seuil de déclenchement Pour chaque période de Pour chaque heure où


5 jours d'affilé durant la température est
laquelle il pleut moins de supérieure à 40° (Nt)
3 minutes (Np)

Indemnisation Np*Primep Nt*Primet

Les seuils de déclenchement sont des seuils de référence à partir desquels les
indemnisations des producteurs sont déclenchées, avec des primes fixées à l’avance en
fonction du niveau de chaque indice. Ce type de micro-assurance climatique a
l’avantage d’être simplifié par l’existence déjà effective de stations météorologiques
dans la plupart des blocs régionaux en développement, ce qui fait que l’intervention
coûteuse d’un expert pour évaluer les dommages n’est pas nécessaire, car les
informations nécessaires pour établir les indices seuils peuvent directement être
fournies à partir des stations météorologiques. Par conséquent, l’évaluation est moins
compliquée76 et sans doute moins coûteuse, et le processus d’indemnisation est moins
long. Durant ces dernières années, quelques expériences d’assurance climatiques ont
commencé à voir le jour, bien que timidement, dans certaines régions en
développement. On peut citer par exemple l’initiative de Basix, une ONG indienne qui,
avec l’aide financière de la Banque Mondiale, a mis en place un service de micro-
assurance qui permet aux paysans de couvrir une partie des frais engagés dans le cas

75
On pourrait y ajouter plusieurs autres événements comme le nombre de jours ensoleillés, la vitesse du
vent ou la quantité de gel.
76
Dans cet exemple, en cas de sinistre environnemental, le montant d’indemnisation (M) serait donné
par la formule suivante : M = Np*Primep + Nt*Primet .
320
d’une mauvaise récolte induite par une catastrophe naturelle. Une initiative similaire
financée par Oxfam America est en phase test en Ethiopie depuis 2015 dans l’IMF
Harita. L’offre de micro-assurance proposée permet de limiter les effets
environnementaux entraînant des baisses imprévues de récolte concernant certains
produits jugés fondamentaux pour le maintien de la stabilité financière des petits
producteurs. Il faut cependant souligner que pour des raisons de coûts, la micro-
assurance climatique peut ne pas être adéquate pour les activités agricoles non
commerciales, comme les cultures familiales vivrières. Elle fonctionne généralement
pour les cultures de rente, plus particulièrement pour celles qui ont une forte valeur
ajoutée, permettant aux bénéficiaires de couvrir intégralement les coûts engendrés.

10.3 Microfinance et exode rural


Le dépeuplement des campagnes au profit des villes, ou « exode rural », est un
phénomène qu’ont connu pratiquement toutes les régions du monde, mais parfois pour
des raisons différentes. Déjà surpeuplées aujourd’hui avec près de 500 millions de
personnes, les villes africaines pourraient voir leur population doubler d’ici 2050, ce qui
pour différentes raisons pourrait remettre en cause certaines politiques de
développement, telles que les programmes d’aménagement du territoire, l’équilibre
infrastructurel (hôpitaux, écoles, routes, etc.) entre ville et campagne, et surtout l’accès
à un emploi décent. Cette situation risque de créer un déséquilibre à la fois social et
économique entre villes et campagnes, nécessitant une réponse rapide et adéquate,
devant nécessairement passer par une revalorisation du secteur agricole qui, en 2015,
contribue encore à plus 30% du PIB de l’Afrique subsaharienne (Banque Mondiale,
2016).

321
10.3.1 La faillite du secteur agricole aux origines de l’exode rural en Afrique
subsaharienne
Au-delà de la croissance relativement importante du taux de natalité, une des causes de
la croissance démographique en zone urbaine en Afrique est l’exode rural, se
matérialisant par le déplacement de plus en plus massif de personnes du monde rural
vers les centres urbains, plus particulièrement les capitales. Dans la plupart des pays
africains, l’exode rural s’est amplifié durant ces dernières années et risque de connaître
des dimensions plus importantes dans les années à venir (Mercandalli et Losch, 2018).

Comparé à celui des pays du Nord, le processus de peuplement des villes africaines est
particulièrement différent. En Europe occidentale, les vagues de déplacement des
travailleurs issus du monde rural vers les villes ont débuté à partir du 19e siècle, sous
l’effet de la révolution industrielle. Ainsi, dans le cas de l’Europe, l’exode rural
correspond à une période de modernisation industrielle, créant ainsi beaucoup
d’emplois, particulièrement dans le secteur industriel. Ce phénomène s’est même
poursuivi tout au long du siècle dernier. Entre 1970 et 2000, le nombre d’emplois
générés par le secteur agricole, principalement en zone rurale, est passé de 11% à 3%
dans les six pays fondateurs de la Communauté européenne (Bianco, 2012). Dans les
pays en développement et particulièrement en Afrique, c’est plutôt la faillite du secteur
agricole, consécutive à sa faible compétitivité et à son incapacité à répondre aux
attentes des populations locales en termes d’emplois qui, à partir des années 1970,
incitent les populations rurales à migrer vers les villes, à la recherche de conditions de
vie moins précaires (Antoine, 1997).

Contrairement aux villes européennes d’après révolution industrielle, les villes africaines
n’ont pas encore connu ce boom économique capable de générer des emplois qui
soient à la hauteur de l’affluence issue du monde rural. Par conséquent, les bidonvilles
constituent la majorité de la croissance urbaine des villes africaines. Les bidonvilles,
donc représentent plus de 80 % de la population urbaine totale en Afrique
subsaharienne, population vivant dans des conditions précaires, sans réelles
perspectives d’avenir.

La faillite du secteur agricole, entre autre liée au développement inégalitaire entre villes
et campagnes, constitue de loin la première cause de la migration rurale africaine,
322
poussant ainsi, généralement, les plus jeunes vers les zones urbaines, perçues comme
les seuls lieux d’opportunités pour de meilleures conditions de vie. À ces raisons socio-
économiques s’ajoutent désormais les impacts environnementaux dus aux
changements climatiques. D’ici 2050, les régions d’Afrique subsaharienne devraient être
encore plus fragilisées à cause du changement climatique : jusqu’à 20% des récoltes
pourraient ainsi être perdues, principalement en zone rurale. Et sur la même période,
particulièrement en zone rurale, la malnutrition pourrait augmenter de plus de 20%
(Gemenne et al., 2017).

L’agriculture, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, notamment par sa dépendance à


l’hivernage et par le manque de financements adéquats, apparaît de moins en moins
comme une solution viable pour les habitants du monde rural, ce qui constitue une
raison de plus pour rejoindre les centres urbains.

10.3.2 Remettre l’agriculture au centre des programmes d’inclusion financière


Alors que les Objectifs de développement durable visent à éliminer la faim et la
pauvreté dans le monde, il est indispensable que les pays africains accordent une
priorité particulière à l’agriculture et au développement rural. Les causes dominantes
de l’exode rural dans les villes africaines sont purement économiques, y compris les
effets liés aux changements climatiques. Selon la Banque Mondiale (2016), dans son
programme de productivité agricole en Afrique de l’ouest (PPAA), le secteur agricole
dans sa globalité (villes et campagnes) fournit plus de 65% des emplois et contribue à
hauteur de 35 % au PIB de la sous-région. En zone rurale, neuf personnes sur dix
travaillent dans le secteur agricole au sens large (agriculture, élevage, pêche et
foresterie). L’agriculture y est la principale activité, même si au fil des années, son poids
a relativement baissé dans l’activité économique, au détriment d’autres activités dont la
valeur ajoutée est plus élevée, comme le commerce et les activités de services. Or,
l’agriculture, qui constitue la principale activité en zone rurale, sous l’effets de
contraintes multiples, dont l’insuffisance et l’inadéquation des financements, ainsi que
les nombreux problèmes liés aux effets du changement climatique, constitue de moins
en moins une source d’attraction pour les jeunes générations issues du monde rural, et
cela au profit de l’exode rural, bien que la majorité d’entre elles soient relativement
moins formées pour les emplois professionnels, comparées aux habitants des centres
323
urbains. Autrement dit, la croissance de l’exode rural est en partie une résultante de
l’échec des politiques agricoles initiées dans la plupart des pays africains au lendemain
de la période des indépendances de 1960.

La problématique du financement de l’agriculture en Afrique n’est pas récente. Elle a


toujours été au cœur des politiques de développement entreprises depuis plus d’un
demi-siècle, bien que les résultats obtenus n’aient jamais été suffisants pour
contrecarrer ou limiter les effets observés dans pratiquement toute la région d’Afrique
subsaharienne, à savoir l’exode rural et ses corollaires en milieu urbain, comme le
chômage et la hausse du niveau de pauvreté en ville comme en campagne.

Au lendemain des indépendances fut développé un premier paradigme des finances


rurales plus connu sous le nom d’« old rural paradigm », fondé sur la préoccupation des
pouvoirs publics de faciliter l’accès au financement des activités du secteur rural.
L’approche privilégiée dans ce paradigme, couvrant la période des années 1980, a été
basée sur l’intervention directe des pouvoirs publics, en l’occurrence l’État, par
l’intermédiaire des banques publiques de développement et des bailleurs de fonds sur
le marché du crédit à des conditions favorables, telles que des taux d’intérêt bonifiés,
ou la quasi-absence de garantie (Morvant-Roux, 2009). L’approche utilisée dans l’ancien
paradigme n’a pas été concluante. Elle a été marquée par un affaissement des
instruments financiers mis en place pour le secteur agricole, notamment par la faillite
de plusieurs banques publiques, englouties sous le poids de la dette, des taux de
remboursement faibles, mais aussi par l’ampleur de la corruption. Devant l’échec des
premières initiatives d’après indépendance, de nouvelles initiatives, sous un nouveau
paradigme consistant à privilégier les acteurs privés comme des intermédiaires
financiers, ont été adoptées. L’approche redéfinit le rôle des pouvoirs publics, avec
moins d’État, et renforce le rôle des organismes non-gouvernementaux dans le
financement du secteur agricole. C’est dans ce nouveau paradigme que désormais les
IMF ont pris une place importante dans le financement du monde rural, bien qu’après
plus de trois décennies « force est de constater que l’accès aux services financiers
illustre encore d’importantes inégalités non seulement nationales mais aussi locales et
que l’agriculture est largement délaissée » (Morvant-Roux, 2009, p.13).

324
Désormais, le financement du monde rural, à travers l’agriculture au sens large, a un
double enjeu. Il est économique et démographique. L’accès à des financements
adéquats est non seulement une nécessité pour soutenir le secteur agricole qui
contribue à plus de 35% du PIB en Afrique subsaharienne et à 65% des emplois, mais il
peut aussi rééquilibrer le phénomène d’exode rural qui menace plus de 400 millions de
personnes vivant en zone rurale à travers l’Afrique subsaharienne. Pour éviter de
commettre les mêmes erreurs que les initiatives précédentes, les acteurs fournisseurs
(publics, privés et société civile) doivent comprendre au préalable que l’accès au
financement ne doit pas être la finalité dans les programmes développés. Ceux-ci
doivent surtout se focaliser sur l’adéquation des produits et services disponibles aux
activités bénéficiaires.

- Partir des contraintes agricoles pour proposer des financements adéquats

Les échecs répétés des politiques de financements du secteur agricole s’expliquent en


grande partie par une inadéquation des produits et services financiers offerts aux
contraintes spécifiques des producteurs77. Bien qu’elle ait été identifiée comme levier
de développement économique important, l’offre des services financiers en milieu rural
est limitée et s’est toujours révélée problématique (Patat, 2007). En effet,
l’environnement rural impose des contraintes spécifiques pour le développement des
services financiers et rend plus difficile, coûteux et risqué, son financement. Comme
nous l’avons évoqué au chapitre 7, un des défis des IMF dans le financement des
activités du monde rural est de passer d’une offre trop standardisée à une offre
diversifiée, qui puisse tenir compte des contraintes des activités financées, car la
première contrainte inhérente au milieu rural réside dans la nature très diversifiée des
contextes, des populations et des activités, par conséquent, des besoins financiers,
souvent mal connus et difficiles à appréhender par les IMF (Patat, 2007). S’agissant par
exemple des activités agricoles, il convient de distinguer l’agriculture qui se pratique
uniquement en saison des pluies et celle pratiquée pratiquement durant toute l’année,
car bénéficiant de sources d’eaux irriguées. On trouve cette dernière dans les zones où
les nappes phréatiques sont facilement accessibles pour les petits producteurs, comme

77
Voir chapitre 7 (aspects financiers)
325
le long du littoral sénégalais par exemple. Contrairement à l’agriculture d’hivernage,
l’agriculture irriguée présente des flux de revenus plus permanents avec des fréquences
plus proches, permettant à ses producteurs d’être moins sensible aux remboursements
de crédits rapprochés. En outre, les produits cultivés pendant toute l’année présentent
généralement des particularités qui peuvent avoir des conséquences sur la capacité des
producteurs à honorer leurs engagements financiers, notamment les remboursements,
sur lesquels dépend la pérennité du financement auquel ils sont accès. Les produits
agricoles qui servent de culture vivrière dans le monde rural, les céréales par exemple,
sont cultivés pendant la saison des pluies78, alors que l’agriculture irriguée est
complétement dominée par les cultures maraîchères à vocation commerciale. Chaque
type de culture présente des avantages et des contraintes spécifiques qui ne peuvent
être ignorés ou négligés dans tout programme de financement qui se veut inclusif dans
le monde rural. Différencier les financements selon le secteur et le type d’activité est un
moyen de diminuer le risque du crédit dans le monde rural.

- La micro-assurance

La micro-assurance reste encore un produit financier faiblement utilisé dans la


microfinance pour des raisons que nous avons déjà évoquées (perception élevée du
risque, non maîtrise sur l’éventualité des risques climatiques, déficit de financement,
etc.), mais elle peut constituer un outil financier très important dans la gestion des
risques des activités agricoles, à condition que les IMF se l’approprient. L’assurance
climatique indicielle que nous avons évoquée dans le chapitre précédent est un outil
adapté au secteur agricole, dans la mesure où les indicateurs seuils, qui servent de
référence pour le déclenchement des indemnités en cas de besoin, sont calculés à
partir des données locales qui tiennent compte des risques que les activités financées
encourent. Vu l’effet direct qu’exercent la variation climatique et d’autres aléas tels que
les invasions de sauterelles79 ou d’insectes nuisibles sur les revenus espérés des
producteurs agricoles, il paraît inévitablement que la micro-assurance agricole, sans
doute sous plusieurs formes, constitue une piste intéressante pour redynamiser le

78
À cause de la présence de leurs conditions climatiques préférentielles : un climat (très) chaud et
humide.
79
Phénomène assez répandu au Sénégal, surtout pendant les mois qui suivent un hivernage déficitaire.
326
financement du secteur agricole dans le monde rural. Aider les agriculteurs à accéder
plus facilement à des financements adaptés aux contraintes de leurs activités peut dès
lors être un instrument efficace dans les stratégies développées pour limiter l’exode
rural. L’enjeu étant d’accroître les revenus tirés de l’agriculture, de limiter les risques
encourus dans le secteur et de créer des emplois en milieu rural.

À travers son caractère mutualiste et son approche personnalisée qui privilégie la réalité
du terrain, la microfinance semble être un outil efficace pour contribuer à la
redynamisation du secteur agricole, plus particulièrement en zone rurale. Au-delà des
nombreuses difficultés que rencontrent les activités du monde rural, telles que la
concurrence des grandes firmes agricoles étrangères, la volatilité des prix des produits
agricoles, il s’avère incontestablement que l’accès à des financements et à des produits
de gestion de risque adéquats, tels que la micro-assurance, sont une nécessité pour
réunir les conditions d’émergence du secteur. Le contrôle de l’exode rural et la
prévention de la pauvreté rurale ne peuvent passer que par une politique d’inclusion
financière intègre et planifiée pour le monde rural, afin que les paysans puissent vivre
de leur travail, dans le respect des normes sociales et environnementales, tout en
garantissant la sécurité alimentaire. Faute de quoi il sera très difficile d’inverser la
tendance migratoire.

Quelques expériences concluantes à travers le monde, au Chili par exemple avec la


promotion de cultures fruitières et d’entreprises orientées vers l’exportation sont
concluantes, ou encore celle du Ghana, où le dynamisme de la culture du cacao a
entraîné le retour de plus de deux millions de Ghanéens qui avaient émigré vers des
centres urbains, doivent inspirer les décideurs politiques, afin de refaire du secteur
agricole un instrument de développement inclusif et socioéconomique dans le monde
rural. Le moyen le plus sûr pour favoriser le maintien des paysans sur leurs terres et
d’atténuer la pression sur les centres urbains est d’intensifier les investissements
adéquats, à la fois financiers et techniques, dans le secteur agricole. Quelques études80
exposent clairement l’efficacité supérieure de l’agriculture dans la réduction de la
pauvreté, en comparaison des autres secteurs économiques. Cela s’explique

80
Mergeai (2010) et Fontan (2006).
327
notamment par le poids économique et social du secteur dans les régions en
développement. Son rôle est également essentiel en termes de sécurité alimentaire et
de répartition de la population dans la mesure où l’agriculture au sens large occupe
encore plus de six personnes sur dix dans le marché de l’emploi des pays d’Afrique
subsaharienne.

328
CONCLUSION GENERALE
La croissance rapide du secteur de la microfinance durant ces dernières années semble
créer une tension entre le projet d’entreprise et le projet social de la microfinance. Elle
instaure un débat portant sur le compromis délicat entre la capacité des IMF à atteindre
réellement les plus pauvres et leur aptitude à couvrir de façon autonome leurs coûts
opérationnels. Un débat qui est loin de trouver une unanimité, mais qui prolonge la
discussion sur la capacité des IMF, telles qu’elles fonctionnent aujourd’hui, à s’adapter
aux contraintes systémiques locales de ses clients à faible revenu.

Partant de la réalité du terrain de la microfinance, l’étude montre que dans sa


dynamique actuelle, la quête de profits devient une exigence dans toutes les opérations
de microfinance, bien que dans le contexte du Sénégal, comme nous l’avons constaté
dans l’hypothèse 3, la part relative du profit dans le taux d’intérêt reste encore faible
pour expliquer le niveau élevé des taux d’intérêt. À travers l’hypothèse 1, confrontée
aux pratiques des IMF et aux sens que leurs agents donnent à leurs actions, on constate
toute l’importance que les IMF accordent aux logiques commerciales. Il apparaît assez
clairement qu’au moment où les IMF doivent de plus en plus compter sur leur
autonomie financière, l’approche commerciale constitue un vecteur essentiel pour
l’amélioration des conditions d’octroi et un accès plus généralisé, notamment dans les
régions où les coûts de production sont élevés. Elle peut aussi être essentielle dans le
fonctionnent interne des IMF, notamment par la gouvernance et le contrôle des
opérations, telles que le respect des critères de sécurité et d’audit interne imposés par
les actionnaires dans les Sociétés Anonymes. De ce point de vue, l’approche
commerciale peut être un plus pour les IMF, et vient même renforcer le secteur qui,
pendant longtemps a manqué de dynamisme et de rigueur dans la gestion.

Cependant, bien que l’approche commerciale présente des avantages non négligeables
pour le secteur, sa généralisation standardisée ne peut être la norme systématique
dans la pratique des IMF. Une telle application risque de reléguer au second plan la
mission sociale de la microfinance. Elle crée des difficultés qui mettent en lumière avec
une extrême gravité à quel point le secteur se dévie de certains de ses repères qui ont
été à l’origine de sa création. Les exigences de rentabilité et de conformité du secteur,
jusqu’à un certain point, sont certes nécessaires mais en même temps, elles inoculent
329
un mimétisme bancaire qui tend progressivement à limiter l’intégration financière, la
culture et les valeurs de l’économie sociale et solidaire entraînant une perte d’identité
qui amène paradoxalement la microfinance à créer ses propres exclus. Dans les milieux
les plus vulnérables, tel que dans le monde rural ou dans les banlieues, il est en effet
impossible pour une IMF d’atteindre une rentabilité à court terme, sauf à exclure ce
type de clientèle et sélectionner les clients les moins vulnérables ou uniquement ceux
possédant des activités jugées rentables et moins risquées.

De notre point de vue, les activités à faible valeur ajoutée, telles que l’agriculture ou
l’élevage, dans les formes actuelles dans lesquelles elles sont pratiquées chez les
personnes à faible revenu, notamment au Sénégal, ne peuvent être soumises à la même
approche commerciale que le sont le commerce ou les activités de petites et moyennes
entreprises urbaines. Lorsque les financements accordés servent à des fonds de
roulement ou à de petits investissements à forte valeur ajoutée, à court ou moyen
terme, avec des risques relativement maîtrisés et dans des zones à densité de
population suffisante, par exemple en zone urbaine, il est assez compréhensible de
privilégier l’approche commerciale en raison de la capacité de celle-ci à mieux répondre
à l’ampleur de la demande et de sa diversité. À l’inverse, quand la clientèle concernée
se particularise par la nature de ses activités à faible valeur ajoutée, et pour lesquelles
les risques sont beaucoup moins maîtrisés, l’approche commerciale telles qu’appliquée
dans la plupart des IMF sénégalaises n’est sans doute pas adaptée. Elle consiste en une
généralisation qui offre peu d’opportunités aux bénéficiaires, qui très souvent ne
disposent presque pas d’autres sources de revenus, à part leur activité principale.

À travers cette étude, on aperçoit également avec étonnement que pour les clients qui
accèdent au financement des IMF, l’inquiétude dominante n’est pas souvent le coût du
crédit, loin sans faut, mais surtout les conditions et les modalités dans lesquelles les
financements sont accordés. Cela pose un problème d’adéquation des produits aux
contraintes des activités financées. Développer des produits adaptés aux contraintes
spécifiques des secteurs d’activité peut d’une certaine manière entraîner des coûts
supplémentaires, mais peut aussi permettre en même temps de réduire le risque
encouru par le crédit. Au-delà de la question financière immédiate, notamment sur le

330
dilemme coût marginal et avantage marginal induit par le développement de nouveaux
produits, il y a la question de la satisfaction de la clientèle qui est au cœur des nouvelles
stratégies de marketing dans la microfinance moderne. Or, ce que l’on constate à ce
niveau, c’est que lorsque les IMF tentent d’estimer le niveau de satisfaction de leurs
clients, très souvent elles sont victimes de ce que nous appelons ici une « satisfaction
illusoire » de la part de leurs clients, en adoptant des stratégies qui cachent assez
souvent la réalité. Nous entendons par là que pour observer le degré d’inadéquation
des produits et services offerts par les IMF par rapport aux besoins de leurs clients, Il
peut être trompeur de partir du produit final, de son utilité pour le client. Les
expériences dans les régions en développement, telles qu’en Asie du Sud-est, en
Amérique latine ou en Afrique subsaharienne montrent que les conditions culturelles,
climatiques ou géographiques peuvent varier, mais que les personnes à faible revenu
ont pratiquement les mêmes problèmes financiers. Pour la plupart d’entre elles, l’accès
au financement peut être un luxe qu’il faudrait saisir à la moindre occasion, sans se
préoccuper nécessairement des conditions de remboursement. Autrement dit, elles ont
toutes besoin de crédit pour financer leurs activités, la scolarisation et la formation de
leurs enfants, ou tout simplement financer leurs cérémonies rituelles, mais que chaque
secteur ou sous-secteur présente des contraintes qui lui sont propres, faisant que
certaines pratiques soient adaptées pour les uns et non adaptées pour les autres. Cette
approche illusoire et trompeuse induit en erreur les développeurs de produits ou des
services chargés de tester le niveau de satisfaction des clients bénéficiaires de services
de microfinance. Ces derniers ont tendance à ne regarder que le produit final pour
tester son adéquation aux besoins du client. Il se pose un problème dans cette
approche, car ils oublient tout le processus qui a permis de mettre en place ce produit.
Cela explique qu’ils confondent le « produit utile » au « produit adéquat ». Pour
observer les problèmes d’inadéquation dans le secteur, l’approche procédurale est sans
doute la plus adaptée.

Une approche procédurale, qui intègre le processus de développement des produits, a


permis de constater le problème d’inadéquation à deux niveaux.

331
1. Il y’ a d’abord des produits qui répondent certes à des besoins financiers, mais
que ce sont surtout les conditions auxquelles l’offre est soumise qui posent
problème. Dans nos analyses, nous avons trouvé que certains produits
développés sont certes utiles aux clients à des degrés variables, mais la plupart
d’entre eux ne sont pas adéquats aux contraintes spécifiques des clients
bénéficiaires. On oublie assez souvent de tenir compte aux contraintes des
clients dans le développement de produits. Ce problème est mis en évidence par
l’hypothèse 2, à partir de laquelle nous avons montré que la stratégie de la
standardisation des offres est très présente dans l’industrie de la microfinance,
indépendamment des secteurs d’activité financés. Les clients qui travaillent dans
le secteur agricole, comme ceux travaillant dans l’artisanat ou dans le
commerce, ont sans doute tous besoin d’accéder à des financements pour leurs
activités. Mais vu les contraintes que présente chaque secteur, il peut être
opportun de différencier les conditions en fonction des activités financées. Dans
le cas du Sénégal, on constate que la diversité des contraintes sectorielles,
l’importance des croyances et valeurs culturelles et le niveau de littératie des
clients ne sont que rarement pris en compte dans l’élaboration des produits. Par
exemple, quand il s’agit du secteur agricole, deux difficultés indexées par les
agriculteurs sont le remboursement du crédit qui débute le mois suivant l’offre
de crédit et la fréquence mensuelle des remboursements, peu adéquates à leurs
flux d’encaissement de revenus. Si aux origines de la microfinance le maintien
d’un système financier basé sur des produits standards et faciles à gérer se
justifiait, aujourd’hui les IMF doivent passer à une nouvelle étape parce qu’il
reste des besoins importants à couvrir, et aussi parce que la demande de la
clientèle d’aujourd’hui évolue plus rapidement. C’est d’ailleurs à ce niveau que
la finance informelle se distingue de la microfinance comme de la finance
classique. Elle a la faculté de s’adapter aux besoins et aux contraintes du client,
notamment par sa flexibilité, ce qui très souvent fait défaut à la microfinance
telle que pratiquée dans la plupart des IMF.

2. Le second niveau correspond à la phase pré-crédit, correspondant aux premiers


contacts entre l’IMF et le client au déblocage des fonds accordés. L’analyse des
332
rapports existants entre les acteurs durant cette phase montre toutes les
difficultés systémiques, notamment communicationnelles, qui font obstacle au
développement de produits adaptés. À travers les analyses quantitatives et les
entretiens qualitatifs réalisés, on aperçoit assez clairement l’existence
d’obstacles linguistiques dans le paysage de la microfinance au Sénégal
(hypothèse 4), qui prennent naissance à partir de l’écart linguistique entre les
IMF et leurs clients. À voir l’ampleur de ces difficultés rencontrées par les IMF,
notamment au niveau des remboursements, de l’auto-exclusion de certains
clients du fait qu’ils ne comprennent ni le wolof ni le français, et du risque
d’entrer dans le PAR 30 que présentent les clients à faible compétence en
français, il s’impose aux IMF de mettre sur pied des stratégies diverses et
adéquates afin d’apporter une solution à ce problème. Cela devrait commencer
par intégrer la question linguistique dans les stratégies économiques des IMF,
notamment par une stratégie de proximité, pour remettre les besoins du client
et de ses contraintes au centre des préoccupations des IMF. On peut estimer
que dans le contexte multilingue sénégalais, considérer la langue comme un
capital dans le secteur de la microfinance apparaît comme une thèse
scientifiquement fondée, puisque du simple moyen d’intermédiation, elle
devient un élément sensé procurer une valeur supplémentaire à l’IMF
prestataire de services microfinanciers. Par conséquent, l’utilisation des langues
locales comme moyen de mettre en place une communication de proximité
permet de constituer un capital de confiance, facteur d’essor et de progrès dans
la relation entre l’institution financière et son client.

Il faut cependant souligner que suivant le statut de l’IMF, le degré d’adéquation a


tendance à évoluer. Dans les IMF mutualistes, par exemple à PAMECAS, l’intégration
des clients au sein des organes décisionnels permet une réduction considérable de la
distance existant entre les besoins et les produits et services proposés. Dans les IMF
bancaires, comme à BAOBAB, l’absence du client dans tout le processus décisionnel à
tendance à accentuer davantage le problème d’inadéquation existant dans le secteur.

333
En outre, au-delà de sa capacité d’être un outil d’inclusion financière dans les régions en
développement, la microfinance, à travers son approche inclusive et personnalisée,
peut être utilisé comme facteur supplémentaire pour d’autres objectifs du
développement humain, tels que le développement durable, la lutte contre le
changement climatique et l’exode rural (voir le chapitre de perspectives : chapitre X). La
question principale dans ce nouveau défi, qui nécessite d’études approfondies et plus
larges, est de voir comment un secteur qui a de la peine à couvrir ses coûts de
production pourrait s’engager dans un marché qui s’avère complexe avec des risques
(climatiques et environnementaux) faiblement maîtrisés par les acteurs.

Il nous semble aussi important de souligner deux limites sur la portée de cette étude.
La première limite concerne la généralisation des résultats. Bien que les études de cas
portent sur deux grandes IMF de statuts d’afférents (PAMECAS et BAOBAB), la
généralisation des résultats sur l’ensemble du secteur ne doit pas être systématique.
Au-delà du facteur « statut » (mutualiste contre bancaire), d’autres facteurs tels que le
niveau de maturité et la zone d’implantation peuvent éventuellement entrer en jeu.
Autrement dit, il serait intéressant de faire la même étude auprès d’IMF qui n’ont pas
encore atteint leur phase de maturité financière.

La seconde limite concerne la partie sociolinguistique. L’absence de mesures précises


sur la situation financière des personnes présentes dans la base de données du MIX que
nous avons utilisée pour la partie quantitative limite la portée des résultats. Bien que
nous ayons essayé de dégager de grosses tendances avec les informations disponibles, il
s’avère qu’une telle information nous permettrait d’être plus précis sur la relation entre
le niveau d’instruction des clients d’IMF et leur niveau de remboursement.

334
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347
Annexe 1: Question-guides du Focus group

La partie I des échanges va porter sur les conditions et modalités d’accès au crédit des
IMF

1. Comment avez-vous fait pour entrer en contact avec votre IMF ?


2. Comment avez-vous fait pour bénéficier des crédits de votre IMF ?
3. Les procédures étaient-elles difficiles, longues, longues ?

La partie II va porter sur la compréhension entre les clients et les agents de crédit

4. Comment avez-vous fait pour comprendre le contenu du contrat avant la


signature ?
5. Comment les agents de crédits vous ont-ils aidé à comprendre le contenu ?
6. Dans quelle(s) langue(s) communiquez-vous avec votre agent de crédit ?
7. Quelles difficultés rencontrez-vous avant, pendant et après l’octroi des crédits
des IMF ?

La partie III va porter sur les raisons qui motivent les clients à préférer les crédits du
secteur informel

8. Vous arrive-il d’emprunter de l’argent à un membre de votre famille, à un ami, à


un prêteur du quartier ?

9. Quels avantages trouvez-vous chez les prêteurs informels et que vous ne trouvez
pas dans les IMF ?
10. Lorsque vous avez un besoin immédiat d’argent, comment faites-vous et
pourquoi ?
11. Selon votre activité individuelle, comment jugez-vous les délais de
remboursement qui vous sont accordés par les IMF ?

La partie IV va porter sur les taux s’intérêt, comment ils sont compris et perçus par les
clients

12. Selon vous, le taux d’intérêt appliqué par votre IMF sur votre crédit est-il juste,
normal ou abusif ?
13. Sur un crédit de 100'000 FCFA, combien seriez-vous disponible à rembourser ?
348
14. Existe-t-il d’autres charges à part les taux d’intérêt ? Si oui, lesquelles ?
15. Les taux d’intérêt et les délais de remboursement constituent-ils un obstacle
pour le remboursement ?
16. Que pensez-vous d’une méthode qui consisterait à faire varier le taux d’intérêt à
partir du deuxième crédit, selon que le client a bien remboursé ou non ?

La partie V va porter sur l’éventuel besoin de crédit à la consommation

17. Une fois que l’IMF vous accorde un crédit, comment utilisez-vous l’argent ?
18. Vous arrive-t-ils d’utiliser une partie du crédit accordé pour des besoins
familiaux ?

La partie VI va porter sur l’adéquation des pratiques/offres des IMF aux valeurs des
clients

19. Dans le contrat que vous avez signé, y a-t-il des éléments qui sont peu
compatibles avec vos valeurs (culture, croyance religieuse) ?
20. Si oui, considérez-vous ces éléments (à citer) comme un obstacle dans la
collaboration que vous souhaitez avoir avec votre IMF ?
21. Ces pratiques pourraient-elles vous amener à quitter votre IMF ?

349
Annexe 2: Question-guides "financiers" pour les agents de crédit

I. Informations générales

1. Dans quels contextes votre IMF a été mise en place ? [Par qui (bailleurs) ? et
pour quelles raisons]

o Quels sont les objectifs de votre IMF ?

o Quelle est sa population cible ?

o Qui sont les types de clients que vous avez dans votre IMF ?

2. Quels sont les différents services proposés par votre IMF ?

II. Nature de la clientèle de l’IMF

3. Quelle place accordez-vous aux PFR81 dans vos politiques et développement de


produits et services financiers ?

o Quel est le taux de représentativité des PFR dans votre clientèle


d’aujourd’hui ?

o Comment ce taux a-t-il évolué depuis 2007 ?

o Avez-vous des services/produits destinés aux PFR ? [Si oui lesquels ?]

III. Le travail d’agent de crédit (gestionnaire de portefeuille et gestionnaire clientèle)

4. Quelles sont ses principales tâches ?

5. Comment les rapports devant exister entre l’agent de crédit et son client sont-ils
définis (sur le plan réglementaire) ?

o Quelles sont les prérogatives de l’agent de crédit sur un dossier de


demande de financement ?

o Comment l’agent de crédit s’assure-t-il que le client a bien compris le


contenu du contrat de crédit ?

6. Quelles sont les conditions pour bénéficier d’un financement dans votre IMF ?

81
Personnes à faible revenu
350
7. Quelles sont les informations capitales que le client doit comprendre avant de
signer son contrat de crédit ?

8. Selon vous, c’est quoi un bon agent de crédit ?

9. Comment le travail de l’agent de crédit est-il évalué ?

10. Selon vous, quelles sont les principales motivations des agents de crédit dans
l’exercice de leurs activités ? (primes, carrières, satisfaction des besoins de sa
clientèle…)

11. Parlons des conditions financières des agents de crédit ! Comment jugez-vous
leur niveau de rémunération sur le marché du travail au Sénégal et par rapport
aux autres IMF ?

IV. Besoins financiers locaux

12. Quelles sont les principales activités économiques que vous financez ?

13. Selon votre expérience sur le terrain, les clients ont-ils des besoins (financiers
comme non-financiers) différents selon la nature de leurs activités ?

o Si oui, comment cela se traduit sur le terrain ?

o Selon vous, le problème de la diversité des produits se pose-t-il sur le


marché de la microfinance ?

o Quelles différences peuvent-ils exister entre les besoins financiers


des agriculteurs et ceux des commerçants ?

14. Le détournement d’objectif dans les crédits est-il une problématique constatée
dans votre IMF ?

15. Quelles sont les attitudes de vos clients à l’égard du taux d’intérêt ?

o les jugent-ils élevés, faibles ou sont insensibles ?

16. Quels sont les principaux besoins financiers locaux de vos clients, notamment
sur les secteurs suivants :

o commerce

o en agriculture
351
o en élevage

o en éducation

o en santé

o en cérémonies rituelles

o en équipement ménager, etc.

V. Satisfaction des besoins des clients

17. Quelles sont les stratégies, les techniques déployées pour toucher de nouveaux
clients, pour leur proposer des services, pour leur inspirer confiance ?

18. Comment les besoins des personnes à faible revenu sont-ils pris en compte dans
l’élaboration des produits des IMF ?

19. Quelle différence existe-t-il dans les pratiques des banques classiques et celles
des IMF ?

20. Pensez-vous que les taux d’intérêt des IMF soient aujourd’hui justifiés ?

21. Comment expliquez-vous que certaines personnes préfèrent toujours le crédit


informel que le crédit des IMF ?

22. Quel est le taux de rejet de dossiers de demande de crédit ?

23. Les clients ont-ils la possibilité de faire un recours une fois que leur demande de
financement est refusée ?

24. Au-delà des services financiers, votre IMF propose-t-il des services non
financiers à ses clients ? (éducation, santé, formation…)

o Si oui, quels sont ses services et à quelles fins sont-ils proposés

o Si non, quelles sont les raisons ?

VI. Perspectives de développement

25. De votre point de vue, la procédure pour devenir client est-elle difficile ?

o Quelles sont les difficultés ?

o Varient-elles en fonction des secteurs d’activité ?


352
26. Est-ce que vous pensez que votre IMF peut augmenter ses activités dans les
régions enclavées ? [Ou bien est-elle arrivée à un stade optimal de
développement ?]

27. Quel est le taux d’intérêt actuel appliqué par votre IMF ?

o Quelle appréciation avez-vous de ce taux par rapport aux autres IMF ?

28. Pensez-vous qu’au-delà des crédits pour l’investissement, les personnes à faible
revenu ont elles aussi besoin de crédit à la consommation ?

o Si oui dans quelles circonstances par exemple ?

o Par comparaison avec le crédit d’investissement, comment le crédit à la


consommation devrait-il être accordé (activités, montants, taux
d’intérêt, délais de remboursement) ?

o Si vous êtes contre le crédit à la consommation, pouvez-vous nous


expliquer les raisons ?

29. Pensez-vous que votre IMF a un impact financier et social sur la vie de ses
clients ?

o Si oui, qu’est-ce qui vous permet de le dire ?

o Avez-vous des indicateurs objectifs définis par votre IMF pour mesurer
cet impact ?

30. Avez-vous quelque chose dont on n’a pas parlé et que vous voulez rajouter ?

353
Annexe 3: Question-guides "financiers" pour les clients

I- Sur la dominance de l’approche commerciale

1. Parlez-moi de votre activité

2. Parlez-moi des raisons qui vous ont motivées à solliciter votre IMF.

3. Comment avez-vous fait pour entrer en contact avec votre IMF ?

4. Pouvez-vous me parler des différents services et produits que propose votre


IMF ?

o Lesquels parmi ces services et produits vont sont accessibles ?

o En existe-t-il d’autres auxquels vous n’avez pas accès ? [les raisons…]

5. Comment avez-vous fait pour bénéficier de ce produit dans votre IMF ?

o Pouvez-vous nous parler de la procédure ? [de la demande à l’octroi]

o Les procédures étaient-elles difficiles, courtes, longues ?

6. Les produits proposés par l’IMF ont-ils répondu à votre besoin ?

7. Parlez-moi de ce qui a répondu à vos attentes et de ce qui ne l’a pas été

8. Selon vous, le taux d’intérêt appliqué par votre IMF sur votre crédit est-il juste,
normal ou abusif ?

9. Existe-t-il d’autres charges à part les taux d’intérêt ?

o Si oui, lesquelles ?

o Pensez-vous être en mesure de supporter ces charges (en plus des


intérêts appliqués) ?

10. Votre IMF vous propose-t-il des services non-financiers ?

o Si oui, lesquels ?

o Quels (autres) genres de services non-financiers auriez-vous souhaité,


venant de votre IMF ?

11. Comment jugez-vous votre niveau de satisfaction dans la collaboration avec


votre IMF ?
354
12. Par rapport à votre activité, le type de financement proposé par votre IMF vous
convient-il ?

13. Existe-il des services et produits dont vous aurez besoin mais qui ne sont pas
disponibles dans votre IMF ?

o Selon vous, pourquoi vous n’avez pas accès à ces services ?

II- Sur le problème de la standardisation

14. Pour quels besoins avez-vous sollicité l’IMF ?

15. Une fois que l’IMF vous accorde un financement, comment utilisez-vous
l’argent ?

o Vous arrive-t-ils d’utiliser une partie du crédit accordé pour des besoins
familiaux ou autres ?

16. Les délais de remboursement qui vous ont été proposés sont-ils adaptés à votre
activité ?

o Sinon, comment les auriez-vous souhaités ?

o Ces délais constituent-ils un obstacle pour le remboursement, par


rapport à votre activité ?

17. Que pensez-vous du niveau des taux d’intérêt appliqués sur vos crédits ?

o Que pensez-vous d’une méthode qui consisterait à faire varier le taux


d’intérêt à partir du deuxième crédit, selon que le client a bien
remboursé ou non ?

18. Dans le contrat que vous avez signé, y a-t-il des éléments qui sont peu
compatibles avec vos valeurs (culture, croyance religieuse) ?

o Si oui, considérez-vous ces éléments (à citer) comme un obstacle dans la


collaboration que vous souhaitez avoir avec votre IMF ?

o Ces pratiques pourraient-elles vous amener à quitter votre IMF ?

19. Lorsque vous avez un besoin immédiat d’argent, comment faites-vous et


pourquoi ?
355
20. Connaissez-vous des personnes qui sont en besoin de financement et qui
préfèrent ne pas solliciter les IMF ?

o Si oui, quelles peuvent être raison selon vous ?

21. Quels avantages trouvez-vous chez les prêteurs informels et que vous ne trouvez
pas dans les IMF ?

22. Vous arrive-il d’emprunter de l’argent à un membre de votre famille, à un ami, à


un prêteur du quartier ?

o Si oui, parlez-nous des raisons qui font que vous préférez ce type de
financement que celui des IMF.

356
Annexe 4: Question-guides "sociolinguistiques" pour les agents de crédit

I. diagnostic général
1. Pouvez-vous commencer par me dire quelle est votre première langue
ou celle que vous parlez le mieux ?

2. Quelles autres langues estimez-vous parle bien ? C’est-à-dire dans


quelles langues estimez-vous pouvoir soutenir une conversation sur à
peu près n’importe quel sujet ?
3. Pour la communication sur votre lieu de travail, utilisez-vous tous les
jours ou presque plus d’une langue avec vos collègues ?
o Si oui, pouvez-vous me dire quelles sont ces langues ?
o Pouvez-vous m’indiquer dans l’ordre d’importance toutes les
langues que vous utilisez tous les jours ou presque dans le cadre
de votre travail ?
o Y a-t-il des langues que vous utilisez plutôt à l’oral ou plutôt à
l’écrit ?
o Le degré de formalité de l’interaction joue-t-il un rôle
4. Dans la communication avec vos clients, utilisez-vous tous les jours ou
presque plus d’une langue ?
o Si oui, pouvez-vous me dire quelles sont ces langues ?
o Pouvez-vous m’indiquer dans quel ordre d’importance vous
utilisez ces langues dans la communication avec vos clients ?
o Le degré de formalité de l’interaction joue-t-il un rôle ?
5. Pouvez-vous nous expliquer, comment vous faites en tant qu’agent de
crédit pour choisir la langue de communication avec vos clients ?
o Le degré de formalité de l’interaction joue-t-il un rôle ?
6. En tant qu’agent de crédit, vous est-il déjà arrivé de rencontrer un client
qui ne sait communiquer ni en français, ni en wolof ?
o Si oui, à quelle fréquence estimez-vous ces cas (1 fois par
semaine, deux fois, trois fois, ou plus))

357
7. Selon vous, la barrière linguistique peut-elle empêcher un client potentiel
de gerer certaines actions avec l’IMF (faire une demande de crédit, d’un
transfert d’argent ou autres) ?
o Si oui, en avez-vous connu des cas ? Expliquez-nous les
circonstances ?
8. Pensez-vous que le fait que les langues locales, à part le wolof, ne soient
pas utilisées dans les IMF puisse être un handicap pour certains clients ?
9. En vous basant sur votre expérience, pensez-vous que les personnes de
différentes ethnies aient selon l’ethnie, tendance à avoir des attitudes
différentes à l’égard des relations bancaires (type de crédit demandé,
méthode de remboursement, assiduité, etc.) ?
o Si oui, comment se manifestent ces tendances ?
o Est-ce qu’il y a d’autres caracteristiques (le sexe, le statut social, le
niveau de formation la santé mentale, le milieu de résidence ou
autres)

358
II. Nature des problèmes linguistiques diagnostiqués
10. Comment jugez-vous votre compétence en votre langue première langue
si autre que le français ?

Type de Comprendre Parler cette Lire cette Écrire dans


compétence des gens qui langue langue cette langue
Niveau parlent la
de compétence langue

« parfaitement Écoute et Discussion au Lire des textes Rédiger sans


ou presque » compréhension téléphone sans même difficiles difficulté des
sans efforts problème textes
« bien » Suivre un Discussion en Lire des textes Écrire des
exposé, direct ou au de tous genres, lettres, mais
comprendre téléphone, mais moins avoir besoin de
une émission de mais avec un facilement que se faire
tv avec un certain effort dans sa corriger
certain effort première
langue
« basique » Comprendre si Se faire Comprendre Être capable
l’interlocuteur comprendre de quoi parlent d’écrire des
parle lentement dans de un avis, une phrases très
et avec des situations affiche, les simples
termes simples quotidiennes titres d’un (salutation)
(par exemple quotidien
demander une
adresse)
« rien ou Je ne Je ne parle pas Je ne Je ne suis
presque » comprends pas un mot, ou comprends pas absolument
un mot, ou presque rien du tout textes pas capable
presque rien ou affiches d’écrire un
message,
même simple
dans cette
langue

359
11. Comment jugez-vous votre compétence en français ?

Type de Comprendre Parler cette Lire cette Écrire dans


compétence des gens qui langue langue cette langue
Niveau parlent la
de compétence langue

« parfaitement Écoute et Discussion au Lire des textes Rédiger sans


ou presque » compréhension téléphone sans même difficiles difficulté des
sans efforts problème textes
« bien » Suivre un Discussion en Lire des textes Écrire des
exposé, direct ou au de tous lettres, mais
comprendre téléphone, genres, mais avoir besoin
une émission mais avec un moins de se faire
de tv avec un certain effort facilement que corriger
certain effort dans sa
première
langue
« basique » Comprendre si Se faire Comprendre Être capable
l’interlocuteur comprendre de quoi d’écrire des
parle lentement dans de parlent un phrases très
et avec des situations avis, une simples
termes simples quotidiennes affiche, les (salutation)
(par exemple titres d’un
demander une quotidien
adresse)
« rien ou Je ne Je ne parle pas Je ne Je ne suis
presque » comprends pas un mot, ou comprends absolument
un mot, ou presque rien pas du tout pas capable
presque rien textes ou d’écrire un
affiches message,
même simple
dans cette
langue

12. Sachant qu’en moyenne, un client sur deux ne sait pas communiquer en
français, comment vous assurez-vous que le client comprenne
effectivement le contenu du contrat de crédit ?
13. En tant qu’agent de crédit, vous sentez-vous capable d’expliquer au
client tout le contenu du contrat sans recourir à une autre langue ?

360
14. Si vous devez recourir à une langue autre que le français, quels sont les
éléments dont vous tenez compte pour le choix ?
15. Par exemple, comment expliquez-vous la notion de taux d’intérêt à un
client qui ne sait pas communiquer en français ?
16. Selon vous, quels sont les éléments les plus fondamentaux que le client
doit nécessairement comprendre dans le contenu du contrat ?
17. Comment faites-vous pour distinguer les clients qui savent communiquer
en français et ceux qui ne le savent pas ?
18. Existe-il des questions dans le formulaire de demande de crédit qui vous
permettent de savoir quelles langues parle le client et dans quel ordre de
préférence ?
19. Pensez-vous qu’une telle information pourrait vous être utile ?
o Si oui, comment ?
20. Au niveau personnel, en quelles langues vous sentez-vous le plus à l’aise
pour faire votre travail actuel ?
21. Vous sentez-vous plus à l’aise quand vous avez devant vous un client qui
parle la même langue que la vôtre ?
o Si oui, quelles en sont généralement les raisons ?
22. En vous basant sur votre expérience, le fait de partager la même langue
maternelle (ou la même ethnie) que le client présente-il des avantages ?
des inconvénients ?
o Sur quels faits ou expériences vous basez-vous pour affirmer
cela ?
III. Intérêts éventuels et niveau d’implication des IMF

23. Devant un client qui ne parle ni le français ni l’une des autres langues que
vous connaissez, comment faites-vous pour communiquer (aide d’un
collègue, interprète, simplification du contenu, dictionnaire, etc.) ?

24. Durant votre formation, avez-vous été préparé à faire face à de telles
éventualités ?

361
25. Dans l’agence de l’IMF où vous travaillez, quel est le répertoire
linguistique ? Autrement dit, quelles sont les différentes langues parlées
par les employés ?
o Selon vous, à quelle fréquence les langues sont-elles utilisées (1
fois par jours, deux voire trois fois, ou plus), de temps en temps,
fréquemment) ?
26. Selon votre expérience, la question de la diversité linguistique est-elle
une réalité dans le quotidien des IMF ?
27. Pensez-vous que la capacité de parler au moins une langue non officielle
doit être un critère pour le recrutement d’un agent de crédit ?
28. Pensez-vous que la prise en compte de cette diversité linguistique doive
être un élément important et explicite dans la stratégie des IMF ?
o Si oui dans quel but et avec quels objectifs ?
o Comment de telles mesures pourraient-elles être intégrées dans
les procédures qu’appliquent les IMF ?

29. Seriez-vous prêt à participer à des formations de ce genre si jamais il


devait y en avoir ?

362
Annexe 5: Question-guides "sociolinguistiques" pour les clients

I. diagnostic général
1. Pouvez-vous commencer par me dire votre activité, votre âge et dans
quelle zone régionale vous travaillez ?

2. Depuis quand êtes-vous client dans cette IMF ?


3. Quelle est votre première langue ou celle que vous parlez le mieux ?
4. Quelles autres langues estimez-vous parlez bien ? C’est-à-dire dans
quelles langues estimez-vous pouvoir soutenir une conversation sur à
peu près n’importe quel sujet ?
5. Pour communiquer avec votre agent de crédit, utilisez-vous tous les jours
ou presque plus d’une langue ?
o Si oui, pouvez-vous me dire quelles sont ces langues ?
o Pouvez-vous m’indiquer dans l’ordre d’importance toutes les
langues que vous utilisez tous les jours ou presque avec votre
agent de crédit ?
6. Pouvez-vous nous expliquer en tant que client, comment faites-vous
pour choisir la langue de communication avec votre IMF ?
o Le degré de formalité de l’interaction joue-t-il un rôle
7. Comment faites-vous pour choisir la langue de communication avec
votre agent de crédit ?
8. En tant que client, avez-vous déjà rencontré un problème de
communication de nature linguistique dans une IMF ?
o Si oui comment ?
9. Avez-vous déjà rencontré un agent de crédit qui ne comprend aucune de
vos langues de communication ?
o Si oui, quelles solutions intermédiaires aviez-vous adopté ?
10. Selon vous, la barrière linguistique peut-elle empêcher un client potentiel
de faire une demande de crédit ?
o Si oui, en avez-vous connu un cas ?

363
11. Pensez-vous que le fait que les langues locales, à part le wolof, ne soit
soient pas utilisées dans les IMF puisse être un handicap pour certains
clients ?
o Si oui comment ?
II. Nature des problèmes linguistiques diagnostiqués
12. Comment jugez-vous votre compétence en votre langue première si
autre que le français ?

Type de Comprendre Parler cette Lire cette Écrire dans


compéten des gens qui langue langue cette langue
ce parlent la
langue
Niveau
de compétence

« parfaitement Écoute et Discussion au Lire des Rédiger sans


ou presque » compréhension téléphone textes même difficulté des
sans efforts sans difficiles textes
problème
« bien » Suivre un Discussion en Lire des Écrire des
exposé, direct ou au textes de lettres, mais
comprendre téléphone, tous genres, avoir besoin
une émission mais avec un mais moins de se faire
de tv avec un certain effort facilement corriger
certain effort que dans sa
première
langue
« basique » Comprendre si Se faire Comprendre Être capable
l’interlocuteur comprendre de quoi d’écrire des
parle dans de parlent un phrases très
lentement et situations avis, une simples
avec des quotidiennes affiche, les (salutation)
termes simples (par exemple titres d’un
demander quotidien
une adresse)
« rien ou Je ne Je ne parle Je ne Je ne suis
presque » comprends pas pas un mot, comprends absolument
un mot, ou ou presque pas du tout pas capable
presque rien rien textes ou d’écrire un
message
affiches
13. Comment jugez-vous votre compétence en français ?

364
Type de Comprendre Parler cette Lire cette Écrire dans
compéten des gens qui langue langue cette langue
ce parlent la
langue
Niveau
de compétence

« parfaitement Écoute et Discussion au Lire des Rédiger sans


ou presque » compréhension téléphone textes même difficulté des
sans efforts sans difficiles textes
problème
« bien » Suivre un Discussion en Lire des Écrire des
exposé, direct ou au textes de lettres, mais
comprendre téléphone, tous genres, avoir besoin
une émission mais avec un mais moins de se faire
de tv avec un certain effort facilement corriger
certain effort que dans sa
première
langue
« basique » Comprendre si Se faire Comprendre Être capable
l’interlocuteur comprendre de quoi d’écrire des
parle dans de parlent un phrases très
lentement et situations avis, une simples
avec des quotidiennes affiche, les (salutation)
termes simples (par exemple titres d’un
demander quotidien
une adresse)
« rien ou Je ne Je ne parle Je ne Je ne suis
presque » comprends pas pas un mot, comprends absolument
un mot, ou ou presque pas du tout pas capable
presque rien rien textes ou d’écrire un
affiches message,
même
simple dans
cette langue

14. En tant que client, avez-vous le sentiment d’avoir compris le contenu de


vos contrats de crédit ?
15. Qu’est ce qui selon vous explique ce sentiment ? Autrement dit,
comment pouvez-vous justifier ce sentiment ?
16. Comment a procédé votre agent de crédit pour vous expliquer le
contenu de votre contrat de crédit ?
17. Quelles langues ont été utilisées par l’agent de crédit ?

365
18. Pensez-vous avoir compris tout ce qui vous paraît nécessaire après votre
entretien avec l’agent de crédit ?
19. Selon vous, quels sont les éléments les plus fondamentaux que le client
doit nécessairement comprendre dans le contenu du contrat ?
20. Existe-il des questions dans le formulaire de demande de crédit qui
permettent à l’IMF de connaître votre langue de préférence pour
communiquer avec votre agent de crédit ?
21. Pensez-vous qu’une telle information soit nécessaire ?
o Si oui comment et pourquoi ?
22. Au niveau personnel, en quelles langues vous sentez-vous le plus à l’aise
pour communiquer avec votre IMF/avec votre agent de crédit ?
23. Vous sentez-vous plus à l’aise quand vous avez devant vous un agent de
crédit qui parle la même langue que la vôtre ?
o Si oui pourquoi ?
24. En vous basant sur votre expérience, le fait de partager la même langue
maternelle (ou la même ethnie) avec votre agent de crédit présente-t-il
des avantages ou des inconvénients ?
o Sur quels faits ou expériences vous basez-vous pour affirmer
cela ?
III. Intérêts éventuels et niveau d’implication des clients

25. Selon votre expérience et votre entourage, la question de la diversité


linguistique est-elle une réalité dans le quotidien des clients des IMF ?

26. Pensez-vous que la capacité de parler au moins une langue locale doit
être un critère pour le recrutement d’un agent de crédit ?
27. S’il vous avait été possible de choisir un agent de crédit qui a pour
première langue la même que vous, l’auriez-vous pris ou bien cela vous
laisserez-t-il indifférent ?
28. Si vous pensez que la diversité linguistique doit être prise en compte
dans les IMF, comment selon vous cela devrait-il être appliqué ?

366
29. Si vous aviez la possibilité de choisir votre agent de crédit, comment le
feriez-vous ? Autrement dit, quels critères vous paraîtraient importants
pour votre choix ?
30. Pensez-vous que la capacité de parler au moins une langue locale doit
être un critère pour le recrutement d’un agent de crédit ?
31. Pensez-vous que la prise en compte de cette diversité linguistique doit
être un élément important et explicite dans la stratégie des IMF ?
o Si oui dans quels buts ?
o Comment de telles mesures pourraient-elles être intégrées dans
les procédures qu’appliquent les IMF ?
32. En tant que client, seriez-vous prêt à payer plus pour disposer d’un
service d’interprétation en votre langue de choix ?

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