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Aménagement et Développement Territorial1

Semestre 7

Professeur : Mohamed Boustane

Année universitaire : 2023/2024

École Nationale d’Architecture d’Agadir

1
Ce document est élaboré à des fins purement pédagogiques pour que les étudiants(es) puissent disposer d’un
document de synthèse par rapport aux explications qui sont données tout au long du cours.

1
Éléments introductifs

L’adoption du décret n° 2.17.583 du 28 septembre 2017 relatif à l'élaboration du


schéma régional d'aménagement du territoire (SRAT), son actualisation et son
évaluation (publié au Bulletin Officiel n° 6618 du 2 novembre 2017) augure
d’une nouvelle étape dans la mise en évidence de la politique de l’aménagement
du Territoire au Maroc. Le SRAT doit concrétiser la vision d’aménagement du
territoire de chaque région sur une période de 25 ans conformément aux
orientations de la politique nationale d’aménagement du territoire qui sont
portées à l’information de chaque région par l’autorité gouvernementale en
charge de l’aménagement du territoire.

Ce décret pose une nouvelle pierre angulaire dans la voie de la mise en évidence
des enjeux de la politique d’aménagement du territoire après les lois organiques
concernant les collectivités territoriales. La loi organique n° 111-14 relative aux
régions inscrit en effet la mission d’élaboration et du suivi de la mise en œuvre
du SRAT parmi les compétences propres de la région (art. 81). La section II de
cette loi est intitulée : De l’aménagement du territoire. Elle investit le président
du conseil de la région, assisté du wali, de la mission de la mise en œuvre du
SRAT.

Le SRAT est censé constituer un « document de référence pour l’aménagement


de l’espace de l’ensemble du territoire de la région » (art 83, alinéa 3). C’est dire
que ces orientations doivent être prises en considération par les différents
documents de planification territoriale comme c’est le cas des documents
d’urbanisme ou des plans de développement des provinces et préfectures. Ces
réformes s’inscrivent dans la voie de la concrétisation des dispositions de la
constitution qui n’a pas manqué de souligner le rôle primordial de
l’aménagement du territoire en procédant à la constitutionnalisation des schémas
régionaux de l’aménagement du territoire (art.143 de la Constitution de 2011).

2
Ces réformes juridiques sont une des composantes du nouvel élan pris par la
politique de l’aménagement du territoire après une quinzaine d’années de la
tenue à partir du début des années 2000 du Débat national sur l’aménagement du
territoire qui a donné lieu à l’élaboration du Schéma National de
l’Aménagement du Territoire (SNAT). L’intérêt pour l’Aménagement du
Territoire n’a cessé depuis lors de prendre de l’importance au Maroc. Il n’est
pour s’en convaincre que d’observer la prolifération des études et projets pilotes
lancés dans le cadre de démarches, généralement d’expérimentation, visant à
diffuser auprès des acteurs institutionnels centraux et territoriaux les valeurs et
principes de l’aménagement du territoire (des territoires) visant à promouvoir le
développement socio-économique durable des territoires sur la base d’une
meilleure anticipation et d’une meilleure compréhension des dynamiques
territoriales. Les stratégies publiques élaborées depuis le début des années 2000
ne manquent pas de se référer et d’adopter explicitement les valeurs et principes
de la démarche de l’Aménagement du Territoire.

Ces réformes sont l’illustration des enjeux et de l’importance prise par les
questions de l’aménagement et du développement territorial qui se présentent
initialement comme un processus, une démarche qu’adoptent les pouvoirs
publics pour arriver à organiser et orienter l’évolution du territoire
national/régional en prenant en considération les besoins de la société, les
contraintes environnementales, et les objectifs de développement, et assurer un
développement harmonieux, intégré et durable des territoires en intégrant des
aspects sociaux, économiques, environnementaux, et culturels.

L’importance de l’aménagement et du développement territorial apparait dans


les enjeux qui sont posés par les impératifs de la coordination entre les acteurs
dans leur extrême variété, qu’ils soient publics ou privés, centraux ou régionaux
et locaux voire transnationaux. Les acteurs qui sont des parties prenantes aux
actes et processus d’élaboration des politiques publiques, centrales et

3
territoriales, sont de plus en plus nombreux. L’État n’est plus le seul à
commander l’élaboration la politique de l’aménagement du territoire dans le
cadre d’un « projet global » de société comme il a continué à le faire tout au
long d’une grande partie du XXe siècle2.

1. Définitions(s) de l’aménagement du territoire

L’aménagement du territoire a pour prétention continue de gérer des réalités


complexes et un monde en perpétuelle évolution. Il interpelle pour ce faire des
perspectives disciplinaires diverses et variées, ce qui implique qu’il a tendance à
être appréhendé dans le cadre d’une multitude des grilles de lectures.
L’aménagement du territoire est défini de plusieurs manières qui, dans leur
diversité même, ne manquent pas de former un substrat d’éléments communs
qui nous allons dégager en passant en revue un certain nombre des définitions
les plus emblématiques dans la littérature académique qui concerne
l’aménagement du territoire.

Pour Yves Le Diascorn, « l’aménagement du territoire est un essai pour


substituer une géographie rationnelle, limitant le gaspillage des ressource
naturelles et humaines, à une géographie anarchique juxtaposant espaces
encombrés, ou même saturés et espaces délaissés voire abandonnés »

La définition que proposent Pour Joseph Lajugie , Pierre Dalfaud P. et Claude


Lacour, auteurs du livre Espace régional et aménagement du territoire, part des
objectifs et finalités qui sous-tendant la politique publique qui le porte ; « la
politique d’aménagement tend à endiguer le courant qui porte toutes les forces
vives du pays vers les grands centres, à créer des sources de vie dans des
régions ou les ressources sont insuffisamment utilisées, et qui malgré les riches

2
Comme nous allons l’expliquer davantage dans le chapitre relatif aux Acteurs de l’aménagement du territoire.

4
possibilités, tendent à devenir désertes, à contenir le développement de grandes
agglomérations, à mettre en valeur les zones sous développées du territoire. ».

Pierre Merlin quant à lui, pose une problématique de fond qui est de déterminer,
bien avant l’interpellation des objectifs et finalités, la nature et l’essence
première de l’aménagement du territoire, de savoir s’il s’agit d’une science,
d’une action, d’une pratique, d’un ensemble de techniques et d’instruments :
« l'action et la pratique (plutôt que la science, la technique ou l'art) de disposer
avec ordre, à travers l'espace d'un pays et dans une vision prospective,
les hommes et leurs activités, les équipements et les moyens de communication
qu'ils peuvent utiliser, en prenant en compte les contraintes naturelles,
humaines et économiques, voire stratégiques » Pierre Merlin3

Cette préoccupation est celle-là même qui anime Jacques Lévy et Michel
Lussault pour qui « L’aménagement est l’ensemble des savoirs et des savoir-
faire dont la construction et l’application servent à transformer et adapter
volontairement des espaces d’échelles (au-delà de celle du bâtiment isolé) et de
types variés au bénéfice des sociétés qui les produisent et les occupent ».

Le glossaire du site Géoconfluences pose la définition suivante


« L'aménagement du territoire désigne l'ensemble des politiques mises en œuvre
pour encadrer ou infléchir les évolutions d'un territoire généralement à l'échelle
de l'État en fonction de choix politique et du contexte. L’aménagement est l’une
des formes de l’appropriation d’un territoire. La racine latine d’aménagement,
manere, évoque la maison, la manse, le manoir. Aménager comme emménager
ou déménager fait allusion, originellement, à l’espace domestique et à de actions
de la vie quotidienne. L’un des objectifs de l’aménagement du territoire peut-
être de corriger les déséquilibres » 4

3
Pierre Merlin, « Aménagement du territoire », dans Pierre Merlin et Françoise Choay (dir.), Dictionnaire de
l'urbanisme et de l'aménagement, Paris, PUF, 2000, 3e éd., 902 p. 38-43.

5
Il s’établit, au fil de ces définitions, qui ne sont pas d’ailleurs exhaustives, que
l’aménagement du territoire n’obéit pas à une définition exclusive qui puisse
faire l’unanimité, ce qui est le cas d’ailleurs de plusieurs de disciplines et
domaines de connaissances en sciences sociales et humaines qui se proposent
d’étudier les transformations spatiales et territoriales (comme c’est le cas de
l’urbanisme). Nous allons voir dans quelle mesure, au fil de ce cours, que ces
différentes composantes sont l’effet de l’évolution des paradigmes et des
référents théoriques qui sont à l’image des évolutions que connaissent les
sociétés, et qui imposent à chaque fois, pour chaque période, de nouveaux
référents conceptuels, de nouveaux outils et instruments dans le cadre de
nouveaux objectifs et de nouvelles finalités.

Mais même au fil de leur divergence, qui peut prendre des intensités variables en
fonction des approches retenues et des angles de lectures prisées, nous pouvons
relever cette composante centrale qui est l’engagement d’une action volontariste,
réfléchie, consciente d’une collectivité qui cherche à orienter son avenir, à
réaliser un futur meilleur par des politiques et/ou des actions, techniques, et
instruments qui sont commandés par des objectifs qui soient clairement définis.
La composante de l’action volontariste nécessite une deuxième non moins
importante qui est de disposer en amont de l’autorité5 nécessaire pour pouvoir, à
une échelle déterminée (territoire national, entité régionale/locale), réunir tout
un ensemble d’acteurs autour d’une vision partagée et de les engager dans la
mise en œuvre collective de ses orientations arrêtées.

Pour aborder la question de la définition de l’aménagement du territoire, il est


nécessaire de commencer par déconstruire ses composantes que sont le territoire
et l’action d’aménagement qui est supposé lui s’appliquer. Le terme territoire

4
http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/amenagement-du-territoire
5
Par autorité, nous désignons l’ensemble des règles juridiques qui confèrent à une entité donnée la compétence
et attribution au sein d’un territoire donné pour prendre les décisions et obtenir que ces décisions soient mises en
œuvre.

6
provient du latin territorium qui est le dérivé du mot terra, la terre (globe
terrestre, matière, sol, continent, contrée), d’où son dérivé le terroir qui sert à
désigner un « morceau de terre ».

Le territoire est initialement utilisé pour désigner un acte de découpage


administratif, c’est-à-dire un espace soumis à une autorité qui en assure le
commandement et le contrôle. Il forme l’une des composantes de la définition
juridique de l’État : Territoire, Population et Souveraineté, d’où le principe de la
territorialité des lois qui désigne le domaine d’application des lois d’ordre public
au sein du territoire d’un État par opposition aux lois personnelles qui tendent à
suivre les personnes pour leur être appliquées même si elles sont installées dans
des pays étrangers (les règles du statut personnel par exemple). Dans le cadre de
cette acception, le territoire évoque l’idée de la soumission à la puissance et la
domination d’une autorité qui dispose de la légitimité de contrôle du territoire.

C’est à partir de cette définition que l’État tire sa légitimité pour commander
l’action d’élaboration de la politique d’aménagement du territoire. L’une des
premières composantes de l’aménagement du territoire est en effet l’action
volontariste, délibérée engagée par l’État centralisateur pour organiser et
orienter le développement des composantes de son territoire national. C’est une
action qui est à la fois géographique et politique dans la mesure où elle
ambitionne d’agir sur la géographie du territoire, notamment par l’élargissement
et la réorientation des axes de communication, les localisations des activités
économiques, le développement urbain et rural. La nature de cette action, son
contenu, son mode de faire vont changer au gré des rôles dévolus à l’État (État
dirigiste, État-providence, État libéral, État socialiste, État néo-libéral, État
animateur, État modeste, État stratège…).

Cette action délibérée est exprimée par une panoplie des expressions verbales
qui renseignent sur la volonté de l’État, de l’autorité qui s’apprête à l’acte
d’aménager, de vouloir changer le cours des choses. Les définitions relatives à
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l’aménagement du territoire posent ainsi un certain nombre des objectifs et des
finalités en faisant appel à autant d’énoncés verbaux qui sont censés référer à
l’action volontariste, au volontarisme de l’État pour la concrétisation d’une
« géographie volontaire » (aménager, ordonner, équilibrer, créer, transformer
contenir, adapter, mettre en valeur, endiguer…).

L’aménagement du territoire désigne un processus délibéré de planification et de


gestion des territoires qui se fixe d'atteindre des objectifs sociaux, économiques,
environnementaux et culturels. Cela inclut la mise en place de politiques, de
réglementations, de projets et de programmes visant à organiser l'espace, à
définir les usages du sol, à orienter le développement économique et améliorer
la qualité de vie des habitants, à garantir l'accès aux services de base, à préserver
l'environnement naturel et assurer une utilisation efficace et durable des
ressources.

L’aménagement du territoire adopte pour ce faire une démarche particulière dont


les principaux points d’articulation visent à

- Comprendre les mutations qui produisent des transformations en


profondeur de la société, que ce soit au niveau local, au niveau régional,
au niveau national ou au niveau mondial ;

- Saisir les enjeux et défis qui se posent aux politiques et ensembles des
stratégies réfléchies que prennent et mettent en œuvre les acteurs ;

- Développer l’aptitude à maitriser l’avenir, à agir sur l’avenir pour


infléchir le cours des évènements, le sens des tendances conformément
aux buts, finalités et objectifs qu’ils adoptent.

La démarche de l’aménagement du territoire est par définition même une


démarche qui a une dimension prospective. Les orientations sont prises et
adoptées pour former le cadre de coordination des politiques publiques et de

8
l’action des différents intervenants, qu’ils soient centraux ou régionaux et
locaux, dans un horizon temporel qui dépasse les vingt ans. Nous retrouvons
l’expression de cette dimension dans l’ensemble des documents, études et
stratégies d’aménagement du territoire élaborées au Maroc et des référents qui
l’orientent comme c’est le cas à titre d’exemple dans cet extrait du discours du
Roi Mohamed VI, « Nous appelons à l’élaboration d’une vision commune
autour d’un système intégré d’aménagement du territoire. Par sa nature
prospective, ce système aura pour finalité de rationaliser l’exploitation du
territoire et la gestion des ressources disponibles, de telle sorte qu’il puisse
contribuer à rétablir l’équilibre du tissu urbain. Il aidera aussi à renforcer la
capacité de ces territoires à s’adapter aux différentes transformations
économiques, sociales, environnementales et technologiques »6.

2. La genèse de la politique de l’aménagement du territoire

Il est nécessaire à ce niveau de faire la distinction entre l’histoire de


l’aménagement du territoire et l’histoire de la politique publique de
l’aménagement du territoire. La première est une histoire séculaire, ancienne. La
deuxième est plus récente et remonte à peine aux premières décennies du XXe
siècle. L’aménagement du territoire est apparu en France en tant que politique
publique initiée et menée par l’État à partir de la première moitié du XXe siècle.
Il n’en va pas de même pour les pratiques d’aménagement du territoire qui sont
plus anciennes.

Ces pratiques ont continué à être concomitantes de l’action humaine visant à


penser et encadrer l’installation et l’organisation des établissements humains.
Ces pratiques comprennent le choix des meilleurs emplacements qui leur
permettent de disposer des moyens de subsistance, de bénéficier ou de composer
6
Extrait du Message de SM le Roi Mohammed VI aux participants à la 2e édition du forum ministériel arabe sur
le logement et le développement urbain, jeudi 21 Décembre 2017 à Rabat.

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avec les ressources naturelles, de se prémunir contre les forces destructrices de
la nature comme des ennemis, c’est-à-dire en général d’agir et améliorer leur
maitrise des espaces qu’ils occupent par la réalisation des fortifications, des
aménagements, la construction des routes, l’édification des ponts ..

L’aménagement du territoire est résolument une action historiquement ancienne.


Elle est tout aussi ancienne que l’est l’histoire des mouvements de fixation des
installations des Hommes sur la Terre en fondant des établissements humains
sur la base des choix motivés généralement par l’enjeu de trouver des territoires
qui assurent l’accès aux ressources naturelles et la minimisation/gestion des
risques et menaces de la nature comme des Hommes. Car, en fait, « toute action
conduite par une personne singulière qui a pour effet d’occuper, d’utiliser,
d’acquérir, d’aliéner, voire d’abandonner un espace est, par nature, un acte
d’aménagement du territoire. » (Dominique Lefebvre, 1994). Le grand enjeu fut
de manière permanente d’assurer la pérennisation des établissements humains et
la pérennité de leur cadre de vie. « L’aménagement du territoire c’est la vie
même d’une société, la synthèse de ces choix de développement » écrivent Yves
Madiot et Renan Le Mestre.

L’histoire des sociétés peut être lue, appréhendée et décortiquée dans ses
différents composantes à travers la lecture de son processus d’aménagement du
ou des territoires qu’elles ont investies pour s’installer et continuer à vivre, à
travers l’évolution de ses modes et modalités de penser et de mettre en œuvre la
gestion et l’exploitation de son cadre de vie, de leurs territoires respectifs devant
abriter leurs activités humaines. Le territoire est par essence même un espace qui
fait l’objet d’une appropriation par un groupe social qui procède à sa gestion
comme à son aménagement. « Le territoire parce qu’il constitue le siège des
activités humaines est depuis toujours l’objet d’un aménagement par la
population qui l’occupe. Les contraintes naturelles ou culturelles, les impératifs

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militaires et surtout les nécessités économiques imposent dans toute société une
organisation de l’espace » (Madiot &Le Mestre, 2001).

C’est en cela qu’il est nécessaire de faire la distinction entre l’histoire de la


politique de l’aménagement du territoire et l’histoire de l’aménagement du
territoire. L’histoire de la politique de l’aménagement du territoire sert à
désigner l’action centralisatrice de l’État, une action qui est par définition, et par
nature, politique, visant à adopter des politiques publiques qui prennent des
décisions quant aux orientations majeures pour une meilleure répartition des
concentrations des ressources humaines et naturelles, des richesses... L’histoire
de l’aménagement du territoire vise à repérer l’évolution au fil de l’histoire des
différentes pratiques, modes et modalités d’organisation de l’espace par les
sociétés qui y vivent et y évoluent.

Les premières prémisses de l’aménagement du territoire en tant que politique


publique volontariste menée par l’État sont à situer dans le contexte du début du
XXe siècle. Les enjeux et défis posés par l’essor de l’industrialisation, de
l’urbanisation conjugués aux ceux des chantiers de reconstruction faisant suite
aux deux Guerres Mondiales, ont amené à une prise de conscience généralisée
de l’importance de la planification et de l’encadrement du développement des
territoires et des activités qui s’y déploient.

La période de l’entre-deux-guerres connut alors le développement des premières


politiques publiques d'aménagement du territoire élaborées en Europe en
réponse à la reconstruction nécessaire après la Première Guerre mondiale, avec
un accent particulier mis sur les domaines de construction des transports, de
l’habitat du grand nombre et la relance des économies nationales. Les Etats-Unis
engagèrent à leur tour la politique du New Deal lancée par le président
Roosevelt à la suite de la grande crise économique de 1929 dans les effets
néfastes ont entraîné le pays dans une grande dépression. La vallée du
Tennessee fut retenue comme modèle pour l’expérimentation de cette politique
11
avec la création de la Tenessee Valley Authority qui eut pour mission de
promouvoir le développement industriel et agricole et assurer la relance de
l’économie.

Ces politiques publiques d’aménagement du territoire ont pris une dimension


plus poussée et élaborée de manière consécutive à la 2e Guerre Mondiale. Il est
communément admis que la politique de l’aménagement du territoire est née,
officiellement sous ce nom, en France dans ce même contexte adoptant comme
objectif la réalisation de la croissance économique et le financement de l’élan de
la reconstruction suite aux énormes dégâts occasionnés par la guerre.

Le gouvernement français adopta alors une politique dirigiste orientée par des
buts essentiellement économiques dont le premier objectif est de réaliser la
croissance et la création des richesses. Le plan adopté et mis en place par le
gouvernement, en priorisant les grandes villes et la promotion de la production
industrielle, en donnant la priorité aux grandes industries, ne manqua pas de
donner lieu au creusement des déséquilibres territoriaux liés à l’accentuation de
l’exode rural, la concentration de la main-d’œuvre, l’extension démesurée des
périphéries urbaines, la dégradation des cadres de vie et paysages urbains, la
prolifération des formes d’insalubrité des logements, le déficit des équipements..
Cet état des choses est illustré par la rhétorique du Paris et le désert français,
l’intitulé que porte le livre de Jean-François Gravier publié en 1947 qui appelle
au nécessaire rééquilibrage entre Paris et la province.

Face à cette situation, Eugène Claudius-Petit, ministre de la Reconstruction et de


l’Urbanisme (MRU) demande, dans un rapport au gouvernement « Pour un plan
d’aménagement du territoire », d’ajouter aux objectifs de la croissance d’autres
préoccupations plus sociales et la recherche d’une meilleure répartition des
activités et des populations sur le territoire national. Son texte utilise pour la
première fois officiellement l’expression « aménagement du territoire » : «…il
[le projet du Plan Monnet] a souvent négligé de rechercher les conditions d’une
12
bonne localisation des industries et des activités économiques, il risque ainsi
d’accroître le mal dont nous souffrons en contribuant à développer à une
cadence accélérée l’industrialisation excessive de certaines régions et la
désertion de certaines autres ».

L’aménagement du territoire est resté depuis lors fondé sur les principes de
l’attachement à la puissance publique de l’Etat, à son inspiration à l’égalité et
son souci de la cohérence et de la rationalité (Bahar, 2017) jusqu’au début des
années 1980. La politique de l’aménagement du territoire fut confiée à partir de
1963 à la Direction de l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale,
plus connue sous le nom de la DATAR. Cette instance est restée pendant
longtemps le principal intervenant dans l’élaboration et le suivi de la mise en
œuvre des orientations de la politique d’aménagement du territoire (politique des
villes nouvelles, les métropoles d’équilibre, la réalisation des grands
programmes d’équipement)

La politique de l’aménagement du territoire recevra son institutionnalisation et


connaîtra son âge d’or tout au long de ce qui est qualifié « les trente
glorieuses », caractérisé par l’enregistrement de forts taux de croissance
économique et l’intensification de la production comme de la consommation des
ménages, véritable moteur de la croissance économique (plus particulièrement
en rapport avec le développement de la motorisation et l’amélioration des
conditions de vie des habitations). Cette politique avait alors pour objectif de
faire fédérer l’ensemble des composantes du territoire national autour d’un
projet de développement qui s’articule au principe de la spécialisation
fonctionnelle et une hiérarchie « rationnelle » et équilibrée des relations entre les
territoires et le territoire national.

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Cette période connut une révolution industrielle et agricole. Les industries
lourdes connurent un essor spectaculaire. L’essor de l’industrialisation est une
variable importante explicative de l’évolution de l’urbanisation. Les
composantes de la politique d’aménagement du territoire prendront des
dimensions ambitieuses avec la coordination des politiques nationale, la
planification, la programmation et la création des ensembles urbains, des villes
nouvelles et la mise en œuvre de la politique des « métropoles d’équilibre ».

L’adoption des politiques de la décentralisation à partir du début des années


1980 signe l’acte de fermeture de cette parenthèse et l’amorce de la période du
déclin de l’aménagement du territoire en France. Comme l’indique Daniel
Behar, l’État abandonna l’aménagement du territoire durant la parenthèse des
vingt premières années de l’engagement de la politique de la décentralisation en
France (Behar, 2017). Ce déclin est lié, entre autres, à l’essoufflement de la
dynamique de croissance portée par l’État et à la multiplication des critiques qui
sont portées contre le monopole exercé par les instances centralisatrices de l’État
dans le cadre d’une démarche qui ne laisse point de marge de manœuvre et
d’initiative pour les territoires. L’optique de passer du Territoire aux Territoires
s’imposait alors en tant que détour obligé.

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