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Varikas Eleni. L'approche biographique dans l'histoire des femmes. In: Les Cahiers du GRIF, n°37-38, 1988. Le genre de
l'histoire. pp. 41-56.
doi : 10.3406/grif.1988.1754
http://www.persee.fr/doc/grif_0770-6081_1988_num_37_1_1754
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Margherita Guidacci
L'essor récent du genre biographique sous ses multiples formes, et son succès,
font depuis un moment l'objet de toutes sortes d'interprétations : triomphe d'un
individualisme montant, fuite en avant des déceptions du politique pour les uns, le
"phénomène biographique" s'incrirait dans une conjoncture de "fin des idéologies"
où toute démarche qui se propose de lier l'individu à l'histoire collective est
d'emblée soupçonnée de totalitarisme. Remède au vide existentiel actuel, à
l'impossibilité de vivre ailleurs, autrement, le succès de la biographie relèverait
d'une sorte de voyeurisme collectif, se substituant au besoin d'être acteur de sa
propre vie - effort de lui donner un sens même si ce n'est que par "grands hommes"
interposés ou par maîtresse de grands hommes interposées. En effet l'écrasante
majorité des biographies féminines actuelles, du moins en France, ont comme sujets
les "femmes de", au point que même quand il s'agit d'une femme qui a
manifestement été autre chose que soeur, fille, épouse ou maîtresse, comme par
exemple Camille Claudel, elle soit classée dans cette même catégorie K
Pour les autres, et c'est surtout le cas dans le domaine de la sociologie et de
l'ethnographie, et dans une moindre mesure de l'histoire, la biographie et plus
souvent de l'histoire de vie relèverait d'une volonté de réhabiliter l'individu en tant
qu'acteur historique, de replacer l'être humain concret au centre de l'histoire.
L'intérêt croissant pour l'approche biographique désignerait, dans ce cas, la réaction
d'une vision humaniste de l'histoire contre le déterminisme abstrait des structures,
une revanche du qualitatif sur le quantitatif ayant à son centre non plus les grands
hommes et leurs exploits mais les anonymes, les vaincu(e)s, les exclu(e)s de
l'histoire. Cette dernière démarche a, par ailleurs, une longue histoire puisque, déjà
en 1836, Pierre Lerroux écrivait dans l'Encyclopédie Nouvelle :
41
"Ainsi (...) nous avons ci-dessus consacré quelques
lignes à Maître Adam Billaut, menuisier et poète
médiocre du XVIIème siècle, tandis que nous n'avons
même pas inscrit le nom de Billaud-Varennes. C'est
qu'il nous a paru intéressant de montrer ce que pensait
le grand siècle des artisans qui s'avisaient d'avoir des
idées à eux et d'exprimer par l'art leurs sentiments
propres, tandis que le portrait de B-V., quelque
imposante et originale que puisse être sa physionomie
historique, n'aurait donné lieu de notre part à aucune
importante considération philosophique qui ne puisse
trouver mieux sa place ailleurs dans ce recueil" *.
Cependant cette tendance ne représente qu'une petite minorité dans l'imposante
production actuelle des biographies et l'usage des méthodes biographiques n'est, par
ailleurs, pas du tout incompatible avec l'approche quantitative, comme le suggère
par exemple l'informatisation des profils individuels dans des enquêtes récentes 3.
Le défi antipositiviste
Empathie et identification
Si j'ai choisi cet exemple extrême de sur-identification c'est parce qu'il montre
que les illusions positivistes ne sont pas l'apanage exclusif de l'objectivisme
scientifique. Dans la démarche de Wiesen-Cook, tout se passe comme si "l'essence
de la vie" du personnage constituait une sorte de vérité positive qui n'attendait pour
être découverte que le regard compatissant et solidaire du biographe. Un regard dont
la source n'est plus l'affinité d'une position sociale mais plutôt celle d'un état d'âme ;
ce qui débouche inévitablement sur une attitude psychologisante dont on sait
comment les femmes ont souffert en tant que sujets de biographies.
Chacun sait aujourd'hui que toute biographie est, dans une plus ou moins grande
mesure, auto-biographique. Mais pour les femmes, les effets d'identification sont
bien plus lourds de signification. Car en dehors des enjeux communs à tout
biographe, ce qui est souvent impliqué dans la recherche entreprise par une femme
sur une autre vie féminine, c'est la volonté ou le besoin de chercher des repères
pour une auto-définition non plus fondée sur la normativité patriarcale mais sur
les expériences réelles des femmes. C'est la volonté ou le besoin de chercher,
derrière les diverses couches des déformations et de clichés qui enveloppent la
mémoire androcentrique des femmes, le visage authentique de celles qui vécurent 51
avant elle. Le portrait de la femme étudiée devient souvent le miroir potentiel dans
lequel la biographe chercherait à identifier son propre visage et ceux de ses
semblables.
"Le rapport de la femme à elle-même peut être expliqué
par le miroir - c'est-à-dire le regard des autres, le regard
anticipé des autres. Depuis les temps anciens, la femme
n'a cessé de poser la question angoissée de sa marâtre
des contes de fées : "Miroir, miroir joli, quelle est la
plus belle au pays ?" Et même quand les regards des
autres est remplacé par le regard d'un autre, celui de
l'amant ou du mari, la question angoissée persiste
toujours. Il y a toujours des moments terribles où la
femme cherche son image dans le miroir sans la
trouver. L'image du miroir s'est perdue quelque part, le
regard des hommes ne la renvoie plus à la femme. La
femme ne peut développer de nouveaux rapports à elle*
même que par rapport aux autres femmes. La femme
deviendra le miroir vivant de la femme dans lequel elle
se perd pour se retrouver" 25.
Ce passage de Lenk concerne plutôt la reconstitution d'une tradition esthétique
féminine, mais il pourrait être valable pour la reconstitution du passé des femmes
dans son ensemble.
Il est évident que pour toute catégorie sociale à laquelle on dénie le droit à l'auto-
définition, l'exercice de l'histoire, c'est à dire de la reconstitution et réflexion sur son
propre passé, implique la recherche d'une autre vérité sur soi-même que celle des
versions officielles qui n'ont servi qu'à la perpétuation et la naturalisation de
l'oppression. En fait, cette recherche n'est pas forcément une recherche de modèles,
ou de figures emblématiques qui visent à combler le vide dans le miroir, car ce vide
ne désigne pas seulement l'absence d'une identité historique ; il peut aussi signifier
le refus d'accepter l'identité imposée par la culture patriarcale, la conscience qu'une
identité de genre non reifiée est encore à chercher, qu'elle n'existe que comme
manque.
Le recueil biographique déjà cité de Louise Otto comporte une entrée ayant pour
titre : "La femme inconnue de Hildburghausen, 1804-1845". Il s'agit d'une femme
anonyme mais dont l'existence est historiquement vérifiée et dont tout ce qu'on
connaît vient d'un récit qui ne parle pas d'elle mais de l'homme qui l'accompagnait
L'histoire commence avec une femme voilée qui arrive en 1804 dans un petit village
avec un comte dont le nom n'est pas donné. Ayant disparu pour une certaine
52 période, elle réapparaît à Hildburghausen pour y demeurer jusqu'à sa mort. Personne
n'a pu lui parler et on n'a jamais pu savoir pourquoi cette femme était toujours
voilée, pourquoi elle était recluse, pourquoi, un jour où elle avait essayé de parler à
un jeune jardinier, le comte s'était empressé de la tirer loin de celui-ci. Les dates :
celles de son arrivée et de la mort de son homme *.
Ce cas limite, dont les plus primaires signes d'identité sont inexistants pourrait
illustrer les difficultés auxquelles on se heurte dans la recherche du passé de la
femme la plus connue, la plus visible possible. On pourrait évidemment essayer de
spéculer sur le visage derrière le voile, essayer de le remplacer par un visage de
notre propre imagination. Mais cet effort ne serait rien si l'on ne se rendait pas
compte que le voile fait partie intégrante de l'histoire des femmes, non seulement
telle qu'elle a été écrite mais aussi telle qu'elle a été vécue. Dans une société où les
femmes ne sont définies que par le "comte qui les accompagne", même celles qui
arrivent à transgresser les normes imposées sont souvent obligées à porter un certain
voile de conformité. C'est pourquoi, ce qui devrait nous interpeller - plus encore que
d'affirmer la présence, dans l'histoire des femmes qui n'ont pas accepté de se plier
aux normes - c'est, à mon avis, d'interroger les significations possibles de ce "voile",
dans un moment socio-historique donné. Car la différence entre la femme inconnue
de H. et les femmes connues qu'on peut sortir de l'obscurité, c'est souvent une
différence dans le champ des possibles dans lequel prennent racine le sens et la
valeur de leur action.
Dans ce contexte, l'approche biographique pourrait nous aider à situer au centre
de notre démarche l'expérience sociale des femmes non pas comme une quelconque
essence qui nous livrerait le secret d'une identité féminine hypostasiée mais comme
un perpétuel va-et-vient entre le donné et le vécu, l'objectif et le subjectif, les
déterminations et les marges de manoeuvre ; un va-et-vient dans lequel s'inscrit le
projet d'une vie et qui construit et reconstruit sans cesse l'univers social dans
lequel s'affirment, en tant que sujets, les individus et les collectifs. En travaillant
dans cette direction, on pourrait commencer à dépasser la dichotomie
soumission/révolte, et chercher à comprendre pourquoi dans les écrits et dans la vie
des femmes sur lesquelles on travaille enthousiasme et déception, affirmation de soi
et résignation, déviance et conformisme se côtoient si étroitement l'un l'autre qu'il
nous est difficile de les intégrer dans notre interprétation sans privilégier les uns ou
les autres *. On pourrait alors évaluer les vies des femmes dans une double
perspective qui tiendrait compte de ce que toute action de dépassement - et plus
encore toute action d'opprimé(e) - révèle, d'une part la réalité telle qu'elle est et en
même temps le champ limité des possibilités de son changement » ; mais que,
d'autre part et sur un plan subjectif, elle témoigne d'une conscience de ce qui n'est
plus supportable, de ce qui ne doit plus être et en même temps de ce qui n'est pas
encore, de ce qui n'existe que comme manque ». Ce qui nous permet d'aborder le 53
projet individuel en évaluant les possibilités qu'il a réalisées à l'exclusion de toutes
les autres. Et ce double regard également nous aide à articuler, dans nos démarches
interprétatives, ce qui dans l'action consciente des individus (et des collectifs)
transforme les conditions objectives de leur existence et ce qui échappe à leurs
intentions et à leur contrôle.
Une telle approche pourrait nous aider à substituer à la recherche de modèles la
compréhension historique, au sujectivisme psychologique la recherche de la
subjectivité des femmes, dans le sens de leur devenir sujets de leurs propre vie. La
démarche biographique pourrait alors nous aider à rompre définitivement avec
l'approche de "cycles de vie", des rôles et des fonctions qui a longtemps enfermé les
expériences des femmes dans une perspective naturaliste. Elle pourrait nous aider à
éviter les dichotomies trop faciles, production/reproduction, public/privé,
masculin/féminin, pour aborder les expériences historiques des femmes comme un
ensemble significatif a partir duquel on élabore les catégories d'analyse.
Il est clair qu'une telle démarche n'est pas exclusivement valable pour l'étude des
femmes ni des rapports sociaux de sexe. Mais ce qu'il nous faut en tant que genre
opprimé, ce n'est justement pas réduire l'histoire de l'humanité aux expériences
sociales des femmes mais faire en sorte que cette histoire soit élaborée à partir de
toutes les expériences humaines, aussi bien en ce que celles-ci ont de commun
qu'en ce qu'elles ont de spécifique. Faire en sorte que notre expérience, comme celle
des femmes qui nous ont précédées, ne soit plus considérée comme une expression
marginale ou particulière d'une humanité universelle définie derrière notre dos, faire
en sorte que notre qualité de femme et d'être humain ne soient plus contradictoires
ou incompatibles. Ce qui présuppose une révision radicale de la manière même de
penser l'histoire. Et dans cette révision, l'approche biographique des femmes, et du
point de vue des femmes, pourrait être une contribution précieuse non pas en tant
que méthode spécifique mais pour la pertinence des questions qu'elle peut poser. .
Parce qu'elle a comme point de départ l'individu et son univers social, l'individu
là où il se trouve et non pas dans ce que l'histoire définit comme l'événement
susceptible d'être analysé, l'approche biographique constitue un biais privilégié à
travers lequel on peut mettre à l'épreuve la signification et la validité universelle de
grandes
"Développement"
catégoriesouhistoriques
"Modernisation"*
telles que
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Eleni Varikas
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