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Les Cahiers du GRIF

L'approche biographique dans l'histoire des femmes


Eleni Varikas

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Varikas Eleni. L'approche biographique dans l'histoire des femmes. In: Les Cahiers du GRIF, n°37-38, 1988. Le genre de
l'histoire. pp. 41-56.

doi : 10.3406/grif.1988.1754

http://www.persee.fr/doc/grif_0770-6081_1988_num_37_1_1754

Document généré le 14/10/2015


L'approche biographique

dans l'histoire des femmes

Eleni Varikas Et
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Si je
Mon
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vous
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repose
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fond
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Margherita Guidacci

L'essor récent du genre biographique sous ses multiples formes, et son succès,
font depuis un moment l'objet de toutes sortes d'interprétations : triomphe d'un
individualisme montant, fuite en avant des déceptions du politique pour les uns, le
"phénomène biographique" s'incrirait dans une conjoncture de "fin des idéologies"
où toute démarche qui se propose de lier l'individu à l'histoire collective est
d'emblée soupçonnée de totalitarisme. Remède au vide existentiel actuel, à
l'impossibilité de vivre ailleurs, autrement, le succès de la biographie relèverait
d'une sorte de voyeurisme collectif, se substituant au besoin d'être acteur de sa
propre vie - effort de lui donner un sens même si ce n'est que par "grands hommes"
interposés ou par maîtresse de grands hommes interposées. En effet l'écrasante
majorité des biographies féminines actuelles, du moins en France, ont comme sujets
les "femmes de", au point que même quand il s'agit d'une femme qui a
manifestement été autre chose que soeur, fille, épouse ou maîtresse, comme par
exemple Camille Claudel, elle soit classée dans cette même catégorie K
Pour les autres, et c'est surtout le cas dans le domaine de la sociologie et de
l'ethnographie, et dans une moindre mesure de l'histoire, la biographie et plus
souvent de l'histoire de vie relèverait d'une volonté de réhabiliter l'individu en tant
qu'acteur historique, de replacer l'être humain concret au centre de l'histoire.
L'intérêt croissant pour l'approche biographique désignerait, dans ce cas, la réaction
d'une vision humaniste de l'histoire contre le déterminisme abstrait des structures,
une revanche du qualitatif sur le quantitatif ayant à son centre non plus les grands
hommes et leurs exploits mais les anonymes, les vaincu(e)s, les exclu(e)s de
l'histoire. Cette dernière démarche a, par ailleurs, une longue histoire puisque, déjà
en 1836, Pierre Lerroux écrivait dans l'Encyclopédie Nouvelle :
41
"Ainsi (...) nous avons ci-dessus consacré quelques
lignes à Maître Adam Billaut, menuisier et poète
médiocre du XVIIème siècle, tandis que nous n'avons
même pas inscrit le nom de Billaud-Varennes. C'est
qu'il nous a paru intéressant de montrer ce que pensait
le grand siècle des artisans qui s'avisaient d'avoir des
idées à eux et d'exprimer par l'art leurs sentiments
propres, tandis que le portrait de B-V., quelque
imposante et originale que puisse être sa physionomie
historique, n'aurait donné lieu de notre part à aucune
importante considération philosophique qui ne puisse
trouver mieux sa place ailleurs dans ce recueil" *.
Cependant cette tendance ne représente qu'une petite minorité dans l'imposante
production actuelle des biographies et l'usage des méthodes biographiques n'est, par
ailleurs, pas du tout incompatible avec l'approche quantitative, comme le suggère
par exemple l'informatisation des profils individuels dans des enquêtes récentes 3.

Si le volume, la multiplicité et l'inégalité de la production biographique récente


défient toute explication unidimensionnelle, ce qui est certain c'est que le genre est
dans l'air du temps et qu'il exerce une fascination indiscutable non seulement sur le
grand public mais aussi à l'intérieur de l'histoire et des sciences sociales. Les
travaux récents de Duby, de Ginsbourg, de Vovelle ou de Guenée en histoire, ceux
de Bertaux ou de Ferrarotti en sociologie historique, les monographies
biographiques sur de grandes dynasties patronnales en histoire économique, pour ne
citer que quelques exemples, l'inflation de mémoires, journaux intimes et
autobiographiques et de toutes sortes d'ouvrages de littérature personnelle, sont des
indices qui se multiplient au jour le jour. On assiste, par ailleurs, à un début de
réflexion sur le statut théorique de la biographie et sur la valeur cognitive.
L'intérêt croissant des études féministes pour l'approche biographique participe
aussi de cette fascination mais n'est, sans doute, pas réductible à celle-ci, ne serait-
ce que parce qu'elle s'inscrit dans une tradition de bien plus longue date. Explorer
certains aspects dé cette tradition, et les mettre en rapport avec les approches
actuelles de l'histoire des femmes, pourrait permettre d'expliciter certains des enjeux
idéologiques souvent inhérents à l'usage de la biographie, de réfléchir sur certains
des présuposés épistémologiques qui sous-tendent cet usage. Une pareille réflexion
peut nous aider à mieux saisir les causes de cette nouvelle irruption de la biographie
dans la recherche féministe mais ,aussi à explorer le potentiel heuristique et les
limites des méthodes biographiques pour l'analyse des rapports sociaux des sexes
42 dans une perspective historique.
La biographie, première forme d'histoire des femmes

L'usage de l'approche biographique dans l'écriture de l'histoire des femmes n'est


pas une nouveauté. La biographie constitua la première forme d'histoire des
femmes, depuis La Cité des Dames de Christine de Pisan aux première publications
féminines et féministes du XIXème siècle. D'abord parce que la démarche
biographique fut pendant des siècles une composante centrale de la tradition
historique - ce que l'on a tendance à oublier aujourd'hui. Même, au cours des
derniers siècles, quand l'Histoire acquit ses titres de noblesse en tant que "science",
la biographie continua à exister dans ses marges, comme une sorte d'histoire de
deuxième catégorie, d'"histoire populaire" plus accessible aux gens d'un niveau
d'éducation médiocre. Or, on sait que le niveau d'éducation, même des femmes
alphabétisées, était moins que médiocre et l'on peut s'imaginer que le sens de
l'histoire qu'avaient la plupart d'entre elles leur venait beaucoup plus de lectures de
biographies romancées que d'une étude systématique de l'histoire formelle.
D'ailleurs, dans certains cas, comme celui de la Grèce ou des USA au XIXème
siècle, les pédagogues déconseillent aux jeunes filles les lectures trop sérieuses
d'histoire au profit de vies édifiantes de femmes vertueuses qui pouvaient leur servir
d'exemple.
Cette fonction d'édification, traditionnellement attribuée au genre depuis les
exempla médiévaux et l'hagiographie, on la retrouve plus ou moins explicitement
formulée dans l'oeuvre biographique des féministes du XIXème siècle. Les
esquisses biographiques publiées dans leurs revues et les divers dictionnaires de
femmes remarquables s'adressent ouvertement à un public féminin auquel il s'agit
de présenter des modèles féminins alternatifs à l'image du féminin passif ou futile et
inintéressant. Ceci est d'abord suggéré par les critères de sélection des sujets des
biographies. Dans sa préface des Femmes influentes du peuple (Einflussreiche
Frauen aus dem Volke), publié en 1869, la féministe allemande Louise Otto s'en
prend aux critères de sélection des biographes mascuUns qui choisissent leurs sujets
femmes non pas pour leur action consciente et réfléchie mais , pour les liens
hasardeux qui les ont unies à des grands hommes, soit par leur naissance soit par
leur beauté, mais en tous cas, pour des raisons qui sont le fait du hasard. Ses propres
sujets, dit-elle, ce sont des femmes qui n'eurent besoin ni de naissance ni de faveurs
pour gagner la renommée, des femmes
"qui malgré toutes les circonstances défavorables qui,
partout et de tout temps, excluent le sexe féminin des
activités publiques, ont néanmoins participé aux acquis
de leur époque (...)
... Notre propos était de présenter un type féminin qui a 43
toujours existé et qui a eu une influence sur son époque,
d'esquisser le portrait d'une telle femme dans ses
rapports vivant avec son temps, pour montrer que les
femmes sont capables d'une pareille influence" 4.
Dans une anthologie de portraits biographiques d'hommes et de femmes, publiée
en 1888, Fanny Lewald choisit d'inclure seulement les femmes qui ont eu une
activité professionnelle ou artistique indépendante et ne fait que quelques références
allusives à leurs rôles traditionnels en tant qu'épouses ou mères de famille, dans une
période où la définition du féminin se réduit de plus en plus à ses rapports au foyer
et à la maternité s.
La mise en avant de contre-modèles féminins se fait donc aussi par une sélection
et organisation différente des matériaux biographiques eux-mêmes. C'est le cas des
esquisses biographiques que l'on retrouve à la fin du XIXème siècle dans la presse
des féministes grecques. Ici, l'intention édificatrice de la biographie se manifeste
moins par le choix de sujets que par les aspects de la vie des femmes qui sont mis
en avant et leur interprétation différente. Ainsi, dans le portrait de Kalliopi
Papalexopoulou, la seule femme qui a accédé à un statut public reconnu, à cause de
son activité politique, ce qui est mis en relief n'est pas tellement son rôle d'épouse et
de mère de politiciens antimonarchistes, mais la part active qu'elle a joué après la
mort de ceux-ci, dans la préparation de la chutte du roi Othon. La "mère de la
révolte de 1862" y est présentée, non pas comme une exception qui confirme la
règle mais comme une preuve que
"les mains féminines tellement vénérées pour leur
faiblesse et tendresse, n'ont pas seulement la force de
fonder et de perdre des foyers mais encore de soutenir
et détruire des trônes tout puissants" «. .

Qu'elle soit explicitement formulée ou non, la fonction de ces biographies c'est


de prouver que les femme sont aussi capables que les hommes défaire l'histoire, de
disputer aux hommes la prétention d'être les seuls créateurs de civilisation. Ceci
n'implique pas forcément une interrogation ou une mise en cause de la signification
des notions d'"histoire" et de "civilisation". La grande majorité des références
biographiques, dans la presse féminine et féministe du XIXème siècle se
caractérisent par un enchevêtrement de figures mythologiques et historiques
calquées sur le modèle des "femmes illustres", par une juxtaposition d'exemples
féminins les plus contradictoires allant d' Antigone à la reine Catherine en passant
par la Vierge Marie. Ces portraits reproduisent la définition épique de l'Histoire en
opposant aux exploits d'hommes des exploits de femmes. Des exploits qui sont
44 parfois repris tels quels à la tradition patriarcale.
Mais parallèlement à cette démarche, et quelques fois à l'intérieur de celle-ci, on
peut observer dès le début une tentative de re-lecture critique ou de subversion
souterraine des modèles reçus qui suggère la recherche d'une autre vision historique.
C'est le cas de Claire Démar qui, dès 1833, tourne en dérision avec une ironie
mordante et démystificatrice les clichés d'une tradition qui font de Lucrèce la figure
exemplaire de vertu conjugale :
"Oh ne la troublez pas dans sa tombe ignorée, car son
silence est pour vous plus heureux sans doute que ne le
pourrait être sa voix ! (...) Car peut-être elle n'a dû
d'imposer son nom à tout langage humain, qu'au visage
repoussant ou à la trop hâtive précipitation de son
fougueux adorateur ; peut-être qu'à l'heure où il se
présentait à elle, l'oeil enflammé de lubricité, la menace
à la bouche, elle rêvait, cette pauvre Lucrèce, d'un
amour bien tendre, bien mystérieux, avec quelque
fashionable Romain, à la figure pâle et souffrante" f.

Cette re-lecture implique souvent la mise en question des critères


androcentriques d'évaluation et de définition des faits historiques. Ainsi, quand
Louise Otto réunit dans un recueil (Femmes Remarquables et Mystérieuses
(Merkwûrgige und geheimnissvolle Frauenj) les portraits de douze sorcières, elle
trouve nécessaire de réinterpréter la définition traditionnelle de sorcière :
"En employant ce mot leurs contemporains pouvaient
écarter tout ce qui était inhabituel ou remarquable dans
un être féminin..." «. ,

Le caractère polémique de ces références biographiques relève d'une conception


de l'histoire qui se fixe pour objectif de lutter contre le mépris, l'incompréhension ou
la censure dont les femmes font l'objet dans l'Histoire patriarcale. Cette conception,
on le retrouve à chaque émergence ou réémergence du féminisme. Elle s'adresse,
d'une part aux femmes, en tant que groupe opprimé dont la constitution en sujet
collectif nécessite une tradition historique propre et une identité historique
valorisée, et d'autre part, à la société qui les opprime par la dénégation de leur
essence humaine, de leur appartenance à la culture. La biographie constitue, dans ce
contexte, une arme que les femmes peuvent mettre au service de la défense de leur
genre, contre les clichés et la tradition misogynes.

Prendre la défense de son sexe, relire le passé à travers un regard féminin,


implique que ce passé prête à plusieurs lectures, que les "faits" rapportés par la 45
tradition historique ne sont pas fiables, que les femmes ont une autre vérité à
découvrir sur les femmes de par leur position commune d'" opprimées", que
l'objectivité du biographe ou de l'historien est inexistante.

"Ce qui était d'une double importance pour nous, c'était


l'usage d'une plume et d'un point de vue féminins pour
composer ces portraits, car les hommes sont d'autant
moins capables de juger ces femmes que celles-ci sont
mues par le désir d'échapper à l'étroitesse du rôle
familial, auquel on les a reléguées par la force, ou en
tous cas ne peuvent pas sympathiser avec ce désir. Que
ce désir soit vivant dans le coeur des femmes
innombrables et qu'il constitue un désir humain
complètement justifié ne saurait être accepté par la
plupart des hommes (...). Dominés complètement par
l'idée que les femmes n'ont qu'une fonction naturelle et
qu'elles ne disposent de fonction culturelle qu'à travers
leur pouvoir et leur influence sur les hommes, ces
historiens mâles attribuent d'habitude des motifs
totalement faux même aux femmes qui ont accompli
quelque chose d'extraordinaire dans n'importe quel
domaine, intellectuel ou autre" V
écrit Louise Otto dans la préface de son recueil de 1869. L'idée que la
compréhension d'une vie de femme dépend de la possibilité d'un rapport
empathique qui ne pourrait venir que d'une autre femme, traverse les écrits féminins
depuis Christine de Pisan à Virginia Woolf et se trouve au coeur de la démarche
biographique proposée aujourd'hui par les féministes. .

Le défi antipositiviste

Opposer à la prétention d'une objectivité détachée et pseudoscientifique le ou les


partis pris qui animent l'entreprise biographique relève d'un défi plus général que le
féminisme contemporain a lancé au postivisme scientifique. Défi lancé à des
sciences sociales qui refusent d'intégrer et de conceptualiser le genre, à une Histoire
qui se veut neutre mais qui est en fait écrite du point de vue des vainqueurs. Ce type
de critique féministe, plus ou moins systématisée depuis les années 1970, comporte
trois aspects qui ont des implications directes sur le développement et les
46 interrogations méthodologiques de la démarche biographique. .
D'abord, la méfiance envers les paradigmes traditionnels d'interprétation de
l'expérience sociale des femmes. En effet si l'analyse de la réalité sociale a, jusqu'à
présent, exclu, marginalisé ou mal interprété les expériences féminines, une
démarche qui considère le genre comme facteur central pour la construction des
rapports sociaux, passe dans une large mesure par "une problématique qui situe les
vies individuelles des femmes en son centre. On est appelé(e) à rendre compte de ce
qui se passe réellement dans la vie quotidienne des femmes et de dire comment ces
événements sont vécus par elles" »°. C'est ce qui explique la multiplication des
approches biographiques dans la recherche féministe ou sur les femmes : enquêtes
fondées sur des histoires de vie, prédilection pour les sources autobiographiques et
la littérature personnelle, biographies historiques de femmes. Malgré leur inégalité
et leurs statuts théoriques diversifiés, ces approches ont dans la plupart des cas un
point de départ partagé - du moins en ce qui concerne leurs intentions : la volonté de
ne plus soumettre l'expérience sociale des femmes à des catégories d'analyse toutes
prêtes mais au contraire d'élaborer ces catégories à partir de l'expérience sociale
des femmes. Il est significatif que deux des travaux qui ont marqué les débats et les
interrogations dans l'histoire des femmes aux USA, ont été élaborés à partir des
démarches biographiques : la biographie de Catherine Beecher, A study in
American domesticity " et l'article célèbre de Carol Smith-Rosemberg "The female
world of love and ritual" ». Tous les deux partent de l'expérience quotidienne des
femmes pour étudier la genèse d'une sujectivité féminine dans ses rapports
complexes avec le développement de l'idéal domestique.
Un second aspect du défi féministe, c'est la critique de toute démarche
scientifique qui considère les femmes (mais aussi les hommes) comme des objets
scientifiques d'observation et de manipulation par le chercheur-sujet II est évident
que ce type de critique ne fut pas inventé par les femmes et qu'elle fait depuis
longtemps l'objet de débats, en particulier dans le domaine de l'ethnologie et de
l'anthropologie. Mais peut-être, est-ce parce que les femmes (tout comme les
"tribus" de "sauvages") ont constitué un des groupes sociaux les plus radicalement ,
chosifiés par les approches normatives de cette vision scientifique, que la recherche
féministe a tellement insisté - du moins dans ses positions de principe - sur la
nécessité de reconnaître à son tour l'objet de recherche comme un sujet à part
entière ; et de substituer au rapport d'exploitation qui existe entre celui-ci et les
chercheurs/ses, un rapport de réciprocité a. C'est cet esprit qui anime, depuis un
moment les enquêtes sociologiques dans lesquelles les personnes étudiées prennent
une part active au développement et à la problématique de la recherche. Cette
démarche a un statut éthique puisqu'elle s'attaque au coeur même de la structure
hiérarchique de la recherche. Elle a également un statut politique dans la mesure où
elle postule que la recherche doit être menée dans un but émancipateur, c'est à dire 47
dans une perspective qui devrait contribuer à la suppression des rapports d'oppression
et d'exploitation dont sont victimes les personnes et les groupes étudiés ». Et c'est
cette persepctive d'émancipation qui devrait dicter les questions posées, les
problèmes abordés mais aussi les méthodes avec lesquelles on essaye de les
résoudre.
Or, pour les chercheuses féministes, cette dimension éthico-politique acquiert un
poids particulier puisqu'elles se trouvent elles-mêmes directement impliquées dans
ces rapport sociaux d'inégalité et d'oppression. C'est le partage d'une même position
sociale qui fonde la légitimité de l'attitude empathique, troisième élément du défi
féministe à l'objectivisme des sciences sociales et de l'histoire : cette attitude
d'empathie envers leurs sujets acquiert également un statut cognitif puisqu'elle
amène la chercheuse à poser comme questions toute une série de "faits" que la
sociologie ou l'histoire officielle considèrent comme allant de soi. Une démarche
qui se fonde sur le présupposé qu'une communauté d'expérience constitue la
condition préalable à la compréhension et donc, à l'interprétation.
Si la contribution de cette réflexion critique des pratiques scientifiques
traditionnelles a été riche en implications, ses propositions méthodologiques
concrètes et les présupposés qui les sous-tendent ne sont pas sans ambiguïtés. Des
ambiguïtés qui caractérisent souvent la recherche féministe en général mais qui se
manifestent de manière particulièrement aiguë dans la pratique et la théorie
biographiques surtout en ce qui concerne les "nouveaux rapports" entre biographie
et biographiée. Le rapport d'intersubjectivité est, par exemple, impossible dans la
recherche sur le passé où nos sujets n'ont aucun moyen de se... défendre de nos
hypothèses ou interprétations. Mais même quand un rapport de réciprocité est
possible - et souhaitable - la distance entre biographe et biographié(e) ne saurait être
abolie. D'une part, et surtout parce que l'objectif de toute recherche est de traduire les
expériences particulières de ses sujets dans des termes plus généraux et forcément,
plus abstraits. Ce qui introduit une tension permanente entre notre volonté de
respecter l'expérience subjective de notre sujet et le besoin de la lier à un processus ou
à des structures qui dépassent l'univers immédiat de cette expérience 1S. *

Empathie et identification

Dans un recueil récent intitulé de manière symptomatique Between Women (Entre


Femmes), une vingtaine environ de biographes, romancières, critiques et artistes
abordent les rapports complexes qui s'instaurent entre le biographe et son sujet.
Malgré la grande richesse des méthodes et des points de vue, ce qui unit toutes ces
4g contributions, c'est un consensus sur le fait qu'au lieu de lutter pour la plus grande
distance et impartialité possible, il faudrait au contraire intégrer les rapports
d'identification qui les lient à leur sujet dans leur démarche méthodologique :
"il y aurait un moyen d'assumer l'identification à nos
sujets avec si peu de réserves et d'inhibitions, qu'on
pourrait sortir de cette expérience avec une lucidité plus
grande que celle qui accompagne l'objectivité" ".
Une telle démarche fait sans doute appel au potentiel cognitif du rapport
empathique. Mais identification et empathie ne sont pas la même chose. La
première rend problématique une démarche critique tandis que la seconde pas
forcément. On peut très bien aborder les contradictions et les limites d'une personne
avec compréhension et même complicité sans pour autant abolir la distance qui
nous en sépare. J'ai l'impression que par réaction à l'objectivisme, on assiste au
développement d'une tendance inverse qui pourrait déboucher sur une relativisme
absolu, dans la mesure où elle considère les effets d'identification non pas comme
un des aspects qu'on doit consciemment et explicitement prendre en considération
pour le travail biographique, mais comme une solution méthodologique qui, en
elle-même offrirait la clé à la compréhension de l'individu biographiée. Blanche
Wiesen Cook écrit que lors de son travail sur Chrystal Eastman l'identification à son
sujet fut totale :
" Quand j'écrivais mon essai biographique, Chrystal
Eastman, on women and revolution, je buvais trop
comme elle, je devenais rouge de rage et écrivais des
lettres virulentes aux éditeurs, j'ai pensé comme
Chrystal que j'allais mourir de nephrite. J'ai souffert de
douleurs aux reins jusqu'au moment où j'ai déposé mon
manuscrit, ce que j'ai fait plusieurs mois avant la date
convenue parce que je pensais que je m'étais engagée
dans une course avec la mort. Il y a certains côtés de
l'identification qui étaient plus difficiles à acquérir t,
par exemple je ne suis pas devenue plus grande et
Chrystal Eastman, mesurait après tout, plus que six
pieds..." ». .

L'identification n'est donc plus un aspect inévitable dans le processus du travail


de la biographe mais un état que celle-ci doit atteindre en soumettant à chaque fois
sa propre subjectivité à celle de la personne biographiée r
"Contrairement à C. Eastman, Mme Roosevelt détestait
l'alcool et j'ai l'obligeance de me contenter de café
pendant que j'étudie la compexité des transformations 49
de ses engagements enthousiastes dans le temps. De
plus elle avait l'habitude de faire des listes - listes des
choses à faire, à lire ou à demander. A présent,
j'accumule moi-aussi des listes comme jamais
auparavant Ce n'est pas que je sois un caméléon ou une
fille obéissante, même si peut-être je suis les deux.
Mais j'essaie de comprendre, de sentir, profondément,
d'absorber les odeurs autant que possible, d'apprendre
de mes sujets (...). La plus grande partie de la joie de la
découverte réside dans le sentiment, dans l'expérience ;
dans la connaissance la plus profonde possible de
l'essence de la vie du sujet..." 18.

Si j'ai choisi cet exemple extrême de sur-identification c'est parce qu'il montre
que les illusions positivistes ne sont pas l'apanage exclusif de l'objectivisme
scientifique. Dans la démarche de Wiesen-Cook, tout se passe comme si "l'essence
de la vie" du personnage constituait une sorte de vérité positive qui n'attendait pour
être découverte que le regard compatissant et solidaire du biographe. Un regard dont
la source n'est plus l'affinité d'une position sociale mais plutôt celle d'un état d'âme ;
ce qui débouche inévitablement sur une attitude psychologisante dont on sait
comment les femmes ont souffert en tant que sujets de biographies.

Mais même lorsque la démarche biographique et sa grille de lecture se veulent


fondées sur l'affinité d'une situation sociale (comme l'oppression de genre), elle
pose comme résolus certains aspects du rapport intersubjectif qui sont
problématiques. D'abord, car s'il est vrai que les femmes sont plus susceptibles de
comprendre et de rendre compte des expériences historiques féminines, en tant que
membres du même groupe opprimé, cette compréhension constitue une potentialité
et non pas une qualité inhérente à toute femme. Une potentialié qui est médiatisée
par toutes les catégories mentales et les outils de pensée que les femmes empruntent
à l'univers culturel de leur époque, le même univers dans lequel elles sont à la fois
incluses et exclues. La compréhension est également médiatisée par la position
qu'occupe la femme biographe ou historienne en tant qu'individu dans l'époque et la
société concrètes où elle vit, de ses rapports plus ou moins conscients avec la
discrimination dont elle fait l'objet, à ses stratégies face à cette discrimination, aux
enjeux que celles-ci engendrent. C'est la raison pour laquelle de si nombreuses
biographies témoignent plus de la vie et des angoisses de leurs auteurs qu'elles ne
sont des portraits de leurs sujets. Les exemples sont très nombreux mais on pourrait
50 citer ici celui de Rahel Varnhagen, dont le destin biographique constitue une histoire
au moins aussi intéressante que l'histoire de sa propre vie.
Ainsi à part le portrait tracé par son mari, qui n'en est pas moins digne d'attention
puisqu'il a conditionné, dans une large mesure, la lecture qu'on peut faire de sa vie,
en sélectionnant et remaniant sa correspondance ", on a d'elle plusieurs esquisses
biographiques, déjà au XIXème siècle. Je ne vais pas m'attarder sur elles mais ce
qu'il serait intéressant d'observer, c'est le traitement différentiel selon le sexe du
biographe. Ainsi, Eduard Schmitt-Weissenfel (Rahel und ihre Zeit) célèbre le statut
de Rahel comme un "écrivain privé", comme une acceptation modeste et placide de
sa féminité qui l'a empêché "de faire mauvais usage de son talent" ». Au contraire
les biographes femmes (parmi lesquelles Claire vos Glûmer : Rahel et Louise
Otto) m ont vu chez Rahel une femme angoissée, malade, en colère contre les
limitations sociales et sexuelles de son époque qui en tous cas était loin d'être
satisfaite de son destin. Pour elles, Rahel devint une figure paradigmatique de
l'impuissance féminine face à l'inaction, le manque d'une profession, la futilité qui
leur sont imposés ». Le portrait de Hannah Arendt est de loin le plus élaboré et le
plus intéressant, du moins dans la mesure où il prête à une réflexion
méthodologique. Son angle d'approche est celui d'une femme juive, plus juive que
femme, dans les années de la montée du fascisme ce qui, en soi est parfaitement
légitime et lui permet de comprendre un aspect central de l'existence de Rahel, le
rapport à sa judaïté incontournable. Mais cela l'amène à minimiser la part de
l'exclusion qu'apporte à son sujet son statut de femme, son "double malheur de
naissance" deux fois (schlemil) **. Ce qui l'empêche, du coup, de poser des
questions importantes non seulement par rapport à la vie de Rahel en tant que
femme", mais aussi par rapport au caractère différentiel des stratégies d'assimilation
et aux marges de manoeuvre dont disposait chaque sexe à l'intérieur de la
communauté juive allemande *.

Le vide dans le miroir

Chacun sait aujourd'hui que toute biographie est, dans une plus ou moins grande
mesure, auto-biographique. Mais pour les femmes, les effets d'identification sont
bien plus lourds de signification. Car en dehors des enjeux communs à tout
biographe, ce qui est souvent impliqué dans la recherche entreprise par une femme
sur une autre vie féminine, c'est la volonté ou le besoin de chercher des repères
pour une auto-définition non plus fondée sur la normativité patriarcale mais sur
les expériences réelles des femmes. C'est la volonté ou le besoin de chercher,
derrière les diverses couches des déformations et de clichés qui enveloppent la
mémoire androcentrique des femmes, le visage authentique de celles qui vécurent 51
avant elle. Le portrait de la femme étudiée devient souvent le miroir potentiel dans
lequel la biographe chercherait à identifier son propre visage et ceux de ses
semblables.
"Le rapport de la femme à elle-même peut être expliqué
par le miroir - c'est-à-dire le regard des autres, le regard
anticipé des autres. Depuis les temps anciens, la femme
n'a cessé de poser la question angoissée de sa marâtre
des contes de fées : "Miroir, miroir joli, quelle est la
plus belle au pays ?" Et même quand les regards des
autres est remplacé par le regard d'un autre, celui de
l'amant ou du mari, la question angoissée persiste
toujours. Il y a toujours des moments terribles où la
femme cherche son image dans le miroir sans la
trouver. L'image du miroir s'est perdue quelque part, le
regard des hommes ne la renvoie plus à la femme. La
femme ne peut développer de nouveaux rapports à elle*
même que par rapport aux autres femmes. La femme
deviendra le miroir vivant de la femme dans lequel elle
se perd pour se retrouver" 25.
Ce passage de Lenk concerne plutôt la reconstitution d'une tradition esthétique
féminine, mais il pourrait être valable pour la reconstitution du passé des femmes
dans son ensemble.
Il est évident que pour toute catégorie sociale à laquelle on dénie le droit à l'auto-
définition, l'exercice de l'histoire, c'est à dire de la reconstitution et réflexion sur son
propre passé, implique la recherche d'une autre vérité sur soi-même que celle des
versions officielles qui n'ont servi qu'à la perpétuation et la naturalisation de
l'oppression. En fait, cette recherche n'est pas forcément une recherche de modèles,
ou de figures emblématiques qui visent à combler le vide dans le miroir, car ce vide
ne désigne pas seulement l'absence d'une identité historique ; il peut aussi signifier
le refus d'accepter l'identité imposée par la culture patriarcale, la conscience qu'une
identité de genre non reifiée est encore à chercher, qu'elle n'existe que comme
manque.
Le recueil biographique déjà cité de Louise Otto comporte une entrée ayant pour
titre : "La femme inconnue de Hildburghausen, 1804-1845". Il s'agit d'une femme
anonyme mais dont l'existence est historiquement vérifiée et dont tout ce qu'on
connaît vient d'un récit qui ne parle pas d'elle mais de l'homme qui l'accompagnait
L'histoire commence avec une femme voilée qui arrive en 1804 dans un petit village
avec un comte dont le nom n'est pas donné. Ayant disparu pour une certaine
52 période, elle réapparaît à Hildburghausen pour y demeurer jusqu'à sa mort. Personne
n'a pu lui parler et on n'a jamais pu savoir pourquoi cette femme était toujours
voilée, pourquoi elle était recluse, pourquoi, un jour où elle avait essayé de parler à
un jeune jardinier, le comte s'était empressé de la tirer loin de celui-ci. Les dates :
celles de son arrivée et de la mort de son homme *.
Ce cas limite, dont les plus primaires signes d'identité sont inexistants pourrait
illustrer les difficultés auxquelles on se heurte dans la recherche du passé de la
femme la plus connue, la plus visible possible. On pourrait évidemment essayer de
spéculer sur le visage derrière le voile, essayer de le remplacer par un visage de
notre propre imagination. Mais cet effort ne serait rien si l'on ne se rendait pas
compte que le voile fait partie intégrante de l'histoire des femmes, non seulement
telle qu'elle a été écrite mais aussi telle qu'elle a été vécue. Dans une société où les
femmes ne sont définies que par le "comte qui les accompagne", même celles qui
arrivent à transgresser les normes imposées sont souvent obligées à porter un certain
voile de conformité. C'est pourquoi, ce qui devrait nous interpeller - plus encore que
d'affirmer la présence, dans l'histoire des femmes qui n'ont pas accepté de se plier
aux normes - c'est, à mon avis, d'interroger les significations possibles de ce "voile",
dans un moment socio-historique donné. Car la différence entre la femme inconnue
de H. et les femmes connues qu'on peut sortir de l'obscurité, c'est souvent une
différence dans le champ des possibles dans lequel prennent racine le sens et la
valeur de leur action.
Dans ce contexte, l'approche biographique pourrait nous aider à situer au centre
de notre démarche l'expérience sociale des femmes non pas comme une quelconque
essence qui nous livrerait le secret d'une identité féminine hypostasiée mais comme
un perpétuel va-et-vient entre le donné et le vécu, l'objectif et le subjectif, les
déterminations et les marges de manoeuvre ; un va-et-vient dans lequel s'inscrit le
projet d'une vie et qui construit et reconstruit sans cesse l'univers social dans
lequel s'affirment, en tant que sujets, les individus et les collectifs. En travaillant
dans cette direction, on pourrait commencer à dépasser la dichotomie
soumission/révolte, et chercher à comprendre pourquoi dans les écrits et dans la vie
des femmes sur lesquelles on travaille enthousiasme et déception, affirmation de soi
et résignation, déviance et conformisme se côtoient si étroitement l'un l'autre qu'il
nous est difficile de les intégrer dans notre interprétation sans privilégier les uns ou
les autres *. On pourrait alors évaluer les vies des femmes dans une double
perspective qui tiendrait compte de ce que toute action de dépassement - et plus
encore toute action d'opprimé(e) - révèle, d'une part la réalité telle qu'elle est et en
même temps le champ limité des possibilités de son changement » ; mais que,
d'autre part et sur un plan subjectif, elle témoigne d'une conscience de ce qui n'est
plus supportable, de ce qui ne doit plus être et en même temps de ce qui n'est pas
encore, de ce qui n'existe que comme manque ». Ce qui nous permet d'aborder le 53
projet individuel en évaluant les possibilités qu'il a réalisées à l'exclusion de toutes
les autres. Et ce double regard également nous aide à articuler, dans nos démarches
interprétatives, ce qui dans l'action consciente des individus (et des collectifs)
transforme les conditions objectives de leur existence et ce qui échappe à leurs
intentions et à leur contrôle.
Une telle approche pourrait nous aider à substituer à la recherche de modèles la
compréhension historique, au sujectivisme psychologique la recherche de la
subjectivité des femmes, dans le sens de leur devenir sujets de leurs propre vie. La
démarche biographique pourrait alors nous aider à rompre définitivement avec
l'approche de "cycles de vie", des rôles et des fonctions qui a longtemps enfermé les
expériences des femmes dans une perspective naturaliste. Elle pourrait nous aider à
éviter les dichotomies trop faciles, production/reproduction, public/privé,
masculin/féminin, pour aborder les expériences historiques des femmes comme un
ensemble significatif a partir duquel on élabore les catégories d'analyse.
Il est clair qu'une telle démarche n'est pas exclusivement valable pour l'étude des
femmes ni des rapports sociaux de sexe. Mais ce qu'il nous faut en tant que genre
opprimé, ce n'est justement pas réduire l'histoire de l'humanité aux expériences
sociales des femmes mais faire en sorte que cette histoire soit élaborée à partir de
toutes les expériences humaines, aussi bien en ce que celles-ci ont de commun
qu'en ce qu'elles ont de spécifique. Faire en sorte que notre expérience, comme celle
des femmes qui nous ont précédées, ne soit plus considérée comme une expression
marginale ou particulière d'une humanité universelle définie derrière notre dos, faire
en sorte que notre qualité de femme et d'être humain ne soient plus contradictoires
ou incompatibles. Ce qui présuppose une révision radicale de la manière même de
penser l'histoire. Et dans cette révision, l'approche biographique des femmes, et du
point de vue des femmes, pourrait être une contribution précieuse non pas en tant
que méthode spécifique mais pour la pertinence des questions qu'elle peut poser. .
Parce qu'elle a comme point de départ l'individu et son univers social, l'individu
là où il se trouve et non pas dans ce que l'histoire définit comme l'événement
susceptible d'être analysé, l'approche biographique constitue un biais privilégié à
travers lequel on peut mettre à l'épreuve la signification et la validité universelle de

grandes
"Développement"
catégoriesouhistoriques
"Modernisation"*
telles que
Suivre
"Humanisme",
des itinéraires"Libération
humains nous
Nationale",
apprend

les manières différentielles dont celles-ci sont subjectivement vécues, ré-élaborées,


et médiatisées pour se traduire en action quotidienne. La littérature largement
autobiographique des femmes africaines, par exemple les romans de Buchi
Emecheta m, témoignent d'une autre réalité de la "modernisation" des rapports
sociaux que celle qu'on trouve dans les analyses socio-économiques des pays "en
54 voie de développement". De même, les itinéraires des féministes du XIXème siècle
révèlent un rapport différentiel des sexes à la philanthropie qui n'explique pas
seulement la prédilection des femmes pour cette pratique sociale, mais révèle dans
le même temps, sa dynamique ambivalente (qui à la fois neutralise les
contradictions entre les classes et aiguise les contradiction entre les sexes à
l'intérieur de la bourgeoisie, en débouchant sur une conscience de genre qui traverse
les classes).

L'approche biographique pourrait enfin nous aider à restituer la multiplicité des


expériences féminines, la multiplicité des manières dont elles vivent leurs
contraintes, la multiplicité des voies qu'elles empruntent pour s'affirmer comme
individus à part entière. Elle nous offre un moyen privilégié pour les sortir du
carcan de la Femme, simple donnée démographique ou biologique, de l'ordre du
symbolique plutôt que de l'histoire à qui l'on refuse d'accorder la dignité de
l'individu. Percer l'homogénéité de cette catégorie abstraite dans notre analyse, ce
n'est pas seulement reconnaître le droit des femmes de tout temps à se réaliser en
tant qu'eues autonomes. C'est également une condition sine qua non pour réfléchir
les femmes en tant que groupe susceptible de se constituer en sujet collectif de leur
propre libération. Un collectif qui ne se définit plus sur la base d'une identité
normative et mythique mais sur la base des intérêts communs de ses membres à
participer de l'humanité dans leurs propres termes. Et si, comme le suggère E.
Young-Bruehl, l'approche biographique est en mesure de signifier "la mort de la
règle selon laquelle l'histoire est écrite par les vainqueurs" », ce n'est qu'à ce prix. .

Eleni Varikas

1. Cf. Daniel Madelenat, "Situation et signification de la biographie en 1985", in Sources n°


spécial Problèmes et méthodes de la biographie (Actes du Colloque 3-4 mai 1985), p. 132.
2. Cf. P. Leroux, Encyclopédie Nouvelle, tome H, J. Aicard 1836.
3. Cf. Hélène Millet "L'Ordinateur et la biographie ou la recherche du singulier". Sources, n°
spécial cité.
4. Cité par Ruth-Ellen Boetsher Joeres, "Self Conscious Histories : Biographies of German
Women in the 19th Century", in John C. Fout German Women in the 19th Century, N. York
1984, p. 174.
5. Cf. ibid.
6. Cf. Journal des Dames du 13-9-1898.
7. Claire Démar, L'Affranchissement des femmes, Payot 1976, p. 84.
8. Cité par Ruth-Ellen Boetcher Joeres, op. cit., p. 173.
9. Ibid, p. 174.
10. Cf. Joan Acker, Kate Barry, Joke Esseveld, "Objectivity and truth : problems in doing 55
feminist research, Women's Studies International Forum, vol. 6, n° 4, 1983, p. 424.
11. Kathryn Kish Sklar, Catharine Beecher, A Study in American Domesticity, Yale
University 1973.
12. Carol Smith-Rosemberg, "The Female World of Love and Ritual", Signs, n° 1, 1975 (trad.
Française "Amours et rites : le monde des femmes dans l'Amérique du XIXe siècle", Les
Temps Modernes, février 1978.
13. Cf. Between Women.
14. Cf. Joan Acker, Kate Barry, Joke Esseveld, op. cit, p. 424.
15.Cf.iWd.,p.425.
16. Carol Ascher, Louise De Salvo, Sara Ruddick Between Women. Biographers, novelists,
critics, teachers and artists write about their work on women, Boston, 1984, p. XXDI.
17. Blanche Wiesen Cook, "Biographer and Subject : A Critical Connection, ibid., p. 400.
18. /«<*., p. 409.
19. Cf. Henri Plard, "Hannah Arendt et Rahel Levin : illusions et pièges de l'assimilation",
Les Cahiers du Grif, printemps 1986, p. 109-110.
20. Eduard Schmidt- Weissenfels, Rahel und ihre Zeit, Leipzig 1857.
21. Claire von Glûmer : Bibiothekfûr die deutsche Frauenwelt, Leipzig 1856.
22. Cf. Ruth-Ellen Boetscher Joeres, op. cit., p. 178-179.
23. Cf. Henri Plard, op. cit.
24. Cf. Deborah Hertz, "Hannah Arendt's Rahel Varnhagen", in John C. Fout op. cit.
25. Elisabeth Lenk, "The Self-reflecting Woman", in G. Ecker, Feminist Aesthetics, p. 57.
26. Cf. Ruth-Ellen Boetscher Joeres, op. cit., p. 186-187.
27. Cf. Jean Paul Sartre, Question de méthode, Gallimard 1960, p. 209.
28. Cf. Sigrid Weigel, "Double Focus. On the history of women's writing", in G. Ecker, op.
cit., p. 65.
29. Cf. Jean Paul Sartre, op. cit., p. 130-141. .
30. Cf. ibid, et Sigrid Weigel, op. cit. p. 73.
31. Voir par exemple Second Class Citizen, The Joys of Motherhood et Double Yoke.
32. Elisabeth Young-Bruehl, "Les histoires de Hannah Arendt suivi de Sur sa biographie",
Les Cahiers du Grif, printemps 1986, p. 44.

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