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CHABLES FORl~EN~I'IN.
C<JI1Sel,tAllI' ~In MU-f'C Galli"l'a
`.i`r~f~`~ 11 11,
SOIXA~1TE-HUIT-IF~IE ANNÉE
S É R 1 E r Il T 0 i\J E R
3~ BUg DE OLLE, 34
PARIS
MMEE VIGÉE-LEBRUN
PORTRAIT-DE Mme VIGÉE-LEBRUN, pal' 'e:l ~-ll1ème. (Galerie des Offices, il "FloreÚce
ment recen-
te; il ne re-
monte qu'à
une cinquan-
taine d "an-
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modesteàl'o-
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et J)udget; son action s'éte'nd au delii..de~ 1'en=
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qu'ede deux ans; ell~ a son siège à Flo-
rence et dès sections correspoirdantes dans'
Le Cercle des Artistes est de création rel'ative~ les principales ~~illes- cltt royauÍll::
des s
H'
Pour Celli-
ni, le collè~e
profes-
seurs de l'A':
cad'émie a dé-
cid'é de met-
tre, surlamai-
rigi ne, il s'est I~li son natale de
d.é ve r 0 p éP .I l'artiste son
beaucoup et buste, 'ayce
occupe. main- une inscrip-
tenant le pa- tion commé-
lais Purci morative et,
dont les vas- "yr de plus, de
tes salons ont fonder un
été décorés prix qu'in-
âa
de peintures quennal en
par les me m '~i faveur d'une
bres du cer- ,~1! pièce d'orfè-
+.<$
cle. vrerie dans le
C'est un style du célè-
centre de réu- bre orfèvre;
nion, de dis- on fera appel
tractions ett à une sou-
de culture le scription pu-
.cercle orra- blidue; ellee
nise des expo- réussira. Les
sitions dee tentatives de
beaux-arts et ce. âenr~.e
pour les so- n'ont jamais
ciétaires des échoué à Flo-
.séances où rence la soit-
pose le mo- scr ipt ion
.dèle nu et en la façade
pour
costume il du dôme a
entreprend donné plus
.des opéra- d'un million
tions ayant de francs.
pour objet J La Société
d'honorer par italienne deé,
.des monu- l'Art public a
ments la mé- obtenu du mi-
moire des ar- nistère l'au-
tistes ayant torisa-tion de
.contribué à la faire une ex-
.Ùtloire de FI'o- position de
rence. l"œuvre de
Le collège Cellini; et de
'des profes-. tous les d'0cu-
seurs de l'A- ments qui s'y
cadémie a les rappo~rtent;
mêmes ten- elle a l'appui
dances, et de 1.'Aca~dé-
presque tou- Alercure. mie.
.jours les deux Pour mal'-
sociétés se réunissent pour la réussite d'une en- quer l'e rôle Pratique de ces sociétés, je dois
treprise dont l'une a pris l'initiative. indiquer' due d'ans ces der.nières années', elles
La Société italienne de l'Art public ne date ont élev.é à' leurs frais un, buste de Donatello
sur une des maisons qu'il a habitées, et un vis et condamnés, à. 140,000 livres d'amende~
important cénotaphe dans l'église de Saint-Lau- prix de vente du buste; !est bien fait, mais
rent, lieu de sa sépulture. le buste ne rentrera pas en Italie.
A la basilique de Santa-Croce, elles ont établi On possède ici à Florence un moulage de
un bas-relief avec figures, en l'hon~eur du célè- cette figure.
bre géographe Toscanelli qui, le premier, a indi- En Espagne, l'Escurial détient un Cnuéi f~ en
qué la possibilité de découvrir le nouveau monde, marbre, et le Trésor impérial de Vienne conserve
et d'Americo Vespucci. la fameuse salière.; ces deux pièces sont indis-
Une souscription puhliqué a été ouverte par le cutables.
Cercle des Artistes pour placer devant le Palais- En France, nous n'avons que la 11'yrr~iac d~·
Vieux une réplique en marbre du David de Fontainebleau, au Musée du Louvre.
Michel-Ange, dont l'original a été transporté, Et c'est tout ce qui reste de rœuvre de Cellini,.
il y a une vingtaine à'années, au Musée de l'Aca- quelles que soient les prétentions de quelques.
démie. détenteurs.
La Société de l'Art public a ouvert des con- C'est bien peu et cependant la popularité de
cours. avec primes pour une monnaie métalliqu'e l'artiste est des plus grandes on la comprend en
avec l'effigie du roi Victor-EmmanuelIII et pour Italie, car,ce pays conserve avec un soin jaloux
une médaille de l'infortuné roi Humbert. la mémoire de ceux de ses enfants qui ont con-
J'ai mentionné ces actes pour montrer que la tribué à sa gloire, mais en France on ne connait
fonction des sociétés de beaux-arts s'est éten- rien de lui, sauf sa nymphe; comment expliquer
due à Florence au delà de la protection des socié- cette popularité ?
taires et que, notamment,.la Société de l'Art Elle tient évidemment au plaisir de prononcer
public a pensé qu'il y avait mieux à faire que à l'italienne un nom sonore et. aux exagératiolb
d'organiser des congl'ès dont. les -ceux et les que les histoires, les .théîitres et les poésies ont
résolutions restent souvent forcément plato- apportées dans la vie et les aventures tragiques
niques. de Cellini.
La fonte du Perséc
II Quel thème à hrodéries.
Pour revenir à Benvenuto Cellini, reconnais- On nous a dépeint Cellini, désespéré de voir
sons que l'It,alie a parfaitement raison de célé- le métal en fusiÓn s'échapper de la fournaise,
hrer sa mémoire, quoiqu'elle ne conserve qu'un jetant dans le brasier, pour le compléter, des
pétit nombre de ses ouvrages aiguièl'es, des coupes, des vases d'or ciselés et
Le Pe~·sée et son socle avec statuettes et bas- émaillés, fruits de longs et pénibles travaux; .il a
reliefs, dans la loggia d'Orcagna tout sacrifié pour sauver son Pe~·sée..
La Déli.vz·ance d'A>zd~~oznéde, plaque de Eh bien de son propre aveu et il n'est pas.
bronze la plaque qui est dans le socle de la homme à se ménager les louanges il a simple-
statue est une reproduction; ment jeté dans la fournaise environ deux cents
La ~llarluette eza cire dze Pn.sée et une fonte plats, assiettes et écuelles en étain, c'est-à-dire
de cette figure: ses ustensiles ce mot est de lui de ménage
Le Buste du duc Cosimo 10. et sa batterie de cuisine
Ces pièces sont ait Musée National du Bargello.
Le Gayan~cfe en marbre est également au III
Barâello on ne peut dire que c'est un ouvrag'e Il est de mode maintenant dans ,les études sur
de Cellini; il a fait, il est vrai,. la tète, les bras, l'art et les artistes d'entrer dans le plus de détails
une partie des jambes et l'aigle, mais le torse et possible sur la question, cependant fort secon-
une partie des jambes sont antiques. daire, des prix payés.
Quelques objets du Cabinet des gemmes de la Cellini demande au grand-duc Cosimo 1°
galerie des Offices, ainsi que diverses pièces con- 10,000 florins d'or pour le .Pcr~,Ee. Le prince
aervées à l'a~ye~zteria dit Palais Pitti, sont accor- trouve le prix trop élevé et lui fait offrir 5,000 flo-
dées par le public à Cellini, mais personne ne rins par "Ëléonore de Tolède sa femme Cellini
soutient qu'elles lui appartiennent réellement; refuse on s'en rapporte à un arbitre qui fixe le
on les donne à des orfèvres florentins et même prix à 3,500 florins; cette fois l'artiste est forcé
à des Allemands. d'accepter et la somme est payée par mensua-
Quelques autres collections de l'Italie se blori- lités dont la quotité est diminuée d'année en
tient de posséder des ceuvres de' Cellini, mais année, jusqu'au point ~l'être réduite à25 florins.
elles sont impuissantes à en prouver l'authen- 'par mois.
ticité. Évidemment ce marchandage et cette parci-
Il y avait cependant, à Rome, le buste incon- monie ne sont pas à l'éloge d'un grand-duc de la
testé de Bindo Altoviti; il a été vendu et exporté famille des Médicis, mais encore- pour noug. ren-
à l'étranger, il y a peu de. temps l'opél'alion dre un compte même approximatif de la dé-
ayant été illicite, les exportateurs ont été poursui- pense, faudrait-il savoir ce' que représentait au
milieu du me siècle, un florin d'or de Florence, couleurs, des loyers, des gages des domestiques
par rapport à nos pièces d'or actuelles. en rapprochant ces prix du xm° siècle de ceux
En d'autres termes, quelle est la décroissance qu'on paye actuellement à Venise pour vivre de
,(lu pouvoir d'achat de l'or, depuis ~1550 jus- la nzëme façon, on arrive peut-être au double de
-qu'en l 900 ? la dépense dans l'ensemble.
Plusieurs écrivains n'ont pas abordé cette A ceci on me répond qu'on ne vit plus de la
question et se sont contentés de donner les chif- même façon, qu'Ónest devenu plus difficile, que
fres du xm° siècle, ils ont bien fait; d'autres esti- les habitudes ont changé. C'es iricontestable,
ment que les 10,000 florins d'or demandés par mais rien n'empêche un homme de se nourrir
~Cellini, pour son Persée, représentent plus de aujourd'hui comme il y a trois siècles. A Florence,
~00,000 francs par exemple,
~en monnaie on Peut faire
.(['or actuelle; un bon repas,
ils s'enrappor- dans une
tent aux éco- petite trat-
nomistes qui tboia, pour
admettent que 50 centimes
l'or monnayé pain, soupe
avait au me avec du fro~
':siècle cinq 'mage, copieux
fois plus de plat de viande
pouvoir d'a- avec légumes
chat qu'à pré- ou pâtes, fruit,
sent. et un verre de
Je suis com- vin de Chianti
plètement c'est plus cher
étranger à la qu'à Venise au
scie:nce des wn siècle,
écorioiliistes, mais pas de
mais comme beaucoup.
ces questions Et puis les
de prix revien- écononiïstes
nent assez nc tiennent
souvent j'ai pas suffi sam-
essayé, par ment compte
distraction, deladifférence
d'y voir clair. des pays.
J'ai trouvé En Italie,
d'abord qu'il y dans quelques
a. un grand grandes villes,
écart entre toutes choses
l'appréciation égales, on vit
des économis- à ~0 p. 100
tes. Le florin à meilleur
d'or de Flo- compte qu'en
Tence, du wle France; et en
'siècle, mon- Le buste du Duc Cu~imo 1,.
Italie, dans les
riaie de bon petites locali-
aloi admise partout en Europe et même en tés, la vie est moins chère que dans les villes.1
Chine, pesait ce que pèserait maintenant une Lai ssons donc toutes ces questions, elles sont
l
pièce d'or dell fr. 25 à l fr. 50. futiles et attendons, avant de chercher ce que le
Quelques-uns veulent que ce florin équivaille Persée a pu coftier, que les économistes se soient
à 9::1 francs environ d'à-présent, les autres vont mis d'accord sur la décroissance de la puissance
jusdu'à 66 francs. de l'argent depuis la Révolution fran<:aise.
Quelles sont les bases de ces calculs ? Benvenuto Cellini a donné lieu à une littéra-
J'avoue ne pas les avoir bien comprises; alors, ture, mais aucun des livres parus de notre temps
pendant un séjour à Venise, je me suis amusé à n'a rien ajouté aux commentaires :que l'éminent
faire une petite enquête. Milanesi, mort il y a quelques années, a mis aux.
Nous avons d'un peintre de Venise du m-il siè- écrits de Cellini.
cle, Lotto, des regisfres de dépenses; tout est Sans aucune vergogne, Cellini raconte sa vie;
noté les prix des victuailles, des vêtements, des il sc montre avec sa vanité, ses défauts, ses vices
et ses crimes; il e.aalte son talent; ses, déboires, tive de la partie supérieure du- .piédestah il est.
~es .luttes. Il s'est taillé ainsi u,ne,l'éclamequi a difficile de faire~ieu~; en revanche, les. deux.
grandèment contribué, à sa nillommée, a~ondances du bas sont.d'un goût douteux.
CC!~P1e orfèvre, ~n'ne.pel,ltJe juger q:U~ par Ce de..Cosimo 1° est peut7être trop dé-
qu d lui-même de, son oeuvre, la salière, d,e taillé, trop vivant; la cuirasse est de toute beauté,
Vienne ne donne. qu'une médiocre i4~e de son comme pièce d'orfèvrerie.
talent,dans ceg~nre,(et en fait de dessin, il ne M:;tintfmaJ;lt,Jed(lis dire que, d'après mes ob-
resté. resque rien 4e sérieux. servations presque journalières, la faveur dont
son talent., cependant a du être-très grand, a joui le ~f'ersée .décroit sensiblement.
puisql,l'on s'arrachait ses productions; ce n'est ~~4s doute. aucun touriste ne. manque. de le
à
pas impunéniént qu'un artiste arrive un tel regarder il est du reste placé à souhait pour.
renom; cette réputation d'orfèvre acquise de son cela, mais le publie reste froid,sans émotion,
vivant s'est pe,rpétuée, voilà tout.. apparente, alors qu'au contraire, il.la manifeste
Sûr les pièces de, sculpture qui subsistent et que a·isible.ment devant les sculptures de Ghiberti, de.
par conséquent on peut juger, les avis diffèrent. .Donatello., de Mino, etc., etc.
En général, on les tient comme des ouvrages -c'est. que, dans l'esprit public, il règne un re-
de, second ordre; on trouve que dansle Pe?-sée (1)", tour très marqué vers l'art du xv. siècle, si sim-
à.côté de, parties excellentes, il en est d'au,t~rès. p1eetsi eKpressif d'émotion dans sa simplicité.
q~i. son,~ faipJ~s, les jambes notamment; les ~Pr-O- La mode est capricieuse en art. Tel artiste est.
portions ne sont pas justes partout; la figuré;:en au pinael-e pour un temps, presque méprisé,
un mot, n'estpas d'ensemble, comme on dit! remonte dans l'estime.
'a:pl'ès,puis il
Je ne nie natte pas d'avoir la compétence né- Notre président de Brosse est l'écrivain
fran":
cessairé pour apprécier le Pe~~sëe; je'(Su,is tro.p çais qui, sous une apparence souvent frivole, a
épris dès sculpteurs toscans du xve siècle. pou~r écrit le meilleur livre français sur l'Italie.
être impartial. En 1739, il dit que Giotto (1~?6(i?-133ï) n'é-
.II mé. semble cependant qu'on a été trop sé- tait pas digne de peindre les murs' d'un jeu de
vére,et que dans son ensemble la statue, expo-
sée au public en 1554,.est un très bon ouvrage
¡)Qur sop. temps, meilleur que, bien cl'autres de
idées de son temps.
paume et en ceci.le président était bien dans les
La chaussée d'Antin est, en t~1)1, le quartier le la richesse, la vie confortable la porte massive
plus élégant de Paris. C'est 'là que la mondaine avec ses cuivres luisants, le perron avec ses dalles
dont nous allons raconter la journée doit à ses soigneusement balayées et, dès qu'on entre, le
relations, se doit à elle-même d'habiter. N'appar- suisse, gI'as et solennel, avec sa culotte rouge et
tient-elle pas à cette nouvelle aristocratie qui va sa lévite bleue couverte de dorures.
remplacer toutes les autres, l'aristocratie de l'ar- La maîtresse de la maison se lève assez tard
gent? N'est-ellepas lafemme d;un fournisseurqui d'ordinaire, mais une journée destinée à rece-
a su trouver, comme bien d'autres, dans la dé- voir des cadeaux n'est jamais assez longue. A dix
tresse publique l'occasion d'un enrichissement heures Mme Vollant est habillée. Elle a rafraîchi
particulier ? son teint avec du petit lait clarifié ou de l'eau de
L'hôtel de M. Vollant, c'est le nom du four- mouron, renouvelé la blancheur de ses dents
nisseur, et il le mérite représente une énorme avec du tabac râpé, teint. ses sourcils avec le
quantité de vivres avariés, d'uniformes inutilisa- ser·I,~is ou noir des sultanes. Comme nous la sup-
d'ef-
bles. Il n'en est que plus luxueux. Tout y révèle posons jeune et jolie, elle n'a pas eu besoin
facer ses rides avec du lait virginal, formé de ruines pompéiennes, les paysages classiques et
benjoin et de storax dans un litre d'alcool, aussi, souvenir du siècle de grâce qui vient de
ni de supprimer, à l'aide de la homnuade égyp- disparaître, les cadres ornés de pigeons et de
tie~ane, ces moustaches inopportunes qu'un écri- guirlandes de roses.
vain du temps appelle « des appas grenadiers. » A midi on se met à table, etla première partie
Sa coiffure est tout ce qu'il y a de plus simple de cette journée. la moins importante puis-
et à l'artiste qui en été chargé, elle n'a guère qu'on la réserve à la famille, est terminée.
coûté qu'une heure de travail. Ses cheveux sont C'est à deux heures que commence « l'assem-
relevés sur le haut de la tête et entourés d'une blée », la réception des simples connaissances,
sorte de gaine d'où tombent quelques boucles, des indifférents, de ceux qu'on reçoit avec lé
dans un désordre savamment préparé. plus de plaisir, ce jour-là, parce qu'ils n'osent
La robe, longue et unie, avec la taille sous les pas apporter des cadeaux de médiocre valeur.
aisselles et les manches. bouffantes qui s'arrêtent A chaque instant apparaît, la bouche en coeur;
au coude, ressemble à un fourreau de parapluie. le sourire aux lèvres, un nouveau visiteur, et le
Mme VoIlant est à peine habillée lorsque son salon est bientôt plein.
mari se présente, son cadeau à la main, une La variété des costumes correspond à celle des
rareté, une chose presque inconnue encore, un mœurs etdesusages,etdénote pourl'observateur
cachemire. L'habile homme se ménage ainsi de transition entre la Révolution qui
une époque
une aimable' réception. vient de finir et l'Empire qui va commencer.
Puis arrivent les enfants très heureux parce Chapeau à larges ailes, chapeau de marquis
qu'ils ont des étrennes à recevoir, un peu émus agrémenté d'une énorme cocarde, tricorne gigan-
parce qu'ils ont un compliment à réciter. tesque assez semblableà celui de nos gendarmes;
L'aîné, un petit garçon de dix ans, vêtu en redingote largement évasée ou boutonnée en
mameluck, avec le turban, la petite veste et le carré sur la poitrine, larges collets, cravates
pantalon bouffant, prend la parole, et d'une voix monumentales dans lesquelles s'enfonce comme
monotone et trerriblante débite d'emphatiques dans un étui la moitié du visage, culottés arrêtées
tirades auxquelles, heureusement, il ne com- au genou ou pantalons collants tout cela forme
prend pas grand'chose. un assemblage des plus curieux.
Alors, de caisses mystérieuses surgissent des De côté et d'autre voltigent, également inca-
poupées, qui sont des petites dames de 1801, des pables d'écouter et de se taire, les élégants ,qu'ort
polichinelles qui ressemblent à de vieux émigrés, appelle les « mirliflores », sanglés dans la longue
des moulins à vent, et aussi, car ces cadeaux redingote à pèlerine vert bouteille ou bleu bar-
rrai.litaires sont à la mode, des shakos, des fusils, beau, et de temps en temps frappant du pied le
des sabres, des soldats de plomb. parquet pour faire remarquer leurs bottes à la
Les enfants renvoyés avec leur butin, le mari Souvarow, à retroussis de cuir jaune avec un
parti pour aller faire ses visites officielles, gland d'or, et qui viennent d'être confiées, pour
Mme Vollant se dirige vers le salon et s'assied paraitre dans toute leur splendeur, aux artistes
sur un canapé de soie jaune entre une harpe et un décootteurs du passage des Panoramas qui ont
piano d'Erard. Son regard va distraitement de la pris pour enseigne ces quatre vers
grande table de jeu, -onjoue beaucoup en 180,t, 0 vous qui redoutez les taches et la crotte!
à la pendule sur laquelle une Muse, son luth Amateurs de journaux, de propreté, de vers,
à la main, à l'air de s'ennuyer, de la pendule au Entrez ici, souffrez qu'on vous décrotte
Et livrez à nos soins la botte et le revers.
vase étrusque qui se dresse sur une console.
Nous sommes à Paris, en 1801, et dans ce salon Chacun apporte son cadeau qui vient d'une de'
de la femme d'un fournisseur tout est grec ou ces maisons où un homme du monde est obligé
romain depuis le guéridon pompéien, dont les de s'adresser le le,janvier, sous peine d'ètre dés-
pieds sont formés de pattes de lion, jusqu'aux honoré.
gravures où Thémistocle, Esculape, Brutus, Hec- Sur la grande table s'amoncellent les chocolats.
tor, Lucrèce, ébauchent des gestes tragiques. de Duthu, de Bauve et de Millerant; les pas-.
Bientôt commencent à arriver, chargés de tilles de fraises et d'ananas, les marrons glacés
boites ou de sacs, les amis intimes, lesparents.Les de Bourdeau, qui a son magasin rue de ,Ri-
étrennes ont été suppÍ'Ïmées en principe comme chelieu, 92,près du Théâtre-Français; -lesdra-
« contraires à
la morale » parl'Assemblée consti- gées de Ma~e veuve Rousseau, qui trône, rue des
tuante, mais elles.ont été maintenues par ceux à Lombards, à l'enseigne du Fidèle Berger; les
qui rien ne résiste etqui ne reconnaissent d'autre bonbons fins d'Oudard, A la Renzonzmée de Fra~zce,
loi que leur fantâisïe les fémmés et" les enfants. et surtout les bonbons mythologiques et litté-
Pendant que se poürsuit la causérie et que raires de l'illustre Berthellemot,dont la boutique
s'échangent voeux et compliments, un valet de du Palais-Royal est presque inabordable dans la.
chambre apporte sur un plateau. d'argent les matinée du lec janvier. Chaque année Berthel-=
cartes de visite sur lesquelles- abondent, suivant lemot ~ublie le mot est de Grimod de la Rey-.
l'usage du temps, les. casques, les nymphes, les nière des bonbons d'actualité et plusieurs
poètes, attachés à sa maison, composent les LES PETITS CAILLOUX
devises qui donnent tant de vogue à ses pralines.
Çà et là, parmi ces sacs satinés, dorés, fleuris,
apparaissent des poulets, des instruments de I
musique, des chapeaux. en carton. Ce sont les Roulés par d'antiques déluges
szcrprises, des boîtes de forme bizarre qui sont Ou par des torrents disparus,
pleines de. marrons glacés, de pralines ou de Sur tant de chemins parcourus
Ils ont rencontré des refuges.
dragées. Ils gisent au hasard du temps,
Une place à part est réservée à ces petits alma- A la merci brusque de l'homme,
nachs imprimés sur un papier laiteux, illustrés Dormant leur immobile somme,
Mornes, gais, obscurs, miroitants,
de firies-gravures et enfermés dans des carton-
Il vous en apparaît, parfois,
nages glacés, blancs, gris ou roses; ornés d'un Un tas tout blanc sous des aigrettes
mince liséré d'or. C'est dans ces petits livrets, D'herbes folles et de fleurettes,
dans.ces étrennes ma'gnonnes, dans ces almanachs Dans la clairière d'un grand bois.
des Grâces, qu'on est assuré de trouver les ro- Certains, au pied d'un très vieil arbre,
Semblent au fond d'un ravin gris,
mances à la mode. Sur une mousse vert-de-gris,
Si les hOKlmes ont conservé l'habitude de des- De beaux petits morceaux de marbre.
siner en entrant une de ces révérences coinpli- La chenille qu'humide ou sec
quées que seuls peuventapprendreles maîtres de Un coup de vent jette ou remporte,
Bien collée à sa feuille morte;
danse, ils sont en général d'une urbanité dou- L'aiguisage d'un petit bec;
teuse. Ils ont renoncé il la ci-devant politesse Les divers grincés du grillon,
qui sentait trop l'ancien régime. Ils affectent, Selon qu'il s'arrête ou qu'il flâne;
surtout quand ils n'ont pas été soldats, le sans- La caresse d'un mufle d'âne,
Le flottement d'un papillon,
façon des manières militaires. Ils s'étalent dans Tout cela, léger, taciturne,
les fauteuils. Ils regardent fixement les femmes, Ou d'un murmure si discret,
qui d'ailleurs le leur rendent. Ils parlent avec les Ils l'ont! et savent le secret
De plus d'une bête nocturne.
mains dans les. poches du gilet.
Ce n'est pas sans raison que dans une carica- Il
ture de cette année, les Étr·ennes choisies, Minerve,
Ils ornent lé .recoin seulet,
en même temps qu'elle donne un miroir à une Emaillent le sentier sauvage,
coquette sur le retour qui s'obstine à ne pas Le fossé, le mignon rivage
'vieillir, tend à un jeune homme, qui ne se presse De la source et du ruisselet.
pas de le prendre, un manuel de civilité. L'averse vient, quand il lui plaît,
L'esprit, l'esprit délicat du xviii' siècle, Leur donner.fraîcheur et breuvage;
Le soleil, après ce lavage,
n'est plus à la mode. Il est remplacé par le per- Les essuie avec un reflet.
siflage et la mystification. Ovales, ronds, plats ou bombés,
Le salon de l\1me Vollant ne serait pas complet Polis, blancs, jaunes, violâtres,
Ils attachent les yeux des pâtres
le 'le~ janvier :1801 si le mystificateur, l'éternel Aux longs regards inoccupés,
mystificateur; ne s;y trouvait pas.. Il est la, au Comme ils frappent le solitaire
milieu du cercle, admiré d'avance et prêt à faire, Qui, lassé du visage ,humain,
Trouve toujours sur son chemin
sans ~xiger aucune rétribution, tout ce qui con- De quoi se pencher vers. la terre.
cerne son métier. Il imite les cris d'animaux, Et leur aspect, même en temps froid,
depuis le chien jusqu'à l'âne, il reproduit le grin- Charme 'encor, le plus triste endroit,
cement de la scie,' il est prestidigateur' comme Car on sait que chacun recèle
Comte et ventriloque comme Fitz-James. Cet éclair, soudain, rouge et bleu,
Quelque habile qu'il soit, le' mystificateur Cette âme furtive du feu
La prodigieuse étincelle!
,finirait parparaître ennuyeux s'il prolongeait trop
longtemps ses e~ercices. III
De quoi pourrait-on. causer avant qu'il com-
Là, frÓlés de ces glisseurs doux
mence ou lorsqu'il a fini? L'explosion de la ma- Le .lézard, le ver et l'insecte,
chine infernale, le `3 décembre, s'est produite
bien à point pour alimenter la conversation. lis
Au bord d'une eau qui les humecte,
rêvent, les petits cailloux..
r
Entreun sac de marrons et une boite de pralines, Au milieu des clartés éteintes
Le soleil retardant sa mort v
tandis que les femmes s'efforcent d'être émues et Ajoute comme un glacis d'or,
que les honimes veulent paraitre bien renseignés, Comme un frisson rose à leurs teintes.
récits sensationnels et révélations mystérieuses Et quand, d'un invisible vol,
Dâns cliattt dn rossignol,
se déroulent, et, sans oser le dire, visiteurs et \'i- y 0 iit 'les b rises capficieus'es.
site uses bénissent le lnrovidentiel attentat qui L'astré sorcier, qtü'lès-revët
rend si intéressant et si .dramatique "le premier De son ombre magique, en fait
jour de.l'.année -l80 L D'étranges pierres précieuses.
HI~NRI u'LbIER ~S. MAURICE ROLLINAT
Un Ange de ~aphaêl
Voici une merveille d'attitude et d'expression, plus délicieux ornements, et si nous ignorions
Comme appuyé sur le rebord immatériel de je qu'il a été peint par Raphaël, nous trouverions
ne sais quelle fenêtre qui ouvrirait sur l'infini, sa sans peine qu'il a sa place marquée dans un ta-
,tête charmante et pensive doucement soutenue bleau religieux et qu'il est dû à un peintre chré-
Un AI1ge de Raphaël.
par la petite main potelée, l'ange semble perdu tien. Comparez-le, en effet, aux petits Amours
dans une contemplation sérinlse qui fait le plus
que nous a laissés l'antiquité païenne. Voyez-
saisissant contraste avec sa gl'âce puéril/ On de- vous, par exemple, les Amours chasseurs, les
vine que ses ailes sont encore frêles et tendres et Amours foulons découverts à Pompéi dans la
du'elles n'ont pas pris leur essor pour de longs maison des Vettü:' Ce sont certes des composi-
célestes. Mais olt s'enyolen ses pensées'' tions ravissantes où éclatent la jeunesse, la joie
Les yeux grands, bien ouverts sont-ils fixés de ~·i~~re ces petits êtres aux mille fossettes,
sur
une vision lointaine ou n'exprinlPnt-ils que le souriants, sont tout pnliprs à leurs jeux. On cher-
calme d'une précoce méditation! Il y a dans ce cherait en vain sur leur visag-r l'expression de
ri'gal'd le recueillement mystérieux et surtout recueillement inspiré de leur « descendant
re-
liâiem d'un jeune poète. Et n'a-t-il pas du jeune chrétien qui nous fait nous demander (levant
pod- la chevelure divinement ébouriffée dans un cette tète superbe A tIuoi n\vent les jeunes anges'?
désordre, plein de savante négligence?
Si nous ne sa\'ions que cet ange est J. G.
aux pieds
f!e la fameuse .ll~zdoue de Sni~at-Sixte,
que l'on La foi se trouve au fond des larmes, comme la perle
admire au musée dé Dresde, et dont il est un des au
fond des mers.
COMMENT ON DRESSE UN `FhIIIVE
Par ces temps difficiles où les carrières les restera sans résultat auprès d'un autre lion on
plus modestes finissent par être inaccessibles d'un autre tigre; et le public qui présume que le
devant le nombre des candidats, il en est une lion est féroce et le tigl'e traitre généralise à
qui ne menace pas de devenir encombrée c'est tort; chaque animal exige un traitement selon
la carrière de dompteur de fauves. Il faut, en son tempérament; c'est au dompteur de le décou-
effet, des aptitudes et des goûts tout spéciaux, vrir. Cependant il est prouvé que les femelles
héréditaires, généralement, pour entreprendre sont faciles à dresser et moins dangereuses que
la longue et périlleuse tâche de dresser des lions, les mâles.
des tigres, des léopards, des jaguars et autres Suivons, pour connaitre la façon dont procède
animaux féroces et redoutables des déserts. Et un dompteur expérimenté, les stages de l'éduca-
c'est une belle preuve de la supériorité de l'in- tion d'un lion de deux ans qui vient d'être ins-
telligence sur la force que la soumission de ces tallé en son nouveau logis après avoir fait le
puissants félins au moindre mouvement d'une voyage de la côte d'Afr ique.
simple baguette. Ragaillardi quelque peu par les premiers soins,
Le .Strand ~lla~aNine nous fait une description il regarde autour de lui, comme attendant avec
intéressante des différentesétapes que traverse le curiosité ce qui va venir. Déjà il s'est habitué à
fauve et de la manière dont il les traverse avant de considérer l'approche de l'homme comme le
subir docilement la volonté humaine. L'appren- signe précurseur des repas aussi reçoit-il sans
tissage est rude pour l'élève et pour le maître, perturbation la visite du dompteur, qui lui parle
et demande, de la part de ce dernier, une pa- doucement à travers la grille. Le lion le regarde
lience absolue c'est la première condition. A tranquillement, pendant que l'homme lui jette
l'Ô lé de cette patience inlassable, indestructible, un beau morceau de viande, fait deux ou trois fois
il faut posséder du jugement, de la bonne le tour de la cage, puis s'éloigne. Le lendemain
humeur, une gmnde agilité physique, une dose le même jeu se répète. Le troisième jour, la
de magnétisme et un courage désespéré. bête, si elle est d'intelligence moyenne, recon-
Tous les professionnels de ménagerie s'accor- naît déjà la voix du maitre, c'est toujours la
dent à déclarer qu'il vaut mieux avoir affaire à voix que le lion reconnait tout d'abord, c'est
une bête farouche du désert qu'à une autre née pourquoi les dompteurs parlent toujours à leurs
en captivité; et la raison en est bien simple. bêtes lorsqu'ils en approchent, et ronronne à
L'animal captif leur arrive après un long voyage sa vue. Ceci est le signal d'un pas en avant dans
durant lequel il a cruellement souffert de la l'amitié, et le dompteur en profite pour passer
maladie de mer, de l'insuffisance de la nourri- un manche à balai à travers les barreaux. Le
ture et d'un pénible emprisonnement il dé- lion est surpris, courroucé. Il recule, grogne,
barque donc affaibli, triste, brisé. Au bout de puis pose sur l'objet suspect une patte énorme.
quelques heures, il se trouve dans une vaste cage Voyant que l'homme n'offre pas de résistance,
confortable, avec de la paille propre, de l'air il entraîne le bâton au fond de la cage et le
frais, une bonne nourriture, et, par-dessus tout, bouscule en hurlant ou le déchiquette de ses
le calme et le repos. Instinctivement, il sera bien dents terril)les. A peine en a-t-il disposé à son gré
disposé pour les f,tres humains dont la présence qu'un autre bâton apparaît, et la voix humaine,
lui semblera associée à cet heureux changement. qu'il a appris à connaître, se fait doucement
Et le nouvel arrivé sera dans d'excellentes dispo- entendre. Très probablement, la bête, agacée,
sitions pour commencer son éducation. pulvérisera aussi ce deuxième intrus, mais un
Le félin né en captivité, ait contraire, est un troisième suit aussitût, et après le troisième
enfant tâté, habitué dès ses premiers instants toute une série de manches à balai, jusqu'à ce que
à la société de l'homme qu'il ne craint ni ne le roi du désert soit fatigué de l'exercice et re-
respecte. Il suportera sans colère la présence du garde avec indifférence le dernier bâton. Alors le
dompteur dans sa cage; mais que celui-ci essaye dompteur, à travers les barreaux, touche de ce
de le contraindre à quelque travail, et au premier bâton le dos de l'animal.
chàtiment le fauve lui sautera à la gorge. Aussi Surprise du lion le toucher de ce morceau de
le dressage d'une de ces bêtes est-il malaisé et bois qui lentement g:lisse sur son dos lui donne
inyrat. Il serait bien difficile d'établir la méthode décidément une sensation agl'éable. Sa méfiance
de dompter, ou plutôt de dresser les fauves, peu à peu se dissipe il se laisse faire et ron-
car c'est une erreur de croire qu'ils puissent ronne d'aise.
jamais être complètementdomptés. Ce qui réussit Lorsque après plusieurs répétitions de l'expé-
auprès du lion réussira souvent aussi auprès du rience il est tout à fait habitué au bâton et à sa
tigre ou du léopard, etc. Mais ce qui réussit manipulation, le fauve arrive à une phase impor-
anhrès d'uit lion, (I'iii? lig-rc ou d't~n jagttar tante de son apprivoisement. Un matin, la porte
de la cage s'ouvre et l'homme entre, portant avec chaise et retourne à son coin, piteux et démonté.
lui une lar;g~~c~aise sur laquelle il s~àssied.'Trou- Pendant ce temps le dompteur est sorti de la
blé par la vue de 'cette chose inconnue qu'est cage, mais il y a laissé là chaise.
pour lui la chaise, le lion se retire au fond de sa Le fauve, à présent, se trouve devant plusieurs
-cage et grogne. Le dompteur reste tranquillementL alternatives peut-étre va-t-il bouder dans son
sur son siège et lit son journal; mais, du coin de coin, ou bien il se mettta à sauter, le long de sa
l'oeil, il surveille l'animal. Cette situation se pro- cage en poussant des hurlements féroces, après
longe une ou deux heures, après quoi l'homme quoi il ira s'attaquer à la chaise qu'il réduira en
-et la chaise sortent, et le lion reste seul avec ses morceaux. Le résultat de cette expérience sera
pensées. la résignation. Lorsque, le lendemain, l'homme
Le lendemain, réapparition de l'homme et de reparait avec son bâton et une nouvelle chaise.
la chaise. Cette fois le fauve s'approche avec pré- le lion le reçoit avec calme. Cependant il se tient
~aution. Le dompteur, à ce moment, tend vers lui loin, non pas agressif, mais timide. Le dompteur,
le bâton, mais l'animal, méfiant, recule au fond de petit à petit, avance vers lui sa chaise jusqu'à ce
la cage. Là il se ramasse, haineux, sans un gron- que la bête se trouve à la portée de son bras.
dement, sans un mouvement de sa queue qui est Alors, du bàton, il la caresse. Le lion se prête
étendue par terre, raide comme une barre de au jeu et ronronne de plaisir. L'instant est pro-
fer. Le dompteur le guette, sans en avoir l'air. pice, il faut en profiter le dompteur substitur
Soudain, d'un bond formidable, le lion s'élance, sa main au bâton, et pour la première fois pro-
la gueule ouverte, les griffes tendues, droit sur mène ses doigts sur le dos du lion. Le second
l'homme. Le moment est critique. Le dompteur grand pas vient d'être fait le fauve s'est fami-
le voyait venir l'attitude de la bête, la tension lial'isé avec le toucher humain. BientÔt il l'ai-
.de ses muscles l'avaient averti. Sa vie dépend de mera, car il adore les caresses. L'homme, ainsi,
son agilité. avancera rapidement dans ses grâces progres-
Avant que le félin en fureur n'arrive iusqu'à sivement il lui frottera le dos, lui tapotera les
lui, le dompteur s'est levé et, ayant pris la chaise épaules, lèvera une de ses énormes pattes, et
entre ses mains, interpose cet obstacle entre la quinze jours plus tard, si la bête est de bon tem-
bête et lui. L'imprévu des quatre gros pieds de pérament, l'amitié sera faite.
la chaise déconcerte le lion. Il tombe sur ses flancs Cette amitié, néanmoins, reste sujette à cau-
en grognant et de ses crocs s'agrippe à l'obs- tion. Si bien dressé qu'il soit, le fauve, au fond
tacle. Cependant, de derrière la chaise s'avance de lui-même, garde toujours sa nature premièrf~
un bàton, le même vieux bâton d'agréable mé- qui parfois se réveille, imprévue et terrible, et si
moire, mais qui, cette fois, vient le heurter elle ne cause pas toujours des catastrophes, elle
vigoureusement sur le museau. Or le museau n'en est pas moins une menace continuelle pour
est la partie la plus sensible d'un lion; aussi, le dompteur.
ivre de fureur, s'élance-t-il de nouveau; de nou- TI!. MANDEL.
veau le bâton s'abat sur son museau. Alors, en
runissant de peine et de rage, l'animal làche la ~è)
l1'Aétrostat ditrigeable de Von Zeppelin
Voici un nouveau ballon dirigeable. Il existe, nacelles, habitacles des aéronautes et des mo-
il marche. Ce sont là qualités plutôt rares chez teurs à pétrole système Daimler. Entre les deux
les ballons dil'igeables de la fin du siècle dernier. nacelles peut coulisser le long de la passerelle un
Il est vrai que si ce nouveau ballon dirigeable poids de 100 kilogrammesdestiné à combattre par-
existe, ce n'est pas sans avoir nécessité bien des ses déplacements raisonnés les tendances de ce-
-lab.-urs pour sa mise au monde. Il est en effet long fuseau à se redresser verticalement par re--
de notoriété publique que sa construction a coûté lèvement de l'une ou l'autre de ses pointes.
la modeste somme d'un million de francs en Quatre hélices latérales poussent le système
chiffres ronds; or il n'est ni enrichi de diamants, en avant, quatre gouvernails permettent de-
ni fait d'or ou d"argent; ce coût élevé représente changer ses orientations de marche.
donc à n'en point douter une main-d'oeuvre con- Incontestablement ce navire aérien est conçu
sidérable. d'une façon rationnelle, on y découvre le souci,
Il est vrai que si ce nouveau ballon dirigeable de satisfaire aux conditions nécessaires d'exi-
marche, il marche à une allure fort modeste, stence et de conduite de tout aérostat possédant
11 kilomètres à l'heure, celle d'un bon cheval de un mouvement propre. La question est de savoir
fiacre. Il ne marche pas non plus tous les jours, si dans l'aérostat Zeppelin, ces conditions sont.
tant s'en faut, puisque, pour sortir du hangar satisfaites de façon plus heureuse que dans ses
flottant qui l'abrite, il attpnd prudemment que devanciers. Si oui, ne fùt-ce que sur un S'eul
le vent souffle à une vitesse inférieure à 6 mètres point, il y aura progrès.
à la seconde, brise tout juste capable. d'agiter un Dans l'édification de l'aérostat Zeppelin, on
drapeau. s'est préoccupé de diminuer les résistances of-
Quoi qu'il en soit, si l'aérostat dirigeable du fertes par l'air à l'avancement en assurant au
général allemand von Zeppelin, le navire aérien ballon une surface lisse invariable, à cet effet on
dont il s'agit, a fait faire le moindre pas à la a constitué ce ballon d'une carcasse métallique.
question si difficile de la dirigeabilité des ballons, recouverte d'étoffes tendues. Le but proposé est
on doit, sans se préoccuper des questions de atteint certes, et pleinement, mais aux dépens de
frontière, applaudir à sa construction et ne point la solidité et de la légèreté du système. Aux dé-
regretter les sommes formidables consacrées à pens de sa solidité, car cette immense carcasse
ses essais récents et futurs au-dessus du lac de de 128 mètres de longueur, nécessairement très,
Constance. fragile sous peine d'être trop lourde pour pou-
Mais, le ballon von Zeppelin a-t-il fait faire le voir s'enlever dans les airs, se tordra inévitable-
moindre pas vers la solution du problème de la ment au moindre choc contre un corps solide..
conquête de l'atmosphère? Nous allons, si le lec- Et les constructeurs du navire aérien ont bien
teur le veut bien, tàcher de nous en rendre pensé à ce danger, car afin d'éviter toute dislo-
compte en comparant les résultats acquis par les cation de l'appareil lors de son retour à terre, et
dernières expériences du lac de Constance aux dans ce seul but ils l'ont installé sur un grand
résultats de même nature acquis par les devan- lac de 64 kilomètres de longueur, avec la réso--
ciers du nouveau dirigeable. lution ferme de ne jamais le faire flotter qu'au
Et d'abord, une description s'impose, tout au dessus du lac. Ainsi au moment où l'aérostat re-
moins courte et schématique celle de ce mons- vient au sol, il se pose sur la surface tranquille-
tre aérien, gigantesque tube mesurant128 mètres et lisse de l'eau, des bateaux accourent le cher-
de longueur, sur 11 m. 65 de diamètre, pointu cher et le ramènent dans son hangar flottant.-
des deux bouts et constitué d'une carcasse en On ne se demande pas sans effroi ce qu'il advien-
aluminium sur laquelle est tendue une étoffe drait de l'aérostat Zeppelin s'il atterrissait en
souple. terre ferme, le moindre choc contre un arbre ou
Ce tube ne saurait être rempli de gaz léger; la terre lui causerait des avaries terribles, puis
hydrogène ou autre, car les pressions dévelop- comment ramènerait-on à son port d'attache il.
pées contre ses parois par la force ascensionnelle travers monts et vaux cette énorme et délicate
de ce gaz le déformeraient immédiatement. Il carcasse rigide?
sert de gaine protectrice à dix-sept ballons sphé- Le ballon dirigeable « la France », son aîné de
riques en coton verni, et remplis d'hydrogène, dix-sept ans, résolvait le problème de façon bien
accrochés à son intérieur, et séparés les uns des plus simple. L'indéformabilité du ballon était as-
autres par des cloisons en étoffe. surée par l'existence à son intérieur de ballonnets à
Au-dessous de ce gigantesque poisson aérien, air; si le ballon devenait flasque, si son étoffe se
aux vessies natatoires gonflées d'hydrogène, distendait, vite' avec une pompe on envoyait de
s'accroche une passerelle métallique élargie vers l'air dans ses ballonnets, et l'étoffe tendue inté-
l'avant. et vers l'arrière, de façon à former deux rieurement par l'expansion du gaz et de cet air
redevenait rigide comme la peau d'un tambour. suspension de nacelle appropriée, assure la sta-
Puis, quelque légèrement conçue qu'elle soit, bilité horizontale de ses ballons oblongs; son
-cette carcasse métallique de l'aérostat Zeppelin système, qui a également fait ses preuves,
pèse, et pèse exagérément pour un ballon; c'est est donc supérieur à celui du général Von
~à un poids élevé qui vient prendre la place de Zeppelin.
poids autrement utiles lest et combustible pour Le moteur, machines et hélices de l'aérostat
les machines. dirigeable du lac de Constance, confère à cet
Cette conception ne semble donc point un pro- aérostat une vitesse propre de 3m,2 par seconde
,grès, au contraire, puisque le résultat qu'elle ob- (l1km,5 à l'heure), mais le ballon dirigeable
tient invariabilité des formes, peut être atteint « la France» » faitmontre, en 1884-1885 d'une
plus simplement, plus légèrement et moins fragi- vitesse propre de 6 mètres par seconde, c'est-à-
lement par un autre procédé qui victorieuse- dire presque double, et cependant cet aérostat,
ment a fait ses preuves. d'un volume fort inférieur au mastodonte alle-
L'aérostat Zeppelin protège le gaz de ses bal- mand, se trouvait par ce fait même dans des con-
'Ions contre les variations de température par ditions d'infériorité notables au point de vue de
-.une double enveloppe: celle des ballons et celle l'utilisation d'un moteur. Il n'est pas douteux
du fuseau de 128 mètres qui les renferme. Cette qu'à volume égal un navire aérien du type « ;a
protection a une grande importance pour le France réaliserait aisément une vitesse propre
maintien de la stabilité verticale de l'aérostat, trois fois supérieure à celle de son semblable du
.aussi à première vue parait-elle constituer un type Von Zeppelin ».
«
'progrès sur les devanciers. Mais, remarquons-le, Ce n'est certes pas non plus sur une diminu-
elle est achetée au prix du poids d'une enveloppe tion du prix de revient des ballons dirigeables
.supplémentaire tendue sur un cadre métallique, que semble devoir porter le progrès qbi'en résumé
et il est bien improbable que les économies de on cherche vainement dans les expériences du
-lest réalisées par ce procédé équivaillent à cette nouvel aérostat. Celui-ci, en effet, n'a-t-il pas
surcharge. Ce progrès est donc en réalité illu- coûté près d'un million de francs, tandis qu'en
soire. Sans lui on dépenserait un peu plus de lest, s'adressant aux constructeurs de ses devanciers
mais comme on en emporterait un excédent en- on pourrait se procurer un ballon de même taille
-core supérieur, finalement il est plus avantageux que lui et au moins aussi digne du nom diri-
de ne point recourir au système. geable pour une somme six fois moindre.
L'aérostat Zeppelin assure sa stabilité dans le Enfin, certaines personnalités aérostatiques, et
-sens horizontal par le déplacement d'un poids de non des moins autorisées, définissent le ballon
100 kilog. Le procédé parait donner de bons vraiment dirigeable celui qui après un parcours
résultats, mais il exige l'intervention des aéro- aérien de quelques lieues effectué par ses pro-
nautes, lesquels ont déjà beaucoup à faire à bord pres forces est capable de revenir à son point de
d'un ballon dirigeable,puis il nécessite l'addition départ sans le secours d'aucune intervention
d'un poids mort de 100 kilog., qui serait bien extérieure.
mieux utilisé sous forme de lest ou de combus- A l'heure où s'écrivent ces lignes l'aérostat
tible pour les moteurs. Automatiquement et sans Zeppelin n'a point encore satisfait à cette défi-
adjonction d'aucun poids supplémentaire, le co- nition. Théoriquement il n'y a cependant rien
lonel Charles Renard, par le simple jeu de bal- d'impossible pour lui à y satisfaire, à la condi-
lonnets à air convenablement disposés et d'une tion toutefois de choisir son jour et son heure
Et en effet, quelque faible que soit la vitesse geable de MM. Krebs et Renard, revenu, lui, plu-
propre d'un esquif aérien, du moment qu'il pos- sieurs fois à son point de départ, l'étroite pe-
sède une vitesse propre il est en,état de parcourir louse du parc de Chalais entourée d'arbres et
un itinéraire quelconque le jour où, dans une de constructions,obstacles à l'alterrissagequi, en
atmosphère idéalementcalme,ne soufflera aucune navigation aérienne dirigeable ou non, coristi-'
brise; un escargot serait bien capable d'effectuer tuent autant de récifs sur lesquels on se brise si
le tour de Paris en y mettant le temps, tandis on les touche.
qu'il lui,eût été totalement impossible d'exécuter LÉa DEX.
le tour de l'Exposition sur le trottoir roulant en
sens contraire du mouvement de ce trottoir. MATER1~11TÉ
Et soyez assuré que si, profitant d'un temps
exceptionnel tel qu'il ne s'en rencontre peut-être
pas de semblables dix fois par an, l'aérostat Zep- Elle est assise sur le banc
pelin parvient à rejoindre son point de départ Où viennent causer les aïeules
Vieilles âmes qui parlent seules
après une excursion de longueur appréciable, Avec un geste retombant.
ce sera toujours pour venir s'abattre en un lieu Elle a fait ses deux mains légères
d'atterrissage ultra-facile les eaux calmes du lac Pour endormir son enfant blond;
de Constance. Cet exploit, on l'ayouera, sera Mains frêles qui frôlent son front
D~ leurs caresses passagères.
bien moins concluant au point de ~-ue de l'excel-
Elle abaisse très doucement
lence de la dirigeabilité et de la solidité du Sa tête souriante et grave,
navire aérien que si, parti du chateau de Friede- La crainte de l'éveiller grave
richshafen, il revenaitatterrir sur les pelouses de Une ride à son front charmant.
m~ même chateau. Or il lui faudrait au moins Sa main nue et blanche se lève
atteindre à ce dernier résultat pour égalel' le Et met de t"ombre sur les yeux.
Oh! la mère au front soucieux
plus célèbre de ses devanciers, le ballon diri- Regardant son enfant qui rêve!
~$~
'les pieds, tandis que les tiges, assouplies par les puéril qu'ils inspirent aux enfants ou par le
eaux sales dans lesquelles elles ont marinées, dégoût irréfléchi dont les saluent les dames et
servent à la confection des chaussures de luxe et qui, je l'ai pu constater, sont dignes d'être rangés
n'est-ce'pas une destinée bizarre pour des mor- parmi les plus dignes, les plus courageux et les
plus honnêtes.
ceaux de cuir que de patauger dans l'ordure avec PIERRE CALMETTES.
un égoutier pour finir par parader ensuite dans
'les salons aux pieds d'un homme du monde
Tandis que, plus léger maintenant, je regagne
'le Paris d'en haut, on me montre en passant les Rien n'est doux comme le mouvement d'un cœur qui
chalftnds dans lesquels se déversent les boues se penche vers un autre cœur, pour lui dire un secret.
draguées dans les différents canaux. Pendant Quand on veut faire grand, c'est une faute de vouloir
leurs moments de repos, les ouvriers s'amusent faire vite.
L'attention du nouveau gouverneur général de vera sur la terre d'AIg-érie au milieu des siens. La
l'Algérie, M. Jonnart, vient d'être attirée sur la déportation des Arabes a, en effet, une durée
situation lamentable d'un certain nombre d'Ara- indéterminée, et son échéance ne repose que sur
bes, arrachés à leurs foyers et déportés sans ju- le bon plaisir.
gement, par simple mesure disciplinaire. Il en est qui sont internés depuis plus de
Vingt-deux de ces malheureux sont acluelle- quinze ans déja, ignorant toujours les véritables
ment à Calvi, en Corse. Il a suffi pour les y en- causes de leur exil et attendant avec la résigna-
voyer de la plainte d'un cheik ou d'un Arabe in- tion que donne le fatalisme musulman l'heure
fluent, à l'administrateur de leur commune. La d'une délivrance régulièrement sollicitée, tou-
dénonciation a souvent pour mobile une rancune jours espérée, et qui n'arrive pas.
locale, une haine de famille, une cupidité non Ces internés arabes, j'ai pu les voir et m'entre-
satisfaite mais qu'importe on ne se donne même tenir avec eux lors d'un récent voyage en Corse.
l'ac- Je veux dire ici l'impression très vive que j'ai
pas la peine de le savoir. Sans interroger
cusé, sans le mettre à même de se disculper; gardée de cette visite, souhaitant de laisser au
coeur de ceux qui me liront un peu de
la pitié
l'administrateur adresse un rapport au couver-
profonde qu'ont su m'inspirer la plupart de ces
neur et celui-ci, de la meilleure foi du monde, le
contresigne dans le flot des paperasses. Un beau malheureux.
jour, l'Arabe frappé de déportation sans le sa- C'est sur une hauteur dominant, au Sud, la
voir est saisi et embarqué pour Calvi. Lorsqu'il y vieille ville fièrement campée sur son rocher à la
est, nul ne peut prédire le jour où il se retrou- pointe ouest du golfe de Calvi, et la ville basse
léchée par la.mer, qu'est situé le fort Mozzello où d'une effroyable maigreur, un vieil Arabe dort. II
sont internés les Arabes. On y parvient par un y a dix-huit ans qu'il a été amené à Calvi, dix-
sentier rapide, traversant des terrains incultes et huit ans pendant lesquels il a fait monter vers
d'un aspect désolé qui contrastent avec la végé- Allah d'inutiles prières. Ses yeux, sans doute, se
tation active de la vallée située au sud-est de fermeront bientôt pour toujours sans avoir revu
Calvi et arrosée par la Ficarella, la Barbasca et l'Algérie, et sa dépouille reposera dans le coin de
le Fiume S~cco. En face du fort et lui servant d'an- terre infidèle réservé aux internés, près du petit
nexe se trouve une construction assez récente, cimetière voisin. La cause de son exil? Il avait,.
dont la partie supérieure est aménagée en pigeon- m'a-t-on dit, des ennemis dans sa commune.
nier militaire et dont le rez-de-chaussée et le Entrons. Les internés sont répartis en trois-
sous-sol, qui prend jour par de hautes meurtriè- pièces, suivant leur catégorie et leur situation.
res grillées sur le fossé entourant le bâtiment, sociale. Cinq ou six d'entre eux, qui appartiennent
sont plus spécialement réservés aux Arabes. à de grandes familles, occupent la partie gauche
Les internés y jouissent d'une liberté relati- du bâtiment. Accroupis sur le plancher, en rond,
ve. Ils ne ils jouentt
sont as- auxcartes et
treints à au- ne prêtent
cun travail aucune at-
déterminé, tention à
à aucune notre arri-
obligation vée. Les car-
particu- tes, pliées,
lière. A con- en deux
dition de ne dans le sens.
pas dépas- de la lon-
ser un rayon bueur, s'a-
déterminé battent dans
et d'être le silence
rentrés au sur une
fort à six pièce d'é-
heures du toffe placée
soir, ils peu- au centre
vènt s'oc- desjoueurs.
cuper à leur Des cailloux
fantaisie, servent de
descendre jetons. La
en ville et Vue de Calvi. scène est
se prome- pittoresque
ner aux environs. Chacun d'eux recoit une in- et je tente de la photographier; mais les joueurs
demnité quotidienne de t franc avec laquelle il se dressent, émus
doit pourvoir à sa nourriture et à son entretien. « Monsieur, me dit l'un d'eux, notre liberté
C'est assez dire leur misère. Deux ou trois des nous a été ravie, mais nous sommes encore les
internés, qui occupaient en Algérie des situations maîtres de nos visages. N'insistez donc pas. »
élevées, reçoivent bien de leurs familles des Je m'inclinai, l'assurant que je respectais son
subsides complémentaires, assez limités d'ail- infortune et celle de ses compagnons et que je ne
leurs, mais les autres n'ont même pas la res- ferais rien qui pftt leur déplaire. Il me remercia,
source d'augmenter cette indemnité en travail- la main tendue dans un geste plein de noblesse
lant, la population de Calvi, peu nombreuse et et, confiant, reprit sa place au milieu de ses com-
pauvre, ne pouvant leur en fournir les moyens. pagnons.
Cette misère, les internés la cachent soigneu- Dans la pièce voisine, plus petite, six ou sept
sement aux yeux de tous. Sobres pour la plu- lits de fer sont dressés. Sur l'un d'eux un Arabe
part, ils se nourrissent de rien, mettant tout leur est agenouillé,assis sur les talons, le buste droit,
orgueil dans leurs costumes et dans la blancheur le visage extasié, les mains tendues en avant,
de leurs burnous. Leur détresse n'apparaît que ouvertes comme pour une offrande. Devant lui
dans l'intimité de la prison. C'est là que j'ai pu la le Coran est ouvert; mais sans y jeter les yeux,
mesurer. il en récite les versets d'une voix forte, avec une
Lorsque je pénètre dans le bâtiment, dont la fatigante monotonie. Sur un autre lit un Arabe
porte s'ouvre sur une cour intérieure, un spec- est accroupi, mi-nu, achevant une broderie qui
tacle navrant s'oU're à moi tout d'abord. Étendu doit parer sa veste d'apparat. Ma femme, qui
sur les dalles du vestibule, recroquevillé sous un m'accompagne dans cette visite, lui adresse la
amas de loques sordides d'où émergent des bras parole et s'informe du motif de sa détention.
Allah le sait, répond-il; moi, je l'ignore! 1 nant à la communauté. Le sergent de garde ac-
Pas un mot de récrimination, pourtant, ne sort court au bruit et réussit à séparer les combattants.
mle ses lèvres. Il n'a pas de haine contre ceux qui Nous- remontons. Comme je tiens à rapporter
l'ont exilé, mais seulement une indicible tristesse de ma visite quelques clichés, je propose à un
au souvenir de sa femme et de ses enfants dont Arabe dont le costume délabré est plein de pit-
on l'a séparé, et qui, pour vivre, ont été obligés toresque de le photographier et de lui envoyer
de vendre le bétail qu'il possédait. Les reverra- quelques épreuves qu'il pourra faire parvenir à sa
.t-il jamais Allah seul le sait Et le malheureux, famille. Ma proposition lui sourit; mais il se refuse
résigné, reprend sa broderie. ~t poser dans le piteux état où il se trouve et veut
D'autres internés, indifférentsà notre présence, à toute force faire toilette. Je dois m'incliner.
se livrerit des occupationsdiverses. L'aspect de L'exemple est contagieux. Quelques autres
'tous ces hommes est misérable; de véritables déportés veulent aussi se faire photographier et
loques tpmbent de leurs épaules. Au milieu d'eux c'est à. qui courra aux chalits 'prendre ses plus
circule un individu au visage louche, vêtu à l'eu- beaux vêtements pour s'en revêtir. La toilette
ropéenne et coiffé d'un feutre. Celui-là aussi est de mes Arabes est extrêmement longue. L'un
un interné, et il suffit de le regarder pour avoir d'eux fait appel à trois de ses compagnons pour
l'impression qu'il n'a pas volé sa peine. C'est un l'arrangement méticuleux de sa coiffe et pour la
Algérien d'origine italienne, qui a trempé dans pose drapée de son burnous. Un autre, Ahmed
plusieurs mauvais coups et passe pour très dan- ben Messaoud, qui tout à l'heure était drapé
gereux. Il a toutes les allures d'un souteneur dans un misérable manteau, apparaît, élégant.
vulgail'e et doit en avoir l'âme. Son front porte, sous une veste de soie gr is-perle, coiffé de la
tatoué, un cmur traversé d'une flèche. haute checchia blanche, les pieds emprisonnés
Tous les internés, on s'en doute, ne méritent dans de fines boUes de cuir de Russie.
pas la compassion, et l'Italien dont je viens de La toilette terminée, une autre difficulté se
parler n'est pas le seul qu'on ait eu quelque rai- présente. Quelques-uns de mes Arabes se refu-
son de déporter. Il y a à Calvi plusieurs Arabes sent à poser en groupe et je dois me contenter
particulièrement mal notés et qui sont l'objet de de quatre d'entre eux auxquels vient se joindre
la réprobation de leurs compagnons d'exil. le souteneur italien. Les autres posent séparé-
Des cris furibonds partant du sous-sol nous ment. Quelques pièces blanches glissées pat' ma
attirent. Nous descendons rapidement l'escalier femme aux plus malheureux rompent définitive-
de pierre qui y conduit. Une fumée épaisse nous ment la glace entre nous et les internés.
empêche tout d'abord de distinguer la scène. L'un des principaux, Larbi ben Ali ben Dès, de
Cinq ou six Arabes dépenaillés vocifèrent autour la province de Constantine, nous remercie de la
d'un grand feu de bois sur lequel bout une mar- compassion que nous témoignons à ses com-
mite remplie de légumes, tandis que deux autres pagnons. Il reconnaît que quelques-uns des
étranglent il moitié, dans une lutte frénétique, un internés ont mérité leur peine mais on a été
de leurs compagnons qui, profitant de l'obscu- injuste et cruel pour les autres. lIme nomme
rité; a voulu s'approprier une pastèque apparte- notamment Abès' Amara, de la commune de la
Calle, Ahmed ben Messaoud, de la .commune de de. sa ceinture d'imposants remparts et s'avançant
Jemmapes, faussement soupçonné d'avoir pris hardiment dans la mer avec son escorte de récifs
part au meurtre du cheik dont il était le secré- c'est, sur la gauche, la pointe de Revellata avec
taire Adji Mohamed ben Anziane, Mohamed ben ses masses de granit rose sur la droite, le. golfe
Sassi, Bouteljar Saoul Bouteljar, le manchot baigné de lumière où semblent se poursuivre,
Monira et quelques autres. semblables à des mouettes, les barques des pê-
Larbi ben Ali ben Dès lui-même est interné cheurs. Le décor est d'une incomparable gran-
à Calvi depuis plusieurs années. Il s'explique deur mais, s'il émeut les touristes que nous
d'autant moins sa déportation qu'il passait à sommes, il laisse impassible les internés du fort
juste titre pour un serviteur fidèle de la France. Mazzello, dont les yeux, impressionnés par la fidé-
Il parle d'ailleurs sans aucune acrimonie, expri- lité du souvenir, ne reflètent qu'une image celle
mant la conviction que si la lumière était faite du coin de terre africaine d'où on les a bannis.
sur son cas et sur celui de ses camarades, le gou-
JULES CARD ANE.
vernement leur rendrait prompte justice.
Nous quittons ces malheureux après leur avoir Photographies de l'auteur.
donné un peu d'espérance et nous redescendons
lentement vers Calvi. Au-dessus de nos têtes, des
centaines de pigeons voyageurs mettentsurl'azur
Quand la conscience parle, il ne faut écouter qu'elle et
du ciel la note argentée de leurs ailes et manœu- la suivre; tant pis si le chemin par où elle vous mène n'est
vrent en masses compactes autour du pigeon- pas toujours sans épines et sans douleurs. V. DURUY.
nier militaire qui abrite les internés. ateliers, ce sont ceux qui trouvent l'outil
Le fléau des
Devant nous, c'est Calvi l'héroïque, émergeant lourd et le verre léger. A. DAUDET.
.LA M~RE
NOUVELLE
On sonnait. Elle vint ouvrir. son enfant, et elle fut à la fois blessée dans son
Mais la porte attirée, elle eut une surprise, orgueil et dans son amour maternel quand le
reconnaissant son fils. jeune homme, marié, quitta la maison. Pourtant
C'est toi dit-elle, depuis si longtemps elle ne récrimina pas, sa douleur fut silencieuse
je croyais que tu ne viendrais plus. elle accepta la séparation avec un calme apparent
Il était grand, la lèvre ourlée d'une fine mous- que Georges prit pour de la résignation,mais qui,
tache, assez élégant dans son pardessus de demi- lorsqu'elle était seule, l'abandonnait,faisaitplace
saison, ses gants noirs, son chapeau de soie. à dés crises de larmes agitées et convulsives.
Elle ajouta D'abord, il ne manqua pas de la venir voir tous
Entre. les dimanches, puis ses visites s'espacèrent, se
Le chapeau à la main, il la suivit. Et comme firent rares, de plus en plus. Il l'oubliait. Et cette
dans une petite pièce triste qui servait de salon il mère:qui s'était condamnée à ce veuvage si triste
s'asseyait pour ne pas introduire un tiers dans leur inti-
Tu ne m'embrasses pas ? dit-elle avec re- mité, cette mère devenait pour lui comme une
proche. défunte dont on néglige peu à peu la tombe jus-
Mais si, fit-il en se levant. qu'au jour où l'on n'y retourne plus.
Et bruyamment, il l'embrassa sur les deux joues. Cependant elle rompit le silence pour dire avec
S'étant rassis ils restèrent silencieux, un peu sollicitude
gênés, ayant beaucoup de choses à se dire et ne Tu es un peu pâlot. La dernière fois tu sem-
trouvant pas les paroles du début. Entre eux, il blais plus gaillard. Tu n'es pas malade au moins?
y avait quelque chose de pénible: une dissidence Mais non, je me porte à merveille, au con-
les séparait dont la vieille mère surtout souffrait. traire.
A vingt-cinq ans, Georges s'était épris d'une Et pour montrer son entière aisance d'esprit et
femme plus âgée que lui qu'il avait épousée. de corps, il énuméra ses occupations, ses courses,
Rien n'avait pu le dissuader, ni l'affection de sa donna des nouvelles de son bureau où il venait
mère, ni la pensée de son chagrin et de ses d'obtenir un léger avancement.
larmes. « Tu viendras habiter avec nous, avait-il On est toujours content de toi, je pense?
dit; tu verras, vous vous accorderez très bien. » demanda-t-elle.
Mais elle avait décliné cette proposition, car, Naturellement, puisqu'on m'a augmenté.
dans son cœur douloureux, elle ne pardonnait Maintenant, lancé, il parla beaucoup, du temps
pas, au fond, à cette femme, q.'ètre préférée de qu'il taisait, des événements du jour, se mon-
trant tel qu'il était, enjoué, resté un peu gamin seuls, affligés, mutilés, n'ayant plus d'enfants.'
et pas méchant peut-être, mais très faible, ayant Longtemps elle resta ainsi les larmes sur ses
)~esoin d'être conduit, dirigé, très léger de cœur joues séchèrent. Le jour baissait, l'air devenait
d'ailleurs et incapable d'un fort et durable atta- plus frais. Ayant fermé la fenêtre, ses yeux virent
chement. sur un petit meuble le vieil album des portraits
Tu vas te rafraîchir. de famille elle le prit d'une main maigre qui
Elle s'était levée, posa sur la table deux verres tremblait, en tourna les pages. Oh chères figures
qu'elle remplit de bière fraîche. Ils burent. On Ici, son père, un large chapeau mou à la main,
les eût dit à les voir, étrangers l'un à l'autre, qui souriait dans sa moustache négligée de tra-
n'ayant aucune familiarité qu'une mère et son vailleur une antique redingote serrait sa taille
fils ont ensemble, cette caresse dans la voix, ce il semblait embarrassé de ses mains, dont l'une
je ne sais quoi dans l'attitude, cette nuance infor- se posait sur le dossier d'une chaise. Là, sa mère,
mulable d'affectueux intérêts qui décèle l'étroite une villageoise timide, en bonnet, qui tenait un
parenté. livre de messe. Plus loin, c'était elle-même, jeune
La pendule sonna six heures. Il se leva. fille élancée, dans une robe de percale, une
Tu ne restes pas dîner? demanda-t-elle. chaîne d'or au cou. Puis, son mari, un pâle,
Il allait répondre c( Nous allons au théâtre-ce sourire sur une figure souffreteuse, déjà miné par
soir. » Il se retint, comprenant que de parler de le mal qui devait à quarante ans l'emporter. Et
l'autre cela lui ferait de la peine. Il dit seulement ce bébé de trois ans, sur ce cheval à mécanique,
Ce sera pour une autre fois. Aujourd'hui je regardant avec attention l'endroit d'où on lui
dois rentrer de bonne heure. avait dit qu'allait s'envoler un petit oiseau, ce
Alors elle n'insista pas. Et, le conduisant bébé à boucles de soie, en costume d'Écossais,
Tu devrais bien aller au cimetière. Diman- dont les traits rappelaient ceux de la figure pré-
che·dernier, si tu savais en quel misérable état cédente, c'ét!lit Georges, son fils. Un attendrisse-
j'ai trouvé sa tombe. Pauvre père tu l'oublies. ment la prit; elle le revoyait à cet âge, atteint par la
Il l'embrassa, de nouveau gêné, sans répondre. fièvre typhoïde. Que de soins elle avait eus pour
Et comme déjà il descendait, elle eut une dou- lui, que de nuits passés à le veiller, que de pleurs
leur très vive, la sensation navrée de son égoïsme versés; puis la joie de le sauver Comme ces
à lui, de sa solitude à elle. Elle le rappela choses s'oubliaient Comme le temps fuyait
Georges! Plus tard, devenu grand, il ne disait plus
Quoi ? « Baisse-toi, maman, que je t'embrasse; » c'était
Rien, dit-elle, se reprenant, ne voulant pas lui maintenant qui se baissait. Et puis, il s'en
s'humilier devant lui. allait, il la quittait, l'ingrat! l'ingrat! Elle re-
Mais la porte refermée elle écouta. Sans doute poussa l'album sa main tremblait plus fort; elle
il allait remonter. Il avait dû comprendre qu'elle trouva le sort injuste, la vie pesante, et elle
avait quelque chose à lui dire, qu'elle était à bout sentit un frisson glacé courir le long de son dos.
de forces, à bout d'énergie, prête à tout plutôt Elle avait dû prendre froid à la fenêtre. Elle pensa
que de rester encore seule, seule et triste à en à la mort. N'était-ce pas une délivrance? Sans
mourir. Non, il n'avait rien compris, il continuait but, sans espoir, elles étaient inutiles les quel-
de descendre détaché d'elle déjà, sans attendris- ques années qui lui restaient à vivre. La nuit était
sement, et tout à ses pensées frivoles sans doute. venue; elle jeta un regard désespéré aux murs,
Allons il n'y avait pas de miséricordes pour les aux choses noyées d'ombre. Mon Dieu! qu'elle
vieilles gens leurs enfants les quittaient, tout lui parut triste, cette pièce! La pendule sous
s'écartait d'eux joies, affections, bonheur La globe était la même qui, de tout temps, avait
vie avait ses implacables cruautés; quand on marqué les heures de son existence droite et
devenait gênant, elle vous le faisait impitoyable- régulière. Un ouvrage de tapisserie pendait au
ment sentir. dossier d'une chaise, jeté là quand Georges
Elle se mit à la fenêtre. Des larmes lui empli- avait sonné. Elle se représenta son fils joyeux
rent les yeux, en voyant .son fils s'éloigner rapi- avec cette femme qui n'était même pas jeune ni
dement sans détourner la tête. Dans ces larmes, jolie. Par quel abominable sortilège dérobait-
il se noya, dansa, se confondit, disparut. Et elle elle son fils à cette mère? Sur la cheminée,.une
resta là, penchée sur la rue dont l'aspect endi- blanche statuette de la Vierge tenait dans ses
manché, les boutiques closes, les rares passants, bras l'enfant Jésus. Elle avait ce doux sourire
faisaient un cadre à son isolement, à son abandon. que seules de naïves mains d'ouvriers savent
Mais des petites filles à tablier blanc, très pro- donner aux figures saintes. Le regard de la mère
pres, vinrent jouer, cheveux au vent avec des se posa sur cette statuette, sur la blanche robe
gamins pareils à de petits hommes dans leurs de cette mère de toutes les mères. Alors, comme
habits de fête. Eux aussi quitteraient leurs elle était chrétienne, elle ne sentit plus le poids
parents plus tard, les filles pour leurs maris de la vie et la tristesse de la solitude. Elle inclina
peut-être les garçons pour leurs femmes le front et s'agenouilla pour prier.
comme son fils et les pauvres vieux resteraient LOUIS DE ROBERT.
La Quinzaine sonnes inscrites à l'annuaire-du Tout-Paris nous ont
présenté comme n'ayant ja-ja-jama:Ís- exposé, M. Cha-
maillard a réuni une vingtaine de toiles qu'il a rap-
portées d'un long séjour à Pont-Aven, ce joli coin de
LETTRES ET ARTS
L'année f901 s'ouvre par une telle quantité de
pays breton où il a maintenant autant de parasols
de peintres que de champignons au pied des arbres.
petites expositions qu'on n'en vit jamais tant, et On nous a dit aussi que M. Chamaillard composait ses
tant à la fois. Il n'est presque plus un artiste qui ne tableaux en dehors de toute préoccupation acadé-
s'offre le luxe, jadis réservé aux maltres et aux refu- mique, tels qu'il lesavait « sentis ». C'est une louable
sés tapageurs du Salon, de soumettre au public un intention, quoique pas neuve. Le fait est que ces
choix de toiles brossées par lui depuis six mois et toiles ressemblaient à toutes les études faites à
présentées seules ou tout au plus en compagnie d'une Pont-Aven, avec un peu d'inexpérience mais non sans
centaine d'autres, afin d'éviter trop de concurrence. force de vision. On avait eu tort d'y joindre des
La mode en a gagné même l'étranger qui vient s'in- morceaux de bois que M. Chamaillard taille avec son
staller chez nous, chez nos grands marchands etdans couteau, en se promenant, comme tout le monde, et
nos galeries des boulevards et environs. même des bahuts qu'il ornemente de la même façon.
Les artistes qui exposent ainsi perdent à peu près Nous voulons bien admirer, aux petites expositions,
leur temps et leur argent s'ils ne réussissent à inté- et l'écrire ensuite, mais pas tant que cela.
resser à leur affaire quelques journalistes qui en Chez Durand-Ruel (c'est rue Laffitte encore, ne
diront n'importe quoi, bien ou mal, mais qui s'en vous y trompez pas), on voyait des peintures toutes
inquiéteront. Comment le public pourrait-il courir grises et toutes noires d'un Anglais, M. Sickert, qui
de la galerie Durand-Ruel à la galerie Georges Petit est élève de Whistler, mais qui a encore beaucoup à
ou à la galerie Vollard ou dans les cercles, coup sur en apprendre; puis une série, très lumineuse celle-là,
coup ou presque à la même époquet Les désæu- de Claude Monet. Treize toiles nouvelles, dont dix
Hés, les gens du monde ne forment pas une clien- consacrées à reproduire les effets d'un bassin encom-
tèle si sincèrement éprise d'art et si connaisseuse, bré de nénuphars, de plantes vertes, etc. Cet essai de
qu'elle se dirige, d'instinct, avec passion, vers toutes peinture instantanée,rendu très curieux par l'origina-
les séries de toiles qui sont livrées à son examen. Le lité de la vue, chez Monet, n'avait pas encore été fait
reste de Paris travaille. Il faut donc compter unique- aussi complètement. Nous lui préférons les fameuses
ment, comme profit à tirer de ces entreprises, sur la Cathédrales, mais c'était « à voir ».
réclame de la presse, qui en quelques lignes fonde Passons maintenant au cercle Volney quelques
ou parfait une réputation. Et c'est en cela que le peintres, et un sculpteur M. Sicard. Un des peintres
nOll.veau genre d'exposition est un peu désobligeant a tout accaparé, M. Jean Veber, pour lequel semblait
pour les artistes, obligés de soUiciter, de faire des faite l'exposition entière, avec ses toiles, ses dessins
démarches, de chercher un cousin ou un ami dont si fantaisistes, avec, dans une autre note, un
l'oncle « écrit dans les journaux)J. On s'y résigne très mignon portrait de femme. Il est inutile d'insister sur
facilement maintenant; nous n'en gémirons pas les souvenirs d'Abyssinie, et M. Paul Buffet, quelques
trop sévèrement, mais les vieux de la vieille n'ai- intéressants qu'ils soient; c'en est beaucoup l'artiste
ment pas cela et beaucoup d'entre eux auraient vaut mieux. Et nous nommerons seulement MM. Eu-
résisté ou résistent énergiquement à la tentation gène Cadel, Léon Dambèza, Dewambez, Henri Gui-
d'avoir « leur galerie
listes ».
et d'enjôler « leurs journa- nier, F. Lauth, Souchet.
Hâtons-nous: arrivons chez Georges Petit (c'est rue
Aussi bien, ces expositions sont essentiellement de Sèze). Deux sociétés. D'abord la Société Internatio-
fugitives elles ne durent qu'une dizaine, une quin- nale des Beaux-Arts qui existe depuis 15 ans. Rien de
zaine de jours, et à l'heure où nous écrivons, la plu- parliculier, si ce n'est la surprise d'une collection de
part ont disparu, sans doute, ont cédé la place à dessins de Frémiet qui a aussi exécuté un gentil por-
d'autres. Mais elles ont, en soi, si peu de véritable trait de fillette. Pour le surplus, une toile de Mlle De-
importance, qu'il suffit à un Parisien, qui veut con- lasalle (Géon XIII bénis8ant les pélerz~is); des envois de
naître un peu de tout et en deviser, d'avoir rapide- MM. Boucher, Saint-Germier, M. Bompard, A. Gos-
ment la mention de ceci et de cela qu'elles conte- selin, Réalier-Dumas, Carrié-Belleuze, Grimelund,
naient. La conversation, à diner et au fumoir, Laurent-Desrousseaux.Chacun s'est fait une « spécia-
s'alimente très bien, de cette façon, à peu de frais, lité », la tient bien et ne s'en écarte pas.
et sans déplacement. Par laquelle commencer? Voici ensuite une société qui se crée, cette année,
Prenons au hasard voici à la galerie Vollard (rue la Société moderne des Beaux-Arts. Pourquoi? Pour
Laffitte). qui? Pour des artistes que nous connaissons' dans
A ce propos, un petit conseil, toujours à l'usage des d'autres « groupements » MM. Osterlind, L Détray,
gens qui causent d'art sans se donner beaucoup de Besson, Milcendeau, Victor Prouvé, etc. Cependant
peine il leur est indispensable de se mettre
en tête un nouveau nom surgit, celui de 1\1: Houbron qui
la topographie de ce carré de Paris qui va de la peint d'une façon très curieuse, sèchement mais for-
Trinité à la rue du 4-Septembre d'une part, de la rue tement, des paysages parisiens (Sacré-Cceu~·, Saint-
de Richelieu à la Madeleine, d'autre part. C'est là Eustache). M. Houbron a une perso~arialité, ce qui n'est
qu'est centralisé le mouvement artistique parisien,
pas la même chose qu'une spécialité. Bénie soit, après
dans dix boutiques décorées du nom de salon~aets, tout, la Société inattendue qui nous l'a révélé.
~~aleries, etc., qu'il ne faut pas confondre et dont on
doit pouvoir indiquer J'emplacement il la première PAUL BLUYSEN.
question posée. Donc Vollard, c'est rue Laffitte. Là,
au peintre que des prospectus Il;panJus chez les j~er-
;LA GUERRE hardiesse incomparable que la petite armée boer,
ayant à sa tête le pré!¡ident Steinj, aborda le, ,col de
Springhaan sous les -feux croisés de 'l'artillerie" des
AU. TRANSVAAL
postes anglais. De Wet commandait l'arrière-garde
Le vieux; maréchal Roberts. fatigué on le serait de cette héroïque phalange, aujourd'hui en sflreté
à moins par douze mois d'une campagne des plus grâce à l'audace et à l'habileté manœuvrière de son
dures, vient prendre .'les quartiers d'hiver en Angle- chef.
terre et passe la main à lord Kitchener qui, poursuivi Quant à Knox, il revint honteut comme un renard
par une « guigne noire », débute par une série qu'une poule aurait pris, et De Wet attend tranquil.
d'échecs lamentables. jement dans la région de Ladybrand foccasion de
Les Anglais. aiment à répéter que la guerre est vir- jouer à ses adversaires un nouveau tour de sa façon.
tueliement terminée. C'est entendu. Mais voyons un Passons maintenant au Transvaal où nous avons à
peu lasituation..
A l'h~ure où nous écrivons ces lignes, les
enregistrer une brillante victoire de Delarey sur le
général Cléments,à Nooitgedacht, sur le MagaIiesberg,
200'000 hommes de lord Kitchener sont tout juste à l'ouest de Prétoria.
maîtres de la voie ferrée de Bloemfontein il..Prétoria A la têtede20000u 3 000 hommes, le brave Delarey a
et celle du Cap à Mafeking par Kimberley. Ils occu- !>imultanément attaqué le camp du général Cléments
pent également certains points de la ligne de Prétoria et une forte position occupée par quatre compagnies
à Lourenço Marquez par Komati-Poort, mais les trains de Northumberland. Après une lutte acharnée, Clé-
circulent dans ces parages avec à peu près autant de ments est forcé de battre en retraite, laissant sur le
sécurité qu'il y en aurait à minuit, dans la forêt de .terrain ou entre les mains des Boers 600 hommes
Bondy, pour un voyageur isolé 1 envivon et une énorme quantité de matériel. Des reu-
Par contre, les commandos semblent sortir de forts sont expédiés en hâte au m31heureux Cléments,
terre dans l'État libre d'Orange ;au Transvaal, Botha mais ils arrivent comme les carabiniers d'Offenbach!
vient de s'établir à Nelspruit, à cheval sur la voie Est-ce tout? Non, Le généralissime Botha, qui con-
ferrée d'où il menace Prétoria et la colonie du Natal. duit toute cette campagne avec une maëstria qni fait
Delarey et Viljoen opèrent avec succès, on va le voir l'admiration de tous les militaires, groupe toute une
tout à l'heure, à l'ouest de Prétoria. Au sud-est de petite armée dans les environs de Nelspruit, au sud
l'Étatd'Orange, le merveilleux De Wet vient de jouer du district de Lydenburg et, le moment venu, les An-
un tour de sa façon au général Knox, qui revient glais savent bien qu'ils auront de ce côté-là pas mal
bredouille une fois de plus. Enfin, divers commandos, de fil à retordre,
dont on évalue les forces à 2000 hommes, ont auda- Aussi lord Kitehener réclame d'urgence 40 000 hom-
cieusement franchi l'Orange et pénétré dans la co- mes de renforts qu'on ne sait où trouver en Angle-
lonie même du Cap, menaçant Colesberg, Philipstown terre. Le 6 janvier, 5 000 ou 6000 hommes doivents'em-
et la ligne du Cap à Kimberley. barquer pour l'Afrique du Sud, mais il se passera
Passons rapidement en revue la série de combats sans .doute des événements intéressants avant leur
qui ont amené la situation actuelle, si dangereuse débarquement.
pour les Anglais. L'opinionpublique,à Londres, est naturellementtrès
Au moment même où le vieux président Kruger déconcertée. Elle croyait la guerre finie et tout semble
débarquait en France, De Wet était aux prises, dans à recommencer. Les plus clairvoyants redoutent à bon
le sud-est de l'Orange, avec les troupes du général droit la suite des opérations et se demandent avec la
Knox. Le vaillant général orangiste descendait de la plus vive inquiétude ce que vont faire les Afrikanders
région au nord-est de Kronstadt et semblait avoir du Cap.
formé l'audacieux projet de franchir l'Orange et de'
pousser un raid dans la colonie du Cap. Le général EN CHINE
Knox, avec toutes les troupes qu'il peut réunir, se
lance aussitôt à la poursuite. Il était écrit que l'imbroglio chinois ne se dénoue-
Après une série de combats, la situation de De Wet, rait qu'au vingtième siècle. Encore, messieurs les
enfermé dans le triangle formé par le Caledon, diplomates n'en sont-ils pas bien sûrs! Il parait cepen-
l'Orange et la frontière de Basutoland, semblait assez dant que l'Empereur de Chine agrée les dix conditions
critique. Les dépêches anglaises chantaient déjà vic- suivantes proposées par les puissances
toire, mais par une manœuvre des plus hardies, tandis 1° Versement d'une indemnité de 700 millions de
que Knox perdait son temps à, la.poursuite'd'un taëls, payable en 60 annuités et garantie par le likin;
convoi, De Wet d~le son aile droi te et franchit le 2° Érection d'un monument à Pékin à la mémoire
Caledon, se diri"g84ht vers le Nord. Knox repart de du baron de Ketteler
plus belle à la poursuite de l' « insaisissable », tandis 3° Visite à Berlin d'un prince chinois, procheparent
que, profitant de la fausse manœuvre des Anglais ha- de l'Empereur;
bilement amenée par la tactique supérieure de De 4° Occupation par les troupes étrangères des lignes
Wet, deux commandos forts respectivement de 700 à de communication de Ta1>.o¡). à Pékin;
800 hommes franchissent tranquillement l'Orange et 5° Punition des fonctionnaires boxers;
pénètrent dans la colonie du Cap où nous entendrons 6° Refus d'admission pendant cinq années, aux exa-
sans doute parler d'eux. mens chinois de Pékin, des candidats établis dans les
De Wet avait été poursuivi dans sa retraite par villes où les étrangers ont subi de mauvais traite-
qnatre colonnes anglaises; une cinquième colonne ments
était tenue en réserve, et une sixième l'attendait le 7° Abolition duTsong-li-Yamen:
long de la ligne de postes fortifiés s'étendant de Ta- 8° Autorisation pour les ministres d'approcher
bauchu à Ladybrand. C'est par une manœuvre d'une l'Empereur en tout temps
9° Interd,i~ot·on d~ !'imporf4t~ond~8 armes et des le ,théâtre; La comédie « roase peu à peu s'affu~a,
munitions; devint_moins cJ1]eU~ elle n'-eo produ.isit Pfll:ll1Joins
40~ Destruction :des.,forts intérieurs. et ·maritimes toute une é.cIO$ipn de jeunes talents, Maurice' Donnay,
entreChao?H~ï-~ouan, Takou-et Pékin. Brieux, Francois de Curel, Abel Hermant, Jean 'dullien,
En attendant des renseignements plus précis, car il pour ne citer que ces noms-là. cependant que par
est parfaitementinutile de nous faire l'écho des ~nille une réaction ,facile à expliquer. un grand poète, Ed-
chinoiseries qui émanent anssi bien des chancelleries mond Rostand, triomphait avec la claironnante
européepnes que de celle du..Céleste Empire; nous épopée1
nous contenterons de constater que la voie ferrée de Voici où nous en sommes aux débuts dn xxe:siècle.
Tien-Tsiq à Pékin vient d'être complètemer~t.réparée Le public blasé ne se contente plus d'œuvres« de
et qu'elle est anjour4:'hui solidement occupée par les métier Il il lui faut en quelque sorte des tranches de
troupes alliées. Des {20 kilomètres de ce chemin de vie, de sa vie à lui de tous les jours et s'il com-
fer, 90 kilomètres sont soumis à la, surveillance des mençe à reculer devant l'âpreté de certains sujets, il
Allemand et 30 à celle des Russes. n'estime pas moins les seules études des sentiments
Dison~, en terminant,. que l'état sanitaire de notre qu'il conçoit en un mot, il aime à se voir repré-
petit corps expéditionnaire est très satisfaisant, senté vivant sur la scène.
malgré l'hiver rigoureux, et atte~dons patiemment Pour les ouvrages historiques, il lui faut, la recon-
les événements. stitution aussi exacte que possible d'une époque, jus-
HENRI MAZEREAU. que dans ses bibelots et ses mille riens; comme il lui
faut, dans les pièces modernes, la mise en scène soi-
gnée, des décors plantés avec originalité, na jeu plus
fJ.1HÉATJ.1;&E vivant, moins conventionnel des acteurs,
Et tandis que certains théâtres semblent se buttèr
dans les errements d'autrefois, d'admirables met-
LA VIE DRA~ATIQU~ teurs en scène ont surgi comme par enchantement,
apportant avec eux des procédés nouveaux et véri-
1" janvier 1901. tablement merveilleux. Il est vrai que ceux-ci sont
En prenant pour la première fois la plume dans le aidés en grande partie par les progrès incessants de
diagasin Pittoresque,. qui commence aujourd~hui son la machinerie. t'électricité principalement, cette
soixante-neuvième printemps, à l'aurore de cette grande fée, a permis d'obtenir une lumière plus
nouvelle année. qui est également l'aurore d'un siècle douce, plus tamisée, quand elle n'aide pas l'action
nouveau,je désire, avant d'entamer mapremière chro- par ses effets « de'noir >l, si à la mode dans les situa-
nique, donner à mes nouveaux lecteurs quelques tions tragiques. Les décorateurs, les costumiers se.
aperçus personnels, sur l'évolution dramatique en sont mis à l'unisson. Nous n'en sommes plus aux
train de s'effectuer, sur les progrès réalisés, sur les chandelles de nos pères, et le gaz nous apparaît
tendances nouvelles de l'École contemporaine. déjà comme une veilleuse enfumée.
Nous ne sommes plus l'époque de la furieuse Qo-el sera fart dramatique de demain? Nous
lutte entre classiques et romantiques; les temps ont croyons que le cycle entamé suivra son évolution né-
changé depuis la « bataille d'Hernani où Théophile cessaire, que le goût du public ira toujours s'accen-
Gautier inaugurait son fameux gilet rouge; les lions tuant vers la recherche de la vérité. Je l'écrivais
d'a~ors ont cédé la place aux esthètes fln de siècle, déjà il y a qllelqnes années dans la préface d'un vo~
partisans d'Ibsen et de Mœterlink qui faisaient la IllDle le Thédtre injoua8le, que je faisais paraître en
joie de feu le théàtre de Lugné Poë. librairie.
La poussée romantique, rugissante et désordonnée, L'évolution dramatique commencée n'a pas dit
i~
qui, sous la monarchiede Juillet et jusqu'en 1848 avec son dernier mot le public désabusé commence à
les drames échevelés, au style emphatique, s'était comprendre ces tentatives de réalité, ces tranches
emparée de la scène française, avait fait place dès de vie que les auteurs nouveaux s'efforcent de lui
les premières années du second Empire à nn roman- mettre sous les yeux en dépit des antiques conven-
tisme plus édulcoré, plus familial. Ce fut ainsi que tions et des vieilles règles.
naquit la comédie de moeurs, qui eut si grande vogue Le Pr~ince d'Aurec et Amdnts anraient été injouables
à., cette époque je ne parle que pour mémoire il y a quelque vingt ans. Le public, le vrai public, se
du vaudeville mêlé de couplets, lequel dégénéra lasse enfin des redondances et des ficelles de'l'an-
bientôt en opérette, ce genre de spectacle se ratta- cienne école lui aussi désire du nouveau l'opinion
chant plus à la musique qu'à. l'art dramatique. se modifie, s'affine pour ainsi dire, et si nous n'as-
Cependant peu à peu disparaissait le drame histo- sistons plus aux grandes batailles du romantisme,
rique, ou plutôt celui-ci évoluait en une étude plus nous nous plaisons quand même à constater
une ré-
vraie, plus serrée de l'histoire. De m8~ne la comédie volution plus lente, mais non moins silre.
»
dramatique peu à peu s'écartait prus de la fiction, se Et maintenant, au rideau!
rapprochaitde la réalité, souvent avec ses plaies et Cette fin d'année a été fertile en tentatives, dont
ses hideurs. quelques-unes .offrent un véritable intérêt. On jurerait
Et c'est ici qu'il faut signaler la portée véritable que les directeurs parisiens, fatigués par les reprises
qu'eût sur toute notre génération la tentative du intéressées de l'Exposition, ont tenu à renouveler
en
théâtre libre, l'oeuvre d'Antoine, comme on l'appelle, même temps leurs affiches, faisant assaut'de bonne
qui devait bouleverser non seulement les vieilles va`lonté. La saison se présente donc
sous
on aspect
ficelles démodées de l'ancien répertoire, mais créer favorable avec les dernières nouveautés,'et les
pro-
en même temps une mise en scène plus compliquée, messes encore il'réalisées..
l'image de la vie eu quelque sorte transportée sur C'est ainsi que le Gymnase a donné une délicieuse'
comédie de Capus, intitulée modestement la Bourse dans la comédie, gaie, la farce d'observation qui -ca-
ou la Vie. Il s'agit d'un ménage « bien parisien »; ruiné ractérise si bien le fils de l'auteur des Tribunaux co-
par les exigences d'argent de la femme, qui, cherchant miques. Ici l'on dirait une a correctionnelle de
à se sauver, tombe entre les mains d'un financier très Jules Moinaux Iprise sur le vif, avec une teinte de
fin de'siècle (pardon, très commencement de siècle). modernisme. C'est le trottoir roulant de l'Exposition
Celui-ci, bien entendu, ruine les gogos. Arrestation qui fait les frais de la poursuite pour laquelle un
du mari par un commissaire de police, toujours très malheureux habitant de l'avenue de la Motte-Picquet
commencement de siècle, transfert du prévenu à la se voit traîné devant la justice de son pays, ce loca-
Douillette, une prison des plus modernes, où tout finit taire endurci ayant fait voir « l'autre côté de son in-
par s'arranger à la grande joie des spectateurs. Cette dividu » aux treize mille personnes qui passaient
donnée est bien quelque peu banale, mais ce que l'on devant ses fenêtres. Alors commence une extraordi-
goûte surtout dans les comédiesde Capus, et celle-ci naire défense succédant à d'extraordinaires débats,
est de ses meilleures,- c'est la fusée pétillantede ses et se terminant par un extraordinairejugement.
mots à l'emporte-pièce, toute la sarabande joyeuse de La cause est grasse, mais c'est la bonne gauloi-
son esprit et ceci ne se raconte pas.Aj outez que l'œuvre serie française, avec cette verve endiablée, quelque
est merveilleusement jouée par Galipaux, le financier peu frondeuse dans sa philosophie, qui est l'âme
viveur; par Dubosc, le mari malmené par une gentille même du talent de Courteline. Voici un nouveau
débutante au nez retroussé, Mlle Rolly; surtout par Bourbouroche sur les planches, qui déridera ses con-
Mli. Ryter, une gracieuse ingénue dont lejeu plein de temporains pendant des milliers de représentations.
charme a été très remarqué dans des rôles précé- A l'Odéon, autre éclat de rire, mais celui-ci en trois
dents, et qui est tout bonnement en train de faire actes. Château historique, la comédie de MM. Bisson et
son chemin. Gémier, qui a une scène charmante, Bèrr de Turique a réussi au delà de toute expression.
m'a moins plus que d'habitude; est-ce parce que, C'est du Bisson de « derrière les fagots », s'il m'est
représentant un homme du monde, il manque vérita- permis de m'exprimer ainsi. Voici donc comment
blement de distinction. Mais je n'insiste pas; car il dans uh château, demeure authentique de Jean-Jacques
est entendu que Gémier ne peut se tromper, et je dois Rousseau, habité depuis par un jeune romancier-
être seul de mon avis. poète à la mode, tombé en dernier lieu entre les
C'estégalementunehistoire bien humaine que nous mains d'un marchand de boutons enrichi, comment
conte à l'Athénée M. Kystemaker. La Blessure, à l'en- la fille de ce marchand de boutons, une délicieuse
contre de la pièce de Capus, n'est pas gaie, loin de là;personne admirablement jolie, mariée à un jeune
c'est un drame sombre, oppressant, à peine émaillé de savant, s'éprend de l'ombre du littérateur au point
quelques répliques parisiennes; c'est, en un mot, une d'en onblier son mari et même de fuir ses devoirs
de ces tranches de vie dont je parlais tout à l'heiire. conjugaux comment un ami du mari, retour d'Afri-
L'auteur n'est pas le premier venu sa nfar~the qui que, s'est donné pour mission de se faire passer pour
devait être jouée parSarah Bernhaidt, et qui a échoué le poète aimé, afin de dégoûter, par sa grossièreté et
au Nouveau-Théâtre,abîmée par une troupemédiocre, ses habitudes révoltantes, la jeune épouse vous
n'en fit pas moins un certain effet de terreur sur les conter enfin comment tout ceci se termine par un
spectateurs. Cette pièce inégale mais où se rencon- mariage ajoutez une vieille fille romanesque, égale-
traient de brillantes qualités, faisait bien augurer de ment amoureuse du grand homme et rapidement
l'avenir. Aujourd'hui, la Blessure, dans le même ordre désillusionnée. De cette donnée un peu compliquée
d'idées quasi décevant, a les mêmes défauts et les dans son extravagance est née une comédie d'obser-
mêmes qualités. Le défaut principal est l'obscurité, vation fine, ironique à souhait, tout à fait de bonne
une obscurité vague, quelque peu nébuleuse; la qua- compagnie, et amusante au possible. Il est vrai que
lité est celle d'un tempérament ultra-dramatique dans Henri Mayer qui joue le principal rôle est tout bon,
certaines scènes bien venues. En somme, la Blessure nement admirable, avec ses ahurissemunts voulus,
ses changements de ton et de manières, son émotion,
est l'éternelle histoire de l'adultère, avec cette pointe
de piment un Don Juan moderne, un Don Juan, avocat enfin, d'un naturel si parfait. Voici une création qui
de talent, habillé comme vous et moi, un Don Juan fait à l'excellent artiste le plus grand honneur et qui
marié, retrouvant une de ses anciennes victimes les augure bien de son avenir à la Comédie-Française.
deux amants se reprenant dans la griserie d'une nuit A côté de lui, Mlle Sorel, rajeunie, plus jolie encore
bretonne; la femme légitime surprenant le couple qu'autrefois, lui donne adorablement la réplique. Le
enlacé, mourant de cette « blessure », en maudissant reste de l'interprétation est suffisante M"e Emma
les coupables épouvantés. Certes, le sujet, s'il n'aa Bonnet est particulièrement réussie en vieille fille
pas une grande originalité, est tragique il souhait. ridicule. Une ingénue, Milo Garrick, a de la grâce.
Pourquoi n'a-t-il pas eu le succès désiré? Est-ce en Et cependant pour terminer « le siècle la marée
raison de la marche lente de l'action, du dialogue des nouveautés dramatiques montait toujours.
quelque peu poussif, de cette obscurité manifeste que A l'Ambigù, l' autre Fnance au Châtelet, le Petit
je signalais tout à l'heure. Et pourtant M. Deval avait Chaperon Rouge il la Porte-Saint-Martiti la reprise
bien fait les choses, jouant de sa personne, avec de la Jeunesse des llousquetaires à l'Athénée, celle de
Mme Valdey qui lui donne brillamment la réplique, Téte de Linotte.
enveloppant foeuvre de décors exquis,surtout celui du A quinzaine!
deuxième acte, cette terrasse imprégnée de lune, où QUEIVTI~1-B AUCHART.
les pins énormes étendent les silhouettes bizarres de
leurs rameaux décharnés. Et Mlle Carlix est bien tou-
chante dans son rôle de femme abandonnée.
Avec l'Article 330, l'inénarrable pochade que Coar-
teline a donné au Théâtre Antoine, nous rentrons
LA MUSIQUE étonner, M. de Lagoanère étant, en même temps qu'un
impressario remarquable, un compositeur fort dis-
Théatre de l'Odéon. Reprise de Phèdre, tragédie tingué.
en cinq actes, de RACINE, musique nouvelle de
M. J. MASSENET.
Quelques mots en terminant au sujet du banquet
Il m'est déjà arrivé d'écrire, dans la chronique mu- de la Société populaire des Beaux-Arts, qui a eu lieu,
sicale de ce journal, tout le bien que je pensais de la le lundi 10 décembre dernier"au Palais d'Orsay. Après
partition des Erynnies de Massenet. J'ai le vif plaisir ce banquet, où le directeur des Beaux-Arts, M. Roujon,
de constater que la musique de scène de Phèdre fait a fait une allocution fort spirituelle (n'est-il pas cou-
un digne pendant à ce chef-d'œuvre. Racine et Mas- tumier du fait?), plusieurs artistes de valeur, Mme de
senet, c'est-à-dire la pureté de style, l'exquise ten- Lacroix, Mlle Meyer, professeur au Conservatoire,
dresse, le charme pénétrant, l'émotion poignante, tout MM. Mazalbert, Hardy-Thé et les frères Cottin ont
ce qu'il faut, pour captiver l'auditeur et le laisser, en improvisé un charmant concert où les bravos et les
fin de compte, sous le coup d'une inoubliable émotion bis n'ont été que le juste hommage rendu à leur
Que de richesses dans cette partition de Phèdre! talent. Nos félicitations toutes particulières à Mille de
L'ouverture, entendue déjà dans maints concerts sym- Lacroix qui s'est surpassée dans l'interprétation de
phoniques et célèbre depuis vingt-cinq ans; les diffé- Amoureuse de Massenet et de 1:4rioso de Léo Delibes.
rents entr'actes, les mesures de musique de scène e E~%i. FOUQUET.
commentant d'une manière si émouvante les admi-
rables vers de Racine et surtout la page intitulée
« Hippolyte et Aricie » où, dans un dialogue entre le
VARIÉTÉS
cor anglais et la clarinette, le maitre exprime ce qu'il
s'entend si bien à exprimer l'amour.
Je m'arrête sur cette délicieuse impression en féli- LES PETITS PIEDS DES CHINOISES
citant M. Ginisty de nous avoir donné une aussi belle
audition, et M. Colonne, qui a dirigé l'orchestre avec Pour peu qu'on ait lu ou entendu les récits des
sa maëstria habituelle. missionnaires en Chine, on sait l'opiniàtre opposition
à laquelle ils se heurtent lorsqu'ils exigent des familles
converties l'abandon de cette mode atroce qui oblige
Théàtre de la Renaissance. Les Petites Vestales toutes les Chinoises à s'estropier.
opéra-bouffeen trois actes de 1V1M. E. DUPRÉ et BER- Aux yeux des Chinoises qui, si elles ignorent la tor-
NÈDE, musique de MM. F. LE REY et Jusxuv CLÉRICE.
ture du corset, ont cependant une compensation, les
Bien que peu amatem du genre qu'il est convenu petits pieds constituent le summrcm de l'élégance, et
d'appeler opérette, genrequi, trop souvent, n'est que une jeune fille voit d'autant plus d'adorateurs à ses
le cacophone laisser-allerde plates débauches musi- pieds que ceux-ci sont minuscules. Les habitants du
cales, je dois reconnaître que les Petites Vestales peu- Céleste Empire, c'est-à-dire les Chinois proprement
vent, sans nul désavantage, supporter la comparaison dits, à l'exclusion des Mongols et des Mandchous qui
avec les œuvres d'Hervé et d'Offenbach, à qui nous n'ont jamais consenti à mutiler les pieds de leurs
devons d'avoir connu l'opérette dans la véritable ac- femmes et de leurs filles, donnent à ces pieds dif-
ception du mot. formes l'appellation admirative de lys d'or.
Si je ne parle pas ici de Lecocq, c'est que son talent L'origine de cette mode est imparfaitement connue
plus délicat le fait errer la plupart du temps dans le des Chinois eux-mêmes on raconte cependant, aux
domaine de l'opéra-comique. pays du thé et des bambous, qu'une impératrice de
Quoi qu'il en soit, et en dépit de l'opinion de ceux Chine, tout à l'origine de la dynastie, avait été affligée
qui ont prononcé l'oraison funèbre de l'opérette, je par la nature d'un pied bot la tyrannie de la souve-
crois que c'est plutôt à une résurrection de ce genre raine et la courtisanerie aidant, le pied bot devint
que M. 0. de Lagoanère, le distiqgué directeur de la obligatoire et général.
Renaissance, avait convié le public, car le succès des Voici maintenant la façon de procéder le pied est
Petites Vestales a été grand et semble promettre une. replié sur lui-même, de façon que la plante forme
longue série de représentations. un arc très resserré. Cette torture commence vers la
Le livret de cette opérette n'est autre chose qu'une troisième et la quatrième année. Dans le Nord, où
série burlesque d'égrillardes aventures qui mettent le l'on vise à obtenir un effet plutôt en pointe, on res-
public fort en gaieté. pecte lepouce du pied; tandis que dans le Sud, on
Quant à la musique, elle renferme bon nombre de sacrifie tout à la petitesse du pied.
jolis passages, tels que le duo des augures, pétillant Les bandelettes employées pour maintenir le pied
d'une verve endiablée, les couplets de Pataclès, em- dans.cette atroce position sont de fabrication spéciale,
preints d'une fine ironie, et le duo, de plus large fac- car elles ne peuvent former aucun pli; le pied est si
ture et de style plus élevé, qui termine le deuxième étroitement emprisonné dans cette gaine de soie que
acte.. la circulation du sang en est interrompue. Les Chi-
Les Petites Vestalessont très bien interprétées par noises ne peuvent rester immobiles avec ces pieds qui
Miles Éveline Janney, Germaine Riva, MM. Guyon. fils, n'offrent plus assez d'assiette, aussi doivent-elles
Piccaluga, Jannin et Bourgeois, ainsi que Mmes Mar- toujours dandiner ou s'appuyer.
quet et Dufay. La mode des petits pieds est si profond€ment entrée
La pièce est très soigneusement montée. A remar- dans les mœurs, que le plus illustre des empereurs
'lu el' surtout le décor représentant un temple de Vesta de la présente dynastie, qui a pu imposer à ses sujets
que mettent en relief de hautes et sombres montagnes. le port de la tresse, n'a pu extirper l'habitude de
L'orchestre est excellent; il n'y a pas lieu de s'en bander les pieds des Chinoises.
1 L.S ~o~
S'EN,
Poésie de Musiqup de
MA.'LHERBE. E. FOUQUET.
LES LIVRES de les conserver jusqu'à l'extrême vieillesse. Pour les soins
du corps, il est nécessaire d'employer l'Eucalypta de Suez.
eau de toilette hygiénique, extraite de l'eucalyptus glo-
La Chronique des Rues, par Edmond BEAUREPAIRE bulus.
(P, Sevin et E. Rey, éditeurs). a~
JEUX ET A]UIUSE]VIE~1TS
LES VIEILLES CHAISES
pour Lyon et les départements de Saône-et-Loil'e, de Droüet. Mais elle n'avait jamais réussi à se
du Jura et du Doubs. On lui en signa un autre, débarrasser de son aceent germanique, et d'après
quelques mois après, pour Lyon, Bourg, Cognae,
Lisieux, Charleville et Sèvres. Il en prit un troi-
sième, à Mâcon, pour Lisieux, en août -1822 (11.
nom de En
ses indications l'acte de décès fut dressé au
voici le texte
« Du onze avril dix-huit cent
vingt-quatre,
Durant les premiers mois de son séjour à heure une du soir, acte de décès de Jean-Baptiste
Mâcon, Droïiet s'était lié avec l'ancien adjoint au Troué, veuf de Debelle. âgé de soixante-deux
maire de cette ville, le sieur Goyon, dit la :1'ation. ans, natif de nlenoue, département de la Marne,
Goyon le présenta à François-Louis de Lamar- rentier, demeurant à Mâcon, décédé ce jourd'hui
tine, oncle de l'illustre poète, ainsi qu'à: divers à dix heures du matin dans son domicile situé
membres de la Société des lettres, sciences et maison de Louis Thibel't(1),rue IVZunicipale,u°?3.
arts. Droüet (ou plutôt Le présent acte rédigé sur
blanrâesse) leur soumitt la déclaration à nous faite
quelques mémoires dont par les sieurs, etc. »
il était l'auteur, entre au- Droüet inhumé dans le
tres « le d'une ma- cimetière de Màcon, la
femme Normand quitta la
chine propre à simlalilier
le creusement des ca- ville pour se rendre à
naux (tue de Vaul-
M. Sainte-Menehould où,
chier du Deschaux, préfet. tout de suite, elle fut ar-
de Saûne-et-Loi~e, ju;ea rêtée. Elle avait emporté
digne d'être présenté au dans une malle quelques
gouyen}emenl. papiers, notamment le
En dehors de ces rares brevet de chevalier de la
relations littéraires el Légion d'honneur délivré
scientifiques, l\Iaërg'esse à Drotiet par Napoléon, sa
fn;quentait peu de monde. commission de sous-pré-
Il passait pour n'être pas fet et des notes écrites
communicatif et ne l'était par le laseudo-1\Iaërâesse
point: la prudence lui en sur sa famille.
faisait un devoir. Que sont devenus ces
Dans le courant de fé- documents ? Je l'ignore.
\Tiel' 1824, iltomlJa ma- Les archives de Sainte-
~la.de. Une dame Clualend blenehould, que j'ai con-
on en avisa pal' ¡cUre sultées, ne renferment
M' ycuve tlusson, de Grotte taillée dans le roc, où s'est caché Droüet. que quelques pièces, sans
Sain tc- Mene hould, sœur valeur, nullement. cu-
de Droüet, qui l'annécpr(~t:édentc était \t'nue rieuses, signées Droüet, sous-préfet.
passer quelques jours chez son f1'8re à Seuls les survivants de la famille Droiiet
Il VoiiÙ une huitaine de jours, écrivait 11I" Cha- eussent pu me renseigner et faciliter, dans une
lendon, que votre frùre est malade. Le méde- lar~e mesure, la tàche d'un chercheur impartial.
nin nous a dit clui'il ne le regardait comme un Mais les descendants de celui dont l'aùdace amena
homme hors de danger, Il est dans ce moment l'arrestation de Louis XVI rougissent de l'an-
bien fa.ible, mais il a l'estomac bon. Je l'ai ouï cntre. Leur porte est close, et leurs lèvres sont
dire qu'il ne voulait pas qu'on le fit savoir 't per- muettes pour qui voudrait savoir.
sonne de sa famille qU':l vous seule. » ERNEST BG~UI~UITT1..
Le [1 avril sui\'ant, le malade h'(~passa.
lA en
til.re de cUI'iosi k clOllnOI1S le sinnalement de Dl'oÜel
En quittant la maison (lui sieur \'ialct, corroyeur,
I1)
située sur Le ctuai, Droüet était allé hahiter chcz Louis
en
d'après ces donumcut.l'aillc:
lS22: froI1t; bas, en plat ISI1; Im,il:) en 1818;
en ISIS et 1822,
Thibert où il occu¡Jllit uue chambre garnic. Ce l'urent ses
ilw seuls (1t)llliciles à MàcOI1.
Pont de Dumnacus.
vieilles maisons et les villas blanches se groupent sont remplacés aujourd'hui, prosaïquement, par
sur l'escarpement de la Roche d'Érigné, éventrée de braves gendarmes.
pour laisser passer la route de Brissac. Plus loin Les Ponts-de-Cé, tout en gardant un gouverne-
vers l'Ouest, sur les rives ombragées du Louet ment militaire particulier, firent partie de la
aux romantiques méandres, se dresse à pic la municipalité d'Angers jusqu'à la Révolution
haute falaise de la Roche-de-Mftrs,dramatisée par C'était la sentinelle avancée sur la Loire, postée
le souvenirdu sanglantcombat où, en juillet 1793, aux portes de la capitale provinciale.
six cents républicains furent écrasés par douze Les ponts actuels sont de construction mo-
mille Vendéens. Le commandant Bourgeois et derne le pont Saint-Maurille, sur la grande
deux de ses compagnons d'armes échappèrent Loire, a été achevé en 1849. Mais, dès les temps
seuls à l'hécatombe en se sauvant à la nage jus- gallo-romains, il existait déjà, sur ce point, des
qu'à l'He Saint-Maurille. ponts à piles de pierre, probablement édifiés à
Les Ponts-de-Cé comptent trois paroisses l'époque de Vespasien, comme le fait supposer
Sarges, petit bourg situé près de l'Authion, ancien une médaille découverte dans les ruines. Au
refuge des huguenots pendant les guerres de re- moyen âge, les piles furent revêtues d'ardoises;
ligion Saint-Aubin et Saint-Maurille. des pilotis étayaient les ponts sur lesquels l'ab-
L'église Saint-Aubin, très ancienne, présente baye de Fontevrault exerçait droit de péage.
quelques parties remontant à l'époque romane, Pendant des siècles, le passage des Ponts-de-
des fresques naïves, à demi effacées, et des vitraux Cé constitua presque l'unique voie reliant, vers
assez remarquables datant de 1525. L'église Saint- 1.'Ouest, le Nord au Midi de la France. Aussi tou-
Maurille, rebâtie vers le milieu du mxe siècle, tes les'invasions, toutes les guerres civiles vin-
possède vingt belles stalles de chœur R mais- rent s'y heurter.
sance, provenant du prieuré de la Haie-aux=Bons- D'abord, les phalanges romaines, dirigées par
hommes, et un vieux cimetière qui domine poé- Fabius, lieutenant de César, et tenues quelque
temps en échec par le chef de la tribu des Andes, élevé sur la Roche-de-Mûrs, et quelques trous de
Dumnacus. Puis les Northmans, dont Charles le grenades et de biscaïens dans l'épaisse muraille
Chauye essaya d'arrêter les envahissements en du castel. La Loire, qui roula tant de cadavres,
faisant édifier un château fort. Plus tard, au tlàne, n10irée d'argent et d'azur, entre les saules
cours de la guerre de Cent Ans, la vieille forte- et les peupliers, et ne reflète plus d'autres armes
resse tomba entre les mains des Anglais. En '1570, offensives que les innombrables gaules des pê-
les Ponts-de-Cé furent témoins d'horreurs d'un cheurs à la ligne.
autre genre huit cents femmes qui s'obstinaient Car les tramways électriques, qui entretiennent
à suivre l'armée royale, au retour de son expédi- avec le chef-lieu une active circulation, déver-
tion contre les huguenots, furent jetées dans la sent sans cesse aux Ponts-de-Cé de nombreux
Loire, par or- promeneurs
dre du com- attirés par la
mandantstroz- beautédessites
zi, du haut du et. par les co-
pont, d'un seul quettes sta-
coup en bas, tions de villé-
rapporte le g-iature envi-
vieux chroni- ronnantes
queur ayec im- lViîlrs, Érigné,
passibilité. Jui.né, Sarges,
Ce fut encore Poi'l- Thibault,
en cet endroit Sainte-Gem-
que Louis XIII, nies, et tant.
marchant con- d'autres id s
n
tre les troupes cachés dans la
de sa mère, les ~·erdure, ou se,
rencontraetles mirant dans le
battit dans fleuve.
l'échauflburée Les jours
qu'on appela la d'assenablée, à
l~7vlerie des l'Ascension,
Ponts-de-Cé en l'asseinblée de
application du l~z Baillée aux
fut.
badin, l'affaire
moins
pas
meur-
d'3·,leter un fi-
let ou baillée;
le jour de la
trière. Le pays Sainte Maul'il-
qui avait assisté le, à la foir.
~m_ ~m
Q rlac Pnm~»o.v
lamére et du fils put voir aussi leur peu durable cuites, tout le pays s'anime d'une gaieté de ker-
réconciliation s'opérer, à quelques lieues de là, messe avivée par le pétillement généreux des
air chàteau de Brissac. vins blancs d
Faye ou de .Rahlay. Dans chaque
Cette terre, si souvent foulée par la guerre, ne guinguette résonnent des violons et des clarinet-
jouit, pas longtemps de la paix. En 1651, les tes, amusant les danseurs, et le soir, la: chali-
hrôndeurs s'emparèrent des Ponts-de-Cé où le baud e (11 éclaireles gl'èves de ses flammes
duc de Rohan vint mettre une garnison qui fut joyeuses.
délogée de là six mois plus tard par les troupes L'existence normale est d'ailleurs heureuse et
la douloureuse des
du roi. Enfin,après une accalmie d'un siècle passé,
Blancs et des Bleus
vint de nouveau boulevel'ser ces rives char-
facile dans ce pays riche, aux fertiles cultures
de lin et de chanvre, aux prairies engraissées.
par le limon des inondations périodiques, aux vi-
mantes, si souvent abreuvées de sang. gnohles réputés. On y trouve peu de misère. La
Mais ces souvenirs tragiques n'ont pas laissé Loire, bien qu'on ne pêche plus le.saumon en
d'autres traces que la statue du héros celtique
Dumnacus, dominant le gl'and pont, le monument (1) Feu de fagots.
cet endroit, offre encore quelques ressources donnerait l'animation, de la vie à ce beau fleuve
aux mariniers, aux pêcheurs d'aloses et aux mort qui fut, avant les chemins de fer, une des
chargeurs de sable, qui puisent, à pleins tom- gran~es routes de notre pays, et qui baigne les
bereaux, sans qu'il y paraisse, hélas! dans les plus riantes provinces de France.
énormes bancs qui se montrent entre les eaux MAT/lILDE ALANIC.
comme les dos monstrueux de bêtes' accroupies.
Un projet étudie en ce moment les moyens ~$£$$$$$*$$$~$$~$$*$
de r2ndre la navigation possible sur la Loire et L'attente use la joie comme le temps use« la douleur.
de parer à l'envahissement du sable. On ne peut Si chacun de nous n'avait que le bonheur qu'il mérite,
trop souhaiter de voir réussir un dessein qui re- il y aurait encore plus de malheureux. A. DAUDET.
s
LE CALVAIRE DE LA COMÉDIE-FRANÇAISE
Le 8 mars 1900, un jeudi, il est midi et un aliment dans les fauteuils d'orchestre, s'êle-
quelques minutes. dans un instant la foule va vant jusqu'au paradis comme une trombe dévas-
.aft1uer pour la matinée classique. tatrice.
On joue Baja~et. Au dehors, la place s'est remplie peu à peu
Déjà lès artistes sont à leur poste, la plupart d'une foule avide d'émotions le tout-Paris ar-
-dans leurs loges en train de s'habiller, parmi eux tiste, mondain ou lettré est là.
Albert Lambert, M32'IeS.Dudlay, Henriot. Et voici que par la porte de l'administration
Une colonne de fumée, s'échappant en spirale sbrt un cadavre porté par deux hommes: c'est
du toit du théâtre, est aperçue par un passant; une femme vêtue de noir. Le visage est carbonisé,
-celui-ci court avertir le concierge, donne l'alarme. méconnaissable; on cite le nom d'une habilleuse,
Et c'est l'incendie, l'épouvantable incendie dû Augustine. Personne ne songe à !\Ille Henriot que
à une cause demeurée jusqu'à présent inconnue, l'on dit avoir été sauvée par Albert Lambert, tan-
qui en quelques heures détruira notre première dis que, péniblement, Mlle Dudlay, en costume de
scène française! Ce soir-là, ce sera le deuil des tragédie, s'échappe d'une fenêtre.
lettres, et une innocente victime, l'exquise La flamme commence à lécher la façade; on
Mlle Henriot avait payé de sa vie son dévouement craint que la coupole ébranlée ne puisse résister;
à l'art. de temps à autre des bruits sourds, formidables,
Le lundi précédent, le colonel du régiment de se font entendre; ce sont des escaliers de pierre
sapeurs-pompiers,' M. Detalle, avertissait en qui s'écroulent.
séance, à la Préfecture de police, les membres de La place maintenant, malgré le service-d'ordre,
la Commission supérieure des théâtres que, de- est noire de monde les voitures d'ambulance
puis un mois, un certain nombre de commence- sont rangées du côté de la rue de Rivoli. Les co-
ments d'incendie avaient éclaté à la Comédie- médiens arrivent les uns après les autres tous ont
Française. Le jeudi précédent, une alerte, due à les larmes aux yeux, en proie à un violent déses-
une forte odeur de suie répandue dans la salle, poir; on leur interdit l'entrée du théâtre. L'un
avait effrayé les spectateurs de-la matinée. Et ce d'eux se désole, prétendant avoir laissé des va-
fut une singulière fatalité que ces avertissements leurs et des billets de banque dans sa loge. Voici
ne servirent à rien, et qu'en dépit des précau- llim° Bartet, vêtue :d'une jaquette d'astrakan on
tions qui durent certainement être prises, l'abo-~ lui annonce la mort tragique de son habilleuse
minable fléau se produisit. Augustine; elle est prise d'une crise de nerfs.
Dès les premières minutes l'affolement.l'oubli Et tout à coup Antoine, affolé, parait, parcourant
de baisser le rideau de fer qui ellt sàuvé la salle, les groupes, allant de l'un à l'autre, réclamant à
de fermer la porte de communication entre la grands cris Mlle Henriot. Il sort de chez elle.. elle
scène et l'escalier des artistes, qui eût préservé n'ést pas rentrée; Albert Lambert, qu'il a ren-
cette partie de l'immeuble et arraché peut-être à contré, lui a affirmé qu'il ne l'avait pas sauvée.
la mort la pauvre Henriot. On ne songe qu'à em- Alors ce cadavre carbonisé serait donc celui de
porter les objets précieux, à jeter par les fenêtres la ravissante enfant! Et Antoine s'informe de
les tableaux de valeur qui ornent le foyer des l'endroit où celui-ci a été transporté, veut s'as-
artistes. surer par lui-même.
Les pompiers cependant sont arrivés, ont fait Cette scène douloureuse a angôissé les assis-
fonctionner le grand secours, qu'un employé tants. A l'intérieur de l'édifice, le feu poursuit son
inhabile avaitabandonné après.quelques essais œuvre de destruction.
infructueux. La scène n'est plus qu'un immense Il est -maintenant près de heures. On
per-
brasier la flamme gagne la salle, lèche les murs, met d'approcher de la colonnade. Clarctie se
s'attaque aux rideaux des avant-scènes, trouvant promène en long et en large, à pas fébriles, le.
visage pâle, sous sa barbe grisonnante, les yeux t~e~tlilhomme, Horace, les Plaidcurs, ~dilae-Roi,
rougis, la démarche accablée. Les comédiens TartaeJ/·e, Phèdre, les H'e~n~izes savantes. Mais tandis
l'entraînent, le consolent. que la comédie de Molière détonnait presque
Voici Henri Lavedan, puis Ginisty, accompagné dans l'immense cadre, la tragédie s'y trouvait à
de d'Esparbès, sortis ensemble.de l'Odéon où l'on sa place, prenant même une singulière enver-
répète la Gue~·re e~~ dentelles. Je les accompagne gure GL'di~e-lFoi, particulièrement, parut admi-
jusqu'à la porte de l'administration, où une con- rable; les gestes larges, la voix rugissante de
signe sérieuse barre l'intérieur du théâtre. Mounet-Sully atteignirent le sublime.
A force de diplomatie nous parvenons à passer Cependant la Comédie ne pouvait s'éterniser à
tous trois. Nous montons'l'escalierde l'adminis- l'Académie nationale de Musique.
tration, dont les marches dégouttent de l'eau ré- De nouvelles négociations reprirent, qui abou-
pandue nous parvenons ainsi jusqu'au foyer des tirent cette fois à déposséder l'Odéon, qui, de son
artistes, veuf de ses tableaux et de ses objets côté, dut se transporter au Gymnase.
d'art. Une fumée âcre, une odeur nauséabonde Ce chassé-croisé un peu ridicule ne devait pas
nous étreint à la gorge. Nous pataug-eons dans réussir. Tandis que l'Odéon se trouvait à l'étroit
une boue noire. A chaque pas nous heurtons des au Gymnase, la Comédie était dépaysée sur
tuyaux interminables. A droite, la rive gauche, loin de son public
des pompes achèvent d'inonder ordinaire, quasi exilée, en quel-
la salle par les portes du balcon. que sorte à la campagne.
Nous risquons un œil le specta- On connait le mot d"un des
cle est tragique dans son atro- plus spirituels sociétaires à
cité. On est évidemment maitre M. Claretie
du feu; mais les décombres brû- «quel hôtel êtes-vous des-
A
lent encore, sinistrement, avec cendu, Monsieur l'Administra-
une intensité formidable, au mi- teur ? »
lieu de ferrailles tordues, rouges Cette boutade indiquait bien la
encore. « Nous en avons encore situation.
jusqu'à minuit, » nous dit un ca- Cependant on fit contre for-
poral. tune bon cœur. Avec le matériel
Cependant nous continuons de l'Odéon, matériel d'ailleurs
notre pénible excursion. Le grand considérable,on joua le bTaria.ge
foyer du public est intact; la de !'igaro, Diaoe de Lys, le Monde
statue de Voltaire a été envelop- où l'on s'enzzuie, ~·dipe Roi, le
pée de couvertures pour la pré- nlademoisélle Ilenriot. Gendr·e de M. Poirier, Froufrou,
server non du feu, mais de l'eau. ~ll"e de la Seiglièz·e, l'.9venturière,
De ce côté, en effet, l'inondation est complète. le T'estament de Césa~· Girodot, Ruy-Blas, le Demi-
Puis un craquernent, suivi d'une longue explo- .tlonde, Charlotle Corda,y, l'Avare, Alithridale, les
sion ce sont encora les marche3 de pierre d'un Fenzmes savanles, la Vie de bolzènze, Polyeucte,
escalier qui s'écroulent. Chose etirieuse les mar- l'Anzi des femnzes, Cabotüts, ~ldrieztne Lecouvrenr.
ches en bois, soutenues par des tiges de fer ont Une seule nouveauté les Fossiles, de M. de
mieux résisté que la pierre. CUl'el, une célébrité du Tliéàtre-Libre, que l'on
Ginisty et d'Espal'bès continuent leur .dange- répétait au moment de l'incendie, drame qui, se
reuse excursion. Pour moi je reviens sur mes passant dans la vie contemporaine, ne demandait
pas, le cœUl' gros, la gorge serrée, songeant ni grands décors ni grand déploiement de mise
au deuil des arts, à cette atrocité nouvelle com- en scène. Or les Fossiles, qui avaient paru
mise par la Fatalité, à cette calamité qui frappe autrefois d'une grande puissmce dramatique
si rudement l'illustre Compagnie. chez Antoine, perdirent de leur intérêt en pas-
Où transportera-t-elle ses pénates à présent? sant les ponts. La pièce, qui d'ailleurs avait été
Que deviendra-t-ellependant cette Exposition, où quelque peu sabrée, parut terne, mal venue,
elle comptait repasser son répertoire, faire con- pétrie d'ennui. Son audace, pourtant édulcorée,
naître aux étrangers, venus des quatre coins du amena des protestations aux soirées d'abon-
globe, les chefs-d'oeuvre de l'art drainatique nement. Elle devait rester odéonienne et ne
françai s ? pas suivre les nouvelles tributations de la Co-
Et dès le lendemain des négociations corri- rnédie.
mencèrent. Cette période de spectacle à l'Odéon dura en
De suite, M. Gailhard avait offert l'Opéra dans effet du 26 mars au 19 août.
uu élan de bonne confraternité, et ce fut en effet A cette date, Ginisty réintégra le bercail
à l'Opéra tout d'abord, du 9 au 95 mars, qu'émi- ayant usé son répertoire au Gymnase il ne pou-
grèrent les comédiens de la rue Richelieu. vait demeurer plus longtemps hors de chez lui
On y joua tantôt en matinée, tantôt en soirée, en pleine Exposition, sans compromettre grave-
Andro~na jue, le 'ITalade inaagirzaire, le Bourgeois ment ses intérêts.
Et la Comédie fut de nouveau sans asile, mal- Weber. On fit plus on monta une pièce nouvelle,
Alkestis,
gré la promesse de son architecte qui, tout une tragédie belle d'une pureté antique,
d'abord, s'était presque engagé à livrer la salle le de M. Rivollet, dont le succès avait été éclatant au
14 juillet et qui devait né la terminer que six théâtre d'Orange. Alkestis remporta la victoire à
mois plus tard. Paris comme il l'avait remportée sur le théâtre
Fallait-il donc fermer au moment où la romain. Ce fut une soirée incomparable.
Grande Foire comme on disait alors, battait Pendant ce temps le répertoire ne cessait de
son plein, où les différents théâtres de Paris fonctionner Adrierrne' Lecouvreur, le Monde où
avec la simple reprise de leurs succès d'antan l'on s'ennuie, Denise, l'Ami Fritz, Cabotins, le
remplissaient leurs salles presque à déborder? Demi-Monde, Ruy-Blas, le Gendre de M. Poirier,
Un local était libre rue Blanche; il fallut se Monsieur Scapin, Froufrou, dont on célébra la
résoudre à l'accepter. C'est ainsi que l'austère centième, les Femmes savantes, l'Avare, les Folies
la
Compagnie tint ses assises, du 20 août au 31 oc- amoureuses, Charlotte Corday, Diarze de Lys,
tobre, sur une scène primitivement construite Vie de bohème, tous ces chefs-d'oeuvre anciens et
pour des ballets à grand spectacle, avec une modernes reparurent rajeunis en quelque sorte
acoustique détestable, illustrée pourtant par les dans le cadre délicieux, tandis que les abonne-
tentatives ultra-modernes de Lugné Poe, côte. à ments reprenaient leur élégance d'autrefois, cha-
côte avec les flontlons du Casino de Paris regor- cun des spectateurs rivalisant d'élégance.
geant de filles et d'étrangers en goguette. Les tribulations de la Comédie avaient pris fin.
Cette période du « Roman comique de la La voici rentrée dans son ancienne demeure,
Comédie », est-il besoin de le dire, fut la plus toute meurtie encore de ses perégrinations,
dure. Les comédiens avaient l'air de jouer dans retrouvant un local brillant, aménagé à la mo-
une cave c'était lugubre. Et cependant on derne avec le confort du luxe contemporain.
donna: Adrienne Gecouvrexvr, Denise, le Flibustier, Sans doute, en prenant possession de la nou-
l'Ami Fritz, la Vie de bohème, le ~llonde où l'on velle salle, a-t-elle jeté un regard en arrière, s'est-
s'ennuie (doublement de circonstance), le Gendre elle rappelé avec angoisse les épreuves endu-
de IYI. Poirier, l'Ami des femnaes, Froufrou, rées, les luttes soutenues,les douleurs
supportées,
l'Avare, le Député de Bombignac, les Femnxes sa- et cela lui fut bien doux de s'appliquer alors la
Paris Fluc-
vantes, le T'estament de César Girodot, Polyeucte, belle et fière devise de la Ville de
Mithridate, llorace, 111~1e de la Seiglière, l'École tuat nec mergitur.
des femmes, Andromaque, la Conscience de l'en- QUENTIN-BAUCHART.
fant, le Demi-Illonde et l'Étincelle.
Les recettes, faut-il le dire? étaient mai- Alb
gres d'autre part, l'architecte prolongeait de
jour en jour l'échéance de la livraison du théâtre. LE BON VIEUX
Des difficultés nouvelles surgissaient chaque
jour la troupe s'étiolait dans cette inaction Tout près de l'étang qui reflète
Les peupliers au vent courbés,
forcée. J'ai vu passer, oh! quelle fête!
Ce fut alors que Sarah Bernhardt, appelée en Le bonhomme cher aux bébés.
Amérique après son triomphe de l'Aiglon, offrit Le givre qui tombe des branches
à ses anciens camarades son admirable salle de Emaillait de cristaux fleuris,
Couvrait d'un tas de guêpes blanches
la place de Châtelet, ce cadre bouton d'or à l'har- Les plis droits de son maI1teau gris.
monieuse décoration dont la grande artiste avait Par les sentiers, sous la feuillée,
surveillé elle-même les moindres détails d'exé- Il s'en allait à petits pas,
cution. Tout joyeux, la mine éveillée,
Comme s'en vont les grands-papas.
C'était pour la Comédie une aubaine inespérée, La neige éparse sur la terre,
une sorte de résurrection après. tant de dé- Comme un déluge de clartés,
boires. Le traité fut rapidement signé, paraphé, Gardait la trace solitaire
De ses jolis sabots sculptés.
et le 31 octobre dernier Ql='dipe roi inaugurait Dans un manchon de poils de chèvre,
la nouvelle étape du douloureux calvaire. Il enroulait ses doigts frileux;
Aussi bien cette fois recommençait-on à res- Et l'Hiver au coin de sa lèvre
pirer. Le public, attiré pendant toute la saison Plaquait de petits baisers bleus.
Sur sa pauvre échiI1e voûtée,
par l'Aiglon, n'avait pas oublié le chemin de la Ses deux coudes dans les genoux,
place de Châtelet, et les beaux jours revinrent Il portait toute une hottée
comme par le passé. De galettes et de joujoux.
En attendant la reprise de Patrie réservée par « Bonhomme,
où vas-tu ? » m'écriai-je.
Les innocents sont mes amis
Sardou pour la nouvelle salle et qui nous pro- Je leur porte à travers la neige
met, dit-on, des merveilles, on remit à la scène Les joujoux qu'on leur a promis.»
dans des décors neufs et des costumes éblouis- CLOVIS HUGUES.
Qu apportera à l'humanité le siècle prochain ? On ne verra plus les provisions de bouche ex-
Voilà la question qu'un reporter américain a posées aux devantures et livrées ainsi à l'atmo-
trouvé curieux d'adresser aux plus éminents sphère corrompu des boutiques et à la poussière
hommes de science de son pays. La réponse qu'a des rues. Des appareils réfrigérants d'air liquide
-donnée chaque savant en son domaine a dû conserveront les aliments.
étonnerles Américainseux-mêmes qui pourtant, Le charbon, devenu de plus en plus rare et
comme l'on sait, ne s'étonnent de rien. Notons cher ne sera plus employé pour chauffer et cui-
quelques-unes de ces prophéties plutôt opti- siner. Toute la force motrice des eaux mouvantes,
mistes. douces et salées, sera exploitée pour fabriquer
L'Amérique, dans cent ans d'ici, aura une de l'électricité à la portée de tous.
population de cinq cents millions d'âmes,' et son Dans les grandes villes, les moyens de loco-
étendue sera accrue en proportion. La taille de motion n'envahiront plus les rues et n'assour-
l'Américain aura grandi d'un ou de deux pouces; diront personne la circulation des trains et des
il devra ce résultat à son état de santé amélioréparvéhicules se fera sous terre où en l'air. Sous les
d'importantes réformes dans la médecine, l'hy- rues, de vastes tunnels bien éclairés et aérés;
giène, la nutrition et les exercices physiques. Il au-dessus des rues, de hauts tréteaux avec des
vivra une moyenne de cinquante ans au lieu de trottoirs mobiles seront réservés aux trains et
quarante-cinq comme de nos jours, car il résidera automobiles de toutes sortes aux roues caout-
dans les faubourgs et évitera l'agglomération choutées.
des cités. Il sera défendu par la loi de construire Les marchandises des maisons de commerce
en bloc. Le trajet du faubourg à la cité du seront livrées à domicile par des tubes pneuma-
domicile au bureau nécessitera quelques mi- tiques qui distribueront à des distances considé-
nutes et coûtera un penny. rables les paquets de toutes espèces et de toutes
L'air frais et l'air chaud pour régler la tempé- dimensions.
rature des maisons seront fournis par des usines Des vaisseaux électriques feront en deux jours
et distribués dans les appartements par des tubes. le voyage d'Amérique en Angleterre. La con-
On aura des robinets d'air froid et d'air chaud struction de ces vaisseaux sera perfectionnée à
comme nous avons des robinets d'eau et de gaz. tel point que la plus grande partie des dangers
Les cheminées auront disparu, car il n'y aura qui; de nos jours, menacent le voyageur sur mer,
plus de fumée. en seront écartés. Le corps du vaisseau se trou-
L'Américain futur ne sera pas incommodé par vera au-dessus des vagues, supporté par des
les mouches et les moustiques. Des mesures sa- roues semblables à celles d'un traîneau. Ces
nitaires auront radicalement détruit ces insectes roues seront extrêmement légères, pourvues sur
en desséchant les eaux stagnantes, en comblant le côté inférieur d'ouvertures qui, en chassant
les marécages et en appliquant des procédés l'air, établiront un courant d'air entre le vaisseau
chimiques aux rivières p.~u rapides. L'expulsion et l'eau. Cette couche d'air, ainsi que la surface
du cheval et des écuries débarrassera l'homme minime des roues, réduiront le frottement des
des mouches d'appartement. vagues au plus faible degré possible. Les navires
Les repas tout préparés seront livrés par des artificiellement rafraîchis seront à l'abri du feu;
établissements spéciaux comme le pain est en cas de tempête, ils plongeront sous l'eau où
fourni par les boulangeries, avec la différence ils pourront attendre sans crainte le retour du
pourtant que les plats arriveront à destination beau temps.
par des tubes pneumatiques. Après les repas, la L'homme du vingtième siècle assistera à des
vaisselle sera retournée afin d'être lavée dans événements qui se passeront à des milliers de
les établissements. Ce cuisinage monstre s'effec- lieues de distance de lui. Assis dans son fauteuil,
tuera dans d'immenses laboratoires électriques, il pourra, au théâtre, suivre de l'œil, sur une
pourvus de machines pour tout ce qui, aujour- énorme toile, les péripéties d'une guerre en
d'hui, use la force humaine c'est l'électricité Orient ou les solennités d'un couronnement de
qui moudra le café, battra les œufs, tournera les souverain en Europe. L'appareil électrique au-
sauces, secouera les salades, coupera et hachera quel on devra ces spectacles sera accompagné
la viande, pressera les jus, écrasera les purées, d'un système de téléphone géant qui transmettra
lavera et séchera la vaisselle. Tous ces ustensiles chaque son approprié au mouvement.
seront nettoyés avec des substances chimiques Des téléphones et des télégraphes sans fil
qui extermineront les microbes. relieront le monde on téléphonera en Chine
sans aucune difficulté. Plus de demoiselles du des courants électriques appliqués au sol aug~
téléphone Elles seront très avantageusement. menterontle volume des légumes et des fruits, et
remplacées par des signaux automatiques. La détruiront les mauvaises herbes.
photographie sera télégraphiée d'une distance De rapides réfrigérateurs transporteront en
quelconque. S'il y a une bataille dans une partie quelques jours sur terre et sur mer les produits
lointaine du monde, une heure après, les jour- savoureux des tropiques. Les fel'miers de l'Amé-
naux publieront les instantanés des scènes les rique et de l'Afrique du Sud, de l'Océanie, dont
couleurs.
plus intéressantes. La photographie se fera en les saisons sont opposées aux nôtres, pourvoiront
pendant l'hiver les pays du Nord de frais pro-
La musique par téléphone seraintroduite dans duits estivaux. De délicieuses oranges pousseront
les maisons particulières, où l'on entendra un dans les faubourgs de Philadelphie les fruits
opéra aussi distinctement qu'au théâtre même. se vendront au prix de la pomme deîerre d'au-
Les grands musiciens qui joueront dans une jourd'hui. Les arrière-petits-fils de l'Américain
salle de New-York, par exemple, produiront en mangeront, à leur dîner de Noël, des fraises
même temps, par une- savante manipulation de grosses comme des pommes elles pousseront
clefs électriques, la même musique surplusieurs sur des arbustes. Nlelons, cerises, raisins, prunes,
instruments installés dans des salles de villes pommes, poires, pêches, n'auront ni noyaux, ni
éloignées. Pareillement, de grands orchestres pépins. On récoltera des figues dans toutes les
donneront simultanément plusieurs concerts en parties des États-Unis.
divers endroits. La canne'à sucre produira deux fois plus de
L'éducationuniversitaire sera gratuite pour les sucre que la betterave. Les plantes seront proté-
deux sexes. Il yaura dans ce but de nombreux' gées contre les microbes, comme l'homme l'est
et formiùab~es établissements. On groupera ces contre certaines épidémies. Le sol s'enrichira
études de manière à faire perdre à l'élève le par des plantes qui prendront leur nourriture
moins de temps possible. Les lettres C, Q, X par l'air etrendront la terre fertile.
seront bannies de l'alphabet, comme étant super- Les roses seront aussi grosses que les choux;
flues. Les mots s'écriront tels qu'ils se pronon- il y en aura des noires, des bleues et des vertes.
cent. La langue anglaise, parlée et écrite en La modeste violette atteindra les dimensions de
mots condensés, sera la plus répandue; le russe l'orchidée, et la pensée qui, il y a un siècle,
tiendra le second rang. n'avait guère p~us d'un demi-pouce de diamètre,
Les étudiants pauvres se verront pourvus de pourra se mesurer avec un soleil. Toute fleur
nourriture, de logement, de vêtement et de sera susceptible d'avoir toute couleur et tout
livres ils circuleront sans payer dans les trains parfum.
et omnibus. Des inspecteurs médicaux visiteront Les médicaments pour les diverses maladies
et surveilleront régulièrement les écoles gra- ne passeront plus par l'estomac que lorsqu'ils
tuites, distribuant soins et médicaments. l'en- s'adresseront exclusivement à cet organe. Les
dant les vacances, les enfants nécessiteux feront drogues destinées aux poumons, par exemple,
des voyages aux frais de l'institution. Les bonnes seront, appliquées directement aux poumons, à
manières et la parfaite tenue de l'intérieur for- travers la peau et la chair; des courants électri-
meront la base de l'éducation des jeunes filles. ques distribueront dans le corps, sans douleur,
La gymnastique est appelée à jouer un rôle im- les médicaments nécessaires. Grâce aux micro-
portant dans la vie du futur Yankee. Elle fera son scopes, le corps vivant sera devenu transparent
apparition à la nursery où, sous forme de jouets, pour le médecin qui sera à même de voir et de
elle fortifiera les tendres muscles des bébés. photographier même les organes malades.
Dans les écoles, elle sera obligatoire. Un homme Tout cela sera bien beau. Mais quel dommage1
ou une femme, incapable.de faire plusieurs lieues nous ne serons plus là
de marche sera considéré comme un avorton. TFIÈRÈSE MANDEL.
Et ce n'est pas tout! le a Ladies' Home jour-
nal où le reporter américain a déposé son I< ~JI~JI~JI~JI~JI~I1\JI~~
La vie se passe en absence; on est toujours entre le
enquête, en dit bien d'autres. souvenir et l'espérance, on ne jouit jamais.
L'agriculture aussi accomplira des prodiges Mm, DU DEFFAND.
A tous ceux qui aiment les enfants, qui s'in- en ce moment dans une école primaire,, non pas
téressent à leur joie comme à leur chagrin, qui, à l'heure du travail, mais à l'heure du déjeuner,
par ces temps d'hiver, songent avec tristesse aux et vraiment le spectacle qui s'offrira à vos regards
petits malheureux, je dirais volontiers Entrez n'aura rien d'attristant, bien au contraire.
Tandis qu'au dehors la bise fait rage, ici, dans dehors, saris souci pour les chers petits. N'y
une grande salle bien éclairée, bien aérée, c'est act-il pas la cantine scolaire, cette institution gé-
une dOlice et enveloppante elialetir. néreuse entre toutes, où l'enfant trouve une
Une centaine d'enfants.sont là, réunis autour nourriture saine et abondante, une sur~~eillance
dé tables recouvertes proprement d'une toile de chaque minute, et tout cela pOU/' rien ou
cirée chacun, une fois' à sa place,. s'empresse presque rien? Deux sous pour les uns, POUI' .ceux
de sortir du panier serviette, couverts, pain, (lui peuvent payer, et rien du tout pour les au-
boisson et même, ô douce surprise de la manian 1 l'es mais aucune différence dans le menu, tous
quelque dessert caché tout au fond et qui amène égalementsel'vis, é~alement soignés; cute à,côte
souvent une folle gaieté. l'enfant qui donne ses dix centimes et celui qui
A un signal donné, le silence se fait aussitôt ne donne rien. N'est ce pas la meilleure leçon
le couvercle de la grande marmite est enlevé; de fraternité et d'égalité ?
les vapeurs d'une soupe délicieusement parfu- La cantine scolaire fonctionne régulièrement
rnée se'répandent dans la salle; les yeux 'brillent à peu.près dans tous les établissements scolai-
de convoitise et un large sourire illumine toutes res; elle est subventionnée par les communes'
ces .frimoussés. Bientût, servies par les plus qui ont établi une caisse des écoles. Pour en
grandes, très dignes et empressées avec leur augmenter le capital, on demande aux membres
tablier, ressemblant à de petites mamans,. nos adhérents une cotisation de 5 francs, et tous les
gamines dévorent leur soupe, en redemandent ans il 3· a Paris, dans chaque mairie, une fête au
,encore et mangent ensuite d'un excellent appétit bénéfice de la Caisse des écoles. Ce sont des sa-
le morceau de viande et les légumes qui l'ac- crifices très grands, si l'on pense que, sur une
-co 111 pagnent. centaine d'enfants, 'cinquante mangent gratuite-
Croyez-vous maintenant qu'ils soient malheu- yent et cinquante autres donnent en tout une
~rem, nos chers écoliers'? somme de 5 francs.
.EL si nous comparons les écoles d'aujourd'hui Et pourtant la nourriture est abondante et le
à celles d'il y a vingt ans, alors que l'enfant ap- menu très varié dans certaines écoles, il y a
portait un morceau de pain et de fromage et trois fois par semaine le pot-au-feu avec légu-
du'il mangeait cela assis tristement sur son banc, mes, purée de pois ol!"de pommes de terre, deux
dans un coin de la cour, n'avons-nous pas le fois le ragoût de mouton avec lentilles ou hal'i-
droit d'être satisfaits dés progrès accomplis en cots. La cantine est sous le contl'ôle cI'une com-
vue,de l'hygiène et du bien-être de l'enfant'? mission et sous la surveillance des directeurs el
Le père et la mère peuvent ainsi travailler au direclrices.
La cantine scolaire, telle qu'elle est organisée, vient en aide aux parents chargés d'une nom-
rend les plus grands services aux familles, c'est breuse famille et donne à l'enfant le bien-être
une oeuvre de haute philanthropie et à laquelle physique et moral auquel il a droit.
tous les citoyens devraient collaborer, car elle D, GUIGUET.
La section de l'Exposition universelle reléguée Mais, sans vouloir dédaigner les qualités de
au bois de Vincennes contenait un grand hall ces nouveaux wancons ni méconnaUre les efforts
dénommé « la gare internationale », dans la- incessants des directeurs des chemins de fer
Le wagon parloir.
quelle étaient alignés les types les plus parfaits français en vue de l'amélioration du matériel
de wagons de chèmins de fer. Les spécimens des roulant, il est permis de dire qu'aucun de ces
nouvelles voitures de luxe et de première classe nouveaux véhicules ne peut être comparé aux
exposéespar la Compagnie P.-L.-M. attiraient sur- deux wagons-parloirs « Wyocena » et « Sparta »
tout l'attention par leur élégance et le confort qui viennent d'être construits par la Darney and
qu'elles promettent au voyageur et que celui-ci Smith Car Co, de Uayton, pour la Chicago $filwau-
a du reste déjà pu expérimenter puisque quel- kee and Sai~zt-Paul Railzva~ Co. Il est juste de
ques-unes de ces voitures sont en circulation. dire aussi que les parcours sur les lignes amé-
ricaines sont quelquefois très longs, beaucoup Le remède, ici, est à portée puisqu'il suffit de se
plus longs que sur nos lignes européennes, et rendre au buffet-bar qui possède tous les
que le voyageur doit trouver dans le train qui le ustensiles de cuisine nécessaires pour préparer
transporte quelquefois d'un océan à l'autre tout un repas ou confectionner les boissons si appré-
le confortable, toutes les distractions que pour- ciées de l'autre côté de l'Atlantique.
raient lui procurer les meilleurs hôtels. Nous sommes loin, sans doute, de la sobriété
Les wagons-parloirs mesurent 3 mètres de de décoration, de l'élégance de bon ton qui dis-
large et 22 mètres de long, sans compter les pla- tinguent nos wagons français. Il estsans contredit
tes-formes. Lavoiture ne comporte pas, à propre- fort agréable de parcourir des milliers de kilo-
ment parler, de compartiments. A une de ses mètres enfoncé dans la peluche, les regards
extrémités on rencontre d'abord une sorte de perdus dans la contemplation des entrelacs
petit salon, Observation Roonz, à travers les d'une broderie, mais il faut compter aussi avec le
immenses glaces duquel les voyageurs peuvent sans-gêne, l'instinct de déprédation qui caracté-
examiner à loisir les divers aspects de la contrée risent la grande majorité des voyageurs, à quel-
qu'ils traversent. A la suite de ce salon se trouve que nation qu'ils appartiennent. Au bout de deux
le parloir principal, long de Il mètres, puis vien- ou trois voyages, dans quel état seront ces belles
nent successivement un petit compartiment portières, ces fauteuils profonds et toute cette
meublé de quelques sièges et d'un sofa surmonté décoration! Nos wagons sont confortables, les
d'un grand miroir, un buffet-bar avec glacière et nouveaux véhicules qui vont circuler seront
un salon réservéauxvoyageuses et pourvude tous abondamment éclairés et bien chauffés. Que
les éléments nécessaires à la toilette féminine. pourrions-nous demander de plus ? Contentons-
Les voyageurs du sexe laid n'ont du reste rien à nous de ce que nous avons.
envier à leurs compagnes sous ce rapport, car ils
ALBERT REYNER.
possèdent également leur cabinet de toilette.
La décoration et le mobilier de ces wagons
sont des plus confortables d'après la description
et les dessins qu'en donne le Railu~a,~ Age, à qui MA L~)VIPE
nous sommes redevables de ces renseignements.
Le parloir principal comprend 22 places assi- o vieille lampe, ô vieille amie, à ta lumière
ses les sièges, indépendants les uns des autres Que de bouquins je lus, que de vers j'écrivis!
Sous ton humble abat-jour que de fois tu me vis
et mobiles, (une nouveauté en matière de che- Veiller, quand le sommeil rougissait ma paupière!
mins de fer) sont de profonds et moelleux fau- Lampe ventrue et basse, en cuivre bosselé,
teuils en tapisserie et en peluche vieil or. Le toit Lampe comme on en voit sur lcs vieilles crédences,
est en forme de dôme, les cloisons qui séparent Tu reçus bien souvent de graves confidences
De mes esppirs les plus secrets je t'ai parlé.
le parloir des autres pièces sont circulaires et
Pendant longtemps tu fus mon amie, et la seule.
fermées par des portières en étoffe. Les fenêtres Oui, lorsque j'habitais tout là-haut, sous le toit,
sont garnies de rideaux et de lambrequins brodés, Seuls m'étaient doux les soirs passés auprès de tOI,
et le Iplancher est couvert d'un tapis. L'acajou Dans le palpitement de ta lumière veule.
est répandu à profusion en panneaux et mou- En ma chambre aux murs nus, sur ma table en bois blanc,
Que de fois j'ai rimé pendant les nuits fiévreuses,
lures la décoration générale est de style indien, Lampe, pour qui tu sais, des stances amoureuses,
et les motifs de marqueterie qui concourent à Penchant mon front pàli dans ton rond d'or tremblant
l'ornementation sont copiés d'après les plus jolis Et quand le petit jour rosé venait à naître,
Quand le ciel d'un bleu vert déjà se I1uançant,
sujets indiens. L'aurore grelottait sur Paris, le passant
Les voussures du plafond sont décorées de Te voyait clignoter encore à ma fenêtre.
dessins en or qui se détachent sur un fond en L'âge te faisait bien radoter quelquefois;
couleurs, où les teintes les plus chaudes se ma- Ton mécanisme était d'une étrange faiblesse.
JI fallait te monter, te remonter sans cesse,
rient agréablement aux nuances les plus déli- Et retourner ta clef sans cesse entre ses doigts.
cates. Des prises d'air de forme ogivale sont Vous n'alliez plus, méchaI1te, et sans que je comprisse
placées dans la voûte du plafond ces prises d'air Pourquoi, vous paraissiez vouloir vous amuser
sont garnies de vitraux et protégées par de légères La mèche s'obstinait à se carboniser..
Et j'enrageais, croyant que c'était un caprice.
grilles ornementales en bronze. Bien souvent, j'ai maudit votre délraquemeI1t,
Le salon-terrasse, ou observation, room est Et votre humeur, alors, me semblait une énigme,
aussi richement décoré que le parloir. Les fau- Vous faisiez tout d'un coup un bruit de borborygme,
Puis vous vous éteigI1iez sans raison, brusquement.
teuils, en osier, sont recouverts de peluche verte
Voilà qu'au lendemain il me fallait remettre
les draperies et rideaux de couleur vieux rouge La tâche. Et, vous couvrant d'injures, de mépris,
sont délicatement brodés. Tout est aménagé J'allais dormir! Pardon; maintenant, j'ai compris
dans cette partie de wagon pour que les voya- Vous vous intéressiez à votre pauvre maître.
Ne voulant pas le voir si longtemps se pencher
geurs puissent, à leur aise, voir les sites qu'ils Pour écrire ou bien lire, un doigt contre la tempe,
traversent. Mais la vue de beaux paysages ne Vous cessiez de brûler. Et c'était, bonne lampe,
suffit pas à un voyageur, surtout s'il est Améri- Votre manière à vous de m'envoyer coucher.
cain du reste, les émotions creusent l'estomac. EDMOND ROSTAND.
AU CIMETIÈRE DE MILAN
Le naode~~n style s'étend même. à l'Halie, si C'est à ce titre que.nous reproduisons le tom-
fière cependant de ses anciens monuments. beau Branca, exécuté par' M. Ernesto Bazzaro,
Un esprit nouveau s'est emparé de ses pein- l'an passé.
tres et sculpteurs, mais il se manifeste plus par-
ticulièrement dans les cimetières, où les ouvra-
~$~$$$$~$~$~~$~$~$~
L'enfant a besoin de la tendresse de sa mère, comme la
ges échappent aux influences académiques. fleur de la goutte de rosée.
LE JUBILÉ DE HENRYK SIENKIEWICZ
Les Polonais viennent de célébrer le jubilé de Cette manifestation grandiose avait, en effet,
Henryk Sienkiewicz dont les premiers succès un caractère national et s'adressait à un écrivain
littéraires remontent à vingt-cinq ans. On lui a national. Le professeur Tarnowski a eu raison
offert, à cette occasion, un château et un do- de dire Ce jubilé, ce sont les noces d'argent de
maine, honneur insigne que méritait l'auteur de Sienkiewicz et de l'àme de la patrie. En effet,
ce Quo Vadis qui, traduit en vingt langues, a fait l'auteur de Par le Fér et par le Feu, du Déluge,
connaître la littérature polonaise contemporaine de 111essire IVolod~jozzs~~i, des Chevaliers Croisés,
dans les deux mondes. fait revivre les temps héroïques de IaI'ologne en
C'est à Varsovie que la cérémonie a eu lieu, le de superbes épopées, sans parti pris, exposant
R2 décembre 1900 des délégués de tous les pays tout à la fois les qualités et les défauts des ancê-
slaves, et même des délégués russes, ont pris tres et faisant comprendre aux Polonais d'au-
part à cette fête qui fut comme la consécration jourd'hui pourquoi leur malheureux. pays a vu
officielle du célèbre romancier. La journée a tant de jours sÓmbres et funèbres. Il relève les
commencé par un service religieux à l'église de coeurs et surtout il donne une voix aux senti-
Sainte-Croix; quand Sienkiewicz est entré, tous ments de patriotisme en un pays qui n'existe
les assistants se sont levés on aurait dit un plus au point de vue politique, mais qui vivra
preux venant se faire ceindre la tête de lauriers. toujours par les arts, la littérature, le travail.
Puis les délégués et une foule d'admirateurs On ne tue pas une nation, a dit Michelet; les
se sont réunis, pour la remise solennelle des œuvres des Mickiewicz, des Slowacki et des
titres de propriété, dans la grande salle de l'hôtel Sienkiewicz prouvent combien est vrai ce mot
de ville où Sienkiewicz a été reçu par d'unanimes du poète historien.
applaudissements, tandis que des dames, du haut Un peupl~ ne doit point se laisser abattre tant
des galeries, faisaient pleuvoir des fleurs sur le que des hommes de génie lui dictent son devoir,
héros du jour. Après une allocution de l'évêque adoucissent sa tristesse et le conduisent vers les
Ruszczkiewicz, le romancier a prononcé quel- hauts sommets d'où l'on entrevoit l'espérance et
ques paroles émues « Qu'il vive toujours, a t-il l'idéal.
dit, ce grand coeur de la nation polonaise qui CASIMIR STRYIENSKI.
sait vibrer ainsi et ainsi récompenser un homme
<le son travail persévérant. »
TRAVERSÉE DU NIAGARA
Les journaux américains et, à leur suite, ceux de Chicago, le héros du Niagara, ainsi qu'on l'ap-
du monde entier, racontaient dernièrement les pelle à présent.
exploits d'un jeune employé de commerce, nom- Bien qu'il mérite certainement les éloges que
mé Bowser, habitant Chicago, qui vient de réussir l'on doit toujours au courage et au sang-froid,
à traverser dans quelles conditions particuliè- dans quelque circonstance que ces qualités se
rement périlleuses, on va le voir les fameux manifestent, nous croyons que nos confrères
rapides du Niagara. américains ont peut-être été un peu loin dans les
Ces rapides, vers le milieu desquels tourbil- louanges qu'ils adressent au jeune Bowser.
lonne sans cesse un effrayant maëlstrom, rendu D'autres avant lui ont essayé de traverser les
plus dangereux encore par la vitesse du courant rapides, et quelques-uns, dont il nous a paru in-
en cet endroit, se trouvent à deux milles environ téressant de rappeler les exploits, l'ont fait avec
au delà des chutes que tout le monde connaît, au le même succès.
moins par ouï-dire, et dont les eaux tumultueuses, Le premier qui s'y soit risqué et qui, du reste,
tombant d'une hauteur de. 49 mètres, s'écoulent ouvre tristement la série des héros du Niagara,
avec fracas jusqu'au lac Ontario. puisqu'il y trouva la mort, fut le célèbre capi-
Bowser s'était construit, en vue de la traversée, taine Webb. C'était le 24 juillet 1883.
un petit bateau de vingt pieds de long seulement, L'annonce de ce record sensationnel avait atti-
mais solidement charpenté et lesté d'environ ré, des deux côtés de la berge et sur le pont sus-
1000 kilos de ballast pour accroître sa stabilité. pendu, une foule évaluée à près de 60 000 cu-
A cet esquif, véritable coquille de noix, il avait rieux. Le capitaine devait traverser la rivière à la
donné le nom suggestif de Fool-Killer. nage, sans le secours d'aucun canot ni d'aucun
Mais il y a une providence pour les fous, cha- engin de sauvetage. Comme on le voit, la tâche
cun sait ça, et c'est pourquoi Bowser a réussi là était autrement périlleuse que pour le « clerk »
où bien d'autres avaient échoué avant lui. Bowser
En présence d'une foule considérable, après Arrivé au milieu de la gorge, le capitaine Webb
avoir revétu un simple corset natatoire, il s'est fut soudain comme aspiré par le rémous du cou-
embarqué dans son bateau, du côté américain, rant. On le vit tournoyer, se débattre un moment
et quelques minutes plus tard, luttait à force de au milieu des vagues furieuses, puis disparaître.
rames contre le courant. A cinquante mètres à Quatre jours plus tard seulement, on retrouva
peine du rivage, une vague terrible frappait la son corps mutilé, à 2 kilomètres au delà du vil-
barque de côté, menaçant de la faire chavirer, et lage de Lewiston.
durant tout le reste du trajet, Bowser se trouva Trois ans se passèrent, après cette tentative
au milieu d'une véritable trombe d'eau, sous tragique dont la presse du monde entier avait
laquelle il était comme submergé. relaté les émou~-ante.s péripéties, sans que per-
En outre, lorsqu'il arriva au tourbillon dont sonne osât la rééditer, lorsque le 11 juillet 1886,
nous avons parlé, son bateau, entraîné par le un tonnelier de Philadelphie, nommé Carlisle
remous avec une vitesse vertigineuse, se mit à Graham, s'étant fabriqué un tonneau assez grand
tourner sur lui-même pendant près d'une heure. pour le contenir, réussit, pour la première fois,
Et le malheureux, plus mort que vif, était conti- à traverser le Niagara, et cela en moins de trente-
nuellement et cruellement frappé par des troncs cinq minutes.
d'arbres et de grosses pierres charriées par la Son succès l'ayant enhardi, il recommença le
rivière1 19 août de la même année, en présence d'une
Vingt fois, Bowser crut sa dernière heure v enue, foule énorme accourue de tous les points du ter-
quand une vague, plus formidable que les autres, ritoire. Cette fois, au lieu de s'enfermer dans son
le rejeta, lui et son canot, en dehors du maëls- baril, il effectua la traversée de la manière sui-
trom et, tout sanglant, à moitié asphyxié, l'auda- vante
cieux employé de commerce se dirigea tant bien Après avoir lesté son tonneau de façon qu'il
que mal, en dérivant jusqu'au bord canadien, où restât toujours, et quelle que soit la violence du
trois hommes parvinrent à remorquer le Fool- courant et des vagues, dans la position ver-
Killer en lieu sûr. ticale, Graham installa à l'intérieur une sorte de
La traversée des rapides avait duré plus de deux hamac où son corps se tro"uvait suspendu, la tête
heures. émergeant au dehors du tonneau, jusqu'aux
Bowser a juré qu'il ne recommencerait pas épaules. Pour amortir encore les chocs contre la
pour 100 000 dollars. paroi de son original esquif, il avait eu soin de
Tel est le récit, que nous ont rapporté les jour- le garnir d'un capitonnage grossier mais très
naux transatlantiques, de ce tour de folie qui a élastique.
fait, du jour au lendemain, d'un modeste « clerk » Le tonneau dans lequel Graham renouvela, en
1887 et en 1889, sa traversée des rapides, mesu- bre 1888, Charles Percy, un charron, renouvela
rait l°°,10 de haut et était consolidé par 28 cer- les exploits de ses prédécesseurs, mais dans un
cles de fer très larges et robustes. bateau insubmersible de 17 pieds de long sur
Enfin, un beau matin, en septembre 1889, le 5 de large, muni de caisses à air à chaque extré-
recordman philadelphien annonça son intention mité.
de se laisser tomber, dans son tonneau, de toute Son exemple fut suivi par Robert William
la hauteur des chutes du Niagara jusqu'au fond Flack, de Syracuse (New-York),qui avait inventé
de la gorge, à l'endroit le plus dangereux. Mais, un canot ponté, le Phantom, soi-disant inchavi-
c'eût été la mort certaine, et Graham comprit la rable, et dont l'épaisseur de la coque était rem-
démence d'un pareil suicide. plie, en guise de cofferdam, d'un rembour-
On parla néanmoins pendant plusieurs se- rage de vieux copeaux. Ce Flack était si sûr de
maines de l'audace du tonnelier, des paris son bateau qu'il avait proposé à Percy de faire
s'engagèrent, et un journal yankee raconta même avec lui une course à la rame, en passant par le
que Graham avait effectué le grand saut de tourbillon, jusqu'au dock de Lewiston.
49 mètres, sans que personne autre que le re- Hélas! à peine était-ilembarqué que son canot,
porter du journal ait été témoin de ce tour de pris par le courant, chavirait, et que deux lames
force, unique dans les annales de la folie hu- formidables venaient assommer littéralement le
maine. Renseignements pris, il s'agissait d'un pauvre Flack, sous les yeux de sa femme et de
tonneau vide que Graham avait, en effet, lancé son enfant, qui assistaient, terrifiés, de la rive
du haut de la cataracte, mais uniquement pour toute proche, à ce spectacle. Percy, resté sur le
voir où il atterrirait et dans quel état. Or le ton- bord canadien, avait été impuissant à lui porter
neau en question avait été brisé en mille mor- secours.
ceaux dans sa chute. Cette mort devait calmer singulièrement l'ar-
Entre temps, un policeman de Boston, W. J. deur des recordmen du Niagara. Depuis la fatale
Kendall, avait traversé les rapides sans acci- tentative de Flaclc, deux hommes seulement,
dent et revêtu seulement d'une ceinture en liège. Campbell, en 1889, et Robert Leach, en 1898, se
Peu de spectateurs assistaient à cet essai, aussi risquèrent à affronter les rapides. Nous ne par-
les journaux n'en ont-ils pas fait mention et lons pas, bien entendu, des divers passages au-
beaucoup de personnes affirmèrent depuis que dessus de la rivière effectués, sur la corde raide,
Kendall n'avait jamais été plus loin que le ter- par le fameux équilibriste Blondin. Ce sont là, à
rible tourbillon, ce qui témoigne tout de même coup sûr, des tours de force sensationnels mais
d'un sang-froid peu ordinaire. qui ne rentrent pas dans le cadre de cet article,
La seule femme qui se soit jamais aventurée réservé uniquement aux traversées sur l'eau de
sur le Niagara est miss Sadie Allen. Vers la fin de l'impétueux Niagara.
l'année 1886, en compagnie de George Hazlett, Espérons que Bowser, le dernier en date des
elle traversa les rapides dans un grand tonneau conquérants du « whirlpool », clora pour long-
en forme de bouée. Ce record est d'autant plus temps la série, maintenant surtout que deux
remarquable que la jeune fille qui l'accomplissait ponts vertigineux mais d'une solidité à toute
était alors âgée de 22 ans. épreuve, unissent, non loin de la cataracte, le
A trois reprises différentes, le 28 août 1887, le territoire de l'Union au sol canadien.
25 septembre de la même année et le 16 septem- EDOUARD BONNAFFÉ.
La flore d-e la mer se compose presque exclu- de brillantes couleurs qu'on n'est pas habitué à
sivement d'une seule rencontrer dans le règne végétal et qu'on trouve
grande classe de végé- quelquefois bizarrement assorties sur le même
taux les algues ou fu- organe foliacé, tout cela imprime à ces végétaux
cus. Une structure un caractère étrange et féérique.
parti~ulière, molle et Bien que dépourvues de fleurs, ces plantes
gélatineuse dans tou- offrent une diversité de formes telle qu'un
tes les parties, un en- paysage au fond de la mer n'est ni moins
semble d'organes ar- intéressant ni moins varié que celui que pré-
rondis, allongés ou sente une contrée à laquelle le soleil aurait
étalés, et auxquels les imprimé le riche cachet de la végétation des tro-
expressions de tiges piques.
et de feuilles sont dif- C'est un de ces paysages sous-marins que
Polysiphonia insidiosa. ficilementapplicables: Schleiden, le savant professeur d'Iéna, a vu dans
la mer des Indes et qu'il décrit avec enthou- suite les alariées à longue tige dont le tronc est
siasme ('1). garni d'une collerette de feuilles imitant une
Semblable à une forêt vierge, les plantes se manchette et dont le sommet s'étale en une
«
feuille gigantesque, unique, longue de 15 mètres.
Mais tout cela est dépassé par les fameuses né-
réocystées. De la racine, semblable à du corail,
s'élève une tige filiforme, longue de plus de vingt
mètres, qui se renfle peu à peu en forme de mas-
sue couronnée d'une touffe de feuilles étroites,
longues de dix mètres. On pourrait les appeler
les palmiers de la mer. Et cette plante énorme
est le produit de quelques mois seulement, car
la plante est annuelle et se reproduit de semen-
ces. Tel est le paysage qu'il n'est donné qu'à un
petit nombre d'hommes d'admirer dans toute sa
beauté et dans tous
ses détails. »
Beaucoup moins
LJ pittoresque mais
Lomentaria. bien étrange cepen-
dant est le specta-
serrent les unes contre les autres. Les petites cle que présente la
conferves recouvrent le sol comme d'un tapis de mer des Sargas-
velours vert sur lequel la laitue de mer avec son ses ». On désigne
ample feuillage joue le rôle de grandes herbes; ainsi une vaste
le tout est rehaussé par les iridées aux larges étendue de l'océan
feuilles d'un rose ou d'un écarlate superbe; une Atlantiqueoù vien-
infinité de fucus tapissent les rochers d'un beau nent se réunir de
vert olivâlre émaillé des couleurs chatoyantes de grandes algues mu-
la rose de mer. Les arbres sont représentés par niesd'ampoules(les
les laminaires qui ressemblent à d'immenses sargasses) qui leur
permettent de flot-
1 ter à la surface des
eaux.
Elles forment
alors ces sortes de
prairies flottantes,
rencontrées par
Christophe Colomb
et qui effrayèrent
tant ses compagnons persuadés qu'elles mar-
quaient les limites de la végétation.
Les algues de nos côtes sont de dimensions
beaucoup plus modestes que celles des régions
tropicales.
Mais, en revanche, elles sont de formes plus
gracieuses. Comme elles sont élégantes, ces
vraies fleurs de la mer. dans les flaques limpi-
des, au pied des rochers ensoleillés!
Doucement bercées par les petits remous,
elles dressent à côté des anémones et des mé-
duses leurs panaches diversement colorés,
étranges végétaux d'une forêt à travers laquelle
se hâtent gauchement les crabes à la rude cara-
Sargassum vulgare. pace.
Rien de plus gracieux que les polysiphonies
rubans flottants de plus de 10 mètres de lon- et les plocanicum à rameaux capillaires et aux
gueur et sont entremêlés de macrocystées aux nuances vives brun foncé, marron, lie de vin,
ramifications nombreuses et chargées de leurs rouge clair; de plus délicat que les céramium
kystes de la grosseur d'une poire. Viennent en- dont les tiges ponctuées et transparentes sont
(1) SCPLEIUEN~ La ~'ie de la Plante d'une finesse extrême rien de plus simple que
les entoromorpha, semblables à la longue cheve- touffes pendent comme des chevelures en dé-
lure de quelque Néréide. sordre à la pointe des rochers les laminaires à
Quoi de plus étrange que la coralline, sorte de
corail végétal qui a la singulière propriété d'ex-
traire de l'eau de mer, pour s'en revêtir, le car-
bonate de chaux qu'elle contient? Quand la plante
meurt, la partie calcaire conserve la forme pri-
mitive.
Vivante, la coralline est rose ou rouge; les tiges
blanches ne sont que des morts revêtus de leur
suaire de pierre.
Plus commune est l'ulve ou laitue de mer, à la
large feuille plus ou moins ovale, ondulée,plissée,
d'un fin tissu comme la batiste, et d'un beau vert
tendre. Queue de paon..
Les ulves sont, de toutes les plantes marines,
les plus utiles dans un aquarium, à cause de la rames, géants des algues de nos cÓtes, dont
propriété qu'elles ont d'expirer abondamment quelques-unes atteignent jusqu'à 4 mètres de
l'oxygène. L'ulve-laitue y réussit parfaitement. longueur; les chondenis ou chicorée de mer aux
frondes découpées en
éventail et gracieus2ment
échancrées.
Nos lecteurs nous sau-
ront sans doute gré de
leur indiquer les meil-
leurs procédés à employer
pour recueillir et prépa-
rer les algues que l'on
veut conserver; une col-
lection de ce genre est
Enteromorpha erecta. non seulement faite pour
charmer les yeux, mais
On la voit, sous l'influence de la chaleur et de la c'est encore un véritable journal, propre à rap-
lumière, étaler ses larges frondes et se couvrir peler une foule de souvenirs, si on a eu soin de
de bulles d'oxygène brillantes comme des perles, transcrire sur l'étiquette de chaque plante la
'lui, agissant comme des petits ballons en mi- date et le lieu où'on l'a recueillie. Les échantil-
Liiature, soulèventles feuilles ondulées de l'algue
comme une draperie tissée d'émeraudes. Les
ulves sont comestibles, on les mange bouillies
-sur plusieurs points de nos côtes on prétend
même que, réduites à l'état de gelée et arrosées
de jus de citron, elles constituent un mets fort
délicat.
Une algue qui ne peut manquer d'attirer l'at-
tention par sa forme siogulière, si on la rencontre
toutefois car elle est assez rare, est la queue de
paon.
Cette plante qui croît abondamment sur les
côtes-de la Méditerranée ne se rencontre guère
au Nord que dans quelques flaques profondes,
ou hors de la limite des marées et encore la
coquette ne se montre-t-elle que dans les mois'
d'été pour disparaître à l'automne. Ses frondes
en éventail sont formées de fibras délicates qui Floramium coccineum.
dessinent des bandes concentriques à leur sur-
face et décomposent les rayc ns lumineux de Ions que l'on veut conserver doivent êtr2 d'abord
manière à réfléchir les plus belles nuances du lavés à plusieurs reprises dans l'eau douce, afin
prisme, ce qui l'a fait comparer à la queue du d'en enlever tout le sel qui, étant déliquescent,
paon qui fait la roue. attirerait l'humidité et la moisissure, et amène-
Combien d'autres algues n'aurions-nous pas rait infailliblement la prompte destruction de la
encore à citer? Les varechs olivâtres dont les collection entière.
Lorsqu'elles ont été bien lavées, on plonge les quets aussi gracieux de formes que variés de
algues dans une large cuvette ou baquet rempli couleur.
d'eau fraîche et bien claire, puis on glisse sous Des algues très fines se fixent fort bien sur le
la plante flottante une feuille de fort et beau papier et sont placées comme en-tête de lettres
papier, sur lequel on étale et l'on sépare, à l'aide c'est d'un effet très original. On a même com-
d'une longue aiguille, les petits rameaux, en posé des motifs qui ont pu servir de modèle pour
cherchant à donner à la plante le port qu'elle a des papiers peints..
naturellement dans la mer; cela fait, on retire Les algues ont aussi quelques usages indus-
doucement le papier de l'eau en soulevant avec triels ou médicinaux. Le lichen d'Islande, sou-
lui l'algue qui y reste attachée. La plupart des verain dans les rhumes, est une algue que le
hydrophytes sont recouvertes d'un enduit géla- pêcheur irlandais va cueillir dans les rapides, au
tineux, au moyen duquel elles adhèrent natu- péril de ses jours. Les varechs ou goémons sont
rellement au papier; cependant il vaut mieux les soigneusement recueillis par les paysans bretons
soumettre à une légère pression, en les plaçant qui les emploient à fumer leurs champs ou les
entre des feuilles de papier buvard que l'on font brûler pour en retirer la soude. Sur les côtes
change le plus souvent possible. Quelques algues du Finistère,les habitants servent dans les festins
sont tellement gélatineuses qu'elles s'attache- un « pain de goémon qu'ils déclarent excel-
raient au papier buvard, si l'on ne prenait cer- lent. Nous n'en avons jamais goo.té, mais nous
taines précautions; pour celles-là, il faut, une craignons qu'il en soit un peu de ce pain comme
fois étalées et sorties de l'eau, les laisser sécher à des « tartes aux poireaux de Picardie, dont
moitié à l'air libre, puis, avant de les soumettre Alphonse Karr disait « Ce serait très bon si c'était
à une compression légère, les recouvrir d'une mangeable ». Nous avons plus de confiance
feuille de papier légèrement huilée, afin qu'elles bien que n'en ayant jamais goûté non plus
n'adhèrent qu'à la feuille sur laquelle elles ont dans le potage aux nids d'hirondelles, régal des
été étendues pour la conservation. gourmets millionnaires. Ces nids sont formés
Si ces opérations très simples ont été bien d'algues mucilagineusesrecueillies par les hiron-
faites, on possèdera le plus merveilleux album delles salanganes à la surface des mers de la
que l'on puisse voir. On peut aussi arranger avec Chine et de l'Inde.
des plantes convenablement choisies des bou- V. BRANDICOURT.
Mes enfains, c'est signé mes en fains, mes chers e~a fains, je suis
Ah.!
Telle est l'exclamation que pousse Mme de bien fatiguée, mais je suis heureuse! C'est la for-
Cachein en faisant irruption dans son logis, un tune pour nous1
peu essoufflée par l'ascension des cinq étages. Combien toucheras-tu, maman, demande
La brave dame est fraîche et pimpante, malgré Berthe, une petite brune de vingt à vingt-deux
ses soixante ans bien sonnés. Aujourd'hui veuve, ans, très sémillante et jolie, la douzième de. la
elle eut jadis ses jours de fortune et de splen- famille.
deur, mais elle en est réduite maintenant à se Oh pas tout à fait autant que je l'espérais
privér de bonne, et à demeurer au fond des nous n'aurons pas plus de quatre millions, quatre
Batignolles dans un petit appartement où sa milllons et demi.
famille est à l'étroit. Diable dit Henri, je me contenterai d'un
Heureusement, « ce n'est que provisoire », du tiers.
moins, elle l'assure et v it de cette espérance. C'est trop beau, soupire Madeleine, l'aînée
Ce soir-là, elle arrive toute joyeuse, car, ainsi des filles, il doit y avoir de la Garonne là-dedans
qu'elle l'a annoncé en manière de bonjour .Ah la Garonne cette Garonne tant chantée,
« C'est signé 1 » tant calomniée Mme de Cachein est née sur
Oui mes enfains, <est signé notre grande ses rives, elle y a été élevée, elle y a vécu long-
affaire, la grande affaire .des mines d'or du Véné- temps, et le soleil du Midi a jeté sur ses pensées
zuéla. Le marquis de Saint-Céran a toutaccepté; et sur ses rêves une teinte d'or ineffaçable. Aussi,
demain, il donnera les deux cent. cinquante elle espère contre toute espérance, elle espère
mille francs immédiatement, on fait partir les en dépit de la dégringolade de sa fortune, elle
minerais les plus beaux, et ils seront à Paris espère envers et malgré tout.
d'ici trois mois, au plus. Ma petite Berthe, continua Mme de Caéhein,
Deux jeunes filles et un grand garçon l'écou= Georges est un brave garçon qui t'aime pour toi,
tent d'un air demi-crédule. mais tu auras une dot, une belle dot.
Si nous n'avons que ma dot pour manger, nous mangerons de l'ail partout, chaque jour, et
nous risquons fort de mourir de faim. vous verrez que personne ne le trouv era mau-
Mais je vous donnerai tout de suite deux vais.
cent cinquante mille francs à chacun, et vous Les futurs millionnaires sont interrompus dans
aurez plus que cela dans l'avenir. leur repas par un formidable coup de son-
Ah! l'avenir et le provisoire, nous les con- nette. Madeleine s'en va ouvrir. On entend dans
naissons, malheureusement, fait Madeleine l'antichambre une voix d'homme qui demande
Mais enfin, mes enfains, puisque je vous dis Mme de Cachein.
que c'est signé. Ah! s'écrie celle-ci, en se précipitant vers
Quoi, signé? la porte d'entrée, voilà M. Mouchu. Eh bonjour
Le bon de commission, donc Monsieur, quel bon vent vous amène? Vous allez
Ah seulement formule Henri, légèrement dîner avec nous, n'est-ce pas ?
refroidi. Mais. Madame.
Comment seulement ? N'est-ce pas l'essen- Vite, Madeleine Berthe, un couvert de plus.
tiel ? Je suis sûre de mon capitaliste, c'est moi Les rangs s'élargissent et le nouveau venu
qui le fais connaître, qui le mets en rapport, par prend sa place autour de la table.
M. Mouchu, avec le propriétaire des.mines; il Oui, mon bon monsieur Mouchu, continua
est bien juste que je sois payée de ma peine Mme de Cachein s'attendrissant, vous me voyez là
Mais, voyons, interroge Berthe, qu'est-ce 1 entourée de tous mes enfâins, de ceux du moins
au juste que ce M. Mouchu ? qui ne sont pas mariés. Voilà Madeleine, une
M. Mouchu est l'ami d'enfance de M. de bonne petite femme de ménage, et Berthe, ma
Rastamont, lequel est sur les lieux là-bas, au dernière, dont la noce aura lieu dès que nos
Vénézuéla. M. de Rastamont a découvert les affaires seront arrangées, et Henri, mon bon fils.
mines un jour, en se promenant; elles sont en- Une jolie famille, madame
clavées dans une grande propriété que l'on aura Oh je le sais, certes! Mais parlons un
pour un morceau de pain, car nul ne se doute du peu de nos mines.
trésor que le sol renferme. J'ai reçu cette après-midi d'excellentes nou-
Mais pou~quoi, demande Madeleine, M. de velles du Vénézuéla. En expédiant l'argent par
Rastamont a-t-il besoin de 1\<1. Mouchu ? le télégraphe, nous gagnons un mois.
Il en a besoin, parce que, restant au Véné- Monsieur, vous aurez les capitaux demain,
zuéla, afin de diriger l'extraction des minerais, il ou après-demain, au plus tard.
lui faut un représentant à Paris pour trouver les Ah Madame, que je suis heureux de vous
capitaux. Tout naturellement, il s'est fié à avoir rencontrée.
M. Mouchu, qu'il aime comme un frère. Allez, il y a des hasards providentiels. Mes
Alors, interroge Berthe, M. Mouchu n'a enfaiîis, monsieur est notre providence, notre
jamais vu les mines ? sauveur, je tiens à vous le dire devant lui.
Inutile qu'il les voie, puisqu'il a la parole Pendant que Mme de Cachein, avec des larmes
de son ami. d'attendrisse ment dans les yeux, serre les mains
Hum. hum. hum. disent en choeur les de M. Mouchu, un nouveau coup de sonnette
trois jeunes gens, retentit.
Ah vous n'auriez pas de doute si vous C'est le capitaliste, le marquis de Saint-Céran,
aviez vu comme moi ce brave M. Mouchu me qui arrive. Un muscadin, celui-ci trente ans
jurer que je ferais ma fortune avec lui; il me l'a tout au plus, soigné, tiré à quatre épingles. Il
juré sur la tête de son père, de sa mère, de sa fait contraste avec M. Mouchu qui, lui, a l'air
femme morte, de sa fille. nécessiteux et misérable.
Si, en attendant la splendeur, nous dinions, On fait entrer le marquis dans la salle à man-
maman, fait Berthe il est sept heures et demie. ger. Il salue les jeunes filles, et admire du coin
C'est vrai, dit Madeleine, on meurt de faim. de l'œil ces deux belles brunes, vrais types de
Et la perspective des bons de commission Méridionales.
ne tient pas lieu de repas, ajoute Henri d'un air Vous avez dîné, au moins, lui demande
perplexe. Mme de Cachein.
Sur ce, les jeunes filles apportent sur la table Oui, oui, madame, je sors de table.
une de ces bonnes soupes du Midi, d'où s'exhale Alors, si nous passions au salon, nous se-
une odeur appétissante. rions mieux pour causer.
Mes enfains, cela me rappellerait nos po- Et le trio s'installe dans la pièce voisine sur
tages de Nérac, si vous y aviez mis un peu d'ail. les meubles de velours de Gênes, un peu défraî-
De l'ail Maman, y penses-tu, s'écrièrent à chis, tout ce qui reste du luxe d'antan.
la fois Madeleine et Berthe ? De l'ail ? Mais on ne Je viens de chez mon notaire, commence
peut manger d'ail à Paris le jeune marquis; il me comptera les deux cent
Quand nous serons riches, mes enfains, cinquante mille francs demain à la première
nous ferons venir une cuisinière de chez nous, heure. Mais ne m'en demandez pas davantage,
c'est le fond de mon sac. Heureusement, le se- Ah! éternel provisoire de ma famille!
cret sera bien gardé, et ma mère ne se doutera Riez, riez, mes enfains, soupire Mmo de Ca-
du placement de mon argent dans cette merveil- chein scandalisée. Je vous dis que nous sommes
leuse affaire, que lorsque mes risques seront sur le point de nous sortir d'affaire. Nous serons
couverts au delà de toute espérance. tous heureux vous aurez une position dans les
Oui, oui, répond gravement M. Mouchu, mines comme ingénieur et vous gagnerez cent
dans trois mois, jeune homme, vous serez mille mille francs par an; toi, Henri, tu t'occuperas de
fois plus riche que vous ne l'étiez à la mort de placer les minerais, et pour toi, Madeleine, j'ai
votre père. déjà trouvé un mari sans fortune vous n'en
Mais après, mon cher eu fain, conclut aurez pas besoin mais il est charmantl
Mme de Cach~in sur un ton maternel, mais après Certainement, mais cela ne peut nous em-
vous serez sage et vous ne ferez plus que des pêcher de nous marier tout de suite, insiste
affaires sûres comme celle-ci. Georges.
M. Mouchu a pris la meilleure place sur le Enfin, soit, si vous y tenez absolument.
canapé; béatement, il regarde la lumière de la J'aurai encore le temps de commander le trous-
lampe et songe au bon dîner de tout à l'heure. seau de Berthe et votre mobilier. Mais non, mes
Mme de Cachein se voit, en perspective, dans p6~8vres enfains, c'est impossible, vous seriez
un hôtel donnant sur l'avenue du Bois, avec ses trop en camp volant, là-bas.
chers en fai~as. Il ne lui en reste plus que sept Où, là-bas? interrogent toutes les voix.
dont quatre sont mariés en divers points du Et à Tastillac, donc.
monde. Elle les veut tous auprès d'elle. tous. A Tastillac?
tous. eux et leur famille. Té, mes enfaiu.s, je veux racheter Tastillac,
Et le jeune marquis, bâtissant de beaux châ- ce bon vieux chàteau où vous êtes tous nés.
teaux en Espagne avec le bénéfice des derniers Vous y passerez votre lune de miel, mais dans
deux cent cinquante mille francs qui s'envolent, un mois il sera tout juste redevenu nôtre et on
projette de faire une noce. oh mais une de ces ne l'aura pas encore installé comme je le vou-
noces! drais.
Il est natif de Marmande celui-là! Ouf maman, s'exclame Berthe, si nous
attendons Tastillac pour nous marier, nos che-
DEUx MOIS APRÈS.
veux deviendront blancs. Il est bien près de la
Georges Valmont, ingénieur plein d'avenir et Garonne, Tastillac!
fiancé de Berthe, est venu dîner aux Batignolles, Le diner est fini. Henri jette machinalement
chez Mme de Cachein. Pendant que toute la fa- les yeux sur un journal du soir
mille est réunie autour de la table, on fait mille Miséricorde, s'écrie-t-il -voilà encore un
rêves de bonheur. mirage de la Garonne Écoutez
J'ai réuni tous les papiers nécessaires aux Et il lit tout haut ce fait divers inséré à la
publications, dit le jeune homme; nous pouvons troisième page
faire afficher notre mariage dans un mois, ma- « Hier matin, à cinq heures, on a arrêté un
dame, jf~ vous enlève votre fille si vous le per- escroc qui, sous divers noms, et en dernier
mettez. lieu sous celui de Mouchu, a fait de nombreuses
Mon en fain., attendez quinze jours de plus, victimes. Il se disait propriétaire de mines d'or
que nous soyons installés dans notre nouvel dans le Vénézuéla et prétendait avoir un ami sur
appartement. les lieux mêmes. C'est à cet ami qu'il envoyait
Vous déménagez, demande Georges sur- soi-disant les fonds qu'on avait la crédulité de
pris'? lui remettre. Dernièrement, un fils de famille, à
vous comprenez bien que, lorsque nous
Oh demi ruiné, lui a donné deux cent cinquante
aurons de quatre à cinq millions, nous ne reste- mille francs, attiré par l'espérance d'une forte
rons pas ici. commission. La mère du jeune homme, ayant
Vous savez, Georges, fait Berthe, maman découvert le pot aux roses, a porté une plainte à
compte toujours sur la grande affaire du Véné- la police.
zuéla. « Le faux monsieur n'a point de complices et
Ah oui cette fameuse affaire qu'on me jette son prétendu ami du Vénézuéla n'existe pas plus
perpétuellementà la tête quand je veux fixer la que ses mines. »
date du mariage, je la sais par cœur. Ah bon Dïôu, c'est bien notre affaire, gé-
Et moi, ce que je sais, ajoute Berthe, c'est mit madame de Caohein atterrée, qui m'aurait dit
qu'elle nous vaut le plaisir de recevoir M. Mouchu cela? Oh le fripon Oh le brigand Oh le bandit 1
à dîner trois fois par semaine. Heureusement, Puis, elle se lève avec énergie et s'écrie, l'œil
ce soir, il a eu le bon esprit de rester chez lui ou illuminé
de se faire inviter ailleurs. Mes en fains, ne nous désolons pas, j'ai une
Voyons, petite soeur, dit Madeleine, puis- autre affaire en train!
que « ce n'est que provisoire » PHÉNO.
La Quinzaine ne faut pas, en effet, se joindre à ceux qui affec-
1-1
LA MUSIQUE
Du rôle de l'Opéra,-Populaire. Va-t-il défini- VARIÉTÉS
tivement élire domicile rue de Malte, cet Opéra po-
pulaire tant souhaité, ou, à l'instar de ses devanciers, LÉGENDÉ DE SABALA (1)
va-t-il errer de scène en scène jusqu'à la finale
extinction1 de notre planète? Et M. Duret, qui est Nous étions assis autour de la flambée, écoutant ce
un habile inapresario doublé d'un homme de goût, silence des Tatras qui vous remplit l'oreille tant il est
marchera-t-il sans obstacles dans la voie qu'il s'est grandiose.
tracée et où point n'est besoin de dire que tous nos L'heure du coucher était proche, lorsque soudain
vœux l'accompagnent? Sabala leva sa tête ridp.e qui ressemble à la tête d'un
Je crois qu'à cet égard l'avenir est pour lui plein de vieux vautour et à celle de Milton. Il regarda la flam-
riantes promesses, les pièces de début qu'il a choisies bée de son œil vitreux et commenca
ayant trouvé près du public un très favorable accueil. « N'en déplaise à Vos Seigneuries, certain
jour un
La Reine de Saba, Zampa, Paul et Virginie, la Traviata, paysan cheminait, tenant en main un vilebrequin et
constituent d'ailleurs une attrayante entrée en ma- une hache, dans la direction de Nowy-Targ. Près de
tière, et ce choix nous laisse entrevoirl'intention bien Poronin, il vit tout à coup qu'une vieille femme mar-
arrêtée de ne pas imposer au spectateur l'audition chait à côté de lui. Le paysan, en homme perspicace,
d'œuvres si savantes qu'elles en sont forcément en- s'aperçut que c'était la Mort- et il chercha le moyen
nuyeuses, pour ne pas dire incompréhensibles. de se débarrasser de cette compagne inattendue.
Il y a actuellement et il y aura toujours lutte ou- Il se mit alors à faire un trou dans un saule, et
verte entre les partisans de l'ancienne école et ceux lorsque l'arbre fut percé il regarda dedans.
de la nouvelle donner alternativement satisfaction Qu'est-ce que tu regardes? demanda la Mort.
aux uns et aux autres serait le sûr moyen de travailler
dans l'intérêt de l'art, et, ce qui n'est pas à dédaigner, (1) Sabala estunguide de Zakopane (Carpathesj.Comme
de réaliser de fructueuses recettes. les bergers de Provence, il raconte volontiers des histoires
ainsi que Sienkiewicz
aux touristes qu'il accompagne; c'estlaquelle
Mais cela ne serait que du provisoire il est un il a conservé
a pu noter l'une de ces légendes à
autre but où doit tendre le directeur de l'Opéra po- son ton naïf, son symbole enfantin, et même son invrai-
pulaire, c'est de chercher si, sans être trop réaction- semblance.
Tu vepx le savoir? Eh bien! regarde toi-même. et MM. Bracquemond, Boilvin, AchilleJacquet, Lalauze
Et tandis que la Mort regarde, le paysan taille avec pour les eaux-fortes. Dès le mois d'avril paraissait
sa hache un gros bouchon de hêtre. chaque mois dans la Revue de l'Art une copieuse mo-
Je ne vois rien, dit la Mort. nographie consacrée à l'Exposition, et c'est toutes ces
Entre tout à fait et tu verras. études, dont le succès a été très vif, que M. Jules
A peine la Mort était-elle entrée dans le saule que Comte a réunies en volume pour notre plaisir et notre
le paysan boucha le trou, n'en déplaise à Vos Seigneu- profit. Tous ceux qui ont passé de longues et agréables
ries, avec le bouchon de hêtre qu'il enfonça à grands heures dans les deux Palais, devant les incompa-
coups de bâton; puis il s'en alla. rables objets d'art, statues ou tableaux, meubles ou
Plusieurs années se passèrent, le paysan vivait tou- bibelots, tapisseries ou pièces d'orfèvrerie, venus des
jours, vivait toujours; les gens cessaient de mourir, quatre coins de la France et même de l'Europe, re-
il y avait tant d'hommes à Zakopane, à Bialy Duna- troweront, en feuilletant ce superbe volume, les
jec, à Chochotow, qu'ils étaient aussi serrés que les chefs d'œuvre les plus admirés; ils auront, pour ainsi
arbres de la forêt. Le pauvre paysan vieillissait, la dire sous la main, les objets de prédilection aujour-
misère faisait plier son échine, il ne.pouvait plus tra- d'hui dispersés et garderont ainsi de l'Exposition le
vailler. Il en eut assez à la fin et s'en fut délivrer la souvenir le plus instructif et le plus précis. L'ouvrage
Mort, prisonnière dans le saule. est divisé en trois parties l'Art rétrospectiffrançais,
La Mort, n'en déplaise à Vos Seigneuries, ne fit les Beaux-Arts, les Arts décoratifs; Chacune de ces
qu'un bond et se mit à faucher à Zakopane, à Bialy parties se compose d'articles écrits par des spécialistes
Dunajec, à Chochotow. Il mourait tant de gens qu'on qui font autorité. De nombreux burins et eaux-fortes,
manquait de place pour les enterrer tous. La Mort des lithographies, des héliogravures, des photogra-
arrive à la porte d'une vieille femme, une veuve vures illustrent le volume et témoignent que rien n'a
il y avait sept orphelins dans la masure. Et les enfants été négligé pour le rendre digne du sujet, des auteurs
de demander grâce et de se lamenter. et de l'éditeur.
Ne prends pas notre mère! Ne prends pas notre
mère En Flanant à travers l'Exposition de 1900,
La Mort a pitié des enfant~, elle va chez le bon Dieu. par M. André HALLAYS (Li6z~aioie Perrizz). M. André
Seigneur, dit-elle, comment pourrais-jeprendre Hallays est véritablement un tlâneur à prendre pour
la mëre? Les enfants demandent grâce et se lamen- modèle. Il a la flânerie heureuse et fructueuse il
tent à vous faire frissonner. ntest pas comme ce personnage d'un roman de Daudet
Je n'entends rien à ces choses,.dit le bon Dieu, que le désœuvrement conduit à aller inspecter les
c'est à Jésus qu'il faut t'adresser. Va chez le Seigneur maisons en construction à Paris. Il sait où il va. A
Jésus, il te dira que faire. flâner ainsi, M. Hallays ne gaspille ni son temps ni le
Arrive la Mort chez le Seigneur Jésus. nôtre. Avocat et journaliste goûté, les lecteurs des
Seigneur Jésus, dit-elle, comment pourrais-je Débats ne me contrediront pas, M. Hallays est un
prendre la mère? Il y a sept orphelins dans la ma- voyaôeur infatigable. Je ne sais s'il ne voyage qu'à
sure, ils demandentgrâce et se lamentent à vous faire ses moments perdus, mais je souhaiterais qu'il n'ait,
frissonner. Et le SeigneurJésus lui donna un soufflet. dans ce cas, que des moments à perdre. On sent, dans
Plonge-toi dans la mer, dit-il, et rapporte-moi le livre qu'il nous offre, qu'il a pris plaisir à voyager
un galet. en Europe, sur les bords de la Seine, comme M. de
La Mort plonge dans la mer, jusqu'au fond, et rap- Maistre voyageait autour de sa chambre. Ses plus vives
porte un galet très dur, tout rond comme une miche impressions sont celles qui lui rappellent un pays,
de pain. une ville aimés. C'est un régal que de se promener
Mets-y la dent, dit le Seigneur Jésus en sa compagnie à travers l'Exposition; il nous con-
La Mort y mit la dent, mordant jusqu'à se briser duit droit à ce qu'elle renferme de plus caractéristique
la mâchoire. Quand elle eut rongé le galet tout au- et, chemin faisant, sur le ton dégagé d'une causerie
tour, elle aperçut au milieu un insecte. Et le Seigneur piquante, il s'abandonne à des remarques, à des
Jésus lui donna un soufffet. commentaires qui nous prouvent que M. Hallays est
Tu vois, dit-il, cette petite bête qui vient du un cicerone averti, c'est-à-dire qu'il en vaut deux.
fond des eaux, je sais qu'elle existe et je la protège, Les chapitres-sur le Japon, sur le moderne-style, sur
et tu crois que je ne protégerai pas les orphelins! Va les jouets, ,sur les portraits, par exemple, suffiraient
prendre la mère. » à eux seuls à justifier mes éloges, mais ils ne sont pas
HENRVK SIENKIEWICZ. seuls. Flânez avec M. Hallays.
(Traduit du polonais par Casimir Stryienski.) JOSEPH GALTIER.
L'Art à l'Exposition Universelle de 1900. Les collectionneurs de timbres sont devenus légion,
Ce titre n'est pas trop ambitieux pour le bel ouvrage et la science timbrologique, vieille à peine de quatre
que M. Jules Comte, directeur de la Revue de l'Art dizaines d'années, compte aujourd'hui un demi-mil-
ancien et moderne, a eu l'heureuse idée d'éditer. Ce lion d'adeptes. Depuis l'âge du collège jusqu'à la vieil-
livre est bien tel qu'on pouvait l'attendre de la colla- lesse avancée" ceux que possède l'amour des timbres
boration de savants et d'artistes comme MM. Guadet, ne se lassent jamais de les réunir, de les coller en
Louis de Fourcaud, Georges Lafenestre, Léonce Béné- album, de les échanger, fiers de la rareté rencontrée
dite, Babelon, André Hallays, Havard, pour le texte, et quelquefois difficilement acquise. Certains ama-
teurs tiennent aux lignes d'album correctementpleines, 1~ECETTES ET COT4SE111S
d'autres aux raretés pen nombreuses mais de choix
unique; il en est qui préfèrent la quantité, d'autres
NETTOYAGE DES LÉGUMES
au contraire la beauté des' exemplaires; tous sont Pour débarrasser les légumes, choux, salades, her-
animés du même désir et soumis aux mêmes angoisses bages, etc., des chenilles, des limaces et des vers, il faut
et aux mêmes joies voir des timbres et les posséder. se servir d'eau salée au lieu d'eau ordinaire et y tremper
Il nous a semblé que les collectionneurs de vignettes les légumes pendant quelques instants en agitant un peu.
postales ayant droit de cité dans le monde entier de- Toute la vermine périt et se détache facilement, ce qui
n'a pas lieu avec l'eau ordinaire.
vaient être fort nombreux parmi les lecteurs du Ma-
gasin l'itto~~esque, de cette revue consacrée non .seule-
ment aux questions d'art et de science, mais en même Toute femme soucieuse de sa beauté doit pour con-
temps dédiée l'attention de tous ceux qu'intéressent server l'éclat de ses dents, la pureté de son haleine, user
les collections, les bibelots, les multiples curiosités du exclusivement de l'Eau de Sue~, dentifrice antiseptique.
monde; et, pour nos lecteurs philathélistes, une chro- Pour les soins du corps, elle emploiera l'Eucalypta, la
seule eau de toilette antiseptique.
nique spéciale sera chaque quinzaine confiée à notre
collaborateur Filigrane qui se met à leur disposition
et répondra aux lettres qui lui seront adressées au COLORATION DU TABAC
bureau de la Hevue. Voici le moyen de donner une belle couleur à des
Lorsque le collectionneur a recours, pour ses re- feuilles de tabac vertes les tremper dans une sauce com-
posée de 30 litres d'eau, 1 décilitre de caramel; puis
cherches, auv catalogues déjà existants, il ne peut ajouter dans cette solution du vinaigre, environ 1 litre.
trouver -pour satisfaire à ses besoins d'études que des Les feuilles après ce mouillage sont séchées et prennent
prix courants plus ou moins complets, qui n'ont de une belle couleur brune. Dans le cas où la couleur ne
catalogues que. le nom et n'indiquent que des prix serait pas assez belle, on recommence.
En feuille ou coupé on procède de la même manière.
majorés selon la fantaisie du vendeur..Aucun de ces
tarifs ne donne, à côté de l'historique du timbre, les
méthodes sîires de le reconnaître et de rejeter les faux dEUX ET A1VIUSEtVIE~TS
exemplaires. C'est cette lacune qu'il me semble inté-
ressant de combler en donnant ici, pays par pays,
l'histoire des timbres et, à côté du type, le p.ri~ vrai Solution du pz·oblème pazw dans le n° du 1" janvier 9904:
qu'il ne doit pas dépasser pour n'être pas payé trop Soient x le nombre de personnes,
cher. Ce n'est pas évidemment les intérêts des mar- y la somme à partager,
chands.que je viens défendre ici, mais ceux de mes = la part de chacune.
i
tenir les pri:~ vrais indiqués par moi, ils n'auront qu'àà
me l'écrire, je me. chargerai de leur procurer les
timbres à ces prix et en exemplaires parfaits.
La fin de l'année 1000 s.'est vue marquée par un évé-
nement timbrologique attendu depuis de longs moi~,
l'émission des nouveaux timbres français, et tout lll1.- D'où l'on tire évidemment= 5 et x = 12. Chaque'per-
turellement je suis porté à commencer ma chronique sonne ayant 5 francs, le nombre de personnes étant 12, la
par la France qui, d'un seul coup, vient de remplir somme cher~h~e est 60 francs.
quinze cases de nos albums. Ont résolu le problème,
C'est le 30 août 184,8. que fut votée la loi créant des MM. F. Simon, à Vendeuvre-sur-Barse (Aube) J. de
timbres correspondantsaux valeurs des taxes postales Lacharrière, à Paris Mm, Dupouy, à Bordeaux; nlDi. Louis
de 20 centimes, 40 centimes et i franc. Le fer janvier Bonnet, à Beaune (Côte-d'Or) les Élèves maîtres de
l'École Normale. de Bourges; E. Desguin, à Anvers (Bel-
1849, le timbre de 20~entimes fut le premier mis en gique); Pierre Daurel, à Bordeaux; Moreau de Lizoreux, à
circulation. Imprimé en noir, il por- Quimper; Meunier, à Paris; A. Blaise, à Badonviller
tait l'effigie de la Liberté tournée iL (Meurthë-et-Moselle); Fraîche, à Paris Achille Estival; à,
gauche et placée dans un cercle perlé: Paris :~Im·· Pillivuyt, ft F oëcy (Cher) Thérèse Le Brun,
à Paris; La Société des Commerçants, à Lugano (Suisse);
Un même type de la vaL'eur de 1 franc MM. Victor Crouan, à Quimper; Léon dé K,emmeter, à
fut mis en cours peu après. Il étaitt Gand (Belgique); Charles de Behault, à Gand (Belgique);
imprimé en vermillon, mais sa1 Louis Lescaze, à Suresnes; le capitaine Mollié, à Toulouse;r
nuance trop semblable à celle du1 L. Chermiset-Ilouzé, à Malines (Belgique); MI'- Jeanne 1\10-
.0 centimes émis au début de 18;i01 niot, à Paris; 111~I. Georges Ruffier, à Bruxelles; Andreae
Fritz, à Genève; Jean van Vyve, à Anvers (Belgique).
fut chaugé, il devint rouge jaunâtre puis, à la fin
de 1850, carmin foncé. Ces trois timbres, les plusi PROBLÈME
anciens de la série française, sont, comme tous Une marchande déclarant ses oeufs à l'octroi dit Je
les timbres français, généralement cotés. -beaucoup') n'en ai pas 8 douzaines mais quand je les compte 2 par
trop cher, et le 20 centimes noir vaut 10 centimes; le 2, ou 3 par 3, ou 4 par 4, ou 5 par 5, ou 6 par 6, il m'en
40 centimes vermillon fr. i5; le 1 franc carmin
vermillon
reste toujours un Combien a-t-elle d'oeufs?
;¡
fer FÉVRIER 1901.
LE ROMAN D'UNE I LE
Si vous avez l'imagination un peu vive et quel- qui ne parle -,t l'imagination et ne soit une terre à
que humO'Úr dans l'esprit, vous serez peut-être légendes..
tenté, en considérant une carte de géographie, Parmi ces dernières, une. surtout, la plus
d'assigner aux terres formant notre univers grande, mérite d'attirer l'attention. Elle est un
une personnalité marquée par leur configura- oasis de verdure et de fleurs. Avec l'or de ses
tion. dunes, elle s'est fait,-par une -suprême coquet-
En effet, voyez les continents ce sont d'im- terie, une ceinture brillante et protectrice.
portants et riches seigneurs, suzerains de grands Riche, elle se suffirait à elle-même si un jour les
fiefs, commandant à de nombreux vassaux. Voyez communications avec le continent veilâient à lui
les archipels ils nous apparaissent comme des manquer car elle a des gràins., de's vignobles, des
groupes unis par de secrètes affinités, ri- pâturages, des coquillages précieux qu'elle élève
chesses presque égales, habitudes et moeurs de dans ses parcs, du gibier dahs sa forêt, du pois-
même sorte, tels ces clubs de gens racés qui sont son tout à l'entour d'elle.
des petits mondes à part dans le monde commun. Elle est fortifiée par la nature en de nombreux
Quant aux. îles, je les vois comme de nobles endrtiits, assainie par les souffles de l'Est, ga=
dames, éprises de liberté, qu'un gai caprice ou rantie des tempêtes par une :triple rangée de
une grande douleur a éloignées de leurs sembla- montagnes sablonneuses. Elle:a de jolis bourgs,
bles. Souvent elles .sont riches, belles, attirantes de ravissants villages tout.blancs"où la lumière
et coquettes. On nav igue autour d'elles on tente se joue en couleurs chato.yantes. Sa population
de les approcher; mais elles se sont si bien et si est suffisamment industrieuse pour augmenter
sûrementceinturées d'écueils protecteurs qu'eljes chaque jour son bien-être, pas. assez. cependant
peuvent sourire avec malice du haut de leurs pour que le trop vif'S6uc'i des matérialités de
promontoires à ceux qui les voudraient prendre l'existence lui enlève sahè11e humeur et sa non-
et narguer,ironiquement leurs amoureux. chalance population si variée qu'elle représente
Certaines sont.plus recherchéesqueles autres, 'presque toutes les races,qui.est religieuse sans
soit parce tlu'elles voisinent avec les grands sei- fanatisme,' gaie sans .dévergondage. Tel~e est
gneurs et,: 'par cette fréquentation, rehaussent Oléron.
leur éclat, soit parce qu'elles sont elles-mêmes
des personnes considérables. Aussi excitent-elles
vivement les convoitises de leur entourage 'et Quand, au matin, on laisse le chemin de fer,
sont-elles on butte à mille tentations de conquête au Chapus, pourprendre.le bateau qui conduit en
en règle ouen fraude, contre lesquelles elles se Oléron, on 'l'aperçoit finement poudrée d'or et
défendent à grand'peine. d'argent sous la caresse légère du soleil matinal.
D'autres c.enfin sont accueillantes et bonnes, Si on l'aborde le soir, elle marque une certaine
d'abord facile et de commerce agréable. Certes, majesté souriante par sa forêt vert sombre qu'il-
elles ont eu plus d'une fois à se repentir de leur lumine en transparence la pourpre de l'Occident.
générosité. Plus d'une fois les navigateurs reçus De l'aube au couchant., elle ne se ressemble plus,
chez elles en amis se sont tout d'un coup changés elle varie mille fois. Et cependant, à quelque
on conquérants et. en maîtres mais ces vicissi- heure qu'on la voie, elle fait surgir en l'esprit la
tudes n'ontipas à jamais troublé leur bel équili- même pensée, au coeur le même sentiment, sur
bre. Passée la secousse, passé le chagrin, et elles les lèvres le même mot « Il ferait bon vivre là. »
sont redeveriues aimables comme devant. Vraiment oui, il fait bon 'vivre chez elle au-
Ainsi lesJles nous semblent avoir un caractère jourd'hui.que, sa jeunesse étant passée, son ro-
spécial parmi les autres terres.. Toutes ou pres- man est arrivé à la dernière page. Mais, jadis, la
que toutes' ont eu leur roman particulier, fait vie y fut durement accidentée.
d'aventures multiples où l'argent et la beauté Sa naissance, d'abord
jouent, comme dans les romans humains, les La voilà,-à une époque encore indéterminée,
principaux rôles. Aux Antilles, la Martinique et séparée du continent par quelque cataclysme
la Guadeloupe en sont des exemples. Haïti a tou- ou par le travail sûr et lent du courant marin
jours une existence mouvementée. L'histoire de qui, de nos jours encore, roule son flux et son
Madagascar a passionné, il n'y a pas longtemps, reflux de la Charente à la Seudre, et qui va
l'opinion publique. De très petites îles, comme creuser ensuite le gouffre énorme de Maumus-
Sainte-Hélène et l'île d'Elbe, sont célèbres. Et son.
dans les îles françaises qui fleurissent la côte Isolée, l'ile d'Oléron, Uliarius, comme l'ap-
océanienne, il n'en est pas une, même la plus pelaient les Romains, n'était pas seule cepen-
petite, depuis Sein jusqu'à l'îlot de Cordouan, dant à avoir subi le même sort. Elle faisait partie
d'un groupe, d'un petit archipel, les îles de ensuite hommes et navires. De ces considéra-
Marennes. Depuis, par l'effort des terres à se tions d'ordre spécial au pays, Eléonore s'éleva
reconstituer, cet archipel s'est de nouveau soudé ensuite à de plus larges projets, puisqu'elle
ait continent. Hiers, Beaugeay, Saint-Just, Saint- reproduisit en ces lois les coutumes de Rhodes,
Sornin, Arvert, sont.devenus des terres cônti- qu'elle avait vu pratiquer en Orient lors de son
nentales, comme Marennes elle-même. séjour en Palestine avec Louis VII son époux.
Que les Romains aient passé par là, on n'en Ainsi celle qui, à d'autres égards, fit tant de mal
saurait douter ils y ont laissé des traces encore à la France, eut au moins le mérite de favoriser
visibles de leur domination. Certains auteurs la marine par la sagesse d'une législation si par-
assurent même que le Promonto~·ium Santonu~r~ faitement ingénieuse et de si bon gouvernement
(Promontoire- des Santones) était ce que nous que la France n'eut pas d'autre code maritime
appelons aujourd'hui le cap Chassiron, situé jusqu'aux Ordonnances de la table de marbre,
au nord de l'île. Il en fut des Santones comme de lesquelles ne sont, en grande partie, que la repro-
tous les peuples que les Romains approchaient; duction de ces sages règlements.
ils vainquirent et s'assimilèrent cette vaillante Mais voilà Eléonore divorcée. La voilà portant
tribu gauloise, ne laissèrent subsister ici et là en Angleterre, chez les Plantagenets, le meilleur
que quelques autels; dolmens ou cromlechs, et de la couronne de France. Oléron devient an-
purent à leur aise chasser les liè- glaise et continue d'être toujours
vres des forêts d'Olértin, gibier par- très aimée d'Eléonore. Anglaise
ticulièrement estimé des consuls de goûts, cette reine avait pour la
et autres personnages. Ils trouvè- vie maritime et les gens de mer
rent aussi dans ces forêts le fenouil une élection particulière, qu'elle
marin ou criste-marine dont -ils prouvait en toute occasion. Elle
parfumaient leurs ragoû.ts, et l'ab- octroya aux habitants de l'île le
sinthe santonine dont ils appré- droit de marier à leur gré leurs
ciaient la vertu. filles, sans avoir à consulter leur
En échange des agréments seigneur, comme cela s'était fait
qu'Oléron leur apporta, ils dotè- jusqu'alors par droit de bail ou de
rent cette île de quelques routes gaude. De même il leur fut permis
et surtout lui inculquèrent des de vendre ou d'aliéner les produits
coutumes, usages et mmurs qui Femme d'Oléron. de leurs terres, de partager leurs
bientôt effacèrent toute tracé de biens, de doter ou d'hériter en
la tradition gauloise et furent les plus solides mo- toute liberté. Enfin, en H99, Oléron fut érigée
numentg de leur conquête. en commune.
Il n'est rien de plus intéressant, en matière
d'histoire, que de rechercher dans un état mo-
Pendant le moyen âge, Oléron fut hautement derne ce qui subsiste encore des époques dis-
estimée pour sa production saline. C'était l'île pré- parues. Pour peu que l'on y regarde de près, on
cieuse où, chaque. été, on voyait se-dresser, de dis- trouve. dans l'Oléron d'aujourd'hui des traces
tance en distance, les blancs monticules de l'inal- bien marquées de l'influence romaine et an-
térable produit. Les seigneurs.féodaux qui domi- glaise.
naient sur l'île n'étaientpasseuls à en profiter, car, Aux Romains, les Oléronnais doivent assuré-
dès lé x~ siècle, permission fut donnée aux habi- ment la prolixité souvent précieuse de leur lan-
tants d'Oléron de vendre et d'exporter leur sel. gage, leur gaieté légère, leur goû.t pour ce qui
Pourquoi, en ce temps-là, Eléonore d'Aqui- brille, la vivacité de leur esprit et la sévérité,
taine aiina-t-elle Oléron d'une amitié particu- longtemps gardée, des moeurs familiales.
lière? Quelle légende nous dira les raisons poli- A l'Angleterre moyenâgeuse ils doivent très
tiques ou sentimentales de cettè préférence? probablement leur vif penchant pour le com-
Eléonore vint eUe-même au Château en t 159, et merce et certaines coutumes, certains détails de
s'instaila dans le vieux donjon pour y faire costume qui se sont conservés. Par exemple, je
rédiger sous ses yeux les ordonnances fameuses, citerai une coiffure étrange que l'on voit encore
dites flôles d'Olérora, qui, pendant des siècles, portée par les femmes du centre de l'He, c'est-à-
ont. réglé les rapports des gens de mer et qui pri- dire par les populations qui ont avec les allants
mitivement avaient pour but d'empêcher les et venants un moindre contact. C'est une énorme
Oléronnais, grands pilleurs d'épaves,. de ran- coiffe en tissu léger, montée sur une calotte de
çonner sur leurs' côtes les pauvres naufragés. carton ou d'étoffe si épaisse qu'elle a la consis-
Notons que parmi ces lois il y en avait annon- tance d'un petit matelas. Une armature en fil de
çant punition pour tous ceux qui, à l'imitation laiton la complète et lui donne sa forme défini-
des gens de Léon, en Bretagne, allumeraient des tive qui est un peu celle d'un très volumineux
feux trompeurs sur les côtes dangereuses, à chapeau de gendarme. Le fond en est parfois
seule fin d'y provoquer des naufrages pour piqer brodé, orné de perles, pierreries et dorures. En
arrière, un énorme nœud de ruban blanc s'étale dessuperstitionspopulaires?C'étaitpeut-êtretout
et laisse tomber deux longs bouts sur le dos. cela à la fois. Aujourd'hui, ce pur bijou de l'art
Pour les jours pluvieux ou inauvais, les pay- gothique ne domine plus le cimetière de Saint-
sannes ont le balai de même forme, ou à peu Pierre d'Oléron, car le temps a détruit les,
près, que la coiffe de cérémonie, mais qui est vieilles tombes. Sur, l'emplacement de l'ancien
tout en carton recou<<ert d'une étolfe- jaune. cimetière est une sorte de square, un massif de
Il est probable qu'à l'origine le balai était en verdure et de fleurs qui forme la base de la
paille (d'où son nom), et qu'il remplissait auprès Ganlerne des naorts. Elle n'y perd rien de sa
de la belle et noble coiffe grâce, bien au contraire,
de dentelle le rôle d'étui mais son austérité a disparu..
protecteur.
Il n'est, en France, au- .x-
Récolte du goémon.
Comme le paysan, l'Oléronnais regarde la rine occupée par les bancs de goémons, qui sont
plaine, verte de pampres et fleurie de rosiers, et l'engrais naturel des terres dans toute cette par-
dit « Voilà une bonne terre. » Et s'il considère tie d'Oléron.
l'Océan, c'est tout juste pour savoir s'il promet Depuis une vingtaine d'années, l'ostréiculture
une pêche abondante ou si le flot est assez haut est une industrie oléronnaise. Il n'y a point d'huî-
pour que l'on puisse atterrir là ou là. tres à Marennes, sinon dans quelques viviers
Il ne manque à cette aimable, intelligente et· d'eau douce où on les laisse baigner et attendrir
vive population oléronnais'C qu'un peu de ce sens leur saveur avant de les livrer au commerce. Les
du beau pour être intellectuellement complète. huttres qui portent ce nom, les beaux crustacés
Peut-être l'avenir y pourvoira-t-il. à chair blanche et à collier verdâtre sont élevés
àla Tremblade, au Chapus, sur le continent,
ou en Oléron, au Château, à Ors, à Saint-
Les Oléronnais ne sont point gens à plaindre. Tro j an.
Dans leurs 1 500 hectares de terrain, ils réunis- L'État a concédé une quantité assez considé-
sent de riches et belles industries. La plus an- rable de parcs à des gens qui les exploitent eux-
cienne en date est celle du sel. Tout le long de mêmes ou qui les donnent en fermage ou en mé-
la côte orientale et jusque vers Saint-Pierre, on tayage à d'autres travailleurs.
voit les miroirs des marais salants dessiner leurs Quand on apporte d'Arcachon dans les parcs
vastes et capricieuses étendues colorées d'un d'Oléron le précieux coquillage, il a deux ans et
rose léger sous l'action de la chaleur. mesure 5 à 6 centimètres de diamètre. Les
La vigne croit à peu près partout en Oléron. huîtres ont au moins cinq ans lorsqu'on les livre
Elle est la richesse du centre de l'île et l'agré-
au commerce. En attendant, que de peines et de
ment des propriétés côtières qui récoltent un soins ne demandent-elles pas! Ce n'est pas que
vin blanc agréable. la besogne soit minutieuse, mais elle est pénible.
Les légumes, les arbres fruitiers poussent Hiver comme été, lorsque souffle l'aigre bise de
non moins vigo'ureusement que la vigne en ces Nord-Est ou bien sous le chaud soleil de juin, il
faut s'en aller aux parcs, le rateau en main, pour pas. Comme les hommes, elles ont les jambes
remuer, nettoyer, restaurer la demeure des huî- nues où chaussées d'énormes bottes, suivant la
tres demeure vaseuse, boueuse, verdâtre, où le saison.
cultivateur enfonce jusqu'à la cheville, parfois C'est ici le lieu de citer une coiffure que l'on
jusqu'aux genoux; où il lui faut plonger les mains trouve dans toute la Saintonge et l'Angoumois
pour redresser l'une, retourner l'autre, débar- et pas ailleurs, c'est la kichnotte. La kichnotte
rassser celle-ci d'un chancre et celle-là de quel- est une sorte de cornette en étoffe blanche, qui
que parasite. en arrière s'adapte exactement à la tête comme
C'est qu'il ne s'agit pas de fainéanter et de un bonnet, et qui se prolonge en avant par une
perdre son temps. La passe maintenue ferme
merdécouvrelesparcs à l'aide de lames de
l'espace de deux ou carton glissées entre
trois heures, puis elle les coutures de l'étoffe
revient en courant, doublée. La kichnotte
s'élance à nouveau, et a un bavolet et pro-
finalement ils dispa- tège ainsi toute la
raissent sous la masse tête, le visage et le
des eaux nourricières cou; elle est solide
et renouvelées. Aussi et peut braver le vent
les parqueurs sont-ils le plus fort sans ris-
gens.exacts, ayant d~1 quer d'être emportée.
prendre pour ce tra- Que vienne l'ombre ou
vail l'habitude de la cesse le vent, la par-
fidélité aux rendez- queuse roule sa coif-
vous. La mer ne les fure en un paquet peu
fait pas attendre, mais volumineux et qui ne
aussi elle n'attend ja- pèse presque rien.
mais. L'étoffe protégée et
En Oléron, le costu- bien tendue par les
me dé travail des par- lames de carton ne se
queurs et des par- froisse pas. Le soleil
queuses ne manque- reparait-il, le vent
rait pas de quelque souffle-t-il encore, la
originalité si les uns kichnotte est déroulée
ou les autres avaient le et reprend sa place sur
sens du pittoresque. la tête de l'Oléronnaise,
Mais j'ai dit ailleurs sans avoir été ni salie
que ce don leur fait ni déformée.
défaut. Pour travailler,
les hommes s'en vont
en bras de chemise, On ne saurait par-
ceinture de laine au- ler d'Oléron sans dire
tour des reins, panta- quelques mots de
lonretroussé jusqu'au Saint-Trojan. Situé
genou et jambes nues Une parqueuse. dans une échancrure
en été l'hiver ils de la côte, appuyé, à
ajoutent un habit quelconque, et d'énormes bottes l'Ouest, contre de hautes dunes couronnées de
soit en cuir, soit en toile huilée commeles suroîts. pins maritimes, Saint-Trojan est un nid sur un
Quant aux femmes, elles portent une vaste culotte éventail de verdure.. La forêt qui le protègp
de toile bleue, un peu comme celle du costume contre. les vents du large, qui lui prodigue son
cycliste, mais plus collante et dans laquelle elles ombre et ses parfums, l'entoure de tous côtés.
entrent avec leurs. vêtements de dessous, ce qui En hiver elle est douce aux malades; au prin-
dissimule la réalité de leurs formes naturelles, temps elle fait la joie des yeux par les fleurs
mais en exagère tellement les contours que la dont elle est parée en été elle est ombreuse
chose est parfois grotesque. Au Château, les en automne elle offre le velours des mousses
parqueuses ajoutent à cette culotte une sorte de dorées, brunes, vertes, jaunes ou rousses, toutes
court jupon de toile blanche, boutonné devant variées, toutes épaisses et souples sous les p:is.
sur toute sa longueur et muni de larges poches. Si l'on ajoute que ce bourg devient chaque
Cet accessoire donne au costume une certaine année davantage la station balnéaire de pl'édi-
élégance et même du piquant. Mais à Ors et à lection d'un grand nombre de baigneurs, on aura
Saint- Trojan, les parqueuses ne l'emploient une idée assez complète des ressources et de
LE MAGASIN PITTORESQUE
l'agrément qu'il offre à ses hahitants. Nous il est vrai, car elle fut élevée sous Louis XIII et
devons citer à part le sanatoriunx de Saint-Trojan, ne répond pas aux exigences modernes, non plus
bâti à la pointe de Mançon, et dont les gais que les fortifications, œuvre de Vauban.
pavillons aux toits rouges donnent de loin la
sensation d'un pittoresque village. L'œune des
hôpitaux marins l'a fait construire et l'a inau- Ici finit le roman d'Oléron. En sa prime jeu-
guré en 1898. Là est le refuge de l'enfance débile, nesse, couronnée de verveine, elle fut chantée
qui porte le poids des tares héréditaires ou par les bardes gaulois. Belle et passionnée en son
qui a subi trop longtemps la néfaste influence plein été, elle subit le choc des batailles, reçut et
de la grande ville. Les cures qu'on y opère sont porta des coups. Son âge mûr la voit sage, tra-
merveilleuses, grâce à la triple action de l'air vailleuse et prévoyante. Chacune des périodes de
marin, des senteurs balsamiques de la forêt et sa vie l'ont fait témoigner de qualités nouvelles,
d'une hygiène savante et réguiiire. mais elle n'a jamais perdu le charme et la grâce
Oléron n'est donc pas seulement jolie, aimable dont elle a été ornée par la nature.
et riche. Elle est bonne et prévoyante. Outre le Sa vieillesse approche, disent les géologues.
sauatorizxnx de Saint-Trojan, voici encore, au L'activité des sables mouvants est plus grande
nord de l'île, le phare de Chassiron, hardie et dans le Pertuis que celle des flots. Deux siècles
blanche colonne de granit, qui le soir s'illumine encore, peut-étre moins, et Oléron s'appuiera
d'une lueur bienfaisante. Et voici enfin, aux trois contre la terre d'où elle a été détachée. Est-ce
points les plus dangereux de l'ile, à Saint-Denis, possible ?.Ce serait une tristesse que d'en être
à la Cotinière, à Maumusson, les maisons de sûr.
LOUISE CHASTEAU.
sauvetage où se trouvent les canots que de vail-
(Oléron, janvier 1901.)
lants marins lancent à la mer lorsqu'il faut porter
secours aux navires en détresse.
Telles sont les oeuvres de la paix en Oléron.
femmes, les chats et les oiseaux sont les créatures
Les oeuvres de la guerre y sont représentées par quiLes passent le plus temps à leur toilette. CH. NourE~c.
quelques ouvrages de défense militaire. Boyard,
Dans l'armée, pour réussir, il faut deux de ces trois
au Nord, est un petit port de guerre; 1 Château a choses du savoir, du savoir-faire, du savoir-ivre.
une vieille citadelle, moins utile que pittoresque, NIEL.
RElkIUR'ES SI]~1C'sULtIÈi~ES
C'est surtout en fait de reliures que l'imaâina- Belgique (Bruxelles, Olivier, 1879), est ainsi
tion et le caprice des bibliophiles se sont donné conçu « Opuscules philosophiques et littéraires,
carrière. par MM. Suard et Bourlet de Vauxcelles (Paris,
Il n'est guère d'animal dont la peau n'ait servi Thevet, in-8°), exemplaire relié en peau humaine.
à habiller plus ou moins de volumes, et l'on a vu Une note collée contr.e la garde de ce livre en
des reliures en peau de panthère, de tigre, de relate la provenance, le prix de la reliure et le
crocodile, de renard, de loup, de serpent, de sole, nom du relieur 20 francs, Deromme, 1796.
de taupe, de cheval, de phoque, de chat, d'ours Provenant de la bibliothèque de 1V1. d~~ Musset.
blanc, etc., etc. Acheté le 15 septembre 1832. » La Ch~·onique
Qui n'a entendu parler des reliures en peau médicale croit qu'il s'agit ici du père du poète
humaine ? Il existe de nombreux spécimens de Alfred de Musset.
ces reliures, et la peau humaine fournit, paraît-il, D'après une note publiée dans l'Internzédiaü~e
et au dire même d'un journal spécial, la Halle aux des Chercheurs et Cu>·ieux du 10 juillet 1882, la
cuirs, « un excellent cuir, un cuir très solide, Bibliothèque royale de Dresde « conserverait un
épais et grené '». calendrier mexicain écrit sur une peau hu-
Parmi les livres ainsi recouverts avec le dermf' maine ».
humain, on cite En Amérique, un des plus riches négociants
En Angleterre, un traité d'anatomie que le de Cincinnati, M. William G. possède deux livres
docteur Antoine Askew, mort en 1 ii3, fit revêtit' reliés en peau de femme l'une est le L'oyage
de peau humaine, afin que l'extériem de l'uuvrage sentimental de Sterne, habillé d'une peau de né-
fût en rapport avec l'intéd'eur, et deux volumes g.resse; l'autre, de Sterne également, Tristram
dont les couvertures proviennent de la peau Shandy, est revêtu de l'épiderme d'une jeune
d'une sorcière du Yorkshire, Mary Ratman, Chinoise.
exécutée pour assassinat dans les premières an- En France, il existait autrefois à la Bibliothèque
nées du trve siècle. impériale (fonds Sorbonne, n° l~297 une Bible
Un des numéros du catalogue de la bibliothèque du xoie siècle, que l'abbé Rive affirmait être en-
de M. L. Veydt, ancien ministre des Finances de tièrement reliée en peau de femme. Ga.et, de
Sausale a contesté le fait, mais il l'a~lmett~it pour les fils d'Albion qui paraissent tenir le plus à ces
deux autres ouvrages une Bible du xtne siècle singularités a exhibé naguère une Histoire de
également (fonds Sorbonne, 1357), et un texte Napoléon à reliure tricolore, c'est-à-dire dont les
des Décrétales (fonds Sorbonne, 16~5). plats étaient, comme le drapeau français, égale-
Un catalogue de livres d'occasion, distribué il ment divisés en trois couleurs bleu, blanc,
y quelques années, porte cette indication rouge.
« Reliure en peau humaine, Sue (Eug.), Les Et cet exemplair~ des Cirâtiments de Victor
l~iystères de Paris. Paris, 1854, 2 tomes rel. Hugo, de la bibliothèque de Philippe Burty, « où
en 1 vol., pet. in-4, pleine peau humaine, larges s'étale une immense abeille d'or enlevée au trône
dentelles sur les plats, dentelle intérieure
200 francs.
impérial des Tuileries? Et cette Histoire de la
Révolution de Thiers, dont la couverture imite
« Fort belle reliure exécutée avec un morceau « un manteau princier bleu brodé d'or », et dont
de peau humaine. Une plaque à l'intérieur, sur le plat supérieoc porte, encastrées en son mi-
la garde de la reliure, ainsi conçue Celte reliure lieu, « les lunettos authentiques de l'auteur, pri-
provient de la peau d'une femme et a été tra- vées de leurs verres, et escortées de quatre bou-
vaillée par M. Albéric Boutoille, 1874, qui atteste tons de sa redingote préférée? » « L'effet est
que cette reliure est bien en peau humaine. » insensé », ajoute l'auteur de l'Art et la Pratique
La Revue encyclopédique,à qui j'emprunte plu- en Reliure, NI. Blanchon. Nous le croyons sans
sieurs de ces détails, raconte encore le curieux peine.
fait suivant Que dire encore des reliures à musique? Car,
« M. CamiU-e Flammarion ayant reçu d'une nous apprend M. Charles Blanc, dans sa Grame-
comtesse, dont, par un beau soir étoilé, il avait maire des Arts décorati~:s, il y a des reliures à
admiré les épaules, et qui mourut peu après, musique, de même qu'il y des tablealix-pendu-
l'étrange présent de la peau de ces mêmes les Vous ouvrez un album dont la couverture
admirables épaules, chargea un tanneur de la contient, dans un épais biseau, une boîte à mu-
travailler avec soin. Elle était « d'un grain su- sique à l'instant même, le cylindre s'échappe,
perbe, inaltérable » l'astronome en fit relier un les lames du peigne métallique reçoivent le frot-
exemplaire de Terre et Ciel. Les tranches du tement voulu, et vous entendez une valse ou
livre sont de couleur rouge, parsemées d'étoiles une cavatine dont les sons paraissent sortir de
d'or, et sur les plats sont gravés en lettres d'or la muraille. Aux quatre angles du plat extérieur
ces mots Souvenir d'une morte. » se trouventdes clous qui semblentplacés làpour
Mais la plus étrange reliure qui ait jamais été protéger la couverture par leur saillie, et qui en
faite dans ce genre macabre, c'est sûrement réalité dissimulent l'entrée des clefs par où se
celle qu'imagina en 1813 un avocat de Valen- remonte l'appareil quand le cylindre est à bout
ciennes faire relier une aeuvre d'un écrivain de course.
avec la propre peau de cet écrivain; certes, la On voit que l'ingéniosité et les fantaisies des
chose n'est point banale, et c'est ce que ledit amoureux du livre, ou plutôt des amateurs de
avocat, nommé Edmond Leroy, put réaliser, reliures, ne connaissent point de bornes, et
Ayant assisté à l'embaumement de Delille, le cé- combien sont innombrables et singulières leurs
lèbre traducteur des Géorgiques, il obtint du manies.
praticien chargé de l'opération « deux fragments ALBERT CIM.
de l'épiderme du poète, et ces fragments lui
servirent à faire relier un exemplaire des Géor-
giques, traduction de Delille, qui se trouve ac- HOSPITIALIT É
tuellement, assure I'luteomédiaire du 10 oc-
tobre 1883, à la bibliothèque municipale de Mets la nappe de lin sur la table agrandie,
Verse dans les cristaux
Valenciennes. Des vins fumants faits de raisins orientaux,
Orne de citrons verts, de pom!lles,.de gâteaux,
Les vaisselles polies.
D'autres bibliophiles, nullement funèbres
Répands les fruits du parc et les fleurs de la plaine,
comme les précédents, tout à fait, au contraire, En couronnes d'azur,
plaisants et facétieux, cherchent à mettre l'enve- Tords le feuillage d'or le long du calme mur,
loppe du livre en harmonie avec son contenu, et Inonde l'air d'odeurs, et que d'un parfum pur
L'atmosphère soit pleine
jouent surle titre de l'ouvrage. Tel, parexemple,
Commande aux serviteurs, afin qu'ils te rapportent
cet amateur d'outre-Manche qui avait fait relier Tous les vins du cellier,
en peau de cerf un Traité sur la Chasse, et cet Sors les sacs de la grange et les bannes d'osiers,
autre qui, parce que le mot anglais fox signifie Dénude-toi, soustraits les grappes au hallier
Un pauvre est à ta porte!
renard, s'avisa de faire couvrir de peau de renard Or, tout vrai pauvre a droit à la plus belle place,
un exemplaire de l'Histoire de Jacques II par A l'accueil le meilleur,
Fox; et cet autre encore qui crut devoir faire Car s'il ne souffrait pas, resterais-tu sans pleur
Car il a pris ta peine et, vois, c'est ton malheur
revêtir de maroquinnoir une Histoire de la Forët Qu'il endure à ta place1
noire. Un relieur anglais ce sont décidément SAINT-GEORGESDE BOUHÉLIER.
TYPES POPULAIRES DE LA R~I~E
Lorsque les Français voyagent en Russie, ce l'on veut, avec nos préjugés, à la f~~ançaise. Je
qui leur arrive quelquefois, une des choses qui ne suis qu'un montreur d'images.
les étonnent le plus, dans les classes populaires, A tout seigneur tout honneur. Commençons
si différentes des nôtres, c'est l'air de contente- par un assez gros personnage qui occupe une
ment qui s'épanouit sur tous les situation élevée, un cocher de
visages. Il faut peu de chose à fiacreouismotchikdelVloscou.Son
ces petits industriels de la rue, à élégance laisse à désirer et il est,
e-es pauvres paysans, pour être m'assure=t-on, paresseux, gros-
heureux ou s'imaginer qu'ils le sier et ivrogne, Ces défauts se
sont. Ils se résignent, sans se rencontrent fréquemment chez
plaindre et même sans s'étonner, les cochers moscovites je ne
à l'humilité de leur condition et parle pas des nôtres tandis
aux duretés de leur vie, si pré- que ceux de Saint-Pétersbourg,
caire, soumise à tant de hasards. ville aristocratique, de moeurs
Si les bceufs et les chevaux étaient plus raffinées, se distinguent par
capables d'exprimer leur opinion une très grande politesse et une
sur les travaux qu'on leur impose sobriété relative.
et les mauvais traitements qu'ils Avec sa figure bouffie et hui-
subissent, peut-être trouverait- leuse, son nez de kalmouck et
on chez eux la même philosophie ses cheveux plats, voici le re-
(lui n'est à tout prendre qu'une mouleur ou, comme on l'ap-
,logique habitude du malheur et pelle là-bas, le ga~·ço~a aigirisee~~·.
de la servitude. Il va de cour en cour, traînant sa
Tandis que chez nous l'envie Cocher de fiacre. manivelle, lançant d'une voix
et la haine deviennent presque aiguë, presque comminatoire,
générales, tandis que dans les villes ouvrières son cri de 1 guerre
et jusque dans les plus humbles hameaux se pose Aiç!zciseN cozcteaux et ciseaux! .4igarisez!
chaque jour davantage le redoutable et déce- A ce dur métier il gagne en moyenne deux ou
vant problème de l'inégalité des conditions, les trois francs par jour. S'il a été assez heureux ou
pauvres, en Russie, les paunes, naïfs et doux, assez habile pour obtenir la clientèle de plusieurs
trouvent dans l'ac- maisons riches, s'il
complissement de réussit à devenir
lèur labeur quoti- « l'aiguiseur de Mon-
dien de secrètes sieur le cuisinier ou
j oies, respectent de Mademoiselle la
qui les méprise cuisinière de Mon-
aiment qui les ru- seigneur le général
doie et semblent Douralcine. ou de
sourire à la vie. Monseigneur le prin-
qui ne leur sourit ce Oursikoff», son
guère. avenir est assuré et
Cette âme d'un sa fortune est faite.
peuple fataliste et peut gagner jus-
servile, que nous qu'à deux roubles
avons peine à com- dans sa journée,
prendre avec notre c'est-à-dire près de
instinct d'iudPnPn- huit francs.
1.-
Garçon aiguiseur. dance etde révolte, Les bénéfices des Marchand de pâtés.
je crois qu'on la marchauds de~ ~Qtés
verra apparaître en examinant les curieuses sont moindres presque toujours, mais plus cer-
photo graphies qu'a bien voulu m'envoyer pour tains. Ces pâtissiers ambulants-vous en jugerez
le l~la~asin Pitto~·es~ue, en les accompagnant de par celui que nous vous présentons laissent
très intéressantes notes, une Russe qui connaît beaucoup à désirercomme propreté, et ils ressem-
admirablement son pays, Mme Eugénie de Zend- blent très peu à cet égard à leurs confrères pa-
zanovska. Mon rôle se borne à vous présenter risiens, si soigneux de leur tenue. Les pâtés qu'ils
ces photographies et à vous les décrire de mon débitent sont aussi peu engageants que possible
mieux, en les commentant avec nos idées ou, si mais Dieu a créé le Russe pour montrer de
quoi pouvait être petit commerce est sous la protection de Dieu
capable l'estomac et, avec confiance, il attend. A la même caté-
humain. Le pay- gorie appartiennent
san, l'ouvrier sont la nzarclaaride de ba
très friands de ces qui porte courageu-
tartes massives, sement son lourd
farcies de viande, panier, et la ~zzar-
de poisson au riz, chande d'indiennes.
de champignons Admirez l'aimable
séchés, assaison- sourire de cette pe-
nées d'oignons et tite vieille. Comme
de poivre et qui elle paraît contente
ont d'ailleurs l'a- de vivre Comme
vantabe de ne coû- elle a l'ai de croire
ter que trois ou qu'un des plus
quatre kopeks, grands bonheurs en
cine¡ ou sept cen- ce monde consiste à
times. Il faut avoir vendre de l'indien-
Marchand ambulant. un courao-e à toute ne illercier ambulant.
épreuve ou un ap- Y'ieuz habits! viei~a;
pétit invincihle pour avaler ces horribles mis- galoozs! celui qui du matin au soir pousse ce cri
tures. La vue seule donnerait à un Francais d'appel et qui a été représenté ici avec son cos-
une indigestion. tume tradition-
Ce naercier am- nel, avec la lon-
bula~xt, avec sa gue houppelan-
casquette d'in- de, le bonnet de
valide et sa barbe fourrure et les
d'apôtre, a meil- bottes, n'est pas
leure mine que un Russe mais
son voisin le un Tartare un
marchand de tata~·i.ne.
pâtés. Il offre, à D.e même
un degré remar- qu'erierance les
quable, le type Auvergnats sont
de la gravité, de de père en fils
la dignité sereine charbonniers ou
du petit peuple marcliands de
russe. Sur son marrons, de mê-
pauvre éventaire Famitle de paysans. me, chez nos
qui vaut tout au amis et.alliés, le
plus, contenant et contenu, cinq ou six francs, Tartare a le moiiopole de l'achat et de la yente
il pronïène noblement, de quartier en quartier, des ~~ieui vèteiilents, de ce 'que Racine aurait
de rue en rue, des pelotons de fil, des écheveam hésité à appeler les f~~uslzees. L'ancien conqué-
de laine, des paquets d'aiguilles, des lacets. Par- rant de la Russié est devenu mémorable
fois il s'arrête et exemple des vicis-
une sorte de jambe situdes humaines
de bois soutient garçon de res-
l'éventaire. Le taurant, équarris-
brave homme ne seur ou « chand
sait pas, comme d'habits ». Comme
nos camelots, faire il est très économe
un boniment, van- ettrèsupreau gain,
ter avec une fa- il amasse parfois
conde intarissable assez d'argent pour
des produits très s'établir restaura-
médiocres. Il n'in- teur. Aucun métier
terpelle pas les n'offre plus de faci-
ménagères qui se lité de faire fortune
hàLent, il ne solli- dans un pays où la
cite pas le passant. moitié de lajournée
!Ilarch,mde d'indienne. Il pense que son se passe à manger. llfaruhande de bas.
Mahométan, le Tartare est peu estimé par les
Russes, très attachés à leur religion. On le tolère
sans l'aimer, parce qu'il s'est rendu nécessaire,
ne danse plus..
danse pour se marier, et quand on est marié on
Nous avons tous souffert au cours de notre mille devoirs factices, quotidiens, parfois
existence, plus ou moins, selon notre carac- ennuyeux,et souvent pénibles!
tère et selon notre « milieu », de ces mille Et nous ne sommes pas les plus à plaindre.
petits,préjugés érigés en un code mondain, et A mesure que nous 4nontons l'échelle sociale,
qui s'appellent les convenances. les convenances se font plus nombreuses, plus
Que de fois n'avons-nous pas senti comme un graves, -plus irrévocables; elles changent alors
réseau de liens minuscules nous enserrer sans de nom, et leur ensemble s'appelle l'Étiquette.
merci dans leurs inévitables mailles? D'invisi- Ce mot léger, presque pimpant, qui évoque
bles barrières arrêter nos élans?. Ce sont de tout de suite à nos yeux une cour de seigneurs
vaines paroles, des phrases creuses, banales, élégants et des fêtes solennelles ou brillantes,
absurdes même, dont il a fallu écouter le cha- ce mot pourtant eut ses martyrs, ainsi qu'une
pelet interminable d'une oreille attentive, Foi, et résonna douloureusement pour des êtres
(afin de pouvoir répondre) et avec un « aima- vivants et parés, inaccessibles comme les idoles
ble » sourire C'est une appréciation toute spon- et condamnés coi4nie elles à un éternel ennui.
tanée ét sincère qu'il a fallu réprimer prompte- Ces figures tristes et lasses ont un nom dans la
ment. C'est un intérêt qu'on a dû. affecter pour Postérité, pauvres fantômes royaux!. et
des personnes qu'on connaît à peine ou qu'on nous pouvons retrouver leurs secrètes larmes et
n'a jamais vues! « Comment se portent votre leurs soupirs solitaires dans ces jardins exquis
mari, ou votre femme, ou vos enfants ? de l'histoire qui sont les Mémoires du. temps
Toute votre charmante famille?.. » Que de passé.
temps perdu et de mots gaspillés à cause' de ces Choisissons aujourd'hui dans la théorie de ces
victimes. du rang et de la prédestination deux a tracé d'e)leun portrait fort sombre, « d'Óter
visages tragiques et beaux, également jeunes et entièrement à la reyne le peu- de liberté qui lui
séduisants, ceux de Marie-Louise et de Marie- restoit, voulant d~meurer seule maîtresse des
Antoimtte, reines malheureuses et toutes deux volontés de Sa Majesté. Elle la tenoit ren~
vouées à une fin violente, puisque l'une périt sur fermée au Retiro, sans la laisser même sortir de
l'échafaud et l'autre par le poison. son appartement Sans cesse la redoutable
De l'existence même de ces deux femmes, et camarera étoit devant ses yeux avec un air sévère
de leur mort, nous ne parlerons pas. Nous ne et renfrogné, qui ne rioit jamais et trouvoit à
citerons parmi les récits de leurs contemporains redire à tout. Elle étoit l'ennemie déclarée des
que ce qui se rapporte à une étude sur l'Étiquette plaisirs et elle traitoit sa maîtresse avec. autant
telle qu'elle fut, telle qu'elle régna sur ces deux d'autorité qu'une gouvernante en a sur une petite
malheureuses reines. fille. »
L'ambassadrice de France à Madrid, la spiri-
tuelle Mme de Villars, ne put arriver près d'elle
Cette loi, hautaine et minutieuse à la fois, tout d'abord, malgré ses démarches et son insis-
dominait naguère, ordonnant les attitudes, ré- tance, et bien qu'elle eût obtenu la. permission
glant toute la vie officielle des Cours; mais du roi. La camarera refusa, déclarant « que la
elle n'était pas d'ordinaire exclusive. Aux heures reyne ne verroit personne, tant qu'elle seroit au
des réceptions ouvertes succédaient les heures Netiro ». Or elle parlait peu, « milis disoit un
intimes, où, dans l'abandon des causeries, une je le veux, ou je 7ze.le veux pas, à faire trembler ».
liberté relative et une paix enjouée pouvaient Rencontrant par hasard dans un. appartement
renaître.. Le rire n'était pas défendu à ces mo- du palais la marquise de los Balbasès, Marie-
ments-là. Du moins il en était ainsi à la Cour de Louise allait lui parler lorsque « la camarera la
France, vers la fin du XVII" siècle. prit par le bras et la fit rentrer dans sa chambre ».
Et les palais de Louis XIV comparés à celui de Une autre fois, voyant sur le front royal quel-
Madrid ou à l'Escurial semblent des paradis de ques cheveux dérangés, la duchesse cracha dans
joie auprès d'un morne tombeau. ses mains pour les unir. « Sur quoy la reyne lui
L'Etiquette, à la cour d'Espagne, n'était plus arrêta lé bras; disant d'un air de souveraine que
un ensemble de coutumes fidèlement observées; la meilleure essence n'étoit pas trop bonne, et
elle y commandait sous une forme implacable et prenant son mouchoir, elle se frotta longtemps
vivante, avec des traits durs, une voix sèche, les cheveux à l'endroit où cette vieille les avoit
une robe noire, dans la personne de la si malproprement mouillés ».
camarera-mayor. Cette incarnation presque Marie-Louise ne sortit de ce donjon que pour
effrayante d'une si effrayante tradition était là, changer de cachot. Le supplice continua; car
toujours visible et présente, chargée de plier on peut donner ce nom aux multiples humilia-
sous son esclavage la créature qui lui était con- tions, à toutes les petites douleurs qui chaque
fiée. On se figure avec peine cette éducation bar- jour se renouvelaient pour la triste souveraine.
bare, cette servitude de tous les instants, cet La morne et désespérante vie du palais oppri-
éspionnage sans pitié. Un grand dramaturge a mait ainsi qu'un étau l'esprit et le coeur de la
prêté à la gardienne de Marie-Anne de Neubourg, jeune femme et la-vue de la camarera, sa parole
seconde femme de Charles lI, une réprimande criarde, son joug incessant et cruel, empêchaient
qui fut adressée en réalité, mais à sa devancière, la résignation indifférente d'endormir les jours
à Marie-Louisepréci sément s'appuyant à la croisée de la reine et ses blessures dans les voiles gris,
pour voir revenir son époux de la chasse « Une tissés avec des souvenirs et la lente. paix des
reine d'Espagne ne doit pas regarder à la fenê- muettes heures.
tre ». Ces licences sont permises à un poète; L'étiquette était là, «maigre et pâle, le visage
il peut choisir dans un ensemble de faits ou de long et ridé, les yeux petits et rudes ». Infatigable
couleúrs ceux qui s'adaptent également au milieu etvigilante, elle absorbait dans sa perpétuelle
qu'il veut peindre. Mais le critique et l'historien contrainte la volonté de Marie-Louise. « Tout
ont le devoir de rétablir la vérité dans ses plus était cérémonie » les plus petits détails quoti-
stricts et menus détails. diens réglés inévitablement et, entre autres
Les coutumes voulaient qu'aussitôt la célébra- exemples, les reines d'Espagne devant se cou-
tion du mariage accomplie et jusqu'au moment cher à dix heures l'été, et l'hiver à huit heures et
de son entrée publique, la reine demeurât cloî- demie, lorsqu'il lui arrivait parfois d'oublier ce
trée au Buen-Retiro. Dès lors s'ouvrit pour la chiffre fatidique et de souper encore quand son-
fille de l'lm. Henriette cette vie que toutes les nait. le royal couvre-feu -ses femmes, sans rien
princesses craignaient si fort et qui d'avance les dire, commençaient à la décoiffer, d'autres la
faisait tant pleurer lorsqu'on leur annonçait déchaussaient par-dessous la table, et désQ&biJ,léc
qu'elles allaient être reines d'Espagne. en quelques minutes, elle était ainsi portée dam>
Le rôle de la duchesse de Terra-Nova commér~- son lit. « le morceau au bec », écrit ~s une
çait. Elle avait entrepris,. écrit Mm. d'Aulnoy qui lettre Mme de Villars.
Les gestes, le costume, les-paroles, les actes, joie ait comme enivré la France. Les modes
tout était prévu, ordonné, -devait être exécuté, mêmes célèbrent l'événement à leur manière.
ou interdit, sans appel. Cette religion étrange de Un bijoutier fit fortune envendant des tabatières
l'Espagne pour la tradition confinait à la folie;- noires en peau de chagrin ornées à l'intérieur
c'est ainsi que Philippe III, asphyxié par la va- du portrait de Marie-Antoinette, ce qui voulait
peur d'un brasero et l'officier attaché à ce meuble dire la consolatz'on dans le chagrin!
et qui seul y pouvait toucher ne se trouvant pas Malgré les hommages, les applaudissements
là, on le chercha par le corridor et par les salles, qui accompagnent et suivent la nouvelle souve-
raine éblouie et charmée, un parti, le parti
ce qui causa fatalement la perte du roi. Lorsque
le gardien du feu arriva, Philippe III était mort. anti-autrichien, se forme dans l'ombre du
Marie-Louise faillit succomber, elle aussi, à trône, guettant sourdement la jeune femme sans
deux accidents de ce genre. défiance, et aussi « les fautes qui pourraient
Une première fois, comme elle se jetait de la échapper à sa jeunesse et à son inexpérience» (1).
portière du carrosse, l'étiquette exigeant qu'elle Tout de suite les froissements commencèrent.
s'élançât à cheval de cette façon, elle tomba vio- Une première peccadille savamment trahie,
lemment à terre. Seul le roi peut aider la envenimée, colportée, éveilla contre la reine le
reine et s'il n'est pas là, « on aime mieux qu'elle mécontement et la défiance de ses sujets.
expose sa vie et coure le risque de se blesser ». L'étiquette obligeait Marie-Antoinette. de rece-
Une autre fois, uti cheval andalou, que Marie- voir en cérémonie solennelle toutes les dames
Louise monte dans la cour du palais, se cabre, de l'ancienne cour, ou qui y avaient été présen-
la reine tombe et son pied reste dans l'étrier. tées. « Les petits bonnets noirs à grands papil-
Entraînée par la bête, la tête va se briser sur les lons, les vieilles têtes chancelantes, les révéren-
dalles. Le roi, à son balcon, se désespère dans ces profondes avaient quelque chose d'un peu
la foule composée de « personnes de qualité. et grotesque.
de gardes », nul n'ose bouger parce qu'il n'est La reine, cependant, gardait sa dignité. Mal-
pas permis à un homme de toucher à la reine, heureusement une des dames du palais, la mar-
pied ». quise de Clermont-Tonnerre, fatiguée par la lon-
« principalement au
Deux gentilshommes enfin ont lè courage de gueur de cette séance, finit par s'asseoir sur-le
saisir la bride et l'étrier, et de délivrer la reine. parquet, en se dissimulant -de son mieux derrière'
Puis ils s'enfuient en grande hâte pour échapper les grands paniers de Marie-Antoinette et de ses
« à la colère du roi ».
Un de leurs amis dames.
slip plie Marie-Louise de parler au maître en leur A l'abri de cette cloison, elle se mit à tirer ses.
faveur, et Charles II « recut très bien la prière compagnes par leurs jupes, imitant le ton des
qu'on lui fit pour ces généreux coupables ». visiteuses et débitant mille espiègleries. Le con-
Voilà où peuvent'en arriver des êtres humains, traste entre tant de' solennité d'une part et cette
et civilisés, et placés parmi ceux d'un monde folle gaieté de l'autre déconcerta la reine, qui
supérieur qu'on appelle « les grands de la terre », cacha mal derrière son éventail un sourire invo-
lorsque le respect et l'abus d'un usage deviennent lontaire. °
Inde irx! Cette circonstance si futile en appa-
une monomanie. Des traits aussi bizarres carac-
térisent un pays ils abondent dans l'histoire rence ouvrit les hostilités. L'aréopage des vieilles
héroïque et folle, frénétique, âpre. et taciturne dames prononça la condamnation.de Marie-An-
de l'Espagne. toinette. Et dès le lendemain une 'chanson cir-
cula, dont ce refrain seul aurait dil laisser devü~er
les' auteurs et le caractère politique
L'étiquette dont Marie-Antoinette eut à souf- Petite reine de vingt ans,
frir fut moins lourde, certes, et moins violente. Vous qui traitez si mal lés gens,
Mais on ne songe pas à faire des contrastes pro- Vous repasserez la barrière
fitables lorsqu'on est mécontent et la jeune reine Lantaire.
de'
secoua de ses belles épaules les petites chatnes Dans unvÓyage à Marly, la duchesse
de soie et d'or dont elle supportait malaisément Chartres,. plus tard duchesse d'Orléans
le poids léger. C'est pourtant de cette impa- introduisit dans l'intérieur de la reine une mar-
tience que germa le malentendu initial qui per- chande de modes, bieniôt célèbre, .Mlle Bertin;.
dit « l'Autrichienne » dans l'esprit surexcité du or cette admission, contraire à l'usagé; fut ex-
peuple. De terribles chocs sont dus'parfois à des trêmement critiquée, et l'accusation de frivolité
causes puériles qui sait si le divorce entre la déjà prononcée contre Marie-Antoinette se ré-
reine d'abord acclamée puis honnie et des nouvela.
hommes faussement éclairés et prévenus adroi- Inconscient, rieur, sans soupçon, le royal petit'
tement, n'est pas né d'abord d'un oubli presque oiseau continuait de lisser son.joli plumage. Et".
inconscient, d'un caprice enfantin et puéril? ce plumage changeait souvent. Il fallait trouver
Il semble que lorsque après la mort de Louis XV
la jeune Dauphine devint reine, un transport de (1) bfémoires de Camp,-in.
chaque jour une toilette nouvelle et des acces- lui cédait cette dernière fonction, mais ne la cé-
soires à l'avenant. Ce fut l'époque des invraisem- dait pas directement aux princesses du sang.
blables coiffures, échafaudages si extravagants Un jour d'hiver, il arriva que la reine, déjà toute
de gazes, de fleurs, de plumes et d'objets hété- déshabillée, était au moment de passer sa che-
roclites que les femmes, ne pouvant trouver de mise je la tenais toute dépliée; la dame d'hon-
voitures assez élevées pour contenir avec elles neur entre, se hâte d'ôter ses gants et prend la
leurs édifices capillaires, prirent le parti stoïque chemise. On gratte à la porte, on ouvre c'est
de s'agenouiller dans leurs carrosses ou de voya- Mme la duchesse d'Orléans; ses gants sont ôtés,
ger la tête en dehors. Ces bizarreries répétées elle s'avance pour prendre la chemise, mais la
souvent excitèrent la risée des habitants de Paris dame d'honneur ne doit pas la,lui présenter; elle
et leur esprit frondeur. Des caricatures nom- me la rend, je la donne à la princesse; on gratte
breuses exposées partout, et parmi lesquelles on de nouveau c'est Mme la comtesse de Provence;
pouvait reconnaître des traits augustes, amusè- la duchesse d'Orléans lui présente la chemise.
rent la France aux dépens de la reine et de sa La reine tenait ses bras croisés sur sa poitrine
jeune cour. et paraissaitavoir froid. Madame voit son attitude
Les événements sont parfois étrangement re- pénible, se contente de jeter son mouchoir, garde
liés par un fil mystérieux que la postérité dévide. ses gants, et, en passant la chemise, décoiffe la
Si Mlle Bertin n'avait pas obtenu ses entrées dans reine qui se met à rire pour déguiser son impa-
l'intimité du palais, l'art de la mode n'eût certes tience, mais après avoir dit plusieurs fois entre
pas si vite et si absolument occupé et préoccupé ses dents C'est odieux! quelle importunité! »
Marie-Antoinette. Le ridicule qui tue en France On ne peut déplacer les événements de
plus qu'ailleurs lui eût peut-être été évité, et la l'Histoire qu'en imagination. Mais qui sait pour-
reine moins distraite, moins étourdiment livrée tant si l'interversion de très petits faits n'eût pas
aux fantaisies absurdes du coiffeur Léonard, au- retardé le dénouement et changé le sort de
rait regardé autour d'elle et senti le souffle de Marie-Antoinette?-Un ferment de révolution se
l'orage. levait partout, mais à cause de cela précisément
Nous avons dit que Marie-Antoinette souffrit les bourgeois de Paris et le peuple de France
parfois des lois de l'étiquette. C'est qu'elle n'osa eussent été flattés de voir la reine ramener les
ou ne sut pas abolir de vieux préjugés, plus di- formules de son lever à une simplicité plus na-
gnes cependant d'une opposition hautement af- turelle, tandis qu'ils ne lui pardonnèrent pas
firmée et d'un refus royal d'obéir à l'usage. d'avoir introduit avec Mlle Bertin un luxe d'appa-
Laissons la parole à Mme Campan L'habille- rence effréné qui contrastait élégamment, étour-
ment de la princesse était un chef-d'œuvre d'éti- diment avec la misère publique.
quette tout y était réglé. La dame d'honneur et Et le lecteur d'Histoire, évoquant le Passé,
la dame d'atours, toutes deux si elles s'y trou- voit les hôtes charmants de Trianon danser lé-
vaient ensemble, aidées de la première femme gèrement sur des pierres qui tremblent.
et de deux femmes ordinaires, faisaient le ser- JEw HELLh;. ·
vice principal; mais il y avait entre elles des
distinctions. La dame d'atours passait le jupon, $~$$~$$~$~~$$~$$$~$~$$£$
présentait la robe. La dame d'honneur versait Une femme, fidèle riens de la vie, sera fidèle aux
l'eau pour se laver les mains et passait la che- grands devoirs.. aux
mise. Lorsqu'une princesse de la famille royale On ne peut servir les hommes qu'en s'exposant à leur
se trouvait à l'habillement, la dame d'honneur ingratitude. Lettre de LACORDAIREà GUIZOT.
Profilant son tracé à travers les sites pitto- quelles elle a apporté la vitalité, le progrès et la
resques du nord des départements des Alpes- prospérité; elle est importante encore et surtout
Maritimes et du Var, la ligne de Nice à Meyrargues, en ce que, par.tant du chef-lieu des Alpes-Mari-
artère principale du réseau des Chemins de fer times, où elle se raccorde avec la grande voit,
du Sud de la Erance, n'est pas utile uniquement ferrée du littoral, pour se souder, à son point
parce qu'elle dessert des contrées riches par les tcrnai~azvs, près de la Durance, au réseau P.-L.-M.,
produits multiples et variés du sol, attractives par les lignes de Manosque et Sisteron, de Per-
par la sauvagerie grandiose ou la poétique beauté tuis, d'Aix et Marseille, elle relie deux centres
des paysages, mais que le défaut de communica- militaires importants et doit être un des facteurs
tions directes avec les grands centres, de moyens essentiels de la défense du Sud-Est, en cas de
commodes et rapides de transport condamnaient guerre.
à une déplorable stagnation économique, aux- Tandis que le railway de Marseille à Vintimille,
qui côtoie presque continuellement la mer, sur- lacets la pente en entonnoir d'un ravin, avaient
tout à partir de Saint-Raphaël, est exposé aux imposé aux ingénieurs une étroitesse de voie,.
agressions du large et livre la mobilisation à la dé)s hardiesses dans.. les courbes et dans les
merci d'un audacieux coup de main ou de la des- rampes, une multiplicité de travaux d'art qui,
truction des travaux d'art, celui, au contraire, qui jugées dangereuses, sinon absolument incom-
suit les sinuo- patibles avecc
sités du mas- les nécessités
sif, du con- des transports
fluent du Ver- de guerre,
don jusqu'au avaient jus-
Var, reculé qu'à présent
loin à l'inté- fait hésiter
rieur des ter- l'Etat-major à
res, assurerait l'accepter
en tout temps comme ligne
une indépen- stratégique.
dance et une Il n'en sera.
sécurité abso- plus ainsi dé-
lues aux mou- sormais, Un
vements de troisième rail
troupes et aux a été posé, sur
convois de ra- tout le par-
.vitaillement. cours, pour
Dessinantavec I,e Pont de la Manda sur le Var. établir l'écar-
celle de Mey- tement nor-
rargues à Digne et celle de Digne à Puget-Thé- mal des grands réseaux et permettre la circula-
niers et Colomars le triangle immense d'un tion du matériel du P.-L.-M. et des épreuves
camp retranché dont la configurationest indiquée faites sur la partie la plus accidentée, entre
par le cours de la Durance et par celui du Verdon Nice et Draguignan, viennent de démontrer que
pour côtés et le formidable rempart des Alpes sans risque aucun et avec toute la régularité dési-
pour base, elle complète ainsi un système straté- rable, les machines et les voitures de cette Com-
gique de pre- pagnie pour-
mier ordre, ront désormais
donnant aux pratiquer la li-
opérations de gne mixte du
guerre, dans Sud.
un~ position C'est, en ef-
maltresse de la fet, entre le
Provence et du chef-lieu des
Dauphiné, en Alpes Mariti
avant d'nue val- mes et celui du
lée, route di- département
recteduRhône, du Var, qu'au
une base et un milieu d'une
appui infrangi- nature d'une
bles. incomparable
L'intérêt mi- splendeur le
litaire fut donc regard émer-
l'objectif prin- veillé rencon-
cipal et la con- Le viaduc du Loup. tre, tour à tour
sidération dé- farouches oit
terminante de la création d'une route ferrée attrayants, impressionnants ou charmeurs, les
pouvant, en cas de besoin, suppléer à celle du aspects les plus suggestifs mais que sont
littoral, et la doublant, en quelque sorte, entre multipliés aussi ces rampes, ces. courbes, ces
Nice et Meyrargues. :Malheureusement, les diffi- lacets, ces travaux d'art, d'une audace parfois
cultés de la construction à travers des contrées effrayante, comme le pont de la Dlanda (360 mè-
montagneuses, d'une ossatura tourmentée, parmi tres) sur le Var, le baou de Saint-Jeannet, le via-
les ressauts et les heurls du relief, ici franchis- duc de la Cagne, celui, en maçônnerie, du Loup.
sant un torrent, là s'enfonçant dans l'étrangle- ou du f'aslarat (52 mètres de hauteur, 11 arches
ment d'une gorge profonde, surplombant le pré- de l0 mètres) à l'entrée des célèbres gorges, but
cipice, ascensionnant un mamelon, dévalant en d'excursion des touristes, le viaduc métallique
de la Siagne, de 75 mètres de hauteur, etc. v Iment horizontal des grands viaducs métal-
Les épreuves toutes réceiltes, ont duré trois liques, opérées au moyen des appareils spéciaux
jours lè premier etle deuxième jours, essais-de de l'ingénieur Rabut, ont donné des flèches par
charge, de vitesse, de résistance des ponts et via- faitement normales, et par la régularité des gra-
ducs, parles ingénieursdu contrôle, avecun train phiques ont affirmé la stabilité des travaux. Sur
composé d'une locomotive et de six wagons du certains points du parcours, des vitesses de
P.-L.-M., entreNice, Grasse etDraguignan; letroi- 55 kilomètres à l'heure ont pu être développées,
sième jours,essais définitifs de vitesse,tonnage,ga- malgré la fréquence des courbes et leur faible
barit, garage, alimentation, etc., entre Draguignan rayon de 150 mètres.
et Nice, en présence des délégués du ministère Le Sud de la France, de Nice à Draguignan et
de la Guerre, le lieutenant-colonel Belz et le ca- Meyrargues, est désormais classé comme ligne
pitaine Fabbia, de l'État-màjor général de l'armée. stratégique. Elle est destinée à rendre, en cas de
Ces expériences ont été des plus concluantes, guerre, d'incontestables et sérieux services.
Les épreuves notamment de flexion et de mou- OCTAVE JUSTICE.
La capitale s'est trouvée exposée, les deux faites au lieu de distribution, et ce sont les tra.
dernières années, et surtout en 1900, à de graves vaux du laboratoire de Montsouris qui ont montré
épidémies de fièvre typhoïde, qui ont littérale- que, si ces numérations étaient utiles, elles
ment terrorisé la population; les journaux, d'ail- n'étaient pas suffisantes.
leurs, il faut le dire, ont accru la terreur en C'est alors qu'on vint à l'étude des conditions
accusant le service des eaux de tous les décès d'alimentation des sources, et qu'on se préoc-
survenus, et dont une partie au moins revenait cupa de saisir les microbes le terrible bacillus
vraisemblablement à la nature. Il ne saurait s'agir coli surtout, à leur point de départ.
ici que cela soit entendu de défendre ni Que fallait-il faire pour arriver à ce résultat?
d'accuser tel ou tel service, tel ou tel fonction- Étudier, dans chacune des vallées, la direction
naire :nous ne faisons pas ici de polémiques, et le régime des courants souterrains qui amè-
grâce à Dieu, et nous ne cherchons qu'à rensei- nent les eaux de pluie à l'orifice d'émergence des
gner le public sur tout ce qui intéresse sa santé sources; surveiller toutes les parties où s'infil-
ou son esprit. trent les eaux qui ont lavé les cours et les fumiers
Je voudrais essayer aujourd'!lUi de montrer des habitations, examiner.le trajet direct on
aux lecteurs l'organisme d'un des plus impor- indirect, lent ou rapide, que suivent ces eaux
tants corps d'hygiénistes qui soit= et des plus usées avant d'arriver aux sources bref tracer
récemment constitués, il est vrai. Tout dernière- une carte de. la .circulation souterraine. Pour
ment encore, à propos de la grande discussion une telle étude (9 j, la science était autrefois
au Sénat du projet de loi sur la santé publique, assez mal armée. Elle n'avait que les résultats, tou-
vous avez entendu parler de ce service de sur- jours un peu difficiles à interpréter, de l'analyse
veillance, chimique, micrographique et médi- chimique.
cale des eaux de source F~; mais nulle part vous Aujourd'hui, pour suivre les parcours souter-
n'avez pu vous rendre compte de la façon dont rains, il y a les matières.colorantes dont le ma-
on peut surveiller ainsi une source. niement, lorsqu'il est fait par des mains expertes,
C'est cette utile leçon de choses que j'ai moi- renseigne d'une façon assez précise non seule-
même apprise de la bouche des hygiénistes, que ment sur .le sens des trajets souterrains, mais
je voudrais transcrire ici. encore sur leur vitesse et le volume d'eau qu'ils
entraînent ou dans lequel ils se noient.
Il y a aussi l'étude de la température qui, au
Quelle est d'abord l'origine de la création de ce contraire du moyen précédent, ne donne des
service?2 renseignements qu'à, longue échéance, mais qui
Pendant longtemps, la science a Pstimé que les donne sû.rs,1I y a les numérations bactério-
l'examen des eaux d'alimentation au point d'ar- logiques, qui donnent une idée assez nette de
rivée de la canalisation ou tout au plus à l'orifice l'ensemble de la filtration entre le point de
d'émergence des sources était suffisant, car on de départ, toujours placé à la surface du sol, et
pensait alors pouvoir juger uee eau sur sa teneur le point d'arrivée à la source ou au voisinage de
en oxygène ou sur sa composition chimique. la S01).rce. Il y a ensuite l'analyse chimique.
Ensuite, quand on a commencé à se préoccu-
(1) Rapport lu par M. Duclaux à la séance de la Com-
per de la richesse de cette eau en microbes, on mission scientifique de perfectionnement de l'Observatoirt'
a cru: pouvoir se contenter des numérations municipal de Montsouris (15 mai 1899).
Le service de surveillance des sources a pour qu'on reçonnait si tel bétoire communique avec
programme l'ensemble de ces études, la source, et en combien de temps l'eau qui coule
Ce programme que j.'ai résumé, bienentendu, dans ledit bétoire arrive à la source.
fut adopté par la Commission de perfectionne- Si ce temps est trop court pour que les eaux
ment de l'Observatoire de Montsouris, et le Pré- usées provenant des habitations puissent être
fet de la Seine, par un arrêté du 16 juin. 1899, épurées, on fera détourner ces eaux dans un
constitua la Commission technique pour l'étude sens opposé à la source.
des eaux potables captées pour l'alimentation de Des échantillons des eaux prélevées sont con-
la Ville de Paris. stamment envoyés à Paris, au service chimique
Dans sa séance du 17 juillet 1899, la Commis- et au service micrographique.
sion de perfectionnement adopta un projet d'en- En outre, les deux chefs de ces services,
quête, à la fois médicale et hygiénique, géolo- MM, Albert-Lévy et Miquel, viennent eux-mêmes
gique, chimique et microg-raphique, sur les eaux faire aux sources des prélèvements. L'analyse
potables captées pour l'alimentation de la Ville micrographique demande huit jours; or, en
de Paris. Cette enquête devait être poursuivie huit jours, une épidémie peut faire des ravages
d'abord dans la région des sources de l'Avre, énormes; fort heureusement, l'analyse chimique
puis dans le.bassin de la Vanne et se terminer est là pour prévenir le mal, car elle ne demande
dans la région de la Dhuys. que quelques minutes.
Les violentes épidémies de fièvre typhoïde ont M. Albert-Lévy qui connaît à fond ses sources,
obligé la commission technique à étendre à la constate-t-il une perturbation dans leurs eaux;
fois ses investigations dans ces diverses régions. immédiatement, il fait mettre en décharge c'est-
N{)us ne saurions entreprendre ici l'examen de à-dire condamner momentanément la source
tous les rapports présentés depuis un an, ,à la suspectée sa science particulière ne lui permet
Commission de perfectionnement par les mem- pas de dire si l'eau contient des germes patho-
bres de la Commissiontechnique de surveillance gènes, et c'est M. le Dr Miquel qui nous rensei-
des sources (1) cela n'est pas de notre ressort. gnera là-dessus, huit jours après; mais, enatten-
Ce .que jevoudrais seulement vous montrer, c'est, dant, le danger présumé est écarté. Si, l'analyse
g~~osso modo, l'organisation, le fonctionnement du micrographique a. démontré la bonne composi-
service de surveillance. Cela est très curieux. tion.de l'eau, la source est alors remise en cir-
culation.
Tous ces savants qui cherchent ainsi, conti-
A chacune des sources qui constituent les
nuellement, à découvrir le fâcheux « microbe
pathogène son entrée dans le monde
sources principales, a été établi un laboratoire l'empêcher»d'y faire sensation, ont enfin pour
volant, que dirigent jour et nuit des chimistes comme
précieux collaborateurs la plupart des médecins
établis là à demeure; ce sont ces chimistes qùi
s'occupent de dresser le plan de la circulation locaux qui leur signalent, dès leur apparition,
souterraine des eaux formant les sources, en étu- tous les.cas de typhus,
Dès qu'une habitation a été atteinte par le
diant principalement celles qui peuvent charrier
fléau, le laboratoire volant s'y transporte pour
des germes dangereux.
le sous-sol et empêcher ses eaux
Cette étude se fait surtout au moyen des ma- en cerner
de prendre la direction d'une des sources.
tières colorantes dont il a été question plus haut.
Arrêtons-nous un instant, si vous le voulez bien,
à cette opération.
Le chef du service de surveillance local se J'ai tâché de montrer par ces quelques rensei-
transporte, avec son matériel et son personnel, gnements, l'importance considérable du service
devant un bétoire (vaste trou creusé dans la terre) de surveillance des sources.
avoisinant des habitations; dans ce bétoire, il Il est bon de le répéter, ce service qui est cer-
jette, avec de l'eau, certaine quantité de flicores- tainement appelé à rendre à la santé publique de
cine (c'est le nom de la matière colorante em- sérieux services, ne date que d'hier; il se per-
ployée). Ceci fait, il dispose ses auxiliaires par fectionne chaque jour, et nous aurions mauvaise
places, tout autour du bétoire; et, au bout d'un grâce à lui refuser notre confiance. N'attendons
certain temps, il leur fait prélever une certaine pas pour cela que la fièvre typhoïde disparaisse
quantité d'eau souterraine; si cette eau apparaît de ce monde, car nous savons fort bien, n'est-ce
teintée, le cercle d'investigations s'élargit, et pas, qu'elle ne provient pas uniquement de l'eau
ainsi de suite, en approchant de la source, jus- potable.
qu'à ce que l'eau apparaisse claire. C'est ainsi Mais, comme l'a dit M. Duclaux, « quand on
aura aveuglé cette voie principale, il sera plus
(1) Cette commission de surveillance des sources est facile de découvrir les autres fissures par les-
ainsi constituée M. le Docteur A. J. Martin, président: quelles elle peut se glisser ».
MM. Janet, ingénieur des mines, Albert-Lévy, chef du
service chimique, le D' P. Miquel, chef du service micro-
graphique, et le D'IL Thierry, membres. PAUL DARZAC.
1Le ~as-~elief de la Comédie-française
IMPRESSIONS DE VOYAGE
C'était au milieu de l'automne. J'avais quitté le des guides et des précepteurs en matière reli-
matin même la province du Sémiretché, et je re- gieuse. Il y a quelques familles célèbres à Hérat
venais d'Asie centrale en traversant le Turkestan. et à Tachhten, où le titre d'ichane se transmet
A l'un des premiers relais, le maître de poste virit de père en fils; ces ichanes héréditaires ont une
s'excuser le courrier de Tachkent était passé immense influence; leurs noms sont connus
quelques heures auparavant, lui prenant tous ses dans toute la région: ils sont d'ailleurs civilisés,
chevaux force était maintenant d'attendre, jus- fort honnt~tes et fort pieux, et souvent même
qu'au lendemain peut-être, qu'ii y eût des che- assez leitrés.
vaux disponibles. Je me sentais, je l'avoue, d'as- Outre les ichanes héréditaires, on trouve
sez méchante humeur, lorsque tout à coup le d'autres ichanes beaucoup plus nomlireux, mais
maître de poste s'approcha et me demanda si je beaucoup moins honnêtes, qui ne sont que de
n'étais pas méde- rusés sorciers ou
cin le pauvre hom- d'habiles rebou-
me était tout ému. teux; parmi eux, il
car sa femme souf- y en a qui ne savent
frait depuis plu- pas même lire, et
sieurs jours. A tout tous ils exploitent
hasard,je le suivis avec des ruses la
dans la chambre de simplicité dupeuple
la malade, et là je ignorant.
vis une fois encore Lorsqu'un mu-
un spectacle trop sulman veut deve-
souvent observé nir ichane, il quitte
dans ces contrées son village et se
où la fièvre règne rend chez un des
en maîtresse sou- ichanes dont l'in-
veraine une jeune La Tourta de l'lchane. fiuence est particu-
femme défigurée lièrement célèbre.
par la douleur, gémissait presque évanouie Il est toujours accompagné de pauvres gens de
sur son lil, et j'essayais de soulager pour un son village, ses adeptes, qui il donne les ali-
instant ses souffrances avec le médicament in- ments nécessaires à la vie.
dispensable en Asie, le sulfate de quinine. Arrivé chez le maître qu'il a choisi, il lui offre
Je remarquais cependant au bras de la malade des cadeaux, lui raconte comment Dieu l'a décidé
un lourd et biza:rre bracelet fait de pierres per- à entreprendre son voyage, et l'ichane l'accepte
cées, d'anneaux en corne et de boules grossiè- comme disciple, comme « muride ». Le nouveau
rement sculptées. Je demandai quelle était cette muride s'incline en disant -Je vous donne ma
étrange parure. Le maître de poste se troubla main.
tout d'abord, puis, pressé par mes questions, me Confesse tes péchés petits et grands, répond
dit la vérité l'ichane, dis chaque jour, outre les prièl'es
C'est un talisman. Je ne trouvais personne usuelles, deux mille fois le nom d'Allah 1
pour soulaâer ma femme alors j'ai fait venir Les règles de la vie du muride sont établies
l'ichane, que les Sartes révèrent! On dit qu'il par les traditions et gardées dans les livres. Le
connaîttant de secrets C'est lui qui nous a donné muride doit se conduire convenablement, ne pas
ce bracelet. remuer, ne pas tousser, ne pas cracher et sur-
Je veut voir cet ichane; où demeure-t-il? tout ne pas fumer Il doit toujours parler modes-
Il campe à 2 verstes d'ici. tement, à voix basse, avoir les pieds propres, ne
Eh bien procurez-moi un guide qui m'y jamais découvrir sa poitrine et éviter de manger
conduise. les choses trop parfumées, comme l'oignon, par
Je ne regrettais plus mon arrêt forcé dans le exemple.
petit village si peu intéressant, et bientôt, con- Le muride doit témoigner à son maître les
duit par un jeune paysan, j'arrivai à la tente où plus grands respects, lui obéir en tout, ne rien
vivait l'ichane. entreprendre sans l'avoir consulté.
Les ichanes sont, chez les Sartes de l'Asie cen- Devenu, par la permission de son maître,
trale, des prêtres d'un caractère tout spécial. ichane à son tour, le muride revient triomphale-
ment à son village accompagné par ses propres des murides, qui étaient sales et peu intéres-
adeptes; ceux-ci lui attribuent de suite des santes.
cures fantastiques, des guérisons merveilleuses, Cependant le pilaf avait été préparé, et je ne
des miracles incroyables. Cependant, rentré tardais pas à faire honneur à l'excellent mets
chez lui, le nouvel ichane vend des prières, des populaire, essentiellement composé de mouton
remèdes, des talis- et de riz, auxquels
mans, et son renom on joint un coing,
s'étend au loin, si quelques abricots
la chance le favo- et raisins secs. Nous
rise, la crédulité mangions tous
populaire 3~ aidant. deux, mettant la
Il y a des ichanes main au plat, sans
avec l'influence fourchette, et les
desquels l'adminis- murides debout
tration russe a par- nous contem-
fois à compter. On plaient. Lorsque
voit même, par mon notre appétit fut
récit, que quelque- apaisé, l'ichane
fois des malheu- leur abandonna
rem paysans rus- nos restes, qu'ils
ses, malades, ne sa- mangèrent en si-
chant où trouver Femme kirghize. lence.
la guérison, s'adres- L'ichane se leva
sent au sorcier musulman dont les Sartes et les alors, sortit, et alla s'asseoir sur un tapis, et au
Kirghizes vantent les prétendus miracles. milieu du désert il se mit à prier; il remercia
Le campement de l'ichane auquel je rendais Dieu du repas qu'il venait de faire, puis il chanta
visite se trouvait dans un endroit presque désert, quelques aventures célèbres de la vie d'un saint
et sa tente, sa yourte, pour employer lc mot populaire sa belle voix 'grave prenait parfois des
technique, était assez misérable, Autour de cette accents douloureux; auxquels les murides age-
yourte étaient dressées celles des murides, et le nouillés répondaient par des cris ou des sanglots.
tout formait un vil- Tout ~,t coup les
lage kirghize sem- murides se livrè-
biable tous les rent à des exercices
autres villages no- furieux, les uns
mades, plus pauvre tournaient sur eux-
peut-être. mêmes, les autres
J'entrai sous la faisaient avec rage
tente principale, et des bonds prodi-
je trouvai l'ichane yieu~, comme les
assis sur un tapis et fanatiques qui s'as-
buvant le thé que semblent le soir
lui servait un jeune dans certainesmos-
homme c'était un quées de Tachkout.
beau vieillard, Un bruit de gre-
grand et maigre, lots les interrom-
aux yeux tranquil- pit le maître de
les et intelligents, Stution de poste. poste amenait ma
à la longue barbe voiture attelée de
blanche il parlait très passablement la langue trois chevaux rentrés inopinément; près d'elle,
russe. Quoique Sarle, il m'accueillit avec la bonne à califourchon sur un boeuf effrayé, se trou-
familiarité kirghize il m'offrit le lait et le thé et fit vait une vieille femme venue pour consulter
tuer un mouton. Devinant que je voulais l'inter- l'ichane.
roger sur sa vie, sur son art, sur ses pratiques Je pris quelques vues, mais l'ichane refusa de
religieuses, et voulant éviter mes questions, il se laisser photographier et interdit
aux murides
feignait une grande curiosité. Je sus pourtant de poser devant mon appareil.
qu'il avait longtemps étudié à Tachkout il con- Je lui demandais en montant dans mon ta-
naissait Boukhara et l'émir 1 ''avait reçu à sa table. rantas si tous les jours il priait ainsi après
Il me montra les cadeaux que lui avait donnés repas.
son
l'émir, un tapis aux couleurs merveilleuses et « Chaque jour. Est-ce que dans ton pays
quelques robes de chambre de soie variées et on ne remercie pas le Seigneur aprës le repas?
éclatantes. Il. U1 'offrit entin de visiter les tentes On le. remercie même avant
C'est ce qu'il ne faut pas faire», dit le vieil- IlF PROGRÈS bES T~Rf{SPO~TS
lard, et pour me convaincre, il me conta, à ma
grande joie, la fable suivante. DEPUIS LE XVII°WIÈCLE )~
« Le renard et
le coq avaient fait serment
d'amitié. Or, un jour qu'il n'avait pas trouvé de
nourriture; le renard saisit le coq pour le dé-
En 16i5, un sieur Michel, ingénieur géographe du
vorer. roy à l'Observatoire, rédigea un « indicatèur fidèle »
Que t'ai-je fait, dit celui-ci, je suis pourtantt quinous donne d'après
ou « guide des voyageurs
ton ami Le Tour du Moode, de précieux renseignements sur
Voilà qui m'est bien égal, répondit le re- l'industrice des transports à cette époque.
nard, d'abord j'ai faim, et puis Dieu m'a dit de Il fallait, en ce temps-là, pour franchir la distance
te punir pour les péchés que tu commets chaque Paris-Lyon (101 lieues), cinq bonnes journées. Pre-
jour! mière journée. Départ de l'hôtel de Sens,. à deux
Quels péchés? heures du matin. Déjeuner à Chailly, f2 lieues; cou-
D'abord tu cries tout le temps, comme si cher à Pont, 12 lieues. Seconde journée. Déjeuner
à Joigny, 9 lieues coucher à Vermanton, 10 lieues.
les hommes avaient besoin de toi pour savoir
Troisième journée, Déjeuner à Rouvray, 9 lieues;
que le soleil se lève ou que minuit arrive en- coucher à Arnay-le-Due, 11 lieues. Quatrième
suite tu es vaniteux, car non content de porter journée. Déjeuner à Chalon-sur-Saône, 12 lieues;.
une huppe sur la tête, ce qui est'déjà mal, tu en coucher à Mâcon, 10 lieues. Cinquième journée.
portes une sur ton derrière; enfin tu as beau- Déjeuner à Villefranche, 10 lieues arrivée à Lyon
coup. plus de femmes que n'en permet le Co- (six heures du soir), fi lieues.
rân » On faisait jusqu'à 24 lieues par jour, à la vitesse
Ayant écouté ce jugement sévère, le coq moyenne de 2 lieues par heure
doucement répondit Aujourd'hui les rapides font le trajet en sept heures
Tout cela est vrai, et j'avoue mes fautes et demie.
mais, au nom de notre amitié de jadis, je te de- Le voyage de Paris à Calais exigeait, en 1692, sept
jours'; en 1786, trois jours en 1814, quarante heures;.
mande une grâce fais, avant de me manger,
en i834, vingt-huit heures; aujourd'hui il faut trois
une prière pour moi au Seigneur. heures et quart.
Le renard y consentit.; il s'assit pour prier et Les prix de voyage n'ont pas sensiblement varié,
leva comme il faut vers le ciel ses deux pattes, remarque à ce propos M. de Parville. On payait par
d'où le coq alors s'échappa, et grimpé, sur un kilomètre en carrosse, en 1692, la somme de Ofr.1076;.
arbre le coq contempla en riant le renard ahuri en diligence, en 1786, 0 fr. 1952; en malle-poste, en-
qui s'insultait lui-même. » 18i4, 0 fr, 1301 en malle-poste, en 183~, 0 fr. 1862-
Tu vois, termina l'ichane en me quittant, On paye en chemin de fer, en .1900; impôt compris,
0 fr. li2 en Ire classe, O fr. 0 756 en 2e classe et 0 fi'. 0493.
que bien bête est celui qui fait sa prière avant le"
repas et non après. Dieu peut toujours te re- en 3a. classe.
Le prix' moyen de transport ramené au kilo-
prendre la nourriture qu'il t'offre ce n'est mètre ne diffère donc pas sensiblement, en 1900,
qu'après l'avoir mangée que tu dois être recon- de ce qu'il était, en 1692, du temps dés carrosses;
naissant. » mais, si l'on tient compte de l'écart existant entre
PAUL LABBÉ.
les deux époques dans la.valeur du numéraire et si.
~$~~$$$$$~$~
Je pense que le meilleur moyen de faire du bien aux
l'on met en regard l'économie énorme de temps gagné
par l'augmentation de vitesse, on peut juger des im-
bénéficier la
menses avantages dont nous ont fait
pauvres n'est pas de les mettre à l'aise dans leur pau-
vreté, mais de les tirer de cet état. FRANKLIN. vapeur et les chemins de fer.
Côte à C8te
NOUVELLE
fi
région de nombreuses petites bandes qui s'éva- Tsin, que si les négociations de paix ne reçoivent pas
nouissent devant sa tête de colonne pour reparaître une solution satisfaisante dans les premiers jours de
aussitôtderrière son arrière-garde février au plus tard, une forte expédition internatio-
Dans la colonie du Cap, les troupes anglaises, loin nale ira chercher dans leur repaire le prince Tuan et.
de prendre l'offensive, battent en retraite prudem- l'Empereur pour les ramener à Pékin.
ment. Les dernières dépêches annoncent que, sur le Ça ne sera sans doute pas très commode.
Doorn, elles se sont heurtées à une avant-garde boer HENRI MAZEREAU.
forte de 200 hommes, couvrant un corps de 1500
à 1800 hommes qui a quitté Calvinia, marchant vers
le Sud, sur Clanwilliam, à 50 milles environ de la
mer.
L'offensive des Boers semble donc s'affirmer sur
tous les points à la fois, et les dépêches publiées par
les journaux anglais annoncent que dans un conseil LA VIE DRAMATIQUE
de guerre tenu par Louis Botha à Ermelo, conseil Le Bon Juge, que M. Bisson vient de donner au
auquel assistait De Wet, l'envahissement du Natal a Vaudeville, n'a rien de commun avec celui de la Robe
été décidé. Allons-nous donc revoir Botha sur les Rouge de M. Brieux, représenté l'année dernière sur
bords de la Tugela? Si oui, il faut espérer que le le même théâtre, bien que le personnage soit joué
jeune généralissime sera moins timoré que le vieux par le même acteur, M. Huguenet. M. Brieux avait
général Joubert. composé une étude âpre, dans sa simplicité, de la
Que fera alors Kitchener? se verra-t-il forcé de magistrature contemporaine; il fustigeai~ avec une
quitter Prétoria, comme il vient d'être contraint ironie amère les exagérations d'une justice heureu-
d'abandonner toute la région est de l'Orange à De sement exceptionnelle. M. Bisson a choisi le même
Wet, pour voler au secours de la colonie menacée? sujet, mais l'a traité dans une note absolument con-
Tout est possible et M. Chamberlain doit trouver bien traire il a préféré la farce, une farce bourrée de
étrange, en vérité, qu'après seize mois de campagne, situations comiques et même quelque peu irrévéren-
la formidable armée anglaise, réduite partout à la cieuse.
défensive, soit absolument incapable d'empêcher les Le « Bon Juge se verra puni par où il a péché.
commandos de circuler à 150 milles de Capetown et 11 a retenu impunément sous les verrous un malheu-
de menacer de nouveau le Natal! reux garçon, Lajaunette, dont la seule culpabilité
D'autre part, la mort de la reine Victoria va causer avait consisté à être trouvé porteur de titres faux
une profonde impression dans le Sud de l'Afrique, achetés de bonne foi.
aussi bien dans les rangs des Boers que dans l'armée Celui-ci avec la complicité d'un sien ami, journa-
anglaise. Mais quelle répercussionaura cet événement liste chargé d'une enquête sur la magistrature, a
inattendu sur la suite des opérations? Probablement juré de se venger il le fait cruellement. Et les situa-
aucune. Les choses suivront sans doute leur cours tions comiques succèdent aux situations comiques.
normal. Cependant, quelle belle page se préparerait, Le dénouement,qui rappelle trop le troisième acte
dans l'histoire, le nouveau roi d'Angleterre si, comme du Contrôleu~~ des V'vyons-LÜs, eût gagné à être
don de joyeux avènement, il s'efforçait de mettre fin allégé. Lorsque le rire atteint ce degré d'intensité, il
est bon de ne pas trop appuy er sur la « chanterelle », la guérir, mais qu'elle renaît sous l'empired'une vive
C'est là un moyen facile, qui ne réussit point émotion.
toujours. Ceci explique pourquoi la nouvelle œuvre L'auteur nous offre de plus un cas pathologique
de M. Bisson n'a pas eu tout le succès qu'en somme bien plus extraordinaire encore celui d'un épilep-
elle méritait. La touche est lourde, surtout poui tique qui guérit au moyen d'un remède qui rend son
le Vaudeville. Aussi la troupe de cet excellent théâtre, visage absolumentvert (!) 0 merveille d'une sérothé-
qui renferme cependant de si bons éléments de rapie qui joint à cet avantage celui de rimer avec
gaieté, s'est sentie quelque peu dépaysée. Huguenet philanthropie!1
lui-mème, qui fut si remarquable dans la Robe Rouge, Ces amours d'une aveugle qui recouvre la vue pou-r
n'est pas ce qu'il devrait être ses ahurissements la reperdre ensuite et d'un jeune homme au teint
sont faux il joue sans naturel. Numès, qui lui donne verdâtre n'ont pas suffi à l'auteur; il a corsé son su-
la réplique, a le même défaut. Baron fils, d'ailleurs en jet en gratifiant le jeune homme d'un frère qui lui
réel progrès, semble plus discret dans son jeu. ressemble au point d'amener de perpétuelles confl,1~
Mme Grassot a eu de meilleurs rôles, et même sions, procédé théâtral peut-étre renouvelé des Grecs,
Mlle Thomassin, souvent charmante, exagère pour se mais cas peu fréquent dans la vie ordinaire.
mettre à l'unisson ses gestes et ses attitudes. Parlerai-je de la versification? je n'ose dire de
Ce jugement, qui paraîtra sans doute à quelques-uns la poésie; elle est quelconque et c'est dommage, car
trop sévère, était l'expression exacte du sentiment M. Darmont avait en somme découvert une idée assez
général. Et cependant je dois avouer que le gros originale une jeune fille perdant le bonheur avec
pùblic me donne tort et semble prendre un véritable la vue et le retrouvant avec elle.
plaisir à ce spectacle. Au Théâtre-Antoine, la Petite Paroisse, pièce en cinq
Dans ces conditions, tant mieux pour le Vaude- actes et six tableaux tirée du roman d'Alphonse Dau-
ville det par M. Léon Hennique.
Aux Nouveautés, le Coup de Fouet, la nouvelle La donnée quelque peu banale de la femme adul-
comédie de MM. Maurice Hennequin et Georges tère, qui retourne repentante à son mari, tandis qu.e
Duval, pourrait- s'appeler « le truc de Barisart ». Ce celui-ci hésite à lui pardonner, ne saurait intéresser
Barisart, inventeur d'un nouveau calorifère « avec fu- le spectateur que par l'exécution or ici l'intérêt
mée » a un truc qu'il croitinfailliblepour tromper sa languit malheureusement dans six tableaux assez
femme. Il s'est imaginé un sosie qu'il a nommé Cor- confus. Le défaut principal de cette pièce, qui ne
naillac et qui est Marseillais par-dessus le marché. manque certes pas de qualités, consiste en effet dans
Or ce Cornaillac mène une vie de polichinelle. Bien cette confusion qui lasse le spectateur et l'engourdit
plus, pour convaincre la pauvre femme, Cornaillac de telle sorte qu'il a peine à s'émouvoir dans les mo-
vient chez Barisart même, ou plutôt c'est Barisart ments pathétiques. Tout le monde sait qu'il est diffi-
qui a le toupet de se faire passer pour son sosie dans cile de tirer un drame d'un roman; mais ici l'auteur
sa propre maison. De là naît au milieu de péripéties s'est noyé dans les détails, et la donnée principale
un imbroglio rappelant ceux des plus grands semble peu compréhensible pour ceux qui n'ont pas
succès de ce même théâtre des Nouveautés; qui est lu le livre.
décidément, depuis la direction Micheau, sous une A chaque instant le spectateur, lancé sur une piste,
heureuse étoile. s'arrête dérouté par un brusque revirement dans fac-
Voici une pièce partie, comme Champ~:gnol, l'Hôtel tion.
du .Llbre~Échnnge, ou, plus récemment, la Dame de C'est ainsi qu'après une exposition originale où
chez Maxim, pour une série d'une année au moins nous voyons tout à coup, sans préparation aucune,
de représentations. un fils injurier sa mère, nous sommes transportés au
Dans cette pochade, le coup de fouet n'est qu'un second tableau dans une ville du midi de la France.
accessoire, mais un accessoire qui produit un des Un jeune prince s'y trouve acculé à des embarras
incidents les plus réussis. d'argent tels qu'un de ses créanciers lui saute à la
Au surplus la trame est presque honnête et sort gorge 1 vous croyez peut être que ceci va être la pièce
des polissonneries ordinaires auxquelles nous som- point le prince lâche tout simplement sa maîtresse,
mes, hélas' depuis quelque temps habitués. La troupe une femme mariée qu'il a enlevée quelque temps
entière des Nouveautés donne avec son entrain habi- auparavant. Cette dernière, après une scène touchante
tuel. Germain et Colombey sont impayables avec sa belle-mère venue pour la reprendre, nous
Mlle Burt charmante, Mme Maurel tout à fait réjouis- révèle qu'elle est enceinte. Cette fois nous tenons
sante, et la belle Lender personnifie habilement la le sujet véritable cet enfant d'un autre jeté dans
petite-nièce de Monsieur Scribe, qui « connaît tous le ménage peut-être reconcilié va donner lieu à
les trucs du répertoire ». Une mention spéciale doit d'admirables situations dramatiques. Ce n'est pas
être réservée à Torin absolument original dans la encore cela.
peau d'un commandant de hussards. Torin rappelle A l'acte suivant, l'héroïne a voulu se tuer, mais s'est
ici José Dupuis dans Lili, et c'est tout dire. manqué elle retourne repentante au bercail; quant
La Comédie-Populaire avec Amour a~;euGle a-t-elle à l'enfant, on n'en entendra plus parler.
voulu introduire dans la littérature francaise un nou- Et nous assistons cette fois aux répulsions, aux
veau genre théâtral le mélodrame en vers? révoltes du mari, qui aime toujours sa femme et qui
C'est bien en effet un mélodrame il en a toute la ne peut lui pardonner. La scène est belle et aurait
larmoyante complexité. Et même peu de pièces de ce produit un grand effet si elle eût été moins longue
genre présentent un tel enchevêtrement d'aussi in- et si elle ne s'était point terminée par un hors-
vraisemblables situations. 1 d'œuvre d'une philosophie douteuse, celui d'une
Il y d'abord une jeune aveugle dont la cécité a bonne lâchée par son amant, qui insulte (et dans
ceci de particulier qu'un savant oculiste parvient à quel langage) la noce de son suborneur!
Peut-être pensez-vous que le dénouement est ajournée pour cause de maladie de l'un des inter-
proche. Or le mari a été faire un petit voyage pour prètes.
s'habituer à l'idée de -reprendre sa femme. L'amant La curiosité était vivement excitée; à Rc;nie
connait cette absence il veut en profiter pour re- M. Mascagni conduisait l es lnoltrone, fauteuils d'or-
nouer avec sa maHresse. Celle-ci résiste, et devant chestre, étaient au bureau à 50 francs, six ou sept fois
l'insistance passionnée du jeune homme, le tue de plus que d'habitude, et la spéculation des marchands
deux coups de reuolLer (objet que l'auteur nous a soz- les avaient fait monter encore.
gneusement naoiztré o~s le second acte). Voici qui sent Partout les salles étaient combles et le public des
son romantisme d'une lieue et ne serait pas déplacé plus choisi,
dans antony! Mascagni s'était donné beaucoup de mal, circulant
Le drame pouvait se terminer là, mais il fallait d'une salle à l'autre pour surveiller la répétition.
encore un dernier tableau, où la femme avoue à son Le'lendemain des représentations, les principaux
mari, revenu justement le soir même, le meurtre journaux de l'Italie ont publié des dépèches télégra-
commis par elle; cet aveu décide les époux à se ré- phiques sommaires.
concilier. « Je L'aime! tu m'aimes! » s'écrient-ils en- En général, l'interprétation a été jugée très sufti-
lacés, tandis que dans la coulisse le juge d'instruction sante c'est fort méritoire et peu de pays en Europe
attend celui des deux qu'il empoignera nous igno- pourraient en dire autant pour six troupes éparses
rons lequel. et temporaires.
Cette scène laisse le spectateur sous une impres- Le publie italien s'y connait, en musique; il est
sion pénible rien en somme n'est terminé, et un sévère et ne ménage ni ses applaudissements, ni ses
drame judiciaire pourrait fort bien se greffer sur le critiques; sans égard pour les précédents de l'auteur,
drame passionnel. il juge ce qu'on lui présente et manifeste librement.
Tdle est cette pièce inégale. Elle a été montée par Trois ou quatre rappels n'ont pas ici la signification
Antoine avec un soin exquis. Les décors sont de pu- qu'ils auraient ailleurs; il en faut plus du double
res merveilles, qu'ils représentent soit l'admirable quelquefois pour marquer une approbationunanime.
coucher de soleil et les feux de l'escadre à Monte- Les rappels et les bis dans les six représentations
Carlo, soit un lointain paysage de neige, soit un jar- des STaschere ont été très modérés pour l'Italie.
din ensoleillé. Quelques morceaux ont été bissés à la vérité,
L'interprétation est bonne en général. Je ne parle mais d'autres ont été accueillis par les cris basta,
pas d'Antoine absolument remarqnable dans le rôle d'autres par des zittii (chut) et même par des fischii
de Richard, le mari trompé. M. Grand est délicieux (sifflets).
de jeunesse et d'insouciance, en séducteur hardi et A en juger par les dépêches télégraphiques, l'opi-
présomptueux. J'aime moins le jeu de Mme Suzanne nion s'est manifestée à peu près de la même façon
Maule il eût fallu Mme Brandès, pour cette création au cours de toutes les représentations.
difficile; Mme Henriot et M. Sygnoret sont suffisants. L'espèce de plébiscite limité, imaginé par Mascagni,
Mais le succès de la soirée a été pour deux rôles ne lui a donc pas réussi; on peut le regretter pour. un
épisodiques NI. Bour, domestique cupide, rusé, sou- compositeur d'une si réelle valeur. G.
teneur complaisant, profondément répugnant, et
Mlle Renée Manpin, la femme de chambre lâchée, qui
renouvelle les « imprécations de Camille dans un LES LIVRES
langage imagé, avec une verve et un feu véritable-
ment peu ordinaires.
Mais pourquoi M. Hennique, qui a du talent, a-t-il Les Tronçons du Glaive, par Paul et Yictor
été cherché le plus ennuyeux roman d'Alphonse ii'I_1RGLERITTE lGi6rai~~ie Plon.)
Daudet pour le porter au théâtre, et a-t-il eu la pré- Les frères Margueritte continuent l'histoire, sous.
tention d'en extraire une pièce intéressante, alors forme de roman, de la guerre de 18ÎO, Ils nous don-
que tant de mauvaises pièces sont tirées de bons nent aujourd'hui, avec les Trouçons du glaic~e, la suite
ro mans. QUENTIN-BAUCHART. du Désastre; d'autres volumes mconteront la fin de la
Défense nationale et la Commune. L'ensemble for-
mera bien le récit complet de ce que nos auteurs ap-
LA MUSIQUE pellent Une Époque.
Le glaive a été brisé à Sedan et à Metz. La France
EN ITALIE n'en a plus désormais que des tronçons pour défendre
M. Mascagni, le compositeur de la Cavalleria rzesti- le territoire envahi. Les frères Margueritte nous font
cana dont le succès est toujours très grand en Italie, assister aux efforts magnifiques, mais sans lendemain,
vient de faire une intéressante expérience. de l'armée improvisée de la Loire; aux sorties héroï-
Voulant mettre le public en garde contre la cri- ques, mais mal dirigées, mal conçues, mal préparées
tique de musique et le laisser seul juge, il a donné de Paris assiégé à l'entreprise malheureuse de l'ar-
son nouvel opéra le lVfaschere, le même soir, le mée de l'Est, grqssie des bandes indisciplinées de
17janvier, dans six théàtres différents Garibaldiens, d'une espèce de Cour des miracles de
A Rome, à Costa~mi; francs-tireurs étrangers. Ils nous montrent Paris dans
A Milan, à la Scrcla; ses illusions, ses colères, saluant la chute de l'Empire
A Turin, au Regio; mais doutant bientôt du jeune gouvernement; ils sui-
A Genève, à Carle Felice; vent Gambetta à Tours et à Bordeaux.
A Venise, à la Fenice; Pour nous mener ainsi sur tous les champs de ba-
A Vérone, au Dramatico. taille, de Coulmiers à Bapaume, et de Champigny à
La représentation à San Carlo à Naples a été Villersexel, et sur le vaste théâtre de la résistance
nationale à Paris, à Tours, à Bordeaux; partout enfin l'état d'Arizona. Ce savant, homme sérieux, parait-il,
où l'on se bat et où l'on organise la levée en masse, avisait, par dépêche le professeur Pickering, de l'Uni-
Paul et Victor Margueritte ont eu recours à une fic- versité d'Harvard, qu'il avait observé un jet de
tion qui ne les a pas trahis. C'est la vie pendant la lumière venant de la fameuse planète, et que le phé-
guerre d'une nombreusefamille de bons Français, de nomène avait duré 70 minutes.
robustes et vaillants Tourangeaux qui brusquemetit Aussitôt M. Pickering communiqua cette nouvelle
séparés et jetés aux quatre coins du pays font, tous et à toute l'Europe.
chacun, bravement leur devoir. Les Réal, les Poncet, Vous savez quelle émotion s'empara de tous les
les de Nairve, les Du Breuil sont représentés ti l'ar- Terriens. Sonbez donc! Les habitants de Mars,- car
mée de la Loire, à l'armée du Nord, à Paris, dans depuis longtemps, on était sdr qu'ils existaient
l'Est, dans le gouvernement errant. Soldats, officiers, voulant communiqueravec les habitants de la Terre,
mobiles, marin, médecin, ingénieur, ils ont accouru et, pour cela, employant une sorte de télégraphie
au premier appel. sans fils, par signaux lumineux. C'était du dernier
Il se dégage de la lecture des Trooçons du glaive, fin de siècle, la chose, en effet, se passa en dé-
écrit avec le plus pur et le plus clairvoyant amour de cembre 1900.
la patrie, une impression de monotonie triste, cou- Chacun voulut, naturellement, arriver à connaltre
pée de sursauts de rage. Tant d'élans arrètés, tant de le sens de ces signaux de Mars.
forces brisées! Partout et toujours la retraite, la dé- Étaient-ce des signaux de détresse'? Était-ce.
au
faite. L'impéritie de presque tous les généraux, leur
manque de foi éclate à chaque page; pas d'idée, pas
contraire, une aimable invitation au voyage? Il
absolument trouver le sens de la phrase martienne.
fallait
d'esprit de suite, rien que du courage, de la bravoure, Le problème était plus que palpitant. Des person-
des sacrifices personnels et inutiles. 1 nages, universellement réputés pour leur science et
La leçon qu'on peut tirer de ce beau livre c'est Mal- leur austérité, s'attelèrent à sa solution. Ils se disaient
heur aux faibles! Malheur à ceux qui se laissent af- sans doute que, la planète Mars étant plus vieille que
faiblir par les divisions, les soupçons, le manque de la Terre, il était logique que ses habitants fussent
confiance. Si nous comprenons cette leçon, sommes- beaucoup plus avancés que nous et disposassent de
nous capables de la suivre? moyens scientifiques et industriels dont nous n'avons
En Rouergue, par Edmond RAILH.\C. même pas idée.
Le nouveau recueil de vers, En Rouergue, que Et des discussions interminables se rouvrirent
~I. Edmond Railhac vient de publier chez Dragon, à bientôt, sur l'existence de l'habitant de Mars, sur la
Aix en Provence, est inspiré par l'amour du pays gémination des canaux de Mars, etc. Et nous som-
natal, le culte de la famille et la religion du souvenir. mes, enfin, arrivés à une certitude c'est que nous
Ce sont des chants intimes, émus, où l'auteur fait n'étions pas capables de savoir si les signaux lumi-
revivre en vers colorés, souples quand le sujet s'y neux observés par M. Douglass qui ne sont pas,
prète, âpres lorsqu'il le faut, la rude et fertile terre d'ailleurs les premiers dont on nous ait parlé
du Rouergue, où il dit le bonheur calme, simple et étaient ou non un appel à la Terre.
fort de la vie rustique. Aussi, en dépit de notre soif d'inconnu, et bien que
Comme Francois Fabié, M. Edmond Railhac adore nous commencions à nous trouver à l'étroit sur notre
le pays des Ruthènes, et il faut remercier de tels misérable amas de boue, avons-nous renoncé mo-
poètes qui nous apportent dans leurs ceuvres le mentanément, nous public, à communiquer avec ces
souffle pur, le parfum vivitiant des plaines et des Martiens dont on dit, d'ailleurs, le plus grand bien.
bois où ils ont grandi. Beaucoup de savants ont, eux aussi, abandonné la
recherche de ce mystère, et l'un d'eux, que je con-
Aguinaldo et les Philippines. par Henri TUROT sultais là-dessus, il y a quelques jours, le distingué
(Li6rairie Léopold Cenf). sous-directeur de l'Observatoire de Paris, m'a dit
C'est une figure étrange et vigoureuse que celle de « Si nous ne devons pas mettre en doute la véracité
l'insurgé Aguinaldo que nous présente M. Henri Turot, de notre confrère, l'astronome de Lowell, si nous <le
dans un ouvrage préfacé par M. Jean Jaurès. M. Henri devons pas nier l'existence du phénomène qu'il nous
Turot, au cours d'un voyage en Extrème-Orient, a a signalé, l'apparition d'une tralnée de lumière sur
poussé jusqu'auxPhilippines.C'est assez dire qu'il a un point géographique de Mars bien connu, nous ne
étudié et connaît les événements etles hommesdont il devons pas non plus grossir l'événement, dénaturer les
parle. On voit se dérouler dans ces pages les épisodes faits, et nous livrer aux caprices de nos imaginations.
les plus dramatiques de cette insurrection dont l'Amé- ,( Nous ne sommes, certes, pas en mesure d'affir-
rique n'a pu encore avoir raison.'Je signalerai notam- mer que le jet de lumière en question soit un signal
mentla vie et la mort de Hizal. JOSEPH GALTIER. à la Terre.
c( Personne
'~9 à mon avis, du moins ne peut
rien dire à ce sujet, ct la seule explication raisonna-
VARIÉTÉS ble que nous puissions donner, jusqu'à nouvel ordre,
est que la chose. est inexplicable. »
-LES SIGNAUX DE LA PLANÈTE `` MARS 1 Voici qui est bien parlé.
Mais vous verrez que les prétendus savants qui
Les astronomes qui ont toujours eu, si j'ose persistent à deviner le langage des Martiens ne s'ar-
ainsi dire, le record de l'information à sensation, rêteront pas qu'ils n'aient trouvé le sens de la com-
nous annonçaient ces jours-ci que nous serions munication lumineuse et qu'ils ne nous en aient
il la veille de communiquer avec la planète 3tars. donné la traduction dans les journaux.
La nouvelle a été donnée à t'univers par M. Dou- Pour ce jour-là, attendons-nous à quelque surprise.
glass, astronome de l'Observatoire de Lowell, dans Paur. DARZAC.
1~ECETTES ET CO]SISEIItS NETTOYAGE DES BROSSES
Voici une recommandation utile à renouveler les
brosses, quelles qu'elles soient, peuvent durer le don si
(:FÉ L'EAU DISTILLÉE l'on prend soin de les poser sur le poil au lieu les
LE
mettre sur le dos. La poussière et les autres impuretés y
Le Journal des bnasseu~·s prétend.qu'en faisant du café pénètrent un peu moins. L'humiditérendant les crins plus
avec de l'eau distillée, on est agréablement surpris de la mous, il est à recommander de ne laver les brosses à
différence entre les résultats que donne l'eau distillée com- l'eau et au savon que le moins possible. On peut les net-
parativement à l'eau ordinaire. Il y a là, une certaine ana- toyer souvent avec du son' bien sec. Pour les nettoyages
logie avec la fabrication de la bière. Le café, ainsi obtenu, -à l'eau, il ne faut se servir que d'eau froide et mettre à
Pour trionaplaér des digeslions di fficiles, prenez quelques Solution du problème paru dans le n° du 15 janvier 1901.
gouttes d'alcool de menthe de Ricqlés dans un verre Le nombre de ses œufs moins un donne exactement un
d'eau sucrée. D'une saveur exquise, le Ricqlès stimule multiple de 2, .de 3, de 4, de 5 ét de 6.
l'estomac, dissipe.la migraine et rafraîchit la bouche. Or le'plus petit commun multiple.de ces nombre est 60.
Hors co~acours, ~nenabre du Jury. Paris 1900. Le nombre des œufs moins un est donc 6(': ou un multiple
de 60, c'est-à-dire. 120, 180. etc.
Elle a donc 61 œufs ou 121 ou '181, etc., et comme elle
POlR ASSOUPLIR LE CUIR n'en a pas 8 douzaines ou 96, elle n'en a que.61.
Voici un procédé très simple pour assouplir le cuir des Ont résolu le problème.
chaussures et le maintenir toujours mou, tout en empê-
M111. Meunier, à Paris; l'abbé Letendre, à Rouen;
chant les gerçures et les fendillements c'est de les enduire
fortement avec dù pétrole.. F. Simon, à Vendeuvre-sur-Barse (Aube) Bartaumieux,
Par cette opération répétée, les chaussures deviennent à Paris; J. de Lacharrière, à Paris Louis Lescaze, à Sures-
nes; l~im° Pillivuyt, à Foëcy (Cher); Mil. Thérèse Le Brun,
souples comme des gants. (Meurthe-et-Moselle);
à Paris; MM. A. Blaise, à Badonviller
Louis Bonnet, à Beaune Fraîche, à. Paris; de la .Mahérie,
au ;château de la Ferrière (Orne) MI', Reine Eve, à Ver-
sailles M-- de Coninck, à Paris; MM. Georges Ruffier, à
Bruxelles. Victor Crouan, à Quimper; Destabeau, àParis;
Moreau de Lizoreux, à Quimper;' Lepoivre; à Vannes; Kemme-
L. Cl1ermiset-Houzé,à Malines (Belgique); Léon de
ter, à Gand (Belgique); G. Nadaud; à Bruxellès;.Jarrin, à
Chambéry; Société des Commerçants de Lugano (Suisse);
MNI. Jean van Vyve, à Anvers (Belgique); Georges Pillon
Bébé défend sa Phosphatine Falières. fils, à Paris; A. Estival, à Paris; A: de Frontin, à Lapa-
rade (Lot-et-Gar~nne); E. Desguin, à Anv ers Maximilien
Vallois, à Paris; Etnile Feydier, élève au collège de Mon-
télimar; M" Dupouy, à Bordeaux; Mil.. Jeanne Moniot, à
COTOX D~INS LES OREILLES Paris Julia Barillier, à Genè ve MM. Laurent Fouquet, à
Est-il à conseiller.de mettre un tampon de coton dans Paris; Ernest Berthe, à Jonchery-sur-Vesle; Vermeulen,
les oreilles Il est des personnes qui pour le moindre re- à Malines; He.nri Goffinet, à Bruxelles; Robert Allenet, Mol-
à
froidissement se plaignent de douleurs ou de maux de Angoulême; Ch. de Behault, à Gand (Belgique); G.
lié, à Toulouse Pierre Daurel, à Bordeaux; Andreae Fritz, à
dents. Elles s'imaginent qu'en se mettant dans les .oreilles >
un tampon d'ouate imbibée d'esprit de vin ou d'eau de Genève Darvogne, àdeParis H. D. à Amiens Comte
Cologne cela calmera la douleur. Le tube auditif est irrité E, de Pinto, château Maisonbois (Belgique) Langlade,
VI Jules Cordonnier, à Ypre:> (Belgique);
par cès liquidés excitants et débilité par la présencelapro- à la Rochelle;
longée du coton. Les petites glandes qui servent, à sé- MM. Albert BouissoD" Marseille; Loilis CI1'atelin, à Lyon;
crétion du cerumen se ralentissent dans leur activité. Ill Mil. Pitois, à Fontainebleau; M. H. Eichens, à Saint-Ger-
n'est donc d'aucune utilité d'introduire du coton dans les main-en-Laye, Mil.l'École L. Stamm, à Schlestadt (Alsace) les
oreilles, et des maux d'oreilles assez sérieux peuventt élèves-maîtres de normale de Bourges; M. Georges
n'avoir pas d'autre cause. -Lutz, à Stéa'sbourg.
PROBLÈME
.!k Une montre marquant midi, les deux aiguilles se trou-
POUR GUÉRIR LES MAUX DE DENIS
vent l'une sur l'autre à quelle heure arrivera la première
demi-verre rencontre des aiguilles ?
Le remède est très simple verser dans un
d'eau de 12 à 15 gouttes d'Eau de Suea (fil jaune),.dé- x
layer le mélange obtenu, et au moyen d'une brosse douce, Ceux de nos abonnés'qui auront trouvécinq fois de
s'en frotter les gencives et les dents. La rage de dents laa suite, et nous auront envoyé avant le 10 ou le 25 de
plus violente est immédiatement calmée. L'Eau de Sz~ez. chaque mois, la solution RAISONNÉE exacte des problè-
combinée d'après les découvertes de Pasteur, détruit 1<c auront droit ci notre Prime un Appareil photo-
microbe de la carie et donne aux dents une blancheur
r mes
éclatante. graphique.
CONSTANTINOPLE
LA RUE
L'image qu'on se fait à l'avance de Constanti- le temps de s'y reconnaître; on marche d'éton-
nople est tellement inexacte, tellement insuffi- nement en étonnement. C'est une confusion de
sante, qu'on reçoit d'abord en arrivant une im- couleurs, de bruits, d'odeurs un grouillement
pression ou plutôt un coup qui vous étourdit. polychrome dans des rues étroites et boueuses
A peine sorti de l&gare, en plein Stamboul, vous où domine la note rouge des fez pas de trot-
être pris et assailli par des sensations vives et toirs des boutiques sans devantures s'ouvrent à
variées qui ne vous permettent pas de fixer votre même la chaussée. La foule .lie presse, se bous-
attention. On est saisi, comme roulé, sans avoir cule pour donner passage aux voitures qui avan-
cent difficilement elle s'écarte devant les porte- sens subissent un assaut incessant, on est forte-
faix, les fcanzals, qui pliés en deux, grâce à ment secoué, au propre et au figuré le mieux
une espèce de tremplin fixé sur les reins et qui est de s'abandonner à ses impressions passive-
prolonge « l'esplanade du dos portent des far- ment. Quand au sortir de Stamboul on débouche
deaux aussi lourds qu'encombrants. A de rares sur le Grand Pont, qui le relie à Galata et à Péra,
exceptions près, tous les êtres qu'on rencontre l'horizoti qui s'éclaire et recule soudain nous offre
sont loqueteux, misérables c'est de la saleté en une vue magnifique et lumineuse qui, jamais
mouvement, « la chienlit » de la crasse. Les l'expression vulgaire n'eût autant de vérité;
chiens, les fameux chiens, qui ressemblent à dés nous rince l'œil. Devant nous les blancheurs de
loups et dont quelques-uns, rongés de maladies Galata où se profile sa haute. tour; à droite les
invraisemblables, ont la peau pelée et rose de rives verdoyantes de là côte d'Asie nous dédom-
petits cochons de lait, dorment dans les creux magent des rues tortueuses et étroites. Mais
larges et prélonds qui avantagent les rues de hélas 1 sitôt le pont traversé, parmi une trépida-
Constanti- t'ioà de ~ieil-
no p le de le. ferrail1~,
montagnes sur les plan-
russesenré- chesdÜ-
duction. On jointes, iné-
est cahoté gales; rape-
autant qu'é- tassées,
tonné. Entre le Pont à
Européens J eanot!
entre com- Galata ne
pagnons de nous pré-
voyage,-on sente ni ave-
se regarde nues, ni
en souriant boulèvaros.
avec une ex- Les rues
pression qui sont plus
signifie Clai- esca-rpées
s
rement pour gagner'
« Non C'est là-haut Péra
impayable. et ses hô-
En voilà un tels. Dee
pays. Le gràndes çà~
voilà bien Un attelage de buffles. ges vitrées
l'Orient! » moniéessu-r
Au détour d'une rue, le long d'un mur bas qui roues, séparées en deux compartiments l'un pour
entoure une mosquée apparait tout à coup une les femmes turques, l'autre pour to,ull'emonde,
rangée de cireurs assis derrière des boîtes de et traînées par de maigres haridelles, remp\is~
cuivre clair, où les têtes larges et rondes des sent le: rôle. de tramways. 'Ces tramways>sont
clous brillants forment des dessins variés de précédés de sonneurs de corne qùi courent à la
style oriental. C'est un joli tableau de genre. tête des chevaux pour faire se ranger les 'piétons.
Voici maintenantun lourd attelage de buffles, àla On ne voit pas cela partout. Péra enfin Óùles
peau tendue d'un noir luisant, huileux sous un maisons sont plus belles, plus à l'européenne,
joug surmonté d'un triangle de bois d'oùpendent garde ses rues turques; aussi lorsqu'on est ins-
des clochettes et des verroteriesbleues, tr~inant à tallé dans sa chambre d'hôtel et qu'on essaye de
pas lents un grossier chariot chargé de meubles dégager, et de traduire son sentiment sur ce pre-
sordides. Sur ces visions de kaléidoscope plane mier et rapide contact, éprouve-t-on une double
un indescriptible brouhaha coupé des cris guttu- désillusion. Il était vraisemblable qu'il ne man-
raux des vendeurs de fruits, de poissons, de lé- quait pas à Constantinople de quartiers dignes
gumes, d'appels, de sons de flûtes, de sifflets de nos grandesvilles, avec les perfectionnements
lointains des vapeurs qui entrent dans la Corne modernes. Tout bien pesé, il serait dommage
d'Or; il y flotte une odeur indéfinissable où se qu'il en fût ainsi. Nous avons assez en Europe de
marient désagréablement les effluves des pastè- capitales américaines, neuves, sans caractère.
ques, des melons, du mastic, le parfum de la D'autre part on prévoyait certes les surprises de
cannelle', du benjoin, l'arome du café, les relents la couleur locale, mais sur ce po~t notre imagi-
de graillon, de cuir, de fromage pourri. Je me nation est en défaut. Nous .I}.e"ioupçonnions pas
demande comment Veuillot, qui a écrit les Par- Constantinople si vivant; si animé, si sale. Il entre
fums de Rorne et les Odeurs de Paris, aurait qua- une pointe de répugnance dans notre impression.
lifié les émanations de Constantinople. Tous les Edmond About, qui avait été émerveillé par le
panorama de Constantinople vu de la mer et ne tarde pas à se familiariser et à faire agréable
avait goûté beaucoup moins la ville elle-même, connaissance avec Constantinople.
écrivait que « le voyageur assez heureux ou assez Ces rues, que nous avons parcourues dans le
courageux pour s'en tenir à la première impres- désordre 'et la hâte de l'arrivée, il vaut la peine
sion, s'extasier franchement un quart d'heure, qu'on y revienne enflÙnant, maître désormais
et retourner chez lui sans demander son reste, ne de son attention. Celles de Stamboul, la ville
ferait pas un mauvais calcul. » Jugement som- turque par excellence, sônt les plus caracté-
maire Représailles excessives! La vérité, c'est ristiques et les plus curieuses. Aux environs de
que les premières répugnances surmontées, on la Val~dé .Djam.i, la mosquée voisine du Grand-
Pont, se trouve une place, un marché en plein fumante laisse voir des grappes de mais doré.
vent, 011 l'on rencontre une foule bariolée de Puis ça et là des tas d'aubergines, de tomates,
types d'Orient Kurdes à la peau hâlée, à la figure de courges, des pyramides vernies de pastèques,
osseuse Albanais aux pantalons bouffants sot~- dont quelques-unes, coupées par le milieu,
tachés, aux traits fins; musulmans ayant été à montrent leur ronde section rose, d'un rose trans-
la Mecque et portant le turban vert derviches parent et granulé de sorbet, piqué de pépins
coiffés d'un bonnet de feutre beige en forme de noirs, ou bien encore des plateaux chargés
pôt à fleur; Tcherkesses au bonnet d'astrakan. d'une pàte blanche, crème de farine de riz à l'es-
011 vend là des étoffes grossières etvoyantes, des sence de rose, le malebi, cosmétique sucré et
ustensiles de ménage, des légumes. Sous des écœ~rant, fort recherché. C'est une symphonie
p1atanes et des sycomores s'ouvre une allée bor- de violet, de rouge, de vert, de blanc que vous
dée de cafés, devant lesquels sont de modestes trouvez partout dans les rues de Constantinople,
chaises de paille, et quelquefois, sur un vieux toujours accompagné d'une odeur frappante de
canapé éclopé, des Turcs fument paisiblement friture. Chemin faisant, vous voyez dans leurs
leur narghilé ou égrènent leur inséparable cha- échoppes des tourneurs sur bois, assis sur le
pelet en buvant leur purée de café. Tout le monde sol, qui se servent de leur pied pour tenir le
est dehors. Il y a dans cette vie au milieu de la ciseau, pendant que la main met en mouve-
rue un air de familiarité, de calme, d'insouciance ment la roue du tour; des tailleurs, des sa-
qui frappe le moins observateur. On y sent la vetiers, des « pileurs » de café qui, armés d'un
joie animale d'un repos vide de soucis, d'idées. cylindre d'acier brillant, pulvérisent dans un pro-
Ces êtres se livrent tout entiers à leur instinct de fond mortier des grains de café. Ces échoppes
paresse et de sociabilité. Non loin des cafés, des sont formées d'une pièce carrée qui s'ouvre sur
boutiques de barbier, le barbier est ici arra- la rue, toute grande; à peine quelques vitrines
cheur de dents, nous arrêtent au passage. horizontales, point de devantures, ou si vous
Dans l'une d'elles, où sont accrochés, en guise aimez mieux, la boutique n'ei'jtqu'une devanture
de réclame, de longs colliers de molaires res- profonde.
pectables, un client est en train de se faire raser, Les rues de Constantinople gardent la physio-
assis sur un banc de bois posé le long du mur. nomie qu'elles avaient dans les siècles passés.
Debout devant lui, un pied à terre et l'autre sur L'Orient n'a pas bougé. Telles elles nous appa-
le banc, le barbier tient, appuyée et renversée raissent aujourd'hui, telles elles étaient du temps
sur sa cuisse, la tête de 'notre homme qu'il cale des Croisés. Ces ruelles sombres et étroites sont
ainsi solidement pour le raser de près, de si du reste communes aux pays méridionaux. Elles
près que nous ignorons, en pays chrétien, ce répondent aux exigences du climat; elles s'ex-
point de perfection. Au coin de la ruelle un jeune pliquent par le besoin de se mettre à l'ombre.
gars, en bras de chemise, coiffé de fez, mène A Naples, par exemple, les larges voies récem-
par la bride un cheval tout sellé. C'est un loueur ment ouvertes sont inhabitables dès le mois
de chevaux ou plutôt de cheval. Il n'en coûte d'avril, et le vrai Napolitain préfèrera toujours.à
qu'un franc par h eure environ pour avoir à soi ces Corso la fraîcheur des Chia~ja.
la bête et même l'homme, qui vous suit en cou- La nuit venue, Stamboultombe dans le silence
rant. Ce mode de locomotion est commode dans mais à Galata et à Péra, jusqu'à une heure très
une ville où l'on ne peut guère circule en car- avancée, on ontend les cris de vendeurs, munis
rosse. Place maintenant à ce solide gaillard qui, de falots, qui circulent lentement ou font halte
la tête recouverte d'une calotte de cuir, porte aux carrefours. C'est encore là une note napoli-
sur son dos un quartier de bœuf sanglant ou un taine. Ce qui est proprement du pays, c'est le va-
mouton dépouillé. Le mouton est ici un animal carme dont vous régalent les chiens qui ont dormi
sacré ce n'est point qu'on n'ose y toucher. Au tout leur soûl pendant le jour. Ils vous tiennent
contraire, il est de toutes les fêtes, on le mange réveillés et vous permettent ainsi de faire con-
à toutes les sauces. Particularité visible, il pos- naissance avec quelques autres spécialités de
sède à la naissance de la queue une excrois- Constantinople la nuit. D'heure en heure, ou
sance énorme de graisse blanche dont le Turc est plutôt à des intervalles assez rapprochés, retentit
très friand. Voyez-vous cette rôtisserie où s'ali- le bruit sourd de coups répétés sur le pavé. Ce
g~ent sur un vaste gril ces brochettes bicolores, bruit est étrange; il n'a pas la sonorité pleine
rouge et blanc alternés, et qui en grésillant sur la d'un coup de bâton, il est à la fois sec et étouffé,
braise exhalent un fumet engageant de chair ce qui faisait dire à un artiste de mes voisins que
grillée et de thym. On y prépare le kébab, mets ce devait être un vieux et solide fémur déterré
national, composé précisément de cette graiss dans les environs. L'invisible et énigmatique
et de viande de mouton. Vis-à-vis, devant une instrument est manié par le veilleur de nuit qui
autre boutique flotte dans le saindoux liquide et vous avertit que vous pouvez dormir tranquille,
brûlant d'une large bassine des morceaux, coupés qu'il est là Il n'est pas rarénon plus d'être tiré
en carrés, de foie de veau aux reflets jaunâtres, de son premier sommeil par un tapage infernal
tanrlis qu'une marmite d'eau encore tiède et une voix lente scande une mélopée courte à plu-
sieurs reprises; bientôt cette mélopée se réper- Stamboul, qui semblent n'en faire qu'une et où
cute, se multiplie comme le chant des coqs à se détachent sur les safrans, les ors, les amarantes,
l'aube; les chiens aboient avec frénésie et se ré- les roses du couchant les blancheurs des mina-.
pondent de quartier en quartier. Une rumeur rets sveltes et des coupoles arrondies lorsqueles
confuse, roulante, s'élève, grossit, s'étend sur rives de la côte d'Asie s'estompent des ombres
toute la ville ainsi qu'une vague sonore, des mystérieuses du crépuscule et que le croissant
fenêtres s'ouvrent; des éclats de voix, des bruits d'argent de la lune luit doucement sur Scutari'
de pas mon- dans un cie
tent de la d'u'n b 1 e u
En ptfésenee du sorÂS-1warin
Le cuirassé est là croisant au large dans la couvert, au sein de ténèbres complètes, le cui-
nuit sombre. rllssé est parvenu en vue du littoral.
Mission lui a été donnée de bombarder ce Orgueilleux de sa force, de l'invulnérabilité de
port de l'ennemi dont les feux scintillent à l'ho- ses cuirassements, de la puissance de ses ma-
rizon. chines, de la formidable efficacité destructive
En le chargeant de cette démonstration, l'ami- de son artillerie, le gigantesque vaisseau ne
ral a dit à son commandant croirait pas faire oeuvre téméraire en acceptant
« Le port que vous allez attaquer est une au besoin le combat, seul contre toute une divi-
des richésses de l'ennemi, vous ruinerez ses sion navale. Et cependant, dès l'apparition de la
docks, ses chantiers de construction une demi- côte, son commandant l'a fait stopper. Toutes
journée de bombardement vous suffira pour y! lumières éteintes, il est inactif au large, dissi-
parvenir. Allez, avec vos cuirasses formidables mnlé dans les ténèbres.
vous n'avez rien à craindre de ses médiocres' Qu'attend-ellepour agir, l'invulnérable batterie
batteries: cependant, veillez, car un torpilleur. flottante? Le port ennemi est là bien visible
sous-marin a été signalé croisant le long de cette grâce à ses lumières. La mer est calme, sans une
côte. » ride. La côte est dépourvue de récifs, les fonds y
A la nuit close, une nuit sans lune, par ciel sont partout plus que suffisants.
Le commandant, un vieux loup de mer, pru- Vous avez raison.
dent certes mais sans exagération, observe son Et il donne l'ordre de fuir la vue de cette côte,
équipage, et le sourcil froncé, il tortille d'un de s'éloigner de ce port qu'il doit attaquer et
geste impatient l'extrémité de son long favori devant lequel il bat en retraite, lui tout-puissant,
droit. sans avoir même essayé de combattre.
Malgré l'heure tardive, tout l'équipage est là, « C'est honteux murmure-t-il, l'ordre une
sur le pont, et chaque matelot, les officiers fois donné.
même, scrutent les flots. Une commune anxiété Non, commandant. ce n'est pas honteux, c'est
se devine dans les coeurs. Des propos s'échan- sage. Pour ménager votre équipage, pour l'avoir
gent à voix basse. calme et reposé demain à l'heure du combat, il
Je te dis que j'ai vu là-bas une sorte de vous faut lui assurer le repos cette nuit. Et ce
sillage il court sur nous. repos il ne pourra le goûter que quand il se sen-
Et moi j'ai aperçu un point noir, par là, tira bien effectivement, par la vue du large tout
c'est sa tourelle. autour de lui, hors de l'atteinte de l'ennemi
Tu sais bien qu'on ne le voit jamais, invisible à la merci duquel, par cette nuit noire,
même en plein jour; ainsi par cette nuit! il se trouverait désarmé si par malheur sa pré-
Nous saurons qu'il est là en nous sentant sauter, sence venait à être signalée. Oui, vous avez rai-
pas avant. son, commandant, de vous éloigner de cette côte
Le commandant hausse les épaules et appelle qui recèle, agrandi par l'épouvante des ténèbres,
son second. ce cauchemar de vos hommes l'invisible tor-
Monsieur, lui dit-il, vous allez faire for- pilleur sous-marin.
mer le cercle et vous expliquerez à ces imbé- Le lendemain, le soleil se lève dans un ciel ra-
ciles que nous nous trouvons trop loin pour qu'il dieux. Tout, les ensembles, les moindres détails,
puisse nous atteindre. Puis personne ne se sont perceptibles nettement sous les rayons de
doute de notre arrivée et nous sommes totale- l'astre du jour se jouant dans une atmosphère
ment invisibles. Ces explications données, que absolument pure, parfaitement calme.
tout le monde rentre, hors la bordée de quart A bord du cuirassé, on se livre à un branle-bas
bien entendu, et qu'on dorme jusqu'au jour. Il inaccoutumé et, tandis que lentement le pais-
sommeille à l'ancre quelque part, faisons comme sant vaisseau se rapproche de la côte encore
lui, que diable 1 noyée sous l'horizon, un globe de soie s'arrondit
Qui ? il à son arrière.
Le second a compris, sans qu'on lui ait nom- A ce globe de soie gonflé de gaz léger une fra-
mé cet « il » mystérieux, car il répond que l'ordre gile nacelle est attachée; un officier s'y installe,
reçu va être exécuté. et l'aérostat monte dans l'espace retenu captif
Une heure après, l'officier revient; le cuirassé par un câble long de quinze cents pieds.
est toujours immobile, à la même place. Un immense soupir de soulagement est venu
Commandant, dit le second, je viens de aux lèvres de l'équipage, la côte peut apparaître
faire faire des rondes dans l'entrepont. Personne maintenant; si l'ennemi insaisissable approche,
ne dort. il sera signalé, car de là-haut le regard de l'aéro-
Leur avez-vous expliqué que nous som- naute pénètre sous les flots à grande distance.
mes hors de portée, invisibles? On ne sera plus torpillé sans pouvoir en être
Je le leur ai dit, et néanmoins. D'ailleurs, averti; on ne sera plus torpillé du tout, car, l'en-
voyez vous-même. nemi signalé, on le fuira, faute dé pouvoir l'at-
Le second désigne la bordée de quart. Les ma- teindre à coups de canon sous sa cuirasse d'eau.
telots paraissent inquiets. Leur vigilance n'a pas Dans sa nacelle, l'officier est attentif; de sa
besoin d'être éveillée. Tous, l'oreille tendue, le vigilance dépend le salut de tout l'équipage. Il a
regard cherchant à percer' les ténèbres, redou emporté avec lui un document précieux, une
blent de soin dans leur surveillance. planche représentant tous les sous-marins en
Plus rageusement que jamais le commandant service ou en construction le Gymnote, le Lb'ad-
tord l'extrémité de son favori droit. dington, le Rolland, les.6~oubel, le Gustave Zédé,
Ce sont donc tous des pleutres, ces mate- le Morse, le Narval, le ,Fr. ançais et tant d'autres,
lots ? dit-il. y compris la dernière,création française, ce-sous-
Non, comandant, répond le second, ce marin du mécanicienVéronqui, fin janvier 901,
sentiment est plus fort qu'eux. Se dire que d'un fit à Marseille ces premiers essais si concluants,
moment à l'autre on peut sauter, torpillé par un égalant au moins ceux, cependant si remar-
ennemi invisible, énerve les plus braves; chasse quables, que ses devanciers venaient. de faire,
tout sommeil. Je vous avoue que moi-même je un mois. auparavant, en ptésenéê des minis-
ne ressens guère l'envie de dormir. tres de la Guerre et de la.Marine.
Ni moi non plus, parbleu, s'exclame le Cependant,du haut de son observatoire aérien,
commandant. l'officier aéronaute a aperçu dans ,le lointain une
Puis sur un ton plus doux, il ajoute sorte de remous à la surface calme .de l'Océan,
et bientôt, à travers la transparence des eaux, lui personnel atteint de l'affolante idée fixe d'un
apparaît un long cigare immergé que surmonte, danger invisible et, hélas trop certain. Puis est-il
semblable à une minuscule cheminée, le poste vraiment. raisonnable de compromettre, pour
de son pilote, bientôt disparu lui-même sous les quelques coups de canon lancés à l'ennemi, la
ondes. vie d'un millier de matelots, une merveille de la
Vite il téléphone, et le cuirassé prend chasse flotte valant des millions.
devant le sous-marin signalé. A nouveau le commandant ordonne de tourner
Adieu pour le moment l'espoir de bombarder le cap vers la haute mer; il attendra pour rem.
la côte, on en est encore trop loin et l'insaisis- plir sa mission un moment plus propice.
sable torpilleur barre la route. Plusieurs fois les nuits succèdent aux jours,
Le puissant vaisseau force de vitesse; telle est forçant à se tenir au loin d'un ennemi dont les
la seule tactique dont il dispose: lasser son adver- ténèbres se font complices. Durant les jours, la
saire. Puis le sous-marin ne saurait tenir la mer brume, le vent, le trouble des flots rendent inef-
indéfiniment, il lui faudra rentrer au port pour ficace ou d'utilisation impossiblel'acuité de vision
recharger les accumulateurs d'électricité qui de l'aérostat avertisseur.
donnent la vie à sa machine, alors le cuirassé Et les nuits, les jours se passent sans que le
pourra se rapprocher et, toute son artillerie gron- cuirassé puisse s'attaquer à ce port sans défense
dant à la fois, à bonne portée, il accomplira en ce autre qu'un bateau myrmidon,plus puissant à lui
court instant de répit la mission dont il est chargé seul qu'un géant des mers parce que, à-sa volonté,
réduire en cendres les richesses de l'ennemi. il peut se rendre invisible et invulnérable.
La vigie aérienne annonce que le sous-marin LÉo DEX.
a disparu dans l'éloignement, mais elle fait part
en même temps d'une mauvaise nouvelle la mer
moutonne, l'observation de ses eaux profondes
devient difficile. NEIGE ET SANG
Le commandant du cuirassé hésite, il tord à
l'arracher son long favori. D'une part son minus- A travers la neigeuse immensité des plaines
cule mais terrible adversaire est peut-être rentré; Le vieil ours blanc s'enfuit, mortellement blessé;
Son sang coule à,ruisseaux; chancelant, harassé,
encecas, le moment serait propice pour entamer Il s'arrête, pleurant des larmes presque humaines.
ce bombardement tant différé déjà. D'autre part, A peine il lève encor ses prunelles hautaines,
le vent se lève, d'instant en instant plus violent, Il tressaille, bat l'air, et bientôt, terrassé,
et bientôt l'aérostat trop secoué ne pourra plus 11 expire éperdu sur son linceul glacé,
Jetant un cri de mort vers les grèves lointaines.
remplir sa mission de vigilance.
Le ballon ramené sur le pont, de quelles ter- Or, l'espérance, dans les plaines de mon coeur,
Est comme un champ de neige éclatant de blancheur;
reurs ne va pas à nouveau être assailli l'équipage. Mais quelquefois devant ma paupière hagarde
L'exemple affreux d'un navire son voisin sau- Un de ces spectres noirs qui font fuir le sommeil
tant sous ses eux peu auparavant, torpillé par Vient égorger mon rêve, et, sombre, je regarde
un sous-marin, l'a jeté dans une disposition d'es- La neige s'empourprer d'un flot de sang vermeil.
prit impossible à combattre. Que faire avec un HENRI ALLORGE
cipalement, en les empêchant de s'emballer, car l'œillère, il adapte une sorte de petit volet de
ce sont surtout les « emportements » de Pégase, cuir très souple, pouvant se mouvoir en char-
qu'il soit pur-sang ou haridelle de fiacre, qui nière autour d'une tige latérale. Un ressort tient
occasionnent le plus grand nombre d'accidents. ouvert le volet en question (A sur la figure).
On a essayé déjà, sans le moindre succès, du A la partie antérieure de l'œillère-frein, on a
reste, différents systèmes de mors, de freins ou disposé un déclic métallique à deux branches,
d'entraves, destinés à arrêter quelques-uns commandé par la cordelette B. Celle-ci est, à son
même automatiquement ces emballages fu- autre extrémité, entre les mains du cocher ou
nestes. Les uns avaient l'inconvénient de ne pas de la personne qui se trouve dans la voiture.
agir assez vite, les autres, celui de blesser le L'animal vient-il à prendre le mors aux dents,
cheval ou encore de l'exposer à des chutes aussi manifeste-t-il seulement, par ses mouvements
dangereusespour l'ani- désordonnés, une vive
mal que pour les per- frayeur, propice aux
sonnes qui se-trouvent emballements?
dans la voiture. Le moindre coup de
Un hasard singulier, doigt sur là ficelle fait
comme cela se produit déclancher le ressort:
souvent, devait donner brusquementlesvolets
la solution du pro- tutélaires s'abaissent,
blèm'e. etl'animal, plongé tout
Il y a quelques an- à coup dans les ténè-
nées, éclatait un grand bres, s'arrête aussitôt,
incendie dans les écu- sans qu'il soit même
ries du service du ca- besoin d'user des rênes
mionnage, près de la pourle maîtriser. Bien
gare de Paris Lyon. plus, malgré le fouet,
Affolés, dans le désor- il est impossible de
dre et la confusion du faire avancer un cheval
sinistre, les 70 chevaux L'œillère-frein. ainsi'aveuglé, tant que
s'enfuirent au galop, l'œillère-frein n'a pas
serriant partout la panique, renversant les enfants été replacée dans sa position primitive, c'est-à-
et causant mille degâts sur la voie publique, ba- dire ouverte.
layée par cet escadron de bêtes terrorisées. Ceci a été surabondamment prouvé par les
C'est alors qu'un passant, M. Alfred Ranglaret, expériences officielles 'instituées, il n'y a pas
pris d'une idée très ingénieuse, essaya de maî- longtemps, par la Préfecture de police. Elles ont
triser le premier cheval qui se présenta à sa eu lieu au Marché aux chevaux du boulevard de
portée, en lui jetant brusquement sa jaquette l'Hôpital, en présence de M. Marchal, délégué
sur les yeux. AussitÔt calmée par cette obscu- par M. Lépine, de M. Ballière, conseiller muni-
rité subite, la bête s'était laissé faire, et lé sau- cipal, et d'un grand nombre de spécialistes et de
veteur, répétant son manège, put ainsi arrêter techniciens. Notre confrère Emile Gautier a pu
plus de vingt chevaux en moins de cinq minutes. lui-même apprécier naguère, à Longchamp, l'ef-
D'autres témoins de cette scène employèrent, ficacité du nouvel appareil (qui, soit dit en pas-
à l'exemple de M. Ranglaret, le même ingénieux sant, ne pèse que 100 grammes) sur une jument
moyen et avec le même succès. L'expérience non moins fringante qu'ombrageuse.
fortuite démontrait donc qu'il suffit, pour se ren- Espérons, dans l'intérêt de la sécurité publique
dre maître d'un- cheval emporté, de l'aveugler comme dans celui des chevaux, que l'œillère,
momentanément, la cause déterminante de l'em- frein sera rendue obligatoire. Il en est fortement
ballement étant, neuf fois sur dix, une impres- question d'ailleurs, nous assure-t-on, en haut
sion visuelle. lieu.
Fort de cette découverte, le sauveteur impro- EDOUARD BONNAFFÉ.
visé se mit à combiner un appareil qui pût rem-
placer, d'une façon pratique, et à la volonté du $$$$$$$$~$$-$~$$$$$$$$$*$$$$A$$$**$~$**
cocher, le « truc dont il s'était servi si heu- Je n'ai jamais senti le besoin de me taire quand j'ai ad-
reusement. miré. Quoi de plus doux que l'admiration? C'est de
l'amour dans le ciél, de la tendresse élevée jusqu'au culte.
Ce n'était pas chose aisée de trouver un sys- CHATEAUBRFAND.
tème simple, léger, d'action Sû.re et rapide, et
La santé est le plus grand des biens; la beauté est au
facile à manoeuvrer du siège en toute circon- second rang; la richesse au troisième. PLATON.
LA REINE VICTORIA
La reine Victoria, qui a régné soixante-trois ans et le prince de Galles, aujourd'hui roi d'Angleterre, mais
a laissé l'Angleterre trois fois plus riche et plus puis- elle eut plus d'un démêlé avec lui, sans pouvoir jamais
sante qu'elle n~ l'avait trouvée à son avènement, mé- le dominer entièrement. Le prince la respectait et
rite qu'on trace d'elle un portrait véridique, sans flat- l'aimait, mais il n'en faisait qu'à sa tête, et la reine
terie, ni dénigrement, et dépourvu des banalités du était partagée à son égard, entre sa volonté très domi-
premier moment, tel enfin que l'histoirel'enregistrera, natrice et une sorte de respect qu'elle avait pour
selon toute vraisemblance, car il ne faut jamais ré- l'héritier du trône. Un trait le fera voir.
pondre de ce que dira l'histoire, cette vieille coquette Elle ne pouvait pas supporter l'odeur du tabac;
qui a coutume de se teindre et de se farder au goût c'était chez elle une horreur invincible, et elle le flai-
du jour. rait de loin. Personne autour d'elle ne fumait, si ce
La reine Victoria que nous n'avons connue que n'est très loin et presque en cachette. Seul, le prince
vieille, dans ses villégiatures du midi de la France, de Galles se permettait de fumer à Windsor
et plus petite encore que dans sa jeunesse, parce que et la reine en était très incommodée. Ses repré-
plus forte et toute repliée sur elle-même, a été une sentations furent douces mais inutiles. Alors, un
fort jolie personne. Les traits étaient réguliers, et les jour, elle fit faire une mosaïque sur le pas des
yeux à fleur de tête indiquaient, en même temps portes des appartements de Windsor, avec cette in-
qu'une grande mémoire, c'est, paraît-il, un signe scription.: ~Vo smoking here. « On ne fume pas ici ».
certain, une droiture et une loyauté qui frappaient Quand la cour, au retour d'Osborne, vit ces inscrip-
dès le premier abord. tions, ce' fut une stupéfaction générale, et la reine
Elle n'avait pas, à vrai dire, cette grâce féminine souriait, très satisfaite de sa plaisanterie. Le prince
et un peu féline qui attire et captive. Elle n'était ni de Galles arriva, vit les inscriptions, sourit à son
enjouée, ni coquette; elle avait même peu de goût tour, et se mit à admirer le plafond. Ce fut tout;
pour sa toilette, et à partir de son veuvage, elle n'a mais à partir de ce moment, il s'abstint de fumer
plus porté qu'un deuil sévère avec ces petits bonnets devant sa mère.
blancs sous le chapeau, qui ont fini par être à la Mais ce qu'on n'a pas assez fait ressortir dans tout
mode en France. Ce fut la princesse de Galles qui fut ce qu'on a écrit sur la reine, c'est ce fait que sa fierté
reine de la mode, même chez nous depuis trente ans, disparaissait entièrement devant les humbles. Élevée
mais en se faisant habiller à Paris. chrétiennement par une mère très pieuse, elle avait
La reine avait même horreur du changement dans une foi ardente dont ses souvenirs, publiés il y a une
les modes, à tel point qu'elle ne voulut jamais ad- vingtaine d'années, témoignent à chaque page; elle
mettre, à ses levers età ses cirawning-room, les petits croyait à ses devoirs envers les humbles, et elle les
frisons que les femmes ont porté si longtemps sur le remplissait au delà de ce qu'on pouvait attendre, et
front. Elle n'admettait que les bandeaux ou les che- toujours avec une délicatesse exquise.
veux relevés. Il n'y avait d'exception que pour la Ne pouvant pas secourir tous les pauvres du
princesse de Galles, à qui la reine ne pouvait imposer Royaume-Uni, elle s'attachait ~t faire le bien autour
ses volontés à ce sujet. d'elle, à Windsor, à Osborne, à Balmoral, et elle était
Mais si elle n'inspirait pas la sympathie, la reine adorée dans toutes ces résidences. On ne pourrait pas
inspirait du moins le respect et l'admiration, le res- dire qu'elle fut très généreuse, car sur sa liste civile,
pect pour ses vertus et son attitude, l'admirationpour de 10 millions et plus, elle a fait beaucoup d'éco-
son intelligence, sabonté, sa fermeté et la façon dont nomies, et elle laisse une fortune très considérable,
elle incarnait en elle toute la politique, toutes les am- qui n'ira pas tout entière au nouveau roi, tant s'en
bitions de l'Angleterre. faut, mais elle savait donner. Dans les premières an-
C'était une très grande reine. nées de son mariage, la gouvernante de ses enfants
Son attitude était toujours pleine de majesté. Elle vint un jour lui offrir sa démission parce qu'elle
voulait être reine, et tenait à racheter sa petite taille devait s'absenter pour aller soigner sa mère mou-
par la dignité de son inaintien. Peut-être eût-elle eu rante « Allez vite, lui dit la reine, c'est moi et le
plus de laisser-aller, plus de grâce féminine avec une prince qui vous remplacerons pendant votre absence
plus grande taille. Il n'en faut pas plus, on le sait, et vous garderons votre place. » La gouvernante
pour qu'une femme modifie son extérieur. Dans l'in- revint après la mort de sa mère, et un an plus tard,
tflnité seulement, et dans l'intimité de sa famille, son la reine se souvenant de cet anniversaire, vint voir la
expression devenait plus tendre et plus gaie, mais gouvernante dans sa chambre, lui donna congé pour
elle savait en imposer à tous, le cas échéant. la journée, et lui remit un bracelet de deuil.
Ses filles préférées ont été, tour à tour, l'alnée Une autre fois, on vit la reine se rendant à Balmo-
devenue l'impératrice Frédéric., puis la princesse ral, s'arrêter dans un petit village et aller prier sur
Alice, devenue la grande-duchesse de Hesse et morte la tombe d'une de ses femmes de chambre morte
en 1878, et enfin la princesse Béatrice qui a épousé le l'année précédente.
prince de Battenberg, qui est devenue veuve il y a On sait aussi: que dans le parc de Windsor elle a
cinq ans, et n'a jamais abandonné sa mère jusqu'à élevé un mOl).ument à John Brown, son fidèle, servi-
son dernier souffle. Son fils préféré était évidemment teur..
Onciterait cinquante traits de ce genre,.et l'on n'y sor, avec des inscriptions funéraires de sa main. La
verrait peut-être que cet esprit polilique mit un peu ,dernière bête qu'elle aima fut le petit âne qui traînait
de politique dans le bien qu'elle faisait, mais un pro- son fauteuil roulant et qui voyageait avec elle.
verbe dit aver raison qu'à cheval donné il ne faut pas Pour toutes les choses de son intérieur, elle avait
regarder la bride, ce qui revient à dire qu'il ne faut des manies, et même dans le train qui l'emmenait à
marchander ni sa gratitude ni son admiration pour Nice ou à Florence, il lui fallait ses photograghies de
le bien. famille, des fleurs, des objets dont elle avait l'habi-
Une servante de la reine a dit d'elle ce mot char- tude, et elle ne voulait point d'autre police en France
mant, qu'elle était une femme si accomplie, qu'elle que celle de l'excellent M. Paoli qui fut le seul Fran-
saurait être femme de pauvre aussi bien que reine çais invité par elle à son jubilé.
Ce fut avec des larmes dans les yeux qu'elle signa Mais si de ce caractère résultait sa fonction de
la grâce du premier condamné à mort après son avè- représentante et de conservatrice de la tradition dans
nement. C'est Wellington lui-même'qui insistait pour ses États, elle n'en était pas moins libérale, et il
l'exécution, car il s'agissait d'un soldat, mais la reine fallut toute l'influence de son mari pour lui faire
insista tellement pour trouver une excuse au cou- accepter un ministère tory avec Sir Robert Peel,
pable que Wellington finit par la trouver, et la reine après lord Melbourne qui avait fait son éducation
signa aussitôt la grâce, en disant « Merci. » politique. Depuis lors, elle s'abstint de manifester ses
Ce furent ses débuts comme reine, et personne préférences, d'autant plus que son antipathie pour
n'ignore qu'elle a cruellement souffert, sur la fin de Peel et pour Disraëli se changea plus tard en véritable
sa vie, de la guerre faite au Transvaal, des pertes amitié, et que lord Palmerston, qui était libéral, fut
douloureuses qu'elle a causées à tant de familles an- pour elle le ministre le plus odie~x.
glaises et à elle-même, car elle y a perdu un de ses Elle avait le sentiment des droits de la couronne,
-,petits-fils, le prince Christian de Slewig-Holstein, et et lord Palmerston la traitait en petite fille et en
aussi des duretés de l'armée anglaise à l'égard des quantité négligeable, ne la tenant au courant de rien
Boers, peut-être même de la diminution qui en est dans les- affaires du gouvernement, et ne lui deman-
résulté pour le prestige de l'Angleterre. dant que de signer. Elle se fâcha, mit en demeure le
Elle ne voulait pas de cette guerre; elle ne voulait premier ministre de démissionner ou de changer d'àl-
aucune guerre avant sa mort. Elle voulait mourir lure, et le premier répondit. qu'il préférait rester. A
dans le prestige de la paix et de la grandeur de l'An- cette impertinence, elle répondit par un acte d'auto-
gleterre. Tout lui avait réussi jusque-là, dans sa rité royale elle renvoya le ministère, et le pays lui
famille et dans sa politique. Peu de femmes ont été donna raison.
plus heureuses en tont un mari qui lui avait donné Elle n'eut pas grande sympathie non plus pour
vingt ans de bonheur, des enfants beaux et intelli- M. Gladstone,et lorsque Gordon fut abandonné par le
gents, un de ses fils devenu duc régnant de Saxe-Co- gouvernement anglais qui l'avait envoyé à Khartoum
bourg, une de-ses filles impératrice d'Allemagne pen- en lui promettant du secours, et qu'il fut tué par les
dant quelques jours, et dans sa descendance de partisans du Mahdi, la reine écrivit à la sœur de-
31 petits-enfants et 33 arrière-petits-enfants, une Gordon, et fit publier sa lettre, blâmant ouvertement
impératrice de Russie, un grand-duc de Hesse, une le ministère, et parlant de la tache que laisserait sur
future reine de Rounianie, une future reine de Grèce, l'Angleterre l'abandon de cet homme héroïque,
toutes les guerres heureuses sous son règne, l'Angle- Toute l'Angleterre lui donna encore raison.
terre à l'apogée de sa puissance, elle-même impéra- Enfin la politique impérialiste, qui n'est à lamode
trice des Tndes avec 388 millions de sujets et le plus en Angleterre que depuis quelques années, fut de
vaste empire du monde, tout cela pour aboutir à cette tout temps son programme et son œuvre. Elle voulait
misérable campagne du Sud-Afrique qui montrait le l'expansion coloniale et elle y a trop bien réussi pour
colosse aux pieds d'argile N'y avait-il pas de quoi la tranquillilé de ses derniers jours.
assombrir le déclin d'une si belle vie, et faut-il La politique extérieure fut également dirigée par
s'étonner des pleurs qu'elle a versés dans ses derniers elle. Elle n'avait pas le droit de gouverner, mais elle
jours. avait de l'influence sur les ministres par sa qualité de
Elle avait aimé les poupées dans son enfance; elle femme et de femme supérieure, et elle savait con-
en avait avec les costumes les plus divers, et elles les vaincre.
avait conservées jusque dans sa vieillesse. Cet esprit Ce qu'on a appelé l'égoïsme de l'Angleterre était
de conservation, elle l'a apporté en toutes choses. bien -sa politique; parce qu'elle trouvait inutile pour
Aidée de son extraordinaire mémoire et des notes la grandeur de l'Angleterre de secourir les faibles.1
qu'elle prenait sur toutes les affaires publiqUéS, elle c'est iinsi qu'elle abandonna son oncle, le roi de
rappelait parfois à ses ministres qu'on avait fait telle Hanovre, chassé de son royaume p1r la Prussé, en
chose à telle époque; et .qu'on ne pouvait guère agir 1866, et aussi les duchés arrachés au Danemark, et la
différemment. Elle aimait aussi à garder les mêmes Pologne que l'Anoleteure voulait soutenir contre la
figures autour d'elle et ne voulait pas qu'on lui im- Russie, et nous en 1870, IIOUS, ses alliés de Crimée.
posât de changer ses dames d'honneur avec un minis- Elle était l'Angleterre vivante; elle avait tout son
tère nouveau,comme c'est la coutume en Angleterre caractère, toutes ses ambitions, toute sa prudence,
car l'esprit défiant de la Chambre- des Comm'unes tous ses calculs.
veut que l'entonrage du souverain soit de l'opinion Connaître l'une, c'est connaître l'autre.
de la majorité. Elle s'était attachée aussi aux bêtes Elle a déjà une statue aux Indés combien ne lui
elle adorait l'équitation et, à 60 ans, elle montait en élèvera-t-on pas en Angleterre?
encore à Balmoral son poney favori. Elle -avait des JcaN VILLEMER.
chiens préférés; die étai désolée de leur mort et elle
leur fit faire un joli cime.tière dans le parc de NV-ind-'
A fl11iA VEli$ DE ~SUn-O~~N~~IS~
Des « pierres écrites » Qui n'en a jamais trouvé sonnel de calligraphes et d'artistes qni recouvre
sur son chemin? Qui ne connaît les deux coeurs la pierre, le bois ou la peau d'inscriptions trop
classiques, tout embrasés, que relie un large trait souvent violatrices des règles de la syntaxe et de
d'union et qué souligne une légende composée l'orthographe, de dessins très indépendants de la
généralement de deux simples prénoms accolés, ligne et de la perspective, se recrute surtout
oeuvre d'amoureux désirant affirmer de façon parmi les âmes primitives ou naïves, ou parmi
durable leur flamme ainsi symbolisée ? le rebut de la société. On ne voit pas bien en
Pour nombreux et variés qu'ils puissent.être, effet un éminent membre de l'Institut, occupé à
les emblèmes d'amour ne comprennent cepen- cette sorte de gravure L'académicien de nos
dant pas la totalité des jours, etmême unefoule
inscriptions, de cette de gens comme vous
sorte, que l'on puisse et moi qui ne seront
rencontrer. Chacun de jamais académiciens,
nous certainement fini- préféreront touj ours
rait, en rassemblanl ses ,eux pierres, aux arbres,
souvenirs, par retrouver à la peau, le vulgaire
dans sa mémoire un papier.
certain nombre d'autres En était-il de même
images également gra- autrefois, lorsque ni
vées sur des « pierres l'art de l'écriture, ni ce-
écrites ». lui du dessin ne se
Et quand je dis « pier- trouvaientàla portée de
res écrites », je ne pré- tous, et que parchemins
tends pas avancer que ou papyrus, ces prédé-.
les pierres seules aient cesseurs du papier, res-
la spécialité de servir taient relativement ra-
ainsi de pages d'écriture res ? Je laisse à d'autres
ou de dessin. Plus en- le soin de décider s'il y
core que les pierres, les avait des « pierres à
arbres tentent des artis- Une des pierres de El Hadj Mimoun offertes par M. Cambon écrire » dans les jardins
tes inconnus. Préféren- au Musée du Louvre. d'Académus.
ce due sans doute à ce Au point de vue du
que l'écorce des _1_- arbres
-1 est plus tendre que la temps, uniquement, rien n'empécherait qu'il y
surface des pierres. en eut, la manie des « pierres écrites ne datant
Et la peau, donc, la peau des vivants, ne s'u- pas précisément de notre époque elle a tou-
tilise-t-ellepoint très souvent dans le même but? jours et partout existé.
« Hommes écrits », à coup sùr, tous ces tatoués Prenons pour exemple les Romains qui la con-
qui portent, gravés en .bleu ou en noir, sur le naissaient bien, témoin le méchant proverbe
dos, sur la poitrine, sur les bras, des cœurs en- lVonaina stultoruna omnibus parietibus k~rent, que
flammés et des devises tendres, des paroles hai- nous avons traduit par le distique si souvent
neuses et des serments de vengeance, des des- répété aux écoliers « Les noms des sots se
sins d'animaux ou des images de personnages trouvent partout. » Les lazzaroni de l'antique
humains! « Homme écrit », le soldat légendaire Pompéi ne se faisaient pas faute de couvrir d'in-
des bataillons d'Afrique, dont le front révélait scriptions les murs des monuments; on les y a
à tout ,venant le surnom de « Pas de chance » relevées par centaines. Mais bien avant eux, aux
que ses nombreux malheurs lui avaient fait temps les plus reculés, des bergers en avaient
adopter. « Homme écrit » encore, le déclassé des gravées sur les rochers des Lacs des Merveilles,
boulevards extérieurs qui s'incruste au-dessous au Val.d'Enfer du col de Tende. Enfin, plus près
de la saignée un mot haineux. de nous, la Rome papale n'avait rien à envier à
Constatons en passant qu'aujourd'hui le per- la Rome antique, puisqu'elle possédait ses « sta-
tues écrites ». Car comment qualifier autrement
(1) Pierre écrife, traduction littérale des mots arabes ~üarforio et Pasquin, dont les placards, bouffons
hadjera mektouba qui servent à désigner des pierres
anciennes sur lesquelles sont gravées des inscriptions ou ou satiriques, renouvelés chaque matin, faisaie.nt
des dessins. la joie quotidienne du populaire?
J'ai cité les Romains j'aurais pu citer tel autre On conserve plusieurs pierres préhistoriques
peuple que l'on voudrait. Et, chacun d'eux, sans en Oranie dans les oasis de Tiout et de Moghar,
aucun doute, utilisait pour ses « pierres écrites » près d'AÏn-Sefra; dans les rochers. de Ksar el
d'autres matériaux que la pierre. Mais les indi- Ahmar, non loin de Géryville; encore dans le
vidus meurent; les arbres disparaissent; seule Djebel-Amour. Mais les plus intéressantes res-
la pierre reste. Et voilà pourquoi l'Antiquité ne tent celles de Tiout, la photographieci-dessousen
nous a légué que des « pierres écrites ». reproduit un fragment important, malheureuse-
Aucune contrée n'en semble plus riche que ment défiguré par les barreaux d'une grille pro-
l'Afl'ique, dans sa partie septentrionale. Cela se tectrice. Elles se dressent au-dessus des jardins
conçoit les habitants n'en ont pas encore, ainsi de palmiers, contre ûn amas de blocs de grès.
que les peuples civilisés, utilisé toutes les Les dessins, gravés sur la table verticale du roc,
pierres, écrites ou non, pour constl'uire des mai- représentent des personnages assez nombreux,
sons. On les y retrouve en très grand nombre et écrit le très distingué M. Flamand, des
provenant d'époques très difI'érentes. Chacune scènes de chasse. Les hommes, la tète parée de
plumes, ceints d'é-
eliarpes, sont ar-
més de flèches
et d'arcs. Là un
homme tient une
hache emmanchée,
dont la silhouette
dessinée rappelle
certaines armes de
peuplades encore
sauvages.
« Les représenta-
tions des animaux
y pullulent; de
nombreuses races,
aujourd'hui étein-
tes ou disparues de
ces régions y sont
rerrésentées. Ce
sont des éléphants,
des hippopotames,
des rhinocéros, des
buffles à grandes
cornes, animaux
Pierres écrites de Tiout dont la plupart se
retrouvent en des
des races qui l'ont conquise ou dominée laissè- espèces :sans doute voisines sous les climats chauds
rent de leur passage de ces empreintes qui per- et humides de l'Afrique équatoriale. Mais ce sont
mettent quelquefois même d'en suivre le déve- des espècesvivant sous des climats biendifférents
loppement à travers les âges, surtout si, comme de celui de l'Algérie, c'est la faune des rives des
il arr ive, on découvre à proximité quelques autres grands lacs et des grands fleuves équatoriaux.
vestiges de même origine. A ces dessins d'animaux d'espèces disparues
Les plus anciennes de ces pierres proviennent se joignent des séries de gravures représentant
des temps préhistoriques. Souvent, dans leur des types vivant encore dans ces parages, anti-
voisinage, des fouilles profondes ont permis de lopes nombreuses, félins, quelques rares singes,
mettre il jour des armes en silex, des instru- et plusieurs oiseaux l'autruche, remarquable-
ments et des outils tout à fait grossiers. Tandis ment saisie, et une sorte d'ibis (1). »
qu'à la surface du sol, pour ainsi dire, on recueil- Beaucoup plus rapprochées de nous que ces
lait des silex moins primitivement façonnés, un monuments préhistoriques, les pierres de la pé-
outillage moins rudimentaire, produit d'une race riode libyco-berbère, « vieilles seulement de
contemporaine des pierres, pense-t-on. Déjà quelques siècles, appartiennent à l'histoire (2) ».
donc, chez ces êtr es, plus affinés que ceux qui
avaient fabriqué les objets plus profondément nI.(1) Le grca~a~l Atlas or~auais et les ue~ions Zinaitrophes.
àL la Faculté des Sciences d'Alger,
enfouis, se précisait l'esprit d'obsérvation qui est Flamand,préparateur
ce chef de mission qni, chargé en 1899, d'études miné-
les poussait à reproduire ce qu'ils voyaient au- ralogiques dans levoisinage d'lnsalah, fut attaqué par des
tour d'eux, tout premier embryon de l'instinct indigènes, ce qui amena la. prise de possession, par la
France, des oasis sahariennes.
ar tistique. (2) FLA~!AND, (Gicl.
Beaucoup plus nombreuses aussi, elles se re- la seule où on le reconnaisse, permet d'affirmer
trouvent, depuis la Méditerranée jusqu'au centre que le dromadaire existait antérieurement en
africain. A cela rien de surprenant, lorsqu'on Algérie, et qu'il y fut seulement réintroduit au
songe que les Berbères occupent, encore main- siècle.
III"
tenant, les montagnes de l'Atlas, où on les nomme Et cette opinion, émise par M. Flamand (i), se
Kabyles; les villages du Sud-Algérien où ils sont trouve confirmée par ce fait positif que le dro-
devenus des Ksouriens; ceux du Maroc et des madaire existe à l'état fossile dans certains dépôts
oasis sahariennes où ils s'appellent Beraber; en- quaternaires algériens.
fin qu'ils sillonnent les solitudes du grand Sahara, Ainsi une pierre gravée peut aider à rectifier
de la Tripolitaine au lac Tchad, sous la dénomi- une erreur de l'histoire.
nation de Touareg. Renégat du christianisme, le Berbère, devenu
Des explorateurs ont signalé l'existence de musulman, aussi mauvaismusulman que mau-
pierres libyco-berbères dans les régions les plus vais catholique, à ce qu'on assure, n'en aban-
diverses Barth, au Fezzan; Ampère, en Nubie; donne pas pour cela sa manie d'écrire sur ce qu'il
Niebuhr en Arabie. Et, ces derniers temps, le trouve à sa portée. Mais le tifinagh devint de l'écri-
lieutenant de vaisseau Hourst constatait combien ture arabe et la pierre ne porta plus guère que
l'habitude de graver marbres et pierres restait des passages du Koran elle perdit alors tout son
vivace chez les Touareg « Un peu partout, écrit- intérêt.
il, gravées au couteau sur les troncs d'arbres, Du moins les pierres des époques préhistorique
entaillées dans le roc, on rencontre des inscrip- et libyco-berbère ont-elles leur utilité. On peut
tions en caractères particuliers le tifinar (1), et regretter seulement de n'en pas trouver plus,
actuellement encore tout Touareg qui attend, dans le vrai désert saharien, par exemple, dont
s'ennuie, ne sait que faire, qUe ce soit sur les les transformations à travers les âges nous res-
rives du Niger aussi bien que sur les plateaux de tent bien m"ystérieuses. Hélas! le sable y règne
l'Aïr, ou sur les cimes volcaniques de l'Atakor sans conteste, et, pas plus que ce qui se bâtit, ce
n'Ahaggar, écrit encore, suivant sa science, son qui s'écrit sur le sable n'a de durée.
nom, celui de sa belle, des phrases, quelquefois MICHEL ANTAR.
des poésies entières, sur le roc ou dans le tronc
des arbres (2). »
Deuxpierres de la période libyco-berbère, trou-
vées dans le Sud Oranais, à EI Had j Mimoun,ont été
Lft GRftND'TANTE
offertes, en 1896, au musée duLouvre par M. Cam-
bon, alors gouverneur général de l'Algérie. Dans le calme logis qu'habite la grand'tante,
L'une d'elles est une pierre à inscriptions. Tout rappelle les jours défunts de l'ancien temps.:
La cour au puits sonore et la vieille servante,
Parmi plusieurs tifinagh, se détachent des croix Et les miroirs ternis qui datent de cent ans.
de forme variée. Le cas n'est pas rare. M Fla- Le salon a gardé ses tentures de Flandre,
mand a trouvé jusqu'à onze formes de croix. Or Où nymphes et bergers dansent au fond des bois
Aux heures du soleil couchant, on croit surprendre
on sait que les Berbères, avant d'embrasser Dans leurs yeux un éclair de l'amour d'autrefois.
l'Islamisme, furent chrétiens de fort mauvais
Du coin sombre où sommeille une antique épinette,
chrétiens, à ce que l'on assure. Et malgré le Parfois un long soupir monte et fuit au hasard,
superficiel de leur catholicisme, ils en ont subi Comme un écho des jours où, pimpante et jeunette,
cependant l'empreinte la croix si souvent repré- La grand'tante y jouait Rameau, Gluck ou Mozart.
sentée le démontre. La pierre, ici, confirme donc Un meuble en bois de rose est au fond de la chambre;
Ses tiroirs odorants cachent plus d'un trésor
l'histoire. Bonbonnières, flacons, sachets d'iris et d'ambre,
La seconde pierre, gravée celle-ci, repré sente D'où le souffle d'un siècle éteint s'étale encor.
des personnages et des Un livre est seul parmi ces reliques fanées,
animaux, toutes images Et sous le papier mince et noirci d'un feuillet,
Une fleur sèche y dort depuis soixante années
grossièrement dessi- Le livre, c'est Zaire, et la fleur, un oeillet.
nées, parmi lesquelles L'été, près de la vitre, avec le vieux volume,
figure un dromadaire. La grand'tante se fait rouler dans son fauteuil.
Or on admettait com- Est-ce le clair soleil ou l'air chaud qui rallume
Le dromadaire, d'après une La couleur de sa joue et l'éclat de son oeil ?
pierre de El Hadj Mi- munément que le dro- Elle penche son front jauni comme un ivoire
moun. madaire, appelé impro- Vers l'œillet, qu'elle a peur de briser dans ses doigts
prement- chameau, fut Un souvenir d'amour chante dans sa mémoire,
introduit en Afrique, venant de l'Arabie, à la fin Tandis que les pinsons gazouillent sous les toits.
du me ou au commencement du me siècle. Le Elle songe au matin où la fleur fut posée
Dans le vieux livre noir par la main d'un ami,
fait d'en trouver le schéma sur cette pierre, bi en Et ses pleurs vont mouiller, ainsi qu'uRe rosée,
antérieure au me siècle, et qui d'ailleurs n'est pas La page où soixante ans l'œillet rouge a dormi.
ANDRÉ THEÚRIET.
(f) Tifenar ou üfenagh, réunion de sons, dans une écri-
ture phonétique. (1) FLAMAND, Notes sur deux pie~·res écrites, lue à l'Aca-
(2) HOURST, Sun le Niger et au pays des Touareg. démie des Sciences. Voir l'Anthropologie de 1897
UI1 Nouvel ~uton)obj1e de Guerre
Les différents états-majors ont déjà tiré parti Le format de ces voitures est aussi réduit que
dés ressources' que pouvait offrir la bicyclette en ~pôssible, et l'on a eu soin de donner au moteur
temps de campagne. toute la solidité désirable. Cette nouvelle machine
,Il a déjà été question de faire servir l'automo- de guerre peut monter les fortes pentes, suivre
bile au même les routes en
usage, des tenta- mauvais état, elle
tives: ont même peut varier sa
étéfaites dans ce vitesse, et four-
sens. Ilestniênie nir un parcours
curieux, qu'on ait de 150 à 200 mil-
attêndu si tard les anglais sans
pour appliquer qu'il soit néces-
aux' engins de saire de rechar-
destruction les ger ou de remplir
derniers, perfec- les réservoirs,
tionnenients réa- que le moteur
lisés 'dans' less soit à vapeur ou
môÿéns de 'loco- à gazoline.
nÍotion. La force est or-
fic
'Lé Scienti dinairenie.nt de
Arn-ériccin si- 36 à 40 chevaux
gnale" et nous et la vitesse' ob-
rep'roduisons, tenue peut depas-
d'après ce confrè- ser 1368 verges
re, un automo- à 'la minuté. On
bile. propôsé pour' l'emploi, dans.-les armées. peut aussi blinder cet automobile et le munir
Cet automobile de guerre peut évoluer partout d'un abri à l'épreuve de la balle. Huit soldats
où vont les mitrailleuses. Maxim et Colts, en peuvent y prendre place.
pleine terre; en rase campagne aussi bien que sur .s~s~~s~x~s~~s.~ss~s~ss~x
les routes. Le salut de tous dépend du dévouement de chacun.
que, d'après la dernière loi sur la matière, les pereurs romains de la même époque, tous les
galeries fidéi-comcnissaires de Rome peuvent autres. ouvrages sont antiques.
ëtre aliénées, mais seulement au profit de l'Etat, Comme.dans toutes les anciennes galeries ro-
des provinces (départements), communes et maines, il y a là des pièces de valeur inégale, de
autres entités morales laïques. celles qu'en Italie on nomme doz--iiiale (de qua-
La galerie Ludovisi est exclusivementcomposée lité ordinaire); mais il en est de tout premier
ordre; elles ont fait très justement la réputation celle-ci étant plus opaque. Mais le grand incon-
de la galerie et valent haut la main la somme de vénient de la te~ra~era est qu'elle ne résiste pas à
1300 000 francs que -le 'gouvernementa affectée l'action de l'eau, alors que le buon. fresco peut
à l'achat, ce dont il faut grandement le féliciter. impunément subir les lavages à l'eau et les
Parmi les œuvres marquantes, il y
Gaulois tuant sa femme.
a infiltrations de la pluie.
Lorsqu'on est en présence d'une fresque et
Ce groupe, l'un des plus beaux antiques de qu'on constate en quelques points des décolo-
Rome, a été longtemps pris pour Arria et Poetus; rations qui rompent l'harmonie générale, on peut
on le croit du me siècle avant notre ère. être assuré que la peinture a été reprise a tern-
O~~este reconnu par sa sceur Electore. ~era.
Très belle pièce signée Ménélas; ce sculpteur Conclusion la meilleure fresque est celle qui
est fils et élève d'Etienne, élève de Praxitèle. a été faite entièrement à buon fresco.
C'est Winkelmann qui a spécifié le groupe (Florence.) GERSPACH.
d'autres archéologues y voyaient Phèdre et Hyp-
polite.
Junon dite Junon Ludovisi. On estime que c'est
la plus belle figure de Junon qui subsiste; les LE TRAIN DE MAISON
savants l'attribuent à Alcamène, élève de Phidias.
llTars au repos. D'UN MILLIARDAIRE AMÉRICAIN
La statue a été restaurée par Bernin, elle est
dans la manière de Lysippe.
D'autres ouv rages encore seraient dignes d'être Depuis que l'argent gagne de jour en jour plus
notés. de terrain et d'influence dans l'ancien comme
Il y a lieu de faire remarquer que parmi les dans le nouveau monde, le public s'occupe avec
les œuvres d'art appartenant à un particulier autant de curiosité des faits et gestes des rois de
dont la galerie est fidéi-commissaire, il en est la finance que des vrais souverains. Nous con-
qui ne sont pas soumises à cette servitude. naissons leurs revenus, leurs goûts, leurs dé-
Ainsi la galerieBarberini est fidéi-commissaire, penses, leurs folies comme leurs vertus nous
mais la remarquable collection de tapisseries ne savons le chiffre de leurs dots comme le prix des
l'était pas et le prince, sans violer la loi, a pu la cadeaux qu'ils se donnent. Mais un côté bien in-
céder; pour l'exporter il a suffi à l'acquéreur téressant et moins connu de la vie d'un milliar-
américain d'en obtenir l'autorisation et de payer daire américain est la machinerie intérieure de
les droits de sortie. sa brillante existence, c'est-à-dire la façon dont
La villa Ludovisi possède des fresques qui ne sa maison est tenue.
sont pas fidéi-commissaires, j'ignore quelle sera La première condition d'un palais qui se res-
leur sort paysages par le Dominiquin et Guer- pecte est de donner l'impression d'une organisa-
chin, figures, plafonds, et surtout la célèbre tion invisible le travail considérable etmultiple
Aurore par Barbieri, dit le Guerchin (1591-1666). effectué par un régiment de domestiques a l'air,
Cette peinture est à mon sens très surfaite, à force de discipline et d'ordre, de n'être qu'un
elle est lourde et médiocrement composée; sa détail. A neuf heures du matin, tout, dans la rési-
coloration, en revanche, est puissante. dence de ces heureux mortels, est propre et re-
Autant que j'ai pu en juger d'en bas, il m'a luisant, à l'excêpUon des chambres où reposent
semblé qu'en bien des parties elle a été terminée assez tard les maîtres et surtout les maîtresses
a tenapera. de la maison. « Un long sommeil entretient la
Ici il me faut entrer dans quelques détails tech- beauté », dit l'Américaine, et: la milliardaire au-
niques d'autant plus nécessaires que les procé- rait tort de se le refuser. Dans une grande mai-
dés, de la peinture murale sont généralement son, que la famille soit nombreuse ou rion, toute
mal connus en France et qu'à cet égard on peut une série de domestiques est affectée à la sur-
relever dans les écrits de nombreuses méprises. veillance des affaires du ménage où, sous aucun
La peinture a fresque, le buon fresco comme prétexte, nul accroc ne doit jamais se produire.
on dit en Halie, se fait sur un mur frais, avec des Tous ces domestiques sont logés dans la mqison
couleurs préparées à l'eau il peut arriver que, le çhef de cuisine et le maître d'hôtel seuls qnt
la fresque étant terminée, le peintre ne soit pas l'autorisation d'avoir leur domicile ailleurs.
satisfait de certaines parties, mais comme le mur Le chef et le maUre d'hôtel sont deux person-
est sec, il ne peut pas reprendre son ouvrage a nages importants dont la charge n'a rien d'une
buon fresco; et emploie alors la tempera qui peut sinécure. Le maître d'hôtel commande tout le
être appliquée surune surfacesèche; les couleurs premier étage qui comprend les salles à manger,
a tempera sont préparées à l' œuf, à la colle ou la salle de billard, la bibliothèque, des salons et
avec d'autres matières agglutinatives. des vestibules. Flanqué d'un bataillon de valets
Avec une certaine expérience, on peut parfois en livrée, d'une fémmé de chambre et d'une fille
distinguer à la vue le buon fresco de la tempera, de cuisine, il assure la propreté et le bon ordre
de cette partie de l'hôtel, l'office y compris. C'est à glace .produit sur place toute la glace dont la
lui qui manie l'argenterie. En dehors de ces de- maison. a besoin; les armoires réservées aux ma-
voirs principaux, il en a mille autres il faut-qu'il tières coloratites. et odorantes, aux essences di-
soit un homme de tête et d'énergie pour faire verses, aux mcules de toutes formes, sont des
face à tout. Il doit savoir bien écrire, car il a une énigmes pour le profane. Les exigences d'un
certaine comptabilité à tenir c'est par ses mains chef sont illimitées et ses ordres sont suivis avec
que passe une quantité de dépenses extra, comme obéissance.
timbres, missives, frais de voitures, etc. Il A part les viandes, les provisions en général ne
écrit les menus quotidiens qui ne doivent pas sont pas considérables dans la maison les four-
manquer un seul jour. Le soin des fleurs le re- nisseurs apportent tous les matins ce qu'ils ont
garde également; il a, à cet effet, un réfrigéra- de plus frais et de meilleur; le téléphone et de
teur spécial qui les tient fraîches lorsqu'elles ar- jeunes messagers sont là, en outre, pour la rapi-
rivent des serres de campagne, deux ou trois fois dité du service.
par semaine. Un autre réfrigérateur conserve le Le soin de contrôler les dépenses, de vérifier
beurre, la crème de lait et les fruits qui, eux aussi, les factures et de les payer est confié à une in-
sont expédiés des fermes de province. tendante qui, chaque semaine, examine les livres
Le maître d'hôtel doit, avoir du goût; c'est lui des fournisseurs; le maître d'hôtel et le chefdoi-
qui décore de fleurs la table quand la famille vent lui ,remettre tous les soirs la liste des com-
prend ses repas seule. Quand il y a des invités, mandes livrées. L'intendante veille à l'ordre gé-
un fleuriste est engagé, et dans les réunions nom- néral son devoir est de mettre obstacle à trop
breuses, le maître d'hôtel loue des aides-valets de gaspillage. La table de, travail de cette per-
pour qui des livrées sont toujours en réserve. sonne tr~s occupée est imposante comme celle
Contre cinq dollars vingt-cinq francs par d'un grave homme d'affaires et le gros livre de
tête, ces domestiques extra facilitentle service et chèques qui s'y étale est bientôt dépouillé de ses
par leur nombre donnent à la maison un air de feuilles.
faste qui éblouit l'étranger et le fait se demander Lorsque le chef a écrit le menu de la journée,
où on peut trouver à loger un pareil personnel. sur un registre spécial, l'intendante va le 'pré-
Le maître d'hôtel est encore chargé d'annoncer senter à la maîtresse de la maison qui,.un crayon
les invités et de diriger tout,le service des repas à la main, discute et décide avec elle les chan-
qui se fait dans un silence parfait. Pendant ce gements qu'elle désire y apporter. C'est le chef
temps, les filles d'office lavent la vaisselle au fur qui compose aussi le menu de l'office.
et à mesure que les plats se succèdent, de sorte Les domestiques 'prepnent leurs repas dans une
qu'à la fin des dîners, tout est propre et rangé vaste salle au sous-sol un valet est spécialement
pour l'occasion prochaine. attaché à cette pièce pour la tenir en ordre, met-
Le chef de cuisine, en son domaine, est un vé- tre les couverts et servir à table. La vaisselle,
ritable petit autocrate. Il a sous ses ordres une l'argenterie, la verrerie et le linge de table à
première cuisinière et plusieurs aides féminines. l'usage des domestiques sont simples, mais .de
La 'cuisinière s'occupe des petits repas de fa- bonne qualité; chaque personne a son rond de
mille, du petit déjeuner du matin, du thé, etc.; serviette en argent. Le maître d'hôtel préside,
elle prépare aussi la cuisine des domestiques, et découpe et distribue, il est donc de première
fait le pain et les gâteaux. Ses gages sont de nécessité pour les subalternes d'être dans les
vingt-cinq à trente dollars 125 à 150 francs bonnes grâces de ce puissant personnage.
par mois; mais une fois qu'elle a ,servi sous le Un compartiment intéressant est aussi celui de
commandement d'un chef dans une maison con- la lingerie où quatre ou cinq femmes trouvent
nue, elle peut hardiment se présenter comme de' l'ouvrage du matin au soir. Le blanchissage
grande cuisinière, dans des places moins préten- est une question capitale; une nappe ou un tor-
tieuses où elle gagnera ses 300 francs 60 dol- chon ne sert qu'une fois, et le linge sort et rentre
lars mensuels. Le chef recoit 100' dollars constamment, sans intepruption, en d'étom¡.antes
500 francs par mois qui s'accroissent de fortes quantités. Rien n'est joli comme les paniers des
commissions. Sa position est unique parmi les blanchisseuses où s'entassent, en une blancheur
domestiques et les maîtres eux-mêmes lui témoi- de neige, les piles de nappes, draps, taies, ser-
gnent des égards. C'est d'ailleurs bien compré- viettes. La lingerie de Madame arrive à part et
hensible,vul'importance de ses fonctions. L'Amé- pourrait être comparée, dans sa fraîcheur et sa
ricain est hospitalier et comme tous les joliesse, à une moisson de roses blanches épa-
parvenus aime à éblouir et surpasser ses noüies; les dentelles et. les broderies sont un
amis. Aussi le spectacle d'une cuisine de milliar- rêve de beauté, avant même que la femme de
daire américain provoque-t-il l'admiration. Le chambre française les ait agrémentées de rubans
garde-manger aux murs de faïence blanche où le et de nœuds. Blanchisseuses et repasseuses ga~
chef tient les provisions de bœuf, de mouton et gnent largement leur vie, mais elles ne volent
de gibier, semble bien plutôt desservir un hôtel pas leur argent! Tout le linge de la maison est
entier qu'une famille particulière. Une machine orné de dentelles et de broderies sans prix, les
draps et les nappes sont tissés spécialement sur Mais ce qui ajoute encore à l'éclat de tant de
commande et sont invaluables. Les peignoirs et faste, c'est la propreté. minutieuse qui règne, de
les serviettes de bain, surtout, sont des mer- haut en bas, dans l'immense établissement. Tous
veilles de richesse et de goût. Quant à la salle de les murs des sous-sols affectés aux domestiques
bains, elle est absolument féerique; on y voit dés sont blancs pour que pas un grain de poussière
baignoires en or ou en argent, avec des orne- ne~ puisse s'y dissimuler. Confort, propreté, luxe!
ments d'onyx, et des robinets sculptés en des L'Américain ne se prive de rien.
marbres impeccables, des tapis fabuleux. Tn. MANDEL.
On voit dans la modeste église de Saint-André, quant des christs de cire ou de bois, peints avec
-à Tolède, une admirable Mater Dolorosa, à les couleurs de la vie, aux plaies saignantes,
.laquelle le peuple a donné l'appellation naïve de qu'on promène pendant la Semaine Sainte, dans
.Sainte-Dolorès., les processions de Madrid ou de Séville.. Les
Par son exécution, etrelutôt par, sa manière, yeux doivent être de verre, de verre aussi les
elle a quelque chose de ce réalisme un peu cho- larmes qui coulent sur les joues. L'excitation
ler MARS 1901. ¡¡
des élans spirituels par l'évocation précise des aussi entendre chanter la sublime prose du di-
objets sensibles, c'est le fond même de la dévo- manche de la Passion, ce Stabat Mater que rima,
tion espagnole et le principe,'on le sait, des fa- au XIIIe siècle, un humble moine franciscain qui
meux Exercices de saint Ignace. N'importe, avait du génie, et que, depuis, Palestrina,
nous touchons ici à la Beauté. Quelle douleur Pergolèse, Rossini mirent en musique, sans que
profonde et noble dans cette inclinaison de tête, leurs mélodies inspirées puissent effacer de mon
dans ce regard perdu, dans cette bouche entr'ou- souvenir la monotone mais angoissante lamen-
verte aux commissures tombantes comme celle tation de la liturgie catholique.
des masques de la tragédie antique Et ne s'agit- Comme le poète du Stabat, le sculpteur de la
il pas ici, d'ailleurs, de la plus pathétique des sainte Dolorès a senti la pitié guider sa main;
tragédies religieuses qui aient jamais ému le comme lui aussi, après s'être apitoyé sur elle,
eœur des hommes? senti qu'elle était capable de s'apitoyer sur lui à
Par son style et par la qualité de l'émotion qui son tour. Il n'en a point fait une idole impassible,
s'en dégage, cette figure me rappelle, et je mais une mère affligée, prête à dire à toute
suppose qu'elle en est contemporaine, la autre mère affligée
Vierge que tailla dans la pierre, vers le milieu Approche. et ta'douleur en sera moins amère;
du XVIe si'ècle, pour le célèbre Sépulcre de Saint- Prends ce cœur pour asile et ce bras pour soutien;
Mihiel, le bon sculpteur lorrain Ligier Richier. Ma paix sera ta paix, car ton deuil fut le mien
Si vous ne l'avez point vu sur place, ce Sépulcre, Comme toi j'ai perdu mon Fils, ô pauvre mère
allez du moins l'admirer au Trocadéro, dans le AUGUSTE DORCHAIN.
musée des moulages, parmi les merveilles que ~s~s.~s~s,s~s~s~s~xzx~s~,$
conserve notre ami le poète Edmond Haraucourt. Lejour où l'éducation et l'instruction se donneront la
Devant ce buste de sainte Dolorès, je crois main, la société y gagnera au centuple
Il est de remarquables coïncidences dans la pour figurer dans cette galerie bourguignonne
vie humaine, de ces heureuses rencontres que étaientlestémoignageslocaux relatifs à la famille
les anciens auraient attribuées à de mystérieuses des Bossuet, originaires de la petite ville de
conjonctions d'astres, et dont il nous plaît, à Seurre, à la naissance de Jacques-Bénigne à
nous, de rendre responsable le jeu intelligent Dijon, à son éducatioÜ; à ses séjours de vacances,
d'une douce et souriante providence. à ses retours dans la ville natale comme pré di
Un maître de la parole sacrée s'est épris de cateur.
Bossuet, là n'est pas la merveille pendant Aussi vous montre-t-on d'abord la vieille mai-
un séjour de vingt-trois années à Paris,, ils'est son des ancêtres, telle qu'on la voit encore à
plu à réunir tous les souvenirs littéraires ou ar- Seurre, donnant sur la place de l'Estaple,
tistiques se rattachant à l'objet de son culte. Et vieux mot signifiant marché, entrepôt, et qu'il
à ce fervent était précisément destiné le siège faut avoir sous les yeux en lisant tout ce que le
épiscopal, qu'il occupe depuis deux ans, de la savant M. Floquet a si patiemment et. si con-
ville où est né Jacques-BénigneBossuet. sciencieusement recueilli sur lés origines de la
Il fait bon entendre Monseigneur Le Nordez famille.
raconter comment il put rassembler, au hasard Sur lé tympan ogival de la porte cochère se
des promenades sur les quais de la Seine, les voient encore les armoiries illustrées par l'évêque
premiers éléments de sa collection Bossuet. Peu de Meaux (d'azur à trois roues d'or posées deux
à peu, aux éditions rares, aux gravures, aux au- et une), avec l'inscription en belles lettres go-
tographes, vinrent s'ajouter les tableauxde prix. thiques du xvie siècle
Puis les diocésains du nouvel évêque de Dijon L ÀN M VC IIII
apportèrent à leur tour leur contribution à la
réalisation d'une idée à laquelle ils ne pouvaient l'an mil cinq cent quatre », et non, comme
qu'applaudir. Ce fut à qui adresserait à l'évêché a lu Floquet, «faict 1507 ».
éditions anciennes, toiles, gravures, photogra- Les roues, les fameuses roues dont les érudits
phies, vues, fac-similés, etc. Et voilà comme se sont évertués à chercher la signification; re-
quoi, un beau jour, put être installé dans une montent donc au moins à 1504. Elles sont en
vaste salle de l'évêché de Dijon, par les soins de rapport, c'est tout ce qu'on peut dire, avec un
Monseigneur Le Nordez, ce qu'il peut appeler surnom Rouyer qu'on trouve porté par un an-
d'un nom très juste et qui veut le devenir de côtre, Jacques Bossuet, créé bourgeois de Seurre
plus en plus, le Musée Bossuet. en 1460. Y a-t-il dans' -ce surnom une allusion à
Les souvenirs les plus naturellement indiqués la profession? Tout ce qu'on sait, c'est que les
Bossuet ont été drapiers de père en fils, à l'ex- à célébrer, mais qui prit alors de son père le
ception d'un seul, qui est médecin et poète. nom de Jacques et de son grand-père le nom
Enfin la famille fut anoblie par François le' tout dijonnais de Bénigne. La maison est signa-
en 1517 dans la personne d'un de ses membres, lée à l'attention des touristes par une plaque
« honorable éche~~in et maïeur »
commémorative où l'erreur dénoncée par Flo-
Rien malheureusement ne subsiste de cet cluet, « né le 26 septembre J 627, » au lieu de
autre blason plus local et en même temps, sem- « 27, )) n'a pas été
corrigée. Mais il n'y a pas lieu
ble-t-il, plus représentatif du nom de famille de suspecter l'exactitude de la date après avoir
un cep de yigne rugueux ayec trois B et la de~-ise ~~u au Musée Bossuet l'acte photographié où cha-
« bon bois bossu est ». Blason, enseigne, chiffre, cun peut la lire en toutes lettres.
rébus? ce cep de Yigne parlant a encore été ~~u L'éducation du jeune Bossuet se fit au collège
dans notre siècle sur une grande cheminée au- des Jésuites, fondé en 1581 par les présidents
jourd'hui démolie, et un savant collaborateur du Jacques et Odinet Godran, rue des Jésuites, au-
dia;jasin Pitto~~esque, M. E. SelTigny, nous ap- jourd'hui de l'École-de-Droit. Chapelle, consa-
prend, dans un opuscule consacré à la chapelle crée le 15 août 1617 par Sébastien Zamet, éYèqup.
des Bossuet, que jusqu'en 1789 il resta gravé sur de Langres, sous le yocable de la sainte Vierge et
le banc des Bossuet à l'église de Seurre. Sur de saint Bernard, né lui-même presque à Di-
quoi l'on a remarqué justement que, lorsque jon, et où Jacques-Bénigne reçut la tonsuro
1\-1. Rébelliau dit des mains du même évêque à huit ans et demi;
que « l'enseigne roturière du
vieux logis des Bossuet » été « remplacée» » édifices, salles et cours existent encore, et ce
du fait de l'anoblissement (151i) par « le blason sont des souvenirs trop précieux pour n'ètre pas
aux roues d'or », le distingué biographe n'a pas placés sous les yeux du visiteur.
résisté à la tentation d'une belle antithèse, contre La mémoire s'est conservée des lieux mêmes
laquelle les dates et les faits protestent. Les roues où le jeune étudiant passait ses vacances. On
d'or ont précédé l'anoblissement, et le bois de cite entre autres le village de Couternon, qui
vigne a continué, après comme avant, il symbo- renfermait une propriété de sa mère appelé..
liser la richesse de sève de l'antique souche. « domaine Chervau » du temps de Courtépée.
Voici maintenant la maison Gauthier, place Mais voici surtout le chuteau d'Aiserey. Lors-
Saint-Jean, à Dijon. C'est là que naquit celui que qu'en 1638 les parents de Bossuet-quittent Di-
le nom de Bossuet suffira toujours à désigner et jon, son père ayant pris rang parmi les conseil-
lers à la cour de Metz, Antoine et Jacques-Bénigne graphie représente la salle de théâtre qui a suc-
sont laissés à Dijon pour continuer leurs études cédé au sanctuaire où ce sous-diacre de génie,
sous la garde de Claude Bossuet, leur oncle. Or d'un génie qui s'ignorait, donna ce jour-là,
celui-ci, indépendamment de la maison qu'il à Langres, si pleinement et si délibérément, sa
habitait rue des Jésuites, proche du collège, était vie à Dieu.
propriétaire du château d'Aiserey, qui a toute Grouper tous ces souvenirs d'ordres et d'inté-
une histoire, et dont quelques parties subsistent rêts divers, les rendre sensibles, p~arlants, par la
dans l'élégante habitation moderne. reproduction des lieux, par des expositions d'au-
--¡:-
Le village a tographes ou
même sarue « de fac-similés
Bossuet et cette oeuvre,.
l'on N@ montre déjà bien avan-
une maison eée ,ne mérite-
dite de lanour- t-elle pas tous
rice de Bos- les suffrages et
suei. Les jeu- tous les con-
nes enfants cours?Aucune
passèrent là des«époques»»
leursvacauces de Bossuet,
jusqu'en lG4~. aucune de ses.
C'est dans la résidences,
maison de aucun des
Claude Bos- lieux où il a
suet à Dijon, paru et agi ne
du moins se- doit être né-
lon toute pro- gligé. Nous ne
babilité,qu'eut pouvons, ici,
lieu la scène songer même'
historique de à les énumé-
la première rer, encore-
rencontre de moins à indi-
Bossuet avec duer les objets
la Bible, en propres à les
164 1, croit-on, caractériser
alors que Jac- dans unmusée
ques Bénigne où tout Bos-
était dl~jà cha- suet doit revi-
noine de Itietz. vre. Laissons
ayant été nom- l'aigle,- puis-
mé ~,t cette di- qu'une fois au
gnité le °?0 no- moins il faut
vembre 1640, employer
il 'treize ans et l'inévitable
demi. métaphore,
Je dis scène prendre son
historique, je essor et four-
pourrais dire nir sa noble.
aussi bien carrière, et
scène prophétique ou symbolique, car tout bornons-nous, puisque nous sommes à Dijon, à.
l'homme s'y montre déjà, et nul trait de la vie marquer ses passages, ses retours au nid de son
intime de Bossuet ne me parait plus digne d'ins- enfance et de son adolescence.
pirer un chef-d'œuvre à un statuaire ou à un L'on a des traces de la présence de Bossuet à
peintre. Dijon dans trois circonstances au moins.
Sa rhétorique faite, Jacques-Bénigne est en- La première fois, c'est en 9 656, à vingt-neuf ans.-
voyé à Paris pour achever ses études, mais il Il prêche à la Sainte-Chapelle de Dijon le diundus
revient dans son diocèse pour les ordres. C'est ~audebit, sermon d'ouverture du'jubilé d'Alexan--
à l'occasion de son sous-diaconat, et dans la re- dre VII, et les circonstances lui donnent pour-
traite par laquelle il s'y prépara, qu'il rédigea, à auditeur le duc d'Épernon, gouverneur de Bour-
vingt et un ans, la si remarquable méditation Sziî- gogne, qui devait faire le lendemain une entrée-
la brièveté de la vie, qui est un des plus anciens solennelle.
écrits de Bossuet.que l'on possède. Une photo- « Ne vous persuadez pas, chrétiens, que je-
veuille tempérer la joie de la belle journée que Condé ce nom illustre, nom de héros, nom
nous attendons. L'Eglise même y veut prendre d'ami, ouvre ici une nouvelle et abondante veine
part, y mêlera ses actions de 'grâces, dont cette de souvenirs, dijonnais et autres, qui ont droit à
chapelle royale résonnera toute. » une place à part, parce qu'ils révèlent, parce
-La présence d'un si haut personnage appelait la qu'ils illuminenttout un côté de la vie et de l'âme
harangue obli- et de l'éloquen-
gatoire. Le jeu- ce de Bossuei.
ne orateur fait EnfinBossnet
ainsi de bonne revint à Dijon
heure l'appren- comme précep-
tissage d'un teur du dau-
genrè dont il phin en 1674,
e-xcélla à tour- accompagnant
nér'les difficul- le prince qui,
tés; dans le cas avec la reine et
présent, le hé- la cour, fit le
ros ne prêtait voyage de la
pas, tant s'en Bourgogne à
faut, à un éloge l'occasion de la
sans réserve. camliâgne de
;:j'ous les ma- Franche- Com-
nuels citent cet té. L'histoire
exorde-compli- anecdotique a
ment j'aime enregist.ré
mieux relever maints épiso-
dans le serm~~n Fac-similé d'un fragment de lettre de Bossuet. des où l'on voit
un passage peu (Musée Bossuet à Dijon.) l'évêque de
connu et d'une (A remarquer, dans la signature, le B du mot Bénigne, dont le premier jambage est en
forme de pyramide; on retrouve dans toutes les signatures de l'Evèque de Meaux ce
Condom con-
saveur toute détail sur lequel les graphologues auraient lieu de s'arrêter. stamment tîdè-
bourguignon- le à son rôle
ne « Le même feu fait reluire l'or et fumer la d'éducateur promenades à Plombières-lez-Di-
paille le même mouvement, dit saint Augustin, jon, pèlerinage à Notre-Dame-d'Étang, visite à la
fait exhaler la puanteur de, la boue et la bonne Chartreuse de Champmol, etc. Au château d'Arc-
senteur des parfums et le.vin n'est pas confondu sur-Tille, il lit au roi, en présence du dauphin,
avec'le ma~°c, quoiqu'ils portent tous deux. le poids une pièce composée par le poète dijonnais La
du même pressoir ainsi les afflictiÓnsqt;li consu- Monnoie sur la prise de-Dôle. Autant de scènes
ment les méchants purifient les que le Musée. Bossuet tient à faire
justes. » revivre, en groupant le plus pos-
Bossuet prêcha à Dijon la,clô- sible de témoins authentiques
ture comme l'ouverture du jubilé aidant à les reconstituer.
d'Alexandre VII, et l'on croit sa- Mais j'ai hâte d'arriver à la
voir qu'il y fit aussi dans la même partie la plus précieuse et la plus
année un sermon de vêture pour intéressante de la collection les
une postulante bénédictine de portraits du grand orateur.
grande naissance. veux surtout attirent et fixent
L'illustration toute naturelle l'attention. Le premier repré-
du premier retour à Dijon de senteprécisémentBossuetàl'épo-
Bossuet orateur est cette admi- que de l'éducation du dauphin, et
rable « chapelle royale », comme l'autre nous montre l'évêque de
il l'appelle, autrefois un des Meaux au terme de sa carrière.
joyaux de la cité, et dont la'flè- Caricature de l'Évêque de Meaux. L'étude comparative de ces
che, ceinte à mi-hauteur d'urie :Publiée par les Protestants,extraite &9
Recueil de ~Ytaurepas. deux tableaux, que recommande
couronne, était une des p1ùs d'ailleurs le nom de leurs au-
élégantes de la « ville aux beaux clochers. » teurs, les plus illustres du temps, est on ne peut
J'en dirai autant du second passage de Bossuet plus instructive,pourceux qui veulent se faire une
dans sa ville nàtale, lequel est encore marqué idéé juste de ce que fut Bossuet.
par deux sermons de jubilé, jubilé de Clé- Ici nous ne saurions mieux faire que de laisser
ment IX cette fois, l'un prêché le 25 décem- la parole au créateur du Musée.
bre 1667, dans une communauté, et l'autre le « Le premier portrait de Bossuet parmi ceux
1er janvier 1668, à la Sainte~Chapelle, devant le qui nous restent, écrivait naguère Monseigneur
Grand Condé. Le Nordez, est l'œuvre de Mignard.
«' La toile, conservée au grand séminaire de quelque chose d'arrondi en son extrémité. La
Meaux, est d'assez modestes dimensions. Elle bouche est petite, la lène inféri~ure est un peu
mesure environ 50 centimètres sur 40. J'ai fait lourde, la supérieure g~acieuse et taillée en arc,
photographier une moustache légère et comme naissante se
cette belle œu- dessine au-dessus.
vre il y a vingt « Les
cheveux longs et d'un châtain légèrement
ans. L'épreuve teinté de roux
est bonne etje clair, enca-
m'en réjouis, drent admi-
car depuis cet- rablement le
te époque le visage; ils
tableau a souf- semblent être
fert de l'humi- déjà clairse-
dité de la pièce més au som-
où il est ex- met de la tète,
posé. et retombent
( Bossuet y sur le front
est représenté qu'ils abri-
en buste, en- tent et mar-
viron à deux quent de ~ra-
tiers de natu- vité.
re. Il porte une « Bossuet Jacfjues-Bénigne Bossuet, év. de Condom,
Jacques-BénigneBo~~uct, év. dc ~leati~ ni 0 set t t e dz les porta tou- Précepteur du Dauphin.
(Tableau de HIGAl'O. 1~0:.)
(1\Iusi·c du Lonvre.)
soir dont le
Sole, Ir jours ainsi, (Talrleau de ~IIG"ARD.)
(Le prelat avait alors environ 43 ans.)
violet a sans
(La tête seule lui peinte penVant la vie ele car il ne fut
Bossuet, leilucl mourut quelque temps
doute
d t e '1'pa ett jamais complètement chauve. Il a fallu l'imagi-
aprés.l
donne aujour- nation de Lamartine et l'ignorance avec laquelle
ri 'hui une teinte bleu très clair. La croix pecto- il a écrit, en ses dernières années, la vie de Bos-
rale, fort' simple et sans aucun ornement, est suet, pour qu'il nous parlât de cette mèche pro-
suspendue à un ruban plat, d'une teinte sem- vocatrice et rebelle qui couronnait le front
blahle il celle de de l'évêque de
la mosette. Le Meaux ainsi
rabat,abaissésur qu'une flamme
le col de la sou- image de son gé-
tane et tombant nie. »
sur la poitrine,. Ainsi les yeux
selon la forme· sont tout dans
adoptée au XVII" la physionomie
siècle, est blanc de Bossuet à la
au bord et en la fleur de l'àge.
ligne du cenln', Ce trait n'avait
et, pour le reste, pas échappéé
il est légèrement aux contempo-
teinté de bleu. rains.
« La ligure dr Je n'en veux
l'évêque de Con- pour preuve
dom a dans ce que ce passage
tableau quelque de l'éloge que
chose de fort sai- Bernard La
sissant, et, dirai- Monnoie fit de
je volontiers, de son illustre
fascinateur. Ses compatriote
yeux grands, qui venait d'è-
clairs et trèsvifs. J.-B. Bossuet, évêque de Meaux. tre nommé évè-
quoique doux, Tableau de RIGACD (Musée Bossuet il Dijon). que de Condom
C'est le premier portrait des trois faits par Ri~aus, 1699. I: évî;que de \Ieaux avait (
semblent mar- alors 72 ans. 1669)
quer toute la .Oui. Paul
physionomie et ahsorbent l'attention du spec- en Bossuet nous est venu des cieux.
tateur. Je le connais au feu qui b~·ille cla~as ses yeu.z~,
A cet éclat de zèle, à cette voix qui tonne
« Le nez, légèrement
aquilin, a encore, sinon
quelque lourdeur, du moins une certaine force et Si du reste l'ensemble de la physionomie dé-
note de la lourdeur, Mignard n'était pas hoinme de Meaux y est représenté à soixante-douze ans,
à l'y mettre de lui-même, et il faut croire que la cinq ans avant sa inort. La caractéristique de la
réalité la lui avait fournie. physionomie est la tranquillité, l'apaisement, la
Est-ce manquer au respect dû à Bossuet que sécurité de la foi. C'est un beau jour finissant,
de supposer qu'il y ait eu, comme dans ses pen- c'estun soir doux etpaisible. Aussi comprend-on
sées et son style, de même dans les traits de son que Nisard, jadis, ait aimé à contempler ce por-
visage, un dégagementprogressif de certaine im- trait de Bossuet. Il se plaisait à venir pour lui
perfection, une amélioration graduelle. N'ayez dans le cabinet de son heureux possesseur,quai
crainte, cette épaisseur de chair fléchira sous le Voltaire l'un et l'autre s'asseyaient devant cette
travail de la pensée, conquérant une maîtrise de toile d'où s'échappait tant de vie, d'où deséendait
plus en plus puissante.. tant de sérénité et de douceur, et dans cette
« Aussi, c'est encore Mgr Le Nordez qui en contemplation à deux, lé grave critique goûtait
fait .la. remarque, est-il fort instructif de avec volupté la satisfaction d'avoir un des pre-
comparer le portrait de Mignard, lequel fut fait miers chez nous réveillé le culte du grand ora-
alors qu'il n'avait'que quarante-trois ou quarante- teur, par la révélation de son vrai caractère
quatre ans, avec le premier que fit de lui Rigaud tombé en oubli.
trente ans après. Dans le .second les traits sont Le Musée Bossuet est un fruit de ce culte, et
affinés, les lignes plus délicates, l'éclat des yeux c'est à le motiver et à le propager qu'aspire
adouci, les ailés du nez se sont assouplies, et avant tout le zèle de l'éminent fondateur. L'.idée
volontiers l'on dirait. que la physionomie de Bos- est belle, d'autant que Iii. tâche est considérable.
suet y respire plus de jeunesse, surtout plus de Il y a encore à faire pour que « ,le :vrai: Bos-
distinction. » suet » soit connu, et pour que « tout Bossuet »
Le portrait de Rigaud, exposé sur chevalet, est soit mis en lumière.
le plus bel ornement du Musée Bossuet. L'évêque J. BOURLIER.
UN MINISTRE DE L'EMPIRE
\1-
Il n'est peut-être pas, dans toute notre histoire, cette attachante figure d'un homme qui a servi
de personnage qui; de son vivant ou après sa tous les régimes et, sans scrupules, les a tous
mort, ait été plus malmené, plus" insulté; plus trahis.
vilipendé que l'ex-oratorien Fouché, duc d'O-
trante, ministre de Napoléon et de Louis XVIII.
On a fait de lui le type accompli de l'odieux. Ce nouveau livre, qui est une réponse à de
Tartuffe, infâme, ignoble, monstrueux, scélérat, vigoureux et parfois injustes pamphlets, il ne
coquin, voilà de quelles épithètes l'accablèrent nous appartient pas d'en dire les défauts et les
ses contemporains; Thiers, "Un peu plus tard, lui mérites. Mais il renferme çà et là, en des pages
découvre simplement une,« figure touche ». où abondent les documents et dont nous ferons
Mais Michelet n'a point. cptte mansuétude"; écou- notre profit, de curieux détails sur l'origine de la
tez-le flétrir Fouché « Le prêtre 'athée, le duc fortune financière de Fouché.
Breton, le cuistre séché à l'école, tous ces traits On sait qu'il était fort riche. Vers 1815, on di-
étaient repoussants dans sa face atroce. » sait Fouché le second capitaliste du pays. Le
M. Hamel le traite de « sycophante~ », M. Henry second capitaliste, mais la ~Tacédoine Révolution-
Houssaye de «-sinistre ;Scapin voire de « sa- naire ass·urait qu'il était le premier propriétaire
cripant », et M. Aulard, "quand il parle- de lui, n~ fon~ier de France. La Macédoine Révolutionnai~·e,
le dénomme que « le vil Fouché ». Enfin, ces on le verra tout à l'heure, avait raison. Toujours
jours derniers, en Sorbonne, M. Ernest Lavisse à la même époque, les pamphlétaires de Fouché
a marqué au fer rouge .ce « gredin .» attribuaient à ce parvenu t~·ente millions, qui en
C'était à .}'occasion de lâ ~soutënânçe d'une représenteraient, au bas mot, soixante-dix de
thèse pour le doctorat (1) présentée à la Faculté notre monnaie. Un tel chiffre, selon M. Madelin,
des lettres de l'Uiii-versité dè Pàris, par M. Louis était exagéré. Mais il est permis d'estimer à,
Madelin. Travail copieux plus d'un millier de vingt millions, sinon davantage, cette grosse
pages qui a coûté à M. Madelin six années de fortune.
recherches et où l'auteur a étudié, avec tant de C'était un joli denier déjà pour quelqu'un qui,
soin qu'il ne reste plus rien à glaner après lui, vingt ans plus tôt, à son entrée dans la vie poli-
éditeurs).
f. Fouè8t:(f759-1820); par M.LÓuis: Madèlin (Plon et tique, affichait le plus parfait mépris de l'or.
Nourrit, Fouché était, pour ainsi dire, parti de rien. Ses
ancêtres avaient, il est juste de l'écrire, fait la l'Oratoire, et vint de Nantes à Paris, il avait en-
traite aux Indes, et c'était un métier passable- viron 2,000 livres de revenu.
ment fructueux. Mais le père de Joseph Fouché
ne jouissait que d'une relative aisance. On avait
bien, avant 1789, un domaine patrimonial, la Il semble bien qu'à ce moment le jeune. député
maison de famille, sise au Pellerin, à cinq lieues faisait fi de la fortune. Une autre ambition le
de Nantes, et entourée de petits domaines, tels dévorait celle de jouer un rôle à sa taille dans
que ceux de Rouzerolles, de Pangasserie, de la la politique.
Martinière on avait bien aussi quelques planta- Au cours de ses fameuses missions de t i9'3,
tions à Saint-Domingue. Mais Saint-Domingue épouvantables de froide férocité, à Moulins, à
était loin et d'ailleurs les plantations ne tardèrent Nevers, à Lyon surtout, le proconsul Fouché ne
pas à être dévastées lors de la révolte des noirs cessait de tonner contre les riches, « reste de
c'était un revenu anéanti limon déjà vomi par la République ». Et dans
L'enfant fut élevé au collège des Oratoriens, à ses diatribes furieuses il assurait qu'il suffisait
Nantes. Quand il en sortit adolescent, il était tropaux bons patriotes, auxrépublicains, d'avoir « du
faible, de santé trop délicate, pour prendre la fer, du pain et quarante écus de rente ».
mer. L'Oratoire, alors, disposait presque seul de Fouché, à ce compte, n'était pas un bon pa-
l'enseignementpublic. Joseph Fouché, déjà ton- triote.
suré, ayant reçu les ordres mineurs, fut admis Pourtant, dans le drainage de l'or, des métaux
dans la maison de Paris, rue Saint-Honoré, passa précieux, dans la mise à sac des caisses publi-
deux ans au séminaire, mais se déroba au sacer- ques, des coffres-forts des riches, des cassettes
doce (car il ne. fut jamais prêtre, quoi qu'on des châteaux, des trésors d'église, Fouché spé-
en ait dit et ne reçut pas les ordres majeurs); cula-t-il et s'enrichit-il? M. Madelin ne le croit
il entra dans la carrière du professorat semi- pas. Le proconsul donnait libéralement, géné-
laïque.. reusement à ses agents, dotant les uns, enrichis-
Successivement, de 1782 à 1792, Joseph Fou- sant les autres, mais affichait le désintéresse-
ché fut préfet des études au Collège de Niort, ment personnel.. Il offrait à la Convention, dès le
professeur de quatrième à Saumur, de deuxième Hseptembre 1793, cent mille marcs en or, pro-
à Vendôme>, chargé de cours libres de mathéma- duits par le drainage du « vil métal ». Le 13 oc-
tiques et physique au fameux Collège de Juilly tobre, il annonçait l'envoi de tout l'or et de tout
où il eut pour collègue le P. Billaud, plus tard le l'argent des deux départements de la Nièvre et
terrible Billaud-Varennes professeur de phy- de 'l'Alliér. Dix ou douze jours plus tard, une
sique à Arras, où il se lia avec Robespierre, enfin vingtaine de malles, remplies d'or et d'argent pro-
professeur au Collège de Nantes dont il devint venant de la dépouille des églises et des châ-
principal. teaux, parvenaient à l'Assemblée.
Au début de sa carrière dans l'enseignement, On accusa bien Fouché, après les mitraillades
durant quelques années même, il ne touchait de Lyon, d'avoir gardé sa bonne part de cet or et
que cent vingt livres octroyées par la Congréga- de cetargent. On représenta la citoyenne Fouché
tion. C'était plus que modeste. Aussi le voyons- sortant de la ville avant son mari, cachant dans
nous, la portion congrue ne le nourrissantguère, ses robes les coffres du ménage tout pleins d'or.
aspirer aux vacances pour aller se « remplumer » Mais ces accusations ne sont nullement prouvées.
au Pellerin. On lit dans une lettre de lui, datée Les protestations mêmes de Fouché (qui pèse-
de Vendôme 3. juin 1785 et adressée à sa soeur raient bien peu) sont corroborées par d'autres
« Sitôt que je serai
débarras'sé de mes classes, témoignages moins suspects. Le conventionnel
j'aviserai au moyen de porter mon corps ou plu- Lêvasseur, entre autres, fort hostile au duc
tôt ma frêle lanterne au Pellerin. Vous ne m'avez d'Otrante, et comme républicain tenace sous
jamais vu si maigre, mes os traverseront sous l'Empire et comme robespierrïste impénitent;
peu toute ma garde-robe j'ai besoin de deux. affirme que ce n'est pas pendant la Révolution
mois pour me remplumer. Dites à ma tante,que que s'est enrichi Fouché.
je me repose sur son zèle du soin d'habiller mes
fliltes. »
En 1792, il épousait Bonne-Jeanne Coiquaud, Quelles.sont donc les sources de la colossale
non pas religieuse, ainsi que devaient l'affirmer fortune qui faisait de lui, en 1815, un véritable
un jour les ennemis de Fouché, mais fille du p~é- nabab?
sident de l'administration du district de Nantes. Les pamphlets du temps atfribuentla richesse
Ce mariage ne l'enrichit guère. Mais M. Fouché de FÓU¿llé uniquement la
surveillance de jeux
père était mort quelque temps auparavant, lais- dans l'Empire.
sant à son filsune:certaineaisance. .C'est exact. Toutefois de grandes affaires et de
Quand, à la fin de cette même année 1792,élu profitables spéculations l'avaient, dès avant l'ar-
représentant de la Loire-Inférieure à la Gônven- rivée au pouvoir de Napoléon, mis sur la voie de
tion, Fouché quitta définitivementle. professorat, la fortune.
D'abord, en 1796, Barras avait fait obtenir à tenait. Fouché avait donc hôtel' à Paris, château
Fouché les fournitures de. l'armée d'Angleterre. en province il avait vingt fermes, deux paroisses
Puis, l'ex-oratorien s'était attaché à l'un des rois entières en Champagne dont il payait les curés
du jour, Hainguerlot le financier. Hainguerlot des biens aussi en Provence, jusqu'en Westpha-
était alors poursuivi pour affaires véreuses de- lie et dans le Hanovre, voire des couvents au
vant le tribunal civil de Melun. Or il se trouvait fond de la Basilicate et de la terre d'Otrante.
que ce tribunal avait pour président Gaillard, an- Encore une fois quelle était, quelles étaient les
cien collègue de Fouché à Arras et à l'établisse- origines de cette énorme fortune?
ment de Juilly. Fouché, qui était resté dans les Nous savons que M. Madelin écarte le reproche
meilleurs termes avec Gaillard, lui recommanda de malversations. Mais il restait la gestion des
chaudement Hainguerlot lequel, reconnaissant, jeux. En l'an XIII, la ferme était de trois à quatre
l'associa à ses affaires, l'aida, le conseilla, le mit millions. Napoléon en prescrivait et en surveil-
à son tour en rapport avec un autre financier, lait, il est vrai, la répartition; mais, pour con-
Walkiers, de Bruxelles. Walkiers et Fouché tri- quérir ou conserver les bonnes grâces du mi-
potèrent d'accord, semble-t-il, dans les affaires nistre de la police, les fermiers lui servaient sur
de la contrebande et de la fourniture des armées. leurs gains un imposant tribut. Le baron Pas-
Si ce n'était pas encore la richesse, c'en était quier, momentanément chargé. en -1814, de la
du moins l'accès. police générale, raconte que les fermiers lui vin-
Fouché y aborda véritablement, une fois mi- rent proposer, lorsqu'il entra en fonctions, la
nistre de la police générale. Il pouvait, dans cette somme de 3000 francs versée par jour, pendant
fonction, prendre auprès de ses prédécesseurs de dix ans, à )i ouché et à Savary, duc de Rovigo.
fructueuses leçons personnelles. Ne faisait-on Et puis Fouché spéculait; il jouait ou faisait
pas fortune dans la police?Ayant 1789, un ins- jouer à la Bourse. Les victoires de Napoléon,
pecteur, AI. Puissant, n'avait-il pas su,'avec un que le ministre connaissait le premier de tout
traitement de 4 000 livres, devenir plusieurs fois Paris, s'apprenaient par les achats du duc
millionnaire ? L'exemple était encourageant. d'Otrante sur le marché. Ne se vanta-t-il pas lui-
A cette époque Fouché n'avâit pas lavanité des même à l'Empereur, en 1809, d'avoirspéculé sur
titres et des décorations. Il préférait, ayant me- Wagram?
suré la puissance de l'argent, les espèces son-
nantes et trébuchantes. Nous avons vu que, vers
1794, il n'avait guère que 2 000 francs de revenu. On ne sera plus surpris maintenant du chiffre,
Mais sa fortune, fondée par son association avec colossal pour l'époque et qui serait encore fort
Hainguerlot, avait crû rapidement au cours de appréciable aujourd'hui, auquel s'élevait la for-
son premier ministère. tune de Fouché après quelques années passées
Lorsque Bonaparte le disgracia, ou, pour être au ministère de la police.
plus exact, lorsque le ministère de la police fut Quand l'atteignit sa seconde disgrâce, Fouché
déclaré inutile,, Fouché reçut, assure son ami se retira à Aix-en-Provence. Descendu à l'hôtel
Thibaudeau, à titre de gratification la moi- des Princes, il loua immédiatement l'hôtel de
tié du reliquat des fonds de la police, soit Forbin, un des plus beaux de la ~·ille. On l'ac-
1 ?00 000 francs. Bonaparte lui accorda, de plus, cueillit en Provence avec une curiosité exempte
sous forme de sénatorerie,-la sénatorerie d Aix- de bienveillance, mais qui se changea en consi-
en-Provence, une rente viagère de 20 000 à dération lorsqu'on le vit secourir nombre de
25 000 livres.
pauvres gens. Car si Fouché était riche, il était
Dans la curée de l'Empire, Fouché n'avait pas généreux.
été oublié. Il reçoit, en 1808, 20 000 livres de Le sous-préfet d'Aix, M. de d'Arbaud-Jouques,
rente en Hanovre, plus 2 000 en Westphalie; peu introduisit dans l'aristocratie le ministre déchu.
de mois après, 20038 nouvelles livres de rente, Les Castellane-Majastres, de souche princière,
en fIualité de comte de l'Empire l'année suivante, ouvrirent leurs portes à Fouché. C'est alors qu'il
outre un supplément de 2 358 livres en Hanovre, fit la connaissance de Mlie Gabrielle de Castellane
le titre de duc d'Otrante lui en vaut 60 000 dans qu'il épousa en 181:>, après trois ans de veuvage.
le royaume de Naples. Louis XVIII signa au contrat.
Tous ces dons, tous ces traitements accumulés La fortune de Fouché ne s'accrut guère, ne
portaient à 225 000 livres environ les revenus of- s'accrut point du fait de cette union, mais l'an-
ficiels de Fouché. Mais, dès 1810, dit Savary, il cien régent de collège aux appointements an-
possédait, du fait de sa propre fortune, 20000' li- nuels de 120 livres n'était-il pas assez riche pour
vres de rente. Dès l'Empire, il avait rue Cérutti, deux?
en pleine Chaussée-d'Antin, un hôtel qu'il habi- C'est ici, c'est à cette époque de son existence
tait lorsqu'il n'occupait pas le siège du ministère, que nous abandonnerons Fouché. Le rôle de ce
l'hôtel de Juigné. L'immense .41 .~plendide do- politicien retors n'est pas terminé et il,lui reste
maine de Ferrières (dont 4f. Al~pPçe de Roth- assez de temps à vivre encore pour trahir. Mais
schild possède aujourd'hui ~ue pa~f~j~) lui appar- les circonstances ont changé. La gestion des
jeux, si profitable, a passé en d'autres mains que en'ville, ses trois fils et sa fille ne seront pas à
les siennes. Au surplus, s'il a ambitionné la for- plaindre au point de vue matériel.
tune, il a été servi à souhait. Elle lui est venue; ERNEST BEAUGUITTE.
en administrateur diligent il a su la conserver. xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx$sxxxxxxxxxxx
Et quand Fouché mourra, le 26 décembre 1820, Les meilleurs médecins sont les docteurs Régime,. Con-
à Trieste, exilé, maudit, après avoir erré de ville tentement, Repos. PROVERBE ANGLAIS..
L'ARTILLERIE AGRICOLE
Voilà deux mots dont la rencontre étonnera cent six artilleurs. Qu'arriva-t-il? c'est que la
bien des gens: d'un côté, le bruyant substantif commune qui tenait jusque-là le record 'de la
à l'allure soldatesque; de l'autre, le tendre qua- grêle est classée aujourd'hui parmi les moins
lificatif qui fait' rêver pipeaux et pastorales. touchées de la région. Et qu'on ne s'y trompe
Pourtant la chose existe l'artillerie agricole, pas, le fléau, en ces dernières années a sévi par-
encore que d'invention récente, est entrée au- tout aux environs, n'épargnant que les vignes
jourd'hui dans le domaine de la pratique. Mais, protégées.
si nous voyons dans les champs le canon côtoyer Aujourd'hui d'ailleurs le .canon paragrêle a été
la charrue, c'est que nos viticulteurs avaient à se singulièrement perfectionné: Voyez ceux que
défendre contre un ennemi terrible la grêle, la construit M. Vermorel, directeur de la station
grêle qui, en une heure, met à néant le travail viticole de Villefranche,et dont nous donnons ci~
d'une année. contre le croquis. Nous sommes loin des mor-
Le procédé grandinifuge est d'importation tiers primitifs dont se servit M. Stiger. Munis
étrangère. d'lmê culasse en acier, formant bascule, sur-
Il y a déjà plus de vingt ans, l'illustre profes- montés d'un vaste entonnoir, dont nous dirons
seur Bombicci, de l'Académie de Bologne, préco- plus loin l'utilité, les 'canons de M. Vermorel
nisait, en un curieux mémoire, l'usage du .tir sont établis d'apr ès des données scientifiques ses
contre la grêle; mais, c'est seulement en 1896 modèles ont été successivemènt modifiés con-
qu'on s'avisa de procéder à de sérieux essais, forinément aux enseignements de l'expérience.
M. Stigér, bourgmestre de Windisch-Fristritz en La guérite qu'on voit près du canon a pour but
Styrie, dont la commune avait été ravagée dix de protéger l'artilleur contre toute possibilité
ans de suite par le fléau, résolut d'expérimenter d'accident elle sert aussi. d'abri aux munitions.
les effets de l'artillerie agricole. Partant de ce Les postes sont reliés entre eux, de telle sorte
principe que les chutes de grêle sont toujours qu'ils puissent se- signaler l'apparition des nuages
précédées d'un calme absolu de l'atmosphère, il suspects: La nuit, les signaux sont effectués au
fut amené à conclure que, en provoquant une moyen de détonations le jour, on se sert de
perturbation artificielle, il empêche les grêlons drapeaux fixés à de longs mâts, comme ceux que
de se former*> nous'représentons ici.
Ses premiers essais furent heureux. Et pour- Grâce à l'amélioration du matériel, les tirs
tant, combien étaient rudimentaires les engins donnent aujourd'hui des résultals qui frappent
dont il se servait! De simples mortiers fixés à les plus sceptiques. Au dire d'expérimentateurs
des troncs de chêne et surmontés de tuyaux de dont la bonne foi égale la compétence, l'effica-
cheminées hors d'usage. cité des détonations serait désormais hors de
M. Stiger eut des imitateurs. Des expériences doute. Le Congrès réuni dernièrementà Padoue
furent faites en Autriche et en Italie. Un député a d'ailleurs reconnu que, partout où le tir a été
-de Padoue notamment, M. Edoardo Ottavi, s'en- bien dirigé, on a écarté le fléau. Quelques in-
thousiasma pour la méthode nouvelle et chercha succès se sont produits, il est vrai, mais les par-
à faire des prosélytes. Par ses soins, un Congrès tisans de la méthode ne voient là qu'un argument
se tint en 1899 à Casale Montferrato, petite ville de plus en faveur de leur thèse, ces insuccès
du Piémont, pour préciser l'état de la question et ayant toujours coïncidé avec quelquè faute de
'c'est de là que date la vulgarisation de la méthode manoeuvre ou avec un manque de munitions.
'paragrèle.Plusipurs de nos compatriotes assis- La possibilité de l'action du tir sur la grêle -est
taient à ce Congrès. Très frappés de la concor- donc un fait acquis. Maintenant qU(111e' base
dance des rapports présentés à Casale, ils en- scientifique faut-il lui assigner? Nous en sommes
treprirent d'en contrôler l'exactitude par des toujours aux hypothèses, et il est d'autant plus
'expériences personnelles. malaisé d'en sortir que le processus de formation
On a beaucoup parlé des essais faits par l'un de la grêle est encore aujourd'hui mal connu.
'd'>eux, M. Guinand, dans son domaine de Denicé, Certains pensent que les détonations produi-
'e'ù. Beaujolais un vignoble de mille hectares sent dans l'atmosphère une sorte de remous qui
fut pourvu de cinquante-deux canons, servis par empêche la cristallisation des molécules liquides.
D'autres estiment que le déplacement d'air celle-ci transforme la grêle en pluie inoffensive.
déterminé par l'expansion des gaz de la poudre Enfin, une dernière opinion consiste à admet-
agit par dissociation sur les nuages. tre l'existence d'un projectile central de nature
Le plus grand nombre paraît se rallier à l'hy- indéterminée. Les expériences dont nous avons
pothèse d'un projectile gazeux, sorte d'anneau parlé réduisent à néant cette hypothèse les
tourbillonnaire ou tore, comme disent les Ita- cibles déchirées par l'anneau-tourbillonn'offrent
liens, qui serait doué d'une rcelle énergie. On pas trace de ce projectile.
peut évaluer la longueur de sa trajectoire On le voit, si les effets du tir paraissent incon-
d'après son sibilo ou sifflement. testables, son mode d'action reste incertain.
C'est afin de Envi sag eons,
favoriserlemou- en terminant, le
vement giratoiree point de vue bud-
de ce tore, qu'on gétaire. On a
surmonte les ca- prétendu-peut-
nons paragrêles être à l'instiga-
d'énormes en- tion de certai-
tonnoirs ou nes Compagnies
tromblons, qui d'assurances
atteignent par- que l'application
fois jusqu'à une du procédé gré-
hauteur de 8 mè- lifuge tiéce5site
tres. de lourdes dé-
L'existence de penses. C'est
ce tore, contes- inexact.
tée par certains, Il est généra-
paraît cependant lement admis
établie.Des expé- que la zone de
riences récentes protection d'un
ont permis d'en canon est de
déterminer la hectares.
forme et la puis- En Italie on a été
sance balistique. jusqu'à il!. Or
MM.. Gastine et le prix des ca-
Vermorelont, en nons varie entre
effet, imaginé 100 et 180 francs.
d'en relever la Quant au tir, il
trace au moyen revient à 0 fr. 60
de tirs exécutés les douze coups,
sur des écrans si on emploie la
analyseurs pré- poudredeguerre
sentant une cer- et à 2 francs si
taine résistance on use de la pou-
une découpure dre de mine
Vigneron-artilleur faisant partir le canon
annulaire très bourres et cap-
nette ne laisse aucun doute sur le passage du torc. sules figurent dans cette évaluation. En somme,
On en a d'ailleurs fixé l'image à l'aide d'épreuves la dépense par hectare peut être estimée, tout
photographiques. compris, à 15 francs pour la première année
Mais il est également démontré par les expé- et à 3 francs pour les suivantes.
riences de MM. Pertner et Trabert que la puis- Or sait-on le chiffre des pertes que la grêle
sance de pénétration de l'anneau tourbillonnaire, inflige bon an mal an, au vignoble français ?
suffisante pour briser des branches d'arbres à 83 millions et souvent davantage
de faibles distances, devient nulle au delà de Comment s'étonner que, dans ces conditions,
400 mètres. Or il est reconnu que des nuages à nosviticulteurs montrent quelque enthousiasme
grêle occupent des régions bien plus hautes. pour les armes défensivesqu'on leur offre ?
Comment concilier cette certitude avec l'hypo- Celle-ci leur assure-t-elle la victoire?
thèse de l'action directe du tore? MM. Gastine et Nous n'osons l'affirmer. Les expériences faites
Vermorel ont proposé l'explication suivante jusqu'ici créent des présomptions favorables,
elle ne laisse pas d'être ingénieuse. Ils suppo- mais non une certitude.
sent que l'action répétée de l'anneau a pour effet Quoi qu'il en soit, il y a là une idée ingénieuse
de soulever la couche d'air chaud de telle sorte et qui mérite d'être étudiée.
que, transportée dans la région, des nuages, CH. BRILLAUD DE LAlT.T A RDIÈRE.
Petits Conseils aux Voyageurs en Italie ~1'
~$~$
signalées de tous côtés dans les Alpes.. Sl'Jule, la aujourd'hui à l'abri de la dévastation vont être
montagne appelée Benedict-Tobel qui pourtant boisées, et les éboulements, d'autant plus fré-
était, pour ainsi dire, le véritable quartier géné- quents que les côtes sont dénudées, ne seront
ral de \,ennemi, et où venaient d'être exécutées plus à craindre.
les premières' nouvelles expériences, avait été
épargnée aucun mouvement de neige ne s'y
était produit. Le fait était concluant. L'été de la La complaisance est une monnaie avec laquelle les
moins riches peuvent toujours payer leur écot.
même année, les mêmes mesures furent appli- Mm. nU DEFFAPjD.
quées à toutes les montagnes aboutissant à la L'enfant est un sanctuaire où rien d'impur ne doit pé-
ligne du chemin de fer, et l'hiver suivant passa nétrer.
DE PARIS AU CAIRE
PREMIÈRES IMPRESSIONS D'UN TOURISTE
L'impression produite sur le touriste par le ci sont des Anglais, roulant vers la Côte d'Azur à
premier contact de la terre d'Orient est, de la recherche d'un peu de chaleur, et dont l'aspect
toutes les impressions perçues, l'une des plus maladif démontre qu'ils en ont grand besoin. Ils
difficiles à analyser, pour cette raison, qu'il est ne parlent point français, et mon compagnon de
rare d'en être témoin, depuis la première minute, route en est pour son monologue.
et d'avoir, au préalable, Jetemps de définir assez La chose doit lui être pénible car, vingt fois
l'individu, en l'observant sur son sol natal. Pour pendant le voyage, il ne peut s'empêcher de pen-
que cette double donnée ait une valeur, il faut ser tout haut.
encore que le voyageur soit un inconnu, sans Descendu du train, je l'avais complètement
quoi, l'accoutumance à son caractère déforme- oublié, quand, arrivé aux quais d'embarquement,
rait le jugement de celui qui observe. J'ai eu je l'aperçois, se rattrapant, en bavardages avec
l'occasion, à, mon dernier voyage, de réunir les employés des divers bureaux, de son silence
toutes les conditinns requises à une telle étude forcé de tout à l'heure. S'embarquerait-il? Oui,
je vais essayer de la résumer. voici ses bagages; des bagages de bon proprié-
En quittant Paris, par le rapide de nuit, qui, en taire campagnard car rien n'est curieux comme
douze heures, me transporte à Marseille, le ces physionomies de colis. Elles vous disent
hasard veut que, derrière.moi, monte dans le jusqu'aux opinions politiques de ceux que ceux-
compartiment un gros bonhomme, accusant la ci accompagnent. Telle malle aura un air centre
pleine cinquantaine type de bon bourgeois de gauche, sans même être grise telle autre, quoi-
l'Ouest, gros, le teint fleuri, les yeux bleus, em- que grise, aura l'aspect révolutionnaire, en dépit
preints à la fois d'une cordiale jovialité et d'une de sa couleur. Le voilà maintenant sur le bateau;
malice, touchant de près'à la ruse. Une bouche il parle. à tout le monde au personnel, commis-
un peu bridée, aux lèvres minces, tempère sin- saire, maitre d'hôtel, garçons du bord..Il a tou-
gulièrement cette cordialité. Sous la barbe poivre jours une recommandation à faire, une indica-
et sel, le menton s'accuse volontaire; c'est le tion à demander il va et vient sur le pont, d'un
type parfait du Normand, bon vivant, tout en pas brusque presque fébrile. Pourvu qu'il ne soit
restant parfaitement Normand. pas près de moi à table Le commissaire qui est
Cette réserve ne l'empêche point d'être loquace un Marseillais blond, d'allures lui aussi joviales-
pourtant; à peine installé, le premier prétexte, et loquaces, s'est sans doute découvert des affi-
le chauffage du compartiment, lui sert de nités pour lui il l'a mis à sa droite et, à les
matière à des réflexions, faites à haute voix, avec voir, on les dirait liés par une amitié d'enfance.
l'intention bien é:vidente de rompre avec ses Deux fonctionnaires français d'une administra-
voisins la glace. Malheureusementpour lui, ceux- tion d'Alexandrie complètent ce groupe sympa-
tliique et comme la mer est calme, mon voya- train, est allé s'empresser autour des arrivants.
âeur parait complètement heureux. Je l'aperçois de loin, l'air étonné et gêné, au
Cette amitié, ainsi nouée à bord, avec les milieu de ce cadre de luxe cosmopolite, auquel
Alexandrins, va m,e gàter pourtant l'un des plus les grands hôtels de France ne l'ont point fami-
jolis effets que j'attendais; l'impression produite liarisé au préalable. C'est qu'il est tombé en
sur mon compagnon par l'indescriptible bouscu- pleine sortie de table, et l'immense hall du ves-
lade qu'est l'atterrissement son effarement cer- tibule offre à ce moment un8 singulière anima-
tain, au milieu des portiers d'hôtels, de la troupe. tion. Sous le ruissellement de la lumière élec-
hurlante des portefaix, qui se disputent les ba- trique, tombée des lustres et des torchères, le~
gages et de tous les importuns, qui se présentent décor blanc et or se profile en pàleur, qu'accen-
comme drogmans. Ses nouveaux amis le font tuent les plantes vertes,' qui donneraient à ce
débarquer sans encombres ce qu'il devient à hall des aspects de jardin d'hiver, n'étaient les
Alexandrie, je l'iânore pareillement. lourds tapis de Perse aux nuances amorties qui
Je le retrouve dans le train du soir qui me s'étendent sur le dallage. De place en place, des
mène au Caire il est monté dans un autre wagon fauteuils d'osier vert d'eau garnis de coussins de
que moi mais bientôt il fera nuit, et il passera soie molle sont rangés autour de tables pareilles,
sans voir même le paysage. Sous la lampe élec- formant corbeilles,. où des gl'oupes de voyageurs
trique du compartiment, il lira sans doute des en tenue du soir, les femmes en robes décolle-
journaux qui lui apprendront les dernières nou- tées, les hommes en snaokaitg, sont assis. Les
velles télégraphiées de France. Des lambeaux de portes des salons entr'ouvel'tes laissent entre-
conversations que j'ai saisis au vol, en route, voir l'enfilade de leurs panneaux lambrissés, de
m'ont démontré qu'il s'intéresse infiniment plus leurs tentures d'Orient, de leurs meubles de
à ce qu'il a laissé derrière lui, qu'à ce qu'il va voir. ~noiacharabryelas, qui, sur un homme aussi peu
Je l'oublierais donc facilement, si, nouveau habitué que le nouvel arrivant au luxe d'ici, pro-
hasard, je ne le retrouvais, l'instant d'après, duisent l'effet d'un mirage de féel'ies. Même à
dans le vestibule de l'Hôtel Continental, où je me Paris, si jamais il est descendu à l'homonyme de
suis rendu directement en voiture, sans attendre I'Iiôtel où il vient de pénétrer, il n'a rien vu qui
les bons offices du portier, qui, à l'anêt du puisse lui faire soupçonner un pareil décor.
Cette impression première va s'accentuer; le l'ordre de suivre la voiture qui le devance, j'ar-
large escalier chargé de tapis, les corridors rive en même temps que lui à la porte de la.
coupés de salons de repos, qui desservent ce mosquée de Sultan Hassan.
caravansérail immense l'armée des valets en La route suivie pour y arriver n'était point
livrée, J'habit noir à boutons d'or, qui circulent faite pour l'impressionn 1er. C'est un boulevard
l'intimident autant et plus que l'entrée dans le d'aspecttriste, où circule un tramway électrique,
hall, le groupe compact des portières chamarrées ouvert au temps du khédive lsmaël, pour relier
et galonnées, celui des grooms indigènes, en le quartier de l'Ezbekiyeh à la citadelle de Saleh-.
costumes de l~azuas, pantalon bouffant, veste et ecl-din, que domine la chaîne des montagnes
gilet de soie cramoisie, et l'orchestre de tziganes, blondes du l\1oquattam. Toute une population
entrevu à travers les plantes au pied du grand italienne, grecque et indigène grouille là, dans
escalier. Il disparait enfin au tournant d'un des maisons européennes. La mosquée se trouve
salon, et je resterais sur cette impression d'ahu- située à l'extrémité, vers la place Roumabijeh.
rissement d'un bon provincial, dans un cadre de Voici mon bonhomme sur le perron, évidem-
haute vie cosmopolite, si un nouveau hasard ment la masse colossale du monument le sur-
encore, celui d'une course, ne me mettait le len- prend le portail en stalactites, le vestibule,
demain matin sur sa trace, et cette fois, l'air avec son incomparable coupole, les corridors
d'étonnement du bonhomme, bien assis au fond étroits qui accèdent à la cour, le dépaysent com-
de sa voiture, une voiture de 1'lii~tel = me plètement.
fait oublier mon but de sortie la curiosité de le Dans cette cour, les baies du sanctuaire et des
,~oir s'enfoncer en pleine ville arabe l'emporte nefs, l'arête des murs, couronnés de merlons en
je hèle un fiacre (lui passe, et donnant au cocher fers de hallebarde se profilant sur le bleu du ciel,
minute. ·
augmeutent encore l'étonnement de. la première
LA COLONISATION DE L'AUSTRALIE
En comparaison des minuscules colonies fran- déniables d'une grande révolution en France
çaises de l'Océanie, 'les colonies fondées par absorbaient l'attention des gouvernements euro-
l'Angleterre apparaissent comme des géantes péens au point qu'ils ne virent dans l'action de
douées d'une vitalité surabondante. La plus l'Angleterre que l'établissement d'un réceptacle
grande d'entre elles, l'Australie; est dès aujour- pour ses malfaiteurs, sans se douter que la prise
d'hui une immense république fédérative, émule de possession de cette immense terre océanienne
des États-Unis. allait lui livrer à la fois le Pacifique et la mer des
Bien humbles cependant furent ses commen- Indes.
cements, et il'n'est pas sans intérêt d'en retracer En 1770, le célèbre capitaine Ce ok avait exploré
l'histoire, connue généralement d'une façon très la Nouv elle-Hollande et reconnu sa partie orien-
superficielle. tale, à laquelle il avait donné le nom de Nouvelle-
L'Angleterre avait perdu sa grande colonie Galles du Sud. Banks, l'un des compagnons du
américaine et c'était là, en Virginie, qu'elle dé- grand navigateur, indiqua au cabinet de Saint-
versait jusqu'alors son trop plein de corwicts. James cette région comme remplissant à tous les
Elle songea donc à se faire une compensation et points de vue le but proposé.
enmême temps à assurer, comme par le passé, Sur les onze navires de l'expédition, neuf por-
l'écoulement de ses déchets sociaux. D'abord ce taient des condamnés et trois des instruments,
fut à la Nouvelle-Écosse (Acadie) ou au Canada des vivres et des munitions. Le nombre des pas-
qu'on songea, mais des rapports pouvaient faci- sagers de toutes catégories s'élevait à 1 040, dont
lement se nouer entre ces pays et les nouveaux 560 hommes et 192 femmes convicts, plus 18 en-
États-Unis, dont l'indépendance venait d'être fants appartenant à des familles de condamnés
proclamée, et l'esprit de révolte contre la métro- Le reste du convoi comprenait des soldats de
pole pouvait facilement se communiquer des an- marine, des femmes de soldats, des officiers et
ciennes colonies aux nouvelles. des fonctionnaires de tous grades.
Bien des projets furent mis en avant, discutés Le voyage, retardé par des relâches à Ténériffe,
et abandonnés enfin, le 13 mars 1787, un convoi Rio-de-Janeiroet au Cap, dura huit mois. Enfin,
de onze navires, dont deux, le Supply et le Sy- le 18 janvier 1788; la flottille jeta l'ancre à la
rius, appartenaient à la marine royale, mettait à baie Botanique (Botany Bay).
la vôile pour la terre appelée jusqu'alors Nou- Cette partie de l'Australie avait été décrite par
velle-Hollande, nom qui devait être remplacé par Cook et Banks comme offrant un sol fertile et
celui d'Australié. bien arrosé. Mais Cook, chezlequelle marin était
Le choix de cette nouvelle colonie avait été dé- quelque peu doublé d'un poète, avait fortement
terminé de façon 'très sagace. Les prodromes in- exagéré les richesses naturelles d'une région ex-
plorée très superficiellement et souvent à dis- ture fut donnée de sa commission et des lettres
tance. Les premiers arrivants n'y trouvèrent que patentes instituant divers tribunaux cours de
d'immenses marécages, repaires de fièvres où vice-amirauté, de justice civile et de justice cri-
croissaient palétuviers, roseaux gigantesques et minelle. Cette dernière avait, dès le lendemain,
autres végétaux sans valeur qui, de loin, déco- à juger plusieurs délits, ce qui n'est pas étonnant
raient ces fondrières et leur donnaient un aspect si l'on songe aux éléments qui composaient la
trompeur de pays fertile. Ailleurs, c'étaient des colonie naissante.
steppes sablonneuses et arides, et là où le terrain Cependant, parmi ces convicts tous n'étaient
paraissait plus propre à l'agriculture, l'eau man- pas des malfaiteurs. Beaucoup avaient été 'ra-
-quait. massés au hasard ou à raison de leurs opinions
Le capitaine de vaisseau Arthur Philip, chef de politiques ou religieuses parmi eux, nombre
l'expédition, avait été nommé gouverneur « de d'Irlandais.
tout le territoire appelé la Nouvelle-Galles du En même temps, une petite colonie fut formée
Sud, s'étendant depuis le cap York, ou extrémité à Norfolk, ile de cinq lieues de long sur trois de
:Nord de la côte, jusqu'à l'extrémité Sud ou cap large, située au nord-ouest de la Nouvelle-
Sud de la même terre et de tout l'intérieur du Zélande, à douze cents kilomètres de Botany-
pays à l'Ouest, sans en excepter ni les îles adja- Bay.
centes de l'océan Pacifique, ni les villes, garni- Bien que Cook, qui avait découvert cette île
sons, citadelles, forts ou autres fortifications et en 1774, eût un peu trop vanté ses avantages, la
ouvrages militaires qui pourraient être élevés colonie qui y fut créée prospéra relativement
par la suite sur le territoire ou sur quelqu'une jusqu'au commencement de l'année 1804 et, plus
des îles enclavées dans cette large prise de pos- d'une fois, Sydney, menacé par la disette, lui
session. » C'était un homme d'initiative qui ne dut des secours inespérés. Puis vint une période
craignit pas de désobéir à la lettre de ses instruc- de complète décadence des déboisements irré-
tions lui enjoignant de débarquer les convicts à fléchis, des défrichements malhabiles, qui, la
Botany Bay. Il suspendit le débarquement et privant de la protection de ses grands arbres, la
partit avec une élite d'officiers et de marins, em- livraient aux vents d'Est, mirent fin à l'abondance
barqués sur trois chaloupes, pour reconnaître le de ses récoltes. Norfolk fut abandonné pour la
littoral au Nord. Tasmanie qui, beaucoup plus vaste, offrait des
Cette exploration permit de découvrir, à une ressources plus grandes.' Cependant, quelques
distance de seize milles, la magnifique baie de colons persévérants, auxquels le choix était
Port-Jackson, vaguement signalée par Cook laissé, préférèrentrester dans la petite île, où ils
comme un abri et qui, large de deux milles à son finirent par réaliser d'assez beaux bénéfices en
entrée, longue de treize, s'étend progressive- fournissant des vivres frais aux navires de com-
ment en un bassin immense, contenant une cen- merce et aux baleiniers y faisant escale; quelque
taine de petites anses bien abritées, bassin où vingt ans plus tard, Norfolk fut réoccupé et
évolueraient toutes les flottes du monde! transformé en simple pénitencier.
Le choix de Philip fut aussitôt fait et, le 96 jan- Pénibles entre tous furentles commencements
vier 1788, la flottille anglaise, mouillant à Port- de la grande colonie australienne. Absorbé par
Jackson, en prenait possession, déployant solen- les graves complications européennes, le gou-
nellement le drapeau britannique. Les indigènes, vernement anglais avait à peu près abandonné à
indifférents ou, tout au plus, vaguementétonnés, son sort l'établissement créé par Philip. Peut-
assistèrent sans comprendre à cet acte qui allait être aussi, se disait-on dans la métropole que
changer leurs destinées. l'avenir d'une colonie de conà~cts importait peu.
Deux jours auparavant, les Anglais avaient vu Les premières récoltes furent bien au-dessous de
apparaître deux bâtiments français c'étaient ce que l'on attendait; la rêche, sur laquelle on
l'Astrolabe et la Bouss.ole, commandés par Lapé- avait fondé de grands espoirs, était tout à fait
rouse, qui donnaient pour la dernière fois de insuffisante à assurer la subsistance quotidienne
leurs nouvelles et devaient, à peu de temps de là, et, plus d'une fois, ce fut aux apports de vivres
périr misérablement sur les récifs de Vanikoro. des pauvres sauvages que les Européens durent
Après avoir débarqué cént douze condamnés, de ne pas mourir de faim. Mais déjà avec ces
les moins impropres aux travaux de construction sauvages éclataient des rixes fréquentes les in-
ou de culture, Philip fit éleverles premiers bâti- digènes commençaient à comprendre que ces
ments d'une ville à laquelle il donna le nom de étrangers à peau blanche étaient non pas seule-
Sydney, en l'honneur du premier secrétaire ment des voisins, mais surtout des maîtres.
d'État anglais. Un hôpital, un observatbire; un La grande ressource des Australiens était le
magasin aux vivres, furent édifiés èn même. kanguroo dont la chair servait à l'alimentation
temps que la maison du gouverneur. et dont la fourrure constituait un vêtement. Mais
Le 7 février, devant les troupes rangées en le kanguroo, comme les rats dont on était déjà
bataille et devant les convicts, le gouverneur pro- infesté, constituait un péril pour les récoltes, et
<:éda en grande pompe à son installation. Lec- de grandes battues, détruisant ou refoulant les
marsupiaux, vinrent priver les aborigènes d'un taureaux, génisses. C'était la progéniture mul-
de leurs principaux moyens de vivre. tipliée prodigieusement des cinq animaux fu-
Au mois de mai 1788, il existait à Sydney un gitifs. Très sagement Hunter laissa tout ce
étalon, trois poulains, deux taureaux, cinq gé- monde ruminant à son indépendance, le plaçant
nisses, vingt-neuf bêtes à laine, dix-neufchèvres, sous la sauvegarde publique comme propriété de
soixante-dix-huit cochons, cinq lapins, dix-huit l'Etat et lui permettant de se reproduire dans les
dindes, vingt-neuf oies, trente-cinq canards, meilleuresconditions. Ce fut ainsi que l'Australie
cent quarante-deux poules et quatre-vingtcsept se créa une de ses principales sources de richesse-
poulets. C'était bien peu, et ce peu fut encore Mais avant d'en arriver là, nombreux furent
réduit par la mort d'un agneau et de cinq brebis, les jours de détresse. Les années de 1 i89 et 1 i9(}
étranglés par des chiens sauvages, ainsi que par furent marquées par la disette et par des épi-
la disparition des deux taureaux et de quatre des démies dont heureusement l'extension fut en-
génisses. La cinquième qui restait était si faible rayée par l'extrême salubrité du climat. Enfin,
qu'il fallut la tuer. Cette diminution inquiétante les premières années du xixe siècle virent la
du petit nombre d'animaux importés fut un coup colonie définitivement hors de danger, à même
sensible pour la colonie naissante. Qui alors eût de lutter par sa richesse agricole et ses produc.-
pu prévoir que l'Australie, se peuplant un jour tions animales avec les pays du vieux monde.
de bêtes à cornes, deviendrait, avec la Plata, le Prospérité que devait accroître en fin de compte,
grand pays d'élevage?`? la découverte de mines d'or, de cuivre et de
Huit ans plus tard, une excursion du gouver- charbon en dépit des excès, des folies et des.
neur Hunter faisait découvrir, vivant en pleine crimes que la soif du métal jaune entraîne tou-
liberté dans l'intérieur du pays, un troupeau jours
d'une centaine de bêtes à cornes, veaux, vaches, TALAMO.
Voici un objet curieux et rare, de haute collec- sont également en,argent. La longueur du sifl1et
tion, auquel s'intéresseront tous ceux qui s'oc- lui-même atteint 14 centimètres alors que lahau-
cupent d'archéologie. Il a été recueilli tout ré- teur des chaînettes avec le porte-mousqueton
cemment parmi les sables dragués en Loire, à est de 18 centimètres.
Bretagne fut réunie à la France. Aurait-il été im- mettra-t-elle d'obtenir à ce sujet des renseigne-
mergé, soit au temps des noyades de Carrier, ments que nous nous ferions un véritable plaisir
soit pendant les guerres de la Vendée?2 d'enregistrer.
Péut-être l'érudition de nos lecteurs nous per- Z.
Le fiord étroit et sombre sur lequel nous faut bien que d'aucuns préviennent ce danger et
voguons serpente entre les montagnes qui, la famille Horge était une lignée sainte d'hom-
abruptes, descendent dans l'abîme profond. mes forts qui veillaient à l'observance des com-
L'horizon est si fermé et l'eau a si peu la couleur mandements de Dieu et au bien des paysans aussi
de la mer qu'on ne peut se croire en communi- fidèlement que les sommets faisaient garde
0ation avec le grand Océan, ni avec le monde autour de la vallée.
qu'il charrie, mais qu'on s'imagine plutôt être Mais un prêtre d'un autre nom vivait dans la
sur un lac solitaire près d'aborder au pied des blanche maison de la colline au moment où
glaciers bleuissants quand on arrive à l'extré- commencenotre histoire. Maintenant, il n'y avait
mité du fiord et que les sentinelles s'écartent, au presbytère plus rien qui rappelât les IIorge,
on découvre l'objet qu-'elles gardent si bien, si ce n'est les vieux livres à la reliure épaisse
planté sur une colline verte; c'est une maison qui y étaient restés. ces volumes, c'était une
blanche autour de laquelle les bouleaux frémis- puissance de savoir qui aurait rendu patient
sants veillent aussi, et, plus haut, une église l'homme le plus bouillant, et, pendant les soi-
brune dressant dans l'air bleu sa flèche élancée. rées d'hiver, le prêtre montait dans son cabi-
La vallée s'étend profonde et silencieuse comme net et regardait les précieux in-folio étendus sur
une tombe ouverte que les montagnes menacent leur large dos.
de remplir; la seule chose qui monte, la seule A présent nous allons raconter comment la
qui rappelle de plus larges vues et la vie sur une paroisse avait changé de pasteur.
plus grande échelle, c'est cette croix qui, telle Le dernier prêtre avait un fils, qui s'appelait
qu'une croix sur une tombe, s'élève contre le Kjeld et qui était aussi destiné à devenir prêtre.
ciel. Mais au lieu que les autres fils de la famille
Si quelqu'un entre dans la vallée et parle aux avaient été envoyés à la ville aussitôt qu'ils s'é-
gens qui y demeurent, il entend bientôt citer taient trouvés en âge d'aller à l'école latine, Kjeld
le nom de Horge. Là-haut, dans les montagnes, était resté à la maison. Le prêtre aurait bien voulu
il y a une ferme qui s'appelle ainsi; mais la qu'il partH, seulement sa femme ne pouvait s'en
famille qui a rendu le nom grand et cher dans séparer. De plus, elle était certaine que son fils
le pays n'y habite plus. Pendant bien des an- était assez bien doué pour n'avoir pas besoin
nées, elle a demeuré dans la petite maison qui d'une autre éducation que celle que pouvait lui
nous regardait, sur la mer où nous naviguions. donner son père. Et Kjeld devint grand et vigou-
Car un jour, un homme de cette race s'en était allé reux, tranquille et doux et la pensée qu'il était
dans la montagne où il était resté, longtemps et appelé il. devenir une merveille grandit aussi
à son retour il était devenu prêtre de la paroisse. chez la mère; mais la science de Kjeld ne gran-
Dès lors, de père en fils, les Horge avaient dissait pas. Quand le temps vint où l'on décida
rempli les fonctions de prêtres dans cette cure que cette situation ne pouvait durer plus long-
et la famille était de la sorte une-grande famille temps, la mère découvrit que Kjeld avait trop de
dont on vénérait tOtitesJesparoles..II avait, brisé valeur pour n'être qu'un prêtre de campagne,
de fortes attaches celui' q.ui le premier était qu'il- deviendrait célèbre et rendrait sa race
monté sur lamontagne et il avait'obéi à la voix
de Dieu lorsqu'il était revenu pouf être';prétre.
dans cet endroit; voilà pourquoi Ia`çollüié·vérie
brillait d'un éclat singulier les paroissien~sa-
vaientque les plus heureux comme les plus triStes
le
fameuse et honorée dans d'autres sphères que
"¡celle de la paroisse. Ainsi, pour la première
°, accompli.
voyage dans la montagne ne fut pas
m
Prétoria où l'on n'a vu jusqu'ici que des prisonniers
anglais. Le malheureux, il ne peut empêcher les vement réglée. Souhaitons que celle des indemnités
Boërs de cOllper sans cesse la ligne de chemin de à payer aux diverses puissances ne détruise pas l'ac-
fer entr.; Bloemfontein, Johannesburg et Prétoria, et cord parfait qui règne aujourd'hui.
il songerait sérieusement à allonger ses lignes de HENRI MAZEREAU.
communications de plusieurs centaines de kilomè-
tres? C'est bien invraisemblable. Avant de pénétrer
dans le nord, il lui faut d:abord se débarrasser, sur
son flanc droit, de la petite armée de Botha, qui tient
tète victorieusement aux sept colonnes anglaises de
French puisque ce dernier se trouve impuissant à
accomplir la mission dont il était chargé. On dit LA VIE DRAMATIQUE
même à Londres, mais le War Office a gardé jus- M. Brieux est sans contredit un de nos .premier~
qu'ici le silence sur cette affaire, que le général auteurs dramatiques. Il s'est donné pour mission de
Smith Dorien, commandant l'une des colonnes,'qui mettre sur la scène les vices et les misères de. notre
opèrent sous la haute direction de French, a été battu pauvre société décadente il: les étudie dans leurs
à plate couture par Louis Botha. Onparle,p.e moindres détails, les dissèque, pour ainsi dire, puis
300 blessés qui auraient été évacués sur Standerton les jette dans leur saisissante nudité sous les, yeux
à l'issue de ce combat.
Voyons maintenant ce.qu'est devenu de Wet. Il est
évident aujourd'hui que l'insaisissable guerillero est
et toujours intéressant.
du publio. C'est souvent très beau, rarement eJ¡agéré'
1~ MARS 1901. fi
MIREILLE
Un grand.poète l'a chantée, un glorie1,lx musi- line où s'épanouit la grâce robuste de ses vingt'
cien l'a fait vivre en d'immortellesharmonies; il ans. C'est l'amoureuse de Vincent quand tous
appartenait à un peintre provençal de la fixer en les deux, « au fond du bois silencieux », roucQU-
une toile de maître. lent le dialogue où passent follement toutes les
La voici, la belle Mireille, sortant de l'église, métaphores de la terre et du ciel. Elle est celle
grave et recueillie. C'est le jour des Rameaux; qui rêve aux étoiles et qui danse au son, des
des mendiants sont à la porte, les mains chargées tambourins.
de feuillages verts qui tout à l'heure seront bénis. Mireille, c'est la vraie, fille de Provence, telle
Mireille passe à un pauvre petit souffreteux qui que l'a comprise et immortalisée Frédéric
l'implore, elle fait l'aumône, d'un geste discret. Mistral. La beauté païenne a sculpté son profil,
Quelle noblesse et quelle grâce en cette jolie la chaleur de notre Midi brûle dans ses yeux
fille dont le pittoresque costume souligne encore profonds; son rire insouciant est de la musique,
la beauté! son cœur est fleuri de bonté ingénue.
Je me l'imagine la soeur aînée de la douce Arlé- Mireille! ce nom même, qui est devenu Un
sienne qui, dans la cathédrale de Saint-Tro- symbole, me semble, tant il dégage de couleur
phime, intriguait les saints de pierre dans les et de lumière, fait d'un rayon de soleil.
niches du portail CII. FORMENTIN.
Li Sant de peiro, en la vesent
Sourti de longo la derriero
Souto lou porge trelusent
E se gandi dins la carriero, Le "~lirabeau" de Houdon
Li Sant de peiro amistadous
Avien pres la chatouno en grâci
Et quand, la niue, lou têms es dous, La belle reproduction du « Mirabeau », de
=Parlavon d'elo dins l'espaci (1). Houdon, que nous avons donnéedans le numéro
Mais ce n'est pas là toute la Mireille, et le du 5 février dernier, nous a valu de toutes
peintre ne nous en a donné que la physionomie parts de nombreuses et chaudes félicitations.
grave, le maintien chaste qui lui sied un matin Nos lecteurs veulent bien apprécier le souci
de dévotion. d'art que nous ne cessons d'apporter dans la
Mais, vienne l'heure des farandoles et des Rédaction du Magasin Pittoresque, et leur
idylles sous les oliviers! alors,.le visage de Mi- fidèle sympathie nous encourage.
reille s'illumine, elle devient la gaie rieuse qui Mais à propos de ce merveilleux buste de
tourne la tête aux paysans d'alentour; car elle est Mirabeau, qui fut l'un des gros succès de l'Ex-
l'irrésistible ensorcelleuse avec-ses grands yeux position au Pavillon de la Ville de Paris, il est
noirs, sa taille souple et son fichu de mousse- de notre devoir d'attribuer à chacun la part de
mérite qui lui revient..Les coinpliments de nos
(1) Les saints de pierre, la voyant sortir fous less
jours la dernière sous le porche resplendissant et
abonnés doivent aller surtout à M. Ch. Dela-
s'acheminer dans la rue, les saints de pierre bienveil- grave, le grand éditeur parisien, à qui appar-
lants --avaient pris en grâce la fillette; et quand, la tient ce parfçrir chef-d'ceuvre et dont le goût
nuit, le temps est doux, Ils parlaient d'elle dans l'es-
pace. artistique est connu de tous.
LE TRAIN SIBERIEN
NEUF JOURS EN CHEMIN DE FER
Nous sommes heureux de pouvoir mettre au- Il faut d'abord se rendre compte que la durée
jourd'hui sous les yeux de nos lecteurs, gràce à du trajet dont il s'agit est d'environ neuf jours et
l'extrême obligeance du très distingué Directeur autant de nuits. Cette durée tout à fait excep-
des chemins de fer de l'Etat russe, une descrip- tionnelle du parcours, qui dépasse de près de
tion, illustrée de photographies encore inédites, cent heures celle, si longue déjà, de la traversée
des nouveaux trains rapides sibériens qui cir- du continent américain, de New-York à San-
culent régulièrementdepuis quelque temps entre Francisco, et qui s'augmentera d'au moins quatre
Moscou et Irkoutsk. jours et demi quand le Transsibérien aura atteint
son point terminus, Port-Arthur, a nécessité un les infiltrations subreptices du vent, de la pous-
aménagement spécial des wagons. En outre le sière et de la fumée. Les passerelles qui relient
-climat rigoureux de la région nord-asiatique, où les voitures entre elles sont très large: garnies
le thermomètre descend parfoisjusqu'à 0 degrés de tapis, et leurs soufflets, en cuir, ont été dou-
au-dessous de zéro, devait obliger les ingénieurs blés de drap, toujours pour se garder de la pous-
des chemins de fer de l'Etat russe à créer un sière êt du froid..
matériel roulant, parfaitement chauffé et ventilé, Quant au chauffage, il s'effectue par circulation
et dans la construction duquel l'hygiène et le d'eau chaude. L'appareil consiste en un poêle,
confort avaient, plus que partout ailleurs, à être un dilatateur et en dispositifs spéciaux per-
également satisfaits. mettant d'augmenter la circulation d'eau et de
On ne sera donc pas étonné d'apprendre que régler la température à volonté, dans chaque
les études qui ont précédé l'exécution du premier compartiment. Quinze à vingt minutes suffisent
<train rapide sibérien, ainsi que l'aménagement pour chauf1'er tout le train, dont la température
des voitures qui le composaient, n'ont pas de- moyenne, par les froids les plus intenses, ne
mandé moins de quinze mois de travail. Mais descend jamais au-dessous de 15 degrés centi-
entrons tout de suite dans le vif du sujet et grades.
procédons v la description détaillée des cinq L'air vicié s'échappe par des ventilateurs
:grands véhicules à intercommunication, dont d'appel installés dans les voitures. Le train mar-
l'ensemble constitue le plus merveilleux hôtel chant à une vitesse de .{.O kilomètres il l'heure,
sur roues qu'on ait mis en circulation sur les il faut une demi-heure environ pour renouveler
voies ferrées de l'ancien continent. complètement l'atmosphère du wagon. En outre
Cinq voitures, disons-nous, à savoir un wagon de celte aération, on a placé des ventilateurs
de première classe, deux wagons de deuxième électriques à effet rapide dans les compartiments
classe, un wagon-salon salle à manger-biblio- oü l'air vicié se produit et s'accumule en plus
thèque et un fourgon zt bagages. grande quantité, par exemple la salle à manger,
D'une façon générale, tous ces véhicules sont la cuisine et la chambre des chaudières.
à huit roues et à bogies. Pour diminuer autant Est-il besoin de dire que les trains sibériens
que possible les trépidations, si fatigantes à la sont éclairés à l'éleetricité? Une turbine il vapeur
longue, la suspension de la caisse sur les essieux actionnant une dynamo de cinq chevaux, et deux
est double; on l'a obtenue au moyen de ressorts batteries d'accumulateurs, disposées sous le
ù lames elliptiques en acier doux et au moyen de fourgon il bagages, fournissent le courant de
ressorts a hélice d un type nouveau. soixante-cinq volts nécessaire il l'incandescence
Des paravents ont été disposés aux fenêtres, de des cent vingt lampes intérieures et extérieures
manière il protéger l'intérieur du wagon contre du convoi.
Innovalion très ingénieuse: les globes du pla- aux cartes, aux dominos ou aux échecs, le jeu
fond des compartiments-couchettes ont été mu- favori des Russes.
nis d'un interrupteur automatique qui éteint ou La salle à manger occupe un espace de 8~?-0
rallume la lampe suivant que l'on ferme ou que de longuem sur 3 mètres environ de largeur.
l'on ouvre le rideau. Neuf petites tables, pouvant recevoir vingt-huit
Le train peut transporter pendant le jour et personnes ensemble, composent le mobilier
coucher pendant la nuit dix-huit voyageurs de principal. Les voyagems ont la faculté, en outre,
première et quarante-huit dé seconde classe. de se faire apporter dans leurs compartiments le
Autre particularité bien pratique les places sont thé, le café et les rafraîchissements.
toutes numérotées. Chaque numéro est porté sur Les repas ont lieu à heure fixe; le restaurant'
le billet, de telle sorte que la place devient en et le buffet restent cependant ouverts de huit
quelque façon la propriété du voyageur pendant heures du matin à minuit, et les gens de service-
la durée complète du trajet. Un tableau, fixé à sont tenus de préparer, à, toute heure, sur un
Salon-bibliothèque.
l'entrée du ~agon et muni de chiffres mobiles, fourneau électrique ad hoc, les infusions diverses,
indique le nombre de places libres ou occu- le lait et l'eau chaude dont on pourrait avoir
pées, ce qui facilite encore la recherche d'un besoin.
« coin propice aux personnes prises en cours Une salle de bains, pourvue d'une baignoire
de route. en fonte émaillée et d'un appareil à douches trl~S
Décrivons à présent en détail les aménage- complet, a été installée dans un des wagons. Sa
ments spéciaux qui font des rapides sibériens le disposition intérieure est pareille à celle de tous
matériel-type des trains modernes pour les les cabinets de toilette du train plancher recou-
grandes distances. Un verra que nous n'exagé- vert d'un carrelage de porcelaine et murs re-
rons rien. vêtus, jusqu'à la hauteur des fenêtres, de plaques
La bibliothèque d'abord, attenante à la salleà en faïence décorée. Le reste des parois et le pla-
manger, constitue comme un petit salon élégam- fond sont ornés d'un élégant panneautage en
ment meublé, où l'on trouve une centaine de bois verni.
volumes en langue russe, de nombreux ouvrages Pour les douches comme pour les bains, deux
étrangers, des cartes, des périodiques et les jour- robinets donnent à volonté l'eau chaude ou l'eau
naux des principales villes traversées. On y froide avec une pression maxima de deux atmo-
trouve aussi les meilleures publications offi- sphères. Le réservoir d'alimentation, placé sur
cielles et privées ayant trait à la Sibérie. le toit de la voiture, contient une provision d(--
En dehors de la lecture, les voyageurs peuvent douze cents litres, fréquemment renouvelée.
s'y livrer aux douceurs de la musique, car il Mais il y a mieux. Les ingénieurs ont pensé
3- a un piano, ou bien se distraire en jouant qu'il ne serait pas inutile, afin de permettre aux
-voyageurs de combattre la fàcheuse ~ourbature lette en chambre noire. A cet effet, la fenêtre et
produite par un.séjour aussi prolongé dans les la porte peuvent être couvertes d'épais rideaux
wagons, d'y adjoindre une salle de gymnastique. ne laissant pénétrer aucune lumière, et l'insial-
lation est complétée par une lampe électrique à
Et c'est pourquoi le train sibérien comporte verre rouge et des cuvettes spéciales. Rien n'a
10uteune série d'appareils de gymnase et en été oublié, comme l'on voit.
même temps d'hygiène, mis gratuitement à la En plus de l'équipe ordinaire des conducteurs
disposition de ceux qui ont besoin de se dé- que fournit chaque Compagnie dont le train sibé-
.gourdir les bras et les jambes. Ces appareils con- rien emprunte les voies, les voyageurs sont ac-
sistent en haltères, cordes élastiques, bateau, compagnés pendant toute la durée du trajet par
-ergostate et vélocipède de chambre. un personnel fixe comprenant un mécanicien,
Un bateau! direz-vous. A la vérité, il s'agit un électricien, un chef de train, quatre conduc-
.d'un simple cadre avec siège et mécanisme à teurs (un pour chacune des voitures à voyageurs),
leviers qui permet d'obtenir un travail des trois cuisiniers, cinq garçons de buffet et deux
muscles analogue à celui qu'on ferait en ramant préposés au chauffage et à l'éclairage.
sur un canot ordinaire. Quant à l'ergostate, res- Ajoutons qu'un officier de santé fait aussi
-semblant à un treuil articulé, il sert à exercer partie du personnel des trains rapides. Il donne
principalement les muscles du dos et ceux des les premiers soins aux voyageurs tombés malades,
jambes. Pour les membres inférieurs également, L, et dispose d'une petite pharmacie ainsi que des
le vélocipède de chambre dont nos lecteurs con- instruments de chirurâie indispensables en cas
:naissent le fonctionnement. d'accident. Etpas d 'honoraires il payer. Comme
Enfin, le nombre des touristes qui s'occupent sur les transatlantiques, le senice médical esl
de photographie étant aujourd'hui légion, on a gratuit.
.aménagé, à leur usage, un des cabinets de toi- EDOUARD BONNAFFÉ.
Pour connaître le prix réellement payé pour On ne sait pas exactement où il est à présent,
'une œuvre d'art, il faut ou un procès ou un projet les uns disent qu'il. est en Russie, d'autres qu'il
ode loi ou des renseignements officiels. est à la galerie de peinture de Chicago.
Les chitfres donnés par les amateurs et les Le Gouvernement italien a fait un procès et le
marchands sont sujets à caution tantôt ils sont prince a été condamné, en première instance, à
-forcés, tantôt ils sont diminués. verser au Trésor la somme de 315000 lires, va-
Dans ces derniers temps, nous avons eu en leur qu'il a reçue pour le tableau, de son propre
Italie deux occasions de connaître des prix pa3·és aveu.
~ou officiellement proposés. On dit à Rome que l'intermédiaire a gagné sur
On a vu dans les journaux que le prince Chi~i l'affaire une cinquantaine de mille francs c'est
ktvait vendu la ~lladone aux Épis, par Botticelli, et possible.
.que le. tableau était illicitement sorti de l'Italie. Je ne connais le tableau que par la photogra-
phie les personnages de grandeur naturelle sont C'est la première fois, croyons-nous, qu'une
à mi-corps, le dessin n'est pas parfait comme il peinture atteint un prix si élevé.
arrive quelquefois chez Botticelli; la physiono- A propos d'exportation, on remarque que.
mie de la madone est certainement dans la ma- faute de renseignements précis, les journaux
nière du peintre, mais elle n'est pas frappante français commettent des erreurs.
comme les figures du ~~qgoti~cn,t ou de la Pallas.. Ainsi, ils ont annoncé la découverte près
Un ami, très fort sur Botticelli, a vu le tableau de Pompéi, dans la villa de M. de Prisco, o~
il'le tient comme une ceuvre secondaire, plusieurs déjà on avait trouvé le trésor de Boscoreale,
fois retouchée. à présent au Musée du Louvre, d'une suite de,
A Rome, on regar de ce prix de 315 000 lires peintures murales dont l'intérêt spécial serait
comme très exagéré il parait certain que quel- d'être antérieures aux peintures de la Pompéi,
ques jours avant la vente définitive, le prince ensevelie en l'an ¡g.
n'avait pas trouvé les 170000 lires qu'il deman- Le propriétaire a détaché de l'immeuble les.
dait alors mais est survenu un amateur qui sans murailles peintes et par ce fait, ont dit les jour-
hors
doute voulait absolument posséder un Botticelli naux, les peintures peuvent être exportées
el on lui a fait payer cher son caprice. de l'Italie.
Mais ceci est 'peu de chose à côté du prix de Ce n'est pas exact du tout.
l'Amour sacré et L'Amour profane, de Titien. Nous ne parlons pas ici des édits des cardinaux
Le tableau fait partie de la Galerie Borghèse. Doria et Pacca qui ne sont applicables qu'aux
La Galerie est sous le régime fidéi-commis- anciennes provinces pontificales, mais de la loi
saire; aux termes des lois existantes, les galeries générale qui règle l'exportation des œuvres d'art.
ainsi grevées ne peuvent être vendues qu'à l'État Aucune oeuvre d'art, antérieure au XIX. siècle,
italien, ou à une entité morale italienne elles ne peut sortir du royaume sans une autor isation
doivent de plus, en cas de vente, être vendues spéciale délivrée par un des offices d'export~-
intégralement et rester ouvertes au public. tion qui fonctionnent dans les principales villes.
Le Gouvernement italien a soumis au Parle- L'exportateur doit, en cas d'autorisation, payer
ment une demande de crédit de 3600000 francs, un droit de 1 p. 100 de la valeur de l'objet,
en vue de l'acquisition de la galerie; tableaux et Par exception ce droit est de 21 p. 100 dans les
peintures; le prix avait été accepté par la famille anciens États du Pape.
Borghèse. En cas de contestation sur la valeur de l'objet,
Dernièrement, le prince Borghèse a écrit au on a recours à une expertise.
ministre des Beaux-Arts et lui a fait'laproposi- L'État a toujours le droit de préemption.
tion .suivante Est-ce à dire qu'il n'y a pas de sorties illicites?
La famille Borghèse cède gratuitement à l'État Certainement, il yen a et de nombreuses, pour
toutes les statues et tous les tableaux qui consti- la simple raison qu'il n'y a aucun moyen pra-
tuaient la galerie, à l'exception d'un seul ouvrage: tique de les empêcher.
fAmour sacré et l'Amour profane, etelle demande Il est impossible aux douaniers de vérifier les
l'autorisation de vendre ce tableau et de l'ex- milliers de colis qui sortent chaque jour de
porter. l'Italie par les chemins de fer.
Il est clair que du moment que la famille Plus impossible encore de surveiller les fron-
Borghèse4J'enonce aux 3600000 francs de l'État, tières de mer et de montagnes déchiquetées à
c'est qu'elle a, pour le Titien, une offée ferme l'extrême.
supérieure à ce chiffre on dit que l'offre est de Il reste au Gouvernement la faculté de pour-
5 millions de francs. suivre, lorsqu'une sortie illicite a été reconnue
Tous ceux qui ont été à Rome connaissent le c'est ce qu'il a fait pour le Botticelli du prince
tableau, il est absolument supérieur le titre qui Chigi.
lui a été donné ne s'explique pas très bien, il est GERSPACH.
,Florence).
vrai, mais cela ne fait rien à l'affaire.
Au moment où la Ville de Paris va aménager 165i, par Charles Gruyn des Bordes, commis-
l'hôtel Lauzun, qu'elle a acheté l'an dernier, il saire général de la cavalerie légère et secrétaire
n'est peut-être pas sans intérêt d'esquisser une du Roi, il fut vendu, en 168?, au duc de Lauzun
rapide silhouette de l'homme éminent qui en fut qui, après l'avoir habité jusqu'au 30 mars 16R5,
le dernier possesseur, le baron Jérôme Pichon. le céda, à son tour, au marquis de Richelieu.
Tous les curieux d'art connaissent le merveil- L'hôtel eut, depuis, d'autres propriétaires, entre
leux hôtel de l'He Saint-Louis. Construit en autres le président Ogier et le marquis Lavallée
pe Pimodan, originaire de. Lorraine, qui y différentes. ventes qui suivirent son décès, l'or-
attacha son nom. fèvrerie, la numismatique, les estampes, les au-
Le I~aron 'PÏ1ch'on l'acheta en 1842, mais ne .s'y tographes, les objets d'art, les antiquités repl'é"
installa que sept ans après. « Pouvait-on aller sentés dans ce qu'ils ont de plus rare et de
demeurer à l'lIe Saint-Louis ? écrivait-ildans unee plus beau, atteindre des prix jusqu'alors in-
lettre charmante adressée à son ami etcollabo- connus.
ra.teur, M. Georges Vicaire, le distingué direc- L'histoire de la. célèbre coupe d'oi', décorée
teur du .Bulleti~z du Biblio~ïeile, « et comment d'émaux translucides, qui avait été enlevée du
,meubleruoe pareille maison? Mais je laissai trésor des rois de France par le duc de Bedford,
dire et poursuivis mon chemin. On vint chez et donnée au duc de Frias par le roi d'Angle-
moi par curiosité, puis terre, Jacques 1er, est
on tl'Ouva qu'après encore présente à tous
tout, on pouvait vivre les esprits.
à l'ile Saint-Louis; Répud-iée comme
puis, après m'avoir fausse par la plupart
blàmé, on me loua, on des collectionneurs,on
me vanta, et. il y a sait avec quel succès il
quarante-trois ans que parvint à dresser son
j'y suis. » état civil, et à détermi-
L'hôtel Lauzun est nersavéritable valeur.
remarquable par sa Une première fois,
belle façade, son élé- en 1869, le baron Pi-
gant balcon, ses appar- chon se sépara d'une
tements somptueux, partie de sa bibliothè-
décorés de fines pein- que. La vente produi-
tures et surtout par sit 451650 francs.
ses boiseries dorées, Mais un nombre
d'un admirable travail considérable de livres
et d'une conservation précieux était resté
parfaite. dans les armoires de
La « Société des bi- l'hôtel Lauzun. Avec
bliophiles françois » y sa vaste érudition et
a tenu, pendant de lon- cAtte possession de lui-
gues années, ses assi- même qui faisait sa
ses, dans la longue ga- principale force, le ba=
lerie du rez-de-chaus- ron Pichon s'appliqua
sée, aux poutrelles à en réunir d'autres,
armoriées des armes plus précieux encore.
et du chiffre des Nom- Il avait d'ailleurs ra-
par de Caumont-La- cheté à sa vente, ou
Force et Lauzun, où le depuis, des rarelés
baron Pichon avait in- dont il ne s'était séparé
stallé sa bibliothèque, Le baron Jérôme Pichon. qu'avec chagrin: un
au milieu des objets manuscrit enrichi de
d'art, des tapisseries, des bronzes et des meubles neufminiatures de Compardel, au chiffre d'Anne-
des derniers siècles, qu'il y avait accumulés. Marie-Louised'Orléans, duchessede Montpensier;
Admis en 1843, dans cette académie de gens le Rornan de la Rose, de Galliot du Pré, -15-B,
de goût, d'érudits et de lettrés, le baron Pichon charmant exemplaire du comte d'Iio3·m, relié par
en fut élu président l'année suivante, et jusqu'en Padeloup, et d'une incomparable fl'aîcheur; le
janvier 1895, époque à laquelle sa santé l'obligea Gab~i~atke de ~'or·lz~ne, de Jehan Bouchet, aux
à nencrer da~as le ~·ang, comme il se plaisait à le armes de Claude Gouffier, duc de Rouannois.
dire, il ne cessa d'exercer ces fonctions, que ses J'en passe et des meilleurs.
collègues lui renouvelèrent annuellement, à A ces ¡¡\Tes de premier ordre, vinrent bientôt
l'unanimité et par acclamation. se joindre de ravissants volumes aux armes de
Le rôle qu'il a joué dans la Société est consi- Du Fresnoy, de 11I°'e de Chamillart, de la mar-
dérable, et c'est à lui, à sa direction savante que quise de M(mtespan, de l'l'ne de Maintenon, de la
cette compagnie d'élite doitlaprospéritéetl'éclat duchesse de Mazarin, ef, surtout, ce délicieux
dont elle jouit encore aujourd'hui. manuscrit des Fêies de Chilly, offert à Marie-
Le baron Pichon ne fut pas seulement un grand Antoinette 'bt relié à mosaïque par Padeloup un
bibliophile; il se sentit bien vite attiré par les des plus intéressants monuments de l'art de la
autres branches de la curiosité, et l'on vit, aux reliure au XVIIIe siècle.
On voit par cette nomenclature trop sommaire comme nous l'admirons aujourd'hui. Ainsi des
que le baron Pichon avait'une prédilection mar- autres.
quée pour les livres à provenances féminines. « Après une pareille
profession de foi, vous
La lettre suivante qu'il écrivait à l'auteur des comprenez, cher confrère et ami, que je suis heu-
Femmes bibliophiles de France, aux mie, XVne et reux et reconnaissant de l'honneur que vous
xvme siècles, en fournit la preuve voulez bien me faire en me dédiant un livre si
« Les femmes bibliophiles m'ont toujours bien dans mes idées et si fort selon mon cœur. »
particulièrement intéressé. Ma passion nouvelle Le baron Pichon a attaché son nom à un grand
a même été jusqu'à vouloir multiplier leur 'nom- nombre de publications du plus grand intérêt,
bre. à en imaginer, peut-être. Je m'explique parmi lesquelles il faut citer tout particulièrement
quand un bibliophile a été l'époux d'une femme le tf~énagier de Paris et la Vie du comte d'Hoym.
remarquable, je me demande toujours s'il ne con- Il avait pris pour devise le verset du Psalmiste
vient pas d'appliquer à ses livres le régime de la Memor fui dierum antiquorum, et la justifia pen-
communauté. En voyant, par exemple, un Du dant tout le cours de sa longue carrière (il mou-
Fresnoy, je me dis que l'adorable Mme Du Fres- rut à 83 ans), en se donnant sans partage et avec
noy, éternellement belle, a peut-être inspiré le honneur au culte du passé..
dessin de ces belles reliures, qu'elle a pu tenir
QUENTIN-BAUCHART.
ce volume dans ses blanches mains et l'admirer
En 1889, le phonographe occupait à l'Exposi- Le cylindre enregistreur est formé d'un mé-
tion un coin tout petit, perdu dans la section lange de cires diverses auquel on adjoint quel-
américaine. A l'Exposition dernière, le nasillard quefois une certaine quantité de paraffine. Dans
appareil reproducteur régnait en maitre, on le les ateliers Edison ce mélange est fondu dans
trouvait partout, il partageait les faveurs de la trois énormes récipients contenant chacun un
foule avec le cinématographe et le café à deux millier de livres. La fusion est suivie d'une épu-
sous la tasse. En dix ans le développement de ration très soignée ayant pour but de faire dis-
cette nouvelle industrie a été considérable quoi- paraître les moindres traces' d'impureté, les
que les perfectionnements apportés au modèle grains de poussière qui nuiraient à l'enregistre-
primitif soient à peu près nuls. La reconstitution ment du son. La cire liquide 'purifiée est alors
du son est encore très imparfaite malgré cela, la transportée dans l'atelier de moulage où on pro-
vogue du petit appareil est immense; il a rem- cède à la confection des cylindres. Des moules
placé, avec grand avantage, la boite à musique répartis surune table tournante reçoivent la cire;
de nos pères. le mélange refroidit rapidement, et les cylindres
La supériorité du phonographe sur la boîte à à peine solidifiés sont recueillis au passage par
musique provient peut-êtrJ moins de la facilité des ouvriers finisseurs. Chaque cylindre prend
avec laquelle on enregistre, pour les reproduire intérieurement dans le moule une empreinte
à volonté, une série de sons quelconques, har- hélicoïdale destinée à assurer la fixité sur le
monieux ou discordants, simples ou rqultiples, mandrin du phonographe. Le finissage du cylin-
que de la variété même des sujets enregistrés et dre comprend plusieurs périodes un calibrage
surtout de la possibilité de reproduire la voix fait disparaitre l'excès de cire, le dégrossissage
parlée ou chantée. Dans les villages les plus re- produit l'égalisation de la surface extérieure qui
culés, dans les régions les plus sauvages, le pho- est ensuite amenée au degré de finesse voulue
nographe va répandre les airs à succès du réper- par un polissage exécuté à l'aide d'une pointe
toire moderne. Le phonographe est un instrument de saphir. Une dernière revision précède l'opé-
vulgarisateur;àce titre il doit se tenir au courant ration de l'impression à laquelle sont admis les
de l'actualité et la répandre rapidement; ceci seuls cylindres ne présentant aucune tare..
implique la multiplication des cylindres enregis- L'impression vocale ou instrumentaleest, pour
treurs. le public admis à visiter les ateliers, la partie la
Comment se préparent et s'impressionnent ces plus intéressante des diverses manipulations par
cylindres malléables où le son vient graver sa lesquelles pàsse le cylindre de cire. Pour les opé-
trace? La question nous a semblé intéressante rateurs chanteurs instrumentistes, acteurs, etc.,
et nous pouvons satisfaire la curiosité de nos le travail est plutôt fastidieux car, pendant des
lecteurs en leur donnant, d'après Scien.ti~c Am.e- heures, il faut. répéter le même morceau. Les
~·ica~, la description de la méthode appliquée dans voisins se plaignent quelquefois, nous. parlons
les ateliers d'Edison et qui peut êti'e considérée par expreience, de la inonotonie de. ces pseùdo-
comme le type adopté par lous les constructeurs. séances théâtrales. Pendant des mois, il nous est
donné ainsi d'ouïr tout le répertoire d'une fa- celle qui donnera leur reconstitution, avec cette
brique de phonographes jouxtant notre domicile. différence que, pour la première opération, le sty-
Lorsque les séances sont consacrées au chant, le let est terminé par. une pointe aiguë qui entamera
voisinage est supportable, agréable même, mais plus qu moins profondément la surface du cylin-
quand il faut entendre .pendant plusieurs heures dre suivant l'intensité du son, tandis que, pour
des fanfares de cors de chasse, des sonneries de l'audition, l'appareil est muni d'un stylet à pointe
clairon on des airs d'orgue, on sent l'hydrophobie mousse qui suit exactement les traces gravées
vous envahir rapidement. Particularité intéres- sur la cire. La perfection de la reconstitution du
sante à noter, tous les morceaux exécutés sont son dépend, pour la majeure partie, de la netteté
suivis d'applaudissements, de hourrahs enregis- de ces traces, aussi est-il très important d'assurer
trés fidèlement par le cylindre et qui sont destinés la conservation des cylindres en les protégeant
à faire illusion aux auditeurs futurs, à leur pro- par une enveloppe très douce. Avant d'être mis
curer l'impression d'une foule enthousiasmée par en circulation, chaque cylindre est essayé à plu-
la parfaite exécution du morceau ou de la scène sieurs reprises et, dans les maisons sérieuses
reproduite. L'effet est plutôt grotesque. tout au moins, on ne livre au commerce que des
Dans les grandes usines comme celle d'Edison, cylindres d'une exécution irréprochable. Malgré
les salles d'impression sont nombreuses; simul- toutes les précautions prises, la détérioration est
tanément solos, musique d'ensemble, chant, assez rapide, les sillons tracés par le stylet per-
déclamation sont enregistrés. Jugez de la caco- dent de leur netteté, et pour peu que les différents
phonie. Naturellement les cylindres ne peuvent organes de l'appareil ne soient pas très bien
être impressionnés par unités; on les réunit par ajustés" que le pavillon soit défectueux, le nasille-
séries de vingt, trente appareils et plus même, ment se produit lérs de l'émission des sons et
rangés sur des rayons et dont les pavillons con- c'est ainsi que la voix d'or de Sarah Bernhardt, le
vergent vers le groupe d'exécutants. Musique, pur cristal de nos cantatrices les plus réputées,
chants, etc., sont exécutés dans toute leur inten- se transforme en l'horrible voix de Polichinelle
sité comme ils le seraient dans une audition pu-- qui a si souvent agacé nos oreilles.
blique, mais l'allure est plus rapide. L'enregistre- ALBERT REYNER.
ment des sons se fait d'une manière identique à
C'est un de ces.clos parisiens, comme il s'en des Colonies d~ns les bâtiments du Palais-Royal.
dissimule encore, parmi les constructions géo- Le Dépôt actuel des Marbres, tel qu'il était in-
métriques de la Grande Ville, un clos de silence stallé, à l'extrémité de la rue de l'Université,depuis
que la méditation affectionne, et qui va disparaitre le commencement du siècle dernier, serait sacrifié,
comme tant d'autres oasis de recueillement, d'es- en réalité, à la sécurité du Musée du Louvre. Il
pace libre et de verdure, impitoyablèment ab- a été constaté que l'installation du ministère des
sorbés par l'invasion de la maçonnerie. Colonies, au pavillon de Flore, constituait une
La disparition de ce clos, sur qui pèse une at- menace permanente d'incendie, contre nos tré-
mosphère toute provinciale de quiétude, et que sors artistiques..M. Redon, architecte du Louvre,
l'on va dépecer, attristera les quelques rares avait affirmé cependant, que, par la construction
Parisiens qui le connaissent, et qui l'affection- d'un mur en briques ignifuges, entre les galeries
naient comme un lieu de pèlerinage d'art et de du Musée et le pavillon de Flore, il pouvaitrendre
pensée. On a eu idée, d'abord, de construire, sur inoffensif, pour nos chefs-d.'oeuvre, le voisinage
ces terrains les locaux du ministère des Colo- des bureaux des Colonies. Il a semblé préférable
nies, et d'en livrer ce qui resterait à l'indus- d'exagérer les précautions. On a décidé le trans-
trie privée. port du ministère des Colonies. Et c'est au Dépôt
Le produit du dépeçage de ce terrain permet- des Marbres qu'on a pensé d'abord à le loger. Le
trait une importante économie financière. On Dépôt des Marbres sera évacué, lui-même, dans
lui attribue une valeur de 16 millions. Les re- un des bastions de l'enceinte fortifiée, qui ne
cettes des parts qui en seraint vendues aux doivent pas être livrés aux démolisseurs.
entrepreneurs de bâtiments seraient affectées Avant donc que disparaisse le clos tranquille
aux frais de construction du ministère des Co- et bien abrité du tumulte parisien, où tant d'effi-
lonies, qui en retiendrait l'emplacement né- gies historiques, tant de représentationssymbo-
cessaire à ses nouveaux locaux si ce premier liques et d'allégorie!?,tant d'images d'événements
projet est maintenu. En sorte que ce nouvel révolus, attendaient la gloire d'une exposition au
édifice d'Etat n'aurait rien coûté au budget. Mais grand jour, dans nos édificespublic5, ou. dans
il est ,questio!1 aussi d'installer le ministère nos musée départementaux, il n'aura pas été sans
intérêt d'y faire un pieux pèlerinage. Il y a tou- la terre recouvre à moitié la végétat ion. Des ar-
jours quelque charme à visiter les lieux où un bres ont grandi, au hasard. Et il semble bien
peu de l'âme des temps a vécu. qu'ils aient été semés, là, par les vents du ciel,
L'accès de cet asile de tant de morts perpétués plutôt que plantés par des mains humaines. Des
dans une matière durable n'a rien de solennel, arbustes, même, y enchevêtrent leurs ramilles,
ni d'élégant, ni d'esthétique, à aucun point de comme pour y créer des taillis imprévus. Et l'on
vue. C'est au fond de la rue de Grenelle, au se prend à regretter que despiochesse disposent
n° 18~, après les .magasins d'Habillements mili- à venir bouleverser ce terrain, où l'action paisible
taires, et le Bureau central météorologique"une des ans s'apprêtait à établir, insensiblement,
longue bàtisse triste, peu éclairée de fenêtres, l'ombre, la fraîcheur, et la vie désordonnéed'une
sur la rue, et qu'un drapeau déteint, au-dessus forêt primitive.
de la porte, au milieu de la morne far,ade, revêt Epars, dans cette étendue, des hannars en
de son caractère de propriété de l'Etat. Le seuil planches, ou plutôt des baraquements. L'un,
franchi, sans que le vieux serviteur préposé à sa qu'on voit, à gauche, si c'est du seuil qu'on re-
surveillance s'oppose à l'entrée du visiteur, tant il garde le clos, est badigeonné d'un enduit grisâ-
n'y a guère que les familiers du lieu à le fréquen- tre les planches de celul-là, à droite sont
ter, on se trouve devant un vaste espace, à droite goudronnées; auprès de celui-ci la vétusté et les
et à gauche, dont l'étendue, en longueur, est cinq pluies ont combiné leur action, pour en revêtir
ou six fois celle de sa largeur, et qui se trouve le troisième de mousse verdâtre. Ce troisième
limitée, parallèlement à la Seine, en majeure baraquement a un nom qu'il convient de sauver
partie, par les anciennes écuries de l'Empereur. de l'oubli, avant qu'il ait disparu. Les indigènes
Ce terrain est, à la fois, une cour et un jardin de cet oasis l'appellent « la Vacherie », depuis le
où l'on laisse la nature agir en liberté. Dans le siège de Paris. C'est dans ce baraquement, que vé-
désordre voulu qui règne là, on découvre les eurent les précieuses vaches préposées à la fonc-
ornières creusées par les lourds charrois des tion de l'allaitement des nourrissons, tant que
énormes pièces de sculpture qu'on y est venu dura l'investissement. Un certain nombre de Pa-
prendre ou qu'on y emménagées. Ailleurs, entre risiens, qui ont trente ans aujourd'hui, auront
les larges pavés de l'époque napoléonienne, des raisons particulières de regretter la dispari-
puisque ce Dépôt des Marbres date du premier tion de cet asile historique de leurs bonnes nour-
Empire, 'du gazon a poussé. Par places, il est rices.
comme une mousse parasite autour du grès des Dans ce clos isolé, où règne le silence des
pavés, qu'il recouvré partiellement. Dans d'autres grandes solitudes, le personnel vaque, sans hâte,
parties, ce gazon s'est étendu en pelouses dont à des occupations accomplies ti loisir. Çà et là,
on aperçoit quelque manauvre de J'administra- tives ont eu scrupule de ne pas exécuter tout
lion des Beaux-Arts, en casquette galonnée ét en d'un coup. Et cette action dissolvante de l'air et
blouse blanche, dont on devine que les journées de l'eau, sur ces effigies en plâtre, est bien à
ne sont pas très rudes. Et ce libre nonchaloir, l'image funèbre de la dissolution opérée par la
dans le travail de ces hommes, achève l'impres- terre sur la forme mortelle des hommes, dont
sion de clôture conventuelle qu'on finit par ces statues, ces bustes et ces bas-reliefs pro-
-éprouver, dans l'isolement et le silence de ce longent le souvenir.
clos un peu fruste et captivant. Dans une longue salle rectangulaire du lâti-
Sa physionomie de couvent s'allie à la physio- ment élevé en facade sur la rue de Grenelle, oi~
nomie de nécropole qu'on lui découvre aussi, l'on pénètre, à la suite de M. Marras, une muHi-
lorsque, conduit à M. Marras, l'accueillant tude de têtes blanches s'offrent à la vue, dans le
conservateur de tant d'images de morts illustres, groupement désordonné et tumultueux d'une
,et de tant d'exemplaires d'oeuvres d'art, qui ne foule tronquée, à la hauteur moyenne du cœur.
sont plus guère que des ombres d'œuvres tom- Têtes.de marbre ou têtes de plâtre, figures im-
bées dans cette mort de l'oubli, on parcourt les mobiles de nos célébrités. Il y a là des bustes qui
salles encombrées de bustes, de statues, de bas- attendent, patiemment, leurcolonne d'exhibition
reliefs, de fragments allégoriques, dont il a la dans nos musées, ou dans nos édifices publics.
:,garde. Il y a des reproductions en plâtre de bustes en
Des morceaux et même des auvres plus par- marbre déjà fixés dans leur destination définitive,
ticulièrement privés de destination sont dissé- et qu'on tient en réserve pour l'hôtel de ville
minés sur le gazon, dans les toufl'es d'arbustes, local, ou le musée de la ville natale, du person-
sous les arbres de la forêt en formation. Avant nage historique, dont le marbre original éternise,
,d'entrer, avec lui, dans les salles de son entrepôt, ailleurs, la mémoire. Etrange assemblée de fi-
le regard se heurte, non sans mélancolie, au --ures'notoires,où survit le souvenir de ce qu'elles
bras gigantesque, armé d'un rameau d'olivier, furent. dans la vie, et qui évoque l'idée funèbre
grand comme un arbre, de cette République, d'une réunion mortuaire d'êtres immobiles, sans
imaginée par Falguière, pour peupler la nef du regards et sans voix!
Panthéon, à une statue de Napoléon III, à un L'emploi de M. Marras ne consiste pas seule-
bas-relief où Louis-Philippe est représenté, avec ment à conserver les bustes en marbre qui iront
ses fils, dans quelque cérémonie civique, à un orner les galeries de nos édifices publics. Il veille
buste de Louis XVIII. Tout cela moisit sous la aussi sur les reproductions en plâtre de ces bustes,
.poussière, s'effrite dans l'humidité, défaille dans que l'administration des Beaux-Arts offre ~à nos
une destruction lente, que les mains administra- villes de province. Et il y a dans cetteg-alerie un
certain va-et-vient de figures qui s'y succèdent, demi sauvage, où l'art voisine familièrement
à côté des tableaux exécutés sur commandes de avec'
la nature. Sa disparition est légitime, sans doute.
l'Etat, et dont un double exemplaire, exécuté par Mais il constituait un asile sipropice à la médita-
chaque artiste favorisé d'une commande, est tion qu'on ne peut se défendre de le regretter.
remisé dans cet entrepôt de notre art officiel.
La Vacherie abrite plus particulièrement les FÉLICIEN PASCAL.
oeuvres originales ou les reproductions demeurées
sans usage. La plupart des bustes, ou des frag-
R1cnts monumentaux qu'on a pu voir, dans. la
SIMPLE CHANSON
première galerie, attendent une occasion d'être
logés quelque part. Ils ont des chances de se Je veux oublier le chemin
mêler à la vie des vivants. Les bustes, les repro- Où nous passions souvent ensemble,
Où, quand je reviens seul, ma main
ductions en plâtre ou en bronze, les fragments Du regret de la vôtre tremble,
monumentaux, entassés dans la Vacherie, sem- Où, même quand vous n'êtes pas,
blent dépourvus, définitivement, de toute des- Tinte, seul, le bruit de vos pas,
Dans mon coeur tout plein de vous-même.
tinée. Ils sont les mélancoliques laissé pour Hier est mort qu'importe demain
compte de la sculpture. Et la tristesse de leur Je veux oublier le chemin,
Le chemin en fleurs où l'on aime.
sort est visible sur leurs traits. On la sent peser
dans la demi-obscurité de cette sorte de fosse Je veux oublier la maison
Qu'habita longtemps notre rêve.
commune, où il est visible qu'ils sont résignés, à Avec la mer pour horizon
ne plus rien attendre, du temps, ni de la pensée Et, pour seuil embaumé, la grève;
des vivants. Où, dans nos coeurs silencieux,
Descendait l'infini des cieux.
On est retenu, comme malgré soi,
par toutes Mais, vous me l'avez dit, vous-même
tes pensées émanées de ces œuvres d'art accu- II faut écouter la raison.
Je veux oublier la maison,
mulées, eu un si étroit espace. Puisque la plupart La maison en fleurs où l'on aime.
sont pro.mises à l'oubli, au néant où les disper- Je veux oublier jusqu'à l'air
sera l'usure du temps, on aimerait qu'elles y Que vous chantiez, au temps des roses,
tombent, peu à peu, sans subir les vicissitudes Quand votre voix au timbre clair
d'un déménagement, dans quelque autre local. Charmait mes tendresses moroses,
Quand se taisaient, le long des eaux,
Et, bien qu'on les sache inertes et dénuées de Le jonc sonore et les oiseaux,
sensibilité, on nef peut se défendre d'imaginer Pour n'écouter plus que vous-même.
Le temps passe comme un éclair.
que ce prochain déménagement leur fera de la Je veux oublier jusqu'à l'air
peine, et. de. compatir à cette peine imaginaire. Qu'on redit aux fleurs quand on aime.
On compatit aussi au dérangement d' habitudes Je veux oublier jusqu'au nom
des artistes qui ont là leur atelier, et qui n'en Plus'qu'un baiser doux à ma bouche.
auront plus de pareils ailleurs. Rodin se trouvait Fûtes-vous Ninette ou Ninon ?
Me fûtes-vous douce ou farouche ?
là à-son aise. Et Jean-Paul Laurens, qui a besoin
de beaucoup d'espace pour ses grandes toiles his- Mon coeur n'en veut plus rien savoir.
Le temps me donne le pouvoir
toriques ou allégoriques, se trouvera réduit, dé- Dem'oublier aussi n-loi-même!
sormais, aux seules oeuvres de chevalet. Demain peut-être. aujourd'hui non!
Et, au moment où le soir tombe, on sent mieux -Je veux oublier jusqu'au nom
Du pays en fleurs où l'on aime.
encore toute la douceur mélancolique de ce, clos à ARMAN SILVE STRE.
UN CONCOURS ORIGINAL
Il a eu lieu à Londres, il y a quelques semai- Duval à prix réduits consomme, ou plutût fait
nes, et c'était bien le tableau le plus amusant consommer par sa clientèle affamée 2 500 tonnes.
olue l'on pût imaginer. 1I s'agit du concours des par an de ce tubercule sans rival. Cette maison
«éplucheurs de pommes de terre », car éplucher a des succursales dans tous les quartiers de la
des pommes de terre est une position sociale à capitale et chacune d'elles possède son bataillon
Londres, ainsi que l'on va voir. De grands établis- d'éplucheurs de pommes de terre ils sont en
sements qui fournissent à la classe populaire de tout quatre-vingts environ, courbés sur leur
cette ville des repas étonnamment bon marché besogne de 9 heures du matin à 7 heures du soir,
emploient toute une hande de jeunes gens uni- et ils pèlent 50 tonnes de pommes de terre par
quement occupés à nettoyer des pommes de semaine.
terre. La seule maison bien connue « Pearce and Pour stimuler le zèle de cette vaillante brigade
Plenty Il quelque chose comme nos bouillons et rendre les mains plus agiles encore, un con-
cours est organisé chaque année par la direction, ches, tandis que les épluchures sautaient en
auquel prennent part les plus fameux « éplu- l'air comme une véritable grêle. Au dehors, la
cheurs » de la grande métropole il faut y avoir foule devenait silencieuse, comme sentant l'im-
assisté pour se faire une idée de la prodigieuse portance de la minute, et l'on n'entendit plus
-dextérité de doigts de ces jeunes gens. que le grincement du couteau et le bruit de la
Le jour du concours est un événement consi- pomme qui sans interruption tombait dans le
dérable pour la corporation, et une émotion seau vide.
intense règne parmi les concurrents et leurs .1 Il y a des personnes qui se figurent qu'il n'y a
familles et amis. qu'une manière d'éplucher les pommes de terre.
Lorsque le dernier client a terminé son diner Combien elles auraient été étonnées de voir la
et quitté l'établissement principal situé Clerken- variété de styles que ces jeunes gens apportaient
well Road, un air inusité de. mouvement fait dans leur art! Le garçon qui finit sa tâche le plus
place au calme habituel de cette heure tardive. rapidement tenait son couteau comme une
Des portes s'ouvrent de tous côtés et des domes- aiguille de machine à coudre de la main gauche
tiques chargés d'énormes seaux pleins de pom- il attrapait la pomme qu'il appuyait fermement
mes de terre se dirigent en hâte vers une grande contre un petit morceau de bois piqué dans le
salle, le futur champ de bataille. Au dehors, des haut de son tablier, sur la poitrine. Le couteau
groupes stationnent, agités, impatients ce sont volait positivement entre les doigts de cet habile
les concurrents, entourés de leur clan, qui atten- éplucheui, qui, bout de dix-huit minutes, poussa
dent le moment d'entrer. Leur anxiété est visible triomphalement le cri de « Ça y est, Monsieur 1 »
comment aussi ne pas s'émouvoir devant la Devant lui, il avait renversé le seau vidé. Le
perspective de la gloire et d'une belle pièce d'or pauvre diable était écarlate, baignant dans la
qui récompensera les vainqueurs? sueur. La foule, au dehors, qui avait suivi toutes
Sur un signal, les candidats se ruent vers la les péripéties, se mit à trépigner d'enthousiasme
porte et s'alignent en deux rangs, puis, ils se et célébra par des bans vigoureux la victoire du
-mettent en tenue de guerre, c'est-à-dire en veste jeune homme. Celui-ci, cependant, n'obtint
et en tablier, et prennent une attitude pleine que le troisième prix, son ouvrage ayant été
d'énergie et d'espoir. Devant chacun d'eux se jugé moins parfait que celui du concurrent nu-
trouvent deux seaux, l'un rempli de pommes de méro deux qui avait mis une minute et demie
terre, l'autre vide destiné à recevoir le légume de plus, mais dont le travail était admirablement
nettoyé. Lorsqu'enfin un couteau spécial fabriqué soigné.
de manière à éviter tout gaspillage en épluchant Ce triomphateuraussi avait son système à lui
est distribué à tous et reçu d'une main avide, le corps courbé en deux il serrait la pomme de
l'émotion est à son comble. Les visiteurs auto- terre contre son genou droit et grattait furieuse-
risés à assister au spectacle s'approchent pour ment. La posture ne semblait pas commode,
'mieux voir, les amis se serrent autour des con- mais elle réussit au concurrent qui remporta le
currents pour les encourager et leur donner premier prix.
quelque conseil utile, si besoin est. Dans la rue, Une autre façon de procéder était d'appuyer
toute une foule excitée et non admise à l'inté- la pomme sur le haut de la jambe encore une
rieur conjecture bruyamment et crie le nom autre, de tenir le légume dans la main gauche
de ses favoris. et de peler en dehors, comme on taillerait un
Tout à coup, un grand silence se fait dans la bâton. ,Mais la manière le plus adoptée était la
salle c'est M. Pearce ainé, le directeur, qui vieille méthode de nos cuisinières, c'est-à-dire
-s'avance gravement entre les deux rangs et s'ar- tout simplement la pomme dans une main, le
rête au milieu pour expliquer les règlements du couteau dans l'autre. Le système ne doit pas être
concours. Il ne s'agit pas seulement de faire vite, mauvais, car il fut pratiqué avec succès par le
dit-il, mais de faire vite et bien; et dam juges gagnant du second prix.
spéciaux examineront consciencieusement la Lo rsqu'après un examen minutieux de la
qualité du travail. Car la pomme de terre éplu- besogne de chacun, les noms du premier et du
chée doit être irréprochable, blanche et unie, second prix furent proclamés, la foule en joie
entièrement débarrassée de la peau, des petits fit de chaleureuses ovations aux vainqueurs.
points noirs et de tout autre défaut. Concours de vitesse dans l'épluchage des pom-
Il était huit heures précises du soir, raconte mes de terre! Voilà un record qui n'est pas
le St~·and Maga_ine, quand M. Pearce prononçait banal! Tu. MANDEL.
solennellement le mot Allez! Aussitôt, comme
les chevaux de course au signal du drapeau, les $$~$~$$~~$~$~$$$~$$~$$$~$~$
jeunes gens se mirent en mouvement; leurs Le foyer familial étant la première école de l'enfant, il
mains s'abattirent fièvreusement sur les pom- faut qu'il y apprenne que l'lionnèteté est la première des
sciences.
--mes de terre, et ce fut, devant les yeux ébahis
des assistants, une danse folle de boules jaunes La marque d'un mérite extraordinaire est de voir que
ceux qui l'envient le plus sont côutraints de le louer.
se transformant instantanément en boules blan- LA ROCHEFOUCA[;LD.
AU PAYS, SA ~A l,.AY E
Les Sakalaves habitent la côte Ouest de Mada- les Sakalaves. Hàtons-nous de dire que cette
gascar entre Diego-Suarez et le pays des Baras et soumission fut purement nominale et que leur
des Mahafabys; ils forment presque la moitié de autorité ne dépassait pas un faible rayon autour
la population de l'ile. Bien que leur origine soit de leurs postes.
assez obscure, on a néanmoins acquis la convic- Le Sakalave ne cultive pas la terre, beaucoup
tion que la race actuelle est issue d'un mélange par paresse et aussi parce qu'elle produit sans-
d'Arabes venus, depuis plus de vingt siècles, s'é- soins pourvu ql1'on l'ensemence au moment favo-
tablir sur la côte pour y faire du commerce, et rable, c'est-à-dire à la saison des pluies. Comme
.des premiers occupants du sol, les légendaires dans toute la zone tropicale, le climat est divisé
Vazimbas dont on entend toujours parler et que en deux périodes absolument tranchées la sai-
jamais l'on ne vit. Les vestiges de villages arabes son sèche de mars à novembre, et la saison des'
que l'on rencontre fréquemment dans la baie de pluies de novembre à mars. Pendant ces quatre
Baly et la baie de Bouéni sont très curieux. mois, ce sont des orages presque journaliers,
Il existe en particulier, sur la pointe de cette offrant à l'œil ébloui le spectacle le plus gran-
dernière, un cimetière arabe très bien conservé diose qu'on puisse imaginer. C'est un embrase-
dont le pittoresque et l'ordonnance architecturale ment général de l'horizon au zénith, avec les
feraient les délices d'un artiste. Les descendants éclairs fulgurants qui se croisent et s'entre-croi-
directs de ces Arabes, les Antalaotres, habitent sent sans interruption, accompagnés de roule-
les environs de Majunga et de Nossi-Bé. Ils pré- ments de tonnerre assourdissants. Lorsque l'o-
sentent tous les caractères distinctifs de leur race. rage éclate pendant la nuit, la mer, très souvenrr
Cette infusion de sang arabe explique l'humeur phosphorescente, vient, en roulant ses vagues de
batailleuse, pillarde et quelque peu vagabonde feu se confondant avec les éclairs, compléter un
des Sakalaves dont l'assimilation ne se fera que tableau que ne saurait rendre la palette du peintre
très lentement. Ce sont eux d'ailleurs qui, depuis le plus habile; l'effet en est magique et vous
la conquête, nous ont toujours tenus en haleine laisse au cœur l'impression de la petitesse de
par leurs soulèvements continuels. 1'homme devant les grandeurs de la nature..
Leur histoire ne commence qu'à la fin du Habitant une région marécageuse, le Sakalave,
xme ¡;iècle; à cette époque, ils étaient encore à la saison des pluies, pique un peu de riz et,
cantonnés entre la Tsiribihina et le MangQky afin que .1'eau envahissant le terrain n'entraîne
lorsqu:une famille de chefs, les Voulamène {fa~ pas la semence, il fait piétiner l'espace ense-
mille de l'or), vint les tirer de leur torpeur,et les vaencé-par un troupeau de boeufs; à son com-
poussa à ce mouvement d'expansion vers le Nord mandement, ils exécutent des voltes et des
qui ne s'arrêta qu'à Diego-Suarez. La dynastie figures de quadrille tout à fait amusantes. Là se
des Voulamène présente un cas de ressemblance borne sa culture. Quand le riz est mûr, il le coupe,
frappant avec celle des Mérovingiens comme recueille le grain. qu'il décortique seulement au
elle, presque aussitôt fondée, elle se divisa en moment du repas. Pour cette dernière opération
deux branches. L'une occupa la partie Nord- un tronc d'arbre creux et une mailloche sont les
Ouest ce fut le royaume de Bouéni; et l'autre instruments employés; c'esten général le travail
la partie Sud-Ou~st appelée Ménabé. Ce nom de des femmes et des enfants.
Ménabé lui fut donné, d'après la légende, à la Il est à remarquer que le Sakalave, dans son
suite d'une ruse de guerre employée par les imprévoyance, ne sème que la quantité de riz
Sakalaves dans une lutte qu'ils soutinrent contre qui lui parait indispensable pour sa consomma-
leurs voisins arrivés devant les positions de leurs tion annuelle en cas de mauvaise récolte, eh
ennemis, ils creusèrent pendant la nuit une bien! il donne un tour de plus à son lamba et va
grande fosse qu'ils recouvrirent soigneusemcnt voir chez le voisin qui lui refuse rarement la poi-
de branchages après y avoir. descendu un grand gnée de riz dont il a besoin pour son repas qu'il
bœuf rouge. Le lendemain, l'ennemi, épouvanté arrose d'une eau plus ou moins pure; cela lui-
par les beuglements souterrains du boeuf, s'en- est presque égal; il boit indifféremment l'eau
fuit précipitamment, d'où le nom de Ménabé bourbeuse des marais ou celle des rivières.
(grand rouge) en souvenir de cette facile victoire. Quand il a pu se procurer quelque argent, l'em-
Au commencement du siècle, les Hovas, profi- ploi en est tout indiqué il achète des spiritueux,
tant de la division savamment entretenue entre l'arack de préférence, espèce de mélange hor-
les deux branches régnantes, tentèrent la con- rible composé de rhum de qualité tout à fait infé-
quête du. pays Sakalave. Ce fut une nouvelle rieure et d'une infusion épouvantablement poi-
guerre de Cent ans, où après bien des péri- vrée. Il faut avoir un gosier absolument blindé
péties, tantôt vainqueurs, tantôt vaincus, les pour s'ingurgiter cette mixture. Et cependant,
Hovas réussirent à établir leur domination sur nous avons vu plusieurs fois des individus en
absorber un litre entier. Il est vrai qué l'effet ne hommes, avec le sang-froid de toréadors profes-
se faisait'pas longtemps attendre; les malheu- sionnels, attendent le taureau de pied ferme, et
reux se roulaient bientôt en proie à une'attaque au moment où la bête affolée baisse la tête pour
de delioum tremens, mordant ce qui se trouvait à donner le coup de corne souvent mortel, ils se
portée dé leur btiuche, terre, bois, cailloux jettent, avec une adresse et une stlreté de coup
Lorsqu'on a assisté une fois à ce spectacle, on d'œil infaillibles, sur le front de l'arfimal, se lais-
ne peut s'empêcher de maudire ceux qui leur ont sant emporter ainsi à une vitesse vertigineuse
apporté l'alcool en se mainte-
comme un nant aux cor-
bienfait de la nes jusqu'à ce
civilisation. que le taureau
Les bceufs à tombe complè-
demi sauvages, tement épuisé.
vivant en trou- Il est ramené
peaux, sans en triomphe au
soins d'aucune village par son
sorte, dans les vainqueur, au
immenses pâ- milieu des cris
turages natu- d'admiration
rels des basses des femmes et
plaines de la des enfants et
côte Ouest con- au son bruyant
stituent la des tams-tams.
grande riches- C'est le signal
se du pays. Il attendu pour
y a encore peu commencer les
de temps la va- libations d'al-
leur d'un bœuf cools variés.
adulte variait Après leur
entre 25 et 30 avoir scié les
francs; l'ex- cornes et,après
portation occa- un dressage
sionnée par la« suffisant, on
g uerre du emploie quel-
Transvaal en a quefois les
fait monter le bœufs 'comme
prix à 50 et monture. Le
60 francs. meilleur cava-
Danstousles lier est grotes-
villages impor- que là-dessus
tants, à l'occa- et a toujours
sion d'un évé- vaguementl'air
nement dont de plaider en
on veut garder divorce. On est
le souvenir Femme Antalaotre. pourtant bien
(naissanced'un obligé de s'en
chef, couronnement d'une reine, ou bien leur servir dans' certains cas spéciaux, mais c'est égal,
mort), on célèbre la fète des bœufs (Mitakitakil. je doute fort que, chez nous, on aille jamais ac-
A cet effet on attache à des pieux, solidement climater les bœufs porteurs pour en faire des
plantés dans le sol d'une prairie, trois ou quatre coursiers. C'est là une rivalité peu dangereuse
bœufs choisis parmi les plus vigoureux et les pour le cheval anglais.
plus sauvages. Tout le monde, hommes, femmes, Le costume sakalave consiste simplement pour
enfants, s'assemble autour, dans l'attente de cette les deux sexes en un lainba, pièce de cotonnade
corrida d'un nouveau genre. enroulée autour des reins; cependant, dans la
Tout à coup, à un signal du chef, on coupe les classe aisée, les femmes se parent avec une cer-
liens et les bœufs, excités par des piqûres de sa- taine coquetterie, ajoutant au lamba traditionnel
gaies, se précipitent dans la foule; c'est alors un une robe aux couleurs voyantes.
sauve-qui-peutgénéral oii chacun fait montre de Hommes.et femmes partagent leur chevelure
ses qualités d'adresse et de ruse pour échapper en une quantité considérable de petites tresses
aux animaux qui chargent aveuglément tout ce enduites de graisse; c'est une opération des plus
qui se trouve sur leur passag-e. Parfois de jeunes compliquées qui exige pendant un jour entier
l'aide du coiffeur! Ce genre de coiffure leur donne sorte de terre blanchàtre piéliseIi1ent recueillie
unair étrange; on diraitunfaubertoublié sur leur au pied du tombeau d'un chef vénéré. Leur figure
tête. ainsi badigeonnée leur donne tiri aspect d'un
Le Sakalave possède une grande qualité il est comique irrésistible.
un marcheur infatigable. Dans un cas urgent, La fraternité du sang, ou Fatitsa, pratiquée dans
nous avons envoyé un tsimandao (courrier) qui, tout le pays est la cérémonié à laquelle le Salca-
en vingt-trois heures, couvrit une distance de lave attache le plus d'importance. Son caract~~re
120'kilomètres à travers la brousse et les obs- symbolique d'une haute philosophie, les longs
tacles natu- préparai ifs qui
rels, tels que la précèdent,
marais, riviè- l'air grave et
res ou ruis- solennel des
seaux. assistants, lui
Le Sakalave donnent un
ne pratique relief assez
aucun culte puissant pour
proprement en imposer
dit. Il est féti- même aux ra-
chiste. Chaque res Européens
individu pos- initiés. L'en-
sède plusieurs gagement mu-
gris-gris ayant tuel contracté
chacun leur est sacré et
vertu particu- il n'est pas
lière celui-ci d'exemple
préservantdes qu'un indi-
balles cet au- gène se soit
tre protégeant dérobé aux
son heureux obligations
possesseur qu'il compor-
contre l'indis- te. Certes il
crétion des est de bon ton
caïmans. Sa de traiter de
confiance en sauvages tou-
ses gris-gris tes les races
est-elle' que que n'enthou-
nous avons vu siasme pas
un pêcheur notre civilisa-
nous montrer tion mais,
unénor me caï- lorsqu'on sur-
man faisant sa prend quel-
sieste à dix ques-uns de
mètres'de lui, leurs mystè-
et, malgré ce res, on est
voisinage peu Enfants Hovas_décortiquant et vannant le riz pour le repas. bien obligé de
rassurant, sur- reconnaitre
tout lorsqu'on songe que la rivière est peuplée qu'il y a un côté commun, et qui sait, peut-être
de monstres semblables, prendre tranquillement un lien? avec les cultes des premières civilisa-
sa nasse, l'élever au-dessus de sa tête et plonger tions. Pour nous la Fatitsa a un grand rapport
dans les profondeurs de la rivière pour aller ten- avec les rites d'initiation de la maçonnerie telle
dre son engin; il reparut au bout d'une minute que l'ont pratiquée les Hindous, il y quelques
qui, pour nous, dura une heure, et, à la réflexion milliers d'années.
que nous lui Cimes sur le'danger qu'il avait couru, Quand deux personnes ont décidé de faire l'a-
il répondit d'un air supérieur qu'il avait son gris- titsa, elles se réunissent, elles et leurs proches,
gris et qu'il n'y avait rien à craindre. Nous préfé- dans la plus grande case du village c'est géné-
râmes le croire sur parole, plutôt que de vérifier ralement celle du chef. Le consécrateur, qui
par nous-mêmes son affirmation. appartient toujours a une famille de grands chefs,
Quand un Sakalave est malade, il-:rait venir à commence alors les préparatifs suivants
sa case le sorcier du village lequel, après force Dans un grand plat, il met de l'eau, d'une
incantations, enduit la partie mal'ade de fanga- grande rivière autant que possible (la grande
fody (remède) c'est dans beaucoup de cas une rivière étant considérée comme une divinité);
puis, avec le,rasoir destiné à faire l'incision à la leur présente à baire; il ne doit pas rester de
poitrine des deux néophytes, il prend aux'quatre liquide dans le plat. C'est l'instant le plus délicat
points cardinaux et au centre cinq parties de de la cérémonie et où il ne faut pas montrer
terre ,qu'il jette dans le plat; cela signifie que le d'hésitation, car tout serait compromis. Le Saka-
pays entier entend et voit la cérémonie (pôur les lave avale ça comme du petit lait il n'en est pas
princes du sang ou mpanjakas, on ajoute de l'or de même de l'Européen auquel le breuvage
et un morceau de coeur de lioeuf, ces deux choses semble rudement amer; quelquefois même, l'es-
étant égalementdéifiées; on remplace aussi l'eau tomac récalcitrantrefusc obstinément d(> conser-
par du sang de ver ce mélange
bœuf. Il met insolite. Si
encore sept ti- tout s'est bien
ges de fleur de passé, il n'y a
sorgho indi- plus qu'à faire
quant que ce~ connaître les
lui qui trom- membres de
pera son frère sa famille que
aura le cœur chacun des in-
arraché com- téressés en-
me les tiges tend compren-
J'ont été elles- dre dans le
mêmes. Il contrat. Ces
ajoute ensuite membres sont
de la suie de déclarés fa-
cheminée, du dys, c'est-à-
sel, une balle dire sacrés on
et de la pou- fait surtout
dre, de l'écor- cela pour les
ce de pignon femmes; en
d'Inde etun os ce cas, elles ne
de côte de peuvent plus
bceuf.Celaveut avoir aucun
dire que le par- rapport avec
jure ilisparaî- celui qui est
tra comme a devenu leur
disparu la fu- parent. Cette
mée, fondra loi est rigou-
comme a fon- reusement
du le sel, sera respectée.
foudroyé com- Toutes ces dis-
me parun conp positions bien
de feu et sera arrêtées, il ne
blessé au côté reste plus qu'à
d'un coup de commencer la
sagaie comme fête qui doit
le baeuf pour- Jeune fille noble Hova. terminer la cé-
suivi. 11 prend rémonie en
alors une sagaie qu'il metlapointe en bas dans le bon français, le mot fête, dans ce sens, veut dire
plat, soit sur l'or, le coeur ou l'os, et une baguette qu'on va déboucher les bouteilles le tafia coule à
de grand fusil pierre dont le bout est plongé dans pleins bords et l'ivresse ne tarde pas à gagner les
l'eau. Les deux récipiendaires tiennent la sagaie cerveaux. C'est le moment de s'éclipser sans tam-
et la baguette de la main droite, puis le consé- bour ni trompette. On pensera ce qu'on voudra de
crateur prend le rasoir de la main droite, le frappe cette coutume, il n'en est pas moins vrai que tous
sur la sagaie et la baguette, et prononce les paro- ceux qui se sont soumis à ses règles n'ont eu qu'à
les sacrées commençant par des invocations aux s'en louer et elle leur a toujours facilité leur mis-
ancêtres et se terminant par l'énumération des sion, le Sakalave n'ayant jamais violé son serment
peines qui attendent le traître. Tout cela débité de fraternité et n'ayant jamais tenté de se sous-
sur un ton suraigu, d'un air inspiré. Lorsqu'il a traire aux obligations imposées.
terminé, il présente à tour de rôle le rasoir aux La soumission du Ménabé effectuée tout récem-
nouveaux frères ils se font un légère entaille à ment sans effusion de sang, grâce au concours
la poitrine le sang est soigneusement recueilli de deux initiés, est l'exemple le plus frappant
dans le plat. L'évocateur mélange bien le tout et que nous connaissions du respect des lois de la
Fatitsa. Depuis' de longs mois, les Sakalaves du générale parmi ce peuple guerrier, toujours dis--
Ménabé tenaient en échec nos troupes régulières. posé à se révolter et à piller s'il n'est pas (retenu
Deux hommes courageux et résolus, le capitaine par un lien plus efficace que nos lois.
Laverdure et le prince Saïdina, désignés par If' Avant la conquête, les chefs et reines (car, dans.
colonel Prudhomme, chef de la mission, purent, le Nord surtout, c'était des femmes qui déte-
~ràce à leur initiation, pénétrer dans le coeur du naient le pouvoir) avaient droit de vie et de mort
Ménabé sans autres armes qu'un flacon de poi- sur leurs sujets. Po'ur un motif futile, il était
son qu'ils devaient absorbers'ils ne réussissaient procédé à dès exécutions sommaires toujours.
pas dans la tâche qu'ils s'étaient imposée, car en acceptées avec soumission par le peuple. C'était
cas d'échec, de la justice ex-
c'était la mort péditive. Main-
certaine. Après tenant encore,
huit jours de l'administra-
marche péril- tion du pays
leuse à travers est très simple.
une population Chaque région
hostile, ils ar- est adminis-
rivèrent par trée, jugée et
surpriseaupr~~s taxée par des
du principal chefs indigènes
chef qu'ils en- sous le contrôle
se
gagèrent
soumettre.
des fonction-
naires français.
Dans un kabarv Ce système a
qui dura deux le mérite de ne
jours et où il nécessiter
chaque instan 1. qu'un nombre
il était ques- restreint de
tion du genre fonctionnaires
de mort qu'on européens,
leur applique- mais il a le
rait, ils finirent grave inconvé-
à force de sang- nient de con-
froid et d'habi- centrer tous les
leté à persua- pouvoirs dans
der les chefs la même main,
qui cessèrent ce qui peut fa-
toute résistan- cilement con-
ce et déposè- duire à des
rent les armes abus. Ainsi le
plutôt par res- même fonc-
pect pour la tionnairè esten
fraternité de même temps
Groupe de jeunes hommes Sakalaves. administra-
sang des deux
étrangers que teur, percep-
par crainte de nos troupes. Cet épisode est très teur, juge et souvent commandant militaire de
peu connu en France, car les deux amis, aussi toute une région.!
modestes que courageux, n'ont jamais autorisé Nous-même, lorsque nous commandions le
personne à publier cet intéressant récit. poste de Marowoay, avons rendu certains arrêts
Comme conclusion, nous insistons vivement dont les considérants n'avaient point la lon-
pour que nos officiers et fonctionnaires surmon- gueur ni la savante exposition de ceux de nos
tent leur légitime répugnance et n'hésitent pas modernes tribunaux, mais, en revanche, ils
lorsqu'ils en trouveront l'occasion, bien entendu étaient clairs, précis et avaient sur ceux-ci l'avan-
à bon escient, à se prêter à cette cérémonie; tage d'être brefs et de ne rien coûter.
ce sera pour eux un puissant moyen d'action En somme, cette administration, sagement ap-
sur toutes les peuplades d'origine sakalave. Il pliquée, peut et doit donner de bons résultats.
reste bien entendu qu'en toutes circonstances où Seulement, il est regrettable que les capitaux de,
leur frère occasionnel se réclamera de cette la métropole se montrent aussi circonspects, car
parenté, ils ne la nieront pas et lui prêteront l'élevage des bestiaux et la culture du riz dans
leur appui. A cette condition, il sera facile d'ob- les immenses pâturages et les vastes plaines de
tenir une paix durable et une sécurité presque la côte Ouest, en admettant que l'on s'en tînt à
ces deux genres d'exploitation, ne tarderaient lors de la traversée d'une rivière, quand ils veu-
pas à constituer un placement rémunérateur. lent passer d'une rive à l'autre, ils choisissent
une berge découverte et commencent à se traînel>
sur le ventre tout près de l'eau, tout en poussant
La faune des pays salcalaves est sensiblement des gémissements lamentables. Ce manège dure
la même que celle des autres régions de l'île. jusqu'à ce que le cbien, voyant émerger les
On n'y trouve point les animaux féroces des têtes des féroces habitants de la rivière attirés.
contrées tropicales; le seul carnassier, et encore par ses cris plaintifs leur faisant espérer une
est-il peu dangereux et assez rare, est la fosa, proie facile, se relève d'un bond, part à fond de
animal de la taille d'un renard, qui, comme lui, train et traverse à la nage 500 mètres en amont
s'attaque aux du lieu où les
volaillesetduel- caïmans atten-
quefois aux jeu- dent encore, ne
nes veaux. soupçonnant
Les chats-ti- pas qu'ils vien-
gres et de nom- nent d'être ber-
breuxchats sau- nés.
vages sont la Si les fauves
terreur des bas- y sont incon-
ses-cours. nus, en revan-
Lessangliers, che les sauriens
beaucoup moins sont largement
dangereux que représentés.
nos vieux soli- Dans la plus
taires, se tien- petite rivière,
nent dans les voire même une
endroits maré- simple mare,
cageux. Les in- les caïmans pul-
dinénes leur lulent. Cès ani-
tendent des piè- maux repous-
ges dont la con- sants consti-
struction est un tuent un vérita-
chef-d'œuvrede hle danger dès
simplicité et qu'on a traver-
d'habileté; ils ser la moindre
les chassent étendue d'eau.
également à Il y a de ces
l'aide de chiens monstres qui
du pays, ani- atteignent jus-
maux à poil ras qu'à cinq mè-
tenant le milieu tres de longueur
entre le loup et et qui se fontun
le chiendes Es- jeu de saisir un
quimaux; ils Femme de Sainte,l\1arie avec son enfant. bœuf par le mu-
les forcent à la fle et, malgré sa
course et les tuent à coups de sagaie. C'est un ,résistance, de l'entraîner dans leurs repaires où
genre de chasse qui réussirait médiocrement à il ne tarde pas à disparaître dans les profondeurs
nos Nemrods parisiens, car nous doutons fort de la vase. Dans les fleuves, on en voit fréquem.
qu'aucun d'entre eux serait apte à suivre le train ment dormir sur les bancs de sable par bande de
de chasse d'un sanglier. vingt, trente même. Ils sont tellement voraces
On rencontre aussi dans la brousse des chiens qu'on les capture d'une manière tout à fait pri-
sauvages presque toujours isolés; ils ne se réu- mitive un morceau de viande au bout d'une
nissent en bandes que pour poursuivre un corde, et voilà! le caïman avale le tout et referme
gros gibier, un boeuf blessé par exemple. Sitôt la sa formidable mâchoire il n'y a plus qu'à tirer
nuit venue, ils rôdent autour des habitations et à soi. Il n'est pas d'exemple qu'il ait jamais eu
toute la nuit donnent un concert qui ne cesse la présence d'esprit de làcher l'appàt.
qu'au matin. Les indigènes racontent sur leur Autant le caïman est redoutable dans l'eau,
sagacité un trait capable de supporter le paral- autant il est craintif à terre cela tient
sans
lèle avec les faits les plus célèbres de l'histoire doute à son manque d'agilité. Il s'éloigne rare-
de Plutardue. Comme ils connaissent le danger ment des bords immédiats de l'eau. Nous connais-
presque inévitable d'êtrc happés par les caïmans, sons cependant deux cas où l'on en a rencontré
à une certaine distance de la rivière qu'ils habi- profonde, au moment précis où nous nous bais-
taient. sions pour la ramasser, nous nous rencontrâmes
Près de Marololo, un colon, qui demeurait à avec un de ces monstres venu là dans la même
deux cents mètres de la Betsiboka, ne fut pas peu intention. La surprise fut égale des deux côtés;
surpris, en allant le matin au poulailler adossé à mais comme il fallait sortir de cette dangereuse
sa case, de trouver sa volaille remplacée par un situation, nous nous retirâmes pruderninent lui
~énorme caïman, lequel y avait pénétré en se abandonnant le gibier dont il se contenta mo-
bissant sur le toit qui, cédant sous son--poids, destement à notre grande satisfaction.
-s'était brisé et l'avait introduit dans la place il Les serpents, comme ceux des autres régions
va sans dire qu'il n'était pas resté une plume des de l'île, ne sont pas venimeux; le python que l'on
-malheureux volatiles qu'on retrouva dans l'es- y rencontre est loin d'atteindre les proportions
-tomac de leur ravisseur. de son congénère du centre de l'Afrique.
1 A Suberbieville, deux colons entendant pousser De magnifiques oiseaux, dont une collection
des cris, un soir qu'ils rentraient à leûr case assez complète figurait à l'Exposition, égayent
si£trée à [50 mètres de la rivière, hâtèrent le pas; les solitudes. Au moment des mangues, d'im-
en arrivant à leur demeure, ils aperçurent à leur menses chauves-souris, dites fanihys, pas-
grande stupéfaction, un caïman de taille respec- sent dans la nuit comme des ombres en poussant
table cherchant à grimper sur le kibane (lit mal- des cris aigus et, jusqu'au matin, dansent une
,-ache) où s'étaient réfugiées deux femmes à sarabande effrénée autour des manguiers. La
moitié folles de frayeur; le hideux animal fit face chair en est très délicate et fournit un mets
aux nouveaux arrivants; mais ceux-ci étant hen- excellent.
reusement armés de leurs carabines lui firent Autrefois, dans les immenses pâturages des plai-
payer sa visite intéressée. Hâtons-nous de dire nes sakalaves. vivaient les épiornis, oiseaux de
que ce sont là des faits excessivement rares; légende, dont la taille atteignait celle d'un bœuf;
c'est pourquoi nous les avons mentionnés. la race en est maintenant complètement éteinte.
Il n'est pas rare du tout, par exemple, dès On a pourtant retrouvé des œufs pétrifiés parfai-
qu'on met le pied dans un marais, de se trouver tement conservés, dont la contenance peut être
en face d'un de ces peu sympathiques compa- évaluée de six à huit litres; on a également
gnons sur les sentiments duquel on ne tarde pas trouvé des ossements, notamment un os de
à être fixé. cuisse entier, comparable pour le volume à celui
Un jour que nous chassions dans les marais d'un bceuf de forte taille.
d'Ambrovi, une pièce de gibier étant tombée Nous ne voulons pas terminer sans parler des
dans les grandes herbes au milieu d'une eau peu lémuriens on makis, improprement appelés
singes, dont les différentes espèces peuplent les arrière, dans l'autre siècle. Et à elle seule cette date
forêts. Ce sont des animaux très .doux et cares- justifie la pr,étention du commandant d'avoir le pre-
sants, ne possédant pas les défauts des singes. mier signalé ces pierres. Mais je lui laisse la parole.
« Ainsi que vous le dites fort
bien, écrit-il, en
Aussi est-il rare de voir une habitation sans son
lieux de nos trois provinces d'Algérie, et même
maki, qui est la joie des enfants et la distraction divers
Tunisie, depuis longtemps des spécimens de pierres
des adultes. Il est dommage que la température en écrites ont été signalés par des savants s'appuyant
trop basse de nos climats ne permette pas d'ac- sur des documents rapportés ou indiqués par des
climater ces jolis animaux,ressemblant beaucoup officiers de nos colonnes expéditionnaires.
plus à l'écureuil qu'au singe ils en ont d'ailleurs « C',est 'ainsi que, capitaine
de voltigeursà la Légion
la grâce et l'agilité. étrangêre,. ayant, avec les compagnies d'élite de mon
F. DESTRÉE. régiment, commandé par le colonel Mellinet, fait partie
de l'une des colonnes qui, pour la première fois,
furent lancées dans la région des Ksour, celle du
général Cavaignac, au printemps de 18~7. je pus,.
UME FA~IIItLE ~OYIlItE ~EGEj~SÉE le premier de tous les explorateurs de ces régions,
découvrir les pierres écrites de Tiout ainsi que celles
de Megrar-Tahatani, et prendre de ces dessins un fac-
L'administrationitalienne a procédé en février der- siraile, de proportions bien réduites, quoique aussi
:lier au -recensement de la population du royaume. exactes que possible.
Les agents préposés à l'opération ont déposé dans je pus donc dor.ner des détails sur la
« Dès 18i. 7,
chaque maison des bulletins imprimés, individuels, nature de tous ces traits, détails qui furent reproduits
avec des blancs à remplir et des mots à souligner. en 1852. E~je constatais que le doigt humain peut par-
Le palais'du Quirinal, résidence de la maison royale, faitement en suivre le contour, assez profondément
a recu des bulletins comme toutes les autres habi- creusé dans le grès. Ce qui fait supposer qu'ils ont
tations. été tracés à une époque où la surface du grès était
Le roi Victor-EmmanuellII a rempli proprio pugno, malléable, c'est-à-dire à 2 500 ans au moins avant l'oc-
de sa propre main, son bulletin et celui de la reine. cupation romaine.
Nom, prénom Vittorio Emanuele di Savoia 11 Um- authentiques de 1882, ainsi que
a Plusieurs lettres
berto (fils du feu Humbert). le numéro du Journal of/îeiel du 5 mars de la même
Résidence habituelle ou temporaire Abitzcale. année 1882, établissent de la façon la plus péremptoire
Année de la naissance et mois 1869, novembre. tous mes droits de premier découvreur de ces traits
Lieu de la naissance lvapoli. préhistoriques si intéressants. Ces droits ont été re-
État de famille Conjugat.o (marié). connus et consacrés par la Société de Géographie de
Religion Cattolica. Paris, à laquelle j'appartiens depuis l'année 1885, et
Instruction Sa leggere. dont j'eus l'honneur d'être, en. 1897, l'un des lauréats.
(Le bulletin demande seulement si on sait lire ou (Médaille d'or de la fondation Malte-Brun.)))
non). Les deux croquis du commandant Koch, trop lestes
Propriétés Ha terz~eni e fabbricoli (possède pour être reproduits ici, montrent bien l'exactitude
terrains et immeubles). des descriptions de M. Flamand.
Profession unique ou principale Re d'Italia. Et je remercie mon honorable correspondant de
Le bulletin de la Reine est dans la même forme. l'occasion qu'il m'a offerte d'élucider un point inté'-
Il indique que S. M. Elena di Savoia, fille de Nicola ressaI.t, et aussi de connaître un des vaillants de notre
Petrowich, est née en janvier t873, à Cettigne. ancienne armée d'Afrique.
Le recensement ne commet aucune indiscrétion, M. A.
puisque toutes ces dates sont dans l'Almanacli de
r. 0 tha.
Les employés ont également déposé des bulletins
de recensement au Vatican; conformément aux pré- LA CHANSON DES YEUX
cédents, la Curie, dit-on, n'en a pas tenu compte. Les
indications seront inscrites d_ffice par le Municipe
de Rome. tout pailletés d'or,
J'aime tes yeux d'azur qui,
G. Ont une lueur bleue et blonde,
Tes yeux câlins et clairs où le rêve s'endort,
Tes grands yeux bougeurs comme l'onde.
A PROPOS DES PIERRES ÉCRITES Jusque dans leurs regards savants et nuancés,
Si doux qu'ils te font deux fois femme,
Ils reflètent le vol de tes moindres pensers
Et sont les vitres de ton âme.
Dlou article du février m'a valu une lettre inté-
13
Dans la rue on subit leur charme ensorceleur;
ressailte, dont les lecteurs du lVfaga~ira Pètto~°esque me Ils étonnent sur ton passage,
sauront peut-être gré de leur parler. Car ils sont.plus fleurs que la fleur
Un correspondant, le commandant Koch, « 85 ans Que tu piques à ton corsage.
d'àgc, avec six blessures reçues en trois fois devant Oui, tes yeux sont si frais sous ton large sourcil,
Sébastopol », actuellement aux Invalides, m'envoie, Qu'en les voyant on se demande
S'ils n'ont pas un arome harmonieux aussi,
en même temps que cette lettre, deux dessins relevés Tes longs yeux fendus en amande.
par lui sur les pierres écrites de Tiout et de Moghar,
en 18~7. 18~ î -Voilà qui nous ramène loin en nl.~IURICE ROLLINAT.
DANS LES FTORDS
NOU V ELLE (S«ite) (1)
Quand Horge eut appris de Hall qu'il était choisi visage était pâle et tiré, car elle avait veillé beau-
comme député, il resta là, ne pouvant croire que coup et beaucoup travaillé. Mais Kjeld se rappe-
ce fût lui dont il s'agissait. 1I n'avait pas même lait ce que sa mère disait toujours, qu'il y avait
gagné sa réputation, il ne partageait point la foi en elle quelque chose de rude. Quand, au mo-
que les gens avaient en lui. et cette réputation, ment de se séparer, il lui prit la main, il remar-
cette foi lui offrait tout d'un coup une grande qua que cette main était rugueuse mais il ne
earrière et le mettait au rang des hommes con- songea pas que chaque pli du visage et chaque
sidérables de la nation. Il ne pouvait croire, non pli de la main devait être mis à son compte à lui.
il ne croyait pas que ce fût vrai. Elle se tenait sur la porte et lui faisait signe de
Dans son doute, il y avait bien quelque chose la tête, tandis qu'il s'éloignait; mais il ne com-
dui émergeait, quelque chose de lointain, de prenait pas que l'éclair qui brillait dans son fidèle
trouble, mais qui brillait d'un certain éclat. regard lui donnait plus de courage que ses pen-
C'était l'occasion qu'il avait rêvée dans son en- sées de grandeur. Il ne regardait qu'en avant, et
fance et qui venait lui dire, non pas « veux-tu être quand il se trouva sur le pont du bateau, que les
prince? » mais, « tu es prince ». ia terre vacillait montagnes se fermèrent derrière lui et que la
soussespas, son cerveau tintait, ses yeux voyaient grande mer s'ouvrit à ses yeux, il lui semblait
des éclairs, une perspective s'étendait devant lui tenir en main les rênes et diriger son vaisseau,
si large et si lumineuse qne 'out ce qu'il avait il allait conquérir le monde.
pensé jusqu'à ce jour ne lui sergblait être que de
misérables huttes àcôté d'un s~endide château. II
Le monde entier s'étendait deva~t lui et brûlait Les députés étaient arrivés, Kjeld avait été
des cierges en son honneur, tous les gensétaient présenté aux leaders du parti paysan et Hall
en habits de fête et attendaient qu'\l parût. Mais avait si bien averti les uns et les autres de la va-
ce n'étaient.que des boufféesauxquelles il n'osait leur de Kjeld que sa réputations'étendit hors du
se confier, le doute glacial s'élevait comme le parti aussi bien que dans le parti. Il s'était pré-
brouillard des pensées sans courage et il mur- paré aux affaires dans le calme, disait-on, et
murait à lui-même ce ne peut être toi dont il parmi les députés, oh racontaitdes choses extra-
s'agit. Il regarda à la fenêtre et il aperçut Aasa ordinaires sur ce qu'il avait fait dans son pays.
qui venait à la rencontre de Hall. Ils s'arrêtèrent 11 y avait une question que Hall avait promis à
-et parlèrent ensemble, et Kjeld savait 'bien ce ses électeurs de faire avancer et il avait choisi
qu'ils disaient. Qu'en penserait Aasa? se deman- Kjeld pour porter la parole à ce sujet. Ce serait
dait Kjéld. Elle monta en hâte et entra dans la son coup d'essai. « Avec cette affaire, nous ga-
ehambre, rayonnante comme le prelnier jour gnerons ou nous perdrons tout », lui répétait-il
qu'ils s'étaient vus; son honnête visage souriait souvent; il lui demanda d'écrire un discours qui
et elle ne doutait pas le moins du monde que ses eût de la force, lui donnant quelques conseils de
nouveaux honneurs ne lui fussent acquis par un son expérience et lui apprenant de ces mots qu'il
droit incontestable. Puis les enfants vinrent, se savait devoir rallier les troupes. Kjeld promit et
bousculant et se réjouissant, parce qu'ils voyaient se vit ainsi engag-é dans la lutte il se prit à pen-
leur mère contente et qu'ils entendaient dire ser qu'il était des chefs dont on étudiait là-bas
qu'une chose remarquable était arrivée qu'ils ne de grandes actions, que tous les députés de son
pouvaient comprendre puis entrèrent les voi- parti se confiaient à lui, que leurs adversairesle
sins et les connaissances qui lui souhaitèrent craignaient et cette idée le délivra du doute qui
bonne chance et qui n'avaient pas l'air de dou- l'accablait, échauffa son esprit, lui ouvrit la vue
ter. Alors Kjeld aussi osa croire au rêve de son et, certainement aussi, à l'heure dite, aiguiserait
enfance, et les songes montèrent du fond de'son sa langue.
âme, les flambeaux s'allumèrent de nouveau, la A l'assemblée il n'apporta pas grande attention
foule s'assembla; il croyait, il était ivre de con- à ce que l'on organisait; il songeait au grand
tentement et se construisait pour l'avenir une moment où il serait mis en avant. Il imaginait
demeure sur une hauteur ensoleillée. lui-même la résistance qu'il allait rencontrer.
Le jour où Kjeld partit, sa grande carrière ou- Avec deux bons mots, il ébranlerait les bases de
verte devant lui, Aasa se tenait sur la porte. Son l'opposition, et avec un discours qui tomberait
comme une tempête sifflante descendant des
(1) Voir le Magasin Pitforesque du -1" Mars i901. hauteurs, il mettrait en déroute toutes les forces
ennemies, gagnerait la majorité et remporterait les fenêtres et une galerie devant l'entrée. C'était
la victoire. Il se voyait transporté de son' banc au un samedi soir, la porte était ouverte dans la
fauteuil du président;la foule se portait en masse plupart des maisons, les planchers avaient été
à l'entrée du Storthing et saluait en lui le triom- lavés et étaient encore humides par endroits;
phateur. on y avait répandu des aiguilles de sapins et les
Tous les soirs il répétait le commencement et premières feuilles du printemps étaient plantées
la fin de son discours. Il avait surtout donné ses autour de la porte et autour du poêle.
soins à la péroraison. llla pouvait varier de cinq Il essaya de ressaisir ses pensées, mais l'effroi
ou six manières différentes selon les CÍrcon- qui s'emparait de lui alors les dispersait toutes.
stances. Chaque soir aussi, il envisageait le grand Il relisait son spirituel commencement et sa con-
panneau qui s'étendait entre l'exorde et les con- clusion foudroyante qui, jusqu'alôrs, l'avaient
clusions, l'endroit où l'affaire elle-même devait toujours réconforté; mais, à présent, il trouvait
se traiter sur un terrain solide. Mais alors les le commencement endormant et la fin asthma-
idées ne lui venaient pas si facilement. Il se tique. Il ne comprenait pas qu'il eût pu désirer
troublait quand il regardait cet espace blanc; la célébrité. Dans ce moment il eût volontiers
il ne pouvait en venir à bout et cette fameuse échangé une couronne royale contre une chaise
attaque, qui devait faire brèche dans la forteresse sous le toit de sa maison.
et que la fin devait couronner comme un drapeau Il entendait l'horloge sonner dans une cham-
victorieux, restait toujours dans le brouillard et bre voisine et les veilleurs crier du haut du clo-
dans l'éloignement. L'entrée était gaie et facile, cher, il était tard. Il se coucha, mais il n'avait
la sortie haute et lumineuse et ces deux par- pas sommeil. Il se retournait dans son lit il se
ties grandissaient tous les jours, mais l'inter- sentait brûlant, puis glacé; il s'endormit enfin,
valle compris entre les deux demeurait toujours mais dans son sommeil, il travaillait encore à
vide. Il commençait avec courage; mais il finis- son malheureux discours.
sait par penser à l'effet que produirait cette Le.dimanche arriva, c'était le dernier jour. Les
partie qui n'était pas écrite et à l'avenir qu'elle tours des églises lançaient des coups qui réson-
lui ouvrirait. naient puissamment. Il y avait toujours eu une
Quelques jours avant que l'affaire ne fût dis- grande distance entre la maison de Kjeld et celle
cutée, Hall lui demanda s'il était prêt et Kjeld de Dieu; et, de plus, il craignait que les gens ne
lui répondit qu'il l'était en effet; en disant cela, le vissent s'incliner devant un maître; mais,
il avait l'air aussi assuré que s'il eût été assis maintenant, il sentait qu'il devenait pieux. Il
dans le fauteuil du président et eût dirigé les voulait entrer dans l'église et la pensée de de-
débats. Mais le samedi qui précédait le lundi où mander au Seigneur de l'aider se glissait en lui.
l'affaire devait passer, il regardait encore le trou Il sortit; quand il se trouva dans le grand flot des
béant. Quand Hall lui demanda pour la dernière gens qui allaient à l'église et quand il se vit dans
fois s'il était prêt, il répondit avec' moins de con- la grande maison de pierre qui tremblait sous
fiance, mais Hall ne s'en aperçut pas et Kjeld les coups de bronze, il lui parut que ce n'était
-comptait sur le jour qui lui restait. pas le même Dieu pour qui les clochesappelaient
Il sortit pour faire un tour afin de rassembler le peuple. Il fallut qu'il retrouvât le petit carillon
ses idées. Il se promena à travers les rues, mais de son église dans leur chant magnifique, la
il n'y trouva point de calme et il sortit dans la petite porte de bois dans le grand cintre de
campagne. Mais les idées ne vinrent pas. Aussi- pierre, les visages connus sous cesvisages étran-
tût qu'il voulait saisir son sujet, il fuyait. Il lui gers pour avoir le courage d'avancer. Il s'assit
semblait que c'était un nuage sur une haute dans le coin le plus sombre; l'orgue grondait
montagne, ou un brouillard qui disparaissait, ou au-dessus de lui. De sa vie Kjeld n'avait entendu
un cercle qui devenait de plus en plus mince et d'orgue. C'était comme si la voûte du monde se
enfin s'évanouissait. Il ne pouvait se rappeler fût déchirée, que le dernier jour fût venu et que
distinctementun seul point il mâchonnait tou- tous dussent être jugés. Pour la première fois,
j'ours le même mot, pendant que ses pensées les différences entre les hommes étaient effacées
suivaient un tout autre cours que celui qu'il leur à ses yeux et il les voyait tous qui priaient dans
voulait faire suivre mais cette large perspective la même douleur et s'élevaient dans la même
dans laquelle il se perdait d'habitude n'était plus espérance; la question qui l'avait poursuivi les
là. L'avenir désormais n'était pas joyeux pour jours précédents Es-tu prêt à affronter le juge-
lui, les projets merveilleux qu'il avait précisés ment des hommes? fut changé en un cri effrayant
dans leurs moindres détails se rétrécissaient Es-tu prêt à affronter celui de Dieu?
-singulièremeut; il n'y avait plus de lumière Le lundi, lorsqu'il se réveilla, le jour était gris
autour d'eux, sa pensée ne flottait plus au milieu et froid; mais Kjeld se leva tout de suite. Il gelait
de ces ravissants tableaux. et il lui semblait qu'il était ratatiné. Un enfant
Il recherchait les faubourgs où les construc- aurait voulu lui ôter la vie qu'il ne ser, fflt pas
tions étaient basses, irrégulières et penchées défendu.
l'une contre l'autre, avec de petits jardins sous Il sortit. Le brouillard obscurcissait les rues.
La .ville .dormait encore ça et là, à une fenêtre, n'avait pas, surune force qui n'était pas la sienne
paraissait quelque visage endormi, et soit un. L'horloge sonna, les députés. étaient à ses
ouvrier, soit un décrotteur de souliers passait en côtés. Il semblait à Kjeld qu'ils étaient là pour le
frissonnant le long des trottoirs. juger. on s'assit à sa place', à l'extrémité d'un
Kjeld sortit encore de la ville et quand il fut banc, Hall à sa droite, et il feuilleta quelques
sur la hauteur, il ne vit au-dessous de lui qu'un papiers mais il ne distinguait pas une seule
seul nuage épais. Mais le soleil montait et le lettre. Le président lut quelque chose, on' paria,
brouillard se dissipait au-dessus de la cité. on vota, et Kjeld se leva, puis se rassit avec Hall,
D'abord parurent les tours et les flèches les;plus sans savoir pourquoi il avait voté. Puis vint un
hautes qui semblaient s'élever toutes ensemble grand silence et on lut encore. Tout s'assombris-
au-dessus du sol, pareilles aux grands esprits sait pour Kjeld. La lecture fut terminée, le pré-
d'une nation qui voient plus loin et aspirent à sident s'assit, il y eut une pause, Kjeldavait l'air
monter plus haut.que les autres. Pendant que la cloué à son siège, son regard vide parcourait la
foule dort encore, le soleil a déjà allumé des salle, une sueur froide coulait sur son front.
milliers d'étoiles à ces flèches d'or. Quand, au « Maintenant, » dit Hall à voix basse, « levez-
bas, gronde le bruit de la journée, elles se dres- vous. » Et Kjeld se leva.
sent dans l'air pur avec leurs grandes pensées et « Monsieur Horge a la parole. » Ces mots tom-
leur volonté droite, et lorsque la nuit tombe et bèrent du fauteuil du président, comme si c'eût
que tout vacille sur la terre, dans l'obscurité, été l'annonce du jour du jugement.
elles sont la garde vigilante. Puis le silence, un silence .de mort; mais les
Le brouillard s'éloignait et de longues rangées oreilles de Kjeld tintaient comme s'il y avait
de maisons ém~rgèrent soudain avec leurs côtés eu mille cascades dans la salle; il voyait les yeux
bigarrés d'affiches; les rues se montrèrentaussi, fixés sur lui, des yeux féroces, qui tous voulaient
les dernières vapeurs se perdirent, comme un savoir comment s'expédiait un indiv idu. Hall tira
léger voile, sur la mer où frémissait une forêt son pantalon et murmura « Allons »
Mais
de mats et de rames. Les rues et les places se Kjeld ne voyait plus que le chef de l'armée cé-
remplissaient d'une foule grouillante, tous lés leste qui s'approchait de lui et se disposait à le
drapeaux du pays flottaient secoués par la fraîche frapper.
brise du matin, toutes les marchandises étaient Hall répéta: « Maintenant? »
roulées dehors et dedans. La vapeur bouillon- Mais Kjeld ne pouvait se rappeler de quoi il
nait, la fumée sortait des cheminées. On aurait s'agissait; la frayeur lui avait eplevé la mémoire.
dit une monstrueuse machine en travail. Mais il Il voyait par delà la salle il apercev ait, dans un lieu.
semblait à Kjeld que tout était en fureur contre élevé, Aasa qui le regardait avec étonnement.
lui; il avait sa place dans la machine en travail, Ses forces de quinze allaient prendre leur-
il était engrené qu'il fit un seul faux pas et elle essor, la foi dè quinze années allait recevoir sa
le rejetterait comme une matière inutile, puis récompense, toute la race des Horge se tenait là
continuerait tranquillement son œuvre. Il eût et attendait. Mais il ne lui venait pas un mot à.
voulu crier que tout ce mouvement était en l'esprit.
dehors de l'éternelle loi de Dieu qui dit qu'un « N'y êtes-vous pas ? »
souffla Hall. « Si. »
pécheur repentant a plus de valeur que cette roue « Toussez, mon
ami, et regardez vos papiers.
humaine qui ne se trompe jamais, mais qui jusqu'à ce que vous ayez repris le fil de votre
jamais, non plus, n'a de pitié pour ce qui n'entre discours, » lui répondit-on à voix basse.
pas en compte dans son grand ouvrage. Kjeld se pencha sur le pupitre; mais, à l'effroi
Mais la machine marchait, les cloches son- de Hall, il prononça ces paroles « Je n'ai pas,
naient, l'heure de la séance approchait. Kjeld se de discours. »
hâtait et ses pensées se tournaient vers les expé- «
£tes-vous préparé? » Aidez-moiaunom
dients les plus extravagants, se heurtaient à un de Dieu. » « Mais que diable il faut marcher
mur qui les rejetait brutalement. et dire, dire. » Et Hall dans sa surprise et sa
Dans la Chambre, les députés allaient et ve- colère ne trouvait pas ses expressions. » « Dieu
naient. Hall s'approcha de Kjeld et lui dit « Voilà me pardonne, si c'était un mensonge! » « A la
la bataille. » Comme s'il avait besoin de la lui mer » criait-on autour de Hall.
rappeler, pensa Kjeld. Il était blême et il trem- Il fallait agir, agir en un tour de main; il fallait
blait. Hall lui demanda s'il était malade. « Non. » arranger ce qui pouvait être arrangé. Mais Hall
« Oui, oui, c'est ainsi la
première fois » ajouta lui-même n'y était pas, il prit au hasard dans le
Hall et il sourit. « Il fait froid », dit Kjeld. « Oui, » trésor de son expérience parlementaire et souf-
répartit Kjeld et il rit. fla « Dites quI' vous renoncez à prendre la pa-
D'autres arrivaient et parlaient du grand role après ce qui est survenu par rapport à
moment; ils comptaient toutes les victoires qui l'affaire. » Kjeld répéta la lettre.
devaient suivre celle-là. Kjeld ne savait s'il de- (A suivre.) KRISTIAN ELSTER.
vait rire ou pleurer, quand il songeait que ce
magnifique édifice reposait sur des pensées qu'il (Adapté du norvégien par Jacques' de Coasswcss.)
La Quinzaine quoique trop'étroils, existent déjà. En outre, même
avec le contrôle des gens de goût qui composent le,
haut personnel de la direction des Beaux-Arts de la
LETTRES ET ARTS Ville, on craint l'invasion de l'antiquaille, peu authen-
tique souvent, l'afflux des dons sans valeur, faits
vient de donner une belle fête au Petit Palais
On pour hausser le prix, à côté de collections particu-
des Champs-Élysées pour sa prise de possession par lières qui se vendraient d'autant mieux que des objets
la Ville, à laquelle l'État l'a rétrocédé. On s'est un y ayant figuré auraient été acceptés au Petit Palais.
,peu bousculé à cette fête, et toutes les demandes de Un second projet demande la création d'une sorte
cartes, pourtant, 'n'avaient pu être satisfaites, mais de m'usée contemporain, le musée des artistes pari-
quand on ne veut pas éprouver quelques ennuis au siens. Toulouse, avec sa salle des Illustres, Montauban,
-vestiaire, dans des soirées pareilles. on reste chez avec ses collections d'Ingres, ont donné l'exemple.
soi. Et, vraiment, ici, c'eùt été dommage, car le Petit Ces villes, et d'autres, honorent particulièrement t
~aIais, décoré comme il l'était, avec ses fleurs, ses leurs concitoyens célèbres en exposant le .plus grand
lumières, ses tapisseries magnifiques, formait, nombre de leurs œuvres qu'il est possible de réunir.
outre les attraits du programme, le plus charmant Paris est en retard, négligent ou trop « cosmopo-
décor parisien que l'on puisse imaginer. Il nous est lite », sur ce point.' Qu'il honore donc enfin les
apparu dans tout son beau, c'est-à-dire avec ses.qua- Parisiens C'est fort bien, mais voici la difficulté
lités architecturales qui sont la grâce et l'harmonie, qu'est-ce qu'un Parisien? Faut-U, pour l'être, avoir vu.
-et qui le différencient, par exemple, des galeries le jour sur les boulevards ou à Montmartre? Se con-
spacieuses et des salles énormes de l'Hôtel de Ville, tentera-t-on d'un séjour, d'un certificat de toute une
où l'on a une impression de force et de majesté. La carrière de travail? Et de quelle durée? Sur ce der-
Ville de Paris /Jura désormais à sa disposition deux nier sujet de discussion, on arriverait à s'entendre,
palais qui lui permettront de varier le caractère de à fixer une moyenne l'idée n'est point mauvaise en
ses réceptions, un peu trop connues et banale'S à la soi.
longue dans son principal édifice communal. Une Et voici la troisième proposition à l'étude tirer
fête de fleurs au printemps, dans le Petit Palais, serait parti, simplement, des richesses artistiques que la
adorable. Il est à désirer qu'on y pense. Ville enfouit dans ses magasins d'Auteuil, et exhumer
A l'occasion de ce gala du 9 mars, tout en admiraht quantité de marbres qui ne voient jamais le jour,
le parti que M. Bouvard et ses collaborateurs ont su quantité de toiles (tel le superbe Quatorze Juillet de.
tirer, pour cette première fête nocturne, du « délicat Roll) que l'on promène un peu partout sans jamais
chef d'qeuvre » de M. l'architecte Giraud, les invités les mettre en pleine valeur. Il faudrait, évidemment,
avaient presque tous sur les lèvres, la même ques- faire une sélection intelligente, mais, nous l'avons
tion « C'est ravissant. Mais demain » Oui, demain, dit, les « compétences" ne sont pas rares parmi les
que mettra-t-on, à la place de petites scènes et d'or- fonctionnaires de la Ville et même parmi les conseil-
chestres, dans ces galeries aux courbes si gracieuse- lers municipaux. Il est absurde de laisser moisir
ment tracées? Voilà,p;rès de six mois qu'on en parle, tant d'oeuvres dont' quelques-unes sont fort,belles et
et aucune décision n'est encore prise. Le Petit Palais qui presque toutes ont été achetées assez cher. Le
ne peut être employé uniquement à des réjouissances Petit Palais est indiqué pour les abriter.
théâtrales et à des soirées dansantes. Qu'il ait cette Il nous semble qu'une combinaison de ces deux
utilisation deux fois, quatre fois par an si l'on veut, derniers. plans serait à souhaiter leur application
rien de mieux, mais entre chaque fête? exclusive serait ou insuffisante ou. un peu incohé-
Le Conseil municipal en est, paraît-il, assez préoc- rente et sans intérêt capital. En les associant dans
cupé. Ce ne sont certes pas les propositions qui lui une bonne mesure, on obtiendrait un heureux ré-
manquent; il n'a que trop l'embarras du choix! On sultat. Mais qu'on se hâte, surtout, c'est l'important.
en compte trois qui sont classées en bon rang. Tout On n'a pas encore, à vrai dire, perdu de temps puis-
d'abord il faut mettre hors de discussions ce fait que c'est d'hier seulement que la Ville est entrée là,
qu'en plus des bals et des représentations, ou- des « chez elle ». L'année cependant ne doit pas s'écouler,
cérémonies de circonstance ou de saison, le Petit même le printemps, sans que la possession soit
Palais pourrait être prêté, partiellement, à certaines rendue effective.
expositions dignes du patronage de la Ville. On vient En face du Petit Palais, en ~ce moment, tandis
d'y accueillirune exposition en faveur d'œuvres pro- que les animaux gras, ô dérision! -arrivent pour
tectrices de l'enfance, organisée par M. Rollet. Mais le concours agricole, la réception des œuvres en-
ceci encore n'est que transitoire, accidentel, et, en voyées au Salon se prépare très activement. Les
tout cas, tout le Petit Palais n'en serait pas encombré. secrétaires des deux sociétés rivales et voisines sont
Il faut donc songer à son occupation définitive, per- au travail. Ils ont réparti les emplacements d'une
manente (quitte à déménager des salles, en cer- façon générale. Nous savons seulement de bonne
taines circonstances), etvoici, notamment, quelques- source que les artistes n'auront pas à se plaindre
uns.des partis qui se présentent. un nouvel examen de l'édifice auquel on a procédé
Le premier est peut-être le plus tentant parce qu'il a montré que presque partout la lumière sera bonne,
s'inspire du grand succès qu'ont obtenu les collec- mais d'ores et déjà on doit prévoir que le Salon de
tions anciennes assemblées là pendant l'été de 1900 j 901, dans l'ensemble de son organisation, ressem-
il consisterait à former une sorte'de musée de la blera fort à ceux des années qui précédèrent les
curiosité parisienne, un Carnavalet et un musée de exodes à la galerie des Machines et à l'avenue de
Cluny réunis; daus l'un et dans l'autre om manque Breteuil. Le Grand Palais, c'est, à part les galeries
de place.' Mais l'objection formulée contre cette pro- latérales surhaussées, l'ancien palais de l'Indus-
position est, précisément, que. Carnavalet et Cluny, trie, offrant un peut plus d'étendue peut-être, mais
pas beaucoup, pas assez.Et on est amené, alors, à victimes que la reconnaissance de ce pays a faites
chantonner « que ce n'était pas la peine assurément parmi les voyageurs da nationalité italienne. A citer,
de changer. » PAUL BLUYSEN. pour les vingt dernières années seulement Giuletti,
massacré dans -lé pays. des Gallas', en 1881 Antinori,
tué dans le Choa, également en 1885; Porro, mas-
Géographie sacré dans le Harar en' f886; le prince' Ruspoli, fils
du maire de Rome, tué en J 892, accidentellement, il
est vrai, par un éléphant; en dernier lieu (juin 189 î)
Un coin d'Afrique. Le pays des Somalis. l'infortuné Bottego, chargé par le gouvernement et
A propos d'une récente information. par les associations scientifiques du royaunied'une
De temps à temps une nouvelle d'outre-mer vient mission réellement intéressante et dont la mort (il
rappeler aux Européens que le monde habité ne fut traîtreusement tué par un chef galla) mit en émoi
s'arrête pas aux confins du vieux continent, que des l'Italie entière. Telles sont les parts revendiquées par
populations vivaces, guerrières, s'agitent, se dépla- les puissances européennes. A côté d'elles, uu État
cent, disparaissent ou reviennent à la vie. Tel est africain, l'Abyssinie, ou plutôt son négus, émet des
particulièrement le cas des peuples africains dont prétentions non moins vastes, ni moins justifiées.'
l'existence ne fut parfois révélée que par-l'audace Pénétré de l'adage Uti possidetis, le négus Ménélik
dont ils ont fait preuve dans leur résistance aux em- envoie ses lieutenants prendre possession effective,
piètements européens. des pays situés à l'est et au sud de son royaume ou
Les Boers, qui étonnent en ce moment le monde châtier ceux qui se refusent ,à reconnaître sa sôuvé-
civilisé par leur vaillance et leur indomptable énergie raineté. De là, les fréquentes expéditions militaires
sont, malgré leur origine européenne, un peuple dans lesquelles semble se complaire, ce prince et
éminemmentafdcain.Parmi les populations aborigènes dont l'écho parvient jusqu'en Europe.
a
du continent autrefois mystérieux, deux races Les Somalis de leur côté paraissent, jusqu'à pré-
semblent être animées d'un réel esprit d'indépeil- sent, peu décidés à aliéner leur liberté. On ne pos~
dance les Touaregs et les Somalis. Le tW zgasin Pit- sède encore que des renseignements très vagues sur
toresque a exposé à diverses reprises les efforts ten- le pays, dans son ensemble quatre fois plus grand
tés par les pionniers français pour réduire la popu- que la France; nul doute que certaines parties de
lation guerrière des Touaregs, efforts partiellement cette vaste étendue ne renferment des richesses natu-
couronnés de succès. Les pays somalis, bien que ne relles facilement exploitables la vie animale y serait
rentrant encore entièrement dans aucune sphère également fort abondante, nombre d'Européens s'y
d'influence européenne, ne présentent pas moins rendent, de nos jours, dans un but de chasse. On a
d'intérêt. tant pour l'ethnologue que pour l'écono- eu, par contre, l'occasion d'étudier de près le type
miste et l'homme d'État, ou le simple penseur. Une de ses habitants. La plupart des voyageurs européens
information parvenue ces jours-ci en Europe nous s'accordent à louer la prestance physique, la bravoure,
apprend en effet qu'une grande révolte vient d'éclater l'énergie de ces demi-sauvages. On évalue le nombre
dans ces pays, révolte dirigée principalement contre des Somalis à un million environ.Leur nom signifierait
l'autorité du négus d'Aby ssinie qui prétendait ou s'ima- d'après les uns obscurité; d'après d'autres, intrépidité
ginait tout au moins exercer une sorte de souverai- ou férocité. Intrépides, ils le sont en effet, et on en a
nsté sur ces peuplades. Sept mille combattants auraient vu qui enlevaient (octobre 1883) les troupeaux du
péri. Les informations de ce genre sont toujours pacha et des indigènes de Zeila qui paissaient à une-
sujettes à caution. Nous laisserons donc aux nouvel- heure de la ville sous les yeux de deux cents Souda-
listes le soin d'éclaircir ce point d'histoire africaine, nais qui formaient la garnison. Au point de vue plas-
nous contentant d'exposer à nos lecteurs l'état actuel tique, on les représente habituellement comme fort
de nos connaissances sur ce peuple. Ces connais- beaux, ils n'ont aucun des traits repoussants qui
sances ne sont d'ailleurs pas bien étendues. caractérisent la race nègre. La couleur de la peau est
Politiquement,-cartoyraphiquemezat,devrions-nous très variée; on en rencontre qui ont une teinte cui-
dire, car nombre de morceaux du gâteau africain vrée d'autres ont la peau d'un noir très accentué.
n'appartiennent encore aux puissances européennes Ils pratiquent tous les sports et sont en général
que sur les cartes éditées à Berlin, à Paris ou à grands amateurs de jeu et de danse le foot-ball serait
Londres, politiquement donc, les pays somalis l'une de leurs distractions les plus favorites. Insou=
sont partagés entre plusieurs États les Français pos- ciants du lendemain, trouvant facilement une nour-
sèdent, sur la côte, Djibouti et Obock. Nous préten- riture abondante sur de vastes espaces, agiles et
dons en même temps sur un hiiiterland (pays avancé intelligents, tels semblent être les traits les plus
à l'intérieur) de 120000kilomètres carrés. La caractéristiques d'un peuple dont différents États se
Somalie britannique, qui occupe tout le littoral sud disputent le patrimoine territorial. Souhaitons que
du golfe d'Aden (en langue officielle, Somali coast ces nouvelles conquêtes ne soient pas trop chèrement
Protectorate;, a une longueur de près de 650 kilo- payées par les audacieux acquéreurs.
mètres. Zeila en est considéré comme le chef-lieu. P. LEMOSOF.
Les prétentions des Italiens sont plus exorbitantes
encore. Rien que l'hinterland de la colonie de l'Éry-
thrée, dont la région somalie est considérée comme LA GUERRE
simple dépendance, n'embrasse pas moins de
AU TRANSVAAL
260000 kilomètres carrés avec une population de
plus de 400000 habitants. Ces prétentions sont justi- L'impuissance de lord Kitchener contre Botha et
fiées, à, l'égard des deux autres puissances euro- De Wet vient d'être une fois de plus démontrée par
péennes, par le nombre relativement considérable des les derniers événements.
Louis Botha, cerné par une dizaine de colonnes parlers, personne ne le sait, et le gouvernement an-
anglaises dirigées par le général French, semblait glais reste 'muet. En tout cas, dans l'entourage du
définitivement perdu. vieux président Krüger, à la Haye, on se montre
Il est aujourd'hui au nord de Middelburg, hors d'at- toujours très rassuré, car on sait bien que Botha
teinte, après avoir passé sur le corps de la colonne n'acceptera de déposer Iles armes 'que si l'indépen,
Smith Dorien dans des circonstances que le jYar dance des deux vaillantes républiques est garantie.
Office a jusqu'ici négligé de nous faire connaître. Complétons cette petite revue de quinzaine en si-
De Wet, l'admirable raide~°, enfermé d'un côté par gnalant l'attaque de Lichtenburg par le commando
l'Orange en crue, de l'autre par le cordon serré de de Delarey, que lord Kitchener représentait la veille
sept colonnes convergeant sur son petit commando, comme absolument découragé dans sa retraite inac-
a pu néanmoins franchir le fleuve et retourner dans cessible du Magaliesberg. Lichtenburg est à 30 milles
l'Orange, sur le théâtre de ses anciens exploits. à peine à l'est de Mafeking et cette attaque, dont
De Wet comptait évidemment faire sa jonction avec nous ne connaissons pas le résultat au moment où
les trois commandos boers qui se trouvaient déjà nous écrivons ces lignes, prouve péremptoirement à
dans la colonie du Cap. Il avait gagné la première lord Kitchener qu'il doit toujours compter. avec De-.
manche en réussissant à franchir la frontière. Il a larey comme avec Botha et De Wet.
perdu la seconde, puisqu'il se trouve ramené à son P.-S. Les bruits relatifs aux négociations entre
point de départ. A quand la belle? Nous l'ignorons, Botha et lord Kitchener semblent se confirmer. On
mais on peut être assuré qu'il la jouera. Ses com- assure même qu'un armistice de sept jours aurait été
mandos sont dispersés aujourd'hui, mais on a con- conclu afin de permettre au généralissime boer de
staté maintes fois avec quelle surprenante facilité ils consulter les autres généraux qui tiennent la cam-
savaient se concentrer sur un point déterminé. Pas pagne.
un ne manquera au rendez-vous à l'heure fixée. D'autre part, l'attaque de Delarey sur Lichtenburg
Les conditions dans lesquelles De Wet est parvenu a été repoussée après une lutte acharnée de 24 heures,
à franchir l'Orange, à quatre milles du pont de Coles-
berg, ont forcé l'admiration même des généraux an- EN CHINE
glais qui le poursuivaient et croyaient bien t~nir, cette La Chine semble redevenue un pays charmant. On
fois, l'insaisissable! Une faute commisepar le colonel a bien exécuté l'autre jour deux ou trois Chinois de
Byng, et De Wet, avec le coup d'œil et le sang-froid marque, mais les ministres européens semblent avoir
d'un grand général, met immédiatementà profit cette aujourd'hui des préoccupations beaucoup plus sé.
erreur d'un moment et il échappe au plus grand rieuses. Le retour de la cour à Pékin, les petites
danger qu'il ait jamais couru depuis le commencement expéditions entreprises çà et là contre quelques
de cette interminable campagne. douzaines de Boxers récalcitrants, tout cela passe au
De Wet est donc libre, et de nombreuses bandes second plan. Ce qui importe maintenant, c'est le
de deux à trois cents hommes continuent à parcourir bruit fait autour d'une dépêche de l'ambassadeur
la colonie du Cap, tentant de hardis coups de main d'Angleterre à Saint-Pétersbourg relativement aux
sur les petites garnisons anglaises isolées, en réussis- affaires de Mandchourie.
sant quelques-uns, mettant sur leurs boulets les che- D'après cette dépêche, le comte Lamsdorff, le mi=
vaux de l'infanterie montée anglaise acharnée à leur nistre de Nicolas Il, aurait affirmé que la Russie n'a
poursuite, Combien de temps, encore durera ce jeu jamais conclu avec la Chine d'accord permanent qui
de cache-cache? Il est impossible de le prévoir, mais donnerait à la Russie un protectorat virtuel sur la
il n'est plus permis maintenant d'espérer le soulève- Mandchourie méridionale. Les autorités militaires
ment des Afrikanders du Cap, et les Anglais ont gran- russes qui ont occupé temporairementet pacifié cette
dement raison de se féliciter de ce résultat. LordKit- province ont bien été forcées de débattre les condi-
chener contiendra facilement les petits commandos tions d'unmodus vivendi. Mais il reste entendu que la
boers qui ne se décideront pas à remonter vers le Mandchourie retournera à la Chine dès que les cir-
Nord et pourra apporter tous ses soins à la prépara- constanCGS le permettront
tion du gigantesque coup de balai qu'il se propose, Sur ce, les journaux anglais, qui oublient complè..
dit-on, de donner dans l'Orange. Plusieurs petites tement cet autre modusvivendi établi par l'Angleterre
colonnes se rassemblent dès maintenant près de en Égypte, partent en guerre contre la Russie, et la
Springfontein, au sud de Bloemfontein, qui paraît diplomatie d'Édouard VII ne verraitpas sans déplaisir
devoir être la base de ces nouvelles opérations. Espé- les puissances faire des représentationsà la Chine au
rons qu'elles ne donneront pas de plus brillants ré. sujet de sa convention avec la Russie.
sultats que la grande manoeuvre ratée de French Cette'petite cabale n'a pas l'air d'inquiéter beau-
contre Botha, coup nos alliés. Et une fois de plus nos voisins
French, en effet, n'a pas plus réduit le généralissime d'Outre-Manchedoivent maudire secrètement la poli-
voer que Bruce Hamilton n'a capturé De Wet, et les tique de M. Chamberlain qui les a engagés jusqu'à la
~pérations des onze colonnes anglaises n'ont été en garde dans cette odieuse guerre du Transvaal, qui les
somme qu'une immense razzia. Si les dépêches du rend impuissants à l'autre bout du monde.
War Office n'exagèrent pas le nombre des têtes de HENRI MAZEREAU.
bétail capturées, le Transvaal est incontestablement
le plus riche pays du monde en animaux de toutes 00
sortes! CAUSERIE MILITAIRE
Ce qui paraît beaucoup plus sérieux, c'est la nou-
velle que des négociations ou plutôt des pourparlers Dans la Revue du Cercle militaire, le capitaine Gé-
seraient engagés, depuis l'échec de French, entre rard, du f47° régiment d'infanterie, l'inventeur bien
Botha et Kitchener. Sur quel point roulent ces pour- connu de la bicyclette pliante, a publié des articles
fort intéressants sur « l'infanterie sous le feu de l'ar-
tillerie ».
peu à sa droite (ou à sa gauche); il son épaule et
son bras droit (ou gauche) dans le creux qui existe
.Partant de ce point de départ qu'une troupe d'in- entre l'homme du premier rang. et celui qui est" à sa
fanterie. à découvert sous le feu des nouveaux canons droite (ou gauche); il raccourcit enfin ses jambes et
exécutant le tir par rafales, peut être anéantie dans incline sa tête sur son camarade.
l'espace d'une minute, il s'évertue à trouver un moyen Voilà certes un excellent moyen de protéger l'infan-
de protéger ladite troupe, au cas où elle ne voit pas terie contre le tir en rafales de l'artillerie. Les fan-
devant elle d'abris naturels suffisants. tassins peuvent même riposter, si l'on fait'asseoir sur
Que faire, lorsque des soldats braves, sans doute, la fesse gauche les hommes du second rang, ce qui
mais forcément accessibles à toutes les faiblesses leur permet de passer leurs fusils dans l'intervalle
humaines, se trouvent, en marchant au combat, cou- des sacs dressés et d'exécuter des feux, lorsqu'ils
verts d'une pluie de projectiles avant même d'avoir sont assez rapprochés des batteries ennemies.
vu l'ennemi? Cette innovation, qui peut donner les meilleurs
C'est, neuf fois sur dix, la panique, et tout le monde résultats, est-elle exempte de critiquss Voilà une
se rend facilement compte que la panique n'est autre question que j'aurai l'honneur d'examiner dans un
chose que le prélude de la déroute, et, par suite, du de nos prochains numéros.
désastre. CAPITAINE FOUQUET.
Il faut donc suppléer à l'abri naturel par un abri
artificiel pouvant s'établir avec une extrême rapidité.
,Cet abri, c'est le sac, le sac comprenant le charge-
fl1HÉAfl1l\E
ment complet de campagne avec le campement, les
outils, les vivres, la veste et la couverture roulée en
fer à cheval. La gamelle individuelle, placée au som-
met du sac, doit être solidement soutenue par la LA VIE DRAMATIQUE
courroie de charge. La couverture doit être roulée de La reprise de Patrie à la Comédie-Françaiseest sans
telle sorte que les extrémités affleurent la partie in- contredit l'événement dramatique actuel. On sait le
férieure du sac. La tente-abri, quand les hommes en triomphe que remporta le beau drame patriotiquede
sont munis, est roulée comme d'habitude autour de M. Victorien Sardou, en 1869 j'ai.pu mettre lamain
la couverture; les piquets, fixés sur le côté gauche, sur une ancienne photographie des créateurs de l'œuvre
ne doivent pas dépasser le sommet de la gamelle.
Le capitaine Gérard se base sur ce fait que les pro-
jectiles de l'artillerie exécutant son tir rapide et par
rafales n'ont qu'une'médiocre pénétration et qu'il
en résulte- que le sac peut servir de bouclier.
,Sans vouloir examiner en détail l'ingénieuse orga-
nisation de ce système, qui s'applique aussi bien aux
grandes unités qu'aux petites> qu'elles soient disposés
en ligne ou par le flanc, et qui a l'avantage de n'exi-
ger que quinze secondes de préparation, je 'me bor-
nerai à en citer textuellementla théorie fondamentale.
Supposons l'escouade composée de six files de front
,et sur deux rangs (la file se forme de deux hommes
placés l'un derrière l'autre).
Au commandement de
Abritez-vous,
La file du centre fait face à la batterie si elle n'y
est déjà; tous les hommes se serrent sur cette file l'un
Contre fautre,coude à coudesans intervalle; ils couchent
feur fusil à terre, à leur droite, longitudinalement,la
-crosse à om,aO en arrière, le canon en avant, le levier
en dessus; ils enlèvent leur sac et s'asseoient de la
manière suivante les hommes de premier rang à la
turque, la baïonnette ramenée en avant, les genoux
~^approchés et serrés entre les coudes, de manière à
offrir le moins de surface possible; ils placent en
même temps leur sac devant eux, la gamelle en bas,
le dos du sac face en avant.
Les hommes du second rang passent leur sac à leur
chef de file en le plaçant sur celui déjà établi; la ga- Les créateurs de Patrie.
melle en haut, le dos du sac également face en avant. (D'après une photographie de l'époque.)
L'homme du premier rang saisit ce sac avec les
deux mains par les courroies latérales de façon que àlaPorte ~aint-Martin mes lecteurs jugeront mieux
ses deux mains soient abritées, et il s'efforce de le ainsi de l'intérêt de cette interprétation de premier
maintenir solidement; il s'affaisse le plus possible et ordre. Dumaine en comte de Rysoor, Berton en Karloo,
courbe la tête, qu'il appuie contre le sac s2cpérieu~ ~1D1. Fargueil en dona Dolorès, jusqu'au rôle du son-
L'homme du second rang s'assied sur la fesse neur,Jonas tenu par le gros Laurent, tous ces comé-
droite, le plus près.possifile de. son chef de file et un diens hors ligne apportèrent l'appui de. leur talent à
une oeuvre forte, à une intrigue bien conduite, qui durable ne saurait changer de milieu. C'est ainsi que
fit monter aux nues la réputation du maUre. deux amis, deux peintres ultra-modernes,ont commis
Patrie était en somme le premier essai'dramatique la lourde faute d'épouser leurs modèles et dans le
de Victorien Sardou qui jusqu'alors s'était fait ap- monde où les deux couples font, une fois mariés,
plaudir dans la comédie il était l'auteur de Pattes leur apparition, tout va de mal en pis. Les femmes
de mouche, de la Famille Benoiton, de :Vos Intimes, de se font courtiser, les hommes sont accaparés par de
tant de petits bijoux littéraires, mais pas autre chose. galantes mondaines; au troisième acte, on se retrouve
Patrie fut comme une révélation. A vrai dire le pro- à l'atelier que l'on n'aurait jamais dû quitter, et le
cédé romantique s'y rencontre à plus d'une place, la bonheur fugitif est revenu.
langue même est parfois empreinte de ceton empha- Cette donnée n'est peut-être pas d'une grande mo-
tique particulier à cette école, mais ces défauts qui ralité mais l'anecdote est agréable, bien présentée
étaient des qualités autrefois n'ont point vieilli la sous une forme honnête quand même, dans son sujet
pièce. Elle apparaît aujourd'hui encore resplendis- immoral.
sante avec sa mise en scène merveilleuse, ses grouil- Le Liseron est fort bien interprété par Louis Gau-
lements de peuple, ses défilés somptueux, son intrigue thier, le si charmant. d'Artagnan de la Porte Saint-
si humaine, et Ipar-dessus tout, ce sentiment de la Martin, Guyon fils aux ahurissements drolatiques
patrie élevé à la hauteur d'un culte, et qui domine les Mlle Biana Duhamel, l'adorable miss Helyett d'autre-
situations même les plus dramatiques. fois, qui joue la comédie aussi bien qu'elle chante, et
L'intérêt de la reprise résidait surtout dans l'inter- Mlle Yveline Janney, un véritable « grévin » qui pos-
prétation. Disons tout de suite qu'elle est parfaite dans sède de sérieuses qualités de comédie.
son ensemble, que ne sauraient amoindrir certaines Ainsi montée, je suis persuadé que la pièce de
critiques de détail. M. Riche attirera un public nombreux à la Renais-
C'est ainsi qu'en première ligne Albert Lambert a sance.
fait de Karloo une créaI ion absolument hors pair il
a des emportementsfarouches, des révoltes superbes, Il en sera de même très certainementà l'Athénée, où
des éclats admirables. Mme Brandès qui lui donne la MM. Xanrof et Michel Carré ont imaginé une sorte d'o-
réplique est moins complète dans son jeu; si, dans pérette sans musique, sur un sujet des plus scabreux,
les scènes de passion elle possède une souplesse peu mais bien amusant. Il s'agit de l'éducation de l'amour
commune, il n'en est pas de même dans l'ensemble donnée à une reine ingénue dans son voyage de noce
du personnage qui manque par trop de distinction. à Paris. L'idée est originale l'exécution habile avec
Quelqu'un disait, près de moi, qu'elle jouait la com- une teinte de sentiment et d'ironie. Conter par le
tesse de Rysoor, comme elle aurait joué Gervaise. Cette menu les aventures du jeune roi de Stamanie un
sévérité est certainement exagérée, et peut,être ce jeu royaume que l'on trouveraitdifficilementsur une carte
est-il voulu, puisque son mari raconte qu'il est allé la géographique et de la charmante Mialka, sortie d'un
chercher, en raison de sa beauté, dans une affreuse couvent de la haute noblesse pour s'asseoir sur le
misère lacomtesse ne seraitdonc point, s'il en était trône, serait assez difficile. Sachez donc que si la
ainsi, d'une origine bien relevée. Il est cependant diffi- pièce n'est point faite précisément pour les jeunes
cile d'admettre que, nouvelle Madame Sans-Gêne, elle filles, elle aura quand même sa clientèle toute spé-
n'aurait point pris de meilleures manières dans sa ciale. D'autant plus que l'Athénée est devenu le
nouvelle condition. Et puis comment expliquer alors théâtre le plus élégant de Paris, aussi bien sur la
l'amour incommensurable de Karloo? scène que dans la salle. L'habile direction de M. Deval
Mounet-Sullyde son c6té a fait du comte de Rysoor, a porté ses fruits, et le succès ne quitte plus la bon-
le grand patriote, une silhouette inoubliable ce mari bonnière du square de l'Opéra.
trompé plaçant la patrie au-dessus de ses affaires Aujourd'hui on ne doit que des éloges à l'interpré-
personnelles, et pardonnant à celui qui s'est joué de tation de Pour être aimée! et en première ligne
son honneur, à la condition que ce dernier punira 1i'le Yahne gentille à croquer en reine Mialka. Du
le traître qui a livré son pays, cet homme si'au-des- côté des hommes, M. Hirch est un duc Riotor qui
sus des autres hommes a quelque chose de sublime. rappelle. M. Crozier, et M. Séverin plein de majesté.
Dumaine y mettait plus de rondeur. Mounet-Sully y La mise en scène est somptueuse comme d'habi-
apporte une plus large poésie. tude, et les toilettes sortent de chez le meilleur faiseur.
La Trémoille, c'est Le Bargy, impertinent à souhait.
Jonas, c'est de Féraudy, moins opulent que Laurent,
toutefois parfait de bonhomie. Pourquoi faut-il que je ne puisse distribuer les
Mais le succès de la représentation a été pour mêmes éloges à la pièce des Variétés, les Médicis ?-
Paul Mounet et Mlle Lecomte. Paul Mounet donne au Quand cette chronique paraîtra, hélas! elle aura vécu
duc d'Albe, ce tyran ivre de sang, une splendide « ce que vivent
les roses ». Il vaut donc mieux ne
allure, et J\Ille Lecomte est touchante à souhait dans point raviver une blessure à peine cicatrisée l'ai-
le personnage de Dona Rafaele; sa mort est une mable et spirituel académicien, qui en est l'auteur,
petite merveille de composition juste. On l'a frénéti- aura bientôt repris sa revanche.
quement applaudie, ce n'était que justice.
Le Grand Guignol, cette jolie petite salle de la rue
Le Liseron est cette adorable petite plante sauvage, Chaptal, qui attire chaque soir un public élégant et
qui pousse au gré de sa fantaisie, et s'enlace autour raffiné, vient de renouveler son spectacle. Proclamons
des arbustes, qu'elle semble avoir choisis comme de suite le très vif succès d'un petit drame fort émou-
tuteurs une fois déplantée, elle meurt. vaut, la Courroie, de MM. Claude Rolland et A. Denelle,
Tel est en deux mots le joli conte que nous a donné drame qui met sur la scène avec habileté la ques-
à la Renaissance M. Daniel Riche. Selon lui, l'affection tion sociale. Il s'agit d'un ouvrier qui, trop vieux
et trop fatigué, va être chassé par sa compagnie, Opéra-Populaire. Charlotte Corday, drame mu-
celle-ci, depuis la nouvelle loi sur les accidents, pré- sical en un prologue et cinq tableaux, de M. Armand
férant prendre de jeunes célibataires, en raison des SILVESTRE, musique de M. Alexandre GEORGES.
responsabilitéscodteusesçu'elleévitede la sorte. Cette Tout le monde connaît l'histoire de Charlotte Cor-
loi en outre oblige le patron à servir une rente à la day aussi jugeons-nous inutile de raconter en détail
veuve et à l'orphelin de l'ouvrier mort dans l'accom- les intéressantes péripéties du livret d'Armand Sil-
plissement de son travail. Fresnel l'apprend, et pour vestre bornons-nous à dire que le compositeur n'est
assurer du pain à sa femme et à son enfant malade pas resté au-dessous de sa tâche et qu'il y a su saisir
se fait tuer volontairement. A signaler surtout la l'occasion d'un succès réel et largement mérité.
mise en scène fort bien réglée de l'accident, mise en La musique de M. A. Georges, un peu indécise
scène qui fait grand honneur à M. Max Maurey, dans les mélodies et symphonies qu'il a produites, est
aussi bien que l'interprétation. M. Vayre a un jeu vigoureuse et claire dans le genre dramatique. Il a le
sobre et suit-, M. Chartol représente avec chaleur l'ou- mérite (à notre époque, c'est du courage) de faire de
vrier socialiste imbu d'idées fausses, et Mme Mariette la mélodie ses phrases sont nettement dessinées et
Bailly est des plus dramatiques. ont chacune leur conclusion. Il se sert de l'orchestre
Le reste du spectacle offre également un grand pour accompagner, de manière parfois trop simple,
intérêt: la Vieille, autre drame bien venu de M. Henry soit; mais cela ne vaut-il pas mieux que l'excès con-
Fransois; l'Amant de sa femme, cette délicieuse co- traire, dont nous sommes, hélas! tant rassasiés, et
médie de M. Aurélien Scholl, toute pétrie d'esprit, qui qui consiste à écraser le chant (quand il s'en trouve1)
fut jouée autrefois avec tant de succès à l'ancien sous le tutti instrumental?
Théâtre-Libre, enfin une fantaisie adorable de M. Lu- Entre autres pages intéressantes, il convient de
cien Puech, où deux flagrants délits aussi successifs signaler le premier tableau; le récit de Mme de Bret-
qu'inattendus mettent la salle en joie. teville, au deuxième; la ronde des enfants et la su-
QUENTIN-BAUCHART. perbe coda du duo, au troisième puis, aux: tableaux
suivants, l'arrestation de Charlotte Corday et la scène
de la prison.
LA MUSIQUE Tantôt tendre, tantôt énergique, Mme Gp.orgetle
A la mémoire de Verdi. Le distingué fonda- Leblanc s'est tout particulièrement distinguée dans
teur de la Société chorale artistique l'Eulerpe, M. Du- le rôle de Charlotte Corday. Elle a été fort bien se-
teil d'Ozanne, venait à peine de nous faire entendre, condée par M. Cazeneuve et Mme Lagard. v
en la salle des concerts de la rue Blanche, le célèbre Terminons en féli~itant M. Busser, qui dirige très
Requiem de Verdi, où, grâce à sa magistrale direction, habilement l'orchestre et les choeurs.
chœurs, solistes et orchestre remportaient un grand Et souhaitons à l'œuvre de M. Alexandre Georges
succès, que la Ligue franco-italienne organisait une une longue et fructueuse carrière.
cérémonie en l'honneur du maitre tant regretté.
Cette cérémonie a eu lieu le 7 mars dernier dans le Bouffes-Parisiens. Les Travaux d'Hercule, opé-
grand amphithéâtre de la Sorbonne. Elle était pré- ra-bouffe en trois actes, de MM. G. A. de Caillavet
sidée par le ministre de l'Instruction publique et des et Robert de Flers,'musique de M. Claude Terrasse.
Beaux-Arts et par le comte Tornielli, ambassadeur A l'instar des «Petites Vestales », l'Herculé que vient
d'Italie. On y a entendu quelques fragments des chefs- de donner le théâtre des Bouffes-Parisienstend à -res-
d'oeuvre de Verdi, le tout fort bien exécuté, car, en susciterl'opérette 11 la manière d'Offenbach,Hervé, etc.
dehors de l'orchestre de l'Opéra, des noms d'artistes Le livret est fort amusant, gràce à l'heureuse idée
célèbres tels que M. Delmas, Mmes Ackté, Grandjean, qu'ont eue les auteurs de faire de leur He~°cz~le un pol-
Héglon et Flahaut, t1guraient au programme. tron vantard et habile qui sait, avec un merveilleux
Sur j'estrade se dressait le buste du grand compo- à-propos, s'attribuer les exploits d'un seigneur du
siteur, voilé, à sa base, d'un large crêpe sous lequel voisinage Augias. Une foule de péripéties drôlati-
se mêlaient, heureux présage d'une alliance qui serait ques en résultent, et le public rit et applaudit beau-
si logique et si naturelle, les couleurs iialiennes et coup.
françaises. Dire que la musique en est neuve serait inexact;
M. Leygues,ministre de l'Instruction publique, a elle est allègrement troussée et remplace générale-
prononcé sur la glorieuse carrière de Verdi une très ment l'originalité par une verve piquante qui plait
éloquente allocution, et M. Larroumet, parlant au quand même.
Quant à l'interprétation, le chant laisse bien quel-
nom de l'Académie des Beaux-Arts dont le maitre
faisait partie, a rappelé en termes émus le triomphal que peu à désirer, mais les artistes sont si bons co-
hommage que Paris rendit à ce grand homme le médiens!
12 octobre 1894, lors de la représentation d'Otello.
Et tous se donnetit de la farce à cœur joie, et la
On a entendu ensuite, sur le même sujet, une belle soirée s'écoule vite et gaiement pour les spectateurs.
poésie de M. Clovis Hugues, et M. Raqueni a remercié, En faut-il davantage pour assurer le succès d'une
pièce? Eu. FOUQUET.
au nom de la Ligue franco-italienne, tous ceux qui
étaient venus rehausser par leur nom ou leur talent
la grandeur de cette manifestation artistique. Il a,
pour terminer, lu un télégramme envoyé au ministre PETIT COURRIER TIMBROLOGIQUEE
de l'Instruction publique d'Italie par la Ligue, télé-
gramme dans lequel elle souhaite que cette superbe
cérémonie contribue à augmenter les sentiments Les Timbres français.
d'amitié qui déjà unissent les deux nations. C'est De i862 à i870 nous ne voyons nuls changements
aussi le vœu que nous formons de grand cœur. dans les timbres-poste français; puis au lendemain de
Sedan, dès la République proclamée, on décréta la Un lecteur me demande si je veux lui acheter sa col-
suppression de l'effigie napoléonienne gravée sur lection ou sinon si je puis lui donner un avis à ce sujet.
les timbres, et l'ordre fut donné de tirer ceux-ci avec Comme je ne suis pas marchand, je ne puis acheter de
'les anciennes planches de 1849 conservées à la Mon- collection, mais étant chargé par la Revue de défendre les
intéréts de ses lecteurs, je puis essayer de placer la col-
naie. Avant l'investissement de la capitale les 10 cen- lection au mieux cela va sans dire; me faire voir les
times bistre, 20 centimes bleu et 40 centimes orange timbres à vendre, et je dirai ce qu'il est possible d'en tirer
avaient pu être tirés et furent envoyés à la province. au maximum.
Ils furent en cours également à Paris pendant toute
la guerre. Leur seule différence avec les timbres de PRIME TIMBROLOGIQUE DO 'I.7 )L~RS
i849 consiste en leur dentelure 13 ij2-H. Ils valent, argentine n~ 22. 0. 0 fr. 15; n, 11. O. 0 fr. 45; n° 137.
le 10 centimes bistre deux sous, les deux autres 0. 0 fr. 45.
Etats-L'nis w 90. O. 0 fr. 25; n° 85. O. 1 fr. 40; n° 108.
un sou pièce. Le 40 centimes orange présente comme O. 0 fr. 70.
celui de 1849,- il esttiré sur les mêmes planches, EyJpte n° 1. 0. 4 fr. 50; n° 4. 0. 0 fr. 55; no, 27 et 28.
les deux types de 4 que j'ai décrit dans ma dernièrE. 0. les deux 1 fr. 45.
chronique. Congo français nouvelles nuances des 0 fr. 10" 0 fr.15,
Cependant le stock de timbres envoyé à la province 0 fr. 25 et 0 fr. 50, la série N. 3 fr. 50.
n'avait pas tardé à s'épuiser, et ne voulant pas re- Po~·tugal n° 59. 0. 0 fr. 25 n° 170. 0. 0 fr. 20.
venir aux anciens systèmes des cachets de port payé Autriche n° 150. 0. 0 fr. 45.
et des affranchissements payables à domicile, les mem- Prusse no' 4 et 22. O. les deux timbres 0 fr. 35.
bres du gouvernement, alors installé à Bordeaux, Terre Veuve n° 35. N. 0 fr. 90.
Gwalior 3 pies, carmin N. 0 fr. 15. FIL.
décrétèrent l'émission de nouveaux timbres. Pour les
basses valeurs de i à 5 centimes on copia le type Pour tous les renseignements timbrologiques et les de-
Empire i862 remplacant l'effigie impériale par une mandes de timbres, on est prié de s'adresser à Filigrane
République; pour les valeurs de au bureau du Magasin Pittoresque.
10 centimes à 80 centimes, on copia
le type liberté 1849. Mal lithogra-
phiés ces timbres sont non dentelés.
J J es particuliers les ont fait percer
un lignes, en points et en arc, ces
LES LIVRES
i c!pux derniers piquages rares. L'é-
'®
mission se composait des i centime
olive, 2 centimes marron, 4 centimes gris, 5 centimes Passion moderne, le nouveau roman de Fré- M.
vert, 10 centimes jaune, 20 centimes bleu, 30 centimes déric BERTHOLD, a pour thème un débat passionnel at-
brun, 40 centimes rouge et 80 centimes rose. Ils valent tachant.
respectivement à prix vrais O:fr. 20; i:fr. :10; 2 fr.[30;
L'idée est neuve. En 1893, les marins russes vien-
nent à Paris et l'on distribue dans les lycées de jeu-
nes filles des noms de jeunes gens russes. C'est ainsi
que Suzanne Périer noue de loin avec Vladimir Pav-
lovitch une intrigue par lettres. Mais le temps passe
rt Suzanne se marie. Quelques années plus fard, à
Dieppe, le hasard met les deux jeunes gens en pré-
~ence et l'amitié romanesque d'autrefois se trans-
forme de part et d'autre en un intense amour. Mal-
heureusement, Suzanne n'est plus libre et c'est alors
uue lutte entre la passion et le devoir.
Le thème est loin d'être banal; mais ce qu'il faut
~urtout, c'est lire en entier cette oeuvre où J'analyse
psychologique des caractères ne le cède en rien au
charme captivant du style et à l'intérêt de l'action.
Voyage en France, par ARD0UIN'-Du!IAZET.
0 fr. 25 0 fr. 15 0 fr. 05 1 fr. 10; 0 fr. 33; 0 fr. 75. La librai,rie Berger-Levrault vient de publier, de
Ces prix sont ceux des variétés courantes, certaines notre collaborateur Ardouin-Dumazet, trois volumes
nuances se cotant jusqu'à 10 francs. de l'intéressante série du Voyage en France. Ce sont
Le 20 centimes bleu de 'cette émission présente Haute-Champagne et Basse-Lorraine; Plateau Lor-
quatre types distincts qui doivent se trouver dans raine et Vosges; Plaine Comtoise et Jura.
toute bonne collection, mais qu'il n'est pas toujours
facile de reconnaître avec les indications trop brèves Dans Haute-Chaznpagneet Basse-Lorraine, Ardouin-
de la plupart des prix courants de marchands. Ils Dumazet nous promène de la Brie-Champenoise aux
nous donnent comme signes déterminatifs l'ombre c8tes de Meuse, en passant par Troyes, le plateau de
du cou, la grandeur des inscriptions, la position des Langres et le Barrois. A signaler particulièrement le
perles du cadre; je donne ci-dessus à mes lecteurs curieux chapitre consacré à la métallurgie en Cham-
une méthode de reconnaissance peu connue et infail- pagne.
lible. La gravure représente l'angle inférieur droit Il nous conduit, avec Plateau Go~waüa et Vosges, chez
des trois. premiers types, très agrandi bien entendu. les laboureurs de la Woëvre, à Nancy, chez les Lu-
On voit que c'est par le point de départ de la grecque thiers et les Dentelliers de Mirecourt,dans les ateliers
que les types diffèrent entre eux. Le quatrième type d'imagerie d'Epinal et aux Lacs vosgiens.
est semblable au troisième, mais la pointe du cou de
l'effigie est éloignée des perles de 1 millimètre au Le troisième volume est consacré à la Franche-
lieu de les toucher. Le premier type vaut 3 francs. Comté. Besancon, surtout, est l'objet d'une étude
Le deuxième 0 fr. 15. Les troisième et quatrième étendue. Son rôle intellectuel et son rôle industriel
0 fr. 05 chacun. FILIGRANE. donnent lieu des pages très vivantes. Latransforma-
tion de Belfort en ville industrielle énorme, sœur de savant D~ Constantin James, cette poudre est invisible et
Mulhouse, est également mise en lumière. très adhérente, elle existe en quatre nuances blanche
rosée; naturelle et bise. La boite coûte 3 fr. 15 et 6 francs
C'est plaisir que de voyager en compagnie d'un franco contre mandat-poste de 4 fr. 25 et 6 fr.50' adressé
guide tel qu'Ardouin-Dumazet, au style précis et co- à la Par~umerie Ninon, 35, rue du Quafre-Septembre.
loré, à la documentation abondante et sûre. Tous les hommes figurant dans un cortège de mariage-
sont en redingote à revers de soie (le père seul est en
Il faut signaler la publication, à la ~Lrbrairie Per .habit), pantalon et gilet de fantaisie, ce dernier, selon la
La saison, en soie brochée blanche ou en piqué, cravate
Lamm, de trois intéressants volumes illustrés claire avec épingle de perles à pendeloque, gants gris ou
.Bague brisée, de Pierre GUÉDY.; Pauline, de ndtre blancs, enfin pour compléter ce costume smart », canne
collaborateur, le vigoureux romancierGeorges Bs.~u,se; ornementée d'or ciselé.
LIBELLULE.
enfin la Petite Dernière, d'André THEURIET, de
l'Académie française, un succès de plus à l'actif du
maitre auquel nous devons déjà tant !l'œuvres char- ~ECETTES ET GO~1SHILtS
mantes.
JOSEPH GALTIER.
priseur.
voilà le peintre de la Source dénoncé comme vait souffrir ni l'un ni l'autre. C'est logique et
l'ennemi de la nature et de la vie. Il n'y eut pas absurde, et c'est magnifique comme le génie
un cabaret de coloristes où l'on ne bût à l'exter- même. Ce serait déplorable chez un' commissaire-
mination du chef des pompiers.
Aussi bien ce ne sont pas de ses opinions jours un peu vaines. Et pourtant je goûte,beau-
individuelles qu'il convient de s'enquérir. Ne le coup cette parole de M. Àndré Michel « Ingres
consultons point sur Delacroix, ne consultons est le dernier grand païen. » Il vit le monde avec
pas Delacroix sur lui. Il ne leur était pas permis les yeux d'un Grec attardé. Un jour., à Orvieto,
de se comprendre. Jouissons de la permission devant les fresques de Signorelli, il se sent pris
qui nous est donnée de les admirer l'un et l'au- d'un trouble inconnu; la puissance le subjugue
tre. Que ce soit seulement pour les. raisons du vieux maître en qui s'ébauchait Michel-Ange.
qui ,étaient les Mais après
leurs. ,quelques jours,
£cartons de Ingres ,se res-
cette vie vrai- saisit, se disci-
ment sublime p~ine". se ramè-,
toutes les anec- ne sous la règle,
dotes, oublions il redevient
les attitudes royalement in-
convulsives juste, il ne
que les luttes comprend plus.
quotidiennes « Non, décidé-
imposent for- ment, je ne
cément à un peux pas, s'é-
combattant de crie-t-il voyez-
cette vigueur, vous, moi, jee
négligeons les suis un Grec 1 »
colères du chef Ce fut lIn Hel-
d'école, ne lène oublié
voyons i plus dans notre
que le
pur ,ar- âge..
tiste. Quel mi- Si nous de-
racle de volon- vinons à peu
l.é que cette près ce que fu-
existence1 r ent l'architec-
Tout enfant, ture etlasculp-
quand il se ture des an-
voue à l'art, ciens, nous
ignorant enco-7 n'avons, hélas!
re s'il seraa de leur peintu-
peintre ou mu- re qu'une idée
sicien, une ad- effacée, confu-
miration do- se et lointaine.
mine sa jeune Etnousdemeu-
âme, celle de r ons inconsola-
Glück. C'est bles de toute
lui-même qu'il cette beauté à
mire déjà dans jamais perdue.
cet idéal d'une Allons à Aix.
grâce hautaine. Voici l'image
L'harmonieuse de Zeus, que
expression de vientenlacersa
sentiments fille suppliante,
éternels com- pareille. un li-
me la nature, à travers une forme savante dont la seron sur un rocher. Ce torse colossal, ce front
science reste cachée, -c'est tout Glück et ç'est plein d'orages, ce regard chargé de secrets,
Ingres tout entier. Il peignit son C~'di,roe à vingt- tout ce divin anthropomorphique d'une .majesté
huit ans. La Source est de 1856 il était alors un monstrueuse, n'est-ce point la vision qu'avait le
vieillard, que d'aucuns jugeaient ,affaibli. Entre monde antique du père des hommes et des Dieux~?
les deux chefs-d'œuvre, celui du début et celui Ainsi devait le rêver Hésiode et le sculpter Phi-
du triomphe, soixante-quinze ans se sont écou- dias. Revoyons, au Musée de Bruxelles, l'incom-
lés. Tout a changé dans les esprits, tout, hors parable fragment du Virgile lisant l'Énéide; les
l'image mentale que Ingres se faisait de la personnages sont romains par le costume, mais
nature. le rythme qui enveloppe leur silence est celui
En art, les définitions sont dangereuses et,tou- d'un chaeur de Sophocle. A Chantilly, la pudique
et douloùreuse figurine dé Stratonice nous rendra L'artiste qui a conçu cette -page souveraine a
l'exquise grâce familiè¡'e.dont les cimetières- de revécu les colères d'Achille et toutes les nostal-
la 'Béotie gardaient le secret. Au Louvre, cette gies du roi d'Ithaque. En lui l'âme antique s'était
Angélique, pâmée d'épouvante en une ligne ado- réincarnée avec amour, pour s'exprimer une
rable, c'est Andromède, c'est la fable éternelle
dé, la race une vierge que délivre un héros. La
Grande Odalisque fait songer à un ivoire com- retrouvé.
dernière fois.
Jéar,-Au~uste-Domi~niqueIngres, c'est Zeuxis,
C'est une merv eilleuse mécanique :qu'ùne loco- qui, avec son obligeance habituelle me prés'enta
motive, et lorsque l'on songe que c'est bien à M. Baudry, l'aimable et savant ingénieur eue
proche de nous encore, en 48~?9, que l'Angletene chef duMatériel et de la Traction. Lorsque, reçu'
-irity.'én même temps que l'ouverture de la pre- par celui-ci dans son bureau, véritable salon de
mière voie ferrée, J'apparition de la première IJ\inistère, je lui exposai mes désir~ de visites, ce-
locomotive' pratiquement utilisable, la Fusée, de fut avec toute la bonne grâce possible qu'il mit
Stephenson, on est surpris de constater que à ma disposition les permissions les plus éten-
soixante-dôuze ans de ,recherches et de patients dues. Grâce à lui, toutes les portes se sont
essais ont suffi à changer la Fzcsée, qui pesaIt ouvertes et je lui en exprime ici ma gratitude.
quatre tonnes et trainait 12000 kilogrammes à la L'amabilité est d'ailleurs,une règle générale à la
--q-itesse de 23 kilomètres à l'heure, en des colosses Compagnie et les deux ingénieurs en chef de la
pesant 52 000 kilogrammes et marchant à 4 Z0 kilo- Construction et de la Traction, MM. Maréchal et
mètres à l'heure en remorquant des trains com- Carcanague, m'ont également facilité ma' tâche
plets de 240 tonnes. Ces locomotives de trains rai- en me donnant le libre accès des services qu'ils
pides, par l'aspect imposantde leurs corps trapus dirigent avec une remarquable compétence.
montés sur de grande s roue s, par leu r éperon, véri- J'avais affaire tout d'abord à M. Maréchal, ingé-
tâble-étrave qui leur donne des airs de cuirassés, nieur Bn chef de la Construction du matériel et
par la perfection indispensable à leur fabrication, des grosses réparations, et c'est muni d'une lettre
sont en quelque sorte le prototype des progrès de lui que je me présentai au n° 3 de la rue de
réalisés dans nos transports humains à cette Charolais, à Bercy, où sont construits les `ate-
aurore d'un nouv.eau siècle, et' désirant étudier liers de la Compagnie. L'ingénieur directeur,
hl construction des locomotives, je m'étais arrêté M. Anthoine, étantabsent,je fus reçu par M. Gloria,
au type de grande vitesse, jugeant inutile de m'é- le sous-ingénieur qui me conduisit au bureau
tendre sur les particularités constructives des du sous-chef des ateliers, M. Gayet, lequel devait
centaines de modèles existants parmi les me servir de guide et m'initier aux travaux dont
i~0000 machines qui aujourd'hui circulent de il a lasurveillance. Avant de commencer la visite,
par ole monde. il -me fit décider le modèle exact que ,je voulais,
Voulant un sujet d'étude bien moderne, j'avais suivre dans les diverses opérations de construc-
choisi celles du Paris-Lyon-Méditerranée, très tion et, selon mon désir, nous choisimes les der-
belles d'aspect et très rapides. Mais. c'est une nières machines mises en service par la'Compa-
administration colossale qu'une grande compa- gnie, les machines Compound à bec, modèle
gnie de chemins de fer, et devant la multiplicité 1899.
des services, qui tous responsables de leur propre Ces nouvelles. locomotives du Paris-Lyon, ce
tache ignorent ce que doit faire et ce que fait le sont les C 69: Aujourd'hui, en effet, les Compa-
service voisin, je n'avais su tout d'abord à quelle gnies désignent leurs machines par des lettres
porte je devais frapper pour obtenir les permis- et des numéros, contrairement à l'ancienne mé-
sions indispensables à mon travail. Dans l'incér- thode qui les baptisait d'un nom -plus ou moins
titude, je n'avais cru devoir mieux m'adresser mythologique tiré-des registres de l'Olympe ou
qu'en présentant ma requête au ,très. aimable plus simplement de nos calendriers républicains,
M. Ha6ert, le secrétaire général de la Compagnie, et la lettre C accompagnée du n° 61 veut dire
type Compoùnd série 61. Bien d'autres séries, pés,nùn- 'seulement à construire der nonvelles
une cinquantaine, sont en service à la Compa- machines, mais surtout, et c'est là leur princi-
gnie, etlorsqu'il.melesavailénumérées,M. Gayet pale raison d'être et la grosse part de h~ùrs tra-
m'a'vait'désigné successivement d'abord les vaux, à fabriquer les piëces nécessaires pour les
C 31, les premières Compound de 'la Compagnie, réparations constantes. Cet atelier de Paris n'est
à, bec comme les C 61, mais à bec all(')ngé se pro- pas le seul de la Compagnie, il 'est mêméle
longeant jusqu'en bas du châssis, tandis que leurs moins important des trois qu'elle possède; les
remplaçantes ont le bec, tronqué, coupé en arête deux autres, celui d'Oullins près de Lyon et celui
vive, formant coin dans la masse d'air qu'il sépare d'Arles, employant respectivement 1300 et
lors' de la marche en vitesse. Puis les séries à à 1 ~OO ouvriers. Les trois ateliers sont consacrés
50 et 51. à 110 les anciens types sans bogies ni aux machines, ils ne sont pas chargés dé 1"eii-
becs; les B 111 à 400~â bogies sans becs. Et bien tretien des wagons répartis à un autre. service,
d'autres modèles m'avaiènt été montrés sur et vraiment il faut avouer que les locomotives
les plans de construction; machines de monta- sont de bien délicates personnes puisque les
gnes, machines à marchandises, coucous de ma- 2600 machines du P.-L.-M. ne nécessitent pas
nœuvre pour le service de manutention. des moins de 3500 ouvriers pour la préparation jour-
gares; et les 3400, nalière de leurs
les colossales ma- pièces de rechan-
chines à bec, con- ge des milliers de
struites dernière- pièces qui s'entas-
ment sur le mo- sent sur des éta-
dèle des, C, 61. .et blis, prêtès à rem-
qui sont destinées placer des écrous
aux trains de mar- perdus, des biellés
ehândise grande fendues, dès r'es-
vitesse et aux ex- sorts brisés'ou:des
press des pays bandages usés.
montagneux. Cet entasse-
J'allaÍs pouvoir ment de pièces de
d'autant mieux toutes formes et
consacrer mon de toutes matiè-
étude à la mise en res donne au visi-
aeuvre d'une C 61 teur non prévenU,
que les ateliers ne lors de son entrée
s'occupent en ce dans les ateliers,
moment que de une impression
ces modèles. Dans les ateliers du P.-L.-bi. Une C 61 démontée. de 6haos inextri-
Ceux-ci sont, en cable dans lequel
effet, encore peu expérimentés et avant d'opérer il semble qu'il ne pourra jamais se reconnaître.
les fortes commandes nécessitées par le trafic A terre, des barres de fer le font trébucher; en
des lignes qui chaque jour progresse, la Compa- l'air, des chaînes de cabestans tendues ou flot-
gnie en fait construire chez elle une vingtaine tantes le cognent à tout moment, partout des
qui servirorit d'étalons pour l'établissement des machines-outils qui vont et viennent, aveuglé-
prix de revient et des devis d'adjudication aux ment précises, lui enfonceraient quelques côtes
diverses usines du dehors. Cent cinquante ma- si leurs conducteurs attentionnés ne criaient
chines de ce type sont prévues pour les besoins gare avant l'accident. Comment retrouver, au
d'exploitation, et dix seulement ont été déjà livrées milieu de mille pièces presque pareilles, celles
par les ateliers. Une dizaine y sont en cours d'exé- qui devaient servir à l'édification du type que
cution ou de montage, niais avant d'assister à j'avais l'intention d'étudier. Etait-ce une bielle
cette dernière opération je devais visiter les di- de machine express ou de simple'coucou que je
vers ateliers qui préparent les pièces. voyais à terre; ce cylindre sortant de la forge
Bien souvent j'étais passé dans l'un quel- devait-il donner le mouvement à une machine à
conque des deux centstrainsqui circulent chaque marchandise ôri a une C 61 des nouveauxmodè-
jour au long dés murs des. ateliers, mais du les autant de problèmes que je me sentais im-
dehors ceux-ci ne m'étaient jamais apparus si puissant à résoudre sans l'aide constante et
vastes qu'ils le sont en .réalité. Les bâtiments éclairée de mon guide. Il m'avait fait faire une
-succèdent aux bâtiments et de tous sortent les première fois le tour complet de ses domaines,
.bruits ininterrompus du travail actif et sans voulant me montrer d'un seul coup l'ensemble
arrêts, battements dés marteaux et des pilons, des opérations à étudier, et devant la multiplicité
grincements des limes, crissements des meules et des travaux qui s'e-~éctitent pour la mise en
des scies à vapeur. Mille ouvriers'y sont occu- œuvre des locomotives, pourlesquélles non seu-
lement des fondeurs, des ajusteurs, des chau- aux locomotives dont je poursuis l'étude, et déjà
dronniers sont employés, mais aussi des plom- sous leur première forme on se rend compte de
biers, des fumistes, des horlogers et des peintres, la puissancefuture de ces machines. Les hommes
je lui avais avoué mon étonnement et aussi un qui s'agitent à l'entour du cylindre 'de- métal,
peu d'ahurissementd'une promenade trop rapide forant les trous de rivets, ajustant les entre-
au milieu d'un kaléidoscope de machines, d'ou- toises, rivant les pièces à grands coups de mar-
tils et d'ouvriers penchés sur des besognes mi- teau, ont l'air de nains actionnés à la confection
nutieuses. De la forge, de l'ajustage, des chau- d'untonneau de forme étrange que termine assez
dronneries de fer et de cuivre, du montage, des peu élégamment le foyer, longue et haute caisse
ateliers des roues, des ressorts, de la peinture, dont la partie inférieure s'abaisse vers le sol en
du petit outillage, ne me restait qu'une impres- biseau aigu. Le bruit des marteaux résonne sur
sion un peu confuse et j'avais dû demander un le métal en échos prolongés qui vous étourdis-
plan de visite me permettant d'étudier les prin- sent, et le grincement des limes, en mettant le
cipales opérations préliminaires et le montage. comble au tapage, vous ferait fuir volontiers si
Il ne s'agissait pas, en effet, de connaître ni de les machines à découper et à poinçonner, les
décrire en détail et pièces par pièces la con- cisailles géantes qui tranchent des lames de tôle
struction d'une machine entière un livre ne suf- de 60 millimètres d'épaisseur, la riveuse hydrau-
firait pas à un tel travail. Une C 61 ne se com- lique, ne vous sollicitaient à les regarder tra-
pose pas de moins de 13 663 pièces; 13 663 pièces vailler.
dont l'énumération tient les 274 pages d'un in- La principale occupation des chaudronniers
folio et ne m'avaient pas demandé moins de consiste au percement et au rivage des'plaques
deux heures de lecture pour en faire l'addition. Et de tôle; plusieurs milliers de rivets devant être
dans ce nombre colossal de pièces ne sont comp- posés pour réunir le corps cylindrique au foyer,
tés ni les écrous, ni les rondelles; ni les gou- le foyer à son enveloppe ou botte à feu. C'est à
pilles seules sont détaillées celles de la chau- la chaudronner ie de cuivre que sont préparés les
dière 8467; du châssis 1624; du bogie 386 foyers, ils sont entièrement composés de ce
des roues 311; des bielles 88; des pistons métal et ce n'est pas la pièce la moins coûteuse
191 des cylindres 290, et des tuyaux et appa- d'une locomotive que cette grande caisse, aux
reils divers 9 305. parois épaisses de 25 millimètres dans laquelle
Vraiment à la voir passer en vitesse, on ne mon guide et moi entrons, et debout nous tenons
peut se douter de cette multitude de. pièces très à l'aise. Il faut des ouvriers particulièrement
patiemment forgées, rivées, soudées sur lamasse soigneux pour opérer la réunion du foyer à la
géante d'une locomotive, et lorsqu'on l'a vue en botte à feu; entre les deux enveloppes de m'état
petits morceaux, celle-ci ne peut plus vous don- doit en effet circuler l'eau de la chaudière qui se
ner dorénavant l'impression de crainte instinc- chauffe ainsi au contact même du foyer et la
tive qui vous fait courir pour passer devant elle- moindre fuite dans une rivure mettrait la chau-
même lorsqu'elle est en gare. En effet, à la voir dière hors de service et nécessiterait des dé-
construire, on en connait l'âme, on devient fami- montages et des réparations. Le travail est
lier avec la carcasse intérieure et le mécanisme; minutieusement vérifié par les contremaîtres,
l'utilité de chacune des pièces vous est expliquée vérifié partout, et c'est ainsi. que devant moi je
et prouvée et, en même temps que l'on admire~ les vois entrer à plat ventre dans un foyer ter-
davantage la précision de cette oeuvre merveil- miné ou que du moins je croyais tel des ou-
leuse de s'avants ingénieurs, on ne la considère vriers y travaillent cependant, mais à l'intérieur,
plus que comme une mécanique connue que l'on fixant 'à la seule lumière de petites lampes les
verra passer devant soi, avec intérêt toujours, 150 tubes à ailettes, longs de 3 mètres, qui doi.
mais que l'on sait désormais obéissante, précise vent donner passage à la fumée et à la chaleur.
et maniable entre toutes les machines. BIen d'autres opérations sont nécessaires pour
Si les matières premières des locomotives l'achèvement d'une chaudière: la pose du dôme,
viennent du dehors, du moins les différentes opé- de la cheminée; mais je ne pouvais les voir
rations de mise en œuvre se font entièrement toutes, pas plus qu'assister à la mise en placé de
aux ateliers du Paris-Lyon, ateliers dont certains toutes les pièces, 8 467 pièces qu'il faut préparer,
sont de véritables usines. C'est ainsi que la chau- réunir, ajuster et vérifier.
-dronnerie de fer où se préparent les chaudières, Si la principale des parties constitutives d'une
la partie essentielle de la machine, est un grand machine locomotive est la chaudière qui lui
hall à bas côtés au milieu duquel 4l chaudières donne la vie en permettant la formation de la
sont simultanément en montage. Sur de hauts vapeur, les cylindres, les pistons, les bielles,
échafaudages de madriers les cylindres de tôle viennent en seconde ligne comme étant les ad-
d'acier, longs de plus de 3 mètres; sont posés en juvants indispensables. ,de la transmission- des
équilibre les uns à peine commencés, les autres forces produites, et c'est aux forges que j'avais
déjà munis de leur boite à feu et de leur dôme. été conduit au sortir de la chaudronnerie.. Cy-
On me mène vers des chaudières destinées lindres, leviers, bielles, -axes des roues, mani-
velles, bottes à graisse sont, en.effet, des pièces teuses qui les égalisent, aux scies à chaud qui
de forge, et c'est dans un grand atelier très les mettent au contour exact, puis, à l'atelier de
sombre, mal éclairé par des vitrages que salis- nettoyage, sur les meules d'émeri et de grès,
sent les£umées et les poussières de charbon que sur les brosses qui les approprient et les po-
se préparent ces parties du mécanisme. Trente- lissent. Jetant un rapide coup d'oeil sur les ou-
deux feux de forge et neuf marteaux-pilons rem- vriers chargés de ce travail, qui armés de
plissent le grand hall du bruit de leur activité lunettes noires, présentent aux tournoiements
fébrile, et c'est au milieu de blocs chauffés à vertigineux des meules les pièces à nettoyer,
blanc qui se promènent, des flammes et des bielles, coulisses, pistons, tiroirs, etc., le m'é-
étincelles que les ouvriers produisent sous leurs chappe à l'odeur âcre de l'émeri et aux pro-
marteaux avec indifférence, que je suis conduit jections d'étincelles qui sous des bielles de 105 ki-
vers un des plus grands pilons de l'usine pour y logrammes jaillissent à chaql1e contact de la
voir étamper un cylindre de C 61. Le matriçage matière usante.
s'opère à l'aide de moules ou matrices en fonte Suivant mon guide, je me rendis avec lui à
composées de deux parties se superposant 1'un'e l'atelier des ressorts, accessoires indispensable
à l'autre. La partie inférieure est posée sur l'en- de la marche et qui devaient me mener en-
clume et sert de base au bloc de métal incandes- suite tout naturellement aux roues.
cent apporté des fours à l'aide de pinces suspen- Plus petit, mais presque aussi encombré de
dues à des chaînes. La partie' supérieure de la fours et de machines que celui des forges,
matricevientrecouvrirlemétal,etsur l'ensemble l'atelier des ressorts n'est pas plus clair, et c'est
ainsi formé le marteau-pilon fràppe des coups ré- difficilement que je me glisse entre des cisailles
pétés, écrasant du choc de ses 4 000 kilogrammes et des laminoirs pour suivre la confection des
le métal qui, giclant et crachant le feu, est forcé ressorts de locomotives. Ces ressorts, comme
de s'incorporer dans lé moule dont il épouse ceux des wagons, sont composés de lames d'acier
toutes les ramifications. Et au refroidissement. chauffées préalablement, passées ensuite Sous les
j'étais étonné de constater combien le métal cisailles qui les coupent de longueur, puis sous
solide avait obéi à la pression en voyant la un laminoir qui fait les bouts, c'est-à-dire en un
boite à huile, ainsi forgée d'une seule fois, être seul passage de la lame en amincit le bout, y pra-
devenue une pièce compliquée séparée de cloi- tique une entaille et forme un téton en relief
sons, garnie de brides et de pattes d'attache, et destiné à s'engager au montage dans l'entaille
presque prête pour le montage. de la lame qui lui sera superposée. Les lames
Lorsqu'elles sortent de la forge les grosses sont ensuite cintrées, ajustées les unes sur les
pièces sont salies par les scories, alourdies par autres, bordées ou fixées par des agrafes, et le
les bavures, et elles doivent passer aux rabo- ressort est terminé. nlui reste à subir l'essai de,
flexion et ce n'est pas la partie la moins impor- opération, dans la technique du métier le calage
tante ni la moins soigneusement contrôlée de sa des centres sur les axes; elle est mue par l'hydrau-
fabrication. On me montre la machine de préci- lique et se présente comme un simple support
sion qui faisant pression sur le ressort ne doit sur lequel un axe est posé horizontalement.
pas lui faire perdre de flèche pour qu'il soit dé- Cependant voici des roues de C 61 amenées par
claré acceptable, et les expériences sont répétées des grues du fond de l'atelier; aux deux bouts
selon les besoins jusqu'à la parfaite résistance de l'axe, une de ces grandes roues de 2 mètres
de la pièce. On comprend l'utilité de telles pré- est posée perpendiculairement, et le problème à
cautions lorsque l'on songe que chacun des res- résoudre est l'introduction par glissement des
sorts d'une C 61, composé de treize lames de bouts de l'axe dans l'ouverture centrale des cen-
15 millimètres d'épaisseur simplement super- tres. Le diamètre, des premiers est, en effet, de
posées, doit supporter dans l'ensemble de la ma- 3/10 de millimètre plus étroit que les secondes,
chine 8 500 kilogrammes. et lorsque l'on considère l'épaisseur des pièces à
Les ressorts servent de suspension à la ma- réunir, l'homogénité de la matière qui les com'
chine par l'entremise des roues, et en sortant de pose, il semble que la réunion est impossible.
l'atelier où ils se fabriquent je suivais tout natu- Cependantle contremaitre ayant donné un ordre,
rellement la logique constructive de la locomo- un ouvrier ayant tourné une manette, deux bras
tive en me rendant aux ateliers des roues. Ils de fer viennent s'appuyer sur les roues, un autre
sont précédés par une immense cour qu'encom- levier à pousser et, appuyant de ses 50 000 kilo-
brent des roues montées par paires sur leurs es- grammes de puissance sur les deux centres, la
sieux. Petites roues de wagons, roues plus machine les force à recevoirl'axe qui pour pren-
grandes des locomotivesdes anciens types, roues dre la place qui lui ést réservée trop petite doit
géantes des types modernes, sont rangées côte à s'écraser, se rapetisser. Sous l'effort colossal les
côte, les unes neuves sortant des ateliers, les au- centres' éclatent quelquefois mais 'devant moi
tres usées attendant leur tour de réparation ou l'opération s'était effectuée normalement et,
de remise de bandages. 1500 essieux avec leurs comme les bandages sur les roues, l'essieu était
3000 roues sont ainsi constamment en allées et monté, sans tenons ni écrous, par la seule force
venues des gares aux ateliers. adhésive du métal..
Les roues motrices d'une C 61 sont énormes, Cette précision dans les diverses opérations que
elles ont mètres de diamètre et, réunies par des j'avais déjà vu exécuter, ces dixièmes de milli-
essieux massifs droits ou coudés, ont un tel as- mètre soigneusement mesurés pour le calage de
pect de pesanteur qu'il semble à première vue pièces dont l'ensemble pèse plus de 4 000 kilo-
que jamais elles ne pourront tourner au simple grammes, m'avait suffisamment étonné pour que
effort de la vapeur. Et de fait un seul essieu mon guide pût se faire un malin plaisir de m'éton-
coudé muni de ses deux roues pèse le joli poids ner davantage. Il m'emmena à l'atelier du petit
de 4 040 kilogrammes, et pour le remueràl'atelier outillage, tout proche de l'atelier des roues, où se
il faut des grues, des cabestans et même un préparent les mille petites pièces de mécanisme,
pont roulant. boulons, vis, écrous, robinets, manettes, et où
Je ne devais pas assister au forgeage des es- des centaines de machines-outils les plus perfec-
sieux qui se font à Oullins, non plus qu'à la pré- tionnées sont conduites par des ouvriers d'élite.
paration des centres, mais on devait me montrer En circulant au milieu des tours à revolver, des
le montage proprement dit des bandages sur les machines à fileter qui automatiquementprodui-
roues et des roues sur leurs essieux. Le procédé sent des pièces qui brillent et semblent des
employé pour la pose des bandages est des plus bijoux d'argent, je n'avais pu m'empêcher de
simples. Après avoir été chauffé au feu de fours comparer les mécanismes que je voyais préparer
spéciaux, le bandage d'acier qui pèse à lui seul aux rouages d'une machine à coudre ou d'une
600 kilogrammes est posé à plat sur un plateau bicyclette, mais je fus vite interrompu avec indi-
de bois, recouvrant une vaste cuve remplie d'eau. gnation par le contremaître de l'atelier.
A l'aide de palans la roue est descendue dans le Comment pouvais-je comparer la perfection
bandage qui, dilaté par la chaleur, l'encastre facile- de détails d'une locomotive à la grossièreté
ment dans sa circonférence. Le tout est mis soi- d'exécution d'une bicyclette, même des modèles
gneusement en placeetleplateau de bois s'enfonce 'de luxe, de quelle hérésie me rendais-je cou-
dans la cuve y entraînant le bandage et la roue; pablel Et pour me convaincre de mon erreur je
l'action réfrigérante de l'eau resserre fortement fus conduit devant le tour de précision, outil
le métal du bandage qui est ainsi naturellement merveilleux qui faisait justementdes petits écrous
fixé. Et cette méthode d'attache par serrage pour ma locomotive.
naturel qui semble au premier abord ne pas de- Ce tour travaille au centiènze de millimètre et je
voir tenir, lorsqu'il s'agit de pièces de fatigue ne savais trop lequel admirer, de l'outil précis,
telles que des bandages, je le retrouvai sous une infaillible, ou de l'ouvrier patient qui le dirigé à
autre forme à la pose des roues sur leurs essieux. l'aide de roues graduées savamment disposées.
C'est une machine spéciale qui effectue cette On me montre les petits écrous en travail, si
exactement calibrés que; chauffés dans la main, vent être infaillibles dans leurs tracés. Un milli-
ils se dilatent suffisamment pour ne plus jouer mètre d'écart dans les calculs et le piston glisse-
sur le filetage dé leurs rivets, et je me déclarai rait mal dans les cylindres, les tiroirs ne sui-
émerveillé de cette minutie dans les parties les vraient pas exactement la marche des pistons;
plus secrètes d'une locomotive. Jamais la grande la machine-outil est aveugle dans son travail et
masse de métal ne m'avait donné l'impression demande une préparation impeccable des pièces
d'une mécanique aussi délicatement constituée, qui lui sont confiées.
et devant les difficultés d'une étude approfondie Parmi les amoncellements de tiroirs, de boUes
sur tant d'opérations diverses j'avais dû avouer à graisse, de bielles, de tuyaux, de coulisses, de
à mon aimable cicérone, en même temps que cylindres, de glissières qui s'entassent à même
mon admiration pour la perfection de l'outillage le sol de l'atelier, je pouvais apercevoir ceux qui
et la précision de ses ouvriers, mon impuissance m'intéressaient particulièrement, marqués d'un
à tout voir et à tout noter. Je connaissais d'une C peint en couleur claire. Sur le sol ou sur les
C 61 la mise en oeuvre de la chaudière, des grosses machines-outils, c'est ici leur dernier passage.
pièces, des ressorts, des roues; je savais côm- avant le montage définitif, et pour les suivre, à
ment se préparent les mille pièces nécessaires leur achèvement, de l'ajustage au montage, il
à sa terminaison, etmaintenant je désirais passer suffit de traverser une cour séparative pittores-
au montage de tous ces morceaux; après avoir quement encombrée de cheminées, d'abris de
vu la préparation du monstre, j'avais hàte d'as- mécanicien et de tenders.
sister à son achèvement. C'est au montage no que
j'avais été conduit.
En principe, chaque locomotive en construc- Plus sombre qu'aucun des ateliers déjàvisités, le
tion est confiée à un ajusteur qui est chargé de grand hall du montage ne donne plus l'impres-
la préparation des pièces. Celles-ci venant de la sion de grouillante et fébrile agitation déjà
fonte ou des différents ateliers sont réunies à ressentie à la chaudronnerie de fer et à l'ajustage.
l'atelier d'ajustage, un des plus grands et des Le travail est ici calme et relativement lent.
plus actifs et non pas le moins bruyant car il est Séparés par la fosse d'un pont roulant à vapeur,
réservé aux grosses machines-outils, fraiseuses, deux larges bas côtés sont occupéspar les grandes
poinçonneuses, taraudeuses, raboteuses, étaux masses des machines en cours d'exécution ou de
limeurs, tours. Chaque pièce, .cylindre, piston, réparation. Les premières seules m'intéressent
bielle, etc., est marquée de la lettre et du nu- aujourd'hiIiet je vais directement aux machines
méro de la machine à laquelle elle est destinée neuves, reconnaissables à leurs carapaces peintes
et toutes viennent s'entasser près des marbres en rouge, à leurs châssis peints en bleu, Il y là
ou tables massives en fonte, parfaitement planes, des C 61 en différents états d'achèvement, les
sur lesquelles les ajusteurs tracent, d'après les unes à peine commencées, les autres ayant la
plans, les épures et leurs calculs, le contour chaudière déjà montée; d'autres encore, munies
exact des pièces, mettant les parois à l'épaisseur, de leurs roues, de leur tuyauterie, de leur revê-
les cylindres au diamètre, etc. De ces premières tement de laiton, sont presque terminées.
mesures dépendent la vie de la locomotive et la Chaque machine se monte sur une fosse au-
durée de son service futur, et les ajusteurs doi- dessus de laquelle sont dressés des échafau-
dages de madriers, et pour toutes les opérations au châssis. 15 5 millimètres, c'est'peu, dira-t7'0n;
sonty les mêmes et d'ordre identique. On sait c'est cependant sensible, et sur les machines en
que l~ bâti inférieur d'une locomotive est con- service on voit très bien la ligne d'usure formée
stitué par deux longues poutres d'acier de 10 mè- dans la peinture de l'enveloppe du roter par le
tres de long, appelées longer~ons. Ces longerons frottement des bords de l'abri. Et non seulement
amenés tout mortaisés et percés de l'ajustage la chaudière et le foyer reculent, mais aussi la
sont dressés sur un marbre, c'est-à-dire aplanis carapace de laiton qui recouvre l'ensemble de la'
exactement, puis posés parallèlement l'un à locomotive.
l'autre sur les madriers de soutien. On leur Donc, simplement posée sur les longerons, la
ajUste les petits cylindres extérieurs, puis on les chaudière est munie de ses accessoires, tuyaux
réunit par des en.tretoises; d'abord cèlle d'avant de prise de vapeur, organes de transmission,
formée par les gros cylindres intérieurs, puis la soupapes avec leurs balances, sifflet, joints d'au-
traverse. d'arrière et les intermédiaires. Toutes toclaves pour faciliter le nettoyage intérieur,
les pièces arrivent terminées des ateliers où elles robinets de vidange, tuyaux de graissage, etc.
se fabriquent, il n'y a qu'à les assembler par des En même temps que des ouvriers monteurs ter-'
boulons et les river les unes aux autres. Et minent ainsi la chaudière, d'autres ajusteurs
comme je semblais surpris que les ajusteurs mettent en place les roues qui sont glissées
puissent s'y reconnaître dans le fouillis de tuyaux sous le châssis, fixées dans les coussinets et les
qui, comme des serpents, se dressent au-dessus boUes à huile préalablement réunies aux ressorts
des pièces d'acier brillantes, des vis, des robi- par les tiges de suspension. Ce sont les boîtes à
nets, des cylindres, des plaques de. revêtement huile qui supportent par l'entremise des ressorts
extérieur, des bielles, des excentriques, des chaî- la charge presque entière de la locomotive, et
nes et des leviers, on me donne l'assurance que leur mise en place est délicate; il ne faut ni jeu
toutes les pièces bientôt mises en place sur la ni coincement, à ces pièces qui en position nor-
locomotive, celle-ci avanthuitjours sera terminée' male s'usent avec une déplorable facilité.
et sortie des ateliers. J'admirai cette précision Les roues posées, on y fixe les bielles motrices
dans les calculs qui permet de préparer à loisir. retenues à l'essieu et au piston par des chapes
les pièces et de les monter sans d'autres travaux clavetées, les bielles d'accouplement réunissent
supplémentaires que quelques coups de marteau les deux roues motrices; les tiroirs sont mis en
et de lime, et je ne pouvais trop admirer la mé- place, reliés à la coulisse. Le truck articulé ou
thode avec laquelle chacune des parties consti- bogie est glissé sous l'avant de la locomotive; le
tutives de la C 61 arrivait au moment voulu pren- bogie est cet avant-train, muni de quatre petites
dre sa place sur le bâti, roues d'un mètre de diamètre, qui permet par
Venant de la chaudronnerie de fer la chau- sa mobilité sous la machine la prise en grande
dière et son foyer fi-aînée sur wagon puis levée vitesse des courbes de petit rayon et main-
par un transbordeur mécanique est amenée dou- tenant la C 61 vous apparaît avec ses formes défi-
cement au-dessus du châssis prêt à la recevoir; nitives. Les plaques de laiton viennent recouvrir
descendue elle repose en arrière sur des cales, le corps cylindrique, le foyer, le dôme, la sablière
en avant sur les gros cylindres, et on complète et le cheminée. En forme de coupe-vent, cette
facilement par la pensée la masse colossale enveloppe change l'aspect de la locomotive qui
qui déjà par sa comparaison réduit les ouvriers de mécanique un peu complexe, toute papillo-
à des dimensions presque amusantes par leur tante des mille rivets, des joints brillants, des
petitesse. Cependant devant la carcasse énorme tuyaux amassés sur sa carcasse intérieure, devient
et la grandeur de cette chaudière devant une machine lisse, nette, bien habillée. Le coupe~
son poids formidable dé 13 390 kilogrammes, vent est monté sur ses gonds, l'abri du mécani-
il semble étonnant que l'on ne les fixe pas au cien est mis en place, la pompe alimentaire, les
bâti par des attaches solides et définitives. tuyaux de la sablière, de l'indicateur de vitesse,
Ayant présent à l'esprit les sauts et le tangage des freins des injecteurs sont fixés sur l'enve-
des locomotives sur les rails, ne pas rattacher la loppe. Le chronotachymètre ou indicateur de
chaudière à son bâti nie semblait une mesure marche est posé sur la roue d'arrière les mille
constructive anormale.. Mais en mécanique toute petits robinets, les tiges de inanoeuvre du régu-
loi a sa raison d'être, et l'on m'expliqua que si la lateuret de la coulisse, les volants, les manomè-
chaudière n'est retenue aux longerons que par tres, les leviers, sont placés également; les mar-
~ori avant, c'est que lors de chaque allumage elle chépieds, la lanterne, viennent terminer la série
se dilate tout entière dans le sens longitudinal des pièces à ajuster, et après un dernier coup
ètvers l'arrière. Lorsque vous verrez passer la d'oeil des contremaîtres, des chefs monteurs,
masse colossale d'une C 61 ou de toute autre ma- des sous-directeurs, des ingénieurs, là locomo-
chine, vous vous rappellerez que toute là partie tive est roulée jusqu'à l'atelier dé peinture.
de machine qui domine les roues recule au mo- Plusieurs opérations coûteuses et longUes
nient de là chauffe de 15 millimètres, rentrant étaient encore nécessaires pour donner à la C 61
sbus l'abrï qui, lui, esttixe; Í'etp.nu ünmuablémèrit que j'avais vu construire son aspect reluisaht -de'
grande coquette. Il fallait d'abord nettoyer le m'ayait été possible pour un sujet. aussi,vasté,
laiton à l'essence, lui donner une première j'avais pu mener à, bien mon étude sur la con-
couche, repeindre en gris, passer deux couches struction des locomotives.J'en connaissais suffi-
du vert définitif, faire les filets d'ornement, samment désormais la formation anatpmique
rechampir et, enfil1, vernir. pour pouvoir me livrer avec fruit à l'étude de
J'avoue que je jugeai inutile de suivre exacte- leur marche et de leur maniement, et les ayant
ment ces dernières opérations; j'abandonnai la vues naitre il me tardait d'être mêléà.la vie d'un
-c 61 à, l'atelier de peinture, de même que je de ces colosses de métal qui, comme les C 61 et
1.'avais laissée subir sans moi les essais de timbre sans leur tender, pèsent vides près de 52 tonnes
L'atelier de montage.
.exécutés en présence des Contrôleurs de l'£tat et et coûtent 110000 francs à construire; exacte-
à l'aide de pompes à main qui refoulent dans la ment selon les derniers ,devis de la Compagnie
chaudière 21 kilos de pression, 6 kilos en plus 2 fr. 20 le kilogramme.
-de la pression normale. Autant que la chose (A suivre.) PIERRE CALMETTES.
Rien de plus difficile que de connaître avec Saint-Marcel, distinctes à cette époque, renfer-
quelque précision la population de Paris maient 35 paroisses et 61 091 feux, fixe la popu-
oavant 1789. L'usage avait prévalu de compter par lation à 30.5 455 habitants. Ce chiffre est évidem-
paroisses et par feux le feu ou foyer repré- ment exagéré et, pour le rendre à peu près exact,
sentait théoriquement une famille de cinq per- il faudrait le réduire de moitié.
-isonnes et on arrivait ainsi à des résultats qui On prenait aussi comme principal élément de
pouvaient suffire aux médiocres exigences de statistique le chiffre des hommes d'armes que
nos aïeux en matière de statistique, mais ne pré- pouvait ournir Paris.
-sentaient en réalité aucune garantie. Sous Louis XI, lorsque le décret d'asile eut ra-
Aussi, un document de l'année 1328, en se mené à Paris tous ceux qu'en avait éloignés la
basant sur ce fait, que les villes de Paris et de guerre civile, le roi compta dans une revue près
de 80 000 soldats, équipés avec soin, pleins d'ar-
deur sur le champ de manoeuvres, et que sa bonne
ville mettait à sa disposition, en cas de guerre.
Ceci représente une population de ~50 000 habi-
1876.
1881.
1872.
1891.
1851 792
1988 806
~l?5 910
2424705
tants environ. 1896 ~2 511955
Elle n'avait pas beaucoup augmenté, en 1590, Le dénombrement de 1896 a révélé un fait
puisque la garde bourgeoise était alors de assez grave, la diminution de la population dans
100 000 hommes que l'on vit parader, armés de dix arrondissements qui sont naturellement les
sabres rouillés, de mousquets hors d'usage et plus riches. Dans le VIIII, arrondissement
même d'ustensiles de cuisine, dans les proces- (Champs-Ëlyséesj', la diminution a été de 4 767.
sions militaires organisées par la Ligue. En thèse générale, c'est dans les quartiers où
Cent ans plus tard (1700), la population de Paris on devrait avoir le plus d'enfants, qu'on en a le
atteint 530 000 habitants. Elle n'augmente que de moins.
110 000 habitants pendant tout le xvine siècle. En Cette population parisienne, qui avant une
effet, le chiffre donné par les Archives nationales vingtaine d'années entrera dans sa période de
pour 1798 est de 640 504. décroissance, vit pour le moment à l'étroit dans
Le premier recensement officiel, effectué d'ail- un espace trop resserré. Paris occupe une sur-
leurs dans d'assez mauvaises conditions, a lieu face de 78 kilomètres carrés, celle de Londres
au mois d'octobre 1801, et on constate une di- est de 360 kilomètres carrés. Il en résulte que
minution, difficile à admettre, deprèsde cent mille la moyenne d'habitants par kilomètre carré est à
habitants. Un très curieux opuscule, Tableau de Londres de 1500 environ, et à Paris de 3 000, et
l'an VIII, nous apprend qu'il y avait alors à Paris dans le quartier le plus peuplé, le quartier
100 médecins, 80 banquiers et 400 écrivains. Ajou- Bohne-Nouvelle, elle atteint jusqu'à 120001 Cette
tons, pour compléter par un détail caractéristique agglomération excessive a pour résultats inévi-
ces indications, 116626 indigents. table's le manque d'espace, de lumière et d'air,
A défaut de renseignements précis et qui puis- le développement plus rapide des maladies con-«
sent inspirer coiifiance car les chiffres eux- tagieuses, l'augmentation de la mortalité infan-
mêmes en ce temps'là sont serviles, je crois tile.
qu'on peut admettre que la population de Paris, L'examen et la comparaison des recensements
sous le premier Empire, diminue ou du moins indiquent, font toucher du doigt, un autre dan-
n'augmente pas. Elle a besoin pour reprendre ger contre lequel il faudra bien, tôt ou tard,
son mouvement ascensionnel que les bienfaits se mettre en garde l'invasion croissante des
de la paix réparent les désastres et comblent les étrangers. Il y en avait, en 1872, 177 209; en 1896,
vides dus à une si longue période de guerre. 180000, c'est-à-dire 75 (sans compter 47 natura-
-la
En 11:116 population est alors de 712 966 ha- lisés) par 1 000 habitants. Paris est une cité géné-
bitants, on commence à s'appuyer sur des do- reuse et hospitalière, mais la générosité doit
cuments très exacts que fournit désormais la s'arrêter là où commence la légitime préoccupa-
Statistique gènérale de la France, publiée par le tion des intérêts de la patrie, et l'hospitalité, trop
ministère de l'Agriculture et du Commerce, et le facilementaccordée aux étrangers, est aussi im-
Bulletin de statistique muri.icipale, publié par le prudente que coupable, quand elle s'exerce au
préfet de la Seine. détriment des nationaux.
Le chiffre du recensement de 1829 (890431)
HENRI n'ALMERAS.
est établi, pour la première fois, avec une préci-
sion aussi grande que possible. &,
En même temps la statistique multiplie de
plus en plus les indications, arides en apparence
mais plus utiles pour connaître la vie matérielle
LA LIMACE PRESSÉE
de Paris que bien des études qui ne sont que des
exercices de rhétorique C'est ainsi, pour ne Holà! place! faites-moi place!
«
citer qu'un exemple, qu'elle nous apprend qu'en S'écriait un jour la limace
Je suis pressée! Etes-vous sourds (
1832 un cinquième de la population est né dans Ne voyez-vous pas que je cours?
les hôpitaux, un tiers y est mort. Laissez-moi traverser la plaine.
Paris n'arrive au million d'habitants que vers Bon Dieu dit un lézard
le milieu du siècle (en 1846, 1053 897 avec la Qui l'entend par hasard,
Comment va-t-elle donc quand elle se promène? J)
population flottante), et c'est sous. le second
Empire qu'il trouve sa plus belle période d'ac- FRÉDÉRIC BATAILLE.
Il est devenu banal d'associerl'idée d'Amérique généralement pourvu d'un métier incompatible
avec celle d'opulence, de fortunes rapidement avec les exigences du milieu.
faites. On doit ajouter, cependant, que cela se
complète assez souvent, dans l'esprit des Euro-
péens, par la conviction que l'on ne peut devenir Si, à l'Exposition Universelle, on a remarqué
riche au Nouveau Monde que par des procédés les plans et les modèles des quartiers ouvriers de
plus ou moins louches. New-York, Boston et Chicaga, on a pu se con-
Cette dernière notion a été surtout répandue vaincre que même les émigrants susceptibles de
par des émigrants français retour d'Amérique et gagner leur vie au Nouveau Monde souffrent sou-
qui n'ont guère rapporté que cela de leur séjour vent d'une misère et supportent des privations
au delà des mers. Que voulez-vous? Il y a bien inconnues à leurs frères d'Europe. Quoi de plus
des siècles que le poète latin a dit Est modus in navrant que la condition de ces manufactures en
rebus. toute la sagesse des nations, combi- chambre où de pauvres ouvriers tailleurs, arri-
née, n'a jamais empêché les humains de se lais- vés de Russie, sont exploités par des gens que
ser ballotter d'un extrême à l'autre et principa- l'argot populaire flétrit d'un nom terrible, les
lement de se former des opinions à la légère. szveaters « transpireurs »? Là, bravant les rè-
En général, disons-le tout de suite, il convient glements de police, des misérables astreignent
d'accueillir avec autant de circonspection, en ce leurs' ilotes, pour des salaires dérisoires, à douze,
qui concerne les chances de faire fortune aux dix-huit heures de travail dans des taudis sans
États-Unis, les récits magiques de certains jour- air, où la température, en été, atteint parfois
naux et les diatribes amères d'aventuriers dé- f0° centigrade.
sappointés.. Il existe un lien, d'ailleurs, entre ces Quoi de plus lamentable que ces tenerreent-hou-
points de vue si opposés. C.'est pour avoir ajouté ses où il y a jusqu'à 1400 chambr~s à coucher,
foi aveuglément aux contes fantastiques du Pays dont plus d'un quart sans fenêtres 1
des Dollars que l'émigrant français, espèce
rare et mal préparée à cette forme de la lutte
pour la vie, s'expatrie, se heurte à des diffi- Est-ce à dire maintenant qu'il soit impossible,
cultés auxquelles il ne s'attendait pas et revient aux États-Unis, de s'enrichir rapidement?
désenchanté et aigri. Le Français, nous le répé- La question est complexe.
tons, ne fait, à. quelques exceptions près, qu'un La réputation de l'Amériquecomme un nouvel
émigrànt détestable. Si le Basque, à cause de son Eldorado date chacun le sait de la décoù-
tempérament particulier, réussit assez' bien dans verte de l'or en Californie vers 1849. A cette
la République Argentine et au Brésil; si le Nor- époque il y eut des mineurs qui firent fortune
mand et leBa5-Breton,poùrdes raisons faciles à en quelques semaines et dont la chance fit grand
comprendre, ont des chances de succès au Ca- bruit. Il y eut un nombre considérable de gens
nada, il n'en reste pas moins vrai que les idées qui se procurèrent une jolie aisance, au prix de
françaises se prêtent fort peu à la colonisation, laborieux efforts. II y eut une immense majorité
et cela aux États~Unis moins que partout ailleurs. de malheureux, dont on ne parle point, et qui
Une Revue mettait dernièrementen parallèle s'en retournèrent beaucoup plus pauvres qu'ils
les émigrants allemands et français on voyait n'étaient venus. C'est la loi naturelle de ces sor-
les premiers une foule d'artisans, d'ouvriers, tes de phénomènes sociaux; on voit se produire
de laboureurs se précipitant vers le Nouveau maintenant la même ch~se sur un théâtre plus
Continent, tandis que d'autre part s'avançaient restreint, au Klondyke.
quelques rares Français, bien vêtus, partant avec Il n' e.st pas, toutefois, sans intérêt de remarquer
leurs diplômes sous le bras. qu'aucun -des nababs actuels de l'Amérique du
Un court séjour aux États-Unis suffit pour vous Nord ne peut faire remonter l'origine de sa ri-
pénétrer de la vérité dc cette peinture. L'Écos- chesse directement à l'exploitation des gisements
sais, l'Irlandais, l'Allemand, le Scandinave, tous d'or de 1849. Mais plusieurs, en revanche, ont
gens se contentant de peu et sans aspirations posé les jalons de leur fortune dans des opéra-
fantastiques l'Italien lui-même, si sobre et si tions reliées indinectement aux découvertes de
modeste dans ses désirs, prennent, comme on cette époque. L'argent, si vite et en somme si
dit, le taureau par les cornes et, petit à petit, facilement gagné par les « Forty-Niners » de :Ca-
commen~ant par le bas, trouvent leur chemin lifornie parait leur avoir, selon l'expression
dans cette société américaine dont la devise pa- anglaise, brûlé les mains.
rattêtre « Aide-toi, le Ciel t'aidera. L'émigrant C'est là un fait bien curieux. Il semble qu'au-
français arrive avec une ambition irraisonnée, et cune de ces opulences recueillies d'une façon
féerique n'ait laissé de traces profondes; que, mort d'un homme qui fut un modèle du genre
seules, celles basées sur l'ingéniosité, le flair des M.'Coldis Hzcntington. Plus que tout autre, peut-
occasions, le talent des affaires; aient produit des être, 'il est l'enfant de ses œuvres. Fils d'un petit
résultats durables. cultivateur du Connecticut, il travaillaI. d'abord
Il y a là une leçon de morale que ne sauraient çomme simple garçon de ferme. Lors de la
trop méditer les gens qui songent à émigrer au « fièvre de l'or » de 18~9, il émigra lui aussi vers
Nouveau Monde.. la Californie, mais pour y consacrer ses modi-
Nous ne voulons pas dire« que la,chancè n'ait ques économies à établir un magasin de fourni-
été -pour rien dans le succès des princes dé la tures pour voies ferrées. et une sorté -de' bazar
finance américaine. S'ils ont eu du bonheur au pour les mineurs. C'était une idée de génie, car
début, ils en ont profité avec une rare intelli- tout le monde était occupé à la recherche du
gence s'il leur est arrivé plus tard, il a été la métal précieux la concurr ence n'existait point.
récompense de durs labeurs. Il est facile à l'oisif M. Huntington tint bientôt une place si impor-
de médire de ces riches, au communiste de ra- tante dans la région qu'il devint un des promo-
jeunir à leur intention les raisonnements chers teurs de la fameuse ligne du « Central.Pacific ».
aux impuissants de tous temps et de tous pays. A son décès, l'ancien .arçon de ferme, principal
En réalité les créateurs des fortunes extraordi- actionnaire des deux grandes lignes .de voies
naires actuelles furent les plus rudes travail- ferrées et de navigation entre l'Atlantique et le
leurs, les plus hardis pionniers de leur siècle. Pacifique; laissa une fortune de deux cents mil~
Les journaux annonçaient dernièrement la lions de francs.
Bien d'autres ~riches Américains ont une' ori-
gine,presque aussi ,humble. Un fait un peu déconcertant pour les gens po-
M. Clews, plusieurs fois millionnaire, débuta sés, c'est que rarement la fortune a souri aux
comme garçon de magasin à 15 francs par se- hommes qui s'en sont tenus à une seule branche
maine. d'affaires, à une seule carrière. S'il est une ex-
M. Steve~as, qui aujourd'hui possède 25 mil- ception à cette règle, c'est surtout, couime nous
lions, et est le propriétaire du fameux « Fifth le verrons plus tard, en faveur des hommes de
Avenue Hôtel de New-York, fut d'abord laveur loi; et encore n'est-il pas possible de mettre au-
de vaisselle à Boston, cun de ces derniers en parallèle avec les nababs
Al.~Grace; l'âme dugrand Syndicat du Pérou, dont nous nous occupons. Ceux-ci ont, presque.
était, en 18f1, garçon de bureau; le banquier tous., fait leur fortune dans une ligne absolument
I(elle~, riche de 50 millions, cocher de diligence différente de celle où ils avaient débuté dans la
en irlande. vie; ils semblent n'avoir trouvé leur véritable
voie que peu à peu. Les exemples en abondent. million de dollars. Il se trouve des gens pour
Le banquier Drexel, multi-millionnaire, s'était s'apitoyer sur le sort de l'infortuné jeune homme.
tout d'abord lancé dans la peinture. Quoique pris souvent comme la personnifica-
M. W. S. Webb était interne à l'hôpital Saint- tion de l'opulence américaine, les Gould ne pos-
Luc à New-York avant de devenir le chef de la sèdent guère que 350 millions qui, de plus, se
puissante Compagnie des wagons-lits Wagner. morcelleront bientôt entre plusieurs héritiers.
M. Russell Sage, le « roi des chemins de fer », M. Harry Payne C. Whitney est appelé à figu-
s'était d'abord cru la vocation de l'épicerie. C'est rer à une honorable place sur cette liste'éblouis-
en combin~nt ce commerce, la banque et les sante, trois héritages en perspective lui assurant
entreprises de voies ferrées, qu'il a accumulé la possession de 825 millions, dont 75 lui vien-
ses 170 millions. dront de sa femme, une Vanderbilt.
A ce propos, nous ferons observ er que très Nous pourrions continuer cette énumération,
souvent, sinon toujours, les multi-millionnaires parler des Havemayer, des Armour (de Chicago),
américains ou du moins ceux qui ont créé ces des Sutro (de San Francisco), etc. Mais nous de-
fortunes ont eu des aptitudes très variées et vons des égards à la patience de nos lecteurs
ont même fait marcher de front les industries on se fatigue de tout même de manier des
les plus différentes. millions
Le.plus riche des fils de l'Amérique, et-en Si maintenant nous jetons un coup d'oeil sur.
même temps l'homme le plus opulent de la le caractère, la manière de vivre des Crésus du
la terre, est sans doute M. Rockefeller, qui est Nouveau Monde, nous sommes tout d'abord
aussi le premier de tous les nababs au point de frappés par le penchant que leurs héritières sem-
vue de la rapidité de la fortune. Il a, en fort peu blent avoir pour les nobles du Vieux Continent.
d'années, accumulé plus d'un milliard de francs. C'est là un fait assez étrange, sur lequel, des
Il est parti de bas d'abord reporter d'un petit deux côtés de l'Atlantique, on a trop écrit et dis-
journal de l'Ouest, il était épicier de campagne cuté pour que nous y revenions ici. Bornons-
quand il eut l'idée qui devait avoir une si grande nous à constater que, jusqu'à présent du moins,
influence sur sa destinée idée très simple, on ne trouve encore d'Américaine sur aucun
entre parenthèses l'établissement de conduits trône d'Europe. Celle qui se rapproche le plus
entre une mine de pétrole et une gare. du suprême pouvoir est une jeune fille de Chi-
Le second sur 1-a liste est l~l. William Waldor f cago, Miss Leiter, qui a épousé lord Curzon, au-
Astor, qui parait être aussi un milliardaire. A jourd'hui vice-roi des Indes, et règne, de fait,
vrai dire, M. Astor n'est plus Américain, s'étant avec plus de pompe et d'éclat que mainte tête
fait naturaliser Anglais. C'est là un fait anormal couronnée.
les États-Unis, colonie du monde entier, sont Le duc de Marlborough, le comte de Wal-
nécessairement composés de gens d'origines les dersee, généralissime des forces internationales
plus diverses; mais le patriotisme des Améri- dans la récente guerre de Chine, sont d'autres
cains et leur attachement aux institutions de figures proéminentes parmi les nobles Euro-
leur pays rendent chez eux le changement de péens mariés à des filles de la démocratique
nationalité pour ainsi dire sans exemple. On Amérique. On a évalué à plusieurs milliards
peut dès lors comprendre les sentiments du pu- l'appauvrissement résultant pour les Etats-Unis
blic envers le nouveau sujet de la Reine. Toute- de ces mariages internationaux. Aussi les jingoes
fois, son fils étant resté Américain, le milliard chauvins du Nouveau Monde commencent-
familial, considérablement augmenté, réinté- ils à pousser les hauts cris.
grera probablement le territoire de la 'grande
république. Ces Astor, dont il existe encore aux
États-Unis un ({ parent pauvre » un colonel Il serait erroné de penser que tous les nababs
qui ne peut justifier que de 375 millions! ont d'Amérique ont vu l'ambition des grandeurs
une origine des plus modestes le grand-pèré naitre en eux avec la fortune. Non seulement
avait été colporteur. nombre d'entre eux, dans leurs bureaux du bas
C'est un homme bien peu connu du gros pu- de la ville, à New-York, s'astreignent aux mêmes
blic, tll. Pierrepont Morgan, qui vient ensuite heures de travail que le dernier de leurs com-
avec 750 l}jlillions.. mis, mais plusieurs vivent d'une façon à faire
Les Vanderbilt, dont le grand-père était pas- tressaillir d'aise, dans leurs tombeaux, les aus-
seur surl'Hudson, jouissentaujourd'hui d'environ tères Puritains d'antan.
500 millions, laborieusement gagnés dans des D'aucuns, et des plus jeunes, fuient la société.
entreprises de transport diverses, et aussi la spé- Courses, clubs, théâtre même, sont pour eux
culation. Un des membres de la famille vient sans attrait. En général, il faut le dire, les reje-
d'être déshérité pour s'être marié contre le voeu tons mâles de ces familles ne brillent pas dans
de ses parents on ne lui a laissé qu'un petit leurs études; ils ont au moins cela de commun
avec la plupart des grands génies des temps pas- après de brillants débuts, végètent misérable-
sés et présents. En revanche, ils manifestent ment il en est même qui périclitent témoin
presque tous, dès leur jeune âge, une véritable cette ville de West Lynn, en Dakota, florissante
aptitude aux affaires. A l'université, leurs suc- il y a vingt-cinq ans, aujourd'hui disparue.
cès, s'ils en ont, sont le plus souvent d'une na- La profession d'homme de loi, dans certaines
ture étrangère à l'enseignement. Témoin cee conditions, devient parfois extraordinairement
jeune Vanderbilt qui restera célèbre dans les lucrative aux Etats-Unis. Ceux qui ont la chance
annales scolaires pour avoir sauvé de la banque- de posséder la confiance des politiciens reçoi-
route, par une sage administration, la Gazette vent de beaux honoraires, quand ils peuvent
de son collège rendre service à ces personnages dans leurs
procès ou devant un conseil d'enquête.
Il devient de plus en plus difficile, cela se Une adroite manœuvre, qui sauva dernière-
comprend, d'amasser des fortunes comme celles ment d'une situation épineuse les Commissaires
que nous venons de mentionner non parce des Parcs de New-York, valut aux attorneys de
qu'il se rencontre moins d'esprits ingénieux et la défense soixante-quinze mille francs par
entreprenants, mais à cause du manque d'occa- inculpé.
sions. Le colonel James, un autre avocat, reçut il y a
Les États-Unis tendent à rentrer sous la loi quelques mois, la jolie somme de cent vingt-cinq
commune. Ils ne se distinguent plus guère; sous mille francs pour avoir défendu un inspecteur de
ce rapport, des autres nations, que par le fait police qui, entre parenthèses, devait avoir
que la concurrence y est plus formidable, la vie fait de belles économies MM. Fox et Rollins,
plus chère, les 'besoins plus grands; qu'il y faut, avoués « poursuivants dans un procès récent
pour arriver à l'aisance, une plu~ grande dose de la police new-yorkaise, eurent leurs hono-
d'énergie, de travail et de patience que partout raires fixés à cent cinquante mille francs.
ailleurs. La procédure criminelle même a rapporté à
Les professions qui, à l'heure actuelle, offrent certains avocats des sommes formidables.
le plus de chances d'enrichissement, avec une Un autre avocat de grand talent, M. Wellman,
rapidité relative, sont celles de courtler en im- qui sauva de la potence, dans une affaire reten-
meubles (real estate bro~er) et d'homme de loi. tissante, les frères jumeaux Hyams, toucha deux
Mais, est-il besoin de le dire, certains facteurs, cent mille francs.
peu faciles à réunir, sont nécessaires là aussi a. James Carter, qui fut envoyé plaider à
pour sortir de l'ordinaire. Dans un pays où les Paris dans une affaire de sceau, reçut une indem-
villes se créent et grandissent comme sous la nité de deux cent cinquante mille francs.
baguette d'une fée, un spéculateur sur propriétés Mais ce sont surtout les Syndicats (Trusts)
immobilières peut, naturellement, s'il est en ces étrange!;> produits de la condition économi-
état de fournir des avances de fonds assez consi- que actuelle des Etats-Unis qui sont de
dérables et s'il possède un flair particulier. faire bonnes aubaines pour certains hommes de loi.
chaque année de belles économies. On en aura Les intérêts en jeu sont énormes, presque fabu-
une idée si l'on songe qu'une des plus grandes leux et naturellementles services des attorneys
et des plus riches cités du Sud, Atlanta, En'était, syndicaux sont rémunérés en proportion. Ces
il y a quelque quarante ans, qu'un atelier de services sont de diverses natures; tantôt ils con-
réparations pour la voie ferrée, perdu au milieu sistent à défendre le Trust contre quelque coali-
des bois et des savanes qu'Ocklahoma, la capi- tion de petits industriels, tantôt le plus sou-
tale du nouveau territoire, 's'est élevée, à la vent leur objet est de « promoter », c'est-à-
lettre, en quelques jours. Le real estate n'a ja- dire obtenir la fusion de plusieurs syndicats en
mais, d'ailleurs, été dédaigné par les Crésus un seul. Là, on voit des honoraires étonnants.
actuels. C'est aux Vanderbilt qu'appartenaient Robirason and Ce ont eu, pour leurs travaux
jadis les fermes et les ehamps s'échelonnant de relatifs aux franchises des Tramways de Broad-
distance en distance sur la route de New Amster- way, un million cinq cent mille francs.
dam ce Broadway devenu aujourd'hui le Un million cinq cent cinquante mille francs
terrain le plus --cher du monde. Le résultat de fut l'apanage de ~li. Tomlinson pour avoir réuni.
-cette spéculation fait rêver. Et cependant que dix-huit gros planteurs de Cuba au « Havana
serait-ce, comparé à la plus-value que réaliserait Commercial » le plus grand Syndicat de Tabacs
à cette heure, s'il n'y avait pas eu de morcelle- du monde.
ments, la famille de l'obscur colon hollandais M. Cromw~ll, pour réorganiser le Syndicat du
qui, il y a deux cent cinquante ans, acheta des Cuivre de M. Rockefeller, n'eut pas moins, dit-on,
Indiens l'entière tle de Manhattan c'est-à-dire de deux millions de fi·ancs. Quoi d'étonnant,
New-York pour une centaine de francs? puisque M. Rockefeller lui-même se déclare
Toutefois l'état de courtier en immeubles n'est incapable d'évaluer sa fortune autrement qu'avec
pas sans danger. Si certaines cités se dévelop- une approximation de cinquante millions de
pent à la façon des cryptogames, il en est qui, plus ou de moins.
Et ce n'est pas là la plus grande somme tou- remit à l'attorney Dill, pour frais et honoraires,
chée par un homme de loi en cette matière, car CINQ MILLIONS .CENT CINQUANTE MILLE FRANCS!
.la société Carnegie, des mines de Pittsburg, GEORGE~NESTLER TRICOCHE.
chasse est fort ancienne; Claudien y fait allusion, danger qu'il présente les rajahs l'offrent à
et l'on conservait encore au xme siècle le livre .leurs amis et à leurs visiteurs de marque. Ce
des Légendes de Le Roux de Lincy en fait foi sont parfois de véritables expéditions que l'on
lé'souvenir de la chasse au tigre (ou plutôt de la organise, avec un nombre considérable d'élé-
panthère) au miroir. Rappelons, en quelques phants et une imposante suite d'esclaves.
lignes, que l'On fixait un miroir à base quadran- Il est fort probable que le jeune tigre de notre
gulaire sur laquelle se postait um chasseur ga- gravure, solidement attaché avec des chaînes de
ranti par un bouclier, la lance ou l'épieu prêt à fer maintenues par quatre vigoureux noirs,. n'a
frapper la bête lorsque, arrêtée dans sa course pas été blessé par l'épieu du chasseur et qu'il
par la vue de son image, elle s'approchait du a été tout simplement pris au piège, selon
miroir et se regardait avec étonnement. la mode employé depuis fort longtemps en Asie
Aujourd'hui, la façon de chasser le tigre en et en. Afrique, dans le Maroc surtout. Cette façon
Asie, notamment dans le Bengale où il e~t fort de procéder, dont le Magasin Pittoresque a parlé
déjà, est d'ailleurs saris péril. On fait une mate- qui demeure -ouvert, devant cette embouchure,
more assez profonde, sur la bouche de laquelle afin que le fauve ayant faim entre dedans et se
on place une trape attachée sur un pivot qui trouve pris comme pourrait être prise\me souris
demeure toujours en balance. On met sur ce dans une souricière. « Il y a aussi à ce coffre,
pivot un mouton mort, et lorsque le fauve sent raconte le voyageur Mouette, de grands anneaux
cette viande, il en approche pour la dévorer. de fer aux quatre coins pour tenir les cordes avec
Mais quand il a posé le pied de devant sur la lesquelles on tire le fauve en haut. »
trape, il trébuche dans la matemore, la tête la Et le tigre « tiré en haut », comme dit le voya-
première. A côté de cette matemore, il en est geur Mouette, sera sans doute dirigé vers Ham-
une autre, faite comme une fosse, de la profon- bourg, à moins que ce ne soit Anvers, oÙ l'achè-
deur de la première, et qui renferme un grand tera quelque dompteur; le roi de la jungle finira
coffre, pareil à une souricière, au fond duquel Z.
on dépose un quartier de mouton. Or, comme il
y a communicationd'une matemore à l'autre par
~ax~ ~~s~a.$~ ~~ss~
dans une ménagerie.
S'il est une profession dangereuse entre toutes, visage, mais toutes sont jeunes, certaines même
et qui semblait devoir à jamais rester inaccessible très jeunes.
à l'ambition féminine; c'est bien celle du toréa- Et ce n'est pas le côté le moins émouvant 'du
dor. Non seulement celui qui fait métier de des- spectacle que de voir se jouer de la fureur des
cendre dans l'arène pour combattre les taureaux taureaux, comme un chat peut s'amuser- d'une.
a besoin de posséder des muscles d'acier, il lui souris, ces frêles se~aoritâs dont l'alnée vient
faut encore ce calme imperturbable, ce sang- d'avoir vingt et un ans, tandis que la cadette n'en,
froid, cette décision qui manquent le plus sou- a pas encore seize
vent au sexe faible. Il faut, en. effet, une grande souplesse pour se
Eh bien! cependant, des femmes ont décidé livrer aux ébats périlleux des cor~~idas de ~rcuerté,
d'arracher aux grands tooeros. de l'Espagne le et c'est pourquoi, à l'exemple de leurs confrères,
sceptre qu'ils tenaient seuls jusqu'à présent. Une les femmes toréadors doivent s'y préparer dès
vaillante cuadrillca féminine, composée de six l'enfance. L'école de Barcelone a précisémen
jolies Barcelônaises, a fait, depuis plusieurs mois été instituée dans ce but, et rien n'est plus amu-
déjà, ses débuts de l'autre côté des Pyrénées, sant que d'assister aux leçons données par Lolita
avec un succès qui paraît de bon augure. à, ses jeunes camarades, et surtout aux répéti-
Sous la conduite de l'inipresario Totti, les tions qui précèdent "les grandes courses et pen-
senoritas toreras ont même parcouru récemment dant lesquelles la cuadrilla entière s'escrime avec
le Sud de la France, le Brésil et la République un sérieux extraordinaire, contre un taureau-
Argentine. Maintenant, plus expertes que jamais mannequin monté sur roues, dont il convient de
et plus intrépides, elles vont se mesurer, d'ici à donner au moins une brève description.
quelques semaines, avec les magnifiques mais Qu'on s'imagine une étrange carcasse de bois
farouches taureaux des ganaderias de l'Anda- ornée à l'avant de deux cornes menaçantes enca-
lousie. Toute l'Espagne suit avec-un intérêt crois- drant une soi-disant tête d'animal aux yeux de
sant les prouesses de Lolita et d'Angelita, les méduse. Derrière la tête est fixée horizontale-
deux matacloras de la troupe, aussi avons-nous ment une planche représentant le garrot de cet
pensé que nos lecteurs nous sauraient gré de animal apocalyptique et percée, en son milieu,
leur donner, sur la cuadrilla barcelonaise, tous d'un trou carré de 5 centimètres environ de
les renseignements que nous avons pu recueillir. diamètre. C'est dans ce trou que la matadora qui
Barcelonaise, disons-nous, parce que c'est à s'exerce devra faire passer sans hésitation son.
Barcelone que les femmes toréadors ont fondé épée si elle veut. tuer la bête d'un seul coup.
leur école et se sont, pour la première fois, pro- L'équipage que nous venons de décrire, monté
duites en public, aussi parce que Lolita'et Ange- sur deux petites roues de fer et muni, comme,
lita sont nées dans la capitale catalane, l'une fille une brouette de poignées en bois, est manoeu-
d'un professeur de gymnastique, l'autr.e d'un vré, avec autant d'agilité que de fougue, par un
brasseur en renom. Leurs compagnes provien- aide dont la consigne est de foncer à toute vitesse
nent des arrondissements voisins de Lerida et de et en faisant de brusques détours, tantôt sur
Tarragona. l'une, tantôt sur l'autre des femmes toréadors.
Toutes ne sont pas également jolies, quoique Pour ces exercices préparatoires, qui ont tou-
la plupart possèdent, à un suprême degré, la jours lieu dans la plus stricte intimité, les seno-
beauté plastique jointe au charme des traits du ~~itas ne revêtent pas le costume masculin tradi-
tionnel, veste courte et culotte collante chargées légère des femmes-toréadors, un costume res-
de broderies et d'ornements, non; elles portent plendissant de broderies d'or dont le prix n'est
simplement, sous la jupe demi-longue, une sorte pas inférieur à cinq mille francs, et cette dose
de maillot en toile peinte qui, s'il est pratique, indispensable de snobisme qui règle la mode
n'a rien de bien élégant. aussi bien en deçà qu'au delà des Pyrénées, et
Il faut de huit à quinze mois de travail pour vous comprendrez le succès fou des tooenas bar-
arriver à planter l'épée juste au point vulnérable. celonaises.
Puis viennent la pose des banderilles, les passes Le métier a d'ailleurs ses revers. Qui pour-
de muleta et le saut à la perche par-dessus le rait en douter ? Lolita, la plus téméraire, proba-
taureau. Ce dernier exercice, particulièrement blement aussi la plus jolie, a déjà été cruelle-
difficile puisque très rares sont les toréadors qui ment blessée au visage par un terrible coup de
s'y aventurent, est en général le clou de la cor- corne. Et vraiment l'on frémit en pensant à
rida des femmes de Barcelone. quelles sanglantes revanchess'exposent, de gaieté
La soeur d'un tore~;o bien connu sur toutes les de cœur, ces intrépides jeunes filles, pour un
arènes de la Catalogne qxcelle à ce sport, sautant peu de gloire vaine
parfois au-dessus de denx taureaux d'un seul ÉDOUARD BONNAFF:É.
bond. Un autre exercice extrêmement gracieux
est celui des banderilles, sortes de fléchettes
enguirlandées de ruban que deux banderilleras
ont mission de planter dans Iqs flancs ou sur
ROMANCE
l'encolure de l'animal pour l'ame\ler plus vite au
paroxysme de la fureur. A tout petits pas, lente et les pieds las,
Après s'être fait la main avec le mannequin Elle allait, flairant les fleurs d'un air tendre;
dont nous avons parlé, les senoritas s'attaquent Un nid gazouillait au fond d'un lilas,
Et Jeanne s'assit, s'assit pour attendre.
aux jeunes taureaux de deux ans, pour finir par Les petits oiseaux prenaient leurs ébats,
se mesurer avec les bêtes de cinq ou six ans, Et Jeanne rougit, rougit sans comprendre;
c'est-à-dire dans la force de l'âge. La brise se prit à siffler très bas,
Partout où la cuadrilla féminine s'est montrée, Et Jeanne se tut, se tut pour entendre.
mais principalement à Barcelone, à Ma~rid, à Son cœur et le nid chantaient tous les deux,
Et le vent câlin chantait autour d'eux
Alicante et à Séville, les amateurs, les'aficio- bourgeons fleurissent.
« Quand vient le printemps, les »
nados, comme les profanes, lui ont fait un accueil La mère fauvette alla, vint, partit,
absolument enthousiaste, tel que seuls Lagartijo, Revint, sautilla, piqua l'herbe et dit
Mazzantini, Frascuelo en ont jamais reçu de Quand vient le printemps, les nids se remplissent. »
Un rire retentissant lui répondit, le plancher moins une fois, il ne servirait à quelque chose? »
riait, le toit riait, Kjeld croyait que les murs, les Dans sa colère, Hall en oubliait de couvrir sa
tables et les bancs riaient aussi, et le fauteuil du propre conduite.
président semblait jeter des éclairs devant ses « Oui,
maintenant, il a ruiné notre affaire, » dit
yeux. Il vit ensuite quelques députés se lever un autre. « Oui, c'est certain. Dire qu'il y a de tels
pour mieux voir et il entendit le mot expédié. gens, dans le monde » et il désignait Kjeld.
Et Kjeld s'évanouissant s'affaissa sur son siège. Kjeld fit un mouvement et Hall lui demanda-
qu'on
Lorsque Kjeld reprit ses sens, plusieurs têtes comment il se trouvait et s'il avait besoin
étaient penchées sur lui, et il entendait le mur- l'accompagnât chez lui. Kjeld remercia et ajouta
mure des conversations. Il était dans un salon à qu'il pouvait rentrer seul.
côté de la salle et les gens qui parlaient étaient Le lendemain, on frappa à sa porte et Hall
des
les hommes de son parti. « Mais, par ma foi, entra. Il s'avança doucement sur la pointe
pourquoi l'avez-vous amené ? » demandait l'un pieds et ferma soigneusement la porte derrière
la
d'eux. « Qui pouvait croire aussi que ce fût lui. Sur son visage on ne pouvait lire que ré-
de sa voix s'adoucit comme
un coquin? répliqua Hall. « Ç'a été un sot tous signation. Le ton
les jours de sa vie mais là-bas, c'était un s'il eût été dans une chambre de malade pour
branla la tête
grand homme et on pouvait croire qu'il saurait demander comment allait Kjeld. Il
hurler en tous cas. Qui aurait pu penser qu'au et dit que lui et ses collègues étaient inconso-
lables de la perte qu'ils avaient faite. Mais il n'en
(1) Voir le Magasin Pittoresque des le, et 15 Mars
19Ót. pouvait être autrement. Quand on n'a pas la
force nécessaire, c'est qu'on ne l'a pas. L'État ne comme il l'aimait ce jour-là. Il n'avait jamais su
peut exiger qu'on .lui sacrifie sa santé, encore jusqu'alors quels liens l'attachaient à ces lieux,
moins sa vie. Il témoignait d'une telle dévotion témoins de ses premiers jeux, de ses premières
et d'une piété si touchante quand il parlait de pensées, de ses premières joies; car à de tels
l'accident arrivé à Kjeld, que celui-ci s'imagina endroits, chaque pas fait revivre en l'âme mille
être couché dans son lit, enfoncé dans ses chers souvenirs, la nature et la vie sont sem-
oreillers et entouré de fioles de remèdes. Et Hall blables à de grands livres dont les images sont
s'assit et recommanda que le malade ne fît rien dessinées en lettres de feu parce qu'elles ont été
qui fftt dangereux pour sa santé. les spectateurs silencieux dés é\'énements qui
Après une pause, Hall annonça que, voyant ont fait battre notre coeur plus fort qu'il n'a
que Kjeld ne pouvait sortir, il était allé chercher jamais battu. Il saluait pour la première fois la
un médecin: placé où il était né, parce qu'il découvrait seule-
« Ce n'était pas nécessaire, » assura Kjeld. ment alors l'union de toht son être avec cette
Oh! il n'y avait pas de qubi le remercier. terre.
C'était bien moins qu'il pût faire en souvenir d'un Il s'arrêta sur la tombe de ses parents. Chacun
collègue qu'il avait si fort estimé. Il en parlait d'eux l'avait rempli de ses propres visions et de
comme s'il fût mort, et Kjeld voyait déjà son en- ses propres expériences mais, à présent, il
terrement et son ensevelissement. savait que celles de, son père étaient les seules
Le médecin demanda en souriant ce qu'il en vraies et que sa volonté avait vaincu.
était, n'attendit pas la réponse, tâta le pouls du Quand il se trouva sur sa propriété, il franchit
malade et, toujours souriant, affirma que c'était une clôture et suivit un sentier de traverse qui le
un accident très grave. Hall fit un signe d'affir- menait chez lui. Il vit en divers endroits les haies
mation, le médecin s'assit écrivitquelques lignes renversées et songea qu'il fallait les redresser;
sur une feuille de papier, qu'il donna à Kjeld, il vit des champs incultes et.songea qu'il fallait
dit adieu en souriant et s'en alla. les ensemencer. Le haut de la colline était des-
Kjeld lut et vit que c'était une attestation qui séché, mais la rivière coulait non loin et il
reconnaissait comme quoi l'état de sa santé pensa qu'il ne serait pas difficile d'y faire monter
l'empéchait d'entreprendre aucun travail et l'eau. Et lorsqu'entln il approcha de la rivière, il
l'obligeait à faire un séjour à la campagne. Kjeld pensa qu'il n'aurait plus besoin de faire moudre
regarda Hall dont les yeux étaient fixés sur le au moulin des autres, mais qu'il en bâtirait un
tapis avec une expression de profond chagrin. lui-même.
Enfin il se leva, prit Kjeld par la main et dit Maintenant, il était arrivé près de la maison,
« Oui, je vous souhaite un bon voyage et vous mais les buissons d'aunes lui en cachaient encore
prie de faire tous mes compliments là-bas. Ça l'entrée. Il s'avançait lorsqu'il entendit résonner
été un grand coup pour nous. Celui qui va vous des voix bruyantes. Il s'agissait de la lessive
remplacer n'a ni pensées, ni talent; nous ne d'Aasa, et c'était elle qui parlait. Elle menaçait
trouverons pas en lui un pareil orateur. mais quelqu'un qui se trouvait plus bas, et il pouvait
cela se comprend, les desseins de Dieu sont im- apercevoir en effet que c'était la femme du voisin
pénétrables. qui jetait de côté le linge d'Aasa pour faire place
Puis il sortit, Kjeld comprenait enfin la liaison au sien. Mais la femme qui jusqu'aloriS avait été
des événements il avait perdu son siège au courbée, comme devant un orage proçhain, ré-
Storthing; son affaire était faite, il n'avait qu'à pondait en jetant tout dans le champ, vêtement
penser à son retour. Il écrivit sa femme « Je par vêtement, et elle accompagnait chacun de
rentre à la maison)). ses gestes d'une parole empoisonnée.
« Oui, vous pouvez venir à présent, je m'en
III vais vous avertir! Je vous dirai que c'est à vous
Kjeld avait. abordé dans sa paroisse de là, il de filer. Il est venu une lettre de la ville. oui, je
remontait chez lui. Tout son voyage avait été sais ce qu'il en. est. Oui, vous pouvez, comme on
uns nouvelle expérience. C'était une aurore qui ondit, déguerpir». Elle lançait un objet. « Voyez
illuminait son esprit, la nature était pour lui vous, la famille Horge est finie. Le prêtre s'en
dans une aube perpétuelle et ses pensées chan- est allé », elle jetait le linge, « puis la femme du
taient comme un. essaim d'oiseaux. prêtre, puis vous êtes venue, vous qui gouver-
Lorsque, le brouillard du matin s'étant levé, il niez la maison et qui pourtant ne sortiez pas de
aperçut son pays brillant aux rayons du soleil, il meilleures gen~ que nous.
pensa avoir fait un lointain voyage qui l'avait « Puis en voilà un qui devait être mieux que les
réveillé d'un assoupissement de trente années. autres, ce fou de Kjeld. Et tout est fini de ces
Kjeld avait cru qu'il était destiné à illustrer sa splendeurs. Il est arrivé une lettre où l'on raconte
race, mais à présent il en avait fini de ce mauvais qu'il a fait grand dommage aux autres et s'est
songe, il avait fait son voyage dans les mon- fait lui-même passer pour un sot qu'il a fallu ren-
tagnes. voy er. Fi donc ainsi s'en va toute la famille des
Jamais auparavant il n'avait aimé son pays Horge, en sorte qu'ils laissent la place aux
autres », et, du coup, elle envoya tout le tas au céda une tranquillité telle qu'on eût entendu
pied de la colline. tomber une plume. Et ce n'était pas seulement
Alors parurent le mari de cette femme et ce qu'il y avait d'inattendu dans son apparition
d'autres hommes. Et tous ceux qui avaient eu qui leur enleva le courage et la voix; il n'y en
quelque infériorité sur Kjeld, mais encore plus eut pas un qui ne s'a.perçût qu'il avait grandi
ceux qui avaient pu lui faire tort, jetaient la depuis qu'il les avait quittés, qu'il voulait régler
menace ou la moquerie, car il leur semblait que ses propres affaires, et qu'on courrait quelque
leur conscience était soulag-ée parce qu'ils avaient danger à se jouer de lui. Ils jetaient des regards
appris de sa faute. obliques aux larges épaules qu'ilsn'avaient jamais
D'abord, Aasa entendit cette histoire avec co- vues auparavant, et, jusqu'au voisin qui le ren-
lère, mais quand les hommes qui étaient en face contrait chaque jour, et qui, pour cela, devait
d'elle lui eurent donné des détails plus précis sur plus difficilement croire à un changement, ils
l'aventure de Kjeld, elle se souvint de la lettre prétextèrent tous quelque course indispensable
qu'elle avait reçue où il annonçait son retour pour disparaître, de sorte qu'au bout de trois
subit; une idée la saisit qui, telle qu'une bête minutes, il n'y avait plus rien qui rappelât ce
sauvage déchirant sa proie, détruisit la paix de qui s'était passé, si ce n'est le linge qui couvrait
son âme et la rendit aussi impuissante qu'un le gazon autour d'eux.
enfant dans les mains dé ces gens. Elle ne pou- Kjeld s'avança vers Aasa qui restait là, pâle
vait douter qu'il ne fût arrivé à Kjeld quelque comme la toile répandue à ses pieds. Sans le
chose qui portât dommage aux autres et lui regarder, elle lui tendit la main c'était une
causât grande honte. Elle découvrit tout à coup main durcie par le travail; mais pour Kjeld,
l'immense ,distance qui la séparait de son mari, c'était un titre de noblesse que lui-même voulait
elle comprit dans quelle humble condition il gagner. « Tu arrives de bonne heure,.» dit-elle,
l'avait laissé vivre. Elle sftvisa qu'elle n'avait d'une voix si froide et si étrangère qu'il semblait
jamais eu chez lui la position d'une épouse et à son mari qu'elle lui parlait de très loin. Il
qu'elle n'était pas respectée comme une femme demeura un instant avant de trouver des mots.
doit l'être. Elle sentait qu'il l'avait prise dans « Je devrais être là depuis longtemps. » Mais à
l'héritage de ses parents, qu'elle n'avait été pour peine eut-il parlé que la victoire lui fut acquise,
lui qu'une pauvre créature qu'il n'avait pas voulu et tandis qu'ils mon «taient le long de la colline, il
perdre. Elle s'aperçut que tout ce qu'elle avait racontait son voyage sans lui rien cacher; il se
fait depuis tant d'années n'était que. le travail confessait comme s'il se fût parlé à lui-même et
qu'une servante doit à son maître et, semblable quand il eut fini, il ajouta: « J'étais là aussi et
à un vaisseau dont les voiles sont tombées, elle j'ai entendu tout ce qu'il t'a fallu supporter
se trouva sans gouvernail et s'en alla à la alors. je me suis rappelé les paroles qui sont
dérive. écrites, que le mari et la femme ne doivent
Mais Kjeld était assis là, il avait tout entendu, faire qu'un, et j'ai .constaté qu'il n'en avait pas été
ses joyeuses pensées s'étaient envolées comme ainsi de nous. Mais j'ai résolu que, dès cette
les feuilles jaunes au vent d'automne et il de- heure, il en serait autrement. si tu le veux du
meurait sur sa propre terre pareil à un vaincu., moins. »
Il avait oüblié que le compte le plus terrible Ils étaient assis sur le banc devant la maison,
qu'il eût à rendre était celui qu'on lui. deman- quand il prononça ces mots. Il regardait au loin,
derait dans sa propre maison, et que le rêve car il n'osait pas lire sa condamnation.
nuageux d'un avenir irréalisable avait ravagé le Mais avant qu'il ne fût arrivé à cet endroit, Aasa
lieu où il lui fallait élever une nouvelle colonne. ne doutait plus. A peine avait-elle écouté ce qu'il
Car, maintenant il voyait que sa femme avait avait dit, que lui importait qu'il eùt tort et com-
.planté et lui récolté, qu'elle avait été exposée à ment il avait eu tort. Elle avait compris seulement
l'orage tandis qu'il était à l'abri, qu'elle lui avait qu'il était revenu à elle, et tandis qu'elle s'avan-
donné ce qu'il y avait de meilleur en elle, sa foi çait les champs verdissaient pour elle, les arbrés
et son amour, pendant qu'il restait oisif et élevait se couvraient de feuilles, les fleurs embaumaient
des châteaux dans le lointain rougissant. Il de- l'air, les oiseaux chantaient leurs chants d'été, et
vinait quelles réflexions s'assemblaient en elle et dans son esprit glissait un rayon de soleil; dége-
pourquoi elle gardait le silence. lant les songes du printemps qui, peu à peu, s'y
Mais s'il avait péché, il lui fallait racheter; il étaient glacés.
fallait qu'elle sût que le passé n'avait été 'qu'un Et alors Kjeld comprit qu'il était revenu à
mauvais rêve, empoisonnant son âme, mais qui temps, il reconnut le message du printemps en
était fini. Il lui fallait remonter le chemin de son son âme comme dans la nature et il souhaita que
.amour et de son respect qui seuls avaient de de nouveau le vent le poussât à travers la vie,
prix maintenant. mais seulement pour conduire son vaisseau dans
Il parut subitement au milieu des agresseurs. un port meilleur et plus sûr..
Il y avait eu un grand bruit de cris, de rires et KRISTIAN ELSTER.
de jurements; mais, soudain, à ce.tumulte suc- (Adapté du norvégien par Jacques de COUSSANGES.)
La Quinzain'e d'être trop connue, sans .noos douter que le critique
d'art et le critique de livres, Philippe Gille, en fùt
l'auteur; c'est lui, pourtant, qui 'la piquà dans le
dialogue très mouvementé des. Trente millions de.
LETTRES ET ARTS Gladiator, un de. ses meilleurs vaudevilles.
La vie, grâce à tant de travaux si différents, avait
La. mort de M. Philippe Gille marque la fin d'un été douce pour Philippe Gille l'ex-employé de
« genre que, d'ailleurs, il ne cultivait plus lui- Préfecture de la Seine, cette pépinière de gens de
même, mais où il avait brillé quand ce fut la mode, lettres, qu'il fut au début, était devenu riche il pos-
il y a vingt, il y a quarante ans, sous les premières sédait un hôtel rue Jouffroy et de belles collections.
années de la République et, avant, sous l'Empire. Ce Il a payé cher cette longue durée de bonheur il a
genre était celui des échos; on était alors échotier au succombé à un mal atroce, surtout pour un écrivain,
Figaro, à l'Événement, au Paris-Journal, au Gaulois, l'hémiplégie l'a privé pendant plus d'un an de'tout
comme on est aujourd'hui courriériste de théâtre ou mouvement,du moyen de se faire comprendre; seule
de Parlement. El cela sumsait pour vous faire une sa raison, claire et nette, avait survécu et il assistait,
jolie réputation, de la Porte Saint-Martin à la Ma- sans pouvoir se plaindre, à.la destruction lente de
deleine, ce qui est déjà quelque chose. Un écho gen- son être. On a dit de lui, dans les nolices nécrolo-
timent troussé classait son homme; dix, de suite, giques et au cimetière, beaucoup de bien. Il le mé-
lui assuraient une sorte de situation. ritait il convient d'honorer la mémoire « d'anciens J)
Qu'était-ce donc? c'étaient des petites notes, des qui ont exercé la profession de gens de lettres autre-
observations critiques, des réflexions humoristiques, nient qûe maints intrus qui s'y installent aujourd'hui
piquantes, sur la Ville, sur le monde des cafés, des cyniquement grossiers_et malfaisants.
courses, des lettres, des artistes, jadis de la Cour.
Parfois s'y joignait une pointe de calembour (nous
n'aimons plus que les violents à peu près), quoi-
que :le calembour fût plus exactement du domaine Le Conseil municipal de Paris vient très à propos
des nouvelles à la main, autre genre, non disparu de montrer de l'énergie il il décidé qu'avant quinze
celui-ci. jours, si un adjudicataire sérieux ne se présente, on
Il fallait que l'échotier, POUIJ se maintenir à la hau- démolira la bàtisse à demi croulante qu'est l'em-
teur de son renom, eût de l'esprit personnel, et bryon du Palace Circus (ancien Cirque d'Été) et qui
aussi qu'il tiltràt l'espritdes autres; il devaitconnaître deshonore les Champs.Élysées. Nous avions dit qu'un
tous les Parisiens, de plus ou moins frat6he date et, groupe d'artistes, dont Édouard Detaille, Carolus Du-
avec eux, tous les étrangers de passage; il devait ran, Charles Giraud., etc., avait songé à établir là
exceller à leur tourner un compliment ou à leur dé- une Maison' artistique où l'on aurait donné des Expo-
-cocher une flèche point trop empoisonnée. sitiôns et des Concerts. Ils n'ont pu, paraît-il, faire
Philippe Gille succéda, au Figaro, aux maîtres dans aboutir la combinaison financière qui devait soutenir
cet art délicat, qu'avaient été Aurélien Scholl, Wolff, leur idée. C'est dommage; le Grand Palais, asile des
Villemessant lui-même, etc. Il signait de cette signa- deux Sociétés, n'est, en réalité, que l'ancien Palais
ture collective le Masque de Fer, mais la rubrique lui de l'Industrie, et, par suite, il est insuffisant (on le
appartenait, en quelque sorte, et les meilleurs échos verra prochainement); le Petit Palais est destiné
qu'elle abritait étaient les siens. Actuellement, elle vraisemblablement plutôt à des collections qu'à des
,existe toujours; Gille l'avait abandonnée depuis expositions périodiques. (C'est M. Quentin-Bauchart
quelque dix années et on y trouve encore de la qui est chargé du rapport, à l'Hôtel de Villle, il le
verve, mais sous une autre forme et mêlée à des fera avec sa compétence et son tact artistique, mais
informations,à des notes quelespersonnesintéressées il ne peut donner au Petit Palais qu'une destination
communiquent elles-mêmes.. Le journalisme se mo- municipale.)
difie beaucoup, dans le sens de la diminution de la Les artistes qui veulent exposer en dehors des Asso-
personnalité de l'écrivain auquel on demande plus ciations et des locaux officiels, n'ont à leur disposi-
de documents que de fantaisie. tion que des galeries de marchands de tableaux et
Philippe Gille fut aussi un critique bibliographique, des salons de cercles; où on ne va plus les voir parce
sur le tard de sa vie; il analysait les nouveaux livres qu'ils sont trop disséminés. Une « Maison artistique»»
avec .clairvoyance, avec autant d'indépendance qu'il ou maison des artistes, gérée par, ceux-ci, aurait
est possible d'en montrer. Encore un «.genre » qui rendu des services, puisque si effroyablementenvahis-
s'en va! Et il fut également critique d'art; l'Académie sante est la tache d'huile qui s'étend à travers Paris.
des Beaux-Arts lui.. avait galainment octroyé un fau- Cependant, il n'y aura, à cet échec de MM. De-
teuil de membre libre. taille et Giraud que «~ demi-mal si la Ville fait raser
Enfin, à tous ces emplois de son intelligence très rapidement des ruines inutilisables, ou si elle n'ac-
vive et avisée, Philippe Gille ajoutait le théâtre. Il corde qu'à très bon escient l'autorisation de les uti-
avait écrit, seul ou en collaboration, un grand nom- liser. Les Champs-Élysées, cette admirable prome-
bre de pièces qui ont eu un succès considérable les nade, sont déjà trop encombrés d'abris, de kiosques,
Charbonniers sont de lui et de Labiche. Il a laissé -de boutiques, etc.; on les gâte ainsi à plaisir.
derrière lui quelques « mots » qui sont d'un usage Les promeneurs remarqueront, notamment, une
courant et dont on a oublié l'origine. C'est sa mort ,des plus bizarres installations qu'on y ait faites ces
qui, par exemple, nous a rappelé d'où vient unè temps-ci au long du Petit Palais s'élève une cabane
phrase qui se retrouve fréquemment au bout de nos en planches, à deux étages, qui sert, sans doute, de
plumes Quel homme, quel génie, quel dentiste! » bureau de voirie ou d'arrosage
Nous écrivions tous cette.-boutade, amusante avant C'est affreux. Ou pense que c'est provisoire, sans
doute. Si l'on ne proteste, il adviendra de ce.cham- grand nombre d'adhérents chrétiens dans cette région
pignon comme dé la carcasse du Circus Palace, qui (20000 environ). Un. explorateur, M. Michaelis, qui a
aurait dtl.être détruite.depuis.longtemps nous en visité Si-Ngan en 1879, rapporte avoir reneontré une
aurons pour Pété, sinon davantage.
..PAUL BLUYSEN.
grande déférence parmi les foules qui le suivaient lors
de ses promenades à travers les rues de la ville. Les
classes lettrées semblent donc être prépondérantes
dans cette seconde capitale ou plutl¡t capitale de cir-
.Géographie constance, qui possède aussi, comme on sait, le mu-
sée le plusriche pour l'histoire de la Chine, le célèbre
Pei-lin ou Forêt d'inscriptions.
Si-Ngan-fou, capitale temporaire de la Chine. En f865, la ville soutint un combat contre un for-
Les lecteurs du Maga~in Pittoresque sont soigneuse- midable soulèvement de musulmans. Ces derniers,
ment tenus au courant des événements provoqués au nombre de 50 000 environ, finirent par capituler
depuis plusieurs mois en Chine, tant par les désordres et furent même contraints d'abdiquer leur foi; une
produits par' les Boxers que par l'intervention des grande partie de leurs mosquées furent transformées
puissances. européennes" Ces événements, de quelque en temples à Confucius. Il ne sera pas sans intérêt.
manière. qu'ils :se terminent, auront une influence d'apprendre quelle influence un tel milieu aura sur
énorme sur les destinées futures du Céleste Empire. l'esprit du. souverain et sur la principale instigatrice
On peut. sans témérité affirmer que la. Chine sor- du mouvement actuel, l'impératrice mère
tira, dans un avenir très prochain, de son séculaire P. LEMOSOF.
isolement et deviendra, à l'instar de sa voisine, le
Japon, ce qu'il est convenu chez nous d'appeler une
nation civilisée.
Un grand pas vers cette transformation sera fait
LA GUERRE
aussi par les pérégrinations forcées de l'empereur et AU TRANSVAAL
de la cour. impériale. On connait l'histoire de ce
paysan normand auquel un ami avait promis de lui Dix-huit mois se sont écoulés depuis la déclaration
montrer le roi Louis XIV. Il l'amena au jardin des de guerre d'un peuple minuscule de l'Afrique du
Tuileries juste au moment où le monarque faisait sa Sud à la plus orgueilleuse, à la plus puissante nation
promenade. (' C'est cela le roi, s'écria le paysan, lors- du monde. Et après de centaines de combats, des
qu'on lui désigna le. souverain, mais c'est un milliers d'escarmouches, le brave petit peuple se
homme ». dresse toujours indomptable devant le colosse britan-
Dès ce moment, la.royauté subit certainement une nique qui, après avoir déclaré superbement qu'il
atteinte sensible dans l'esprit de ce paysah. Le même n'accepteraitqu'une capitulation sans conditions, s'est
phénomène se produira forcément en Chine où le vu ces jours-ci contraint de faire lui-même des propo-
peuple considère son empereur comme' une émana- sitions de paix. Oui, lord Kitchener, aux prises sans
tion divine. Il lui est interdit, sous les peines les plus doute avec des difficultés dont aucun écho ne par-
sévères, de jeter un regard, même furtif, sur le car- vient en Europe, a fait les premières avances, par
rosse impérial. l'intermédiaire de Mm. Botha, au jeune généralissime
Le jour où l'homme du peuple apprendra que l'au- boer, qui Ii simplement répondu
guste empereur, le fils du ciel, est obligé de fuir « Je ne crois pas que'mes compati-iotes, puissent
domine un simple mortel devant les baïonnettes des accepter moins que l'indépendance. »
barbares (lisez Européens), il en sera fait du prestige Certes, le général Botha, sur qui pèse une si loUrde
impérial et en même temps de l'immobilité du pays. responsabilité, doit désirer plus que personne la pa-
A cet égard donc, le séjour probablement tempo- cification de son malheureux pays. Et cependant il
raire de la cour impériale à Si-Ngan-fou est un fait repousse fièrement, en quelques mots, les avantages
important dans l'histoire moderne de l'empire chi- relatifs offerts par lord Kitchener, persuadé que son
nois. vaillant petit peuple préfère mourir enseveli sous les
Si-Ngan-fou est située au centre de la vallée du ruines de ses fermes brûlées par les Anglais plutôt
Weï-ho, qui est considérée, à juste titré, comme le que de renoncer à son indépendance.
grenier de la Chine. Elle jouit aussi d'une grande Que s'est-il donc passé dans les conférences de
renommée comme ville commerçante. En relations Middelburg entre les deux généraux en chef? C'est
d'affaires avec les principaux centres industriels et ce qu'il est difficile de savoir exactement, le Livre
.commerciaux de l'empire, Si-Ngan occupe une posi- bleu publié par le gouvernement anglais ne racaniant
tion. des plus avantageuses au pied dés monts que ce q¡¡e. M. Chamberlain veut..bièn. livrer à.la
Tsing-lin, c'est-à-dire inaccessible aux armées enne- curiosité publique. A la Chambre des .communes on
mies. Cette situation privilégiée lui a déjà valu plu- a questionné ledit M. Chamberlain, mais cet étonnant
-sieurs fois d'être choisie comme résidence impériale. secrétaire d'État aux Colonies s'est borné à déclarer
-Peu d'Européens y ont d'ailleurs pénétré et les "Fen- « ne pas savoir que le général Botha eût élevé des
,seignements que nous possédons sur cette ville im- objections spécifiques contre aucune des conditions
portante.sont plutôt vagues. Sa population est diver- proposées par lord Kichéner ». Le général. BoUia n'a
sement évaluée de 500000 à 1 million d'habitants. donc fait.aucune coutre-proposition, et, comme par
Cont~airement aux autres villes chinoises, Si-Ngan, le passé, la parole reste au canon.,
probablement trop à l'étroit dans sa. muraille, ne Ce résultat inatlendu. pour les Anglais a jeté. nos
renferme ni jardins ni vastes squares la superficie voisins d'outre-Manche dans une .véritable crise
entière de la ville est occupée par des constructions. d'épilepsie. La, plupart de leurs journaux demandént
,Les missions catholiques se p~é¥alen1 d'un assez qu'on en finisse une fois pour toutes avec les répù-
bliques du Transvaal-.et.de l'Orange et qu'on exter- Quoi .qu'il en soit,1'ac~ard du .famei~x coneeri euro=;
mine les Boers jusqu'au dernier. Ce qui est beaucÓqp péen .ne semble pas des plus .parfâits pour le qüart
plus facile à dire qu'à faire. Le gouvernement an- d'heure, et il. ne- faudrait pas beaucoup..d'algarad,ès
glais s'était imaginé qu'il arriverait en quelques mois. comme. celle de Tien-Tsin pour amener .UI1.e.caoo-
par la destruction et l'incendie des fermes, à phonie épouvantable ailleurs qu'en Chine.'
triompher de toutes les .résistances. Il a poussé la La;question de.là Mandchourie préoccupe toujours.
barbarie jusqu'à arracher les femmes et les enfants à l'Angleterre. Il est bien évident. que la RussiiJ ne.
leurs foyers en ruines pour les transporter dans des lâchera pas ce gros morceau et que 'les Anglais sonE
camps. spéciaux; Tous ces crimes .de ,lèse-humanité impuissants à le lui arracher. L'Allemagne, de son
n'Ónt fait qu'enller le. courage de ces malheureux. côté, n'est pas très satisfaite, mais elle ne veut point
Combien de temps encore durera cette guerre d'ex- nuire à ses relations commerciales avec Ia Rûssie~
termination? Si vraiment les Boers ont encore de pour les beaux yeux de l'Angleterre. Elle laissera:
15 à. 20 000 hommes tenant la campagne, les Anglais donc la Mandchourie rentrer de plus en plus'dans la-
ne sont pas au bout de leurs peines. Du reste, laglte- sphère d'influence russe, quitte.à chercher plus .tard
.rilla continue sur tous les points. et à obtenir un petit dédommagement.
Kruintzinger et son commando ont soutenu, dans la' Quant au retour de la Cour à Pékin, il. n'en est pas
colonie du Cap, deux combats victorieux. Il se dirige plus question aujourd'hui que si l'Impératrice, l'Em-
actuellementvers l'Orange ou il prendra ses quartiers pereur et les Boxers n'avaient jamais existé.
d'hiver après s'être admirablement remonté en che- HENRI MAZEREAU.,
vaux, en vivres et en vêtements dont les Anglais ont iw
fait les frais.
Dans l'Orange, les mouvements tentés pour bloquer CAUSERIE MILITAIRE
Fourie ont, comme toujours, complètement échoué.
Quand à De Wet, on ne.sait au juste où il se trouve, Tout en reconnaissant.dans notre dermer numéro.
mais on peut être certain de le revoir prochainement. la remarquable ingéniosité du système d'abris d'in-~
Ùelarey occupe toujours l'Ouest du Transvaal où fanterie du.capitaine Gérard; je m'étais réservé Je
lord Methuen ne semble pas l'inquiéter outre mesure. droit d'y faire quelques critiques, que j'ai l'honneur
Enfin, Botha, qui a inerveilleusemént manœuvré pour de soumettre aujourd'hui à nos lecteurs.
échapper auxonze colonnes de. French; s'est retiré Tout d'abord, en examinant. le fait d'établir, en
dans le- Nord-Est du Transvaal avec sa petite armée 20 et même en 15 secondes, aussi bien pour les.
intacteque les Anglaisévaluent à;¡ 5 000 ou 8 000 hommes. grandes que pour les petites unités, l'abri formé de
Dans l'Orange, le mouvement que nous avions sacs superposés, je me demande si cette opération,
annoncé se dessine. Kitchener forme quatre divisions facile à accomplir sur un champ de manœuvres, .se
de troupes montées la division du Nord, général pratiquerait aussi aisément dans une bataille, où l'on:
Elliott, allant du Vaal à la ligne Bultfontein-Kicks- devrait compter sur la vive émotion qui s'empare, en
burg la division du centre, général Knox, quartier pareille occurrence, des vétérans, à plus forte raison
général à Rloemfontein; la division du'Sud, général des jeunes soldats? Je ne le crois pas.
Lyttelton, qui s'étendra de Springfontein à l'Orange: En second lieu, même en admettant la prompte
enfin la division de l'Est, général Fundle, qui opérera installation de ces abris, pourra-t-on répondre de leur
dans le district de Harrismith. solidité, étant donné que les hommes placés à leurs
Un gigantesque coup de balai se prépare donc dans extrémités pourront être atteints par les balles et
la république Orangiste. Nous en verrons prochaine- éclats des shrapnels, .leur,s flancs (droit et gauche)
ment les résultats. étant à découvert? Qu'en résultera-t-il? Voit-on ces
EN CHINE hommes blessés plus ou moins grièvement, lâcher
leurs sacs en roulant sur leurs voisins de droite et de.
Les affaires de Chine ne semblent pas des plus bril- gauche, qui perdront à leur tour l'équilibre sous la
lantes depuis quelque temps. Un instant, on a pu pluie de balles de la rafale?
croire que les fusils allaient partir tout seuls. Mais, Supposons même que ce fait arrive rarement; ne
cette fois, les Chinois n'y sont pour rien. Un incident doit-on pas aussi prévoir le cas où l'infanterie ne se
anglo-russe a failli mettre le feu aux poudres inter- placera pas rigoureusement en face de la ligne des
nationales. Les soldats russes occupaient à Tien- batteries ennemies ?
Tsin, un garage que les Anglais prétendaient leur Pour s'abriter efficacement, il faut que la direction
appartenir qu'est-ce qui ne leur appartient pas de marche de chaque homme soit perpendiculaire à
sous la calotte des cieux? et soldats russes et an- la ligne desdites batteries, sinon, que se produira-t-il ?
glais ont failli en venir aux mains. Vous pensez si L'artillerie ennemie prendra en écharpe tous les
les Célestes étaient joyeux à la seule pensée de voir groupes soi-disant abrités, lesquels s'écrouleront
les envahisseurs s'entr'égorger! ci~mme des châteaux de cartes.
Fort heureusement, les Russes, quoique très infé- On doit donc se demander si des troupes, même
rieurs en nombre, ne se sont point laissé intimider supérieurement exercées, pourront, en 15 secondes"
et, une fois de plus, Albion a dû baisser pavillon, prendre exactement la position voulue, alors qu'elles
c'est-à-dire laisser la place libre aux Russes. On exa- manœuvrerontà deux ou trois mille mètres de batte",
minera plus tard les titres et les droits de propriété. ries souvent dissimulées par des crêtes ou autres ob-.
Naturellement la presse anglaise se montre fort mé- stacles; soit naturels, soit artificiels, et employant lai
contente de la façon dont l'incident a été clos, et poudre sans fumée.
quelques journaux n'hésitent pas à déclarer que le Une .dernière question se pose quedevieudront,
gouvernement aurait dû contraindre la Russie à céder, les officiers, dans ces systèmes d'abris? Je ne parle'
même par la force' pas des chefs de section -et de demi-sectiQn', qui;
peuvent se coucher derrière les. groupes abrités, nous Chilonidès, le Grec astucieux; et Pétrone, l'arbitre
dit le capitaine Gèrardj mais qu'adviendra-toi! dès de toutes les élégances, et tant d'autres, Aulus, Ti-
adjudants-majors,des capitaines, des chefs de batail- gellin, l'apôtre Pierre, et Glaucos; et Ursus le barbare
lon, etc2 Ces officiers ne songeront à s'abriter qu'après à la force incommensurable, jusqu'à cette délicieuse
avoir assuré la complète et précise exécution du mou- Eunice, l'êselave préférée de Pétrone?
veme.nt .précité: leur, courage, leur sentiment. dú Eh bien! dois-je l'avouer? je me suis trouvé pour
devoir et leur so!licitude .pour leurssoldals s'opposent ma part quelque peu désillusionné, non que la mise
à ce qu'il en soit autrement, et, avant qu'ils aient eu en scène ne soit somptueuse, les costumes brillants;
le temps de penser à eux, la mitraille aura accompli l'interprétation, sur laquelle je reviendrai,.suffisante.
son'œuvre. Et il y aura,toutes chances pour que les dans son ensemble. Mais le drame de M. Moreau ne
chefs de section et de demi-section, se piquant d'un m'a semblé qu'une illustration plus ou moins vivante
noble amour-propre, éprouvent le même sort. Que de l'œuvre du romancier polonais, et non point un
feront alors les soldats, sans leurs chefs? drame parfait; c'est comme une image d'Épinal pour
J'ajouterai que ce système, avec ses arrêts succes- les grands enfants, adorablement enluminée, qui
sifs et plus ou moins prolongés, pourrait être de tout à coup s'animerait. par la hagnette de quelque
nature à diminuer la rapidité de l'offensive, rapidité 'cinématographe, cette invention ayant depuis quel-
qui convient si bien à notre armée. ques années détrôné les bonnes fées d.'antan..
Il serait beaucoup plus simple de faire arrêter et En un mot, la pièce .ne se tient que médiocrement
agenouiller les soldats après les avoir mis à la marche sur ses jambes, et cela est le défaut ordinaire des
de front en avant et se serrant les coudes. Au com- drames tirés de romans ils semblent presque tou-
mandement de A genoux, ils mettraient les deux jours incompréhensibles à ceux qui ne sont point
genoux à terre, leur fusil couché à leur droite, le initiés, surtout quand il s'agit d'un ouvrage aussi
canon en évânî; là face' contre terre, les bras croisés touffu que Quo Vadis.
sur lad poitrine; les deux mains de chaque. côté du A part cette critique, le découpage est assez bien
menton. Mais il faudrait pour cela ne plus tarder à venu, les scènes sont fort dramatiques; quelques-unes
coiffer nos troupiers d'un casque de cuir analogue charmantes, comme le troisième tableau, où Eunice
au casque colonial, c'est-à-dire couvrant la tète aussi dévoile ingénieusementson amour à Pétrone, ou bien
bien en avant que sur les tempes et la nuque, en y touchantes,comme le tableau final, où Pétrone meurt
joignant une paire d'épaulettes de cuir suffisamment ainsi .que son amie dans un décor plein de poésie,
larges pour abriter les épaules. enivrés l'un et l'autre de musique et de parfums.
Les hommes, agenouillés de cette manière et ran- L'interprétation quoique suffisante pèche un peu
gés de front, offriraient bieu peu de prise aux shrap- par une trop grande inégalité.
nels et pourraient, sans perdre de -temps, se relever, Si l'on n'a que des éloges à décerner à Dumény,
se remettre en marche, s'agp.nouiUer de nouveau et qui incarne avec un tact parfait, ainsi qu'une élé-
ainsi de suite. De leur côté les officiers pourraient gance raffinée, l'insaisissable Pétrone, si ces éloges
s'abriter derrière les deuxièmes rangs et, la rafale peuvent également être partagés par Duquesne en
passée, se relever pour entraîner leurs hommes. Les Néron, etJeàn Coquelin en Chilon, il n'en est pas de
sacs, par suite de la position sus-indiquée, rece- même des deux personnages principaux, M. Marquet,
vraient obliquement les projectiles de l'adversaire, unviciniusinsupportable dans sa brutalité, et Mlle Cora
ce qui les détériorerait beaucoup moins que dans le Laparcerie, qui ne représente, ni par ses gestes ni
précédent système, où balles et éclats des shrapnels même par sa diction, la vierge chrétienne qu'est
les frapperaient de plein fouet. Lygie. MI, Laparcerie a de grandes qualités; je l'ai
Il n'y aurait donc, avec ce dernier moyen, aucun souvent admirée, surtout dans certaines scènes de
retard dans la marche en avant, et rien ne viendrait la Cavalière, qu'elle jouait en artiste consommée et
entraver cette furia francese qui maintes 'fois nous avec une désinvolture digne d'éloges ici elle n'est
assura la victoire et qui nous l'assurera encore, je point à sa place. On avait parlé tout d'abord de
l'espère, dans l'avenir. Mlle Blanche Dufrêne, c'est grand dommage que celle-
Capitaine FOUQUET. ci n'ait point joué le rôle.
M. Bouyer est un excellent Aulus, mais M. Philippe
~9 Garnier donne à l'apôtre Pierre. une dureté iuad-
missible il manque tout à fait de l'onction voulue.
!J.1HÉAr.D~E
Mlle Gilda Darthy est une Poppée des plus médio-
cres mais Eunice, c'est Mlle Miéris, une inconnue
d'hier, une célébrité de demain, absolument idéale
LA VIE DRAMATIQUE de gràce jointe à une mutinerie exquise qui fait
Enfin, nous avons donc assisté à cette représen- rêver.
tation de Quo Y«dis à la Porte-Saint-Martiu, repré- Quant aux décors, ils sont pour la plupart de pures
sentation si impatiemment attendue, et qui depuis merveilles, et contribueront pour une grande partie
des mois était l'objet de toutes les conversations. dans le succès certain de la pièce l'incendie de R.ome
Le roman de M. Henryk Sienkiewicz n'a-t-il pas été et surtout le Cirque sont tout simplement adu~i-
traduit dans toutes les langues et la traductionfran- rables.
çaise n'a-t-elle pas eu un succès prodigieux? Tous
les admirateurs de cette œuvre d'un mérite évident
ne devaient-ils pas avoir hâte d'applaudir en chair et Au Gymnase les Amants de Sazy, qui n'ont rien de
et en os leurs héros favoris, le tribun Vicinius, à l'âme commun avec Quo y'adis, sont avant tout une pièce
haute et fière, la douce Lygie, Poppée, la cuurtisane- spirituelle.
i'mpératrice5 Néron, le tyran implacable, et Chilon Sans l'esprit, en effet, l'oeuvre de M. Romain Coolus
risquerait fort de choquer les spectateurs, car c'est Drapeau de MM.. Sebille et Fernoux, monté avec
.à d'assez vilains personnages, moralement parlant, goût. De son côté, l'Ambigu a repris les Deux ~pheli-
que l'auteur prétend nous intéresser. Hélas! où est nes, le drame légendairede d'Ennery.Bonne interpré ta-
le Gymnase d'autrefois où la mère sans danger pou- tion avec Krauss dans le rôle de Taillade. Mlle Geor-
vait conduire sa fille! gette Loyer est particulièrement touchante dans celui
Sazy, en somme, est nne personne des plus vi- de l'aveugle. Voici qui va amener à l'Ambigu -les
cieuses, maligne en même temps, menant d'une main amateurs d'émotions fortes.
ferme, pour le plus grand bien de ses intérêts et de QUENTIN-BAUCHART.
ses plaisirs, le groupe d'hommes qui gravite autour
d'elle le riche Gogeron d'abord, laid et vieux le
petit des Bornettes, bon jeune homme, dont la for- LA MUSIQUE
tune remplacera celle du vieillard, quand celui-ci
aura disparu Santienne, son intendant, comme « son Opéra-comique. Reprise de Mirsille, opéra en
homme de compagnie », puis l'ami du cœur, le actes et 7 tableaux, tiré du poème provençal
gamin..vulgaire et avide qu'elle fait enrichir par de Frédéric MISTRAL. Paroles de Michel CARRÉ.
Gogeron. Musique de Ch. GOUNOD.
Tous ces inutiles, aux préoccupations mesquines, Toujours en quête d'intéressantes représentations,
.peu sympathiques par les sentiments qu'ils professent M. Albert Carré a eu l'heureuse idée de nous rendre
et par les situations où ils se plaisent, seraient abso- Mireille telle qu'on la donna jadis pour la première
lument insupportables s'ils n'étaient tous gens d'es- fois. Dans cette version originelle, l'œuvre de Gounod
prit. Mais Sazy se montre gaie, gracieuse, causeuse, .présente, au point de vue dramatique, un intérêt plus
aimable;. Santienne est un ironiste dont la ruine a palpitant; elle a le mérite non moindre de rester
fait un philosophe légèrement amer; des Bornettes, fidèle au fameux poème de Mistral.
un niais, a suffisamment de pratique mondaine pour La pièce est mise en scène de très artistique façon
paraitre spirituel au moins à la surface; Gogeron à noter spécialement le. superbe décor- du 4e tableau,
même, dont tous se moquent, se revèle comme une où l'on assiste aux remords et au châtiment d'Our-
sorte de sage, comme un observateur qui suit, sans rias.
en avoir l'air, les petites canailleries tramées contre Très bonne interprétation avec Mme Marthe Rioton,
lui et qui s'en amuse, alors que les autres le croient charmantedans Mireille, bien qu'on remarque quelque
dupe. indécision. dans ses vocalises; Mm~ Marié de l'Isle,
Le dialogue est toujours vif, pétillant de verve, et qui se vieillit à merveille et dit à ravir le rôle de
sa gaieté un peu factice gaze le cynisme et la bruta- Taven; Mme de Craponne, fort gracieuse dans Vince-
lité des sentiments qu'elle laisse parfois saillir sous nette, et Mme. Eyreams et Rolland.
son voile léger. On a applaudi avec plaisir M. Maréchal, qui a chanté
L'esprit que M. Romain Coolus sème à profusion avec beaucoup de talent le rôle de Vincent, et l'on a
sert encore à racheter la donnée un peu pauvre du fort apprécié le puissant organe de M. Dufrane (Our-
sujet. Partie, en effet, d'une idée humoristique, rias) et la vibrante voix de M. Vieulle (Ramon). Ils ont
l'action languit vite. et verse quelque peu dans la ba- été d'ailleurs très bien secondés par MM. Jacquiti et
nalité. Le fond de l'intrigue demeure vide, malgré Huberdeau.
deux épisodes, d'ailleurs à peine ébauchés. Dans l'un, Nul doute qu'avec une aussi brillante reprise,
Sazy, sœur aimante, mais inexpérimentée, enlève à l'aînée des deux Mireille ne retrouve un regain de
à sa mère, Anglaise austère, rigide et pauvre, son jeunesse et de fraîcheur, et n'attire longtemps le
jeune frère Jack, qu'elle veut rendre heureux dans public à la salle de la ruepavart.
1'autre, Santienne noue une intrigue banale avec Ma- Ex. FOUQUET.
nette, la jolie bonne de Sazy.
Cependant, sur cette dcinnée. immorale, le tact et
la verve de M. Coolus ont su broder trois actes qui VARIÉTÉS
soutiennent l'attention toujours éveillée. Je préfère
pour ma part le premier, le plus alerte, où l'exposi-
tion est tracée d'une facon étonnante. L'ensemble LE RECENSEMENT AUX ÉTATS-UNIS-
néanmoins fait passer une agréable soirée.
L'interprétation contribue à mettre en valeur la Au moment du dénombrement de la population
pièce. Les rôles de des Bonnettes et de Gogeron sont française, il est intéressant de connaître la manière
fort bien remplis l'un, par M. Freidal; l'autre, par dont procède le Nouveau Monde pour faire le compte
M. Noizeux. bi'°e Samary rend avec humour la rigidité de ses nombreux et si divers enfants. Voici quelques
anglaise de Mlle Salanzy, et Mlle Yvonne de Bray, la détails qui donneront une idée du travail colossal
pétulance de Jack. i4i"8 Ryter, excellente comme tou- d'un recensement aux États-Unis.
jours, est charmante et naturelle dans le rôle de Tout d'abord, un édifice spécial est construit à
Manette. Mais l'on doit faire une mention très parti- Washington et installé pour les bureaux. Le recense-
culière pour le jeu correct et sûr de M. Gémier, en ment n'étant pas une institution permanente, un
parfait Santienne, et pour M"e Mégard qui s'est ré- nouveau bâtiment est élevé chaque fois à cet effet.
vélée en incarnant à souhait la charmante Sazy. le premier et le seul employé des bureaux pendant
longtemps est le directeur; il est l'àme de ce vaste
labeur et reçoit 6000 dollars (30 000 francs) par an.
Entre temps; les Folies-Dramatiques remplaçant la Lorsque l'énorme travail préparatoire de l'impri-
défunte comédie populaire nous ont donné un excel- merie et de la distribution des feuilles contenant les
lent drame bien charpenté et très patriotique Au questions est achevé, l'administration ne compte pas
moins de 50 à 60000 employés de toutes sortes re- la dernière feuille arrive aux b.nreaûx; car non seu-
censeurs, inspecteurs, interprètes, agents spéciaux lement les listes doivent-elles être vérifiées, mais
,et 3 000 personnes attachées aux bureaux de Was- souvent aussi revisées à cause de quelque erreur ou
hington à -titre'de fonctionnaires, commis, hommes de quelque faute de forme. Lorsque enfin tous les élé-
peine et gardiens.
de ments sont réunis, c'est au tour des bureaux d'entrer
A côté de la tàche formidable qu'est le recrute- èn activité, et l'on commence à compter.
ment du personnel, car on met beaucoup de soin Les fois précédentes, ces comptes se faisaient à l'aide
à ne choisir que des employés compétents, une d'un crayon. sur du papier et ils demandaient un
des plus imp°ÑAl1tesbesognes préliminaires estl'éta- temps infini de travail insipide. Aujourd'hui, l'ancien
blissement du plan de travail, d'autant plus difficile système est remplacée par l'électricité qui, dans
que le recensement aux États-Unis ne doit pas durer l'espace de trois mois, enregistre les données sur
plus d'un mois, ce qui veut dire que 75 millions 75 millions d'habitants. Dès l'instant que les feuilles
'd'âmes doivent être enregistrées en trente jours; ou commencent à affluer, les faits rapportés sur ces
deux millions et demi par jour. S'il s'agi--saitde comp- feuilles sont marqués sur des cartes spéciales; il y a
-ter seulement les habitants, la tâche ne serait pas donc, aux bureaux, 75 millions de cartes qui, ,posées
dure, mais elle est immense, étant donné que 1% 1'e- les unes sur les autres, s'éleve'raient à la hauteur de
censeur doit personnellementvisiter chaque maisop, plus de 17 kilomètres.
chaque habitant et recueillir lui-même les rensei- Les renseignements se rapportant à chaque per-
gnements. Aucune assistance ne lui est permise dans sopne ne sont pas marqués sur les cartes au, moyen
ce travail, sauf celle des interprètes dans les contrées d'écriture, mais indiqués par des trous percés sur les
où l'abondance des étrangers en impose la nécessité. cartes. Chaque trou, selon sa position, correspond à
.Lè recenseur américain doit .donc être un homme une certaine donnée un trou d'un côté signifie que
extrêmement actif, infatigable et courageux même, la personne est du sexe. masculin, un autre ailleurs
car quantité d'habitants peu lettrés de l'Amérique indique qu'il est marié, un autre encore qu'il est de
sont réfractaires au recensement; ils troment que le race blanche, et ainsi pour toutes les particularités
gouvernement leur adresse trop de questions souvent de l'individu.
indiscrètes, et reçoivent très mal le pauvre employé La perforation des cartes se fait par des machines
,qui n'eri peut mais. spéciales à poinçon, si faciles à manier, que l'opéra-
Ca n'est qu'en adoptant un plan systématique que teur initié peut dans sa journée transpercer ï00 listes
le recensement aux États-Unis peut se faire en un si complètes, c'est-à-dire qu'il perce 20000 trous en si¡t:
courtlapsde temps. Suivant ce plan arrêté par le heures et demie. Mille machines à perforer sont
directeur, le pays est divisé en trois cents districts mises en mouvement, ce qui donne un résultat de
environ; chacun étant sous la charge d'un inspecteur. 700000 cartes préparées au bout d'une journée.
Les districts se décomposent en subdivisions, Lorsque les cartes sont ainsi poinçonnées, les noms
.50000 en tout, avec un recenseur pour chacune. et les renseignementsqu'ellE.s 'contiennent sous forme
Le recenseur est rétribué selon l'ouvrage qu'il fait; de trous sont prêts à être enregistrés. Ceci est l'affaire
la moyenne de ses appointements est de 60 dollars d'une autre machine électrique, admirable d'ingé-
(300 francs). Chaque inspecteur touche 125 doUars niosité et de promptitude et dont le mécanisme com-
(625 francs), plus une certaine somme basée sur le pliqué mériterait une étude spéciale. Le poinçonnage
nombre de personnes enregistrées dans son district. et l'enregistement marchant de pair, le travail est
La loi stipule qu'un inspecteur ne doit pas être payé achevé en trois mois.
moins de 1000 dollars (5 000 francs) au bout de l'ac- Mais le dénombrement de la population, qui pour
complissement de son devoir. Le personnel des. hu- but de fixer le nombre des habitants, n'est qu'une
reaux composés d'hommes et de femmes gagne men- partie des statistiques que les États-Unis veulent éta-
suellement en moyenne 50 dollars (250 francs; par blir, et le reste demande bien cinq ou six' années
personne. L'État a donc dépensé, avant que la beso- ,encore. Les bureaux du dernier recensement aux
gne ne soit terminée, 5 millions de dollars (25 mil- États-Unis sont chargés de rassemblerd'autres infor-
lions de francs) en salaires seulement. mations des plus variées qui formeront la matière de
Le papier employé pour les feuilles de recense- statistiques spéciales. Ces statistiques compteront et
ment et des milliers d'autres paperasses administra- classeront les fous, les faibles d'esprit, les sourds,
tives comme enveloppes imprimées, circulaires, in- les muets et les aveugles; elles s'occuperont du
structions, avis, brochures, etc., représente le poids crime, de l'indigence et de la charité, et aussi de
respectable de 1000 tonnes; le gouvernement faitim- l'électriçité, du télégraphe, du téléphone, des tram-
primer à peu près 100 millions d'exemplaires de ways, des mines, et de bien d'autres choses encore
divers papiers officiels. intéressant le commerce et l'industrie du pays. Les
Placées en pile les unes sur les autres, ces pape- informations nécessaires à ces sujets seront tournées
rasses auraient atteint la hauteur de 15 milles ou par des agents spéciaux.
24, kilomètres. Les frais d'imprimerie montent à Le dernier et douzième rencensement a coûté aux
2 millions de dollars (10 millions de francs) les frais États-Unis la coquette somme de douze millions de
d'affranchissement, à 160 000 dollars (800000 francs). dollars (60 millions de francs), ce qui met à 75 centi-
Aussilôt en possession des feuilles, le recenseur se mes environ les frais occasionnés au gouvernement
met à l'ouvrage et envoie, après besogne faite, ses par chaque habitant. Le premier recensement qui
rapports à l'inspecteur de son district qui les exa- a eu lieu en 1790 n'avait coûté que 5 centimes par
mine avec soin, puis les transmet aux bureaux de tête; le nombre des habitants était de 4 millions.
Washington.. TR. MAI~DEÜ..
Bien que le dénombrement soit terminé en un
mois, ce n'est que deux ou trois mois plus tard que
PETIT: COURRIER TIIHBROLOGIQUE LES LIVRES
Les Tbnbres fra.ngaia. La Cité du Sang, par Maurice TALMEYR (Librairie
A la même date que les timbres dé Bordeaux, on Perrin).
place généralement dans les albums les sept timbres Je sais peu de romans aussi attachants que le livre
émis par les Allemands, en septembre 1870, pour leur
service postal dans les provinces envahies. Ces timbres nouveau- de M. Maurice Talmeyr. C'est une suite
d'études et d'enquêtes sociales, économiques, dont
se composent d'un chiffre, et dés inscriptions Postés
et centimes, tirées.sur un fond composé de burelages l'actualité est passagère ou permanente, mais dont
serrés tournés vers le haut. La bordure des timbres l'importance devait bien tenter un esprit aussi curieux
est tirée en teintes foncées couvrant la dent/:iJure. et pénétrant que celdi de notre auteur. Pour qui sait
Ces timbres valent respectivement oblitérés le regarder, il n'est pas besoin d'aller loin pour trouver
1 centime olive, 7 .fr. 75. Le.2 2 centimes marron, des tableaux pleins de couleur et de vie, des coins
10 francs. Le 4 centimes gris, 3 francs. Le 5 centimei> animés et pittoresques où l'activité, la lutte moderne
vert, 0 l'r. 50. Le 10 centimes jaune, se déroulent sans trève; des morceaux de ville tou-
bistre, 0 fr. 20. Le 20 centimes jours travail. Il n'a qu'à ouvrir les yeux
bleu, 0 fr. 85. Le 25 centimes brun, soi ensi lui autour de
i.fr. 50. Neufs, ils sont bien meil- et, aussi est peintre, il se donnera d'abord
leur marché. Toute la série existe. une fête, une fête égoïste en dépensant sans compter
les. trésors de sa palette et il la donnera ensuite à tous
avec, le burelage du fond renversé,
c'est-à-dire imprinté à l'envers la ceux qui s'arrêteront devant son œuvre achevée.
pointe du burelage en bas. Cette va- -M. Maurice Talmeyr est peintre et excellent peintre:
riété de tirage leur donne une plus-value considérable. Les « toiles » qu'il expose dans son volume Un bourg
Tous ces timbres ont été falsifiés à différentes de France, le Marchand de vins, Chez les Verriet·s,
reprises et. une fois officiellement par le 'gouveme- l'École du Trocadéro, l'Age de l'Affiche, qui
ment allemand .en 4885. Ces faux officiels se recon- Cité du suivent la
naissent par le plus grand écartement des lettres et sang, suffisent à nous rappeler que l'auteur
du Grisou et des Procédés de la morphine se sert d'une
par le-burelage toujours renversé.
Il faut s'en méfier soigneusement et n'acheier encre d'une richesse de nuances et de tons fort rare.
ces La Cité du Sang, c'est la Villette, avec,son mouve-
timbres neufs qu'à bon escient. Ils sont, du reste,
également oblitérés par de faux cachets, et il faut ment de fourmilière sanglante, avec la masse de ses
s'assurer de leur provenance avant d'en faire l'acqui- halls, de ses abattoirs,.de ses entrepôts, masse puis-
sition. FILIGRANE. sante et disciplinée comme une espèce d'usine de
A la demande d'un certain nombre de lecteurs j'indique mort qui fait vivre tout un monde. « Il y a vraiment
ci-dessous les piincipales nouveautés timbrologiques là, à ce bout de Paris, écrit M. Maurioe Talmeyr, tout
pa-
rues en février; monde extraordinaire, où tout est continuellement
Bêpublique Argentine type 1899. 3 centimes orange un
15 centimes vert.
coloris, théâtre, eau-forte ou tableau ». Quelles scènes,
Canada: type 1898. 20 centimes olive.
Chili: surcharge gros chiffre 5 sur 30 centimes rose. quelles petites comédies en raccourci dans les mar-
Costa-Rica: 1 centime vert et noir; 2 centimes et chés qui s'y tiennent plusieurs fois par semaine 1 Que
noir; 5 centimes bleu ciel et noir; 10 centimes rouge bistre et de finasseries, de fausses sorties, de préparations1
noir 20 centimes rose et noir. Valeurs en centirnos.
Crëte 20 lepta orange 25 lepta bleu 50 lepta lilas 50 lepta
Puis c'est l'effarement, le recul instinctif des milliers
bleu; 1 drachme violet; 2 drachmes brun; 5 drachmes vert de bêtes débarquées qui semblent flairer une odeur
et noir. Sans surcharges. Dominicaine 1 peso noir; de mort. Pour surprendre et tromper les pauvres
2 pesos noir. Faridkot: 12 annas brun et rouge. Fin- moutons, l'un d'eux a été dressé qui montre le chemin
lande 2 penni orange; 5 penni vert; 10 penni
20 penni bleu 1 mark, lilas et vert 10 marks, gris et noir.
rouges; et entraîne le troupeau. M. Talmeyr nous conduit
,Papier uni. Norwège 60 ore bleu foncé, type 1894. partout, nous fait assister à tout ce qui mérite d'être
Para,guay: type 1900. 24 centimes bleu foncé. Pérou vu.Il faut lire, enfin, les chapitres consacrés à l'aba-.
f centime. vert et noir 2 centimes rouge et noir; 5 centi- tage même. Il y a là des pages de premier ordre.
mes violet et noir. Sarawak: f centime bleu et carmin. Voyez le bœuf mourir.
Timor t0 avos bleu 20 avos brun « On coupe, la gorge, un gros
sur jaune 76 avos
noir sur bleu. Uruguay: série 1900. 1 centime vert; jet ponceau s'en échappe, et le boeuf, à mesure que le
2 centimes rouge 7 centimes orange. jet coule, tressaille, s'agite, regarde vers le ciel. On
hIMES TIMBROLOGIQUES DU f" AVRIL lui a ôté « son loup », et son œil, à ce moment, reflète
Philippines possession américaine, n° 4. 0. 0 fr.
45; une horreur fourmillante, une épouvante irisée où
n° 5. 0. 0 fr. 60. fuit tout un galop d'images effarées. » Puis c'est le tour
Colonies françaises n° 57, 0 fr. 75;
rose obI. 1 fr. 30 n° 55,
0 fr. 35 noir sur jaune N. HI'. 50; no 55,0 Ofr.30;
des cochons. Ah 1 les cochons, comme M. Talmeyr
brun N. 1 fr.
Sauawak nouveau. 1 centime bleu et
rouge. N. 0 fr. 15. nous les décrit, nous les définit avec une étonnante
Alwar: nouveau. 1/4 anna. vert. N. 0 fr. 20. précision, par touches vives, d'une pâte grasse et
Italie no' 82 à 89. Les 8 timbres. 0. 0 fr. 70. .chaude,jusqu'aumoment où ils meurent « comme un
Brésil: no' 13 et 14. 0. les deux timbres 0 fr. 30.
Argentine n~° 124 et 125. N. les deux timbres 2 fr. radjah, dans une flamblée ».
Finlande nouveaux. 2 penni, 5 penni, 10 penni, 20 Si j'ai insisté sur le talent de peintre de M. Tal-
penni. N. les quatre 0 fr. 80. meyr, ce n'est pas que je ne reconnaisse ses mérites
Crêto nouveaux. 25 lepta N. 0 fr. 45 50 lepta violet de philosophe. Il n'y a pas que des descriptions dans
N. fr. 75; 20 lepta orange N. 0 Ir. 40; 50 lepta bleu N.
0 fr. 75 son livre. Les études sont conduites avec force et
FIL. exposées avec une lumineuse clarté. Je recommande
A tous ceux de nos lecteurs qui timbre
de f5 centimes nous enverront un à mes lecteurs la Cité du Sang.
pour port, nous offi·irons gracieusement
le
un timbre de deuil finlandais, intéressantepièce vendue de A la même librairie a paru un volume de M. Paul
f5 à 50 centimes. par.les marchands.
L.4,COUR Les Amazones. Comme
Pour tous les renseignements timbrologiques et les de- son titre l'indique,
mandes de timbres; on est prié de s'adresser à Filigrane, cet ouvrage chante les héroïsmes féminins il ren~
au bureau du bfagasin. Pittoresque. ferme d'intéressantesétudes sur Mathilde de Toscane
Lenclos conservée par la Pa>yumerie Ninon, 35, rue du
Jeanne de Monfort, Jacqueline de Hainaut, Marguerite
d'Anjou.
Quatre-Septembre. LIBELLULE.
15 AVRIL
fi:) f901.
1901,
8
UN PORTRAIT DE GREUZE
reproduit
Tout le charme aimable et coquet du xmue siè- nesse, que le tYlagasin Pitio~·esque
cle revit dans ce délicieux tableau, l'une des
aujourd'hui.
perles du musée d'Angers. La grâce de la com- Il est édifiant d'apprendre à quel prix fut
position, la séduction piquante de cette jeune estimé ce délicieux portrait sur le catalogue de
figure, l'harmonie de la couleur, le fini précieux la galerie de Livois, dressé au moment de l'in-
de la facture, contribuent à mettre le portrait de ventaire, c'est-à-dire en pleine Révolution. On
Mme de Porcin au premier rang parmi les plus
dédaignait alors, ou plutôt on ne comprenait
jolis ouvrages du peintre de la Cruché'càssée. plusl'artléger etpimpant des maUres qui avaient
Avant d'entrer au musée, le tableaúdè 'Greuze.: é~~)à:g)olre du siècle près de finir. La mode
délàissàit 'lés 'bergères à falbalas, les vaporeux
faisait partie de la galerie de 11Z. de Livois,'amiatëüi'
éclairé qui avait réuni, au cours de'ses voyâgës,
pâYSilg,S Wa tteau et de Lancret, pour s'en-
'dè. g~â6~'des. ftàmàins de David, dont la sévérité
une collection de peinture importante'. g~écriè~ré -ë4'bnvenàit mieux aux esprits assombris.
Livois mourut, en 1790, sans laisser d'héritiers`
directs. Les dissentissementsdés. 'collatéraux Là 'nôirianclàturé dè la collection de Livois
qui, d'ailleurs, s'étaient mis hors 1i1. :loi'e.ii émi- offre, à cet égard, dès chiffres instructifs, stu-
grant, les circonstances politiques
peiÚ'avorâbles péfiants quand on 'les applique aux ouvrages
.6Îpo'sés rhai'ntenarit dans le musée à notre admi-
à la vente des tableâux, retardèrentla liqui'dation
ration. On,'yvoitdeux Lancret exquis, mis à
définitive de la succession. La collectiop. du:'
défunt fut mise sous séquestre et 'y'resta de prix 24 francs! Un Pater, merveilleux, lumi-
longues années. La ville espéra quelque- temps- neux et fin, 36 francs! Urie Fête de. Campagne,
garder tout entière cette belle proie et'*enrichir .'de Watteau, 72 francs. Deux ~atures mortes de
de cet apport considérable le Musée-fondé.par Chardin, 18 francs! Enfin le :portrait de la
qui,présidenfdu 'DÍrec- ,jeünè pé~·sonné ~tèixant sur élle un pètit chien
La Revellière-Lépeaux,
épagneul qü'elle entouré d'uné 'couronne de fleurs,
toire, se souvint toujours qu'il 'était 'député ainsi 'que'lé .livi'etdu musée de 4810 qualifie
influencé là pro-
d'Anjou et favorisa de sa haute
pagation des lettres, des arts et lÍ.essciimces le tableau de 'Greiizé avec une -précision naïve,
dans la province qu'il représentait. le portrait dé -M-0 dé Porcin fut :éoté à
Mais lés réclamations des héritiers, au retour 100 francs!
de l'émigration;amenèrent des restitutionssrlc- Quelle évaluation recevrait-il :aujourd'hui 1.
cessives.C~nt quarante-sept, tableaux, acquis ;I En se basant sur les prix -atteints. par certains
deniers -municipaux, 'dem- etirèrent ffnà -Greuze dans les enchères P~bliq-ues,, 'des cri-
par les 'plupart,de's
'1
~I
tiques éminemmentcompétents./(1}.attribuent
lemeni au -musee. Ce sont, 'pour~la
attestant 'i.e 'go6t}ràre<~t;. au't8:bleilu d'Angers une valèûr'qi~i.ne sera:it'pas
œuvresreinarquables,
du 'connaisseur qui les tavaÍ~ 'cho~si~!r~ moindre de deux cent mille ~ritütsl. Peut'-être
délicat
JÓrdaens, Murillo, lVlignàr~, :Miétis,: mêmé dépasserait-il cette somme. si la ràntaisie
Rubens, mêlaif1
Sneyders, 'Tériiers, Boucher, ~Watt6aù -'y 'vÓisi'- d"uIÙhilliardriire américain s'en
:A:ilti'ès.'{emps, autres. expertisesl
nent dans un éclectisme intelligent, offrant:à"
l'intérêtdÙ visiteur des spécimens attrayants: dés MATHILDE AL ANIC.
principa.les 'écoles.
Et le' fleuroh' de la' collection est bien ce tableaû. "-`(1)=M.'Gnnsé,'dans'sowrécént ouvrage sur-les Musées
de Greuze, resplendissant d'impérissable jeu-. 'de'provinêe..
É M I L E FAGc li ET
L'Académie fait la part belle à la Critique. En déjà quel pourra être maintenant l'heureux qua-
trième.
recevant cette semaine M. Émile Faguet, après M. Emile Faguet n'a surpris per-
et Lemaitre, elle réunit sous la L'élection de
MM. Brunetière
représentants les plus autorisés de sonne, ce qui est certes la meilleure preuve
coupole les
des Lettres. L'opinion publique, qu'elle a satisfait tout le monde. De la Sorbonne
cette province l'Académie l'étape est courte, quand on connaît
celle des lettrés, les cite ensemble de à
ou plutôt bien chemin. Je pense d'ailleurs que, pour
préférence, et les fait aller de compagnie son
mousquetaires. Elle salue leur notre critique, son ordre de marche « préétabli n
comme les trois
chez Richelieu en se demandant comportait une grand'halte au Pont des Arts.
rendez-vous
Tout lui est venu à;son heure, et de la fàçowla rent pas M. Faguet et n'épuisent pas'son activité.
plus naturelle du monde. _Jugez,en p.1utût par ces Professeuc, il a été; professeur, il reste et ..veut
quelques lignes de biographie pardon! de rester.. Il doit à son métier le plus solide de ses
« curriculum vitae » titres ses études sur nos grands écrivains', qui
Fils de professeur, M. Emile Faguet naît en 1847 sont de véritables cours écrits et qui lui ont valu
à la Roche-sur-Yon où il com- sa chaire à la Sorbpnne: II
mence ses études. Il les conti- professe comme ilécrit et .il
nue à Poitiers et les termine écrit comme il professe, Sans
à Paris où il vient en 1864. Trois morgue, sans pédanterie, avec
ans après, il entre àl'Ecolenor- une vivacité, un mordant en-
mâle; le dix-septième, dans la joués. Il n'y a !pasFaguet et
promotion de MM. Aulard, Faguet.
Dejob, Georges Renard et Mé- Pour le juger comme cri-
rimée,. aujourd'hui doyen de tique et définir cequ'il..es,t,
la Faculté des Lettres de Tou- cherchons ce qu'il n'est pas.
louse, il y trouve comme a~a- Il n'a pas découvert de s5rs-
~ciens MM. Liard et Rabier. tème, ou ne croit pas en avoir
R.èçu en 1870 à l'agrégation découvert un; H n'a; pas in-
des Lettres, il reprend le che- venté où rajeuni une. théorie,
min de la:province; vers le et ses idées ne nous parais-
x( Far-West » d'où il est parti. sent pas enchaînées ·fdctQ-
Successivement professeur à ment, comme une..consÍrucJ
la Rochelle, à Poitiers, à Mou- tion d'apparence scientifique.
lins.à Bordeaux, son avance- Il n'est pas l'homme depriII~
ment suit son cours régulier Emile Faguet, enfan~t. cipes, d'un principe qui serve
~tleramène à Paris, premier de commune mesuré.; les pro-
espoir.et première pea~ée de totit'b~n:norntalien" dUCtiori~de,I'sprit échappent aux -évaluations
Ce premier espoir ne. va pas sans'u~,séCúAd; fixes et:pr~e$.et n'out pas entre' èlles des
-celui de ,consacrer aux journaux e(a.úxr.e.y.p~s]e. ra'ppo.rtsini$~f~bles comme.: les nombres. Les
le fruit de .loisirs et de récréàtions .litté:F,lÏh'es:. chefs~d'œuvre'gela pensée humaine ne sauraient
L'exemple de camarades illustres des Sarcey et être susceptibles de je ne sais quel' c( canon de
des John Lemoinne, pour ne par- Polyclète ». Pas davantage il n'est
ler ici que des morts est là du séduit pada théorie du transfor-
reste pour prouver que ces loisirs misme et -ne. s'évèrtue point à
ont pu devenir, sans dommage l'appliquer aux genres. littéraires,
pour eux, leur unique et fruc- considérés comme org3nismes
tueuse occupation. A.une époque vivants. Bref, ce n'est pas lui qui
-où, dit-on, les. gens de talent et a trouvé que Bossuet est le père
d'esprit courent les rues,.il n'est non reconnu de nos lyriques.
pas, mauvais que quelques-uns .Il n'est pas non plus pour'la cri-
d'entre eux songent à raontu tique « impressionniste ». A .ses
dans les salles de rédaction. Le yeux, à ce qu'il semble, la criti-
journalisme y gagne le, public que n'est pas l'expression simple
aussi. Entre deux classes, M. EmiIe. ou compliquée d'une opinion,
Faguet donne des chroniques à d'un sentiment personael; elle
l'Événement. Il passe ensuite à la n'estp as « ondoyante et diverse ».
F~~ance, où il inaugure sa carrière Il estime que si elle ne bâtit pas
de critique dramatique, définiti- toujours sur du béton romain,
vement consacré par Edouard elle n'est pas condamnée à bâtir
Hervé qui, ayant remarqué son sur du sable. Elle doit s'inspirer
brillant et jeune camarade, lui de l'histoite, de la philosophie
confie le feuilleton théâtral du pour nrQttre chaque écrivain et
Spleil..Enfrn quand M. Jules Le- Emile Faguet, étudiant. chaque oeuvre en sa placé, afin
maître a quitté les Débats, c'est de porter sur lui ou elle un ju-
M. Emile Faguet qu'il a désigné et qu'on a âement qui -se tieline et. qui ne soit pas un
accepté pour successeU:r. On n'ignore pas que simple jeu. Aussi-trâite-t-i1les sè~tijets sérieux,
M. Faguet collabore à d'autres journaux, où il sérieusement, et ne les aborde-t-il pas toujours le
s~occupe des actualités lesplus variées, réserv,ant sourire sur les lèvres, avec une implacable'et
d'ailleurs ses études plus complètes et plus im- savoureuse ironie. Il ne s'abandonne pas 4 -des
portantes à la Revue blexce ou à la l.levue des Deux rapprochements imprévus entre Paris et Attlènès
llfondes. Ces collaborations multiples n'accapa- et ne fronde
pas l'antiquité sur- l'air de -la Belle
Hélène.~ Cen'est pas une raison parce qu'Aristote tcont-de mieux contempler le grand écrivain, en
a tout dit sur 1"amitié et sur la reconnaissance le mettant à sa vraie place, à certains jours de-
pour qu'il ait collaboré avec Labiche au Voyage fête, -mais aussi de le rentrer, la fête firiie. Vol-
de Monsieu~· Perrichon. Sans doute, il y aurait taire è mobile
quelque agrément à faire discourir Pétrone chez Peut-être les études de M. Faguet sur le
Tortoni, et à essa~'er de démontrer qu'après tout XIX. siècle sont-elles les plus profondes. EUes ont
nous avons eu dans ce siècle à Paris et en France eu l'avantage de l'amener et de le préparer x
le résumé et le meilleur des temps fort anciens. étudier les questions actuelles, à s'occuper de
M. Faguet ne pense pas qu'à aucun moment politique spéculative. Par exemple, s'il a trait(,-
Montmartre ressemble à l'Acropole. .la question du socialisme, c'est qu'il s'est docu-
N'est-ce pas conclure que M. Faguet n'a aucun menté sur ce sujet en étudiant Proudhon. Le
des traits les plus saillants de MM. Brunetière et succès de ses Questions politiques a été grand.
Lema.ître2. Pourtant on reconnaUra sans peine Comme je lui demandais s'il partagerait'désor-
qu'il possède vraiment mais ses travaux entre
la science du premier. la littérature et la politi-
~()ur être invisible, son que « Pas du tout,
érudition n'en est pas celle-ci pour moi est née
moins présente iF ne de celle-là. Du reste, il
l'étale -pas, mais elle y a en tout dix ou douze
soutientde sa charpente questions qui forment le
solide l'élégante con- fond de tous les pro-
struction de. ses œuvres, blèmes qu'on agite à
où son imagination et sa 1'heure présente. Ces
fantaisie surent àpropos questions m'intéressent
ou spontanément répan- assez pour que je donne
dre le charme et les là-dessus mon opinion.
grâces du second. Son Cela fait, je n'aurai plus
esprit est 'vif, malicieux rien à dire. » Les Pro-
au bon sens du mot. blèmes ~olitigûes du
Mais il est surtout net et temps présent, qui vien-
pénétrant. On dirait sa nent de parattre, mar-
logique~autillante,mais quent donc la fin de1'en-
elle va droil oü elle veut treprise de M. Faguet.
aller. Il termine naturelle-
y a-t-il une époque de Emile Faguet, académicien. ment son rôle de politi-
notre littérature ou un cien consultant, rôle
genre d'écrivain qui l'attirent plus particulière- qui ne passe pas inaperçu. Ne l'a-t-on pas cité
ment? En sa qualité de critique savant, aucun dé ces jours derniers à la Chambre des députés?'
nos grands siècles litléraires ne lui est étranger. Ces deux ouvrages témoignent surtout de la cu-
Il connaît dans toutes ses manifestationsle xyie. riosité d'esprit de notre auteur. Il est de son
Par exemple, il a montré comme M. Brune-. temps et il sacrifie sans peine à l'actualité.
tière combien était fausse l'épithète de tendre Rien n'est plus « actuel », plus vivant que son
appliquée à Racine. Mais ses meilleures études st~le. Point de développements oratoires, point
sont celles qu'il a consacrées au XVIIIe et au dé périodes ligotées, comme des momies, pour
xixe, siècle. Son chapitre sur Voltaire 'eut, voici l'éternité, solidement, précieusement. Tout est
plus de dix ans, un retentissement au moins égal en traits rapides, en petites touches successives
à l'article que M. Lemaitre publia sur l'œuvre de d'un relief -incomparable. 11 excelle à ramasser
M. Georges Ohnet. On s'abordait dans le mônde un jugement dans une phrase nerveuse un peu
des écoles en disant: « Avez-vous lu le Voltaire sèche. Il dira de Voltaire « Ce grand esprit est
de Faguet ? C'était, risquons l'expression un chaos d'idées claires », ou bien « c'est un
.un « éreintement » .de premier ordre, où classique qui ne comprend à peu près rien à
tout n'était pas injuste. Que de chemin parcouru l'antiquité ». Ailleurs « la convention propre-
depuis la fameuse apostrophe de Musset, qui au mélodrame, c'est la naïveté du spectateur ».
signifiait tout au moins que Voltaire régnait en- Ce n'est pas qu'il ne soit capable de phrases plus
core sur beaucoup d'esprits Les dieux s'envont! riches, plus étoffées et plus pittoresques. Goûtez
La nature de Voltaire paraissait immuable, éter- ces lignes sur Diderot conteur « On croit voir
nelle, capable de soutenir tous lés chocs de l'ad- les récits sourdre, s'échapper, jaillir et courir en
miration. M. Faguet est un de çeux qui ont réussi babillant, avec des fuites et de soudains retours,
à glissersous son piédestal, comme on l'a fait en se mêlant, se quittant et courant les uns
réellement, aux Français, sous la statue de Hou:. après les autres ».
don, de bonnes petites roulettes qui permet- Bien qu'écrivant dans des feuilles du boule-
.vard; M. Faguet se soucie fort peu de, paraUre éclairé d'une bougie, la fameuse chand8Ue des
boulevardier. Visiblement il n'aspire pas à être étudiants de la Renaissance dont:parle Du Bellay,
-le 8runimel-dé la critique-. Il n'a pas dépendu de dans un décor simple et sévère. La fenêtre large,
-lui, que le « huit reflets reste encore à trouver et qui doit être fort claire dans la journée, s'ou-
-et il ne met point sa coquetterie à promener vre sur ce qui reste des arènes de Paris. Les
,dans les couloirs de théâtre des plastrons réflec- arènes de Paris! Avec un peu d'imagination, le
-teurs. Quelquefois on le rencontre, portant à la classique exquis qu'est M. Faguet peut contem-
main un stick de horse-guard; c'est tout ce qu'il pler à toute heure le Colisée et le Palatin. L'an-
-a de londonien. C'est un professeur qui porte la tiquité.est à ses pieds, et le ciel sur sa tête.
"toge, la bonne toge de nos pères, sans la rendre Combien de ses collègues à l'Académie
ne pour-
.,collante_pourlui 'donner un faux air de maillot. raient pas en dire autant!'
~1 est resté rive-gauche; je me rappelle l'avoir JOSEPH GALTIER.
'trouvé un.soir dans son appartement d'étudiant, ~lk~às~àAk 8mm&:Èas~~ 3 ~2à~ ~â~.a,t%s~E,lx
où il n'y a plus de voisins au-dessus, travaillant
joyeusement, chauffé d'un pâle feu de coke et ilL'avenir n'est pas'une chose faite qu'il faille attendre,
faut savoir le créer soi-même. ~IICHSL~T.
DA ~IY3TIIO~Iri~.(~,U~ .:M~J~NE~
Disons en passant que cette devise fut faite pour etnaguère une statue, et un nombre considérablo
Hic novus Hecto~°adr.st quemcontra ~zzcllzcsAclcilles.. de documents ori--inaux, précieux pour l'histoire
locale parmi ceux-ci, quinze volumes
le vainqueur de Denain par un Allemand et que contiennent la correspondance littéraire de
l'on a fort lieureusement traduit ce beau vers Peiresc avec les savants de son temps. On peut
latin par-un beau vers français classer parmi les manuscrits un exemplaire de
Cet Hector que tu vois n'it point trouvé d'Actille. la première édilion de l'Infz·oductio~z à la connais=
de Vauvenargues,
La porte de la Bibliothèque est au premier sauce de L'Esprit lazzmaioa,
Voltaire, et les.
élage, il droite. La première salle contient dans exemplaire annoté de la main de
des armoires plus de 1300 manuscrits. fervents de Mirabeau feuilletteront dévotement
Il convient de citer parmi ceux-ci plusieurs l'original du mémoire
apologétique que le grand
donjon de Vin-
très beaux missels, entre autres les fameuses homme adressa à son père, du
lleures dites du roi René, très probablement cennes le ler mars 1 i i8. Détail piquant: la pre-
mière page du mémoire est de. la main. de Ma- des 3Tanuscrits des bibliothèques publiques de
dame~ de Monnier, la célèbre Sophie, celle pour L Fr·ance), nous nous dispenserons d'insister da-
l'amour de qui le célèbre tribun avait été empri- vantage et pénétrerons dans la salle de lecture
sonné. ou se trouvent les ouvrages les plus demandés
Le catalogue des manuscrits de- la llféjanes par le public. Une des tables de cette salle porte
ayant été publié (tome.XVI du Catalogzce génénal l'inscription suivante
BUREAU. rôme, c'ést.un véritable Íl1usée.l'étrospectif de
OU SE PLAÇAIENT A LA 11IÉJ~1,NES l'art de la reliure, en même temps qu'un.complet
DE
1815 1818 armorial du bibliophile, que la Méjanes présente
LES ÉTUDIANTS au visiteur.
Adolphe THIERS et François MIGNET Tout à côté sont rassemblés plus'de trois cents
LICENCIÉS EN DROIT DE LA FACULTÉ D~1I1 de ces ouvrages. imprimés avant 1500, au ber-
C'est en ef-
Du 29 aodt 1818. ceau, par conséquent, de l'imprimerie., et qu'on
appelle. dess
fet sur les incunables.
bancs de l'É- Parmi ceux-
cole de droit ci il convient
et dans la de citer un
de tra-
sal~le
exemplaire
vail de la superbe du
Méjanes que fameux Ca-
Thiers et Mi- tholicon im-
ânet, jeunes primé à
d'ambitione t Mayence en
d'espérances,
1460 et attri-
apprirent, en bué à' Guten-
travaillant berg; la Rhé-
côte à côte, torique de
à se connaî- Guillaume
tre et à s'ai- Fichet, l' u n
mer d'une des premiers
amitié qui ré- livres impri-
sista à toutes més à Paris
les vicissitu- dans l'atelier
des. de la Sorbon-
A ce sujet, ne par les
il n'est pas compagnons
hors de pro- blichel Fri-
pos de rap- burger, Ul-
peler qu'en rich Gering
183i on et .ll~artin
compta dix Crantz le Lu-
membres de cain et le Cé-
l'Institut de Veni-
.car de
France nés à l'Aristo-
se
Aix ou ayant yhane et lee
reçu les for- Lzacrèce; puis
tes leçons de beaucoup
son universi- Il 'ouvrage s
té. C'étaient
en 1 a n g eu
Siméonpère,
Siméon fils, Reliure dite à l'Oiseau, exécutée par J,-A, Desorme, célèbre relieur du
vmgatre,
l
Émeric
D XVIII' siècle. fr ançais ou
Da- italien; chro-
.vid, Joubert, de Forbin, Thiers, Mignet, Portalis, niques, moralités, mystères, romans, jusqu'à un
Granet, Giraud. livre d'images destiné à l'édification des àmes
Les deux salles du fond de la ntéjanes renfer- pieuses, la Vie de l'Antéchrist, sorte de complainte
ment les raretés. Là se trouve dans des vitrines populaire, naïve de poésie et d'illustration, et
une incomparable collection de reliures bisfo- dont on ne connaît au monde que l'exemplaire
ri<lues aux armes des Rois de France, de d'Aix.
Louis XII à Louis XVI, de nombreux souverains A côté de ces patriarches de la typographie
drangers et de grands.amateurs des trois siècles figurent les belles éditions des Alde et des Es-
derniers. Là se rencontre le célèbre ex libris tienne, la plupart des éditions princeps de nos
Grole~·ü et amzcoruna, devise à laquelle un collec- grands classiques; les chefs-d'œuvre des gra-
tionneur moderne, opposait celle plus égoïste
veurs du av~ne siècle et une inestimable col-
mais plus prudemmentconservatrice de lVuri- lection de dessins, d'estampes et de portraits
quani arreicorum. Cuirs gaufrés du xv~e siècle, qui sont à l'heure actuelle en cours de classe-
i ,rél)rocliables maroquins, mosaïques des De- ment.
Terminons ce rapide aperçu des richesses du chef-d'œuvre du maître statuaire est sur un
fonds Méjanes en parlant de ces précieux volumes piédestal en ~marbre d'Aix qui supporte égale-
appelés recueils factices, où sont reliées ensemble ment une urne funéraire romaine, trouvée lors
les pièces souvent les plus disparates petits de la démolition du palais des comtes de Pro-.
pamphlets, factums, mazarinades, tout. ce qui vence.
remplaçait les journaux au temps passé, tous les Un(belle mosaïque représentant Thésée et le
écrits d'actuàlité passagère qui, par cela même, Minotaure est à la base du piédestal sur lequel
n'étaient pas jugés dignes d'être conservés et est gravée une inscription commémorative.
que le marquis de Méjanes collectionnait avec Le fonds moderne de la Bibliothèque d'Aix a
un soin jaloux. Il y plus de 150000 de ces pièces pour principale source les envois que,; chaque
à la Méjanes dont il ne manque, hélas! que le année l'Etat fait aux grandes bibliothèques
catalogue. publiques; des dons nombreux et des achats,
Le buste du marquis de Méjanes, exécuté par limités malheureusement par l'exiguïté d'un
Houdon sur la commande que lui en fit en 1786 budg'et si minime, permettent aux travailleurs de
la Province légataire et payé 3000 francs seule- ne pas se cantonner seulement dans les études
ment, occupe le fond de la troisième salle. Le rétrospectives ainsi que cela a lieu dans beau-
coup de dépôts de province où le vieux bouquin RONDEAU DE'PRINTEMPS
règne en maître.
Durant l'année qui vient de s'écouler, près de
Douce hirondelle est revenue au nid,
8000 lecteurs ont fréquenté la Méjanes et le Au bon vieux nid qui gardait un peu d'elle;
nombre des volumes consultés peut être évalué Le soleil brille et l'hiver est fini;
à 30 000. Il a été prêté au dehors environ 2 000 Au cher palais caressant et fidèle
Vite a volé le pauvre oiseau banni.
ouvrages. C'est plus quïl n'en faut pour justifier
l'utilité d'uri établissenient qui, il faut le .dire, est L'air- est plus pur, le bois est rajeuni;
Au bord du toit; sous le chaume jauni,
plus connu à Fétranger que.par ceux-là: même J'ai vu rentrer; rentrer à.tire-d'aile,
qui ont à' portée de leurs mains ces richesses .Douce hirondelle,
scientifiques. Que j'ai de fois, sous un. ciel rembruni,
La Méjanes est le plus beau fleuron de la cou- Rêvé de fuir, dans une course telle
Que mon front lourd se baignât d'infini,
ronne intellectuelle d'une ville qui revèndiqua De m'élancer dans la nue immortelle,
toujours 'Comme' sa plus pure gloire d'être iné- Ainsi que toi, vers un sol plus béni,
branlablement attachée aux choses de l'esprit. Douce hirondelle.
E. AUDE. HENRI ALLORGE.
LES EXOTIQUES
Vous rappelez-vous les exotiques de la der- chauds », dès août venu, grelottaient sous le ciel
nière Exposition? Installés au Trocadéro, con- brumeux ou pluvieux de France. Si souvent leur
traints de s'exhiber aux regards curieux des manqua le soleil ami 1 Lorsque, décidément, les
foules, en butte à des plaisanteries dont ils ne marronniers de nos boulevards et de nos jardins
La cuisine au Dahomey.
saisissaient point le sens, mais dont ils lisaient publics laissèrentchoir, auvent d'automne, leurs
la cruauté ou l'ironie dans les yeux des visiteurs, feuilles jaunies, on eut pitié des pauvres exoti-
ces « déracinés » avaient l'air si malheureux! dues. Quelques semaines avant la fermeture de
Arrachés à leur pays pour l'amusement de Paris l'Exposition, ils nous quittèrent, joyeux de re-
et .de ses hôtes, loin de la case natale, de la gagner Madagascar, le Soudan, le Dahomey,
brousse où ils vivaient en famille, les « pays dont le soleil est meurtrier aux blancs, mais
bienfaisant aux noirs, ravis de rejoindre les chers sous un autre ciel que le ciel natal et dans un
absents. autre décor, leur vie normale en sa simplicité;
Et,il ne nous reste .d'eux, à présent, les mois où réapparaissait leur véritable naturel.
ayant. coulé, nos habitudes reconquises, qu'un C'est ainsi que doit procéder l'artiste s'il veut
souvenir atténué et comme flottant dans une fb.,et dans la matière, périssable comme le plâtre'
brume ,de rêve. Qui pense encore aux « sauva- ou la glaise, indestructible, immortelle comme
.-es » .du Trocadéro, à ces frères nullement infé- le bronze, ce que son oeil a saisi ou ce que son
rieurs, dont seulement les moeurs, le genre de cerveau a rêvé.
vie, le costume et l'épiderme ne ressemblent Bien tels que nous les ont décrits les voya-
pas aux nôtres, mais qui pensent, aiment et souf- ~eurs, les explorateurs dont la plume ne visait
frent comme. nous? point à la littératu~·e et n'avait d'autre souci que
Or, voici qu'ils revivent et que le plâtre patiné d'écrire vrai, nous apparaissent les « exotiques
En filanzane (~fadagascar),
nous rend leurs visages, mélancoliques de l'exil, sculptés par de Mellanville et qu'il a rassern-
11f,
leurs poses, leurs attitudes que nous jugeâmes si blés dans une des salles de l'Office Colonial, au
singuliers mais où refleurissent la noblesse et la Palais-Royal.
grâce antiques; jusqu'aux menus détails, aux A côté de notre hôte Aguihou, le vieux roi
petits faits, au côté matériel de leur existence du Macina, tout chargé et si fier-! de ses
quotidienne. décorations, sourit l'expressif visage de son fils,
Un sculpteur de talent, M. de Mellanville, a eu Mok Tall, un garçonnet de douze ans, trop jeunc
l'ingénieuse idée de prendre sur le vif, durant pour aspirer à la croix de la Légion d'honneur,
l'Exposition, ces types indigènes à qui Mont- mais auquel le Gouvernement fit cadeau d'un
martre et les Batignolles étaient complètement sabre. A n'en pas douter ce. sabre fut aussi cc le
étrangers, ces Africains et ces Asiatiques que la plus beau jour de sa vie puisque Mok Tall pen-
France couvre de son protectorat Soudanais, dant.son séjour en France ne consentit jamais à
Dahoméens, Malgaches, Hovas et 'Annamites. Il a s'en 'séparer, ni jour ni nuit, ne fût-ce qu'um.
passé de longues heures au milieu d'eux, les ob- minute.
servant, les étudiant; souvent il les a vus sans en Non loin d'Aguihou et de 1\Iolc Tall, c'est Ra-
être vu lui-même, et les a surpris, non quand ils ]alao, lejou'eúr de flîcte. Connaissez-vous l'his-
s'offraient aux indiscrets regards des visiteurs, toire de Ralalao? Il faisait partie" de la musique
mais aux moments de la journée où repreriait, de -la reine Ranavalo, qui-est aujourd'Hui la mu-
sique du gouvernement général à Tananarive. Mais je ne puis tout citer des vingt-cinq ou
Quand, dès les premiers jours d'octobre -1900, trente morceaux, en plâtre patiné, qui com-
ses compatriotes, les Malgaches avec lesquels il posent l'exposition de M. de Mellanville et
était venu à Paris, parlèrent de reprendre la mer, qu'il faut savoir gré au Syndicat de la presse-
Ralalao et quelques-uns de ses camarades refu- coloniale d'avoir rassemblés, galerie d'Orléans.
sèrent de les accompagner. Ils voulurerit rester Une mention pourtant est due aux c( Porteurs de.
en France, ils y restèrent. L'un d'eux est, si je filanzane que nous reproduisons d'après une
ne me trompe, ouvrier d'art chez un bijoutier de des photo-rapliies communiquées par M. A. Le.
Paris; unélec- Boucher (1).
tricien de la La beauté
capitale en a malgache qui
recueilli un se prélasse
autre, tenté dans cette fi-
par les mer- lanzane doitt
veilles de la être bien lour-
physique; un de, ou le soleil
troisième est J:5ienardent, à
élève -,t notre en juger par
école des l'accablement
Beaux-Arts. des porteurs
Deux encore un seul a l'air
ont été dirigés crâne. La las-
vers une fer- situde des au-
me-école de la tres, l'auteur
région de l'Est. asul'exprimer
Ralalao, lui, avec des va-
étudie la flûte riations qui
au Conserva- rompent heu-
toire c'est, reusement la
déjà, dit-on, monotonie.
un véritable A des bus-
artiste. tes, à des sta-
Voici des tuettes, à des
bustes encore, groupes aussi
d'hommes et divers conve-
de femmes, naient des so-
Africainsou cles divers, en
Asiatiques, harmonie avec
quelques mé- le sujet traité
daillons, des et avec la race
statuettes, dont on nous
celle notam- offrait les ty-
ment d'une pes. C'est là
musicienne peut-être que
Ralalao, élève au Conservatoire annamite qui s'est affirmée
de musique. pince les cor- le plus hardi- Fenoamboatra (Madagascar).
des d'un bizar- ment, de la fa-
re instrument et chante, les yeux. rêveurs, le çon la plus saisissante, l'originalité de M. de
visage extasié, d'une douceur infinie, d'une Mellanville.
incomparable grâce; une Dahoméenne aussi, Le sculpteur a choisi avec un grand sens de
au'corps merveilleux, et qui passe harmonieu- la vérité et du pittoresque les curieux motifs
sement drapée, souple, svelte, la démarche on- de décoration des socles. Il les a pour la plupart
duleuse. empruntés à la faune et à la flore de la terre
Le groupe intitulé La Cuisine au Dahomey d'Afrique et de la terre d'Asie. Tantôt des singes
ne saurait avoir le même charme caressant, mais du pays malgaché semblent grimper à l'assaut
il est curieux par le mouvement, par.la vie des d'un buste de hova; tantôt un iguane rampe le
personnages. Cette amusante scène de genre long d'un tronc fruste tantôt s'épanouit, aux.
une femme qui goûte la soupe, une autre.qui (1) La filanzane est l'unique mode de transport en usage
écrase le riz, tandis qu'un gavroche de.là-:bas fait à Madagascar. La filanzane pour femmes est une sorte de
à une vieille mille agaceries dont elle se montre hamac, en toile ou en osier. La filanzane pour hommes a
la forme d'un siège avec dossier; celui qui s'y fait porter-
exaspérée est pleine de vigueur et de relief. a les pieds pendants.
flancs du socle, le miracle fleuri d'une plante saurait nuire au charme qui s'en déga~e; bien
exotique; tantôt, enfin, le support n'est autre que au contraire. Et puis, en dehors de leur carac-
la restitution en plâtre de quelque primitive tère artistique, elles constituent d'intéressants
statue, d'une divinité sculptée dans le bois documents. Pourquoi le musée ethnographique,
comme les sculptent les artistes naïfs de Mada- par exemple, ne les recueillerait-il point? Si
gascar ou du Dahomey. C'est imprévu, mais non l'auteur y trouve moindre profit, son amour-
déconcertant; l'œil est flatté, en même temps
propre ne peut manquer d'être satisfait. La com-
qu'amusé, d'un souci.très neuf de la couleur pensation est estimable. Un artiste ne vit pas
«
locale ». seulement de pain, mais de gloire. ou de simple
Et maintenant qu'adviendra-t-il de ces œuvres?
renom.
.Seront-elles.éparpillées au gré de désirs d'un ERNEST, BEAUGUITTE.
jour, de caprices d'une heure, d'envies d'une
minute? C'est affaire à l'artiste qui les a exécu- ~,a~$. x a~a,sxz~s~s.a.~ x,s.a,a~s~xx~ a,~ sx
~ées. Mais il me semble que leur groupement C'est participer à une bonne action que de la louer.
ne LA ROCHEFOUCAULD.
li'En'graisseiment du ~étail
Le Grand-Palais des Champs-Elysées change fré- «je ne sais quoi qu'une ce'rtaine éducation de
quemment de locataires congédiées les Dianes l'œil, un don spécial peut-être,: permettent de
et les Vénus, expulsées les célébrités de marbre, découvrir. Et c'est en cela que consiste l'art.
arrivées d'ailleurs à fin de bail. L'immeuble, Savoir discerner de prime abord chez un veau,
depuis l'Exposition, a été occupé bourgeoise- chez un agneau ou chez un porcelet les chances
ment oh le plus bourgeoisement du monde. de réussite qu'ils offrent, tout est là. Sans cela,
Ce sont les humbles Cotentines et les lourds Cha- on s'expose à d'amères déceptions. Et encore, ce
rollais qui l'habitaient encore hier. point établi, que d'impl'évu, que de' déboires peu-
Cet été,' de braves campagnards, frais débar- v ent survenir au cours de l'engraissement Vous
qués des trains de plaisir, se demandaient par avez choisi tel sujet en considération de son am-
-quel sortilège nos artistes avaient fait sortir de la pleur de poitrine ou pour sa capacité thoracique,
pierre ce peuple de dieux et de nymphes. Je et voici que ces avantages dé~éiièrent en une
gage que, pendant le Concours Agricole, beau- quasi-difformité. Adieu veau; vache, cochon! Il
coup de Parisiens ne furent pas moins perplexes faut renoncer aux lauriers,des Comices agricoles.
.devant ces phénomènes de chair que leur avait Une grande sûreté de diagnôstic,.une profonde
envoyés la province. connaissance du bétail, sont donc indispensaoles
Comment s'y prennent nos éleveurs? Par à l'éleveur pour affronter..'avec chance de succès
quels procédés obtiennent-ils ces masses de une épreuve aussi coûteuse qÙ?aléatoire.
graisse, qui sont comme la caricature du porc, Mais, si le choix du sujet' a .une importance
.et ces bœufs dont les proportions atteignent capitale, là ne se borne pas la science de l'en-
-celles de nos bureaux d'ômnibus? graisseur. L'animal une fois désigné il s'agir de
En deux mots voici la recette le conduire à point.
Et d'abord, en matière d'engraissement, il faut Scientifiquementet pratiquement, les bases de
..distinguer deux facteurs l'art et le métier. l'alimentation sont les mêmes, qu'il s'agisse
Oui « l'art ». Le mot peut sembler prétentieux, d'animaux de boucherie ordinaires, ou bien
il n'a rien d'excessif. Je m'explique De même d'animaux gras à proprement parler. Mais le
que vous bourrerez certains écoliers de grec et mode d'application, le « tour de main » diffèrent
-de latin sans les rendre de force à devenir bache- sensiblement, suivant le cas.
liers de même vous ferez ingérer à bien des Le fait est si vrai que tels engraisseurs, qui
.animaux les condiments les mieux appropriés réalisent de beaux bénéfices en travaillant pour
sans qu'ils soient jamais de taille à remporter un la boucherie, s'exposeraient à de sérieux dé-
premier prix. C'est que, révérence parler, comme boires, en recherchant la gloire des, concours.
disent les braves gens, les uns et les autres ne Beaucoup s'en rendent compte et s'abstiennent.
sont pas des « sujets de concours ». Entrer dans le détail de l'alimentation qu'il
Bête de boucherie on devient, mais on nait convient de donner aux candidats à la prime
animal de concours. d'honneur, m'entrainerait hors des limites de
C'est à l'engraisseur de reconnaHre ceux qui cette causerie. Je dirai seulement que celle-ci
ont «reçu du Ciel l'influence secrète », pour doit être rationnelle. N'utiliser que des produits
parler la langue de Boileau. d'une grande richesse alimentaire, avoir soin
A quel signe les distinguera-t-il? A la confor- d'en varier l'emploi, les plus riches succédant
mation, aux lignes, à la finesse et surtout à ce aux moins substantiels; s'inquiéter du goût des
anima~x et de leur degré d'appétence, entretenir LE COUCOU D'ARGONNE
et même surexciter leur appétit, voilà les prin-
cipes essentiels. CONTE bU PAYS
Est-ce à dire qu'on doive abuser de ces condi-
ments apéritifs préconisés surtout par ceux qui
les ont inventés? Gardez-vous-en. En fait d'apé- Un certain jour, en un certain endroit
ritif, n'employez que le sel. Encore est-il préfé- Que trouverez dans la forêt d'Argonne,
Déambulaient par un chemin étroit,
rable de ne pas le mêler aux aliments. Qu'on le Hauts en couleur et d'humeur point bougonne,
mette à la portée des animaux et ceux-ci n'en Déambulaient deux braves Champenois,
useront que dans la mesure de leur goût.. Comme savez, gens à verve féconde,
Le phosphate d'os est avantageusement em- Aux yeux railleurs, guignant en tapinois,
ployé surtout jusqu'à l'âge de 10 ou 12 mois. Il Francs du gosier, et beaucoup de faconde. 1
active la croissance et favorise le développement Francs du gosier ils se gaussaient des autres,
S'amusaient bien des défauts de chacun,
de l'ossature. Or, ne l'oubliez pas, c'est dans la Se renvoyant « les nôtres et« les vôtres ».
prime jeunesse qu'on doit préparer les animaux Et médisaient beaucoup mieux que pas un.
de concours. Les sujets adultes ont pour l'en- Médisant donc, ils cheminaient ensemble,
graissement une bien moindre aptitude. La pré- Lorsque soudain ouïrent le coucou,
cocité d'ailleurs ne fait qu'ajouter au mérite. Pas bien loin d'eux, à la cime d'un tremble.
Pour l'écouter ils tendirent le cou.
Voilà donc l'animal choisi, soumis à une ali-
mentation judicieusement comprise, en bonne Pour l'écouter car c'est une croyance
En ce pays, si le coucou chantait,
voie d'engraissement. Est-ce tout? Non. Il faut Pour un quelqu'un, c'était ferme assurance,
encore veiller à son hygiène. Qu'un gain certain en ce jour l'attendait.
Une grande régularité, tant pour les heures de Ah! quel bonheur! Dieu soit loué, compère!
repas que pour celles des sorties, est tout à fait
«
Car le coucou pour moi seul a chanté,
indispensable, la moindre attente peut devenir Dit le premier; tu l'entends bien, j'espère ?
Non, non, mais non dit l'autre. En vérité,
un tourment pour l'animal et déterminer chez
lui une déperdition de force et d'embonpoint. Il Pour toi ? Non, non Tu te trompes, Jean-Pierre
Regarde donc le coùcou, le voilà
convient aussi de respecter son repos l'homme Point par devant, vois-tu, c'est par derrière,
attaché à sa personne doit seul l'approcher pen- Et c'est pour moi que le coucou parla.
dant ses repas, tout dérangement pouvant entraî- Coucou m'annonce une chance prochaine.
ner un arrêtdansl'engraissement.Voilà des bêtes non Si, si C'est pour moi Non, vrai-
n..
Non,
[ment.J
bizn exigeantes! me dire~-vous. C'est vrai, mais
Eh bien! luttons, et nos gourdins de chêne
un boeuf de concours n'est pas le premier venu. Diront lequel en aura l'agrément
Pour les moutons, l'appétit étant plus actif Ils s'apprêtaient à défendre leur dire
lorsqu'ils sont dépourvus de toison, on les fait En cognant dru, quand Jean-Paul tout à coup
tondre fréquemment. Quant au porc, des lavages « Sommes-nous
fous, dit-il, en éclatant de rire,
réitérés s'imposent. C'est calomnier cet animal De batailler pour un chant de coucou
baïonnette avait été réduit à une longueur telle Trousse contenant 15 boites pleines
qu'il ~225 cartouches\.
ri'était plus guère qu'un poignard. Caisse à cartouches mod. 98 conte-
7",279g,
blaI\c.
40
dimensions normales qu'on verra plus loin. Cartouche à 11g',80
Lame-chargeur avec cartouches à
Pour l'infanterie et les chasseurs, le dos de la 5
66g~
lame porte des dents de scie de façon à être Paquet de 45 cartouches à blanc 614g,
utilisé à l'occasion pour des travaux de pionniers.
Il se fixe sur le canon au moyen d'un ressort- Quelques autres données présentent aussi de
poussoir dont le pène entre dans le 'cran du ca- l'intérêt, notamment si on. les compare à celles
non. La croisière, d'acier, n'a ni quillon ni du fusil Lebel.
douille de croisière. Le fourreau de ce sabre VITESSES RESTANTES
est en cuir avec chape. et bout d'acier. à 100. à 500. à 1400. à 2 OOOm
Le calibre du modèle 1888 a été conservé, Fusil allemand 1898. 581mm 315mm 240mm 160~.
pour pouvoir utiliser sans doute le nombre con- Fusil Lebel 1886. 550mm .364m.. 206m.. 160mm
sidérable de cartouches actuellement en maga- PÉNÉTRATION DANS DIVERS MILIEUX
sin, nombre dont la valeur financière représente
DANS LE SAPIN SEC
plusieurs fois celle de l'armement. Toutefois il
à 100. à 400. à 800. à 1 800.
va falloir se livrer, dans les arsenaux, à des Fusil allemand 1898. 800"" 450"" 250"" 50""
manipulations ,considérables, puisqu'il est de
nécessité absolue de détruire tous les chargeurs
Fusil Lebel 1886. 900"" 480"" 210"" 90""
pour les remplacer par les lames-chargeurs du Dans le fer, la pénétration est de 7 millimètres
nouveau système. Tant que l'opération ne sera jusque vers 300 mètres, tandis que la balle Lebel
pas faite la situation de l'armement ,en Allema- traverse une plaque d'acier ordinaire de 6mm,2
gne présentera un point critique sur lequel nous à 100 mètres, et à la même distance une plaque
n'avons pas à insister. En effet, si des hommes d'acier chromé, le métal connu actuellement
munis du fusil 1898 peuvent à la rigueur, et en le plus résistant, de 5m°`,5 d'épaisseur.
y mettant un temps infini, utiliser les anciens
chargeurs, des soldats armés encore du fusil En somme, se présentant comme une nou-
1888, et il y en aura longtemps encore dans l'ar-- veauté, comme un progrès, quatorze ans après
le fusil Lebel, le fusil allemand modèle 1898 ne vieilles cartouches n'est pas une de celles qui,
paratt posséder aucun avantage balistiquesérieux au bout du compte, finissent par coûter des mil~
sur son devancier; or le stationnement en pa- lions. En tout cas, la supériorité du nouvel ar-
reille matière constitue un véritable' recul. S.i mement sur l'ancien, qu'elle discrédite irré.-
on compare l'arme nouvelle aux fusils dont cer- missiblement et publiquement,-n'estpas assez
taines armées ont doté tout récemment.leur in- sensible pour compenser logiquement les nou-
fanterie, si on la met, par exemple, à côté du velles sommes dépel).sées. Il y a vraisemblable-
fusil. Mauser espagnol adopté par nos voisins ment dans cette conduite une erreur dont les
d'outre-Pyrénées il y a deux ans, on constate finances allemandes se ressentiront péniblement
en faveur du nouveau venu allemand une infé- d'ici un petit nombre d'années..
riorité marquée, aussi bien au point de vue de ARTHUR DE GANNIERS,
la vitesse initiale que sous celui de l'effet utile,
de la justesse, de la pénétration. ~s,zxx~~ ss~~s~s~$~~s~ ~as~x~
Dans ces conditions, on a droit de se. demander Pour savoir ce que c'est que le bonheur, il faut savoir
si l'économie qu'a cherché à réaliser le gouver- vivre dans les autres, il faut aimer.
nement impérial en s'astreignant à utiliser ses Les femmes n'apprennentrien; elles devinent tout.
Lo rsque, arrêté à la barrière d'un passage à jamais cette masse de métal si pesante ne pourra
niveau ou sur le quai d'une gare, vous voyez s.'élancer sur les rails à. 80, "9'0; 120 kilomètres à
passer devant vous un train rapide entraîné à l'heure. La vapeur seule peut opérer le miracle,
120 kilomètres à l'heure par une machine des et à voir au départ ou en marche une locomotive,
nouveaux types à grande vitesse; l'impre1\sion on:n-e,peut,qu'adrnirer cette puiss.ance expansive
ressentie est presque suffoquante. BOndissant, de la vapeur asservie par le~éhiedes.ingénieurs,
soufflant, sifflant, la locomotive s'avance sur et du même coup l'assurance dé ceux qui con-
vous, passe, disparaît en véritable éclair, si vive, ~duisent cesm achines à des vitesses de tourbillon,
qu'elle semble ne toucher les rails que pour des à l'aide de' quelques roues et de deux ou trois
élans successifs, et la vertigineuse envolée du leviers.
colosse de fer retient si bien notre attention que Chaque locomotivé est confiée à la direction
du passage du train nous ne gardons qu'un soi1~ d'un mécanicien ayant sous ses.ordres un chauf-
venir, celui de la locomotive, et nous ignorons féur, et te ne devait pas être la partie la moins
presque la longue file de wagons qui, derrière pittoresque de mon étude, que celle qui devait
leur tracteur, sautent et roulent sur les rails en me permettre de me trouver mèlé à l'existence
d'ininterrompus vacillements. A voir sauter et des'deux conducteurs de la machine que j'avais
trépider les bielles dans les cylindres, à voir vu construire. Mais le libre accès des dépen-
tournoyer follement les roues, il semble que dances d'une grande gare telle que celle du PariS'-
toute la machine va craquer sous la poussée con- Lyon était plus difficile à obtenir et de pratique
tinue de la vapeur qui la jette en avant et qu'in- plus délicate que le libre accès des ateliers de
failliblement l'apocalyptique v ision va s'écraser construction; et lorsque l'Ingénieur en chef de
au premier tournant. Les locomotives sont la Traction, M. Carcanague, m'avait aimablement
solides cependant; les ressauts et les secousses confié à l'un des inspecteurs de son service, il lui
sont des effets de vitesse prévus par les ingé- avait fait à mon endroit toutes les recommanda-
nieurs, et quoique à chaque embardée de bielle tions possibles. A l'entendre, une promenade sur
il semble que la machine tout entière soit prête des,voies de chemin de fer était fort dange-
à quitter le rail, elle s'y maintient et résiste parce reuse, et pour le tranquilliser j'avais dû lui pro-
que, d'après les calculs soigneusement faits, elle mettre de ne pas quitter mon guide.
doit s'y maintenir et résister. De fait lorsque, sorti des bureaux,je commençai
A cette extraordinaire solidité des locomotives à sauter de rail en rail et à marcher sur le ballast;
s'ajoute, pour celui qui les voit au repos, arrêtées, lorsqu'il me fallut prendre garde aux fils des
les feux éteints, une impression de mécanique disques pour ne pas choir dans leurs enchevê-
géante, énorme avec ses 10 mètres de long, ses trements, regarder en avant les traverses sur
4 mètres de haut, ses 3 mètres de large, ses lesquelles je devais poser le pied, en arrière
52000 kilogrammes de poids; etil semble que .surveiller du coin de l'œil les locomotives de
manoeuvre ou coucous qui, toutes petites qu'elles
(lj Yoirle bla,gasin Pitforesque du 1" avril 190L .sont, vous écraseraientavec une déplorable faci-
lité, je. trouvais la promenade fatigante et moins rance d'un lavabo tout proche, je mets sans
rassurante que je ne me l'étais imaginée tout hésitations les mains à la pâte, c'est-à-dire au
d'abord. Cependant M. Bossu, mon' très atten- charbon.
tionné cicérone, me choisissait avec soin le che- C'estplusgrand qu'on ne pourrait se l'imaginer
min et, sans plus d'aventures que le passage d'un un abri de locomotive, et à deux on a largement
express qui nous colla contre une barrière avec la place de se retourner. Derrière soi on a le
quelque sans gêne, nous arrivâmes au dépôt des tender avec sa caisse à eau et son charbon, de7
machines, situé en deçà des ateliers de construc- vant soi la plaque arrière du foyer sur laquelle
tion et les surplombant de toute l'élévation d'un sont disposés les différents leviers nécessaires
remblai de 4 mètres. aux manœuvres. C'est à droite que se tient le
Le dépùt de Paois est une vaste rotonde cou- mécanicien, ayant sous la main le levier du
verte, autour de laquelle sont rangées en demi- régulateur, le volant de la coulisse de change-
cercle les locomotives en activité de service, les ment de marche, les manettes des freins à air
unes sous pression, prêtes à partir, les autres en automatiques et modérables, le levier d'ouver-
cours d'allumage, où les feux éteints, au repos ture de la sablière pour le démarrage, le robinet
complet. Les quatre-vingts machines du dépôt de de contre-vapeur; devant les yeux, le manomètre
Paris sont de différents types, mais ,toutes des de la chaudière, ceux des freins, le niveau d'eau
modèles à voyageurs, les machines à marchan- et l'indicateur de vitesse. Le chauffeur, qui se
dises ayant leur dépôt spécial à Villeneuve- tient à gauche, est chargé, en plus de l'entretien
Saint-Georges. du feu, de la manceU\Te des injecteurs, des pur-
J'apercevais, dans la pénombre qu'augmente beurs et du graissage qui s'opère à l'aide d'un
la fumée des machines arrivant ou partant, les eomp~ressecw d'l~uile, sorte de moulin dans lequel
anciens modèles sans becs, puis les B 111 allon- est versé le liquide qui s'en échappe vers les
geant leur éperon entre les colonnes de soutien cylindres par de petits tuyaux de cuivre. Deux
du hall; puis, peu nombreuses encore, les C 611 ~laces pivotantes permettent aux conducteurs
vers lesquelles nous nous dirigeons. En voici de la locomotive de voir en avant sans se pen-
une dont le repos est absolu. De la main mon cher en dehors de l'abri. Pour moi il me sem-
guide en tâte les parois pour s'assurer, que dans hlait due, en regardant par ces glaces, je ne voyais
l'attente d'un prochain départ, le feu n'est pas guère que le corps de la locomotive qui me mas-
latent dans le foyer, mais le monstre est bien quait la voie: or il parait que l'on voit suffisam-
mort, et pour m'initier sur les dispositions inté- ment loin sur les rails pour pouvoir parer aux
rieures d'une cabine de mécanicien, je monte accidents possibles, pendant le jour bien entendu,
sur la plate-forme; non sans peine, les marches car la nuit les signaux seuls sont aperçus par les
sont hautes et glissantes, et je yeux d'abord mécaniciens, et un omnibus des grands modèles
prendre garde aux salissures, mais sur l'assu- serait-il sur les rails que le train s'arrêterait
toujours trop tard pour éviter le choc; il ne faut Et ces remarquables qualités d'endurance,
pas moins de 300 mètres en effet à un rapide. non seulement les mécaniciens de carrière, an-
lancé pour s'arrêter, et la nuit on ne voit pas à ciens chauffeurs-vieillisdans le métier, doivent
'300 mètres, d'autant plus que la lueur du foyer les posséder, mais également les Ingénieurs de
vous aveugle et que les lanternes des gares vous la traction et du matériel qui tous, les grands
éblouissent. Mais les mécaniciens sont confiants chefs de service comme les autres, qu'ils sortent
en leur étoile, et ce qui contribue à leur donner de Centrale, de Polytechnique ou d'autres Ecoles,
cette assurance que nous admirons, c'est la con- ont du faire un stage au service de traction; un
naissance absolue de leur machine. an d'abord comme simple chauffeur, deux ans
Aujourd'hui que la banalité des machines, qui comme mécanicien.
fut en honneur pendant un temps, a de nouveau De même. -que ses confrères, mon guide,
laissé la place à la première des méthodes, à M. Bossu, avait été chauffeur, puis mécanicien,
chaque mécanicien sa locomotive, ceux-ci ont avant de passer inspecteur, et de savoir qu'il
l'orgueil -de bien conduire et de soigner celles avait conduit une locomotive de rapide, je me
qui leur sont confiées; ils arrivent à s'identifier sentais pour lui quelque respect. Cependant s'il
avec la mécaniquedont ils ont en familiarité tous avait gardé bon souvenir de son service de mé-
les rouages, et ceux d'entre eux. qui, revenus à canicien, son temps de chauffeur lui était resté
d'autres emplois, voient passer devant eux la à l'esprit comme beaucoup plus dur et moins
B 371 ou la C 55 né, peuvent s'empêcher de re- propre à lui donner l'envie d'un recommence-.
garder avec intérêt leur, ancienne machine et ment. Et je le compris sans peine lorsque, sur
de regretter parfois. le temps où ils la condui- ses indications, j'essayai d'exécuter, une fois sur
saient en vitesse sur les lignes de la Compagnie la machine immobile, les manoeuvres que le
à travers la Bourgogne, le DauI?hiné, la Provence chauffeur effectue en marche et sans relâche.
ou le Bourbonnais. Toutes les deux minutes il doit ouvrir la porte
Les mécaqiciens aiment leurs locomotives et du foyer, prendre le charbon au tender, l'enfour-
aussi leur métier, qu'ils estiment sain et capable ner par pelletées de 25 kilogrammes, et pour se
de leur donner bon appétit et bon sommeil; et reposer de l'enfournage, ouvrir les injecteurs,
devant 'ces affirmations en désaccord avec la surveiller lé niveau d'eau, le manomètre, puis
légende, j'avais jugé utile de fixer mon opinion. égaliser le feu avec le ringard, enlever les bosses
La légende représente en effet les conducteurs et le mâchefert avec la fourche; et toujours re-
de locomotives comme des travailleurs surmenés, charger le feu qui, sur ses 2 mètres carrés de
secoués et balloUés sans cesse sur leur machine, surface, ne doit pas présenter un seul point noir
exposés aux intempéries, obsédés par la crainte sinon la pression baisse. Pour donner une idée
des accidents possibles, hantés par la vision des de la fatigue résultant de ce labeur constant, je
signaux, le visage coupé par l'air trop vif qui les dirai que lorsque, engagé par mon guide à pren-
étouffe, gelés par en haut et horriblementchauffés dre sur le tender, l'un après l'autre, les outils
par en bas, et arrivant toujours exténués au point du chauffeur, le casse-coke, la fourche, le ringard,
terminal de leur parcours. Ainsi présenté j'ai pu je maniai facilement le premier, mais pour
constater que le tableau est largement poussé les deux autres, longues tiges de fer de 4 mè-
au noir. A coudoyer, dans le dépôt ou sur leurs tres de long, épaisses pour résister au feu,
machines, les mécaniciens et les chauffeurs, à pesant au moins 10 kilogrammes, je parvenais
partager même pour quelques instants les occu- avec peine à les dresser debout sur la plate-
pations journalières de leur métier, on apprend forme, mais me sentais incapable de les retour-
à évaluer exactement les parts de risques et de ner, de les, introduire dans le foyer, de m'en
fatigues auxquels ils sont soumis, et de les avoir servir. pour remuer le moindre morceau de
vus à l'oeuvre j'ai gardé, en même temps qu'une charbon. Or les chauffeurs ont constamment
grande estime pour leurs personnalités, l'assu- le ringard ou la fourche à la main, et pour me
rance que ce ne sont ni des héros, ni des martyrs, montrer que tout est habitude dans le métier,
mais des travailleurs consciencieux, qui font leur mon guide prenait les outils, les faisait tourner
métier avec toute la perfection exigible d'hom- dans sa main, en jouait comme de deux pincettes
mes de devoir rigides. Obligés, malgré de mul- de cuisine et je ne pouvais qu'admirer son
tiples circonstances défavorables, de conduire aisance en pensant que de tels exercices effectués
leurs trains sans à-coup et sans accidents, les dans le bruit, la fumée, la bousculade du lacet
mécaniciens et les chauffeurs doivent être des de la locomotive, les trépidations, la chaleur,
hommes d'élite, absolus dans l'application des étaient bien faits pour empêcher les chauffeurs
règlements, confiants dans leur sang-froid et de grossir, et de fait le dicton est constatable
leur coup d'oeil, sachant exactement quelles sont les chauffeurs sont toujours maigres, ils engrais-
les responsabilités qui leur incombent, et sur- sent aussitôt qu'ils sont passés mécaniciens.
tout capables d'ignorer les défaillances morales Ceux-ci, au contraire des chauffeurs, restent
et de combattre sans aucune faiblesse les défail- immobiles sur la machine. Debout sur le trem-
lances physiques. plin à ressort qui leur évite les vibrations, la
main sur le levier du régulateur prêt à le fermer vérins, crics, marteaux, lanternes, pétards, né-
au moindre accroc; ne quittant des yeux la voie cessaires à parer à un accident léger ou à des
et les signaux que pour jeter un regard au ma- arrêts imprévus en pleine voie en haut, deux
nomètre, au niveau d'eau et à l'indicateur de coffres mitoyens, l'un, réservé au chauffeur, est à
vitesse, surveillant sa macliine des yeux et aussi droite, l'autre, au mécanicien, est à gauche. Dans
des oreilles, car c'est à l'écouter qu'il sait si tout leurs coffres, les deux équipiers ont leurs paniers
est en ordre dans le mécanisme, le mécanicien de provisions, leurs vêtements de rechange, et,
ne correspond avec son chauffeur que pour de depuis quelques années leurs draps enfermés
brèves indica- dans des boîtes
tions de rechar- de fer-blanc. Ils
âement du couchent en ef-
foyer ou d'ou- et où les mène
verture des in- leur service,
jecteurs. et les mécani-
Cependant ciens et chauf-
j'étais redes- feurs de Laro-
cendu de la ma-. che couchent à
chine sufllsam- Paris, ceux de
ment sale, sans Paris à Laro-
toutefois l'être che, etc. Les
assez pour trains, on le
avoir l'air d'un sait, ne sont
chauffeur de pas traînés par
profession, et la même ma-
avant d'exami- chine d'unbout
ner les diverses à l'autre de
dépendances leurs parcours,
du Dépôt nous la locomotive
étions allés qui prend un
faire toilette, rapide à Paris
non pas à la le mènera jus-
salle de dou- qu'à 1-aroclie,
ches où, à leur où il est confié
arr.ivée, les à une seconde
mécaniciens et machine pour
les chauffeurs le trajet de La-
prennent un roche à Djon,
bain complet, 1 etc. Par cette
mais au bureau division dans la
du chef de dé- prenant son charbon au Parc à combustible
Locomotive traction, néces-
pôt. Les mains sitée par le be-
nettes de charbon, nous étions revenus à la soin de réduire les arrêts au seul temps exigé
rotonde, et mon guide me montra l'aména- par les changements de machines, leurs conduc-
âement d'un tender, cette vaste caisse de tôle qui teurs ne font que des heures de travail large-
suit toujours la locomotive et qui, à elle seule, ment espacées, selon des tableaux de service
pèse vide 17 200 kilogrammeset contient en ordre affichés au bureau du dépôt et valables pour une
de marche 16 000 litres d'eau et 4000 kilogrammes quinzaine.
de charbon. A l'arrière du tender sont placés trois PIERRE CALMETTES.
coffres en bas, un coffre à outils contenant les (A suivre.)
L'ODEUR DE LA TERRE été étudiées dans ces derniers temps, les cladothrix
odo~·e:fera, qui se trouvent dans la terre, massées en
colonies d'une apparence d'un blanc laiteux. Indivi-
Tout le monde sait que la terre, humectée ou frai- duellement, les bactéries sont incolores, en forme
chement remuée, dégage une odeur pàrticulière, dont de cordon; elles augmentent numériquementen se
ou a bien souvent recherché la cause sans y réussir subdivisant d'une facon continue en deux dans le sens
d'une manière absolument satisfaisante. La revue de leur longueur et produisent une substance qui, en
ICnowledge a publié sur ce sujet un travail intéressant se volatilisant, donne l'odeur spéciale que l'on coti-
et que signale la Reuue scientifique. D'après l'auteur nait.
de cette notice, RZ. Clarke Nuttall, cette odeur est due, Le cladothri;c odorife~~a est capable de persister il
à n'en pas douter, à la présence de bactéries qui ont des périodes prolongées de sécheresse; son dévelop-
peinem s'arrête alors, mais sa vitalité 'reste latente, pour la vaporisation. De même, l'odeur'plùs riette
et 1'.arrivèe> _,r~a.u suffit à lui rendre sa vigueur. pour la terre fra1chement remuée s'expliquéraitpar
Pourtant l'humkw est une condition nécessaire de le fait que la terre est plus humide dans les couches
sa vie active; c'est po~tFquoi,.sans doute, l'odeur de sous-jacentes qu'à la surface et que, ces couches étant-
terre est surtout perceptibl.~ après la pluie; du reste, amenées à l'air, il se produit une évaporation plus
le produit odorant sécrété se cCtOtpQ,rte .comme l'eau active.
L~À, 1 N É
NOUVB4~E
Une des promenades les plus exquises du lit-. proches; 1L~'eut pasle temps d'y fixer son attèu-
toral méditerranéen est certes la route de r4o- tion ou son i.étude; deux coups dé feu dans
naco à Menton après la coquetterie de cloche- 'lan;uit et. c'es~.i~i, La. machine a roulé au
tons, de minarets du Casino entouré d'h6tels,et. fessé; le cycliste, frà~ à mort, est étendu sur
de jardins, après le quartier de villas hivernales le sOl; la tête trouée, lecS8tèg coulant, avec la vie,
de Saint-Roman, un pont jeté sur un torrent sans des'blessures.. Deux,,heure~plus tard, un cocher,
eau'.indique la frontière de la Principa1Ít~; et, rentrant à-vide'de Menton, a trouvé le cadavre, a
dès lors, parmi des futaies d'oliviers douliùant,la. pré~enu les carabiniers de S8iDt-noman; des
mer, avec, à l'horizon, les avancées pittoresques çartes..et des .lettres, un portefeuille, ont permis
de la grotte de la Veille et du cap Martin, lejblanc d'établir.l'ideritité, de savoir l'adresse; on rap-
ruban s'allonge au soleil, passe au pied de la porte l'assassiné àJa villa Marie-Hortense où il
Poulido somptueuse, contourne le rocher Camille demeurait avec sa mère.
Blanc, ascensionne~la.gare de Cabbé-Roquebrune, Depuis, la poli0e cherche en vain le coupable.
et bientôt redescend sur Menton..en dés ombra
,es où pointent les toitures des casernes.. Trente-trois ans ce crime, un mariage
av ant
A la nuit, le retour est;-amusant, le regard garnissait de fleurs, d'hymnes, de chants, d'un
empli de la poussière d'étoiles de .Monte-Carlo brouhaha mondain" l'église Saint Germain-
qui se reflète dans l'eau calme, l'étincelleI.l1ent l'i\uxerrois.
des rampes, les plaques laiteuses des vÚrières; Sf¡wdes fresques du porche une foule élégante
faisant au lointain comme un phare de jOÍ,e, se pressait, on échangeait ,des saluts et des com-
d'ivresse, de fortune, une flambée rougeoyante plim.ents, et'le défilé à la sacristie, soigneuse-
de fournaise et d'usine sous le ciel limpide. ment noté par ,les journaux mondains, citait le
Rien de sinistre en cette solitude, qu'animent Tout=Paris d.'alors M. de Vielcaste, premier
par instants des cantilènes d'ouvriers piémontais secrétaire d'ambassade, descendant d'une très
attablés dans des masures de planches, au long ancienne famille nobiliaire, épousait Mme Redon,
de la route; la lune projette son intense clarté veuve d'un officier d'Afrique qui s'était illus-
sur toute la nature environnante, donne un tré dans plusieurs combats, et dont le nom
aspect d'immobilité féerique au décor; il fait bon restait inscrit au livre d'or de la gloire militaire.
vivre au milieu de ce calme, endormeur des soù= Les uniformes, nombreux, étincelaient, un cli-
cieuses pensées, dans cette indulgence de l'at- quetis d'épées emplissait la nef, des ¡ généraux
mosphère, cette paradisiaque béatitude de tout. que l'on se désignait se tenaient debout au pre-
Et cependant. mier ràng, des personnages de la Maison de
Eugène de Vielcaste, dont le dinér avec des l'Empereur attiraient la curiosité; de grands
amis s'était prolongé tard, revenait à bicyclette dignitaires étrangers, venus pour l'Exposition,
de Menton, sa petite lanterne vacillant à raz du montraientleurs chamarrures.
sol, un bouquet de mimosas attaché au guidon;- Mais ce qui distrayait l'assistance, c'était un
il, pédalait lentement, jouissant du spectacle gentil garçonnet, tout habillé de velours bleu, les
enchanteur, et la vie lui apparaissait douce, boucles blondes tombant sur le col de guipure,
heureuse, de fa~·niente. le torse gracile dans une veste bouffante, céintu-
Riche, n'ayant d'occupation que son plaisir, rée de cuir. Amusé de la cérémonie, joyeux de
le temps usé à ses fantaisies, il était domicilié à cette fête, il mettait là son sourire inconscient,
Paris, mais passait son hiver à Monte-Carlo et évoquait aux yeux des camarades de l'armée le
ses étés à Étretat, sportman distingué, habile souvenir de l'officier disparu; il était, cet enfant,
à tous les exercices, d'une anglomanie très un peu du passé qui persistait, et d'aucuns le
moderne; un inutile, c'est-à-dire Èun snob. plaignaient déjà que sa mère se remariât.
Au tournant du sentier qui monte à une ~ha- Il ne ressentait d'ailleurs aucune émotion,
pelle en ruine, lieu vénéré jadis de miracles, il bébé Ernest, comme on continuait de l'appeler,
-entendit un remuement parmi les branches il regardait tout et tous avec une frimousse drôle,
hêuréuse; et fùt 'três fier de quêter, derrière le là table de famille; on l'y accueillait sans plaisir,
'suisse. eh bicorne, a plumes et tapant sur les il y paraissait avec ennui, ne.prenait aucune part
dalles de sa canne à pomme d'or. à la conversation, regardait autour de lui avec
C'était une aventure passionnelle, cette union, indifférence, sé sentait d'une intellectualité de
la conséquence d'un coup de foudre, selon la plus en plus lointaine.
formule de jadis; M. de Vielcaste avait rencontré Ses succès à l'at elier, son entrée en loge pour
dans un salon la veuve du colonel Redon, s'était le prix de Rome; ne le rapprochèrent même pas
épris subitement de sa beauté en plein épanouis- ces gens en étaient restés à la vision de l'artiste'
sement balzacien; présenté à elle, il lui demanda bohème, des longs cheveux et un chapeau mou;
1-'autorisation de l'aller voir, s'énquitde sa famille, le secrétaire d'ambassade avait dans sa biblio-
de sa situation, se montra aimant et câlin pour thèque le livre de Murger, et il souffrait de frayerr
son fils, et, quelques semaines plus tard, posait avec un jeune homme qu'il étiquetait Colline ou
franchement sa candidature, offrait son nom et sa Schaunard; il lui supposait une existence .de
fortune, qui furent acceptés. paresse et de plaisirs, d'inutilité sociale, aurait
Un an, deux ans, des voyages en Autriche, en volontiers renié toute parenté.
ltaHe, puis la naissance d'un enfant, un garçon, Et ce lui fut une joie lorsque Ernest manifesta
ainsi que souhaitait le diplomate, anxieux de ne son désir d'aller vivre en Italie, avant même de
pas laisser éteindre sa race, on convoqua toutes concourir à nouveau, n'ayant eu que le second
'les fées autour de ce berceau, rien ne parut trop prix; il n'habiterait pas à la villa Médicis, y ga-
luxueux, trop riche, ce petit être poussa dans gnerait au point de vue de sa liberté plus com-
l'opulence, dans une tendresse exclusive la mère plète, pourrait circuler çà et là, s'enivrer de
en oubliait même son autre fils qui, grandissant, chefs-d'œuvre aussi bien à Florence qu'à Rome,
allait déjà au collège; vivait moins de la vie de aussi bien à Naples qu'à Venise. Rien, du reste,
famille, n'avait pas une présence continuelle. ne l'attachait à Paris, son amour pour sa mère
Lorsqu'à l'époque des vacances il revenait passer s'était aboli peu à peu; il n'avait au cœur qu'une
quelques jours, les domestiques et d'autres per- dévotion, celle de son vrai père dont il empor-
sonnes aussi l'appelaient « Monsieur Ernest », et tait, ainsi qu'icônes précieux, l'épée à poignée
cette formule de correction mondaine semblait d'or sculptée de l'N impérial, et la croix nouée
l'étrangiser un peu. à la cravate de commandeur. Tout le reste l'in-
Sans qu'il en fût jaloux, il commença de remar- différait, il se voyait seul sur la terre, se consi-
quer que son frère était choyé, étouffé de caresses, démit dépossédé par les circonstances, victime
tandis que lui, pour M. de Vielcaste, ne comptait du mariage de Mme veuve Redon, de la venue
plus, semblait presque ne pas être de la famille, d'Eugène de Vielcaste.
portait un nom oublié, même de sa mère. Aussi se sentit-il heureux lorsqu'il s'installa
Cette impression pénible se continua, s'exagé- dans sa chambre d'hôtel, éloigné définitivement
rant vers la quinzième année cela devint de la de toute famille, au milieu d'un décor inédit de
jalousie il avait conservé un culte pour l'officier solitude et de calme, ses noires songeries diffuses
dont il avait lu les glorieux états de service, était au bercement de rêve de Venise sous sa fenêtre
fier de s'appeler comme lui, considérait avec il entendait bruire mollement l'eau d'un canal
émotion la panoplie de ses armes et ne compre- où, brefs et sonores, retentissaient les appels
nait rien aux. titres de noblesse et aux ordres des gondoliers, et, s'il descendait pour les repas
multicolores de son beau-père, un civil n'ayant dans la grande salle commune du rez-de-
accompli aucune action d'éclat, et dont la renom- chaussée, c'était par les vitres l'animation de la
mée lui semblait faite de battage. L'homme, du place Saint-Marc qu'il ¡voyait, le remuement de
reste, s'occupait peu de gagner son affection, foule badaudante venant sous la tour de l'Hor-
l'embrassait sur le front du bout des lèvres, ne loge, la flânerie des étrangers aux petites tables
lui adressait jamais une parole douce, et même des glaciers, l'ébrouement d'ailes des pigeons
lui était une sorte de barrage aux effusions ma- s'abattant en nuées gourmandes autour des pylô-
ternelles. nes, se nichant aux mosaïques de l'église, aux
La maison ne vivait que pour le petit Eugène, balcons du Campanile des pizziccati de mando-
d'une santé délicate d'ailleurs, et dans les yeux lines accompagnaient des voix d'hommes, de la
duquel s~ miraient les amants extasiés. musique chantait dans le soleil.
A sa majorité, Ernest Redon, que l'atavisme Son adresse ayant été donnée poste restante,
n'avait pas atteint, qui ne voulait pas plus devenir il résolut de ne pas aller chercher son courrier
soldat qu'il ne songeait à profiter de la protection pendant les trois premiers mois de son séjour là.
des appuis de M.'de Vielcaste, déclara se vouer Le reste du monde l'indifférait, il n'avait aucun
à l'art; au grand scandale de son entourage, il souci des nouvelles de sa famille, il oubliait tout
suivit les cours de sculpture à l'école de la rue de Paris, il effaçait ce passé, il raturait ces ancien-
Bonaparte, pratiqua le quartier latin avec les nes .choses, ne pensait plus qu'à son art, s'enthau-
camarades, s'y choisit un logement, ne vint siasmait pour les merveilles rencontrées çà et là
bientbt plus qu'une fois par semaine s'asseoir à parmi les églises innombrables; pèlerinait vers
les chefs-d'œuvre; l'emprise de cette cité déli- grandissait, qui passait victorieusement des exa-
cieusement agonisante était absolue, il ne pou- mens, qui gagnait des coupes en des épreuves
vait se lasser d'en scruter lesmultiples et secrè- de sport; dont on parlait dans le monde, et que
tes be:autés; ses jours et ses soirs s'usaient à des des héritières de noblesse attendaient. C'était un
errances charmeresses, des gondoles de deuil le hosannah de fierté, de contentement,tout étant
menaient aux îles; il regardait le soleil couchant sacrifié à ce second fils, puis, à la fin, comme
ensanglanter l'Adriatiqué3 brûler de ses feux les uneformule, on lui demandait de ses 'nouvelles!
dÔmes, les tourelles, les clochers, incendier quand il reviendrait en France?
comme surune toile de Ziem la ville tout entière, Cette lecture l'incitait peu à peu, inconsciem-
et à l'heure crépusculaire du retour il somnolait ment, à transmuer son indifférence en haine;
au rythme lent des rameurs, s'intéressait, les puisqu'il y avait un Abel, il serait Caïn.l,
paupières mi-closes, aux ombres fantômesques L'idée devait mûrir en son esprit, s'y. ancrer,
despali, aux halètements d'écume des remor- victorieusement, il suffirait du moindre incident
queurs, aux glissements des embarcations, aux pour que l'acte suivît le concept.
cheeurs lointains entendus sur le grand canal; au Des 'mois, des années passèrent; la situation
quai, "lorsqu'on accostait, des femmes passaient, demeurait la même, s'envenimant plutôt par la
étrangement énigmatiques, les cheveux d'or in- distance; les succès de fortune et autres d'Eu-
distincts dans l'ombre de la cape brune, les han- gène de Vielcaste le poursuivaient dans des
ches roulantes, avec un dandinement, un- éclair échos de journaux, dans des conversations
aux prunelles, un rire aux lèvres il les 'frôlait, d'amis, dans des parlottes de touristes; cela
insensible, perdu en ses songes de ravissement tournait à l'obsession, au cauchemar, l'excitait
esthétique, amoureux seulement de Venise où il progressivement à une décisive détermination.
lui semblait quel'humanité profanait l'idéal spec- Un jour, une dépêche lui annonçait la mort.
tacle, où les figurants de l'éternelle mauvaise subite de M. de Vielcaste, frappé par une atta-
pièce qu'est la Vie lui apparaissaient inutiles et que d'apoplexie toute sa fortune à son fils, avec
déplacés. l'usufruit à la veuve celle-ci, en cas de décès du
M. de Vielcaste n'eût certes rien compris.à cet jeune homme, retrouvait la nue propriété com-
état d'âme, eût traité de billevesées ces impres- plète, la famille du;secrétaire d'ambassade étant
sions intenses de voyage, lui qui ne savait des disparue depuis longtemps
contrées et des villes parcourues que des adres- Ces dispositions spéciales connues d'Ernest
ses de restaurants et des tarifs dé voitures. Il Redon, il réfléchit longuement, eut pris peut-
n'aurait plus jugé certes Ernest Redon unbohème être pitié de sa mère s'il avait senti son affection
de Murger, mais eût déclaré que son originalité se ,rapprocher de lui en la circonstance, mais le
confinait à de la folie, et l'eût renié encore da- revirement ne s'opérait pas, l'intimité de Mme de
vantage..
appréciations son beau-père lui.impor-
de
Vielcaste et de son second enfant se trouva ac-
Les crue au contraire, resserrée par la disparition du
taient peu d'ailleurs; il avait rompu avec sa fa- mari, par les intérêts d'argent, par l'existence en
mille; était bien décidé à ne la jamais revoir, commun.
voulait mener son existence à part; comme un A ce moment, une crise financière sévissait en
orphelin entièrement libre de lui-même. Il ne Italie; des commandes faites au sculpteur ne lui
gardait de l'autrefois que le souvenir et les reli- étaient pas payées, des marbres désormais inu-
ques de l'officier d'Afrique. Mm. Redon n'était tiles encombraient son atelier, des. bustes même,
présente que par une miniature des lointaines achevés, ne pouvaient être livrés, et le présent
années de son premier mariage, où elle appa- tristè pré"rait un avenir lugubre.
raissait dans tout l'éclat d'une beauté juvénile, Là=bas,. en ignorait ces soucis, et la dernière
un visage de charme encadré de boucles blon- lettre reçue de France disait que pour fuir les
des, les épaules nues; de M. de Vielcaste et .de impressions pénibles du logis visité par la Mort,
son fils Eugène il n'avait rien, pas même des on passerait l'hiver au bord de la Riviera, à Nice
photographies. ou à Monte-Carlo; et, à cause de la proximité, on
Il séjourna longtemps à Venise, sans travailler, espérait la visite dé l'exilé.
tout son temps occupé à visiter la ville et ses Il vint
environs, à scruter les trésors des basiliques et L'œil était dans la tombe et regardait Caïn.
des musées, à pénétrer les richesses d'art des
palais; son intention était de ne prendre un ate-
lier qu'à Milan où il reviendrait pour communier On rencontre maintenant, dans les rues mila-
avec le divin Léonard. naises, une femme en grand deuil accompagnée
Dès qu'il y fut installé, commença alors une de son fils le sculpteur Ernest Redon, couple
période de travail fiévreux; avant de partir il muet et dramatique dans l'âme de la mère il y
avait pris son courrier à la poste, y avait trouvé a une soupçonneuse angoisse, dans l'autre du
plusieurs lettres de sa mère, des. missives sans remords peut-être.
affection, toute remplies d'éloges sur -Eugène qui. MAURICE GUILLEMOT.
La'Quinzaine' Plage de Berck offrent une harmonie de tons exquise.
Et encore M. Tattegrain avec deux ïoiles. très :impor'
tantes où la nôtation juste des types de matelots et
LETTRES ET ARTS pêcheurs (l'Homme de vigie, Appareiflages d'hivei~) s'allie
Voici- dix ou douze cartes d'invitation-à des exposi- à une merveilleusecompréhension des caprices, de la
tions particulières, reçues en quinze jours. Et ce n'est mer. Et aussi M. Maufra, le peintre presque attitré
peut-être qu'une partie du stock qu'épand la poste? de la Bretagne, dont la couleur. est si expressive.
Celles-ci n'offrent rien de très particulier. Il serait Enfin, M. G. Roullet, M. de Champeaux (Venise),
injuste, toutefois, de les négliger en bloc, pour cette M. Fouqueray, qui excelle à transcrire. la .mélancolie
raison que- le Salon approche et que la fièvre sévit des canauxhoHandais, M. Dauphin dont le Quai à
dans tous les ateliers, fièvre des refusés, dés candidats Toulôn et l'Étang dé Berre sont si vibrants' de lumière
à la médaille, des quémandeurs d'articles, fièvre crue, mais harmonieuse .quand même, et sincère. On
qu'il serait amusant de'décrire. Mais cela a été fait voit que les Peintres de marine peuvent prendre, ces
bien souvent, et le cérémonial de réception, avec ses années suivantes, une. des premières places parmi les
alternatives de désespoir et de joie, est le même au sociétés artistiques de ce. temps.'
Grand Palais qu'au Palais de l'Indùstrie. Nous 1 -Allons maintenant chez les. Pastellistes (galerie
sommes aussi d'ores et déjà certains qu'on- nous ren- Georges Petit); c'est leur dix~septièrn.e exposition. Elle
dra, sous peu, tous nos plaisirs d'antan: il.y aura deux est un peu moins nombreuse que les précédentes
vrais vernissages,c'es-t-à-dire deux exhibitionsde toi- sur trente-cinq membres que compte l'association,
lettes précédant etsuivimtun déjeimerà la truite sauce dix au moins et des plus connus se sont abstenus.
verte. Encore un peu de patience c'est très proche. Cependant, l'intérêt des mûvres réunies n'est pas
En attendant; faisons donc un choix dans le tas moindre que.par le passé; loin de lit même cette
de cartons valables pendant la dernière période dé.e collection de pastels indique, de plus en plus, l'épa-
préparation de ce. Salon. En voici un pour une gen~ nouissementet les.ressources multiples d'un procédé
tille exposition, point prétentieuse, qui a trouvé asile qui pendant longtemps fut appliqué presque unique-
dans le Salon du Cerc1ede la Librairie ce sont des ment aux portraits ou qui, entre les mains de jeunes
architectes qui se sont groupés sous ce-titre très frais filles, fut considéré .comme un procédé « bien sage n,
les Amants de la NaEure. Ils. exposent (ils sont quinze sec et minutieux.
MM. Cousin, E.ustache, Chancel, Bonnier, Bobin, Aujourd'hui les pastellistes demandent à leurs
Mayeux, Renaust, etc,,) des aquarelles qu'ils ont exé- crayons la traduction' des sensations de plein air les
cutées à moments perdus, pendant.des' excursions ou plus hardies, des visions de rêves les plus larges.
des villégiatures et qui donnent. envie de posséder, Dans ce sens, on ne cessera d'admirer les.envois de
soi-même, ce talent de passe-temps'agreste, permet= M.- Besnard; on ne cessera aussi de les discuter.
tant de fixer sur le papier tel coin de bois ou de ri- -On y trouve, certes, ce qu'on appelle barbarement
vière qui ravit une âme « d'amant de la nature ». Il des outrances », c'est-à-dire des fusées dé bleu, de
faut visiter ce Salonnet pour se rendre compte du rouge, de vert, qui, au premier regard, peuvent sem-
partir qu'à cet égard on peut tirer d'une initiation, bler choquantes et qui, à distance, se fondent; mais
même point très complète,. aux satisfactions intimes aussi quelle délicatesse, quelle finesse dans le rendu
de l'aquarelle faite en plein air, à la bonne franquette. de certains morceaux dé nu féminin L'artiste qui
Et combien on aurait raison de se donner un peu de déploie un tempérament si diver~ et par moments si
'peine pour acquérir, en ce genre simple et très déconcertant est certainement: un des plus merveil-
expressif, une habileté suffisante, au lieu de tratner leusement doués et des plus adroits de ce siècle..
avec soi le banal" appareil photographique qui est àla Il ne faut pas regarder tout de suite les autres
portée de tous et qui ne rend pas les « choses vues », pastels après ceux de M. Besnard aveuglé, on n'y
telles qu'elles étaient! comprendrait plus rien; mais, après un temps, si l'on
Voici ensuite une exposition que nous signalons veùt, quel chàrme pénétrant on découvrira dans ces
d'autant plus volontiers que'nous avons annoncé ici, paysages si calmes de M. LhermiLte (Ponts de bTont-
des premiers, la constitution de l'association toute Saint-Paire), dans d'autres paysages de M. Billotte
nouvelle qui vient de l'organiser c'est l'association (Lever de lune à Marans), dans ceux encore de
des Peintres de marine. La publicité lui a été, lors de M. Pierre Lagarde, de M. Le Sidaner,le peintre des
sa constitution, très mesurée et il se trouve encore petits villages, à demi déserts ou endormis. Et, enfin,
que, pour sa première manifestation en public, elle on aura une surprise très inattendue devant une col-
n'a pas non plus une « bonne presse'». La raison de lection de portraits très « poussés », comme l'on dit
ce dernier fait est qu'elle s'est installée où elle a pu, en argot. d'atelier, c'est-à-dire de portraits visible-
dans de bonnes conditions à coup sûr, mais en un ment tendants à la ressemblance ils sont signés de
local qui appartient à un seul journal, le Journtil, rue M. Léandre. C'est bien du caricaturiste à la mode
de' Richelieu.. qu'il s'agit, mais ici, de caricature il n'est plus
De petites rivalités professionnelles sont cause que, trace; elle a fait place à une étude attentive, scrupu-
dans les autres feuilles, on la dédaigne (on voit ici leuse, intelligente de la physionomie morale du mo-
une nouvelle forme des difficultés qui assaillent les dèle.
artistes qui veulent exposer chez eux). C'est grand Il nous resterait bien encore à vous signalel;' dans
dommage, car dans celte jolie salle du Journal, les son atelier de la rue d'Assas, une spirituelle exposi-
Peintres de marine débutent fort bien ils ont parmi tion d'aquarelles militaires~d'A'Ibert Guillaume, jointe
eux Mme E. La Villette, dont les études de la Pointe à une très précieuse collection: d'objets d'art du
de Quibe~·on ont une « fureur de mer saisissante; sculpteur Moreau-Vauthier; et 'encore chez S. Bing,
M. Iwill, dont certaine étude de la Rivière génoise et d'amusantes peintures japonaises modernes, ou à la
le Soir sur la grève ou encore l'immense et blonde galerie Mancini (rue Taitbout).une cinqU¡Ù¡tliine de
peintures et pastels de M. Georges Fournier, qui a officiellement une perte totale de 60000 h,ommes.
des audaces de, ooloris souvent un pelil ¡¡iolentes, dans Restent 220000 hommes. Et l'on, voudrait n'Ousper-
des paysages:que l'on ne se souvient guère. d'avoir suader que de si formidables effectifs sont insuffisants,
vus. Mais cette énumération de salonnets vous suf- qu'il faut adjoindre la valeur d'un nouveau corps
fira amplement pour {foinze jours. Il nous reste tout d'armée pour mater définitivement ce que de-nobles
juste la place de vous souhaiter d'obtenir l'autorisa- lords appellent dédaigneusement, à Londres, dé
tion de visiter.avant son ouverture au public (faveur simples bandes de maraudeurs
qui a été accordée' ces jours-ci à une centaine de La vérité que les Anglais ne veulent pas s'avouer à
Parisiens) le: buffet de la nouvelle gare de,Lyon. eux-mêmes, c'est que la situation sanitaire et morale
Parfaitement! un buffet!. Les compagnies de che- de l'armée de lord Kitchener est tout simplement la=
mins de fer ont compris toute l'importance qu'il y a mentable. Et comment en serait-il autrement après
à égayer leurs.halls et, après l'Orléans, le P.-L.-M a dix-huit mois d'une campagne aussi rude! La plupart
commandé pour son buffet, qui est en façade, sur la des soldats anglais sont malades, fourbus et dégoAtés
gare, les, décorations de trois immenses salles à des de la guerre. S'il en était autrement, comment expli-
peintres tels que Flameng, Maignan, Gervex, Bur- quer que 220000.hommes ne suffisent pas au généra.
nand, Rosset-Granger,Allègre, Olin, Montenard,Paul lissime anglais pour terminer la campagne?
Sain, etc., etc. Ils sont plus de trente.! C'est à la fois Or il semble bien que les Boers poursuivront long-
une bonne fortune. pour. les artistes et un plaisir temps encore leur lutte héroïque, et non désespérée,
d'art pour les futurs voyageurs. Quand le temps aura pour la sauvegarde de leur indépendance. Leurs chefs
mis sur cet ensemble décoratif, trop neuf encore, sa envisagent la situation avec calmeet'sang-froid, ainsi
patine, ce nouveau buffet nous f\era triple.ment mau- que le. démontrent les récents pourparlers de Kitche-
dire les horribles salles enfumées où, depuis vingt ner et de Botha. Ils savent exactement ee qui. se passe
ans, avant de partir pour le Midi ensoleillé, nous dans le reste du monde, malgré leur isolement; ils
mâchonnons de si piteux rosbifs. Il nous semblera ont la c,onviction que les' résultats définitifs de cette
qu'en tout- état de choses, ceux-ci sont exquis. guerre.terrible dépendent uniquementde la prolonga-
PAUL BLUYSEN.
tion de leur résistance. Et ils continuent avec une
ardeur infatigable, une audace merveilleuse, cette
guerre de guerilla qui, chaque jour, sur dix points
différents, coupe les voies ferrées, fait sauter les
LA GUERRE trains, enlève des convois de munitions et d'approvi..
sionnements de toutes sortes.
AU TRANSVAAL Sans doute, les commandos battent en retraite sous
la poussée des fortes colonnes anglaises; mais ils
Les journauxanglais font contre fortune bon cœur. s'évanouissent quand French et les autres croient les
Après avoir laissé éclater leur rageuse déception en tenir dans un cercle de fer; ils disparaissent pour se
apprenant que le général Botha avait simplement reformer aussitôt surunau~re point. Ete'est toujours
repoussé les conditions de paix offertes par lord Kit- recommencer!
chener, ils déclarent aujourd'hui qu'il faut faire une Dans la colonie du Cap, de nombreux petits com-
guerre sans merci, qu'il faut aller jusqu'au bout! mandos opèrent comme par le passé, et Kruitzinger,
Malheureusement pour eux, c'est également l'avis dont' la mobilité, disent les Anglais, est pareille à
des Boers-, qui, plus vaillamment que jamais, sont en celle du lièvreS est toujours cerné mais jamais pris,
train de les y conduite. jusqu'au bout! Tout comme l'admirable De Wet. 1
Quel est aujourd'hui l'état.exact de l'année anglaise Dans l'Orange, les Boers se promènent tranquille-
sud-africaine?« Un renseigné nous le dit, par l'or- ment autour de Bloemfontein, et lord Kitchener est
gane du Daily hiail, peu suspect de tendresse, cepen- incapable de savoir exactement où se trouventDeWet
dant, pour les deux braves petits peuples qui luttent et le président Steijn. Cependant le Times affirme que
jusqu'à la mort. De Wet et Botha se sont rencontrés à Vrède ce-
Ce « renseigné» dit tout haut ce que murmurent qui prouve, tout au moins, que Botha peut quitter le
ceux des officiers -anglais qui, « souvent brisés de Transvaal et passer dans l'Ét.at d'Orange, sans être
corps et d'àme », reviennent du théâtre dé la guerre. autrément inquiété par' les colonnes anglaises.
Ils disent, ces officiers, que l'armée anglaise est à Au Transvaal, à l'extrême Est,- les opérations du
peu pr ès à bout de forces ». Son audace, sa mania- général French semblent avoir définitivement échoué.
bilité, son allant, sa capacité d'efforts s'en sont allés. Par contre, la colonne Plummer poursuit sa marche
Ces appels répétés à l'énergie des meilleurs, toujours au nord de Prétoria sans rencontrer la moindre résis-
.es mêmes, cette interminablepoursuite d'un ennemi- tance. Elle a occupé successivement Nylstrom, loca-
fantôme, ces perpétuelles inquiétudes d'un qui-vive lité située à 125 kilomètres environ de Prétoria et à.
qui ne cesse ni jour ni nuit, ont à la fin complète- HO kilomètres au sud-est de Pietersburg, la capitale
ment épuisé le capital nerveux d'une armée de actuelle' du Transvaal, puis Potgiester's Rust, à
braves. 56 milles au nord de Nylstrom.
Ce cri d'alarme poussé par un homme bien .ren- Fidèlesà leur tactique, les Boers ne défendront pas
seigné contraste singulièrement avec les nouvelles plus Pietersburg qu'ils n'ont défendu Prétoria. Très
-satisfaisantes si habilement filtrées par la censure vraisemblablement ils se retireront dans la région
anglaise. D'autre part, le V'ar Of fice fait flèche de montagneuse :du Zoupansberg, où l'absence de cher
tout bois pour trouver les 20000 hommes:d'infanterie min de fer ne permettrapas aux Anglais de les pour-
monté.e que réclame.impérieusementlord Kitchener. suivre. Lord Kitchener aura exagéré un peu plus la
Gomment! 1 280000 'hommes ont été expédiés depuis longueur de ses lignes de communication déjà si
.18 mois dans l'Afrique du Sud, le War Office compte déniesurépent étendues, et la guerilla continuera
comme devant, avec un peuplus de chances de réussir rien d'lnvraisem.blabl&bien qu'elle apparaisse cho-
quelque beau.coup. Et voilà, tout. quante, au premie; ab-ord, aux yeux du publie..
Allons t le vieux président Krüger n'a pas tort de J'aime moins. le dernier .acte où les douleurs du
clamer sa foi absolue dans la vaillance de son petit mari, fort bien rendues par M. Maury, sont un peu
peuple et dans le succès final. en dehors du sujet. Il en résulte un dénouement
banal et mal venu, qui gâte quelque peu le spectacle.
EN CHINE
Néanmoins tout le sel, que M. Vandérem a semé à
La question chinoise semble ne plus exister. En profusion,fait passer la sauce. La psychologie de la
revanche, la question de la Mandchouriebat son plein, comédie est intéressante et la note suffisamment
au grand émoi des chancelleries du monde entier, si émue.
nous en croyons les journaux anglais. Nos lecteurs L'interprétation hors ligne est aussi pour quelque
ne nous pardonneraient pas de leur raconter par le chose dans ce succès très honorable. im-8 Réjane
menu to.utes les phases de cette histoire. Au surplus, est toujours la grande artiste que nous connaissons
le résultat seul importe. Il est bien simple. La Chine elle est bien secondée par Dubosc, qui débutait au
ayant refusé de signer la convention c'oncernant la Vaudeville après avoir si bien réussi au Gymnase.
Mandchourie, la Russie en prend très philosophique- M. Dubosc est en réel progrès; au Palais-Royal il
ment son parti. Elle demeurera tout simplement en passait inaperçu; le voici à présent sur une pente.
Mandchourie avec ou sans traité et continuera d'é- douce qui pourrait le mener un jour à la Comédie..
tendre tranquillement son influence dans les pays Française; J'oubliais Huguenet, intéressant au pos-
qu'elle occupe, où elle construit les derniers tronçons sible de composition fine dans le rôle d'un confident,
du chemin de fer qui doit relier Port.Arlhur la quelque peu bavard, qui est l'àme de diverses situa.
tions souveut des ,plus 'risquées.
grande voie du 'Transsibérien.
C'est du moins ce qui ressort clairement d'une noté
#.
officielle publiée par le Messager du gouverneme~at.
La Russie occupera militairement la Mandchourie Aux Variétés, c'est une autre comédie de pure
jusqu'au réfablissement d'une situation normale, en psychologie qui vient de triompher. Et en disant
se basant sur la nécessité de maintenir l'ordre dans « triompher je ne puis être taxé d'aucune exagéra-
les régions limitrophes de ses possessions asiatiques. tion car ce fut véritablement un triomphe. Depuis de
Et l'Angleterre qui semble toujours oublier qu'elle longuPS années il ne nous avait pas été donné d'en=
occupe l'Égypte dans les mêmes conditions depuis tendre une chose aussi délicieuse, d'une délicatesse
une vingtaine d'années en sera pour ses frais de et d'une finesse aussi exquises -une chose comme de
vaine et inutile cabale, ne pouvant empêcher l'irré- la mousse de champagne qui pétillerait et enivrerait
sistible poussée de la Russie vers les provinces sep- tout à la fois, additionnée de ce piment de parisia-
tentrionales de l'a Chine. nisme qui fit la gloire de Meilhac. Rarement M. Alfred
Pendant ce temps-là, on oublie toujours de nous Capus, auteur applaudi de tant d'œuvres délicates,.
dire à quelle époque la cour chinoise compte réinté- n'a été aussi bien inspiré. Et pourtant M. Capus ne
grer sa capitale. s'est pas ingénié à ch~rcher une intrigue compliquée
Le fiasco du fameux concert européen est, on il a tout bonnementmis en scène le roman banal d'un
l'avouera, du plus haut comique. Décidément, la étudiant pauvre, amoureux d'une fleuriste, et épou-
vieille Europe n'est pas de force à rouler la Chine! sant son amie, quand la veine est venue.
HENRI MAZEREAU. La Veine, c'est le titre de, la pièce, que. l'auteur
explique d'ailleurs dans une jolie tirade. Cette veine
N est bien un peu aussi le hasard; car si le richissime
IJ1HÉAIJ1ltE Edmond Tourneur n'avait pas rencontré un beau
jour ou plutôt un vilain jour de pluie la petite José-
phine, modeste trottin chez 1\ple Charlotte Lanier,
fleuriste, cette dernière n'aurait jamais épousé son
LA, VIE DRAMATIQUE idole, Julien Bréard, avocat sans causes demeurant
La Pente douce est celle que suivent naturellement dans la même maison qu'elle, et qu'un beau soir,
deux êtres qui veulent demeurer honnêtes, et que la cette fois c'était bien un beau soir, elle a accom-
fatalité amène peu peu à succomber. C'est ce qui pagné au Havre, voyage qui a décidé de sa vie. Et
.arrive àPierre Clarence et à Geneviève Breyssondans si son adoré ne s'était pas épris bêtement chez les
la pièce intéressante de M. Fernand Vandérem que Tourneur, à Trouville, d'une coquette roublarde,
vient de jouer le Vaudeville.Geneviève eslmariée à un Simone Baudier,jamais Julien, désillusionné, n'aurait
homme qu'ehe n'aime pas, mais qui n'a pas cessé d'être compris que l'amour de Charlotte était meilleur que
bon pour elle et de lui prodiguer les plus tendres at- tout au monde, jamais il ne lui aurait proposé de
tentions. Elle aime quand même Pierre; un ami de son l'épouser, se moquant du qu'en dira-t-on, lui devenu
mari, d'un amour profond, irréfléchi. Pierre, comme grâce à la veine un personnage célèbre, avocat re-
elle,est honnête; pour lie pas succomber à la tenta- cherché, député, et peut-être demain ministre.
tion, pris d'une héroïque résolution, il s'engage dans Voilà la veine imaginée par M. Alfred Capus mais
une mission en partance pour l'Afrique, et cela sans si l'historiette est mince, les détails adorables foi-
en parler à personne, surtout à Geneviève. Celle'ci' sonnent. C'est commeun rafraîchissement qui.fait du
l'apprend par hasard. Alors, perdant la tête, ellè vient bien ;par ce temps d'épices et de piment à outrance.
rendre une dernière visite à son ami ne voulant pas La comédie se tient sans faiblesse aucune, et si
le laisser accomplir la mission dangereuse qu'il a je n'aime pas pour ma part le dénouement banal du
acceptée. mariage, j'avoue qu'il est très défendable en somme.
En somme la situation, qui est toute la pièce, n'a J'eusse préféré pour ma part qu'après la trahison
dé Julien, Charlotte se fût sacrifiée tout entière, Autre succès au Palais-Royal décidément les
lorsque son ami revenait elle. M. Capus est passé théâtres sont en veine (oh! pardon!) en ce moment.
à côté du dénouement que j'aurais rêvé. Lorsque Sacré Léonce, de Pierre Wolff, est, en effet, un vau-
Julien demande à son amie de reprendre la vie com- deville des plus amûsants conçu dans le moule
mune, celle-ci résiste un instant, et tristement lui connu des vieux succès, du théâtre de la Montansier.
dit que ce qu'il a de mieux à faire, à présent qu'il est Nous ne nous attarderons pas à le raconter. Sachez
devenu un homme célèbre et que l'avenir s'ouvre seulement qu'il nous offre une succession de scènes
devant lui, c'est d'épouser une jeune fille du monde plus drôles les unes que les autres.
et de se créer une famille. Voici comment j'aurais Interprétation excellente de l'excellente troupe.du
voulu voir terminer la pièce, et ce sacrifice de la Palais-Royal; Boisselot en tête, étonnant de naturel
petite fleuriste refusant le bonheur inespéré d'un dans le personnage du bourgeois Debienne. Charles
mariage irréalisable aurait t donné une note douce au Lamy est divertissant au possible Gorby et Lagrange
roman charmant si ingénieusement conté. complètent l'ensemble. Du côté des dames, un bon
M. Capus l'a jugé autrement; en somme, nous point tout spécial à Mil. Chériel, qui offre un talent
n'avons pas à nous en plaindre, puisque tout le monde d'allure tout à fait différente dans chacune de ses
a paru satisfait. créations. Mil. Berthe Legrand est une bonne bour-
La Veine avait été reçue, parait-il, à la Comédie- geoise pot-au-feu Mlle Aimée Samuel une e(frontée
Française je doute fort, malgré le talent des socié- soubrette; M«e Derville, une jeune fille très moderne.
taires, qu'elle eût été mieux interprétée qu'aux Va- En voici pour cent représentations.
riétés. C'est qu'à présent il n'y a plus de petits
théâtres, et les portes de toutes les scènes de la Ca-
pitale,depuisles Françaisjusqu'au Grand-Guignol,sont Je n'en dirai pas, hélas! autant de Ménage moderne,
ouvertes toutes grandes à l'art. Nous ne sommes plus l'invraisemblable folie de M. Guiches, jouée au théâtre
à l'époque où les femmes du monde ne se rendaient Sarah-Bernhardt.C'est de la plus pure démence. Et
au théâtre qu'en loges, et se cachaient dans des bai- les interprètes eux-mêmes ressemblent à des désé-
gnoires obscures, quand elles se risquaient aux Va- quilibrés Comment un homme de talent peut-il se
riétés ou aux Bouffes, équipées dont elles se vantaient tromper à ce point?
entre elles à leurs jours de réception. Aujourd'hui QUENTlN-BAUCHART.
tout s'est démocratisé, pour ainsi dire et les fauteuils
des Folies-Bergère ou de l'Olympia sont souvent oc-
cupés par les personnes les plus honnêtes, sinon les LA MUSIQUE
plus prudes de Paris. Ceci explique comment une
pièce devant être jouée par les comédiens ordinaires Théatre de la Gaité. Le Capitaine Thérèse, opéra-
de M. Loubet est passée sur le boulevard Montmartre. comique en trois actes paroles de M. Alexandre
Aussi bien l'un des interprètes, M. Guitry, n'est-il Bisson; musique de M. Robert Planquette.
pas sur le point de débuter prochainement rue Ri- Très amusante, l'action du Capitaine Thérèse se passe
chelieu ? Cette dernière création dans un théâtre à en Bourgogne, à l'époque où, pour grossir le nombre
côté, après le Flambeau de l'Aiglon et le Coupeau de des partisans de la Ligue, le duc de Mayenne recrute
l'Assommoir, fait le plus grand honneur à l'artiste. Il tous les hommes en état de servir. Au moment de se
est impossible d'être meilleur. Grâce à lui, l'avocat mettre en' campagne,le colonel marquis de Vardeuil
Bréard nous apparaît tel qu'il serait dans la vie, a résolu de marier sa fille Thérèse au jeune Tancrède
charmant dans son insouciance de sceptique croyant de la Huche, lequel ne s'en soucie guère, étant amou-
au coup du sort, qu'il attend sans préoccupation, reux de la belle Mercédès, femme du colonel espa-
avec cette belle insouciance de la jeunesse que nous gnol Sombrero, à laquelle il a laissé croire qu'il est
avons tous eue à vingt ans. A côté de lui Jeanne Gra- capitaine et qu'il s'appelle de Bellegarde. Sur ces
nier est tout simplement admirable je ne connais entrefaites arrive le vrai Philippe de Bellegarde,
qu'une seule personne qui aurait pu jouer avec ce nouvellement promu capitaine. C'est le cousin de
degré de vérité le rôle de Charlotte, c'est Mme Su- Thérèse; ils se rencontrent et se jurent d'être l'un à
zanne Després, la créatrice des Remplaçantes. Granier l'autre. Tout irait au mieux du monde, et le notaire
est à présent une comédienne irréprochable, qui de- Duvet n'aurait plus qu'à signer le contrat, si le duc de
vrait bien accompagner Guitry à la Comédie-Fran- Mayenne ne punissait Philippe de 30 jours d'arrêt
çaise. Soyez persuadés que les abonnés ne s'en plain- pour s'être permis de courtiser la belle Mercédès.
draient pas. Convaincu qu'un mauvais plaisant s'est servi de son
A côté de ce duo adorable qui rappelle quelque nom, il veut en avoir le cœur net et se sauve du
peu l'inoubliableduo d'Amants, Albert Brasseur s'est château où on l'a enfermé, juste au moment où M. de
révélé comme comédien discret dans le personnage Vardeuil vient lever sa punition pour l'envoyer con-
ultra-élégantdu richissime Tourneur. Quant à Mlle La- duire au camp de Vellas un détachement,de recrues.
vallière, elle est exquise de gestes mutins dans la Pour éviter le conseil de guerre à son cousin, Thérèse
petite Joséphine devenue grande demi-mondaine. revêt son uniforme et, flanquée de sa tante, la chanoi-
Mlle Lender était toute désignée pour le rôle de grande nesse Herminie et de Me Duvet; le notaire, tous deux
coquette, une coquette qui pourtant n'a rien de com- déguisés en sergents, elle conduit le détachement
mun avec Célimène. 11l'le_ Thomsen est intelligente en de recrues au terrible colonel Sombrero. Il en résulte
institutrice, quoique bien élégante pour une jeune une série burlesque d'inénarrables farces. Finale-
fille qui court le cachet. C'est la seule note pas très ment les recrues, voyant à qui ils ont affaire, se sau-
juste à signaler dans cette perfection; et encore les vent, et Sombrero, furieux, met en prison Thérèse,
toilettes excessives de 1\1lle Thomsen ne doivent point Herminie et Duvet ce remarquable trio de guerrier¡¡.
choquer tous les spectateurs. improvisés. Puis il interroge les coupables; Thérè~.
et Herminie, impatientées de1a brusquerie du vieux Alors les premiers éclaireurs du 66° de ligne se
soudard, le giflent. Sombrero réunit immédiatement montrent, garnissant les' hauteurs abandonnées par
une cour martiale qui les condamne à mort. Ne 1.'ennemi.
tremblez pas, lecteurs tout s'arrange. Le colonel Ils s'avancent deux par deux en bonds successifs,
marquis de Vardeuil survient, il reconnaît les con- s'abritant derrière les arbres et les rochers, ou se
damnés et la sentence de mort est aussitôt annulée. dissimulant dans les plis de terrain.
Tancrède de la Huche affirme hautement la vertu A leur suite surgit la ligne des tirailleurs, dont on
impeccable de la belle Mercédès; naturellement Som- distingue nettement les pantalons rouges.
brero le croit, et Philippe de Bellegarde est trop heu- La fusillade, extrêmementnourrie toute la matinée,
reux d'épouser Thérèse pour en vouloir plus long- vient de cesser. Les évolutions des deux armées s'exé-
temps à de la Huche, auquel il pardonne de bon cutent dans un silence absolu.
cœur. .Cependant de -Saarbruck sortent des bataillons
La partition du Capitaine Thérèse se tient au niveau qui viennent renforcer les troupes prussiennes. Celles-
des autres ouvrages de M. Robert Planquette. C'est Ci ont terminé leur mouvement en arrière et s'apprê-
toujours la mélodie facile, alerte, pimpante, quel- tent à opposer une vigoureuse résistance.
quefois triviale, mais toujours animée de cette verve En un clin d'œil elles se sont reformées pour le
de bon aloi qui sait éveiller les applaudissements. combat.
Ces applaudissements, renforcés même de quelques En même temps à gauche de.la ville, devant la
bis, 'ne lui ont pas été ménagés, non plus qu'aux gare, une batterie d'artillerie a pris position.
excellents artistes chargés de l'interprétation et parmi Immédiatement elle ouvre le feu qui, joint aux
lesquels il convient de citer MM. Paul Fugère, Vau- salves de l'iofanterie abritée en partie par les pre-
thier, Lucien Noel, Perrin et Bernard; Mmee Yvonne mières maisons du faubourg Saint-Jean, couvre de
Kerlord, Jane Evans et Richard. N'oublions pas projectiles les mamelons qu'occupe la division fran-
Miles Julia Duval, première danseuse étoile, et Ida çaise.
Briant, premier travesti, qui se sont fait justement De ce côté le colonel: du 66° s'est avancé au galop
applaudir dans le joli ballet du deuxième acte. sur la front de son régiment. D'abord il a donné for-
Et terminons en félicitant M. Debruyère de la char- dre aux éclaireurs de rentrer dans le rang puis d'unp.
mante mise en scène de cet ouvrage, app~lé, selon voix forte, il a commandé
moi, à un durable succès. 1
EN AVANT
Ex. FOUQUET.
Le commandement est répété par les officiers dans
un entre-choquement de notes brèves.
VARI ÉTÉS Les bataillons s'ébranlent.
Au pas de course la ligna des tirailleurs dégringole
des hauteurs, qui sont occupées aussitôt par le gros
des troupes.
Notre distingué collaborateur, M. Quentin-Bauchart,
La fusillade éclate, partant des ravins où se sont
va publier prochainement chez Flammarion un livre fort
curieux, intitulé Fils cl'E~npereur le petit Prince. arrêtés les tirailleurs, tandis que sur la créte des feux
Nous sommes heureux de pouvoir donner à nos lecteurs de salve répondent aux feux dp. salve de l'ennemi.
un des chapitres les plus saisissants « Le Baptême du Tout à coup. la sourde voix du canon entre en
feu. (Sarrebruck, 2 août 1870.)
scène.
LE BAPT~ME DU FEU C'est. une batterie de la division Bataille qui est
venue s'établir en avant du 668 de ligne, le soutenant
Une crête sur la rive gauche de la Sarre dominant de son feu, ripostant à l'artillerie prussienne une
une vallée encaissée, coupée de ravins et de pentes autre batterie, celle des mitrailleuses, est restée en
boisé6S. réserve.
Dans le lointain, de l'autre côté de la rivière, la C'est alors qu'apparaît à cheval l'empereur Napo-
ville de Saarbruck, ceinte de nombreux jardins, offre léon III IJ,ccompagné du prince impérial également à
un aspect pittoresque et riant; un large pont de cheval. Un seul officier d'ordonnance se trouve avec
pierre, jetant une note blanche, réunit la ville prin- eux, l'escorte étant restée à quelque distance.
cipale au faubourg Saint-Jean, situé en amont sur la L'empereur porte l'uniforme de général en cam-
rive opposée. pagne.
Il est onze heures du matin. Un soleil radieux inonde Il paraît souffrant, la démarche alourdie, les traits
la campagne, où des champs d'eeule apparaissent tirés, les yeux creux estompés d'une cernure bleuà-
très jaunes dans la verdure, alternant avec quelques tre.
vignes de peu d'étendue. Le prince a endossé simplement une tunique de
Depuis deux heures environ le combat est com- sous-lieutenant d'infanterie.
mencé. Il est charmant sous ce costume qui mûrit sa phy-
A cet instant l'infanterie prussienne, attaquée de sionomie enfantine, les traits fins, presque efféminés,
l'autre côté des hauteurs, bat en retraite vers la le regard d'une douceur ineffable. De taille plutôt
ville. petite, il semble grandi, aminci en quelque sorte,
Nul désordre dans ses rangs. joyeux, insouciant du danger, enfiévré par l'ardeur
Un officier supérieur monté sur un cheval blanc de la bataille, dans l'enthousiasme de ses quatorze ans.
dirige le mouvement. L'EMPEREUR et le PRINCE IMPÉRIAL s'avancent lente-
La colonne forme un long ruban sombre, aux cas- ment au milieu des soldats, qui les ont reconnus et
ques étincelants, qui atteint bientôt le faubourg qui les acclament.
Saint-Jean et le pont de pierre. Les balles pleuvent à leurs côtés.
L'EMPEREUR suit avec sa lorgnette les moindres dé- (Il ramasse la balle, et la met dans sa poche.
L'officier d'ordonnance,revenantà franc étrier, s'arrête devant
tails des opérations calme, attentif, pas un muscle 1'empereur, et portant la mail à son képi.)
de son visage ne tressaille, tandis que le prince cara- L'OFFICIER D'ORDONNANCE.
vole sur soli, cheval.
Nulle parole n'a encore été échangée entre le père Sire, l'ennemi est repoussé de toutes parts. Voyez
l'avant-garde de nos troupes entre dans Saarbruck.
'et le fils.
Le généra.l Bataille me suit, et va confirmer la vie-
La batterie ennemie a cessé de tirer, rendlle-mue1te
toire à Votre Majesté.
par le feu plus nourri de. l'artillerie française.
On l'aperçoit quitter en hâte la position qu'elle L'EMPEREUR.
occupait et se reporter en arrière, pendant qu'une "C'est bien, monsieur; je vous remercie. Encore un
colonne d'infanterie prussienne, sortant de la ville mot savez-vous si nos pertes sont sensibles?
sur la levée du chemin de fer, essaye un dernier mou- L'OFFICIER D'ORDONN.~NCE.
vement offensif.
L'ordre est donné aux mitrailleuses de larepousser. Nous avons un officier tué, sire, un sous-lieute-
La première décharge jette le désordre dans les nant j'ignore son nom. Je l'ai vu rapporter .tout à
rangs ennemis. l'hPUre. C'est un tout jeune homme il tenait encore
La colonne cherche à se reformer: une nouvelle son épée de sa main qu'il avait gantée de blanc
avalanche de projectiles l'oblige à battre en retraite. comme pour un bal.
Les fantassins prussiens perdent pied devant cet L'EHPEREUR, se découvrant.
ouragan de feu; quelques-uns, malgré les exhorta- Honneur à lui
tions visibles des officiers, s'enfuient à toutesjambes.
Le PRINCE IMPÉRIAL ne peut maîtriser.sa joie et, se L'OFFICIER D'ORDI);\fNANCE.
tournant du côté de son père, il s'écrie avec enthou- On parle également d'une dizaine de soldats bles-
siasme sés; mais l'élan de nos troupes a été si grand quenos
LE PRINCE IMPÉRIAL. pertes sont relativement légères.
Nous sommes vainqueurs Nous sommes vain- L'EMPEREUR.
queurs Les voilà qui s'enfuient Encore une fois, merci, monsieur, pour vos bonnes
L'EMPEREUR NAPOLÉON. nouvelles.
En effet, r ennemi se sauve en désordre. (Il s'assied sur un tronc d'arbre, tire de sa poche un calepin, en
déchire une feuille et écrit sur ses genoux.)
(S'adressant à un officier d'ordonnance :)
Monsieur, portez-vous donc de ce côté, et donnez- L'EMPEREUR ~NAPOLÉOV A L'DlPÉRA TIIICE.
nous des nouvelles, s'il vous plaît. i;Dépëclze ptzrticuliére).
(Tandis que l'officier part au galop, le feu a cessé. A peine en-
tend-on encore du côté de Saarbruck quelques détonations loin- Saarbruck, 2 août,
taines. Louis vient de recevoir le baptême du feu il a été ad-
L'empereur et le prince impérial ont mis pied à terre.
Les troupes de réserve se tiennent en vue, un peu à l'écart.) mirable de sang-froid, et n'a nullement été impressionné.
Une division du général Frossard a pris les hauteurs qui
L'EHPEREUR, enveloppant son fils d'un regard attendri. dominent la rive gauche de Saarbruck.
Eh bien, Louis Le voilà donc, ce baptême du feu Les Prussiens ont fait une courte résistance.
Nous étions en première ligne; mais les balles tom-
que tu désirais tant. Tu t'es fort bien conduit je suis baient à nos pieds.
fier de toi. D'ailleurs je ne te faisais pas l'injure de Louis a conservé une balle qui est tombée tout près de
douter de ton courage. Mais ne te trouves-tu pas lui.
fatigué ?'? Il y a des soldats qui pleuraient en le voyant si calme.
Nous n'avons eu qu'un officier tué et dix hommes
LE PRINCE, fièrement, blessés.
Oh! non, père; je resterai encore à cheval tant NAPOLÉON.
qu'il faudra. (Quand l'Empereur a terminé, il plie le papier, et, faisant signe
L'EMPEREUR. à l'ofticier d'ordonnance.)
Remercions Dieu, mon fils! Nous avons certaine- L'DlPEREUR.
ment l'avantage. De suite, ceci, à l'Impératrice'.
(Il demeure un instant pensif.)
(Survient par la gauche le général de division Bataille, entouré
Repose-toi, en attendant les nouvelles. Ce soir, de son état-major, et suivi d'un escadron du 5e chasseurs à ctie-
nous retournerons coucher à Metz. val, ayant à sa téte le colonel de Seréville.)
,r"¡!I' 'l,
LE LIO~1 D'ANDROCLÈS; par GÉRÔMK. Gravure de CROSBIE.
Le sculpteur Gérôme, dont 'le goût particulier Je marchais, brÔlé par les rayons ardents du
«
pour les grands félins a produit maints chefs- soleil, lorsque je trouvai sur ma route une ca-
d'œuvre, vient de terminer un petit groupe en verne isolée et profonde; j'y pénétrai pour me
bronze, que nous reproduisons ici. C'est la calme reposer, mais à peine y étais-je entré que je vis
soumission reconnaissante d'un superbe lion, ce lion qui m'avait suivi; une de ses pattes était
celui dit d'Androclès. L'aventure date du com- toute sanglante, il marchait avec peine et faisait
mencement de notre ère, et c'est d'après les entendre de sourds gémissements, paraissant en
récits égyptiens de l'érudit Apion, vivant vers proie à une violente douleur. A cette vue, l'épou-
l'an 130 de J.-C. qui prétend en avoir été le vante me saisit. Mais dès que le lion fut entré
témoin oculaire, que nous allons la rappeler. dans la caverne qui était, comme je le vis bien-
Un jour, dit-il, me trouvant à Rome, j'eris la tôt, son repaire accoutuméet qu'il m'eut aperçu,
curiosité d'assister, au Cirque, à une grande me cachant au fond, il s'approcha doucement et
chasse donnéecomme divertissementaupeuple; se coucha semblant implorer mon secours, en
il s'agissait de mettre ,aux prises un certain me tendant sa patte que je pris, quoiqu'en trem-
nombre de condamnés, avec la férocité d'ani- blant; j'en arrachai une grosse épine qui s'y était
maux sauvages affamés. Parmi ceux-ci, on dis- enfoncée, j'en fis sortir le sang corrompu, enfin,
tinguait un lion de grande taille dont les bonds de plus en plus rassuré, et m'appliquant avec
rapides, le rugissement terrible et la crinière soin à cette opération, je parvins à purifier et à
flottante frappaient d'étonnement les spectateurs sécher entièrement la plaie. Alors le lion, sou-
et attiraient anxieusement tous les regards. On lagé et délivré de ses souffrances, s'endormit en
introduisit les malheureux qu'on livrait sans, laissant sa patte entre mes mains.
défense aux bêtes, sous le prétexte de les com- « Depuis ce jour, nous vécûmes ensemble.
battre. Pendant trois.années, nous habitâmes tous deux
Au nombre des victimes,vouées à cette cruelle la même caverne.
mort, se trouvait un esclave nommé Androclès. « Au retour de ses chasses, le lionm'apportait
Aussitôt que le lion, après les premiers bonds les meilleurs morceaux des proies qu'il avait
d'une joie féroce, aperçut cet homme, il s'arrêta saisies. Ne pouvant m'habituer à ce régime, je
comme saisi d'étonnement, puis il se dirigea vécus de rares herbes très difficilementrecueil-
vers lui avec lenteur, en le regardant fixement et lies.
arriva ainsi à se frotter contre son corps, d'un « Çependant,m'étant lassé de ce genre d'exis-
air soumis, comme un chien qui flatte son mai- tence, pendant que le lion était à la chasse, je
tre il lécha les pieds et les mains du malheureux m'éloignai de la caverne.
à qui la frayeur du premier attouchement avait « Après trois jours de marche, harassé de fati-
presque ôté le sentiment. gue, je fus aperçu par une troupe de soldats; ils
Cependant Androclès, en se sentant ainsi s'emparèrentfacilement de moi. Ramené à Rome,
caressé par le terrible animal, revint à lui et je parus devant mon maitre sur-le-champ; ilpro-
s'enhardit à regarder le lion. Alors, il se fit entre nonça mon arrêt de mort, me condamnant à être
eux une mutuelle reconnaissance, et l'homme livré aux bêtes vous venez de voir combien mon
et le lion se témoignèrent l'un à l'autre la joie compagnon du désert, joyeux de retrouver son
la plus vive. ( bienfaiteur, m'a témoigné sa reconnaissance. »
A cet émouvant spectacle, l'assemblée entière Tel est, suivant Apion, le récit d'Androclès.
éclata en applaudissements, et aussitôt César, Aussitôt on écrivit son aventure sur une tablette
ayant ordonné qu'on lui amenât l'esclave, qui qu'on fit circuler parmi les spectateurs.
venait ainsi d'échapper à la mort, lui demanda àu A la demande de tous sa g râce lui fut accordée
quelle cause il devait de sortir vivant du çirque et, en outre, le peuple voulut qu'on lui fit pré-
c'est alors qu'Androclès raconta son étonnante sent du lion.
aventure. Je le vis ensuite, ajoute l'auteur, tenant 'son
« J'étais, dit-il,
esclav'e du proconsul gouver- lion attaché par une faible courroie, se prome-
neur de la province d'Afrique; les coups et les ner dans les rues de la ville; le public se mon-
mauvais traitements dont on m'accablait chaque trait généreux à son égard, on jetait des fleurs
~AA.
jour, sans raison,me forcèrent àprendre la fuite. au lion et l'on s'écriait de toutes parts « Voici
Afin d'échapper plus sûrement aux poursuites le lion qui a.donné l'hospitalité à un homme;
d'un maître à qui toute la contrée obéissait, voici l'homme qui a guéri un lion! »
j'allai chercher une solitude inaccessible parmi E. DUHOUSSET.
les sables du désert, résolu d'en finir avec la vie
de quelque manière, si je venais à manquer de Qui n'a pas de coeur étant jeune n'en a jamais. Le coeur
nourriture. n'est pas un fruit d'hiver il ne pousse pas dans la neige.
LtES UlTnAUX DE T1~IELt
.1' 1:
Si la place ne
se débrocher et,
ouvrant leurs ai- nous était mesu-
les, chanter haut rée, nous eussions
'et clair devant la étudié et admiré
rôtissoire. cnsemble les au-
Le juge dit tres grandes ver-
Ceci estélon- rières de Triel.
nant. Allez les voir,
sortit et ap-
Il vous en reconnai-
pela les prêtres trez les motifs
avec lesquels il saint Nicolas et
alla à la potence. les petits enfants
Le fils était là- dans le saloir;
haut, balancé dans saint Nicolas do-
l'air, plein de san- tant une pauvre
té et de joie. On fille, en foi de
ae dc~crocha. quoi il est l'esk
Le coq' et la le patron des jeu,
poule furent mis nes filles; 5ainlt
à l'église où ils Nicolas se levant,
vécment sept ans. à~é de deuY jours,
A leur mort, il dans sa cuve bal~-
vintonne saitd'où tismale; saint Ni-
un autre coq et colasapaisant une
une autre poule tempête; saintMa-
'semblables, qui tliurin chassan t d u
~7i'~eurent sept ans. corps de l'impcra-
Le couple se re- trice Théodora.
nouvela ainsi par d'Autriche le dé-
.septennat. Lucius mon qu'on voit
Marincus, auteur s'enfuirenfumée;
sicilien, les a vus voyez et recon-
et a rapporté de naissez aussisaint
leurslilumes.ilfais Saint Martin et saint Sébastien. Roch,saintMartin,
les Bollandistes, saint Sébastien.
-d'tine critique plus sévère, repoussent cette der- La grande Verrière de la Mort de la Vierge est
nière circonstance comme fabuleuse. un don d'une commune voisine, au xve siècle
Voilà le fait que raconte le maânitique vitrail comme le constate l'inscription
,de Triel, en quatre images d'un art exquis. Les
LES HABITANTS DE CHE l'ER-
petites compositions sont d'une ordonnance, CHE310\T ONT FAIT CET
d'une invention, d'un éclat, d'une proportion qui VITRE ICY POSER.
forcent l'attention et l'admiration. LIEU LES GARD DE E-
Le, sujet, quelque attrayant qu'il fût, n'a pas 'fERc;ELLE ASCOI551: LES
'été fort- souvent traité, ou du moins il en reste FAISANT A1'ECQUE:; Ley
peu de monuments. Le plus complet est un tryp- REPOSER.
tiflue de Frasne-lez-Buissenal, en Belgi'lllc, qui Ut Vierge est étendue sur un yrànd lit ù bal-
rlaquin. Les apôtres l'entourent; ils ont,été mira- une grande réputation dans ce genre, en peignant
culeusement transportés sur les nuées, de tous les verrières de Beauvais..
lés points du globe où ils étaient dispersés. Celles de Triél valent mieux que l'oubh çù les
C'est 'l'Ilbsoute. Saint Pierre donne l'eau bénite. laisse la Commission des monuments h1stori--
Un apôtre tient la croix processionnelle;unautre ques. L'~lrbre de Jessé, le MarGy7·e de .sai.nt~Sébas-
balance l'encensoir. La Vierge a les mains jointes, tien, la Vie de saint Nicolas, le Vitrai.l ,de"sainC
la tête au'réolée, la figure extatique, elle se re- Jacques, la Mort de la Vierge, l'Entrée à' fé?IU71-
pt>rte au temps où tous ces vieillards apÔtreS: salem,le Repas de Jésus chez Simon le Pharisien~
étaient les compagnons de son fils encore vivant. la Gruci j~~ion, voilà, pour ne parler que des prin-
On oublie trop la, Vierge, unefois faite la cruci- cipaux~ un lot de chefs-d'oeuvre admirables par
fixion. Elle a vécu pourtant, entourée des amis la sûreté du desslIL, le mérite de la composition.
de son fils, les tons chauds et flamboyants du coloris. Ce-
Le vitrail dé Triel est fort beau; d'une compo- sont de splendides tableaux sur verre, lumineux,
sition heureuse, de tons exquis, d'un ;effet impo- éclatants, -diaphanes, tout vibrants de. couleurs.
sant 'sans tristesse. chaudes et dorées, comme si le soleil yaccro'-
On pourrait lui comparer un dessin qui est au chait ses rayons en teintes diaprées et variées.
musée de' Bâle, fait au zme siècle par le maître Ces 'rouges, de flammes, ces verts éblouissants et
peintre Hans Baldung Grien, la Mort de la Vierge_ séduisants, ces -ors, ces aciers, ces mauves indi-
Celle-ci à.les yeux clos; elle est étendue sur le cibles, tout cela poudroie, fulgure, flamboie'dans
lit; les apôtres l'entourent, lisent les prières; l'air muminé.
apportent l'encensoir, l'eau bénite. Deux gros Et, tandis que les rayons teinté5 que tamise le
ciergès brttlent au premier plan. Le dessin de vitrail vont frapper de leurs reflets rosés les cha-
Baldung est d'un réalisme qui amoindrit l'effet piteaux sculptés et les dalles tumulaires, dans le
et qui gâte l'émotion par le menu pittoresque. grand.silence de la nef, les vers de llérédia chan-
Mais l'ordonnance, en est excellente, car malgré tent doucement
le grand nombre des personnages, la Vierge oc- Cette -verrière
àl'aise toute seule le premier plan. a vu dames et hauts barons
cupe très et Étincelants d'azur, d'or, de flamme et de nacre,
Elle est moins en vedette dans le vitrail de Triel; Incliner, sous la dextre auguste qui consacre,
le plan est plus confus. Mais c'est la joie du L'orgueil de leurs cimiers tt de leurs chaperons
peintre de contempler ces tons dorés, flam- Lorsqu'ils allaient au bruit du cor et des clairons,.
boyânts, chatoyants, qui poudroient et qui cares- Ayant le glaive au poing, le gerfaut ou le sacre,
sent l'œil.. Yers la plaine ou le bois, Byzance ou Saint-Jean-d'Aer4
Il faut admirer aussi le Repas chez Simon le Partir pour la croisade ou le vol des hérons.
Pharisien. Dans une salle splendide, le Christ est Aujourd'hui, les seigneurs auprès des châtelaines
assis sous un dais richement paré devant la table Avec le levrier à leurs longues poulaines,
servie qu'entourent les apôtres. Au premier S'allongent aux .carreaux de marbre blanc et noir;
plan, ,la Madeleine, vêtue d'une robe à reflets Ils gisent là sans voix, sarisge~te et sans ouïe,
d'or; verse des parfums sur les pieds de Jésus. Et de leurs yeux de pierre ils regardent sans voir
Au fond, le portique s'enfonce et s'arrondit en La rose du vitrail toujours épanouie.
hémicycle, donnant l'impression d'une riche de- LÉo CLARETIE.
meure.. Par la gauche arrivent des valets portant
des plats. Par la droite entre Judas dissimulant
sa bourse d'argènt. Le siège de Jésus est tendu
d'étoffe rÓugeà griffons 'ailés affrontés. Les apô- PLANEAIES DANS L'JIERBE
tres font le~ geste de reprocher à la Madeleine sa
prodigalité, ut quid p~erditio h~c
Le détail du mobilier et de l'ornementationest Les coudes dans l'herbe; le nez
intéressant pour l'histoire des mœurs; la nappe Chatouillé de brindilles folles
est damasquinée; chaque convive a devant'lui Et le-regard aiguillonné
une assiette, un couteau et un morceau de pain. Par le manège des bestioles,
On voit le plat de poisson, qui est à peu près Un monde dans cet horizon
touLmangé, et la saucière. Il n'y a qu'un verre Se révèle à moi brins de mousse,
pour tous. L'aiguière de métal pose sur le dal- Plantes,insectes on gazon,
Tout grandit à. mes yeux, tout.pousse
lage.
La richesse de la décoration, le fini mer- Un amas d'herbe est bois couvert,
veilleus des figures, toutes expressives, l'har- Un serpent naît d'un ver immonde
monie des teintes font de cette belle et grande Nouveau Colomb, j'ai découvert
Mon petit coin de Nouveau Monde.
composition un des chefs-d'oeuvre de fart ver- DAUPHIN.
HONORÉ
rier au xm° siècle. Jean le Prince, qui fit la plu-
part de cesvitraux, fut un grand artiste vitraillier.
Son père, Engerand le Prince, s'était ,déjà fait
t.t~,o~me'- uiruc:J"e
Voici~ plus fort que l'histoire de la demoiselle Après avoir subi l'opération qui le: débarrassait
aux aiguille& dont la presse s'occupe passionné- de quarante épingles, le jeune Harrison n'atten-
ment depuis quelquesjours. dit que son rétablissement pour se 'livrer de
Le monde médical d'Amérique se trouve en nouveau à son inexplicablefolie. Un joi.ir, il avait
face d'une énigme dont il a vainement cherché cassé un verre à lampe et fut puni par'sa mère.
jusqu'ici à devinerle secret. Ce problème scienti- Pour se venger, il avala les fragments.de verre.
:fique qui trouble et déroute les savants leur est Comme il n'éprouvait aucun malaise,le lende-
apparu sous les traits d'mfjeune homme aujour- main il complétait son repas par plusieurs clous
d'hiJi âgé de vingt-quatre ans, dont l'extérieur ro- rouillés. Quelques mois plus tard, il se sauvait de
buste et florissant n'accuse rien d'anormal, et qui, la maison paternelle et allait se joindre à unc.ir-
cependant, est un être humain unique sous le que ambulant dont il ne tarda pas à devenir l'at-
soleil. Son étrangeté consiste à manger du fer, du traction, en exhibant ses singuliers talents gas-
verre, de l'acier, de la porcelaineet autres matières tronomiques.
de.même nature avec autant d'appétit que nous Avant de montrer en public son singulier appé-
nous délectons d'un bon bifteck ou d'un beau tit, Harrison fait un copieux repas de nourriture
fruit. Ce goûtplus que bizarre qui le rapproche de farineuse. Après chaque série de clous, de verre
l'autruche lui a valu le sobriquet d' « homme-au- ou de canifs, il boit un grand verre d'eau, et à
truche », et c'est sous ce surnom-là qu'il est connu la fin du menu, il prend uri autre repas sera-
aux États-Unis où il s'exhibe dans les différentes blable au premier.' Les parois de son estomac
villes et excite une stupéfaction sans bornes. étant ainsi protégées par ce capitonnèment
Le véritable nom du phénomène est Henry farineux, il évite le danger d'être blessé par les
Harrison; il est né à Syracuse, aux États-Unis. pointes.
D'après le .portrait qu'en donne le St~·and Maga- Une autre circonstance bien remarquable en-
zine, c'est un beau jeune homme de taille core est que le gosier n'a jamais été ni coupé, ni
moyenne, mais de carrure athlétique, Il est d'i1ne égratigné par le passage de ces objets dangereux.
force physique prodigieuse et possède des mus- Harrison est.considéré par le monde médical
cles de- fer, grâce, peut-être, à la formidable des États-Unis comme un prodige inexplicable.
quantité de ce métal qu'il consomme. Une autre Il a été invité par toutes les Écoles de médecine
particularité de cette constitution peu commune d'Amérique dans le but d'être observé, et il s'est
est de pouvoir remuer chaque muscle à part, toujours mis de bonne grâce à la disposition des
sans qu'aucun membre bouge, faculté due à une savants. Mais aucun n'a pu expliquer son cas. De
remarquable énergie musculaire. En voyant la nombreuses hypothèses furent émises et de viô-
structure splendide de Harrison, on pourrait lentes polémiques firent rage d'ans les colonnes
croire qu'il est un fervent des violents exercices de la presse médicale, tout cela sans résoudre le
physiques, eH 'on apprend avec étonnement qu'il problème. Neuf fois déjà, Harrison s'est prêté au
ne s'est jamais livré à aucun sport et qu'il se bistouri des plus éminents chirurgiens, et son
contente de faire journellement quelques courtes corps est-criblé de cicatrices. La dernière opé-
promenades.
C'est à l'âge de six ans que la vocation
peut l'appeler ainsi du jeune Harrison se ma-
si on
ration à laquelle il s'est soumis fut pratiquée au
cou pour permettre au médecin d'examiner la
gorge. Mais le corps de l'homme-autruche,n'a.pas
nifesta pour la première fois. Un jour, il avait livré son secret.
avalé une épingle ne se sentant pas incommodé, Quant à Harrison lui-même, il ne trouve pas
il s'amusa à en avaler plusieurs autres. La mère, son cas si surprenant et il prétend car il en
effrayée, fit venir le médecin qui réussit à extraire est convaincu que tout homme bien constitué
trois épingles. Intéressé par le cas, il offrit cin- pourrait, en s'entrainant, en arriver là. Il dit
quante dollars à la mère pour obtenir d'elle l'au- aussi que la nourriture est une affaire de goût 'et
torisation d'opérer l'enfant. A cette occasion, il qu'il aime beaucoup lesplous rouillés; I:JOUfcequi
retira de l'estomac du petit quarante autres épin- est du verre cassé, c'est un vrai régal. Malgré ces
gles. Persuadé que l'enfant, victime d'une dispo- déclarations et son exemple, Harrison n'a pas
sition si dangereuse, ne vivrait pas longtemps, encore rencontré d'imitateurs.
ce médecin promit à la mère la somme de deux La plus iritéressimte exhibition de 1'lionihie-
cents dollars pour le corps de son fils, quand autruche fut, sans conteste, celle qui eut-lieu
celui-ci viendrait à mourir. Il y a dix-huit ans de l'année dernière au collège médico-chirurgie al
cela, et Henry Harrison non seulement vit et se de Philadelphie pendant une fête. Après que les
porte bien, mais il n'a jamais été malade et ne invités se furent réconfortés à un banquet somp-
connait l'indigestion que par ouï-dire. tueux, voici le menu que dégusta Harrison
devant une assemblée de sommités médicales et le dessert le plus extraordinaire qui fût jamais
d'élèves servi deux canifs à manche d'os furent apportés
Quarante petits clous à tapis. sur une assiette. Harrisson les ouvrit et séparant
Six morceaux de verre cassé. avec ses dents les lames du manche, avala ces
Vingt laites. dernières. Trois fines lames de. canif prirent en-
Un pot au lait en morceaux. suite le même chemin, et le dîner était terminé.
Six. clous de fer à cheval. L'assemblée fut littéralement pétrifiée d'éton-
Cinq vis.. nement et plusieurs savants professeurs crurent
Un verre à lampe en morceaux. avoir affaire à un habile prestidigitateur. Leurs-
De l'eau. doutes se dissipèrent bientôt, car le Dr Nihram
Desse~·ts.
Kassabian photographia, au moyen des rayons X,
Deux canifs en os, l'intérieur de l'estomac de Harrison; lorsque le
Trois fines lames de canif. négatif fut développe,, une tache sombre était
Harrison avala les quarante petits clous à visible dans l'abdomen c'était l'endroit où le
tapis sans la moindre hésitation, mais non sans repas de Harrisson se trouvait entassé. La preuve
une.certaine méthode. Une seule fois, pendant était irréfutable et les plus sceptiques f~rent
sa carrière déjà ~ongue d'homme-autruche, il convertis; mais le pauvre homme-autruche paya
s'était senti indisposé par un paquet de clous cher sa réhabilitation. Les rayons X lui brillèrent
qui s'était logé dans les organes digestifs et avait si cruellement l'estomaé, qu'il en resta malade
dû être enlevé par une opération. Depuis, Har- pendant.des mois.
rison prend des précautions et procède métho- Harrison possède toute une collection de
diqu,ement il place l'objet sur sa langue, avec manches à canif dont il a consommé les lames et
la pointe en avant, et l'avale ainsi sans difficulté. c'est avec orgueil qu'il montre ces trophées aux
Le verre cassé est son plat favori, et c'est vrai- visiteurs. Aussi ne peut-on pas lui faire un
ment miracle que son gosier ne soit pas lacéré cadeau plus agréable qu'un canif. Son étonnant
par les,c~tés:tranchants des débris: 'estomac résiste aussi bien aux poisons les plus
Après avoir vivement expédié les vingt lattes .violents qu'au métal et au verre il a plusieurs
sans' importance; Harrison s'attaqua au pot au fois pris de grosses dosés de strychnine sans
lait qu'il fit disparaître comme par enchantement ressentir aucun effet fâcheux.
et ce- fut.le tour des six clous de fer à cheval. Devant ce phénomène de digestion miracu-
Ces objets formidables' avaient huit centimètres leuse, que pensent nos estomacs civilisés qui,
de 16ne~ et de grosses têtes en forme de pyra- pour un noyau de cerise avalé, redoutent l'ap-
rriide; pour les consommer,. Harrison' en re- pendicite?
courba les poiIitesen crochets et les avala, le Tu. MANDEL.
crochet en avant. Puis, vinrent les' cinq vis de ~s~zas,ax~
cinq çentipnètres de long; additionné'es d'un verre
.~x,s~s.a. ~xs~ a
Le présent est le moment qui n'appartient plus à l'es-
à lampe dont l'homme-autruche disposa comme pérance et pas encore au souvenir. X. DE MAISTRE.
aurait fait un enfant d'un biscuit. Là-dessus, il Il arrive souvent que l'ignorance inspire de la hardiesse
but un grand verre d'eau, et finit son repas par et que le savoir est cause de la timidité,
et ouvrages ayant trait aux colonies et posses- nage, à l'Ophir, nous croyons intéressant de
sions britanniques. passer en revue la flotte des {( palais à vapeur »
Les appartements privés comprennent, outre que se sont fait construire la plupart des souve-
le grand salon que nous venons de décrire, deux rains.
chambres à coucher, blanc et or pour la du- Et, pour commencer par notre ami et allié,
chesse d'York, vert nil pour le duc, u,ncabi- nous parlerons d'abord d,uSta~a~lard, le yacht du
net de travail, un boudoir et un salon-fumoir. tsar, qui, d'ailleurs, avant l'Oplair, tenait la pre-
Inutile d'ajouter que ces diverses pièces, éclai- mière place dans la catégorie des navires impé-
rées et ventilées électriquement, sont meublées riaux ou royaux.
à l'anglaise avec ce souci du confort élégant qui Etitièrementen acier, ce bateau d'une silhouette
caractérise les installations de nos voisins d'ou- très gracieuse, mesure 112 mètres de long et
tre-Manche. t5ID ,30 de large. Gréé comme un schooner à trois
Presque tous les tableaux, portraits, groupes tnâts, il est divisé en cinq compartiments étan-
photographiques, ainsi que la plupart des meu- ches et comporte des quilles latérales destinées
bles qui ornent les appartements royaux de
l'Ophir, proviennent de York-House, la magni- 5247
fique résidence non loin de Sandringham, du
futur roi d'Angleterre.
tonneaux.
à amortir le roulis. Son déplacement, est de
PÉROUSE
Pérouse est certainement moins visitée que lontiers aux « capitales ». Pour eux Rome,
Turin. Elle partage le sort de ces petites villes Naples, Florence, Venise, Gênes et Milan, c'est
des bords de l'Adriatique ou de la Toscane qui, l'Italie, c'est toute l'Italie! Mais Sienne, Ravenne,
'n'étant pas sur les grandes lignes, sont délais- ',Órvieto, Ferrare, Arezzo, par exemple, n'ont
'sées par la plupart des touristes. Elle n'entre pas d'attrait que pour le voyageur averti qui sait
,dans les itinéraires classiques qui, pour des rai- d'avance combien ces antiques cités sont riches
-sons de temps ou d'économie, s'en tiennent vo- de souvenirs, d'ceuvres d'art de toutes sortes
,dontla vue et la contemplation le dédommagera du .pittoresque et de l'agrément Ce qu'on n'a pu
des « crochets », quelquefois longs, qu'il est supprimer ou atténuer, c'est l'impression de
obligé de faire. surprise et de joie qu'on éprouve, à l'arrivée,
Parmi ces « provinces lointaines qui vivent en découvrant Pérouse. Vous voyez là-haut
ainsi à l'écart, dans la fière solitude de paysages trônant sur un ¡hémicycle de collines; qui domi-
incomparables, et qu'on ne peut connaître sans nent la vallée du Tibre, une ville toute ,blanche
les aimer, je n'en sais pas de plus séduisante que dont les tours et les clochers se dressent sur un
Pérouse. On n'y entre pas de plain-pied .de la ciel lumineux. Comme les anciennes citadelles
gare, il faut y monter par une large route, aux étrusques, comme Orvieto, Sienne, Volterre"elle
nombreux lacets d'une amplitude majestueuse, est bâtie sur une hauteur dans une position
que parcourt maintenant un tramway électrique. solide, mais elle ne parait pas à l'étroit, ainsi
~On a ainsi abrégé la longueur du trajet, qui 'lue le sont ces dernières. Elle s'étend à son aisp,
prenait près de trois quarts d'heure, aux dépens et son aspect est engageant.
C6tte- première ..impression, un séjour à Pé-
rouse ne peutque la fortifier et l'enrichir. Je ne
parlerai pas des, moments exquis que l'on y
CHANSON DE ROUET'
Tout est joie et resplendissance
11 r
passe,: soit au.musée; soit au Collegio del Canabio Au doux instant de la naissance;:
(l'ancienne chambre de commerce) devant les Sur ta tête, frêle arbrisseau,
tableaux de l'école ombrienne et les calmes et L'âme attentive au cher berceau,
Veille ta mère, ton bon ange.
douces peintures du Pérugin. Il serait téméraire Tisse au printemps le premier lange,
de le tenter dans ces quelques lignes rapides. Tourne, ma roue, à ton devoir,
Mais la ville vous plaît par sa propreté, ses rues Le soleil point, voici l'espoir;
montantes, ses palais massifs et sévères. Chemin Nos jours s'envolent dans l'espace
Et le.fil court et le fil passe.
faisant vous rencontrez en descendant vers l'Uni-
versité, qui est un an'cien couvent, l'arc d'Aogoste Tout est ardeur et folle ivresse
Quand vient la fète de jeunesse,
dont les blocs imposants et bien romains témoi- Ayant pour pilote le cœur,
gnent d'un passé relativement récent, par rap- On boit la divine liqueur
port à l'origine étrusque de Pérouse. Plus mo- Et vers l'idéal on fait voile.
derne mais non moins curieux est l'arc de Tisse à l'été le léger voile,
l'amande ~Arco della mandolla) dont l'ogive Tourne, ma roue, à tour de tour,
Le soleil croît, voici l'arriour
fine et hardie découpe et orne l'entrée d'une Nos jours s'envolent dans l'espace
ruelle où passent des bœufs blancs, superbes, Et le fil court et le fil passe.
avec les longues cornes, presque droites, comme Tout est solitude et tristesse,
on les voit sur les médailles du temps de Vir- La ride vient et la vieillesse;
gile. Au hasard des promenades par la ville, Rien n'est plus qu'amertume et fiel,
La ruche, déserte, est sans miel,
vous jouirez d'échappées admirables sur le pays Dans l'âtre le feu se consume.
environnant, mais nulle part la vue n'est aussi Tisse à l'automne un chaud costume,
étendue que du Giardino del Frorctone ou de la Tourne, ma roue, à petit bruit,
terrasse de la Préfecture. Le spectacle est mer- Le soleil fond, voici la nuit.
veilleux, inexprimable devant vous l'horizon Nos jours s'envolent dans l'espace
Et le fil court et le fil passe.
fuit à l'infini.C'est d'abord la vallée du Tibre, puis
Tout est regret et décevance,
un moutonnement de coteaux où l'ombre et la Hors le ciel il n'est d'espérance;
lumière se jouent en nuancés rosées et bleues. C'est la fin, le dernier écueil,
A gauche se dressent les masses sombres de On se parle bas sous le seuil,
l'Apennin et, au pied du Subasio, vous apercevez On psalmodie au sanctuaire.
Tisse à l'hiver un blanc suaire,
une tache claire c'est Assise. Ce tableau, quel- Tourne ma'roue, au gré du sort,
que grandiose qu'il soit, a cependant la douceur Le soleil fuit, voici la mort.
de ces toiles des peintres ombriens et toscans Nos jours s'envolent dans l'espace
,qu'on ne se lasse jamais de revoir. Et le fil rompt et le fil casse.
JOSEPH GALTIER. JULES DE MARTHOLD.
L'enceinte d'Ell\1ansollrah,
Et Mansourah la Victorieuse, son histoire est Lé sultan mérinide, pour supporter plus aisé-
déjà sa description. C'est, en effet, pendant les ment les fatigues du siège, pour en occuper aussi
deux célèbres sièges de Tlemcen, au, XIVe siècle, les loisirs, sans doute, imagina donc de faire
que cette cité, fondée par l'envahisseur, s'est construire, pour lui, son armée et son nombreux
développée et a grandi. personnel, sur l'emplacement du camp, bien
Voici, brièvement retracés, les événements tels abrité et ombragé, une ville tout entière, une
que les racontent les historiens arabes, notam- grande cité, protégée par une enceinte de mu-
ment Ibn Kaldoun et Mohammed el Ténessi (1). railles et de tours.
De temps immémorial, les Mérinides et les C'était El Mansourah la Victorieuse, la « ville
Abd-el-ouadites, ou Béni Zeiyan, sultans de Fez et neuve ». Cette nouvelle Tlemcen, l'envahisseur,
de Tlemcen, étaient en rivalité. dans sa haine, l'avait destinée à remplacer la
C'est en 698 de l'hégire (1299 de notre ère), capitale, la reine du Maghreb, le jour. où celle-ci
l'émir mérinide, résolu d'en finir avec Tlemcen, tomberait en son pouvoir..
entreprend ce siège fameux dont les légendes Abou Yacoub s'appliqua donc à doter EI nlan-
des conteurs tlemceniens ont conservé le sou- sourah de tous les éléments de prospérité de
venir toujours vivant après six siècles. manière à en faire une grande capitale.
Abou Yacoub « entoure la ville avec son armée De fait, la renommée de cette nouvelle cité
.ainsi que le halo entoure la lune ». s'étendit rapidement au ,loin. Elle prit un accrois-
sement extraordinaire.
'(1) Io:s KIIALDOUN, llisfoiue des Berbères; MOIIANINIED EL
TENESSI, Histoire cles Beni-Zeiyan; J. Leoms AFRICANI (le
Finalement, le sultan de Fez y transport sa
!otius _4J>·ic.e (lesci,iptioize; 13ERGia, Ilistoi~·e de Tlerrtcea. cour. Une armée d'artistes, architectes ou-
vriers, travaillait sans relàche à l'embellisse- taure. De là. il harcèle sans répit les assiégés,.
ment d'El Mansourah, palais, jardins, mosquée dont la résistance est énergique.
même. Finalement, l'assaut est ordonné sur plusieurs-
Le sultan Abou Yacoub. et ses soldats faisant points à la fois. Tlemcen succombe le Ri ram-
ainsi la guerre « les pieds à l'âtre », le siège dan 737 (mai 1337). Ce second siège avait dm'é'
pouvait indifféremment se prolonger; ce n'était 20 mois.
plus qu'une' distraction Les derniers braves s'étaient massés au palais-
Chez les assiégés, la situation devenait atroce. du Méchouar bâti par Yarmoracen, près de la
L'épidémie et la disette avaient raison de ceux tour qu'on appelle actuellement tour de l'hor-
que les flèches et les boulets des catapultes ne 10ge.Abou Tachfin les commandait;il fut blessé
réussissaient pas à exterminer. La famine se fit puis décapité, et la ville livrée au pillage. « Cecy
si intense, au dire des historiens, que l'on en feut la seconde entorce que receut Tlemcen. »
vint à manger les cadavres des chevaux, chats, La dynastie mérinide ne conserva Tlemcen
chiens, rats, serpents et même, assure-t-on, de que pendant2:! ans (1337 à 1359)..
la chair humaine. Abordons maintenant la description propre--
Jean Léon l'Africain raconte que les assiégés, ment dite de ces imposantes ruines (1).
affamés et désespérés, étant venus en foule faire La légende arabe veut que la ville d'El Man--
entendre leurs lamentations sous les murs du sourah tout entière, enceinte et monuments.
palais du Méchouar, le sultan « leur lit voir ait été édifiée par le. Abou Yacoub en une seule
quelles étaient les viandes appareillées pour son nuit, avec l'aide des génies, s'entend.
souper, qui furent reconnues pour chair de Lors du second siège et durant les vingt mois-
cheval cuite avec de l'orge et des feuilles d'oran- qu'il se prolongea, le sultan noir eut tout le
ger, tellement que la souffrette du roi fut jugé e temps de relever El Mansourah et de l'embellir-
beaucoup plus grande et urgente que celle de la C'est d'alors que date le minaret de la mosquée.
plus infime et misérable personne de la cité ». 'Cette restauration ne servit guère, car lorsque
Le siège durait depuis huit ans et trois mois Abou Hammou II eut, en 1359, reconquis son.
un millier de combattants survivait à peine. Il royaume, il s'acharna, dans son ressentiment, et
restait du blé pour dèu,¿jours, la situation était aussi par peur d'un nouvelle incursion de l'en-
désespérée. nemi, à anéantir l'œuvre de l'envahisseur. El
Abou Zeiyan dit alors son frère Abou H'am- Mansourah fut frappée d'un arrêt de destruction.
mou « Attendons encore trois jours et peut- Elle n'avait pas vécu trente ans.
être qu'après tant de malheurs, Dieu pourvoira Si l'on songe que les débris qui subsistent
à notre délivrance, puis nous ferons une sortie et encore forment les plus beaux restes de l'art
combattrons jusqu'à la mort. » sarrasin de cette époque, l'on comprend qu'il.
Ce jour même, le sultan mérinide Abou Yacoub faille regretter profondément, au point de vue
fut assassiné dans sa tente par un esclave. artistique, cette destruction systématique. Le.
Ce fut, pour cette fois, le salut de Tlemcen. peu que les hommes aient épargné, le temps,.
Pressé de retourner au Maroc pour réprimer un six siècles écoulés, s'en' est chargé. Et cepen-
soulèvement qui mettait en jeu sa couronne, dant, malgré tout, ces ruines conservent encore
Abou Thabet conclut un traité de paix avec Abou une majestueuse grandeur. Le minaret, notam-
Zeiyan, levà le siège et se retira, lui et son armée, ment, est d'ans un état de conservation qui sur-
d'El Mansourah (706 [1307)): Il obtint toutefois passe notablement celui des monuments sem-
que la « ville neuve » serait respectée, elle et ses blables d'Afrique et d'Espagne il est loin d'être
monuments: aussi défiguré qne le célèbre Giralda, de Séville,.
Sept ans dé paix suivirent alors. Lorsqu'en7H L'enceinte d'El Mansourah, dont on peut sui--
(13H) les hostilités recotnmencèrent, le sultan vre parfaitement les traces, offre un développe-
de Tlemcen s.'empressa de faire démanteler l'en- ment pétimétrique de plus de 4 kilomètres,
ceinte d'El Mansourah, de crainte que l'armée exactement 4095 mètres. L'espace qu'elle en-
ennemi ne s'y reiranchât de nouveau. On ne fermé, en forme de trapèze, présente une su-
porta cependant aucune atteinte à la mosquée. perficie de 101 hectares, parsemée de nombreux
Mais l'empire mérinide subit alors pendant débris de constructions importantes.
quinze ans une crise très violente. Abou l'Hacen, Cet énorme rempart, bâti en blocs de pisé jau-
le fameux Sultan noir des légendes populaires, nâtre, sorte de béton résistant à l'égal de la
prend enfin les rênes du gouvernement. Dégagé pierre, percé de quatre portes orientées aux
de toutes ses préoccupations, il forme le projet quatre points cardinaux, est presque totalement
de marcher sur Tlemcen où règne alors Abou détruit sur les côtés Sud et Est; la face Nord
Tachfin. est mieux conservée, mais c'est le côté Ouest,
Cinq ans il se prépare. Vers la fin de 735
(août f335, trente ans après le premier siège), (1) Outre Ibn-Khaldoun, voyez CH. BROSSELARD, Revue
Africai~e, 1859 p. 331; DUTHOlT, Archives des naiasions
il arrive à Tlemcen et recommence l'investisse- scienti~ques, 1813, p. 305; AllY RENAN, Gazette des Beaux-
ment. Il se réinstalle à El Mansourah qu'il res-. Arts, 1892, p. 383.
à peu près intact, représenté par notre photo- pour expliquer la bizarrerie de ces ruines. Abou
graphie prise de la route de Sèbdou, qui permet l'Hacen, le Sultan noir, n'eut pas plus tôt conçu le
le mieux. de se rendre compte de l'importance projet de bâtir ce minaret, qu'il était déjà fort
de ce formidale ouvrage fortifié qui devait être impatient de voir son oeuvre terminée.' Aussi,
à peu près inexpugnable. fut-il « faible et aveugle au point de céder aux
Voici maintenant, près de la porte de l'enceinte suggestions de Satan le lapidé », car il employa
qui s'ouvre au couchant, dominant un petit ma- à la construction du saint édifice tous les ar-
melon au pied duquel jaillit une source, le mi- tistes et ouvriers dont il disposait, infidèles et
naret colossal d'El Mansourah, qui surgit si étran- croyants, mécréants aussi bien que musulmans.
gement éventré. Allah ne pouvait laisser impuni un aussi abomi=
Trois de ses côtés sont encore debout, le qua- nable sacrilège. Il voua donc à la destruction
trième manque totalement, et avec lui a disparu tout ce qui, dans le monument, était l'ouvrage
l'escalier.par lequel on gravissait jusqu'à la plate- des mécréants. La malédiction céleste n'êpar:gna
forme, au sommet de la tour. C'est à cette sin- que l'œuvre des vrais croyants destinée 'à
gularité, que: le minaret doit son aspect fantas- « braver les siècles comme pour rendre un écla=
tique. tant témoignage de l~ur foi ».
Une légende a naturellementcours à Tlemcen Quoi qu'il en soit, le minaret majestueux d'El
Mansourah compte encore 40 mètres de hauteur; d'ornementation-dont lés architectes ai'abes ont
il.devait atteindre 45 mètres avant que son cou- eu seuls le secret, forment un ensemble 'ravis-
ronnement n'eût été détruit. sant qui confond l'imagination de l'artiste. C'est
Cette tour mesure 10 mètres de long sur un chef-d'œuvre où toutes les élégances raffinées
gm,50 de large. du style arabe ont été prodiguées. L'art sarrasin
Elle est construite en pierres dites de grand de la belle époque y brille de son éclat le plus
appareil, régulièrement taillées. original, le plus vif et le plus saisissant..»
« C'est une merveille, dit M. Brosselard, que A la base de la tour, un portail monumental,
cette tour à demi ruinée et qui conserve encore, arcade en plein cintre de' 2m,50 d'ouverture,
sur trois de ses faces, un cachet de prestigieuse servait d'entrée principale à la mosquée qui
splendeur. Ses trois étages de fenêtres doubles, avait douze autres portes, soit treize en tout.
dont les entablements reposent sur des colonnes Un large encadrement carré entoure ce portail,
de marbre onyx, ses, panneaux sculptés et re- rehaussé d'une profusion d'ornements s,culptés,
vêtus de mosaïques, ses guirlandes d'arabesques d'arabesques capricieuses, fouillés, avec une dé-
aux formes originales, capricieuses, inattendues, licatesse infinie, à l'égal des chefs-d'oeuvre de
ses rosaces, ses moulures, et mille autres détails l'Alhambra et des mosquées du Caire. Une véri-
table dentelle: d~ipierre: :Une'riched-écoration .Les mosquéesil-e Tlem.cen.ét.des`environsont
de mosaïqués, d'éIÍ1lillx'multicolores; à peu près puisé là fout ce qifiavait'une villeur qûelconque.
disparue, complétait l'ornementation de 'cette 'El' MansÓurah a
été ~èxplnité~è 'comniè :nnévé-
assise illférieure 'du minaret, comme de toutes ritable clarrièrcode marbie sculpté. La cÓuriilté-
les autres parties du monument. rieure du Djama el Kébir, de Tlemceri, est pavée
L'édifice 'comporte encore, trois ét~g-es,di- avec des tailloirs d'onyx travaillé ris
à El Man-
verl;ement,ornementés. Au premier, se trouve, sourah. La grande ..vasque de porphyre vert qui
placé enrencorbellement, un balcon.soute.nu par sert de- fonts baptismaux;àl'église.Saint-l4~ichel
huit 'consoles à stalactites et huit minces polon- est de même provenance.
nettes, d'onyx transluCide, 'd'une grâce et %d'une La: maJédictionproféréepar les sultans abd el
légèreté admirables.. C'est -une des* plüs jôlies oùadites a: été bien ) terÍ"ible' et' bien complète;
choses qui se puissent voir dans l'art arabe: lès richesses d'El MansO\Ú'àh sont 'dispersées et
Le grand pimneau'du second étage'é étaiftcihlle- prôfanéés:
ment décoré d'une mosaïque en'carreaux' vernis' l'intérieur dé ,enceinte, et en son point cul-
A
Sës.; deux étroites fenêtres s'y. ouvraient., Vient minant, à l'extrémité orientale du petit village
enfin la dernière division, de proportions nio~'n- français de Mansourah;. on remarque encore des
dres, ornée de colonnettes d'ônyx, percée d'une ruines dignes de fixer un instant l'attention.C'est
fenêtre éclairantl'escalierdisparu avec le côté Sud à. cét emplacement que. se dressa~t le « palais de
du minaret'. Quant 'au'couronnement du minaret, la Victoire. » construit par le, Suitar4 noir, Abou
il n'en reste rien. Les façades latérales de la tour l'Hacen en 745 (134,1!), quelque te n:¡.p après la fin
Bavière, en f389, aux fenêtres situées presque vis-à- perdues. comme toutes choses se sont modifiées avec
vis la rue du Petit-Lion, rue Saint-Denis était sus- la succession des siècles, et il faudrait déjà remonter
pendu « un ciel nué et étoilé très richpment, et Dieu, -bien loin dans notre histoire pour en retrouver le
par figure, séant en sa majesté, le Père, le Fils et le moindre vestige.
Saint-Esprit, que, dans ce ciel, des petits enfauts de La simplicité de nos mœurs démocratiques est
chœur chantaient « moult doucement, en forme même à. l'antipode de ces traditions quasi romanes-
d'anges'», et que, quand la reine passa dans sa litière, ques et mystiques, effacées par le t..mps.
découverte, « sous la porte de ce paradis, deux anges Et pourtant si l'on en croit un docte membre actuel
descendirent d'en haut tenant en leurs mains une de l'Institut, l'J vénérable M. Wallon, on' a pu voir,
très riche couronne d'or, garnie de pierres précieuses, il n'y a pas encore un demi-siècle, une sorte de rémi-
et la mirent moult doucement sur le chef de la reine », niscence du spectacle donné, voilà plus de cinq cents
en chantant ces vers ans, à l'entrée d'Isabeau de Bavière dans Paris,
Dame enclose entre fleurs de lys,
quand « deux anges », descendant d'un « ciel sus-
Reine êtes-vous de Paradis, pendu sur son passage, vinrent. poser une couronne
De France, et de tout le pays1 d'or sur le chef de la reine ».
Nous remontons en Paradis! En effet, dans une notice lue par lu' il y a plusieurs
Au sujet de cette même entrée d'Isabeau de Bavière, années, en i89' devant l'Académie des Inscriptions
Jean Juvénal des Ursins raconte de son côté un inci- et Behes-Lettres, et relative à son ancien membre,
dent assez plaisant Charles VI, tenant à. assister à A. Maury, bibliothécaire des Tuileries, M. Wallon,
l'entrée de sa femme, dit à son favori Savoisi analysant la correspondance, retraçant les confi-
« Savoisi, je te prie que tu montes sur mon bon
dences ou mémoires de ce dernier, révélait ce fait
cheval et je monterai derrière toi, et nous nous ha- piquant
billerons de façon qu'on ne nous connoisse point et « Lorsque,au cours de son voyage à traversla France,
irons voir l'entrée de ma femme ». entrepris en vue de la conquête de l'Empire, le prince
Et l'auteur de la Chronique de Charles VI ajoute président Louis-Napoléon vint à Bordeaux, le préfet
« Et allèrent donc par la ville en divers lieux et de la Gironde avait ordonné d'élever à l'entrée de la
s'avancèrent pour venir ait Châtelet à l'heure que la ville un arc de triomphe au milieu duquel pendait
reine passoit, où il y avoit moult peuple et grande une couronne, soutenue par une corde.
presse et foison de sergents à grosses boulaies (i), « Du haut
de l'arc où figurait cette inscription
lesquels, pour empêcher la presse, frappèrent de côté Il l'a bien méritée! la couronne devait descendre sur
et d'autre de leurs boulaies bien et fort. Et le roi et la tête du prince-présidentau moment où il passe-
Savoisi tàchoient toujours d'approcher, et les ser- rait.
genls qui ne cognoissoient pnitit le roi ni Savoisi « Mais un malencontreux coup
de vent enleva la
frappoient de leurs boulaies dessus et eut le roi couronne, de sorte que quand le président passa il
plusieurs horions sur les épaules bien assis. Et le ne resta plus quP la corde pendante au-dessous de
soir, en présence des dames et damoiselles, fut la l'inscription Il l'a bien méritée! »
chose récitée et on commença d'en bien farcer (2) et Le préfet trembla pour lui-même de ce méfait
le roi même se farçoit des horions qu'il avoit reçus. » atmosphérique, mais son inquiétude fut de courte
Le lendemain, comme c'était l'usdge, les bourgeois durée, car l'idée de la couronne lui fit pardonner
de Paris allèrent porter des présents,particulièrement l'imprévu de la corde!
GEOaces LABBÉ.
des vases d'or, au roi, en lui disant, après s'être mis
à genoux, mentionne Froissart
~A~A~*A**AA*AA*
dans
(1) Gros bâton dont les sergents étaient munis pour L'amour dans le cœur de'la femme est le diamant
écarter la foule. le charbon,' On y retrouve le feu, la mort et la lumière.
(2) Rire. ARSÈNE HOUSSAY&.
LA CHANSON DES POMMIERS Les dindons criards, les juments,
Les pouliches, les boeufs dormants,
L'ânon revêche.
LeS gros pommiers sont bons vivants;
E~ val, en plaine, à tous les. vents, Le marmot se pend à leurs bras,
Sans pieux ni treilles, La fermière y sèche ses draps,
Ils poussent dru, les compagnons, Le chat y rôde;
Coiffés comme des champignons, Tout ce monde a des faIms de loup
Sur les oreilles Et donne aux branches plus d'un coup
Un peu tordus, souvent nabots, De dents en fraude.
N'aimant pas à faire les beaux Mais les bons fruitiers du bon Dieu
En plate-bande, Ne se blessent pas pour si peu,
C'est bien chez toi qu'ils sont heureux, Et'sans révolte
Terre fraîche aux grands clos herbeux, Ils logent prudemment plus haut,
Terre normande En d'épais abris, ce qu'il faut
Là, s'arrondissant,se carrant, Pour la récolte
Les pieds en plein foin odorant, Et dans les fûts cerclés de fer
Hochant la tête, Bientôt fe~a a le cidre clair
Ces paysans, de père en fils, Ronfler sa gamme;
Avec les hôtes du logis Le cidre qu'on goûte en pleins froids,
Vivent en fête. Quand les pommiers jettent leur bois
Les premiers, ils saluent avril,1, Dans l'âtre en flamme.
Pressés d'ouvrir, sous le 'grésil,
Leurs fleurs allègres. Car, généreux jusques au bout,
Les derniers ils croient aux hivers, Le feu, le boire, ils donnent tout
Mûrissant tard ,et de ,travers Aux fils des hommes;
Leurs pommes aigres! C'est alors qu'ils sont triomphants,
Les gros pommiers, les bons enfants,
Huit mois durant, bêtes et gens, Pères des pommes1
Sous leurs parasols indulgents
Trouvent la fraiche GEORGES LAFENESTRE.
SON EXPLOITATION
Lorsque la locomotive quitte son train à la forme du quai est occupée par des wagonnets de
gare terminus de Paris, le laissant à quai dans houille menue que des coketiers poussent jusqu'au
l'attente d'un nouveau voyage ou aux soins d'un tablier et basculent le charbon tombe d'un seul
coucou qui le mènera à l'atelier de nettoyage, coup par le tablier dans le tender, et la nou-
elle, prend les voies d'accès du dépôt et passe velle méthode est autrement rapide que l'an-
d'abord au parc, où elle doit se ravitailler. Aux cienne, les paniers tenant 50 kilogrammes de
réservoirs elleprend, dans son tender, 16 mètres charbon et les wagonnets en contenant 500.
cubes d'eau mélangée de carbonate de soude Du pare combustible, la machine rentre dans
pour empêcher l'incrustation intérieure de la la rotonde du dépôt; elle est amenée sur la
chaudière; au quai à combustible 4000 kilo- plaque tournante à vapeur et dirigée vers sa
grammes de charbon; 80 kilogrammes de sable place de repos. Arrêtée, le chauffeur vide son
pour le dém~rrage, 14 kilogrammes d'huile et feu si la machine doit rester quelque temps
4 torchons d'essuyage. C'est le mécanicien qui inactive; recouvre celui-ci et le conserve en
fournit au bureau des approvisionnements les arrêtant le tirage si, au contraire, la machine doit
bons des quantités qui lui sont nécessaires de repartir dans un intervalle rapproché. En même
chaque matière, et les primes d'économie de temps le mécanicien a vérifié et passé en revue
combustible et d'huile se calculent à chaque fin tous les organes, inscrivant sur son livre de ré-
de mois d'après ses bons. parations les tubes qui perdent, les boulons per-
Deux méthodes sont encore employées simul- dus chaque voyage nécessitant quelques pièces
tanémenlà la Paris-Lyon pour le chargement du à changer. Ce livre de réparations est porté au
combustible dans les machines. Un ancien quai, bureau du dépôt, et les réparations qu'il indique
sur lequel des centaines de paniers pleins de sont faites sur place dans la rotonde. Les petites
charbon sont rangés côte à côte, sert au char- réparations bien entendu, carles remplacements
gement à bras d'hommes des petites locomotives- de chaudière, les changements de pièces fmpor-
tender des vieux modèles un nouveau quai, haut tantes, nécessitent le passage de la machine aux,
de plusieurs mètres, est réservé au réapprovi- ateliers de construction où elles restent de huit à
sionnement mécanique des locomotives à voya- dix jours, en inaction, démontées.
geurs. Tour à tour les nouvelles arrivantes vien- Après qu'ils ont vérifié leur machine, que le feu
nent se ranger sous un tablier de fer mobile, est éteint ou couvert, le mécanicien et le chauf-
qui, du haut du quai, aboutit au tender. La plate- feur vont au bain, puis au réfectoire ou au dortoir.
Ce ne sont pas eux en effet qui s'occupent du
{:Ii Voir le Magasin Pifioreaque des 1" et 15 avril 1901. nettoyage à l'arrivée, non plus que de I'allûmage
pour un nouveau voya~e, et sachant leur ]lf\ure l'allumage terminé, les conducteurs prévenus
de départ, l'ayant notée en même temps que le sont arrivés et montés sur leurmachine. Celle-ci
numéro de leur rnaclÍ\nesur une ardoise, placée doit î~Lre:pla4,ée en tête du train 10 minutes avant
au pied de leurs lits, ils peuvent dormir sans l'heure de départ; ~?0 minutes lors'qu'il s'agit de
crainte, le cleauJfeun. de ,dépût les réveillera au machines qui, comme les C 61,,sont munies des
moment voulu~ appareils de ohaufl'a;é des wagons par la vapeur
En même temps qu'ils ont abandonné leur même de la chaudière.
locomotive,,septou huit nettoyeurs s'.en sont-em- Tandis que 'je parcou.rais les divers locaux
parés, la lavant, l'essuyant, l'astiquant, faisant all'ectés au dépôt de Paris, le soir était venu et
,:in LUIIGLLC
t:: ,malnlenanL
Y'Io n'1'\(.
-f- T"Io
sous
ouvertures de
pression, des-
machine à l'al-
lumage de la-
quelle j'avais
tinée à déta- assisté en par-
cher'les dépôts lie venait de
calcaires, vers quittersaplace
rongeurs des de repos. La
chaudières grande masse
qu'ils dévo- de métal for-
rent avec une mée par la 10-
déplonible fa- comotive et
cilité. Propre, son tender,
prête à repartir, la machine est abandonnée par longue de 18 mètres, pesant ensemble, en ordre
les laveurs, ramoneurs, nettoyeurs qui sans cesse de marche, 93uOO kilogrammes, et qui dans le
passent d'une machine -à l'autre, car de même brouillard gris des fumées, seulement éclairée
qu'elles emploient un grand nombre d'ouvriers par la lueur intermittente du foyer et les deux.
pour l'entretien et la réparalion de leurs miHiers lanternes réglementaires de l'avant, s'orientait
de pièces, de même au dépôt il leur faut de très vers la voie de départ, mue par le mécanisme
nombreux serviteurs, pas moins de.800 pour caché de la plaque tournante, me paraissait plus
150 machines. N-olun-iinetiseplus gigantesque qu'enaucunautre
C'est le chau/fec~r de dë~ùi qui, à l'heure indi- moment. MonLer à côté du mécanicien, assister à
quée, est chargé d'allumer les machines complè- la conduite d'une locomotive vivante, c'était
tementéteintes,opérationqui doit s'effectuerdou- un désir secret que mon guide crut pouvoir satis-
cement et sans à-coup. De gros fagots de 40 kilo- faire et, vite hissé à bout de bras sur la plate-
grammes, des chiffons, sont entlammés à l'aide forme, je pris possession d'un petit coin du
d'allume-feuxécossais, et lorsque le tout flambe tender pour accompagner la C 61 dans son par-
clair, on met des briquettes puis du charbon. cours du dépôt à la gal'e.
ll faut 4 heures pour que les ;¡ 800 litres d'eau L'avouerai-je, je ne me sentais ,pas très solide
de la chaudière soient en ébullition suffisante lors dela mise en marche et je comprenais par-
pour donner les ¡; kilogrammes de pression né- faitement qu'il faille plusieurs mois pour faire
cessaires pour permettre le départ. Cependant, u~'mécanicien stable, et aussi un bon chauffeur,
du foyer', etc;
car ceux-ci, lorsqu'ilsp sont p1acés pour .la. pi~é= vres, essai des freins, chargement
mière fois sur ùn rapide, trébuchent et tombent; Cependant les voyageurs sont montés dans les
malgré leur apprentissage sur les trains de mar- voitures à' couloir; le mécanicien, qui a placé
chandises et de petite vitesse. C'est une grande devant lui son petit cadre mobile contenant la
souplesse des jambes qu'il faut avoir, et je suis marche de son train, vérifie celui-ci d'un regard.
les conseils qui me sont donnés;-mes souvenirs Si le chef de train a l'autorité au moment de
d'anciennes campagnes de péches maritimes me l'arrêt, du moins le mécanicien est-il le se ut
servent à ne pas choir dans le charbon du tender, maître en marche, et il doit s'assur2I' au départ
et je me tiens aux bastingages, c'est-à-dire auu que les wagons suivent régulièrement la loco-
garde-fous de la plate-forme. motive, d'abord le fourgon, puis le wagon des
La pression, qui au sortir du dépôt était de postes, sept voitures de premières et un fourgon
S kilogrammes, doit être arrivée avant la gare à de queue. C'est une lourde responsabilité qu'un
la pression dy2iT2~J2'P,c'est-à-dire 15 ldlogt'~mm<:s, train complet de luxe, pesant 313 tonnes et coû-
et le chauffeur ne. cesse d'enfourner le charDon, tant 49~ 000. francs, matériel seul compris bien
secouant le feu entendu; avec
avec le ~°i~a~a~~d, les voyageurset
et dit jaillisse- les bagages,
ment de flam- c'est à certains
mes etde l'irra- jours près d'un
diante clarté, je million à traîner
suis si bien derrière soi, et
ébloui que je ne l'on comprend
(lue les mécani-
gnal qui
vois pas le si-
bientûtnous ar-
ciens soient'des
hommes cal-
l'ôte. Le méca- mes et précis
nicien siffle, il dans' leur tra-'
est en relal'd et vail. Cependant
\'oudr,lit, bien il est juste' de
passer, mais le dire que 1`es
signal à des mécaniciens ne
doigts depied, sont pas seuls
c'est-à-dire des responsables <lp
pétards d'alar- la marche sans
me et, peu sou- ac'cidents clé
cieux d'une leurs trains; les
amende, il ne compagnies ont
v,e u pas less organisé pourr
écraser. Cepen- cela des si-
dant à cette L'abri d'une C. G1. Ra~i~le de nuit.
ânau~, une sur-
heure la. voie veillance côn-
devrait être libre pour notre train, et le mécani- stante des voies, des aiguilles, des « hifurs », et
cien resiffle au disque avec quelque impatience. c'est ainsi que tous les matins avant que le pre-
Les vingt minutes réglementaires nécessaires à mier train passe, des cerLtaines de cantonniers.
la transmission de la vapeur de la chaudière dans ont parcouru les lignes de la Comhagnie Paris-'
les bouillottes des wagons vont se trouver écÓur- Lyon-Méditerranée, vérifiant les écrous des éclis-
tées, et les.voyageurs se plaindront du peu. de ses joignant les rails, les resserrant, les rempla-
chaleur des appareils de chauffage et ils auront çant au besoin, et cela sur les 8000 kilomètres-
raison. Enfin le signal tourne au blanc et nous du réseau.
repartons. L'indicateur de vitesse, sorte dé tube Prêt à partir, la pression bonne, les 300 kilo-
de verre rempli d'eau colorée et.relié -t une tur- grammes de r;harbon du foyer en pleine activité,
bine qui, mue par les roues, refoule l'eau au la chaudière ronflant et trépidant sous l'action
long des graduations marquées sur le tube, indi- contenue de la vapeur, les deux conducteurs
que 8 kilomètres seulement; décidément la mar- accoudés sur les garde-fous de leur machine~
che à 4~~0 me ferait plaisir à connaître sans doute, attendent avec placidité le moment du départ.
mais, pour. aujourd'hui celle de 8 ma..suftit à Il suffit d'un coup de siftlet du chef de gare, de
éprouver des chocs, des trépidations très suffi- l'appel de trompe du chef de train pour animer
sants pour mon édification, et c'est avec regret, les hommNS et la locomotive qu'ils diriâent., Lé
mais non sans quelque fatigue dans les jambes, chaufleurdesserre les freins, ouvre le tuyau de la
que je quitte la C 61' à.1'arrivée dans la gare sablière qui porte devant les roues motrices le
pour laisser la place lihre aux dernières manoeu- sable qui doit leur permettre de gripper aux
rails;. en même temps le
mécanicien a donné un motive, des centaines d'employés sur les voies,
coup de sifflet, ouvert son régulateur, mis à la sécurité inhérente à des précautions multi-
l'aide de. son volant la coulisse à la division pliées à plaisir par la Compagnie est assurée à
voulue pour partir à 50 ou 60 kilomètres, et déjà leur voyage ils ont à leur disposition des
~s~
la vapeur fuse par les pistons. Le chauffeur wagons luxueux et sont traînés par uue merveil-
purge les ey~indres de l'eau condensée qu'ils leuse machine, en est-il encore parmi nos con-
contiennent; le mécanicien ouvre en grand son temporains qui puissent regretterle temps passé
régulateur, la machine patine pendant quelques des diligences traînées par cinq chevaux, quel-
secondes, le train est lourd, puis elle part bien quefois poussifs, et sur des routes poudreuses, à
assise sur ses huit roues que 2500 litres de va- raison de deux lieues à l'heure?
peur pousseront en avant, sans arrêt, pendant PIERRE CALMETTES.
150 kilomètres.
Et à assister au départ d'un train rapide on
envie l'absolu confort des voyageurs. Pour eux le Avoir toutes les déférences' pour la vieillesse à laquelle
mécanicien et le chauffeur-veillent sur la loco- on désire parvenir, c'est s'honorer soi-même dans l'avenir.
Mm. DE GE1LIS.
GARÇON D3~(OT(T(E~R
NOUVELLE
regard et av ec hauteur.
Eh bien! Quoi ? fit-elle en ,le~ toisant du simples mots Con.gé. pour cause de garçon
semblera-t-elle forcément écourtée, pour certains Avec l'ATHÉ."IÉE, nous revenons aux choses sérieuses,
comptes rendus, par l'abondance de biens, qui, en dé- car la comédie de M. Michel Provins est une véritable
pit du proverbe, nuit parfois ceci en est la preuve. comédie dramatique sous sa forme d'étude de nos
meeurs de décadence. J'aime sorï titre simple. le Ver- néce~saires Didierpouréviterlafaillite. Impuissante
tige. On, comprend tout de suite dès la première scène devant la ténacité d'une grand'mère qui. se refuse
la pensée de l'auteur. Ce vertige est celui qui prend dans l'intérêt même de ses. enfants à sacrifier une
une femme mariée, détachée de son mari et troublée partie de sa fortune, Sabine, harcelée par les suppli-
par les beaux yeux d'un casseur'de cœurs, romancier cations de sa fille, n'hésite pas à fouler aux pieds non
à la modeet psychologue outré. Ce n'est plus.la,Pente seulement tout amour-propre, mais aussi ses pudeur,
Douce, de l'ancienne pièce du Vaudeville, c'est le pré- les plus intimcs: à implorer, parce qu'elle le sait
cipice grand ouvert où se précipite tête baissée An- riche, Stangy, l'homme qu'elle a aimé et qu'elle a re-
drée de Roville. Le premier acte qui nous fait assister poussé jadis. Ce n'est rien encore véritablement désé-
à la fuite de la malheureuse femme, enveloppée par quilibrée par ces secousses, affolée par la maladie
le désir d'un amour coupable, auquel elle ne peut ré- née de ces angoisses, qui consume sa fille, Sabines
sister, est saisissant de vérité, supérieurement inter- perdant la notion du bien et du mal, ne recule pas
prété d'ailleurs par Mme Hading, qui rarement a devant le vol, ni devant le faux. L'amour maternel,
rendu avec autant de passion contenue les affres de devenu passion frénétique et exaspérée, a vaincu
la créature marquée par le destin. Ce premier acte l'honnêteté. Il va plus loin et parvient au comble du
est d'ailleurs le meilleur de la pièce car malgré toute tragique, quand la malheureuse, ayant à choisir par
l'habileté de l'auteur nous nous intéressons peu au la plus affreuse des options, entre la vie de sa fille et
faux ménage,qui se disloque, aussi bien qu'au second celle de sa mère, sacrifie sciemment l'existence de
acte qui rappelle un peu trop le dernier de Frou- cette dernière. Et dans un dénouement lugubre, Sa-
frou, qu'au bal costumé de la 'comtesse Moselli, la bine que Marie-Jea*niie, guérie, abandonne pour cou-
nouvelle passion du romancier Jacques Mareuilles, rir après la fortune, reste seule aux côtés de sa mère.
bal costumé où le rire sonne faux, et qui se ter- qui tout à coup meurt dans ses bras.
mine par l'inévitable scène de provocation renou- A côté de cette étude très poussée d'un sentiment
velée de Scribe. Mais le dénouement qui nous fait délicat, il y a une thèse véritable, et cette thèse ne
assister au repentir de la femme coupable est d'une sera pas acceptée par tout le monde. Dans ces con-
délicatesse de touche absolument charmante. 11 doit flits qu'il peint M. Paul Hervieu prend parti; il ap-
d'ailleurs son succès à l'interprétation de Deval et de prouve sans réserves le sacrifice que fait Sabine de sa
Mme '"Hading, qui tous deux se sont montrés supé- mère'à sa fille; il glorifie l'amour maternel, faisant
rieurs. En somme, cette pièce parfois inégale est à bon marché de la piété filiale. Ceci résulte de l'esprit
voir, et sera certainementun succès. L'interprétation, de la pièce et de son titre même, que d'ailleurs l'au-
comme je l'ai déjà dit, est remarquable, quand il s'agit teur explique habilement. L'image de cette course an-
d'é llme Hading ét de Deval. Tréville est aussi excellent tique, où les athlètes se transmettaient le flambeau
dans le rôle d'un confident dévoué, celui qui attrape allumé, s'applique aux générations. qui doivent se
les coups d'épée. Mais que dire de Castillan et de donner l'une à l'autre sans hésiter ce qu'elles ont
11i'~e Suzanne Munte qui semblent tous deux échappés de plus précieux. La mère se dépouille de tout pour
de l'Ambigu, et qui détonnent dans ce milieu de co- sa fille elle lui sacrifie sa fortune, son bonheur, son
médie honneur même, jusqu'à sa vie c'est dans l'ordre
naturel des choses. Il est également dans cet ordre
Au VAUDEVILLE, la Course du Flambeau; de M. Paul que la fille paye en retour sa mère d'ingratitude.
Hervipu, pourrait bien dans l'avenir être considérée Que les enfants tirent de leurs parents toutes leurs
comme un chef-d'œuvre, malgré l'atmosphère de forces, et qu'après les ,avoir épuisés à leur profit, ils les
tristesse dans laquelle l'action se déploie. C'est que écartent comme des non-valeurs ils ont raison. Ils
bi. Paul Hervieu s'esl attaqué cOllragellsement à l'un s'acquitteront en procréant à leur tour des enfants, et
des grands problèmes de notre humanité, l'amour en se sacritiant pour eux dans la suite. Telle est la
maternel sous tous ses aspects, avec ses courtes joies, moralité singulièrement hardie qui se dégage de la
ses angoisses et ses sacrifices. Ses sacrifices surtout pièce, et quejustifle le dénouement. Qu'importe que
car le premier, pour la mère aimante qu'est Sabine Sabine ait bu à pleines gorgées la coupe de l'amer-
Revel, est d'imposer silence au grand amour qui la tume Marie-Jeanne et Didier, qui sont jeunes, qui
pousse vers un ami d'enfance, l'Américain Stangy, sont l'avenir, ont repris le flambeau, et courent vers
pour ne point compromettre par un second mariage la richesse et le bonheur!
l'avenir de sa fille Marie-Jeanne. Le seul, le souverain Nous ne discuterons pas ici ce système qui paraîtra
remède qu'elle espérait à son chagrin, vivre intime- au plus grand nombre d'un évolutionisme outré.
ment unie à sa fille, « respirer son âme pure qui P\f¡Íis si nous l'acceptons, ne mt-ce qu'un instant, nous
s'éveille », elle le perd immédiatementpar le mariage
<devons constater que M. Paul Hervieu a fait une œuvre
de suite décidé de Marie-Jeanne avec un jeune ingé- cl'une force. véritable et d'une psychologie absolument
nieur, Didier Maravon. remarquable: c'est ce qui m'a fait écrire, au début de
Ce sont là, quelque douloureuse que puisse être
<:ette critique, le mot de chef-d'œuvre, mot qui a été
la séparation que s'impose Sabine, les manifesta- IJrononcé par quelques-uns. En tous cas la Course du
tions presque normales d'un tendre amour ma- Il?lambeau fait le plus réel honneur à son auteur, et
terneI. Mais, développant bientôt ce sentiment par le Iprouve une fois de plus que M. Hervieu est un des
contact d'événements exceptionnels, M. Paul Hervieu rnaîtres dramatiques de ce temps.
fait, par une progression graduée, dégénérer cette ten- L'interprétation rehausse encore le mérite de la
dresse' sereine et douce en une passion aussi funeste I)ièce. M-0 Réjane, dans la
personne de Sabine; déploie
que l'amollI' le plus exalté. Ces événements, il les dles qualités absoillment hors pair c'est une de ses
prend dans la réalité de la vie: ce sont de simples dus belles créations. Aussi excellemment tenu est le
embarras d'argent. Dès le second acte, c'est la pour- r ôle de la grand'mère, vieille bourgeoise tenace qui
suiteacharnéeaprèsquelquescentainesdemillefrancs, t ient à ses écus Mm. Grassot y est tout à fait extraor-
dinaire de vérité.Dubosc joue avec beaucoup de
M~ les substances toxiques qui entrent dans la éciinposi-
sûreté l' AméricainStaogy,froid, raide, avec un grand tion des pernicieux breuvages qu'on boit dans les
fond caché.de. tendresse. Mlle gernon, la jeune femme cafés, cabarets, bars, etc., etla troisième partienous
inconsciemment injuste, et M. Numa, son mari, com- révèle, par des expériences faites sur des animaux
plètent bien l'ensemble. M. Lerand dans un rôle à aussi bien que par J'étude physiologique et l'autopsie
côté, indigne de son talent, est également excellent. des sujets humains., les effets foudroyants de ces sub-
stances toxiques; en d'autres termes, et c'est le titre
de cette partie: Les ravages ~te l'alcool: la ruine, la fo-
Il ne me reste plus malheureusementassez de place lie et la mort.
pour parler aussi longuement que je le voudrais du Pour terminer, l'auteur traite la question de l'al-
Petit muet, le nouveau mélodrame de l'Ambigu. Disons coolisme au service, qui transforme les jeunes servi-
toutefois que, sans être meilleur ni pire que la plu- teurs de la patrie en mauvais soldats, en attendant
part de ses devanciers, il a pleinement réussi et fera qu'il en fasse de mauvais citoyens. Et il donne, à ce
couler pendant de nombreuses représentations bien sujet de terrifiatits exemples que ses lecteurs et
des larmes. Interprétation suffisante avec 1Vt11e Fleyé, nous souhaitons qu'il soient nombreux feront bien
l'un« des dellx gosses en
tête. Mise en scène soignée de méditer.
qui fait grand honneur à la direction. Après nous avoir cité le cas d'un chasseur de pre-
mière classe, excellent soldat sous tous les rapports,
qui, après s'ètre grisé un dimanche, se laissa aller à
A CLUNY, également, un vaudeville des plus compli- des voies de fait envers son caporal de chambrée, ce
qués, la Dame du Commissaire, de MM. de Cottens et P. qui lui valut cinq ans de travaux publics, le capitaine
Veber, est un éclat de rire universel. Richard nous raconte l'anecdote suivante, que nous
QUENTIN-BAUCHART. reproduisons dans son entier, car elle en vaut réelle-
ment la peine, ayant failli coûter la vie à un jeune
volontaire, arrivé au corps depuis deux jours
« C'était à Rouen. L. faisait sa première sortie
CAUSERIE MILITAIRE avec deux de ces loustics, mendiants professionnels
du petit verre, auprès des jeunes soldats récemment
Sous le titre: Une Campagne en temps depaia;, le ca- arrivés.
pitaine Richard, du 29e bataillon de chasseurs à pied, « Le nouvel engagé avait largement payé sa bienve~
publie unvolumedesplusintéressantsoù il entreprend nue, entraîné par ces mauvais camarades, il s'était'
une Lutte contre l'alcoolisme qui pourrait bien lui as- excité à boire comme eux, lui qui n'avait jamais fait
surer la victoire, et lui donner en même temps des d'excès avant son enrôlement, A 2 heures de l'après-
droits sérieux à la reconnaissance de notre pays. midi on vint me prévenir qu'il se tordait sur son lit,
Ce volume, en vente à Paris, à la Librairie militaire en proie à des crises nerveuses terribles, et qu'on
R. Chapelot et Ci., 20, rue et passage Dauphine, com- avait de la peine à le maintenir. Je fis aussitôt appe-
prend les conférences faites par le capitaine Richard ler le docteur, et je me rendis auprès de ce pauvre
aux sous-officiers, caporaux et soldats du 29e chas- enfant que je trouvai étendu, inanimé, inerte inain-
seurs. Impossible dedécrireavec plus d'énergie etde tenant, en proie à 'des vomissements de sang qu'on
frappante vérité les ravages produits chez nous par eut de la peine à arrêter. On le transporta d'urgence
les poisons que, sous le nom d'alcools ou apéritifs, à l'Hôtel-Dieu, où il resta huit jours, entre la vie et
on fait absorber aux soldats comme aux civils dans la mort. Guéri à tout jamais de l'envie de boire, L.
ces néfastes officines où se préparent sans trève a été libéré coitime sous-officier, et l'ayant revu dix
l'abrutissement et la déchéance finale de la France. ans après, il me rappelait encore le grand danger
Le 3 mai f 900, le minist,~e de la Guerre prohibait qu'il avait couru au moment de son incorporation.
la vente de l'alcool et des apéritifs dans les cantines. En faisant mon enquête sur ce véritable cas d'em-
Mais cela ne suffisait pas: il fallait empêcher le soldat poisonnement, j'avais appris que des accidents ana-
de boire, en dehors du quartier, le funeste poison. logues, mais moins violents toutefois, s'étaient déjà
C'est alors que, par une circulaire du fa jan- produits chez des clients d'une,infecte boîte située
vier f90!, le ministre de la Guerre décida que des derrière le quartier, à l'enseigne de « A la 'femme
conférences seraient faites à ce sujet dans les cotps « sans tête ». Ces accidents avaient été, comme pour
de troupes, soit par les officiers, soit par les méde- L. provoqués par des absorptions de gros rhum »
cins militaires. à deux sous le verre. Plusieurs chasseurs me racon-
Mesure excellente, et qui ne tardera certes pas à tèrent que lorsqu'on avait bu un de ces « gros rhum »
produire les effets les plus salutaires, car ces avertis- on avait la gorge en feu, et si, par malheur, on con-
sements donnés à des jeunes gens à leur entrée dans tinuait d'en hoire, on ne pouvait plus s'arrêter. SUl'
la vie suffiront à les préserver de cette ignoble passion ma plainte, le commissaire centralfit saisirun échan-
qui les conduirait tout droit à leur perte. tillon que l'on analysa. C'était un rhum, fait comme'
Le capitaine Richard a divisé son livre en quatre beaucoup d'autres, avec de l'alcool industriel aroma-
parties la première partie, qui a pour titre Le fléau tisé avec un bouquet quelconque. Au point de vue ju-
de l'alcool, établit cette statistique navrante qui donne ridique, le débitant de cette boisson n'était passible
à la France le premier prix d'alcoolime, et la place, d'aucune poursuite. Cependant, l'analyse avait révélé
au point de vue de la dépopulation occasionnée par la présence d'un produit destiné à augmenterl'âcreté
cet abominable vide, en état de notoire infériorité sur du rhum, mais on n'avait pu en déterminer la nature.
les autres nations du monde. Quelque temps après, à laeuite d'une nonvelle: crise
Dans la deuxième partie, L'alcool, sa fabrication, ses d'ivrognerie bestiale d'un de mes hommes qui avait
dérivés, sa falsification, nous faisons connaissance avec forcé la consigne qui pesait sur cet établissement fu-
neste, ï4Uai de nouveau trouver le commissaire cen- times à 30 centimes on imprimait d'abol'd le sujet,
tral, décidé cette f`ois à avoir le fin mot de l'énigme. puis en une seconde opération le chiffre~ De ces deux
Je dus au préalable payer le prix du fameux tonnelet tirages superposés, il est résulté des chiffres mal'cen-
de rhum, vidé de son contenu. On le brisa, et savez- trés dans leur cadre, trop hauts ou trop bas, des
vous ce que l'on y découvrit? Un saucisson de toile chiffres dont l'impression trop grasse a traversé au
du diamètre de la bonde, rempli de grains de verso du timbre, etc.; autant de petites curiosités à
collectionner. FILIGRANE.
poivre!
Prévenus du résultat final de l'enquête, les chas-
seurs, furieux, mirent à l'index le fameux « cabou-
pRnlES TIMBROLOGIQUES DU i
Serbie: i894, i dinarvert foncé. N. i fr. 20.
HAI
PORTRAIT DU FILS DE FRÉDÉllIC Ill, UOl DE DANEMAHK, par J. SUSTER1!ANS. Gravure de GlLARm;
(Galerie Pitti, à Florence.)
15 NIAI 1901. 10
Portrait du fils de Frédéric III, roi de Danemark
Parmi les contemporains d'Antoine Van Dyck Cette séduisante merveille de jeunesse ing-é-
qui léguèrent àl'art flamand de merveilleux chefs- nue, ce sourire d'une adolescence encore fragile
d'oeuvre, l'un des plus injustement oubliés au- semble l'apparition chaste et lointaine du passé.
jourd'hui, Juste Sustermans, conquitles suffrages L'image évoque la synthèse aristocratique d'une
de son époque et s'affirma, en ce XVII" siècle de splendeur royale et résume en elle une promesse
suprêmes élégances, comme un portraitiste de tendre avenir.
rèmarquable. En ces yeux enfantins, caressés par la vie, le
Né 'à Anvers en 1597, après quelques années regard est songeur.
d'étude chez un obscur artiste de sa ville natale, Une pensée calme et grave sommeille sous ce
Guillaume de Vos, de l'illustre famille de Martin frdnt pur qu'abrite la frange des cheveux, et la
et de Simon de Vos, Sustermans, désireux de bouche est exquisement naïve, les lèvres sont
contempler les oeuvres des maUres italiens, une rose épanouie rappelant celles, timides et
abandonna les horizons brumeux de l'Escaut pour douces, dé l'adorable petite infante Marguerite
venir à Florence. Là tout devait séduire son be- dont Velasquez nous a traduit la grâce.
soin d'élégance et de noblesse. Un nimbe soyeux idéalise ces traits charmants
La fréquentation assidue des courtisans, les et, légères, les boucles tremblent sur la colle-
heures de méditation en présence de Michel- rette en point de Malines, laquelle récuse par
Ange ou de Caravage, développèrent encore en l'harmonie blanche de ses festons ce que la cui-
lui son goût inné pour la parure, pour le rythme rasse damasquinée pourrait avoird'un peu sévère.
des larges draperies, des étoffes somptueuses. N'est-ce pas l'éclosion d'une âme à la fois noble
Aussi s'adonna-t-il tout d'abord à la peinture et simple'à qui ne suffira bientôt plus le prestige
d'histoire dont l'intensité dramatique le passion- futile de la dentelle, d'une âme qui rêvera de
nait, gloire? Et s'il nous attire par l'inconnu mystérieux
Ayant obtenu l'affection'du duc de Toscane de son regard, s'il nous captive par l'inquiétude
Cosme II, il demeura en faveur à la cour dé Fer- de son rêve, c'est qu'il est fils de ce Frédéric III,
dinand et de Cosme III, et mourut à Florence, la qui, lassé de prendre parti entre la Hollande et
ville de son choix, en 1681. l'Angleterre, -hanté d'illusions, consacra, durant
Parmi ses oeuvres principales, il convient de les dernières années de sa vie, sa fortune à la
éiter Ferdinand Il recevant le serment de ses recherche de la pierre philosophale.
vassaux, un portrait de Vittoria della Rovere, Sustermans.acompris cet atavisme,et son tem-
femme de Ferdinand, puis un Christ au tombeau pérament fastueux, sa palette réaliste ont enrichi
et la Mort de Socrate, au musée de Berlin. ce sujet de la féerie d'une inspiration personnelle.
Juste Sustermans, par la richesse de son coloris Sans s'écarter de l'exemple de Rubens' et de
où vibre une lumineuse transparence, par sa Jordaens, ces prodigieux virtuoses du décor, il
touche délicate et son souci d'une exécution nous a transmis sa vision par un tableau d'une
riche et minutieuse, se révèle un Flamand de esthétique rare que la galerie Pitti de Florence
race. ` peut être fière de posséder, car, ainsi que nous
Les sites d'Italie l'ont doté de leur.charme, le disions au début de ce court article, Suster-
sans parvenir à diminuer en lui ses rares qua- mans reste un des peintres, trop ignorés de nos
lités de style et d'imposante vérité. jours, qui contribuèrent à maintenir avec la
Le lecteur pourra s'en rendre compte aisément suprématie de la tradition la puissance de l'école
grâce au portrait que reproduit le Magasin Pit- flamande.
toresque. BMILE BOISSIER.
C'est celui du fils de Frédéric III, roi de Dane-
mark, que les érudits n'hésiteront pas à clâsser
~x%~E~ks a~à,s~s;às~tas ~1~~
Les flatteurs, comme les chats, passent où ils veu1~nt
au nombre des meilleures toiles de l'école fla- passer, par un don d'amincissement qui leur est parti-
mande. culier.
CuASSES D'AVEOGuES
L'attention et le charitable intérêt accordés 'siècle. Valentïn Haüy (1), dont le nom sera à ja-
par les clairvoyants à leurs frères aveugles, à mais béni de ceux qui sont frappés de cécité, fut le
ceux que M. Descaves nomme si expressivement Commença à s'occuper des aveugles en
(1) 17~5-1822.
les « emmurés », datent d'un peu plus d'un 1783. Fonda pour eux eux l'lnstitution des Jeunes Aveugles.
premier qui s'attacha à ces malheureux et tenta, Jeunes Aveugles, vers laquelle nous nous diri-
à tous points de vue, d'adoucir et d'améliorer geons aujourd'hui.
leur triste sort. Quelques années après sa mort, Cette institution appartient à l'État. On y
un aveugle, Louis Braille (1), découvrit, à l'usage reçoit des pensionnaires, qui payent pension ou
des non-voyants, un système d'écriture aisé, demi-pension, et des boursiers à la charge de
commode, complet, qui leur permettait, non leurs départements ou de leurs communes.
-seulement de faire connaître leurs pensées et 56, boulevard des Invalides c'est l'adresse.
de communiquer avec les clairvoyants, mais Une belle cour, plantée d'arbres, qui doit être
encore d'acquérir toutes les connaissances que fort agréable en été, une grande maison, com-
possèdent ceux-ci. posée d'un bâtiment central et de deux ailes,
Gràce à ce moyen de correspondance, de com- dont l'une est attribuée aux garçons et l'autre
munication, les idées, les sentiments, en un aux jeunes filles voilà ce qui frappe tout d'abord
mot, l'ameublement mental d'un aveugle est nos regards.
Aveugles accordeurs.
aujourd'hui, sauf pour les images, à peu près le Réception pleine de courtoisie de M. Robin,
même que celui d'un voyant. le très aimable directeur. Notre demande for-
Il peut, chaque j-our, dans des épreuves, des mulée, au nom du Magasin Pittoresga~r., il nous
concours, ces concours qui font partie du confie à la distinguée surveillante générale,
mécanisme de notre vie sociale, prouver qu'il BI'le Colbin, qui depuis seize ans et demi dirige.
a une valeur égale, quelquefois même supérieure, le quartier des jeunes filles, et, sous sa conduite,
à celle de son concurrent pourvu de deux yeux. nous commençons notre visite.
Ce rappel succinct des faits concernant les Les jeunes filles admises dans l'établissement
aveugles était nécessaire avant de nous appro- sont, en ce moment, au nombre de soixante,
cher d'eux et d'apprendre comment ils acquièrent tandis que les jeunes gens, beaucoup plus noni-
cet enseignement, cet ensemble de connais- breux, sont cent cinquante environ. Les uns et
sances dont, plus que tous autres, ils compren- les autres reçoivent ici l'enseignement intel-
nent l'importance, disons mieux, l'impérieuse lectuel, l'enseignement musical, et, dans un éta-
nécessité.- blissement que possède l'Institution, à Auteuil,
Actuellement, à Paris, trois maisons abritent l'enseignement manuel.
les aveugles; les QuinNe-L'inyts, où sont logés L'enseignementmusicalest le plus important.
des ménages aveugles; l'École Braille, où des Au début de leurs études, les élèves font deux
jeunes gens atteints de cécité reçoivent un en- heures de musique tous les jours solfège et
seignement professionnel, et l'Institution des pratique d'un instrument, plus tard, quatre
(1) 1806-1852. Elève de l'Insfitutiore des Jeunes AveuyZes. heures. Quant à ceux qui suivent les cours du
Y devient profeseur en 1827, publie de nombreux ouvrages Conservatoi~~e, ils consacrent plus d'heures en-
d'enseignement et trouve le système d'écriture en points
saillants qui fut perfectionné par Foucault et s'appela core à leur art préféré.
longtemps Braille-Foucault. Il ne faut pas s'étonner qu'une si grande place
soit donnée ici à un art qui parait frivole à tant nération légère qui, avec l'aide de la Société de
de femmes du monde la musique est, pour les p~at~~onage dont ils font partie, leur permet de
aveugles, non seulement le plus grand des subsister. Les autres deviennent instituteurs,
plaisirs, mais encore un moyen de subsister. Les professeurs de musique, ou rentrent dans leurs
jeunes gens, bons musiciens, sortis de l'école, familles, si celles-ci sont assez à l'aise pour les
trouvent des places d'organistes: en province, garder, sinon inactifs, au moins non productifs.
ou soixante-dix villes environ occupent, dans La classe dans laquelle nous entrons est pro-
plusieurs de leurs paroisses, des organistes pre, claire, très aérée, et cependant triste, au
aveugles, et même à Paris, où une quinzaine moins comme première impression. D'habitude,
d'églises ont eu, ou ont encore des aveugles les murs d'une salle d'école sont ornés de mille
comme organistes, Enfin, un grand nombre d'élè- tableaux divers cartes de géographie, tableaux
ves de l'école, plus de trois cents, sont devenus d'histoire naturelle, maximes et* préceptes,
L
!\Ill. Colbin, Institution des Jeunes aveugles,
surveillante générale La récréation.
Franchir une grande nappe d'eau par voie Avoir à sa disposition un système permettant
aérienne au moyen d'un aérostat ne présente de détacher presque instatanément la nacelle du
pas, au point de vue purement aérostatique, plus ballon ne souffre aucune difficulté pratique; et
de difficultés que la même opération exécutée nombre d'agencements des agrès ou du cercle,
au-dessus d'un espace continental égal, offrant le de suspension permettent de réaliser ce deside-
même système météorologique que la nappe ratum, de manières variées et sûres.
d'eau et en particulier le même régime de cou- Constituer la nacelle en un véritable bateau
rants aériens. d'un tonnage aussi fort que possible, parfaite-
Au point de vue purement aérostatique, la ment stable à la lame, est plus délicat, car pour
navigation aérienne au-dessus de la nappe d'eau ce faire on est arrêté par la considération de ne.
présente même certaines facilités, d'ordre secon- point surcharger sensiblement le navire aérien.
daire il est vrai; ainsi les variations de tempéra- en y substituant cette nacelle-bateau,à la, nacelle
ture y sont moins brusques l'aérostat, navi- habituelle en oSIer ou autre substance, de dimen-
guant au-dessus d'une nappe d'eau, jouit donc sions ordinairementrestreintes.
d'une, stabilité plus grande sur la verticale, il Le problème n'est cependant point insoluble.
dépense moins de lest. si l'on fait de la nacelle une véritable embarca-
Comme revers dé la médaille,'il est à noter tion pontée ~à ossature rigide, à double enve-
que l'aéronaute n'a plus en permanence au- loppe.en toile ou soie imperméable cloisonnée,
dessous de lui une région d'atterrissage à la sur- capable de se remplir automatiquementdans sa
face de laquelle il puisse prendre pied avec partie basse d'un water-ballast convenable em-
sécurité en cas d'accident. prisonné dans de nombreuses cellules à clapets
Pour obvier dans une certaine mesure à ce admettant l'eau sans lui permettre de sortir.
grave revers de médaille, on ne saurait trop sou- Si la foroe ascensionnelle venait à manquer en
haiter que, dans les ascensions systématiques mer à l'aérostat, les aéronautes se laisseraient
au-dessus de grandes nappes d'eau, l'aérostat se traîner à la surface des flots jusqu'à ce que l'eau
trouvât agencé de façon que sa nacelle fût de mer ou water-ballast, recueilli automatique-
aisément détachable du ballon, et de façon que ment par la nacelle-bateau, soit suffisant pour
cette nacelle fût flottable et gouvernable à la assurer sa stabilité; puis ils se sépareraient du
surface des eaux, une fois devenue indépendante. ballon et se trouveraient à bord d'une embarca-
tion' pontée à laquelle ils adaptataient un mât et vents généraux du globe, soufflent à certaines
une voile tenus en réserve à cet e1fet. époques, avec une régularité parfaite en cer-
Si l'atterrissage final avait lieu en terre ferme, taines régions fort étendues au-dessus des
cette nacelle résisterait beaucoup mieux qu'on océans; et, en se confiant à l'alizé septentrional,
ne serait porté à le croire au premier,abord. un aérostat capable de demeurer assez longtemps
Avec une nacelle de ce type (caicasse en fers U, en l'air irait à coup sûr, porté par lui, des côtes
enveloppe en soie ponghée renforcée par un sud-occidentales du Maroc en Amérique.
léger filet en coton) j'ai exécuté plusieurs ascen- Là où n'existent pas à l'état permanent de
sions, et ma nacelle n'a jamais eu que des avaries vents généraux, le souffle de ceux-ci devient trop
absolument insignifiantes,bien qu'au cours d'une irrégulier pour que l'on puisse se fier à eux; et
de ces ascensions j'aie eu à subir un traînage par il convient de rechercher si des vents locaux im-
vent d'orage en pleine montagne sur un sol portants ne peuvent pas les remplacer.
rocheux. Cette résistance extraordinaire de ce Les vents locaux réguliers proviennent tous
système tient sans doute à son extrême élasticité. d'une même cause un centre d'aspiration des
Au point de vue aérostatique, donc, la naviga- airs appelle à lui les couches basses de l'atmo-
tion aérienneau-dessusd'une grande nappe d'eau sphère voisine, d'où création de vents locaux ré-
n'offre aucune difficulté particulière, à la condi- guliers convergeant, de distances plus ou moins
tion bien entendu de modifier en conséquence, grandes, généralement rendues fortvariables par
de façon d'ailleurs évidente a priori, certains or- des causes d'ordre secondaire, vers ce centre
ganes de l'aérostat. A condition par exemple d'aspiration des airs.
d'emporter. un cône-ancre à la place ou en plus Ces vents locaux, bien moins puissants que les
d'une ancre terrestre, de munir l'aérostat de vents généraux, sont souvent, à des époques
flotteurs délesteurs, de pourvoir l'aérostat d'un quelconques, masqués par des vents irréguliers
ballonnet à air, etc. qui prennent la prédominance sur eux; il con-
Au point de vue météorologique, la traversée viendra donc pour les utiliser d'attendre un ré-
de grandes nappes d'eau n'offre non plus aucune gime de stabilité des airs assurant la préilomi-
difficulté particulière pour certaines d'entre elles nance des vents locaux durant le temps de la
elle offre au contraire des difficultés,oonsÍdéra- traversée aérienne.
bles, assimilables à une quasi-impossibilité à Cette traversée aérienne devra s'effectuer, d'un
moins d'une chance exceptionnelle, pour cer- des points soumis au vent local choisi, vers le
taines autres aisées à catégoriel'. centre d'aspiration des airs qui le détermine.
Pour mettre à exécution sans folie un voyage Si l'on décide d'utiliser un vent irrégulierpour
aérien aussi plein de périls en cas d'insuccès que effectuer la traversée aérienne, ce qui pourra
la traversée aérostatique d'une grande nappe offrir l'avantage de l'abréger, les vents irrégu-
d'eau, et tant qu'on n'aura pas à sa disposition liers soufflant généralement avec une vitesse
de ballon vraiment dirigeable, il faut, en premier beaucoup plus grande que les vents locaux, il
lieu, partir par un vent convenable et, en second sera sage de choisir, par baromètre haut, un vent
lieu, avoir l'assurance aussi complète que pos- irrégulier portant dans la même direction que le
sible que ce vent se maintiendra avec sa direc- vent local qu'on eût utilisé à sa place. A la ri-
tion durant toute la traversée. gueur on pourrait encore tenter avec chances de
Or'les vents réguliers voisins de la surface de succès
un voyage aérien exceptionnel en se con-
-la planète sont ou des vents généraux ou des fiant à un vent cyclonique à marche bien carac-
vents locaux (1). térisée, tel par exemple que ceux qui traversent
Sans discuter ici quelle est la cause détermi- parfois l'Atlantique Nord, entre le Canada et l'Eu-
nante des vents généraux, ce qui serait assez long rope nord-occidentale.
et d'ailleurs inutile, ces vents étant parfaitement Mais on ne pourra sans grande témérité se fier
-c~onnus dans leur souffle à la surface des mers, un vent irrégulier quelconque soufflant dans
on peut remarquer que la plupart d'entre eux, un azimut différant de plus de 450' du vent local
par leur régularité en force et en direction, of- et surtout passant au-dessus d'une région mari-
frent, complète, cette garantie indispensable à time d'aspiration des airs, car si ce vent irré-
un voyage aérien. en mer. gulier, fort instable de par son origine mêrne,
L'aérostat partant d'un point où souffle un de venait à tomber, dans le premier cas on serait
ces vents est assuré d'être tra.nsporté avec une rejeté par le vent local hors de la route prévue,
vitesse donnée dans une direction donnée; ses et dans lé second cas, circonstance infiniment
aéronautes, peuvent donc conclur6; de la durée plus grave, on serait immobilisé dans un faible
de vitalité de leur ballon, si la traversée qu'ils rayon au-dessus de la région d'aspiration des airs
ont en vue est possible ou non. que le vent irrégulier n'aurait pas permis de
Ainsi les vents'alizés et les grandes moussons, franchir, et ballotté en tous sens pendant un temps
sans doute supérieur à la vitalité de l'aérostat,
,(1) Voir à ce sujet les ouvrages de l'auteur couronnés par
diverses académigs Lesaérostats et l'exploration du con- sans pouvoir atteindre aucun des rivages qui
'tinent africain; Fleuvta aériens, etc. bordent la nappe d'eau.
Parmi les mers d'Europe il en est dont le Enfin certâifi~'s~. mers contiennent en elles-
centre d'aspiration des airs, déterminant des mêmes leur propre foyer d'aspiration des airs.
vents locaux importants à leur surface, est situé Celles-là enparticulier, si elles sont étendues, ne
sur un continent. Ces mers sont traversables sauraient être traversées sans aveugle témérité,
sans folie à bord d'un aérostat convenablement car les vents 'qui soufflent de leur ceinture de
constitué. Telle est la portion orientale-centrale côtes semblent toujours favorables; ils conver-
de la Méditerranée dont le centre d'aspiration gent en effet vers le centre, donc paraissent
des airs est la série des déserts africains situés porter vers le rivage opposé et y portent effecti-
au Sud entre l'Egypte et Tripoli avec, comme vement, mais jusqu'à mi-route seulement. Un
principal foyer, le désert de Libye. On peut vent irrégulier violent franchit parfois, à la vé-
ranger encore quoiqu'à un moindre degré, dans rité, la totalité de la nappe d'eau, et si l'aérostat
cette catégorie la Baltique méridionale dont le a la bonne fortune que ce vent irrégulier per-
centre d'aspiration des airs paraît être, au moins siste durant toute I«à traversée, celle-ci évidem-
enété, situé au- ment s'effec-
dessus desplai- tuera mais qui
nes nord-occi- peut assurer
dentales de la paravance qu'il
Russie. Moyen- en sera ainsi,
nant certaines qui peut pré-
précautions, la tendre deviner
Méditerranée que ce vent
orientale cen- irrégulierquel-
trale pourrait conque ne sera
donc être tra- pas, au milieu
versée, par de la mer, do-
vent du Nord miné par ce re-
promettant doutable cen-
une certaine tre d'aspiration
persistance, au des airs qui s'y
moyen d'un trouve et que
aérostat par- l'aérostat, arri-
tant de ses vé en, ce cen-
côtes septen- tre, aura la
trionales; la bonne fortune
Baltique méri- de pouvoir en
dionale par un sortir?
vent de Sud- Les mers qui
Ouest (contre- offrent cette
alizé, vent gé- particularité de
néral irrégu- contènir en
lier) en partant Nacelle en fer et soie qui a résisté à un traînage sur des rochers. leur milieu,un
des cûtes bal- centre d'aspi-
tiques du Schleswig-Holstein ou de Prusse. ration des airs sont celles qu'entourent des conti-
Certaines autres de ces mers européennes ont nents élevés, possédant dans le voisinage de cette
leur foyer d'aspiration des airs situé dans une mer des massifs montagneux nombreux. Elles
autre mer voisine. Ces mers sont dangereuses à constituent foyer d'appel des airs aux époques où
traverser en ballon, car elles ne peuvent l'être le soleil les frappe avec force, et cela s'explique
que par un vent irrégulier; et, si le vent irré- aisément, car l'air, au contact d'une nappe d'eau
gulier tombe au cours de la traversée, le vent que frappe avec force le soleil, s'échauffe, se sa-
local qui s'y substituera généralement entraînera ture de vapeur.d'eau. Ces deux circonstances le
l'aérostat dans le foyer d'aspiration des airs de la rendent plus léger et il monte vers le zénith,
mer voisine d'où, à moins d'une chance problé- créant au-dessous de lui une dépression vers
matique, il ne pourra sortir avant la, perte déû- laquelle se précipitent les masses d'air,voisines
nitive de sa vitalité. situées dans les régions basses de l'atmosphère;
Dans cette catégorie se range la Manche dont d'où tendance la convergence.des vents locaux
le foyer d'aspiration des airs parait être la mer vers le. centre de cette mer. Au contraire, les
du Nord, mais dont la traversée aérienne peut continents côtiers de cette mer étant,élevés,
néanmoins réussir fréquemment par vent jirré- montagneux, restent plus froids, l'air en contact
gulier à cause de son peu de largeur, surtout si avec leur sol n'a qu'une faibletendanceàs'élever,
on utilise en partant d'Angleterre un vent cyclo- car il n'est ni très échauffé, ni surtout saturé de
nique du Nord-Ouest. vapeur d'eau, et dès lors,ces continents ne con-
trarierit en rien, par des appels.qb~rsecondaires, de folle témérité, douloureusement regrettable
le puissant foyer d'appel des airs constitué par si elle aboutissait à une, catastrophe; nuisible,
la mer. au point de vue du néfaste encouragement à la
Qu'on jette les yeux sur une carte et on verra renouveler qu'elle donnerait, si, par hasard, elle
que, parmi les mers d'Europe, la Méditerranée réussissait une première fois.
occidentale, puis, à un moindre degré, la mer LÉo DEX.
Noire, la première ,surtout comme entourée de
toutes parts par des terres montagneuses, ren-
trent dans cette catégorie des mers. que seules BOUTADE
des circonstances exceptionnelles, impossibles à
pronostiquer à l'avance, peuvent permettre de
franchir au moyen d'un aérostat non véritable= Antithèse, contraste est la loi d'ici-bas
ment dirigeable. Un contraire, à coup sûr, appelle son contraire
En résumé, au point de vue aérostatique, Tout citadin, qu'il soit banquier, juge ou notaire,
Trouve que la campagne a seule des appas.
toutes les grandes nappes d'eau de dimensions
Le joyeux vigneroh, parmi ses échalas,
non exagérées sontfranchissablesen;ballon avec- Le)aboureur penché sur son champ, solitaire,
un matériel approprié; au point de vue météoro- Professent_pour la ville un culte involontaire,
logique quelques-unes d'entre elles peuvent être Et le puant fumier donne .le frais lilas.
franchies, au moins. théoriquement, à certaines Jadis, sur mon cheval, en courses insensées,
époques; d'autres offrent, en diverses. circon- Je fatiguais mon corps et rentrais au logis,
Le cœur sans poésie et l'esprit sans pensées.
stances, des chances de franchissement nom-
Bureaucrate aujourd'hui, je rime pour Chloris,
breuses enfin le franchissement de.certaines Et quand je prends mon vol vers toi, Muse divine,
autres exigerait pour réussir un coup de fortune J'ai pour Pégase. un vieux fauteuil de moleskine.
si exceptionnel que la tentative en doit être taxée PIC.
M= ,'B'ERTH'ELOT
Je ne crois pas qu'il y ait enF.rance un homme fondée par Lavoisier sur l'étude des corps sim-
qui possède plus de titres que M. Berthelot. Ne ples, pouvait tour à tour décomposer les miné-
cherchez pas celui qu'il pourrait bi en ne pas raux par l'analyse et les reconstituer par la
avoir il l'a. Distinètions, décorations, récom- synthèse, elle était impuissante à recomposer,par
penses, prix, il ne lui reste rien à désirer. L'Aca- la synthèse, les matières organiques. Elle se bor-
démie française l'attendait; ,etceperidimt il ,parait nait à l'analyse de,ces matières dont les éléments
ne' pas y arriver trop tard parce que Joseph.. Ber- étaient peu nombreux. La chimie organique et la
trand en est parti trop tôt. Nul :mieux que. lui ne chimie minérale paraissaient donc radicalement
pouvait occuper le fauteuil laissé vide; il était séparées et obéir à des lois différentes. Pour
vraiment le successeur désigné et ce doit lui être expliquer la formation des matières organiques
précieux que d'avoir eu une occasion si solennelle on faisait intervenir une cause, un principe
de célébrer à la fois la science et l'amitié: qu'onappelait la force vitàle,.force mystérieuse
M. Berthelot est l'enfant gâté de la fortune. Sa et souveraine. « Dans la nature vivante, disait
destinée toutefois n'a jamais été au-dessous de Berzélius, les éléments paraissent obéir à des lois
ses mérites. Homme d'étude, il n'a pas limité tout autres. que dans la nature inorganique. »
son activité aux recherches scientifiques. Il ne M: Be'rthelot a réussi à démontrer que ces lois
s'est pas désintéressé des affaires de son pays et étaient les mêmes; il a établi qu'il, n'y a pas de
il a été naturellement amené par les événements force.mystérieuse dans la formation des matières
et les circonstances à jouer un rôle politique. Le organiques, que « les affinités chimiques, la
savant a engendré. le sénateur et le ministre. chaleur, la lumière et l'électricité suffisent pourr
C'est à son laboratoire qu'il faut aller chercher déterminer les éléments à s'assembleren com-
la cause de ses succès; la'chimie ne l'a"pas jalou- posés organiques ».DécouV6,'te'féconde, dont
Nos Co~~ECTIONNE~Rs
La grande manifestation d'art que fut l'Expo- voici un, parmi les plus connus, et non des moins
sition universelle de 1900 a mis en lumière la riches, qui; par son originalité, mérite une étude
physionomie de nos grands collectionneurs. En spéciale.
chérit, M. Lut~ ne s'étendra pas en démonstra-
Ai. GEORGES LUTZ
tions critiques, en comparaisons, en spécula-
M. Georges Lutz habite dans le Marais un en- tions sur- les maîtres ou leurs travaux. Ce n'est
tresol, modeste en soi, mais dontchaque piècepar point un historien de l'art qui nous reçoit. Ce
la qualité artistique du meuble, du bibelot ou de qui intéresse surtout M. Lutz, c'est la recherche
la peinture appendue prend une telle valeur qu'il et la découverte du travailleur obscur, la mise en
ne vient même pas à l'esprit l'idée de l'évaluer. relief de son effort, ou la divination du chef-
Non, ce n'est point un musée, c'est plutôt la re- d'œuvre méconnu.
traite aimable de l'amateur,demeuré simple dans « Si vous voulez savoir quel homme est
la fortune. Notable commerçant, connu pour les M. Georges Lutz, disait un jour quelqu'un, de-
perfectionnements qu'il apporta à l'outillage de mandez-lui l'histoire de son Corrège! »
la tannerie, ce contemplateur du beau est resté Je l'ai demandée et la voici dans ses détails,
fidèle au quartier où jour par jour 11 grossit sa car elle est significative en effet.
situation. Là, s'écoula toute sa vie, il s'y plaît J'étais, nous dit M. Lutz, très lié avec Duinas
Retiré de l'industrie, il lui estagréable encore de fils qui était lui aussi fort amateur de toiles.
fleurer, sa fenêtre étant ouverte, l'odeur des cuirs Après sa mort, trois experts avaient été nommés,
transportés dans cette rue Dieu, où il prétendait dont Bernheim et Georges Petit, qui devaient
spirituellement que Rochefort n'oserait jamais opérer dans sa salle la dispersion de cette collec-
mettre le pied par peur d'être taxé de clérical, tion. La vente a lieu. Huit jours plus tard, j'entre
malgré son vif amour de l'art. Et dans cet en- à l'Hôtel Drouot. En passant dans la salle n° 6,
tresol agrandi surtout par les multiples visions j'aperçois des bibelots ayant appartenu à.Dumas.
qu'il renferme, M. Lutz vous accueille, heureux Je serre la main à Georges Petit, et, le bonjour
d'ouvrir les portes, de décrocher tel cadre que le échangé
ciel fumeux de décembre ou le crépuscule déro- Mais tout ça sort de chez Dumas, dis-je en
bent. montrant les objets qui s'étageaient aux côtés
M. Georges Lutz a commencé à aimer la pein- du commissaire-priseur.
ture à quinze ans. Son éducation artistique, il l'a Oui, me répond Georges Petit tout bas, ce
faite seul, au Louvre, dans la contemplation suivie sont des choses sans valeur. Comme elles ne
de nos chefs-d'œuvre. Il n'avait alors, d'après sont pas dignes de figurer chez moi, on les vend
son propre dire, que « peu d'argent, beaucoup ici sans tapage et sans nom de possesseur. (!but,
d'envie » Il employa tous ses loisirs à sa passion surtout
et compléta ses connaissances dans ses voyages Bien.
d'affaires. C'était bon de prendre au passage de « J'examine quelque temps et je tombe en
très grosses commissions, mais rechercher et arrêt devant un panneau de peinture craqll.elée,
découvrir parfois la merveille inopinée, que sale, dégoûtante, qu'entourait un cadre de bois
c'était mieux 1 sculpté. A part moi, je pensais
D'abord le séjour dans les musées l'incita à École milanaise. Corrège probablement.
la recherche des anciens maîtres des.écoles ita- « Et sans marque d'enthousiasme bien en-
lienne et hollandaise dont sa maison de Nogent- tendu, quoique émotionné, je me tourne vers
sur-Marne est pleine. Mais il s'est insensiblement Georges Petit
senti conquis par les modernes, et c'est l'école Il y a là-bas un cadre de bois. Est-ce que
française de 1850 à 1880 qui fait l'ornement de vous ne pourriez pas-me le faire passer tout de
son appartement de Paris. suite en vente. Je l'emporterais. Je suigpressè.
Là, en effet, il n'y a que deux œuvres anté- Mais si.
rieures à cette première date, un Bon Pasteur, de «On met le cadre et le panneau aux enchères.
Murillo et, en pendant, dans la chambre à cou- Je l'achète 200 francs et 10 francs de commis-
cher, un exquis portrait mi-corps d'une tante sion.
enfant, par Greuze. N'est-ce pas à la contempla- « Je l'envoie chez Leduc mon encadreur et, une
tion de cette toile historique dans la famille Lutz fois décadré, je le nettoie. Ma conviction s'affir-
qu'est due la vocation de chercheur d'art du né- mait. Je sors avec mon panneau et me dirige
gociant ? vers le musée du Louvre. Leduc court après
Greuze passait aux Tuileries., il vit ma tante, moi
nous dit notre hôte; il la trouva jolie et, sur-le- Monsieur Lutz. Vous oubliez. Votre
champ, proposa de lui faire son portrait. C'est à cadre?
cette fortune d'une rencontre que nous de- Je m'en moque.
vons d'avoir ma tante peinte par l'auteur de la Il est en bois ancien.
Cruche cassée. Je le sais,
Et Greuze est là avec son expression vivante, Alors vendez-le moi.
sa grâce et sa fraîcheur. Combien?
Nous commençons la visite. En « nous mon- Deux cent cinquante francs.
trant une à une, pièce à pièce, les oeuvres qu'il Il est à vous.
« toujours, à tout basa.d, 40 francs de
«-C'était. suivant Une' définition d'Albert Wolff, c'est
benéfice sur mon opération. l'homme de goût avec toute. sa finesse et tout son.
« Au musée du Louvre, Georges Lafenestre flair.
s'exclame Le flairl qualité précieuse, dont M. Lutz fut
Mais on dirait. C'est un Corrège, mon doué. Il a cette sorte de double vue qui fait du
cher 1 chercheur un'devin, ce premier regard certain,
Croyez-vous? qui dédaigne la signature pour apprécier une
Il faudrait le restaurer par exemple. oeuvre à sa juste valeur, ou mieux découvre la
Bon! Pour ça. je verrai. maitrise parmi. ces impalpables indications de
« J'avais eu idée que les vernis successifs force, de grâce et de beauté, alors que l'œuvre
avaient totalement obscurci, abimé la peinture.. n'est pas signée, ou que le nom de son auteur
Je remercie Lafenestre et je me sauve chez le est un nom d'inconnu.
restaurateur. La première toile qui nous arrête dans le salon
« On me demanda 150 francs pour dévernir le est cette admirable vision 'des Bords de la Meuse
panneau et deux mois. que Jongkind peignit à la prière d'Alfred Stevens.
« De huit jours en huit jours, j'allais chez mon Si tu veux avoir la croix,il faut faire u~
restaurateur, comme un médecin près de son tableau exceptionnel, avait soufflé au Hollandais
malade à l'hôpital. Ça revenait.' le grand artiste belge.
« Quand le tableau fut à mon goût, je l'em- Et comme un enfant, mais génial, Jongkind
portait chez Henner un beau dimanche matin. En avait justifié la sollicitation du ruban rouge par
passant devant chez Lefebvre, l'idée me vint de ce chef-d'oeuvre.
monter chez lui. Il mit l'oeuvre. sur un chevalet. Je l'admirais. Jongkind est une des gloires
Je n'avais pas soufflé mot.. créées par M. Lutz. C'est lui qui l'a découvert.
Mais, nom d'un chien, c'est un Corrège r Ayant acheté quinze. francs à l'hôtel un pre-
« Il s'extasie, explique à ses élèves qui l'en- mier tableau de Jongkind, M. Lutz désira en
touraient la beauté de la facture. avoird'autres. Il s'informa de l'adresse du peintre
« Je reprends mon panneau et je débarque et se rendit à son atelier. Quel atelier! L'empire
chez Henner.. Il y avait là aussi une douzaine du désordre et de la misère Une unique pièce
de. peintres. tenait lieu de salle à manger, de cabinet de tra-
Permettez-moi, dit Henner, de vous pré- vail, de chambre à coucher et de cabinet de toi-
senter,M. G.. Lutz qui nous apporte un Corrège, lette. Jongkind vivait là, insouciant. Vêtements,
Messieurs. une croûte probablement,ajoute-t-il toiles et pinceaux,objets de cuisine ou de néces-
en souriant., sité,tout s'étalait en débandade. Sur le lit de fer,
« Je vous remercie cher ami, dis-je à mon revêtu d'une couverture régimentaire, la maî-
tour à l'auteur de Fabiola, de m'avoir présenté à tresse. du logis celle du peintre également
ces messieurs, qui d'ailleurs me connaissent donnait leur nourriture à des pigeons.
tous. Mais regardez. d'abord. Monsieur Jongkind? demanda l'amateur.
« On. recommence la petite opération comme C'est moi, Monsieur.
chez Jules Lefebvre. Et C'est vous qui avez peint ceci? dit M. Lutz
« C'en est un,. s'écrie Henner. Pas de en montrant son tableau.
doutes. Il est gravé., Oui, Monsieur.
« Puis-allant au mur de son atelier, où tout est Avez-vous quelque autre chose à vendre?`?
retourné lorsque le maître travaille, afin que sa A cette question, la jeune femme avait dressé
vision présente ne soit pas déformée par les l'oreille, et de sa place, sans bouger
précédentes, Henner prit une de ses toiles, la Amateur: le plus cher possible! mar-
mit en comparaison avec le panneau que j'ap- monna-t-elle entre ses dents dans sa langue ma-
portais, et il en prononça. l'éloge en montrant ternelle.
modestement quelle différenciation on pouvait Jongkind se précipite sous les châlits et les
faire de son art moderne à cet art ancien. matelas. C'était l'armoire où s'entassaient ses
« Je repartis fort satisfait, mais désireux de œuvres.
trouver la gravure qui authentiquait 'définitive- Il les soumet. M. Lutz examine et choisit.
ment mon Corrège. Combien?
« Elle était à la Bibliothèque Nationale, où par Moment critique Le peintre, peu homme
surcroitje découvris l'histoire de cette peinture. d'affaires, se frotte les mains, tourne vers son
Elle avait été vendue 22600 francs à la vente amie des yeux désespérés, et du ton dont il
Pasquier. » avouerait une mauvaise action
Voici l'homme dressé en pied. Il aime ses 500 francs, dit-il.
tableaux et ses.sculptures certes. Mais il adore Très bien! riposte M. Lutz, mais n'étant pas
les anecdotes personnelles, les souvenirs intimes Rothschild je n'aime pas à payer plus que le prix.
qui s'y rattachent. Ce n'est point en un mot « cet J'ai malheureusement entendu la recommanda-
être régi par la mode qu'on appelle l'amateur », tion de Madame en hollandais.
Ce fut un éclat de joie du peintre qui se mani- 1 Amsterdam,
qui Utrecht, la Haye?. Oui! Qu'est-ce
festa par un tutoiement immédiat. t'a frappé?
de l'artiste.
De cette conversation dàta le succès' marchand
F A T( G ~Y
NOUY.ELLE
Ah! fit Didier de Princé avec un de. une: personne, avec laqu~e~le_ il avait
assidûment
la vie
bref haussement d'épaules, la vie
qu'elle est -drôle
y tienne 1
ne va~t guère la peine qu'on
et ce
nom,
pour ce bùstoùliê tout l'hiver,
s'ét~ifllJo1'-trée
de son coeur et de sa.m~-
pre'niieréchec vous abat prodi!Jieus~ment
i~\tJ~à
1
.Géographie ce pays; mais à l'élément indigène lui-même qui ne
tarderait pas à en apprécier les bienfaits. L'Arabe
jouit incontestablement' d'une habileté profession-
nelle remarquable. Il considère, malheureusement,
En Algérie. L'Affaire de Margueritte. les travaux manuels .comme une tare et un signe
Quelques réflexions.. d'infériorité. En inculquant, dès leur enfance, aux
Les événements dont le village (ou en terme admi- Arabes l'esprit qui préside à notre conception des
nistratif, le centre) de Margueritte a été récemmentle mérites industriels de l'homme, on parviendra facile-
LE 1VIAGASIN .PITTORESQUE 3ft}
ment former une catégorie d'artiBau$ plus préoc- statent aujba~rd'hui que le quartier général de French
cupés de gagner une certaine aisance matérielle que est établi de nouveau à Johannesburg et
que, d'autre
de deviser sur la valeur de tel ou tel verset du part, Botha opère comme par le passé autour d'Er-
Coran. melo, c'est-à-dire entre la ligne de Prétoria à Lou-
Déjà, dans le domaine agricole, une oeuvre consi- renço-Marquez et celle de Durban à Johannesburg.
dérable a été accomplie. Les merveilleuses conceptions de lord Kitchener
De nouveaux centres sont créés annuellement (8 à n'ont donc donné aucun résultatappréciable sur cette
14 par an) où la main-d'oeuvre indigène est utilement partie du théâtre de la guerré.
employée. Sera-t-il plus heureux contre Delarey qui semble
Margueritte, théâtre du drame récent, est un de toujours régner en maUre dans l'ouest du Transvaal?
ces centres. Le village, situé au pied du moat Zaccar En tout cas, Methuen et Babington sont en train
dont il porta longtemps le nom, fut débaptisé, il y a d'exécuter un mouvement convergent qui a
eu pour
quelques années, en celui de Margueritte, du nom du premier résultat de forcer Delarey à abandonner
général dont la carrière a été si brillante et si fruc- forte position de Haartebeestfontein et de fractionner sa
tueuse dans la grande colonie. sa petite armée en plusieurs corps dont les uns se
On sait que le général Margueritte, père de nos ex- sont portés vers l'Ouest, les autres vers le Nord, enfin,
cellents confrères Victor et Paul Margueritte, consi- le plus considérable vers le Sud, sous les ordres de
déré à juste titre comme une gloire militaire du se- Delarey en personne.
cond Empire, était sorti des rangs, et fut nommé Voilà donc la petite armée du chef Boer dispersée
sous-lieutenant, en 1841 seulement. Mortellement une fois de plus. Soyez sans crainte, lord Methuen et
blessé à Sedan, le lor septembre, il mourut quelques Babington reviendront prochainement à Wryburg
jours plus tard (le 6) sur le territoire belge où il avait à Kimberley, et Delarey reconcentrera ou
ses com-
été transporté sur sa demande. Le village qui porte mandos où et quand il voudra.
ce nom illustre est le centre d'une commune d'en- Dans l'État d'Orange, chacun couche sur ses posi-
viron 670 hectares, Il est habité actuellement par tions. De Wet, Haasbroeck et Théron occupent
tou-
environ 200 colons d'origine française et une cin- jours tout le Nord=Est, et lord Kitchener semble
quantaine d'individus de nationalités diverses. On y pas pressé d'aller les chercher dans leursnerepaires,
cultive particulièrement la vigne, les arbres fruitiers, sachant fort bien que, quelque effort qu'il fasse, il
les asperges. n'empêchera pas son insaisissable adversaire de bous-
La région produit aussi des pêches renommées et culer la ligne défensive établie de Bloemfontein
à La-
possède d'excellentes pépinières. dybrand quand il jugera opportun de redescendre
C'est en multipliant ou en agrandissant ces agglo- vers l'Orange.
mérations, en imposant le travail un travail équi- Dans la colonie du Cap, les commandos de Scheeper,
tablement réparti et rémunérateur à la popula- de Malan, etc., sont pourchassés
tion, en maints endroits encore inerte, songeuse ou colonnes anglaises. Mais ils sans trêve par des
ne se laisspnt pas entamer
poétique, qu'on créera dans notre grande et belle co- et continuent de s'approvisionner dépens des
lonie la vie, l'activité et l'émulationqui en ferontune -Anglais en arrêtant les trains quand aux il en est besoin.
véritable seconde France. L'assimilation, aidée peut- Enfin, la colonne Crewe est toujours
être aussi par les unions qui ne tarderont pas et qu'on Kruitzinger qui continue à en contact avec
manœuvrer merveilleu-
ne saurait trop encourager à se contracter entre les sement.
individus des deux races, se fera alors toute seule, et En résumé, la situation générale ne s'est pas sensi-
sera facilement réalisée au profit de deux grands blement modifiée depuis le départ de Lord Roberts,
peuples et d'une bonne partie de l'humanité. et les fameuses colonnes volantes, sur lesquelles lord
P. LEMOSOF. Kitchener comptait tant pour arriver à une prompte
pacification, ont amené surtout le complet épuise-
ment de l'armée anglaise. C'est, du moins, le Times
LA GUERRE lui-même qui l'affirme.
« Où est l'ardeur accoutumée du soldat anglais
AU TRANSVAAL dit mélancoliquement le correspondantdu grand or-
gane de la Cité à Kronstadt.
De temps en temps, les journaux anglais nous « A coup sûr, elle n'existe plus chez ces hommes
an-
noncent qu'un grand mouvement stratégique va enfin harassés, dans les yeux hagards desquels
terminer cette guerre désastreuse. Nous assistons en lire la monotone question qu'ils on semble
posent tons:
effet au déploiement des colonnes, à la poursuite (i Quand ça finira-t-il? Qu'on n'envous soit pas surpris;
»
d'un ennemi-fantôme qui s'évanouit sur le passage voilà dix-huit mois qu'ils marchent. Ce sont qui
de la tempête, et se reforme tranquillement ensuite.. ont chassé Cronje de devant Kimberley, suivieux Botha
Puis on enregistre le résultat stupéfiantde ces efforts de Cronstadt à Prétoria, poussé pendant l'hiver jus-
épuisants demandés aux malheureux soldats anglais qu'à Komati-Poort
pour retourner ensuite à Fouries-
des vieillards, des femmes, des enfants faits prison- burg, puis Trekké à travers l'Orange jusqu'au
chemin
niers (!) et d'innombrables moutons razziés. de fer, puis remonté 500 milles Nord, puis re-
Ainsi, tout le monde croyait, en Anglete;re, que la broussé encore dans l'Orange, puisau poursuivi inutile-
récente et vaste opération tentée par.le général French ment De Wet dans la colonie du Cap jusqu'à
avait réduit le général Botha à la dernière extrémité. enfin, ils aient perdu la notion du ce que,
temps, des lieux,
Refoulé dans l'extrême nord-est du Transvaal, le gé- des heures. Est-il surprenant
néralissime boer allait être forcé de se rendre ou de officiers soient épuisés et que les hommes et les
que leurs chefs n'osent pas
se réfugier en territoire étranger. Or, les mêmes les exposer à des risques des troupes fratchea
journaux qui annonçaient ces bonnes nouvelles con- accepteraientvolontiers que
»
Le tableau, soyez-en certain, n'est paschargé. Pour rope attendent ce milliard et demi pour équilibrer
se faire une idée des difficultés inouïes que les An- leurs budgets!
glais ont à surmonter, il suffit de se rappeler qu'ils HFNRI MA7EREAU.
ont 3000 milles de chemins de fer à défendre, dont '~e9
2000 au moins sont tellement exposés aux coups de
l'ennemi que des postes de 25 hommes environ par
mille sont indispensables pour en assurer la sécurité
fl1HÉAfl1l\E
très relative.
Joignez à cela la peste et les maladies de toutes
sortes, l'énervement produit par un qui-vive perpé- LA VIE DRAMATIQUE
tuel, et vous comprendrez que le dernier coup de M. Alfred Capus est décidémentl'auteur dramatique
fusil de cette guerre extraordinaire n'est pas encore le plus heureux et le plus fêté de ce commencement
tiré. de siècle. Tout lui sourit, tout lui réussit. Il lui suffit
La parole de Bismarck affirmant que l'Afrique du d'aborder un sujet où tant d'autres ont échoué, pour
Sud sera le tombeau de la puissance anglaise serait- voir la fortune le couronner. Car rien n'étant bien
elle en train de devenir une vérité historique? nouveau sous le soleil, on ne peut prétendre que
M. Capus ait inventé quelque chose. Seulement il sait
EN CHINE enguirlanderles situations de si pittoresques détails,
Que se passe-t-il en Chine? Malgré notre ardent avec cette note si touchante qui lui est propre, que
désir de renseigner nos amis lecteurs, il nous est le public le plus rebelle se trouve immédiatement
impossible de le dire exactement. Ce qui est certain, sous le charme. Le procédé de M. Capus, on l'a
c'est que les négociations continuent et menacent o.e dit, relève beaucoup de celui de Meilhac, mais
s'éterniser; c'est encore, que de sanglants combats c'est un Meilhac plus tendre, plus délicat pour ainsi
ont été livrés par les Allemands aux réguliers chinois dire, aveccette pointe d'esprit qui, de situations pres-
du général Lu, du côté de Chan-Si et que les premiers que comiques sait détacher une larme, véritable perle
ont perdu 45 hommes dans la passe de Kou-Kouan. cueillie sous la paupière du spectateur subitement
Les Allemands vont-ils poursuivre leurmouvement? attendri.
Le maréchal de Waldersée semble estimer qu'il serait Voyez La Petite Fonctionnaire, le nouveau succès
imprudent de s'engager dans les montagnes avec de des Nouveautés,après le succès légendaire deLa Veine
faibles effectifs. D'autre part, le général Voyron a aux Variétés.
prescrit à nos troupes, qui protégeaient la gauche du Ici comme là, ce sont les détails et surtout les dé-
corps allemand, de revenir à Pao-Ting-Fou. tails qui provoquent les applaudissements.
Ces combats n'ont pas une bien grande importance C'est que la peinture des mœurs de cette petite
par eux-mêmes, mais ils prouvent malheureusement ville de deux mille àmes où vient échouer Mlle Suzanne
que le parti chinois hostile aux étrangers reprend Borel, la jolie receveuse des postes, remplaçant la
courage, et il est bien évident qu'il trouve dans la mère Brocquet, de hideuse mémoire, c'est que cette
cour toute la complicité désirable. peinture, dis-je, est faite tout entière avec ces ob-
Dans ces conditions, quel que soit le désir des servations, où excelle l'auteur. Que nous importe en
puissances européennes de rappeler la plus grande somme que l'arrivée d'une jeune personne élégante
partie des troupes envoyées en Chine, il faut bien révolutionne les habitudes paisibles de la population:
songer que tout rappel prématuré pourrait compro- que le bourgeois rangé Lebardin devienne subitement
mettre gravement les intérêts européens et faire amoureux de la nouvelle arrivée, et qu'il passe des
renaltre les terribles inquiétudes de l'an dernier. journées entières à envoyer des dépêches banales à
Cet avis n'est cependant pas partagé par tout le un ami oublié pendant vingt ans que nous importe
monde. Tout au contraire, quelques personnes auto- que Mlle Borel, influencée par les conseils incen-
risées, dont monseigneur Favier, évêque de Pékin, diaires de cette peste de Riri, son unique employée,
concluent de la situation au Tchili que l'évacuation se laisse prendre aux charmes, et quels charmes!
s'impose. du vicomte de Samblin que, par dépit d'apprendre
Cette opinion est très discutable, et les mission- le mariage'du vicomte avec une ancienne amie de
naires anglais, notamment, déclarent hautement que pension (une veuve qui est du dernier bien avec le
le départ des troupes alliées serait le signal de mas- médecin de la localité), elle accepte les propositions de
sacres épouvantables. Lebardin, et se laisse meubler à Paris un splendide
Nos amis lés Russes, entre temps, poursuivent, non appartement que Lebardin en demeure pour ses
sans difficultés, l'occupation de la Mandchourie, mais frais, soit pincé par sa femme, et repasse celle qui
leurs brillants succès leur coûtent cher. Les troupes ne fut jamais sa maîtresse au vicomte sganarellisé.
du général Tserpitsky ont eu 2 officiers, 25 soldats Tout cela est la donnée d'un vaudeville quelconque,
tués, 7 officiers et 61 soldats grièvement blessés. la trame sans grande nouveauté d'une comédie qui
Une autre question, grosse de difficultés, c'est celle pourrait être bouffe, et qui, sous la plume de M. Ca-
des indemnités que les puissances réclament à la pus, devient une délicieuse chose, toute remplie de
Chine. Le total s'élève au chiffre de 1625 millions de mots charmants et de situations délicates. Tel est l'art
francs, et l'on discute sans pouvoir s'entendre, de Capus l'art d'intéresser le spectateur à-des per-
naturellement sur les meilleurs moyens d'assurer sonuages qui pourraient être des fantoches et sont
le payement de cette somme. bien des humains, comme vous et moi, avec leur
Mais le chiffre de 1625 millions est définitivement sensibilité, leur cœur, leurs vices même. C'est, sous
accepté par toutes les puissances. Reste à savoir si la couvert de rire, mettre l'humanité sur la scène. avec
Chine est réellement décidée à payer cette forte addi- une pointe de philosophie douce, qui repose et con-
tion. Si les différents ministres des Finances de l'Eu- sole. Et si nos ridicules sont placés sous nos yeux,
c'est toujours avec un tact parfait et. une bienséance Paris, c'esl le duc de Guise, Henri 1II n'étant
absolue. que le
roi de France. La conspiration contre celui-ci bat
Voici qui explique le succès de Capus, aussi bien son plein, et la révolution bientôt éclater, malgré
va
de La Veine qui continue de triompher aux Variétés, les supplicationsde Jeanne de Noirmouliers, qui aime
que de La Petite Fonctionnaire, qui a le même sort le duc et craint qu'il lie coure à sa perte. Henri III,
aux Nouveautés. ayant appris que l'un de ses mignons, Longnac, est
On a dit que La Veine devait surtout sa vogue à épris de la belle Jeanne de Noirmoutiers, lui donne le
l'interprétation, Ici, nous n'avons pas ï.ranier; mais conseil de la séduire et de l'enlever à Guise. Mais,
au
nous avons Mlle Thomassin, qui s'est révélée comé- moment où Jeanne va tomber dans le piège, des
dienne adorable; nous n'avons pas Guitry; mais de feu se font entendre. Ce coups
sont les factieux qui
Torin, merveilleux dans le rôle du vicomte de Sam- triomphent, et, devant Guise vainqueur, Henri III
blin, un José Dupuis jeune, mais un Dupuis des bons décide à se réfugier à Blois se
en s'écriant
jours, le Dupuis des Sonnettes ou de La Petite Mar- Ah! qui doit jour
« un me délivrer de Guise? »
quise. Nous n'avons pas Brasseur; mais nous avons Cette phrase fait clairement pressentir le dénoue-
Germain et Colombey, un Germain et un Colombey ment du drame. Tandis qu'au château de Blois
assagis pour ainsi dire, et ne donnant dans la farce fête Henri et Guise réconciliés, Longnac on
se prépare à
que juste ce qu'il faut. Avec cette interprétation irré- assassiner le duc, qui, malgré les supplications de
prochable, La Petite Fonctionnaire aura le même sort Jeanne de Noirmoutiers,
se rend au conseil où l'a
que La Veine; et ce sera justice, comme l'on dit au traîtreusement convié Henri III. Bienlôt il reparaît,
Palais. chancelant et ensanglanté, serré de près par Lon-
gnac, qui l'achève. Et Henri, contemplant son ennemi
A l'Odéon, pour terminer la saison, M Ginisty mort, s'écria
nous a donné Ma Fée, une sorte de pochade gaie, Oui, le voilà rayé du nombre des vivants!
d'une gaieté reut-être un peu déplacée au second Qu'il est grand! il ne m'a jamais paru si grand!
Théâtre-Francais, Cette nouvelle œuvre de M. Paul
Véter aurait Bien que parfois bruyante,.la partition de M. Geor-
pu s'appeler le « Chandelier à deux Huë brille par l'extrême ingéniosité de l'instru-
branches ». Car c'est en somme le dédoublement du ges
mentation, dont la trame est sans cesse reliée par
Chandelier, d'Alfred de Musset, avec un seul Fortu-
des thèmes du plus heureux effet. C'est savant, trop
nio et deux Clavaroches.
Ce vaudeville a beaucoup plu et pourrait bien être
savant même, ce qui,nuit à la clarté de l'œuvre, car
il ne faut pas oublierqu'il s'agit ici d'un drame lyri-
un succès d'argent. Il y a surtout un troisième acte
qui se passe au Musée du Louvre, où tous les person- que et non d'une œuvre de concert. Néanmoins, la
jolie ballade de Longnac, le monologue,empreint d'un
nages se retrouvent, et qui est d'une gaieté franche sentiment
fort expressif de mélancolie, d'Henri III;.
et de bon aloi. la pavane, la sarabande, le rigaudon et le menuet du
Et puis l'Odéon nous a servi le dessus du panier de
divertissement suffisent à maintenir à son niveau
ses jolies actrices, Mlle Sorel en tête. C'est
un four- l'auteur applaudi de la Belle au Bois Dormant et de la
millement de charmants minois qui n'a rien de désa-
musique de scène des Romanesques.
gréable.
Très bonne interprétation avec MM. Delmas, dans
Du côté du sexe laid, M. Coste est très intéressant]
le duc de Guise; Vaguet, dans Henri III, noté dans le
en.
réplique.
Clavaroche, M. Dauvilliers lui donne bien. la
rôle de Longnac; et Mme Bosman dans Jeanne de
].1~oirmoutiers.
Parlerai-je en terminant de la reprise du Tour du
Monde en 80 jours, au Châtelet. M. Rochard a rendu 1)péra-Comique. L'Ouragan, drame lyrique en
à la pièce célèbre de Jules Verne et Dennêfy son an- quatre actes, de M. Émile Zola, musique de M. Al-
cienne splendeur. Rien n'y manque ballets luxueux, fred Bruneau.
mise en scène soignée dont un éléphant absolument Bien sombre, le sujet de cet Ouragan, qui, en même
monstrueux, interprétation excellente de tous points t emps qu'il déchaîne à grands fracas les éléments en
avec Decori, Pougaud, M'~e9 Jane Hell'er et Dionne, fureur, met terriblement à nu ces deux passions,
celle-ci, jeune charmeuse de serpents, jolie femme
naères de tant de joies et de tant de deuils l'amour
doublée d'une artiste de talent.
e t la jalousie. Et, depuis de longs mois déjà, l'Opéra-
Comique(?) me semble -bien s'acharner à broyer du
A l'Ambigu, autre reprise, celle de l'antique Closerie n oir, ceci dit sans critiquer son aimable et distin.gué
des Genéts, avec Krauss dans le rôle de Frédérick- d irecteur, car, en fait d'œuvres lyriques, on prend ce
Lemaître, et M"8 Archaimbauld très remarquables q n'on trouve, et cette fois, comme bien d'autres,
d 'ailleurs, le choix a été bon,
tous deux une reprise qui pourrait bien être plus
fructueuse que beaucoup de pièces nouvelles. Commençons par dire, pourtant, que les quatre
QUENTlN-BAUCHART.
actes de l'Ouragan auraient pu se réduire à trois,
l'action y eùt gagné en clarté et en vigueur, et la mu-
siique eût évité une monotonie qui nuit à
une mani-
fe,station lyrique réellement puissante et animée d'une
LA MUSIQUE rande sincérité.
1:> "1
A.cadémie nationale de musique. Le Roi de Deux frère's, le marin Richard et le pêcheur Lan-
Paris, drame lyrique en trois actes et quatre ta- diry, étaient épris de la même femme, Jeannine.
bleaux, deM. Henry BOUCHUT, musique de M. Georges L' 'aîné, Richard, s'est sacrifié et est parti à l'aven-
HUE.
tuIre, et Landry est devenu 1 époux de Jeannine. Cette
Nous sommes à l'époque la Ligue, et le roi de
dp,
ut1ion n'a été pour la malheureuse qu'une longue
autre M.Béchéret, un ténor déjà applaudi dans plu-
suite de désillusions et de peines rouée de coups,
abreuvée d'injures et de privations par IID mari à la sieurs réunionsd'amateurs, et Mlle S. Raubardeau, une
fois fainéant et ivrogne; elle pense à l'abs6Dt, au beau pianiste qui pourrait d'ores et déjà se faire entendre
marin Richard, car, pour comble de malheur, c'était avec succès dans nos grands concerts.
lui qu'elle aimait, et que, sans doute, elle ne reverra Toutes nos félicitations à Mlle Proûst. Quand on
plus. Mais voici que la mer se fait haaleuse; UIl point arrive à former de semblables élèves, on peut dire à
noir a taché l'horizon c'est la tempête. Bientôt un bon droit et sans nulle forfanterie que l'on est un
navire s'approche, il gagne, pour s'abriter, la petite professeur de premier- ordre.
EM. FOUQUET.
baie de l'He, et, accompagné de Lulu, une jeune In-
dienne qu'il a arrachée à la mort et dont il a fait sa ~r9
fille adoptive, Richard apparalt. Quelle n'est pas sa
douleur, quand il apprend l'horrible situation de PETIT COURRIER TIMBROLOGIQUE
Jeannine! Et peu à peu ces deux êtres, meurtris par
l'épreuve, se reprennent à espérer, à aimer et n'ont
plus qu'une pensée fuir au plus vite ces lieux de Les Timbres français.
deuil et de misères. Mais Marianne, la soeur de Jean- Avant de quitter la France dont j'ai jusqu'ici étudié
nine, qui aime aussi Richard, a tout vu, tout entendu les différentes émissions de timbres-poste, je dois
Landry, informé de ce qui se passe, accourt, un poi- signaler les timbres télégraphes, les timbres pour
gnard à la main, et c'en serait fait de son frère, si journaux et les timbres taxes qui sont également
Marianne, arrivant à temps, ne lui plongeait son cou- recherchés par les collectionneurs.
teau dans le coeur. On croirait alors que tout va s'ar- C'est en 1859 que les chiffres taxes furent créés en
ranger, et que, Landry mort, Richard épousera Jean- France. Destinés à représenter sur les lettres la taxe
nine. Point. du port à réclamer au destinataire, ils se compo-
Celle-ci, ayant reconnu l'amour de Marianne pour saient d'un cadre carré, du chiffre de la taxe et des
Richard et ne voulant point d'ailleurs abandonner sa inscriptions, le tout tirés en noir sur blanc. Le 10 cen-
sœur dans l'Ue à peu près déserte où elle habite, times qui fut émis tout d'abord était ou typographié
le
renonce à la joie suprême de suivre le bien-aimé, ou lithographié. Le premier vaut 25 centimes, l'à
qui, le cœur ulcéré, part avec la petite Lulu, dont second 12 francs. Le lithographié a l'accent grave de
presque horizontal, la barre supérieure du chiffre
1
l'amour filial finira peut-être un jour par le con-
soler. petite et courbée le mot centimes est en lettres
En dépit des longueurs et de l'obscurité de cette petites et espacées; la barre inférieure du p est peu
action, en dépit de son dénouement, dont la vraisem- visible. Le typographié a l'accent grave de l'à presque
blance est très contestable, M. Bruneau a fait de vertical; le mot centimes est en grosses lettres rappro-
l'Ouragan une partition sensiblement supérieure au chées, la barre de 1'1 est droite et allongée; le p de
Rêve et à l'Attaque dzc mouli~a. percevoir est imprimé très visible.
Quel dommage qu'il se croie en devoir de noyer En 1863, fut créé un 15 centimes au même type; il
typographié, le
tant de belles inspirations mélodiques dansl'Oiiragan se trouve également lithographié et
trop souvent déchaîné d'une pléthorique instrumen- premier valant 9 francs, le second 30 centimes. Le
tation Aussi bien doué qu'il l'est, pourquoi chercher Iithographié a l'accent grave de l'à horizontal; le mot
à se wagnériser? ne lui suffit-il pas de rester lui- percevoir est cintré; Je trait inféa
même? Qu'il rompe donc une bonne fois en visière rieur de la barre inférieure du p
avec cette manie qu'encouragesottementle snobisme est peu visible. Le typographié a
et qui porte à l'art un préjudice si sensible. l'accent de l'à presque vertical, le
Je n'ai pas à citer en détail les beautés renfermées mot percevoir est moins cintré.
dans le drame lyrique de M. Bruneau, je serai obligé En 1871, émission d'un 25 centi-
de trop m'étendre; d'ailleurs dans une telle œuvre mes noir, d'un 40 centimes Dieu
1 e1
_L
tout se tient et s'enchaîne et il faut l'entendre inté- d'un 60 centimesjaune. En.1878, d'un 30 centimes noir
gralement pour en juger le réel mérite.. et d'un 60 centimes bleu. Seul le 60 centimes jaune
L'Ouragan est fort bien interprété par Mm.. Delna, est cher, il vaut une trentaine de francs. Le 25 cen-
Raunay et Guiraudon, et par MM. Maréchal, Bourdon times noir vaut 40 centimes le 30 centimes noir 60
et Dufranc. centimes; le 40 centimes bleu 10 francs; le 60 cen-
Quant aux décors, ils sont très pittoresques; en ce times bleu 85 centimes.
FILIGRANE.
qui concerne le dernier tableau, M. Albert Carré a,
de concert avec M. Jusseaume, accompli un véritable NOUVEAUX TIMBRES PARUS DEPUIS FÉVRIER
tour de force en transformant la petite scène de laL
Argentine 30centavos carmin. Costa-Rica 50 centi-
salle Favart en une rade spacieuse, au bord de la- times violet et bleu; 1 colon bistre et noir; 2 colonnes
quelle se groupent des maisons de pêcheurs sur- rose et noir; 5 colonnes brun et noir; 10 colonnes vert et
plombés de hautes falaises. carmin. Crète: timbres taxes. 1 lepton, 5, 10, 20, 40 et
50 lepta, 1 et 2 dr. tous rouges. Curaçao taxe 30 cen-
times ven,et noir. Dane7nark 24 tir brun. Domini-
caine type en cours. 1/4 centavo noir; 1/2 centavo noir.
Terminons cette chronique riiusicale en consacrantt Espagne télégraphe, 5 centimes noir 10 centimes bleu;
quelques lignes au brillant concert donné le dimanchee 15 centimes orange; 30 centimes violet; 50 centimes rouge;
1 peseta bleu; 4 peseta rose; 10 peseta vert.
Hongrie:
28 avril, 44 rue de Rennes, par les élèves dEe 5 k.
20 fil. brun; 35 fil carminé; 2 korona bleu pâle;
Mil. Proûst, professeur de chant et de piano à Paris, lilas. Islande: 25 brun et bleu type 1873. ll~euvelle
3, rue Corneille. Ces élèves, dont la plupart, grâce à Zélande t p. carmin. Pérou 1 centime vert et noir
l'excellente méthode de leur professeur, sont déjà de!s 2 centimes rouge et noir; 5 centimes violet et
noir.
artistes, ont été chaleureusement acclamés, entree Serbie 3 dinars rose 5 dinars mauve. Tunisie: types
en cours 10 centimes carmin; 15 centimes, gris 25 cen- Américaines cQ/¡mopolites que l'on rencontre place
times bleu. Taxes 1 centime noir; 2 centimes orange; d'Espagne ou rue de la Paix. M. Pierre de CouIevain
5 centimes bleu; 10 centimes brun; 20 centiines vert; 30
a admirablement choisi les décors de « sa' pièce» » et
centimes carmin; 50 centimes brun rouge. Uruguay
25 centimesbrun noir 50 centimes carmin 1 peso vert. il parle en connaisseur des lieux pittoresques où les
Victoria anciens types sans stamp duty 1/2 p. vert; scènes se jouent. Rien de mieux vu et de inieux
1 p. rose; 2 p. violet; 21/2 p. bleu; 3 p. rouge; 4 p. bistre; rendiJ que sa Rome et son monde romain. Enfin,
5 p, brun; p. vert; i sh. orange; 2 sh. bleu sur rose; 5 sh.
ce qui ne gâte rien, ce livre est écrit; j'en aime les
rouge et bleu. traits amusants et aussi ces pincées d'anglais et
PRIMES TIMBROLOGIQUESDU 15 MAI d'italien, ces quelques pickles et ce « parmegiano )).
Ceylan 1883. Four cents lilas rose. N. 0 fr. 80.
Uruguay nouveau, 2 centimes rouge. N. 0 fr. 25 Espionne, par MAX DUFORT.
hfaurice 1891, surcharge two cents sur 38 centimes sur
9 violet. N., 0 fr. 95. Un jeune écrivain, M. Max'Dufort, vient depublier
Japon 1900. 1/2 sen bleu. N., 0 fr. 15. chez Calmann-Lévy,unroman, Espionne! qui n'est pas
-Toacane 1850, 4 crazie vert. N. 0 fr. 80.
.Egypte 1867, ta paras violet. Obl. 0 fr. 50; 20 paras
une œuvre banale et que l'on prendrâ grand plaisir à
vert. Obl. 0 fr. 30. lire.
La donnée est intéressante Une jeune orpheline,
En dehors de nos primes nous pouvons faciliter à nos belle et fort riche, Louise Grandval, qui a refusé
lecteurs l'achat des timbres qui leur manquent, aux prix déjà de nombreux et brillants partis, s'éprend d'une
vrais, c'est-à-dire aux mêmes conditions que nos primes.
Pour tous les renseignements timbrologiques et les de- sorte d'aventurier italien sans le sou, Albert Aldini.
mandes de timbres, on est prié de s'adresser à Filigrane, Elle l'aime de tout son petit cœur que nul encore n'a
au bureau du Magasin Pittoresque. FIL. fait battre, se croit aimée delui et, malgré les remon-
trances de son tuteur et d'une amie d'enfance, elle
l'aime. Aldini, lui, n'a guetté que les millions de
Louise Grandval.
LES LIVRES Fille d'un officier général, adorant par-dessus tout
son pays, Louise Grandval a mis comme condition
au mariage (d'accord avec son tuteur), qu'Aldini se
Ève' Vioto~ieuse, par M. PIERRE DE COULEVAIN, ferait naturaliser Français. L'étranger a accédé à ce
Dans les rangs de jour en jour plus serrés des désir, à cause de la dot. Mais il n'a d'autre but que
livres nouveaux, de ces « jaquettesjaunes» qui mon- de quitter son pays d'adopti(;10 et de retourner dans
tent à l'assaut des vitrines des libraires, on se plaît sa patrie, pour le compte de laquelle il cherche à sur-
à remarquer et àsignalerles conscrits qui feront leur prendre les secrets de notre organisation militaire.
chemin. Oui, c'est un plaisir de trouver parmi tant Commentla jeune femme apprend qu'elle est l'épouse
de « vient de paraître» qui ne vous disent rien, une d'un espion, comment, en présence de cette terrible
œuvre qu'on peut recommander à ses lecteurs en découverte, son amour se change en mépris et en
toute confiance. C'est le cas, à mon avis, d'ÈVE Via- haine, comment elle parvient à déjouer les plans de
TORIEUSE, de M. Pierre de Coulevain (librairie Calmann l'espion Aldini son mari, c'est ce que je ne veux pas
Lévy). vous dire. La lecture d'Espionne! et cette lecture
C'est l'éLude d'une femme et l'étude d'un milieu. est du plus captivant intérêt vous l'apprendra.
La,femme est une Américaine, largement pourvue de Le dramatique des situations, nullement embrouil-
tous les biens de la terre, comme dit l'Opéra beauté, lées, la psychologie très fOlJillée des personnages, un
santé, richesse, mari illustre. Sa vie se déroulerait style clair, sobre comme l'action, alerte, vraiment
donc superbementmonotone, si une épreuve ou plu- français et voilà plus qu'il n'en faut pbur assurer
tôt une série d'épreuves ne lui apportait de la douleur un vif succès au roman de M. Max Dufort.
et de la variété. Jusqu'ici elle n'a connu qtW,Ies affec-
tions tranquilles, l'amour de tête, fait de mesure et de Vers le soir et les Parisiennes, d'ALBERT MÉRAT.
raison; son cœur paraît une merveilleuse petite mé- L'auteur, on le sait, est un de nos plus exquis
~anique, une mécanique américaine, aux pièces in- poètes. C'est un des parnassiens du début, un de
terchangeables, qui marche dans un clair obscur un ceux qui contribuèrent à rénover la poésie française
peu froid. Elle se croit, par expérience très forte, au- dans la dernière moitié du XIX. siècle. Son nom vivra
dessus des tentations, à l'abri du danger. Mais voici à côté du nom de Léon Valade, son collaborateur, à
qu'une aventure la trouble profondément, qu'une côté de ceux des maîtres tels que Théodore de Ban-
secousse ébranle la merveilleuse petite mécanique. ville, Glatigny, Mendès, Coppée, Hérédia, Theuriet.
Le coup de soleil d'une passion inespérée, éclaire et Bibliothécaire du Sénat, Albert Mérat s'est bien
réchauffe le « clair obscur et
met le feu aux gouttes
de sang latin que l'Américaine a dans les veines.
gardé de délaisser les muses. Et il nous donne, coup
sur coup, chez l'éditeur Lemerre, un volume de vers,
Succombera-t-elle ? sera-t-elle victorieuse? Elle et une plaquette. Le volume porte ce titre, infiniment
vaincra, mais au prix de vives souffrances. En pleine poétique et mélancolique un peu Vers le soir. La
lutte, pour diriger et apaiser les- énergies qui bouil- plaquette s'appelle Triolets sur les Parisiennes. On
lonnent tumultueusemen~ en elle, elle se jette dans goùtera la délicatesse de la forme, la grâce char-
la religion catholiqne; elle se convertit. Le sang latin mante, l'esprit qui y fut à profusion semé, ses deux
a donc aussi sa victoire 1 Quel dommage que je ne œuvres nouvelles d'Albert Mérat.
puisse citer les péripéties de cet attachant roman et
surtout l'histoire du mariage, à Rome, de la nièce de Pierre CUSTOx publie un livre de
Chez Ollendor~, M.
notre héroïne, qui est le motif principal et indispen- nouvelles Midschip, nouvelles de jeune qui tien-
sable, du rÓman 1 dra sans doute les promesses que nous apporte son
Le milieu -vous l'avez deviné c'est celui des début dans les lettres. M. Pierre Custot a une prédi-
lection marquée pour les choses et.lesJgens de: mer, CONTRE LA COQUE1,UCHE'
comme,en.témoigne sa première.nouvelle, sous-le Le SIROP DERBECQ à la GrindeZia Robusta,. e.~périménté
nom de. Midschip on désigne, en effet, dans la marine dans les hôpitaux de Paris, a donné les résultats les plus
l'aspirant de pe classe, mais les autres domaine.s favorables. De plus; le SIROP DERBECQ né renfermant aucun
toxique peut ~tre administré sans crainte aux plu3 jeunes
ne lui. sont pas, interdits. Il promène sa fantaisie dans enfants, auxquels il procure un soulagement immédiat en
la légepde, l'antiquité, la viede province, etses essais
arrêtant lès vomissements et en diminuant le nombre'et
qui ont droit à nos félicitations méritent aussi nos la durée des quintes. Ce Sirop se vend à raison de 4 fr.
sincères encouragements. Je signalerai dans son vo- le flacon ou 7 fr. les deux. La grippe et les toux nerveuses
lume l'Abbé Boisumeau et Thétro. sont également guéries par le même SlROP DERBECQ;
JOSEPH (.ALTIER. N6TTOIAGE~DES TAP1S
L'artiste qui nous a donné l'oeuvre exquise que Il ne faut peut-être pas chercher ailleurs qu'en
voici appartient à la forte race paysanne. Son cette origine le. secret du talent' affirmé par le
grand-père était laboureur et vigneron quand petit-fils.
il rentrait des champs, le soir, il s'amusait au On peut dire de Jean Baffier qu'il est l'homme
coin de l'âtre, à sculpter des morceaux de bois. de sori œuvre: ce gars robuste et simple, avec
Ses doigts habitués à tailler les vieux ceps de ses bons yeux francs et clairs, avec sa barbe
vigne furent assez habiles à confectionner ainsi drue épanouie sur un torse d'athlète; ne pouvait
un grand lit à colonnes orné de dessins vigou- produire que des choses"puissantes et sincères,
reux. C'est dans ce lit que Jean Baffier a dormi A trente ans, Jean Baroer n'était encore qu'un
et fait ses premiers 'rêves d'enfant. tailleur de pierres la Jéannette que vojci nous'
~6r JUIN f901. H
apprend quel artiste il est devenu. Cette petite Pour prêcher cette théorie et la rendre pra-
Berrichonne appliquée à son ouvrage, et dont les tique, Jean Baffier a fondé un groupe qui s'ap-
yeux baissés nous disent l'âme simple et ingé- pelle « Les ouvriers d'art de Plaisance ». A l'aide
nue, accuse bien le caractère du Maître. Il y a, de réunions, de conférences,de brochures payées
dans ce morceau de sculpture, une franchise, de sa poche, il propage ardemment son idée il
une simplicité qui reposent; à côté de tant d'œu- enseigne la beauté simple de l'art, quand ses élé-
vres compliquées où l'art se tourmente pour ar- ments sont puisés dans la nature; il démontre
river à de ll'effet, ce petit buste triomphe sans qli'il n'est pas impossible pour le citoyen le plus
effort. pauvre de se procurer une jouissance artistique.
C'est que Jean Baffier n'a jamais connu, n'a Jean Baffier voudrait que la maison du simple
voulu connaître qu'un maître la nature. D'au- travailleur fût meublée avec un souci d'art. Il
tres vont chercher leur inspiration très loin, à n'est pas indispensable, en effet, de posséder des
des sources que troublent l'extravagance et la millions pour avoir autour de soi quelque objet
folie; lui, se contente d'observer autour de lui, sur lequel l'œil se pose avec plaisir. Au lieu de
et son observation se traduit en des œmres tou- nous entourer d'un mobilier d'une banalité mo-
jours saines. rose, pourquoi ne pas donner aux objets familiers,
Jean Baffier est un indépendant qui ignore parmi lesquels nous vivons, une forme harmo-
l'intrigue et n'a jamais couru après les honneurs. nieuse ? Un jour, Jean Baffier observaune fleur de
Depuis quelques années, avec une opiniâtreté genêt, une graine de nielle, une fleur de pois,
d'apôtre, il poursuit une idée très belle qu'il et de ces trois motifs fit sortir une salière, un
compte bien réaliser un jour. Ce petit-fils de pay- gobeiet, un bougeoir trois merveilleux étains
sans, grandi en pleine nature, rêve pour les ar- qui sont au Musée Galliera,
tistes, ses frères, une liberté que nos moeurs Car Jean Baffier n'est pas seulement un in-
leur ont confisquée. Il voudrait le retour au bon comparable sculpteur de la pierre ou du marbre
vieux temps, à l'époque des anciennes corpora- il cisèle aussi l'étain, le fer, le cuivre, avec un
tions, quand l'ouvrier, quel qu'il fût, avait le même amour de la beauté,
droit de travailler selon sa conscience ou sa fan- Et ce grand artiste que hantent les beaux sou-
taisie. venirs du passé, et que je serais tenté d'appeler
Aujourd'hui, dit Jean Baffier, l'ouvrier d'art simplement Jean de Bourges, comme les imagiers
fait des heures et non des œuvres; il lui est in- d'autrefois, me semble, avec sa nature simple,
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terdit d'avoir un idéal, ou plutôt, il n'a pas le robuste ef loyale, un ouvrier d'art du Moyen
temps de le chercher. Et c'est pourquoi il vou- Age égaré dans notre civilisation raffinée.
drait voir revenir l'heureuse époque des corpo- Ou. FORMENTIN.
rations et des compagnonnages, alors que l'ar-
tiste ne travaillait pas pour une commande à
heure fixe, mais n'était poussé que par l'émula-
S'appliquer à valoir mieux que ses ennemis, c'est com-
tion, souvent féconde en chefs-d'œuvre. mencer à les détruire. PREVOST-PARADOL.
comme vous pouvez bien penser. J'espère qu'un jour Voilà une vraie lettre de grand'mère, qui
quand vous passerez le vôtre, il en arrivera de port~ à Pierrefonds la même affection que sa
même. Marie et Louise (les deux filles de la duchesse fille et qui envoie tous ses souvenirs aux précep-
d'Albe, cousines du Prince) ont beaucoup grandi et se
teurs, compagnons de l'enfaQt chéri.
portent fort bien. Cette année se passera sans que D'une lettre de Charles Stuart, fils du duc
ni moi, ni eux nous ayonsle plaisir de vous embrasser.
ça.me fait de la peine, car vous savez que, de tous d'Albe, et cousin germain du Prince, il faut
mes petits-enfants, vous êtes l'enfant chéri. extraire ce fragment daté du 5 juillet.1866,
Bien des choses de ma part à M. Monnier, M. Ba-
chon et Miss Shan, et vous, mon cher enfant, soyez Bonne maman Montijo va nous donner un diuer
sûr de ma tendresse et de mes senlimellls affectuéux, dans sa maison de Carabanuhel, où nous s'erons qua-
Comtesse de MONTIJO, rante enfants. On s'amusera comme vous pouvez
p- penser. Ici nous avons été très ennuyés par la l'ho.
de ma part l'Impératrice et vous
Vous'embrasserez' lation qui a eu lieu le 22 juin; cinq grenades sont
présenterez mes respectueux hommages à l'Empereur. tombées sur la. maison et une, après avoir traversé
plusieurs murs, est entrée dans le grand escalier. les acteurs, Espinasse, Conneau, Bourgoing, et
Des. chiens de bonne maman, l'un est mort l'année cela finissait par le couplet de Poitrinas chanté
dernière, l'autre va très bien. par le Prince
Quel amusant mélange qui reflète la vie de I
On n'a pas toujours un si beau parterre,
ces enfants, faite d'événements politiques et de On n'a pas toujours maman et papa,
mesquineries, contées dans le ton enfantin, Le 15 juillet suivant, la guerre éclatait.
revues par la mère et le professeur. Toute l'histoire de quinze ans revit dans cette
Et ceci encore, cette lettre de Napoléon III, vitrine, devant les vieux papiers jaunis c'est à
qui mêle la politique et le pot-au-feu, et se la fois assez loin pour que le souvenir ait déjà la
targue de sa puissance militaire quatre ans avant patine du passé, et c'est assez près aussi pour
l'Année terrible nous donner ce petit frisson des choses qui se
Saint-Cloud, 9 septembre 1866. mêlent à la trame de notre propre existence.
Moncher enfant, Cette vitrine nous a bien longtemps arrêté.
Tu m'as fait bien plaisir en m'écrivant parce que Elle n'est pourtant qu'un point dans ce vaste pa-
cela me prouve que tu penses -L moi. De mon côté norama de l'Enfant à travers les uges, où l'on
mes pensées se tournent toujours vers toi, et il me nous montre les poupées de crèches, les poupées
tarde bien de t'embrasser. Saint-Cloud est bi(~n tristeà costumes nationaux ou locaux, les poupées de
depuis ton départ; je travaille toute la journée, et lejeu, les ravissants petits meubles, les berceaux
soir nous jouons au billard ou on fait quelque lecture. le premier caleçon du comte de Paris, le
Le travail que j'ai fait m'a beaucoup intéressé parce royaux,
fusil du Roi de Rome, les jouets des dauphins,
que j'ai trouvé le moyen sans grandes dépenses les petits
d'avoir en temps de guerre un million de soldats. canons d'autrefois, les ménages, les
J'espère que tu as reçu mon gibier. Je t'apporte une cuisines, les hochets, les livres de prix, les pa-
bouteille qui cuit un pot-au-feu en trois heures en le piers de compliments, les estampes enfantines,
mettant au soleil. Adieu, mon cher enfant, porte-toi et toute la série de l'imagerie populaire depuis
bien et crois à la tendresse de ton affectionné père, deux cents ans. Qui voudra tout voir devra sou-
N.\I'OLÉOX. vent revenir. Et quelle jolie carrosserie, quelle
mignonne artillerie, que de rouets, de navires,
En 1868, le Prince fit sa première communion. de breloques, de figurines, de toiles peintes,
Il avait douze ans. Toutes les étapes de son en- d'estampes, de lithographies
fancè sont marquées par des lettres, des devoirs, C'est tout un passé qui renaît, qui revit, non
des dessins, des photographies. pas le passé tel que l'histoire nous le présente
Arrêtons-nous à ce document qui date de pour l'ordinaire, le passé des hommes arrivés à
mars 1870. C'est le programme d'une fête pour l'âg'e adulte, à l'ambition et à la méchanceté,
le Mardi-Gras. On joua aux Tuileries La G~·ana- mais bien le passé innocent et aimable des petits,
naaire de Labiche. Le Prince jouait Poitrinas. Le et c'est un tableau charmant, d'où la haine et le
général Frossard 'écrivit un memento pour la calcul sont bannis, tout de bonté, de grâce ai-
musique, car on avait ajouté des couplets.pour mable et souriante, de fraîcheur, de jeunesse et
de pureté. Et ce sont ces petits d'autrefois qui
tendent aujourd'hui leurs joujoux comme des LA CHANSON DU CHAMPAGNE
des tasses de quête en faveur des petits malheu-
reux du temps présent.
Ce qu'il faut signaler à part, pour sa grandeur Salut vin blond, vin rutilant!
Le dieu du rire étincelant
et sa beauté, c'est la merveilleuse crèche napoli- Qui vibre avec toi dans le verre,
taine de Charles III de Bourbon, roi de Sicile, Sort de ta mousse ainsi Vénus,
faite vers 1760. Elle occupe une des rotondes du Le ciel dans les yeux, les seins nus,
Naquit jadis de l'onde amère.
Petit-Palais; dbnt elle est l'un des plus considé-
Sur les coteaux tes échalas,
rables ornements, avec son décor de rochers Malgré la pluie et le verglas,
figurant les ruines de Pæstum, peuplés par trois Malgré les nuits de mars trop fraiches,
cents figurines vêtues de belles étoffes, parées Mûrissent leurs ceps amoureux
De ce sol blanchâtre et pierreux
de petits bijoux véritables, sculptées par les plus Où les outils d'acier s'ébrèchent.
grands ma!tres du XVIII" siècle italien, Matthéo, Tu bus les parfums des matins;
Gori, Sanmartino et autres. Vers la Vierge as- Tu grossis sous les argentins
sise dans un vieux temple païen en ruines, Rayons de la lune en septembre;
Et les chauds soleils des midis
vous voyez le symbole, et tenant le bambino Qui baisent les grains attiédis
sur ses genoux, un immense cortège accompagne Te donnèrent tes grappes d'ambre.
les Bergers de l'Étoile miraculeuse, les Rois Un jour on vint pour te cueillir.
Mages, leur escorte, leurs musiciens à cheval,.la On vit les corbeilles s'emplir,
Samaritaine et sa brillante suite. Sur le pas des Tandis que chantaient gars et filles.-
Lorsqu'au lointain tomba le soir
auberges, des cabanes, des cavernes, les pâtres Un char criant vers le pressoir
des Apennins sont sortis et admirent; les visages, Porta le butin des faucilles.
sculptés dans le bois, sont d'une expression et On versa les moûts pressurés
d'une finesse indicibles les animaux, les fruits, Dans de grands tonneaux ensoufrés
Où pouvait fermenter ta sève.
les fleurs, le tout en cire, sont le dernier mot de Dans leurs flancs durs on t'enserra;
l'art délicat, ingénieux, réaliste. L'ordonnance Avant l'heure on t'en retira r
générale est d'une simplicité grandiose et d:une Tu fus alors le vin du rêve,
belle unité. Les détails sont exquis, et l'on vtiu- Joyeux comm'e un coup de clairon,
Ton nom retentit lorsqu'en rond
drait avoir dans sa vitrine telle corbeille de Circulent gaîment tes bouteilles,
raisins én cire, telles petites vaissel-les d'argent, Tes bouteilles au casque d'or,
présent des Mages, et les petits instru~ents de A la panse verdâtre, où dort
L'éclat de tes lueurs vermeilles.
musique des tibicines, et les guitares incrustées,
Mêlant, pour charmer le buveur,
et ces mille riens qui évoquent, dans t0)ite l'in- Dans ta délicale saveur
tensité de sa vérité, la vie paysanne de l'Italie Les parfums flottants de l'aurore,
du XVIII" siècle c'est un coin des Apennins en Magicien mystérieux,
Tu dérobas la joie aux cieux
plein Paris. Et l'e'nfermas dens une amphore.
Ce vaste tableau de la vieille Italie occupe un
Tu sais ensoleiller l'esprit,
vaste espace, 10 mètres de long, autant de pro- Ta mousse qui pétille et rit
fondeur, mètres de hauteur. C'est une pièce Nous l'aimons comme l'espérance.
unique au monde. La Crèche du Musée San Notre cœur bat quand nous. buvons
Dans ton flot clair nous retrouvons
Martino de Naples n'en approche pas. Le Musée Ce qui nous fait chérir la France.
de Cluny est tout désigné pour attirer et garder Salut vin blond, vin rutilant!
ce monument superbe de l'art des presepi,. jus- Le dieu du rire étincelant.'
qu'à présent bien ignoré en France. Prôtitera-t-il Qui vibre avec toi dans le verre,
Sort de ta mousse ainsi Vénus,
de l'occasion? Il est à souhaité que la Crèche Le,ciel dans les yeux, les seins nus,
de M. Garidais nerèpas'se.p~s'les Alpes. Naquit jadis de l'onde amère.
LÉo CLARETlE, RavntoNn LÉCUYER
sur un de ces ânes gris, tranquilles et robustes, de Todi, qui encadre une vue non moins pitto-
que peignait si dévotement Fra Angelico, Tra- resclue. Todi est une modeste cité de l'Ombrie,
verser la Toscane à toute vapeur, -en c"oiIp-de si haut perchée qùes:onsomm.et est inaccessible
mistral, quelle barbarie 1 Il faut certes reconnaître aux voitures. Elle est 'entolÙée de restes de mu-
que les compagnies italiennes pour obéir, railles qui attestent, sa: gi'arideur passée. La cou-
j'imagine, à d'artistiques préoccupations pole due l'on voit; sur notre gravure, dans
s'efforcent de rendre leurs express'aussi modé- l'encadrement' de la porte, dite Po~~ta Libera
rés que des trains omnibus, et ces trains omni- appartient à S. ~laria della ConsolaNione, une des
bus aussi lents que des trains de marchandises, plus belles églises de la Renaissance, que l'on a
attribuée longtemps à Bramante. C'est à Todi
qu'est né Jacopone da Todi, auteur du Stabat
maler.
Quand, au printemps, on s'arrête devant cette
porte dont l'auguste vétusté fait un si poétique
contraste avec le paysage frissonnant de jeunesse,
auquel il sert de cadre, on regrette de ne pou-
voir s'écrier qu'on est peintre! N'est~ce pas l'im-
pression et le regret que l'on éprouve également
sur l'Aventin quand on découvre, au bout d'une
allée de la villa des chevaliers de Malte, la cou-
Depuis plusieurs heures déjà, je parcourais la sance. et maintenant le soleil, s'inclinant sur
ville à la fois gracieuse et intéressante qu'est Ha- l'horizon, dorait la jolie cité allemande, la poé-
novre tour à tour je m'étais arrêté devant l'im- tisait davantage encore.
posant « Château des Guelfes », m'étais promené Soudain, la voiture s'arrêta devant la porte d'un
dans la superbe allée de Herrenhalisen; soit petit cimetière, et le cocher, étant descendu de
dit en passant, son 'siège,me
un Sous les til- fit signe de le.
leuls autre- suivre, Nous
ment beau que marchâmes'
celui de Bèr- une demi-mi-
lin j'avais nute environ-
admiré les et ne tardâmès
quartiers pas à àrriverr
neùfs aux mai- de'van:t une'
sons sembla- tomb'e: une:
bles toutes à tombeentr'ou-.
des palais et verte, crevée,
qui~omhosent pour ainsi-
.~e que l'on dire, par 'un
nomme le é'notmetilleul.
Sclzi jj'gràbén Je restai, je
j'avais enfin l'avoue, étôn-
contemplé né e'n face de
avec un rare ce phénomène
plaisir les naturel, et l'es-
hauts et étcan- prit captivé
ges pignons par la bizar-
de la « Vieille rerie du' fait.
ville », l'an- Le tombeau,
cien I-I8te1 de cela est. vÍsi-'
Ville aux murs ble, se coinpo-:
de briques pa- sait jadis
tinés par le d'une pierre«
temps je m'é- relativement
tais particuliè- plate surmon-
rement attar- té d'uneautre
dé devant la plus haute et
maison du cé- plus étroite,
lèbre philoso- sorte de sarco-
phe Leibnitz, phage. Mainte-
spécimen cu- nant. la pre-
rieux de l'ar- mière est fen-
chitecture de due, séparée
la Renais- La Tombe entr'oucerte. en deux blocs
même, et la seconde est repoussée violemment Des yeux, je cherchai à déchiffrer l'épitaphe;
de côté, mise en travers et quelque peu desé- le temps, malheureusement, l'a presque entière-
quilibrée. tandis que l'arbre, splendide et fort, ment effacée et je lus ce- seul nom
s'élève, sa racine mordant la sépulture violée, HENRIETTE ·
son tronc surgissant de la tombe, ses rameaux
C'était la tombe d'une femme.
se balançant dans l'azur.
Sépulture violée. non, le terme est impropre; Alors, tandis que, suivant le sentier frayé entre
ceci est plutôt un symbole La vie naissant de la les tertres, je m'éloignai avec regret, ce fut tout
mort. Oui, la vie, l'éternelle vie toute-puissante à coup en ma mémoire le souvenir de
l'histoire
semble ici actualiser son triomphe sur la stupide mythologique de Philémon et de Baucis, et mal-
mort; le duel de l'être et du non-être; celui-là gré moi, jetant un dernier regard à la tombe
vainqueur, calme et superbe, de celui-ci. L'arbre ent'rouverte, je murmurai
est né et, sans bruit, mais renversant l'obstacle, Beaucis devint tilleul, Philémon devint chêne.
s'est fait une place, a grandi, a monté vers le
soleil. BERTHOLD.
FRÉDÉRIC
Les guerres de l'Afrique du Sud et de la Chine vant recevoir 750 animaux. Autour des écuries,.
ont donné naissance, parmi les Américains tou- il fit faire des enclos, des cours, des pistes, des
jours entreprenants et inventifs, à une nouvelle routes. Puis il engagea les meilleurs profession-
et singulière industrie, celle du dressage des nels de chevaux qu'on pût trouver et l'établisse-
chevaux et des mulets sauvages à l'usage de ment comptait bientôt, parmi un personnel d'en-
l'armée. Il a été établi par les autorités militaires viron qnatre cents hommes, une cinquantaine
que l'importance des bêtes soigneusement dres- de gaillards capables de monter sans difficulté
sées s'accroit de jour en jour. Depuis le commen- les chevaux les plus indomptables. A cette troupe
cement des troubles sud-africains, le manque de de cavaliers sans peur fut adjointe une escouade
chevaux a été le grand souci des généraux an- de conducteurs d'attelages pour former des,che-
glais et une des causes de la longue durée de la vaux pour l'artillerie ceux-ci, comme les précé-
guerre. Les mêmes conditions règnent en Chine dents, furent choisis parmi les plus expérimen-
et aux Philippines sans chevaux, la cavalerie, tés'du pays et rétribués largement. Leur salaire,
l'infanterie et l'artillerie sont impuissantes. d'ailleurs, était bien gagné, car ils risquaient
Un ingénieur américain, M. Grace, a trouvé leur vie une douzaine de fois par jour.
moyen de répondre à ce besoin essentiel, en Lorsque l'installation fut terminée, la Compa-
installant à Baden, petite ville à quelques lieues gnie fit venir des chevaux et des mulets de toutes
de San-Franoisco, ~n établissement unique pour les grandes plaines de l'Ouest il en arrivait deux
dressage de chevaux et de mulets. pour l'armée. cents par jour. Les uns étaient apprivoiséS' et
Les proportions de l'établissement, le système n'avaient qu'à être remaniés pour l'usage mili-
des cavaliersdompteurs et les résultats obtenus taire; les autres étaient absolument sauvages, de
font de la maison Grace et Cie une véritable cu- vraies brutes dangereuses, ne connaissant rien
riosité. Elle est aujourd'hui connue du monde de l'homme.
entier, grâce au cÓntrat qu'elle fit avec le gou- La première chose, à l'arrivée des animaux,
vernement allemand, au début des hostilités en1 était de les examiner et de les classer. Les sau-
Chine. D'après les termes de ce contrat, la' Com- vages étaient immédiatement confiés aux--soins
pagnie s'engageait à livrer au gouvernement alle- des hommes spéciaux, cavaliers ou condueteurs,
mand, en trois mois de temps, quatre mille" che- et enfermés dans un enclos long et étroit, -eti,
vaux et mulets parfaitement dressés, aptes à toms touré de hautes et fortes planches. Une fois pri-
les services et prêts à être embarqués, Ces ani. sonniers ici, ils devaient subir le licou sans poti=
maux devaient être inspectés par une commis, voir s'en débarrasser, la place étant trop étroite
sion composée d'officiers allemands et classé:s pour .remuer. Puis, le licou posé, ils étaient sor-,c
pour les services différents; leur couleur et lemr tis de l'enclos et attachés,"à,de solides p.otMtiX,
poids mêmes sont spécifiés. reliés entre eux par desplaQ.Cb.es. Souvent, il ne
La tentative de M. Grace, si impossible qU?!JU(e fallait pas moins de quatre à'J>1nq hommes'poùrf.
parût, réussit pleinement. Il commença d'abbT<3 conduire une decesb~tes rétiNes.
Attachés aux poteaux, les chevaux ruent et se
par faire construire à Baden quelques écurie:s dérrlÈiFiént de toute leur fomq pour rompre le
provisoires, étroites comme la. place qui est ré
li~6~après des heures de râg~'é impuissante, ils
servée aux bêtes à bord'desnavires. Au bout d,e
quelques semaines, il avait une installation pouL- tombent épuisés pour recommencer de :plu's
belle le lendemain. Cette expérience se prolonge de nouvelles révoltes, vaincues, comme les pre-
de deux à six jours, selon les dispositions de mières, par l'épuisement. C'est l'instant de le sel-
l'animal; au bout de ce temps, il laisse l'honime ler. Le cavalier l'approche doucement, avec des
l'approcher et le mener par une corde-: il est paroles câlines, pendant qu'un autre homme, avec
prêt à aller sur la piste pour être monté. Alors, mille précautions, place la selle. Choisissant un
il est confié aux cavaliers qui doivent achever moment propice, le cavalier saute en selle. Le
son éducation. Chaque cavalier monte six che- cheval cherche par tous les moyens à secouer son
vaux par jour; avec les cinquante cavaliers de tourmenteur, mais il n'y parvient pas. La porte
l'établissement, trois cents bêtes sont travaillées de l'enclos s'ouvre alors, et le cheval se précipite
journellement. follement sur la route. Le cavalier le laisse faire,
Un personnel spécial est chargé de seller les et sans s'inquiéter fume sa cigarette. Au bout
chevaux. On commence cette opération par d'une course insensée, la bête, impuissante à se
mettre un bandeau sur les yeux de la bête, et défaire de son bourreau, se résigne à le suppor-
l'on pose tranquillement sur son dos la couver- ter elle est maîtrisée et fera un excellent cheval
ture et la selle; le cavalier monte et on enlève le de cavalerie.
bandeau. L'animal, furieux de, ce nouveau chan- Les plus fameux cavaliers dompteurs sont des
gement, se précipite dans la piste circulaire, en Mexicains et des Indiens; le chef cependant, le
se livrant aux folies les plus extravagantes. Le cavalier le plus adroit, le plus téméraire et le plus
cavalier le laisse faire, l'excite même pour le gracieux de la troupe est un Américain de des-
connaître à fond. Après dix minutes de galopade cendance irlandaise. Comme conducteurs d'atte-
dans la piste, cavaliers et chevaux sortent sur la lages, les [hommes colorés ont montré le plus
i'oute par groupes de dix chevaux montés. Là, les d'expérience..
bêtes peuvent donner libre cours à leur fureur. Constamment, ces gens courent mille dangers,
Chaque bête est montée une heure par jour dix et malgré cela, les accidents dans l'établissement
à quinze minutes dans la piste, trois quarts Grace et Cie se réduisent à quelques bras cassés,
d'heure sur la route. Rentrée aux écuries, elle tant est prodigieuse l'habileté de ces profession
est étrillée et brossée. nels.
Voilà la méthode générale, excellente pour la Le Strand Magazine où nous prenons ces
plupart, mais insuffisante souvent, lorsqu'on a détails nous apprend qu'en trois mois, la Com-
affaire à des brutes exceptionnellementrebelles. pagnie a fourni 4 500 chevaux et mulets déclarés
A celles-là, des mesures plus sévères sont appli- par la Commission comme parfaitement satisfai-
quées. Elles sont tout d'abord mises à part dans sants. Ces bêtes furent embarquées sur des na-
un vaste enclos spécial, Des cowboys montés à vires, spécialement équipés avec. des écuries, et
cheval entrent alors, munis de grosses cordes toutes les conditions nécessaires à la sécurité des
solidement attachées par un bout à la selle mexi- animaux pendant le long trajet de San-Francisco
caine du boy et terminées à l'autre bout par un en Chine. Les frais de ces installations variaient
noeud coulant. Pendant que les bêtes galopent entre 40 000 dollars (200 000 francs) et 75 000 dol-
furieusement le long de l'entourage, les hommes, lars (375 000 francs) selon les dimensions du na-
visant chacun une bête, font adroitement tour- vire. Grâce à ces précautions, 95 p. 100 des che-
noyer au dessus de leur tête la corde qu'ils vaux et des mulets furent débarqués sains et saufs
lancent ensuite vers l'animal. Presque infaillible- à Takou.
ment, la corde va s'enrouler autour de la tête et TH. MANDEL.
du cou du cheval. Surpris, celui-ci rue de plus
belle et s'enroule de plus en plus; pendant ce
temps, le noeud autour du cou et de la tête s'est
resserré et l'animal respire avec peine. Si, mal- SUR UN PORTRAIT D'EDMOND ROSTAND
gré cela, la lutte continue, d'autres boys viennent
à la rescousse et répètent le jeu de la corde, mais
cette fois ils visent les jambes de devant du che- Il évoque, à son gré, les morts à la centaine;
val. Et c'est un spectacle curieux à voir, que Sur leurs lèvres de cire il pose du carmin,
Et l'ombre de jadis va prendre le chemin
l'extrême adresse de ces hommes qui lancentleur Qui lui fera revoir sa princesse lointaine.
corde à la place même où, une seconde après,
Celle de Samarie accourt à la fontaine,
la bête va poser ses pieds. Celle-ci, ainsi prise à Cyrano, soupirant sous les fleurs du jasmin,
la tête et aux jambes, ne résistera plus longtemps Nous attendrit un soir, et dès le lendemain,
et finira par s'effondrer dans un nuage de pous- Le chétif rejeton du plus grand capitaine,
sière. Sur un geste pieux, interrompt son trépas.
Vite, on lui applique le licou et on la mène dans Tous quittent le linceul et ne s'indignent pas,
Car, si dans son sépulcre il a voulu descendre,
une cour où elle pourra librement courir quelques
Au risque d'agiter l'air glacé du repos,
jours" mais toujours avec le licou. Après ce stage C'est pour en remonter un atome de cendre
pendantlequel elle se sera habituéeau licou, elle Et lili donner un coeur, de la chair ét des os.
est attachée à un solide poteau, ce qui provoque RocEx PRESSAT,
cr~ASSES n~A~tEvc~ES (1)
Chaque élève est munie pour écrire d'une cinq à trente-cinq minutes, et elles la lisent
petite tablette c'est le nom consacré. C'est presque aussi vite qu'un voyant. La dictée faite
une petite planchette de bois de 000',25 sur 0~,1 17, et corrigée, les fautes (on fait quelquefois des
entourée d'un cadre, attaché par des charnières fautes) sont indiquées à la fin du devoir, toujours
à un autre cadre de mêmes dimensions, mais à l'aide des mêmes signes,
évidé. A la tablette est jointe une réglette, petite Aujourd'hui, la leçon est bonne, et il n'y a pas
barre en cuivre dans laquelle sont découpées trop d'erreurs à constater quelques étourderies,
vingt-deux ouvertures. Enfin, à ces deux instru- bien excusables.
ments est ajouté un poinçon. La réglette est per- Mais les visages deviennent sérieux, l'épreuve
cée, en dessous, de deux trous s'adaptant aux qui suit est visiblement inquiétante. Toutes ces
clous du cadre et fixant sa position momen- petites figures, auxquelles manque la.lumière
tanée, A cela, ajoutez une feuille de papier bulle, des.yeux, ont cependant des expressions d'une
de dimensions voulues, et vous aurez le matériel finesse et d'une multiplicité étonnantes. On « ·~
lit
nécessaire. vérilablement leurs impressions sur leurs traits,
et d'autant mieux, qu'on ne. craint pas de les
gêner par l'insistance d'un regard posé sur le
leur. Dans la détente ou la reprise des traits,
dans le déplacement des lignes du visage, on
suit leurs impressions, et peut-être même y a-t-
il là autre chose qu'un simple déplacement de
lignes. Qui peut affirmer que nous n'avons pas,
comme certains psychologues le prétendent,une
atmosphère spéciale, émanée de nous-mêmes,
constituée, sans que nous en ayons conscience,
par la prolongation, hors de nous, de notre sen-
sibilité propre et livrant à nos semblables,
nerveuse,
times ?
le
ceux qui sont doués d'une certaine délicatesse
secret de nos modifications in-
Il
musicale.
« Mireille depuis longtemps déjà côtoyait les Des nuits, des jours, ils voyagèrent, poussés au
bords de. l'étang de Valcarès, lorsqu'elle vit hasard par le vent fougueux de Libye, jetés enfin
l'église blonde des Grandes Saintes, dans la mer sur la plage sablonneuse, à la place même où
lointaine et murmurante, croître comme un s'élève à présent l'église géante.
vaisseau qui cingle vers le rivage ». Pour étancher la soif des divins naufragés,
La légende et la poésie ont tour à tour illustré une source jaillit du sol, dont l'eau brille encore
ce ooin de Camargue, pauvre et sans charme, au fond du puits creusé au centre des parois de
perdu dans la région la plus isolée et la plus la nef. Chacun des voyageurs si miraculeuse-
triste du delta du Rhône. Sur le sable gris où ment sauvés, brûlant de répandre la doctrine
luisent et s'évanouissent incessamment des mi- nouvelle, se perdit alors dans l'intérieur des
rages oonfondant en leur illusion le ciel, la terre terres.
et l'eau, édifiant des cités magnifiques que-dis- Cependantles deux vieilles Maries, demeurées
sipe un rayon de soleil, parmi la vaste plaine où seules sur le rivage avec leur fidèle Sarah, se
s'aperçoit seulement de loin en loin la tache mouraientlentement, assises auprès de la fon-
blanche d'un « mas », s'élève une église étrange taine miraculeuse. Le paysage désert et gris,
et colossale que l'on peut dire unique au monde, que fleurissaient d'espoir les mirages, était
et par ses origines et par son architecture. comme le miroir de leur âme inconsolable et
Parmi les vols des flamants roses, sur la plaine pourtant radieuse. Elles s'éteignirent, sans doute
déserte que fleurit au printemps la mousse par un de ces matins pâles qui semblent conti-
pourprée des tamaris, l'église demeure, seule et nuer les lueurs dont s'éclairent nos songes, et
vide témoignage muet de la force et de la peren- mourut aussi la servante Sarah. Cette dernière
nité de l'adorable légende. est, depuis ce temps, vénérée par les bohémiens.
Après la mort du Christ, Maximin et Lazare le A chaque Pentecùte, les roulottes s'arrêtent,
ressuscité, Marthe, sa sœur, Marie Jacobé, soeur nombreuses, aux Saintes~Maries de la mer.
de la Vierge, Marie Salomé, mère des apôtres, D'aucuns assurent que ce jour-là, à cette place,
Jacques et Jean, tous les membres enfin de cette les gitanes procèdent à l'élection de leur reine.
famille de Béthanie où Jésus passa ses dernières Quelle est l'origine de cette église, fortifiée
années, furent chassés de Jérusalem jusqu'au comme une citadelle et si peu en rapport avec
rivage de la Palestine. De là, pour fuir la persécu- le mesquin village qui l'entoure? Strabon ra-
tionils s'embarquèrentsur un misérable bateau, conte (1) que les Marseillais, pour établir leur
sans voile et sans rames. Marie Madeleine et la
servante Sarah s'étaient jointes aux voyageurs. (:1.) STRABON, Géograplzie, li~·. IV.
droit de propriété sur le delta du Rhône, y con- descendent lentement et planent ainsi sur la
struisirent des tours et même un temple dédié à foule agenouillée qui prie et chante dans la lueur
Diane d'Ephèse. L'église actuelle fut-elle élevée des cierges et la fumée des encensoirs. Spectacle
sur les fondations de l'ancien temple, avec les inoubliable, quels que soient les sentiments de.
matériaux ruinés? Une tradition, peut-être elle celui qui la contemple Symbole admirable en sa
aussi légendaire, veut que, dès le ne siècle, un simplicité que celui de ce vaisseau d'espoir
prince demeuré inconnu ait fait bâtir pour la qu'une mauvaise corde balance aux grincements
première fois l'église fortifiée afin de mettre les des poulies et qui se transforme pour les croyants
reliques des en une arche
saintes à de miracle
l'abri des La science
incursions archéologi-
des pirates. que s'est ef-
En 1448, forcée de
le roi René trouver une
alla visiter explication
l'église, dé- historique à
couvrit les la légende
saints osse- des Saintes-
ments en- Maries.Dans
fouis dans le village de
la terre, les Baux, autre-
exhuma en fois ville flo-
grande rissante, si-
pompe et tuée non
restaura lé loind'Arles,
bâtiment. furent, si-
L'église gnalés ré-
est divisée cemment
horizontale- deux bas-
ment en reliefs ro-
troi par mains dont
ties la cryp- l'un, nommé
te, la nef les Trémai'e,
proprement représente
dite, enfin Marius
une chapelle, ayant à sa
haute où gauche sa
sont enfer- femme Julie
mées les re- et à sa droite
liques. une prophé-
« Dans tesse, Mar-
l'abside de the l'Égyp-
la belle égli- Les Saintes-Maries de la Mer. D'après une toile de M. J. GARIBALDI (Salon de 1901). tienne,dont,
se sont trois au dire de
autels, sont trois chapelles bâties l'une sur l'au- Plutarque, il se fit suivre pendant toute sa campa-
tre, en blocs de rocher vif. Dans la chapelle sou- gne en Provence. Les Trémaïe (tresMarüinsi~nes,
terraine est sainte Sarah, vénérée par les bruns les trois fi-ures de Marius) se seraient transfor-
bohémiens; plus élevée, la seconde renferme mées pour le peuple, par suite d'une confusion
l'autel de Dieu. de mots assez vraisemblable, en les T'res Mario,
« Sur les piliers du sanctuaire, l'étroite cha- les trois Maries. Ainsi, c'est d'un calembour (1)
pelle mortuaire des Maries élève sa voûte dans involontaire que serait née toute la légende.
le ciel, avec les reliques, legs sacrés d'où la grâce Quelle que soit la valeur de cette hypothèse
coule en pluie. Quatre clefs ferment les châsses, que nous nepouvons discuter ici, le charme poé-
les châsses de cyprès avec leurs convercles (1) ». tique de la légende n'en subsiste pas moins. Que
A chaque fête annuelle, les [châsses, suspen- l'origine de la croyance aux trois Maries soit ou
dues à des cordes qui se déroulent par des pou- non scientifiquement démontrée, le poète, l'ar-
lies fixées à la voûte, descendent de la haute cha- tiste et le gardian de Camargue qui conduit à
pelle où elles sont gardées l'année durant. Elles travers les ajoncs le lent troupeau de ses bœufs
(1) Voir J. GILLES, Campagne de Marius dans la Gaule,
(1) MISTRAL, Dtireille, Ch. X, Paris, 1870.
n'en continueront pas moins à sentir la beauté On ne saurait trop conseiller aux femmes de dire du
bien des autres, et d'en faire dire elles-mêmes,
naïve de l'épisode que Mistral a raconté pour SÉGUR.
jamais en la belle langue romane.
Les devoirs de la justice sont préférables à ceux de la
RICHARD CANTINELLI. charité.
L'~S MOtiSSES
Les mousses, dont les verts tapis forment le vers la rivière et nous retrouvons nos amies
revêtement essentiel de la terre, sont, lorsqu'on tapissant le fond des ruisseaux de leurs verts
les regarde de près, de petits végétaux bizarres; rameaux, recouvrant les pierres de leur épais
aortes de sapins, de cyprès en miniature, dont la tissu ou comme les fontinales s'abandonnant
cime est ombragée par l'herbe mollement au courant, semblables à la chevelure
la plus délicate et la moins éle- d'une naïade antique.
vée, leurs feuilles sont claires Les mousses, dont les botanistes ont décrit
et transparentes avec une fine plus de dix mille espèces, sont très répandues
nervure plus sombre au milieu. dans tous les pays depuis l'équateur jusqu'aux
Leurs tiges brunes ou rouged- deux pôles. Dans les montagnes on les rencontre
tres se dressent côte à côte, ou à la limite des neiges éternelles. Ce sont elles quti,
bien rampent longuement sur dans les forêts du Nord, jettent un voile de ver-
le sol. Quelques-unes de ces dure sur d'immenses et fangeux
tiges se terminent par un pom- marais ellesaussi, qui vont orner
pon jaune ou rougeâtre qui fait les dernières pelouses de la terre,
songer à une fleur. De tous cû- les toundras polaires où la vie
tés montent de minces, très végétale vient expirer sur les ri-
minces colonnes nues, légère- vages glacés du Cap Nord et de
ment courbées et portant à la Sibérie. ,Linné disait dans son
leur extrémité des urnes de langage poétique et concis: Les
formes variées qui semblent derniers des végétaux couvrent
les fruits de ces fleurs. Les plus les dernières des terres.
jeunes de ces urnes sont recou- Ces plantes recherchent sur-
vertes d'une sorte de bonnet qu'on appelle coiffe. tout les endroits ombragés, humi-
Dans les autres, plus mûres et ouvertes, on aper- des même des forêts et choisis-
çoit prêtes à s'échapper, des graines ininuscules, sent de préférence l'exposition
on voit souvent brillant au soleil des filaments du Nord, à cause de la fraîcheur
verts qui vont d'une plante à l'autre ce sont les qui y règne constamment. Elles
lianes de cette forêt ne vivent que par l'eau: inertes
lilliputienne dans la- tant que l'air reste sec, ces plan-
quelle se jouent d'in- tes suspendent pour ainsi dire le
fimes insectes. cours de leur existence, on les
Ce petit monde des croirait mortes, et leur vie ne re-
mousses, nous allons prend samarche que lorsque l'hu-
le retrouver, avec un midité leur a rendu leur sou-
aspect bien différent plesse et leur vigueur. Combien
sur ces murs bas qui de temps vivent ces mousses? Théoriquement,
bordent les chemins. les mousses peuvent vivre indéfiniment et sont
Les tiges sont alors pour ainsi dire toujours jeunes. Leur partie in-
agglomérées en touf- férieure. se convertissant en humus et la partie
fes serrées, velou- supérieure s'allongeant constamment, il s'en-
tées, au-dessus des- suit qu'elles conservent toujours à peu près le
blnium (grandeur naturelle). quelles se balancent, même tronçon vivant.
gracieuses,les urnes On a observé ainsi des polytric!4, une des plus
colorées. Ces ilots de végétation qui vierinent robustes de nos muscinées, qui avaient résisté
égayer l'aridité de ces'vieux murs ont les tons douze ans avant d'être complètement trans-
les plus divers, les uns sont d'un vert sombre, formés en humus. Toutes les mousses cependant
d'autres sont soyeux et comme poussiéreux, ne se comportentpas de la même façon.
d'autres tranchent par un vert vif et gai; d'autres Elles sont généralement très petites il en est
se distinguent, au contraire, par une teinte claire même de microscopiques dont la taille n'excède
élégamment argentée. Descendons maintenant pas trois ou quatre millimètres, d'autres comme
certains polytrics, atteignent jusqu'à vingt centi- Ce sont les lichensqui apparaissent les premiers,
mètres de hauteur. Enfin, la plus grande des La très mince couche de matière végétale
mousses de nos pays, la fontinale des ruisseaux, qu'ils produisent suffit aux mousses qui y éta-
laisse flotter au gré des eaux des rameaux d'au blissent bientôt des colonies. Puis viennent les
moins cinquante centimètres de longueur. espèces traçantes, soyeuses qui envoient très
Les couleurs préférées des mousses sont le loin leurs rameaux veloutés prendre possession
vert et le blanc, quelques- des rochers. Dès
unes sont violacées ou pur- que les grandes
purines d'autres brunes ou mousses se déve-
jaunes mais la plupart sont loppent, la terre vé-
de ce beau vert émeraude gétale est acquise
qui s'allie si bien avec la par leur décompo-
teinte grise ou fauve de la sition. Il y a main-
terre et de l'écorce des ar- tenant assez de ter-
bres. Est-il rien de plus frais, reau pour que les
de plus gracieux, de plus fines racines des
agréable à l'œil que ces fes- graminées puissent
tons et ces guirlandes de s'y développer et-
mousses qui décorent cer- augmenter à leur
tains arbres de nos forêts? tour la couche vé- Hypne des jardiniers.
Et ce n'est pas seulement gétale. Les oiseaux,
dans les forêts que ces char- le vent y apporteront des semences, et une luxu-
mants végétaux remplissent riante végétation s'élèvera sur ces rochersila-
leur rôle artistique. de déco- guère si arides.
rateurs c'est partout dans Ce sont des mousses d'une espèce spéciale, les
les moindres recoins que la sphaignes, qui fournissent aux tourbières leur
mousse intervient et jette sa précieux élément. Composées de larges cellules
touche poétique, elle fait au poreuses, elles font éponge et retiennent des
Sphaigne igrossie). sombre rocher une verte pa- masses d'eau considérables, Elles forment ainsi
rure, elle tapisse de ses admi- des réservoirs naturels au milieu desquels
rables tentures de velours vert les vieux toits de croissent et multiplient les plantes des marais
chaume sur lesquels se balancent les herbes constituant des espèces de prairies flottantes.
folles et où fleurit la jourbarbe aux feuilles D'année en année les débris de ces plantes
épaisses. s'accumulent et donnent
Les mousses ne sont pas seulement élégantes naissance à des bancs de
et gracieuses, elles sont aussi utiles et tra- plus en plus épais qui peu-
vaillent pour leur vent supporter des plantes
bonne part à la plus robustes. Des arbres
grande œuvre uni- arrivent à y fixer leurs ra-
verselle. Comme cines, et c'est ainsi que se
les graminées, elles trouve assurée à l'agricul-
sont chargées d'une ture la conquête d'un ter-
haute fonction tu- rain d'abord inondé et im-
télaire, elles servent productif. Capsule (grossie).
de berceau, d'asile A l'abri de l'air, sous une
à une foule de se- eau calme, limpide et sans
mences qui, sans cesse renouvelée, ces débris
l'abri qu'elle leur végétaux subissentune sorte
offre, périraient sur de décomposition qui les
la terre nue. Leur carbonise et les transforme Barbula muralis
épais tapis entre- en tourbe, combustible peu (grandeur naturelle).
tient pendant la sai- connu des grandes villes,
son rigoureuse une température douce qui ga- fait la richesse de cer-
mais dont l'exploitation fait
rantit les jeunes plantes du froid et de la gelée; tains pays marécageux.
elles protègent ainsi des plantes qui, dans une Dans la vie domestique, les.1~ mousses ont peu
autre saison, viendront les ombrager et les ga- d'usage.
rantir d'un soleil ardent. Elles servent à protéger les plantes et les
Elles. sont encore de « grands défricheurs,de arbres que l'on fait voyager. C'est sur de la
rocs ». La pierre pelée dès qu'elle subit le con- mousse tassée que l'on sème et fait germer des
tact de l'air se recouvre d'un tissu de filaments plantes très délicates. C'est à la mousse qui
qui forment des plaques diversement colorées. entoure leurs bulbes que les orgueilleuses orchi-
dées épiphytes, l'ornement de nos serres, doivent leur veillée funèbre autour de la pierre tombale.
leur splendeur. Les bois, les fleurs, les herbes qui portent des
Les mousses ont inspiré à un Anglais, artiste présents -ont rempli leur office pour un temps,
et poète en même temps, une page ravissante; je mais celles-ci remplissent le leur pour toujours
nepuis mieux faire, pour des arbres pour le chantier du constructeur, des
terminer, que de laisser la fleurs pour la chambre de la mariée, du blé pour
parole à Ruskin les âreniers, de la mousse pour la tombe (1), >·
« Nous avons trouvé de V. BRANDICOURT.
la beauté dans l'arbre qui
porte un fruit et dans
l'herbe qui porte une grai- ha profondeun et ta tempénature des mers
ne. Que dire de l'herbe
sans graine, de ce lichen Les sondages exécutés sur divers points de l'océan
de rocher sans fruit, sans ont, d'après le Tour du blonde, donné les résultats
Funaire hygrométrique. fleur? Quoique les mousses suivants
soient, dans leur luxurian- Profond"ars de la surface
NOUVELLE
Vous aimez donc bien les aubépines, grand- val. Ensemble, chaque matin, ils allaient à
père, que vous en mettez partout? Il y en a tout l'école, Benjamin portant le panier de sa petite
autour du jardin et voici que vous commandez amil1, panier contenant déjeuner, livres et ca-
au jardinier d'en entourer le verger. hiers. Ensemble ils déjeunaient, en classe à midi,
Grand-père sourit, regardant grand-mère qui partageant toujours leurs friandises, ensemble
sourit à son tour, et c'était un rayon d'étrange- s'en revenaient le soir, et ensemble passaient
ment jeune tendresse qui leur sortait des yeux, leurs journées de congé, soit au moulin, barbo-
un rayon pareil, les faisant se ressembler encore tant dans la rivière à la recherche des truites
davantage, car, il n'y avait pas à dire non, les qui leur échappaient toujours, soit à l'étude du
deux bons vieux se ressemblaient chaque jour tabellion, où les clercs leur donnaient des débris
plus, avaient les mêmes gestes et les mêmes de papier sur lesquels ils dessinaient, sans se
intonations de voix. lasser, des maisons bancales et des animaux
Comme grand-père se carrait dans son fauteuil fantastiques, tandis que grinçaient sur les re-
d'osier, on était sous la tonnelle du jardin,
par une douce matinée printanière, avec tous
gistres les pennes d'oie des scribes.
Et, en cette heure d'allégresse pieuse, un
les pronostics certains de l'histoire à raconier, grand deuil leur prenait l'âme, car ce jour blanc
grand-mère, menue et trottinante (sans doute et joli était une limite entre leur vie d'hier et
savait-elle l'histoire dès toujours?), s'en fut vers leur vie de demain, leur douce vie intime et
la maison, donner des ordres à la cuisine, d'où affectueuse.
s'échappaient les odeurs les plus affriolantes, car Benjamin partait pour le collège de la ville
les petits-enfants du vieux couple, deux tout préparer sa future carrière de médecin, et Sylvie
nouveaux et tout jeunes mariés, passaient leurs entrait au couvent des Ursulines pour apprendre
vacances de Pâques à la maisonnette, et, en leur les belles manières, comme on disait en ce temps-
honneur, on mettait les petits pots dans les là.
grands. Benjamin avait des larmes dans la gorge. Il
Grand-père tÓussa un peu et sa pelite-fille crut regardait sa petite amie et la trouvait belle
comprendre que c'était parce qu'une petite larme comme une madone du bon Dieu, dans ses
d'attendrissementlui tombait dans le gosier. voiles de tulle blanc. Elle avait au bras un petit
Voyez, cette petite masque, s'exclama-t-il sac de soie blanche, au poignet un chapelet de
qui s'imagine des choses! et qui me les veut nacre dont la croix d'argent étincelait au soleil.
faire conter Vous allez être déçue, Madame >e
Soudain, elle s'arrêta devant une haie d'aubé-
Suzon; des âmes simples de campagnards, pines en fleurs, elle en cueillit une branche et
comme celles de nous autres, ne vivent pas les dit à son ami
drames que vivent les gens de la ville. Notre Vois comme c'est beau, ces petites fleurs
sang coule tout doucettement, tel le petit ruis- mignonnes, on dirait qu'elles font leur première
seau clairet au bout du pré, et il faut bien peu communion«aussi garde-les en souvenir de
de chose pour que notre cœur fasse toc toc d'une moi
manière émue.
Si je les aime, les aubépines? Si je les aime? Benjamin mit la petite branche dans son livre
Ah 1 fillette, combien é<;oute plutÓt il y a long- de messe, et, quand, le cœur gros de la sépara-
temps, bien longtemps, par un matin de mai tion, aux jours sombres d'hiver, il regardait la
plein de gazouillis .d'oiseaux, de parfums printa- brindillesèche, le printemps ressuscitait dans son
niers, de carillons de ,cloches, un petit garçon âme, et, fleur plus jolie que toutes les fleurs, la,
blPQd qui ~'appelait Benja~in, et une petite fille vision blanche de .S.ylvie au matin de ,lapremièr~
brune qui se nommait Sylvie, s'en revenaient communion..
ayant'fàit leur pTémière communion, au long
d'un petit chemin vert, sous les v ergers en
)
c.!
fleurs. Les années avaient coulé.. Benjamin avait bril-
Sylvie était la' fille unique du tabellion de Val7, lamment passé sa thèse et on fêtait, au moulin,"
brun, qui demeurait hors le village, et Benjamin son retour par un dîner.panta.gruélique: _1~u .des
le. fils unique~du, nieunièr' demeurant aù fond du sert, Sylvie, les mains pleines de pâÜsseries"
s'évada pour aller gâter ses amis les paons, qu'elle Vois, comme elles sont mignonnes, aujour-
avait autrefois baptisés de noms bizarres. d'hui, les délicieuses petites aubépines dans leur
Perchée sur un talus du verger, près d'une toilette de mariée
haie d'aubépines en fleurs, jolie comme le prin-
tempslui-même dans sa robe d'organdinuageuse, Et le reste, tu le sais, friponne; au lieu de s'at-
elle appelait, en émiettant des gâteaux: tiédir, depuis, notre amour n'a fait que croître.
Roland, Yolande, Hermengarde, Lancelot. La communauté des soucis et des peines, des fa-
Et les paons aux couleurs chatoyantes, trai- tigues aussi la carrière du médecin de cam-
nant sur le pré vert leurs queues ocellées, pagne est souvent bien dure nous a rivés l'un
venaient picorer les gâteaux friands. à l'autre, tels deux plants de lierre, qui s'enche-
Mon cœur battait bien fort, j'avais à la fois très vêtrent, enveloppant un vieux chêne.
chand et très froid, grande envie de parler et de À force de vivre de la même vie, de n'avoir
me taire, d'avancer et de reculer, bref, je qu'un cœur et qu'une pensée, nous avons fini par
n'avais, je crois, plus ma raison entière. nous ressembler. Tous deux, nous avons lp.s yeux
Je pris mon courage à deux mains et grimpai bleus. Les cheveux bruns de Sylvie, les cheveux
sur le talus, puis, cueillant une branchette d'au- blonds de Benjamin, des jeunes gens d'antan,
bépines, comme celle que, jadis, elle m'avait don- que le brave docteur Dupont (lequel avait des
née, je la lui tendis en disant d'une voix étran- lettres) baptisait Daphnis et Chloé, sont deve-
glée nus les cheveux blancs du grand-père et de la
Voyez, Mademoiselle Sylvie, comme ces grand'mère 'qu'on se plaît à appeler aujourd'hui
petites fleurs sont mignonnes, on dirait qu'elles Philémon et Baucis.
sont fiancées; voulez-vous les garder en souvenir A votre tour, enfants, de faire comme eux. Ai-
de moi, comme j'ai gardé celles que vous me don- mez-vous bien, petits, c'est la meilleure chose
nâtes au jour de notre première communion? qui puisse vous arriver! Hors cette bonne ten-
Tout tournaitautour de moi il me semblait que dresse, hors la petite maison tiède comme un
j'étais au fond d'un souterrain obscur; mais, sou- nid et toujours reposante, où jacassent les en-
dain, tout redevint clair et riant. Dans le verger fants, où tous n'ont qu'une même âme, tout n'est
illuminé de soleil, les paons semblaient vêtus que heur et malheur.
,d'escarboucles, les oiseaux pépiaient, les cloches Mais, je crois, ma Su:Úm, qu'on nous. appelle
appelaient à vêpres. pour déjeuner. Donne-moi ton bras, mon cher
Sylvie avait répondu bâton de vieillesse, ton mari ne sera pas jaloux,
Je.les garderai toujours! je me fais bien caduc.
Et son visage s'empourprait jusqu'à la racine
des cheveux, tandis que, posant mes lèvres sur Cependant une petite malice ride les lèvres
sur sa petite main à fossettes, je lui murmurais fines de grand'mère, court en petits frémisse-
des paroles de fiançailles. ments autour de ses,~attes d'oiP. Voici des aubé-
pines sur la table pourtant, et grand-père prend
un air bougon. C'est qu'il est en faute, le pauvre
Deux années encorP étaient passées. J'avais homme. Voyez plutôt c'est aujourd'hui l'anni-
acheté au vieux docteur Dupont la petite maison versaire de la première communion du vieux
que voici, en même temps que sa clientèle, car couple et il n'y a pas songé alors grand'mère
il retournait à la ville auprès de ses enfants. lui a fait la niche d'aller toute seule jusqu'au
Comme j'étais maintenant un homme établi, pou- buisson cueillir la fleur qu'ils aiment. Ajoutons
vant accepter charge d'âmes, nos parents décla- qu'il a eu des maux de tête ces derniers jours;
rèrent qu'on pouvait, enfin, célébrer nos noces. et que grand'mère a eu peur de le voir sortir par
Nos cœurs étaient pleins d'allégresse, tandis ce fort soleil.
qu'au sortir de l'église, de même qu'au jour loin- C'est égal, elle sourit, malicieuse. Il y a encore
tain de notre première communion, nous reve- quelque chose là-dessous décidément.
nions au bras l'un de l'autre, suivis de nos pa- Hé oui, grand-père la taquinait hier au soir, au
rents et amis et précédés d'un ménétrier, par le sujet d'une recommandation oubliée, lui disant
sentier fleuri, à travers les vergers reverdis. Mammette, ta mémoire rétrograde
Oh que nous étions légers et jeunes, et pleins La voici vengée, et, elle rit, rit encore, cepen-
de la joie dé nous épanouir, telles les fleurs de dant que son vieil amoureux, lui passant un bras
mai, sous la caresse énamourée du soleil. autour du cou, l'attire à lui, pour la baiser au
~$$~$~$~
Pourtant, devant le buisson où nous nous arrê- front.
tâmes premiers communiants, une émotion nous 0. GEVIN-CASSAL.
étreignit le cœur, nous rappelant les jours de sé-
paration, de doute, d'angoisse, et, les yeux hu- L'amitié racine dans l'estime et sa fleur dans'le
mides, d'un même regard nous nous regardâmes, sacrifice. a sa
et je cueillis une branchette nouvelle,disant à ma La femme ne pardonne que.sl elle a tort.
chère femme AR9$PTE..HOUSSAYE.
La Quinzaine purs de toutes souillures de réclame, leurs menhirs et
leurs vieilles maisons de Vitré, Saint-Brieuc, Lan-
nion, Dol. Or, si l'on parcourt ces sites en ce mo-
LETTRES ET ARTS ment, trois ans après les élections législatives, on y
aperçoit encore, collées sur des pans de bois sculptés'
Une proposition de loi assez curieuse' rassurez- du xv~ siècle, des affiches électorales rédigées par
vous nous n'allons pas parler politique
« vient les signataires mêmes de la protestation parlemeu-
d'être déposée au Parlement elle créerait, si elle était taire qui vient de se produire. Est-il rien de plus
adoptée, quelques emplois nouveaux, sous ce titre laid que ces affiches, surtout déteintes par la pluie?
bizarre d'inspecteurs des sites. Voilà de quoi réjouir Pourquoi ne restreint-on pas l'affichage, comme on
les Français, qui aiment les places, comme chacun en a le droit, personnellement ou publiquement?
sait et, par surcroit, ily auraitdes commissionsdes sites Pourquoi, depuis 1898, n'a-t-on pas pris soin de la-
avec présidence et secrétariat, avec des indemnités, ver ces bois admirables, de les débarrasser de ces bo-
des médailles, des rubans peut-être, tout l'attirail de niments multicolores?. Autant de mesures pour
la paperasserie budgétivore qui nous est chère. lesquelles il n'est besoin ni de commissions, ni d'iti-
Mais ceci demande, n'est-ce pas? une explication. specteurs.
Si le titre d'inspecteur des sites rappelle un peu, à Et, au demeurant, on arrive pour conclusion à mo-
première vue, celui d'inspecteur du gaz dans une riche difier ainsi que suit l'adage célèbre Que messieurs,
famille péruvienne, qui fut immortalisé par un les assassins, c'est-à-dire messieurs les députés
vaudeville, il ne s'ensuit pas que l'idée d'où il procède commencent! » Et à leur suite, les municipalités.
soit saugrenue et ne mérite consid~ration. Le député Elles ne sont pas désarmées du lout;' elles peuvent
qui a lancé cette idée, M. Beauquier, est originaire prendre des arrêtés protecteurs. Il suffit que leur
de Jura, contrée riche en admirables paysages et attention soit éveillée (c'est à quoi une ligue serait
« points de vue que nous dédaignons trop pour des utile). Les bons exemples ne leur manquent pas, du
beautés naturelles despays étrangers.Son coeur d'amant reste. Ainsi les évêques de deux départements bre-
de la nature souffre de voir ces admirables vallons tons les plus riches en vieilles choses d'art, le Finis-
et montagnes de son Jura défigurés par des hôteliers, tère et les Côtes-du-Nord, ont interdit formellement
des industriels, etc., qui piquent au long des voies à leurs curés de démolir ou de céder une parcelle
ferrées, au long des torrents, au sommet des pics et quelconque de leurs mobiliers sacrés qui ont souvent
ballons, d'abominables poteaux réclames, qui défi- un grand prix d'antiquaille; ulle autorisation for-
gurent les plus snperbes sites par des constructions melle de l'évêché sera nécessaire désormais pour toute
ridicules, etc., etc. On gaspille ainsi un de nos tré- opération de ce genre: Voilà les sacristies préservées.
sors nationaux..industriels Que les propriétaires de souvenirs précieux du paslré
C'est exact le goût des précités est, en en fassent autant pour leur propre bien, pour les ri-
général, déplorable ils ne prennent aucun souci de chesses naturelles qu'ils tiennent d'héritage. C'est
l'art et, de même qu'eux, maintes municipalités tolè- une éducation populaire il commencer, à poursuivre,
rent qu'on abime, par des « modernisations fàcheu- de l'école dans la famille. Qui nous rendra le service,
ses, des vestiges remarquables de monuments sécu- aussi, de nous débarrasser d'une manie absurde, celle
laires. La France pittoresque est.en danger. d'écrire nos noms sur les bàtiments que nous visi-
Qu'on proteste là-contre, qu'on crie classiquement tons ? Les Anglais grattent la pierre avec un canif
« au'vandalismé », qu'on crée des ligues, ainsi qu'on pour en emporter un morceau, et nous les traitons
est en train de le faire, dont l'action bienfaisante durement à l'occasion; nous sommes aussi sots, aussi
s'exercerait par des démarches auprès des représen- destructeurs qu'eux nous tirons le même canif ou
tants des pouvoirs publics pour sauvèrtelle belle un crayon de notre poche, quand nous visitons un
ruine d'une mutilation, par des achats intelligents, chàteau historique, pour apprendre à la postérité que
opportuns,.etc. Rien de mieux,: c'est, de l'initiative Durand Alexandre ou Duval Ferdinand a passé là le
individuelle, collective, bien employée. Mais M. Beau- 15 mai 1901 Bêtise navrante, à laquelle ne remé-
quier va trop loin quand il propose d'appliquer à ces dient pas assez les avis imprimés, les menaces
matières les rigueurs administratives et législatives. d'amende insuffisamment suivies d'effets.
Quelle machine compliquée ne construit-il pas ?. Et enfin, en ce qui concerne spécialement la dété-
Il veut qu'on. crée dans chaque département, sinon rioration des sites par l'élévation de bàtisses, de
dans chaque commune, une Commission composée monuments baroques, dus à l'ingéniosité d'industriels
de notables, qui statuera sur tous les cas de (1 vanda- ou à l'iriactivité des municipalités ou des comités Ue
lisme » signalés, qui en référera aux nouveaux fonc- souscriptions, ne trouve-t-on pas qu'il y aurait lieu,
tionnaires, les inspecteurs des sites, qui distribuera sans inspecteurs des sites, de procéder avec plus de
des indemnités et sans doute aussi des pénalités. discernement au choix de ces sujets décoratifs de
N'avons-nous pas assez de.commissions et de bureau- toules sortes? Que de pavillons indo-chinois-arabes
crates en. France et combien d'inutiles?. dans des gorges alpestres, pour débiter du lait ou
La réforme que souhaite d'obtenir, à bon droit, le vanter des absinthes! Que de statues grotesques, de
député du Jura s'accomplirait plus simplement, grands hommes locaux, mal faits, mal placés, barrant,
sans tant de frais et de dépenses, si chacun de défigurant l'horizon! On de'1ait prendre conseil, en
son côté, y mettait (1 du sien ». Et, précisément, un tout cas. La ligue, qui se forme en ce moment, agira
exemple nous en tombait, ces. jours derniers, sous les encore utilement à cet égard,
yeux les députés de la Bretagne entière, non moins On vient de faire une expérience heureuse, dans
pittoresque que Je JUI'8, s~ sodt joints à M. Beauquier ce sens on a élevé un monument à Rosa Bonheur, à
et ont formulé une proposition qui sc rapproche fort Fontainebleau, qui possède, hélas! déjà, un vilain
de la sienne. Ils veulent, eux aussi, trouver intacts, président Carnot, à deux pas de l'admirable chà-
teau tout garni de chefs-d'œuvre, Le comité a été Le capitaine Joalland fait le plus grand éloge du
bien inspiré cette fois il n'a pas cédé à la mode ac- pays de Zinder. « C'est un pays riche, dit-il, = où
tuelle des statues en pied, des bustes banals; il n'a le blé, le citronnier, le mil, le maïs, le riz, les dat-
pas fait représenter Rosa Bonheur en blouse de tra- tiers, en un mot tous les produits soudanais, poussent
vail, devant son chevalet, sujet trop facile et ennuyeux en abondance. Le climat y est absolumentsain. », et
il a acquis un morceau de sculpture, un taureau en le brillant officier n'hésite pas à déclarer que ce
bronze exécuté par l'artiste même qui maniait l'ébau- pays est appelé à un bel avenir « sinon pour la
choir et le pinceau, et il l'a dressé à sa mémoire, en grande, du moins pour la petite colonisation. ». Le
un carrefour. pays est d'ailleurs organisé presque à l'européenne.
Il est vrai que, pour tous les personnages « statu- On y retrouve les institutions féodales telles qu'elles
fier », le procédé n'est pas applicable une cornue in- existaient en France autrefois. L'autorité du sultan est
diquerait insuffisamment un chimiste et on ne peut sans limites; autour de lui, les vizirs ont des attribu-
exposer le livre ou le tableau d'un écrivain ou d'un tions déterminées le caîgama oui-chef de l'armée,
peintre. Cependant, nous voulons voir là, dans cet disons, ministre de la Guerre le Serki-Foulani,
effort vers un hommage particulier, un essai de rup- préfèt de la ville et chargé aùssi de la surveillance
des étrangers, jusqu'à un ministre de la cour,
ture avec les traditions classiques de la statufication,
qui peut inspirer d'autres pensées, d'autres projets Serky N'Beye, chargé spécialement de la maison du
également originaux. Que ce soit ainsi quand Sultan! Le pays lui-même est divisé en cantons
administrés par des serky originaires de ce canton et
c'est possible, ou autrement, finissons-en avec le
bronze, le marbre uniformément accordé à tous, pris toujours dans la même famille.
rococo et général. Innovons et plaçons
bien notre «. Pour donner, conclut M. Joalland, une idée
innovation. Les sites y gagneront. exacte de ce qu'est ce pays de Zinder, il faudrait
.Cette tournée à travers la France pittoresque, évoquer des tableaux des Mille et une Nuits. Il fau-
que chacun d'ailleurs visitera, ces mois prochains, drait décrire l'intérieur du palais du sultan avec
brodés
nous a entraînés loin du Paris artistique. Il ne s'y ses lits couverts d'étoffes de soie et de velours
est, au surplus, rien produit de saillant. Palettes et d'or, le tout parfumé à l'essence de rose il faudrait
ébauchoirs et critiques se reposent les deux décrire ces cavalcades où les accoutrements les plus
Salons continuent à gagner de l'argent et à s'observer, grotesques se mêlent aux manteaux brodés et aùic
du coin de l'œil de leurs trésoriers; quelques petites velours damassés c'est le faste oriental transporté
expositions nous sont ouvertes rue Daubigny, 4, en pleine Afrique centrale.»
celle des peintres lithographes, méritant une visite, et Quant à la région du Chari propre, et ici nous
l'exposition des panneaux indo-chinois, destinés par rentrons dans le récit de M. Gentil, naus appre-
nuns qu'elle est déjà organisée en territoires
civil
leur auteur, M. Ruffier, à divers monuments publics
de Saïgon. Cette dernière exposition se tient au et militaire, le premier comprenant les tribus païennes
Palais-Royal, dans l'ancienne galerie d'Orléans. Ah! divisées en trois groupes ethniques. Un recensement
ce pauvre Palais-Royal, comme il
aurait eu besoin, opéré dans ce territoire a fait constater l'existence
celui-là, d'avoir « son site protégé par une bonne 'de 378 villages dans un rayon relativement restreint,
habitants
ligue! On y trouve jusqu'à une usine d'électricité, et avec une densité de population de 7 à 10
pour le surplus des boutiques vides. par kilomètre carré. La région militaire, à partir du
PAUL BLUYSEN.
fûe degré de la latitude 1V., comprend surtout des
populations musulmanes. zc Les territoires de Chari,
termine M. Gentil, sont riches en bétail et en grains
de toute nature sa nombreuse population produit des
cuirs, des étoffes et consomme en très grande abon-
Géographie
dance des marchandises d'importation européenne
étoffes, suàe, café, thé, quincaillerie, parfums,
savon, etc. »
En Afrique centrale. ZindeT et~ Tcha~. Le commerce du pays est entièrement entre les
main7Ef des Tripolitains. A ceux de nos compatriotes
Une grande séance a été tenue le ta mai dernier qui désireraient entrer en relations avec 0e pays,
la Société de Géographie à la Sorbonne, pour fê- M. Gentil conseille de se contenter d'y établir des
par transa-clions proprement
ter le retour en France de plusieurs de nos explora- entrepôts, tout en laissant les serait-il à souhaiter
teurs africains M. E. Gentil, commissaire du gouver- dites aux Africains. Combien que
nement au Chari, et les capitaines Joalland et tant d'efforts et de sacrifices en hommes et en ar-
conquête
Meynier sont venus exposer devant un public nom- gent ne restent pas stériles et que après la
breux et élégant les fruits de leurs travaux dans le militaire vienne enfin la conquête pacifique par
Pittoresque l'industrie et le commerce
cœur de l'Afrique. Les lecteurs du Magasin
ont été constamment tenus au courant des efforts faits P. LEMOSOF.
par nos divers pionniers africains et les luttes inces-
santes qu'eurent à soutenir les eXplorateurs, mili-
taires ou civils, pour~ous introduire la domination
française dans ces pays. nous contenterons donc collaborateur
de consigner ici les principaux résultats obtenus. Une indisposition de notre
Le fait dominant de cette campagne fut la jonction et ami, M. Henri lVla~ereau, nous prive
de trois mi.ssions fcançaises, venant des coins diffé- cette fois de toujours très izztéressante
avaient réussi à sa
rents du continent africain, et qui se
rejoindre sur les rives du grand lac. chronique.
Il1HÉAIl1ltE lement, est en retard. Il arrive enfin, et Paul reste à
pester contre lui, lorsque, dans la couturière qui vient
corriger la robe de sa femme, il reconnait Gypsy, une
bonne camarade avec laquelle il passa plus d'une
LA VIE DRAMATIQUE folle journée, quand il était garçon..
Les FRANÇAISnous donnent, cette quinzaine, deux pe- Et tandis que Madame, interminablement, se fait
tits actes; l'un de M. Maurice Vaucaire, l'autre de" coiffer, les deux anciens amis repassent ensemble les
M. Auguste Germain, dont le dernier nous offre les bonnes heures d'autrefois. C'est une causerie char-
débuts très brillants de M. Mayer. Très jolis, très fins mante, pleine d'esprit, de gaieté, avec cette pointe
tous les deux, ils valent toutefois par des qualités to- d'attendrissement un peu mélancolique qui accom-
talement différentes. pagne toujours l'évocation du passé. Paul, ému par
AmoureuseAmitiéest l'étude délicate d'un sentiment ces souvenirs, trouve Gypsy de plus en plus char-
étrangement complexe né dans un cœur de femme mante. Comment ne l'a-t-il pas autrefois remarquée
ce n'est, en effet, ni de l'amitié, ni de la tendresse quand il était libre, cette petite Gypsy rieuse et
maternelle,uide l'amour qu'éprouve pour Paul Nattier et bonne? Ah c'est qu'il ne pensait alors qu'à une
Mme de Bernay, femme foncièrement honnête, mais autre, une actrice, qui lui en a fait voir de dures. Et
mariée à un homme qu'elle n'aime pas et restée sans maintenant il est marié, N'importe! Paul, grisé déci-
enfant. Il a pourtant un peu de ces trois caractères, dément par un retour de jeunesse, fait bon marché
le sentiment très tendre qu'inspire un jeune homme de son mariage et bâtit follement un avenir charmant
de 23 ans à une femme qui se sent vieillir et qui qu'il passera côte à côte avec son amie. Mais Gypsy
éprouve comme un besoin irrésistible d'épancher le reste sérieuse, bien qu'au fond, tout au fond, elle
trop-plein d'amour.et de maternité qu'elle n'a.pu dé- aussi regrette un peu toute cette belle vie qu'ils
penser. Mais l'amour domine vite, et Mme de Bernay, auraient pu mener à deux. D'un mot, elle le fait re-
qui le sent, cherche en vain à se tromper elle-même tomber dans la réalité elle non plus n'est plus libre;
elle glisse sur la pente fatale. elle est mariée. Ils n'ont point vu, point arrêté ,le
M. Maurice Vaucaire a très finement rendu la con- bonheur qui passe; maintenant, il est trop tard le
fusion de ces sentiments si différents en cette femme bonheur est passé! La pièce s'achève dans un éclat de
sevrée de Cun et de l'autre, et qui semble vouloir, rire, quand nous apprenons que le mari de Gypsy
comme instinctivement, les satisfaire en même temps n'est autre que cet affreux coiffeur, le cauchemar dé
dans la même personne. Paul.
Moins heureuse est l'intrigue quand elle fait appa- Tout ce qu'il y a de charmant et de délicat dans
raitre le mari. Celui-ci, en effet, averti de l'amitié cette bluette a été merveilleusement mis en valeur
trop amoureuse de Mme de Bernay pour Paul Nattier, par une interprétation excellente avec MMme8 Muller
est pris d'abord d'un accès de colère et de jalousie. et Géniat dans les rôles de Gypsy et Lilette, et M. Ra-
Puis il se laisse peu à peu convaincrepar les explica- vet, dans celui du coiffeur Benjamin. Quant à
tions de sa femme et finit par lui pardonner. C'est M.Mayer, il a voulu nous éblouir dans sa première
fort- bien; mais voici que, par un coup de théâtre inat- création au théâtre de Molière, .et il y réussi.
tendu, nous apprenons qne Paul Nattier est père d'une
fillette. Bien plus, et nous sommes ici dans l'invrai-
semblable tout pur, sa mère ose demander aux de Au GYMNASE, encore une pièce gaie le Prestige.
Bernay de l'adopter. Adopter, élever, chérir la fille Le nom seul de M. Ambroise Janvier nous en était
de l'homme qu'elle aime, la croire sienne, qpel rêve garant. Mais il n'a pas voulu se contenter de faire des
pour Mme de Bernay! Mais le mari?. Il le permet!! pièces éblouissantes de verve et de fine comédie. Il
Pour amener là cet homme qui, peu ayant, se a introduit aujourd'hui, dans le Prestige, une idée di-
croyait trahi par sa femme, il eût fallu du temps, des rectrice, instructive tranchons le mot il a voulu,
transitions amenées avec un art infini, toute une évo- cette fois, faire une pièce à thèse.
lution à conduire dans un esprit lui-même un peu Le voilà donc parti en guerre contre'l'admiration'
spécial. L'auteur, au contraire, a amené ce changement et le respect portés par la foule, soudain déférente,
radical en quelques instants, en fin d'un acte très aux gens qui ont su s'imposer par une supériorité
bref. Malgré la part de convention qu'il faut accorder plus ou moins réelle, qui ont le prestige, prestige du
au théâtre, l'écart avec la réalité est ici trop grand. nom, prestige du talent qu'ils ont. ou qu'on leur
M. Maurice Vaucaire a un peu trop négligé le mari, prête. C'est la duchesse de Villeguérac, fière de sa
tout occupé qu'il était de ciseler féme de la femme race et de sa fortune, insolente et redoutée, entourée
avec un art très délicat. d'une véritable cour qui se dispute ses faveurs, et se
Inutile de dire que Mm. du Minil a merveilleusement permettant, eu égard à son rang, des désordres qu'elle
rendu l'âme complexe de Mme de Bernay. M. Des- ne tolère pas chez les autres, les inférieurs. C'est
sonnes est --in Paul Nattier parfait de dignité triste et M-e Bathérieux, la puritaine sévère, dont sa dévotion
de calme douloureux; et Il. Louis Delaunay a tiré ce à la gloire fait une mère complaisante. C'est Hélène
qu'on pouvait tirer du rôle ingrat de M. de Bernay. Sterck, l'artiste admirée, plus sympathique parce que
son prestige est le prestige du talent, mais qui n'en
croit pas moins qu'il lui tient lieu de tout le reste-
Le Bonheur qui passe, de M. Auguste Germain, est C est Charles Morin, enfin, l'homme sage, railleur de
tout pétillant de gaieté et de vie. C'est d'abord une ces idoles creuses, sans ambition d'abord, mais qui
amusante scène de ménage entre Paul et sa femme se jette bientôt dans la mêlée politique pour y gagner
Lilette. Lilette est d'nue inexactitude qui désespère .le prestige qui seul lui ouvrira le t;ceur de la femme
Paul et, ce soir, à 8 heures, elle attend encore sa qu'il aime.
couturière et son coiffeur Benjamin qui, tout naturel- Attaquer par le ridicule l'insolence et les désordres
de ces demi-dieux du prestige, qui se croient tout per- loi. En théorie, c'est superbe en est-il de même
mis, ainsi que la sottise de ceux qui se courbent de- dans la pratique? Je ne le crois pas. La loi, qui a le
vant eux, c'est faire à coup sûr une bonne œuvre. pouvoir de niveler la situation de tous au point de
Mais ici le grossissement voulu de certains effets co- vue des droits et des devoirs, demeure impuissante
miques. déforme souvent la réalité au point de faire en ce qui concerne les intelligences, pour lesquelles
manquer son but à la satire. Applaudissons donc les l'égalité, moins heureuse en cela que la poudre, n'a
saillies pleines d'esprit et de gaieté qui partent en pas encore été inventée. Ne voit-on pas, 'parmi les
Fusées d'un bout à l'autre du Prestige, mais regrettons conscrits, des jeunes gens, remarquablement doués
cependant que la préoccupation d'une thèse à soute- au point de vue physique et intellectuel, saisir du
nir nous les contrarie et nous les gàte parfois. premier coup ce qu'on leur explique, tandis que
Les principaux rôles sont brillamment interprétés d'autres, moins favorisés sous ce rapport, mettent de
celui de Charles Morin, le sceptique cependant jeune longs mois à se former et à s'instruire? Pourquoi
de coeur, par M. Gémier; celui d'Hélène Sterck, la donc imposer aux premiers un maximum de durée
grande artiste un peu froide et dédaigneuse, mais de service militaire seulement nécessaire aux seconds?
bonne au fond, par Mme Mégard; celui de la duchesse, On l'a déjà compris, d'ailleurs, et c'est de là qu'est
tapageuse et hautaine, par Mme Henriot. Mme Samary née la loi des dispensés, destinée à profiter aux
joue avec infiniment d'humour Mme Bathérieux, et hautes études et aux carrières libérales. Mais il n'y a
Mlle Milo d'Arcylle est un petit modèle d'atelier très pas que les hautes études et les carrières libérales
amusant. dans la vie il y a aussi les autres carrières l'agri-
culture, l'industrie et le commerce, qui, étant de pre-
la la Pipe, un vaudeville qui n'a mière nécessité, méritent qu'on les prenne avant tout
A RENAISSANCE,
d'autre prétention que de faire rire le public. Le seul en considération et qu'on leur rende aussitôt que
reproche que j'adresserai aux auteurs, MM. Arthur Ber- possible les intelligences et les bras suffisamment
nède et Edmond Mize, est d'avoir quelque peu abusé préparés à la défense de la patrie.
Mais alors, me direz-vous, quelle solution donner
d'effets comiques déjà expérimentés plus d'une fois,
à une question aussi grave?
depuis Labiche, avec succès d'ailleurs. Bonne inter-
prétation avec MMmes Dufay et Gromier, MM. Charpen- La solution est bien simple fixer la durée du ser-
vice militaire à trois ans au maximum, et, au mini-
tier, Poggi, et M. Paul-Jorge qui a montré beaucoup
de fantaisie. mum, à un an.
QUENTIN-BAUCHART. Rentreraient dans leurs foyers tous ceux qui, après
douze mois d'un service non interrompui"6eraientre-
connus capables de bien servir leur pays, non seule-
CAUSERIE MILITAIRE ment en ce qui a trait à l'instruction technique, mais
en tant qu'irréprochablement façonnés à l'éducation
Une très grave question s'agite en ce moment, à la militaire, c'est-à-dire au culte de cette admirable
solution de laquelle, soldats ou non, tous les Fran- vertu qui fait les héros et qui gagne les batailles la
çais attachent une importance capitale c'est celle discipline. En cas d'insuffisance, soit comme instruc-
qui a trait à la durée du service militaire. Les uns, tion, soit comme conduite, ils resteraient un an ou
poussant les choses à l'extrême, trouvent insuffisante deux ans de plus.
la période triennale.; d'autres voudraient la réduire Il résulterait de ce système une émulation dont notre
à deux ans; d'autres à un an. Enfin, il existe une armée ne tarderait pas à ressentir les heureux effets
catégorie de gens qui suppriméraient volontiers tout notre budget non plus ne s'en plaindrait pas.
service militaire, pensant qu'au jour du danger le Ce nouvel ordre de choses n'entraînerait nullement
patriotisme serait amplement suffisant. Ils ajoutent l'abrogation de la loi des dispensés, qui continuerait
qu'en s'exerçant au tir, on ne ferait ni plus ni moins d'exister à titre d'exception; mais il me semblerait
que les Boers, qui donnent aux Anglais tant de fil à indispensable de convoquer, sans aucune exception,
retordre, que ceux-ci finiront par renoncer à une tous ceux qui ne feraient qu'un an de service, les dis-
guerre ruineuse, cruelle et sans résultat. Ce dernier pensés comme les autres, aux manœuvres de l'année
système est absolument inapplicable en France, où suivant leur sortie, et ce, sans préjudice des autres
la configuration du sol ne permet pas un seul instant périodes de réserve fixées par les lois et 'règlements.
de songer à une,lutte effective de guérillas, et nous On réaliserait facilement le projet que je viens
n'aurions pas à combattre, le cas échéant, des armées d'exposer en encourageant par de nombreux prix et
improvisées, comme le sont ces hordes d'infortunées de généreuses subventions les sociétés de tir et d'in-
recrues que l'Angleterre envoie se faire tuer au struction militaire, dont le nombre, d'ailleurs, ne tar-
Transvaal, mais bien au contraire des troupes ins- derait pas à s'accroître. Les jeunes gens de quinze à
truites, rompues à tous les genres d'exercices et vingt ans ne demanderaient pas mieux que de se
supérieurement disciplinées. préparer d'avance à se rendre dignes de sortir du ré-
Le vieil adage si vis p~acem, para belhcrrc, a été, est, giment après un an de service, soit avec de très
et sera malheureusement toujours vrai. Préparons- bonnes notes, toi avec les galons de caporal ou de
sous-officier. Et nous aurions, d'autre part, cet inap-
nous donc à la guerre, mais de manière à ne pas
appauvrir la France par des dépenses exagérées et préciable avantage de préparer de longue main une
par la privation prolongée des services que peuvent armée d'excellents tireurs, c'est-à-dire une armée
lui rendre ses enfants, tant dans l'agriculture, le invincible. N'est-ce pas là le but où doit tendre tout
commerce et l'industrie, que dans les carrières libé- bon Français?
rales, les lettres, les arts, les sciences, etc. Capitaine FOUQUET.
Le service de trois ans est une excellente institu-
tion, basée sur l'égalité de tous les dtoyens devant la
PETIT COURRIER TIMBROLOGIQUE
LES LIVRES
Depuis quelques années la maison Colin édite une
Les Timbres français. série d'ouvrages littéraires qui, sous le titre de Pages
En t88!, on remplaça le timbre taxe type t859 par choisies des grands 8crivains, permettent au lec-
un nouveau modèle représentant une banderole dans teur de faire connaissance, suffisamment, avec les
un cadre contenant les inscriptions et le chiffre de la meilleurs auteurs anciens et modernes, français et
valeur. Cette série se composait des 1, 2, 3, 4, 5, tO, étrangers. Il vaut mieux certes, lire les oeuvres en-
t5, 20, 30, 40, 50, 60 centimes, et des t, 2 et 5 francs, tières de ces écrivains, mais c'est une lecture souvent
tous tirés uniformément en noir. Les seules valeurs de longue, réservée à un petit nombre « d'adorateurs
la série présentant quelque valeur sont les t, 2 d zélés ». Ce qu'il faut au public, c'est un choix judi-
5 francs qui valent respectivement 2, 4 et 10 fr. 50.
cieux de morceaux, le dessus du panierdu verger des
Ces trois timbres ont élé contrefaits assez habilement
lettres. Il y trouve goût et profit. Félicitons donc la
pour qu'il soit possible de s'y trom- maison Colin de son heureuse et louable entreprise.
per. Sur !les originaux les lignes
des ombres sont plus nettes que Parmi les derniers volumes parus dans cette collec-
sur les faux; cependant, malgré tion, je me plais à signaler Stendhal, que M. HIPPOLYTE
cette base de comparaison, il est PARIGOT présente au lecteur dans une vigoureuse et
prudent de n'acheter ces timbres pénétrante préface. Je ne sais si Stendhal approuverait
qu'à bon escient. qu'on découpe ainsi les tranches de son Moi, qu'on le
En 1884, ontirales 1, 2 et 5 francs vende au détail au premier venu. Il nous a averti si
en brun rouge. En cette couleur souvent qu'il n'écrit pas pour tout le monde! Volon-
ils valent 0 fr. 40, 3 francs et 4 fr. 50.
En i 89i-, changement radical dans les couleurs de tiers il dirait comme Alceste « Je veux qu'on me dis-
la série. Au même type le 5 centimes devint bleu; le tingue!» Chose curieuse, ses contemporains et la pos-
10 centimes brun; le 15 centimes vert clair; le 30 cen- térité ont satisfait à son désir. Il a eu des intimes qui
times carmin; le 50 centimes lilas p.lle 1 franc rose l'ont lu, et dé très près, et qui s'en sont souvenus;
sur jaune. Ils valent tous un sou pièce, sauf un 30 c. ils ont même beaucoup gagné à ce qu'il n'était pas
rouge qui se paye 30 centimes, et le 1 franc supprimé connu. Ses mines d'égoïculture, si j'ose dire,` ont
presque dès son apparition qui se paye neuf 3 fr. 40. donné des rendements magnifiques. Mais, d'autre
Cette cote élevée a donné aux part, et aujourd'hui encore, Stendhal n'a jamais été
faussaires l'idée de denteler populaire. Ce que nous en offre M. Hippolyte Parigot
le f"franc, taxe des colonies,
également rose, et de le ven- va-t-il lui valoir de nouveaux néophytes qui pourront
dre comme taxe de la métro- le connaître tout à fait? Il se pourrait. « J'ai un talent
pole. C'était pour les faussai- marqué, écrivait Stendhal lui-même, pour m'attirer
res un bénéfice illicite de la bienveillance et même la confiance d'un inconnu. »
francs. Heureusement que,
2 Il ajoute, il est vrai, qu'on ne ressent bientôt plus pour
plus foncés que les véritables, lui que de la froide estime. Je ne saurais souscrire à
les taxes dentelés des colonies
ce jugement. On ne se loue pas de sa netteté, de sa
peuvent se reconnaître et ne franchise il est en dehors des conventions; il. déteste
pas s'acheter. la rhétorique,mais la conviction où il se complaît qu'il
C'est en 1868 qu'avaient été créés les timbres télé-
graphes destinés à l'affranchissement des dépêches. fait partie d'une humanité d'élite devient à certains
De grands forma·,s, ils représentaient un aigle dans moments fort agaçante.
un cercle. Quatre valeurs existent de ces timbres, ce
sont les 25 centimes rose, 50 centimes vert, i franc
orange et 2 francs violet. Emis d'abord non dentelés L'auteur caché, que l'on sait, d'Amitié amou-
ils furent bientôt piqués 131/2. Les non dentelés reuse vient de publier chez Calmann Lévy un roman,
valent le 25 centimes, 3 francs; le 50 centimes, Maudit soit l'Amour, qui ne retrouverapeut-être
2 fr. 50; le i franc, 4 fr. 25; le 2 francs, 1 fr. 25. Den- pas le succès vif de ce premier ouvrage, mais qui se
telés, ils sont beaucoup moins chers le 25 centimes recommande par des qualités de finesse, d'analyse et
vaut 1 fr. 25; le 50 centimes, 0 fr. 20; le 1 franc, de chaleur peu communes. Les demi-teintes si douces
0 fr. 15, et le francs, 0 fr. 30. FILIGRANE.
si captivantes d'Amitié amoureu~e se fondent et s'op-
PRIMES TIMBROLOGIQUES DU 1" JUIN
posent cette fois, en nuances profondes, distinctes,'
tranchées; la température si tiède de ce livre s'élève
Malte 1885. 1/2 penny vert obl. 0 fr. 10. 1 penny rose,
obl., 0 fr. 10. subiteme~t dans Maudit soit l'Amour. L'héroïne
Hongkong 1900. 2 pence vert. N. 0 fr. 20. de ces deux romans, je crois bien que c'est la
Chine: 189 30 centimes, carmin, obl. 0 franc 75. 0 fr. 50 même femme, ne gagne rien à s'abandonner aux
vert, obl. 1 franc. mouvements de son cœur, La fable, qui en serait ba-
Nalal 1895. HALF sur 1 penny rose. N. 0 fr, 30.
Jama`ique 1900. penny. rouge, obl. 0 fr. 15.
nale, ne vaut que par la qualité et les performances
Porlu9al 1898. 50 reis bleu, obl. 0 fr. 20 intellectuelles de la protagoniste.
.9rgentine 1973. 0 fr. 90. bleu, obl. 0 fr. 75.
Surinam 1873, 10 centimes bistre. N. 0 fr. 65
Bolivar 1891. 1 centavo noir, N. 0 fr. 15 Le roman de M. Charles FOLEY à la librairie Colin,
En dehors de nos primes nous pouvons faciliter à nos Le Roi des Neiges, est une gracieuse et poétique
lecteurs l'achat des timbres qui leur manquent, aux prix histoire qui se passe en Norvège, dans des temps an-
vrais, c'est-à-dire aux mêmes conditions que nos primes. ciens, au moment de la domination danoise dans le
Pour tous les renseignements timbrologiques et les de- Nord. C'est un récit charmant qu'on lira avec plaisir
m andes de timbres, on 'est prié de s'adresser à Filigrane,
au bureau du Alagasin Pittoresque. FIL. JOSEPH GALTIER.
LES DIS EA U 1
ItA j~IObF PITTORESQUE
L-
En été, évitez les boissons toxiques et débilitantes
pour vous désaltérer prenez simplement dix gouttes d'al-
cool de menthe de Ricqlès dans un verre d'eau sucrée. Le
Ricqlès purifie l'eau, préserve de la cholérine, de la dysen-
Le moyen aimable et coquet de faire la charité, en ven- terie et des épidemies.
dant pour les pauvres des objets dont ils connaissent à
peine le nom, est certainement né d'un esprit féminin qui
avait prévu le succès de ces sortes de bazars où tout est
valeur marchande, même l'esprit. Un bon mot a son prix
comme le bouton de rose ou la coupe de champagne, et
les malheureux ne s'en plaignent pas. De plus, c'est une
merveilleuse occasion d'exhiber de jolies et fraîches toi-
lettes, des chapeaux pleins de séduction, et dans l'air on
respire le nouveau parfum de i'iolettes blanches de la
Parfumerie Ninon, 31, rue du Quatre-Septembre.
Nous pouvons citer parmi les aimables vendeuses de
l'hôtel de Lillers MI', C., en mousseline blanche à petits Moi papa, je ne suis jamais malade, parce que
plis coupés d'entre-deux sur un dessous de taffetas bleuté, je prends de la Phosphatine Falières.
large ceinture en ruban de nuances effacées, genre
Louis XVI, col pareil et gerbe d'oeillets naturels remontant' DÉPOLISSAGE DES VITRES DE FENÊTRES
sur le corsage; MI', de T., en linon écru sur fond de soie Pour dépolir les verres, préparez la peinture suivante
blanche, corsage blouse brodé à la main, teinte sur Achetez 10 centimes de blanc de céruse, détrempez-leavec
teinte, et capeline de crin bis, couverte de roses thé mé- de l'huile de lin, un peu d'essence de térébenthine et quel-
langées de feuillage brillant; la comtesse de V., très élé- ques gouttes de siccatif. Le tout formant un liquide épais,
gante, dans sa robe de foulard noir et blanc, coupé de l'appliquer sur le verre av ec un pinceau, puis le tam-
bandes de mousseline de soie blanche, recouvertes de ponner légèrement avec un chiffon de coton en lui don-
dentelle Chantilly, ces bandes composent aussi la chemi- nant le grain de la toile et détruisant ainsi les rayures
sette sur laquelle flotte un court boléro, et pour dominer que fait le pinceau.
cette tonalité demi-deuil, corselet et tour de cou en souple Avec cette quantité d'ingrédients on peut dépolir une
surah vert jeune pousse. Enfin NI-- L., en étamine rousse, demi-douzaine de carreaux de grandeur ordinaire, -la dé-
jupe cerclée de biais en taffetas du même ton, lisérés de pense est donc insignifiante. On a en plus la faculté de
bleu pâle, veste tailleur dont les revers roux semés de donner la nuance que l'on veut en y ajoutant un peu de
myosotis reliés par des fils d'or s'ouvraient sur une che- couleur broyée à l'huile et d'exécuter ainsi de jolies fan-
misette de dentelle de Saxe, et sur ses cheveux que la taisies.
Banamatricine arecolorés enune seule application,ravissant
marquis de tulle noir avec bouquets de cerises. Nous POUR DÉROUILLER LES CLOUS, CLÉS, SERRURES OU AUTRES.
.avons su par elle que la Bam~natricine étaitla seule.teinture FERRAILLES.
approuvée par le contrôle chimique permanent français Laissez-les tout simplement trempe~dans du pétrole
et. que la Parfuménie e,r,otiqu~, :3.5, rue du Qualre-Sep- jusqu'à ce qu'ils soient redevenus ce qu'ils doivent être,
tenabre en adressait une boite franco contre mandat-poste
de j fr. 85. Il suffit d'envoyer un échantillon de ses che- LES ~IALAIHES A LA MODE
veux en faisant la commande. LIBELLULE. Dans notre Société actuelle, l'a~aémie la neurastlaenie,
les ~naladies nerLeuses progressent de plus en plus. En les
qualifiant de maladies à la mode, cela dispense de les
guérir; au besoin on plaisante les malades. Ceux-ci
RECETTES ET GO]~1STIItS doivent se sentir très heureux que, par leurs souffrances,
ils soient à la mode. A ceux qui trouveraient que cette
mode n'a rien de séduisant, nous conseillerons de com-
GUÉRISON DE LA TOUr PAR L'EAU CHAUDE battre l'ANÉMIE au moyen du Phosphate de fer Michel,
et la NEURASTHÉNIE par l'Élixir plaosplaovinique. Simulta-
Un accès de toux subit qui vous épuise exige souvent nément, il faut purifier le sang au moyeh du'Vin Iodo-
des soins immédiats, surtout dans le cas de phtisie et de phosphaté du D~ Foy ou des Pilules de la Pharmacie JOLLY,
maladie chronique des poumons. En pareille circonstance, 64, boulevard Pasteur, à Paris.
l'eau chaude, ce remède, toujours utile, rendra souvent de
grands services. Elle est bien préférable aux potions cal- MANIÈRE D'ENLEVER LES TACHES D'ENCRE SUR LE LINGE.
mantes qui amènent des désordres dans la digestion et
font perdre l'appétit. Il faut absorber l'eau presque bouil- Lavez d'abord la tache à l'eau fraîche, puis laissez-la
lante, à petits coups, lorsque le paroxysme se produit. tremper pendant quelques minutes dans du lait bouillant.
L'eau chaude soulage la toux provenant d'irritation en Savonnez et rincez toujours dans du lait bouillant. Il ne
favorisant la production des sécrétions qui humectent les restera plus qu'une légère tache fauve, qui s'en ira à la
surfaces irritées. L'eau chaude provoque l'expectoration première lessive sans emporter le morceau. Ce procédé
et soulage ainsi la toux sèche. est bien supérieur au sel d'oseille, qui brûle toujours un
peu le linge.
Tout s'use, tout passe, et sous le poids des ans les Maladies nerueuses, de poitrine et d'épuisement; guéri-
dents disparaissent. On peut cependant les conserver son assurée par les produits Henry Mure, de Pont-Saint-
jusqu'à l'extrême vieillesse par l'usage de l'Eau de Suez, Esprit (Gard). Notice gratis sur demande.
dentifrice antiseptique, le seul dont l'usage quotidien pré-
serve les dents de la carie, les guérit, rafraichit et parfume
agréablement la bouche. L'Ecau de Suez est un remède
sérieux que trente ans de succès nous permettent de
recommander à nos lecteurs.
~IOYEN DE JAU:'I!R LES TULLES ET LES DENTELLES.
On prépare une forte infusion de thé mi-partie noir, mi-
partie vert, et on y laisse tremper les dentelles pendant
cinq à six heures. On les retire ensuite pour les étendre
sur une planche habillée de flanelle. On repasse à l'envers Pâte dentifrice hygiénique, la meilleure, la plus
en relevant bien les picots.. agréable, 110, rue de Rivoli,Paris.
~$~$~
1881 le Gouvernement allemand et le Prince bras un Bacchus enfant et qui reste comme le
impérial n'ont mesuré ni leur appui ni leur plus bel échantillon du génie de la Grèce.
argent. Six ans durant, on a travaillé d'octobre à JOSEPH GALTIER.
mai. Ces efforts ont été couronnés du plus incon-
testable succès. « Cent trente statues ou bas- les Moeurs,
La Mode, ce sont des mœurs qui furent
reliefs de marbre, treize mille objets de bronze, ce sont des modes qui doivent rester.
LA MALIBRAN A BRUXELLES
L'été de l'année 1830 commençait et Bruxelles cessait, on apercevait parfois à la fenêtre et pen-
se reposait dans le calme tiède d'un beau cré- dant quelques instants seulement, une jeune
puscule. Dans l'exquise sérénité de l'air, la ville femme au visage noble enveloppé d'une dentelle
restait paisible et un peu morne, comme une légère. Elle souriait en voyant les gens du quar-
grande cité de province où la vie semble toujours tier fermait la croisée et les auditeurs se disper-
un demi-sommeil. Au coin de la rue Léopold et saient lentement, à regret, emportant la mélan-
du Fossé aux Loups, non loin du théâtre de la colie charmante d'une joie tr op tôt interrompue.
Monnaie, s'élevait une maison assez insignifiante Les deux grands artistes qui conviaient le peu-
d'aspect et qui n'avait jamais attiré l'attention de ple bruxellois à les entendre étaient la' célèbre.
personne. Comme d'habitude, ce soir-là, les pas- Malibran et le violoniste Charles de Bériot. Ce
sants traversaient la rue sans remarquer cette dernier était connu à Bruxelles. Violoniste solo
demeure quand tout à coup, par les fenêtres du du roi Guillaume, fixé, dans la capitaledu Brabant
premier étage, ouvertes tout au large, un chant depuis nombre d'années, il était populaire en
féminin descendit sur la ville, tout d'abord Belgique. Quant à la Malibran, Bruxelles ne la
doux et pénétrant, puis passionné, frémissant et connaissait guère, jusqu'à cette époque, qûe de
comme impatient de vouloir s'élancer vers le réputation. Elle avait chanté avec un succès-
ciel. Les notes frêles et émues d'un violon ac- triomphal en Angleterre, en Amérique. Elle avait
compagnaient l'incomparable voix, et c'était fait aux côtés de la Sontag les beaux soirs du
comme le duo idéal de deux êtres aspirant aux Théâtre-Italien à Paris elle y avait incarné Des-
joies de quelque monde inconnu. démone avec une poésie profonde et saisissante
Bien que l'on fùt en pleine époque romantique elle y avait chanté Rosine du Barbier avec une
et que les imaginations fussent assez bien pré- mutinerie exquise et démoniaque. Déjà son
parées à des émotions soudaines, les bons bour- génie lyrique était illustre on vantait sa grâce,
geois du quartier éprouvèrent la plus vive sur- sa charité, sa haute intelligence. Le chant, à
prisè~ Leur joie était profonde. Ils s'arrêtaient, cette époque, était l'objet d'un culte et la Mali-
formaient des groupes muets et admiratifs, ne bran, pour beaucoup, était une idole. Et voici
songeaientmême pas, dans leur stupéfaction, à se que cette femme adorée et choyée qU\\ l'on cou-
demander quelles étaient les créatures d'élite qui, vrait partout de fleurs, qu'une jeunesse idolâtre
généreusement, les admettaient à ce divin con- énivrée par sa voix escortait à l'issue de toutes
cert. ses représentations, voici que la Malibran, inco-
Presque tous les soirs, à la même heure, la gnito presque, vivait à Bruxelles, cité bien mo-
fête se renouvela pendant un mois environ. Ces deste alors, et prodiguait ses trésors aux pas-
parages étaient presque déserts à cette époque, sants"
mais les rares voisins accouraient bien avant le L'amour avait accompli ce miracle. La Mali-
moment où la voix et l'archet vibraient dans bran touchait à sa vingt troisième année. Son
l'élan d'une même âme. Quand toute musique premier mariage, on le ~ait, n'avait été que tris-
tesses. A New-York, en 4S~?S, tandis que sa des- tard, la Malibran rencontra le violoniste Charles
tinée artistique s'ouvrait par de brillants de Bériot. Elle aima tout de suite le grand
triomphes, un négociant français installé en virtuose et, dès lors, ils associèrent leurs exis-
Amérique et nommé Malibran demanda sa main. tences. Le premier mariage de la chanteuse ne
Le père de la cantatrice, le célèbre chanteur fut annulé que dans le courant de l'hiver 1835
Garcia, la lui promit. La jeune artiste ne voyait le 29 mars 1836, la Malibran devint Nlme Ch.
cette union qu'avec répugnance. L'époux qu'on de Bériot. Le 23 septembre de la même année,
lui destinait avait atteint la cinquantaine. Mais elle mourait, à l'âge de 28 ans. Non seule-
Garcia était volontaire jusqu'à la tyrannie. En ment la plus grande cantatrice du me siècle
faisant jadis l'éducation musicale de sa fille, il disparaissait, mais aussi la dernière prêtresse
l'avait maltraitée au point d'effrayer maintes vraiment inspirée du lyrisme italien.
fois les voisins. Il entendait diriger l'existence Depuis le jour ou elle connut de Bériot, la
entière de son enfant. Marie-Félicité Garcia pour Malibran vécut beaucoup à Bruxelles et c'est, je
obéir à son père devint donc M-0 Malibran. Elle crois, dans la capitale de la Belgique que se trou-
ne devait garder de ce premier mariage que l'im- vent les deux souvenirs matériels les plus con-
pression d'un cauchemar, heureusement assez sidérables, et en somme les plus éloquents, qui
conrt, et un nom qu'elle détestait au fond de nous soient Testés de cette femme exceptiôn-
son être et que pourtant elle immortalisa. Au nelle la maison de campagne aujourd'hui la
bout de quelques mois d'une union accidentée, Maison Communale d'Ixelles où elle venait
le négociantfaisait faillite et la cantatrice repre- passer ses étés en compagnie de Ch. de Bériot,
nait seule le chemin de l'Europe. Deux ans plus et son tombeau placé au cimetière de Laeken.
Cette demeure et cette sépulture ne sont pas mène vers la vaste Place Communale, et c'est pré-
dépourvues d'originalité dans leur aspect; elles cisément dans le fond de cette place que s'élève,
n'offrent pourtant aucune particularité vraiment encore environnée de verdure, 1.'ancienne de-
artistique. Néanmoins, il me suffit de les avoir meure de la Malibran (1).
vues tout récemment ave., un peu plus d'atten- Au rez-de-chaussée, l'ancienne salle de fête où
tion qu'autrefois, pour mieux me représenter la Malibran se fit souvent entendre à ses amis est
l'existence de la grande artiste, pour pénétrer un devenue la salle des séances du Conseil commu-
peu plus avant dans cette grande vie trop brus- nal. Mon cicerone me fait remarquer la fort jolie
quement éteinte. marqueterie du parquet et les portes garnies
La maison d'Ixelles fut construite sous la direc- autrefois de glaces. La salle fait saillie sur la
tion de Ch. de Bériot. L'époux de la divine Marie- façade; elle était précédée jadis d'un péristyle en
Félicie n'était pas seulement un violoniste incom- demi-cercle que l'on a clôturé par de grandes fe-
parable, un homme infiniment séduisant et nêtres pourpouvoir agrandirla pièce. On montre
spirituel, jouant la comédie avec un art exquis et également au-rez-de-chaussée, danslecabinet du
réussissant à merveille les « imitations », il y secrétaire communal, une cheminée enmosaïque
avait aussi en lui un maître de l'art plastique, un qui est tout à fait dans le goût (c romance de
architecte et un sculpteur qUi ne manquaient ni l'époque, avec ses oiseaux et ses bouquets incrus-
l'un ni l'autre d'invention et d'habileté. Après la tés. Un personnel nombreux remplit toutes les
mort de La Malibran, il habita une autre demeure pièces que j'ai été autorisé à visiter. A part la
estivale avec théâtre, salle de réception, etc., construction même, rien ne rappelle la fille
élevée d'après ses plans et qui, chose curieuse, géniale de Garcia. Partout des grillages, des car-
devait également abriter dans la suite des bourg- tons, des pupitres, des guichets. Avec quelle fa-
mestres et des échevins, puisqu'elle est devenue cilité pourtant on reconstitue la physionomie
la Maison Communale de Saint Josse-en-Noode. ancienne de ces pièces amples et claires Une
Dans l'histoire de l'architecture belge au XIXe siè- moulure au plafond, un rinceau dans le marbre
cle, il faudrait réserver une place à de Bériot. En d'une cheminée suffisent pour nous transporter
vérité, elle serait modeste. Voyons quels furent à l'époque de la Malibran. On renrette toutefois
ses mérites de sculpteur. De Bériot exécuta un de ne. voir nulle part un portrait de la divine
buste très expressif de sa femme. Cette œuvre artiste. On cherche son image pour compléter
est très peu connue. Le Conservatoirede Bruxel-. l'impression. Combien la figure fière et attirante
les en possède un moulage en plâtre dont nous de la sublime jeune femme animerait le petit
sommes heureux de pouvoir donner la photo- édifice Nous espérons que le Conseil com-
graphie. L'altitude est fière, la ligne du cou vrai- munal d'Ixelles ne tardera pas à faire l'acquisi-
ment royale, tout le visage respire un enthou- tion de quelque belle estampe qui fera con-
siasme élevé. De Bériot a eu le courage de ne pas naître à tous les visiteurs les traits de Mme de
atténuer 1& proéminence des mâchoires et l'épais- Bériot. C'est le moins que l'on puisse faire pour
seur des lèvres, Comme son grand contemporain celle dont l'âme chantante survit dans ces lieux
Ingres, le mari de la Malibran fut à la fois un et leur assure, malgré tout, de la noblesse et de
portraitiste fidèle et un fanatique du violon. la poésie.
L'installation des deux grands virtuoses dans Dans l'antichambre du bourgmestre, une pho-
un appartement de la rue du Fossé-aux-Loups tographie, que nous sommes heureux de pouvoir
n'avait été, on le pense bien, que provisoire. reproduire, nous montre la v illa telle qu'elle
D'ailleurs la Belgique entrait dans une période existait au milieu de ce siècle. A la place de la
troublée et glorieuse. La Révolution de septem- balustrade actuelle une haie épaisse défend le
bre était proche. L'émeute éclatait dans la rue. jardin; sur la plate-forme 'extérieure du premier
L'indépendance du pays fut bientôt proclamée. étage, une « Marquise vitrée, supprimée de nos
Pendant un an on n'entendit plus parler des deux jours, s'embellit de quelques plantes grimpantes.
artistes. L'été revint et la Malibran reparut à Le petit fronton où l'horloge municipale se sent
Bruxelles. La maison d'Ixelles était achevée et
c'est là désormais qu'elle devait venir se reposer (1) Grâce à l'obligeance de M. le secrétaire communal
tous les ans, pendant la belle saison. L'habita- d'Ixelles, nous avons entre les mains le compte rendu de
tion était située alors en pleine campagne. Ixelles la séance du 27 août 1849, où le Collège échevinalvota dé-
finitivementl'acquisition du pavillon de Bériot Considé-
était, comme tous les autres faubourgs de la rant y est-il dit, que l'offre de vente faite par Il. de
capitale, une modeste bourgade verdoyante et Bériot à la commune est avantageuse à celle-ci, en ce que
le pavillon convient par sa distribution intérieure autant
toute rustique. Quelques villas apparaissaient à que par le caractère de son architecture extérieure à un
travers les arbres, et l'on voyait le long des che- établissement public. qu'il pourra être établi entre le
mins des guinguettes où les Bruxellois venaient, bàtiment et l'angle de la rue de la Tulipe une .place pu-
blique, la seule dont se trouverait dotée la Commune et
le dimanche, vider force verres de faro de qui donnerait infailliblement du relief à ce quartier où de
bruin et manger des tartines au fromage blanc. nombreuses constructions viendraient à s'élever, etc. ».
Aujourd'hui, Ixelles est une commune de cin~ La place existe en effet aujourd'hui, bordée de maisons,
à l'endroit même où s'étendait le jardin du pavillon Ma-
quante mille habitants. Une rue large et animée libran.
.un peu à l'étroit n'existait pas. L'ensemble avait puissante d'où s'échappent dans tous les sens
quelque chose de frais, de tendre, d'un peu pré- des tuyaux semblables à de longues pattes ten-
cieux, qui a complètement disparu depuis que la taculaires.
modeste habitation a connu les honneurs offi- Autour de la Maison Communale, voyons si
ciels. nous recueillons quelque impression se rappor-
On a déjà voulu détruire la « maison de la tant à notre sujet. Voici, à droite, un grand
Malibran» pour édifier à la place un Hûtel-de-Ville {( estaminet » dont la salle de fêtes a été baptisée
spacieux et luxueux. Les conseillers d'Ixelles du nom de Tfiéâtre Qé~·iot. Un peu plus bas,
ont heureusement renoncé à ce détestable projet. pénétrons dans un cabaret avenant Au Père de
L'administration s'accommodedu reste très bien Famille. On y boit les vieilles boissons du pays.
de ce logis. La distribution des pièces est excel- Sur l'une des murailles une peinture naïve
lente la clarté pénètre partout. Tel monument évoque l'Ixelles de 1830. Un immense jardin
communal construit de nos jours à gl'ands frais entoure la maison de la 'Malibran; une' « drève »
aux environs de Bruxelles montre une façade d'arbres magnifiques, mène à la porte de Namur
riche ou prétentieuse, derrière laquelle les fonc- où se dressaient les premières maisons de la
tionnaires vivent dans une pénombre perpé- capitale et la fameuse auberge du Cheval Blanc,
tuelle. Les souterrains mêmes de la maison station terminus des diligences et des postes.
d'Ixelles sont éclairés à souhait. Ils constituent C'est l'Ixelles champêtre qu'habitèrent de Bériot
à vrai dire une sorte de rez-de-chaussée. Des et sa femme, que connut sans doute encore
grosses colonnes supportent le plafond. Le corps. Charles de Coster, l'admirable conteur des aven-
de la Malibran fut exposé ici avant l'enterre- tures de Thyl Uilenspiegel, le rénovateur des
ment au cimetière de Laeken. Les murailles lettres belges auquel Ixelles a fait élever un gra-
étaient tendues de draperies noires semées de cieux monument oeuvre du sculpteur Samuel; ce
larmes. Les fleurs montaient jusqu'à la voûte en n'est pas l'Ixelles mouvementé et peuplé où vint
un amoncellement compact. De larges rubans, échouer si misérablement l'inconsolable ami de
avec des inscriptions d'argent, serpentaient au- ~1-8 de Bonnemain. Dans le jardin de la Maison
tour des roses et des violettes de deuil. Des Communale remarquons encore une statue en
milliers d'amis etd'admirateurs défilèrent devant marbre blanc de Léopold 1er par le sculpteur tour-
le catafalque. Aujourd'hui, à ce même endroit, naisien Dutrieux. Elle était placée jadis sous le
trône une sorte de monstre en fer et en cuivrn, péristyle. Onl'a reléguée dans unmassifd'arbres.
le moteur du calorifère communal, chaudière Elle est bien modeste, bien timide et le fonda-
.teur de la dynastie belge prend ici une physio- chester. Visiblement elle se fatiguait, ne se sou-
-nomie frileuse et vieillotte qu'on ne lui connais- tenait que par sa volonté de fer. Le second soir
sait guère. du festival, elle s'évanouit en pleine scène. Em-
Léopold 1er était un admirateur enthousiaste portée à l'hôtel, elle fut prise de convulsions.
de la Malibran. Elle chanta plusieurs fois à la Pendant huit jours les médecins la disputèrentà
Cour. Bruxelles tout entier du reste s'attacha à la mort. Elle expira le 3
septembre, à l'âge de
cette femme incomparable. Les concerts qu'elle 28 ans.
organisa au théâtre de la Monnaie avec de Bériot Son destin tragique souligna le rayonnement
furent pour elle des apothéoses. de sa vie. Musset et d'autres poètes lachantèrent
Les Bruxellois lui étaient reconnaissants avec des sanglots. L'art se sentit en deuil. Dans
d'avoir fixé son bonheur intime parmi eux. Dans les maisons les plus humbles on déplora le sort
les salons elle était traitée comme une reine. de cette jeune femme, belle et victorieuse, qui
Elle enflammait tous ceux qui la voyaient et mourait comme une martyre. Manchester lui fit
l'entendaient. Un dilettante bruxellois qui ve- des funérailles inoubliables et voulut conserver
nait de l'entendre chez des amis, écrivait « Je sa dépouille, La famille intervint. Le corps fut
rentre chez moi sous l'impression de la plus ramené à Bruxelles, puis inhumé au cimetière de
prodigieuse fascination; je ne sais si je dors Laeken. Un comité se forma pour élever un mau-
ou si je veille; si ce que je viens d'entendre solée à l'illustre chanteuse. Les dons affluèrent.
est une illusion ou la plus enivrante réalité. Je Le monument fut rapidement achevé. C'est une
suis trop ému pour espèrer le repos. » Et parlant sorte de chapelle quadrangulaire, surmontée
du duo de Sémiramide qu'Elle avait chanté avec d'un petit dôme et que ferme, au haut de quel-
la basse Serda « Ici, ajoutait-il, je renonce à ques marches de granit, une porte de bronze où
peindre les impressions que j'ai ressenties. Je l'on voit des anges parmi de multiples rinceaux
suis sorti troublé, enivré, mais emportant dans ajourés. L'intérieur est orné d'une figure en
mon âme un souvenir pour toute la vie. » Le marbre du sculpteur Geefs une jeune fille qui
pauvre homme ne put dormir de la nuit; la voix semble s'élancer du piédestal figurant le globe
incomparable continuaitdechanteràsonoreille. terrestre et qui ouvre les bras en signe d'adora-
La Malibran se fit entendre pour la dernière tion. L3 visage n' ~xprime qu'une extase banale
fois à Bruxelles, le 10 avril 1836, quelques jours le corps chaste et gracieux, vêtu d'une robe
après son mariage avec M. de Bériot, dans l'an- savamment plissée sur la base, est d'une jolie
ciew temple des Augustins placé jadis sur la suavité de lignes. Sur une plaque en marbre
place de Brouckère. Le concert était organisé au blanc sont gravés ces vers de Lamartine en guise
profit des Polonais. De Bériot, le pianiste de de commentaire
Fiennes, le clarinettiste Blaes s'y produisirentaux
Beauté, génie, amour furent ses noms de femme.
côtés de l'illustre cantatrice. Comme on ne se Inscrits dans son regard, dans son cœur, dans sa voix.
lassait pas de l'entendre, elle chanta, en s'ac- Sous trois formes à Dieu appartenait cette âme.
compagnant elle-même au piano, une romance Pleurez, terre, et vous cieux, accueillez-la trois fois.
très en vogue Bonheu~· de se ~·evoir. Le public y Une fois l'an, la chapelle est ouverte. On en
vit la promesse d'une prochaine audition. L'en- retire les bouquets, les couronnes, les cartes in-
thousiasme devint de la frénésie. Les palmes, les nombrables, que l'on continue d'y déposer avec
couronnes se mirent à pleuvoir sur l'estrade. ferveur. En parlant des grands virtuose's, on s'a-
Elle vint saluer, toute frémissante de joie. Parmi pitoye volontiers sur la brièveté de leur gloire,
les fleurs d'adoration, elle apparut blanche et sur la rapide disparition de ces astres dans la nuit
fière comme une déesse. Des fanatiques, à la de l'oubli! Que reste-t-il des grands interprètes?
sortie, voulurent dételer les chevaux, traîner la Rien, dit-on. Est-ce bien vrai? Leur souvenir se
voiture de leur idole. On criait autour d'elle grave dans la mémoire des hommes aussi bien
au Bonheuz· de se revoir. que celui des poètes. Le culte de Rachel et de la
On ne se revit plus. Le lendemain, elle partait Malibran garde ses fidèles. Au cimetière de Lae-
pour Londres où elle devait faire la terrible chute ken la foule, au jour des Morts, se presse au-
de cheval qui entraîna sa mort. Sa monture tourdu mausolée de l'inoubliable Desdémone, Le
s'étant cabrée, elle fut précipitée de sa selle. Son peuple croit que la petite chapelle abrite les restes
pied resta dans l'étrier et comme une victime d'une sainte. Et son imagination ne le trompe
des vengeances mérovingiennes, elle fut traînée peut-être pas. Celle qu'il adore si naïvement
sur le sol au galop de sa bête emportée. Son chanta comme les anges du Seigneur. Sa grande
visage fut déchiré par les pierres, son corps fut âme connut les plus hautes générosités et son
couvert de plaies. On la releva évanouie; on la génie les élans les plus sublimes. Dans les con-
crut morte. Avec une énergie surhumaine, elle certs célestes il n'y a point sans doute de soliste
voulut dompter le mal. Pour rassurer son mari, plus fêtée que Maria-Félicia Garcia.
elle chanta le soir même. Elle se remit à voyager, H. FIÉRENS-GEVAERT.
se rendit à Aix-la-Chapelle, retourna en Angle-
terre pour prendre part au festival de Man- IV
LES DRAMES DE L3HISTOIRE
13onaparte a-t-il fait éttranglerr l~iehegru ?
.,conspiration doit d'abord déposer toute crainte remplir la mission qui~leur avait été confiée par
de mort. C'était là probablement le dernier pas- le Tribunal.
sage qu'il avait lu (1), Il avait été, en outre, décidé que le corps de
Pendant que Savary faisait son enquête, au Pichegru serait visité par six médecins ou chi-
Temple se réunissait le Tribunal criminel spé- rurgiens.
cial de la Seine, investi de pleins pouvoirs pour Ces hommes de l'art, après avoir noté les di-
-prononcer sur l'affaire. vers signes d'identité, ajoutaient
« Qu'après avoir
examiné toute l'habitude du
(1) dlérnoires cl2c cluc cle Rovigo (Ioc..cit.). corps dudit cadavre, ils avaient remarqué une
i~n~ression circulaire au col, large d'envirnn deux les officiers, ni les plantons, n'ait rien entendu?
doigts, et plus marquée à la partie latérale gauche; Ils étaient dans le secret? Mais il n'est secret
« Qu'il y avait strangulalion; qu'elle avait été si bien gardé qui ne 'se trahisse un jour. Or, en
faite à l'aide d'une cravate de soie noire forte- 1825, il existait au moins trois hommes qui
ment nouée, dans laquelle on ava~t passé un avaient été mêlés à cette affaire celui qui com-
bâton ayant om,45 de long et 0~°,05 de pourtour mandait au Temple lors de l'événement; le lieu-
et qu'on avait fait de ce bâton un tourniquet, tenant de la gendarmerie d'élite, officier de garde
avec lequel ladite cravate avait été serrée de plus pendant la nuit fatale, et le concierge de la pri-
en plus, jusqu'à ce que ladite strangulation fût son devenu concierge de la maison d'arrêt de
elfectuée, etc. » Vincennes. On était sous Louis XVIII; ces trois
personnages pouvaient donc délier leur langue
sans craindre les représailles; et cependant au-
Le problème à résoudre se résume dans ces cun, que nous sachions, n'a élevé la voix!
deux propositions Et puis, de quelle utilité était un pareil crime ?
Pichegru s'est-il suicidé? Même si Pichegru eût été condamné, Bonaparte
Bonaparte a-t-il fait étrangler Pichegru? l'aurait à coup sûr gracié.
Produisons d'abord, comme dans tout procès, On a incriminé le rapport des six praticiens,
les témoins à charge. « désignés d'office », qui auraient déclaré « par
Une réflexion vient à l'esprit, dont il est ma- ordre que Pichegru s'était étranglé. Nous ne
laisé de se défendre pourquoi ce livre ouvert croyons pas, pour notre part, que la bonne foi
avec une sorte d'ostentation à la page où il est de nos confrères puisse êlre mise en cause. On
précisément question de suicide ? Réal, qui avait eût été mieux avisé de leur faire grief de leur
procuré le livre au prisonnier, a vraisemblable- ignorance; encore à cette époque la médecine
ment senti la valeur de l'objection, lui qui, en légale était-elle en enfance et les médecins char-
présence du cadavre, dit, s'adressant à Savary gés des fonctions d'experts par la justice ne
« Qu'on fasse ce qu'on voudra; on dira toujours pouvaient être mieux instruits que la science du
que, n'ayant pu le convaincre, nous l'avons temps ne le comportait. En tout cas, d'après leur
étranglé. » rapport, que nous tenons pour un rapport cons-
C'est, aureste, la rumeurqui courut dans Paris, ciencieux, jusqu'à ce qu'on nous aura fourni la
dès que fut connu l'événement. Mais l'opinion preuve du contraire, on ne saurait adopter une
n'est pas toujours, tant s'en faut, l'écho de la autre hypothèse que celle de la strangulation
vérité, mais bien plutôt des impressions du mo- volontaire.
ment, de certains propos tenus dans la foule, Le suicide par strangulation est-il possible?
etc. Ce n'est point un argument dont il faille est-il fréquent?
faire état. La réponse à cette double question nous est
Celui que nous allons produire n'est pas de fournie par les annales de la médecine et de
plus grand poids. Bonaparte,a-t-on dit, non seule- l'histoire, que nous avons parcourues à cette
ment n'aimait pas, mais il craignait les Juras- intention.
siens c'est ainsi qu'il fit périr dans une embus- Nous nous contenterons de signaler des cas
cade le colonel Oudet, le soir de Wagram; qu'il analogues, quant aux circonstances, à -celui
mit en disponibilité puis en retraite le général de Pichegru, nous réservant de les développer
Lecourbe qu'il fit arrêter puis fusiller Malet; dans une publication ultérieure (1) (cas du
comme il s'était empressé, dès qu'il en avait eu Dr Villeneuve, 1826, Académie de médecine; Orfila,
le pouvoir, d'interdire la Marseillaise, parce que Médecine légale; Dr Fodéré, Dictionnaire des
Rouget de Lisle était. natif des environs de Lons- sciences médicales, t. LIII Dr Buchez, Histoire
le-Saulnier parlementaire de la Révolution, t. XXXIX; cas de
Tout cela est bien pauvre comme argumenta- Saint-Edme, cité par Des Etangs, Du suicide poli-
tion! tique en France, etc.).
Les partisans de l'assassinat de Pichegru vien- On connaît maintenant notre sentiment, que
nent nous dire encore qu'on a entendu des cris n'avons plus qu'à concréter dans une phrase
dans une cellule voisine, et ils citent un certain nous
dépourvue d'ambiguïté: Non, Bonaparte n'a pas
Vercel, fils d'un boulanger de Salins, qui aurait lait étrangler Pichegru, dont la
mort ne saurait
prétendu avoir distinctement reconnu le timbre être attribuée qu'au suicide.
de la voix de Pichegru qui l'appelait. Ceci n'est,
Dr CABANÈS.
au surplus, qu'une tradition locale, recueillie
seulement dans une feuille franc-comtoise, et
qu'aucun historien, même parmi ceux favora-
bles à Pichegru, n'a paru prendre au sérieux.
Par contre, comment expliquer qu'aucune des
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(1) Napoléon jugé par un Anglais.
On sait que, pour faire face aux charges écra- L'auteur, pour établir les dimensions des deux
santes imposées à l'Angle.terre par la guerre du blocs qu'on voit dans la figure 1, a tenu compte
Transvaal, le Parlement britannique vient de déci- du foisonnement qui se produit natur~llement
der, entre autres mesures, l'application d'une quand on extrait le charbon des entrailles du sol,
taxe d'un shilling par tonhe de charbon exporté. où il est comprimé sous un volume réduit. Le
Là-dessus, gros émoi de l'autre côté de là Man- bloc A représente le « diamant noir dont l'ex-
che, levée en masse de tous les producteurs de
houille, menace de grève générale, agitation qui
a eu son contre-coup sur la plupart des marchés
industriels du globe, dont notre voisine est la
grande pourvoyeuse de combustible.
En effet, d'après une statistique officielle toute
récente que nous avons sous les yeux, l'Angle-
terre n'a pas exporté, en 1900, moins de quarante-
quatre millions de tonnes, soit trois millions de
plus, en chiffres ronds, que l'année précédente.
Sur ce chiffre vraiment formidable, la France, à
elle seule, prend près de huit millions cinq cent La France et l'Angleterre reliées par une digue de charbon.
mille tonnes, autrement dit le cinquième. On voit
ploitation serait possible sous la couche per-
mienne. Le cube B indique, à la même échelle,
la quantité de houille que contiennent à l'heure
présente toutes les mines anglaises.
On remarquera une sorte d'entaille régulière
enlevée à l'angle supérieur de ce dernier cube
c'est exactement ce qui a été extrait du bloc total
de charbon pendant les trente dernières années
du siècle quatre milliards sept cent quatre-vingt-
six millions de tonnes, un- gros morceau, comme
on peut s'en rendre compte.
Eh bien, ces deux cubes A et B auraient, en
La provision de charbon des mines anglaises. réalité, le premier trois kilomètres six cent cin-
quante mètres de côté; le second, quatre kilomè-
donc quelle répercussion peut avoir chez nous tres deux cents mètres. Et, pour mieux faire
l'impôt de guerre dont nous venons de parler. sauter aux yeux leurs dimensions gigantesques,
La question charbonnière étant ainsi tout à fait
à l'ordre du jour, un périodique anglais bien
connu, The Grapkic, a eu l'ingénieuse idée de
réunir, sous une forme sensible et rigoureuse-
ment exacte, les résultats statistiques relatifs à
la production de la houille au Royaume-Uni de
Grande-Bretagne, dans le présent et depuis 1870,
date du premier rapport sur la situation des
mines, rédigé par la Commission royale instituée
à cet elTet.
Le rapport en question avait conclu à l'existence
de gisements houillers exploitables à une faible En dix minutes, les 730000 mineurs anglais extraient
distance sous la couche permienne et représen- 15000 tonnes de houille, soit 100 de plus que le poids
du Majeslic.
tant quelque cinquante-six milliards de tonnes.
Cette estimation s'est trouvée confirmée par la notre statisticien a placé entre eux la Tour Eiffel.
suite, elle semble même aujourd'hui plutôt infé- Oui, cette imperceptible petite tache pointue
rieure à la réalité. n"est autre que notre immense tourde trois cents
Quant aux mines existantes et actuellement mètres, le plus haut monument du globe De
exploitées, elles renfermaient, à l'époque des tra- même, le joujou lilliputien qu'on aperçoit en
vaux de la Commission royale, quatre-vingt-dix regardant bien-sous les blocs de houille, repré-
milliards de tonnes de houille. sente, toutes proportions gardées, une ligne de
chemin de fer à double voie, ayant six -milles tonnes soulèveraient le tlTajestic, le plus grand
(près de dix kilomètres) de développement, sur cuirassé de la marine britannique, dont le poids
laquelle courent en sens inverse deux trains de atteint pourtant quatorze mille neuf cents tonnes.
quarante wagons chacun. Et voilà comment on fait de la statistique amu-
Poussant plus loin ses calculs, l'auteur de l'ar- sante avec les bateaux de la première flotte du
ticle essaie de donner à ses lecteurs une idée pré- monde
EDOUARD BONNAFF£,
cise de ce que peuvent être, une fois sorties de
leur trou, quatre milliards sept cent quaire-vingt-
six millions de tonnes, la production en charbon
des mines du Royaume-Uni depuis 1870.
Nous pourrions, dit-il, en construire une digue EN ROUTE
de seize cents mètres de large entre Douvres
et Calais. Cette digue, d'une longueur de trente-
cinq kilomètres et demi, reposerait sur le fond de Nous gravissions la côte en traversant le bourg,
Sous le soleil d'août, et le sac était lourd
la mer et dépasserait de trente mètres le niveau Aux pauvres pieds meurtris. Je crois entendre encore
des plus hautes marées. Ou bien encore, ces Midi sonner, et nous marchions depuis l'aurore,
quatre milliards sept cent quatre-vingt-six mil- Avec ce seul espoir au terme du chemin,
Dormir en maigre gîte et repartir demain.
lions de tonnes de houille nous serviraient à en- On allait, étranglé de soif et de poussière,
tourer l'Angleterre, tout le long de ses côtes, d'un Les yeux perdus, brûlés par l'ardente lumière,
En silence; plus de lazzis, plus de chansons.
mur de trois mille deux cent quinze kilomètres, Tout en montant la rue, on songeait au bien-être
mesurant quarante-huit mètres de hauteur et Dont ne nous séparait qu'un mur, qu'une fenêtre,
trente-six mètres d'épaisseur. Et dont jouissaient là des gens, dans leurs maisons.
Entre les abat-jo'ur d'une persienne close,
Mais, allons encore plus loin. Passaient les doigts mignons d'une menotte rose,
Grâce aux procédés intensifs d'extraction em- En même temps que les éclats d'un rire frais,
ployés aujourd'hui, les sept cent trente mille Dans un bruit de baisers; et je me figurais
La scène pour venir voir défiler la troupe,
ouvriers occupés au fond ou à la surface des On s'était levé de table, laissant la soupe,
mines anglaises arrivent maintenant à produire La bonne soupe grasse aux assiettes fumant.
Heureux, Monsieur, Madame, enlacés tendrement,
une moyenne de mille kilos de charbon par Nous montraient à l'enfant, puis, retournant à table,
et
homme par jour. Un simple calcul permet d'en Se versaient du vin frais, bonheur inénarrable
déduire que, toutes les dix minutes, on sort des Et, devisant gaîment, l'esprit libre, dispos,
Buvaient à la santé du brave militaire.
houillères du Royaume-Uni quinze mille tonnes Que j'aurais payé cher un peu de ce repos 1
J'ai déjà eu l'occasion, l'année dernière, de festait dès l'enfance, l'aida généreusement à faire,
faire la critique d'un tableau de M. Raymond à l'École des Beaux-Arts, les études nécessaires à
Lefranc, critique élogieuse, car ses Marins bre- atteindre un but vers lequel on peut dire qu'il
tons étaient fort réussis. Irréprochable pureté de s'avance rapidement.
dessin, toloris sobre et juste, composition fine et .Il suffira à ceux qui n'auront pas la bonne for-
originale, av ec un archaïque regain d'Ecole fla- tune de voir le .tableau en question de regarder,
mande telles étaient les qualités maîtresses de pour s'en convaincre, la gravure ci-contfe.
cette jolie scène, d'ailleurs pleine de naturel et Les personnages y sont ingénieusement posés;
de sincérité. le jeu des physionomies, l'attitude, la vérité des
La Partie d~ cartes au Finistère, qui figure au caractères exprimés, la vie, en un mot, qui anime
Salon de cette année (Société desArtistes français, cette composition, vraie' sans être réaliste, tout
salle XIII), est un pas de plus en avant dans ce contribue à faire de la Partie de cartes au Finis-
genre où l'artiste a trouvé sa principale voie, au tère une oeuvre de réelle valeur.
bout de laquelle le succès 'attend à coup sûr. Il s'y perçoit même un essor d'imagination qui
Jeune, travailleur, consciencieux,sérieusement fait qu'on se demande si, tout en traitant parti-
épris de son art, M. Raymond Lefranc justifie les culièrement les scènes d'intérieur, l'artiste ne
espérances de la ville de Coutances, qui, ayant pourrait pas s'attaquer à des toiles de plus gran-
remarqué les dispositions artistiques qu'il mani- des dimensions et nous donner, par exemple, le
spectacle de marins groupés sur la plage, à la nous de constater, qu'il a, dès à présent, les plus
suite d'une partie de pêche, avec une mer calme grandes chances de réussir, ce. que nous lui
reflétant l'azur d'un ciel sans nuages, ou bien souhaitons de grand cœur, car ce ne sera que la
devant quelque océan houleux. brisant ses lames juste récompense d'un labeur opiniàtre et perSé-
courroucées sur les flancs abrupts de hautes vérant.
falaises. EazizE FOUQUET.
A lui de juger si le conseil est bon; contentons-
LE CONGRÈS DES POÈTES
Le congrès des poètes qui a tenu ses assises fred de Vigny, à la détresse des faibles, aux
le 27 mai 1901 à l'École libre des sciences so- souffrances de la misère et de la faim ? Passera-t-
ciales n'a pas donné les résultats auxquels on- il, ainsi que Paul Verlaine, un sourire de mépris
était en droit de s'attendre. Par suite du manque aux lèvres; gardera-t-il avec Stéphane Mallarmé
complet d'organisation, de l'incompétence d'un la noblesse d"hne vie pieusement claustrale
comité hâtif et de la lecture de lents rapports prendra-t-il part au combat des Idées, fort de sa
sans intérêt, la séance s'est éternisée' en vains puissance loyale, ou si, pareil à Chatterton, il
préambules, n'ajoutant aucune idée nouvelle à abdiquera dans le suicide la faillite de son des-
son programme, se cantonnant aux mesquineries tin 2?
partiales et systématiqnes. Quoi qu'il en soit, son rôle est jugé très diver-
Personne n'aborda les questions proposées sement.
avec la gravité sereine qui sied à l'étude de la Les uns, épris de la marotte utilitaire, veulent
poétique, mais ce fut un indescriptible vacarme que ses poèmes confinent à des déclamations
où, parmi des cris insolites et des lazzis de collé- philosophiques ou s'égarent vers d'abstruses so-
giens en vacances, se perdirent les. quelques ciologies.
motions judicieuses, les trop rares avis ayant Mécislas Golberg proteste et, dans un élan d6'
une personnelle valeur. Cependant sous la pré- lyrisme convaincu, réclame la prose pour l'ana7-
sidence visiblement lasse de M. Léon Dierx dont lyse, réservant au vers français l'expression -des,
le noble talent concilie tous les suffrages, on décors pompeux et solennels. Il s'insurge contre
examine l'importance d'une décentralisation lit- l'empiètement de l'art dans le :domaine scienti-
téraire, d'un groupement des revues de province.. fique et cède la tribune au romancier Han Ryner,.
Certains orateurs conseillent de les allier par lequel dresse par un verbe rare et précis une
des citations réciproques, afin qu'elles héritent statue idéale du Poète.
du bienfait de cette communion consentie. Il le représente indépendant, libéré des ac-
Sans. doute les gloires locales, les réputations tuelles préoccupations, panthéiste jaloux d'édi-
de clocher ne gagneront pas à cet échange, mais fier hors des temps l'impérissable cité de Dieu.
il affranchira du joug des préjugés les jeunes Son geste calme l'isole de la foule il gravit les
esprits, il donnera un essor généreux au génie sentiers de son calvaire, sans souci de la haine
des vrais poètes et constituera un pacte presque des médiocres et montevers les sommets:comme
tacite, libérant l'esthétique contempqraine des Fervaal vers la symbolique Cravann. Il ignore si
influences surannées. le temple construit par ses mains fragiles persis-~
L'œuvre décentralisatrice est non seulement tera, si sa pensée aura quelque salutaire in-
utile en ce qu'elle conserve à nos provinces leur fluence sur les générations à venir. Ne lui suffit-il
curieuse autonomie, leurs usages immémoriaux, pas, en effet, d'être l'architecte de son propre
mais encore parce que grâce à elle ressusciteront rêve et d'avoir à l'aide de sa foi tenté l'accom-
les légendes anciennes, les récits d'instinctive plissement d'une immortelle extase?`'
poésie chevrotés par des voix d'aïeules, tout le L'improvisationde Han Rynerestfort acclamée..
passé des rondes naïves qui bercèrent notre Elle repose l'auditoire des extravagances de
songe à leur rythme enfantin. M. Féré, l'interrupteur maladroit des discus-
Paris, si cruel aux vocations hésitante s, affir- sions précédentes,.qui répudie le vers libre sous
mera en une synthèse victorieuse les. multiples le fallacieux prétexte que cette forme est en.
efforts. de ceux qui, demeurant en l'exil des usage chez les poètes étrangers.
calmes villages, préparentdiscrètement le triom- M. Féré, à l'appui de sa théorie, cite au hasard.
phe de l'avenir. Une solidarité basée sur l'estime une macédoine de noms parmi lesquels celui de,
mutuelle ne devrait-elle pas intervenir afin de Fernand Gregh, qui, né à Paris, n'a jamais écrit
sceller des promesses d'assistance amicale2 de vers libres.
Chaque revue aurait pour tàche de révéler de s Désireux de corroborer son dire par des
noms à la recherche attentive des lettrés, d'en- exemples, il s'apprête à lire des extraits de divers:.
courager la diffusion du Beau sous toutes ses poètes, mais nul ne consent à l'entendre.
formes, d'admettre les dialectes divers donts'en- « Messieurs, dit-il, moi, je parle métier 1 »
orgueillissent à bon droit le Berry, la Bretagne Et, de toute part, ce cri s'élève
et cette Provence à laquelle nous devons l'âme « La poésie n'est pas un métier. »
recueillie et consolante de Mistral. Deux camps très distincts se sont formés
Le congrès s'occupe ensuite du rôle social du ici les adeptes de l'école parnassienne, là les
poète. Quelle sera son attitude à notre époque de « vers--libristes ».
lutte, en présence de la société moderne indif- Le tumulte se généralise et la chaleur devient
férente, comme elle l'était déjà du temps d'Al- si accablante que M. Léon Dierx souffrant cède
la présidence du congrès à M. Catulle Mendès. classiquedes entraves séculaireset, sans détruire
Celui-ci l'accepte et donne la parole à M. René l'harmonie et le rhythme primitifs, de conférer
Ghil pour la lecture d'un rapport au sujet du au vers de douze syllabes la souplesse qui lui
vers libre. convient.
Le public, las des inutiles discussions, n'écoute M. Pierre de Bouchaud se range à son idée,
plus la voix sourde qui rhythme les paroles tandis que, turbulent, avec un vifaccentdumidi,
comme une mèlopée lointaine. M. Ernest Gaubert soUicite un blâme contre
Les poètes ont préalablement statué sur divers M. Gustave Kahn, accusé d'avoir sacrifié la cause
points, demandant aux grandes revues d'accorder des jeunes aux samedispoétiques de l'Odéon.
une place plus vaste à la critique des oeuvres, C'est un concert de clameurs que domine
confiée de préférence à l'un d'eux. Ils réclament la voix vibrante d'Han Ryner proposant cet ordre
de même un théâtre subventionné pour la récita- du jour
tion de leurs poèmes. « Le congrès, vu que M. Gustave Kahn
s'est
M. Catulle Mendès mis en cause répond que montré hostile et partial envers les jeunes dans
les lectures organisées par lui reprendront dès ses fonctions d'organisateur, le blâme et invite
le retour de Mme Sarah Bernhardt. La séance est respectueusement M.Catulle Mendès â lui subs-
levée vers six heureset M. Mendès qui se récuse tituer un comité de jeunes. »
conseille au comité d'élire un jeune poète pour L'ordre du jour est voté par un assentiment
la réunion du soir. presque unanime, la personnalité de M. Catulle
A huit heures et demie le congrès recommence. Mendès étant exclue du différend. Puis, c'est de
Les groupes nous délèguent, M. René Ghil et moi, la part des poètes présents un salut envoyé à la
pour présider ensemble, mais nous parvenons à Bretagne et au congrès des félibres de Pau
peine à obtenir le silence. La séance prend fin parmi le tumulte sans
La question des réformes prosodiques rela- avoir été ce qu'elle aurait pu être, la base d'une
tives à l'hiatus, au déplacement de la césure association future en vue de défendre les inté-
dans l'alexandrin, à la rime, aux nécessaires rêts généraux, de faire progresser le niveau
assonances de la poésie nouvelle, déchaine une moral des classes ouvrières; de porter aux hum-
tempête formidable. bles la bonne parole trop longtemps attendue.
Des polémiques affirment la variété d'opinions On se sépare,sur de vaguespromessesd'en-
et ce serait folie de songer à mettre d'accord les tente fraternelle, après des voeux illusoires dont
congressistes récalcitrants. la sanction n'est que trop incertaine mais qu'im-
Avec opiniâtreté, chacun défend sa théorie, porte la Poésie n'en demeure pas moins la
mais refuse d'en exposer la teneur, car toute déesse immuable dont nous honorons l'invisible
transaction semble impossible. présence, celle pour laquelle nous sommes prêts
)lul~'admet qu'on puisse le convaincre; tous à tous les sacrifices, à tous les renoncements.
désirent que l'on passè outre. Que les détracteurs ne méprisent pas outre
Après un avis de M. Jean Barrès, directeur du mesure ce congrès souvent enfantin et futile;
Réformiste offrant un prix de 500 francs au qu'ils songent plutôt à le considérer comme le
meilleur poème, offre qui est refusée avec un premier pas v~rs une ère nouvelle, vers une
élan de superbe franchise par tous les assistants, aurore de joie et de radieuse vérité.
M. Adolphe Boschot propose de libérer le vers EMILE BOISSIER.
L E KAYA
« Le Kava, racine du PiT~er metla~sticu~rc, est racine est employée à préparer cette célèbre et
une plante aromatique, une espèce de poivrier, précieuse boisson, d'un usage si fréquent dans
qui vient dans toute la Polynésie, et qui n'est les archipels occidentaux de la Polynésie, Samoa,
cultivée que pour produire la liqueur de prédi- Wallis, Tonga et Fidji (1).
lection des indigènes. e Pris avec modération, le Kava produit des
Le Kava, poussant à l'état sauvage, est maigre effets toniques, appréciables dans ces pays, où la
et chétif; mais les naturels de l'Océanie, ordi- chaleur est anémiante.
nairement insouciants et paresseux, savent, à Mais l'abus de ce stimulant entraîne des con-
l'exclusion de toute autre, entourer cette plante séquences funestes il rend d'abord la tête
de soins persévérants qui leur permettent de lourde, comme sous l'action toxique de l'opium,
faire croître les pieds à la hauteur de la taille puis les paupières rouges et injectées, les jambes
d'un homme. Le Kavà se reproduitpar boutures,
et ses tiges ornées de feuilles en as de coeur sont (1) A Tahiti, et dans les îles environnantes, que nous
approvisionnons d'alcool, le Kava, autrefois réservé aux
groupées par faisceau. Au bout de 'quatre ans, la chefs, n'existe plus qu'à l'état de souvenir.
,raides, et finit par donner une lèpre jaunâtre qui nouvelle; et rejetant le bol de Kava qu'on lui
envahit le corps. C'était jadis un tel brevèt tendait, le missionnaire se retira avec dignité.
.d'aristocratie que des enfants de dix ans, fils de C'est que dans ces pays, où les distinctions de
chefs, rocos ou alikis, se faisaient gloire la naissance n'apparaissent d'abord par aucune
d'afficher ces stigmates répugnants. marque extérieUl'e, l'ordre de préséance observé
Le Kava n'est point une boisson ordinaire; il dans les Kavas a pour but de fixer la noblesse des
n'est en général préparé qu'à l'occasion de gran- familles et de renseigner sur la valeur respec-
des solennités, et toujours avec un cérémonial, tive des convives.
dont on ne saurait s'écarter sans comrnettre une On perçoit de suite l'importance de l'étiquette,
sorte de sacrilège. la force de la tradition, dans ces réunions où
Aussi Mgr Bataillon, évêque de la mission s'agitent des questions d'ordre social et politi-
d'Uvea, a pu dire « Le Kava est pour les indigè- que. En voici la description sommaire.
nes comme un code social toujours ouvert, où Les Kavas classiques sont donnés sous le cou-
les droits et les devoirs de chacun sont procla- vert de ces arbres géants, les banians, dont les
més. C'est là que se publient les lois et les or- proportions, parfois surprenantes en Polynésie,
donnances. Le Kava est pour ainsi dire l'expres- semblent épandre une ombre presque religieuse.
sion de la société tout entière. » Le roi, ou le chef de l'assemblée. se tient; au
En effet, il se prend en l'honneur de tous les pied du tronc énorme à nœuds nerveux comme
,événements importants de l'existence; et l'on ne des muscles humains. Tour à tour se proster-
saurait traiter d'affaires sérieuses sans lui. Il est nent devant lui ses sujets porteurs de présents
la cheville ouvrière des réjouissances, il permet nombreux.
.également de fêter un étranger, de lui infliger Les hommes, avec leurs paniers de palmes
solennellement injure, ou de lui signifier haute- vertes, gorgés d'ignames et de porcs rôtis les
ment un refus. femmes des villages, en file indienne, soulevant
Un jour, !W Bataillon fut invité par le roi au-dessus de leurs têtes une pièce de tapa
des Tonga à un grand Kava offert sous le banian étoffe d'écorce d'arbre dont les dessins étranges
de Uvea. Il y fut servi le soixante-seizième ~ndulent au soleil comme un long serpent.
,C'était une atteinte portée à son titre de Les nouveaux arrivants jettent leurs fardeaux
« grand chef français ». Il connut ainsi que le et vont s'asseoir sur leurs talons, à droite et à
monarque païen, attaché au culte de ses aïeux, gauche du chef. Bientôt, le front de la ligne dis-
refusait sa protection aux apôtres de la religion paraît sous l'amoncellement des étoffes. Le
défilé terminé, on emporte les vivres et les tapas, Cette opération peut paraître répugnante,
qui seront ultérieurement distribués, et le Kava mais on a eu soin de choisir Fafinés ou Taoupos.
commence. 1m dents les plus blanches et les plus saines
Le roi nomme un maître de cérémonies, inter- puis elles se sont ostensiblement lavé la bouche
prète de ses volontés, qui prend place à sa droite, avec de l'eau de coco, d'une limpidité engageante
car lui-même doit rester muet ainsi le veut la dans sa pulpe blanche comme neige.
coutume. Le Kava mâché, les préparatrices se rappro-
En face, à quinze pas, est le Kumété, plat à chent, et pendant que l'une verse de l'eau dans
Kava. le récipient émaillé, les autres pétrissent la pâte,
C'est un récipient large et rond, légèrement activant la fermentation. Cette pâte ainsi dé *layée-
creusé. Il est monté sur quatre pieds et fut est alors débarrassée des parcelles solides en
taillé dans un seul bloc de bois dur de couleur suspension, on la filtre à travers un pac¡uet de
rousse, qu~ l'on ne trouve vraiment beau qu'aux t1bres de pandanus, sorte de eliai-tvre retenant la
Fidji. Autour de cet ustensile séculaire, que poussière d'écorce, que l'on fait ensuite tomber
l'usage du Kava a recouvert d'un émail bleuâtre en secouant la filasse préalablement tordue et
très particulier, se groupent les préparateurs de exprimée.
la boisson, Fafinés Taoupos, des jeunes filles Voici le liquide clarifié.
fraîches et jolies et quelques jeunes gens, dont Kava Kuo Keka Le Kava est prêt
la nubilité récente est obligatoirement prouvée annonce une jeune fille qui tient à la main un bol
aux Samoa par des tatouages des reins et des de noix de coco rempli de boisson.
cuisses. Le rôle du maître des cérémonies apparait
L'un d'eu'x se levant va déposer aux pieds du alors dans toute son importance, car il doit dési-
maUre une racine de la plante et attend, hum- âner dans l'ordre convenable le tour des per-
blement accroupi, la décision royale. sonnes màles présentes, toutes appelées à la
Merci pour le Kava 1 Fatafetai e mau distribution.
Kava1 dit sentencieusement le maître des Ahki fala.ni Kava Au chef français le Kava!
cérémonies. car c'est à lui que l'on veut faire honneur en ce
La racine est découpée sur un galet de basalte jour où l'on reçoit la -visite d'un bateau de
poli par la mer, et chacun des morceaux en est guerre français. Le commandant porte à sa bou-
distribué aux jeunes filles présentes. che la liqueur amère avec une contraction du
Mama ae Kava! Qu'on mâche le Kava1 visage qui fait rire les spectateurs, et il rend gau-
Les Fafinés procèdent en silence à l'œuvre de chement la noix de coco à la malicieusejeune fille.
la mastication; quand elles jugent que la racine Kava Kuo heka! le Kava est prêt! Tui
est suffisamment malaxée, elles lancent preste- Samoa Kava 1 Au grand chef de Samoa le
ment la petite boule pâteuse dans le Kumété. Kava!
Le roi frappe trois coups dans sa main, reçoit Quant aux préjugés nobiliaires relatifs à son
le Kava, et absorbant d'un sèul trait son breuvage emploi privilégié, ils subsistent toujours quoi-
coutumier, il lance à la Fafiné qui s'est retirée que bien affaiblis, et l'on vous dit encore aujour-
le bol auquel il fait accomplir un rapide mouve- d'hui en vous donnant une racine « N'ayez
ment de rotation sur lui-même. crainte de la transporter vous-même dans les
Et jusqu'à ce que tous les assistants mâles rues d'Apia ou de Nukualofa cela est très chef 1
SA FI LLE
NOUVELLE
taisait; etGerval, inquiet, souffrait de ce silence. « Un malheur terrible vient de s'abattre sur
C'est qu'il aurait voulu lui apprendre à aimer, nous. J'ai bien besoin d'entendre des paroles de
comme il pensait lui avoir appris à vivre selon consolation et d'encouragement. Je compte sur
les lois strictes de l'intérêt. ta bonne amitié pour venir me voir ce matin
« Aimer, lui disait-il souvent,
c'est prêter son même, si tu le peux. En attendant ta visite, je
cœur en échange de la tranquillité assurée de t'embrasse avec effusion. »
toute une vie; c'est se mettre à l'abri de toute « THÉRÈSE, »
inquiétude du lendemain, c'est un placement;
c'est vouloir être deux, non pour pca~~tager, mais Lajeune fille pâlit. Le mot était signé d'une de
pour accrotlre,.et jouir ainsi, chacun pour soi, ses meilleures amies de pension. Elle avait pour
de l'ensemble des plaisirs que procurent les Thérèse une amitié que scellaient dix ans de vie
hautes situations de fortune! » commune, et son mariage avec un brillant et
Tandis qu'il parlait, Marcelle le fixait de ses riche médecin, le docteur Deloir, n'avait pas
grands yeux noirs, les yeux délamorte, les yeux diminué leurmutuelle affection.
qu'il avait f ~rmés lui-même, et qui, une der- Marcelle s'habilla rapidement, laissa un mot
nière fois, figés dans leurregard d'extase et d'ef- pour son père, prit le premier train qui passait,
froi, l'avaient sondé, sombres de regrets tristes, et se trouvait vers 10 heures, rue St-Lazare, chez
jusqu'au fond de l'àme, Et, lorsque, poursuivant la jeune femme.
l'exposition de sa philosophie sentimentale, il en Madame Deloir était en compagnie de son
arrivait au moment où il allait parler de sa mari ses traits tirés, ses yeux rouges accusaient
femme « Ainsi, regardez votre
mère » une nuit d'insomnie. Le médecin était plus
toujours Marcelle l'interrompait brusquement, calme, se possédant mieux mais paraissait acca-
détournant la conversation avec un enjouement blé d'une immense tristesse.
presque autoritaire. Poignées de mains et baisers échangés, Thé-
Tous ces souvenirs lui revenaient à la mémoire rèse commença « Tu sais que,
lors de notre
et l'angoissaient, non dans son cœur, mais dans mariage, Georges, de concert avec mon père,
son égoïsme; car il y avait au fond de cet homme avait engagé la plus forte partie de sa fortune
qui n'avait jamais été heureux que par lui et pour personnelle et de ma dot dans la banque que
lui, la volonté farouche de se revoir danssa fille, dirigeait ton père et que dirige M. Henri Dorlin,
tout entier. Tous les sentiments qui ne portaient ton fiancé. Nous avions tout, ou presque tout,
pas le sceau de sa personnalité dominatrice lui réalisé en actions sur la Cie du. Avant-hier une
apparaissaient comme autant d'infractions, inad- baisse subite nous affole. Aumême moment une
missibles à la loi du sang.et aux droits du père. dépêche nous avertit de vendre nos titres auplus
Néanmoinsune pensée adoucissait sescraintes. vite. Mon mari court à la Bourse, cède nos
Henri, c'était lui-même, un dédoublement de sa actions à des prix dérisoires 75 p. 100 de perte
personne; et c'était lui, toujourslui, qu'ilaimait je crois et hier nous apprenons que le taux
et admirait dans cet homme. N'avait-il pas son était remonté. C'était donc une manoeuvre pour
port de tête sérieux et froid, son visage mat et faire rentrer, quelques grosses sommes néces-
saires et nous voici presque ruinés 1. »
son oeil sévère ? Il saurait bien terminer l'œuvre
si bien commencée il achèverait de créer l'en- Marcelle était devenue blême. Elle avait pris
fant telle qu'il la voulait; et Marcelle serait alors les deux mains de son amie « Ne désespère pas,
doublement sa fille, puisqu'elle était malgré dit-elle d'une voix émue, Rien n'est encore irré-
tout, aujourd'hui, l'enfant qu'il avait faite; et parable. Compte surmoi » Puis elle s'adr 'ssa
brillant avenir
qu'elle serait demain, grâce à Henri, « cet autre au jeune médecin, lui parla du
lui-même », la femme qu'il rêvait! qui l'attendait dans la carrière médicale, de
Aussi lorsque, vers onze heures, le jeune l'énergiè et du sang-froid que devait conserver
des pires
homme se fut retiré, Gerval, tout en se déshabil- un homme dans la vie et sous le coup
lant dans sa chambre, se murmurait encore adversités et quand elle fut partie, Georges et
indéfinissable
« j'ai fait du bien j'ai fait du bien! » sa femme se sentirent au coeur un
espoir, comme un renouveau de courage.
II De retour à St-Mandé, Marcelle se rendit dans
le bureau de son père. M. Gerval était encore en
Le mariage* appprochait. Toutes les amies de
Marcelle étaient averties, la félicitant; M. Gerval robe de chambre. Il l'accueillit en souriant.
voyait se vérifier toutes ses prévisions. Il était PIERRE AUDIBERT.
heureux. (A suivre.)J
Un matin, la femme de chambre vint frapper qu
à la porte de Marcelle et lui remit un petit bleu.
La Quinzaine franchir de ces tutelles diverses et d'atteindre direc-
tement le « consommateur le client, l'acheteur. Il
le pourra désormais grâce à ces expositions du Musée
LETTRES ET ARTS Galliéra. Le conservateur,M. Ch. Formentin, a si bien
C'est une vraie. gracieuseté, toute de saison, qu'a compris la nécessité d'émanciper l'ouvrier d'art qu'il
faite la Ville aux Parisiens en autorisant M. Charles a même refusé,-avec une courtoise fermeté, d'inscrire
Formentin, le distingué conservateur du Musée Gal- sur certains objets le nom de la maison de commerce
iiéra, à réaliser dès maintenant cette excellente idée où ils sont vendus. L'amateur s'adressera directement
qu'a eue M. Quentin-Bauchart d'installer, dans le à l'artisan; celui-ci pourra céder une pièce exposée
Musée, une exposition d'art industriel. On ne saurait, sous la condition de la remplacer immédiatementpar
par cette canicule, souhaiter un endroit plus agréable, une autre. De la sorte,. l'Exposition se renouvellera
plus frais, invitant mieux à un repos intellectuel, sans cesse; elle ne présentera pas d'interruption.
que ces galeries somptueuses et largement aérées du Quand on en aura appris le chemin, on y reviendra
Musée Galliéra. Les instants, les heures s'y écoulent fréquemmentavec un redoublement de plaisir.
sans fatigue, au milieu de ce « bien-être moral » Pour cette fois, son début est tout à fait réussi
:qu'engendre la vue des belles choses, intelligemment on y trouve ce qui convient, des noms connus et des
choisies et présentées, car M. Charles Formentin, noms inconnus, les premiers servant « d'appelants »
dans l'organisation de cette exposition, a donné une et couvrant les autres de leur autorité. Nous citerons
preuve nouvelle de son érudition artistique et de son par exemple, une grande vitrine en bois sculpté de
goût affiné et sûr- il a orné les salles, réservées aux Carabin; dont les montants sont des troncs d'arbres,
collections, avec des tapisseries d'une couleur et d'un modelés en corps féminins; et, dans cette vitrine, des
-style superbes; il a fait disposer, çà et là, bien en émaux, des colliers dont chaque grain est une fleur,
leur valeur, les objets qui lui ont été confiés et, grâce un coffret en argent de Barré, des couverts de table,
à lui, l'été parattra un peu moins vide aux amateurs très originaux, etc.
d art, maintenant que s'est effacé l'intérêt des d~ux Plus loin, ce sont des étains de Carrière et Desbois,
Salons, à la veille de fermer, du reste. des bijoux de Lalique, des verres de Gallé, des étains
Il est juste d'ajouter que, pour la composition de et cuivres encore de Ledru, Claudius Marioton, Jean
son Exposition, M. Charles Formentin a été remar- Baffier, etc., et~. C'est toujours grande joie pour
quablement secondé par un jury que M. le préfet de les yeux que de retrouver, encore que souvent vus,
la Seine a su former avec un juste sentiment des be- ces joyaux d'intérieurs riches aux Salons annuels,
soins et du but de l'œuvre ainsi entreprise. Le jury se le « cadre leur manque ici, il est parfait, superbe
composait de MM. Quentin-Bauchart, John Labus- à souhait. Et il est également profitable aux oeuvres
quière, Arsène Alexandre, Roger Milès, Carabin, Ma- de débutanls ou d'inconnus plutôt; pour ceux-là,
riotton, Charpentier, Geffroy, Rolph Brown, tous éga- nous n'avons pas de citations à faire que chacun
lement connus comme publicistes, conférenciers ou cherche et se donne la satisfaction de découvrir.
maîtres-ès-arts. Ce sont eux qui ont prononcé l'admis- Une petite indication seulement il y a des cuirs
-sion définitivedes envois; ceux-ci ont été extrêmement ('ise[és, et des verres ouvragés, d'une délicatesse
nombreux. exquise.
On ne saurait croire, en effet, combien est vivace, en Etenfinqu'onn'oubliepasd'examiner dans une salle
France, le renouveau de l'art industriel. Les Salons à part les travaux de nos Écolesprofessionnelles et la
annuels en donnent bien une idée, mais trop faible; ils salle réservée aux envois de Sèvres, la première ma-
laissent hors de leurs salles, trop petites d'ailleurs, nufacture nationale d'Europe, grâce au rajeunisse-
une grande quantité d'œuvres dont les auteurs man- meut qui l'a transformée, ces temps derniers. Le
quent d'audace ou de recommandations. Les fau- fait que Sèvres a tenu à exposer au Musée Galliéra
bourgs sont, du haut en bas de leurs maisons, vieilles indique l'importance de cette exposition pour la ré-
ou neuves, au Marais comme à Belleville ou à Mont- surrection d'art industriel à laquelle M. Ch. F or-
rouge, occupés par des artisans qui, suivant les tra- mentin et ses collaborateurs viennent de consacrer
ditions françaises, achèvent patiemment maints de si fructueux efforts. PAUL BLUYSEN.
ci
chefs-d'œuvre ».
Ce sont des fers, des étains, des bois, des ivoires,
finement ouvragés, offrant toutes les surprises de re- Géographie
cherches de formes nouvelles ou révélant une pré-
cieuse habileté manuelle, en vue d'une décoration
originale de nos appartements,de nos bureaux de tra- La France en Asie. Le Comité de l'Asie
vail, de nos villas, etc. On ne conçoit plus guère l'in- française.
dustrie du mobilier sans une « note d'art ». En 1890, à la suite de diverses difficultés surgies
Mais le tout n'est pas de créer et de bien créer; il entre les explorateurs français et diverses entreprises
faut encore tirer un parti positif de ces merveilles de étrangères, notammentavec la Compagnie anglaise du
dextérité. Où s'adressera, pour cela, l'artisan? Il trou- Niger, une association s'est formée en France, sous le
vera ouvertes devant lui les portes des marchands nom de « Comité de l'Afrique française» et qui s'est
qui, souvent même, lui font des commandes à l'avance donné pour tâche d'encourager les oeuvres françaises
et lui sont ainsi d'un grand secours on doit le re- en Afrique, soutenir et défendre les revendications de
connaltre, impartialement, mais le « marchand » nos nationaux, et, en général, contribuer à l'œuvre
ou l'industriel ou l'entrepreneur prélève naturellement de l'expansion française sur le continent qui venait
un gain qui diminue d'autant celui du créateur. Il a d'être ouvert à l'activité européenne. Ce programme,
ouvent aussi des exigencesqui, obéies, subies, ne sont le Comité de l'Afrique française l'a accompli avec un
pas d'un heureux effet. L'idéal de l'artisan est de s'af- désintéressement louable, dans la mesure de ses
moyens. Plusieurs explorations, des conquêtes même, péens est forcément restreinte à la conquête paci-
ont pu être menées à bien, grâce au concours moral fique. Plus de territoires à conquérir. La course au
et matériel fourni par les hommes qui composent le clocher à laquelle nous assistons depuis plusieurs
Comité. C'est le même esprit qui a présidé à la fon- années sur le continent africain, où il s'agissait sur-
dation de la nouvelle société. Pour disposer d'une tout d'arriver bon premier pour avoir les droits du
étendue de terrain moindre, faction de la France sur premier occupant, n'existe pas sur le continent asia-
le territoire asiatique n'en est pas moins considé- tique. Ceci soit dit à l'adresse de ceux qui redoutent
rable, vu qu'elle embrasse des régions densement les aventures militaires. Elles n'ont plus de raison
peuplées et fertiles. d'être sur un territoire dont aucune parcelle n'est pas
Certains coloniaux n'hésitent pas à proclamer sans autorité reconnue. La lutte, vive, âpre, sera
l'Indo-Chinecomme la plus belle possession française. donc circonscrite entre les diplomates et les commer-
Un récent rapport de M. Doumer, gouverneur géné- çants et les ingénieurs des différentes nationalités.
ral, présente, en effet, notre grande colonie sous les L'habileté des uns et l'ingéniosité des autres assure-
aspects les plus flatteurs. ront la victoire. C'est à cela que devra travailler le
N'y constate-t-on déjà des excédents de recettes de Comité de l'Asie française, c'est sa seule rais<7n d'être
7 à 10 millions par aǹ
? et sa seule chance de réussite. C'est aussi le principa
Lorsque les grands travaux, les routes et les che- souhait que tous les bons esprits adresseront à la
mins de fer surtout, seront exécutés,le pays pourra nouvelle corporation.
non seulement payer les dépenses qui lui sont propres P. LEMOSOF.
il les paie déjà mais prendra aussi à sa charge
les dépenses militaires. 00
Ces dernières ne sont pas faites en pure perte et
M. Doumer a pu rappeler avec une juste fierté le rôle LA GUERRE
important joué par les troupes de l'Indo-Chine dans
les récents événements du Céleste Empire. AU TRANSVAAL
L'état de tranquillité du pays est d'ailleurs tel que
la colonie a pu être pendant un. temps complètement Le mois qui vient de s'écouler a été marqué par de
dégarnie de troupes sans que les autorités en éprou- nombreux combats dont l'issue, généralement heu-
vaS5ent la moindre inquiétude. reuse pour les Boers, a causé une profonde stupé-
Les relations avec les Chinois des provinces limi- faction en Angleterre. On croyait la campagne termi-
trophes sont excellentes. Au moment même où les née, de l'autre côté de la Manche. L'hiver, qui règne
forces internationales couraient à l'assaut de Pékin actuellement dans le sud de l'Afrique, devait faire
et de Tien-Tsin, dans le Petchili, nos fonctionnaires disparaître les derniers combattants; bref un opti-
étaient reçus, sans armes ni escorte, au milieu des misme aimable semblait régner dans les régions
fêtes dans [a province du Kouang-Si. Cela donne, entre officielles quand tout à coup, comme un coup de
parenthèses, une idée assez singulière de l'unité de foudre dans un ciel serein, éclate la nouvelle d'une
cet immense empire chinois. Pour en revenir à notre grande victoire remportée par le général Delarey, à
Indo-Chine, le gouverneur général a pu rappeler que Vlakfontein, sur la colonne Dixon dont les pertes
depuis quatre années, pas un'seul soldat n'a été tué s'élevaient à 48r hommes tués ou blessés, 600 pri-
sur le territoire de la colonie. La pacification peut sonniers, et une section d'artillerie capturée, puis
être considérée comme complète; l'état économique reptise par les Anglais.
s'en ressent, puisque le commerce de la colonie a Cette victoire des Boers, remportée, au commence-
dépassé, en 1900, le chiffre de 4,71 millions de francs, ment de mai, était encore ignorée en Angleterre à la
soit presque le triple de ce qu'il était quelques années fin du mois, et il a fallu, pour furcer le War Office à
auparavant. Nos lecteurs savent aussi que la su- sortir de son silence, qu'un journal de Bruxelles la
perficie totale de l'Indo,Chine française dépasse fît connaître au monde entier en publiant une infor-
700000 kilomètres carrés et le nombre de ses habi- mation transmise par la légation du Transvaal. Sans
tants est d'environ 25 millions. aucun doute, lord Kitchener avait câblé au gouver-
La population indo-chinoise les visiteurs de nement anglais une nouvelle de cette importance,
l'Exposition de 1900 ont pu s'en convaincre de visu mais le War Office avait jugé inopportun de la faire
ne présente pas précisément une race d'une beauté connaître au public. Combien d'autres faits de ce
extrême elle est, par contre, d'une douceur incom- genre sont encore ignorés!
parable. Tenue en tutelle par une puissance civilisée, D'après les renseignements parvenus à la légation
traitée avec équité, la population de la colonie indo- du Transvaalà Bruxelles, la bataille en question s'est
chinoise fournira une clientèle des plus sérieuses produite entre le 25 avril et le 2 mai. La lutte a dû
pour nos manUfactures et nos usines. être intense pendant ces journées et l'on entendait
L'attention des Français devra être appelée aussi distinctement le canon à Prétoria. La colonne Dixon
et c'est là le principal rôle d'une association de ce comprenait 1450 hommes et 6 pièces de canon. Les
genre sur d'autres points du continent asiatique Boers étaient, d'après llord Kitchener, au nombre
sur le Japon qui est ouvert, sur la Chine qui s'ouvre; de 1 200..
sur la Perse, l'Asie Mineure où l'industrie et le génie Ces chiffres (ce sont ceux du War Office) indiquent
LES LIVRES qui n'est pas pour surpendre de la part d'un écrivain
qui s'est signalé à l'attention des lettrés par une artis-
tique recherche d'impressions inédites autant que par
Le maitre du Moulin Blanc, par Mathilde Alanic le souci de la forme.
(ITlamma~~ion). Ce livre sera un nouveau triomphe pour le brillant
Il est toujours agréable d'avoir à dire du bien d'un écrivain qu'est Paul Junka.
livre, mais quand ce livre vient confirmer un succès
précédent, tenir les promesses que l'on avait faites Chez Hachette, un livre de notre excellent collabo-
soi-~ême à ses lecteurs, après un début heureux, rateur Albert Contes et souvenirs de mon
CIM,
bref vous donner raison, le plaisir est certes encore pays, dont les princ:paux épisodes se déroulent en
plus vif. L'auteur a droit à nos félicitations et à notre Lorraine, sur la terre meusienne.
reconnaissance. Lorsque Mlle Mathilde Alanic nous Ces récits d'Albert Cim, alertes, pleins d'inférêt et
donna, voici un an, :Vorbert Dys, je signalai ici même de vie, feront la joie des jeunes lecteurs.
cette idylle intéressante, pleine de finesse et de « dou- JOSEPH GALTIER.
ceur angevine)), Ce premier essai laissait concevoirdes
espérances que le Maître du Moulin Blanc ne trompe 'cie9
certes point. Il n'y a que le premier succès qui coûte!
Dans un coin paisible de l'Anjou, au bord d'une PETIT COURRIER TIMBROLOGIQUE
rivière assez large pour que le Moulin Blanc s'y mir~
tout entier avec un peu de ciel, le roman se déroule
Les Timbres français.
avec ses péripéties gaies ou tristes et court, par un
chemin pittoresque, vers un dénouementqui satisfait A la suite des timbres télégraphes je dois signaler
auteurs et lecteurs. dans la série française les timbresjournauxémis sous
M. Detraismes, un-meunier, sinon riche du moins l'Empire en i868.
fort à son aise, a deux fils. L'ainé Antonin, bicycliste Ces timbres, de plus. grand format que les timbres
télégraphes, comprenaient un cadre octogonal dans
et chauffeur, champion de l'Ouest, trouve la maison lequel figurait lin aigle sur un écu, La série de ces
paternelle trop étroite pour ses ambitions, rêve de timbres comprend deux types l'un non dentelé émis'
Paris et de ces moulins d'où il ne sort guère de
farine. Soutenu par' sa mère qui a un faible pour
ses câlineries et qui favorise sa paresse qu'elle se
en 1868. l'autre dentelé émis en 1869.
la même indication de valeur
2 c. Les deux séries se compo-
nartpnt r~
complaU à regarder comme la tranquille protestation sent de trois timbres, un rose,
contre une situation indigne de ses hauts talents, il un bleu et un lilas. La série
est insolent et il'respectueux vis-à-vis de son père, et dentelée se complète en outre t9i
de trois 5 centimes, l'un lilas, ;v
un beau matin il quitte le moulin en allégeant la l'autre bleu, le troisième rose. gi
caisse de quelques milliers de francs. Le cadet, Pierre, ~r~
La valeur respective de ces si
est lieutenant d'artillerie. C'est une nature d'appa- timbres est pour ceux de 1868
rence froide, concentrée! de bonne heure, blessé de 2 francs pour le 2 c. violet;
la partialité de sa mère, il s'est replié sur soi-même, 3 francs pour le 2 c. bleu et une
s'est mis en boule. Le père tombe malade, les affaires centaine de francs pour le 2 c. ~`lJLv .t ;y~·. ·1
du moulin traversentune crise. Pierre se dévoue pour rose. La série dentelée doit se
sauver la situation; il donne sa démission d'officier. payer le marron 30 centimes, le bleu 50 centimes et le
Comment il devient le m itre du Moufin Blanc, com- rose 4 fr. 50. Les 5 c. valent de 5 francs à 100 francs
ment il conquiert l'am 011 de sa mère, et enfin-et selon leur couleur.
Avec les timbres pour journaux, je termine l'étude
comment il finit par épouser Mlle Alice Maurevel, des timbres français. Sans m'arrêter aux enveloppes
.nièce de la propriétaire du manoir voisin, élevée en créées en France en 1882; aux cartes-lettre, cartes,
châtelaine, que Pierre croyait dans une situation postales dont la nomenclature ne rentre pas à mon
inaccessible et à laquelle il n'osait prétendre, tel est avis dans un travail sur les timbres, je vais dès mon
le fond même de ce roman qui réussira comme son prochain article passer à l'étude d'un des pays les plus
aîné. riches au point de vue timbrologique et dont la quan-
Ai-je besoin d'ajouter que le Maître duMoulin Blanc tité des pièces à étudier sera l'occasion de donner ici
nous offre un tableau fidèle de la vie de province, de quelques indicationsqui, je l'espère, permettront à nos.
lecteurs d'augmenter leur collection avec rapidité.
ces intérieurs honnêtes et calmes où les fêtes se célè-
brent par des repas plantureux, dans des pièces d'une Pour ceux qui se sont attachés à rechercher avec
soin les variétés et les diverses émissions francaises
propreté hollandaise ,dont les armoires regorgent de c'est déjà plus de quatre cent cases remplies' dans
linge fleurant le thym, et où les celliers sont riches de leur album et la France. n'est que la suivante bien
ce vin d'Anjou qui égaye comme le soleil de mai. timide de l'~ngleterre alors qu'il s'agit de multiplier
les émissions et les variétés minutieuses des petites
Les vers que M. Henri Allorge !Jons apporte dans vignettes postales. · FILIGRANE.
ses POÈMES DE LA SOLITUDE se recommandent par une
inspiration émue que ne trahissent ni l'expression PRIMES TIMBROLOGIQUES DU 15 JUIN
ni la science du rythme. J'ai plus particulièrement Porto-Rico 1898 4centavos orange N. 7 francs rane.
remarquéLa tentationdes nuits d'hiver, P~·ométhée et la Crèle 1900 1, drachmeviolet. N 1 fr. 80. --jL2 drachmes
première pièce, Mon dme, où flotte la mélancolie d'un brun N 3 fr. 10. 5 drachmes vert et noir N 1 francs.
Levant-Italien 181' Les 30. 40 et 60 centimes N~ les
crépuscule d'automne,' trois 3 fr. 80.
Nouvelle Zélande 1898. 1 penny obl. 0 fr. 05, 2 pence
Paul JUNKA publie chez Alphonse Lemerre un obl 0 fr. 15.
roman Brésil 1854 chiffre 280 rouge. 5 francs.
De l'igaoraace ù, l'amtiur, dont le thème est neuf, ce Deux Siciles 1859. 2 grana bleu clair. N 1 fr. 2S.
Héligoland 1875. 2-2. N 0 fr, 85. 3-5. N 0 fr. 75. CONTRE LES MITES
lles Ioniennes 1859. jaune. N. 3 fr. 75. On ne saurait prendre trop de précautions en serrant
E,gypte 1867.5 pastre brun. obl. 10 francs. les effets d'hiver afin de les préserver des ravages des
mites. Ces insectes se plaisent daus les vêtements rem-
En dehors de nos primes nous pouvons faciliter à nos plis de poussière, car c'est dans cette poussièce qu'ils
lecteurs leurs achats de timbres aux mêmes conditions trouvent leur nourriture.
timbrolo-
que nos primes. Pour tous les renseignements de s'a- La propreté parfaite tant des vêtements que des ar-
giques et les demandes de timbres, on est prié moires est indispensable. Il faut passer à .1'eau chaude
dresser à Filigrane, aubureau du Ofagasin Pitloresque. tous les coins des armoires où l'on doit serrer les vête-
FIL. ments d'hiver et les arroser d'essence de térébenthine; il
faut faire de même pour les commodes et les gardes-
robes.
Lorsque ce nettoyage est fini, on placera des journaux
IIA ]VIOi~H 'pITTOI~HSQU fi propres sur des rayons et dans les tiroirs. ,Les mites ne
peuvent sentir l'encre d'imprimerie des journaux.'
Choisissez un temps sec, une journée de soleil pour
bien aérer vos effets avant de les serrer. Ouvrez bien les
La coiffurc basse tend à reparaître imposée par le paletots, les habits dans les plis, les poches tournées en
genre de nos chapeaux dont l'équilibre est sérieusement
fond. Comme on dehors, secouez-les,battez-les, et brossez-les jusqu'à ce
menacé puisqu'on ne leur fait plus de qu'il ne reste plus trace de poussière; pendez-les ensuite
ondulations il faut
ne se décide pas à abandonnerd'une les
légèreté inouïe afin au soleil pendant deux ou trois heures.
donc les soutenir par des crêpes Tous les vêtements doivent être réparés avant de les
qu'ils soufflezzt les cheveux tout en les maintenant dans de façon qu'on puisse les prendre en cas de besoin.
la ligne. Les jolis peignes en bijouterie sont toujours serrer, tôus les effets à l'endroit afin qu'ils ne fassent pas
utilisés et font partie de ces accessoires qui donnent à la dePliez faux plis. Couvrez-les chacun séparément avec des
physionomie des aspectsmultiples:; il y en a sertis de perles journaux
torsades. d'or; d'autres forment barettes semées de et mettez-les dans les armoires ou dans les
sur malles destinées à les recevoir en n'épargnant ni l'ail, ni
poudre de diamants et quelques-uns « art nouveau repré-
sentent des feuillages avec des tons d'or différents. Ils le poivre ou le camphre.
font un effet gracieux aussi bien sous un toquet faitdebiais
de crin bleu'pâle que sous le simple canotier; celui-ci est Madame Perdoux, à Lyon. Les élixirs et pâtes den-
le roi du jour, la femme :vraiment chic en possède une
l'infini cômme ornement tifrices sont légion. Ces préparations, de mérite variable,
collection, car on les varie à ont invariablement le même parfum, la menthe. Pour les
sinon comme forme. dans lesateliers soins de la bouche, la meilleure pâte est la pâte denti-
11 nous été permisde jeter un coup d'oeil frice de Suez à l'orange.
de la vraie créatrice du genre et nous avons été étonnés
du résultat qu'elle obtient avec.des pailles, des plumés
d'aigles naturelles, des-velours brodés de paille, etc. dont Maladies nerveuses, de poitrine et d'épuisement; gnéri-
la description ne donnerait qu'une faible idée; il faut voir son assurée par les produits Henry Mure,,de Pont-Saint=
pour être convaincu qu'il n'y a pas une canotiers; figure qui ne Esprit (Gard); Notice gratis sur demande.
puisse être charmante coiffée d'un de ses les
bords en sont plutôt larges, différents ainsi de ceux que FORCE ET SANTÉ
les magasins de nouveautés ont vulgarisés, et les nœuds Il est évident que depuis nombre d'années les généra-
ont cette rectitude que seuls les grands chapeliers savent tions qui se succèdent subissent un affaiblissement phy-
donner. sique progressif. L'Anémie et la Neurasthénie. aug-
.Voici une ravissante toilette, aperçue aux coursesd'Au- mentent toujours; elles ouvrent toute grande la porte cause
à
teuil, en linon satiné à pois jaune pâle. La jupe et cor- toutes les maladies infectieuses, à la Phtisie. La
le
sage garnis de bandes de Cluny étaient ouverts d'entre- sur un réside en ce que, sous prétexte de perfectionnements, nos
devant en mousseline jaune pâle plissée coupée aliments sont de plus en plus déphosphatisés':Pour regé-
deux de dentelle. La fermeture du corsage est très origi- les phosphatiser: les
nérer et fortifier les sujets. il faut dû
nale, faite de liensde drap d'or qui formentaussi la cein- ANÉMIQUES, par l'emploi simultané Phosphate- de fer
ture, ces liens sont passés dans des boutonnières d'or Michel (3 fr.) et du Vin Iodophosphaté duPhosphovinique D~ Foy (4 fr.):
faites à même la dentelle. ~'¡anche de mousseline plissée les NEURASTHÉNIQUESau moyen de l'Élixir
du haut sous un bracelet de dentelle d'où sort une main (4 fr.) ou des Pilules iodopho.sphalées du D~ Foy (4 fr.)
blanche que la pâte et le savon des Prélats de la Parfu- de la Pharmacie JOLLY, 64, boulevard Pasteuz:, à Paris.
merie Exotique, 35 rue du Quatre-Septemboe ont préservée
des gerçures de l'hiver. POUR NETTOYER LES MEUBLES EN LAQUE
LIBELLULE. D'abord ne se servir quede vieux foulards de soie pour
les essuyer, enlever la poussière qui les recouvre, autre-
Madame Bernard de bL.: Mais non, le lait de Ninon
ment on s'expose à les rayer.
n'est pas un fard, c'est la recette de la jeunesse et de la Quand les meubles laqués sont salis par des macu-
beauté légendaire de Ninon de Lenclos qui est venue jus- lations ou des taches, on les lave avec une eau dé son
qu'à nous par l'entremise,de la Par·fumeoe Ninon 31 rue tiède, on les essuie avec un linge doux, pnis on finit avec
du Quatre-Septemb?·e. Il embellit la peau, empêche et le foulard de soie, pour les faire briller.
efface les rides, boutons et taches de rousseur. Prix 6 fr. Pour les meubles en laque de Chine, quelques gouttes
le flacon, franco contre mandat poste de 6 fr. 50. de.pétrole les nettoient très bien et les rendent brillants.
LIBELLULE.
CONTRE LA COQUELUCHE
La grippe et les toux nerveuses, quelles qu'en soient les
causes, sont instantanément guéries par le Sirop,Derbecq
1~ECHTTHS ET COIQSEILIS à la Glindélia Robusta. C'est un remède absolument effi-
cace qui procure un soulagementimmédiat. Aussitôt après
son absorption les quintes diminuent,pour ne plus repa-
A. G. à Nevers. Oui, vous avez raison, mais pour raître et les vomissements s'arrétent. Les hôpitaux de
Paris ont tous expérimenté le Sirop Derbecq et les résul-
éviter ces fraudes la Compagnie fermière des de
sourccs
l'État Célestins. G~·ande~Grille, Hôpital, met sur le gou- tats, tous favorables, ont été concluants. Le Sirop Derbecq
contientaucun toxique.
lot de toutes ses bouteilles un disque bleu portant les a d'autant plus de succès qu'il ne
mots « Vichy-État », de même n'avezsur tous les produits, Etant inoffensif il convient surtout aux enfants, auxquels
sels, pastilles et comprimés. Vous donc qu'à exiger il peut ètre administré sans crainte. On le trouve partout
cette marque. au prix de 4 francs le flacon, ou de 1 francs les deux.
LEUR FABRICATION
talent, ils font un longstage, soit qu'ils soient exé- étale sur les dessins du vase, suivant les con-
cutés en décorationâugra~zdfeu ou en décoration tours indiqués par le modèle original. Ces émaux
au feu de mouffle. Lorsqu'il emploie la premiére posés les uns à côté des autres doivent, lorsqu'ils
de ces deux méthodes l'artiste peint ses motifs sont présentés au feu, cuire sans couler ni se
sur la pièce non cuite ou seulement dégourdie; mélanger; il faut donc calculer d'avance les
sur sa peinture l'émail incolore est étendu, puis degrés exacts de cuisson pour chacune des cou-
la pièce est cuite à la température de 1300 degrés. leurs employées et le talent des artistes chimistes
Le second procédé comporte deux cuissons. On chargés de l'application du procédé consiste à
cuit d'abord la pièce en blanc, on la revêt de sa réunir pourl'exécutiond'unmême vase les seuls
couverte émaillée, elle passe chez le peintre et émaux dont le degré de liquéfaction au feu a été
revient ensuite aux fours dans lesquels elle est reconnu rigoureusement similaire. Si le travail
recuite. Cette seconde manière de procéder est nécessaire pour obtenir avec ce procédé des
plus pratique que la première en ce sens que les pièces de premier choix est long et minutieux,
défauts des pièces n'apparaissant qu'à la cuis- il donne en revanche des résultats dignes de la
son, le travail des peint~es fait avant toute cuis- Manufacture qui l'a découvert. Les vases ainsi
son peut être irrémédiablement perdu. fabriqués offrent à l'œil une impression de
L'émail translucide destiné à servir de cou- fondu, de douceur, d'harmonie délicate qui en
verture protectrice à la pâte s'applique sur les font des objets capables de donner aux amateurs
de perfection la plus complète des jouissances. rature qui, pendant vingt-six heures doit être de
C'est après leur passage à l'atelier des peintres 1400 degrés à l'intérieur de la vaste rotonde. Le
que les visiteurs doivent se rendre aux fours s'ils Chef de la fabrication est le- seul directeur de.la
veulent suivre avec logique les différentes opé- cuisson; dès qu'il juge celle-ci arrivée au point
rations. Huit grands fours reçoivent les pièces voulu pour la réussite des pièces, il donne le
à cuire vaste rotonde construite de briques ré- signal et les feux sont arrêtés; il ne reste plus
fractaires, percées de portes et d'ouvertures des- qu'à patienter huit jours avant d'ouvrir, huit
tinées à l'alimentation des foyers, les fours occu- jours d'attente indispensable pendant lesquels
pent des salles mal éclairées qu'encombrent des le four se refroidit lentement.
cazettes. Le défournement est la période véritablement
Les cazettes sont des cylindres en terre réfrac- critique pour tous les collaborateurs attachés à la
taire, les uns formant anneaux sans fonds, les préparation des pièces cuites, et c'est toujours
autres bottes sans couvercles, qui sont destinées un moment de solennelle anxiété lorsque, en
à recevoir pour la cuisson les objets fabriqués. présence de l'Administrateur, des Chefs de ser-
Des ouvriers spéciaux sont chargés, avant chaque vices, des Artistes et des Ouvriers,les premières
cuisson, de la mise en cazettes des statuettes, des cazettes sont retirées du four et ouvertes. Bien
vases, des assiettes, des tasses, etc,' Sur le cylin- souvent, il se produit des surprises inattendues;
dre de terre à fond plein des cazettes, ils dispo- tel vase peint à l'aide de couleurs inemployées
sent les objets en plus ou moins grand nombre jusqu'alors a donné des résultats nouveaux di-
selon leur volume et sur le cylindre qui les con- gnes d'être perfectionnés; tel autre est manqué,
tient ils posent d'autres cazettes, celles-ci sans sa couleur ayant coulé sur ses parois; etchaque
fond, qui, s'emboîtant sur les premières, forment objet nouveau est, à. sa sortie des cazettes, le sujet
un tube au milieu duquel les objets sont garantis de critiques ou de compliments. Voici un grand
de tous chocs ou de chutes intempestives pen- vase dont un défaut de tournassage atténue la
dant l'enfournement. forme impeccable, le classant parmi les quinze
Lorsque le four est entièrement rempli par les pour cent de passables; voici encore des pots
eazettes de tout diamètre, on le ferme et le feu dont la couverte a cédé au feu par un défaut de
est allumé par les chauffeurs qui doivent s'oc- calculs afférant à la fawication. Cette rupture de
cuper de l'entretien des quatre foyers disposés' la couverte émaillée, accident assez fréquent,
autour du four ils remettent du bois, enlèvent tient à la nature même de la pâte qui se rétrécit
les cendres, veillent à la continuité de la tempé- à la cuisson, et beaucoup les groupes, les sta-
tues, les bustes, les tasses, les assiettes sontplus d'hui, plus que jamais, Directeurs, Artistes et
petits cuits que crus et comme 'exemple, l'on Ouvriers. n'ont qu'un but perfectionner toujours
peut citer les grands vases coulés à deux mètres la production ~t mériter chaque jour davantage,
de hauteur et qui se réduisent à un mètre pour leur Manufacture, le titre envié d'Ecole
soixante après leur passage au feu. Pour obtenir universelle d'art céramique.
des pièces de dimensions exactement similaires, PIERRE CALMETTES.
il faut donc calculer le pourcentage de réduc-
tion de la pâte et en même temps celui de la A
couverte émaillée qui vient la recouvrir. Li'S
LA CHANSON DES COQUELICOTS
deux matières doivent avoir la même dose de
retrait sous l'action du feu, car sans cette si-
Dans un creux sauvage et muet
mullanéilé les deux couches posées l'une sur Qui n'est pas connu du bluet,
l'autre se tiraillent au moment de la chauffe; si Ni de la chèvre au pied fluet,
la pâte devient trôp volumineuse pour la couchee Ni de personne,
Loin des sentiers des bourriquots,
d'émail qui reste trop petite, le vase se brise Loin des bruits réveilleurs d'échos,
par tressaillures; si, au contraire, c'est la cou- Un fouillis de coquelicots
verte qui reste [trop large pour une pâte .dont le Songe et frissonne.
rétrécissenient est exagéré, l'émail s'en va par Autour d'eux, d'horribles étangs
Ont des reflets inquiétants;
écaillage,,c'est-à-dire s'effrite par larges'plaql1es. A peine si, de temps en temps,
De même que les Gobelins, Sèyres n'accepte Un lézard bouge
et ne signe que les pièces. absolument parfaites Entre les genéts pleins d'effrois
Et les vieux buis amers et froids
et M. Baumgart, l'habile',et, savant Administra- Qui fourmillent sur les parois
teur M. Vogt, le Chef des travaux techniques, et Du ravin rouge.
M. Sendier, le Directeur d'art, tiennent à honneur Le ciel brillant comme un vitrail
de conserver à la Manufacture sa réputation uni- N'épand, qu'un jour de soupirail
Sur les lamettes de corail
verselle d'irréprochablefabrication. Ils ne s'arrê- Ensorcelées,
tent ni aux diffiçultés ni. à l'épreuve des longs Mais dans la roche et le marais
Ils sont écarlates et frais.
recommencements et c'est grâce à lacontinllité Comme leurs frères des forêts
de leurs recherches savantes qu'il nous a été per- Et.des vallées..
mis d'admirer à l'Exposition Universelle, l'année Ils bruissent dans l'air léger
dernière, et qu'il nous est donné de voir aujour- Sitôt que le temps va changer,
d'hui au Musée Galliéra, parmi les chef,d'œuvres Au moindre aquilon passager
Qui les tapote;
d'art industriel réunis par M. Formentin en son Et se démènent tous si fort
Exposition si généreusement vulgarisatrice, une Sous le terrible vent du.Nord,
Qu'on dirait du sang qui se tord
série complète de ce que nos céramistes peuvent Et qui clapote.
créer de plus difficile et de plus délicat.. En vain, descendant des plateaux
Parmi lés pièces exposées, on ne peut oublier Et de la cime des coteaux,
de citer des vases ornés de cristallisations rap- Sur ces lumineux végétaux
L'ombre se vautre,
pelant assez bien le givre des fenêtres gelées. Dans un vol preste et hasardeux,
-Ces vases intriguent particulièrement les visi- Des libellules, deux à deux,
teurs, qui se demandent comment ont été obte Tournent et vibrent autour d'eux
L'une sur l'autre.
nus ces dessins d'une fantaisie si originale. Rien
n'est plus simple que le procédé employé pour Frôlés des oiseaux rabâcheur;;
Et des sidérales blancheurs,
l'exécution des givrés. Sur une forme de vase Ils poussent là dans les fraîcheurs
en simple pâte nouvelle on étend une couverte Et les vertiges,
Aussi bien que dans les sillons;
contenant du zinc. Au moment de la cuisson, il Et tous ces jolis vermillons
se forme dans la matière des cristaux de sali- Tremblent comme des papillons
cate de zinc et ce sont ces cristaux naturels qui Au bout des tiges.
produisent les dessins leur formation dépend Leur chaude couleur de brasier
Réjouit la ronce et l'osier;
des caprices de la matière elle-même et il est im- Et le reptile extasié,
possible de préjuger d'avance de la place exacte L'arbre qui souffre,
qui se fleurira de givre. Ce sont, à chaque cuisson, Les rochers noirs privés d'azur,
Ont un air moins triste et moins dur
des surprises nouvelles lors du défournement. Quand ils peuvent se pencher sur
Les givrés, de même que la pâte nouvelle ou Ces fleurs du gouffre.
que la peinture à l'aide d'émaux colorés, sont les Les carmins et les incarnats,
résultats des patients efforts apportés parun per- La pourpre des assassinats,
Tous les rubis, tous les grenats
sonnel d'élite aux travaux journaliers de la Manu- Luisent en elles;
facture. Soucieux de cherrcher avant tout le pro- C'est pourquoi, par certains midis,
grès, et, le mieux toujours, les dirigeants des Leurs doux pétales attiédis
Sont le radieux paradis
ateliers de Sèvres ont su, en effet, s'entourer de Des coccinelles.
collaborateurs soigneusement choisis et aujour- MAURICS ROLLINAT.
UN ÉPICIER-CHANDELIER
SAUCE~ DE VARENNES
J'ai voulu, à l'occasion de l'anniversaire de Le décor, après plus d'un siècle révolu, a subi
l'arrestation de Louis XVI à Varennes, revoir la quelques modifications.
petite ville somnolente où s'accomplirent ces La voûte sous laquelle Droüet et quelques pa-
événements du 21 juin 1791 qui, du jour au len- triotes, encore attablés à onze heures du soir
demain, firent de l'obscure bourgade lorraine chez Jean Leblan, à l'auberge du Bras d'or, et
un lieu à jamais glorieux dans l'histoire (1), Je prévenus de l'événement par le maître de poste,
tenais à revoir surtout la maison de l'épicier- sommèrent les postillons de la voiture royale de
chandelier Sauce, la petite maison qui abrita faire halte, sous laquelle les illustres voyageurs
quelques heures la famille royale toute trem- furent tenus d'exhiber leurs faux passe-ports,
blante et où vint sombrer la monarchie. cette voûte n'est plus. Le Temps a aboli ce té-
Un tel pélerinage n'avait pas pour but une moin.
curiosité superficielle. Et à vrai dire il n'eût Mais l'auberge du Bras d'or subsiste, se dresse
rien offert d'intéressant s'il ne m'avait permis toute proche, devenue pourtant une boutique
d'apprendre de bizarres choses sur cette maison d'épicerie. Et non loin, dans la rue de la Basse-
qui n'est pas, et pourquoi? classée parmi nos Cour qui dévale vers une petite place, au
monuments historiques s'il ne m'avait incité n° 281 (1), c'est la maison de Jean-Baptiste Sauce,
à me renseigner sur ses propriétaires anciens procureur de la commune de Varennes en 1791,
et actuels, à rechercher ce qu'était avant l'arres- qui remplissait les fonctions de maire en l'ah-
tation du roi, ce qu'ensuite était devenu ce sencê du maire Georges retenu à Paris par ses
Sauce auquel, assure-t-on, Louis XVI offrit un fonctions de député du district.
million dans l'espoir qu'il le laisserait échapper; La façade, embellie un nouveau badigeon-
si je n'avais recueilli certains détails pittores- nage cependant ne lui ferait pas de mal ouvre
ques connus seulement de quelques historiens aujourd'hui sur la rue de belles et larges fenêtres.
locaux; et si enfin plusieurs jours passés à Va- Mais l'intérieur a été peu ou point transformé;
rennes, à interroger, à m'enquérir, à fouiller les la disposition des lieux est, depuis 1791, restée à
archives ne m'avaient fait découvrir un certain peu près la même. Comme à l'époque de l'arres-
nombre d'erreurs grossières qui émaillent les tation de Louis XVI, la maison se composé de deux
narrations de nos grands historiens Thiers, pièces au rez-de chaussée et de deux autres, au
Lamartine, Lacretelle, pour n'en citer que trois. premier étage.
Si le travail modeste que je donne ici comble C'est dans ces dernières, la plus grande don-
une lacune, remet en place les événements et nant sur la rue, la plus petite sur une cour, que
les présente sous leur jour véritable s'il projette la famille royale passa la nuit entière du 21 au
quelque lumière sur celui qui fut, avec le maître l2 juin. Leurs vieux murs ont vu l'orgueilleuse
de poste Droüet dont j'ai conté dans le bTagasin Marie-Antoinette se jeter aux genoux de Jean-
Pittoresque les dernières années, l'artisan incon- Baptiste Sauce, l'ont ouïe supplier ce petit pro-
testé de l'arrestation de Louis XVI- mon voyage cureur de village de viser les passe-ports et d'au-
à Varennes n'aura pas été vain. toriser le roi de France à gagner Montmédy sans
plus de délai. Ils ont'vu Louis XVI tour à tour se
promener fébrile dans la chambre et s'affaisser
C'est à l'aube, une claire aube de juin succé- anéanti sur un fauteuil; ils l'ont entendu, arro-
dant à la plus sereine, à la plus splendide nuit gant d'abord selon son autorité royale, puis
étoilée, que j'ai revu la maison de Sauce où humble, puis plus humble et plus humble en-
flottent encore mille souvenirs. Voilà cent dix ans core, à mesure que coulaient les heures et que
aujourd'hui,une'aube pareille se levait dans la l'espoir, par miettes, s'en allait. Ils ont vu dormir
verte vallée de l'Aire, sur la prison de la fa- les enfants de France, tout petits, insouciants,
mille royale, sur Varennes empli de la rumeur inconscients de la tragédie.
des gardes nationaux, des paysans armés de Les faits, ici, dans la maison même où le Destin
faulx et de fourches, prévenus par le tocsin, ac- voulut qu'ils s'accomplissent, me reviennent en
courus des entours. mémoire avec une précision singulière et j'évoque
cette nuit du 21 au 22 juin.
(1) a Supposez écrit Alexandre Dumas père Va-
Minuit sonnera tout à l'heure. La premièrevoi-
rennes enseveli sous la lave comme Herculanum, ou dans
la cendre, comme Pnmpéi, et le jour, le plus important ture royale, le cabriolet de Mmeg de Neuville et
de Varennes ne sera pas celui où il aura péri. Le jour le
plus important de Vsrennes restera le 22 juin :I.19i, jour (i) Et non 281, comme l'écrit Alexandre Dumas, dans
où le roi Louis XVI.fut arrêté en face du Bras d'or. J)
la Route de Varennes.
Brunier s'engage sous la voûte de Varennes et Varennes, les crosses des fusils heurtent le sol.
passe sans encombre. La seconde, celle où se De minute en minute, la foule grossit et la ru-
dérobent Louis XVI et Marie-Antoinette, suit à
-quelques pas. Dix hommes, Droüet et les meur s'enfle. Le roi, qui a voulu douter jus-
pa- qu'alors, comprend qu'il a été reconnu. Il sourit
triotes du Bras d'or, sautent à la bride des che- hypocritement en se jetant dans les bras dq Sauce
vaux. Halte-là 1 Le roi de France est prisonnier. il dit, sur un ton qu'il s'efforce de rendre sincère
La portière s'ouvre. Une courte discussion s'en- et qui sonne faux « Oui, je suis votre Roi placé
gage. Un homme s'approche de la berline royale, dans la capitale, au milieu des poignards et des
écarte ceux qui ont arrêté l'attelage c'est l'au- baïonnettes, je viens chercher en province et au
torité locale, le procureur de la commune, milieu de mes fidèles sujets la liberté et la paix.
Sauce. Je ne puis plus rester à Paris sans y mourir, ma
Il est muni d'une lanterne qu'il élève à la hau- famille et moi (1), Et, comble à la dissimu-
teur de la portière, et dont il éclaire les visages des
fugitifs; il demande à Louis XVI
et tout de suite, annonce
qu'il est trop tard pour
son Dassr-noJ't. tOllrent' in
lation, Louis XVI embrasse tous ceux qui l'en-
miprn fe- le~ nn+'+~
m 11:;111111e, 1""
11:11: 1" emanis
de ce dernier, le procu-
viser cette pièce. Au reur Destez dui, ayant
jour, on verra. longtemps séjourné à
Cependant la petite Paris, le connaissait et
a vait affirmé à Sauce que
ville s'éveille des cris
c'était bien le roi.
,retentissent. Sauce a
envoyé ses enfants crier
Vaine explosion de
soudaine et feinte ten-
« Au feu » par les rues.
dresse Louis XVI a
Et le tocsin sonne.
Mais le procureur em- beau expliquer qu'on
pêche toute violence. Ce l'abreuve d'amertumes à
n'est pas un révolution- Paris; qu'il a quitté la
naire que Sauce; il n'est capitale, mais qu'il n'a
pas républicain; roya- pas l'intention d'aban-
liste constitutionnel, pa- donner la France, les su-
jets fidèles dont il est le
triote, simplement. Cer-
père que le but de son
tain de l'identité de
Louis XVI, il offre à la voyage est Montmédy;
famille royale sa maison qu'il ne passera pas la
frontière. Personne ne le
« comme lieu de sûre-
té.Il aime son roi, il
entend le protéger con-
croit, personne ne se
laisse prendre à ses miel-
tre des avanies possibles. leuses paroles. Ferme-
mais il ne veut pas qu'il s'échappe; il fera bonne ment ~auce deciare au
roi qu'il ne le laissera pas continuer
garde autour de sa personne. sa route
avant que la municipalité n'ait délibéré sur
son
tocsin
heures!
le
Les fugitifs doivent se résigner. A la voix du
tocsin sonna durant plus de deux
les fugitifs gagnent la demeure de
cas.
La chambre où se tiennent le roi et la reine
s'emplit de visiteurs, de curieux,
l'épicier-chandelier. Pauvre maison construite sans cesse re-
nouvelés. Quand Louis XVI parle de sa résolution
en bois et en terre mêlée de paille hachée. On y de ne point quitter la France,
entrait par le magasin qui ouvrait sur la rue une voix s'élève
narquoise, celle du père Géraudel, un fendeur
ce magasin étroit, une arrière-boutique exigüe, d'échalas de Varennes, petit homme contrefait,
une courette intérieure avec, au fond, une re- aux jambes tordues et noueuses comme
mise, formaient tout le rez-de-chaussée. Ménagé un cep
de vigne. Et la voix du père Géraudel jette, dans
entre les deux pièces du bas, un escalier tour- le rude patois du pays
nant conduisait à l'étage supérieur deux cham- « Mâ, Sire, je n'n'3~
fiânmes « (Mais, Sire, nous ne nous fions pas )
bres l'une, petite, irrégulière, prenait jour
par C'est la réponse qu'ont sur les lèvres tous les
une seule fenêtre dans la courette l'autre, plus as-
sistants. Le père Géraudel a traduit les sentiments
vaste, la grande chambre, la belle chambre de ce de la population de Varennes.
logis, ouvrait sur la rue ses deux croisées. Comme
Alors, devant le désastre, le roi, la reine, Ma-
on était loin des Tuileries, quittées vingt-quatre dame Êlisabetli ont recours aux
heures auparavant par le roi déguisé moyens su-
en inten- prêmes.
dant, par Marie-Antoinette, par les enfants de Auprès des enfants de France qui, tout ha-
France et par les dames d'honneur! billés, dorment sur un lit, on conduit la grand-
A quoi bon ruser plus longtemps? Autour de la
maison de Sauce gronde la rumeur des gens de
(1) Second procès-verbalde la municipalité de Varennes.
Louis XVI se jette sur un fauteuil, il simule 1 e
mère de Sauce, une vénérable octogénaire on
les lui montre, on tente d'émouvoir la pitié de sommeil. Madame Royale, elle aussi, sur le lit
de Sauce, feint de dormir. Les minutes passent;
cette vieille femme, dans l'espoir qu'elle enga-
clément, à Bouillé ne doit pas être loin. Et à mesure que le
gera son petit-fils le procureur à être soleil monte dans le ciel clair, l'espoir renait
laisser partir les voitures royales.
Cependant Louis XVI, assure la tradition lo- chez les prisonniers de Varennes.
cale, a pris à part celui dont il est l'hôte, ou, pour Sept heures Et M. Bouillé ne paratt point Le
mieux dire, le prisonnier. Il propose à Sauce sa voici. Mais non; c'est M. de Romeuf. Il arrive de
puissante amitié, il lui promet des honneurs s'il Paris, porteur d'un décret de l'Assemblée na-
consent à favoriser son départ. Sauce demeure tionale ordonnant aux fonctionnaires publics,
inébranlable. Alors à cet humble procureur qui gardes nationales ou troupes de ligne de prendre
vit de son métier d'épicier-chandelier, qui a toutes les mesures possibles pour arrêter l'en-
femme et enfants, il offre un million! N'y a-t-il lèvement de la famille royale et l'empêcher de
la for continuer sa route.
pas là de quoi griser ce petit paysan ? C'est Cette fois, c'en est fait. Il faut partir, regagner
tune pour les siens et pour lui, l'indépendance
Paris.
pour la vie entière de ceux qu'il aime.
Or Sauce n'hésite point. De telles propositions Non pourtant sans 'que Louis XVI ait épuisé
n'indiquent-elles pas, sous une aveuglante clarté, les dernières chances de salut. « Encore un ins-
les secrets desseins du roi de France ? C'est tant, dit-il, n'est-il pas possible d'attendre jus-
bien la fuite à l'étranger, chez l'ennemi; c'est qu'à onze heures (1) ? »
l'invasion à brève échéance, la guerre. Et Sauce, Douloureux et humiliant aveu d'impuissance.!
noblement, refuse la faveur de Louis XVI, les Et comme on refuse au roi cette grâce, il se
honneurs, le million. rendort ou plutôt feint de se rendormir vingt
L'aube est venue. Le tocsin a depuis long- minutes (2).
C'est le tour de Mm. de Neuville, une dame sui-
restation du roi..
temps déjà cessé, mais dansles rues de Varennes
c'est un fourmillement de gardes nationaux, de
paysans armés.qui réclament à grands
1
cris l'ar-
a"
nistre de la maison du la demeure (1 ), était ab-
La Maison de Sauce.
roi, le priant de lui en (C'est la première à gauche,la pius haute de toutes.)
sent pour service pu-
3iCcuser réception. En blic. Sa jeune femme,
marge dela réponse a__du ministre, Louis XVI avait effrayée, se sauva par le jardin mais en essayant
écrit de sa main de gagner la maison voisine et en franchissant
Je remercie vivement M. Sauce et sa famille. des un mur mitoyen, elle tomba dans un puits. Les
égards qu'ils ont eus pour moi, je leur en serai re- Prussiens eux-mêmes la retirèrent et lui don-
connaissant toute ma vie. Signé LOUIS. nèrent les premiers secours. Ce fut en vain
Nous verrons tout à l'heure dans quelles con- Mme Sauce, peu de temps après, expira, avec l'en-
ditions Sauce crut devoir détruire cette lettre, fant qu'elle portait dans son sein. Pourquoi
toute à l'honneur de celui à qui elle fut adressée. faut-il que toujours s'exerce la malignité pu-
Qu'advint-il,après le 21 juin 1791, de celui que blique ? Certains prétendirent que Mme Sauce'ne
tous les historiens appellent (<le pauvre épicier- s'était pas noyée accidentellement et qu'elle s'était
chandelier » ? Le pauvre épicier-chandelier? suicidée, pour échapper à. ses remords.
Certes, Sauce n'était pas riche, mais il jouissait Quels remords ? Tous les historiens qui ont
d'une certaine aisance. Je n'en veux pour preuve raconté la fuite de Louis XVI et son arrestation à
que ce fait l'Assemblée nationale avait attribué Varennes sont d'accord, à quelque parti qu'ils
des récompenses en espèces à « ceux qui avaient appartiennent, pour louer incidemment la cour-
bien servi la chose publique, dans les événe- toisie et la bonne grâce dont fit preuve, à l'égard
ments du 21 juin 1791 et jours suivants. » La de la famille royale, la femme du procureur de
plus forte gratification (après Droüet, porté pour Varennes, dans la nuit fameuse du 21 au
30000 livres) échut à Sauce 20000 livres. C'était 2~ juin 1791.
une somme; Sauce noblement la refusa. Ou, pour Vingt-deux ans plus tard, en. 1814, les trôupes
être plus exact, il entend,iLn'enpoint profiter; il prussiennes, de nouveau, entraient à Saint-Mi-
distribua les 20000 livres de l'Assemblée aux
gardes-nationaux de Varennes. (1) La maison fut en effet saccagée, tandis que le fils
cadet de Sauce, arrêté par les Prussiens, était conduit à
Les électeurs le récompensèrentd'autre sorte. l'HÓtel-de- Ville de Saint-Mihiel, le pistolet sous la gorge.
Fournel,
hiel. Sauce, redoutant une seconde visite domi- Ue sa première femme, Marie-Jeanne
ciliaire, se hàta de brûler une masse de papiers celle dont nous avons conté la mort tragique, il
avait eu trois fils (dont l'un devint lieutenant-
et de documents qui avaient trait aux événe-
ments du l1 juin et parmi lesquels figurait la colonel) et une fille. Sa deuxième femme, Marie-
lettre, ou plutôt l'annotation écrite par Louis XVI, Barbe Jacquot, qu'il avait épousée en 1 i93, donna
tout le jour à un fils.
en marge d'une lettre, et dont nous parlions aujourd'hui
à l'heure. La descendance de Sauce est
Il est infiniment regrettable, que ces papiers éteinte, ou à peu près.
aient disparu; ils eussent contribué, sans aucun
doute, à projeter une vive lumière sur certains
points, demeurés obscurs, de l'arr estation du Je me suis étonné au début de cet article, que
roi. Il est permis de croire qu'ils nous eussent l'ancienne maison de Sauce à Varennes, celle où
renseigné sur l'histoire du million. Oui ou non, la famille royale passa la nuit du 21 au 22juin ti9t,
histo-
Louis XVI a-t-il offert pareille somme à Sauce ne soit pas classée parmi nos monuments
orale le veut; riques. En vérité, que ne l'est-elle ?
pour le laisser fuir? La tradition contemporains
quelques habitants de Varennes, Cette maison est aujourd'hui la propriété du
de Sauce, assuraient, lors d'une enquête déjà curé-doyen de Varennes qui, dit-on, l'a acquise,
lointaine, le tenir du procureur de la commune il y a quelques années, avec l'intention bien ar-
lui-même. Mais la tradition orale relève, pour le rêtée d'y faire construire une chapelle expiatoire.
narrateur consciencieux et fidèle, de la légende L'opinion publique affirmé que le gouvernement
plus que de l'histoire. Et ce point des événements de la République s'est opposé à l'exécution de ce
de juin 1791 ri5que fort de resterlongtemps
dans projet. Il faut croire que l'opinion publique n'est
de Va-
l'ombre. pas trop.mal renseignée. Car le doyen de
Sauce mourut Saint-Mihiel, le 24 octobre 1825, rennes se contente de loger dans la maison
à l'âge de soixante-dix ans. Sa franchise, sa droi- Sauce le joueur d'orgues de la paroisse. De cha-
être ques-
ture lui avaient concilié l'estime et l'affection de pelle expiatoire il semble bien ne plus
la ville entière, les nobles excepté, qui lui te- tion. On me permettra de penser et d'écrire que
naient rigueur de sa conduite en 1791 .au point, le besoin ne s'en fait peut-être pas impérieuse-
ment sentir.
nous l'avons vu, de conduire les Prussiens au ERNEST BEAUGUITTE.
pillage de sa maison. 2? Juin 1901.
L'emploi des chiens appelés « chiens de jus- dresseurs; pour tous trois, la tâche difficile du
tice » pour poursuivre des hommes n'est pas dressage n'a plus de secret. C'est pourtant une
véritable- science, basée sur le choix minutieux
nouveau en Amérique; avant la guerre d'indé-
pendance déjà, ils étaient en usage pour traquer de l'animal et l'étude approfondie de ses instincts..
les esclaves échappés, et dans quelques états du Car chaque bête est l'objet d'un traitement spé-
sud ils servent encore à rattraper les forçats éva- cial, approprié à son tempérament. Ces chiens
dés. Un habitant de Béatrice (Nébraska) aux £tats..sont nerveux, changeants et capricieux au plus
Unis, est allé plus loin dans le perfectionnement haut degré; si on n'a pas pris la peine de les qin-.
de cette race de chiens; il en a fait des limiers naître à fond avant d'entreprendreleur dressage,
habitudes qu'il
de police incomparables, capables de découvrir on s'expose à leur donner des
corriger ensuite..
les criminels les plus habiles. sera excessivement malaisé de
Cet Américain,le Dr Fulton, possède à Béatrice La qualité dominatrice des chiens de justice est
dépit de leur'
un chenil de vingt chiens absolument une mémoire merveilleuse; et, en
admira-
bles, et tellement renommés qu'il ne se passe pas nervosité et de leurs caprices, ils deviennent do-
ciles et malléables sous une main experte.
une semaine sans que la justice y ait recours Le Dr Fulton a reçu dernièrement la visite
d'un~
perdus et
pour rechercher des objets volés ou rédacteur du Strand ~Tfagaain.e, à qui il a raconté
mettre la main sur les malfaiteurs. Les appels se
font de toutes les parties du pays; et comme il y quelques-uns des exploits les plus fameux de
de temps des
ses pensionnaires. Ainsi il y a peu boutique
bout de la
a toujours une forte récompense au cambrioleurs avaient dévalisé une à
réussite, ou, dans tous les cas, un salaire de Sabentha, dans le Kansas. Un des malfaiteurs, en
rembour-
15 livres sterling par jour et tous frais abandonné son
sés, l'institution du Dr Fulton est une brillante se sauvant, avait fait tomber et chiens
chapeau; cet indice suffit aux pour re-
affaire. du vol. Ils sentirent le cha-
est la trouver les auteurs
La meute des chiens de justice sous
s'en allèrent guidés par leur flair; bien-
deux fameux peau, et
garde du fils du docteur, assisté de
tôt, ils s'arrêtèrent devant une maison où les les plus passionnants de ces derniers temps, par
policiers apprirent que deux individus suspects ses horribles détails. Aussitôt le meurtre décou-
avaient, en effet, séjourné quelques instants, le vert, le procureur du lieu demandapar téléphone
matin même, pour demander à manger. La piste les chiens de justice ils arrivèrent avec leur
fut continuée jusqu'à une nouvelle halte, puis dresseur, au milieu d'une affluence énorme.
jusqu'à un abri où les fugitifs avaient passé la Sur le lit du meurtrier Baker avait été placé
nuit. c' un de ses vêtements; c'est là que les chiens furent
A un tournant, les voleurs s'étaient séparés conduits pour sentir ces objets, puis, on les
deux avaient pris vers l'est, deux autres vers le lâcha, suivis de plusieurs agents, car Baker était
nord. Les chiens suivirent d'abord la direction connu comme une brute de force peu commune.
du nord et rattrapèrent deux des malfaiteurs; Les chiens, comme sentant la gravité de leur
puis, ils revinrent au tournant, repartirent vers tâche, s'élancèrent, frémissants, sur la route,
l'est et retrouvèrent aussi les autres complices; traversèrent un champ de blé et s'arrêtèrent,
tous furent capturés par les agents qui accom- haletants, sur un grand chemin où quelques car-
pagnèrent les chiens. De sorte que vingt-quatre touches vides furent aperçues par terre. La course
heures après le méfait, les quatre criminels se poursuivit, ardente; au bout de trois lieues
étaient sous les verroux. sur la grand'route, les chiens stoppèrent devaIÚ
Une autre fois, un mulet avait été volé à un un souterrain. Les agents furent convaincus que
brave fermier de Louisville. Le propriétaire dé- le meurtrier s'y. cachait; mais, en traversant le
solé requit les chiens de justice; on les mena caveau, ils n'y trouvèrent personne Les chrens,
dans la grange d'où le mulet fut enlevé, on leur de plus ~en plus excités, coururent enbore ~lus
fit sentir quelques chiffons de vieux sacs dans loin, accélérant tant leur course que les hoiriml's
lesquels le voleur avait sans doute enveloppé eurent peine à les suivre; enfin, on arriva devant
les pieds de l'animal, et mulet et voleur furent une ferme. Des traces de pas devant la porte atti-
retrouvés. rèrent tout de suite l'attention des chiens qui,
Une capture sensationnellefut aussi celle d'une à travers une fente dans l'entourage' de planches,
bande de dangereux malfaiteurs connus sous le se glissèi~li~âàns la cour et allèrent droit à une
nom de « Fédawas)), à Lincoln. La bande avait grange. Baker-était là. Et s'il ne put être livré à
pénétré dans un grarid magasin de la ville, dont la justice; c'est)que, se voyant perdu, ils'e fit
elle enleva le coffre~fort et nombre d'objets de sauter lacervelle.
valeur. Les chiens de justice furent aussitôt de- Une autre cause célèbre fut encore celle d'un
mandés. On leur donna à sentir quelques articles pasteur nommé Kruger incriminé d'avoir, par
touchés par les voleurs, et ils partirent sur la haine, mis le feu à la ferme d'un :voisin. Les chiens
piste leur flair ne les trompa point, car, après de justice furent amenés sur la scène de l'in-
bien des chemins tortueux, il les mena devant la cendie; sortis de là, ils se dirigèrent directement
demeure,des Fédawas, Les policiers y entrèrent, vers la maison du pasteur. Kruger nia d'abord
précédés des chiens qui, sans hésiter, montèrent de toutes ses forc~es; mais après différentes expé-
deux étages et pénétrèrent dans une pièce vide riences faites avec les chiens et 'aboutissant au
où les malfaiteurs s'étaient reposés. N'ayant même résultat, l'incendiaire perdit son énergie
troavé personne, les chiens continuèrent leurs et avoua..
recherches et aboutirent à un hôtel où l'on dit Le Dr Fulton est très fier de son établissement,
aux agents que les Fédawas venaient de passer. car on peut affirmer que sa meute est la terreur
On repartit encore, dans la direction nord- des malfaiteurs de Nébraska. Les subterfuges les
ouest de Lincoln, et l'on retrouva, enfin, la plus malins pour évincer ces justiciers canins
fameuse bande, chargée de son butin, sur le point ont été vains; le seul moyen de leur échapper
de prendre un train en partance. Cinq minutes était de les empoisonner, mais toutes les pré-
plus tard, elle était hors d'atteinte. cautions sont prises aujourd'hui pour les pro-
Mais la plus émouvante des récentes chasses à téger.
l'homme et le plus éclatant témoignage de l'in- Les chiens du Dr Fulton trouveraient plus d'une
telligence canine fut la prise d'un meurtrier à fois, il me semble, l'occasion de s'illustrer chez
Fairbury. Un nommé Baker avait assassiné son nous aussi.
frère et la femme de celui-ci ce fut un des crimes TH. MANDEL.
RANAVALOUNA
L'autre soir, à la gare' de Lyon, parmi la foule pied du wagon Mais, c'est qu'elle est très bien,
curieuse et prête à gouailler, un badaud s'écriait, très bien cette Malgache
presque désappointé, au moment où l'ancienne Ce cri naïf est en train dé devenir l'opinion de
reine de Madagascar appar aissait sur le marche- Paris. La petite reine déchue a, dès ses pre-
miers pas dans la grande vi.le, conquis tous ceux elle, l'autre jour, devant le directeur du Bon
qui l'ont approchée. Marché qui voulait lui faire rendre les honneurs
Avec des traits aimables modelés sur un fond dus aux visiteurs de marque.
vieil or, elle a les deux grandes qualités que nous Ces qualités aimables paraissent presque tou-
aimons chez les puissances, dans les « grandeurs chantes à ceux qui se rappellent l'histoire de
de chair », comme eût dit Pascal. Ranavalouna cette Majesté tombée. Mariée à dix-huit ans,
(c'est ainsi qu'il faut dire, car Ranavalo est un veuve quatorze mois après, elle est un jour, à
solécisme, en malgache) est gracieuse elle est son. grand émoi, présentée comme Reine, au
aussi spirituellement modeste. Son sourire est peuple de Madagascar, parce que descendante
d'un charme enfantin et son plus grand désir, du grand AndrianampodIifmerny.Et cette royauté
c est de passer inaperçue, comme les autres déjà effrayante (parce que le bruit s'estrépandu,
femmes. à travers la grande île, que les jours sombres
-« Oh comme les autres femmes! ¡.. suppliait- vont venir pour le peuple malgache) s'a~cûmpa-
gne des tristesses d'un mariage disproportionné la petite reine avec notre pays à force d'égards
et inévitable. Rainilaiarivony (il avait soixante- et'd'habile politique.
sept ans), le premier ministre, le Richelieu du Depuis ce temps-là, Ranavalouna est restée la
royaume, n'a fait acclamer Ranavalouna reine, fidèle amie de la France. Son seul regret était de
qu'à la condition de rester son époux. vivre loin des magnificences de la capitale. Heu-
Et une vie d'apparat, de soucis, d'angoisses reusement inspiré, le Gouvernement n'a pas cru
commence pour la jentre femme, tout entière devoir refuser à la Reine l'autorisation de venir
soumise aux volontés ambitieuses- de l'astuc'ieux passer quelques jours à Paris.
Vieillard. Puis arrivent," comme un ouragan de Et semant les sourires," accueillant 'les hom-
mort, les teiTeurs de la guerre, lés ravages de mages avec une grâce extasiée, promenant par-
l'invasion: Et;' après trois journées de transes tout ses curiosités émues, partout aussi saluée
abominables quand le canon tonnait tout près, avec le respect dû à une femme et à une Majesté
tout près et faisait sauter les poudrières de Tana- tombée, Ranava1auna, à travers les merveilles
narive le drapeau tricolore planté sur le Palais de 1; grande ville, se promène fêtée, transportée,
d'Argent 1. ravie. Et quand elle passe, devant les fronts in-
Mais la semaine suivante, la,Reine respirait c~ülés, souvent parmi les vivats; un sourire heu-
plus à l'aise. Le général Duchesne'lul. faisait reux laisse apparaUre l'échlir de ses dents blan-
signer le premier traité- établissant le protectorat ches, ét 'sà gratitude balbutie
et la traitait avec une courtoisie si joliment res- Les Francais sont z'entils. zentils'
pectueuse, oh la galanterie chevaleresque SERGE, BASSET..
des héro's! que Ranavalouna se trouvait tout
à fait rassurée. Et, à mesure que .1 influence
française s'implantait là-bas, M. Larache, le Les lettres, c'est de la causerie qui passe par.les yeux
premier résident général, achevait de' réconcilier au lieu' de passer par les oreilles, BARBEY D'AC'R8~'ILLT.
Le record du tour de la terre est en train de or ces recordmen du plus grand des-records ac-
se courir., Des Américains d'une part, des Fran- complissent ce programme. Donc, par définition
çais l'autre cherchent, par l'utilisation des
-'de même, ils font lé tour dé la terre.
transports en commun dont le réseau enserre le Qu'on nous permette une hypothèse; Suppo-
globe, à faire le tour de ce globe en le moindre sons le pôle abordable et-aù=~p8le mêmè~une
temps possible. grande ville munie comme Paris d'un chemin de
Mais est-ce_vxaiment ce record, incontestable- fer de ceinture; le point. précis où passe l'idéal
ment le plus grand de. tous les records, qui se axe de la terre, le pôle en un mot, étant marqué,
court en ce moment? Cesyoyageurs, en utilisant sil'on veut., par l'obélisque;de la,PI~ce de la Con-
ici les voies ferrées, là-lés.paquebots,parcoure- corde. Et supposons qu'un voyageur prenne ce
ront une ligne plus ou moins sinueuse coupant chemin de fer de ceinture de la cité polaire et
tous les méridiens, mais quand ils reviendront à grâce à lui fasse le tour de la ville, il aura con-
leiÙ"polnt dé départ auront~ils réellement fait le stamment marché de l'est à l'oùest; ou inverse-
tour du: globe, M. Gaston Stiegler par l'Orient, m'eilt, et aura.coupé tous les méridiens duglohe
M. Henri Turot par l'Occident ? puisque ceux-ci se réunissent en un 'rayonne-
Astrictement parler non, etla meilleure preuve ment parfait au'pied de l~obélisque centrale'. Ce
en est que leur itinéraire par Paris,- L'e'Havre, voyageur pou 1rra-t.-il.prétendre avoir fait l'e tour
New-York, San-Francisco, Yokohama, Kobé, de la terre? Ou encore supposons que' notre
"Chang-Haï, Hong-Kong, Saïgon, Singapore, Co- voyageur, moins.. farceur; s'avise de 'parcourir
lombo, Aden, Suez,' Port~Saïd, Alexandrie, Mar- entièrement l'un des cerCles polaires, Aura~t-il
seille, Paris, ou en sens inverse et par la Sibérie, fait le tour du' globe?'
ne mesure que 36 000 kilomètres en chiffres En répétant cet exemple de proche en proche,
ronds tandis que le périmètre de la terre en on en arriverait à, conclure que strictement le
compte 40 000, c'est là la définition même « du véritable tour de notre planète serait celui qui
mètre » dix-millionième partie du quart du mé- s'effectuerait sur son équateur.
ridien terrestre. Mais ne soyons pas si rigoristes, ce serait d'ail-
Faire le tour de là terre, dira-t-on, c'est aller leurs l'être trop, et contentons-nous de dire que le
toujours vers l'est, ou,éoujours vers l'ouest, jus- véritable tour de la terre est l'itinéraire qui coupe
qu'à ce que l'on revienne à son point de départ, tous les méridiens du globe en faisanteffectuer un
ou, en langage plus scientifique,c'est parcourir un trajet au moins égal au périmètre de la sphère
itinéraire qui coupe tous les méridiensduglobe; qu'est notre planète, soit 40000 kilomètres.
Le parcours du tour de la terre le long de marche moyenne, arrêts compris, et que nos
l'équateur terrestre est aujourd'hui presqu'im- transatlantiques filent des 20 à l5 nŒuds (36 'à
possible à réaliser car cet équateur traverse des 45 kilomètres à l'heure); on s'adresse donc à des
contrées des plus inhospitalières; en tout cas moyens de locomotion « escargotiques » pour
l'original qui, s'attachant en rigoriste à la défini- effectuer le tour de la terre!
tion absolue du tour de la terre, voudrait l'effec- Telle est cependant la rapidité que l'on ne sau-
tuer, ainsi, y mettrait un temps considérable. rait dépasser dans un tour du globe en employant
Mais on est en droit de se demander si le véri- les moyens de transport en commun, les indi-
table tour de la terre, défini moins rigoureuse- cateurs de chemin de fer et de navigation sont là
ment, parcourir au moins 40 000 kilomètres en pour le dire; 21 à 22 kilomètres à l'heure en
allant toujours vers l'ouest, est réalisable prati- moyenne. Et il faut avouer qu'en effet c'est
quement et, dans le cas de l'affirmative, en quel maigre, eu égard aux progrès de la science
laps de temps minimum il est réalisable par le moderne.
seul emploi des transports en commun aujour- Aussitôt une pensée vient à l'esprit. Et si l'on
d'hui mis à la disposition du voyageur. utilisait sur les voies ferrées des trains spéciaux,
La réponse est oui,et ce parcours de 40000 ki- marchant, eux, à la vitesse maxima possible
lomètres par Paris, le Havre, New-York, San- aujourd'hui, si l'on franchissait les mers au
Francisco, Honolulu, Auckland, Sydney, Mel- moyen de grands yachts de course ou de rapides
bourne, Adélaïde, Mahé, Aden, Suez, Port-Saïd, croiseurs, en combien de temps pourrait-on éta-
Marseille et Paris, peut s'effectuer sans pa- blir le record du tour de la terre ?
quebots ni trains spéciaux en soixante-quinze Le calcul est simple par les deux voies plus
jours. haut indiquées on ferait ce tour du globe respec-
Il est d'ailleurs légèrement supérieur comme tivement en seulement trente-cinq et trente-neuf
rapidité de parcours au premier des tours de la jours.
terre, celui qui se court en ce moment et qui n'a Et quand le Transsibérien sera entièrementter-
que 36000 kilomètres de longueur, car ce dernier miné, permettant d'aller par voie ferrée, voie
exige pour être exécuté par les mêmes procédés plus rapide que la voie maritime, du Havre à
soixante-dixjours ce qui équivaut à une vitesse Wladivostock, quand les bateaux à turbine filant
moyenne de 514 kilomètres par jour ou 21 kilo- sans se gêner leurs 30 nŒuds seront devenus, ce
mètres à l'heure, tandis que le second offre qui ne tardera guère, des moyens courants de
comme chiffres correspondants 536 et 22. locomotion, le tour de la terre pourra s'effectuer
Une chose frappe en lisant ces chiffres c'est en seulement vingt-neufjours, commeje me suis
même en partie pour cela que nous les avons amusé dernièrement à l'établir dans un roman
donnés. Eh quoi, dira-t-on, seulement 21 à d'aventures scientifiques qui porte précisément
22 kilomètres à l'heure, alors que nos trains ce titre le Record du tour de la terre.
rapides atteignent des 60 à 80 kilomètres en LÉo DEX.
Le procès qui vient de se dérouler devant la maison centrale de détention ». Et c'est, en effet,
Haute Cour à la suite de la rentrée en France du tout ce que peuvent dire les guides, les touristes
comte de Lur-Saluces, condamné en 1900, par n'ayant pas, fort heureusement,l'accès de l'enfer
contumace, à dix années de bannissement, a où douze cents malheureux purgent des peines
rappelé de nouveau l'attention sur la Maison cen- variant de un à cinq ans de prison.
trale de Clairvaux oü l'un des condamnés du Deux kilomètres environ séparent le chemin
premier procès le seul à qui la liberté fut de fer de l'établissement pénitentiaire. La sta-
ravie M. Jules Guérin, subit actuellement les tion, bâtie sur la rive même de l'Aube, est située
dix années de détention qui lui ont été infligées. au pied des collines boisées de Colomhet, col-
Aussi nous a-t-il paru intéressant de publier lines qui rejoignent celles de Clairvaux et qui
quelques notes sur cet établissement péniten- forment un vaste cirque autour de la prison. Le
tiaire, autrefois célèbre comme abbaye, non paysage, sinistre en hiver, est au printemps
moins célèbre aujourd'hui comme prison, grâce d'une poésie intense, avec ses prairies verdoyantes
aux personnages de marque qui furent ses h6tes capricieusement sillonnées par l'Aube, ses lignes
durant un temps plus ou moins long. de hauts peupliers, son cadre de coteaux où les
Si l'on ouvre un guide quelconque, on y trouvee sapins mettent leur note' sombre. A mi-route;
cette laconique description « Clairvaux, station des fours à chaux; puis commence le mur d'en-
du chemin de fer et télégraphe célèbre abbaye ceinte de la Maison centrale, vrai mur de bagne,
fondée par saint Bernard en f tH, convertie en haut de cinq à six mètres, se développant sur un
rectangle de plus de quatre kilomètres et embras- à transformer ces marécages en une {( claire
sant tout le fond de vallée compris entre la route vallée où l'abbaye nouvelle s'éleva, grandissant
de Bar-sur-Aube et les coteaux où grimpe la route d'année en année, Saint-Bernardremplit le monde
conduisant à Champignol. du bruit de son nom, de l'éclat de ses talents et
A considérer l'importance de la Maison cen- de ses vertus; il mourut à Clairvaux en 1152,
trale, on pourrait s'imaginer que Clairvaux est, laissant 700 religieux dans l'abbaye qu'il avait
saint'
comme Melun ou Poissy, un centre important. fondée. Sous les premiers successeurs de
Il n'en est rien. Le bourg, un modeste petit Bernard, l'abbaye de Clairvaux atteignait l'apogée
hameau, sans mairie et sans curé, dépendant de de sa puissance et de sa splendeur. Sa juridiction
la commune de Ville-sous-la-Ferté, consiste embrassait près de cinquante bourgades ou vil-
uniquement en une rangée d'une quinzaine de lages et l'abbé crossé et mitré jouissait de presque
maisons adossées au coteau, avec, pour vis-à-vis, toutes les prérogatives attachées à l'épiscopat.
le mur tragique derrière lequel tant d'êtres Il avait sous son obéissance huit cents maisons
expient. de l'ordre répandues dans toute l'Europe.
Il n'est pour ainsi dire pas un habitant de De cette époque fameuse, il ne reste plus guère
Claïrvaux que deux
qui ne dé- vestiges: la
pende plus chapelle
ou moins de primitive de
la Maison saint Ber-
centrale. nard qua-
Les uns ont tre murs
l'entreprise crevassés
ou la sur- d'une ma-
veillance sure infor-
des travaux me masquée
des détenus, par des mai-
les autres sonnettes
exercentdes de gardiens
fonctions et l'énor-
administra- me cellier
tives, tous roman, en-
tirent de closdansles
l'établisse- bâtiments
ment leurs de laMaison
moyens Entrée de la première enceinte de la Maison centrale. centrale, où
d'existence, les moines
Impossible donc de rien se procurer à Clairvaux entassaient les produits de leurs abondantes
en dehors de l'hôtel Saint-Bernard, à la fois au- récoltes. C'est dans ce cellier, admirablement
berge, débit de tabac, débit de boissons, épicerie, conservé quoiqu'il date du me siècle, que se
messageries, etc. C'est le véritable centre de la trouvaient les légendaires tonnes dont l'une ne
vie locale, l'endroit où prennent pension les deux contenait pas moins de '2400 hectolitres.
ou trois officiers célibataires du détachement L'abbaye de Clairvaux fut supprimée en 1 ï89.
envoyé de Chaumont pour tenir garnison au Après la Révolution, les vastes bàtiments reli-
pénitencier. gieux r econstruits à diverses époques, notam-
La dernière maison du bourg fait face à la ment dans le courant du XVIIIe siècle, furent
porte d'entrée de la première enceinte et est affectés au service pénitentiaire.
adossée à un coteau que domine la statue monu- Du pied de la statue de saint Bernard, qui
mentale de saint Bernard. De ce point, la vue domine au Sud tout l'ensemble de l'ancienne
embrasse toute l'étendue de la Maison centrale abbaye, on peut se rendre compte des subdivi-
et peut se reconnaître dans le dédale de construc sions principales du pénitencier actuel. La porte
tions massives, d'ateliers et de chemins de ronde d'entrée de la première enceinte fixe une démar-
qui constituent l'ensemble de la prison. cation très nette à droite, se trouve la Maison
Nous avons dit que la maison centrale avait été centrale et ses multiples services; à gauche, les
autrefois une abbaye, En quand saint jardins de la primitive abbaye, actuellement
Bernard vint s'y installer avec quelques moines occupés par les habitations et les jardinets des
de l'ordre de Citeaux, la vallée n'était qu'un gardiens. Cette dernière partie n'est enserrée
immense marécage où les religieux, astreints que dans une seule muraille peu élevée; c'est la
aux règles sévères de Saint-Benoit, éprouvèrent partie publique. Une double muraille, formant
d'abord une grande misèl'e et une véritable dé- chemin de ronde, enferme au contraire toute la
tresse. Peu à peu cependant ils arrivèrent partie Est du pénitencier où vivent et travaillent
les douze cents détenus. L'aspect général est les détentionnaires, tous soldats et condamnés
celui d'une grande usine usine silencieuse par les conseils de guerre à des peines qui peu-
d'où pas une voix humaine ne monte, où les vent atteindre vingt ans de réclusion. Tandis que
phases de la vie quotidienne, heures de travail, les prisonniers de la première catégorie sont as-
moments de repos,, sont indiquées par la voix treints au travail, les détentionnaires restent
puissante et lugubre d'une sirène à vapeur. libres de s'occuper à leur gré et ce n'est pas là,
La curieuse porte à auvents de l'enceinte extê- certes, le côté le moins terrible de leur situa-
rieure une fois franchie, on se trouve sur une tion.
-sorte de petite place d'armes servant de lieu Enfin, à l'extrémité Est des bâtiments se trouve,
d'exercices à la garnison très réduite de la pri- un peu isolé, le pavillon de l'infirmerie, plus
'son et au fond de laquelle est édifiée l'élégante spécialement réservé aux prisonniers politiques.
petite chapelle de Sainte-Anne, de style ogival et C'est là que furent détenus nombre d'anarchistes
fort bien conservée, affectée au service religieux connus le prince Kropotkine, "Fortuné Henry,
de la population civile. Sur tout le côté droit de frère de l'auteur de l'attentat de la rue des Bons-
.cette enceinte publique se développent la façade Enfants Jean Grave, etc. puis Monseigneur
de la Maison le e duc
,centrale et d'Orléans,
celle du bâ- M. Breton,
timent mili- aujourd'hui
taire. député du
La faça- Cher; enfin,
,de du pé- M. Jules
nitencier oi Guérin, le
grande al- condamné
lure et rap- de la Haute-
pélle, avec Cour.
sa porte mo- Pénétrons
numentale dans les bâ-
surmontée timents ré-
d'un dôme servés aux
à clocheton détenus de
et flanquée droit com-
-de deux mun. De-
grands pa- vant nous,
villons, les successive-
entrées de ment, s'ou-
la plupart Les bâtiments de la Maison centrale. vrent plu-
des, Char- sieurs por-
treuses d3 France et d'Italie. tes verrouillées et cadenassées, gardées par'des
Il nous a été donné de pouvoir franchir le seuil soldats et des gardiens.
de l'antique monastère, et, visiteur très privi- Dans une cour, près des cuisines aux mar-
légié, de pouvoir nous mêler durant une heure à mites phénoménales, des groupes de détenus
la vie lamentable des prisonniers. Cette heure, épluchent des pommes de terre. Les faces, uni-
est-il besoin de le dire, nous a laissé une impres- formément glabres et terreuses, sont presque
sion ineffaçable. toutes mauvaises et sournoises. Les pires ins-
La voûte d'entrée passée, on se trouve dans la tincts et le crime ont, sur ces visages, mis la
grande cour d'honneur de l'ancienne abbaye, où même empreinte la condamnation a donné à
se développent à droite et à gauche, perperldicu- tous ces hommes le même aspect avec le même
lairement aux pavillons de la façade, deux uniforme. pant.alon, veste et béret de bure. Ils
grandes ailes occupées par l'administration.C'est n'ont plus de nom et ne se distmguent que par
en quelque sorte le vestibule de l'enfer, car il le numéro très apparent cousu sur leur man'che
faut encore, pour entrer en contact avec les dé- gauche. S'ils vivent en commun, ils n'ont cepen-
tenus, obtenir l'ouverture d'une porte située à dant pas le droit d'échanger une impression, lè
l'autre extrémité de la cour d'honneur. silence étant de règle absolue.
Les détenus sont répartis en trois catégories. Ceux-là, pourtant, sont des favorisés, comme
La plus importante, celle qui constitue la pres- ceux qui sont employés au potager ou à l'écono-
que totalité de la population de la Maison cen- mat, ou ceux qui, sur le point d'achever leur
trale comprend les condamnés de droit commun peine, sont utilisés aux besognes extérieures
subissant.une peine supérieure à un an et infé- coupe de bois en forêt, conduite de charrois, etc.
rieure à cinq ans de prison. Un quartier spécial La véritable vie des détenus de Clairvaux se
est réservé à une autre catégorie de prisonniers, révèle dans les ateliers où on les répartit suivant
leurs aptitudes et leur développement physique. Guérin est installé' dans la cellule naguère occu-
Les uns tressent des chaussons de lisières ou pée par le duc d'Orléans et qui se compose de
taillent la nacre, les autres sont employés à la deux pièces ayant vue, à l'est, au-dessus du
menuiserie ou à la confection des cadrés les mur d'enceinte, sur un gai paysage que ferment
plus solides forgent des lits de fer. des coteaux boisés.
En pénétrant dans les, ,ateliers où travaillent Détenu politique, il a la faculté de faire venir
ces derniers, on éprouve une impression poi- sa nourriture du dehors, de fumer à sa fantaisie,
gnante. Plusieurs centaines d'hommes, surveillés de recevoir des visites et de régler sa vie comme
seulement par quelques gardiens, sont là, ayant il l'entend. Assurément, cè n'est pas là une exis-
aux mains les armes les plus redoutables, le fer tence de rêve et l'on peut convenir qu'elle ne
et.le feu un cri de révolte, un appel de l'un d'eux manque pas d'une certaine monotonie mais,
suffirait sans doute à occasionner une rébellion puisque captivité il y a, il faut bien reconnaître
générale, et pourtant, les mutineries sont rares. qu'elle ne se présente point sous des aspects
Le silence imposé aux détenus est la grande trop rudes.
force de l'administration pénitentiaire. On em- De sa cellule, M. Jules Guérin n'entend durant
pêche ainsi le jour que
les concilia- le halète-
bules entre ment des.
prisonniers, ,machines à
l'entente vapeur de la
pour des Maison cen-
coups à ten- trale et le
ter on a ce- sinistre mu-
pendant re- gissement
marqué que de la sirène
les détenus appelant les-
n'ignoraien t détenus au
rien des travail. Le~
grandes soir venu, le-
nouvelles silence pro-
extérieures fond qui
et que ces plane sur la.
nouvelles, vallée n'est
unefois' con- troublé que
nues de l'un par les sen-
d'eux, l'é- tinellés pla-
taient vite Détenus travaillant devant la façade de la prison. cées dans le
de tous. chemin de
On suppose qu'il s'agit là d'un langage par si- ronde et qui, à intervalles réguliers, se jettent-de
gnes, transmis par les anciens aux nouveaux et l'une à l'autre le cri de « Sentinelles, garde à
qui s'est perpétué dans l'établissement sans qu'on vous! » bientôt suivi de cet autre, qui monte et
ait pu le surprendre encore. s'affaiblit tour à tour, dans la nuit « Rien de
Ce qui est certain, c'est que, lorsque le duc nouveau 1 »
d'Orléans fut amené à Clairvaux, les détenus le JULES CARDANE.
(Photographies de l'auteur.)
surent si bien que l'un d'eux, chef de la fanfare
du pénitencier, intercala dans l'un des morceaux, Me
en hommage au prince, la sonnerie de chasse des
Bourbons! LES COQS
Partout, cependant, à l'atelier, au réfectoire,
dans les dortoirs, le silence est de rigueur et la Les clairs appels des coqs vibrent en claironnées,
Clamant l'Aube, clamant les clartés du matin
surveillance, à ce point de vue, est des plus Aux fermes qui, partout, dorment enfrissonnées
sévères. Jamais, en dehors du travail, les dé- Dans le tissu léger du brouillard incertain.
tenus ne sont laissés en groupes. On leur impose, Et voici qu'un concert de notes obstinées,
dans les préaux, la marche obligatoire en mo- Stridant comme la voix stridente du Destin,
Éclate et court et court en de longues trainées,
n8nies, sur une cadence déterminée, et le silence;i Jusqu'aux confins bleutés de l'horizon lointain.
toujours le silence, doit planer sur cette prome- Et, sans faiblir, toujours aigu, de porte en porte,
nade ondulatoire à travers les cours. Sur les ailes du vent sonore qui l'emporte,
Point n'est besoin de dire que la vie des déte- Il s'en va réveiller aux vieux clochers jaunis
Les cloches qui, mèlant leurs sons à sa fanfare,
nus politiques n'a aucun rapport avec celle des Entonnent l'hosannah des matins infinis,
prisonniers de droit commun et des détention- L'hosannah du Soleil dans le ciel qui s'effare.
naires. Le condamné de la Haute-Cour, M. Jules ERNEST BEAUGUITTE.
LA LONGÉVITÉ DES ANIMAUX promener avec elle ce corps étranger pendant trente-
six ou quarante ans.
La longévité des animaux est l'une des nombreuses
Autre fait, observé en 1889 et relaté par M. Th.
questions,surlesquelles les savants ne sont pas encore Southwell. Une baleine fut tuée par le V~1-indward dans
d'accord. les parages du Groenland, ét dans son lard on décou-
Voici l'opinion de M. H. de Varigny, en ce qui con- vrit un harpon, dont on commença à faire usage vers
cerne l'éléphant et la baleine 1850, mais auquel on renonça bientôt. Par consé-
« Pour l'éléphant dit-il, à la rigueur, l'observation quent, la baleine du Windward avait dû être blessée
directe peut donner quelques indications mais on ne à peu près quarante ans auparavant.
peut pas toujours conclure de l'animal en captivité à En 1894 encore, la Terr.a Nova tua une fort grosse
l'animal en liberté, et si, évidemment, on peut ima- baleine où l'on trouva un harpon au nom du Jean, qui
giner des conditions très réalisables qui permettraient s'était perdu dix-sept ans auparavant.
de connaître la durée de la vie d'éléphants en demi- Ici encore, la bête avait survécu de trente-cinq à
liberté, on ne voit pas qu'elles aient été encore réali- quarante ans.
sées. Aussi, tout ce qui a été dit du grand âge auquel Si l'on considère ce fait que les baleiniers ont, et sur-
peut arriver l'éléphant, est-il plutôt légendaire qu'his- tout avaient coutume de ne s'attaquQr qu'aux baleines
torique les témoignages manquent de précision. Il les plus volumineuses et les plus âgées, et que l'ani-
semble bien certain, toutefois, que la longévité mal n'atteint guère la maturité avant vingt ou trente
moyenne de l'éléphant l'emporte sensiblement sur ans, il en résulte que celles dont il vient d'être parlé
celle de l'homme. devaient avoir au moins quatre-vingt-dix ans, et sans
« En ce qui concerne la baleine, le problème est plus doute plus encore. D'autre part, il n'est pas dit que
difficile encore. L'animal ne peut guère être conservé ces baleines eussent l'aspect particulièrement véné-
en captivité, les grosses espèces tout au moins, rable soixante ans ne seraient encore, pour l'espèce,
et, dès lors, il est malaisé d'obtenir quelques chiffres que la force de l'âge. Et, dès lors, il serait très licite
exacts. Comme, au surplus, ces espèces sont pour la d'attribuer à celles-ci une longévité normale de cent
plupart en voie d'extinction, un naturaliste esti- ans environ.
mait récemment que le nombre total des baleines Ceci n'a rien d'exorbitant; la baleine franche, par
franches n'est pas de plus de trois cents à: l'heure ac- exemple, ne donne généralement le jour qu'à un seul
tuelle, on ne saura sans doute jamais leur secret. jeune, et tous les deux ans seulement; l'allaitement
Les seules indications que l'on puisse se procurer à dure un an. environ, et la gestation de 9 à 14 mois,
cet égard, et que quelques naturalistes anglais selon1es hypothèses, car les faits précis font défaut.
s'effO'rcent en ce moment de ,c~tI'aliser, -sont four- D'une manièrè générale, on pourrait dire que la
nies par une voie indirecte. longévité des animaux est en raison inverse de leur
Il arrive. ou plutôt il arrivait, car la chasse ba- rapidité de reproduction.
leinière se fait avec des méthodes différentes et plus C'est ainsi que les insectes, qui abandonnent d'un
efficaces, il arrivait assez souvent, durant la pre- seul coup plusieurs centaines d'œufs, ont la vie très
mière moitié de ce siècle, qu'une baleine blessée courte il en est qui meurent le jour même de leur
réussit à s'échapper. Sans doute, elle avait le harpon naissance et la majorité d'entre eux ne subsiste que
dans les flancs, mais celui-ci pouvait n'avoir blessé quelques semaines.
aucune partie vitale il était engagé dans la couche Mais, encore une fois, les observations précises sur
épaisse de graisse qui protège ces animaux contre le la longévité des animaux sont extrêmement rares.
froid des mers arctiques, et, après tout, si la baleine
pouvait se débarrasser de la barque et de ses persé-
cuteurs au moyen d'un coup de queue, et casser la LA TRICOLORE
corde du harpon, e'Ile avait des chances d'échapper à
la mort. Ce concours de circonstances se présenta
Quelles fleurs aimez-vous le mieux?
assez souvent, et plusieurs baleines s'échappèrent et Les roses-thé, les lotus bleus,
guérirent de leur blessure. On a vu des hommes vivre Les soleils d'or, ces fleurs altières,
de longues années encore avec des corps étrangers Ou bien les humbles forestières
dans les tissus, et même avec une balle dans les parois Qui parlent au coeur comme aux yeux?
du cœur; une baleine peut bien vivre avec un harpon Quelles fleurs aimez-vous le mieux?
dans la peau. Dites. lesquelles à vos yeux
Mais si cette baleine se fait prendre, dans la suite, Sont les plus belles sous les cieux?
Sont-ce de rares orchidées
les marques du harpon, qu'on retrauve dans sa peau, Ou bien les fleurs des champs gardées
font connaître à quelle époque la bête fut blessée, et Dans les herbiers de nos aïeux?
par quel navire, et dès lors il est facile de savoir de Lesquelles aimez-vous le mieux?
combien d'années elle a survécu à son accident. Les fleurs que vous aimez le mieux,
Ceci ne fait pas connaître son âge, assurément,mais Sont-ce les clairs bleuets des yeux,
Les pervenches ou les pensées
les indications obtenues ont leur intérêt.' Qui, sous les paupières baissées,
Ces indications ne sont pas bien nombreuses, mais Rayonnent ainsi que les cieux?
il faut en tenir compte. Une des plus récentes a été Quelles fleurs aimez-vous le mieux?
obtenue en 1890, époque à laquelle, dans la mer de Les plus belles, France, à nos yeux,
Behring, au mois d'aO'ftt, une baleine fut tuée, dans Ce sont tes drapeaux, glorieux,
la carcasse de laquelle on découvrit une vieille tête Où, bleu myosotis d'Alsace,
Coquelicot, sang. de ta race,
de harpon qui avait appartenu au baleinier américain Et blanc panache des aïeux,
Montezuma. Or, le Montezuma faisait la pêche de 1850 Ne sont qu'une fleur à nos yeux.
à 1854 d'où la conclusion que la baleine avait dû LÉON BERTHAUT.
SA FIL L E (1)
NOUVELLE
« Déjà sortie ? interrogea-t-il doucement. Qu'y ne vous demande pas de la prendre sur vous.
a-t-il donc de nouveau? » Droite devant lui, la Mais je compte sur votre honneur pour l'obtenir,
jeune fille répondit c( Ce qu'il y a, mon père, pour tenter l'impossible afin de rétablir dans
estbien simple. Vous avez toujours ignoré, ou à leurs droits ceux qui, aux yeux de Dieu et de
peu près, les gens que ruinèrent vos spécula- Dieu seul appuya-t-elle, ironique, viennent
tions. Une manoeuvre de votre digne élève, mon d'être illégitimement lésés »
fiancé, vient d'atteindre mon amie la plus intime Donc elle parlait de Dieu., de droits lésés, de
Thérèse Deloir, etson mari ». Et elle fit le récit réparation; mais elle n'était donc plus sa fille
exact des faits qu'elle tenait de la jPune femme. Et soudain, violent, d'un geste muet, il montre
« Mais que veux-tu que j'y fasse? conclut Ger- la porte à la jeune fille. Au même moment quel-
val, en soulevant les épaules les affaires sont qu'un frappe; Gerval répond, et Henri Dorlin
les affaires, mon enfant 1 Et. » paraît, souriant et paisible. Marcelle se lève et
Energique,presque dure, les yeux fixés sur son s'adressantà son père « Choisissez entre votre
père, Marcelle interrompit « Il faut une répara- fille et celui que vous nommiez votre fils » dit-
tion à cela. Je n'accepterai jamais pour mari elle.
l'homme capable de telles infamies » Surpris, Henri s'était arrêté au milieu de la
A ce mot de « réparation Gerval avait froncé pièce. Gerval vint vers lui, la main tendue. Il
le sourcil. « Ma fille, dit-il, je n'ai jamais aimé allait lui expliquer la cause de cette soudaine
que les femmes s'occupent de questions d'ar- attitude de sa fiancée. La jeune fille sortit sans
gent, et encore moins de combinaisons finan- ajouter un seul mot.
cières, et vous me paraissez oublier, outre cela, Henri et Gerval déjeunèrent seuls ce jour-là.
que c'est à votre père que vous donnez un Il y avait bien quelque inquiétude sur la physio-
ordre! » nomie de ces deux hommes; mais il ne leur était
Puis, cette observation faite sur un ton autori- pas donné de comprendre à quels sentiments
taire et bref, le père baissa la tête. En un instant obéissait Marcelle en adoptant une telle ligne de
sa fille, sa fille à lui, avait disparu; et c'était la conduite. Cela restait'en dehors de leur intelli-
morte qui parlait maintenant, la morte honnête gence et au-dessus de leur coeur. Ils riaient même
et droite. C'était la voix de la mère qui s'élevait de cette « foliepassagère », ignorant qu'ils assis-
des profondeurs du passé son âme qui se dres- taient au brusque réveil d'une nature ardente
sait, impérieuse, révoltée encore. Et, comme si longtemps comprimée, qui avait eu la force de
elle avait deviné cette pensée intérieure dans se.taire tant qu'elle restait seule à souffrir, mais
l'esprit de Gerval, Marcelle observa froidement qui se révoltait à la vue du mal fait par « eux »,
« Ma mère n'eût jamais, jamais, donné son con- par « les siens », mal qu'elle devait réparer, fût-
sentement à un mariage qu'elle aurait considéré ce au prix d'un sacrifice qui n'effraierait pas
pour sa fille, comme,une mésalliance. » Et ellè son âme, l'âme austère, droite et bonne de la
appuya sur ces mots « sa fille ». morte.
Elle était donc restée sa fille Elle avait pris Mais ne souffrait-elle pas dans son cœur? Cet
dans les entrailles de sa mère tous les ferments amour qui naissait, qui germait, entouré d'une
vivaces de l'honnêteté qui se redresse un jour. floraison puissante d'espoirs dignes et nobles,
repoussant les compromissions morales qui amour respectueux, sans arrière-pensée, sans
mettent dans les âmes affinées et fières un fièvres, .sans faiblesse aussi, il fallait qu'elle le
remords que rien ne détourne, ni ne tue dompte. Elle pressentait bien que dans une vie
M. Gerval s'était levé « Marcelle, dit-il, vous il n'y a de place, au fond de notre coeur, que pour
n'avez pas à me rappeler le souvenir de votre un seul amour, profond et vrai. Mais, quelle
mère. C'est moi qui vous ai élevée, formée, qu'elle soit, une jeune fille porte en elle plus de
éduquée. J'ai tenu à faire de vous une femme bonté, plus de pitié que de force. Dans sa cham-
sensée, et vous ne me paraissez pas en état de bre, lorsqu'elle se retrouva seule en face du por-
raisonner en ce moment. Je vous prie donc de trait de sa mi1re, Marcelle fondit en larmes.
vous retirer. » La jeune fille ne fit pas un mou- Larmes amères des illusions que fauche tout-à-
vement. Comme si son père n'avait rien dit, rien coup la réalité, larmes saintes aussi; car pleurer
ordonné, elle reprit « 11" faut, je le répète, une sur des choses sacrées dont la mort nous attriste,
réparation à cela. Remarquez, mon père, que je c'est préparer son âme dans la douleur à l'éclo-
sion des renouveaux futurs; car les larmes sont
(1) Voir le Magasin Pittoresque du 15 Juin 1901. pures et lavent les souillures de la réalité insoup-
çonnée qui, soudain, profane les cœurs vierges. de votre fille reste impuissante à vous convain-
Comme il advient chez tous les êtres sincères, cre »
la souffrance, au lieu de l'abattre, exacerba La colère de Gerval s'apaisa soudain. L'homme
l'énergie de Marcelle. Et, lorsque sur la demande d'affaires intéréssé reprit le dessus. A son tour
de son père, elle parutau salon deux heures après, il comprit que Marcelle resterait intransigeante.
elle était décidée au dénoûment qu'elle entre- Et devant sa fille, devant l'âme de la morte, il se
voyait déjà comme prochain et inévitable, C'était sentit vaincu.
le seul excellent résultat de l'éducation de son
père, d'avoir fait une femme de cette jeune fille, III
en la mûrissant, sans pouvoir l'entamer, sous le Quelques jours se passèrent. Gerval réalisa les
feu des réalités vénales de la vie. valeurs qui constituaient la part de sa fille. Aus-
Henri et Gerval l'attendaientpresque souriants. sitôt en possession de sa fortune personnelle,
Mais le parti de la jeune fille était pris et demeu- Dlarcellé préleva la somme qui représentaitl'avoir
rerait inébranlable. Elle était majeure. Elle con- des Deloir et courut chez Thérèse, rayonnante.
naissait, pour les tenir de son père lui-même, :<
Je t'apporte, dit-elle en entrant, ta fortune
ses droits légaux; et de sa mère, de la morte, intacte~ La voici » Puis elle raconta une histoire.
elle avait appris les devoirs dont l'accomplisse- Elle avait intéressé son père à leur malheur; il
ment grandit et console. avait obtenu au prix de baisse les actions remon-
A peine entrée, elle s'adressa directement à tées le lendemain même de leur vente. Puis il
Henri. « Monsieur, dit-elle, je vous considère les avait revendues au taux normal, avaitprélevé
comme un homme d'honneur. Si donc vous ne sur la somme provenant de cette vente le prix
voulez pas amener entre mon père et moi une queluiavaientcoûtélesactionsachetéesenbaisse,
rupture immédiate, que vous regretteriez je et ensuite, remis le tout à elle-même, trop heu-
crois, je vous prie de vous retirer. » La dignité reusé d'apporter une si bonne nouvelle à sa
de cette enfant imposa au jeune homme. Il s'in- meilleure amie.
clina, serra la main de Gerval et sortit. Thérèse, des larmes de reconnaissance plein
Lorsqu'ils furent seuls, le père donna libre les yeux, embrassait Marcelle avec effusion; puis,
cours à sa colère, colère terrible, « colère blan- se souvenant « Ah! et à propos, ton mariage! »
che », comme disent les médecins, capable de « Mon mariage? répondit la jeune fille en
toutes les brutalités. « Ainsi vous croyez m'é- pâlissantun peu; prochainement, jepense. Ilnous
pouvanterl cria-t-il en s'avançant vers elle, me- reste encore à commander les lettres de faire-
naçant. Vous croyez m'intimider en employant part. A la fin du mois, probablement! »
à mon égard le même procédé que votre mère. Puis l'on se quitta; et Marcelle partit, heureuse
Je ne suis arrivé où j'en suis que par ce que de laisser un peu de bonheur derrière elle.
j'ai su lui tenir tête. Je l'ai vaincue, comme
je vous vaincrai. Si vous résistez vous sorti- A la fin du mois, Thérèse reçut une lettre de
rez d'ici pour jamais, maudite par votre père à faire part, toute blanche, seule.
qui vous devez toutl » D'un geste d'apaisement « Vous êtes prié d'assister à la prise de voile
la jeune fille arrêta ses menaces. « Je suis, comme de Mademoiselle Marcelle Gerval, en religion
vous l'avez voulu, une femme « pratique avant sœ:ur Marie-Madeleine, qui aura lieu le 30 de ce
tout », déclara-t-elle. Mais chacun l'est à sa façon. mois, en la chapelle du couvent des Oiseaux.
Voici la mienne Thérèse est ruinée; elle est Vaugirard ». Les Deloir n'ont jamais su la cause
mon amie intime. Mon fiancé est coupable. Je véritable de ce renoncement. Le père, interrogé,
dois au maintien de votre honorabilité, et à ma s'était tû.
conscience tout d'abord, de rétablir une fortune Après avoir obéi au sentiment de pitié et de
anéantie par un homme qui allait s'asseoir, droiture qui la guidait, Marcelle pensa à elle-
estimé, à votre foyer, près de moi. Voulez-vous même, à sa mère, à son père aussi. Son cœur
m'y aider, mon père? vous êtes bon au fond. » d'enfant était brisé; son âme de jeune fille pour
acheva-t-elle doucement. o jours endolorie; et il est de ces blessures sur
« Non Non! c'est inutile! Tu es folle! Tu ne
lesquelles reste inutile le baume des tendresses
sais rien des nécessités qui peuvent pousser un humaines. Elle voulut la solitude, le recueille-
directeur de banque à ruiner, s'il le faut, des ment religieux du cloître pour y perdre son
familles inconnues pour sauver sa réputation. Tu immense et muette douleur.
n'as pas à t'occuper deceshistoires-là! Soumets- Quand M. Gerval apprit la décision de Marcelle,
toi, ou va-t-en! » une larme la première peut-être de sa vie
Marcelle se raidit. d'homme trembla au bord de ses yeux. Sa
(, Alors; mon père,
j'exige. Je suis majeure. fille était morte pour lui depuis longtemps; et
J'ai des droits. Une part d'héritage me revient sous le voile du noviciat comme sous un linceul,
dans la fortune qui était celle de ma mère et la c'était la morte, l'ancienne ,morte, qui, une
vôtre. Cette part je la réclame avec la force du seconde fois, disparaissait dans les ténèbres.
code, en femme, en étrangère, puisque la voix PIERRE AUDIBERT.
bibliophile débutant et surtout celui qui a l'inten-
La Quinzaine tion de'faire une bonne affaire, accumule dans
son « sanctuaire avec le plus d'aise et avec le plus
LETTRES ET ARTS d'inconsciente et naïve imprudence. Des mécomptès
le guettent lui ou ses héritiers, le plus tard
Pendant que chôment les petites expositions et possible, nous le lui souhaitons.
tes grandes, bientôt terminées, cette dernière quin- Passons aux autographes ici, il n'y a pas de loi
zaine de juin et la première de juillet ont été et générale pour les enchères celles-ci dépendent uni-
seront encore intéressantes, à l'Hôtel Drouot avant quement du désir qu'ont certains collectionneurs de
les départs pour la campagne, on liquide force collec- comMer une lacune dans leurs portefeuilles. S'ils
tions, comme si les chaleurs de l'été devaient faire sont inédits, et s'ils « poussent l'un contre l'autre,
fondre la peinture! Simple coïncidence des dates, les chiffres montent. L'ancien se vend comme le mo-
sans doute, au surplus il se troU\'e qu'en ces der- derne, du moins en ce moment. Quelques numéros
niers temps beaucoup d'amateurs sont morts et que d'une vente toute récente en témoigneront Lettre
leurs chers « trésors » sont dispersés par des héri- de l'impératrice Eugénie, remerciant M. Fremy d'un
tiers qui n'ont pas les mêmes enthousiasmes. envoi de fleurs,155 fr. = Une autre lettre de la même
Il y en a eu pour tous les goûts, ces jours-ci des souveraine, également à M. Fremy, ayant trait aux
livres, d'abord. On a vendu deux bibliothèques impor- instructions données aux agents diplomatiques, dans
tantes dont l'une est celle de feu M. Lormier, de la conduite à tenir envers M. et Mme Ratazzi, est ad-
Rouen. Elle a atteint 110000 francs, pour une cen- jugée à 72 fr. Billet de Napoléon à Sainte-Hélène,
taine de numéros. C'est un gros chiffre certain autographe au crayon, 170 fr. Autre billet au
manuscrit le Costumier de Normandie, parchemin ri- crayon, autographe daté de Sainte-Hélène, 175 fI'.
chement enluminé, a produit 3000 francs. Et le reste Lettre de Lamartaine à M. Cazalis, 225 fr. Une lettre
à l'avenant, entre 500 et t 000 francs. écrite par Mozart à sa mère, en langue allemande et.
Il semblerait, d'après ces mirobolants résultats, que datée de Rologne 17 70, a été vendue 460 fr. Enfir,
le raisonnement qu'on entand faire par quelques un autre document ayant trait encore à hart musical,
personnes, se vérifie ces personnes composent des un brevet de peasion accordée par l'empereur à la
bibliothèques à grands frais, en songeant et en disant fameuse cantatrice Grassini. Cette pièce est signée
que c'est un peu un « placement de père de famille ». par l'empereur Napoléon 1er et contresignée par Cam-
K J'ai là, disent-elles en montrant leurs rayons tout bacérès. Ce document a été adjugé pour la somme de
garnis, une fortune .1. Loin de moi la pensée de dé- 305 fr. Pour une époque où sévit la « napoléonite »,
tourner qui que ce soit de l'amour du livre, de la c'est relativement peu. Méfions-nous donc aussi de
bibliophilie, qui si on ne la confond pas avec la biblio-la manie des autographes.
manie, est une des plus nobles passions humaines, Quant aux tableaux, mêmes conseils de prudence:
surtout quand on aime les livres pour eux-mêmes certes, il est bon, il est louable d'acheter de la pein-
et quand on les lit. ture, du marbre, eic., et de se transformer autant
Mais le placement de père de famille est, en réa- qu'on le peut en Mécène, petit ou grand; c'est un
lité, très. dangereux, très aléatoire, On doit poser rôle qui s'impose même aux belles fortunes. Mais
comme règle qu'un livre ne se vend très cher que combien la spéculation, au lieu de, ce simple encou-
quand il est devenu un bouquin très'vénérable et très ragement, est dangereuse Parce qu'un Sisley cité
rare. Il en est de cela comme.du vin, qui a besoin entre tous, acheté 1200 francs à l'artiste, revendu
de vieillir. Au fond, c'est absurde, mais cela est si pour 12000 francs à Bordeaux trouva acquéreur à
la collection de M. Lormier a produit une somme si Paris, à 40000 (et il y a d'autres exemples de ces
importante, les motifs en sont d'abord qu'elle était emballements ) maints collectionneurs se figurent
formée de pièces se rapportant à un même ordre en possession d'un patrimoine considérable. Qu'ils
d'études, sur les us et coutumes et traditions de Nor- aillent à l'Hôtel Drouot,·assister à une vente ordinaire,
mandie cette spécialisation est difficile à obtenir. une vente moyenne que ne fait mousser ni la presse
En second lieu, les manuscrits enluminés sont, en ni' la qualité du vendeur cette quinzaine, notam-
général, du xme et xve siècle; ils ont de (l l'âge »; ilsment, on liquidait le bric-à-brac artistique d'un mar-
sont peu nombreux; on ne réussirait qu'avec beau- chand de vins qui eut quelque célébrité pour la re-
coup de peine à s'en procurer un aussi beau choix. cherche ardente à laquelle il se livrait, des morceaux
En tout cas, voilà déjà deux conditions de succès de maître et des antiquailles. Le tout ornait et acha-
spécialité et vétusté. laIidait sa boutique, ce dont il était très fier devant
Pour le reste, une gradation s'établit selon la même les clients. Il leur montrait un dessin à la plume
règle les éditions les plus recherchées sont celles d'Édouard Detaille, le Vieil hussard un joyau,
du-xviiie siècle, à figures. Elles viennent de se vendre,Monsieur, dont j'ai refusé des mille et des cents (ce
en moyenne, six cents ou sept cents francs. Elles ont marchand de' vins s'exprimait comme. un con-
leur siècle et demi. A partir de 1800, les livres bais- cierge !) Et, aux enchères, le Yieil hussard a donné
sent soudain de valeur marchande. Les éditions dites 425 francs.
romantiques (vers t840) seules, sont assez disputées, Ce doit être, pour les artistes vivants eux-mêmes,
mais quant aux modernes, elles ne dépassent pas les une épreuve douloureuse, pleine, tout au moins,
enchères de 300 francs, quel qu'ait été leur taux d'anxiété, ce passage à l'Hôtel. Quel choc leur renom-
d'émission et quelle que soit leur perfection d'éxé- mée recevra-t-elle? S'enlèvera-t-elle, subitement,
cution; celle-ci ne le cède !en rien aux précédentesi d'un grand coup .d'ailes, vers les gros chiffres, rêve,
nos éditeurs produisent de vrais chefs d'œuvre, hélas, prosaïque mais excusable, ou tombera-t-elle de
mais on se les disputera à coup de billets de banque quelques degrés, presque à plat»? C'est, malheu-
dans. cent ans peut-être. Or, ce sont eux que le reusement, ce qui se produit trop souvent. Je pren-
drai pour type, afin de ne froisser personne, un ar- le Maroc occupe un triangle formé par la pointe nord-
tiste décédé M. Monticelli, peintre marseillais qu'on ouest du continent africain c'est assurément l'un des
a cherché à environner de gloire posthume. Un col- plus beaux morceaux du globe. La position est uni-
lectionneur ou un marchandpossédait de lui 86 toiles! que et pourrait commander à la fois la Méditerranée
Il les a vendus d'un coup. Voici les prix Le n° Î, et une partie de l'Océan. Le sol, d'une fertilité excep-
l'Église de Saint-:Vlaximindans le Zar une des œuvres tionnelle, est fécondé par un climat aussi beau que
les mieux construites, d'un dessin très ferme, d'une celui des Hespérides; le règne animal, fabuleusement
grande sCireté dans les lignes architecturales et re- riche, est encore intact: La Providence, en attribuant
tracant bien le calme et le recueillement des bonnes aux peuples fanatiques et dégénérés les plus belles
femmes de campagne en prière, Î80 francs. Le parties de la terre habitée, a, d'autre part, et afin de
n° 12, Personnage Louis XIII, à mi-corps de trois quarts mieux garantir leur intégrité, semé la discorde parmi
340 francs. Le n° 17, la Commére au bracelet, ad- les nations chrétiennes. Constantinople a été précieu-
jugé à 405 francs sur mise à prix de 1 000 francs et sement conservé à la Turquie par les menaçantes
première enchère de 300 francs. Le n° 18, Jeunes rivalités des Russes et Anglais.
Femmes dans un parc, 295 francs, sur mise à prix de De même, Tanger restera jalousement conservé au
600 fr. Le n° 20, l'Ent~·ée de François 1er à Marseille chérif marocain, par l'animosité réciproque des
(Un coin de cavalcade sur les allées de Meilhan, 1881), Espagnols, des Anglais et des Français. La superficie
360 francs. Le n° 23, le Médaillon, deux jeunes fem- du Maroc est évaluée à 600000 ou i00000 kilomètres
mes dans une forêt, l'une contemplantun médaillon, carrés, sensiblement plus grande que celle de la
310 francs. Le n° 24, Géraniums et Roses, 200 francs, France; le pays dispose de près de 1800 kilomètres
sur mise à prix de 500 francs. -Le n° 25, Portrait de de rivage, tant sur la Méditerranée que sur l'Atlan-
bZ. Rouland, 280 francs. C'est pour rien. Collection- tique. Ses montagnes, l'Atlas, pourrait rivaliser avec
neurs, mes frères, soyez prudents, ce qui ne signifie les plus beaux paysages des Alpes ou des Pyrénées.
pas « Ne soyez pas généreux ». Ne faites pas de On y découvre des cimes de plus de 4000 mètres d'élé-
songe-creux, mais, et c'est la conclusion de ces notes, vation. Des cours d'eaux, abondants et majestueux,
achetez pour vous-mêmes, pour votre plaisir, avec. s'élancent de ces hauteurs vers l'Océan ou la Méditer-
intelligenoa. et sagacité. Ne cherchez pas trop le ranée d'autres se dirigent vers les sables du Sa-
« coup à faire » c'est vous qui le recevriez. ha'ra qu'ils transforment en riantes oasis. Ailleurs,
PAUL BLUYSEN. c'est le Rif, la citadelle des tribus berbères « pays
des vergers comme son nom l'indique, judicieuse-
ment désigné par le regretté H.. Duveyrier comme « la.
dernière partie inconnue du littoral méditerranéen ».
Géographie Il n'a pas plus de 2200 mètres d'élévation, mais
plonge avec majesté sur les eaux bleues du grand
lac, la Méditerranée, juste en face des monts Anda-
Le Maroc. Un bon voisin d'Afrique. L'ar- lous. Inconnu, tout le Maroc l'est encore. Ses habi-
rivée en France de l'ambassade marocaine devait tants, qu'on estime diversement à quatre ou à six
exciter la curiosité de tous ceux et ils sont actuel- millions, semblent aussi farouches que les montagnes
lement légion qui s'intéressent à l'avenir français qui les abritent D'aucuns les représentent comme
en Afrique. très vigoureux; d'autres, au contraire, affirment que
L'envoi de cette ambassade clôt, comme on sait, c'est une race chétive, dégénérée les deux versions
une série de négociations qui eurent lieu en ces der- sontcertainementexactes,vuquelesdiversestribusqui
niers temps à la suite d'un meurtre accompli sur la habitent le pays sont en constant conflit et les expé-
personne d'un Français par un fonctionnaire de l'em- ditions militaires que l'Empereur organise pour châ-
pire chériffien. Voici, en deux mots, les faits. Un tier des rebelles sont aussi fréquentes que meur-
Français d'Oran, M. Pouzet, accompagné de plusieurs trières. L'autorité du chérif est, sur beaucOlJp de
Riffains, fut tué par le caïd de Kebdana alors qu'il points, purement nominale; c'est l'impuissance qui
livrait des marchandises achetées par des gens du règne. La France, qui entretient les relations les plus
Riff à un colon de l'Ouest oranais. anciennes avec le pays marocain. car les premiers
Les serviteurs marocains furent en même temps traités avec ce pays ont été conclus sous le règne de
emprisonnés sur les ordres de ce même caïd. Les ré- Henri III et ce fut la flotte française qui obtint
clamations du Gouvernement français eurent pour en 1844 l'ouverture de ce pays au commerce euro-
résultat- de faire accorder une indemnité pécuniaire ropéen, la France, disons-nous, est aussi par ses
(100000 francs) à la famille de la victime, le renvoi possessions algériennes, la voisine la plus proche, la
des prisonniers et la punition du fonctionnaire cou- plus immédiate de cet empire. Par la récente prise
pable. Comme c'est le cas souvent en de pareilles cir- de possession du Touat, la France a même, en quel-
constances, les actes de rigueur ont été suivis d'une que sorte, pénétré dans le coeur du pays, puisque cette
entente courtoise. Le séjour de l'ambassade maro- oasis était considérée pendant longtemps comme fai-
caine en France ne manquera pas de contribuer à sant partie de l'empire marocain.
l'établissement des bonnes relations entre les deux Elle a le droit, plus que toute autre nat'.on, à sur-
pays. veiller ce qui se fait dans cet empire capable de
Cet empire du Maroc présente, pour les penseurs et nourrir et fournir la plus grande somme de bien-être
les sociologues, un phénomène très curieux dans la à une population active, intelligente, dix fois plus
répartition des peuples sur la terre. La puissance de nombreuse et où végètent actuellementdans la misère
l'Islam se révèle encore là, d'une manière éclatante, et dans'la malpropretéquelques millions de barbares.
dans le choix de ses conquêtes. Pareil à l'empire La Terre n'est-elle pas l'apanage de tous les êtres
turc qui envahit les extramités des trois continents, humains? A-t-on le droit de laisser le sol en friche,
les richesses minérales sans emploi alors que des et les ont fait éehouer. Bien mieux, les chefs de ces
millions d'individus, en Europe, cherchent à utiliser « brigands continuent à faire preuve, comme De-
leurs bras ou leur science? Le philosophe et le pen- larey à Vlakfontein, par exemple, de qualités mili-
seur ne sauraient donc que se réjouir de ces tenta- taires que l'on pourrait souhaiter aux généraux an-
tives de rapprochement entre les peuples de civilisa- glais. Botha, Delarey, De Wet, Kruitzinger sont très
tion avancée avec les nations que l'Histoire semble supérieurs,militairement parlant, à tous les généraux
avoir laissées dans l'oubli. En montrant aux chefs anglais qui ont défilé depuis deux ans dans l'Afrique
marocains que leurs compatriotes, comme les indi- du Sud. Et les petites opérations de ces jours der-
vidus d'autres races, chinois, japonais ou nègres, niers, bien qu'insignifiantes en elles-mêmes, prou-
peuvent librement circuler dans nos pays, que nos vent que les commandos boers sont mieux organisés
lois les protègent à l'égal de nos concitoyens, on que jamais, et que lord Kitchener n'est pas au,bout
obtiendra d'eux qu'ils agissent de même à notre de ses peines. Le Tïmes le constate mélancoliquement.
égard. Ce ne sera- pas le moyen le moins pratique, ,L'activitéque les Boers continuent à déployer dans
ni le moins efficace pour étendre notre influence au la colonie du Cap, dit-il, et, de plus, l'existence d'une
dehors et ouvrir de nouveaux horizons à l'activité troupe organisée aussi forte que celle qui a combattu
européenne. à Vlakfontein, devrait encourager le gouvernement à
L'arrivée parmi nous d'ambassadeurs des pays faire tous ses efforts pour terminer la guerre à bref
exotiques présente donc d'incontestables avantages délai et d'une facon satisfaisante.
et il est à prévoir que le séjour des envoyés maro- Nous connaissons cette antienne! Evidemment
cains ne sera pas sans profits pour les intérêts fran- l'Angleterre saluera avec joie toutes les preuves
çais dans ce pay s. On ne manquera certes pas de d'énergie que donnera le gouvernement, mais il attend
rappeler à cette occasion l'ambassade envoyée à impatiemmentqu'on les lui fasse voir sous une forme
Versailles par le chérif Mouley Ismaïl, en 1682, pour désireuse
demander à Louis XIV la main de la princesse de La vérité, c'est que 18000 à 20000 Boers tiennenten
Conti. Questions matrimoniales à part, l'heure ac- échec sur tous les points les 250000 Anglais qui occu-
tuelle est plus positive et il s'agit surtout d'assurer pent le Transvaal, l'Orange et le Cap; que ces Boers,
la sécurité aux Européens qui voyagent dans l'em- après vingt mois de la plus rude campagne, sont au-
pire du Maghreb. jourd'hui relativement disciplinés, tandis que leurs
Diverses personnalités fort honorables, que la dis- adversaires sont pour la plus grande partie des jeunes
crétion nous interdit de nommer, se préparent juste- soldats qui sont bien loin de posséder les qualités
ment à se rendre dans l'intérieur du Maroc. Un jeune militaires des vieux soldats qui combattirent sur 'les
voyageur parti depuis quelque temps déjà pour une bords de la Tugela, et que, par conséquent, la partie
exploration dans l'intérieur, M. Forret, semble avoir est loin d'être perdue pour les Transvaaliens 1
été une nouvelle victime de l'intolérance musul- Terminons oette courte revue de quinzaine en
mane. Il serait peut-être temps d'y mettre un terme. jetant un coup d'oeil rapide sur la situation des belli-
Seule, une entente avec les chefs écoutés de ces Pays gérants. Cette situation, du reste, n'a pas changé.
pourrait amener un résultat favorable. Souhaitons-le. Lord Methuen opère toujours dnns les environs de
P. LEMOSOF. Zeerust, à l'ouest du Transvaal. Delarey reste maître
dans tout le district de Rustenburg et Botha occupe,
sans être trop inquiété, ses positions à l'est de Pré-
toria sur la ligne de Louranço-Marquez.
LA GUERRE Dans l'Orange, les opérations si opérations il y a
-sont tenues secrètes, car on n'entend plus parler de
AU TRANSVAAL De Wet, ce qui ne laisse pas d'intriguer fort la presse
de Londres.
Il un
Y an bientôt que lord Roberts, l'illustre
grand-croix de l'Aigle-Noir, déclaré solennellement
Enfin, dans la colonie du Cap, Kruitzinger bat tou-
a jours la campagne et les détachements anglais par-
que la guerre du Transvaal était terminée! Depuis tout où il en rencontre. La nomination du général
cette parole mémorable, saluée en Angleterre parune French à la direction des colonnes anglaises qui opè-
explosion d'enthousiasme,lordKitchenerest toujours rent dans cette région ne semble pas inquiéter outre
à la peine, n'entrevoyant que vaguement le jour où mesure le vaillant chef boer qui, chaque jour, fait de
il sera à l'honneur comme ses prédécesseurs dans le nouvelles recrues et fait passer à ses amis de l'Orange
commandement en chef de l'armée anglaise! les chevaux, les munitions et les approvisionnements
Pauvre lord Kitchener Il a eu beau inaugurerune de toutes sortes qu'il enlève quotidiennement.
nouvelle tactique, répudier l'essaimage cher' lord
Roberts, échelonner une partie de ses forces le long EN CHINE
des voies ferrées pour consacrer l'autre partie à la
pacification successive de secteurs nettement circon-. La question chinoise semble devoir se dénouer tout
scrits, la veine ne l'a pasplus favorisé. Les immenses simplement par la lassitude générale. On ne discute
randonnéesexécutées par les colonnes anglaises n'ont plus que pour la forme et chacune des puissances.
pas donné de meilleurs résultats que les petites co- cherche à se tirer de ce guêpier sans tambour ni
lonnes mobiles chères à lord Roberts et qui étaient trompette.
destinées à relier entre elles les localités importantes Bref, la force d'inertie des Chinois triomphe, quoi
occupées par de solides garnisons- qu'on en dise, du formidable apparçil militaire dé.-
Partout, les « brigands », comme les appelle dédai- ployé par les nations du monde entieri C'est flat-
gneusementle général French, se sont mis bravement teur
en travers des conceptions stratégiques de Kitchener Quand nos lecteurs sauront que l'on s'est enfin mis
d'accord sur le mode de règlement de l'indemnité due joyeuse dans leur quartier et se laisseraient moins
par la Chine aux puissances, il ne leur restera plus tenter par des promenades sans but sur les trottoirs
qu'à attendre le compte-rendu de la rentrée sensa- des petites villes de garnison, avec haltes plus ou
tionnelle de l'Empereur dans sa bonne ville de Pékin, moins prolongées dans les cafés.
annoncée pour le mois de septembre ou d'octobre, et « Pour atteindre ce but, un de nos Capitaines de
le rideau tombera snr cette tragi-comédie, où la Chasseurs à pied a eu l'idée de faire appel à quel-
vieille Europe ne saurait se flatter d'avoir toujours eu ques Françaises généreuses, mères, sœurs et fiancées
le beau rôle. de nos soldats. Son patriotique appel a sans peine
Pourvu qu'il ne se relève pas prochainement sur convaincu et entraîné un grand nombre de personnes
la- vraie tragédie, cette fois qui se sont immédiatement groupées en un Comité
HENRI MA7EREAU. parisien qui s'est proposé de créer l'OEuvre vraiment
française des Jeux du Soldat, destinée à pourvoir gra-
zo tuitement les compagnies, batteries et escadrcns, de
collections de jeux d'été et de jeux d'hiver.
CAUS~RIE MILITAIRE « L'OEuvre des Jeux du Soldat, dont les Comités
fonctionnerontbientôt dans toutes les villes de France,
comprend
Parlant dernièrement des ravages que l'alcoolisme « f Des
de
Membres fondateurs ayant versé une coti-
fr.
exerce dans les rangs de notre armée, ravages bien sation 50
autrement terribles que ceux de la mitraille et des « 2°, Des Membres bienfaiteurs il 25 fr.
balles, puisque celles-ci n'en sauraient entrainer que « 31) Des Membres adhérents à f fr.
la destruction partielle tandis qu'avec l'alcoolisme on « Le Comité parisien qui vient de se fonder et dont
arriverait promptement à son entière annihilation, je voici la composition
disais combien était utile la décision du Ministre de « Mm. la VicomtesseDE FLEURFOTDELANGLE, Présidente.
la Guerre qui interdit la vente de l'alcool dans les « Mme Marcel LOUVET, Vice-Présidente,
casernes. Mais cette décision, toute judicieuse qu'elle « Mlies Marguerite DE FLEURIOT DE LANGLE et Marthe
puisse être, ne peut donner que des résultats incom- LACHÈZE, Secrétaires,
plets elle n'empêchera pas bon nombre de nos sol- « M. J. LOUVET, Trésorier,
dats de profiter de leurs heures de sortie pour faire fait le plus pressant appel à toutes les Françaises et
des.stations au cabaret: c'est si vite fait de prendre espère que son œuvre patriotique sera comprise,
une goutte sur le zinc Malheureusement une gouttc approuvée et aidée par tous ceux qui aiment nos
en appelle une autre: les camarades qui ont acceplé soldats.
la première tournée en veulent naturellement offrir « Prière d'adresser les adhésions et cotisations à
d'autres, et le mal est fait; l'on en prend la pernicieuse M. J. LOUVET,4, rue Halévy, Paris.
habitude, et, ne pouvant plus boire la goutte ou l'apé- « Grâce aux généreux Fondateurs, Donateurs et
ritif à la caserne, on va s'enivrer dehors. Adhérents de la première heure, un premier envoi
Il s'agit donc, pour enrayer une bonne fois les pro- de jeux d'été (1 ballon, 1 jeu de boules, f jeu de
grès du fléau, de trouver un moyen de faire aimer quilles), sera bientôt expédié pour les garnisons de
AÏn -Sefra (Algérie) ,Fort-Queyra!1( Al pes) ,Fortdu ballon
au soldat son régiment, sa caserne, en y créant des
distractions honnêtes qui le détournent de l'oisiveté, de Servance (Vosges), FortdeManonvillers(Meurthe-et-
la principale racoleuse de l'alcoolisme. .Nloselle), Stenaÿ (batterie d'artillerie à cheval),Saint-
Ce moyen me semble tout indiqué par un de mes Mihiel, (bataillon de Chasseurs à pied), Sampigny,
bons camarades, capitaine aux chasseurs à pied, le- (Régiment de Chasseurs à cheval), Lérouville (Régi-
quel s'occupe, avec la patriotique activité qui lui est ment d'lrifante~ie),Fort de Querqueville(Cherbourg). »
coutumière, de fonder ce qu'il appelle L'QEuvre des
jeux du soldat. Voilà qui est de bon augure pour une oeuvre sur
Je ne crois, d'ailleurs, pouvoir mieux faire que de laquelle, je n'ai pas à discuter, son utilité étant de
-citer textuellement son ingénieux programme, en le toute évidence.
~recommandant tout particulière,ment à l'attention de Que les pères, mères, soeurs et fiancées de nos sol-
nos lecteurs dats s'empressent donc de répondre au patriotique
appel qui leur est fait, et nous aurons cette joie su-
CI Anotre époque si tristement affligée par les rava- prême de voir notre armée se peupler de soldats
ges de l'alcoolisme qui sévit sur notre beau pays de d'élite en même temps que notre pays d'irréprocha-
France, il nous a semblé qu'un des moyens les plus bles citoyens.
puissants pour combattre ce fléau chez nos soldats CAPITAINE FOUQUET.
était de leur offrir de saines distractions dans leurs 149
casernes, afin de les arracher aux dangers des caba-
rets et autres lieux de perdition où les poussent l'en- VARIÉTÉS
nui et le désœuvrement, pendant les heures de loisir
que leur laisse le service.
« Nos soldats y vont en foule parce qu'ils
s'ennuient NOS LÉGIONNAIRES AU TONKIN
au quartier, la chambrée ne pouvant leur offrir aucune
autre distraction, après l'accomplissement de leurs Le commandant N. aujourd'hui en retraite et
devoirs militaires, qu'une flànerie désolantesur le lit, colon dans les environs de Nam-Dinh, nous contait
en attendant l'appel du soir. un jour cette petite anecdote
« Si, au contraire, ils disposaient d'un certain nom-
Je marchais avec une troupe de soldats de la Lé-
.lire de jeux, les soldats organiseraient la veillée gion étrangère, et les vivres, fort rares, se compo-
saient, depuis quelques jours, uniquement de riz, cet essora été puissamment encouragé par les clauses
quand, un certain soir, à l'arrivée au bivouac, le riz insérées au contrat de subventions postales et en vertu
lui-même vint à manquer. desquelles les compagnies subventionnées sont tenues
Après avoir donné les différents ordres, j'annonce de faire construire en Allemagne leurs paquebots à
donc à ma troupe qu'il n'y a plus de vivres du tout marche rapide en y employant des matériaux alle-
et qu'il va falloir, jusqu'au lendemain, serrer d'un mands. La construction de docks flottants, de cales à
cran sa ceinture. réparation, la création d'un bureau allemand de clas-
Un vieux légionnaire s'avance alors et me dit silîcation des navires, analogue au Lloyd anglais et
« Mon commandant, vous voudriezpeut-être un bifteck au Veritas français, ont également concouru dans une
aux pommes? » Croyant à une plaisanterie, et la notable mesure au progrès de l'industrie navale.
trouvant de fort mauvais goût, j'inflige immédiate- Longtemps tributaire de l'Angleterre pour les travaux
ment à son auteur quelques jours de prison, et l'on de réparations, les chantiers allemands sont aujour-
rompt les rangs. d'huis pourvus de docks flottants qui leur permettent
Une demi-heure après, un soldat pénètre sous mon d'effectuer rapidement les travaux de coque ou de,
abri et je reconnais mon vieux troupier de tout à machines. En i880, il n'existait encore que 9 de ces
l'heure, qui, la main droite à la coiffure, me présente bassins, aujourd'hui ori en compte 27, et désormais la
de la gauche. un bifteck aux pommes! marine allemande peut se passer de recourir aux
Je levai sa punition et appréciai fort, je vous assure, ateliers anglais, danois ou suédois dont elle était la
ce mets inattendu; depuis longtemps, comme je l'ai cliente habituelle. Avec la première subvention ac-
dit, la viande brillait par son absence, et il ne fallait cordée à nos lignes postales s'ouvrit une ère nouvelle;
pas songer à se ravitailler dans les villages r",ncon- le Lloyd germanique fut fondé et reconnu comme
trés sur la route, qui tous étaient déserts. bureau allemand de classification des navires, don-
Mais quelle pouvait être cette viande qui, si elle nant une impulsion puissante aux travaux maritimes
n'était pas du bœuf, y ressemblai du moins beaucoup?2 et créant, dans l'intérêt commun, des relations de
Je ne l'ai jamais su, mais j'ai toujours pensé qu'elle plus en plus fréquentes entre l'armateur et le con-
provenait d'un cerf qu'un légionnaire aurait réussi à structeur allemand.
capturer pendant la nuit. L'importance actuelle de l'industrie allemande des
\'ous connaissez ces gaillards-là et vous savez constructions navales se mesure, outre le chiffre crois-
comme moi s'ils sont hommes à se débrouiller en sant des commandes et des travaux effectués, aux
toutes circonstances. services rendus par les docks flottants de certains éta-
Toujours est-il que la bête devait être de taille, car blissements, qui ont'pu mener à bien l'œuvre difficile
tous en avaient une tranche dans leur musette. Et de l'allongement d'aussi grands paquebots que le
maintenant,lespommes?Ehbien,lespommes,c'étaient Preussen, le Bayern et le Sachsen. Voici maintenant
des patates comme. il en pousse une espèce à l'état quelques indications relatives aux chantiers de Kiel.
sauvage; nos soldats, les anciens, reconnaissent cette Le chantier Howaldt a fait travailler pendant l'année
solanée à sa feuille, tout aussi bien que les Annamites,
Mais, je pourrais vous en conter bien d'autres,
ajoutait le commandant; les faits de ce genre abon-
i
i899 2 400 ouvriers et a terminé la construction de
navires représentant i2700 tonnes. Restaient en
construction et en commande, au fer janvier i900,
dent, à la Légion. 12 navires de 26745 tonnes.
Le chantier Germania (maison Krupp) a occupé en
en moyenne 2000 travailleurs. A la fin de l'année, il
L'INDUSTRIE NAVALE se trouvait muni des commandes suivantes deux
EN ALLEMAGNE cuirassés et deux petits croiseurs pour la marine im-
périale allemande; le cuirassé Ashold pour la Russie.
Un rapport consulaire donne d'intéressants rensei-
guements suivants sur le développement des construc-
tions navales en Allemagne.
Le personnel occupé par les entreprises de con- LES LACS DE FRANCE
s-tructions navales sur le littoral allemand est évalué à Leur Profondeur, leur Superficie.
35,000 ouvriers dont la plus grande partie sur les côtes
de la mer Baltique, les chantiers de la mer du Nord Le lac Léman a 310 mètres de profondeur maxima
étant moins nombreux, quoique quelques-uns de et une superficie de 58 hectares 236. Lac du Bourget,
sérieuse importance. 145 mètres, k hectares 462. Lac Bleu des. Hautes-
En bâtiments de guerre, les chantiers de la côte Pyrénées, 115 mètres,' 49 hectares. Lac d'Issarlès
Baltique avaient, sur leurs cales, en 1899,18 navires (Ardèche), !O8 mètres, 92 hectares. Lac de la Girotte
destinés à la flotte allemande et 16 commandés par (Savoie), 99 mètres, 56 hectares.
des gouvernements étrangers. Les établissements de Lac Pavin (Puy-de-Dôme), 92 mètres, 44 hectares.
la meedu Nord n'avaient en construction, dans la Lac d'Annecy, 81 mètres, 2 Î04 hectares. Lac d'Aigue-
même année, que 4 navires de gnerre allemands; belette (Savoie), 71 mètres, 545 hectares. Lac de Co-
aucune commande de navires de guerre pour compte tepen (Isère), 70 mètres, 30 hectares. Lac d'Oo (Haute-
étranger ne leur avait été faite. Dans un avenir pro- Garonne), 67 mètres, 30 hectares.
chain, les chantiers allemands compteront un total Lac de Tazanat (Puy-de-Dôme), 6Î mètres, 34 hec-
de 21;2 cales de construction, dont 21 sur la côte Bal- tares. Lac Chauvet (Puy-de-Dôme),63 mètres, 53 hec-
tique et une dizaine sur la mer du Nord, présentant
des longueurs de plus de 150 mètres. Le développ~-
ment de la flotte impériale a contribué sans doute à
l'essor des constructions navales en Allemagne, mais
hectares.
tares. Lac de la Godivelle-d'en-Haut (Puy-de-Dôme),
44: mètres, 14 hectares. Lac de Nantua (Ain), 43 mè-
tres, 141
Lac de Saint-Point (Doubs), 40 mètres, 398 hecta-
res. Lac de Laffrey (Isère), 39 mètres, i26 hectares. La couleur bleuté de certains de ces timbres tient
Lac de Narlay (Jura), 39 mètres, 41 hectares. Lac à la décomposition de la gomme qui agit chimique-
Crozet, dans le massif de Belledonne (Isère), 36 më.7 ment sur les couleurs de l'impression. Ces timbres
tres, il hectares. sur azuré ont plutôt moins de valeur que les autres,
Lac de Gérardmer (Vosges), 36 mètres, 122 hecta- mais se classent tout de même dans les collections.
res. Lac de Chalain (Jura), 34 mètres, 231 hectares. FILIGRANE.
Lac des Brenets (Doubs), 31 mètres, 58 hectares. Lac
de la Motte (Jura), 30 mètres, 72 hectares. Lac de PRIMES TIMBROLOGIQUESDU 1" JUILLET
Longemer (Vosges), 30 mètres, 70 hectares. Ce,ylan 1899. 3 c. vert. 0 fr. 15. 4 c. jaune. 0 fr. 15.
La température superficielle de la plupart de ces 15 c. bleu. 0 fr. 45. 12 c. olive
et carmin. 0 fr. 40.
lacs est affectée par lessaisons; mais certains petits 75 c. noir et brun. fr. 80 5 fr. 25. 2 roupies 25 c.
1
lacs de montagnes sont du type polaire; leur t6mpé- 5 fr. 75. Une bonne occasion nous a permis de nous pro-
curer ces timbres qui ne sont pas conxmuns sur le march
rature superficielle ne s'élève jamais à 4°; on les voit et seront bientdt rares. 1 roupie 50 c.
geler même en été. États-Malais
paraître.
c. noir et rouge. N. 0 fr. 25. I'ient de
bfaroc-Bureauxanglais 1898. 5 c. vert. 0 fr. 15. 10 c.
carmin. 0 fr. 20. -20 c, olive. 0 fr. 40. 2~ c. bleu. 0 fr. 45.
PETIT COURRIER TIMBROLOGIQUE 40 c. rouge brun. 0 fr. 65.
Gibrallar 1896. 20 c. olive. 0 fr. 30. 1 peseta bistre
et bleu. 1 fr. 75. 2 pesetas. noir et carmin. 3 fr. 40.
Colombie 1875. 5 c. lilas obl. 0 fr. 20. 10 c. brun obI.
Les Timbres anglais. 0 fr. 15,
C'est en 1840, le 6 mai, que furent mis en circula- Afrique orientale allenxande 1896. 2 pesa sur 3 pf. brun.
N 0 fr. 15.
tion les premiers timbres poste anglais. Cette émis-
sion se composait de deux timbres du même type. Le En dehors de nos primes nous pouvons faciliter à~ nos
premier était imprimé en noir sur blanc et valait un lecteurs leurs achats de timbres aux mêmes conditions
que nos primes. Pour tous les renseignements timbrolo-
penny; le second, bleu foncé sur blanc, valait deux giques et les demandes de timbres, on est prié de s'a-
pence. L'effigie de la Reine est tournée à gauche. Les dresser à Filigrane, aubureau du Magasin Pittoresque.
deux coins du haut contiennent des rosaces, ceux du FIL.
bas des lettres de contrôle servant à désigner la place aG9
du timbre sur la feuille. La première rangée avait les
lettres AA, AB, AC, etc. la seconde rangée, les let- LES LIVRES
tres BA, BB, BC, etc. la troisième, CA, CB, CC, etc.
Le type ci-contre, par exemple, est le 7' timbre de la
7° rangée. Ces timbres qui n'étaient pas dentelés
étaient imprimés sur du papier à filigrane. Le Journal de Gouverneur Morris, ministre
Les filigranes, qui jouent un grand rôle dans le plénipotentiaire des États-Unis en France de
classement des timbres anglais, sont des marques de 1792 à 1794, que publie la maison Plo~z-Nourrit,est
contrôle réservées dans la pâte même du papier et une œuvre très intéressante qui nous donne bien des
destinées à empêcher la confection des faux. Je vais détails ignorés sur la Révolution. « Quatre observa-
indiquer une fois pour toutes la manière de les recon- teurs, écrivait Taine, ont, dès le début, compris le
naître. Ils sont souvent fort peu visiblespar,transpa- caractère et la portée de la Révolution française
toujours regarder le timbre Rivaroi, Malouet, Gouverneur Morris et Mallet du
rence
à l'envers, et pour les apercevoir Pau. » Quand Gouverneur Morris arriva en France
avec sûreté le mieux est de les en i789, il avait déjà dans son pays une situation en
poser à plat sur un carton noir ou vue. Conseiller redouté de Washington, il a été le'
dans un godet à fond noir et de véritable père de la Constitution américaine. Chargé
les mouiller légèrement de ben- d'une mission semi-officielle, il se lie avec La Fayette,
zine. Humecté le filigrane doit ap- Talleyrand sur lesquels il raconte d'amusantes anec-
paraître en foncé sur le verso du dotes. Ministre plénipotentiairedes États-Unis auprès
timbre. Le benzine a l'avantage de sécher instanta- du Gouvernement français, au commencement de
nément et de permettre le collage immédiat des tim- 1792, il fut le seul membre du corps diplomatique
bres dans l'album. qui ne quitta pas la France après le 10 août il ne
Pour les deux premiers timbres anglais le filigrane fut remplacé qu'en 1791 par le célèbre Monroe. En
,représente une petite couronne (Voir ci-contre). pleine Terreur il s'établit à Seine-Port, près Melun, et
En mars 1841 la couleur noire du t penny fut sa maison devient un asile pour de .nombreux pros-
changée en rouge brique. En même temps le 2 pence crits. On comprend facilement qu'un témoin étran-
fut modifié; on ajouta sur la planche un trait blanc ger, qui assiste aux graves événements qui se dérou-
sous le mot postage et un trait blanc sur two pence et lent, soit aussi précieux qu'important pour l'histoire
il fut tiré en bleu clair au lieu de bleu foncé. de la Révolution. Sa déposition, je veux dire son jour-
Ces ancêtres de tous les timbres nal mérite d'être signalé.
connus, les premiers en cours des
milliards de vignettes postales répan- ¥.
dues aujourd'hui sur toute la terre, Jesuis certain que le nouveau roman de notre
ne sont ni rares ni chers. Le 1 penny excellent confrère, M. Charles FOLEY, Les Colonnes
noir vaut 0 fr. 60; le 2 pence bleu infernales (Juven), trouvera le même succès, en vo-
foncé 2 fr. 50. Le 1 penny rouge lume, qu'il a eu en feuilleton dans l'Écho de Paris.
brun 0 fr. 05; le 2 pence bleu clair 0 f~. 25. C'est un récit vivant, coloré, dramatique de la guerre
vendéenne. Certes l'imagination y a sa part, mais ar1
sent que l'auteur connaît parfaitement cette période
et qu'il a lu les documents qui s'y ratachéDt et en a Les Marionnettes de la Vie, par G. COURTELINE.
su tirer un parti et un profit que je me plais à louer. La bouffonnerie profonde et subtile de Courteline
en a fait le premier des auteurs gais. Mais il n'y a pas
que ses livres d'excellents il possède encore tous les
Les Portraits intimes (Se série) de M. Adolphe dons de l'homme de théàtre, et ses petites pièces sont
BR1SSON, viennent de paraître à la librairie Armand la fortune des scènes où elles sont représentées. Pen-
Colin. Rien de plus varié, de plus attrayant que la ga- dant des mois, elles soulèvent les rires de salles
lerie de M. Adolphe Brisson. Vous y voyez, à côté de pleines. A la différence de tant d'oeuvres de théâtre,
elles « résistent à la lecture}); leur charme ne dispa-
« puissants dieux », des poet~x minores, des écrivains,
des chanteurs, des « actualités fulgurantes: l'inven- rait pas.
teur du point d'ironie et le président Krüger. Ils sont Le volume délicieux qu'il publie chez Fammarion
présentés avec cet agrément et cette habileté de main et auquel il donne le titre de Les Marionnettes
qui assurent à M. Brisson le suffrage des lettrés et la de la Vie, permettra d'en juger. Il contient Lidoire
clientèle, toujours plus nombreuse, du public qui lit Boubou~·oche bfonsieur Badin La peu?, des coups
Les Boulingrin Théodore cherche des allumettes
pour s'instruire en se récréant. L~ra Client sé~·ieux Hortense, couche-toi = Le droit
Si nous n'avions pas déjà appris quelles difficultés
les volontaires étrangers ont rencontréesau Transvaal, aux étrennes Le gendarme est sans pitié Le Com-
missaireest bon enfant-et ce merveilleuxA7~ticle330,
pour la cause duquel ils offraient généreusement leur si étonnamment savoureux, d'une langue.si alerte et
vie, il nous suffirait de lire les Souvenirs de la
si sûre 1
guerre du Transvaal que M. LECOY DE LA MARCHE Les illustrations en
publie à la librairie Colin. M. Lecoy de la Marche a pris noir et en couleurs, de Barrère,
part à cette guerre et n'a pas eu longtemps à com- augmentent l'attrait de ce livre.
battre, mais dès son arrivée à Prétoria il s'est trouvé Joserx GALTIER.
en butte à une indifférence, à une méfiance même
qui n'ont cependant pas refroidi ni tempéré son zèle.
Son livre est plein d'intérêt et d'enseignements. LA IWODE PITTORESQUE
Aux amateurs de littérature russe, Je recommande
la traduction, éditée chez Calmann Lévy, d'un roman
de Maxime GORKI, Thomas Gordèlefr. C'est une étude Bien que rétrospectif, nous ne voulons pas négliger de
très attentive d'un milieu de marchands de petite dire un mot du Grand Prix qui a clôturé comme une
ville, un peu monotone peut-être, mais où se détache, splendide apothéose la saison mondaine; c'est une expo-
d'un vigoureux relief, le caractère sauvage de Thomas sition collective et hors concours qui captive les regards
des coquettes, car l'habileté des grandes maisons de cou-
Gordeieff. ture affirme avec autorité la supériorité des modes fran-
çaises. Dans le monde entier, on attend donc le récit de
i' cette grande fête officielle et particulièrement élégante
Deux ouvrages parus à la librairie Gauthier-Vil- qui donne toujours lieu à une lutte courtoise entre les
lars Le système métrique, et l'Essai sur les fon- couturières en renom et les plus habiles modistes.
dements de la Géométrie, s'adressent particulière- Nous avons donc vu de très jolis modèles de toilette,
ment à ceux de nos lecteurs qui ne se désintéressent entre autres la baronne M. dont la sveltesse pouvait
supporter la jupe de mousseline de l'Inde entiêrement
pas des questions de science pure. plissée avec entre-deux de Chantilly noir. Dans le bas de
Je suis en retard avec MM. Aimé GIRON et Albert la jupe, et en haut sur les hanches, incrustations de Chan-
Tozza dont l'ouvrage Un soir des Saturnales, nous tilly le corsage très ajusté de dos, un peu flou sur la
poitrine, s'ouvre par des revers en pointes jusqu'àla taille
présente en deux tableaux, l'atrium de Perse et la mort
sur un plissé de mousseline de soie unie, tandis que le
de Pétrone. Les vers en sont souvent charmants. Par col et la ceinture sont en « liberty vert cigale. Délicieux
chapeau bergère de crin noir avec énorme's roses blan-
ces temps de Quo Vadis, on y trouvera un Pétrone
différent de celui de Sienkiewicz et, à mon sens, plus ches, feuillage et nuage de tulle noir ombrageant la déli-
vrai, plus conforme à l'idée qu'on se fait de l'auteur cate beauté blonde qui ne se sert que de lapoudre invisible
quoique adhérente de la Par fumerie Ninon, 31, rue du
du Satyricon. Quatre-Segitembre. Ce duvet de Ninon existe. en quatre
nuances blanche, rosée, naturelle et bise. Le triomphe
des tissus légers va s'affirmer, car les linons, les batistes
Sigalons, parmi les volumes de vers récemment de fil, les mousselines, toiles de soie, etc., etc., sont à
l'ordre du jour unies ou brodées, garnies de dentelles ou
parus, les Femmes de Shakespeare, que le délicat poète de velours étroit, presque toujours blanches ou crêmes
Théodore MAURER édite en la « Maison des Poètes »; ce qui est infiniment plus pratique. On oublie vite ces
Jeune Amour, de Victor BILLAUE; le Jardin secret, nuances douces dont on peut varier les ornements, une
d'Henri ROUGER, et surtout Paysages, d'André DUMAS, femme adroite est si ingénieuse à remplacer cols, cein-
tures, noeuds et parements, de façon à changer l'aspect
un des meilleurs poètes de ce temps (Alph. Lemerre, d'une toilette en lui donnant un charme nouveau. A
éditeur). moins qu'on ait une physionomie très jeune, les cheveux
gris vieillissent, c'est un fait indiscutable, aussi doit-on
en retarder l'apparition désastreuse en soignant la cheve-
Enfin, de Louis LUGUEs, chez Stock, le Chaos, le lure par l'Extrait capillaire qui en empêche la décolora-
deuxième volume de la Tétralogie Un jeune homme tion, et en arrête la chute. On se le procure chez M. E.
dans la Société; ainsi que les très curieux ouvrages Senei, administrateur des Bénédictins du Mont-Majella,
35, rue du Quatre-Septembre, 6 francs le flacon; franco
de deux de nos collaborateurs le Collier de la Reine, contre mandat-poste de 6 fr. 85.
par Frantz FUNK-BRENTANO (Hachette et Cie), et Napo- LIBELLULE.
léon jugé par un Anglais, du Dr CABANÈS (librairie
Vivien). ~9
Lorsque vous av ez le teint échauffé par.une course', par
RECETTIES ET CO]~1SHIItS la danse, lavez-vous avec de l'eau chaude et bientôt.vous
ressentirez un] grand bien-être. L'eau froide rafraîchit sur
le moment, mais cet effet n'a aucune durée. De même un
bain de pieds chapd ,délasse beaucoup après une longue
CONTRE LA COQUELUCHE marche. Le principe est le même quant aux boissons. Du
Le SIROP DERBECQà la Grindelia Robusta, expérimenté thé ou tel autre liquide chaud désaltère et rafraîchit plus
dans les hôpitaux de Paris, a donné les résultats les plus sûrement qu'une boisson fraîche ou même, glacée; elle
favorables. De plus, le SIROP DERBECQ ne renfermant aucun est aussi plus hygiénique.
toxique peut être administré sans crainte aux plus jeunes
enfants auxquels il procure un soulagement immédiat en
arrêtànt les vomissements et en diminuant le nombre et
la durée des quintes. Ce Sirop se vend à raison de 4 fr.
le flacon ou 7 fr. les deux. La grippe et les toux nerveuses
sont également guéries par le même SIROP DERBLRCQ.
iF
ERNEST BEAUGUITTE.
15 JUILLET 1901. li
L3ARMÉE SUISSE
Nous vivons à une époque où le service mili- sont de quarante-cinq jours pour la majorité des
taire obligatoire à long terme commence à être troupes, l'infanterie de quatre-vingts jours pour
considéré c'est là un fait indiscutable la-cavalerie, etc. C'est ce qu'.on appelle les Écoles
comme un état de choses peu compatible avec de Recrues en outre, pendant" la durée de leur
les ,exigences de la civilisation. service, c'est-à-dire de vingt à quarante-quatre
Il est d'autant plus battu en brèche aujourd'hui ans révolus, les soldats assistent à des .'cours de
que communistes, philanthropes et économistes répétition dont la fréquence et la durée depen-
s'accordent à voir en lui un adversaire irréconci- dent de l'arme, et aussi de la catégorie à laquelle,-
liable de leurs doctrines respectives et le siècle d'après son âge, appartient l'iritérèssé: élite,
dans lequel nous venons d'entrer promet de voir landwehr, landsturm.' Quant aux cadres, ctfi-
se généraliser rapidement l'étude des sciences ciérs, sous-officiers, comptables, ils sont forniés
sociales et humanitaires. Sans escompter par dans des Ecoles spéciales.
trop l'avenir, et sans se bercer d'espoirs qui, Telle est, à très larges traits, l'organisation'de
pour le moment, sont encore chimériques la cette armée de milices. Quels sont maintenant
paix universelle et le désarmement complet les résultats obtenus?
force nous est de tenir compte de la marche des Lorsqu'on voit les évolutionc exécutées par
idées le temps est venu de chercher un modus des recrues suisses d'infanterie, par exemple,
vivendi qui par ,un compromis aussi peu boUeux au bout de huit ou dix jours de présence à l'école,
que possible donne satisfaction à tous les inté- on n'est pas peu étonné de constater chez ces
rêts. Il va sans dire que c'est là un problème jeunes gens une aisance de mouvements, un en-
ardu car les « militaristes », comme le parti trainement qu'on reéherchérait en vain parmi les
adverse, ont dans leurs rangs nombre d'intransi- soldats de six mois des grandes armées perma-
sigeants absolument contraires aux demi-me- nentes. Aux manœuvres d'automne, on ne remar
sures. que pas sensiblement plus d'hésitation, d'erreurs,
Et malheureusement ce ne sont encore que de maladresse qu'en France, en Allemagne ouen
dès demi-mesures qui puissent souffrir la dis- Italie. Il est de fait que certains officiers français
cussion qui ont eu l'occasion d'approcher l'armée t~el~,é-
En France, chacun le sait, il se fait actuelle- tique et de l'étudier de près, ont été pris pour les
ment une vigoureuse campagne en vue de la institutions militaires de ce pays. d'un vérita:ble
réduction du service à deux années ou même à enthousiasme.
un an. Mais nous devons ajouter que dans l'opi- Faudrait-il en conclure que les Suisses ont
nion dés gens du métier, partisans de réformes, résolu le problème tant cherché ? Ce serait témé-
il y en a plus qu'on ne croit une telle pro- raire, parce que, d'abord, la guerre seule pe-nhet
pôsition ne saurait être mise à t'étude qu'avec le de juger la valeur des procédés qui ont servi à la
correctif d'un noyau de rengagés, professionnels préparer et la Confédération, heureusement
autour desquels viendrait se ranger la masse des pour elle, n'a eu aucune lutte à soutenir contre
recrues. l'étranger depuis plus d'un siècle. Tout est
borné, pendant ces cent ans, à des mises sur
pied absolument insuffisantes pour faire appré-
Quelque considérable que soit la concession cier d'une facon complète, dans le domaine pra-
faite par cette solution aux tendances du jour, tique, ses institutions défensives.
elle ne paraît nullement satisfaisante à un groupe D'autre part, la Suisse n'est pas un pays comme
important de politiciens que séduit l'idée, si sim- les autres! L'histoire nous enseigne que les en-
ple et si logique à première vue, de milices na- fants de l'Helvétie ont de tout temps fait preuve
tionales. de véritables qualités militaires dans les luttes
Naturellement le type qu'ils présentent est sans nombre qu'ils ont eues à soutenir pour dé-
l'Armée suisse; et l'on a, depuis ces derniers fendre leur petite patrie contre la rapacité de
mois, fait allusion, sous tant de rapports, à cette puissants voisins elle nous montre aussi
dernière, qu'il nous a semblé intéressant d'y qu'ayant, par des combats continuels, pris goût
consacrer ici quelques mots. aux choses guerrières, ce peuple, depuis le mi-
lieu du xme siècle jusqu'à une -époque toute ré-
cente, n'a jamais cessé de fournir des auxiliaires
En Suisse, le service militaire est obligatoire, aux armées des autres nations. La France, l'Au=
mais à terme extrêmement réduit. Il n'existe pas triche, l'Espagne, la Sardaigne, la Hollande, Na-
d'armée permanente, et les hommes sont sim- ples, Venise, le Saint-Siège, la Savoie, le Pié-
plement appelés à des périodes d'instruction qui mont, la Suède, l'Angleterre, Pisé, Ferrare,
Mantoue, la Saxe, les ducs de Lucques, la Grèce, lande; et ce sont elles quimaintenantalimentent t
la Corse même ont voulu avoir le concours de les -cadres de l'armée nationale et donnent à
celte merveilleuse infanterie suisse qui s'était celle-ci des officiers qui descendent d'une longue
révélée à l'Europe dès la bataille de Laupen, mais lignée de brillants soldats. :Même aujourd'hui
avait acquis surtout sa renommée dans les guer- que le régime des « capitulations avec l'étran-
res contre Charles le Téméraire, à Grandson et à ,ger a été aboli, un assez grand nombre de jeunes.
niorat. suisses tiennent à s'engager dans les années per-
Très souvent la Suisse avait, au même mo- manentes et y reçoivent une instruction tech-
ment, des régiments sous les drapeaux de cinq nique qu'ils mettraient, le cas échéant, au ser-
ou six contrées différentes et les contingents vice de leurpatrie. En -1861, lors de la guerre de
s'élevèrent tellement à une certaine époque qu'ils Sécession aux États-Unis, il ne se trouvait pas
embrassèrent la presgice totalité de la population moins de quatre mille d'entre eux avec le Nord
mâle susceptible de porter les armes. Soit dit en et autant avec le Sud! La légion étrangère, en
passant, cet état de choses engendra parfois des France, renferme toujours une forte proportion
difficultés étranges et des conflits regrettables, de ces hommes; àplusieurs reprises ilsontseuls
car des corps helvétiques, des hommes d'un avec les Alsaciens-Lorrains fourni des recrues à
même canton se trouvèrent en présence, les ar- ce régiment.
mes à la main, sur plusieurs champs de bataille On peut en résumé affirmer à bon droit que la
Mais ceci, pas plus que la question de savoir Suisse, toute pacifique que soit sa politique, est
si ces services mercenaires eurent une fâcheuse sans doute un des pays les plus belliqueux du
influence sur la morale des montagnards, n'a monde. Le patriotisme y est ardent, pur encore
aucun rapport avec le point de vue auquel nous de toute contamination anarchiste; et l'on a vu
nous sommes placés, Constatons seulement que durant les mobilisations nécessitées par les dé-
la pratique de la guerre qu'acquit ainsi la jeu- mêlés avec la France et la Prusse, en 153s et
nesse dans des générations successives finit par 1856, comme pendant la guerre civile du Son-
développer au plus haut degré l'esprit militaire derbund en 1847, avec quelle rapidité et quel zèle
de la nation. C'était devenu une tradition dans les soldats citoyens répondaient à l'appel, et
certaines familles patriciennes de fournir des quels sacrifices ils étaient capables de faire pour
-colonels et des généraux à la France ou à la Hol- la défense commune. 1
Il faut ajouter que le tir c'est là encore une Cette dernière, dans la confédération, a été
affaire de tradition est plus en honneur en aussi simplifiée que faire se peut. Les soldats-
Suisse que partout ailleurs et que dès lors les citoyens ont à leur domicile tout-leur. habille-
dispositions légales obligeant les habitants mâles ment et leur équipement; il ne reste plus à leur
à participer à un nombre donné de ces exercices distribuer au moment du rassemblement que les
chaque année, en dehors.des périodes d'instruc- munitions et les vivres. Ils arrivent donc, en
tion, sont d'une application extrêmementaisée. somme, prêts à marcher aux divers points de con-
En dernier lieu la majorité des recrues appar- centration qui sont assignés aux contingents res-
tiennent à une population rurale élevée à la dure, pectifs. Quant aux moyens de faire connaître l'or-
accoutumée à des travaux, à des dépenses de dre de mobilisation. ils sontmultipleset tous très
force autrement pénibles que ceux, si rudes efficaces, ainsi que l'a prouvé l'expérience; on
qu'ils soient, de la vie militaire. Il nous a été emploie, selon le cas, la voie d'affiches, celle de
souv ent donné de remarquer que des jeunes gens la presse, les messages tèlégraphiques, le tam::
de l'Oberland, de l'Engadine, du Valais, se trou- bour, le tocsin.
vent, au régiment, dans des conditions maté- La question de la cavalerie était plus difficile..
rielles de nourriture, logement, etc., si supé- Cette arme a toujours été le côté faible de la
rieures à celles qui étaient leur lot dans la Suisse,' et cela pour deux raisons. D'abord les
montagne, que, tout en fournissant une somme puissances seules qui entretiennent des troupes
d'efiorts plus considérable que les soldats des permanentes sont susceptibles d'avoir constam-
autres pays, ils retournent dans leurs foyers en- ment à leur disposition une cavalerie bien en-
graissés et dispos. traînée en outre, la Suisse est un pays dont la
Ces divers facteurs étaientde nature à faciliter configuration se prête assez peu à l'élevage des
singulièrement la tâche des organisateurs de chevaux et au développement du goût de l'équi-
l'armée fédérale. tation. II n'est même pas possible de trouver sur
Étant donné qu'on avait entre les mains des place assez de bêtes de selles pour les huit régi-
éléments de qualité supérieure, il ne fallait plus ments de dragons et les douze compagnies de
que de l'esprit de méthode et ce bon sens suisse guides de l'armée fédérale. Afin d'assurer le re-
si connu pour arriver à produire des résultats crutement de cette branche du service, le gou-
qu'il serait impossible d'obtenir ailleurs. vernement fait appel aux recrues des districts
Afin. de donner aux hommes, pendant leur agricoles et aux jeunes citadins, reconnus les
bref passage à l'école de recrues et aux cours de uns et les autres capables d'entretenir et de soi-
répétition, les connaissances militaires indis- gnér un cheval. Il est loisible aux dites recrues
pensables, on a commencé par simplifier les d'amener aurégiment leurpropre monture, pour
règlements de manoeuvre, par supprimer tout laquelle elles reçoivent une indemnité. Le plus
ce qui avait été créé pour la parade. et la ga- souvent, l'État leur fournit un cheval, acheté ¡1;é-
lerie. Avec infiniment de raison, les autorités néralement en Allemagne, et dressé dans un
.fédérales sont parties, ensuite, de ce principe. dépôt de remonte. A la fin de son école, le cava-
que la lenteur de l'instruction des recrues dans lier emmène dans ses foyers sa monture qui, au
les grandes puissances provient, pour une forte bout de dix années, devient sa propriété. L'animal
part, de ce que l'homme, fatigué par là mono- peut être employé, bien entendu, à tous les tra-
tonie des manoeuvres, n'apporte plus à celles-ci vaux des champs ou de la ville qui ne sont pas.
qu'une médiocre attention. En Suisse; dès le de nature à le rendre impropre au service de
début, les exercices sont tellement variés que l'-arme.
toute fatigue mentale est impossible.
Il saute aux. yeux que le service en campagne Les armées qui, en vertu de leur organisatioll
étant le but suprême de l'instruction militaire, générale ou de leur faiblesse numérique, se
on devait consacrer aux travaux à l'extérieur le trouvent dans une position d'infériorité notoire,
plus clair du temps passé en service actif. C'est cherchent d'ordinaire une compensation dans-
pourquoi au lieu de laisser les hommes se mor- le perfectionnement de leur artillerie.
fondre, comme en France, par exemple, dans Il en est ainsi au Canada, dont l'infanterie de
des cours de caserne ou des champs de Mars milices est médiocre; d'autre part, dans les-
sans horizon, sans imprévu, on les lance sur la deux anciennes républiques sud~africaineli>'
grand'route, dans les champs, à travers les bois, comme dans les colonies australiennes de l'An-
aussitôt qu'il sont capables, pour ainsi dire, de gleterre, on voit, à côté de volontaires. miliciens,
discerner militairement leur droite de leur des corps permanents ou régnliers d'artilleurs.
gauche. En vertu du même principe, les appels En Suisse, cette arme a toujours joué un rôle-
se terminent invariablement par une marche de important. Genève, dès la fin du xvil, siècle, avait.
quelques jours. 'déjà de si bons maîtres de l'artillerie qu'Henri IV
Les deux gros écueils, dans les armées de demanda à les emprunter pour les employer au.
milices, sont l'organisation des troupes à cheval siège de Troyes.
et celle de la mobilisation. Il est digne de remarquer que ce pays de mi-,
lices fut plusieurs fois, sous ce rapport, en dité du tir; l'opérateur est assis sur une sellette
avance sur de grandes puissances militaires. En fixée au montant principal de l'affût.
~1650, c'est la poudre des ingénieurs bernois qui Sur la figure 1, nous voyons la pièce et son
passe pour la meilleure de l'Europe elle est caisson en mouvement. Comme on peut s'en
recherchée par les canonniers de France et rendre compte, l'ensemble est fort léger, et il ne
d'Italie. En 1823, sous l'impulsion du âénéral de faut pas s'étonner si les mitrailleurs, avec leur
Luternau, la confédérationadopte pour ses pièces matériel, gravissent les pentes les plus raides et
de campagne un affût que la France ne possédera franchissent à grande vitesse liaies et fossés.
que six ou sept ans plus tard. Puis, pendant L'équipage de la compagnie se complète par
l'année terrible, lorsque l'armée de l'Est entre en quatre fourgons à munitions, une forge et une
Suisse, avec ses canons ancien modèle qui ont voiture de vivres et bagages avec cuisine rou-
fait le désespoir des généraux en face de l'artil- lante ce dernier véhicule encore particulier à
lerie prussienne, elle voit les batteries suisses l'armée suisse.
équipées avec des pièces nouvelles, se chargeant
par la culasse. Cet exposé rapide, et nécessairement très
Aujourd'hui, enfin, le département militaire incomplet, de l'organisation militaire de la con-
fédéral a encore innové, par la création des mi- fédération helvétique donne une idée des diffi-
trailleac~·s à cheval. Précisement parce que sa cultés qu'avait à vaincre la Suisse pour arriver à
cavalerie est faible, il a songé à la renforcer par concilier les exigences de sa constitution démo-
l'appoint d'un élément puissant par ses feux et cratique avec celles d'une neutralité qu'il faut
d'une mobilité extrême, préserver contre les agissements possibles de
La compagnie de mitrailleurs se compose de voisins puissamment armés,
quatre officiers et 60 sous-officiers et soldats, A diverses occasions, l'attitude énergique de
tous montés. Elle sert huit mitrailleuses, ou ce pays a suffi pour le faire respecter c'est un
fusils sur affût, qui sont démontables et qu'on résultat dont on peut à juste titre être fier. Et
transporte en route sur des chevaux de bât. nous souhaitons encore une fois, de tout notre
C'est cette nouvelle arme que représentent nos coeur, que la Suisse n'ait jamais à mettre à l'essai,
gravures. La figure montre une des pièces en par la cruelle expérience des champs de bataille,
action. Elle fait ressortir la grande simplicité du son système défensif actuel1
mécanisme et de la manoeuvre, ainsi que la rapi- GEORGES-l'~1ESTLER TR[COCHE.'
LE MONUMENT DU ROI EMMANUEL II
Une loi du Parlement italien fut votée en 1878, Lemonument est en voie de construction il
peu de temps après la mort de Victor-Emma- sera sur la colline du Capitole.
nuel Il, survenue le 9 janvier, à l'effet d'élever à Les difficultés ont été nombreuses et les dé-
Rome un monument au roi nommé avec raison penses seront très grandes.
le Père de la Patrie. Mais le monument sera magnifique on peut
Après plusieurs concours, le prix fut décerné déjà en juger par les parties terminées.
à l'architecte G. Sacconi la 4tatue équestre du Il sera digne de la Rome impériale, et tel que
i6i sera l'œuvre du sculpteur E. Chiaradia. notre imagination nous montre les édifices de
Nous reproduisons le projet définitivement l'antique Rocca capitolina.
adopté. GERSPACH.
Les rivières n'y coulent jamais.. ciel ouvert, Trafis. Mais il n'occupe, lui, que la partie sep-
néanmoins le passage souterrain des.eaux en tentrionale de ces oasis sahariennes connues
hiver fournit à leur lit une humidité suffisante sous la dénomination générale, d'ailleurs im-
pour permettre à la végétation aaharienue de se propre, de Touat. Les eaux de sa sebka trouvent
développer, Aujourd'hui des puits creûsés de. à l'Ouest une issue commune, toujours souter-
distance en distance y jalonnent les sentiers des. raine, dans un fleuve dont il a été beaucoup parlé
caravanes'. Ils donnent, à des profandeûrs qui cestemps dernif',I's, l'oued Messaoura, ou Saoura,
varient entre 3 et 30 mètres, une eau générale,- qui, formé à Igli de deux rivières, l'une entière-
ment excellente. Seulement, pour' éviter qu'ils ment marocaine, l'oued 'Guir, l'autre oranaise en
ne soient comblés par les ouragans de sable, grande partie, l'oued Zousfana, se dirige droit
il faut, chaque fois qu'on s'en est servi, les re- vers le Sud et va se perdre dans le grand Sahara.
couvrir de dalles que l'on cimente avec la boue Des points d'eau fertiles enjalonnent le parcours
glaiseuse formée au fond des réservoirs où l'on jusqu'à hauteur du Gourara. Par la suite, après
a fait boire les chameaux. s'être enrichi des eaux de la Sebka, il donne
Autrefois, d'après les vieilles. légendes saha- naissance à un second groupement d'oasis éche-
ri,ennes, ces rivières coulaient au grand jou! lonnées sur sa rive gauche; c'est le Touat pro-
répandant.partout la fertilité. Sans doute furent- prement dit.
elles obstruées peu à peu par les sables, les cail- Enfin, à l'est du Touat, s'élèvent les villages
loux et les alluvions entraînés. d'une troisième région, le Tidikelt.
Au sortir de l'Erg elles réunissent toutes Dans toutes ces contrées 1'eau, généralement
leurs eaux dans un déversoir immense, la Sebka prés du sol, est fort abondante. Les indigènes la
Les Arabes compa-
font circuler dans les jardins après l'avoir ame-
(1) Erg, (au pluriel areg), veine.
raient donc les dunes à des successions de veines, née à la surface au moyen de puits à bascule ou
à levier qui, sont à proprement parler, des pom- cun une certaine quantité de districts, formés
pes primitives. Dans les oasis en pente, ils se eux-mêmes d'un nombre variablè de ksour.
servent aussi, pour l'irrigation, d'un système fort La population fixe, qu'on évalue approximati-
ingénieux, la « foggara » (1). Ils creusent dans vement à 200000 âmes, se compose d'Arabes, de
Zenata ou Berbères refoulés
par les Arabes, de Harratin
(sang-mêlés arabe et nègre),
enfin de Nègres; Ces diverses
races se divisent en deux sots
ou partis politiques les Iham-
med et les Soffian; quelque
chose comme les Guelfes et
les Gibelins de notre Moyen-
Age, et dont l'origine remonte
à l'invasion arabe Hilalienne.
La population flottante com-
prend en majeure partie, et
surtout dans le Tidilceldt, des
Touareg, principalement ceux
de la confédération des Ahag-
jar ou Hoggar.
III. MOTIFS D'ANNEXION.
Le mois dernier, la Presse a daigné s'occuper fouilles sur ce point, et avaient eu pour résultat.
des collections que j'ai recueillies cet hiver à le dégagement d'un temple remontant au règne
Antinoë l'attention du public s'est un instant de Ramsès 11, le désastre des Grecs, ce qui
fixée sur elles, grâce aux. appréciations aimables nous reportait déjà à plus de 1600 ans avant la
qui leur étaient accordées. Maintenant que le fondation de la cité Hadrienne. J'ai étudié alors,
silence s'est fait, je ne suis plus tenu à la réserve en détails, ce monument dans les Annales du
qui m'était alors imposée, et vais essayer de ra- Musée Gui~net; tout ce que je rappellerai ici est
conter, d'abord comment se sont effectués les que l'une des divinités qui y étaient adorées
travaux, qui ont eu pour résultats la découverte portait le titre de régente d'Héliopolis, ce qui en
des sépultures de Thaïs et de l'anachorète Séra- langue égyptienne, se disait Hentinoûane; et que
pion, puis ce qu'il reste à trouver à Antinoë. j'émettais l'idée, qu'elle avait, par rébus, été
L'Antinoë d'Hadrien est située, je l'ai dit déjà, choisie comme protectrice d'Antinoüs déifié.
au coeur de la Moyenne-Égypte, à 320 kilomètres Mais la nécropole demeurait toujours introu-
au-dessus du Caire. Bàtie sur la rive droite du vable. L'an passé, enfin, j'en découvris un quar-
Nil, elle était entourée sur ses trois autres tier, à quelques kilomètres, au Nord de la ville,
côtés par le désert. Ce désert s'étend en amont étagé aux flancs de la montagne; et cette fois, les
et en aval, sur une assez grande étendue, dé- inscriptions des sarcophages nous reportaient
ployant le linceul de ses sables, jusqu'aux pieds mille années encore plus haut dans l'histoire, à
des montagnes arabiques, dont la ligne ondoie, l'an 500 avant notre ère; 4500 à compter d'au-
parallèlement au fleuve, à des distances variant jourd'hui.
de 2 à 4 kilomètres de ses bords. Un premier sarcophage a été exposé au Musée
Des contre-forts, tantôt à pic, tantôt s'abais- l'hiver dernier, celui du conseiller Mer-Neth il
sant en croupes molles, décrivant des gorges, nous apprenait que le personnage avait vécu au
des circonvallations, des anfractuosités, pareilles temps de la septième dynastie. Mais, de la ville,
à autant de cirques ensablés, des quartiers de rien; le mystère demeurait aussi impénétrable
cimetières, plus ou moins vastes, s'y sont cons- qu'auparavant. Cette année enfin, une nouvelle
titués autrefois. sépulture de ce même quartier est venue sou-
Tout d'abord, c'est la période antique, la ville soulever un coin du voile; celai de la favo-
ancêtre d'Antinoë, cherchée inutilement jus- rite royale Paout-m-hate. Une invocation au dieu
qu'ici, à ce point qu'on renonçait à en retrouver de la cité fournit un nom précieux, Anubis, sei-
la trace. Pourtant la tradition rattachait un sou- gneur de Sep-che. Ce nom serait le nom antique
venir à cette place, et prétendait qu'une cité s'y d'Antinoë.
était élevée, qui avait porté le nom de Bésa, du Le sarcophage a l'une de ses parois quelque
nom du dieu Bès, le génie de rénovation. peu- vermoulues; mais le miroir de la favorite
Attiré par cette énigme, mes recherches royale a gardé l'étamage d'or où se reflétait
avaient porté, dès ma premierè campa-ne de jadis son image et les figurines des serviteurs,
groupés dans sa syringi, ont conservé les plis corps précieux, mais les objets qui l'entouraient,
des manteaux posés sur leurs épaules; voici les palmes tressées, pareilles à celles employées
4 500 ans. encore aujourd'hui en Italie et en Grèce, et les
Au bas de la plaine, plus proche de la ville, corbeilles de jonc, déposées à l'entour.
cette même montagne est criblée de cavernes, à Des sépultures de ce quartier de cimetière,
ce point, qu'à distance, on dirait une ruche im- quelques-unes étaient intéressantes à plus d'un
mense. C'est là que vécurent autrefois les ana- titre il suffira d'en mentionner quelques-unes.
chorètes, retirés du monde et dont les exploits C'était d'abord celle d'une lettrée, qui avait em-
étonnèrentla chrétienté. porté dans sa tombe ses tablettes recouvertes de
De la sépulture de ces ermites, rien jusqu'ici cire, où, au stylet, sont tracées des leçons de
ne nous était parvenu; on eût dit que la trace en grammaire et de géographie la liste des noms
était complètement perdue au nord-est d'An- des villes grecques, Athènes, Nicomédie, etc.
tinoë un assez large cirque s'estompe en léger C'était la sépulture d'une br:odeuse, munie encore
relief sur le reste de la plaine; le premier son- de son nécessaire, comme pour continuer dans
dage m'y fit reconnaître un point de nécropole, l'au-delà la tapisserie interrompue. Voici le né-
où, comme à l'ordinaire, les morts dormaient cessaire où elle serrait ses soies et ses laines,
lacés dans leurs ,suaires, sans qu'un caveau ou ses fuseaux, sa quenouille, ses dévidoirs, ses
qu'un cercueil les abritât. aiguilles, ses peignes, et jusqu'à une aiguille à
L'exploration avait eu lieu normalement, lors- tricot. C'était, plus loin la tombe d'un fonction-
qu'au centre du cirque, la pioche d'un ouvrier naire subalterne, paré des insignes de sa charge,
rencontra soudain un mur de briques; je fis une sorte de barette rigide, tombant sur le dos
prendre aussitôt les mesures nécessaires pour et la poitrine: C'était enfin les sépultures de
en ,dégager le pourtour. Un caveau se dessina fillettes, à côté desquelles étaient enterrés leurs
bientôt, étroit et bas, couvert d'une voûte plein jouets, des poupées de bois, grossièrement
centre. Sur cette voûte, une jarre de terre cuite taillées, et les trousseaux de celles-ci.
était déposée sous les sables, qui, sous la pres- D'innombrables pièces de costumes venaient
iiion, avait cédé. Elle portait un nom, Sérapion, compléter ces ensembles parfaits. Tuniques et
fils de Cornosth. (une lettre finale illisible). robes brodées, suaires fleuris de roses mystiques
Dans le caveau, un corps vêtu de bure, ceinturé et d'oiseaux paradisiaques, écharpes, ceintures,
de fer, collier de fer au cou, soutenant une lourde voiles de mousseline imprimés à la planche, filet~
croix. C'était un anachorète, un de ces pieux de chevelures et de visages, qui nous donnent
ermites, dont la figure fantastique semblait pour la révélation de l'origine de la dentelle" en incom-
toujours devoir rester incertaine. Elle était fan- parables tapisseries, employées à décorer les
tastique, en effet, cette apparition, ainsi entrevue linceuls. Puis, c'était encore les accessoires de
dans le cadre de cette tombe béante, et sous ce la toilette, les miroirs où les belles dames
ciel pur, aux clartés blondes, baignant les sables s'étaient regardées enseparant-l'un constituant
du désert. le couvercle d'une boite à fard, où la morte jetait
Quelques centaines de mètres plus loin, une un coup d'oeil, pour s'assurer de son rouge.
autre anfractuosité décrivait un cercle semblable, C'était le flacon renfermant encore l'antimoine,
où des sépultures pareilles se pressaient en files dont elle avait peint ses yeux; les faux cheveux,
serrées. Les fouilles s'y étaient accomplies dans dont elle avait garni son front. C'était les colliers
le même ordre, quand la même découverte se et les bracelets des enfants, la lorgnette servant
produisit. Au centre, le coup de pioche d'un ou- à suivre les jeux du cirque. C'était les masques
vrier détacha une brique,'recouverte d'un enduit de plâtre, complétant la toilette revêtue à l'heure
de plâtre. Quand les murs furent dégagés, je re- suprême, pour le grand voyage de l'au-delà.
connus un tombeau, semblable de dispositions à Mais à quoi bon revenir encore sur tout cela?
celui de l'anachorète, à la différence près de C'est du document acquis, dont s'occuperont à
l'enduit, dont, extérieurement, il était recouvert. loisir les spécialistes. Mieux vaut cent fois dire
Aux pieds, une petite niche en retrait gardait la ce qu'il reste maintenant à trouver.
trace d'une inscription esquissée en rouge. Au D'abord, je l'ai dit maintes fois déjà, je
milieu des formules habituelles fort mutilées n'ai pu fouiller jusqu'ici que les quartiers du ci-
« ici repose en paix, etc. » se détachait un nom metière affectés aux sépultures des classes
de femme Thaïs, suivi de quelques lettres, dont moyennes de la population d'Antinoë, fonction-
il est malaisé de préciser le sens. naires subalternes, dont pas un n'osait préten-
Le costume de cette Thaïs a été maintes fois dre au luxe d'un hypogée.
décrit sa robe bordée de pourpre brodée Des sépultures patriciennes, nulle trace; sans
l'écharpe de gaze carmin, à rayures jaunes, qui doute, à l'exemple des seigneurs égyptiens d'au-
entoure sa tête, son mantelet brun, aux appliques trefois, les grands d'alors se faisaient creuser
multicolores ses mules dorées, découpées à une syringe aux flancs de la montagne, dont toute
jour. Ce n'était point toutefois la richesse de ce trace a disparu.
vêtement, qui faisait du corps de la morte un Or, si dans la plaine du désert lui, elle aussi,
ne garde plus trace des sépultures qu'elle ren- rite Paoul-m-hat être explorée dans tous ses re--
ferme, les travaux d'exploration sont faciles et coins. Quant au grand but à atteindre, le seul à
n'entraînent qu'une dépense modique, il n'en est vrai dire, c'est le tombeau ou tout au moins le
plus de même lorsqu'il faut s'attaquer au ro- cénotaphe d'Antinoüs, qui doit dormir dans quel-
cher. La montagne, calcinée par des siècles de que coinretirédela montagnearabique. Dès 1896,
soleil, s'est effritée et éboulée les sables ont tout j'ai pensé être sur la trace et j'en ai exposé les:
envahi. Pour retrouvermaintenantl'orificed'une raisons (1).
tombe, il faudrait abattre des quartiers de rocs C'est le but suprême toutefois, auparavant,
roulés, retourner des mètres cubes de pierre; une autre trace palpable de la civilisation anti--
et l'entrée de la tombe enfin dégagée, la boiser, noïte doit renaître de ses cendres; les jeux du
ainsi qu'une galerie' de mine, pour prévenir cirque et du théâtre, et nous devons retrouver
l'éboulement. Cela représente une dépense dé- ses athlètes vainqueurs, et ses bardes couronnés.
cuple de celle entrainée par le travail, dans la Mais tout cela, les moyens d'action mis à ma dis-
plaine de sable; et tandis que les sondages préa- position me le permettront-ilsjamais? Il est fort
lables de celle-ci ne se chiffrent que par quelques. probable que la récolte enrichira un jour quelque
centaines de francs, ceux de la montagne se explorateur mieux doté. AL. GAYET.
chiffreraient par quelques milliers de francs. Or,
(1) La découverte d'un temple antique enclos dans l'en--
ces quelques milliers de francs, c'est tout ce ceînte de la cité. hadrienne. (Annales du nzusée Guimet.)
dont je dispose pour mener à bien la fouille,
force m'est donc de m'abstenir.
Et pourtant, quelles richesses ne doit-on pas
retrouver dans ces tombes patriciennes, à en ju- CRÉPUSCULE
ger par ce que rendent les tombes des classes
moyennes Ge serait le luxe fabuleux de Byzance
C'est l'heure tiède et lente où les volets sont clos
retrouvé, les vêtements de tissus précieux, les C'est l'heure d'amour pur, d'extase et de prière 1
tapis brodés, les gazes transparentes, les bijoux La source est sans murmure et le bois sans échos,
d'or et les parures de joyaux. Et qu'on ne me Sur les champs endormis se traîne la lumière.
dise point que ce sont là des hypothèses. Tout C'est l'heure où tout se tait les chants et les sanglots.,
Où naît la floraison des espoirs salutaires
celaexiste; JE LE SAIS. Où des âmes s'en vont par les yeux demi-clos,
Si riohe que soit la moisson, ce iit!est là, toute- Vers les bleus firmaments du rêve, solitaires!
fois, que l'un des côtés de ce qu'il Ë44e à trou- Ce n'est l'heure pour moi que d'un vain souvenir
ver le moyen terme en quelque sorte. La pé- Et je sens du bonheur autour de moi venir,
Le bonheur de tous ceux qui s'aiment sur la terre.
riode antique a commencé à se dévoiler; elle doit
Je songe, en me taisant, au charme grave et doux
nous livrer maintenant son secret, et la nécro- Des enfants qu'agenouille un psaume dit pour nous,.
pole de la douzième dynastie d'où sont sortis les Dans le recueillement du temple et du mystère
sarcophages du conseiller Mer-Neth et de la favo- PIERRE AUDIBERT.
Le nouveau collège que l'on est en train d'éta- donc à l'initiative privée qu'on devra l'essai du'
blir, en plein bois, aux environs de Rouen et qui collège de Normandie. Cet essai, l'Université le-
ouvrira ses portes, en octobre prochain, sous suit avec une neutralité attentive et bienveillante.
le nom de collège de Normandie marque plus Elle voit qu'il vaut la peine qu'on le tente. Les
qu'un progrès dans les méthodes traditionnelles plus autorisés de ses chefs n'ont pas été les der-
et surannées de notre enseignement. C'est une niers à remarquer que l'enseignement, tel qu'on
innovation hardie, mais tellement nécessaire et le donne encore, est un anachronisme [luxueux,
logique qu'on est en droit d'en escompter en opposition de plus en plus avec les conditions.
d'avance le succès complet. Jusqu'ici on s'était et les, besoins de la vie moderne. Ils conviennent
borné à critiquer vigoureusement notre système aussi sans peine qu'on ne fait pas à l'hygiène et
d'instruction et d'éducation, à modifier les pro- aux exercices physiques leur juste part, et qu'il
grammes et à exprimer des voeux. Les bonnes est nécessaire de former dès l'école les caraclè-
intentions ne manquaient certes pas, mais l'Etat, res et de les tremper.
ou plutôt l'Université, qui a qualité pour parler Nous n'avons que trop de mandarins. Ce qu'il
en son nom, ne pouvait prendre sur elle de mo- nous'faut pour tenir notre rang dans le monde,
difier la machine sacrée et de changer les rouages soutenir'la concurrence grandissante des nations.
de l'instruction nationale. rivales et sortir victorieuxdes luttes industrielles-
Il y a d'abord une question de budget inéluc- et commerciales où tend et se consume l'effort
table et, en l'état actuel, insurmontable. C'est de tous les peuples, comme aussi, le cas-échéant,
pour nous défendre contre nos ennemis en armes. d'Afrique. Ce qui l'a frappé et attristé, c'est le
c'est de nouvelles générations d'hommes robus- manque d'initiative et d'énergie des colons, qui
tes, de sang-froid, pratiques, préparés à la vie attendent tout de la métropole et ne veulent
nouvelle. Notre salut, notre existence sont à ce courir aucun risque. L'essentiel n'est pas tant
prix. De tous les apôtres de l'Evangile de notre pour un Français d'avoir le courage de s'expatrier
avenir, il n'en est pas de plus convaincu, de plus que lavolonté tenace, sans défaillances, demettre
actif et de plus écouté que M. Gabriel Bonvalot. cn rapport et d'exploiter les richesses naturelles
Le collège de Normandie sera en partie son de la colonie de son choix. Nous avons certes
son oeuvre. Il n'a cessé et il ne cesse de répandre assez de colonies et notre puissance ne serait
les conseils et les avertissements et, plus heu- pas accrue si le nombre en augmentait. Elles
reux que Cassandre, on l'a entendu. offrent, telles qu'elles sont, un champ vaste et
C'est aussi que M. Bonvalot prêche d'exemple, merveilleuxoù nous pouvons exercer notre acti-
et l'ex.emple n'est vité. Il ne s'agit que
pas décourageant. de vouloir. Nous ne
Quel admirable pro- saurions compter sur
fesseur d'énergie! les hommes faits,
Comme tout le mais il importe, et
monde il a passé son vite, d'agir sur lajeu-
baccalauréat, m a i s nesse. Nos colonies
au lieu d'entrer dans y gagneront et la
le « tchin » des fonc- France n'y perdra
tions et des appoin- rien. Elle aussi a be-
tements de l'Etat, il soin d'être « coloni-
prend un bâton soli- sée» » autrement
de, jette sur ses lar- qu'on ne fait, sous
ges épaules un paquet peine de péricliter.
de chemineau et le Les rudes objurga-
voilà parti, à pied, tions de M. Bonvalot
pour la Suisse, l'Al- ont convaincu les es-
lemagne où il s'arrête prits les plus émi-
assez longtempspour nents qui parais
apprendre l'alle- saient devoir être les
mand. C'est le com- champions nés de
mencement de ses l'Université. Cet ex-
pérégrinations à tra- plorateur qui sem-
vers l'Europe. Suc- blait revenir du
cessivement il sé- Pamir en passant par
journe en Autriche, le Danube a conquis
en Italie, en Espa- ces Romains et son
gne, passe en Angle- éloquence I( en sayon
terre, complétant sur Vieille tourelLe et maison du garde. de poil de chèvre »
place son instruc- de chèvre du Thi-
tion, regardant et observant au lieu de lire. Cha- bet les a entraînés sous sa bannière. Il a
que jour, pour ainsi dire, lui apporte ce qu'on trouvé pour ses projets des auxiliaires et quels
appelle aujourd'hui une leçon de choses. A vivre auxiliaires! Oui, par deux fois les murs de la
ainsi parmi les différents peuples, à étudier leurs Sorbonne mais de la nouvelle Sorbonne ont
mœurs, leur politique, à regarder le théâtre des retenti des critiques véhémentes adressées à
grands événements passés, campagnes et batail- « l'Alnaa mater » par MM., Jules Lemaitre et
les, il comprend l'histoire, s'y intéresse et se Ernest Lavisse.
plaît à en dégager le sens. Il s'entraîne de la Le premier est venu et avec cette simplicité et
sorte avant de pénétrer dans le centre inconnu cette ironie souriante qui sont sa marque et son
des hauts plateaux de l'Asie, berceau de notre ci- charme il a fait une grave confession. Il a reconnu
vilisation. Déjà en 1870, retenu malheureusement qu'il ne savait plus un mot de grec, qu'il ne lit
à la maison par une blessure au pied, il avait pas trois fois par an du latin, que les nobles sen-
l'ambition de « découvrir» ce pays.
En tête d'une feuille blanche, il écrit ces
timents et les idées angulaires, ce qui forme ce
fonds riche que l'on désigne sous le nom d'hu-
mots « J'étudierai les peuples Indo-Européens ». manités, il n'est pas sûr qu'on le trouve mieux
On sait comment il a réalisé ce rève de jeunesse. chez les Grecs et les Romains que chez nos
Mais il n'a pas été l'homme d'une seule contrée classiques qui s'en sont inspirés et l'ont exprimé
il a parcouru, avec une expérience chaque jour d'une façon définitive. Il a ajouté qu'il était inca-
plus forte et plus sûre, nos possessions d'Asie et pable de goûter dans leur langue les chefs-
d'oeuvre allemands ou anglais, « Je ne sais rien Sorbonne. C'est peut-être d'un touchant sym-
faire de mes dix doigts; je n3 sais qu'écrire ». bole il ne serait pas mauvais toutefois qu'ils
Ces dix doigt sont trop modestes et s'il était prissent la clef des champs. Oui, c'est au milieu
prouvé que les lettres anciennes les ont déliés des bois, dans les plaines ensoleillées, sur la
et affinés à ce point, elles ne seraient pas tout à berge des fleuves que le jeune animal qu'est un
écolier se développe et
se porte le mieux. Il
faut qu'il SA mêle à la
nature pour mieux
communier avec elle,
la comprendre, l'ai-
mer. La nature est une
bienfaisante éduca-
trice.
C'est donc à elle que
les fondateurs du col-
lège de Normandie con-
fient, en partie, leurs
élèves. Dans un rarid
domaineaux vertes pe,
louses, aux hautes fu-
taies sont construits
les bâtiments du nou-
veau collège. J'ai bien
ditles bâtiments, parce
Avenue du côté de l'Est. qu'il y en aura plu-
sieurs, et c'est en cela
fait inutiles, j'imagine, Mais M. Lemaître répond que consiste une des originalités de cet établis-
à l'objection. « Nous n'avons pas la prétention sement. Le local, le château où auront lieu
d'écrire plus purement que Louis Veuillot, qui les classes sera inhabité. On ne s'y rendra que
n'avait suivi que les cours de la « mutuelle » ni pour les cours. Les élèves logeront dans des
que Georâe Sand qui n'avait pas fait ses« classes». p:1,YiIIons; ils seront les hôtes d'un professeur,
On n'avait jamais plus
élégammentni plus net-
tement arraché ses bou-
tons de cristal.
M. Lavisse, lui, a
trouvé dans l'histoire
cet arsenal ouvert à tout
et à tous des armes
pour combattre les er-
reurs qu'on se passe de
génération en généra-
tion comme un héritage
précieux et indivisible.
Nos modernes lycées ne
sont que des monastères
à peine transformés. On
y mesure l'air, la lu-
mière, l'espace. On y
néglige le corps, « cette
guenille»;l'esprit n'est- La buanJel'ie.
il pas tout? On y est es-
clave de la tradition. Si l'on y enseigne le latin, auront leur chambre, mais prendront leur repas
c'est qu'autrefois le juge, l'avocat, le médecin en commun. à la table de famille présidée par la
étaient obligés d'écrire en latin. Mais les temps femme du professeur. L'hygiène, les exercices
ont marché. De même sous prétexte qu'au et les jeux y seront l'objet d'un soin tout parti-
XIIIe, XIV" et xve siècle les collèges, en leur qua- culier pour se distraire, les élèves aux heures
lité de membres de l'Université, devaient 'de récréation apprendront un métier manuel.
s'élever sur la Montagne 8ainle-Genevi~ve, nos Cette innovation est sans contredit des plus heu-
lycées montent toujours la' garde autour de la reuses. On leur laissera le-plus de liberté pos-
sible, afin de cultiver en eux le sentiment de la RESSEMBLANCE.
responsabilité. On y préparera tous les examens;
le latin ni le grec n'en sont exclus, sauf qu.'on Vous désirez savoir de moi
commencera à les étudier plus tard qu'on ne fait D'où me vient pour vous ma tendresse
dans les autres collèges. Bref, au collège de Nor- Je vous aime, voici pourquoi
Vous ressemblez à ma jeunesse.
mandie. on. se propose de fortifier le corps et
Vos yeux noirs sont mouillés souvent
l'esprit pour les préparer aux luttes,incessantes Par l'e&pérance et la tristesse,
etv;1riées de la vie moderne, dans toutes les Et vous allez toujours rêvant,
branches de l'activité humaine, et l'on veut qu'au Vous ressemblez à ma jeunesse.
sortir du collège -pour paraphraser une parole Votre tête est de marbre pur,
célèbre. au lieu d'un lauréat, on trouve un Faite pour le ciel de la Grèce
Où la blancheur luit dans l'azur
~$~$~$~$
homme, Vous ressemblez à ma jennesse.
JOSEPH GALTIER. Je vous tends chaque jour la main,
Vous offrant l'amour qui m'oppresse
Mais vous passez votre chemin.
La femme d'un homme célèbre n'est épouse qu'à demi; Vous ressemblez à ma jeunesse.
le public ,est en tiers dans leur union. SULLY PRUDHOMME.
PETTICOAT L~INE
LA CONQUÊTE DE L'AIR
MOTÈURS AÉRIENS
La théorie du « plus lourd que l'air posée, sance du moteur. Ce ballon est cylindrique il est
inconsciemment, dès les temps héroïques par l'in- pourvu d'un jeu d'articulations destinées à faire
fortuné Icare a prévalu dans la science aéronau- varier l'inclinaison suivant la vitesse de propul-
tique. Depuis une vingtaine d'années les essais sion. A sa partie inférieure, de forme conique,
d'aviation ont été nombreux surtout depuis que est placé un ballopnet régulateur gonflé par l'air.
les études de Muybridge et de Marey sur le mou- Lorsque la pression atmosphérique diminue,
vement ont été vulgarisées. Le plus intéressant le gaz du ballon se dilate et pénètre dans le bal-
de ces essais de conquête de l'air est peut-être lonnet d'où il chasse un volume proportionnel
celui de Lilienthal; l'inventeur y perdit la vie, il de l'air qui l'emplit. La pression vient-elle à
est vrai, mais ce regrettable accident dû à l'im- augmenter, le gaz expulsé revient dans le ballon
perfection du mécanisme ne diminue en rien la et il est remplacé dans le ballonnet par une nou-
valeur du principe qui présida à la construction velle quantité d'air.
de l'appareil. La direction et la propulsion sont obtenues à
Parmi les solutionsproposées dans ces derniers l'aide d'un moteur et d'ailes. Jugeant:que les
temps, il en est deux, d'une originalité particu- insuccès éprouvés par ses devanciersprovenaient
lière, qui méritent d'être signalées. La première de la trop grande surface des ailes, M. Bousson
a pour auteur un Français, M. Firmin Bousson, a réduit la dimension dé celles de son appareil
la seconde est le fruit des recherches d'un Ecos- mais il en a augmenté le nombre. Il y gagne une
sais, M. Davidson. plus grande stabilité et, à surface égale, une plus
L'auto-aviateurde M. Bousson est quelque peu grande puissance. Les ailes sont disposées en
compliqué, il est aussi très volumineux. Si cet quinconces; un organisme permet de leur faire
appareil répond aux espérances de son inventeur reproduire les différentes phases du vol de l'oi-
nous verrons dans un avenir prochain l'atmos- seau, de plus elles sont disposées de manière
phère aussi encombrée que le sont nos boule- qu'aucune d'elles ne puisse fonctionner dans le
vards à l'heure actuelle. Bien que M. Bousson se vide produit par le mouvement de celle qui la
soit ingénié à copier le vol de l'oiseau, il est préçède.
obligé de compléter son appareil par l'adjonction L'ensemble de l'auto-aviateur de M. Bousson
d'un ballon. Celui-ci, simple allège, n'a d'autre n'a rien de graciéux. Imaginez un chariotàhautes
but que de maintenir, à toute altitude et sans ridelles en tubes d'un métal léger, garni de quatre
lest, l'équilibre de densité dé façon à conserver paires d'ailes et portant à sa partie supérieure
pour le déplacement de l'appareil toute la puis- une grande hélice. Posez ce chariot sur quatre
roues de bicyclette et'suspendez-le à une sorte nisme élévatoire fixé aux extrémités de chaque
de grande bouteille renversée; vous aurez une aile. Les ascenseurs se composent d'un assem-
idée de.ce que peut être la machine avec laquelle blage de lames métalliques placées horizontale-
M. Bousson espère obtenir la solution d'un pro- ment dont l'action sur l'air est la même que celle
blème qui a conduit tant d'inventeurs à la ruine exercée sur l'eau par les palettes d'un bateau.
on « aux Petites Maisons. » Le corps de la machine étant légèrement incliné
L'auto-aviateur est destiné aussi à la loco- sur son axe l'ascension s'effectue obliquement
motion terrestre, c'est ce qui explique la pré- jusqu'à ce que l'altitude désirée soit atteinte.
sence des roues fixées à sa base. Jusqu'ici cette Lorsque la vitesse de rotation des ascenseurs
partie seule du programme de l'inventeur a reçu diminue, l'action de la pesanteur prévaut et la
machine s'abaisse; point important, il n'y a pas
chute mais descente par voie oblique; du reste
un organe spécial permet d'établir automatique-
ment l'équilibre sous un angle quelconque. L'ar-
rière de la machine est muni d'une queue, divisée
en trois sections mobiles, et similaire comme
aspect et comme usage à celle de l'oiseau. Ce
gouvernail est commandé par un mécanisme
automatique, lors des expériences son efficacité
a été reconnue; il permet de parer aux embar-
dées et empêche l'appareil de chavirer sous l'ac-
tion d'un coup de vent violent, La direction de
Voici l'heure où, plus que jamais, il faut songer Avec un courant de 25 à 30 mètres par minute
donner à boire » à la terre. on peut arroser 4 hectares; ce débit augmente
L'eau est un étémt, it indispensable à toutes avec la force du courant. Quant à l'installation,
plantes. Voyez les pays où la pluie tombe en elle ne nécessite aucun travail coûteux; il suffit
abondance, la végétation y est partout luxu- d'établir solidement la roue sur deux montants
riante, le sol fait fructifier avec une générosité plantés dans la rivière. On peut à l'aida d'un mé-
infatigable la graine qu'on lui confie. Dans les canisme très simple élever celle-ci à volonté si
pays de sécheresse au contraire., on ne voit que on désire en interrompre-le fonctionnement, par
désolation et misère. exemple en cas de crue de la rivière.
Il est vrai que, aujourd'hui, la science agrono- Veut-on enlever la roue pendant l'hiver, rien
mique a réduit considérablement le nombre de ces de plus facile. Le concours d'ouvriers spéciaux
régions déshéritées. Nos ingénieurs sont parve- est inutile, les gens de la ferme suffisent. La
nus à réaliser des prodiges et les moyens arti- machine se démonte en 13 pièces et peut être
ficiels suppléent en mise à l'abri, sans qu'il
maint endroit à lapar- soit besoin d'un vaste
cimonie de la nature. local.
Mais combien il reste Cette facilité de dé-
encore à faire! montage permet d'en
Tout ce qui touche effectuer le transport
aux procédés d'irriga- à peu de frais.
tion intéresse donc au Tel est cet appareil
plus haut point la cul- d'une c:onstr.uction
ture. très simple, presque
Nous n'avons pas à rudimentaire,sans au-
indiquer ici les nom- cune prétention scien-
breusesmachines ima- tifique.
ginées par le génie ru- Tout agriculteur
ral pour élever ou pour ayant quelques no-
transporter l'eau tions de mécanique et
pompes, moulins, tur- Une roue de pleine eau. disposant d'ouvriers
bines,moteurs de toute intelligents peut faci-
espèce. Nous voulons simplement appeler l'at- lement le faire construire sur place. Nous pensons
tention des intéressés sur un procédé que sa sim- toutefois que ce système n'est d'un usage pra-
plicité et le peu de dépense qu'il exige met à la tique.que pour l'irrigation de terrains.peu élevés.
portée de tous. CH. BRILLAUD DE LAUJARDIÈRE.
Nous l'avons vu employer pour submerger des
prairies dévastées par les vers blancs; le résul- &,
tat était parfait. Nul doute que, dans bien des
cas, cet engin qu'on peut au besoin construire MIDI
1
soi-même ne dispense d'acheter des appareils
coûteux et d'un maniement compliqué.
Il consiste, comme l'indique notre dessin, Midi sonne. Il pleut sur les prés
Une averse luisante et fine.
en une roue garnie d'ailettes en tôle ondulée On voit, à travers, la colline
disposition qui donne plus de prise à Et le bois, encore éclairés
l'eau et que met en mouvement la simple Par un rayon bleu qui dessine
force du courant. Les arbres et les champs dorés,
Chaque ailette est armée d'un godet siphoïde Derrière cette mousseline.
qui annule la pression de l'air, au moment du Il pleut. Ce n'est rien; mais, pendant
Que ce nuage noir traverse
remplissage cette disposition facilite aussi le Le ciel, où déjà l'azur perce,
déversement qui se produit au moment où le Viens donc t'abriter un instant
godet atteint le point culminant de son mouve- Sous ce hêtre au toit large et berce
ment de rotation; l'eau tombe alors' dans un Ta rêverie, en écoutant
auget relié à un plan incliné par lequel elle se Un oiseau chanter sous l'averse.
répand sur le sol. Cette roue peut fonctionner MAURICE POTTECHER.
partout où se trouve un cours d'eau, car elle
n'a pas besoin de chute; la seule force du cou- .A~A~A~~A~A~
rant suffit à l'actionner. Elle marche nuit et jour Les collectionneurs sont des gens heureux ils savent
toujours où placer leurs économies.
sans exiger aucune dépense. EDMoxi) ABOUT..
EDMOND ABOUT.
DEUX CHANCES
NOUVELLE
1 II
Cette dame presque âgée, mais encore gra- Cependant que je me livrais à ce petit oragé
cieuse, les années, qui semblent parfois haïr d'esprit qu'est la résurrection d'un souvenir dans
l'ancienne beauté, ont l'air d'aimer la grâce tou- notre âme endormie, tout d'un coup, le jour se
jours, cette dame qui vient par un joli sourire, leva très lumineux, bien qu'il s'agit d'un jour- de
dé m'inviter à la reconnaître, tout à l'heure, rue neige épaisse et sur une matinée d'hiver, e,9
de Rivoli. je la connais, cependant; mais son décembre 18. ne précisons pas davantage.
Dans ces temps lointains, presque légendaires,
nom. son état?. Je l'ai vue sans doute. Il y a du second Empire à ses débuts, le titre de bache-
plus d'un siècle, il y a tout un monde que je ne l'ai
revue. lier signifiait quelque chose. Certes, il ne facili-
Je ne suis pas au temps où l'on s'embrouille tait pas plus qu'à présent l'accès de ces places, à
dans ses souvenirs. Je puis me réciter tout seul, toute époque universellement quémandées, au
par centaines de vers, du Virgile, du Shakes- point que l'on ne devine pas comment il a jamais
peare, du Racine, du La Fontaine, du Boileau. pu se placer quelqu'un. Sauf ça, le mot sonnait
oui, du Boileau, sans parler de Lamartine, de bien, et lorsque le jeune homme n'était pas trop
Hugo, de Musset, les trois grands du dernier siè- en peine de se caser, qu'il avait quatre sous de
cle, n'en déplaise aux jaloux, même exotiques chez lui, l'air d'aimer le travail, on couronnait
mais1es noms propres commencent à-se défendre son éloge par ces deux mots « et bachelier »!
un peu. Allons, il faut veiller à ça, mon cher. II Tout était dit.
faut surveiller notre Bottin intérieur. Tout petit encore, orphelin confié à la garde
Enfin, j'y suis. Oh trouble des évocations de d'une vieille parente, ma marraine, fille d'un
jeunesse, surtout lorsqu'on s'aperçoit que l'on brave professeur de mathématiques du temps de
ne connaît bientôt plus personne Cette dame, Louis XVIII, je fus mis demi-pensionnaire au
c'est la charmante Mme Girodet, la femme du collège, qui n'était point alors en lutte avec
grand orfèvre d'Amiens. Qu'elle était jolie 1 Nous d'autres maisons, et où toutes les opinions se
en étions tous les admirateurs,depuisles hommes rencontraient, à preuve les vocations ecclésias-
de cinquante ans; jusqu'aux rhétoriciens de dix- tiques qui n'étaient point rares alors dans l'uni-
sept ans mais nul n'en affichait rien.. peine, versité, tout autant que les vocations militaires
en passant devant le riche magasin, une modeste devenues plus rares aujotird'hui. La prédestina-
oeilladé allait se perdre entre lès rangées de tion, indéniable, ne va pas sans sa liberté intan-
montres. gible.
Toutes les dames de la ville, épouses, mères, Ncus apprîmes, un jour, qu'à l'Académie de
belles-sœurs, ~ousines étaient des clientes de la Douai, vers la fin de l'année, la nouvelle Faculté
maison, en relations ordinaires avec la charmapte des Lettre's ferait passer'des examens, avec des
Mm° Girodet, dont nulle ne parlait à la table de examinateurs qui s'appelaiimt Filon,-le père
famille, sans ajouter: il n'y a pas à dire, ces 1 a courtoisie et la bienveillance en personne
femmes de Paris ont un je ne sais quoi, bien. à Caro tout jeune et brillant de réussite et de con-
elles, et Mme Girodet, pourrait donner des leçoJls fiance en son étoile, tristement obscurcie par les
aux plus fières d'ici, pour le chic et la tenue. mesquines épreuves de la fin Pasteur, 'depuis
Mme Girodet était, en effet, la fille d'un chef de passé dieu, déjà promis à la grande gloire, mais
bureau de la grande ville. pas commode au tableau de géométrie, et divers
Elle avait épousé son cousin, établi dans autres très distingués.
Amiens, et s.'était prêtée avec beaucoup d'intelli- Très enflammé par cette annonce, bien muni
gence et de bonne volonté aux obligations du du côté des lettres et de l'histoire, pitoyable en
commerce, si pénibles pour tant d'autres. · « sciences », j'entendis le patron de cette bran-
Ne nous payons pas de vains diséours. D'aussi che opposer aux félicitations des jugeslitté-
rares fitcultés sont autantmises en jeu par l'art de, raires, cette parole cordiale
charmer une clientèle, en travaillant, que par le Parfait, monsieur cela me suffit, retirez
,t~lent dé faire des table.aux ridicules ou de mé- vous.
chants vers en buvant des bocks, et l'on voit En attendant avec les autres, dans la cour, je
daiig certaines boutiques plus de génie que dans me tenais pour perdu, et me disposais à repren-
pas mal d'ateliers. dre le train, quand un avocat de Douai, riche en
-tuyaux sur ce qui se passait dans la salle des gêne singulière, un vertige, pourrait-on dire,
juges, vint me dire vint à s'emparer de moi.
Hé bien 1 ça y est. Vous êtes reçu. Les exa- Et puis, il me sembla que j'étais à cette même
minateurs des lettres vous ont imposé au savant, place depuis des années, que mon excellente
en lui -promettant de lui rendre la pareille, à marraine et sa cuisinière allaient mourir d'in-
l'examen des sciences, si quelque bon algébriste quiétude en ne me voyant pas rentrer, qu'il était
vient à fléchir sur le latin. urgent de lâcher mes camarades, arrivés d'ail-
Devinez-vous le reste2 Voyez-vous d'ici ma leurs presque tous à cette phase d'intoxication
rentrée vraiment belle dans Amiens, les com- passagère qui me permettait de me livrer, sans
pliments à tout coin de rue, ma réception dans remarques de leur part, à mon idée fixe d'immé-
le domicile de la vieille parente qui représentait diate évasion.
pour moi toutes les affections de la famille, de- Comme je me glissais vers la sortie de notre
puis la mort de mes père et mère? « salon », presque étouffant par l'odeur de tabac,
Pour choisir entre quantité de noms, je l'appe- des viandes et .du café, le seul de nos amis dé-
lais marraine. Elle l'était peut-être, mais nous meuré assez maître de soi pour voir clair dans
n'avons jamais creusé. les allées et venues d'alentour, me dit en me
voyant tituber vers la porte
III Ah ah 1 l'heureux triomphateur, je vois ce
Cette belle âme ne connaissait pas ,au monde que c'est. La fâcheuse migraine, n'est-ce pas,
un plus beau présent à faire à la tendresse, un mon prince2
plus éclatant hommageà rendre au mérite, qu'une Bientôt j'étais dans la rue dont la blancheur et
montre en or. En apprenant ma victoire à Doua «i, le froid humide m'atteignirent subitement.
dont elle ne discernait pas très bien le terrain ni Toutefois, il me sembla que la neige avait
l'effet, mais qui la frappait tout de mêm~ par la fondu, car des plans noirs apparaissaient sur le
note du journal, les compliments des voisins et beau tapis immaculé de l'après-midi.
le nombre des cartes, elle jugea l'occasion favo- De la demi-hébétude où j'étais plongé dans
rable. l'intérieur du restaurant,je sursautai à une quasi-
'Dans la matinée du surlendemain de mon re- exaltation lyrique sous l'action de l'air libre et
tour,je la vis entrer dans ma chambre, très digne, la clarté de ce ciel pâle, après les ténèbres d'une
assez pâle. Elle déposa sur la table une boite en tabagie aggravée de punch et de glorias.
chagrin, qui contenait l'o4jçt, avec ces simples Nous, disons donc que j'ai une montre
mots m'écriai-je dans ma griserie, Alors, c'est .bien le
Gaston, le grand jour est venu. et, m'em- moins que je sache le jour et l'heure, et s'il n'est
brassant, elle faillit s'éyanouir. pas déjà, par hasard, après-demain.
Il me semble que Mélanie, sa vieille bonne, Ainsi, je faisais, inconsciemment, le bas comi-
Me rendit pareil témoignage. et puis la journée que, en tirant, non sans lutte, la dite montre de
se passa comme toutes les autres, sauf que je me ma poche de gilet. Cependant, j'eus beau tenter
ménageai beaucoup à l'heure du déjeuner en pré- de fixer mes yeux sur les minces aiguilles, mon
vision d'un dîner que m'offraient le soir même, « état d'âme », à cette heure, m'empêcha de rien
au restaurant, plusieurs camarades, avec rendez- discerner d'autre que des lignes répétées, s'em-
vous préparatoire, pour l'apéritif inéluctable, au brouillant et mobiles, sur un fond livide. L'impa-
café de Bourgogne. tience et bientôt la colère me saisit, et, dans l'ou-
11 faisait froid, les rues étaient toutes blanches trance de mon humeur présente, posant devant
et promettaient de rester telles, quelque temps une galerie imaginaire qui me blaguait, je serrai
encore. Mais, à cet âge, rien ne prévaut contre la délicate machine entre mes doigts, et m'écriai
l'apéritif. Je comptais, n'ayant nullement l'usage Si c'est à ça que tu m'es utile, méchant
du café, sur un madère natif de quelque petite oignon, va voir en l'air si j'y suis.
ville de notre beau Midi, peut~êtresur un Turin Et je lançai noblement par-dessus ma tête la
de provenance analogue,. Cependant « les cama- belle montre en or qui disparut aussitôt dans la
rades n'admirent point qu'il fût parlé d'autre neige, avec un petit choc cristallin sur quelque
chose que d'une forte absinthe. Je dus, en hôte pavé d'un trottoir. J'étais moi-même sur la
eourtois, leur obéir, sauf à perdre bient6t la tête, chaussée.
sous la forme d'un trouble spécial, qui depuis Cette violence eut le curieux effet de. me. plon-
m'est resté devant ce vert liquide, d'ailleurs si ger aussitôt dans la tristesse et la fatigue. Par
cher à des armées de fidèles.. un mouvement machinal, automatique, j'essayai
Le repas fut des plus verbeux et sauvagement de rechercher la place où venait de s'englontjr
tapageur. Soit à cause du bruit, du plafond trop ma victime; mais, après deux médiocres tenta-
bas dé la salle torride qu'on nous avait allouée, tives, je n'osaime courber de nouveau, tellement
ou plutôt du bourgogne. agressif, livré à nos j'éprouvais alors, comme .si la montre disparue
fougueux printemps, sans oublier les émo- voulait m'attirer elle dans l'a~tme qui l'avait
tion:; et la fatigue des dernières semaines, une recueillie.
Heureusement, à cette heure, que j'ignorais Puisque, je le vois; vous rentrez chez vous, per-
toujours, -lamaison familiale était plongée dans mettez-moi de solliciter dè votre bienveillance
un profond repos, et je pus, à demi-déshabillé, un service urgent., VOl1driez:'vous me confier
m'étendre dans un vieux lit ancestral, où l'anéan- quelques jours, pas longtemps j'espère, une
tissement me vint prendre, coupé d'irracontables montre en or, de telle nature (que je décrivis à
rêves. peu près). San! vous retenir plus de cinq minutes,
.Sur la fin de la nuit, je sommeilletais comme un jour où les magasins sont fermés, j'aurai vite
accablé, mais redevenu lucide, et tracassé par trouvé chez vous l'objet de mon pressant désir.
l'inquiétude. Sans doute, pendant que l'on croit C'est facile, répondit elle, si vous voulez
s'abstraire de tout souci, quelquechose de nous, me suivre jusqu'à la maison. Seulement,il n'est
une substance étrangère à nos moyens d'analyse, pas toujours donné de trouver un modèle exac-
veille quand même, dans l'ivresse, dans la lor- tement conforme à ce que l'on veut. Enfin, nous
peur, dans la folie. verrons.
Ma vague appréhension fut bientôt précisée. En peu d'instants nous fûmes rendus au ma-
A certaine heure de la matinée que je ne saurais gasin; et sans prendre même le temps d'ôter son
dirp, je fus rendu tout à fait au monde réel par chapeau, ses gants, elle' fit passer devant mes
de petits coups frappés à ma porte. yeux un certain nombre d'articles plus ou moins
Gaston 1 Gaston Ne suis-je pas en retard différents de celui qui m'obsédait.
pour la messe? Tu peux me le dire d'après ta Prétendre donner par eux l'illusion d'une
montre; ma pendule, je crois, ne va pas bien. forte ressemblance avec la montre envolée,
Glacé d'angoisse par ces seuls mots, je trouvai je me sentais devenir élégiaque, cela parais-
seulement le « truc de faire l'homme endormi, sait imbécile, en évoquant la vieille fille minu-
que l'on agace considérablement avec des ques- tieuse, inquisitive, qu'était mon excellente mar-
tions, et je répondis d'une voix « baillante » raine.
Oui. Oui. Très bien. Malgré tout, il fallait me décider, et déjà mon
Pauvre enfant, je l'ai réveillé, murmura la parti était pris en faveur d'une toquante (cela se
bonne âme en s'en allant. disait alors), vaguement semblable à l'autre, sans
Elle n'avait pas fermé la porte de la maison, Mme Girodet, plus raisonnable que'moi, l'agité.
que, d'un bond, j'étais hors de mon lit. Vêtu en Voyons, fit-elle, un peu de patience. Cher-
deux minutes, je refis le trajet de la veille, par chons encore. J'ai peut-être dans ce tiroir quel-
des rues marécageuses, la neige, toute grise, que chose qui vous satisfera davantage.
là où elle n'était pas entièrement évanouie, Et d'un geste de fée, plongeant la ma:ïn dans
dans l'espoir extravagant de retrouver, bien sûr son bureau, avec ces trois paroles
démoli,. incurable pPUt-8tre, l'objet de mes Ceci par exemple.
remords, autant que de l'orgueil de ma marraine. Elle en fit jaillir. ma montre elle-même 1
Naturellement, je ne retrouvai pas l'ombre de Alors, elle éclata d'un doux rire, malicieux,
En second lieu, M. Tony Garnier exposait une Cité Le Conseil municipal de Paris vient d'approuver
industrielle et l'Institut a estimé que ce n'était' pas le définitivement le projet d'utilisation du Petit-Palais
lieu d'un tel envoi. Il n'en pas fallu davantage pour qui avait été rédigé, fort sagacement, par M. Quentin-
soulever maintes colères contre « les vieillards qui Bauchart. Il est conforme aux indications qu'ici
siègent sous la coupole ». même nous avions souhaité, de voir suivre il écarte
Ladéferise de ces « vieillards », pourtant, doit être toute exposition d'antiquités, d'antiquailles qui
prise en toute justice ou tout au moins, des circons- était, à certains égards, dangereuse à cause des
tances atténuantes' doivent être plaidées en leur spéculations qui auraient pu en naître, et -il décide
faveur. Il n'y a pas que des vieillards, à l'Institut, que le Palais sera rempli a d'oeuvres acquises déjà, ou
surtout dans la section des Beaux-Arts et, pour n'en à acquérir parla Ville. Cela se fera au fur et à mesure
citer qu'un, M.- Cormon accueillerait très mal qui lui et c'est une temporisation très sage, mais d'ores et
adresserait ce 'sarcasme il est très vert, d'esprit et déjà on prévoit qu'on pourra installer fort honorable-
de corps, et il s'intéresse! même à lies manifestations ment plusieurs salles, en puisant dans les dépôts de
pseudo-artistiques aussi osées que le bal des Quat- la Ville.
Z'arts son habit à pans verts ne le gêne pas. Beau- 1 La Commission du Vieux Paris a fai~ une visite de
coup de ses collègues ont conservé la même jeunes¡;e ces dépôts et elle y a découvert, précisél\lent,quantité
etir est certain que, dans l'envoi de M. Tony Garnier, de 'statues ou de toiles « oubliées n> qu'on aura plai-
ce ne'sont pas les inscriptionsï~( séditieuses» qui les sir à revoir, ne fùt-ce quevpour se garer d'enthou-
ont offùsqués. Il nous souvient d'avoir vu, dans cette siasmes hatifs qui s'empare'tr:op souvent de nous.
section d'architecture, plusieurs projets soumis au Enfin le Conseil municipal, sur la proposition bien
jugement pour le concours de.Rome qui étaient dé- avisée, de M. G. ,Méry, réserve trois salles aux seuls
corés de sentences au moins'aussi impertinentes ou artistes parisien~, ~e qui fQnd, partiellement, un,autre
plaisantes et qui n'ont été l'objet d'aucune sévérité. _projet avec le 'P~ojetQuentin-Ba~c,hart. On aura
Le choix du sujet d'envoi de M. Tony,:Garnier n'a ainsi un beau Musée municipal, situé- en plein coeur
pas dû davantage soulever, en soi, la réprobation des des, promenades parisiennes et digne de ce qui reste
propos;"d'élot~uants de feu n:xposition..
« vieillards ». Nous avons lu, àce
plaidoyers pour la rénovation de'l'ai't; pour l'émanci- Ce qui en reste, hélas? C'est bien peu de chose.
pation de l'artiste, qui doit, maintêlÍl\1lt, se mêler au Les Invalides n'ont plus que des carcasses en fer. On
mouvement des idées et teinter, mêm'e, de socialisme met en adjudication, pour le 20 juillet, la démolition
ses. productions. Soit: ne chicanons point; admettons du Champ-de-Mars, et on est tout surpris de voir
ces tendances, encore, qu'eUes aient une .tournure un qu'aucune émotion ne se dégage, autour de nous, de
peu déclamatoire qui esÍ ,légère~t agàçante. Mais ces disparitions. On souhaite,tout au contraire,qu'elles
la question est tout autre,' en réalité, et l'Institut s'accomplissent le plus vite possible. Cette exposition,
n'avait pas à émettre un vote de principe, sur ce prin- si réussie à certains égards, a été ({ victime » de ceci
les difficultés de communications entre tant de mer- merce de plus de 12 milliards de francs. Il est juste
veilles accumulées et' nous « lui en voulons » en de tenir compte aussi de l'intense accroissement de
quelque sorte nous prenons à tâche de l'enterrer. la population plus de 56 millions d'habitants au
Pauvres artistes! comme leur cœur, encore une fois, lor janvier 1901, sans compter le grand nombre d'in-
doit saigner sous les coups de pioche, sous les coups dividus, 3 à 4 millions, émigrés dans le courant des
de marteau du commissaire-priseur aussi1 4 dernières'années. La Prusse seule entre dans ce
Un de ces derniers a vendu, cette semaine passée, chiffre pour 35 millions. Elle n'en comptait que 10 mil-
les débris d'un des amusements de Paris sur lequel lions en 1816; 13 millions en 1830; 24 millions en 1870.
on avait le plus compté: il a mis aux enchères ces si Ce serait le lieu de faire remarquer l'écart consi-
amusauts fantoches, et on a vendu 20 francs M. Cla- dérable entre la population mâle et féminine. Le dé-
retie ou un 'personnage lui ressemblant, 25 fr. nombrement constate la présence de 28613247 fem-
M. Montjarret, l'ancien piqueur de l'Elysée, dont le mes contre 27 731067 hommes, soit un excédent en
maUre M. Loubet a atteint 200 francs, avec tout un lot faveur de la plus faible portion de l'humanité de près
de généraux, de fonctionnaires, etc.! Une brigade d'un million d'individus. En France, cette proportion
d'agents a été cédée pour 7 fr. 50, et c'est Cléopâtre, est bien moindre, 280 000 environ. La transformation
avec les accessoires, qui a fait le maximum, 81 francs. des principales.cités a naturellement suivi la même
N'y a-t-il pas quelque attristante ironie dans ces progression. Berlin, autrefois simple bourgade, en
chiffres I? PAUL BLUYSEN. comparaison avec les premières capitales Paris,
Vienue OH Londres, abrite maintenant près de deux
millions de personnes (dénombrement de décembre
1900, 1884 151 habitants). Ici encore, nos voisins pnt
Géographie cherché à imiter les villes françaises; tous les embel-
lissements apportés à la grande cité allemande ils
sont nombreux et bien choisis ont été empruntés
L'Allemagne. A propos de récentes mani- avec quelques variantes, à la capitale de France. Là
festations.. ne se bornent pas les emprunts faits à notre pays. Pa-
L'Allemagne est à l'ordre du jour; tout le monde triotes, économistes, diplomates suivent avec inquié-
en parle, journaux et revues; des conférences sont tude cet immense développement de la nation aUe-
données dans diverses villes sur ce pays on dirait mande qui menace de déborder, disent-ils, sur les
une contrée nouvellement découverte. C'est la ques- Etats' voisins, surtout en présence de l'état presque
tion du jour, la grande actualité. Disons en aussi stationnaire de la population de notre pays. Qu'on
quelques mots, d'autant que le dernier recensement nous permette cependant d'exprimer notre avis ces
effectué dans l'empire (décembre 1900) nous fournira craintes, pour ne pas être absolument chimériques
l'occasion de traiter le sujet en géographes. La trans- ne méritent pas non plus les cris d'alarme poussés
formation qu'a subie l'empire allemand dans le cou- souvent par nos démographes. La limitation volon-
rant du dernier quart de siècle est en effet considérabhl. taire de la natalité, cet état d'esprit d'un peuple dont
L'exemple du progrès lui a d'ailleurs été fourni par nous ne nous chargeons pas de discuter les bienfaits
notre pays même, la France dont le peuple allemand ou les inconvénients, mais qui forme la cause prin-
suivait avec anxiété tous les mouvements.Notre marine cipale sinon l'unique de l'accroissement si faible de
surtout, nos ports, leur ont fourni divers enseigne- la population.française, cet état d'esprit, disons-nous,
ments. Se rendant compte du préjudice qui cause à n'est pas spécial à notre pays. C'est un phénomène
l'intérêt général du pays les rivalités de clochers, le qui apparaît, et grandit à mesure que se développe
désir de chaque port de mer de recevoir le plus grand l'instruction générale d'un pays, son intellectualité,
nombre de ¡bateaux, les Allemands se sont appliqués à pour ainsi dire. Un observateur sagace rencontre ces
s'assurer une certaine suprématie par l'outillage dont symptômes dans tous les pays civilisés d'Europe; en
ils ont doté leur principal port, Hambourg. Plus de Amérique, dans l'Amérique du Sud surtout (Répu-
4000 millions ont été dépensés, en ces dernières blique Argentine) la limilatio,n est ouvertement prê-
années, pour l'agrandissementet l'embellissement de chée par les économistes et penseurs du pays. En
ce port de mer. Deux cents millions ont été jugés Allemagne, ces symptômes tendent à s'accentuerd'une
suffisants pour toutes les autres villes de mer réu- manière très apparente. La progression numérique
nies. Tous les soins ont été apportés aussi au maté- des peuples civilisés aura donc forcément des limites.
riel et leurs navires rivalisent avec. les bâtjm~nts le La France aura été, encore une fois, à la tête de ce
mieux réputés des autres pays du globe. Les courriers mouvement (de recul, ajouteront les esprits chagrins):
d'Amérique mettent, pour arriver p~ Europe par les Consolons-nous en constatant que la richesse des
bâtiments francflis, 204 jours; par les ~âtiments amé- peuples comme le bonheur des individus n'est pas
américains, 17~ jours; par les bâtiments anglais toujours en raison directe de l'intensité de- leur
166 jours; par les navireà allemands, 16l jours seu- agglomération. P. LEM096F.-
lement La prospérité commerciale a atteint des pro-
portions qui inspirent de sérieuses craintes aux P.fi. Il npus semble juste de rendre àcètte
Anglais, peuple commerçant par excellence, et que place hommage à la mémoire d'un explorateur des
.redoutent les Allemands eux-mêmes; l'importance plus méritants, M. Ed. Foa, décédé le 29 juin der-
énorme des transactions produit en effet à toutes les nier, à l'âge de 39 ans.
époques et dans tous les pays des crises, des krachs M. Ed. Foa a été l'un des rares Français qui aient
dont quelques symptômes, se manifestent à l'heure pénétré dans le Dahomey avant .la conquête de ce
actuelle en Allemagne. En 1899, l'exportation à pays par le -général Dodds. Il a' exploré ensuite l'A-
atteint la valeurde 5500 millions; les importations, frique du Sud et fit la' traversée complète du conti-
plus de 6500, soit un mouvement général de com- n~nt de l'est à l'ouest durant les années 1894-1897.
Les documents scientifiques, les collections, les tro- Si cette dernière nouvelle est exacte, les Anglais
phées de chasses qu'il a rapportés de ses voyages peuvent être tranquilles, les Boers. savent parfaite-
(une grande partie a figuré à l'Exposition universelle ment la manière de se procurer les approvisionne-
de t 900) l'ont placé parmi les. plus grands explora- ments quand ils leur font défaut.
teurs africains. Les récits qu'il publia sont à la fois Annonçons, en terminant, qu'à l'heure où parai-
-attachants et instructifs. La Société de Géographie lui tront ces lignes, la ville de Richmond, située entre
avait décerné sa grande médaille (sa plus haute ré- les deux lignes du Cap et de Port-Élisabeth à Bloem-
compense) l'assimilant ainsi aux de Brazza, aux fontein, au centre de. la colonie dû Cap, sera sans
Stanley, aux Livingston; le gouvernement lui a ac- doute entre les mains de Kruitzinger qui l'évacuera
cordé le ruban rouge; à nous, d'expümer à sa après y avoir pris tout ce qui peut manquer à ses
famille notre très vive sympathie. P. L. commandos. C'est du moins ce quP laissent supposer
les dernières dépêches publiées à Londres, et ce qui
prouve que le général French lui-même est impuis-
LA GUERRE sant contre son insaisissable adversaire.
EN CHINE
AU TRANSVAAL
Nos marsouins commencent à rentrer en France
Le monde officiel devient nerveux, en Angleterre. après une campagne plus pénible que glorieuse. Le
A la Chambre des communes, le moindre mot de reste du corps expéditionnaire, sauf quelques milliers
blàme prononcé par un membre de l'opposition, la d'hommes, suivra prochainement et il n'y aura
plus petite allusion aux dangers de la situation dans rien de changé dans l'immuable Chine.
l'Afrique du Sud, déchaîne les colères ministérielles. En vérité, cette solution imprévue de la question
C'est que M. Chamberlain lui-même, en dépit des chinoise est bien faite pour déconcerter même les
efforts de la presse impérialiste qui s'applique à plus sceptiques. Le prestige de l'Europe va briller,
présenter la résistance des Boers comme à la veille n'est-il pas vrai? d'un éclat plus vif que jamais aux
d'être brisée, se rendparfaitementcomptequeBotha, yeux des races jaunes, et les généraux chinois auront
De Wet, Delarey, Kruitzinger, etc., sont moins dispo- beau jeu de se vanter d'avoir rejeté à la mer les Bar-
sés que jamais à capituler ou à.,abandonner la plus bares d'Occident. Et comment voulez-vous qu'il en
petite parcelle de l'indépendance des deux vaillantes soit autrement quand on voit, par exemple, le géné-
républiques. Dans ces conditions, nul ne saurait pré- ralissime de Waldersee, reçu naguère en grande
voir à quelle époque finira cette guerre d'anéantisser pompe militaire, salué par les drapeaux de toutes
ment. les grandes puissances, quitter la Chine sans tambour
« Pas de paix achetée au prix de notre indépen- ni trompette, sans même que son départ précipité ait
dance », telle est .la fière réponse des chefs Boers aux causé la moindre émotion en Europe!
déclarations de lord Salisbury, réponse transmise par On nous répondra que l'aventure aurait pu finir
lord Kitchéner à son gouvernement. plus mal. C'est possible, mais à quoi bon alors cet
Par tous les moyens possibles, Botha et ses vaillants effort prodigieux, ces centaines de millions dépensés,
camarades vont donc continuer cette guerre de gue- ces nombreuses vies humaines sacrifiées? Vous n'avez
rilla qui a déjà causé tant de mal à l'armée anglaise. même pas su atteindre les vrais coupables, les princes
Et cette triste perspective suffit à expliquer la ner- Tuan et autres; vous avez décapité quelques pauvres
vosité des membres du gouvernement d'Édouard VII. mandarins, tué des milliers de Boxers, imposé une
Quant à la presse, elle ne cesse de se plaindre des indemnité de quatre cents millions de taëls qui ne
procédés de la censure qui ne laisse plus passer sera jamais payée. Et la conclusion de tout cela, c'est
aucune nouvelle de la colonie du Cap où les progrès l'évacuation de la Chine, c'est le retour de l'Empe-
de Kruitzinger doivent inquiéter lord Kitchener beau- reur dans sa capitale!
coup plus que ne l'avouent les dépêches officielles. Franchement, toute la mauvaise besogne accomplie
On sait seulement qu'un conseil de guerre a été en Chine depuis la délivrance dés légations ne valait
tenu récemment au Transvaal et que les chefs Boers pas les os d'un de nos petits marsouins!
ont décidé de continuer énergiquementles hostilités. HENRI MAZEREAU.
Ce renseignement nous suffit, et dans quelques
semaines, quand l'hiver sera terminé, les Anglais
apprendront de nouveau à leurs dépens ce que vaut
la force morale d'un peuple qui ne veut pas mourir, TJ.1HÉATJ.1:&E
et qui, nous l'espérons bien, ne mourra pas.
La situation militaire n'a pas changé dans cette
dernière quinzaine. Les Anglais restent maîtres des LA MUSIQUE
positions qu'ils occupent jusqu'à portée de léurs Opéra-Comique. «Le Légataire universel »,
canon, et rien de plus. Botha règne toujours à l'est opéra-bouffe d'après REGNaRD, poème de MM. J. ADENIS
de Prétoria, et Delarey à l'ouest. Quant à De Wet, et BONNEMÉRE, musique de M. PFEIFFER.
les dépêches le signalent tantôt sur un point de On ne saurait trop féliciter M. Pfeiffer d'avoir cou
l'Orange, lantôt sur un autre, mais la censure se rageusement rompu en visière avec les tendances
montre, bien avare de renseignements sur le brillant musicales de notre époque, tendances qui consistent
~~àicier. Elle
se contente de nous annoncer pour la à embrumer d'interminables dissonances aussi bien
mille et unième fois que le pays, dans un périmètre le~ drames lyriques que les oeuvres comiques. Il s'est
considérable autour de Bloemfontein,se trouve main- dit qu'ayant à traiter un allègre sujet, il fallait être à
tenant débarrassé de l'ennemi et que plusieurs com- la fois clair et de joviale humeur, et, laissant de côté
mandos boers seraient à court de munitions! les lourds et pâteux modèles que lui montrait l'école
de l'avenir, il a préféré jeter un regard vers le forme et par le procédé employé pour leur impres-
passé. Et le vieux répertoire de l'Opéra-Comique sion. Ils sont composés d'un cadre octogone imprinlé
ayant fait miroiter à ses yeux d'inoubliables et tou- en couleur et au milieu duquel la figure de la Reine
jours fraîches joyeusetés telles que Bonsoir, Mon- ressort en 'blanc et en relief. Les 10 pence et 1 shil-
sieur Pantalon, Les Rendez-vous bourgeois, Don ling sont traversés au dos par un fil de soie amal-
Pasquale, Giralda et Le Barbier de Séville, M. Pfeiffer gamé dans le pâte du papier; le 6 pence a en filigrane
a laissé le Pleyel aux notes éclatantes pour le les deux lettres VR et pas de fil
discret clavecin, et a judicieusement préféré l'ai- de soie. Les prix de ces trois tim-
mable orchestre de jadis à la tonitruante instrumen- bres sont toujours assez élevés
tation d'aujourd'hui. lorsque l'on désire'les posséder
Et pouvait-on procéder autrement avec l'humo- découpés en rectangles; ils le
ristique comédie de Regnard, merveilleusement sont en effet presque toujours
apprêtée pour la musique par MM. J. Adenis et Bon- suivant la forme du cadre. Bien
nemère? margés le 6 pence doit se payer
C'est donc .à une véritable résurrection de notre 3 fr. 50, le 1.0 pence 9 francs et le 1 shilling 2 fr. 60.
vieille école française en même temps que de l'opéra- En 1850 les 1 pennybrique et 2 pénce bleu de 184:1
bouffe italien qu'il nous a été donné d'assister. Et les furent dentelés à l'aide de la machine inventée'par
artistes, MM. Périer, Grivot, Carbonne, Mesmaecker, Archer. Ils existent avec les deux piquages 16 et 14:
Jacquin et Delahaye, ainsi que Mm.. de Craponne, et valent le penny 0 fr. 30 dentelé 16 et 1 fr: 90
Eyreams et Pierron, ont mis un tel entrain à inter- dentelé 14.; le 2 pence 1 fr. 1.0 dentelé 16 et 2 fr. 50
prêter les trois jolis actes du Légatai~·e universel, dentelé'4.
que le succès n'a pas tardé à se nettement dessiner. En 1854: ces deux timbres furent tirés non plus sur
Puisse l'heUreuse initiative de M. Pfeiffer ren.contrer papierà filigrane petite couronne mais avec le filigrane
de nombrenx adeptes! Personne, hors les snobs, ne grande couronne (voir ci~contre). Cette émission com-
s'en plaindra. Em. FOUQUET. porte également les deux piquages 14: et 16. Le 1 pen-
~9 ny vaut 0 fr. 05 dent. 14 et 3 fr. 10 dent. 16. Le 2 pence
0 fr. 25 dent.4 et 5 fr. 25 dent. 16. Inutile de dire
que les exemplaires de ces timbres vendus à un et
LES LIVRES quatre sous par les marchands sont toujours des
grandes couronnes dentelés 14:, types les plus com-
communs.
Aimez-vous Sienkiewicz? Il en paraît partont. Voici Pour reconnaître les différentes piquages des tim-
chez Perrin un livre de nouvelles, ou plutôt deux bres on doit se servir d'un compte-
petits romans Marysia ( Esquisses au fusain) et Sur dentelures en carton sur lequel
lacôte d'azur. Le premier, une des premières œuvres sont imprimées des rangées de
de Sienkiewicz; est un piquant mélange d'ironie et de points noirs donnant exactement la
passion. C'est un tableau satirique des mœurs rurales grandeur des ouvertures des dents
polonaises cette esquisse au fusain est un peu poussée des timbres et le nombre de ces
au noir, naturellement, mais elle est vivante. Si dans dents sur une longueur déterminée
Marysia, Sienkiewicz s'attaque aux Polonais de Po- de deux centimètres. Lorsqu'il se trouve 14 dents dans
logne, dans Sur la cote d'azur, il nous montre Il le cette longueur le timbre est dit dentelé 14 s'il y a
Polonais de Monte-Carlo », être cosmopolite qui pro- 16 dents il est dit dentelé 16, etc. Le compte-den-
mène au soleil ses ennuis et ses désirs, chimériques. telures est, comme le godet à fond noir destiné à faci-
liter le classement des filigranes un aide indispen-
Le portrait de Théodore Botrel que nous fait
M. Jean Ba~h-Sisley, dans une petite brochure, se
tingue par ses détails amusants, ses touches justes et
d sable pour le collectionneur qui veut classer ses tim-
bres anglais les prix de ceux-ci et leur rareté
s'évaluant pour presque toutes les séries d'après
pittoresques et surtout par un accent de sincère leurs différences de filigranes et de piquages.
admiration pour le barde breton. FILIGRANE.
Je me plais à recommander à mes lecteurs un livre
de M. Ch. LEGRAND: Originales paru à Louvain chez PRIMES TIMBROLOGIQUESDU 15 JUILLET'.
l'éditeur Giele. Il renferme trois nouvelles Gertrude,
Brésil Chiffres :1.850, 90 c. noir. 0 fr. 65. 1854. 10 c.
les sept demoiselles Tonnelet et la coiffe de Sainte- bleu. 0 fr. 40.
Catherine qui sont d'une lecture très agréable et Terre-Neuve 1870. 5 c. bleu phoque. :1. fr. 30.
témoignent d'un très réel talent. Colonies frança~ses :1.878. 15 c. bleu obl. 1 fr. 55.
J. G. 1877. 25 c. bleu obl. 0 f. 65.
Soudan français 1894. La série des 13 timbres N
5 fr. 30:; avec les valeurs changées de couleurs.
:Kadagascar-Posle française: :1.89), 5 c. vert obl. 0 fr. 30.
Madère 1880. 25 c. violet obl. 1 fr. 85.
PETIT COURRIER TIMBROLOGIQfFE
En dehors de nos primes nous pouvons faciliter à nos
lecteurs leurs achats de timbres aux mêmes conditions
que nos primes. Pour tous les renseignements
timbrolo-
Les Timbres anglais. giques- et les demandes de timbres, on est prié de s'a-
De 1847 à 1854 on adjoignit aux deux timbres exis- dresser à Filigrane, aubureau du Magasin Pittoresque.
tants depuis 1840 trois nouvelles valeurs :-6 pence FIL.
violet; 10 0 pence brun et i shilling vert. Ces timbres
diffèrent entièrement des deux premiers et par leur
CHANSON DE
LA GLU.
Poésie de Musique de
d. RICHEPIN. B. PROUST.
ItA jVIObH ~1~ITTO~BSQUH Tous les vêtements doivent être réparés avant de les
serrer de façon qu'on puisse les prendre en cas de besoin.
Pliez tous les effets à l'endroit afin qu'ils ne fassent pas
On dit "n. 1'111'0.
1.4 souvent qu'une femme n'a que l'âge qu'elle paraît
avoir et ce qui, au premier abord, semble n'être qu'une
de faux plis. Couvrez-les chacun séparément avec dès jour-
naux propres et mettez-les dans les armoires ou dans les
malles destinées à les recevoir en n'épargnant ni l'ail, ni
aimable galanterie devient une vérité si le visage, ce miroir le poivre ou le camphre,
où se reflète l'expression de la beauté est uni, pur, d'une
diaphane blancheur et donne ainsi l'illusion absolue de la
jeunesse. Avec la Fleur de Pèche de la Purfumerie Exoti- M. R., à Tours. Les douleurs que vous éprouvez pro-
que, 35, rue du Quatre-Sepfembre, ce merveilleuxrésultat viennent certainement du foie. Buvez à tous vos repas
s'obtient, car cette poudre de riz aux essences exotiques' pendant une quinzaine de jours, de l'eau de Vichy Grande
est très adhérente et rafraichissante à la peau et prévient Grille. Ces douleurs disparaîtront au bout de peu de
toute altération de l'épiderme. temps. Mais exigez bien le nom de la source sur l'éti-
Il aurait été difficile de peindre le gracieux tableau quette et la capsuleainsi que le disque bleu « Vichy-Etat e
qu'offrait le' cercle du bois de Boulogne pendant la fètede
nuit qu'il vient de donner. Toutes les femmes étaient sur le goulot de la bouteille.
charmantes dans leurs robes décolletées, accompagnées
de -chapeaux couverts de plumes ou de fleurs et nous en
connaissons plus d'une qui, après avoir critiqué cette mise CONTRE LA COQUELUCHE
un peu. théâtrale, ont été le lendemain se faire photogra- La grippe et les toux nerveuses, quelles qu'en soient les
phier dans leurs atours, afin d'en consacrer le souvenir. causes, sont instantanément guéries par le Sirop Derbecq
!lest bien. séduisant et scintillant celui que nous a laissé .à la Grindélia Robusta. C'est un remède absolument effi-
Mm. T. dans une jupe de tulle pailleté incrusté de motifs cace qui procure un soulagementimmédiat.Aussitôt après
de Chantilly et un grand chapeau de crin blanc doublé de son absorption les quintes diminuent pour ne plus repa-
paille riz blanche avec une énorme couronne de pavots dé raître et les vomissements s'arrétent. Les hôpitaux de
tons différents. Paris ont tous expérimenté le Sirop Derbecq et les résul-
Nous avons fait la remarque qu'en dehors du blanc ou tats, tous favorables, ont été concluants. Le Sirop Derbecq
du noir les couleurs bleues, rouges,mauves, etc., ne sont a d'autant plus de succès qu'il ne contient aucun toxique.
pas seyantes, ni vraiment élégantes, surtout comme coif- Etant inoffensif il convient surtout aux enfants, auxquels
fures du soir, la lumière changeant beaucoup les teintes. il peut être administré sans crainte. On le trouve partout
Comme vêtements d'été on prépare de larges vestes de au prix de 4 francs le flacon, ou de 1 francs les deux.
taffetas, non cintrées, avec manches très évasées qui se
passeront facilement sur les corsages de mousseline et de
linon, le devant en est ballant, garni de dentelle ou de
tulle de façon à faire tnès flou. MASTIC POUR FENTES DES PLANCHERS
LIBELLULE. On déchire des journaux en petits morcêàux que l'on
met à digérer dans de l'eau pendant toute une nuit; le
Iiue maman desolée. Rassurez-vous, votre chère fillette lendemain, on fait bouillir ce pot-au-feu élémentaire pen-
aura cils et sourcils comme toutes ses jeunes amies après dant deux ou trois heures, en ayant soin de le remuer, de
quelquesapplications de la Sève sourcilière que la Par fume- le brasser et de l'évaporer, jusqu'à ce que l'onatÍèigne la
rie Ninon, 31, rue du Quatre-Septembre, vous enverra franco, consistanc.e d'une pâte de farine épaisse, Pour quatre litres
contre mandat-poste de 5 fr. 50. et demi d'eau de cette sorte de cataplasme, on ajoute alors
L. 500 grammes de farine, 100 grammes de gélatine dissoute
et deux cuillerées à soupe d'alun. Finalement on fait
bouillir pendant dix minutes, on laisse refroidir et l'on
1ÎECETTES ET COIQSBILS dépose avec soin cette colle dans les fentes du parqnet
préalablement saupoudrées par surcroit d'un peu de plâtre
fin.
Tout s'use, tout passe, et sous le poids des ans les
dents disparaissent. On peut cependant les conserver LES MALADIES A LA MODE
j!isqu'à rextrême vieillesse par l'usage de I'Eau de Suez, Dans notre Société actuelle, l'anémie, la neurasthenie,
dentifrice antiseptique, le seul dont l'usage quotidien pré- les maladies nerveuses progressent de plus en plus. En les
serve les dents de la carie, les guérit, rafraîchit etparfume qualifiant de maladies à la mode, cela dispense de les
agréablement la bouche. L'Eau de Suez est un remède
sérieux que trente ans de succès nous permettent de guérir; au besoin on plaisante les malades. Ceux-ci
recommander à nos lecteurs, doivent se. sentir très heureux que, par leurs souffrances,
ils soient à la mode, A ceux qui trouveraient que cette
mode n'a rien de séduisant, nous conseillerons de com-
battre l'ANÉMIE au moyen du Phosphate de fer Michel,
COMMENT DOIT-ON SERRER LES EFFETS D'HIVER? et la NEURASTHÉNIE par l'$lixir phosphovinique. Simulta-
On ne saurait prendre trop de précautions en serrant nément, il faut purifier le sang au moyen du Vin Iodo-
les effets d'hiver afin de les préserver des ravages des mites. phosphatédu D· Foy ou des Pilules de la Pharmacie JOLLY,
Ces insectes se plaisent dans les vêtements remplis de 64, boudevard Pasteur, à Paris.
poussière, car c'est dans cette poussière qu'ils trouvent
leur nourriture.
La propreté parfaite tant des vêtements que des armoi- CONTRE LES TACHES DE ROUSSEUR
res est indispensable. Il faut passer à l'eau chaude tous Le meilleur moyen de faire disparaître les taches de
les coins des armoires où l'on doit serrer les vêtements
d'hiver et les arroser d'essence de térébenthine; il faut rousseur est d'employer l'eau oxygénée matin et soir on
applique sur les taches, pendant cinq minutes, un ta~-
faire de même pour les commodes et les gardes-robes. l'irritation
Lorsque ce nettoyage est fini, on placera des journaux pon de ouate imbibé de cette eau. Pour calmer
et l'écaillement de la peau produit par ce traitement, on
propres sur les rayons et dans les tiroirs. Les' mites ne fait une onction avec la lanoline, ou on lave avec 'une
peuvent sentir l'encre d'imprimerie des jeumaux. solution de glycérine boriquée.
Choisissez un temps sec, une journée de soleil pour
bien aérer vos effets avant de les serrer. Mettez bien les r..
paletots, les habits dans les plis, les poches en dehors,
secouez-les, battez-les et brossez-lea jugqwà ce qu'il ne Maladies nerveuses, de poitrine et d'épuisement; guéri-
reste plus de trace de poussière; pendez-les ensuite au son assurée par les produits Henry Mure, de Pont-Saint-
soleil pendant deux ou trois heures. Esprit (Gard). Notice gratis sur demande.
La Provence est uri pays béni, d'une grâce jusqu'au joueur de boules qui fait des « palets »,
éternellement captivante. Les poètes qui l'ont d'un geste arrondi. Il sait le creux du rocher où
une fois chantée ne se lassent pas de dire qu'elle il fait bon boire à la régalade en face la mer
.est belle; les peintres que sa chaude lumière a bleue et son pinceau se plait à décrire les haltes
séduits ne veulent plus connaitre d'autres cou- paysannes en pleine campagne, à l'ombre des
leurs que celles de sa mer et de son ciel. Elle est oliviers.
la « gueuse parfumée» qui rit au soleil et grise Chacun de ses tableaux représente une
avec toutes les fleurs de ses collines. La lande scène de la vie provençale ici, c'est le vieux
bretonne est la halte d'un rêve, mais elle fatigue port où les portefaix, torse nu, beaux comme
à la longue par sa grise mélancolie; la plaine des cariatides de Puget, débarquent des sacs de
normande devient monotone et le regard veut blé chef d'œuvre dont s'enorgueillit le musée
.autre chose que des pâturages toujours verts. Le de Marseille.Là, c'est la Bouillabaisse, un pécheur
paysage provençal est un spectacletoujours nou~ portant fièrement un panier de poissons sur la
veau pour qui sait le voir, l'analyser et le com- tête tableau acheté par Meissonnieret que la
prendre. gravure a popularisé.
Demandez à l'artiste qui nous a donné cette Et je songe au bel album qui fût sorti de la
page lumineuse le Retour du Père, quel est le collaborationd'AlphonseMoutte et de Paul Arène
plus beau pays du monde 1 Pour Alphonse Moutte, si le délicieux conteur eût commenté de sa prose
il n'y a que la Provence 1 Depuis trente ans, ensoleillée l'œuvre du peintre provençal.
toutes ses toiles le disent. M. Alphonse Moutte est aujourd'hui directeur
Alphonse Moutte est Marseillais cela se de- de l'];;cole des Beaux-Arts de Marseille. La Cham-
vine, si j'ose ainsi parler, à l'accent de ces ta- bre de commerce de sa ville natale lui a com-
bleaux. Il faut être de la Cannebière en effet pour mandé deux toiles où il a mis tout son talent et
saisir tout ce qu'il y d'original et de savoureux tout son cœur: Le port de Ma~·seille en 1826 et
dans les personnages que son pinceau campe En ~901. D'autres œuvres suivront certainement
avec tant de naturel et de pittoresque. De Meis- encore qui auront toujours la belle Provençe pour
sonnier qui fut son maître il a le fini du dessin, thème, où nous retrouverons le même amour
le souci scrupuleux du détail dans la'mise en de sa lumière, la même passion pour les êtres
scène mais il a, bien à lui, la couleur et le et les choses fixés à son sol aimé.
mouvement. Et ce m'est un plaisir de saluer ici un maître
Voyez le vieux bonhomme qui, le bonnet sur
l'oreille, retourne à la maison. Le grand soleil
un ami qui vit tranquille, loin du bruit, en
sa modestie laborieuse, et dont les chefs-
qu'on sent vibrer dans la chaude atmosphère n'a d'œuvre attendent depuis trop longtemps une
pas l'air de le gêner; la besogne est finie, le ba- place dans nos musées nationaux.
teau se balance dans quelque crique et sur le Ca. FORMENTIN.
seuil de la porte, la fille aînée et le plus jeune
gosse accueillent le père aux lourds sabots.
Tous les types de Provence sont familiers à La nature a dit à la femme Sois belle si tu peux, sage
si tu veux; mais sois considérée, il le faut.
Alphonse Moutte, depuis le pêcheur de la côte BE.4CMARCH.4IS.
l
technique de l'Aéro-Club qu'il tenteraÃt son ex- cents tours à la minute. Entre l'hélice et la
périence officielle le lendemain matin, juillet, tie inférieure arrière de l'aérostat
à six heures.
par-
se trouve le
gouvernail, en soie souple tendue sur un cadre
A l'heure dite, nous nous trouvions au parc triangulaire de bambou. De l'autre côté du mo-
aérostatique de l'Aéro-Club, sur la rive gauche teur, presque à l'avant du treillis de bois
sup-
de la Seine, à mi-côte entre le pont de Suresnes porté par le ballon, est la nacelle étrl)Ït panier
et la passerelle d'adduction des eaux de l'Avre, juste suffisant pour contenir un homme de très
pour assister à l'expérience. petite taille et, latéralement à la nacelle, deux
Le Sa7ztos-Dumont ~z° 5, tout gonflé et tout ap- poches de toile contenant le lest. Vu
son éloi-
pareillé, était abrité sous son hangar et le jeune gnement du moteur et du gouvernail, l'aéro-
ingénieur-aéronaute, l'œil à tout sans souci des naute est obligé d'agir sur l'un et
sur l'autre à
visiteurs qui commençaient à affluer, vérifiait le l'aide de fils de commande et c'est là, il faut bien
fonctionnement de ses divers appareils. le dire, le point faible: de l'agencement de son
Nous avons dit que le ballon était de forme aérostat.
allongée. Il affecte, en effet, la forme d'un gros Le guide-l'ope n'a pas de point d'attache fixe
cigare également effilé aux deux extrémités. Sa sous la charpente légère où sont installés la
na-
longueur est de 34 mètres et sa capacité de celle, le moteur et l'hélice. Par
une ingénieuse
560 mètres cubes. La première enveloppe en combinaison, il peut
se déplacer de l'avant à l'ar-
contient une seconde reliée par un manchon à rière, à volonté, permettant ainsi de modifier
une pompe de compression actionnée par le mo- l'axe d'inclinaison du ballon et d'opérer les mon-
tées et les descentes, sans dépense de lest ni sont écoulées et M. Santos-Dumont ne court plus
perte de gaz. que pour l'honneur.
A six heures et demie, tout était prêt. A dire L'hélice du ballon, qui s'était arrêtée un
vrai, deux seulement des quatre cylindres du moment, se remet en marche et le « dirigeable»,
moteur fonctionnaient et l'on en fit la remarque qui paraît avoir retrouvé ses moyens, revient
'il M. Santos-Dumontqui se contenta de répondre vers les côteaux de Saint-Clondassezrapidement.
« Bah! j'espère que ca ira tout de même! ». Bientôt, il repasse la Seine à 300 mètres d'alti-
L'aérostat fut sorti du hangar et, sur le « Lâchez tude 'et vient planer au-dessus de son point de
tout! » du jeune aéronaute, s'éleva lentement départ à 7 h. 24 minutes. Il a donc mis 39 mi-
dans les airs par sa seule force ascensionnelle. nutes au lieu de 30 pour accomplir sou voyage,
A deux cents mètres d'altitude environ, 11f. San- dans des conditions atmosphériques particuliè-
tos-Dumont met son moteur en action et le ment défavorables.
ballon, avec une pétarade de teuf-teuf, vire et C'est un magnifique résultat. Aussi les assis-
volte dans l'espace, sous la direction de l'aéro- tants ont-ils salué de leurs vivats le jeune et
naute, aux intrépide aé-
acclamations ronaute, tan-
des assis- dis qu'il ma-
tants. Il est noeuvrait
exactement
pour opérer
~6 h. 45 quand
sa descente.
le Sa~ztos- Les cylin-
Du7nont n° 5, dres du mo-
après avoir, teur, qui
dans une avaient mal
courhe lar- fonctionné
gement des- durant le
sinée, tâté le
voyage, re-
vent qui fusèrent ce
souffle très moment tout
vif de l'ouest office, et l'aé-
vire nette- rostat fut
mentdebord emporté par
et pique dans le vent du
la direction côté de l'hip-
de la tour podrome de
Eiffel. Le coin de la propriété du baron Edm. de Rothschild, où a eu lieu la chute. Longchamp.
Du haut M. Santos-
d'un talus qui clôture le parc aérostatique de Dumont dut se résigner à atterrir coûte que
Saint-Cloud, nous avons pu suivre facilement coûte il lit
manoeuvrer la corde de déchirure de
toute l'expérience du ballon dirigeable. La son aérostat et vint s'abattre les hauts mar-
tour Eiffel, en effet, dressait au loin, devant ronniers de la propriété de M. sur le baron Edmond
nous, sa silhouette un peu imprécise dans la de Rothschild, en bordure de la route de Bou-
brume matinale planant sur Paris. Tout d'abord, logne. Durant
un bon quart d'heure, l'aéronaute
le vent très vif fit dévier sensiblement l'aé- juché dans nacelle,
sa au milieu des branches, à
rostat de sa ligne et le poussa vers le sud mais, la hauteur d'un deuxième étage, resta dans une
bientôt, on put voir le Santos-Dumont n° 5 se position
assez périlleuse mais ses amis, accou-
diriger rapidement du sud au nord vers la
rus en automobiles ou à bicyclettes, purent, avec
tour Eiffel et la doubler entre la deuxième et l'aide des jardiniers de la propriété, le sortir de
la troisième plate-forme. 11 était exactement
sa fàcheuse situation. Le dégagement de l'aéros-
7 heures. tat, complétement enserré dans les arbres, fut
Et le frêle esquif aérien, avec un vent debout plus délicat, mais cependant vite
opéré et sans
très prononcé, revient droit sur son point de départ, des avaries trop importantes.
se précisantplus nettement de minuteenminute. Incessamment, M. Santos-Dumont, plus maître
A mesure qu'il se rapproche, on constate
que de moteur, recommencera son expérience,
l'hélice ne tourne pas avec sa rapidité habituelle déjàson si convaincante et décrochera sans difficulté
et l'on soupçonne qu'un accident a dù se pro- le prix de 100000 francs attribué par M. Deutsch
duire au moteur. Cette inquiétude se confirme premier ballon dirigeable.
lorsqu'on voit l'aérostat opposer au vent une au
résistance moins grande et se laisser entraîner JULES CARDANE.
(Photographies de l'auteur.)
un peu vers le sud. A ce moment, les 30 minutes
imposées pour l'obtention du prix de 100000 fr.
LE CULTE DE L'EAU AU PAYS DE LA SOI F
Ce n'est pas, à vrai dire, d'une religion nou- article consacré à la façon dont on recueille l'eau
velle que nous voulons parler, et ce pays de la dans les contrées où il est fort extraordinaire
soif que nous évoquons ici n'est pas une contrée qu'il en tombe.
récemment découverte. La pluie bienfaisante, que les paysans de nos
Des esprits plaisants trouveront peut-être sin- campagnes trouvent parfois bien longue à venir,
gulier que l'on ré- est attendue vaine-
serve un culte à cette ment pendant des an-
eau vulgaire dont nées et des années.
l'horreur est ressen- dans certaines par-
tie par une notable ties de l'Afrique par
partie de nos con- exemple, et. nous
temporains, mais noussouvénonsdela
nous convenons que joie mélangée de'stu-
le mot est un peu peur que causa aux
gros et nous décla- Somalis une pluie
rons que notre in- torrentielle qui s'a-
tention n'est pas de battit deux jours du-
faire de prosélytes à rant sur leur désert
une méthode médi- aride. De mémoire
cale assurément dis- d'homme, on ne se
cutable. rappelait pas qu'il fût
Ausurplus, on peut jamais tombé autant
dire que ce supplice d'eaU.. Un vieux guer-
terrible qui s'appelle rier, voisin, de la cin,.
la soif est presque quantaine, ,affirmait
inconnu dans nos ré- qu'il n'avait jamais
gions où la séche- vu pleuvoir et il se
resse est rare. Et demandait anxieuse-
pour celui qui veut ment si ce n'était pas
se rafraîchir, il est la fin de tout « Vois
une quantité de bois- plutôt, nous disait-il
sons variées à l'infini en étendantses bras
qui remplissent cet osseux sur son dé-
office au détriment sert dénudé; la terre
de l'estomac, certes, est dure comme du
mais pour le plus roc et aussi chaude
grand agrément du Jeune fille turque revenant de la fontaine. que le soleil ».
palais. Mais, dans l'espace
C'est une affaire de goût et de constitution. d'une journée, le désert changea complètement
Il existe pourtant des contrées moins favori- d'aspect. Une herbe verte et fraîche sortit du
sées que les nôtres, et si noùs devons remercier sable humide et les moutons des pasteurseurent
la Nature d'avoir réuni chez nous avec abondance ce jour-là un plantureux festin. Ils en profitèrent
les divers éléments qui constituent la vie, nous à loisir, non sans raison du reste, car le soir
ne pouvons oublier qu'il est des endroits deshé- même il ne demeurait plus rien de cette végéta-
rités où cette eau que nous n'apprécions pas assez tion éphémère que les rayons du soleil avaient
estune rareté presque introuv able,que des peuples dévorée avidement.
entiers écrasés sous le soleil appellent de tous Peut-être n'est-il pas besoin d'aller dans ces
leurs voeux. pays éloignés pour apprécier la valeur de cet
Aussi, ces habitants des régions tropicales que élément indispensable auxhommeset aux choses.
calcine la chaleur torride, que dessèche le vent Ne nous trouvons-nous pas privés d'eau à
de feu qui achève de les consumer dans cet enfer Paris, même pendant une bonne partie de l'été,
perpétuel, professent-ils un respect religieux malgré les précautions prises et en dépit des
pour l'eau qui désaltère, pour l'eau qui purifie, canalisations perfectionnées que nous devons à
pour l'eau qui féconde. l'industrie moderne ?
Il y aurait là matière à des réflexions philoso- Il est donc moins surprenant que des réions
phiques qui n'entrent pas dans le cadre de cet sans ressources où les peuples sont imprévoyants
et quelque peu paresseux soient victimes de leur climat en s'entourantdes précautions nécessaires.
insouciance et de leur inertie. Mais en dehors de l'Afrique, de l'Asie et d'autres
I! n'est pas de désert, en effet, où, en creu- régions que l'on devine également, il y a des
sant la terre à une certaine profondeur, on ne contrées européennes, la Turquie, la Bosnie-
puisse faire jaillir l'eau de ses flancs.
Que cette eau soit plus ou moins bonne,
qu'elle ait souvent un goût saumâtre très
désagréable, cela est vrai, mais, telle qu'elle
est, elle peut encore être employée et bue
sans danger si l'on prend le soin de la faire
bouillir et de la rafraîchir ensuite par le pro-
cédé classique du balancement nocturne.
Les habitués du désert connaissent bien
ce moyen qui consiste à attacher, le soir,
un seau d'eau à une corde raide. Un boy
vient, de temps en temps, imprimer un mou-
vement de va-et-vient au récipient et, en
quelques heures, l'eau acquiert une fraicheur
relative.
Ce n'est pas un breuvage exquis, mais la
Un puits dans le désert des Somalis.
soif est un besoin si impérieux que, pour le
satisfaire, on peut bien imposer quelque sacrifice Het'zégovine, l'Espagne, l'Italie où il fait égale-
à sa prédilection. lement très chaud.
Quand on parle de la chaleur, il est deux pays C'est donc dans beaucoup de pays que se font
qui apparaissent aussitût comme son empire in- sentir les inconvénients multiples du manque
contesté l'Afrique et sa voisine l'Asie. Il n'est d'eau. Aussi, quelles mesures sont prises pour
pas, en effet, d'endroits au monde où l'on en recueillir une denrée aussi utile Ce ne sont
souffre autant. partout que citernes, que puits, que récipients
De Djibouti au g-olfe de Guinée, d'Aden à Hon~- de toutes sortes qui attendent le moment d'en
engouffrer le plus
possible. L'eau est
trop précieuse pour
qu'une seule goutte
en soit perdue.
Nous parlions
tout à l'heure d'A-
den, l'un des points
les plus chauds du
globe.. Là, le ther-
momètre marque
22 degrés en plein
hiver; il dépasse
parfois 40 degrés en
juillet. Comment,
danscesconditions,
se procurer, sur ce
rocher abrupt, l'eau
nécessaire à l'ali-
mentation ? On es-
saya de tous les
moyens. Des puits
furent creusés, cer-
Le transport de l'eau à Djibouti. tains à de très gran-
des profondeurs.On
Kong, on se trouve sous la latitude la plus acca- en:fit un qui atteignit 60 mètres au-dessous du
blante. Mais la température est telle qu'on n'y niveau de la mer. L'eau qu'on en tira était horri-
transpire même pas. La peau est bien dans un ble à boire. On eùt dit du café presque bouillant,
état de moiteur, mais sous l'action du soleil la quant à la couleur et à la chaleur. Cependant, la
sueur s'évapore à mesure qu'elle apparaît à la difficulté fut vaincue quand les Anglais firent tail-
surface de l'épiderme et c'est cette raison qui ler dans le rocher même des réservoirs de grande
fait que l'on peut fort bien supporter un pareil contenance. Ce sont de véritables bassins étagés
avec des escaliers intérieurs et extérieurs. Le très humble qui apaisera leur soif ? C'est spéculer
travail était considérable à accomplir. En coloni- malhonnêtement sur la souffrance d'autrui et les
sateurs avisés, les Anglais le menèrent à bien au habitants d'un pays riche et fertile comme le
prix des plus, grands efforts et donnèrent ainsi la nôtre sont inexcusables d'exercer un pareil mé-
prospérité à cette ville de 30000 âmes qui est un tier, mais l'appât du gain est si puissant chez les
port de relâche d'une importance extrême. peuples civilisés qu'il doit être encore plus aigu
Mais il va sans dire qu'on ne peut se livrer par- chez ceux qui.ne.le sont.guère.
tout à des ouvrages d'art aussi dispendieux. Il AvaIlt'les'canalisati!)ns, dont sont pourvus
faut parfois avoir recours à des moyens non seu- maintenant les moindres,villages, ily avait les
lement plus économiques mais aussi plus rudi- porteurs,d'eauqui tendent, de plus en plus à dis-
mentaires. paraîtr:e.' Ce' n'était pas là profession la moins
Dans les déserts de l'Afrique, on en est réduit recherchée des Auvergnats 'qui,. depuis; en ont
à creuser la terre avec les mains, les lances ou pris d'autres.
les couteaux qui semblent réservés pour un tout A Madrid, à Naples, .à Constântinople, au
autre usage. Caire, à AI-
Et quand ger,lesmar-
on a atteint chands
la nappé d'e"au sont
d'eau sou- légion. Ce
terraine et sohtde véri-
que l'eau se tâbl:es com-
met à boùil- mrçants et
lonner, c'est qu'ils s'ap-
une joie vé- péllent
ritable;' Àguador,
Lacarava- Ac.qùaiuolo
ne, ce jour- Sakka
bU'
Que porte-t-il, cet Annamite qui s'en va d'un voit que l'un et l'autre s'acquittent conscien-
pas lent et mesuré? De l'eau. Mais quels singu- cieusement de leur office.
liers récipients à compartiments! On dirait des En Algérie, l'arrosage d'un palmier, l'approvi-
piles Leclanché! sionnement d'une oasis exigeront un appareil
Et ce chameau étique qui traîne à sa suite le qui n'est pas sans ingéniosité. Pour puiser l'eau,
tonneau « municip:~l » de Djibouti n'est-il pas on se servira d'un vaste récipient formé de peaux
amusant au possible? Aussi lui faisons-nous les de chèvres ajustées les unes aux autres et qui
lionneurs de la reproduction. Et ces ânelets qui, lui donne un peu l'aspect d'une théière géante.
On le garnit 'ensuite d'un filet qui l'enveloppe à Cela peut sembler une exagération. Rien n'est
la façon des ballons et auquel une corde est soli- plus exact. Pendant des mois et des mois, ils
dement fixée. Il ne reste plus qu'à attacher deux laissent pourrir l'eau dans d'immenses jarres
traits à un chameau vigoureux pour que l'eau. de terre et des millions de microbes vont naître,
monte au niveau de la margelle du puits par se développer. et s'entretuer. A la fin, il n'en
suite de la traction de l'animal. Le chameau restera presque plus. Le soleil achèvera les
avance ou recule et l'un ou l'autre de ces mouve- autres. Voilà un procédé qui est au moins oriâi-
ments fait que cette outre volumineuse plonge nal. Il demande seulement un peu de patience.
dans l'eau ou en sort. La question de l'eau, on l'a vu, joue un rôle
Connaît-on le moyen employé pour arroser capital dans tous les pays, sur tous les points de
les rizières au Tonkin? Il est d'une simplicité la terre. En France, il est facile de s'en procurer,
enfantine mais doit exiger un assez long effort'. mais encore les médecins conseillent-ils de la
Un vase de terre est soutenu par deux cordes neutraliser en dépit de sa pureté relative. L'eau
qu'actionnent deux indigèrLes placés au-dessus de source devient une boisson de prix. 11 faut se
de l'endroit où l'eau coule. Ils n'ont plus dès contenter de l'eau de rivière qui est exposée à
lors qu'à laisser s'emplir le récipient qu'ils descontaminationsconstantes. Peut-on s'étonner
élèvent ensuite, balancent et renversent en dès lors que, dans les pays où la température est
jetant parfois très loin l'eau qni fécondera la excessive, cette eau présente encore de plus
terre qu'ils cultivent. grands dangers" C'est le liquide de vie et c'est
En Indo-Chine principalement, l'eau est très aussi souvent le breuvagede mort, car lessavants
en honneur. Des populations entières vivent sur assurent que la plupart des maladies et que
l'eau et y meurent, ne descendant presque jamais presque toutes les épidémies sont dues à l'ab-
à terre. Cela tient à l'abondance de l'eau. A Pnom- sorption de l'eau.
Penh, par exemple, une partie de laville est con- Cela n'est pas pour nous rassurer. Mais s'il
struite sur le Mé-Kong, une rivière très large, et faut choisir entre deux morts, préférez-vous
les Cambodgiens qui effectuent beaucoup de mourir de soif?
transports par eau éprouvent pour elle une vé- VICTOR GOEDORP.
ritable affection.
Malheureusement les rivières et les fleuves de
ces contrées asiatiques sont généralement mal-
On dit qu'en France, le ridicule tue. C'est peut-être
une erreur. Souvent il conserve.
sains. En Chine, à Shanghaï, les habitants doivent
Le monde est possédé par J'argent, mais conduit par
laisser croupir l'eau pour la rendre inoffensive. l'imagination et par le coeur.
Le Chemin de fer électrique du Mont Blanc
Serait-ce que le charbon a perdu de son crédit portant, et pour l'installatiop, au bord de
-séculaire, ou plutôt que la vapeur semble avoir l'Arve, des usines électrogènes qui distribuent
dit son dernier mot? Toujoursest-il que les ingé- le courant nécessaire à la remorque des trains
nieurs, depuis trois ou quatre ans, ont tourné entre le Fayet et Chamonix.
leurs efforts vers l'utilisation industrielle de la La ligne part de la cote 580 pour aboutir à
{( houille blanche », nous voulons
parler des celle de 1138 mètres, après avoir franchi de
«chutes d'eau naturelles qui, dûment captées, nombreux obstacles naturels, notamment le col
transformées en énergie électromotrice, peuvent des Montets, à l'altitude de 1461 mètres. En
remplacer, souvent avec avantage, la houille outre, le tracé comporte plusieurs rampes très
noire qu'on doit arracher aux entrailles du sol. raides, deux entre autres de 90 millimètres par
Dans les pays où ces chutes d'eau sont nom- mètre, entre Chedde et Servoz, puis un peu avant
breuses et où le charbon fait défaut, comme par d'atteindre les Houches.
exemple en Suisse et en Italie, pour ne citer que Nos lecteurs comprendront mieux à présen1
ces deux voisins, le problème industriel dont les grosses difficultés d'ordre technique qu'ont
nous parlons a déjà été résolu avec succès'. C'est eu à résoudre les ingénieurs pour mener à bien
ainsi que les chemins de fer en exploitation ou une entreprise aussi délicate, où rien ne devait
~en voie d'achèvement de Zermatt au Gornergratt, être laissé aux hasards d'une improvisation, si
de la Jungfrau, de Stannstadt à Engelberg ingénieuse fû.t-elle.
près de Lucerne, de Burgdorf à Thun, de Lecco Pour faciliter les conditions d'exploitation, la
à Chiavenna et à Sondrio, dans la région du lac ligne a été prévue à une seule voie, l'écartement
de Côme, et nous ne mentionnons que les des rails étant de un mètre seulement, et le rayon
principales lignes, sont tous actionnés direc- minimum des courbes, de 80 mètres.
tement par des chutes d'eau voisines. Au départ du Fayet, la ligne remonte la vallée
Nos ingénieurs n'ont pas tardé à suivre le de l'Arve pendant près de 30 kilomètres, et
mouvement, bien que les conditions, dans notre comme il était relativement facile d'établir sur
pays producteur de charbon, soient très diffé- cette rivière de puissantes chutes d'eau, la Co 'm-
rentes, et tout de suite ils se sont attaqués au pagnie P.-L.-M. a tout de suite songé à utiliser
géant des Alpes, au Mont Blanc. Excusez du peu! la force ainsi disponible,'par l'intermédiaire de
Non pas qu'ils aient caressé le rêve, comme la Fée Electricité..
d'aucuns l'ont fait depuis, nous assure-t-on, de L'emploi de locomotives électriques a été re-
nous transporter, au moyen de quelque verti- jeté, parce qu'avec les fortes déclivités dontnous
gineux ascenseur, jusqu'à la crête éternellement parlons plus haut, il eût été nécessaire d'amé=
neigeuse du Mont Blanc. La compagnie Paris- nager ces locomotives de manière à les faire
Lyon-Méditerranée, dont les visées sont plus fonctiopner tantôt avec l'aide d'une crémaillère,
sages et plus pratiques, a simplement voulu tantôt par simple adhérence. Aussi les ingénieurs
établir un chemin de fer à traction électrique se sont-ils arrêtés à la seule solution réellement
allant du Fayet, près de Saint-Gervais-les-Bains, pratique celle des véhicules automoteurs.
à Chamonix, première étape de l'ascension des Deux usines de force, installées, l'une à Ser-
Alpes. voz, l'autre aux Chavants, produisent le courant
Mais il ne s'agit pas d'une de ces lignes à cré- continu, sous une ~ion de 550 volts, qui est
maillère, analogues à celles qui permettent aux transmis aux voitures par l'intermédiaire d'un
touristes amis de leurs aises l'ascension con- rail ordinaire en acier disposé le long de la voie.
fortable du Righi ou du Pilate, au pays de Guil- La puissance combinée de ces usines permet
laume Tell. Le chemin de fer que nous allons de lancer sur la ligne de Chamonix, à des inter-
décrire aura une utilité, stratégique et com- valles alternés de quinze et de trente minutes;
merciale, d'un intérêt plus général. Il sera, d'ail- des trains de 90 tonnes animés d'un,e vitesse de
leurs, prolongé sous peu jusqu'à Barb8rine, sur 30 kilomètres à l'heure. Rappelons ici qu'il n'était
la frontière suisse, et sa longueur totale at- pas question, pour la Compagnie Paris-Lyon-Mé-
teindra alors 38 kilomètres environ. diterranée, de battre des records de vitesse,
Après les études prélimimaires indispensables, mais d'exploiter commercialement une ligne à
la Compagnie P.-L.-M. a fait procédér aux travaux profil des plus accidentés.
de terrassement de la nouvelle ligne électrique L'usine de Servoz, qui utilise une chute d'eau
vers le milieu de l'année 1899. On voit donc que de 40 mètres, développe ùne puissance moyenne
la construction a été menée avec toute diligence, de 1400 chevaux. Dans un vaste bâtiment de
puisque moins de deux ans ont suffi pour l'éta- 29 mètres de long sur 10 mètres de large sont
blissement du premier tronçon, le plus im- installés les turbines, les dynamos scellées di-
rectement au sol, les appareils de contrôle et de Telles sont les installations du premier chemin
manoeuvres, enfin un atelier de réparations. de fer électrique de montagne en France. Nos
Les turbines centripètes, au nombre de quatre, lecteurs jugeront sans doute comme nous qu'il y
fonctionnent à 450 tours par minute, avec un avait quelque intérêt à leur en faire connaître le
débit de 850 litres par seconde. Chacune d'elles détail.
actionne une dynamo génératrice de 200 kilo- EDOUARD BONNAFFÉ.
watts. Deux autres turbines supplémentaires
mettent en mouvement deux dynamos excita-
trices moins puissantes.
Même disposition aux Chavants, où la chute SU~ UNE ESQUISSE DE ~OBE~T SGjiU~H~I~
d'eau utilisée a 94 mètres. Comme à Servoz, les
machines fournissent un courant constant de Cet air, qui, toujours, recommence,
370 ampères, sous une tension de 550 volts. Est comme un geste inachevé
Il nous reste à décrire brièvement les véhi- Invoquant l'ombre et le silence
cules automoteurs, lesquels, construits suivant Sur un bonheur qui fut rêvé.
trois types différents, servent au transport des C'est une ampleur de solitude
Pleine d'esprits aux voix d'échos,
voyageurs, des bag-ages ou des marchandises. Que réveille l'inquiétude,
Çhaque voiture se compose d'une caisse appro- Plaintive aveugle, sans repos.
priée à l'usage qu'on lui destine, fixée à un C'est comme un retour de pensées
châssis reposant sur un truck moteur. Ce dernier Pleurant près des songes défunts
Une chute d'ailes blessées
est monté sur deux essieux dont les roues me- Qui défaillent dans des parfums.
surent 930 millimètrès de diamètre. C'est la-lueur d'un soir unique,
Les essieux sont actionnés par un moteur de D'un soir où l'on verrait son coeur
75 kilowatts, à quatre pôles, qui ll~ùr imprime Vêtu d'une ombre de musique
Dormir dans les parcs du bonheur.
directement le mouvement de rotation, d'où
C'est un soir où le plus doux rêve
grande facilité aux démarrages et douceur de Trouverait en ouvrant les yeux
roulement très appréciée des voyageurs. Sur la rive où la nuit s'achève
Les voitures, dont le poids en charge atteint D'autres appels mélodieux.
18 tonnes, sont à couloir central avec plateforme Cet air qui toujours recommence
Mais de plus en plus doucement,
aux deux extrémités. Un double frein automa- Fait bruire auprès du silence
tique permet d'obtenir l'arrêt instantané, même Les pas du désenchantement.
dans les plus fortes rampes. A. J. BRANDEI'ŒURG.
LA COMTESSE D'HOUDETOT
La comtesse d'Houdetot, née Sophie de Belle- et parlons d'elle. Son plus récent biographe,
garde, demeure l'incarnation de la grâce, de l'en- M. Buffenoir, nous y invite. Il vient de publier
jouement, de l'esprit aimable'au xviiie siècle. sur la comtesse tout un volume de documents.,
Tous ses biographes sont d'accord sur ce point. en grande partie ignorés, auxquels il a joint,
Et ses biographes ne manquent pas depuis pour le"plaisir des yeux, quelques curieux por-
Jean-Jacques Rousseau (mais fut-il, à propre- traits. Qu'il nous pardonne si, profane, nous
ment parler, un biographe?) qui la chanta dans sommes loin de partager sa très vive admiration
la Nouvelle Héloïse, jusqu'à M. Hippolyte Buffe- pour son héroïne. Nulle femme ne pouvait être
noir, son dévot, comme il est le dévot de Jean- comparée, pour Victor Cousin, à l'lme de Longue-
Jacques, en passant par Capefigue, de Lescure, ville nulle femme, pour M. H. Buffenoir, ne
Arsène Houssaye, M. Camille Selden, M. Paul saurait être mise en parallèle avec la comtesse
Boiteau et,M. Léo Claretie. d'Houdetot. Il faudrait voir, comme dit l'autre.
Elle n'était pas belle, marquée de la petite La jeune fille que, dans l'intimité, ~on appelait
vérole dès sa sortie du couvent. Mais son visage Mimi, avait à peine dix-huit ans lorsqu'elle
rayonnait de santé, de jeunesse et de franchise. épousa le comte d'Houdetot, plus âgé qu'elle de
Puis, Mm. d'Épinay et ses contemporains (sauf quatre ans. Le mari ne se recommandait que peu
quelques femmes jalouses) lui trouvaient une à l'attention. Mais il eut deux mérites celui de
cc
jolie âme ». Elle était intelligente, lettrée. et s'élever par la suite aux hautes fonctions de lieu-
bonne. De sang-froid et de tête solide? M: Léo tenant général; celui surtout, appréciable pour
Claretie le prétend. Mm. d'Épinay, belle-soeur de MI" d'Houdetot,delaisser à sa femme une entière
Mme d'Houdetot la traitait d'Hurluberlu. Les deux liberté. Il avait, au demeurant, besoin de toute
opinions sont un peu bien contradictoires, tout la sienne. Et puis il avait saisi tout de suite que
de même. Mettons que c'était une femme d'élite jamais Mm. d'Houdetot et lui ne sympathiseraient
complètement, qu'ils n'étaient guère faits l'un saine ni avec un goût plus exqúis. » Il avait de
pour l'autre, que leurs, existences devaient belles relations Diderot, Grimm, Jean-Jacques-
couler chacune de son côté, avec seulement un Rousseau, Duclos et j'en passe. C'était plus
aimable cachet de courtoisie mondaine. pour qu'il n'en fallait pour séduire cette pauvre com-
leur entourage. tesse d'Houdetot, délaissée par son méchant
« On avait ma'rié Mm. d'Houdetot très
jeune mari.
écrit Jean-Jacques et malgré elle à un homme Quand il parle de Saint-Lambert, M. Buffenoir
'de condition, brave militaire, mais joueur, chi- veut bien reconnaître que « son talent de poète
caneur, très peu aimable, et qu'elle,n'a jamais n'était pas sans mérite. » Délicate concession!
aimé ». J'avoue humblement ne point goûter Saint-Lam-
Le fait est que le comte n'avait rien d'un « joli bert. Mais que penser et que dire du « talent
coeur ». Il était « laid comme le diable », assure de poète » de Mme d'Houdetot?
cette mauvaise lan- Son biographe est
gue de M-11 d'Epinay. parvenu à recueillir,
Ilavait un défaut sur- de divers côtés, qua-
tout, que l'on pour- rante pièces de vers
rait dire une qualité, de la comtesse. Il
mais qui passait pour en est tout fier; il en
terrible au XVIIIe siè- tire vanité « C'est,
cle et vous disquali- dit-il, la première
fiait son homme il fois, nous avons tout
ne faisait pas de vers lieu de le croire,
Sentez-vous toute(-. qu'une pareille gerbe
que cela renferme de est présentée au pu-
méprisant? Un hom- blic lettré. » Il lui
me de condition qui, est advenu de tenir
sous Louis XV et entre ses mains le
Louis XVI, ne faisait manuscrit original
d'une de ces élucu-
pas de vers 1 Delà à
soutenir que le comte brations et il l'a
d'Houdetot était dé- « contemplé long-
nué de sentiment et temps avec émo-
incapable de rien tion. » Voyons donc
goûter aux charmes ce qui a pu causer
de l'existence, il n'y à M. Buffenoir pa-
avait qu'un pas. reille émotion. C'est
Ce pas, Mme d'Hou- ce huitain (il n'a ja-
detot le franchit dès mais été publié) dé-
les premiers mois de La comtesse d'Houdetot. dié à, M. de Vinti-
leur union. De ce mille
mari qui ne faisait pas de vers, elle eut par mé- Du temps où nous vivions vous aviez tous les charmes,
Vous en aviez les goûts, l'esprit et les talents 1
garde un fils, César-Louis-Marie-François-Ange. Même encor après tant d'alarmes,
Mais il faut penser que cet enfant, peu souhaité, Vous nous rendez des agréments.
Votre aimable coquetterie
ne compta guère dans la vie de la comtesse, car Du temps a démenti le cours
Mme d'Houdetot,mariée en 1748, se liait en 1751 Il n'est point d'âge dans la vie,
avec Saint-Lambertd'une amitié qui devait durer Lorsque l'on sait plaire toujours
jusqu'en 1803, plus d'un demi-siècle Pardonnons à la comtesse elle a écrit ces
C'est que le marquis de Saint-Lambert faisait vers après la Révolution, au déclin de sa vie.
des vers. Mais avait-elle pareille excuse lorsqu'elle chan-
Comme M. d'Houdetot, il avait un grade dans tait les délices du château de Fourqueux, près
l'armée. Né en Lorraine en 1717, il avait servi Marly, où elle venait de passer quelques jours ?2
d'abord à la cour de Stanislas Leczinski, dans les Mme d'Houdetot était en pleine jeunesse- M. Buf-
gardes de Nancy. Puis il avait quitté la Lorraine, fenoir dirait en plein talent quand elle apos-
pris du service en France, obtenu une commis- trophait ainsi Fourqueux
sion de colonel. Mais il n'était que par hasard à Qu'il est doux d'habiter dans vos heureux ombrages,
son régiment. Homme d'épée pour la forme, le Qu'il est doux d'admirer vos charmants paysages
marquis de Saint-Lambert, bien doué au phy- ou quand, ayant reçu en cadeau un dessin de
sique, d'agréable visage, de belles manières, d'un M. Watelet représentant sa propriété du Moulin-
tour d'esprit élégant et fin, était poète! « Dans Joli, elle remerciait l'artiste en ces termes:
un entretien philosophique et littéraire, dit Mar- Que j'aime à voir ce charmant paysage
montel, personne ne causait avec une raison plus Que ton art retrace à mes yeux1
Tous les vers de la comtesse d'Houdetot sont, mante l'anecdote que nous venons de rapporter;
hélas 1 à l'avenant. C'est de la romance sentimen- c'est son droit; ne l'en privons pas.
tale et fade. Peut-étre, de tout ce lot de quarante Au moins reconnaissons que Mme d'Houdetot
pièces, la meilleure est-elle encore ce huitain était plus à l'aise quand elle écrivait en vulgaire
rimé pour son mari prose. Elle eut une correspondance très étendue
Par vos soins, j'ai vu d'âge en âge, que justifient et le nombre de ses amis et sa
S'étendre et s'embellirun sort plein de douceur. longue existence. Comme ses poésies, la plu-
Si le temps fit notre bonheur part de ses lettres sont inédites ouperdues,mais
Il a respecté son ouvrage. celles qui sont parvenues jusqu'à nous lettres
Aussi chéri que'respectable époux,
Vivez longtemps au gré de mon envie; à Mme Necker, à M. de Tressan, à Jean-Jacques
Vous avez .consolé tous les maux de ma vie, Rousseau, à M. Ally de Crèvecœur témoignent
Rien ne pourrait me consoler de vous.
de son enjouement, de sa grâce piquante et de
N'est-ce pas d'une exquise ironie ? L'aimable l'excellence de son coeur. Elles sont, pour la plu-
comtesse s'entendait à part, exemptes de cette
« dorer la pilule ». Elle préciosité si déplaisante,
d~vait bien ces quelques legs, à travers les âges,
rimes à ce mari qui, en du siècle précédent. Il en
1 i93, au plus fort de lIa est même de tout à fait
tourmente révolutionnai- charmantes où se cou-
re, un jour d'émeute, cou- doient les hautes pensées
rait tout Paris, afin de lui philosophiques et les ai-
trouver de la poudre pour mables petits papotages.
ses cheveux qu'elle avait C'est vraiment à travers
magnifiquesencore, à l'âge ses lettres qu'il faut cher-
de soixante-quatre ans. cher M~e d'Houdetot, si
Ce besoin de rimer à l'on tient à la découvrir
tout propos, et hors de amène, spirituelle et sen-
propos souvent, était venu timentale exquisement.
à Mne d'Houtetot dès l'âge Elle s'éteignit le 28 jan-
le plus tendre quinze vier 1813, âgée de 83 ans,
ou seize ans, en écoutant sans souffrance,parlantdu
« les accents du rossi- « plaisir qu'elle avait senti
gnol» comme elle disait. à vivre comme une élève
Jeune fille, elle avait été de Platon ». Saint-Lam-
confiée, sa mère étant bert l'avait précédée de
morte, à une vieille dé- dix ans dans la tombe
vote de tante, Mm. d'Es- La comtesse d'Houdetot à 80 ans. Saint-Lambert dont la
Clavelles, qui surveillait comtesse elle-même tint
sa nièce avec vigilance. Musset-Pathay raconte à composer l'épitaphe, Saint-Lambert qu'elle
que la petite Sophie de Bellegarde faisant des ne craignit pas de qualifier de « militaire dis-
vers facilement, Mme d'Esclavelles voulut la pri- tingué », en ajoutant toutefois « poète et pein-
ver de cette distraction. Comme sa défense était tre de la nature, grand et sublime:comme elle ».
inutile (ce que c'est que la vocation !) elle confis- Pour M. d'Houdetot, il était mort en 1806,
qua le papier et, en guise de compensation, lui pauvre homme inoffensif, et quelconque puis-
prescrivit de recevoir et de vérifier les comptes qu'il n'avait jamais fait de vers 1
des dépenses de la maison. ERNEST BEA.UGUITTE.
Elle aimait mieux la voir s'occuper du ménage
que de poésie. Sophie ne se tint point pour bat-
tue; un jour, dans le compte de cocher, elle RONDEL TRISTE
aperçut des interlignes et se fit un malin plaisir
de les remplir par des vers. La tante arrive, la Un merle sifflait sur la branche;
surprend, la gronde et court chercher M. de Bel- Le zéphyr ricanait tout bas.
Un couple errait à petits pas.
legarde. Celui-ci, à son tour, commence à gron- Moustache noire, épaule blanche.
der un peu, saisit le papier, lit les vers, les Lui, respirant une pervenche,
trouve jolis et, voyant une correction à faire, Parlait; elle n'écoutait pas.
Un merle sifflait sur la branche;
prend la plume et répare la faute. Sa fille, joyeuse, Le zéphyr ricanait tout bas.
lui saute au.cou, l'embrasse, pensant bien qu'une Il lui disait, tout triste « Étanche
faute ainsi corrigée était jugée avec indulgence. La soif d'amour dont je suis las,
On ne saurait assez reprocher à M. de Belle- Je t'aimerai jusqu'au trépas,
J'en jure ton front qui se penche. »
garde d'avoir en quelque sorte encouragé son Un merle sifflait sur la branche.
enfant dans cette voie. M. Buffenoir trouve char- HENRI ALLORGE.
l?A~ADO:X:~ D'UN g~u~~n ,~u~ u~ ~CYUElî4E
Avez-vous l'habitude, en chemin de fer, de causer Non, lui répondis-je, et j'en ai du regret
avec vos compagnons.de route? Ne saurait-on que dire, on prend la tabatière. »
Lisez donc cette petite histoire.
C'était pendant le dernier hiver, à mon retour de Lq glace était rompue, mais nous en étions encore
l'excellent pays de Champagne le soleil était en fête aux premières escarmouches, lorsque le train s'en-
après avoir chassé les masses neigeuses qui obscur- gouffra sous le tunnel de Nanteuil.
cissaient le ciel et blanchissaient la terre depuis une « Il y a trente ans, on ne se promenait pas ainsi
semaine, il envoyait, ce jour-là, de beaux rayons se sous cette voûte, me dit mon interlocuteur. Il me
jouer dans les mille paillettes diamantées qui déco- semble encore entendre la terrible explosion qui la
raient les arbres, et rien, plus que le beau temps, fit sauter. Ce dégât fut plus utile que bien d'autres
n'excite un bavard à se donner carrière. Quant à moi, il retarda de deux mois le bombardement de Paris.
montant en wagon à Port-à-Binson, je brûlais du dé- L'ennemi fut obligé de faire une nouvelle ligne ferrée,
sir de donner la réplique à l'un de mes semblables. qui contournait la montagne, pour amener devant la
Les bonnes gens de nos pays accusent, dans ces cas-là, capitale son gros matériel de siège. Quel affreux fléau
leur langue de les dématiger. que la guerre, Monsieur; qu'il désole un pays ou
Or, dans le compartiment se trouvait un seul voya- l'autre, on en gémit, mais le coeur saigne quand on
geur peu accessible, sans doute, aux beautés hiver- voit le sol de sa patrie foulé par des bataillons étran-
nales de la campagne, il dormait comme un loir. Dé- gers. La dernière invasion a empoisonné mon exis-
sappointé, je me tins d'abord dans une silencieuse tence. et je n'aurai même pas la consolation, avant
réserve; mais, succombant à la tentation,je toussai de mourir, de voir disparaître du monde civilisé cette
doucement, puis plus fort. Mon dormeur s'étendit, coutume stupide qui honore le droit du plus fort
ouvrit à moitié un oeil chargé de mauvaise humeur, entre nations.
poussa un grognement sourd et se blottit de nouveau Vous faites-là, repris-je en souriant, un beau
dans son sommeil. souhait mais un peu superflu, dussiez-vous vivre des
Je n'insistai pas, et je pris mon journal pour lire siècles. La g-uerre a existé dans tous les temps, et les
encore les dernières nouvelles du sud de l'Afrique et peuples, même ceux de l'Europe, ne seront jamais
supputerle nombre des victimes que pouvaient recéler assez sages pour respecter le droit des gens.
les chiffres fournis par les dépêches officielles, espèce Oh! je suis d'un avis tout opposé, fit-il.
d'informations inventée pour déguiser la vérité. L'humanité poursuit un progrès, presque insensible,
« Que de malheureux ont injustement succombé mais constant. Je sais toutes les objections que vous
dans cette lutte! me disais-je à moi-même pour parler m'allez faire. je discute celle qui doit se présenter
à quelqu'un. La guerre est une bien terrible calamité tout d'abord à votre esprit c'est que l'on fait la
la balle frappe en aveugle le bon et le méchant, guerre, on pille, on brûle aujourd'hui comme il y a
l'honnête homme qui défend son pays, comme le deux mille ans. Cela est la vérité, si vous pensez
scélérat qui vient le lui voler. Mais, hélas! les plus uniquement au résultat le massacre. Mais plaçons-
grands désastres ne nous ont jamais rien appris. La nous à un autre point de vue. Je ne veux pas vous
guerre, produit des instincts pervers de l'homme, est parler de la différence des armes cette question est
comme inhérente à sa nature. Caïn et Abel, parait-il, presque insignifiante pour la cause que je soutiens.
se sont battus au commencement du monde; si deux Laissons aussi de côté momentanémentles luttes de
de leurs arrière-petits-neveux restent un jour seuls peuple à peuple qui ont pour but l'annexion d'une
sur la terre, ils se battront encore. » ville ou d'une province. En premier lieu considérons,
J'en étais là de mes rétlexions, quand, le train s'il vous plaît, la série des grands capitaines, fonda-
s'arrêtant à Château-Thierry, la portière s'ouvrit et teurs d'empires, et vous conviendrez qu'il y a un pro-
donna passage à un petit vieillard, l'œil pétillant d'une grès continuel dans les procédés qu'ils ont employés
vivacité un peu malicieuse, et les mouvements alertes pour garder les territoires conquis.
malgré le grand âge qu'accusaient sa barbe et ses ri- « Alexandre le Grand ne songea même pas à se
des. J'éprouvai une satisfaction intime car, je l'avoue donner des frontières. César profita des obstacles na-
sans modestie, je me crois un certain talent de physio- turels pour mettre une barrière aux invasions; bien
nomiste. Je pressentais que j'allais pouvoir échanger plus, pour les éloigner pendant un certain temps, il
des idées et non pas avec un causeur ordinaire. ravagea de fond en comble cinquante lieues de pays
Je m'empressai de replier man journal. La poli- au delà du Rhin. Plus tard, ses successeurs se ser-
tique est l'ennemie de la conversation elle entraine virent des premières peuplades barbares qui se pré-
à des discussions où se mêle toujours quelque amer- sentèrent. Pour veiller au salut de Rome, Charlemagne
tume on gâte ainsi le plaisir de causer, plaisir dont fit mieux il ne confia point ses rnarches à des enne-
se privent bien des gens d'esprit, dont la tête et le mis, mais à ceux de ses uompagnons les plus éprou-
portefeuille sont remplis de réformes gouvernemen- vés. Malheureusement il négligea les rivages de la
tales et sociales. mer où Rollon et ses Normands vinrent se tailler plus
« En prenez-vous d'habitude ? me dit le nouveau tard un joli patrimoine et, d'un autre côté, les cou-
voyageur en me présentant une jolie boite d'or rem- tumes de sa race l'empêchèrent de régler un ordre de
plie de tabac. succession en rapport avec la nouvelle étendue des
Etats francs. Napoléon 1er les surpassa tous il établit Louis XVI et celle de l'esclavage de i8-8; la terre
à l'est de son empire une confédération dont il se dé- n'est pas encore entièrement connue l'Amérique
clara le protecteur pour être proté~é par elle. Cette était ignorée de notre continent il y a cinq cents ans.
précaution ne lui suffit même pas et il plaça les Pensez encore combien lentes ont été les différentes
membres de sa famille sur les trônes étrangers. Mais évolutions de l'humanité. Les hommes ri'ont cherché
lui, son ambition le perdit. d'abord qu'à se reproduire et à occuper les terres où
Vous oubliez dans votre énuméralion Tamer- ils é~aient nés. A mesure qu'ils devenaient trop nom-
lan et Gengis-Khan, lui dis-je; placés entre Charle- breux dans une co,ntrée, ils se séparaient en se répan-
magne et Napoléon dans l'ordre chronologique que dant toujours plus loin. Enfin la terre entière fut
vous suivez, ils ne sont même pas comparables à couverte de leur espèce et se trouva en quelque sorte
Alexandre. partagée entre les différents groupes qui n'eurent
Leur histoire est trop mal connue pour qu'on jamais, pour ainsi dire, aucun lien entre eux. Cette
la puisse juger. Ces pyramides de têtes humaines période préhistorique a -dù, sans contredit, être la
ont-elles réellement existé? Quels ont été la cause et plus longue. Ce fut le travail de la bête, comme eût
le but de ces conflagrations asiatiques? on n'en sait dit Xavier de Maistre. L'autre,l'intelligence, commença
trop rien. D'ailleurs la légende mongole fût-elle vraie, dès lors à faire sentir son influence, non pour se dé-
mon argumentation ne serait pas détruite puisque velopper elle-même, mais pour améliorer les concÚ-
les peuples de l'Asie sont restés en dehors du mouve- tions matérielles de la vie. Des civilisations se fon-
ment européen. » dèrent peu à peu, embrassant d'abord des contrées
Un jour donc, dans votre opinion, un conqué- fort limitées. Elles se développèrent insensiblement
rant fera du monde ou du moins de l'Europe une vaste et, pour vous prouver mon impartialité,je ne nie pas
domination, assise sur des bases si solides que lui et que la guerre n'ait peut-être contribué à les étendre;
ses successeurs pourront régner tranquilles. Et ce mais je m'empresse d'ajouter qu'elle leur a nui en-
grand capitaine, après s'être servi de la guerre, l'abo- core plus, puis les a anéanties. D'ailleurs ces pre-
lira miers éclairs de l'intelligence humaine ne pouvaient
Certes, non! D'abord pour mener à bien un se perpétuer car ils avaient pour cause, non pas des
pareil projet la vie d'un homme est trop courte. J'ai idées qui, elles, sont impérissables, mais des besoins
voulu vous prouver seulement que les procédés de matériels, souvent factices. Si les civilisations
conservation pour ces empires créés par la guerre grecque et romaine n'ont pas complètement dispa-
s'étaient améliorés successivement depuis Alexandre ru, c'est qu'elles ont été vivifiées, dans toutes leurs
jusqu'à Napoléon, mais je n'ai pas voulu dire qu'on parties, par un souffle philosophique remarquable.
pût en les imitant arriver à supprimer le noble art de Quant à la nôtre, et pour la même raison, depuis la
s'entretuer. La guerre, dont l'essence est de détruire, Renaissance sa marche en avant a été constante et
ne peut rien créer. L'histoire le prouve surabondam- l'on pourrait ajouter qu'elle prend la vitesse d'une
ment. Alexandre n'a rien fondé. L'empire romain progression géométrique au fur et à mesure' que l'es-
portait en lui, dès son apparition, le germe de sa prit humain se développe davantage.
ruine. Avec Louis le Débonnaire, vous voyez la fin « Comparez notre temps avec celui de François 1er.
d'un état constitué cinquante ans auparavant. et à la N'y a-t-il pas des progrès incontestables accomplis?
chute de Napoléon, les limites de la France étaient N'est-on pas en droit d'en attendre d'autres plus
plus restreintes que le jour où il en est devenu le grands et plus fréquents, et ne pourra-t-on pas arri-
maître. » ver un jour au progrès suprême, la suppression de la
Ici mon philosophe s'arrêta pour jouir de l'effet de guerre? »
son discours. Il tira sa tabatière, y puisa une large Qnand cette question me fut posée par mon inter-
prise, et nie tendit de nouveau sa boîte, sans songer locuteur, je m'occupais à laisser tomber les derniers
que je lui avais déjà refusé sa poudre noire. Instinc- grains de tabac qui salissaient mes doigts. Faire dis-
tivement j'y plongeai le pouce et l'index par esprit paraître ur,e prise dont on n'a pas l'intention de se
d'imitatiori et peut-être aussi par condescendance servir, est une opération délicate rien ne chagrine
pour ce causeur original qui jonglait si facilement plus un priseur que de voir son cher passe-tempsjeté
avec cinq ou six grands hommes de guerre. Quant à au vent par une main profane. Aussi m'empressai-je
notre dormeur, il poussa un nouveau grondement, fit de répondr,e
un geste d'impatience et reprit sa position première. « Je ne suis pas aussi optimisme que vous.
Na-
Le petit vieillard, sans y prêter aucune attention, tionalités, coutumes, intérêts, langage, tout divise les
continua, après avoir tranquillement humé son ta- peuples matériellement; sans compter l'orgueil et
bac et secoué sa belle barbe blanche l'avarice. Voyez ce qui se passe au Transvaal!
La guerre disparaîtra, dit-il; elle disparaîtra Je vous attendais-là. Voilà ce que l'on répond
d'elle-même devant la répulsion qu'elle donnera aux toujours, Reprenons, s'il vous plait, ces objections
peuples et la crainte qu'elle leur inspirera par leurs les unes après les autres.
intérêts. 'i< Les nationalités, dites-vous? Examinez une
L'homme deviendrait-il meilleur et plus sage? carte de notre pays au commencementdu xie siècle,
repris-je ironiquement. et considérez ces milliers de petits duchés, comtés,
Je le crois l'homme est l'animal perfectible par marquisats,etc., qui le composaient et formaientpOOl'
excellence, et quoique la plupart d'entre nous, vieil- ainsi dire autant d'États politiques distincts, unis seu-
lards, nous soyons laudatores temporis acti, nous lement entre eux par les liens peu solides de l'orga-
sommes à n'en point douter supérieurs à nos arrière- nisation féodale. Ajoutez à cela que les Normands,
grands-pères. Les peuples.vont s'humanisant chaque les Rourguignons et les Aquitains, successeurs des
jour davantage. Ces progrès ne sont pas rapides, il Wisigoths, formaient autant de peuples différents. Il
est vrai, l'abolition de la torture date à peine de a fallu huit siècles, des hommes comme Philippe-
Auguste, Philippe le Bel, Louis XI, Richelieu, pour le conquérir par les armes, et voudront-ils
Louis XIV, et des événements longuement préparés toujours acheter un avantage problématique en écra-
comme la Révolution pour nous pétrir en une seule sant d'impôts plusieurs générations?
nation. (,Les unions postales et monétaires dont nous
« D'ailleurs, c'est en France que ce travail de cohé- sommes témoins, dès à présent, et qui s'étendent à
sion a été terminé d'abord. Les autres nations de chaque renouvellement ne sont-elles pas comme les
l'Europe n'en sont encore qu'aux prolégomènes, pour premices d'alliances, plus complètes entre les nations
ainsi dire. Mais toutes tendent vers ce but. Quand futures?
elles seront arrivées au point, où nous sommes, alors « Quant à la diversité des coutumes, chaque peuple
mais alors seulement, commencera la grande évolu- n'en a-t-il pas déjà changé plusieurs fois. Est-ce que
tion qui ne modifiera guère d'abord les nationalités, la même mode ne fait pas chaque jour de nouveaux
mais qui, pour être durable et profitable, devra né- prosélytes dans différentes nations? Enfin les deux
Cé!'sairement être pacifique; cette époque sera mar- défauts des hommes que vous rappeliez, l'orgueil et
quFe par la codification du droit des gens, entrevue l'avarice, se combattent l'un par l'autre la balance
par François 1er lorsqu'il imagina le système de l'Équi- s'établira; certes pour le langagc les difficultés seront
libre européen, et dont les conférences de La Haye, plus difficiles à vaincre. Petit-être un jour se formera-
il
où notre France a joué y a quelques mois, par ses t-il une langue qui.
délégués, un rôle si noble et si glorieux, semblent Pourvu que cette langue ne puisse pas servir
avoir posé les premiers principes. à lasser le ,prochain comme vous le faites depuis une
« Certes, ce code ne pourra pas à lui seul éteindre heure! » s'écria en soubresautant, tout rouge de co-
les guerres; mais les circonstances qui accompagneront lère, notre dormeur impatienté.
sa confection l'y aideront puissamment..Vous parliez Mon interlocuteur qui s'apprêtait à priser derechef,
tout à l'heure d'intérêts contraires qui divisent les tout surpris, lâcha sa tabatière dont le contenu se
hommes? Considérez encore le passé de notre pays. renversa. Peut-p.tre ce malheur lui fit-il perdre la pa-
La Champagneel la Bourgogneétaient voisines, leurs tience qui est la plus belle qualité du philosophe et
intérêts différaient. En reste-t-il trace aujourd'hui? du causeur. Toujours est-il que, redressant sa petite
Les douanes intérieures sont tombées et ces deux taille, il lança un « Monsieur foudroyant, accompa-
contrées Concourent ensemble au bien-être de la gné d'un geste plus redoutable encore.
France et aux joies de l'humanité par leurs doux Je m'interposai. Heureusement le train entrait en
vignobles. Au lieu de ces provinces, imaginez des gare à Paris. L'interrupteur, après de nouvelles in-
nationalités modernes, et tirez vous-mêmela conclu- vectives, se précipita sur la portière et disparut.
« Monsieur, dis-je alors au petit vieillard, voilà
sion.
« En outre, les relations commerciales entre les di- encore une cause de guerre que je n'avais pas prévue.
verses nations de l'Europe deviennent chaque jour Ce sont les caractères mal faits!
plus rapides et plus nombreuses. Ne seront-elles pas Non, répondit-il en se calmant, il ne faut pas
dans des années, ou dans des siècles si vous voulez, confondre guerre et querelle. De plus, songez que les
un obstacle réel insurmontable aux velléités de débats de police correctionnelle tendent de plus en
guerre qui pourraient surgir dans les conseils d'un plus à prendre la place du duel. Là-dessus il
gouvernement,. quel qu'il soit ? Croyez-vous que les s'éloigna.
hommes resteront toujours indifférents devant ces Quant à moi, j'ai conclu de tout ceci qu'il ne fallait
hécatombes où souvent se trouvent anéanties les causer ni trop haut ni trop longtemps en chemin de
forces vives de leurs sociétés? Attacheront-ilstoujours fer pour ne pas gêner ses voisins qu'en pensez-
plus de prix à un lopin de terre, fiit-il farci d'or et de vous?
diamants, qu'à des milliers d'intelligences perdues EMILE CLAIRIN.
Z1:T(E TAPISSERIE
La tapisserie du Triomphe de Molière, dont le fallu démolir la grande cheminée du foyer. C'était
Magasin Pittoresque donne à ses lecteurs une là, avec les réfections que devait entraîner un tel
reproduction très habilement gravée, est au- changement, des occasions de grosses dépenses
jourd'hui placée dans le grand escalier du Théâ- et sans .beaucoup d'hésitations, les ayants droit
tre-Français qu'elle enrichit d'une parure somp- renoncèrent à leur tapisserie qui, ne pouvant en-
tueuse. trer l'Odéon, fut attribuée à la Comédie-Fran-
La première destination de cette tapisserie était çaise.
tout autre et lorsqu'elle fut commandée par l'État Par bonheur les Gobelins en étaient encore
à la Manufacture des Gobelins, elle était désignée possesseurs au moment de l'incendie du théâtre
sur les registres comme devant décorerl'une des et nous avons pu voir le Triomphe figurer à l'Ex-
murailles du foyer de l'Odéon. Exécutée selon les position Universelle,au milieu des chefs-d'œuvres
dimensions données par .1'architecte du théâtre, tissés, avec tant d'habileté patiente, par les ar-
la tapisserie du Triomphe se trouva, lors de la tistes d'élite que M. Guiffrey, l'administrateur
livraison, trop grande pour la place qu'elle devait de la Manufacture,dirige si savamment.
occuper et, pour en permettre l'emploi, il eût Exécutée d'après le modèle de M. Joseph Blanc,
LE TRIOMPHE DE MOLIÈRE, d'après 1~1. JOSEPH BLANC.
la tapisserie du Triomphe de Molière est peinte, trois mètres douze. Tissée en laine, soie et or,
selon l'esthétique de l'artiste, de tons gris, har- ses seize mètres soixante-quinze carrés n'ont
monieux évidemment, mais d'une harmonie un pas demandé moins de six ans de travail aux sept
peu terne, et c'était là pour les tapissiers une dif- artistes qui en avaient été chargés. Commencé le
ficulté de plus que de donner l'éclat et la richesse 5 octobre 1889, elle ne fut terminée que le
à cet ensemble éteint. Ils y sont parvenus autant 24 avril 1895, ayant, d'après le relevé des livres
que la chose était possible et nous devons leur de la Manufacture, coûtée exactement cinquante-
savoir gré de ce nouvel effort vers la perfection, six mille cinq cent quatre-vingt-trois francs trois
d'un des arts les plus riches mais les plus com- centimes, sur lesquels cinq mille sont comptés
plexes d'exécution. pour le modèle. Ce prix de revient qui, à première
Le sujet de la tapisserie est des plus simples. vue, semble considérable, rentre cependant dans
A l'issue d'une cérémonie théâtrale dans laquelle la moyenne normale du coût d'une tapisserie,
figurent les différents personnages des pièces de c'est-à-dire de trois à cinq mille francs par mètre
Molière, son buste est couronné par deux des ar- carré.
tistes en scène, habillés de cost~mes d'époque C'est le 22 décembre 1900 que les Gobelins
et pour lesquels le peintre a pris pour modèles, ont livré le Triompke à la Comédie-Française.
dans la Maison même, Sylvain et Céline Monta- Malgré sa trop grande hauteur, la tenture tient
land. Ils présentent des fleurs et des couronnes une bonne place dans l'édifice remis à neuf du
à l'auteur immortel de Tartu fe et du Misanthrope théâtre et maintenant le Parrain de la Maison
et sont dominés par une Renommée, figure déco- est dignement glorifié chez lui car, de même que
rative indispensable, sans doute, au remplissage Voltairè a sa statue aux Français, aujourd'hui
d'un grand espace vide, mais dont le geste a sus- Molière y a sa tapisserie.
cité quelques critiques. P. CALMETTES.
La faute d'harmonie de la composition est le
résultat inévitable des premières mesures four-
nies par l'architecte de l'Odéon, à la Manufacture
des Gobelins. Ces mesures mal prises ont égale- EN AOUT
ment donné, à l'exécution, une tapisserie de
forme peu commune; elle est toute en hauteur,
antiarchitectonique et d'emploi difficile. C'est Le soleil chauffe à blanc le grand chemin poudreux.
ainsi qu'au Théâtre-Français, une seule place Près du hameau désert, la campagne est brûlée;
s'est trouvée en rapport avec ses dimensions, la Une épaisse lueur a parcouru l'allée,
Et va se perdre.au pied des coteaux vaporeux.
cage de l'escalier d'honneur, et c'est là qu'elle a
été placée bien en vue. Elle eût peut-être mieux Et je voudrais encor m'asseoir une heure au creux
Du ravin où murmure une source voilée.
convenu à l'intérieur même du théâtre, mais elle Je voudrais, en foulant la verdure étoilée,
ne pouvait trouver à s'y loger, car comme à Esquisser quelques vers sous les taillis ombreux.
l'4déon, comme à l'Exposition où pour la placer
Mais partout dans les champs,f!otte lourde haleine,
il fallut démolir la cimaise et élever le plafond, la Les travaux ont cessé jusqu'au fond une
de la plaine;
Tapisserie du Triomphe de Molière était aux Fran- Je cherche en vain à fuir cette implacable ardeur.
çais, toujours trop haute ou pas assez large. Le sol bourdonne au loin et le chaume tressaille;
Elle est jusqu'ici,'non pas la plus.grande mais Je retombe vaincu, pareil au moissonneur,
la plus haute des tentures exécutées aux Go- Qui s'endort épuisé sur ses gerbes de paille.
belins, mesurant cinq mètres trente-sept sur ANTONY VALABRÈGUE.
SUR LA RELIURE
CONSEILS PRATIQUES
Il est indispensable d'attendre qu'un volume mais non sans exagération sur ce dernier point,
soit bien sec pour le donner au relieur autre- M. Jules Richard, élans son Art de former une
ment l'encre, lorsque le volume est livré au bat- Bibliothèque. Actuellement, du reste, certaines
tage ou passé au laminoir, se reporterait d'une grandesmaisons d'édition (Hachette, Mame, etc.),
page sur l'autre. On remarque que, « pour les possèdent des étuves où l'on fait rapidement sé-
papiers de Chine, le sec s'opère instantanément; cher les feuilles.
pour les papiers ordinaires, en quelques mois, Si, pour une cause quelconque, vous êtes
pour les vergés de Hollande ou autres, il faut obligé de faire relier un livre tout récemment
souvent quatre ans et parfois davantage », dit, paru, exigez de votre relieur, s'il n'a pas une de
ces étuves à sa disposition, qu'il interfolie le cette gaine ESTHÉTIQUE, BIBLIOGRAPHIE, IMPRIME-
volume de papier pelure ou serpente ce mince RIE, NUMISMATIQUE, etc.
papier, qu'il vous sera loisible d'enlever plus Nombre de relieurs ont tendance à trop rogner
fard, préservera le texte de tout maculage. les livres, et il paraîtrait que certains prétendus
Évitez de donner vos livres à relier durant cer- amateurs ne les retiennent pas sur cette pente
taines époques de l'année, aux époques où les fâcheuse, les y encouragent.
relieurs sont d'ordinaire encombrés de travail. Un relieur, dont je suis loin de garantir la pa-
Le mois de janvier est généralement un mois peu role, et que je soupçonnefort, au contraire, d'être
propice pour préparer un train on nomme ainsi doué de plus d'imagination que de sincérité, a
laquantitédevolumes,vingt,cinquante,cent,etc., raconté un jour à M. Jules Le Petit, l'anecdote
destinés à la reliure et envoyés en une fois chez suivante, rapportée dans l'ouvrage déjà cité,
le relieur. La plupart des revues et autres pério- L'Art d'aimer les livres. Ce relieur « ayant été au-
diques terminent leur année en décembre, et trefois appelé par M. Thiers pour prendre un cer-
naturellement les abonnés s'empressent,dès que tain nombre de volumes de divers formats, le
le volume est complet, de l'expédier au relieur. grand historien le conduisit devant un rayon de
Les mois de juin et de juillet peuvent n'être sa bibliothèque, dont il lui fit mesurer l'écarte-
pas très favorables non plus à cause des dis- ment, en lui disant « Arrangez-vous pour que
tributions de prix et des cartonnages qu'elles tous les volumes soient rognés de façon à entrer
nécessitent. dans ce rayon. Mais, Monsieur, les in-4? seuls
Pour travailler proprement et convenable- pourront entrer ici, et pour les in-8 ce sera
ment, un relieur ne doit pas être talonné ni bous- impossible. Comment, impossible s'écria
culé il lui faut du temps, un laps de temps rai- l'homme d'État. Je les ai mesurés, et en les ré-
sonnable, pour mener à bien son oeuvre. dui.sant à la taille des in-12, cela ira fort bien; il
Le Dr Graesel, l'auteur d'un Manuel de biblio- suffit qu'on puisse lire le texte; les marges ne
théconomie très apprécié, estime que, « pour un signifientrien. »
train d'importance moyenne, quinze jours, au Qu'il soit apocryphe, comme je le crois, ou
maximum, sont largement suffisants ». Cela dé- qu'il soit authentique, ne suivez pas cet exemple.
pend de ce qu'il faut entendre par « importance Ménagez toujours et recommandez toujours à
moyenne ». En France, la plupart des relieurs votre relieur de ménager le plus possible les
trouveraient certainement ce délai insuffisant marges de vos livres.
pour un train composé seulement de vingt ou Dans tout livre la marge est ce qui plaît aux yeux,
trente volumes. Bien que s'appliquant en partie à Un livre trop rogné jamais ne se répare.
des reliures de luxe, les considérations de M. Ju- a dit Lesné dans son poème sur La fleliure.
les Le Petit, l'auteur de L'Art d'aimer les livres, Les belles et grandes marges donnent au livre
me semblent plus justes. « En général, il faut une notable et très légitime plus-value elles
que vous ayez la patience d'attendre au moins permettent de le faire relier au besoin un plus
six mois à un an pour des reliures pleines en grand nombre de fois, elles prolongent sa durée,
maroquin, bien faites, et au moins deux mois en même temps qu'elles ajoutent à sa beauté ar-
pour des demi-reliures. En voici la raison les tistique.
bons relieurs n'ont pas autant d'ouvriers que les C'est non seulement par maladresse ou igno-
relieurs de commerce: en outre, ils commencent rance, mais souvent aussi par cupidité et ladre-
leurs reliures par séries d'un même genre. » Et rie que certains relieurs rognent les livres tant
ils attendent, naturellement,d'en avoir une cer- qu'ils peuvent. Leur confrère Lesné, qui les con-
taine quantité pour commencer. naissait bien, nous dévoile en ces termes leur
S'il vous est loisible, pour une bibliothèque trafic
particulière, de faire relier ensemble deux tomes « Il y en a même (des relieurs) qui rognent
d'un même ouvrage, surtout si ces tomes sont beaucoup par un motif d'intérêt; c'est qu'en ren-
de peu d'épaisseur, ne réunissez jamais sous la dant un livre le plus petit possible, il y entre
même couverture deux ouvrages différents; c'est moins de carton, de peau pour le couvrir, moins
une économie mesquine et mal placée, et les re- d'or pour le dorer, et que d'ailleurs les rognures
cueils factices, c'est ainsi qu'on les nomme, se vendant au cartonnier en échange de carton
sont aussi incommodes pour le classement et les neuf, en en faisant beaucoup, elles diminuent
recherches que contraires au bon sens et àla d'autant le prix de celui qu'on emploie: »
logique. Et le même codificateur et barde de la Reliure
S'il s'agit de brochures trop minces pour être ajoute ce très sage précepte, que tous nos prati-
reliées séparément, renfermez-les dans des boi- cien~ modernes feraient bien de méditer et d'ob-
tes en carton; on en fabrique de très pratiques server
et de très ingénieuses, de ces boites; elles ont « Un relieur, en rognant un livre, ne doit ja-
l'aspect d'un véritable livre relié, et l'inscription mais dire « C'est un bouquin », il doit toujours
du dos peut être collective et désigner le sujet le traiter comme s'il était précieux; car tel livre
traité par toutes les brochures encloses dans qui ne l'est pas pour un amateur, l'est pour un
autre; et d'ailleurs, en les considérant tous naires, etc., destinés à être fréquemment con-
comme s'ils étaient précieux, on ne risque pas sultés et que vous avez fait revêtir d'une demi-
de se tromper. » reliure, il est bon d'en faire rogner légèrement.
Le mieux, d'ailleurs, pour vous, pour vos in-188 non seulement la tête mais les deux autres tran-
cartonnés à la bradel, c'est de faire seulement ches, afin de pouvoir feuilleter plus aisément ces
rogner et jasper la tête de ces livres, et en ébar- ouvrages. Souvent même, pour tous ces volumes
ber la tranche gouttière et la queue. La tête a d'usage constant et de fatigue, on arrondit les
besoin d'être rognée, égalisée. afin que la pous- angles des pages, ce qui les empêche tant soit
sière pénètre moins dans le livre; c'est pour le peu de se replier et de se corner et rend aussi le
même motif qu'on la dore ou la colore, qu'on la feuilletage plus facile.
brunit à l'agate ou qu'on la jaspe. ALBERT CIM.
Quant aux volumes de référence, diction- (A suivre.)
MES AMIS
NOUVELLE
Il est des moments nombreux dans la Vie Lux a commencé de réaliser avec Mes Bêtes, que
où, avec les bêtes, l'on se console de l'humanité; bien d'entre nous avons sur l'établi aux phrases,
l'incertitude même de leur expression, leur psy- car innombrables sont les amis de nos amis à,
chologie sommaire (ou qui le paraît), leur indi- quatre pattes, et il y a un peu de notre vie dans-
vidualité étrange contribuent à parfaire. l'atta- la notice biographique de chacun des animaux
chement que nous leur portons, elles nous sont que nous avons possédés; ce sont des associés.
une énigme perpétuelle que nous ne savons d'existence, à qui l'on prête volontiers une âme,
déchiffrer, l'X inquiétant, redoutable, dont et dont la psychologie est parfois plus intéres--
nous gardons l'effroi. sante que celle de leurs maîtres; nous leur sup-
Ces pages qu'a illustrées Barillot, le maître posons un peu de nos propres idées, avec des.
animalier, sont fragments d'un livre que d'autres infériorités matérielles qui troublèrentDescartes,
ont écrit, l'ami regretté de Sèvres a publié avec des intelligences que nota Eugène Mouton,.
Léon Cladel et sa kyrielle de chi.ens d'un livre que croqua Vimar, et dont jadis La Fontaine pré-
que beaucoup rêvent de composer, que Clarine cisa les indications.
Deux chiens, un âne, un chat quatre per- Tenez, monsieur, c'est ici! » et l'homme
sonnes. montra une place de la voie noircie et tachée
Le premier fut un caniche marron qui s'appe- de sang, je me penche et contre le rail trouve
lait banalement Moka, à cause de sa couleur encore adhérent un paquet de poils; plus de
demandé par la fiancée, elle le trouva le soir du .doute, c'est mon pauvre chien; rejeté par la
premier repas en commun, installé l'attendant violence du choc, il est là à mi-côte du remblai,
en la salle à manger du petit hôtel sis au bas de les entrailles sorties, les jambes de derrière ou-
l'avenue de Villiers; les murs drapés d'étoffe vertes et raides sur le paquet des organes, le
rouge s'historiaient de dessins de maîtres, Jean- coeur gros domine.
Paul Laurens, de Nittis, Heilbuth, Roll, Willette; Des mouches bleues volètent, bourdonnent, se
un maître d'hôtel, à la gravité correcte, dispo- posent déjà; la Nature, jamais inactive, com-
sait des fleurs sur la table, et le chien, rasé de mence son œuvre.
frais, son collier, d'argent dans les poils bruns, Nous retrouvâmes, au bas du talus, l'autre
fit tout de suite fête à sa maîtresse; il devint un moitié de la bête coupée en deux tronçons, la
compagnon de tous les instants, fut familier de face est demeurée intacte, et ce nous est pres-
la chambre à coucher, et, un an plus tard, ne qu'une joie de le revoir ainsi, Moka, ressemblant
se montra pas ja- encore, malgré la
loux du poupon roideur de la mort,
rose qui dormait malgré l'œil vi-
dans un berceau; treux qui a changé
il le veilla même de couleur, la lan-
tendrement, par- gue violacée pen-
tit avec lui au so- dante d'un côté
leil de Saint-Ra- entre les dents
phaël d'abord, de apparentes.
Monte-Carlo e n- Indifférent à ce
suite, fut son pre- spectacle, resta
mier jouet, et le notre autre chien,
plus beau, étant t Scarpia, un « ber-
animé, causa ger féroce, qui
là aussi son pre- nous avait suivis
mier réel chagrin. pendant une pro-
Sa mort est un menade à l'Este-
drame dont je rel, qui s'était'at-
conserve la han- taché à nous, que
tise un dimanche nous avions gardé
de fête, effrayé par les détonations des bombes, à cause de sa beauté sauvage, bien qu'il fût d'un
il s'enfuit de la villa; deux jours se passèrent caractère indomptable.
en vaines démarches, en allées promeneuses, Poil gris taché de feux noirs, la queue et les
appelantes, sifflantes, de côté et d'autres; un oreilles coupées, tout jeune, indépemdant, un
pressentiment m'agitait, n'aurait-il pas suivi la tantinet vagabond,c'était une bête indisciplinée,
voie du chemin de fer qui passe sous nos fené- avec des accès de- méchanceté, et le qui-vive
tres? Des casseurs de pierres, à un coude où l'on perp~tuel auquel on était obligé nous le rendait
élargit le tracé, travaillaient; moitié italien, plus cher; être étrange, d'une originalité d'aspect
moitié français, leur patois pas très compréhen- qui attirait l'attention, dont la mère fut peut-être
sible pour moi, je saisis cependant parmi leurs une louve, fauve onduleux, rieur d'un relève-
réponses à mes demandes que, le matin, en ve- ment de lèvres montrant les dents blanches, les
nant à leur chantier, ils avaient vu un chien ren- pattes fortes, musculeuses, aux griffes longues
versé par un convoi; l'accident s'était produit à et pointues, il forçait la curiosité des passants,
un kilomètre de là, l'un d'eux s'offrit de m'y con- surtout qu'il était tenu en laisse par une chaîne
duire. fixée à un collier dont les clous mordaient son
C'est sinistre de marcher ainsi sur ces deux poil. Il fut, en même temps que le caniche et
raies noires toute luisantes du frottement, qui après lui, le jouet, pendant près de six années,
ont le vernie propre d'un reptile, l'immobilité de Bébé qui l'appelait Touloulou, par une de
traîtresse d'une force au repos, l'éloquence en ces onomatopées bizarres qui déroutent parfois
soi d'une force méchante et nuisible.- Ce n'est toute explication; celle-ci cependant n'était
rien, ces deux rails peu espacés qui se pro- qu'une altération du terme vulgaire Toutou pro-
longent au soleil, et cependant, lorsqu'avec un longé d'une consonnance identique et en écho.
grondement un train arrive, tout ce qui se trou- Conter par le menu son existence au pays du
vera là entre les roues et les rails sera épouvan- soleil, ses promenades et ses escapades, ses
tablement broyé. baignades à la mer parmi les rochers roses, la
terreur qu'il inspirait au voisinage, ses batailles, est immobile, entre les lèvres contractées pend
ses rages, ses coups de dents, serait une histoire la langue, et je suis là, pleurant, les regards collés
monotone, avec des répétitions, histoire qui aux vitres qui s'embuent, je suis là, douloureux,
devait finir encore tristement, comme toutes hébété de remords, un des gamins, que mes
celles où il est question des bêtes familières larmes intimident, me dit tout bas pour me pré-
qu'on a eues, qu'on a aimées, qu'on a perdues, venir « Monsieur Monsieur, c'est fini » Un
ce sont ces hochets de la vanité ou de l'affec- tantinet confus, m'essuyant les yeux, et sans
tion causes de soucis et de tourments, excuses attendre que l'on ouvre la prison, sans vouloir
à notre égoïsme professionnel d'hommes; une même toucher à Scarpia mort, je partis, salué
sentimentalité native, que la Vie lasse parfois, obséquieusement par l'homme qui, prix convenu,
atténue et annihile, trouve à s'exercer alors sur devait m'apporter dix jours plus tard la peau de
ces êtres soi-disant inférieurs qui nous acca- mon chien.
parent souvent plus que des parents et des amis Zéro, lui, était un ravissant petit âne d'Afrique,
les joies qu'ils nous procurent, comme les deuils gris clair et, comme celui de Cladel
dont ils sont cause, exacerbent nos facultés émo-
tives, un peu de notre propre existence se Il avait sur l'échine une croix pour blason
raconte à propos de leur souvenir. Les pieds très fins, des sabots minuscules, une
J'assistai à sa mort, je la voulus, la décision jolie tête à l'œil doux et malin tout de même, une
fut prise après un accès de rage qu'il eut contre miniature de bête qui trottinait gentiment; avant
son propre maître. qu'il fût ferré comme un grand, nous avions
IL faudra que vous l'entriez vous-même, pris l'habitude de le faire entrer dans la salle à
parce que nous, on se manger, et, sa tête à hau-
méfie, il a l'air méchant, teur de la table, il râflait
nous ne voulons pas y le pain, humait les plats,
tou~cher. » et, tandisque faisait le tour des con-
le gardien du lieu me vives, leur quêtant ou chi-
parle ainsi, des gamins, pant quelque chose plus
boucles frisées, frimous- tard, ses sabots cloutés
ses sales, à mines de glissant sur les carreaux
pifferari, me regardent rouges du vestibule, il
avec étonnement; l'habi- venait seulement aux fe-
tude n'est pas que les nêtres, mettant sa tête
chiens, amenés là, à la sur l'appui, et remerciait
fourrière, soient accom- des michons qu'on lui
pagnés de leur maître. La chambre d'asphyxie tendait par un üandinement comique de ses
est séparée dans sa longueur par une grille, longues oreilles.
d'un côté l'étroite et basse cellule où l'on en- Parfois il s'échappait, après avoir mâchonné
tre les bêtes, de l'autre le petit réduit où s'al- sa longe, patiemment. Et en galopades, en ruades
lume le réchaud. gaies, avec un chant de triomphe, il s'ensauvait
Je pénètre, en rampant, avec Scarpia qui ré- sur la grande route ou dans le champ d'oliviers
siste, je l'entraîne après moi, et attache de court à côté de la maison. et avant de le reprendre, il
sa chaine à la grille; maintenant il me faut me voulait qu'on le laissât jouer un peu en liberté j
retirer, et, tandis ,qu'il me regarde, me supplie, alors, c'était comme une bête de 'cirque, des
jappe, ondule, je sors lentement, à reculons, virevoltes, des tours de piste la tête basse, les
méfiantjusqu'à cette dernière minute, ayant peur épaules courbes, la' queue en gouvernail, des
d'un accès de colère qui le ferait m'attaquer, me parties de cache-cache aussi autour des troucs
mordre; non, le ~ûvre, comme on dit là-bas dans noueux des arbres dont les branches basses le
le Midi, il me laisse m'en aller, et, à son expres- fouettaient. au passage.
sion de visage, il me paraît comprendre que cette Cela dura un an, et puis ce furent les sou-
fois c'est irrémédiable, que nous serons séparés cis, les tristesses, les chagrins, le deuil.
pour toujours. Un soir d'octobre, nous nous étions attardés
La porte vitrée se referme par où je pourrai en promenade, et
ne revînmes qu'au crépuscule,
suivre l'opération; l'exécuteur pousse son bra- à l'heure grise, traUresse dans le Midi; Zéro qui
sero plein de charbon incandescent, Scarpia avait été tondu quelques jours auparavant prit
essaye de se reculer de la chaleur, tire sur sa froid sans qu'on s'en aperçût, le lendemain il
chaîne, ébranle les barreaux, a une agonie de toussait, le surlendemain il soufflait de façon
vigueur, d'évasion, puis cela dura moins de inquiétante, et le vétérinaire consulté mettait la
temps qu'il ne m'en faut pour le décrire il bête à l'infirmerie, l'auscultait, comptait sa tem-
halète, enfin s'abat, les pattes tressautantes, les pérature, constatait
une fièvre intense, diagnos-
flancs secoués de mouvements qui s'alentissent, tiquait une pleurésie, et condamnait,
diminuent, cessent tout à fait; le corps détendu sans espoir, notre presque
pauvre petit.
Dans cette infirmerie très chaude, voisine à C'est ainsi que Mimi est devenu notre com-
dessein d'une forge servant de calorifère, sur men:;al et notre hôte; nous l'avons aperçu un
une litière épaisse comme un matelas, et enve- jour dans le jardin, les enfants s'en sontemparés
loppé de couvertures, sanglé de vésicatoires, il sans peine, il s'est montré très doux avec eux,
apparaissait plus petit encore. Piété, sans autre et les heures régulières de repas ont fait le reste;
mouvement que le battement des flancs, et, il a installt son home à la cave, et le matin monte
quand nous étions là, une inclinaison de sa tête saluer ses maîtres, est tout à fait l'ami de la fil-
dolente vers nous, il resta ainsi pendant une lette, six ans; c'est elle qu'il cherche, qu'il veut,
semaine, prenant des médicaments, mangeant et, avec elle qui le prend, qui le porte, il se
peu, soufflant toujours de plus en plus, l'as- montre d'une patience étonnante, n'a jamais tiré
phyxie menaçant « S'il se couche, avait dit ses griffes du velours de ses pattes, prévient
l'homme de l'art, il ne pourra plus se rele- parfois par un miauleinent très doux que la ten-
ver ». dresse est trop serrante, s'évade des jeux avec
Un soir que j'allai le voir par un orage épou- une désinvolture espiègle dont les retours sont
vantable, un mistral terrible, je le trouvai étendu rapides, car il n'a pas de rancune, et n'en veut
sur sa litière. pas du mal que les petits lui font sans savoir; on
Quand je fus auprès de lui, il essaya de se croirait qu'il les comprend quand même ses bons
relever, mais ses efforts restèrent vains; on me. camarades, ses amis sûrs, et qu'il leur pardonne
prévint qu'il n'avait pas voulu manger, je pris des exagérations volontaires.
alors dans ma main Nous l'avions appelé
un peu de paille, et P'tit 111i en souvenir
avec ses lèvres toutes d'un roman de Maize-
mouillées des pleurs roy, illustré d'une affi-
de ses yeux, iltenta fiche magistrale de
péniblement de saisir Chéret, mais pour les
les brindrilles et de les enfants le nom était
mâcher. Je ne l'ai plus ainsi trop compliqué,
revu après ce soir, le ils en ont fait Mimi
lendemain 'on venait simplement, et il est
nous dire qu'il avait devenu accessoire de
passé dans la nuit. notre existence, on a
Mimi est le nom d'un l'habitude de le voir au
chat, ce félin douce- réveil, de le trouver le
reux et cruel, jalouse- premier à table quand
ment égoïste, d'une le couvert est mis, de
indépendanceabsolue, lui souhaiter bonne
dont on ne Deut canter nuit le soir lorsqu'il se
la confiance complètement, qui échappe à votre retire; il n'abdiilue rien de sa liberté, vit en marge
fidélité, et qui ronronne de-ci de-là au hasard de de nous-mêmes, s'en va quand il lui plaît et où
la table servie, des amourettes nocturnes, des il lui plaît, ne rend de comptes à personne, de-
chasses aventureuses; si commensal qu'il soit, meure un être fugace, d'une sauvagerie native.
il n'abdique jamais la libre allure de ses faits et Et c'est cela qui par antithèse fait que nous
gestes, il se reprend vite après des semblants nous y attachons; il semblerait avec, les chats
d'abandon, et s'en va courailler en dehors du qu'on est toujours à la veille d'une rupture, lors-
logis.d'adoption, il est le badaud des ombres de qu'ils sautent le mur on se demande s'ils revien-
la nuit, se met au guet sous les ramures aux dront, et leur retour est une surprIse qui vous
nids chanteurs, redevient, tandis que nous dor- remplit de joie, ils s'acoquinent peut-être beau-
mons, l'être de proie qu'autorisent ses griffes et coup plus qu'on ne pense, sont des maniaques
son agilité; et cependant nous l'acceptons par d'habitudes, ne transigent pas avec leurs aises,
snobisme de métier, parce que Beaudelaire lui-a savent discerner que l'hospitalité est bonne.
consacré des alexandrins légendaires, parce que Mimi qui s'est affectionné de la turbulence
Gautier en a fait un éloge didactique, parce que joyeuse des enfants, apprécie également la quié-
Coppée et d'autres encore en ont parlé avec tude de bagne de l'homme de lettres, et il reste
tendresse; il nous plaît par sa tranquillité d'al- des journées entières assis ou couché à côté de
lures, par son calme énigmatique, par sa coquet- l'écritoire, bercé par le grincement de la plume,
terie de toilette, par sa propreté méticuleuse, sourcillant aux impatiences du styliste, s'ébrouf-
par sa complaisance si souple aux caresses. fant à la fumée trop intense des ci,-i&res; il reste
Même si on ne l'aime pas d'instinct, si l'on s'ef- là, tout près, le panache de sa queue balayant
fraie au mystère de ses yeux, à l'absolutisme de parfois l'encre fraîche, et il collabore aux
sa personnalité, il finit par vous conquérir, il ratures.
opère une séduction lente 'et progressive. MAURICE GUILLEMOT.
produire à l'aise; c'était celui-ci « Jésus se rendait
La Quinzaine se
vers la fin du jour à la porte de la ville et tous ceux
qui avaient des personnes affligées de diverses mala-
dies les lui amenaient, et Jésus, imposant les mains
LETTRES ET ARTS sur chacun des malades, les guérissait. » (Saint, Luc.)
On voit qu'il y a là matière à un beau développe-
ment artistique, peut-être pas absolument neuf
,Presque en même temps que l'on faisait « cuire », (existe-t-il encore du neuf, sous le soleil?). Grâce à
:au Conservatoire, mais pour quelques heures seule- cette « adjonction de la porte de la ville au thème
ment, une centaine de jeunes gens qui se deslineut à biblique, les concurrents pouvaient interpréter un coin
la carrière dramatique ou lyrique, on délivrait de de nature, introduire de la lumière dans leur œuvre,
leur emprisonnement d'autres artistes pour lesquels éclaircir leur palette. Ils n'y ont pas manqué quel-
ce supplice du concours officiel avait duré autrement ques-uns l'on fait, même, un peu trop ils ont mon-
longtemps. Deux mois. C'étaient les concurrents des tré une tendance à l'impressionnisme qui terrifie
prix de Rome, dont les essais viennent d'être exposés, plus d'un visiteur, mais à ceux-ci on doit, à cet égard,
puis jugés au quai Malaquais. Ils ont été très visités recommanderl'indulgence. Qu'ils veuillent bien tenir
et commentés, un peu par suite de la disette d'occu- compte de- la fougue de recherches faites avec les
pations intellectuelles, en ce moment de vacances, et enthousiasmes de la vingtième année et qu'ils se sou-
aussi parce que les Prix de Rome, quoiqu'on dise, ont viennent aussi qu'on doit quelque bien, en art, à
conservé leur « popularité)} parisienne. à maintes tentatives hardies de ce genre « Il faut,
C'est fort heureux que l'Institution soit à rema- enfin, a dit Manet, ouvrir les fenêtres des ateliers ».
nier sur certains points, par exemple sur la nature, S'il y entre trop de jour, par mégarde, on avisera par
trop précise peut-être, des travaux qui sont imposés la suite.
aux élèves, à Rome qu'on élargisse le cadre de ces Le jury
s'est prononcé, pour ce prix de peinture, en
études, qu'on y adjoigne des facilités diverses de faveur de M. Jacquot-Defrance. Sa composition était
voyages, rien de mieux de récents incidents, qu'on « douce », bien ordonnée, avec une lumière reposante
n'a pas oubliés, ont montré cette voie. Mais, en soi, étendue. sur toutes choses, hommes et palais.
même tel quel, le Prix de Rome a droit à la faveur, à Bonne- composition d'élève, sans beaucoup d'origi-
'la curiosité populaires s'il ne révèle pas toujours de nalité. Donc, bon choix du jury. On attendait de
grands artistes, s'il en laisse, plus tard; guelques-uns celui~ci,à l'École, une récompense pour un autre
-dans la misère, il n'en suscite pas moins une émula- Icoridurrent, M: Gontier, qui avait semblé faire un
lation d'ateliers qui peut être profitable et, d'un autre effort plus « libre », avec un Christ tout à fait humain
côté, il assure à des jeunes gens le' plus souvent dénués et des enthousiastes lui prédisaient, dans leurs cri-
de fortune, des ressources pour plusieurs années, car, tiques « le plus haut avenir (ce qu'au ciel plaise !);
au retour de Rome, ils bénéficient de là'fondation de mais le jury n'a pas jugé ainsi, et M. Gontier n'a été
Caen et de différents legs assez importants.C'est,pour classé que le troisième, le second grand prix ayant
eux, « de quoi attendre. » été attribué à M. Azéma pour un tableau sans grand
Au surplus, l'Institut fait ce qu'il peut, cet Institut accent personnel, mais où s'accentuait un joli geste
si conspué, pour moderniser le Prix, ou du moins du Christ. En somme, ça a été un coucours « hono-
pour en rendre les conditions de concours à la portée rable », d'ensemble
de nos idées et mœurs actuelles. Il ne s'enferme plus
dans une mythologie étroite, froide, capturante. Une
très curieu~e expérience doit être conseillée à qui- En sculpture, le sujet était le suivant.:
conque veut être renseigné à cet égard il y a, à « Œdipe soutenu par sa fille Antigone sort de
rEcole des Beaux-Arts, une ou deux salles, que l'on ne Thèbes poursuivi par les malédicÜons des habitants
visite presque jamais et qui pourtant, ouvertes au pu- qui l'accusaient d'avoir par son crime attiré sur la
blic, l'instruiraient ce sont celles où sont accrochés ville la peste qui la désolait ».
les tableaux des anciens prix de Rome. Tous sont là, Sujet médiocre, qui ne pouvait, semble-t-il, inspi-
depuis des années. Parcourez-les d'un coup d'oeil rer, de neuf, personne et qui, en effet, n'a rien pro-
rapide, sans vous effaroucher de leur insignifiance ou duit d'original. OEdipe, toujours Œdipe, et dans la
de leur noirceur vous remarquerez qu'il n'y figure position u' officielle de maudit »! Thème grec,
guère que des OEdipe, Antigone, Junon, Jupin, Da- Comédie française et modèle italien mélangés Nous
naé, etc., ou quelques figures de l'Histoire biblique, regrettons, sur ce point, que les sculpteurs chargés
David, Salomon, Hérodiade, etc. Toute l'horreur de de la désignation' du sujet n'imitent pas les peintres
-ce qu'on a appelé le genre pompier, le genre Institut, et ne regardent pas « autour, d'eux », autant qu'on a
est figée là. le droit de le faire à l'Institut. En tout cas, excusés à
Avecces sujets, quelle,peinture voulez-vous faire, nos yeux par cette banalité du programme, l~M. Ter-
autre que la « peinture au bitume », avec quelques roir, Descatoire, Billot, Bouchard, Guilloux, etc., ont
plis blancs ou rouges lies toges et les luisants des produit des vieillards décharnés, à muscles apparents
-casques pour uniques agréments et notes d'opposi- comme des cordes, qui ont montré qu'ils savaient
tion ? Aussi ces prix de Rome sont-ils presque unani- l'anatomie. Et le jury a récompensé MM. Bouchard,
mement affreux. Et, en sortant de là, on se demande Larrivé, et Boudier. Tant mieux pour eux. Mais qu'ils
si notre jeune Ecolemoderne ne peut pas s'échapper n'oublient pas de « regarder par la fenêtre de leur
de ce four académique, sans air et sans lumière? atelier à à Rome.
On lui en fournit le moyen. Le sujet de peinture, PAUL BLUYSEN.
cette année, notamment, était large, pas trop pré-
cisé pour permettre à des facultés de composition de
Géographie rence est sensible avec les pays de la zone septentrio-
nale de l'Europe et de l'Asie où l'amplitude de la
température dépasse parfois 100°, soit environ 40° de
La température. Quelques notes clima- chaleur en été et plus de 60° au-dessous de zéro, en
tologiques. hiver. Nous ferons abstraction des déserts tropicaux
La température que nous subissonsenFrance depuis' intérieur de l'Australie,où diverses missions ont péri
les premiers jours de juillet, pour être très normale, de la soif intérieur de l'Afrique, notamment le Sa-
n'en cause pas moins à certains tempéramentsdes fati- hara, où quelques-uns de nos explorateurs assis-
gnes excessives. De là, les nombreuses plaintes. Ces taient impuissants, aux souffrances que produit, chez
plaintes qui se répètent d'ailleurs tous les ans à pareille les hommes de la caravane comme chez les animaux,
époque ne s,ont pas fondées si l'on compare l'état de le manque d'eau. En Jndo-Chine, nous avons d'une
la température dans nos pays avec les conditions cli- part, la Cochinchine qui se distingue surtout par son
matériques de diverses zones du globe où opèrent nos climat chaud et humide. Là, les écarts de tempéra-
explorateurs, nos colons. Et d'abord, le froid. Nous ture sont plus considérables, 35° dans le jour, 17° la
n'apprendrons rien à nos lecteurs en leur disant que nuit.
le Nord-Est de la Sibérie jouit d'une température A Hanoï (Tonkin), l'hiver est assez rigoureux la
plutôt basse. Que dirait en effet, le Marseillais ou moyenne est parfois de 70°. L'été est de 35° à 36°.
même le Parisien, obligé pour ses affaires de se ren- Sur les côtes de la Guyane, la température est rela-
dre en hiver dans la province d'Iakoutsk et subir à tivement constante durant toute l'année; elle est plus
Vérkhoyansk des froids jusqu'à 70° au-dessous de élevée, après les pluies, durant les mois de septem-
zéro? Dans le Turkestan, au Thibet, dans l'Alaska, au bre et ,oCtobre; le thermomètre se tient habituelle-
Klondyke, où s'érigent actuellement des fortunes, la ment entre 22° et 30°; l'écart de 8° est rarement
température, pour être moins basse, n'en est pas moins dépassé.
fort rigoureuse et les rafales, les vents, les tourbillons Notons, en passant, quelques autres indications
y rendent le séjour de l'homme très pénible. thermométriques sur divers points du globe. ,Les jour-
Plus supportable, toutefois, que dans les pays tro- naux ont signalé les ravages causés durant le mois
picaux. Là, en effet, l'élévation de la température dernier dans les États-Unis. Voici quelques données.
n'est pas la cause unique des souffrances endurées New-York a une moyenne annuelle de 10°,6. Moyenne
par l'homme. de janvier, 1°; d'avril, 8°; de juillet, 22°,9; d'octo-
Une sécheresse excessive, l'humidité, le manque bre, 12°,6. A Boston, la moyenne de l'année est de
d'eau, sont autant d'agents destructeurs de la santé. 9°. Janvier,- 3°,4; juillet
22°,1. A Londres, où l'on
L'action de la température seule diffère sensiblement s'est également plaint de la chaleur, la moyenne de
avec le tempérament des organismes. Voici le relevé l'année est de 10°,3. Moyenne de juillet, 17°; de jan-
de quelques-unes des températures observées sur vier, 3°,5. L'hiver semblerait donc moins rigoureux
divers points de nos possessions lointaines qu'à Paris où la moyenne de janvier est considérée
En Sénégambie le thermomètre ne monte pas (à officiellement de 2°,2. Mais ce dernier chiffre est fourni
l'ombre bien entendu) au-dessus de 40°. A Saint- par l'observatoire du Parc Saint-Maur où la tempéra.
Louis, le mois le plus chaud, septembre, a 27°,9. ture est, en hiver, plus basse que dans Paris même.
A l'intérieur, à Bafoulabé, à Kita, la moyenne des Pétersboürg a une température moyenne de 3°,7.
deux mois les plus chauds de l'année, avril-mai, est Janvier. 9°,3; juillet, 17°,7. Moscou a une moyenne
de 32°. Brazzaville, au Congo n'a, durant le mois le annuelle de 3°,9; moyenne de janvier, HO; de juillet,
plus chaud de l'année, février ou mars, que 30° en 18°,19. Le thermomètre fait souvent des sauts consi-
moyenne. Il est àremarquer que le mois le plus froid, dérables jusqu'à 40° en été; autant au-dessous de
juillet ou août, jouit encore d'un température de 24° zéro, en hiver, soit une amplitude de 80°.
environ. Seulement, alors que dans nos régions, la On voit par ces quelques notes quelles différences
fraîcheur du soir procure un bien-être et une sensa- essentielles existent entre notre région, justement
tion agréable, dans les pays tropicaux, un manque réputée la plus tempérée du globe, avec dixers pays
de précautionsexpose l'Européen à un refroidissement d'Asie, d'Afrique ou d'Australie où la vie n'est parfois
mortel. Les sensations de chaud et de froid sont possible qu'au prix de grandes luttes contre les rigueurs
d'ailleurs très diverses chez les peuples de zones tem- de la.nature. C'est l'occasion de répéter le mot du
pérés et des régions tropicales. Déjà, au commence- philosophe Soyons satisfaits de notre sort.
ment du siècle dernier, Humboldt constata ce phéno- P. LEMOSOF.
mène qu'après avoir essuyé de fortes chaleurs durant
deux mois, une température de 2io lui parut insup-
portablement froide! Pour les indigènes du Guyaquil, LA GCJERRE
par exemple, une température de 30° est considérée
comme excessivement chaude; 2i ou 22° leur paraî- AU TRANSVAAL
tront excessivement.froids. Un écart de 8 à 10 degrés
est doue extrêmement sensible à ces populations Les nouvelles militaires de la quinzaine sont bonnes
gâtées par la nature pour nos amis les Boers, mais un véritable deuil na-
Mais revenons à nos colonies. A Tamatave (Mada- tional est venu frapper le vaillant petit peuple.
gascar), la moyenne de janvier est de 27°,6; la Mme Kruger, la femme du vieux président de la répu-
moyenne de juillet, 20°,6. A Tananarive, le mois le blique du Transvaal, est morte à Prétoria, le 20 juillet,
plus chaud (janvier) a 2io,3; le mois le moins chaud des suites d'une pneumonie.
(juillet), i4°,7. Dans cette grande ile, l'écart de tem- Voici en quels termes M. Eloff, gendre du président
pérature, du moins sur les points principaux et les Kruger, a télégraphié la fatale nouvelle
mieux observés, n'est encore que de 7° à 8°. La diffé- « Notre mère bien-aimée est morte la
nuit dernière
doucement et sans souffrance.. Ses derniers mots ont et capturant enfin un train allant de Capetown à Pre-
été « Dites à votre père qu'il doit placer toute sa toria, train bondé de soldats et d'approvisionnements
confiance en Dieu » de toute sorte..
Devant le malheur qui frappe à coups redoublés De son côté, sur la ligne Port-Elizabeth à Bloem-
l'illustre vieillard venu en Europe défendre la cause de fontein, opère Kruitzinger avec une audace non moins
son peuple, la presse anglaise elle-même, sauf de très heureuse. A la tête de 300 Boers, il attaque à l'aube,
rares exceptions, s'est respectueusement inclinée, non loin de Craddock, les troupes du général Crabbe
s'associant ainsi aux témo:gnages de sympathie qui acharné depuis longtemps à sa poursuite. Les pau-
affluèrent du monde entier à la Haye. vres Anglais, d'après une dépêche de lord Kitchener,
S'il est une consolation possible pour le vieux pré- auraient été trahis par leurs chevaux qui se sont em-
sident, il la trouve dans les nouvelles du théâtre de la ballés précisément dans la direction opposée à l'en-
guerre qui, en dépit de la censure rigoureuse exercée nemi 1
par le War Office, lui font connaître les succès de Dans ces conditions, Crabbe ne pouvait que se faire
Scheepers et de Kruitzinger et les progrès de l'insur- battre. Il l'a été à plate couture. Espérons que les
rection dans la colonie du Cap. Anglais dresseront désormais leurs chevauxàf.. icher
Depuis vingt-deux mois que dure cette guerre le camp du côté de l'ennemi.
effroyable, nous avons constaté l'échec successif des Ficher le camp en avant, et non en arrière, n'est-
plans imaginés par lord Roberts et lord Kitchener. ce pas là toute la science de la guerre?
Ce dernier vient d'en déposer un nouveau dans les Aucune nouvelle intéressante de De Wet, ni de
journaux anglais, ce qui prouve, pour le moins, Botha, cette quinzaine. Pas de nouvelles, bonnes
que les plans précédents ont lamentablement échoué. nouvelles.
Legénéralissimeanglaisrêved'employer50000hom- HENRI MAZEREAU.
mes de troupes montées à la poursuite des principaux
commandosboers auxquels ils s'attacheraientjusqu'à P. S. Nos lecteurs nous permettront de passer
extinction complète. Cette conception stratégique n'a sous silence les événements de Chine. C'est toujours
pas dû menacer d'une méningite lord Kitchener. Elle la même chose. On ergote, et la question ne fait pas
est d'une simplicité enfantine, à la portée d'un élève un pas.
tambour. Mais nous attendons l'exécution avec curio- Signalons simplement le retour en France du gé-
sité. Ces 50000 hommes de troupes montées auront néral Voyron. Le commandanten chef de notre corps
en effet besoin de se faire suivre d'immenses appro- expéditionnaire s'embarquera le 15 août, et rassera
visionnements, car ils ne vivront pas de l'air du temps, le commandementau général Sucillon.
pas plus que sur le pays qu'ils ont ravagé, dont ils H. M.
ont brûlé sauvagement toutes les fermes. Dans ces
conditions, nous ne voyons pas comment ces nouvelles '~149
colonnes pourront dépasser la mobilité des anciennes
colonnes de French, toujours distancées par la mobi- CAUSERIE MILITAIRE
lité surprenante des commandos boers.
D'autre part, les communications de l'arrière devront
être assurées parde l'infanterie; par conséquent, ces C'est toujours une grande fête, pour la France en
troupes montées seront en quelque sorte la cavalerie général et pour Paiis en particulier, que la revue du
divisionnaire de cette infanterie, dont elles ne pour- 14 juillet. Bien que chaque année le programme en
ront s'éloigner sans danger. soit à peu près le même, et il ne peut guère en être
Et puis enfin, où lord Kitchener prendra-t-il les autrement, de toutes parts on accourt acclamer nos
50 000 cavaliers dont il a besoin? Il n'en sait rien, et troupes, on est ravi d'admirer leur belle tenue et fier
le War Office pas davantage. On va embarquer ces de constater qu'elles maintiennent à sa hauteur la
jours-ci, il est vrai, tout ce qui reste de cavaliers, brillante réputation qu'elles ont su se faire aux yeux
ou à peu près, en Angleterre, mais ce tout est bien du monde entier.
loin de constituer l'effectif jugé indispensable. Les Cette année, un élément nouveau est venu rehaus-
volontaires se font de plus en plus rares, depuis que ser singulièrement l'attrait de cette splendide céré-
la guerre de guerilla offre plus de dangers que de monie.
gloire; l'élan patriotique s'émousse, M. Chamberlain Je veux parler de l'apparition, sur le champ de ma-
s'en afflige, mais l'orgueil britannique lui-même ne nœuvres de Longchamp, de la fameuse compagnie
saurait faire des yeomen de brillants cavaliers en cycliste du capitaine Gérard.
vingt-quatre heures. La curiosité du public était grande et son attente
Lord Kitchener en sera donc prochainementréduit n'a pas été déçue; il n'a pas ménagé non plus sa
à combiner de nouveaux plans. Én attendant, le gé- sympa~hique ',admiration à l'habile organisateur de
néral French, qui devait « balayer la colonie du Cap n cette nouvelle et redoutable unité de combat.
des commandos qui la parcourent, se fait battre, Tous les amateurs de cylisme connaissent l'ingé-
dans la personne de ses lieutenant", comme un simple nieuse invention du capitaine Gérard. Sa bicyclette se
Methuen. démonte, se plie et peut se porter sur le dos à la
Le commando de Scheepers, cerné dans les envi- place du havresac elle a de plus l'inappréciable avan-
rons de Graaff-Reinet, trouve le moyen de s'échapper tage de ne peser que 16 kilog. cinq cents grammes.
par des sentiers descendant le long des précipices Un très curieux système de manettes, remplaçant les
autour desquels avait lieu l'action. écrous, permet de réduire en un instant la machine
Depuis, le vaillant chef de partisans parcourt les à sa plus simple expression et d'en placer le guidon
environs de Middelburg, de Graaf-Reinet, de Beau- de telle sorte que le cycliste puisse la porter sans
fort, brûlant les villages anglais, enlevant les convois, encombre soit sous bois, soit dans les montagnes. De
-plus, le pneu, en cas d'accident, est très promptement salué la réapparition sur la scène de ce personnage
-remplacé le soldat se borne à crier chambre à air grotesque, dont M. Mesmæcker a mis au point, avec
et il sort du rang pour ôter l'enveloppe de sa bicy- une extrême finesse, la proverbiale imbécillité.
-clette. Un des mécaniciens de la compagnie lui lance L'auteur du livret, M. Vanloo, n'a point modifié
"Une nouvelle chambre à air; le remplacement se fait l'amusante comédie de Duvert; il s'est borné à l'en-
.en deux ou trois minutes et, en accélérant l'allure, richir d'alertes couplets pour le compositeur. Le sujet
'!le retardataire a bientôt rejoint ses camarades. est d'ailleurs fort simple. M. Duval a pour domestiques
Le moment est proche où notre'armée sera pourvue Jocrisse et sa sœur, qui trouve moyen, tout en faisant
.de vingt compagnies cyclistes; ces compagnies seront ponctuellement son service, de réparer les sottises
¡formées conformément aux instructions du capitaine innombrablesde son incorrigible frère. Elle démasque
.Gérard et l'on ne saurait remettre semblable tâche en l'intrigue d'une coquette qui n'a d'aütre but, en vou-
.de meilleures mains. lant se marier avec M. Duval, que de faire danser ses
Il ne faudra pas oublier alors quel rôle auront à écus. Celui-ci, reconnaissant, épouse la dévouée ser-
jouer ces sortes de détachements le rôle d'éclaireurs. vante, et il a, ma foi, bon goùt, car elle est fort gen-
Chaque cycliste devra donc profiter de tous les sen- tille. Ils entrepreniront, à eux deux, de corriger
tiers, passages couverts ou encaissés, pour s'approcher Jocrisse je leur souhaite bonne chance,
Je plus près possible de l'ennemi et le voir sans en La musique de M. Banès est facile, piquante, et
être vu d'où il résulte qu'il faudra, dans les dits dé- troussée d'alerte facon. L'instrumentation de l'ouver
tachements et dès leur création, remplacer par une ture-est très habilement traitée; elle est d'allure dis-
~ulotte de couleur sombre le pantalon rouge, visible crète et fine, comme il convient à tout lever de rideau;
de loin, surtout lorsqn'il n'est pas caché par la capote les couplets de Charlotte (la sceur de Jocrisse) sont
-et qu'il se détache sur le vert des feuilles et des prai- empreints d'une touchante sentimentalité ils forment
ries. Quant au képi rouge, il offrira aux tiraille.urs un heureux coutraste avec ceux d'Herminie, dont le
ennemis, par suite de la position inclinée en avant comique est de bon aloi le trio burlesque, où un
de l'éclaireur cycliste, un point de mire aussi rond perroquet fait sa partie, le quintette et le final sont
que le centre même d'une cible. animés de cette joyeuse verve qui a fait si longtemps
Un casque léger de couleur grise ou noire, voilà la la fortune de notre vieille école française.
vraie coiffure en pareil cas, et j'ajoute que la même Le rôle de la soeur de Jocrisse a été très gentiment
réforme devrait s'étendre à toute l'infanterie. tenu par Mlle Baux; Mlle Chevalier s'est montrée,
N'est-il pas de rè ,gle, en effet, qu'on doit marcher à dans Herminie, l'excellente comédienne que l'on sait,
l'ennemi en évitant aussi longtemps que possible de et MM. Mesmæcker, Allard et Gourdon ont très pres-
se laisser voir? tement donné la réplique à leurs aimables parte-
Or, les vêtements et les coiffures de nos soldats leur naires.
rendent àpeu près impossible l'accomplissement d'une M. Albert Carré avait eu l'heureuse idée de donner,
telle mission. avec ces deux joyeuses pièces, la Navarraise, le puis-
Quelle contradiction! et que de tristes mécomptes sant drame lyrique de Massenet, ce qui formait un
spectacle intéressant et varié que nous souhaitons
ne se prépare-t-on pas en temps de guerre!
Forcément découverts, nos soldats seraient décimés fort revoir à la saison prochaine.
par le feu d'ennemis auxquels ils ne pourraient pas Eu. FOUQUET.
répondre, grâce aux uniformes peu visibles de ceux-
ci et :à la nouvelle poudre, qui, ne;donnant pas de
fumée, n'indiquerait plus, comme jadis la poudre
VARIÉTÉS
noire, l'endroit où risposter.
D'ailleurs, lorsqu'il s'agit de jouer cette terrible
partie qui s'appelle une guerre, la première chose à
faire n'est-elle pas de s'assurer le plus d'atouts pos- Nous avons parlé tout récemment ici du dernier roman
de notre collaboratrice, MI', Mathilde Alanic Le Maïlne
sible dans son jeu, surtout quand de Ge jeu dépend du Moulin-Blanc. Voici, détachée de cette oeuvre qui est
le salut de tout un peuple?'
m~
l'un des gros succès de la saison, une page exquise.
Capitaine FOUQUET. Noslecteurs y retrouveront le talent descriptif et lafinesse
d'analyse qui font à cette heure de la jeune romancière
H l'un des écrivains les plus aimés du public.
Le maUre venait de franchir pour la dernière fois
le seuil de sa maison. Maintenant, le cortège de
deuil défilait sur ce pont où, tant de fois, M.Destraimes
s'était arrêté pour jouir de la splendeur des cou-
LA MUSIQUE chants ou' du charme des matins, en contemplant
~Opéra-Comique. La srrur de Jocrisse, opéra-comiqut son cher Moulin-Blanc.
en un acte, d'après DUVERT, livret de M. VANLOO, La rivière riait au soleil, entre les iris et les nénu-
musique de M. Antoine BANÈS. phars. Un bateau stationnait, voiles pliées, auprès de
Au cours de ses représentations de clôture annuelle, l'écluse, attendant que l'enterrement fût passé et
i'OpéI'a-Comique nous a donné un joli lever de rideau, laissât libre le chemin de halage. Les fils Destraimes,
La sceur de Jocrisse, qui tenait compagnie sur l'affiche encadrés par le vieux Sërgent et Philippe, condui-
:au sémillant opéra-bouffe de M.Pfeiffer Le légataire saient la longue théorie silencieuse, dont l'intermi-
uniuersel. nable ruban noir se déroulait sur le velours frais de
Jocrisse, à l'instar de son camarade Gribouille, a la prairie. En tête, derrière les hommes de la
fait et fera longtemps encore la joie du public; je famille, les notabilités du pays, propriétaires ou
il'en veux pour preuve que les accès d'hilarité qui ont commerçants, les habitants de la Chapelle et des
bourgs voisins, des fermiers aux têtes desséchéespar le d'êtres organisés. Des papillons voltigeaient par
vent et le soleil, des métiviers, des cercliers, des couples,les abeilles s'effaraient de corolle en corolle.
ouvriers du fer. et du bois, aux rudes carrures, des Partout des chants, des vols, des parfums. L'oeuvre
vieillards chenus, claudicants,les réins ankylosés par de création se poursuivait, exubérante, dans le rayon-
leur longue inclinaison vers la terre; puis, au premier nement printanier.
rang des femmes, la mère et la fille, appuyées l'une Et au milieu de CfO'tte fermentation universelle,
sur l'autre, cachées sous les plis épais des crêpes, un Pierre sentit une excitation étrange griser son esprit
groupes de parentes éloignées, des bourgeoises de ivre de douleur, et l'enlever à l'heure accablante.
Segré et des alentours, des paysannes à la coiffe Tandis que le cercueil de son père reposait au bord
blanche voilée de deuil, de vieilles aïeules abritant de la fosse ouverte et que le prêtre prononçait les
leurs têtes branlantes sous des capots noirs. dernières bénédictions, le jeune homme s'affirmait à
Le cortège contourna le coteau, s'engagea dans la lui-même, dans une exaltation surnaturelle, que la
pente escarpée en haut duquel attendaient les prêtres mort n'était qu'un vain mot, une séparation appa-
en ,vêtements sacerdotaux. Et la montée du cercueil rente. L'immortalité l'éblouissait de sa splendide
vers la croix d'argent étincelant au sommet offrit espérance. Il l'apercevait, suivant ses croyances de
l'éloquence frappante d'un symbole. chrétien. dans le séjour bienheureux et mystique
Les porteurs, les bras tirés par les lourds bran- de l'éternelle paix. Il voyait aussi la continuité per-
cards, furent contraints à plus d'une halte pendant sistante de la vie dans ce monde physique, où rien
l'ascension, pour reprendre haleine et essuyer leurs ne périt mais se transforme, où les fleurs jaillissent
fronts ruisselants. Ce n'étaient pas des hommes sala- des tombeaux. Et moralement encore, l'existence
riés, dévolus d'ordinaire à cet office et l'accomplissant des morts ne se prolonge-t-elle pas par celle de leurs.
avec indifférence, mais, suivant la belle et touchante descendants, qui peuvent perpétuer leur influence et.
coutume locale, saisissant exemple de la solidarité leur souvenir et poursuivre leur aeuvre Le fils, héri--
humaine, des amis, des voisins, des contempo- tier de la pensée du père, ne devait-il pas assurer
rains du décédé qui lui rendaient le service suprême cette survie au cher disparu, en accomplissantla même
et l'emportaient pieusement à sa dernière demeure. tâche, en marchant dans les mêmes pas, sur le même
Et pendant qu'ils cheminaient ainsi, l'épaule ployée chemin, en faisant, comme lui, métier d'honnête,
sous le vénérable fardeau, des pensées austère's et homme dans la même sphère d'action, avant de s'en-
hautes ennoblissaient leurs visages encadrés de courts dormir, comme lui, avec la sérénité d'un bon ouvrier
favoris blancs ou de barbes grisonnantes. qui a bien rempli sa journée de travail 'L.
Du reste, le recueillement était général dans les Pierre entrevit toute l'étendue du devoir assumé
rangs des riches comme des pauvres. Toutes les son existence, entièrement tracée devant lui, et il
figures portaient une expression grave et réfléchie. accepta son destin avec un sombre enthousiasme, en
C'est qu'à la campagne, le sens et le but de la vie couvrant d'un regard de tendre protection le'groupe
apparaissent plus clairement, dans des conditions désolé des femmes en pleurs.
d'existence simplifiées, dans un espace plus restreint. Je le ferai Père, je te le promets dit-il menta-
L'idée de la mort reste familière, toujours à portée lement, en jetant de l'eau bénite sur la bière. Une
de tous les esprits. Le champ de repos n'est pas relé- sérénité vivifiante se répandit alors en lui, et raffermit.
gué dans un coin écarté, comme un lieu d'épouvante son cœur pour la consommation de l'épreuve.
dont il faut épargner la vision aux vivants. Il demeure MATHILDE ALANIC.
placé dans le centre du village ou à l'entrée, au bord
même du chemin journalier, pour rappeler incessam-
ment aa' passant les disparus, et sa propre destinée.
Et pendant que les voix aigrelettes des enfants de QUELQUES MOYENS DE CONSERVER LA SANTË
chœur se mêlaient aux barytons et aux bases des
chantres, dans la sévère harmonie des psalmodies, Le pain chaud masse l'estomac. Il ne faut pas en
Pierre se demandait s'il était vraiment possible que ce manger.
fût l'office mortuaire de son père qui se célébrait là. La propreté est,la première condition de la santé..
Toutes les circonstances extérieures lui présentaient La chaleur, l'abstinence, un travail modéré suivi de
à la fois l'incohérence et le réalisme de certains rêves. repos, sont autant d'excellents médecins.
Sa personnalité lui semblait se dédoubler. Son être Quand vous dormez ne vous recoquillez pas le
physique subissait l'impulsion donnée, accomplissait corps, mais dormez aussi droit que possible. Evitez.
machinalement les actes voulus; sa pensée, au con- les oreillers trop hauts.
traire, se dégageait de cette torpeur corporelle, ac- Ne restez jamais assis ou couché les pieds froids.
quérait une lucidité extraordinaire, s'élançait au-delà Il faut, à tout prix, se tenir les pieds chauds; c'est.
du lieu et du temps. du froid aux pieds que provient une foule de maladies.
En sortant de l'église, le convoi traversa la place .et Votre nourriture doit se composer de viandes et de-
remonta la route jusqu'au portail du cimetière. De végétaux, mais il est préférable que les végétaux do-
chaque côté, ondulaient les flots verts des blés déjà minent.
hauts, parsemés de nielles et de marguerites: les Il faut prendre ses repas régulièrement la même,
haies se couvraient de roses sauvages. A chaque pas, heure. Les soupers pris trop tard.sont très nuisibles.
dans le champ des morts, on écrasait des fleurs. La L'eau qui séjourne dans un appartement devient
terre et l'air frémissaient de vie intense et d'amour vite improre à être bue. Il ne faut jamais user de l'eau
éperdu. Des milliers d'existences mystérieusess'agi- puisée la veille.
taient, ardemment vouées à leur but de fécondité e. Les chambres à coucher doivent être fréquemment
de travail. La moindre petite parcelle du sol fournis- changées.
sait la sève nourricière à une quantité innombrable Défiez-vousdes gaz malsains qui s'exhalent de la cave,.
tenez cette dernière parfaitement propre, et exempte intéresser à ces quelques pieds carrés de planches
de tous végétaux en décomposition. solides, toujours agités, en mouvement, tantôt glissant
Défiez-vous des courants d'air. silencieux, tantôt se cabrant, dans des craquements
Le passage du.chaud au froid, du sec à l'humidité, terribles, obéissant à l'humeur de la mer, qui ne se
mène beaucoup de gens au tombeau. laisse jamais oublier, qui peu à peu vous conquiert
Un célèbre médecin compte que plus de 30000 per- et vous absorbe. La vie à la mer, en réalité, comme
sonnes se tuent chaque année en se corsant et en serrant dans le livre, peut paraître, tout d'abord, monotone.
trop leurs jarretières et leurs lacets de chaussures. Impression fugitive! Rien n'est, au contraire, plus
Il n'y a que ceux qui se lèvent de bonne heure, qui changeant, plus varié, plus prenant. On y découvre
ont droit à une santé parfaite. Economisez votre éclai- chaque jour des nuances nouvelles, M. Petitcolin a
rage, couchez-vous de bonne heure, et que les pre- réussi à nous convaincre de cette vérité. Nous ne
miers rayons du soleil vous trouvent au travail. tardons pas, en lisant son ouvrage, à nous familia-
La chance et la fortune surviennent à celui qui est riser avec le Béniguet et avec son rude et simple
matinal. capitaine Layec. La vie à la mer est un livre très
Ne manquez jamais de prendre votre verre de bois- agréable à lire, surtout en cette saison.
son en vous.levant, mais que ce soit un verre d'eau
froide. Toute autre liqueur est un poison. Vous intéressez-vous aux questions de féminisme Y
Acceptez les événéments avec calme et patience. Si oui, je vous signaledeux ouvrages sur ce sujet tou-
La colère et les noirs soucis engendrent les trois jours d'actualité. A la librairie Plon-Nourrit a paru
quarts des mortalités. L'un ou l'autre de M. Henry-C. MOREAU. Sous une
forme de roman, l'auteur a posé nettement le pro-
blème et l'a agréablement discuté. D'autre part,
LE TEMPS QUE PERD UN HOMME DANS SA VIE M. Etienne LAMY a publié chez Perrin La femme de
Si nous prenons pour la moyenne de la vie humaine,
demain qui se compose de trois études, de tro.is l~c-
72 ans, et si nous supposons que cet homme soit bien
tures faites la première à Besançon, la seconde à
Paris, la dernière à Angers et qui ont déjà été impri-
constitué, robuste, laborieui, vous pourrez alors voir
le temps qu'il a perdu dans sa vie. mées dans le Corresporadant et la Revue des Deux-Olondes.
Les titres en sont significatifs La femme et le savoir;
n a dormi au moins huit heures par jour; cela fait la Femme et les penseurs; la Femme et l'enseigne-
vingt-quatre ans que cet homme aura passé à dormir ment de l'Etat. Ces trois chapitres copieux sont pleins
ou à rêver. d'aperçus ingénieux, de bon sens et de finesse.
Il devra encore s'habiller et se déshabiller, sortir de
son lit et y entrer, faire sa barbe, tout cela ne peut De Paris aux Mines d'or de l'Australie occi-
être estimé à moins d'une demi-heure par jour soit, dentale, par 0. CHEMIN (Librairie Gauthier-Villars).
en soixante-douze ans, dix-huit mois ou une année et Chargé d'une mission par le ministre de l'Instruc-
de~nie. tion publique, M. 0. Chemin, ingénieur en chef des
Il faut encore absolument manger et on ne peut ponts et chaussées, a passé près d'une année dans la
accorder moins de deux heures par jour pour les Westralie. Dans l'ouvrage qu'il nous rapporte, il ré-
divers repas cela fait, sur soixante-douze ans, 6 ans. sume ce qu'il a vu et les renseignements qu'il a pu
Il faut donc sortir, de 72 ans, 31 ans 1/2 que cet recueillir sur ce pays encore trop peu connu, même
homme a perdus, sans compter, le temps de ses ma- de ses légitimes possesseurs. L'ouvrage contient d'in-
ladies, et les autres exigences de la condition hu- téressantes photographies. J. G.
maine.
Les chaleurs estivales n'empêchent pas Alphonse
Leyr~erre de publier quelques romans et volumes de
LES LIVRES vers.
Parmi les romans, une mention à part sera réservée
à Deux Amoureuses, une oeuvre poignante de
Georges de PEYREHRUNE, l'écrivain si goûté. Une ex-
La vie à la mer, par M. André Petitcolin
(Liôrairie Colin.) quise préface de Catulle MENDKS orne ce livre exquis.
Signalons encore un autre roman, Une Ame,
Ce n'est ni un roman, ni un livre d'aventures que
oeuvre de début, je crois, d'Olivier THEIX un nom à
nous donne M. André Petitcolin, c'est une suite d'im- retenir.
pressions éprouvées à bord ou sur la côte, dans les
rares intervalles de Mbarquement. M. André Petit- Côté des poètes de Tony Bour¡'LET, Sympho-
M.
colin a été frappé de ce fait, que les terriens sont dans nies des hauteurs, d'une inspiration élevée, ainsi
l'impossibilité de comprendre et de juger les choses qu'il sied lorsqu'on veut justifier un titre quelque
de la mer; que la vie à terre et la vie à la mer ont peu ambitieux tout de même; enfin, de Al. Étienne
entre elles une différence si absolue qu'elles créent, REN~UD, transparent pseudonyme d'un ancien élève
à la longue, une façon de voir et de sentir toute par- de l'École normale supérieure, professeur au lycée
ticulière. Et c'est précisement cette différence, que de Montpellier,Amours barbares. Par une flatteuse
M. Petitcolin, sans établir d;ailleurs de parallèle ni attention, le livre est dédié au dieu Pan le dieu Pan
de comparaison, s'est plu à noter et à exprimer. Aussi aurait le plus grand tort d'être insensible aux beaux
ne nous raconte-t-il pasune croisière; 'nous ne savons vers de M. Étienne RENAUD.
pas dans quels pays il navigue; jamais il ne cite un
nom, ne décrit un port. Peut-être nous sentons-nous Et,. toujours chez Alph. LEMERRE, Mémoires' d'un
dépaysés; nous sommes entre le ciel et l'eau. C'est moraliste, de M. Théodule BRANCHE; Le ProphéteJé-
ce qu'a voulu notre auteur. Il s'est proposé de nous sus, un curieux drame philosophique de L. F. SAUVA GE.
A la Société libre d'édition des gens de lettres, signa- graùe grande couronne, sont dentelés 14. Ils sont
lons Le but de la vie, de N. SEINTIB: la Fille munis en plus des lettres de contrôle, de numéros
d'Aglaure, de Félix DEPAAD1EU. de planches placés dans le cadre guilloché dont est
entouré l'effigie. Ces numér,os qui distinguentla plan-
is che à laquelle appartiennent les timbres sont, pour
~t
Enfin, la maison Berger-Levrault poursuit la publi- le 2 pence bleu 7, 8, 9, 12, 13, j et 15. D'après 4
cation de l'intéressant Voyage en France de notre la planche, le prix du timbre varie de 0 fr. 50 à
c.ollaborateur ARDOUIN-DuMAZET. Il s'agit, cette fois, de 0 fr. 05.
deux volumes consacrés à la Haute-Bourgogne,à la FILIGRANE.
Basse-Bourgogne et au Sénonais. La même librairie
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nous donne les Etudes d'histoire maritime, de Surinam 1873. bistre. N. 0 fr. 65.
10 c.
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M. Amédée DELORME. Sarawak 1900. 1 c. bleu et rouge; 2 c. vert; 10 c. bleu;
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meaux, 5 millièmes violet et brun; 1 piastre carmin et
noir; 2 p. brun et vert; 5. p. noir et violet. Les 4 tim-
bres obl. 2 fr. 75.
Les Timbres anglais.
En dehors de nos primes nous pouvons faciliter à nos
Pour remplacer les trois timbres octogones émis lecteurs leurs achats de timbres aux mêmes conditions
en 18-i,7-185-i" et qui par leur forme et leur marque que nos primes. Pour tous les renseignements timbrolo-
de denteluxes étaient d'un usage incommode, on giques et les demandes de timbres, on est prié de s'a-
dresser à Filigrane, aubureau du Magasin Pittoresque.
commença en 1855 une nouvelle série, du format de
l'ancien 1 penny de 1840, mais de dessin entièrement FIL.
nouveau et tous dentelés i 4. Le premier timbre mis
en cours fut un 4 pence rose portant dans un 'cercle
l'effigie de la Reine. Il est imprimé sur papier glacé IIA jVIObH hITTOI~HSQUB
blanc ou bleuté, et porte comme filigrane une jarre-
tiére, qui tantôt est petite, tantôt
moyenne ou grande (ci-contre la Comment ne pas s'occuper des enfants et de leur toi-
lette au moment où leur nom est sur toutes les bouches
petite et la grande jarretière). grand'mères, mères et tantes sont radieuses en songeant
Les prix de ces timbres sont aux vacances qui réunissenttout ce petit monde.
assez variables, selon le tiùgrane La fillette est très. court vétue en principe la jupe dé-
le papier. Sur bleuté, la petite passe fort peu le genou et la chaussette aidant, cette
mode est bien d'actualité pour la saison; mais comme
jarretière vaut 5 francs; la dans toutes choses l'exagération serait un gros défaut et
moyenne 7 francs (la grande n'existe pas sur ce rendrait peut-étre ridicules les mignonnes Marguerite,
papier). Sur blanc la petite vaut 9 francs la moyenne Jane ou Yvonne, on doit donc modifier selon leur taille
3 fr. 25 et la grande 0 fr. Hi. et leur développement la longueur de la robe, accompa-
gnée généralement d'un boléro qui remplace la jaquette;
En 1856 parurent dans la même cette forme est charmante pour les tailles enfantines.
série un 6 pence violet clair et Nous en avons vu en filté fraise avec biais de toile
1 shilling vert clair le premier blanche disposés en bâtons coupés; en treillis bleuté
brodé à larges points au passé d'une guirlande de roses
ayant l'effigie dans un cercle, le blanches et feuillage; bis et rouge, à fleurs, à dessins,
second dans un ovale. Ils sont im- unis, etc., etc. A moins qu'on ne fasse un corsage blousé
primés sur papier blanc et ont et dans boléro,les blouses sont toujours
ce cas pas de
.commèfiligrane les fleurs emblématiques du Royaume- blanches en tissu léger et de fantaisie.
Uni, c'est-à-dire deux roses aux angles supérieurs, La robe de mousseline aux trois petits volants étant
considérée comme plus habillée est réservée au casino,
un trèfle et une fleur de chardon où hélas! il y a des bals d'enfants, des matinées et au-
aux angles inférieurs. Les roses tres réunions qui demandent plus de coquetterie. L'ha-
sont les emblèmes symboliques de billement de garçonnet, s'il est plus simple, ne variant
1'Angleterre, le trèfle de l'Irlande et presque pas du costume marin, est aussi onéreux pour
la bourse des mamans, ces futurs grands hommes n'ont
le chardon de l'Ecosse (voir ci- nul souci de leurs. culottes et il en faut un nombre
contre la reproduction de ce fili- incalculable.
grane). Le 6 pence vaut 0 fr. 25 et A cet heureux âge on ne connaît ni rides sur le front,
le shilling 10 fr. 60. ni ombre dans la vie et pour que les chers yeux clair-
voyants ne découvrent pas sur votre visage, mes aimables
En 1858, l'ancien 2 pence bleu fut remis en cours, lectrices, du temps l'irréparable outrage, servez-vous
mais avec une modification dans sa pour les joues du lait de Ninon de la Parfumerie Ninon,
gravure. Les deux coins supérieurs 31, rue du Qualre-Septembre.
qui contenaient des fleurons reçu- LIBELLULE.
rent, comme les coins inférieurs, Baroune de T. Le conseil que vous a donné votre cou-
des lettres de contrôle. Ces lettres sine est parfait; il a été déjà suivi par des milliers de
sont les mêmes que celles des angles personnes qui, elles aussi, avaient à se débarrasser des
vilains points noirs ou tannes. Vous trouverez un flacon
inférieurs, mais elles sont placées de l'Anti-Bolbos à la Parfumerie Exotique, 35, rue du
inversement. Ces timbres imprimés sur papier à fili- Quatre-Septembre, pour le.prix de 5 fr. 50 et 10 fr. 50
1~EG~TTES ET GO]~1SEIItS
L.«
contre mapdat-poste. Ainsi que du, saao~z à .l'Anü-~pl,bos
préparé avec les mêmes principes, une boîte de 3 pains
10 fr. 85 contre mandat-poste.
sementle.choix du savon n'est. pas toujours l'objet d'une-
attention suffisante. On se préoccupe plutôt du bon as-
pect, de là jolie couleur, du parfum agréable que de là
composition du savon. C'est là 'urie 'indifférencecoupable,
la plupart des savons renfe)'mant des principés causti-
ques, acides, ou simplement malsains, au grand détriment
de la santé de l'enfant. Cette situation n'a pas été sans
éveiller l'attention des hygiénistes.
L'un d'eux M. le D'Andrieu a trouvé la formule de sa-
1>OI;R BOUCHER. LES JOINTS DES PLANCHES D'UN PARQUET
On n'a jamais besoin d'appeler bébé, quand il s'agit La suie de cheminée ,a toutes espèces de vertus. Mêlée-
de prendre sa Phosphatine Falières. avec du fort vinaigre, elle guérit les engelures. Délayée-
dans de l'huile chaude, et mise. dans. l'oreille, elle apaise-
sur-le-ch¡¡.mp les plus vives douleurs.
La suie peut être encore employée comme poudre den-
HABITS FROISSÉS OU PLISSÉS.
tifrice avec un peu d'eau etd'alcool,-et c'est un des meil-
leurs qu'on puisse trouver, n'en déplaise aux parfumeurs
Lorsqu'après un long voyage, on sort de sa malle les témoin la denture de tous les ramoneurs.
vêtements qu'on y pliés et que ceux-ci sont plissés; il
ne faudra pas les repassër s'ils. sont en laine ou. en coton.
Le mieux ést de les su'spendre librement à la cave, après
avoir humecté légèrement avec une éponge ou un linge Maladies nerveuses, de poitrine et d'épuisement; guéri-
les endroits'les plus froissés et plissés. Tous les plis, son assurée par les produits Henry Mure, de Pont-Saint-
même les plus accentués, disparaissent et les' habits' re- Esprit (Gard). Notice gratis sur demande.
prennent leur état normal. Un séjour de 12 à 24 heures à
la cave sera suffisant.
f5 AOUT J 901.
16
hes ofligines et la formation du Paysage contemporain en rflance
Je n'ai pas la prétention, dans les lignes qui toute personnelle et le charme aigu de sa fan-
vont suivre, de tracer, même en résumé, une his- taisie pénétrante, fut Watteau.
toire du paysage contemporain. C'est un sujet Bientôt, comme répondant aux aspirations
qui réclamerait une étude suivie. On ;,ait, en générales de naturalisme sentimental qui se ma-
effet, toute la part que les hardis et vaillants nifestèrent avec tant d'éclat dans la littérature,
paysagistes occupent dans notrç art qu'ils ont apparaU toute cette innombrable série des Ports
pénétré à travers toutes ses manifestations. Non .de mer et des sujets de nature de Joseph Vernet.
seulement le paysage a modifié profondément En même temps que les descriptions lyriques de
notre conception du monde qui nous entoure, Jean-Jacques Rousseau et la mode des jardins
mais il a influé notablement sur notre interpré- anglo-chinois de Chantilly, de MÓntceau ou de
tation de l'humanité dans les actes de sa vie pré- Trianon, ils satisfirent..avec abondance les be-
sente et dans les gestes glorieux de son passé. soins des contemporains.
Je voudrais seulement grouper un certain nom- Vernet était d'une fécondité inépuisable. Il eut
bre d'observations qu'a suggérées à tous les vi- des élèves et des imitateurs qui répandirent son
siteurs de l'Exposition Universelle la réunion genre par toute l'Europe, en Pologne" en Russie,
de ce petit Musée provisoire de l'Exposition et surtout en Angleterre. Dans ce dernier pays
eèritertnale, si impartialement constitué par les s'établirent même deux d'entre eux, deux lyon-
soins de M. Roger Marx et qui est venu combler nais, Manglard et Pillement, ce Pillement, dont
momentanément les lacunes de nos grands éta- nous trouvions à l'Exposition centennale une
~lissements nationaux. petite gouache à titre d'indication et qui fut un
Toutes les fois qu'on a voulu définir les ori- des plus terribles reproducteurs et propagateurs
gines de notre école de paysage, on s'est plu à la du genre Vernet.
rflttacher directement aux maîtres de l'];;cole an- C'était un élève de Boucher, chinoiseurenragé
glai!e. Gainsborough et Old Crome, Constable qui quitta les « fleurs de caprice qu'il peignait
,et Bonington eussent été les véritables initia- pour les toiles d'Alsace, pour se mettre à la suite
teùrs du paysage moderne. de la vogue et dont on voit tra1ner dans les
-Sans vouloir diminuer en rien la gloire incon- ventes publiques d'innombrables paysages. C'est
testée de ces grands artistes qui eurent, je ne le par ce flot envahisseur .que se forma en Angle-
nie pas, leur part d'action sur le développement terre le courant qui relia Claude. Lorrain à Wil-
de l'idéal des maîtres français, la vérité histo- son, puis à Turne'r ce qui établit, en passant,
rique nous oblige à rectifier ce préjugé et à réta- que l'École paysagiste anglaise, eut de, son côté,
blir exactement les faits. les mêmes ancêtres que la nôtre et qui, de ce
Or le fait indiscutable aujourd'hui et qu'est dernier maUre, Turner, nous est revenue plus
venue affirmer l'Exposition ceritennale, c'est que tard par l'intermédiaire des impressionnistes.
l'École française de paysage n'a cessé d'évoluer Joseph Vernet, comme le prouvent le Pont
sans interruption à travers toute son histoire, Saint-Ange et le Vatican, du Musée du Louvre,
par une filiation régulière, quoique moins appa- est le lien entre Claude Lorrain et Corot.
rente à travers le grand émoi des premières Mais, au même moment, l'orientation des es-
années du XIX. siècle. prits vers les choses de la nature les avait'portés
Les véritables sources du paysage, contempo- à examiner, avec, une sympathie à laquelle on ne
rain sont formées par le flot de deux grands cou- les avait pas accoutumés jusqu'alors, ce petit
rants principaux, dont l'un est la tradition natio- monde admirable des paysagistes hollandais qui,
nale qui remonte jusqu'à Claude Lorrain, l'autre seuls encore, avaient su jeter sur les grands spec-
l'imitation de l'École hollandaise. L'influence tacles qui nous entourent.unregard si juste et si
anglaise n'entre en ligne, au début de l'appari- émerveillé. Longtemps méconnus et dédaignés
tion des premiers romantiques, qu'à titre d'actif au XVII" siècle, le roi Louis XVI, au contraire, les
stimulant. recueillit avec soin dans seseollootions.Un petit
Observez le cours du paysage au XVIII. siècle. événement, dont 1.'importance n'est plus bien
Pendant longtemps, lorsqu'il ne joue pas un rôle saisissable de nos jours, mais qui eut une grande
accessoire derrière les figures, il n'est qu'un portée pour l'art français, permit encore de les
agréable ramassis de combinaisons convention- faire mieux aimer et comprendre. C'est l'oU\Ter-
nelles, nées des vieux souvenirs italiens et ins- ture au public des collections royales.
pirées du décor de théâtre car le théâtre à cette Jusqu'alors elles avaient été fermées aux ar-
époque était la source de toute inspiration. Le tistes qui ne trouvaient guère, en dehors des
plus admirable comme le plus exceptionnel des églises de Paris, peu fournies en chefs-d'œuvres
peintres de ce genre, où il apporta son émotion anciens, et des expositions contemporaines de
l'Académie, d'occasions de voir de la peinture autre conscience poétique, tandis que, dans l'art,
pour former leur éducation. Tout artiste qui vou- à l'heure même, dans l'atelier de. David, avec
lait se dévopper était tenu de faire lé voyage Gros qui portait en lui, sans le savoir ou s'ans le
d'Italie, comme les compagnons ouvriers fai- vouloir, les germes du futur avril, fermentait
saient le tour de France. C'est cette préoccupa- toute la révolution nouvelle. C'était le Roman-
tion qui.avait suggéré à Louis XIV la création de tisme, aboutissement définitif d'un grand réveil
l'Académie de France à Rome. de l'imagination, qui s'était fait pressentir un
Le Luxembourg, ouvert en 1750, devint la vé- instant, un peu avant la fin du siècle passé, mais
ritable école des artistes, où déjà, de la grande qui avait avorté en face des événements.
galerie de Marie de Médicis, les chefs-d'oeuvre Ce lyrisme passionné, cet enthousiasme géné-
de Rubens avaient illuminé tout notre art. Aussi, reux et juvénile pour tout ce qui était le mouve-
'vers la fin du siècle, inaperçus d'abord, à cause ment, la couleur et la vie, tous ces sentiments
des grands débats sur l'antiquité et de l'éclat qui avaient secoué si violemment la torpeur de
bruyant de l'école de Vien et de David, qui l'imagination contemporaine, eurent leur contre-
avaient imposé le genre héroïque, se développe coup inévitable sur la peinture de paysage, l'une
tout un petit groupe d'imitateurs des scènes de des caractéristiques de ce mouvement étant,
la vie réelle des Hollandais, qui furent les vérita- avec un retour sympathique vers le passé, une
bles précurseurs, obscurs mais clairvoyants, contemplation exaltée de la nature.
qui ont préparé l'évolution des formes les plus Dès ce jour commencent donc pour le paysage
modernes de notre art contemporain. des destinées nouvelles.
C'est devant Ruysdael et Hobbéma, Huysmans C'est peut-être, le moment de définir exacte-
et Van Goyen, Cuyp et Potter, Gérard Dow ou ment ce terme de paysage, si nous voulons péné-
Metsu, que se formèrent de Marne, Boilly, Mo- trer plus à fond dans notre sujet.
reau l'aîné, Drolling, Georges Michel, annonçant Les anciennes dénominations officielles inven-
dans la peinture de paysage, d'intérieurs ou de tées par l'Académie royale, qu'on a conservées
genre, Paul Huet, Granet ou Meissonier. encore à l'Exposition par respect de leur carac-
tère "rétrospectif, ont pu jadis représenter l'as-
Au début du siècle, dans la pleine lumière des pect de l'art du temps, qui subissait, d'ailleurs, la
honneurs officiels, brillaient d'un frigide éclat tyrannie de leurs formules. Aujourd'hui ces clas-
quelques paysagistes graves et compassés, héri- sifications étroites d'histoire, de genre, de paysage
-tiers de l'ancienne formule académique. et de ~ortrait sont insuffisantes à exprimer les
Pour être juste, quelques-uns d'entre eux ne aspects si complexes, si'divers de l'inspiration
manquaient pas d'une certaine grandeur et au- de notre époque.
ourd'hui que nous pouvons les considérer sans Il conviendraitplus justement de dire que l'art
parti pris, nous trouvons que plus d'un, malgré a pour ambition d'exprimerla Vie et le Rêve, au
l'étroitesse de leurs principes, étaient moins moyen des deux termes essentiels qui compo-
,éloignés qu'ils ne paraissaient alors des senti- sent l'univers à ses yeux l'Homme et la Nature.
ments qui portaient les esprits plus simples et L'homme, qui, pendant presque toute la suite
de
Plus indépendants vers la fréquentation des maî-
Hollande. C'étaient Valenciennes, Bidault
et Victor Bertin, Rémond, Miçhallon et Aligny, les,
des temps, absorbe toute son attention; la nature
qui ne l'intéresse au même degré que très tardi-
vement.
trois derniers ne l'oublions pas qui furent Car c'est une remarque qu'on ne peut manquer
les maîtres, les amis et les conseillers écoutés de faire que lacontemplationdé la Nature est en
de Corot. sens inverse de l'état de civilisation de l'huma-
Mais un esprit nouveau semblait-remuer le nité. Plus l'homme est en contact avec les gran-
monde. Après les crises effroyables qui avaient des forces naturelles, plus il semble se replier
bouleversé l'Europe, la pensée se reposait enfin, sur lui-même, aspirer à la société, chercher un
consciente d'elle-méme, et paraissait ressentir art essentiellement humain. Les grands aspects
-seulement alors le grand ébranlement qu'elle ve- de la Nature semblent lui inspirer une sorte de
nait de subir. terreur religieuse et il ne se plait à exalter que
Quelquesvoixpuissantes et solennelles avaient l'homme et l'œuvre de l'homme. Aussi, dans
repris l'hymne magnifique à la Nature qu'avait l'antiquité, le sentiment du paysage est-il peu
fait entendre, le premier, l'organe ample et har- développé il nej oue dans l'art des anciens qu'un
monieux de Jean-Jacques Rousseau, dont les rôle accessoire, purement décoratif,architectural
échos s'étaient perdus dans les clameurs assour- et, pour ainsi dire, abstrait.
dissantes de la Révolution. Chateaubriand, La- La nature est le lointain décor de l'homme,
martine, Alfred de Vigny, le jeune Hugo ou être privilégié, créé par les religions comme but
même, passant la Manche, Mac' Pherson (l'Ossian de l'univers et placée autour de lui pour son
qui fit rêver nos grands-mères) et lord Byron, agrément et son utilité.
ce grand choeur unanime de penseurs et de rê- Le Christianisme ne modifia pas celte concep-
veurs, avaient fait naître un verbe nouveau, une tion des rapports de l'homme avec la Nature.
L'homme est toujours la créature élue de Dieu les humbles choses, austère et religieuse chez
qui;descend, sous la forme humaine, sur la terre, Millet, douce et caressante chez Cazin, enfin toute
point central des mondes, où il se sacrifie pour cette grande effervescence panthéiste qui anime,
le sauver. sous les formes les plus diverses, l'art du
Cette idée subsiste encore chez les Hollandais XIXe siècle.
du XVII" siècle, qui, les premiers, comprirent le
rôle de la nature isolée et ont créé le paysage Classicisme et romantisme, naturalisme, réa-
moderne. lisme, pleinairisme, impressionisme, etc., qui
La philosophie qui a montré le néant de ne connaît toutes ces formules célèbres, em-
l'homme, la science qui a fait pressentir l'infini ployées souvent à tort et à travers, par lesquelles
des mondes, nous ont fait comprendre, depuis, on essaie d'étiqueter les idéals divers qui corres~
les rapports de l'homme avec sa planète et de sa pondent aux vicissitudes de l'inspiration dans la
planète avec le reste de l'Univers. Elles ont mo- peinture de paysage2
difié le sens de nos contemplations en face de la Ces vocables sont censés représenter la doc-
natur'e'et c'est, au fond, ce point de départ phi- trine de certains groupes prédominants. Si on
losophique et scientique qui, consciemment ou s'entend bien sur leur signification, ils peuvent
involontairement, a causé la profonde révolution servir à donner dans une expression synthétique,
du paysage moderne. un résumé de certains faits réels. Nous les
Tour à tour entraînés par les courants de l'ima- emploierons donc pour nous aider à faire com-
gination ou de l'observation, les peintres de prendre la filiation de l'art du paysage contem-
paysage deviennent des contemplateurs pas- porain. II faut, cependant, se défier de ces classi-
sionnés qui suivent, à leur insu souvent, les évo- ncations conventionnelles, commodes seulement
lutions de la pensée contemporaine dans toutes pour les opérations de notre esprit étroit et pares-
ses préoccupations poétiques ou scientifiques, seux" c'arla réalité est plus confuse et plus com-
exprimant, soit par de fortes synthèses, soit par plexe. D'une part, certaines individualités très
des analyses savantes et aigués, les splendeurs personnelles échappent à toutes. les catégories,
de cette nature, considérée tantôt comme bien- d'autre part, l'art n'évolue pas successivement,
faisante et consolatrice, tantôt comme hautaine par tranches nettes, chaque tendance nouvelle
et indifférente à nos.joies et à nos misères, tan- prenant: la place de la précédente., On a pu
tôt comme partageant elle-même notre propre facilement s'en convaincre à notre exposition dé-
humilité. cennale.où l'on trouvait debout encore toutesles
Vous chercheriez vainement dans tout le passé formes du passé, les écoles surgies l'une sur
ces inquiétudes et ces angoisses de Paul Huet l'autredepuis le début du siècle, tous les débris
ou de Jules Dupré, cette exquise sérénité de de vieilles formules, tous les restes d'idéals plus
Corot, ces scrupules passionnés, cette pénétra- ou'moins démodés, qui se coudoient, se heurtent
tion si aiguë de Th. Rousseau, ce besoin ardent et-parfois se mêlent en d'étranges compromis.
et loyal de vérité de Troyon ou de Daubigny, ce LÉONCE B];;NEDITE,
bel épanouissement robuste et végétatif de Conservateur du Musée du Luxembourg.
Courbet, cette tendresse toute fraternelle pour (A szaivre.)
L'ivoire Qui ne connaît cette belle substance, cielles, et dont on a pu tirer non sans peine
de même nature chimique que l'os ordinaire; de toutes mignonnes statuettes, même des
mais moins grenue, plus serrée et plus homo- cornes ou bois du cerf, dont on faisait, sous
gène, blanche comme du lait crêmeux solidifié? 2 Henri II et Charles IX, des « flasqués », des « pul-
C'est d'ivoire que sont faites, non pas les dents, vérins », des boîtes à poudre de guerre ou de
mais les défenses, parfois énormes, de certains chasse. Le Musée de Dieppe, comme celui du
monstres marins, ou des plus gros pachydermes Louvre, possède un « pulvérin », représentant;
terrestres. Creux le plus souvent à l'intérieur, gravée en relief, Vénus triomphante avec
dans la partie adhérente aux gencives, dur et l'Amour endormi à ses pieds.
compact à ses extrémités extérieures, on ne sau- Mais il n'est vraiment qu'un seul ivoire celui
rait mieux l'assimiler qu'à une stalactite osseuse. d'éléphant, le morfil. Ivoire fossile de la Sibérie
Un volume ne suffirait point pour parler de ou du Canada, où abondent les fentes, les nodo-
l'ivoire du morse, du cachalot, du rhinocéros et sités, les « fèves », comme disent les gens du
du narval, utilisé dans la tabletterie de luxe; de métier; ivoire rose-violacé de Siam ou de Cey-
l'ivoire d'hippopotame, recherché, vu sa dureté lan, si rare et si estimé; ivoire vert d'Afrique,
extrême, pour la fabrication des dents artifi- qui blanchit en vieillissant et que les ouvriers
préfèrent, est-il matière se prêtant mieux à tous vages inconnus, d'où ils revenaient, quand ils
les usages, plus belle aussi avec ses refletsirisés revenaient, chargés de bois précieux, de gomme,
où se jouent la lumière et l'ombre? Je ne me d'épices et de poudre d'or. Or il advint que,
souviens plus qui a comparé l'éléphant à une vers 1364, deux navires dieppois, partis pour
maison qui marche; mais je sais bien que rien l'Afrique, ayant dépassé le Cap Vert, abordèrent
ne vaut l'ivoire pour reproduire soit les formes à la côte de Guinée et en rapportèrent une telle
impeccables des « bellesdéesses aux bras blancs» quantité de morfil, ou ivoire brut, que cela donna
(Diane ou Vénus), soit la puissante musculature aux Dieppois l'idée de le travailler eux-mêmes
de l'Hercule Farnèse et du Milon de Crotone « qui depuis ce temps ont si bien réussi qu'au=
pour traduire à des yeux humains ces traits jourd'hui ils se peuvent vanter d'estre les meil-
suaves de la Vierge, où perce comme un rayon leurs tourneurs du monde en fait d'yvoire. »
du ciel; pour exprimer à un coeur possédé de la Qui parle ainsi? Villaud de Bellefond, que je
foi les divines douleurs du Christ crucifié. ne fais que résumer, et dont les renseignements
Graphique indiquant les longueurs des différentes sortes d'ivoire (narval, morse, cachalot, hippopetame).
Nul n'ignore que Dieppe, la glorieuse cité nor- paraissent puisés aux meilleures sources. On
mande, prétend avoir été la première en France objecte que Bellefond, qui publia sa relation
à travailler l'ivoire. Prétention moins exagérée en 1666 à la demande de Colbert, est postérieur
peut-étre qu'on ne l'a dit. Mais, faute de titres de trois siècles aux faits qu'il raconte. M'est avis
contemporains et bien authentiques, de pièces toutefois qu'il n'a pas purement imaginé tout ce
vraiment décisives, malgré de nombreuses et qu'il dit, et que, pour se documenter, il a pu
consciencieuses recherches, l'histoire complète consulter certaines pièces maintenant perdues,
de l'ivoirerie dieppoise restera, je crois, long-, brttlées peut-être sous les bombes anglaises de
temps encore, à faire. Comme de bien d'autres, 1694; tout au moins loyalement condenser cer-
ce qu'on en sait le moins, c'est le commence- taines traditions constantes, non pas tant seule-
ment.,» On- a quelques raisons de croire pour- ment des Dieppois et Normands, que des étran-
tant que c'est bien vers la fin du XIV. siècle qu'il gers eux-mêmes, rendant hommage au glorieux
en faudrait placer les origines. A ce moment, le passé maritime de Dieppe. Certes, il faut être
mouvement d'enthousiasme mystique des Croi- circonspect en ces questions et ne rien affirmer
sades a passé; laboussoleavecsesusagesest.con- sans preuves: mais qu'on nous permette encore
nue. L'esprit nouveau devenant plus positif et un autre argument. Paris avait, dès saint Louis,
plus pratique, en même temps qu'un certa,in vent des corporations de tablettiers et tourneurs
d'aventures et de découvertes soufflait sur l'Eu- d'ivoire (mentionnés dans le livre des métiers
rope occidentale, les marins Dieppois, dignes d'Estienne Boyleau). Ces corporations s'établi-
fils .des vieux Northmans; a .ces rois de la mer », rent,(au dire d'un<cont~inporainnommé Guillot)
s'étaient lancés déjà à la conquête d'îles et ri- dans la rue de la Tabletterie, en 1300, pour aller
résider plus tard, Louis XIV régnant, les tablet- « roi gentilhomme présent d'une énorme dé-
tiers (sous la bannière de saint Hildevert) rue fense d'éléphant, magnifiquement sculptée et
des Arcis: les ivoiriers et nacriers (sous le pa- ornée. De qui était et qu'est devenu ce travail?
tronage de saint Luc) rue Bourg-l'Abbé. Il est N'était-ce pas une réplique du beau COI: d'ivoire
prouvé que Rouen avait déjà en 1507 sa corpo- que possède en sa richissime collection le baron
ration d'ivoiriers. Dieppe aurait donc usurpé Alph. de Rothschild? Hypothèse, encore; mais,
l'honneur d'être dès longtemps la reine univer- pourquoi pas?
sellement reconnue de l'ivoirerie française, si Il ne reste quasi rien de cette époque dont on
Rouen et Paris étaient alors exclusivement les puisse absolument garantir que c'est bien oeuvre
seules villes de France travaillant l'ivoire? A qui dieppoise. On dit même que, dans les guerres de
peut-on, sans un parti pris évident contre Dieppe religion, où il y eut à Dieppe, des deux côtés,
et ses ivoiriers, soutenir cela? tant d'atrocités commises, d'aveugles fanatiques,
Il est admis que nous ne possédonspas d'exem- assimilant les images chrétiennes aux idoles du
ples authentiques d'ivoires sculptés à Dieppe à paganisme, auraient brisé une quantité innom-
une époque aussi ancienne que le xv" ou le brable de christs, vierges, diptyques, tripty-
W 'Ie siècle. Mais nous pouvons sup- ques et objets religieux. en ivoire,
poser avec M. Molinier que « Paris manifestation:; ou artistiques ou
et Dieppe étant dès longtemps les naïves de la foi de nos pères! Qui
deux grands centres industriels de nous éclairera sur ce point?
l'ivoire, si partial qu'on soit, si tou- Comme la plupart des « maîtres
tes ces pièces que nous admirons
aujourd'hui (à Cluny, au Louvre, à
de l'œuvre» en ces temps déjà
lointains, les ivoiriers ne signaient
Rouen, etc.), pouvaient parler, point leurs travaux; et endehors de
combien d'entre elles, réclamant quelques curieux manches de da-
leur nationalité, nous diraient qu'el- gues ou poignards et du « pulvé-
les sont originaires de la patrie des rin mentionné plus haut, Dieppe
Béthancourt, des Ango et des Du- ne possède jusqu'àprésent presque
quesne » rien de cette époque. Quoi donc
Je me figure voir bien une œuvre on a des preuves que l'influence de
normande dans certain miroir à la Renaissance s'est fait sentir à
main, de fabrication française, re- La Vierge de nieugnot. Dieppe; et elle aurait passé à côté
(Collection du D~ Delarue, père).
présentant, sous les traits naïfs de des ivoiriers dieppois, depuis si
riches seigneurs du xvil, siècle, Adam et Eve longtemps renommés, sans les toucher? Est-ce
sous un pommier. Simple supposition, soit mais croyable? Et, puisque nous en sommes réduit
est-elle inadmissible? à poser des questions, qui donc pourrait nous
On connait au moins le nom d'un ivoirier dire ce que sont devenus deux petits bas-reliefs,
dieppois du x~ne 'siècle Jean Bédiou. Mais, en antérieurs à 1600, dont parlent D9M. Féret et
dehors de la croix gothique du cimetière d'Ar- Vitet, et qu'on voyait encore en 1824, chez un
ques, sa patrie, qu'on lui attribue, que reste-t:il patron ivoirier de la Grande Rue, nommé Fla-
de lui? On parle aussi vaguement d'un certain mand ? Ils représentaient l'un, le dévouement
Robert, vivant sous François 1er. Mais l'ivoirier de Curtius l'autre, l'entrevue de Mucius Scévo13.
Robert a-t-il bien réellement existé, ailleurs que avec Porsenna, roi des Étrusques.
dans l'imagination d'un romancier?
Le xme siècle fut plus particulièrement fameux
dans les vieilles annales dieppoises. C'est le siè- Pourquoi ne réunirait-on pas tous les docu-
cle d'Ango. Le fastueux armateur, à ce que dit ments épars concernant cette intéressante ques-
l'histoire ou la légende, traitait de puissance à tion ? Pourquoi ne tenterait-on pas de centraliser,
puissance avec le roi de Portugal. N'avait-il pas, en une expositionrétrospective, à Dieppe etpoint
pour orner son hôtel de Dieppe (la plus belle ailleurs, tous les ivoires, évidemment dieppois
maison de bois qu'il y eût en la chrétienté) ou ou soupçonnés de l'être, que possèdent certaines
son manoir de Varengeville, attiré de Flandre et collections particulières de la haute ou basse
d'Italie quelques artistes de la Renaissance? Ne Normandie? On y trouverait des merveilles pré-
se trouvait-il pas, parmi les raretés accumulées sentement insoupçonnées. C'était déjà le voeu de
par ce Mécène dieppois, de belles pièces d'ivoire l'abbé Cochet, le savant archéologue et « décou-
produits de choix du travail local? Certains mé- vreur » normand; et ce serait un des rêves de
moires du temps nous renseignent surune visite M. Milet, l'aimable conservateur du musée de
faite à Dieppe en 1534 ou 1535 par le roy Fran- Dieppe. M. Milet, en effet, avec une ardeur infa-
çois 1er. Il y fut reçu par Ango qui prit à sa charge tigable et une compétence incontestée, s'attache
tous les frais énormes de réception, nourriture à rechercher et recueillir les plus beaux ou plus
et logement du souverain et de sa suite. A cette originaux spécimens de l'ivoirerie dieppoise.
occasion, les ivoiriers dieppois auraient fait au Pense-t-on qu'en 18i5 le Musée de Dieppe ne
contenait que 14 pièces d'ivoire? Aujourd'hui d'alors, nous dit que le dépôt à Paris des ivoires
il en contient plus de quatre cents, dont beau- de Dieppe se trouve chez David Laurent et David
coup sont dignes des vitrines de Cluny ou du Lécuyerlogeant rue Bourlabbé (sic) au Lion d'Or.
Louvre. Il y a déjà en ses collections éléphan- « Vraiment, remarque M. Dubosc, pour que l'ivoi-
tines, destinées, nous le savons, à se richement rerie dieppoise eût des dépôts à Paris, il fallait
compléter encore, de quoi réfuter ceux qui vou- qu'elle soit très recherchée ».
draient prétendre)toujours que Dieppe n'a jamais Quoi qu'il en soit, sous Louis XIV, on a donc
eu que des ouvriers, souvent très habiles, et pas fait à Dieppe, outre les médaillons et portraits
un artiste véritable, qu'on puisse opposer mentionnés plus haut des montures d'éventail
même de loin aux Géret, Vuillerme, Jaillot, (la dorure et les feuilles s'appliquaient à Paris);
Flamand-Duquesnoy, Rosset, Guillermin, seuls des grivoises ou ràpes à tabac, des tabatières,
cités jusqu'ici comme les maitres incontestés en des manches couteaux représentant des person-
France dans l'art de sculpter l'ivoire. nages coiffés de la grande perruque, etc., etc.
Et des christs, des Vierges ou madones. Vierges
de toute forme et de toute expression; christs
Avec le win siècle, les obscurités se dissipent. dans toutes les attitudes les uns aux bras verti-
On a des faits, des calement levés, dits
noms, parfois des si- christs jansénistes,
gnatures. C'est d'a- dans l'attitude du dé-
bord Michel Anguier; sespoir les autres
bien qu'originaire de aux bras horizonta-
la ville d'Eu, il parait lement ouverts,
avoir travaillé l'i- comme pourembras-
voire à Dieppe, avant ser tous les hommes
de s'immortaliserpar christs généralement
les sculptures de la sans couronne (~1),
pbrte Saint-Denis et parfois même avec
du Val-de-Grâce. un trou derrière la
C'est Mazet, plus tête correspondant à
connu pour ses deux la bouche, et par où
têtes de lions des or- l'onpouvaitfairepas-
gues de Saint-Rémy ser et pendre la lan-
et ses proues de na- gue du divin martyr.
vires. C'est Jean Cornu, dont on admire à Ver- Mais on a alors emprunté aussi des sujets
sailles l'Afrique et l'Hercule Farnèse. Ce sont sacrés ou profanes à l'histoire ou à la fable,
Michel Mollard et Jean lllauger, chargés par Lou- œuvres originales quelquefois, plus souvent
vois de consacrer sur le bronze d'admirables imitées de l'antiquité ou de la Renaissance. Ce
médailles le souvenir, fréquent alors, de nos sera la chaste Suzanne, la Charité romaine;
victoires. Sont-ils de Mollard, Cornu ou Mauger, Orphée apaisant les monstres; Pégase et An-
ces médaillons d'ivoire, qu'a le Musée de Dieppe et dromède, et des Vénus et des Amours, des Ju-
reproduisant soit le profil olympien de Louis XIV, non et des Minerve, des Mars et des Bellone, des
soit les traits délicats de la reine Marie Thérèse, Jupiter et des Apollon. Il semble que, dans les
soit les grasses fossettes de la Palatine, soit la pompeuses décorations de Lebrun ou de Lepau-
grave figure d'un magistrat en robe et perruque, tre, tout l'Olympe fût descendu sur la terre
dont nous ignorons encore le nom? Dieppois, pour venir contempler et glorifier le Grand Roi.
l'ivoirier I. Mancel quO nous a laissé le portrait Uneindustrie dont on a dit- peut-être à tort-
signé d'une jolie dame coiffée « à la Ninon
nommée Elisabeta Guétin. Dieppois, ce David
et qu'elle est exclusivement dieppoise est celle des
petits navires d'ivoire. On admirait jadis, à cer-
Lemarchand, qui, au déclin du XVIIe siècle, passa taines vitrines en renom, de beaux trois-mâts
en Angleterre, où il acquit réputation et fortune, miniature, armés en guerre, toutes voiles dehors;
en faisant, entre autres beaux médaillons ou on les voyait même rouler et tanguer, comme
bustes, celui du fameux physicien Newton. navires véritables, sur de petites vagues de toile
L'ivoirerie dieppoise est alors en grand renom. peinte qu'agitait un mécanisme d'horlogerie.
Il est prouvé que Louis XIII était d'une « dexté- Tout y était en mor fil, depuis la carène arrondie,
rité merveilleuse en toutes sortes d'ouvrages de les mâts, vergues, poulies, ancres, cabestans,
la main et que, enfant, il s'amusait parfois à
tourner de l'ivoire sous la direction d'un ouvrier
canons, jusqu'aux voiles gonflées par le vent,
faites d'un léger copeau d'ivoire. Le tout rendu
allemand. Il possédait, outre un service de table
en ivoire (cadeau de son médecin Hérouard), un (1) Les christs avec la couronne d'épines sont surtout
grand nombre de jolies petites « besognes diep- du me° siècle. Sous la Restauration, un des plus fameux
ivoiriers dieppois, J. B. Lefebvre, disait: Il faut au Christ
poises. Enfin le Livre Commode, de 169 1, le Bottin une couronne, comme à Napoléon son petit chapeau. »
avec une audace de main merveilleuse et une quelles se signalèrent les dieppois Belleteste,
science consommée de tout le « gabarit d'un Brunel, Farges, Flamand, Prosper Derenty, Fré-
vaisseau. L'ensemble reposait sur un socle, chon, Dransart (qui futadjointaumaireen'1848),
abrité sous un globe de verre, comme dans le Poitevin (dit Potdevin) et surtout le plus illustre
temps les pendules « à troubadour dont la mode a de tous, le grand père Lefebvre,.chef d'une dy-
passé. De ces vaisseaux lil- nastie ivoirière non encore
liputiens, équipés pour la éteinte.
c~onquête de quelque Eldo- Bombardée pendant deux
rado de rêve, faut-il, com- jours (22 et 23 juillet 1694)
me on l'a dit, fixer l'origine par l'amiral anglais Bar-
au temps où Duquesne klay, Dieppe fut au trois
triomphait de Ruyter et quarts ruinée. Elle devait
des flottes combinées d'An- renaître de ses cendres,
gleterre et de Hollande? sur les plans trop criti-
Ou bien, plutôt, cette in- qués peut-être de l'in-
dustrie d'art ne serait-elle génieurVantabren;et l'es-
pas d'importation flaman- sor, forcémentinterrompu,
de ? Je ne sache point, en de l'industrie ivoirière de-
effet, qu'on ait, ailleurs vait reprendre au siècle
qu'à Dieppe et à Anvers, suivant.
fait de ces délicates réduc- R. GIRAUD.
tions de navires, dans les- Petit navire de Brunel. (Collection Langlois.) (A sa~iv~~e.)
VILLEGIATURE ]D5AR"rlS'"r]ES
CHEZ MADAME DEMONT-BRETON
Dans la section espagnole, au Grand-Palais, modèles de matelots. Notre maison est bàtie au
lors de l'Expositionde 1900, deux portraits placés milieu d'une lande d'ajoncs,-sur une colline do-
l'un à côté de l'autre retenaient l'attention, oeu- minant d'un côté la'mer et de l'autre la campa-
vres-soeurs de Salgado symbolisant par le rappro- âne. A cette époque, le petit nombre de bai-
prochement des cadres l'intimité des modèles, gneurs qui a coutume de venir à Wissant pendant
M. Adrien Demont et llime Virginie Demont-Breton, les vacances, est parti, nous sommes seuls avec
peintres décorés. les gens du pays, ce qui nous plaît beaucoup
Personnalités sympathiques entre toutes, ar- pournotre travail; deux artistes seulement, logés
tistes sincères, menant une vie de labeur assidu, dans le village, restent encore, aimant comme
des divergencesd'esthétique peut-être ne nuisant nous à voir ce petit coin de France dans toute
aucunement à l'entente des âmes, ils sont de sa sauvagerie ce sont nos élèves Fernand Stié-
ceux qu'on a plaisir à rencontrer au vernissage venart et Félix Planquette qui exposent chaque
et dont on cherche les oeuvres, d'aucunes déjà année au Salon. Vous pouvez vous figurer l'exis-
classées dans les Musées, et dans le Magasin tence laborieuse que nous menons ici, et c'est le
Pitto9~esqzce; nos lecteurs connaissent, en effet, plus beau moment de notre année, car nous nous
maints tableaux de !\lme Demont-Breton et savent sentons absolument en pleine nature, et nos en-
aussi qu'elle a un joli brin de plume à son pin- fants; nos deux fillettes, y sont heureuses comme
ceau son émotion se traduit également bien par nous. Aussi, restons-nous' longtemps, long-
des phrases et par des tons, elle pourrait à ses temps »
toiles composer un gracieux texte de légendes. Bien que combattant le bon combat pour cer-
L'existence de ce ménage d'artistes se passe taines ariiéliorations féministes, Mme Vit'ginie
moitié dans le Pas-de-Calais, moitié en Seine-et- Demont-Breton n'est pas une frondeuse mascu-
Oise. linisée et je me souviens d'une conversation,
De Wissant, par Marquise, .je recevais récem- déjà lointaine, hélas à Champrosay, un jeudi
ment cette lettre dans le jardin, autour d'Alphonse Daudet, nous
« .Nous sommes (octobre), comme tous les étions assis avec M. et Mme Jules Breton, M. De-
ans en cette saison, au bord de la mer, entre le mont et sa femme celle-ci confessa ce gentiL
eap Gris-Nez et le cap Blanc-Nez c'est ici que détail Avant d'en avoir, j'étais jalouse des
«
nous avons nos ateliers d'été; mon mari 3· trouve enfants, mais seulement des tout petits,' sur les
les motifs de ses paysages, et moi tous mes bras, quand je pouvais les prendre, les ~eloter
(c'est un mot de mon pays), avant qu'ils com- Mars qui se rit des a%-erses
Poudre à frimas l'amandier.
mencent à marcher. »
Ces notules éclairent une physionomie, on y des massifs de fleurs embaument; nul passant;
pourrait trouver l'épigraphe de tendresse qui des volières s'ébrouent et azouillent, on tra-
convient à cette « villégiature d'artistes. » verse une thébaïde heureuse, et un couplet de
E3~rat chante dans ma mémoire
l'asile d'aliénés de Saint-Maurice a vaguement, lettes jouant avec leur chien qu'elles 'ennoblis-
par son portique et ses colonnades, l'aspect d'un sent du nom de tigre; le nid, une grande
temple, le temple de la Folie on traverse la demeure qui serait d'une banale bourgeoisie si
Marne, puis c'est Maisons-Alfort, où s'entendent n'avaient pas été construits, en avancée sur la
des cris de souffrance d'animaux, Villeneuve- pelouse, les deux ateliers jumeaux; il y a des
Saint-Georges, coquette petite ville en espalier kiosques enfeuillagés, une écurie pour 1-'ânon.,
avec une église Renaissance, un pont suspendu -un chenil, des communs, une pièce d'eau assez
qui est un3 adorable « fabrique pour paysages, importante pour qu'on ait dù l'entourer d'un
proche l'embouchure de l'Yères, cette mignonne grillage et qu'on y puisse pêcher, des allées
rivière circulaires et de beaux arbres, dont l'un porte,
fiché dans son écorce, un oeil de verre comme
Un géant altéré la boirait d'une haleine.
en ont les enseignes d'oculistes; si cet œil
qui, sous des saulaies, traverse des propriétés était doué de regard, il profiterait du pano-
élégantes; les toits s'aperçoivent du château de rama très étendu, par-dessus la vallée de
Beauregardhabité par la comtesse Hanska, veuve n'ères jusque là-bas, le clocher de Brie-Comte-
de Balzac. Le moulin de Senlis et les ruines voi- Robert, et celui de Mandres où Coppée fut mar-
sines, une chaussée ancienne que longe un trot- g ll11112r.
toir cyclable, un aspect de rue, les habitations se Les deux ateliers de Montgeron, communi-
touchant, c'est Montgeron. quant avec le logis par une galerie et un escalier
A gauche entre des murs de jardin, une route de bois ciré, sont isolés l'un de l'autre par une
descendant vers la ligne du chemin de fer et la immense draperie; au reste, avec les mêmes
vallée; des arbres fruitiers montrent des teintes qualités essentielles, c'est un art très différent
gaies et printanières. qui se manifeste çà et là.
Adrien Demont est davantage paysagiste, mais Qui désertez le nid pour courir l'aventure.
Vous pardonnera-t-on votre témérité?
comme Ary Renan ou Ménard, un paysagiste Ah! si pour rencontrer l'accent de la nature
presque symbolique incliné à la mélancolie, à la 11 ne fallait avoir que la sincérité!
tristesse même, par la nature qu'il copie, ces
horizons mornes, sauvages du Pas-de-Calais, et
qui semblent le décor exact, primitif, mytholo- Virginie Demont-Bretonaété présidente de
11I°'e
gique ou biblique, des personnages qu'il y met l'Union des femmes peintres et sculpteurs et son
pour motiver les titres Abel, les Oanaïdes; il ap- initiative, ses discours, ses. écrits, son activité
partient réellement à sa nouvelle famille, qui sans cesse en éveil ont beaucoup contribué et
s'honore d'Émile Breton dont nul n'ignore les contribueront à l'émancipation de la Femme au
sites, enneigés d'une intensité émotive, mais il y point de vue artiste elle est une frondeuse dans
ajoute des pensées volontaires, une psychologie le sens noble du mot; à propos de l'admission
savante, un archaïsme parfois émotionnant; il ne des femmes à l'École des Beaux-Arts, je retrouve
se contente pas de la nature telle qu'elle est, ce mot daté de Montgeron
farouche ou fleurie, il la meuble d'histoire, il la « C'est là le but que je
poursuis depuis de lon-
date, il la complète. gues années, j'ai fait tout ce qui était en mon
Virginie Demont-Breton, ddnt j'ai vu la pouvoir pour aider à l'atteindre. Je voudraisvoir
première peinture à neuf ans en 1868, et je suis toutes les femmes, douées d'un don artistique,
sûr que cette précision de dates qui choquerait à même de le développer et je mettrai tou-
la coquetterie de certaines lui est complètement jours de toutes mes forces à leur en fournir les
indifférente à elle s'est plutôt adonnée à la moyens. »
figure; fille de ce poète, Jules Breton, poète du Et de son discours de présidente au banquet
pinceauet de la plume, elle a, suivant le meilleur du 18 mai 1896, j'extrais les phrases suivantes
exemple qu'elle pouvait choisir, toujours voulu « Ce que nous demandons, c'est que, par l'édu-
et cherché une juste concordance de l'être avec cation égale, l'égalité soit complète entre tous
son entour de nature les exemples sont nom- les êtres au point de vue intellectuel; c'est que
breux Jeanne à Domréwy, on voit, derrière la femme n'ait pas à souffrir de son sexe; c'est
l'enfant blonde au vêtement de bure, le champ que le mystérieux décret qui l'a faite femme ne
pauvre, enchardonné, où paissent des moutons, soit pas en même temps un décret fatal qui dit
la clarté vive d'un ruisselet, et le lointain des « Tu as une
imagination, mais tu la laisseras se
collines boisées; le Foyer, la plage àmarée basse consumer en pure perte. Tu as des idées, mais
sous un ciel farouche, avec la barque couchée et tu ne les diras pas. Tu as un coeur, mais tu en
à travers les sables montueux de la dune les comprimeras les battements toutes les fois que
pêcheurs rapportant leurs filets; Jean-l3art, la ces battements seront provoqués par les mer-
ville avec ses moulins, son long pont de bois, veilles qui t'entourent, car l'homme seul a le
son église. Et toujours la femme, la mère se ré- droit de s'essayer à les exprimer. 11 te sera tout
vèlent d'une façon touchante, elle met en scène juste permis de chercher une certaine gràce dans
l'enfance, elle en dramatise la mort dans Slello. des petits travaux, mais l'expression des ten-
lLlaria, le pauvre gas attaché la vergue; elle en dresses et des douleurs humaines, les enthou-
épanouit la joliesse dans le Blessie, ce gentil siasmes vers le Beau, que tu ressens pourtant,
bambin évoquant déjà le calvaire avec ses bras tu les considéreras comme au-dessus de tes
étendus comme sur la croix; elle en rend la mi- forces. »
gnarde anatomie dans la Trenapée avec le gentil « Pourquoi, de parti-pris, lui refuserait-on
effroi de la vague, etc. les moyens de s'adonner à la peinture d'histoire
Ses petits modèles ne sont pas des poupées alors que l'histoire elle-mêmecompte, à côté des
parisiennes déshabillées et dépaysées, mais de la immortels héros, d'immortelles héroïnes?
saine et rude graine d'humanité. « Pourquoi ne
lui reconnaîtrait-on pas le don
Son atelier est plus séduisant que celui de son de produire des œuvres d'intelligence humaine,
mari, à cause des sujets habituellement traités; alors qu'elle produit des enfants qui seront des
cette « bibliothèque » d'études, depanneauxina- hommes ? Et enfin, pourquoi la croire incapable
chevés, de projets, d'esquisses, continue les re- de rendre les joies et les peines, les émotions in-
liques, qui décorent le salon de Montgeron, le times des êtres, alors que c'est elle qui, attentive
portrait de'jules Breton parlui-même, sans barbe, et souriante vestale, alimente et entretient la
romantique, la pochade des l~lorbilaannaises, le flamme du foyer, la flamme qui éclaire et ré-
tableau d'Émile Breton, etc. chauffe ? »
C'est toute une famille d'artistes, d'artistes Cet article, qui est un hommage rendu, n'au-
sincères, et Jules Breton n'a pas parlé que pour rait pas été complet sans cette citation; un ta-
lui seul, quand il a écrit dans les Chanx~s et la bleau récompensé, médaillé, acheté par l'État,
Aler ne prouve parfois qu'une habileté technique d'art,
Mes doigts habitués à tenir les pin(-eau,, un devoir réussi dont le professeur se déclare
En vous donnant l'essor, tremblent, frêles oiseaux. satisfait; de telles affirmations révèlent une in-
tellectualité supérieure, un être s'aristocratisant et cela semble tout naturel que 1Im° Virginie De-
.au-dessus de la masse; la distinction officielle mont-Breton soit décorée de la Légion d'honneur.
était bien due à qui se sépare ainsi du commun, MAURICE GUILLEMOT.
Il n'est pas nécessaire, pour avoir un jour son rites dont le nom, pIns humble, volait cependant
-effigie sur quelque place publique brûlée du de bouche en bouche, à quelques lienes à :la
soleil ou plantée de fraîche verdure, de laisser ronde?
un nom glorieux dans les lettres, les arts, ou les Les uns et les autres ont-ils donc disparu?
sciences, ou d'avoir brillé sur les champs de N'ont-ils pas laissé, tout de même, leurs recettes
batailles, ou d'avoir sauvé la vie à un chien qui avec un peu de leur tour de main? Mais non, ils
se noyait. Il est d'autres façons d'être utile à ses n'ont point emporté tout cela dans la tombe,
contemporains, hommes et bêtes, et de mériter jalousement. Aux générations futures, avides
une survivance de bronze ou de marbre. aussi de parfois bien manger, ils ont abandonné
C'est ainsi qu'un monument va être élevé, dans les fruits de leur expérience et de leur savoir-
les Bouches-du-Rhône,à un homme qui fut, en faire. Ils continuent ainsi à se dresser, triom-
son genre, une gloire nationale le cuisinier phants, en face des infàmes gargotiers d'aujour-
Urbain Dubois. Cuisinier parfait, Urbain Dubois d'hui comme en face des savants austères, cher-
le fut, assure-t-on il dirigea longtemps, en chef, cheurs de formules, qui nous veulent nourrir,
les cuisines du roi de Prusse, Guillaume. Il dans un proche avenir, d'une menue pastille
démissionna, prit sa retraite à la guerre, mais renfermant tous les éléments d'un repas.
ne demeura pas oisif pour cela et s'occupa de Recueillir ces recettes anciennes, qui gardent
vulgariser lés principes dP la meilleure écono- l'heureux privilège de n'avoir pas vieilli et
mie culinaire. Il écrivit, avec une élégance qui parlent à nos papilles un succulent langage, telle
semble issue de la plume de quelque académi- est la tâche malaisée, entreprise et menée à
cien, force traités qui font autorité. On nous bonne fin par notre ami Edmond Richardin, dans
dispensera d'en citér les titres leur énuméra- un livre de « haulte gresse » qui s'intitule L'Art
tion n'ajouterait rien à'ceux qu'Urbain Dubois du bie~a naa>age~·.
s'est créés à l'estime des gourmets, des gour- Les ouvrages de cuisine? Mon Dieu! ils ne
mands et à l'admiration des ménagères. manquent pas et il n'est guère de ménages qui
Voilà un bien long préambule pour en arriver n'aient le leur, gravement ou plaisamment illus-
au sujet qui.nous occupe l'art du bien manger. tré, et protégé des excès de la manipulation
Il témoigne, an moins, quecetartpossèdeencore par une solide couverture de toile rouge. Hélas!
des fervents puisque l'on a trouvé auprès d'eux ce manuel du parfait cordon-bleu est souvent
assez d'argent pour élever à Urbain Dubois un bien primitif, bien incomplet, quand il n'est pas
monument digne de lui. bourré d'hérésies. Les gourmands ne s'en accom-
Et pourtant modent pas volontiers. Ceux qui le sont et
N'est-il pas nombre de bons esprits qui pro- même ceux qui ne le sont pas auraient lieu de
clament la faillite de la cuisine et qui vont répé- s'en affliger grandement si nos cuisinières avaient
tant que la « gaye science si fort en honneur
jadis, se meurt, voire qu'elle est abolie? La'cui-
en ces sortes de livres une aveugle confiance. Et
puis, voici, pour achever de rendre aux amis de
sine, art et science tout ensemble, qui donnait à la bonne chère le rire largement épanoui, l'œu-
nos pères de si vives joies, et dont les précieuses vre d'Edmond Richardin.
lois ont été formulées dans un code autrement L'auteur, en véritable dévot de son art, ne s'est
récréatif et savoureux que le code Napoléon pas contenté de consulter les amateurs, de fouiller
le mot est d'André Theuriet La cuisine, la vieille de pdudreuses archives pour y retrouver les for-
cuisine française, délectable, fameuse dans l'Eu- mulaires des cuisiniers d'antan, et d'exhumer,
rope entière qui nous enviait nos maîtres-queux comme le constate son préfacier André Theurie 1,
et les attirait, se les attachait à prix d'or! Mais ils de précieuse!' recettes inédites. Il a tenu à faire
avaient beau nous quitter, nos maîtres-queux, de son livre un livre d'une haute et savoureuse
pour la Russie, l'Allemagne, l'Angleterre, séduits originalité. On sera surpris et émerveillé d'y
par le vif appât des roubles, des thalers et des rencontrer de curieuses recettes d'écrivains en
livres sterling notre sol fécond en produisait renom.
d'autres, inlassablement. Et à côté de ces artis- Urbain Dubois avait imaginé cent douze ome-
tes culinaires que consacrait la Renommée, n'y lettes et plus de quatre-vingts façons de préparer
avait-il pas, en nos provinces, d'experts hôte- un poulet. Qu'eût-il pensé si un prosateur ou un
liers, d'habiles ménagères, cordons-bleus émé- poète était venu lui révéler une cent-treizième
façon de faire l'omelette ou une quatre-vingt- soit béni 1 Pour Gyp comtesse de Martel le
unième manière d'apprêter le poulet`t gâteau de chocolat n'a plus de secrets, et Edmond;
Voici, dans un aimable pêle-mêle, Gustave Rostand, le dramaturge universellement connu,
Geffroy avec sa recette de la garbure béarnaise dont les vers chantent dans toutes les mémoires,
Alexandre Dumas père saluez c'était un des nous renvoie au deuxième acte de Cyrano de
princes de la gastronomie avec sa recette des Bergerac, si nous voulons savoir « comment on
grives à la polonaise, et Dumas fils (bon sang ne fait les tartelettes amandines. » Ah 1 ces poètes,
saurait mentir) avec celle de la salade japonaise. il n'est pas de plus délicats pâtissiers!
Jules Claretie et René Maizeroy nous révèlent Edmond Richardin, après avoir chanté en
comment s'ap- vers, lui aussi,
prêtent l'un le la gloire des
cla foutis,le plat festins moyen-
populaire li- âgeux, nous en
mousin l'au- donne les cu-
tre l'ortolan en rieuses recet-
cercueil. Paul tes d'après le
Alexis, le ro- « Viandier » de
mancier aixois Taillevent,
qui vient de maistre queux
mourir, nouss du roi de France
initie aux mys- Charles V. Et
tères de la nous voyons
bouillabaisse. défiler le sa-
parisienne où bourotdepous-
l'on remplace sins, le boussac
les fatouilles de lièvres, la
(crabes)pardes trimolecte de
moules,les ras- perdris, les py-
casses et les ca- jons au sucre
nadelles par autant de
une modeste fantaisies indi-
l( langouste ». gestes que Ri-
Maurice Rolli- chardin tôt
nat, qui est tout abandonne
à la fois un pour les mo-
grand poète et dernes concep-
un grand pê- tions culinai-
cheur de-trui- res. 11 dit la
tes nous délicieuse fri-
dévoile la con- ture de goujons
fection d'un de la Meuse et
mets qu'il pro- les recettes du
clame exquis Un repas au Moyen Age. brochet de l'Or=
le poisson à la nain, aux choux
broche avec Paul et Victor Margueritte, c'est (mais oui, aux choux ) ou aux queues d'écrevis=
l'Orient qui refleurit avec son plat primitif et gastr~nome
ses. Et cet éminent nous conte
lointain, son plat patriarcal le couscouss par- d'une plume alerte un déjeuner dans les bois
fumé. M. A. Couteaux, sénateur de la Vienne, de Vaucouleurs, en compagnie de quelques, amis,
qui fait avec tant de bonne humeur « la vie des un déjeuner au plantureux menu, arrosé du
champs » chez un de nos graves confrères quo- clair vin gris des coteaux meusiens. Si bien que
tidiens, nous livre la formule (que jusqu'alors l'on se sent rempli d'affectueuse estime pour le
il était seul à posséder) du « lièvre à la royale » coin de terre béni où flotte, irrévérencieuse-
c'est à Paris, chez Eugène Spuller, qu'il fit, ment mêlé à d'exquis fumets, le souvenir de
triomphalement, son premier lièvre à la royale. Jehanne, la bonne Lorraine;
André Theuriet nous livre une exquise recette Vous voyez que ce livre n'est pas un livre
de champignons, nous fait humer l'arôme de la comme les autres traités de cuisine. Et cepen-
gélinotte douillettement rôtie, et- le gourmand dant les ménagères auraient le plus grand tort
manipule sous nos yeux la fine pâte dont on de crier à la fantaisie et de se moquer. En de:.
fait la si friande quiche ou galette lorraine. Co- hors des recettes, point méprisables, que nous
quelin Cadet demande qu'on le béniss~ pour sa confient les écrivains, l'œuvre d'Edmond Ri~
recette du pudding aux pruneaux; que .Cadet chardin renferme les croquis d'un gastronome
.fameux. dont nul ne contestera la 'science fameux pour la même raison. Elles le remer-
-experte: Fulbert-Dumonteil, maître dont le cieront- et la reconnaissance de nos estomacs
savoir n'est égalé que par l'esprit. lui est de même acquise d'avoir, à l'aube
Plus d'un cordon bleu éprouvera l'irrésistible du xx. siècle prometteur de chymie, édifié à
-tentation de connaître l'originale façon d'accom- l'honneur de la cuisine française un monument
moder les « perdreaux à la Toussenel «, la pareil à celui qu'édifia, à l'aube du XIX. siècle,
-~< caille à la Talleyrand et la côtelette de mouton l'illustre 13rillat-Savarin; d'avoir avec amour,
à la Fulbert-Dumonteil, plat de prédilection suivant l'expression du préfacier, composé son
d'Edouard VII, roi d'Angleterre. Et les cordons- livre « ainsi qu'une symphonie gastronomique
bleus, chemin faisant, apprendront qu'un autre où l'utile et l'agréable, la théorie et la pratique,
r oi, un roi de chez nous, aussi friand que scep- l'érudition et la sensualité gourmande se mêlent
4ique, assez connu dans l'histoire sous le nom de harmonieusement. »
Louis XVIII, inventa supérieur à Edouard VII ERNEST BEAUGUITTE.
-qui laisse les autres inventer la côtelette de
onouton à la victime. Oyez la recette; l'eau va vous £
en venir à la bouche LE SOIR
« Sacrifiez, s'il vous plaît, trois côtelettes pour.
.une; vous les taillez et les liez ensemble, en
plaçant la plus belle, la plus délicate et la plus Je suis parti dès le matin,
fine entre les deux autres, Vous les mettez en- A l'heure où volent les abeilles
Aux fleurs de lavande et de thym,
-suite sur le gril et les retournez souvent, afin que Vers des œuvres toutes pareilles.
.le jus des deux côtelettes de dessus se concentre
Aux calil.es mouillés encor,
dans celle qui les sépare. Lorsque les côtelettes Elles faisaient vibrer leurs ailes
de dessus sont plus que cuites, vous les retirez Et buvaient à ces coupes d'or;
J'essayais de faire comme elles.
avec des précautions touchantes pour ne servir,
bien entendu, que la côtelette du milieu un J'ai butiné les, fleurs d'amour
Qui sont fleurs de mélancolie;
régal, un jus, une rosée, une bouchée de roi ». La simple lumière du jour
Les cordons-bleus concluront judicieusement Me grisa co¡:nme une folie.
de cette recette que les Bourbons étaient de fiers Ce ne fut pas assez des fleurs
gourmets, de gros gourmands et qu'ils ne regar- De France, près de nous écloses,
daient pas à la dépense quand il s'agissait des Il me fallut d'autres couleurs
Les noirs cyprès, lés lauriers roses,
plaisirs de la bouche.
Les orangés du golfe bleu;
Elles apprendront. bien d'autres choses en- Parmi les feuilles dans les arbres,
core et qui les intéresseront au plus haut point. L'odeur que souffle un ciel de feu,
J'imagine qu'elles sauront gré à Edmond Richar- La plante aux fissures des marbres.
din de leur livrer, comme il le fait, les 'formules Où suis-je? Le soir est venu!
d'un grand nombre d'hostelleries jadis renom- La tâche n'est que commencée.
Quel m~el, hélas! ont retenu
mées pour la bonne chère et de quelques res- Les abeilles de ma pensée!
taurants de Paris ou de province aujourd'hui ALBERT MÉRAT.
LES CHARDONS
Si les plantes étaient classées d'après leurs tus de la tête aux pieds on ne sait par quel bout
qualités morales, les chardons occuperaient de les prendre.
droit le premier rang dans la classe des plantes C'est pour eux qu'a été créé le proverbe « qui
rébarbatives. s'y frotte s'y pique ». En un mot, ce sont de très
Petits ou grands, maigres ou plantureux, tous mauvaises herbes qu'il faut couper quand elles
ont à peri près la même physionomieet le même sont vertes et brûler quand elles sont sèches.
instinct: tous 'se sont ligués et constitués en Le Chardon n'est pas une plante; c'est une
armée envahissante et dévastatrice. légion, une armée, toujours prête à voler à quel-
Vigoureux de leur, nature, les Chardons sont que conquête. Et ce n'est pas une simple méta-
sobres et se contentent de peu tout leur con-, phore, mais bien'une réalité.
vient, le moindre coin de terre leur suffit. Cer- Retenus au sol par leurs racines et incapables
tains d'entre eux, qui ne manquent pas de ma- de se déplacer, ils possèdent cependant une
jesté, étalent avec, une opulente impertinence puissance de reproduction qui dépasse toute idée
leurs robustes feuilles hérissées d'autres, au et qui lasse les destrueteurs les plus obstinés.
contraire, rasant la terre ou ratatinés, déchi- Les graines du Chardon, soutenues par de pe-
quetés, étiques, deviennent tout aiguillons, poin- tits parachutes, sont réunies en boules soyeuses
et légères que le moindre souffle emporte elles 1 pêche de grandir et de porter au loin- les se-
s'en vont ainsi par-dessus monts et vallées et mences qui les propagent dans le voisinage Il
s'envolent parfois d'un continent à l'autre. faudrait que les arrêtés prescrivant l'échardon-
Partout où la main de l'homme ne leur oppose nage fussent très scrupl1leusement observés par-
pas une barrière infranchissable, les Chardons tous et que les Chardons fussent détruits par-
se répandent avec une profusion et une rapidité tout où ils se rencontrent.
inquiétantes. Les rives du Jourdain, Les Chardons ne se contentent
certaines parties de la Grèce, que pas toujours de piquer, de déchirer.,
néglige la culture, sont devenues certains sont. réputés assassins et
d'arides solitudes où le Chardon un savant américain a décrit un
règne en maitre incontesté. Que sont chardon, le Cnicus discolor, dont les
ces envahissements comparés aux écailles entourant la fleur sont mu-
déserts que les Chardons ont faits nies d'une glande qui sécrète une
en Amérique ? Dans les pampas de humeur visqueuse dans laquelle
Buenos-Ayres, ils se sont emparés s'engluent des insectes. Ce savant a
de centaines de lieues carrées et, vu ainsi des têtes de chardons en-
dans ces terrains vierges, ont atteint tourées de cadavres de mouches et
un développement extraordinaire. de coléoptères qui y avaient trouvé
Leurs vigoureusesramifications for- la mort.
ment des fourrés très épais, dont la Maintenant que nous avons fait
hauteur dépasse la tête du calvaire connaissance avec cette famille de
monté. plantes, sortes de nomades encom-
ç( Dans de pareils massifs, dit de brants et envahisseurs, entrons plus.
Humboldt, le voyageur éprouve plus avant dans son intimité. Voyons
de peine à s'orienter que dans une quels sont les individus qui la com-
forêt, car ces plantes l'empêchent posent et peut-être, dans cette tribu
de regarder autour de lui et nulle de rustres porte-épines, découvri~
part il ne trouvera d'arbre sur le- rons-nous quelques bourrus bien-
quel il pourrait monter afin de re- faisants qui sauveront l'honneur de
connaître sa route. » la famille.
Malgré la guerre acharnée qui lui Voici d'abord leur état civil
est faite dans les pays de bonne famille des Composées une des
culture, le Chardon réussit à s'implanter quand plus nombreuses du règne végétal tribu des
même. Flosculeuses, caractérisées par des fleurs en tu-
Les grasses prairies de la Hollande, notam- bes, réunies en masse sur un réceptable et for-
ment aux envi- mant ainsi un
rons de Rotter- capitule entouré
dam, où l'on ne de bractées, sor-
rencontre quee tes d'écailles, ou
des herbages li- luisantes ou ve-
vrés à des bêtes lues, terminées
d'engraissement, en pointe plus.
produisent le ou moins aiguë.
chardonenquan- 'Maintenantt
tité prodigieuse. quelques types
On voit de tous Le Chardon
côtés des légions acanthe (Ono-'
de femmes ar- Carline acaule. pordon acan-
méesd'une pince thium), appelé
en bois, d'une forme particulière, occupées à aussi Pedane, est un des plus vigoureux. S'il a
extirper des herbages la terrible plante. la chance de croître dans un terrain qui lui con-
En France, on échardonne les céréales en vient et surtout d'échapper à la mâchoire so-
mars. Dans ce cas, on n'arrache pas le Chardon, lide et gourmande des maîtres Aliboron d'àlen
on le coupe quand il a acquis un certain déve- tour, friands à l'excès de ses feuilles pourtant
loppement. Coupé trop jeune, il repousserait coriaces et acérées, il atteindraquelquefois 1.) mè-m
vigoureusement et se hâterait de donner ses tres de hauteur.
graines avant la maturité de la céréale. Le Chardon penché montre, sur les coteaux,
Malheureusement, on a beau extirper les char- sur le bord des chemins, ses capitules d'un,beàu
dons que l'on a chez soi, si les voisins négligent rouge violacé, recherchés par les.abeilles et les.
de les détruire, si les chemins, les bois, les fri- papillons.
ches les produisent sans que personne les em- Les Cirses sont partout le Cirse des champs.
fait le désespoir des moissonneurs, dont il en- nistes et elle conserve sa propriété hygromé-
sanglante les mains. Le Cirse des marais dresse trique longtemps après avoir été déracinée.
au milieu des herbes sa tige haute de près de Mais descendons de ces hauteurs pour retrou-
2 mètres, toute hérissée de pointes, à côté du ver le long des routes la Bardane, plante peu
Cirse des Anglais, une très mauvaise plante, quoi- gracieuse, avec ses feuilles larges, molles non
que d'un aspect beaucoup moins rébarbatif. Plus épineuses cependant cotonneuses, naturelle-
ment ternes et recouvertes de toute la poussière
du chemin qui s'y attache. Ses fleurs purpurines.,
à peine visibles, sortent, en juin, d'une boule
ayant l'aspect peu confortable d'un artichaut mi-
nuscule dont chaque feuille serait terminée par
un crochet recourbé. Pourquoi décrire cette
plante, d'ailleurs? Qui de nous, étant écolier, ne
s'est amusé à lancer sur les vêtements de ses
camarades, les boules de la Bardane ou, ce qui
était pire, dans les longs cheveux des petites
filles, qui ne parvenaient à les arracher qu'avec
les cheveux eux-mêmes ? Ce n'est pas pour être
complice de ce jeu que la Nature a pourvu le
fruit de la Bardane de ces grappins perfides. Il
faut reconnaître là un des procédés qu'elle em-
ploie pour répandre les semences des végétaux.
Bêtes et gens jouent, bon gré, mal gré, un rôle
dans la dissémination de la Bardane.
Au XVIIIe siècle, les racines et les fleurs de cette
plante étaient employées avec succès dans la
pleurésie. M. de Tournefort dit même que l'eau
distillée de la Bardane est très bonne dans cette
maladie, surtout si on y dissout une douzaine de
germes d'oeufs f~~ais (?).
Bardar.e. N'ayons garde d'oublier l'honnête artichaut
qui n'a pas de pi-
loin, le pied baignant dans l'eau, le Cirse olé- quants, lui, mais des
racé, dont les fleurs blanc-jaunâtre ressemblent feuilles d'une amer-
à des petits artichauts. Les feuilles, d'une vi- tume intolérable.
gueur et d'une ampleur exceptionnelles, ne sont Nous mangeons les
pas sans grâce et, dans les jardins, ce chardon écailles de l'involu-
concourt parfois à la décoration des parties cre et le fond de
humides. l'artichaut est le ré-
Le Chardon Marie, avec ses feuilles aux décou- ceptable sur lequel
pures si nettes, d'un vert gai luisant, tachetées reposent les petites
de belles marbrures blanches que le populaire fleurs auxquelles on
déclare être faites par le lait de la sainte Vierge ne laisse pas le
d'où son nom est utilisé avec avantage dans temps de s'épanouir
certains jardins paysagers. et qui constituentce
Sur les coteaux secs pousse la maigre et épi- déchet que les mé-
neuse Carline vulgaire, image de la pauvreté de nagères nomment le
la végétation; elle s'allie très bien avec l'aspérité fozn.
des lieux où elle croit. Elle reste sur pied Qui croirait que
même après sa mort et ce squelette semble en- le gracieux bluet,
core décorer les lieux arides. Plus étrange encore « mignonne étoile Cardère sauvage.
est la Carline acaule des prés montagneux et des teinte avec l'azur du
terrains calcaires des Alpes. Elle cache dans le ciel, » appartient aussi à cette grincheuse fa-
sol sa courte tige et montre, au milieu de ses mille des chardpns? Pour les botanistes, gens
feuilles très découpées, éialées sur terre, un positifs, c'est la Centaurée bleue et à peine la
large capitule d'un jaune tendre. Tant que la distinguent-ils de la centaurée chausse-trappe,
fleur est ouverte, dit M. Clavarino, il n'y a pas aux fleurs en étoiles roses, munies de pointes
lieu de craindre le mauvais temps; mais, lors- acérées qui déchirent les jambes des promeneurs.
qu'elle se ferme, la pluie s'ensuit sans faute, Si la Cardère n'est pas tout à fait de la famille
même si aucun autre indice ne l'annonce. Elle des chardons c'est une dipsacée très voisine
est donc un excellent baromètre pour les alpi- des Composées du moins elle en a bien l'as-
pect avec sa tige droite, raide, de plus d'un iiiè- pour dés lièvres et qu'ils ont tiré dessus! (au-
tre, hérissée de courts aiguillons, de même que thenthique).
ses feuilles, aiguillonnées sur la nervure cen- Le Panicaut des Alpes est une très belle plante
trale,'ses fleurs aussi sont entremêlées de pail- s'élevant à près d'un mètre de haut et dont les
lettes raides et crochues. Dans la Cardère à fou- grandes fleurs terminales, entourées d'une colle-
lon, le capitule, garni de ses crochets, a ou rette de lanières épineuses, brillent de l'azur le
plutôt avait une importance industrielle plus pur ou d'un violet agréable, mêlé de vert,
considérable.Il de blanc et d'un reflet doré. Cette superbe plante
servaitau cardage est l'objet de la convoitise de tous les touristes
et aupeignage des alpins et elle disparaîtra dans peu de temps si
draps et cette cette rage de dévastation ne s'arrête.
carde naturelle, Le Panicaut améthyste, qui vient de Hongrie,
instr ument p ar- tient aussi une place très honorable dans les
fait, n'a jamais pu jardins avec ses fleurs bleues. Toute la partie
être remplacée supérieure de la plante prend. en juillet, une
par des cardes teinte améthyste qui se conserve jusqu'aux
métalliques. gelées. Coupées et séchées, ces tiges gardent
L'usage de la longtemps leur jolie couleur métallique, ce qui
cardère remonte permet de les employer à la décoration des jar-
assez loin,puisque dinières..
Charlemagne, Moins beau, mais aussi trés apprécié, le Pa-
dans ses Capitu- nicaut des dunes, qui étale dans le sable du bord
laires, en recom- de la mer ses feuilles qu'on dirait découpées
mandait la culture dans du métal bleuâtre et ses fleurs d'un si beau
autour des fer- violet.
Panicaut des Alpes. mes. Le chardon, malgré sa mauvaise réputation,
La Cardère porte est l'insigne national des Écossais. On raconte
un nom populaire assez gracieux on l'appelle qu'une fois, pendant la nuit, les Danois s'étaient
Cabaret des oiseaux ou baignoire de Vénus. Les approchés du camp écossais; mais, tandis qu'il
feuilles de la base, soudées ensemble, forment avançait en silence, un soldat danois ayant mis
une sorte de cuvette où séjourne l'eau de pluie. le pied sur un chardon, s'y piqua et jeta un cri
Ce réservoir est bien connu dé la gent ailée et qui donna l'alarme aux
aussi des abeilles qui viennent s'y désaltérer. Écossais (t).
Souvent, les apiculteurs sèment des c3.rdères Le Chardon a sauvé
dans le voisinage de leurs ruches pour que l'Écosse comme les
l'essaim trouve à sa portée des abreuvoirs na- oies du Capitole ont
turels. sauvé Rome. Peut-être
D'autres plantes porte-épines ont hérité de est-ce en souvenir de
eette dénomination peu enviable de chardons, cet épisode plus ou
bien que n'appartenant pas à la famille des Com- moins légendaire
posées. C'est le cas pour les panicauts, de la que fut crée en 1540
famille des Ombellifères. Franchement, il faut l'ordre du Chardon,
être botaniste et connaître les caractères de dont l'insigne portait
elassification pour voir dans le panicaut des la devise n~emo me
champs, ou chardon à cent têtes, un parent très impune lacesset. Que
proche de la carotte, du fenouil ou de l'angé- personne ne m'atta-
lique. qué impunément!1
Le panicaut des champs est très commun sur Lesarmes de la,ville
le bord des routes on le reconnaît à sa tige très de Nancy portent un
Les Armoiries de Nancy.*
chardon fleuri, feuillé
rameuse, à ses feuilles, d'un vert très pâle qui ^tigé, avec la devise u'on inultus premor.
devient blanc gris en vieillissant, profondément et
découpées, très coriaces et pointues, et à ses L'art aussi a utilisé le Chardon.
fleurs blanchâtres. La racine est très grosse et Les sculpteurs dumoyen-âge, qui ont fait jaillir
de nos cathédrales une flore orne-
peut atteindre et même dépasser mètres de de la pierre riche et si variée, n'ont eu garde
longueur. Son nom populaire de chardon roulant mentale si
Chardon. Il faut cependant arriver
lui vient de ce que les vents d'automne brisent d'oublier le
tige desséchée et le roulent au loin. Dans jusqu'au xve siècle avant de le rencontrer. Dans
sa
certains pays ou l'appelle chardon levraut. On (1) Ce n'est pas la seule fois que les chardons ont joué
prétend, pour expliquer cette appellation, que des tours' aux guerriers. Nous lisons, en effet, dans les
mémoires de Commines que les explorateurs de Charles,
des chasseurs, aussi novices que myopes, ont duc de Bourgogne, ont pris un champ de chardons pour
pris ces plantes desséchées roulant sur la plaine les lances de l'armée ennemie.
les stalles de la cathédrale d'Amiens, on peut en d'une reliure, voire même transformé en bijou
voir des spécimens, feuilles et fleurs superbe- et nous admirons la souplesse de nos artistes
ment sculptées dans le bois. L'art moderne le qui savent, suivant la matière employée, plier le
modern style a aussi interprété le Chardon et farouche Chardon à toutes leurs fantaisies.
l'a fait servir à l'ornementation de nos maisons,
de notre mobilier, de nos livres. Nous le voyons
sculpté dans la pierre,. martelé en fer, serti dans
~~x,x ~x,a,a~,a.a~ V. BRANDICOURT.
SUR LA RELIURE
CONSEILS PRATIQUES (1)
Bien que nous ne nous proposions pas de par- comme. des témoins c'est le nom qu'on leur
ler ici des publications de luxe; disons, en pas- donne des dimensions primitives et authen-
sant, un mot des fausses marges. Doit-on les con- tiques du papier.
server? Doit-on les supprimer à la reliure ?2 Faites toujours relier vos livres avec la couver-
On sait ce qu'on entend par fausses marges. ture de la brochure, de façon que chaque volume
Les livres tirés sur papier de choix, japon, sous ses plats de papier, de toile ou de maro-
hollande, chine, etc., offrent tous cette particu- quin, conserve toute son intégrité. Ces couver-
larité, due aux nécessités du tirage, que les tures sont d'ailleurs parfois très coquettement
marges extérieures d'un certain nombre de illustrées; la plupart contiennent au verso des
feuillets dépassent, et souvent de trois ou quatre annonce~ et indications qui peuvent servir ne
centimètres, les marges correspondantes des vous privez pas de ces documents, ne supprimez
autres feuillets. Quelques amateurs, comme rien de vos livres, laissez-les toujours intacts et
M. de La Fizelière, refusent de faire tomber à la entiers.
reliure ces excédents de marge. « Une gravure Il est des relieurs qui s'étonnent de cette
rognée à la marge est déshonorée, il en est de « mode de faire ainsi relier chaque volume
même pour les livres, écrit ce bibliophile. Je avec sa couverture, et qui en plaisantent avec
veux la marge entière dans un exemplaire excep- haussements d'épaules. « Cela ne se faisait pas
tio~arzel, qui ne me déplaît pas en restant broché. autrefois, maugréent-ils; mais aujourd'hui les
C'est le spécimen du format qui donne tel ou tel amateurs et collectionneurs ont de telles exi-
papier employé pour le tirage..» gences Ils manifestent de si inconcevables lu-
Ces fausses marges, qu'on a qualifiées de bies Jusqu'où iront-ils2 etc.
« monstrueuses inégalités », sont de véritables Il y a une excellente raison pour que « cela
nids à poussière, et il nous semble, comme à ne se fit pas autrefois »; c'est qu'autrefois les
l'auteur du Livre du Bibliophile, qu'on a grande livres brochés n'avaient pas de couvertures im-
raison de les rogner; « elles proviennent, non primées et, partant, dignes d'être conservées. La
d'une intention artistique, mais d'une nécessité couverture imprimée et illustrée ne date guère
matérielle ces différences dans .la dimension que du commencement du XIX. siècle, et c'est
des papiers, loin d'être un ornement, donnent surtout à partir de 1820 qu'elle se propage et se
au livre un aspect irrégulier qui ne saurait être diversifie, qu'elle prend de l'originalité, acquiert
agréable » de la valeur et de l'intérêt.
Religieusement conservées, cesfaussesmarges
produiraient, en effet, d'étranges reliures, des
reliures de formats carrés, inusités, tout à fait Ne vous en rapportez pas à votre relieur pour
baroques et disparates. Il vaut mieux supprimer les titres à inscrire au dos de vos volumes ce
ces excédents de marge en faisant relier le livre, qu'on appelle les titres à pousser. Sans commettre
ou bien le garder broché, comme semble le ces gigantesques bourdes complaisamment rele-
conseiller M. de La Fizelière. Il est bon néan- vées par tant de bibliographes BRAN, tome I
moins, et c'est l'avis de tous les bibliophiles, de BRAN, tome Il (pour Brantome, 1; Brantome, II);
laisser, au commencement et à la fin des livres, Mme Beeéher Stowe, Uncle tome I; Uncle,
quelques feuillets préservés de la rognure, qu'on tome II); (pour Uncle Tom, I; Uncle, Tom, 11)
replie régulièrement selon les dimensions de la Roussel, Système ph. el moral (fémoral) de la
tranche et qu'on rentre à J'intérieur du volume, femme (pour philosophique et moral) Daffry,
De la Monnaie et de l'Expropriation (pour
Voir le Magasin Pittoresque du lor Août 1901. Daffry de la Monnaie, De l'Exp~~opriation);
Bellot, Des Minières et du Régime dotal (pour Bel- aussi désagréables que fréquents et vous lui en-
lot des Minières, Du Régime dotal); etc. il est des leverez, s'il commet des bévues, tout prétexte
relieurs qui pourront fort bien étiqueter ainsi les de discussion et toute échappatoire. Choisissez
œuvres de Rabelais, de Corneille ou de Racine ce modèle parmi les volúmes dont vous risquez
DE RABELAIS, OEuvres DE CORNEILLE, OEuvres le moins d'avoir besoin: parexemple, ne donnez
DE RACINE, OEuvres (au lieu de OEuvres pas le tome de. l'année 1898 ,d'un périodique,
de Rabelais, ou RABELAIS, OEuvres; OEuvres pour servir de type de reliure au tome de -1899.
de Corneille, ou CORNEILLE, OEuvres; etc.).. prenez plutôt un tome plus ancien.
D'autres ont une tendance, très compréhen- Avant d'envoyer un train au relieur, colla-
hensible du reste, à toujours abréger leurs tionnez chaque volume, c'est-à-dire vérifiez si
inscriptions, à supprimer notamment les pré- toutes les feuilles s'y trouvent et si elles sont
noms qui devraient être et qui sont indissol~- bien placées dans leur ordre numérique, si de
blement joints aux noms ils écriront volontiers même toutes les planches ou gravures sont pré-
MARTIN, Histoire de France (pour HENRI MARTIN) sentes et bien à leur place. Faites le même col-
HUGo, Les Misérables (pour VICTOR H~iso) (1); -lationnernent au retour de votre train.
GAUTIER, Le Capitaine Fracasse (pour THÉOPHILE S'il manque des pages dans un volume que
GAUTIER) CHÉNIER, Poésies (pour ANDRÉ CHÉ- vous tenez à expédier chez le relieur, ayez soin
NIER); SCOTT, Ivanhoê (pour WALTER SCOTT); etc. de faire insérer un onglet à la place des pages
Écrivez donc vous-même, sur une fiche an- absentes, afin de pouvoir les y intercaler plus
nexée à chaque volume, le titre à pousser, dé tard, si vous les retrouvez ou avez la chance de
telle sorte que votre relieur n'ait qu'à se con- vous les procurer. Prenez note par écrit de ces
former à vos indications. pages manquantes, de ces dé fets à l'occasion
Cette inscription doit-elle être faite par lui vous n'aurez qu'à vous reférer à cette liste.
directement sur la peau ou la toile du dos du Ne donnez jamais un train important commé
volume, ou bien indirectement sur une étiquette quantité ou qualité' un relieur qne vous n'avez
en peau, nne pièce collée ensuite sur le dos de pas encore éprouvé et que vous ne connaissez
ce livre? C'est là une question de goût et d'ap- pas. Essayez-le d'abord au moyen de quelques
préciation. La pièce étant de couleur différente volumes, tâtez-le, assurez-vous dé ce qu'il sait
et toujours plus foncée que celle du livre, peut faire.
sembler lui donner un aspect plus élégant, plus Je rappellerai en terminant- que, d'une façon
coquet; en revanche, elle a l'inconvénient dé ne générale et exceptis excipiendis, il n'y a de bons
pas toujours bien adhérer au dos du volume, de relieurs que dans les grandes villes, et laissant
se décoller, surtout aux angles. à part, encore une fois, la reliure de luxe .et dàrt,
Autant que possible, donnez toujours à votre que c'est dans les grosses maisons, oùl'outil'-
relieur un modèle, c'est-à-dire un volume relié lage est multiple et complet; que, vous avez
auquel il devra se conformer en tous points pour chance d'être le mieux servi et au meilleur
la reliure des livres que vous lui confiez. Vous compte. Il en est, hélas! de la reliure commè de
vous épargnerez de la sorte des malentendus tout. lè reste, comme de la chaussure et dé, la
nouveautéjoù triomphent les grands magasins;
(1) « Uri relieur qui mettrait surle titre de la Légende des. et de la guerre, où la victoire est à l'argent et
siècles V. Hoco (au lieu de VICTOR HUGO) serait un bar- bataillons.
bare », dit M. Charles Blanc, Gz·amm. des ants décorat.; aux gros
p. 360. ALBERT GIM.
Parmi les industries de la côte du Pacifique bienfaisante. Ainsi l'insomnie cèderait, parait-il;
qui ont été créées ou dont le développement s'èst sous l'influence, de. l'odeur âcre du pin et on a
accru en ces dernières années, celle qui s'occupe' reconnu que les asthmatiques éprouvent un cer':
du traitement des aiguilles du pin jaune d'Oré- tain soulagement par l'absorption de l'huile ex-
gon est appelée à prendre une des premières traite des feuilles, et le repos sur des coussins
places. rembourrés avec la fibre élastique fournie par la
Cinquante ans déjà se sont écoulés, dit Scienti fic substance intérieure des mêmes feuilles.
American, depuis la découverte des propriétés L'immensité des nombreuses forêts de pins
curatives des feuilles aciculaires du pin. Diverses de l'Orégon et la facilité d'y accéder suggéra à
préparations médicinales à base de pin sont em- un Allemand de transférer sur ces lointains ri-
ployées maintenant avec succès contre les affec- vages l'industrie qu'il exploitait en Thuringe, dit
tions de poitrine; d'autres maladies peuvent M. Enos Brown. L'industriel tudesque trouvait
aussi être traitées par des extraits de la plante dans cette translation de nombreux avantages
dont les principaux sont la suppression, pôur un jour et par ouvrier est de 500 pounds(240 kilos).
temps du moins, de la concurrence, l'abondance Les feuilles e¡;npilées dans des sacs sont rapi-
et la bonne qualité de la matière première et dement transportées à l'usine, car elles se fane-
l'absence d'une règlementation quelque peu raient au soleil, et, comme nous le disions pré-
prohibitive puisque la loi allemande autorise cédemment, foul'niraient des produits de qualité
seulement le traitement, des
feuilles ramassées sur le sol,
bien qu'il ait été prouvé que la
qualité et la puissance d'action
des produits obtenus avec les
feuilles sèches soient inférieures
à celles des extraits provenant de
la distillation des feuilles vertes
de récolte récente.
L'aiguille du pin allemand me-
sure à peine 5 centimètres,
tandis que les feuilles dU: pin
d'Orégon atteignent communé-
ment 011,50 et même quelquefois
om, 75., A l'encontre de ce qui se
passeen Allemagne,l'administra-
tion forestière américaine encou-
rage la dénudation des arbres,
ce traitement ayant donné des
effets avantageuxau point de vue La cueillette des aiguilles de pin.
de la croissance du végétal. Deux
récoltes sont effectuées chaque année, la se- inférieure. Lors de la mise en sac on choisit les
conde est toujours la plus abondante on traite bouquets de feuilles et on rejette les. rameaux
de préférence les feuilles récoltées sur les jeunes peu fournis; l'abondance de là matière première
autorise ce gaspillage ou cette sélec-
tion qui, dans d'autres circonstances,
semblerait exagéré.
L'usine productrice des essences et
des extraits peut traiter 900 kilos de
feuilles par jour, mais dans un avenir
prochairi cette quantité pourra être
quadruplée. Pour l'extraction de l'huile
on compte que 1000 kilos de feuilles
vertes fournissent environ 5 kilos
d~huile; Le procédé de traitement uti-
lisé est celui de la distillation. Pour le
traitement des fibres, les feuilles sont
soumises à douze manipulations=
échaudage, lavage, séchage, etc., qui
serépartissent sur quatre journées. On
obtient deux qualités. La première
provenant de feuilles non soumises à
l'extraction de l'huile vaut environ
f franc le kilo. La fibre de première
qualité est élastique et ses brins sont
seulement un peu plus courts que
ceux des feuilles à l'état de vert; elles
sont en outre d'une force suffisante
pour être employées dans les filatures
Salle de distillation. et pour se prêter au tissage. Mélangée
avec du crin, cette fibre constitue une
arbres pour la raison, peu justifiée, d'une meil- excellente matière
pour le rembourrage de ma-
leure qualité de l'huile obtenue. La cueillette est telas, d'oreillers et de coussins moelleux autant
effectuée par des ouvriers des deux sexes payés que soporifiques et dont l'usage est recommandé
à raison de 1 fr. 25 pour 100 pounds (environ aux personnes qui ne peuvent trouver
un repos
47 kilos) de feuilles; la récolte moyenne par réparateur sur l'ordinaire matelas de laine
ou le
chaud et débilitant lit de plumes. Ces fibres trou- constitue, parait-il, un excellent insecticide qui
vent un autre emploi, assez inattendu, dans le conserve longtemps ses propriétés.
remplissage des cigares qui acquièrent ainsi, avec ALBERT REYNER.
une odeur qui est loin d'être désagréable, la pro-
priété de calmer les nerfs. Avec l'huile on" pré- .a.a~x.~ ~tas~a~x, x~x~x,
pare aussi des savons médicaux fortement im- La reconnaissance est surtout la verlu des. bienfai-
prégnés de l'huile essentielle du pin, et des teurs.
sucreries auxquelles cette huile communique Les arguments violents ne font de tort qu'à ceux qui
un parfum ag réable. Enfin la fibre, par son odeur, les emploient.
LE CHATEAU DE RETOURTOUR
1
Ainsi qu'on peut en juger par les restes plus En ce temps-là, la grande et magnifique route
~ou moins bien conservés des anciennes de- jetée entre Lamastre et le village voisin, Desai-
meures féodales, pour la plupart bâtias sur ânes jusqu'au Puy-en-Velay,par l'Agrère, n'exis-
des hauteurs d'où elles dominaient tout le pays, tait pas; même à l'état de simple sentier. Le ma-
nos aïeux, rudes.hommes de batailles, choisis- noir de Retourtour, fier de sa haute tour et de
saient de préférence, ses fortes murailles,
pour y édifier leurs dressait alors sa
demeures, les lieux masse imposante et
escarpés et inacces- superbe au milieu
sibles. Du haut de sa même du Doux.
tour, qui l'élev aitl Car le rocher sur le-
encore d'autant, le quel il est bâti for-
guetteurpouvaitainsi mait une He au sein
apercevoir l'ennemi du torrent, dont les
à des distances très eaux baignaient de
grandes et signaler toutes parts le pied
des remparts aujour-
sa présence bien d'hui démantelés. De
avant qiÙI fût là. A
l'appel de son cor, là le nom de « Re-
les vassaux avaient tourtour », d'une
tout le temps de ve- consonnance plutôt
nir se réfugier dans bizarre, que l'on fait
l'enceinte des mu- dériver du mot latin
railles pour aider le retortorium, qui fait
seigneur à défendre deux fois le tour.
Au lieu de cette
son manoir.
Le château de Re- route, il n'y avait
tourtour, sis sur la qu'un mauvais sen-
commune.de Lamas- tier de chèvre, cou-
tre en Vivarais, est rant en casse-cou le
long de la crête de
une des rares excep-
tions à la règle gé- la. montagne, à tra-
nérale. Planté aubord vers de hautes futaies
de larivière du Doux, de sapins, de hêtres
tributaire du Rhône et de châtaigniers.
il prise de face (Sud). De ce côté là, La-
dans lequel se Château de Retourtour. Vue
jette en amont de mastre n'avait guère
Tournon, au fond d'un ravin à pic, sa position de surprises à redouter. Son château à elle, qui
peut, à première vue, paraître singulière. A la dominait de haut le cours inférieur du Doux et
réflexion elle s'explique, et ['étonnement dis- surveillait en même temps la vallée de la Su-
parait. mène, sur Les Nonières et le Cheylard, la pro-
Il faut nous reporter à cette époque de guerres tégeait contre une invasion inopinée qui n'eût
Doux,
de religion et autres pendant laquelle toute de- pu venir que de la vallée supérieure du
meure ayant tours et créneaux était une menace au nord=ouest de la ville.
.Sur ce point, en effet, la surprise eût .été
pour sa voisine, et tout étranger un sujet de dé-
fiance, sinon un ennemi. facile.
LE MAGAS(N PITTORESQUE
Grâce à une pointee avancée de la montagne premières guerres de religion et n'a jamais été
qui oblige la rivière à un brusque. retour en ar- reconstruit depuis lors. Il appartenait à l'illustre
rière, le couloirétroit famille de ce nom,
de la vallée semble dont l'unique héri-
tout à coup fermé, à tière, Alix de Retour~
1kilomètre à peine tour,avait épouséJac-
de Lamastre. Une ar- ques ler de Tournon,
mée,longeantlefond qui fut tué en 139&,
du ravin, à l'abri de sous les murs de
la montagne, aurait Nicopolis. » (Ovide de
pu parfailementarri- Valgorge). Ses ruines.
ver sans être vue imposantes, d'une
jusqu'auxpentesmê- souveraine majesté,
mes de la ville, si le extrêmement pitto-
Retourtour ne se fût resques, font l'admi-
trouvé là pour l'ar- ration des touristes
rêter et donner l'é- qui parcourent le
veil à la garnison. Vivarais en quête.de
C'était, pour La- curiosités point ba-
mastre, une forte- nales.
resse merveilleuse L'antique forte-
qui la mettait à l'abri resse, dont les tours
de toute dé~agréable menacent encore le
surprise. ciel, et semblent dé-
De là, l'explication fier les nues, est ac-
de sa position, et son tuellement la pro-
importance très con- priété du comte Just
sidérable au point de de Tournon-Simya-
vue stratégique. ne, qui porte égale-
« Le château de ment le titre de ba-
Retourtour fut dé- ron de Retourtour.
truit pendant les Château de Retourtour. Vue prise du fond de la vallée. GAETAN BUISSON.
Dans le Magasin Piltoresque du 15 juillet 1896, sous la garde du sanctuaire que Saint-Pierre lui-
j'ai signalé l'intérêt qui s'attache pour nous à même avait consacré, et aussi les objets en leur
l'abbaye de Westminster. En effet, plusieurs de possession, auxquels ils attachaient un prix par-
nos compatriotes y reposent, soit dans l'église ticulier. En 1303, on jugea que la chapelle n'était
même, soit dans les cloîtres qui l'entourent; mais plus un lieu assez sûr. Un voleur s'y étaitintroduit
l'Église collégiale de Saint-Pierre tel est le et avait fait main basse sur les fonds qu'Édouard ¡or
titre officiel de l'édifice m'a toujours attiré y avait déposés pour les frais de sacampagne con-
par l'intérêt qu'elle présente au point de vue de tre les Écossais. On soupçonna les moines de l'ab-
l'histoire d'Angleterre qtl.'Ónpeut y suivre dans baye de n'avoir pu résister à une tentation aussi
tout son développement; c'est vraiment un sanc- constante et aussi proche. Quarante-huit d'entre
tuaire national. euxetl'abbé lui-même furent arrêtés et conduitsà
Il est une autre partie de l'Abbaye, d'une moin- la Tour de Londres.Le sous-prieur futdéclaré cou-
dre importance historique, mais curieuse encore, pable et son châtiment dut être terrible, s'il est
que l'on a récemment décidé d'ouvrir au public. vrai que la peau que l'on sent sous les ferrures
Je veux parler de la chapelle du Pyx. Ce mot de la porte de la chapelle soit là sienne. Le tré-
anglais signifie ciboire. Il semble qu'il ait égale- sor fut transporté ailleurs, mais la chapelle
ment signifié la caisse longtemps conservée garda encore certains obj ets précieux qui plus tard,
dans la chapelle qui contenait les étalons d'or en furent retirés. Qu'est devenu le gant que Jean
et d'argent dorit on se se servait pour l'épreuve de Krame portait à la bataille de Poitiers ? Lors-
des pièces en circulation. qu'en 1610, le chambellan de Jacques 1er alla
C'est ici la cellule embryonnaire de la Tréso- faire un examen des caisses que renfermait la
rerie anglaise. Après la conquête et jusqu'en 1303, chapelle, il y trouva des archives, parmi lesquelles
les rois d'Angleterre y renfermèrent leur trésor, la bulle papale qui conférait à Henri VIII le titre
de Défenseur de la Loi, dés papiers relatifs au trésors roi et, par suite, un ancêtre des
de ce
divorce de ce roi et de Catherine d'Aragon, son chanceliers de l'Échiquier. Ce qui donne d'ail-
testament encore et celui de son père. leurs tout son prix à la chapelle du Pyx, c'est
La chapelle est curieuse par son autel de qu'elle représenteaujourd'huil'édifice qu'Édouard
pierre, le seul qui existe actuellement dans avait conçu et élevé à grands frais. C'est une
l'abbaye. A en croire d'ailleurs la tradition, ce précieuse relique de cette architecture normande
serait là la tombe d'Hugolin, chambellan que le confesseur, élevé à -la Cour de Rouen,
d'Edouard le confesseur, le fidèle gardien des avait adoptée. A. BARTHÉLEMY.
NOUVELLE ¿Ii,
cadrant la figure de leurs plis vaporeux. On se demande NETTOYAGE DES OBJETS EN ARGENT.
même quelle fée les a formés, tant le travail des doigts On place les objets dans une solution chaude de tartre,
est :invisible; leur fraicheur est exquise, mais hélas! bien pendant quelques minutes, puis on les frotte avec une
frâgile;'aussi font-ils partie du luxe de la toilette, de ces peau fine.
accessoires,coquets, que la bourse modeste doit se re- On pcut aussi les mettre dans une lessive chaude où
fuser: l'on a dissout un peu- d'alun et une petite quantité de
Si dans un budget, il faut effacer certaines inutilités,
bons pro- savon, il en résulte une eau de savon alcaline. Avec cette
une large place doit toujours être réservée aux solution, on frotte les objets en argent, puis on les sèche
duits dentifrices, n'altérant pas l'émail des dents tout en avec de.vieux chiffons en toile blanche.
leur donnant une blancheur éblouissante.
C'est donc par économie~ du dentiste que l'on prend
chez .111.. E. Sénet, 'administrateur des Bénédictins du
Mont Majella, 35,' rue du Quatne-Seplembre de l'Eau, de POUR LES BÉBÉS.
la P~zte, de la Poudre denti fnice des susdits Bénédictins
qui ne peuvent jamais se dénaturer. Le Savon émollient au lait de son, mucilage de lin et
La.nouvelle forme des canotiers à bords relevés est guiùiauve est le savon adoucissant, lénitif et hygiénique
très adoptéeparlesjeunes filles et les jeunes femmes dont par excellence. Il est parfumé à la lavande des Alpes.
ils découvrent les traits fins, le front uni, les cheveux tlfM. Heilz, et C'°, 99. rue Moniorgueil, ont entrepris. la
bien plantés, et à ce propos disons:aussi leur indiscré- vulgarisation de ce savon adopté par tous. ceux qui ont
tion, gare aux fils d'argent qu'ils dévoilent avec malice le souci de la santé, du bien-être et de la beauté de leurs
si vous n'avez plus vingt ans. Rassurons-nous par l'em- bébés.
ploi de la Poudre. Capillus qui, redonne aux cheveux
blancs sans .les mouiller leur nuance primitive. La boite Comtesse de P., Luchon. 1° Le dépôt général de
5 fr. 50 contre mandat-poste.adressé à la Parfumerie
Zv
blement oriental. Les deux villes sont entière- Le long des ruef les Arabes circulent lente-
ment distinctes. Passée la porte de France, et les ment, gravement, meloppés dans leurs épais
premiers pas faits dans la rue de l'f:glise ou dans burnous, les pieds s dans des sandales, la tête
la rue de la Kasba, nous sommes en plein sol couverte du turbai Les riches portent la gan-
arabe, à cent lieues du Café de Tunis, où tout à dourah de soie, des liaussettes, des sandales de
1 'heure nous coudoyionsquelqu'unde ces élégants cuir verni; les élég: ts ont des burnous de cou-
exotiques dont la moustache retroussée et le cos- leur, et les talons leurs sandales s'appuient
tume excentrique font l'orgueil de la colonie ita- sous la plante de eurs pieds. Nulle femme,
lienne. Ici, plus de café, plus d'élégants, plus d'I- sinon des misérablt couvertes d'un voile noir,
taliens. Les boutiques? Un carré de trois mètres, et qui cachent soigl usement leurs mains sous
sombre et frais, percé d'une étroite baie ouverte le burnous, ou des j ~ves, hideuses, massives, la
sur larue, où un marchand immobile, les jambes poitrine en cascadt les reins monstrueux, les
jambes effrontément serrées dans des caleçons cent mille bibelots d'Orient dont nous avons si
blancs, la tête encasquée du hennin pointu. frénétiquementpillé les modèles.
Leur coquetterie est d'être grosses; elles vont Et la boutique du barbier, où l'on va faire la
jusqu'à suivre, pour y arriver, un régime rigou- conversation comme jadis chez Figaro 1 Et celle
reux. Et pourtant, que de beautés perdues à cette du notaire, où le tabellion, gravement assis sur
dégradante barbarie! Dans le quartier juif, Hot ses talons, rédige de son calame fendu les actes
perdu au milieu de la ville arabe, à chaque pas, qu'il appuie sur la paume de sa main gauche! Et
c'est un émerveillement. De petites fillespassent; toutes les mosquées, où pas un Européen ne
elles ont douze ou treize ans; leurs grands yeux, pénétra jamais Et les portes de la ville, où se
admirablement noirs, vifs, impertinents, éclai- presse tout un peuple de mendiants, de dor-
rent leur teint mat, un peu bistré par le soleil; meurs, de fumeurs, de ces oisifs bienheureux
leurs cheveux épais luisent comme des ailes de qui vivent d'un kaoua et d'une olive, parmi la
corbeau; leur corps est souple, la poitrine déjà cohue des troupeaux qui bêlent, des a~~ab.as qui
indiquée, les reins cambrés; elles vont ainsi, heurtent leurs essieux, des chameaux préten-
par la ville, à demi-nues sous les étoffes légères tieusement imbéciles, escortés de leurs bouri-
dont elles se couvrent, et elles sont comme cots, dans le brouhaha des baClek et des ba~·a,
une vision antique, la vision d'un âge mort, où ces cris gutturaux de conducteurs d'ânes ou de
toutes les femmes eussent été belles, où tous charrettes en peine de se frayer un- passage au
les yeux eussent enfermé un lambeau d'éternité. milieu de rêveurs qui n'arrivent pas à se figurer
Mais les jours passent. elles ont quinze ans, qu'une voiture puisse être plus pressée qu'eux-
elles en ont dix-huit; les traits s'épaississent, mêmes Et tous les monuments, le Bardo, Kas-
des bourrelets de graisse se gonflent autour des sar-Saïd où fut signé le traité du protectorat et
reins; c'est bientôt un monstre repoussant qui où, dans des salles somptueuses, trop souvent
se traîne et. porte avec effort, sur des jambes défigurées par des enluminures italiennes, s'é-
déformées, un corps qui n'est plus qu'un amas panouissent, sous des globes ile verre, des vases
de chair. coloriés d'où émergent de ces feuillages dorés
qui déeorent si artistement les boutiques de
notre foire de Neuilly!
C'est un livre qu'il, faudrait pour raconter II
Tunis les souks. si pittoresques, où le célèbre
Barbouchi débite si royalement et si chèrement Et tout cela, pourtant, les souks où flottent des
ses tapis et ses étoffes, où des marchands, ac- parfums de rose, les a7~abas qui cahotent dans le
croupis à. chaque seuil, trônent au milieu des ruisseau, et Kassar-Saïd et ses vases coloriés,
cuivres, des armes, des chechias, des bijoux, tout cela, c'est encore la France.
des parfums, du henné vert, des lanternes, des Oui, c'est bien en terre de France que nous
sommes ici, et les trois couleurs qui flottent à la terdit à Tunis de construire des maisons euro-
brise du large sur le palais de la Résidence, en péennes dans la ville arabe.
face du drapeau rouge à croissant blanc de Dar- Nous avons pris possession de leur sol, non
tl-Bey, c'est l'impérieux symbolè de l'autorité de leurs âmes. Nous avons respecté la liberté de
du suzerain sur sa vassale. leurs coeurs. Nous leur avons dit « Nous venons
Sur l'avenue de France, les burnous frôlent pour administrer, non pour asservir. » Ce ne
les vestons, la pourpre des chechias pique ses sont plus, comme jadis avec saint Louis, des
coquelicots dans le champ des chapeaux blancs, armées frissonnantes, levées pour le châtiment
les cris rauques des Arabes éclatent dans l'air du Sarrazin, que nos flottes ont débarquées à
bleu. images de deux civilisations qui se sont la Goulette c'est le rameau de paix que nous
rencontrées à un tournant de l'histoire, de deux apportions en ce pays divisé, désorganisé, dé-
peuples qui se coudoient et se mêlent, et ne se vasté par les déprédations ottomanes, les exac-
-confondent point. tions des gouverneurs et les rapines des bandes
Les indigènes n'y sont point en état de guerre italiennes.
étonnamment simplifiée. L'Arabe ne sentit son Le budget de la Régence se soldait par des
poids que lorsqu'il fut question de châtier un déficits chaque année grandissants; dans les
coupable, et le peuple mystérieux lui en fut re- finances comme sur les grands. chemins, l'ordre
eonnaissant. fut rétabli. Le bey est déchargé de toute auto-
rité, de toute responsabilité; il vit silencieuse- l'olivier dresse vers le ciel la morne et grise
ment enfermé dans son vieux palais de la Marsa; raquette de ses feuilles.
la France lui fait une pension; elle l'honore à Un réseau de chemins de fer, arraché à grand
l'égal d'un souverain. Et peut-être, au fond de peine aux inexpliquables résistances de la mère-
son âme, le monarque lassé sait-il gré à son ma- patrie, sillonne la Régence, du nord au sud.
gnanime vainqueur d'avoir délivré ses vieux ans Tunis est reliée à la mer et débarque directe-
du souci d'une lourde administration. ment sur ses quais les cargaisons des bateaux
marseillais. Elle a son casino, et, sur les côteaux
du Belvédère, poussent de jeunes arbres qui lui
En même temps, tous les éléments de richesse feront, comme on dit là-bas, son Bois de Boulo-
de ce pays, qui fut le grand réservoir de Rome, gne. A Sousse, à Sfax, des ports se creusent.
les résidents de France, les Cambon, les Massi- Bizerte a son port militaire. De toutes parts, on
cault, dont'l'oeuvre fut si énergiquement conti- ouvre des portes dans le sol fécond de la jeune
nuée par les Rouvier et les René Millet, s'appli- colonie.
quaient à les faire valoir. A mesure que s'édifient les maisons, que. se
Pareils aux archéologues qui, du bout de leurs poursuivent les grands travaux, que progresse
pics, faisaient surgir du sol les antiques débris l'effort colonisateur, la civilisation française s'an-
des monuments romains, ils voulaient, eux cre plus profondément dans la terre musul-
aussi, faire surgir du présent et renouveler en mane. Sur 293 professeurs qui donnent l'ensei-
cette terre classique les prodiges de la civilisa- gnement, il n'y en a pas 10 qui soient étrangers.
tion latine. La langue française pénètre partout. Jusque
On ne dira jamais assez les merveilles acconi- dans le sud, les enfants indigènes, qui assaillent
plies en vingt années de protectorat. Après le voyageur pour porter ses malles, le saluent
soixante-dix ans de conquête, l'Algérie, encore en français. On enseigne notre langue à Monas-
en tutelle, quémande les subventions de la mé- tir, à Mehdia, à Djemnial, au fond de toutes les
tropole la Tunisie, elle, ne coûte rien à la France bourgades. Partout où s'ouvre une école fran-
et ne lui demande rien. Elle se suffit à elle- çaise, elle est envahie 15000 enfants fréquen-
même elle grandit toute seule; et alors que, plus tent nos 100 écoles publiques.
de dix ans après lé traité de Tien-tsin, la guerre Peu à peu, la Tunisie reconquiert son antique
s'embusquait encore au coin de chaque rizière prospérité. Le « grenier de l'Empire », qui est
tonkinoise, ici, les seules expéditions que nos déjà la fleur de la République, est en labeur pour
soldats conduisent, ce sont, l'été venu, de péni- en devenir la plus assurée réserve. Colonie an-
bles campagnes contre cet effroyable fléau les nexée sans conquête, et qui grandit sans brutal-
sauterelles.. lité,administration qui s'exerce sans iniquité, force
La colonisation va son chemin, aidée par une publique privée de massacrer et dévolue aux
administration qui, d'aventure, la soutient plus parades des jours de fête. la Tunisie est l'exem-
souvent qu'elle ne la tracasse. Des millions d'ar- ple vivant offert à toutes nos colonies, la leçon
gent français ont été jetés dans la jeune colonie; silencieuse de la sanguinaire Europe.
près d'un million d'hectares de terres françaises GEORGES BOURDON.
y donnent au soleil leur robuste ;végétation. Par-
tout, des vignes p01lssent leurs pampres verts,
Reprenonsmaintenant notre sujet à la période et tragique, Paul Huet s'était formé presque en-
classique. Une réaction violente fut donc occa- tièrement devant les Hollandais et les Flamands
sionnée par toute cette fermentation générale du et surtout devant les paysages de Rembrandt et
romantisme. de Rubens,qu'on ne regardait plus à cette époque
Le premier qui s'insurgea fut Paul Huet (1804- et qui l'avaient prodigieusement frappé. Lié avee
1868). Après Georges Michel, le solitaire de Mont- les grands poètes romantiques, avec Delacroix,
martre, qui déjà, dès le siècle précédent, vivait il eut bientôt de nombreux rapports avec les pein-
dans l'intimité constante de Ruysdaël et surtout tres anglais qui vivaient ou exposaient à Paris,
d'Hobbéma, auquel il ressemble parfois si extra- tels que Constable et Bonington, qu'on avait fini
ordinairement dans ses dessins et qui avait com- parconsidérer comme Français et que les anciens
pris la nature avec un grand sentiment austère catalogues du Louvre inscrivaient même à l'Ecole
française, les frères Fielding, le frère de Rey-
(i) Voir le Magasin Pittoresque du 15 Août 1901. nolds, sir Thomas Lawrence, Wyld, e te. En 1824,
l'Exposition des Anglais au Salon produisit sur l'un qui rend de préférence la vie latente, le
ce milieu romantique une sensation profonde et charme paisible, l'intimité de la nature, sincère
décida, entre autres, Delacroix et Paul Huet à se et impressionnable, on dirait presque déjà
rendre à Londres, d'où ils revinrent très forte- impressionniste; l'autre, vrai, loyal et robuste,
ment impressionnés. puissant et large, qui nous donne une repré-
Cette école, établie dans un pays insulaire, sentation saine et franche de la vie rurale en
plus à rabri des influences continentales, avait France, sous la grande joie de la lumière.
continué à évoluer sous l'influence des Flamands A côté de ces tendances générales auxquelles
qui l'avaient fondée, des Hollandais.quiy avaient elles touchent par plusieurs points se dressent
toujours été aimés .et recueillis, et aussi, nous deux grandes figures isolées qui ont joué dans
l'avons vu, de Claude Lorrain. Ils n'avaient pas notre art un rôle exceptionnel; l'une est Corot,
perdu le fil de la grande tradition paysagiste. l'autre est Millet.
Aussi, évidemment, dès que nos artistes les con- Corot (1 i96-18i5) ne se rattache pas à propre-
nurent, exercèrent-ils une grande influence sur ment parler au groupe romantique, bien que ses
eux. Delacroix composa désormais sa palette avec sympathies pour ce milieu, des amitiés, les per-
des fluidités et des transparences nouvelles; sécutions subies avec ses membres, l'aient fait
Paul Huet, Dupré, Daubigny, etc., tous furent coniprendre parmi eux. De même que Ingres
plus ou moins émus par Constable,par Old Crome continuait, en la renouv elant, la tradition clas-
et Gainsborough, par Bonington, et même, du sique de David, Corot poursuit la tradition natio-
moins pour le premier, par Turner. nale de Claude Lorrain, par Vernet et par les
C'est alors le magnifique épanouissement de classiques contemporains dont il était l'élève ou
ce groupe qu'on appelle couramment fÉco.le de le pupille Rémond, Michallon, V. Bertin et
1830, qui a établi la gloire de l'Ecole française Aligny, .ses maîtres et ses amis et- ce dernier
par,une foule de chefs d'œuvre immortels. Avec même qu'il accompagna en Italie. Un dessin de
Paul Huet, si inquiet et si superbe, c'est Camille Corot, à l'Expositioncentennale, montrait à quel
Flers et Cabat, qui tourna plus tard.à à l'acadé- point celui-ci vivait sous.la tutelle du dernier.
misme; de la Berge, si anxieux, sotte de précur- Il ne se dégagea que très lentement d'eux,
seur des préraphaélites anglais; c'est Jules Dupré, comme en témoigne la persistance de ses sou-
énergique, intense, hautain et grandiose; hanté venirs scolaires. Mais à mesure qu'il s'en écarte,
comme l'orientalisteDecamps, à l'occasiongrand il se rapproche davantage de Claude Lorrain.
peintre d'histoire ou spirituel observateur de Il aime toujours, comme lui, les mythologies,
genre, par les préoccupations d'un métier auda- mais sa grande et pour ainsi dire son unique
cieux et acharné c'est Diaz, familier, brillant et préoccupation, c'est l'étude subtile, affinée des
ctiaud, enfin tous ceux qu'on pourrait appeler jeux de la lumière et de l'enveloppe, des rapports
proprement les lyriques. des terrains, des feuillages et des eaux avec les
Plus près de la nature, plus respectueux, moins ciels. Th. Silvestre rapporte à quel point il se
fougueux mais aussi passionné et aussi sincère, préoccupait des valeurs de tons, se souciant de
Théodore Rousseau (1812-1867) est comme la trouver des notations rapides pour saisir la vie
figure la plus accomplie de ce groupe glorieux. des choses dans ses états les plus passagers.
Celui-ci portait déjà en germe les éléments de C'est bien par là qu'il est le précurseur des im-
réaction contre le romantisme. Formé de bonne pressionnistes.
heure devant la nature qu'il décrivait en études Et, pour reprendre notre précédent rappro-
minutieuses,abondantes, détaillées et devant les chement avec Ingres, cela nous amène à une
toiles de Karel Dujardin, de Van de Velde ou réflexion qui ne manque pas de piquant. C'est
de Claude Lorrain du Louvre, il apparut comme que ce sont justement les deux continuateurs
un analyste d'une acuité que personne n'avait réguliers de la tradition dans tout ce que ce mot
trouvée depuis les Hollandais,cet esprit excessif représente d'auguste et de solennel, qui sont
d'analyste le conduit même, vers la fin de sa vie, revendiqués comme leurs initiateurs par .ceux
à des scrupules extrêmès qui lui font perdre le qui, à leur tour, ont été mis au ban de l'art par
sens des ensembles à force de se noyer dans les les autorités académiques. Ingres, réclamé par
détails. Il sort le romantisme des abus et des les peintres de figures, Manet (voir Olympia)
excès d'imagination et prépare révolution nou- Degas, A. Renoir; Corot, par les paysagistes,
velle du paysage. CI. Monet, Sisley, etc.
C'est déjà un naturaliste, terme que l'on a em- Ce qui distingue franchement Corot des im-
ployé pour caractériser certains maîtres puissants pressionnistes qui le continuent dans l'analyse
qui, en pleine effervescence romantique, s'atta- aiguë des sensations lumineuses et atmosphé-
chèrent à rendre la nature pour elle-même, dans riqués, c'est qu'il reste toujours un idéaliste.
une sorte d'amour désintéressé, sans y chercher C'est par cette sérénité voluptueuse, cette grande
des spectaclesgrandioses et tragiques, des aspects et belle harmonie panthéiste, ce grand rêve vir-
extraordinaires et singuliers. Les plus grands gilien, qu'il prépare le paysage de Puvis de Cha-
sont Daubigny (1817-t878) et Troyon (1810-1865) vannes et de Cazin. Il est, d'ailleurs, dans le
paysage et même dans la figure, le précurseur ne furent.pas,à leur apparition, sans exercer quel"
de toute l'école contemporaine parmi les maîtres que influencesurles milieuxartistiquesnouveaux.
qui ont eu le souci d'éclairer leur palette. Il est, C'est aussi un idéaliste, venu peu après le pre-
sans doute, le père direct de Harpignies, par mier mouvement romantique et même assez à
certains côtés celui de Pointelin, mais à lui se côté bien que son amitié avec Th. Rousseau
rattachent encore Manet, Bastien-Lepage, Roll, ait formé autour d'eux ce qu'on a appelé l'École
et tant d'autres. de Barbizon qui a déterminé, à la suite de
L'Exposition nous le montrait également sous Corot, tout le mouvement contemporain dans le
un aspect moins connu du grand public, par ses paysage et, mieux en<{ore, dans les rapports de
figures, peintes en des accoutrements qui sentent la figure et du paysage, association de ces deux
leur romantisme, dans de jolies tonalités grises termes la Na ture et l'Homme qui va prendre désor-
où éclatent doucement quelques tons chantant>" mais une place de plus en plus importante dans
avec de belles pâtes émaillées et qui font penser notre art. J~ainomh1é J. F. Millet (1814-1875).
à Yelazquez et à Ver Meer de Delft. Ces tigures Comme Corot, par ses origines, Millet est aussi
lin classique. Nourri de Virgile et de la Bible, Les excès du romantisme, l'abus de l'imagina-
passionné de Poussin, dont il sera l'interprète tion, l'oubli de la nature, l'insuffisanceet l'à peu
éloquent près des générations nouvelles, il ne près se dissimulant parfois sous les faux aspects
rêve dans sa jeunesse que mythologies, scènes de l'inspiration, amenèrent une réaction qui
plastiques et héroïques et la nécessité l'obligea avait déjà été préparée progressivement et in-
longtemps à peindre de petits sujets dans le sou- consciemment par les naturalistes qui en sor-
venir du xvme siècle, dont il se croyait, pourtant, taient.
bien éloigné. Elle se manifesta, violente comme elle avait
C'est en 1848, avec le Vanneu~· que commence été elle-même, par l'apparition d'un homme qui
à se manifester l'idéal particulier formé dans le s'intitula à lui tout seul le réalisme et qui, doué
cerveau de ce fils de paysan songeur, solitaire et d'une singulière énergie, d'un orgueil sans bor-
mystique, qui resta si longtemps un grand et nes, soutenu par tout un monde d'écrivains, ar-
douloureux incompris. Il abandonne alors tout riva,. malgré les injustices du Jury et l'antipathie
son passé de mythologies amoureuses et de co- du public, à s'imposer comme maitr~ et à faire
quetteries de métier pour s'exposer à un rude école.
combat.. Gustave Courbet (1819-18i7) qui avait débuté
Sa préoccupation est double il veut peindre par de mauvais tableaux bibliques et allégori-
Ie paysart et la terre. ques, s'était trouvé peu à peu, disaient assez
Dans le premier cas, il cherche, avec la vérité, justement les mauvaises langues, à force de se
Je caractère il procède par voie d'abréviations, peindre lui-même. L'Exposition centennale pos-
par fortes synthèses, travaillant même très peu sédait.de ses innombrables auto-portraits un de
d'après nature. Son but est de peindre tout ce ceux qui eurent le plus de succès jadis par la
qu'il y a de grave, d'austère et même de tragique façon dont il se présentait. C'est l'amateur
"dans l'existence de cet être, produit direct de la Bruyas, défenseur et ami du peintre, rp.ncontrant
nature, .qui appartient à la terre, comme les ar- notre artiste, sac au dos, dans la campagne et
bres, les rochers et les eaux, de le fixer dans ses l'abordant d'un Bonjour, Monsieur Courbet! qui
luttes avec le sol, avec les saisons, et de montrer formait le titre.
ces éternels et éloquents spectacles dans toute Malgré toutes ses fanfaronnades sur l'art du
leur grandeur familière et leur simplicité épique, passé qu'il _réprouvait à grand bruit, ce Franc-
sans mièvrerie sentimentale, sans esprit de genre comtois madré avait étudié soigneusement les
ou d'anecdote. A ce titre, son oeuvre grandiose, maUres, sans même s'adresser, parfois, aux plus
austère et tendre, exhale un fort mysticisme, un ingénus. Vénitiens, Espagnols, Flamands et même
esprit évangélique tout nouveau, une sympathie Bolonais, il les fréquenta tous, préoccupé sur-
émue et fraternelle pour les mères, les petits, tout de leurs procédés d'exécution.
toutes les humbles choses, qui n'a, avant lui, De 1851 à 1855, avec les Casseurs de pierre,
d'analogue dans l'art que la grande âme ingénue l'Enterrement d'Ornans, les Demoiselles de village,
et rayonnante d'humanité, de Rembrandt. l'A telier, etc., il soulève une tempête de vio-
Tous ceux qui ont tenté de donner une expres- lences, d'indignations, un scandale ininterrompu
sion des aspirations de la pensée contemporaine auquel il collabore lui-même, heureux de son
se sont tournés avec respect vers son œuvre, impopularité.
peintres ou sculpteurs Puvis de Chavannes, Terre à terre et trivial, mais jamais vulgaire,
Cazin ou Constantin Meunier. repoussant toute ingérence de l'imagination, bien
Quand il veut peindre la terre, il procède tout qu'à ses heures, il atteignit sans le vouloir une
à kit en sens inverse, adoptant l'observation la singulière intensité poétique} notamment dans
plus rigoureuse, l'analyse la plus attentive, la ses paysages, il avait pour principe qu'il fallait
plus subtile, de tous les phénomènes lumineux faire de « l'art vivant », ne représenter que les
ou atmosphériques jusque dans leurs états les choses que l'on a vues, étudiées sur le vif. Il re-
plus exceptionnels ou leurs effets les plus indi- fusait absolument à l'art le droit de pénétrer
rects. La brosse, chargée d'huile, est même trop dans la vie intérieure, et déclarait que la pein-
lourde à sa main impatiente, et il se sert du ture est un art « volontaire, mathématique, de
pastel comme d'un moyen plus rapide et plus raisonnement et de logique. » C'est le positivisme
aigu de toutes les vibrations et de tous les reflets. ,de l'art qui correspond à celui de la pensée.
Le premier, il. cherche méthodiquement ce L'impressionnisme accentuera encore ce point
que d'autres avaient pu trouver instinctivement. de vue en affirmant que faire sur nature est une
Aussi, avec son sens profond d'idéaliste, il est, .chimère si l'on ne cherche pas à surprendre la
cependant un des produits les plus instructifs du Nature dans la splendeur mobile et fugitive des
mouvement scientifique qui a marqué le siècle. spectacles éternellementchangeants qu'elle nous
Il exerce une influence considérable sur notre offre.
notre temps par son esprit et par sa vision il Tout cela fait de l'œuvre de Courbet une oeuvre
est donc avec Corot un des initiateurs du paysage d'un idéal très borné, figé parfois par la peur de
contemporain.. l'imagination, mais puissante, forte, souvent
belle, bien que d'une beauté sensuelle et orga- souvenirs et, en même tenips un beau et robuste
nique qui n'émeut pas l'âme. Il n'a pas vu, métier de fortes pâtes étalées au couteau, un
-comme Millet, dans la vie du paysan, la grandeur peu lourdes et opaques parfois dans les figures,
de son labeur opiniâtre ou la simplicité biblique mais d'un bel éclàt puissant, plein de fraîcheur
de la vie familiale. Au contraire, il se plaît à le dans ses paysages.
montrer dans sa littéralité la plus terre à C'est à l'École de Courbet que, remontant, eux
terre. aussi, vers les mêmes maîtres qu'il n'avouait
Mais avec Millet, il a préludé à tout ce mouve- pas, mais qu'il regardait, s'est formé tout un
ment qui a fait pénétrer dans le domaine de l'art, groupe d'artistes de haut mérite qu'on a appelés
avec une dignité qui l'égale aux plus hauts sujets, plus ou moins èxactement, à cause de lui, des
tout ce monde populaire du travail, ces deux réalistes, tels que Bonvin et Ribot, ,Legros et
figures toutes modernes du paysan et de l'ou- Fantin-Latour, Régamey, un oublié que l'Expo-
vrie?,, sur lesquels au fond, repose toute société sition centennale a ressuscité avec éclat, et enfin
-et qui apparaissent comme les deux grands types Manet.
idéaux de la démocratie française. Appuyés par des écrivains comme Champ-
Au point de vue technique, il a eu le mérite fleury, Burty, Duranty, ils ont chacun créé un
d'apprendre, également avèc M.illet, aux peintres art élevé, indépendant et sûr, et ils ont contribué
de figures à chercher leurs personnages, non pour leur part, protestant de leur côté contre
plus sous la lumière à 45° de l'atelier, mais en l'éclectisme facile et dissolvant des dilettantes of-
plein air, à les peindre avec les méthodes du ficiels, à maintenir l'équilibre si savant de l'école
paysagiste, en rapports intimes et harmoniques française en face du groupe des grands idéalistes
avpc leur milieu. Il a apporté, en outre, un senti- qui se reformait dans l'ombre.
ment plus étroit et plus sûr des réalités qui nous LÉONCE BÉNÊDITE,
entourent, un besoin de vérité plus franche, Conservateur du Musée du Luxembourg.
moins apprêtée, plus débarrassée des anciens (A suivre.)
RANAVALO' EN EXIL
Le 3 mars 1897, à l'aube, Ranavalona Mpana- les Hovas, terrorisés par cette énergique mesure
ka III franchissait pour la dernière fois la porte qui les frappe à la tête, ne sont vraisemblable-
de son palais, en route pour l'exil. ment pas trop à craindre, par contre on a tout à
L'arme au pied, une compagnie de tirailleurs redouter du dépit des colons mauriciens, propa-
haoussas remplaçait. ce jour là le cortège d'hon- gateurs turbulents des sympathies anglaises dans
neur et. devait servir d'escorte jusqu'à,Tamatave, l'ile.
tout le long du chemin peu sûr, si favorable aux Mais, hâtons-nous de le constater, c'est sans
.embuscades et aux surprises. incident fâcheux que l'on arriva à Tamatave,
Deux cents porteurs se partagent les colis sept jours après le départ.
royaux malles géantes, coffrets de ferpleins de Dans une spacieuse villa bien gardée, la Reine
bijoux précieux. et sa suite y attendront le navire de guerre, le
Les principaux personnages, dans cette inter- « Sambo be » qui fera le reste de ce long chemin
minable file qui au trot des bourjanes descend vers l'exil.
vers la côte, sont, avec la Reine, sa s.œur Rasen- Dès le 10 au matin, celui-ci prend son mouil-
dranoro et la fille de celle-ci Razafinandriamani- l.lge, et aussitÓt les bagages sont transportés à
tra, l' « Enfant du Bon Dieu », puis le sécrétaire .bord, ainsi que le personnel domestique; à la
intime, Ramanankirahina. tombée de la nuit, c'est le tour des deux prin-
Les serviteurs sont rares, qui ont consenti cesses et du secrétaire, et enfin vers neuf heures
à partager la disgrâce de leur maîtresse; encore Ranavalo nous arrive aussi, habillée d'une toi-
chaque étape marque-t-elle de nombreuses dé- lette des plus riches,-de soie beige avec orne-
-fections, chaque sentier libre à travers la brousse ments de perles.
'étant un prétexte à de lâches abandons, et Rana- On la conduit à l'appartement qui lui a été
valo en souffre profondément « Les ingrats 1. préparé le salon du Commandant- et qu'elle
comme ils m'oublientvitel. » partagera avec sa sœur et sa nièce.
Contre toute tentatived'enlèvement, les dispo- Cette soeur est affublée d'un corsage rose ten-
sitions sont remarquablement conçues: on ne dre et d'une jupe à traîne en satin vert pomme.
-quitte un poste qu'après avoir reçu du suivant Autant Ranavalo montre de goùt et de bonnes
l'avis que la route est sûre. C'est qu'en effet si manières, autant, par contre, l'énorme Rasen-
dranoro nous apparaît grotesque, avec son luxe atteint des proportions colossales et font songer
de mauvais aloi. Nous savons déjà, d'ailleurs, aux vieilles châtaigneraies du Poitou.
qu'elle est particulièrement mal élevée et sym- Et pourtant, quel délabrement dans ces pau:
pathise tout spécialement avec les liqueurs fortes: vres villages du littoral, qu'abandonnent d'ail-
aussi prend-t-on les mesures propres à éviter le leurs de plus en plus leurs rares habitants, pour
spectacle peu digne d'une princesse en go- aller chercher un peu de travail et quelques res-
guette. sources sur la grande Terre, à Tamatave ou à
Razafine, heureusement, ne ressemble point à Majunga1
son aimable mère. Drapant avec fierté ses flancs Sur une colline qui domine la rade on avait
de fillette,alourdis par une maternitéimminente, construit autrefois un fortin, où étaient internés
dans les plis du lamba national, elle est la seule au moment de notre passage quelques princes
parmi les exilés, dont le visage se soit sim:ère- comoriens, et où Ramasindrazana, aussi, subis-
nent imprégné de mélancolie, à la pensée des sait sa peine.
vastes horizons de rizières ondoyantes à jamais Bientôt elle nous arrive avec son bagage, com-
perdus, et devant la nécessité d'abandonner posé modestement d'une dizaine d'énormes
cette multitude de petits cerfs-volants multico- malles, et dès lors, maintenant au complet, il ne
lores qu'elle aimait tant à lancer, du sommet des nous reste plus qu'à'faire route vers le terme du
tours, à l'heure favorite du crépuscule, et dont voyage.
les moindres mouvements, au hasard des brises, Et pour tous ces personnages, que nous trans-
,révélaient à son âme attendrie de très graves portons ainsi, nous n'avons -que peu de sympa-
choses, selon la confiance inébranlable qu'elle y thies assurément, sauf peut-être pour la Reine,
accordait. plus mal conseillée que réellement hostile à la
Sur le pont, dans un coin, les serviteurs, quel- France; mais surtoutpour la «Petite Princesse »,
que peu effrayés, se tassent en tremblant, et tout comme nous avions appelé Razafine dès les pre-
à fond de cale, M. Andrianaiavoravelona. (mon miers- jours. Celle-là, nous l'aimions, même,
Dieu 1 ), pasteur protestant qui montra un zèle mais comme on aime une poupée belle et fra-
intempestif; voyagera aux fers. gile nous en étions venus jusqu'à nous disputer
A 6 heures, le lendemain matin, le « Lapé- l'honneur d'essuyer d"une fine batiste la sueur
rouse » appareille, en route vers Sainte-Marie, qui ne manquait pas de perler au bout de son
où il doit prendre Ramasindrazana, tante de la nez, alors qu'aux instants où le terrible mal de
Reine, qui depuis plusieurs mois déjà expie là mer lui laissait quelque répit, elle s'escrimait à
l'abondance de ses sentiments anglophiles. jouer sur notre vieux piano de bord des gigues
Le roulis, assez ample, incommode fort tout et des quadrilles au rythme inconcevable.
ce monde peu marin; seule, Ranavalo se com- Bref, les heures de traversée passèrent vite,
porte à merveille, ce qui la rend peu charitable pour nous, distraits de la monotonie coutumière
à l'égard de ceux que la douleur courbe par par de tels hôtes, et pour eux, émerveillés sans
dessus le bastingage. cesse par les aspects' changeants, la féerie tou-
Un poisson volant, la crête d'une lame qui jours renouvelée de la mer que presque tous ils
déferle, un rien, suffisent à l'étonner; et aussi ce
voyaient pour la première fois.
sont des questions incessantes, auxquelles ce Le 14 au matin, le « Lapérouse » s'amarrait
pauvre Ramanankirahina, entre deux nausées, dans le Port des Galets, et on s'occupait tout de
répond tant bien que mal. suite de commander un train spécial pour con-
Ce « ministre intime est duire la Reine à Saint-Denis, la capitale, si bien
en effet le person-
nage instruit de la bande, étant revenu d'un long que le soir même tout ce monde était logé à
séjour à Paris avec une connaissance parfaite de l'hôtel pour quelques jours, en attendant qu'il
la langue française et un double petit. talent fût pourvu de demeures définitives.
d'aquarelliste et d'architecte qui lui avait valu Dès le lendemain, Razafinandriamanitra,profi-
le ruban violet. tant enfin du repos, le premier depuis le départ
Il pleut, et quelle pluie Cette pluie tropi; de Tananarive, donnait le jour à une fille que l'on
cale qui tombe par nappes denses et lourdes à baptisa à la cathédrale sous le nom de Marie-
faire mal aux épaules. Louise.
Et cependant, au nioment où nous arrivons en
rade de Sainte-Marie, le soleil, toujours âpre à
prendre sa revanche, dans ces contrées, se mon- Ranavalo fut installée dans une villa confor-
tre, accablant, même pour les indigènes que table et spacieuse où nous nous plaisions à la
nous apercevons étendus en grand nombre en visiter souvent.
des poses lasses, sous la voûte épaisse des man- Un jour, comme je m'en revenais vers l'hôtel
guiers qui longent la mer. du côté d'Amboudi- où la jeune maman demeurait encore, on me dit
fotsy. .brutalement qu'elle était au plus mal et refusait
Les arbres de cette avenue, plantés là par les obstinément de prendre les médicaments indis-
premiers Français qui s'établirent dans l'He, ont pensables.
Sans doute s'imaginait-elle que nous étions, physiondmie plus réfléchie, où se devine parfois
nous autres vazahas, comme ceux de sa race et l'a,rdente nostalgie.
traitions les prisonniers par l'épreuve du tanghin, Et aussi bien la nature toujours reste maitresse.
ce poison violent qu'on administra si longtemps On peut étonner l'ex-Reine par le grandiose
par les soins de la cour d'Émyrne et qui, à cer- spectacle de Paris qui l'acclame, mais sans par-
taines époques, tua chaque année des milliers de venir jamais à étouffer les réminiscences chères,
personnes. celles qui lui font revivre les temps heureux et
Toujours est-il que pour la tranquillisel je dus les triomphes d'antan, de telle sorte qu'auprès
me dévouer et goûter avant elle à tous ces breu- de sa pupille les meilleures heures passées-sont
vages, qu'elle absorbait ensuite en toute con- à coup sûr celles consacrées aux entretiens
fiance. intimes, où elle lui parle du pays et lui enseigne
Mais tout fut inutile, car soudain, un soir, la son étonnante histoire.
vie de Razafine s'enfuit avec un flot de sang, et PIERRE DE KADOR£,
.cette mort nous consterna intimement, nous tous
qui avions été pris au charme de tant de jeunesse
attristée de tant de douleurs, déjà. LES VIEUX SAULES
A la nuit, dans un cercueil trop court établi à
la hâte, on mit le frêle cadavre, après l'accom- Ils sont tortueux, ils sont gris,
plissement ponctuel des vieilles traditions coutu- A la fois solennels et.drôles;
Ils ont des chefs tout rabougris,
mières. Une piécette d'or fut glissée entre les Les bons vieux saules.
dents serrées le tribut à payer, qui sait? au On voit s'ouvrir sur leur long cou
sombre nautonier; l'annulaire s'orna de Plus d'une crevasse en étoile;
Ils ont laissé leur blanche moelle
l'anneau des immortellesfiançailles; après quoi, On ne sait où.
-serrées et enroulées dans de multiples lambas Ils paraissent mornes .et rogues
de soie violette, ces pauvres dépouilles prirent Avec leurs troncs tout de guingois,
l'aspect d'un jouet d'enfant précieusement em- Aussi creusés que les pirogues
Des Iroquois.
ballé, ficelé aux deux bouts d'un large ruban en
Ils ont encore de la force;
-fild'or. La sève en le%r front ennuyé
Pour que personne ne pût reprocher à la France Monte, par une minçe écorce,
Du. sol mouillé;
un mépris quelconque des rites traditionnels, si
minutieux pour les Hovas, lorsqu'ils ont trait au Et leurs tètes toujours étranges,
Quand vient le soir sur les hameaux,
.culte des défunts, l'interprète, quand tout fut fini Ont des aspects de mauvais anges
et la funèbre botte clouée, s'adressant à tous, Et d'animaux.
esclaves et familiers accourus, proclama On y voit dans l'ombre, mêlées
'A de gros profils léonins,
« Est-ce bien ainsi? et les vazahas ont-ils agi Des gorgones echevelées,
.conformément au cérémonial et aux cou- Puis de vieux nains;
tumes`?. » Et leurs branches, dans la pénombre,
C'est bien ainsi 1. » répondirent les assis- Semblent à nos regards béants
Un hérissement vaste et sombre
tants en pleurs. De bras géants.
Une simple pierre blanche marque, au cime- Mais, malgré leurs têtes farouches,
tière de Saint-Denis, la place de la « Petite fille Les saules, aux douces pâleurs,
,du Bon Dieu », une simple pierre avec cette Cachent dans le creux de leurs souches
De belles fleurs;
-courte épitaphe, éloquente, à dire vrai, en sa
La terre s'y mêle à la mousse,
brièveté A des morceaux de bois pourris,
La' graine qui s'égare pousse
PRINCESSE RAZAFINANDRIAMANITRA Dans ces débris
(IM82-1897). La vie est la fille des ruines,
Aux côtés de Ranavalo qui l'élève avec un soin Et parfois un arbuste sort
De ces vieux troncs dont les racines
jaloux, Marie-Louise grandit, parée de tout le Ont eu le baiser de la mort.
charme de ceux de son âge, avec, en plus, une CHARLES GRANDMOUGIN.
L'ANGE A LA GUITARE
Est-ce un prélude, les derniers accords avant et les mélodies du concert céleste des petits mu-
l'essor d'une procession aérienne, dans une as- siciens ailés? L'ange répète-t-il avec zèle, pour
~somption triomphante, parmi les. clartés de lys, n'avoir ni oublis ni défaillances? Mais que dis-je?
les rayonnements de la « gloire », les doux bat- Les anges participent à la perfection des habitants
tements d'ailes des anges qui flânent doucement éternels du Paradis; ils ne connaissent.pas nos
faiblesses terrestres et ils jouent. comme des Les yeux sont grands ouverts, mais ils oni cette
anges. Non, ce solo, qu'on ne peut malheureu- fixité qui semble voir venir « le bonhomme au
sement entendre, n'est qu'un jeu, une récréa- sable ». Et l'on suppose que la mélodie qui anime
tion. C'est jour de repos au Ciel point de cor- encore la guitare a des accents mourants, comme
tège, de cérémonie, d'Assomption. C'est jour de lassés un gazouillement qui s'éteint. L'impres-
vacance. Quand ils sont libres, en pareille cir- sion que l'on ressent est faite de calme et de
constance, leurs petits frères d'ici-bas crèvent douceur.
leurs tambours, cassent les pattes de leur cheval, Ce tableau que l'on admire aux Offices à Flo-
éventrent leurs poupées; ilest vrai que ce sont rence est du Florentin Rosso di Rossi, dit Il
de vrais diables, Les anges sont moins turbu- Rosso. Ce peintre qui vivait au xme siècle a tra-
lents. Voyez celui-ci! D'un geste gracieux, son vaillé à Fontainebleau, à la décoration du Palais.
bras potelé tient la guitare comme un mignon Sa petite toile des Offices a la faveur du public
oreiller, sur lequel sa tête s'abandonne dans et des artistes qui la copient, presque autant
l'envolement de ses boucles luxuriantes. C'est que le portrait de Mme Vigée-Lebrun que nous
bien là, en effet, le geste arrondi et charmant avons déjà donné dans le ~Tagasin Pitto~~esqz~e.
d'un enfant qui va s'endormir dans son berceau. J. G.
On le sait, l'art sous Louis XV s'affadit, s'effé- Quelques souvenirs surnagent cependant,mais
mine et se frivolise.'Tant il est vrai que, même bien affaiblis, du classicisme du précédent règne.
dans ses plus capricieuses fantaisies, fart Témoin un bas-relief d'ivoire représentant une
syncrétise toujours, peu ou prou, les idées, aspi- dame romaine allaitant son vieux père condamné
rations et sentiments dominants d'une époque 1 à mourir de faim; témoin les christs de Bienaymé
Ce n'est plus la gravité imposante, la solennité et surtout de Crucvolle père, dont un spécimen
emphatiquement pompeuse du dernier règne. remarquable par quelques vigoureux détails-
Le joli, le mignon, le « maniérisme» » remplacé d'anatomie orne la sacristie de Saint-Jacques
le beau classique. Aux grandes et majestueuses témoin les gueux de Cointre, si recherchés des
salles avec hauts plafonds et vastes fenêtI'es, on amateurs.
préfère les petits salons ou boudoirs, avec petits Mais voici venir ce que le XVIIIe siècle a produit
recoins, meubles coquets, délicates consoles, de plus original et de plus caractéristique en
fines étagères surchargées de « babioles » de ivoire. Et c'est Dieppe qui paraît bien en avoir
magots de la Chine ou du Japon, de coûteuses et toute la gloire. En cette société légère, s'amusant
rarissimes. curiosités. On en trouve, de ces char- d'un tout ou d'un rien, où l'on traitait si frivole-
mants bibelots de porcelaine ou d'ivoire, chez ment les choses sérieuses et si sérieusement les
MM. les duès d'Antin et de Choiseul, chez Mme de choses frivoles, il semble que, pour ne point
Pompadour et son frère M. de Marigny. et l'on voir l'orage de la Révolution qui se préparait et
en retrouve encore à Versailles et à Trianon, dans la fin de l'ancien monde que tous pressentaient,
les petits appartements de la pauvre Marie-Antoi- on se plût à regarder toutes choses comme par le
nette. gros bout d'une lorgnette. On riait de tout, peut-
(1) Voir le Magasin Pittoaesyve du 15 août 1901. être, comme dit Figaro, de peur d'être obligé
d'en pleurer. La mode était donc alors aux dé- l'Amour enchaîne le Temps; l'Espérance nourrit
coupages. On était en fureur pour cela comme on l'Amour; Estelle et Némorin, à l'ombre d'un arbre,
l'avait été, au xvil, siècle finissant, pour le bilbo- dont on pourrait compter les feuilles, écoutant,
quet. On se passionnait aussi pour les dessins
allégoriques, figurant, en une mythologie de
convention, l'Amour, le Temps, l'Espérance, la
Fidélité. On en ornait les billets d'invitation aux
cérémonies de fiançailles, aux bénédictions nup-
tiales, aux grands dîners et aux petits soupers.
Comme jadis de lamuscade, on fourrait de la
mythologie partout. L'ivoirerie dieppoise suivit
la mode, et l'on fit à "Dieppe des miniatures ou
découpuresd'ivoire d'une finesse extrême, collées
sur un fond bleu de papier cartonné ou de verre.
Elles représentaient des scènes amoureusement
mythologiques, des bergeries et berquinades,
entremêlées de génies ou amours dodus et pote- Couvercle de bonbonnière, attribué. à CROQUELOI.
(Collection de l'abbé Rieher.)
lés, avec carquois, arcs, flèches, flambeaux d' *hy-
ménée, guirlandes fleuries; sujets, parlants, même charmés, jouer de la flûte; une Revue au champ
de Ma~·s, par Lafayette (2),~etc., etc.
Quoique Belleteste ait excellé en toute sorte
de travaux d'ivoire, là où on l'admire le plus,
c'est surtout dans ce genre de petite envergure
auquel on ne pourrait reprocher que la ténuité
et la profusion microscopique des accessoires.
Certains détails sont à examiner à la loupe.
Du xviiie siècle également un bénitier (sujet
l'Annonciation)dont les personnages principaux,
la Vierge et l'ange Gabriel, se découpent en relief
sur un fond finement guilloché à la main. Le
guillochage mécanique n'apparaît que vers 1840.
OEuvre sig-née Lefébure fecit, 4 novembre 1779.
L'Espérance nourrit l'Amour (XvIIIe siècle) Mais pourquoi dire tout ce que le musée de
de J.-A. BELLETESTE. Dieppe possède déjà de cette époque nativités,
(Collection Baudou.) calvaires,résurrections puis navettes s frivolités,
étuis, boites à mouches et bonbonnières, éven-
sans les devises qui prétendentles expliquer, avec
des serments d'amour constant et inaltérable. Et
cela en un temps où amour, fidélité et constance
étaient si souvent tenues pour vertus démodées
et préjugés ridicules
C'est dans ce genre frivole, mais si gracieuse-
ment séduisant, que s'illustrèrent les Belleteste.
De cette famille qui commence à percer dès la
fin du XVIIe siècle, et parait d'origine marine et
polletaise, on a pu suivre et établir la filiation
pendant cinq générations. Elle a fourni cinq à
six sculpteurs ivoiriers de marque. Parmi eux le
plus grand et le plus célèbre est Jean-Antoine
Belleteste (1729-1811) dont le talent et'l'habileté
de main tenaient du prodige. Outre le groupe que
la ville de Dieppe le chargea d'exécuter pour
reconnaître les bienfaits de l'intendant Trudaine, Revue au Champ-de-Mars (XVIII" siècle)
de .T.-A. BELLETESTE.
outre deux jolis bas-reliefs bucoliques et virgi- (Collection Baudou.)
liens qui sont au Louvre, les oeuvres de cet artiste
sans égal se peuvent voir soit au musée de Dieppe, tails ajourés comme de la dentelle d'ivoire, tra-
soit dans certaines collections particulières (col- vaux si fins, si délicats et si fragiles, qu'on se
lections Lémery, Le Gros, Baudou, de Saint-Mau- demande si c'est bien là oeuvre humaine ou tra-
rice). Parmi elles signalons Jupiter et Léda; le vail de fée?2
Trionapke de Flore; le Mois de mai (villageois et A la suite, bien qu'à distance de Belleteste, se
villageoises dansant au son de la musette) signalaient Croqueloi, à qui nous attribuons la
charmante boite ronde dont nous donnons la Sous le Consulat et surtout sous l'Empire, la
difficile reproduction; et Dailly, qui fit par cen- jeunesse valide doit partir pour « moissonner
taines des fac-similé de la prise de la Bastille ou des lauriers », se faire tuer ou au moins estro-
des grandes scènes révolutionnaires, parfois si pier à la guerre. De ce fait, le travail des ateliers
microscopiques qu'ils pouvaient tenir dans 'un d'ivoire se ralentit, Quelques-uns même se
chaton de bague. Sont-ils de lui ou de Belleteste, ferment. Travaillaient pourtant encore Bou..
ces boutons d'habits pour les beaux messieurs teiller, faisant le portrait et l'antique; Boulais,
du temps, représentant des scènes de tout genre?2 avec son Bonaparte passant le Saint-Bernard, et
« C'étaitvaimentdôle,ma paole d'hôneu », disaient, Napoléon sommeillant sur une chaise la veille
en grasseyant, la bouche en coeur, les « Incroya- d'Austerlitz, entouré de ses lieutenants qui at-
bles » du Directoire. tendent son réveil. On citait aussi les Flouest, à
Cependant le goût venait de se transformer, la fois' peintres et sculpteurs, dont l'un ami du
sous l'influence non pas seulement du peintre fabuliste Florian, dirigea vers 1808 l'école de
David, mais je ne sais quel amour de l'antiquité dessin de Dieppe; mais ses jolis bas-reliefs de.
qu'avaient, entre autres causes, mis à la mode les vaient se disperser çà et là ou passer la Manche.
fouilles ou découvertes récentes d'Herculanum. Enfin en 1814 (la pièce est datée et signée) un
On avait vu, sous la Convention et le Directoire, artiste habile, Flamand, se délassait de buriner
les représentants, les gouvernants et quelque l'ivoire, en réussissant à tailler dans une dure
peu les masses populaires, se prendre d'une ad- noix de coco un délicieux coquetier. Le pied est
miration passionnée, plus platonique souvent une colonne ionique, et la partie, renflée du co-
qu'effective,-pour les vieilles mœurs de Sparte quetier est entourée d'un charmante guirlande
ou de Rome. Le pseudo-romain et le pseudo-grec de fleurs et de fruits. Les connaisseurs, outre la
dominent partout, dans le style oratoire, dans le difficulté vaincue, voient en ce petit objet, spéci-
vêtement. dans le mobilier, même dans l'ivory- men peut-être unique, un chef d'œuvre d'art et
sculpture. Je n'en veux pour preuve que certain de goût.
beau bas-relief de cette époque figurant des attri- R. GIRAUD.
buts guerriers et pièces d'armure antiques. (A suivre.)
LASYNTH~SE DE LA PAROLE
A côté des grandes découvertes ou .des inven- Au cours d'une récente communication faite à
tions ingénieuses qui apportent à l'homme plus l'Institut sur cette intéressante question, le
de bien-être, qui multiplient en quelque sorte Dr Marage nous a révélé par suite de quelles
son activité ou qui facilitent cette lutte pour la expériences qui se sont prolongées pendant
vie à laquelle nous sommes tous condamnés; il cinq 'années, il était arrivé à reproduire exac-
ya l'immense domaine de la théorie spéculative, tement, avec une sirène de son invention, les
de la science pure, aussi de la recherche expéri- cinq voyelles fondamentales, base de toute lari-
mentale, où tant d'esprits se complaisent aux gue. Nul doute qu'il ne puisse:, en procédant de
problèmes les plus ardus en apparence, souvent la même manière, obtenir la synthèse des syl-
en réalité les plus féconds. labes simples, comme ba, be, bi, bo, bou, par
M. Marage, docteur en médecine et docteur ès exemple, puis, des formes plus compliquées, et
sciences, est un de ces esprits distingués dont arriver enfin à la reproduction mécanique de
les recherches, d'ordre purement scientifique, n'importe quelle succession de mots.
ont déjà donné des résultats pratiques utilisables, Ce jour-là, qui n'est peut-être pas si éloigné
parfois même très importants, consacrés d'ail- qu'on le pense, la machine parlante sera in-
leurs, à plusieurs reprises, par l'Institut et par ventée.
l'Académie de médecine. Nous ne parlons donc Avant d'exposer, en termes aussi clairs que
pas d'un nouveau venu, loin de là, quoique M. !le possible, la très curieuse théorie de la formation
docteurM,arage soit jeune encore et que son nom des voyelles, telle que l'a définitivement éta-
soit plus familier souS les coupoles que dans les blie M. Marage, rappelons brièvement les parties
salons mondains. essentielles dont se compose l'appareil vocal.
Fréquemment, nous avons eu l'occasion de Le larynx, d'abord, formé par les cartilagessupé-
tenir nos lecteurs au courant des principaux rieurs de la trachée et qui peut être consi~
perfectionnements apportés aux appareils desti- déré comme un conduit traversé par un courant
nés à l'enregistrement ou à la transmission de d'air sous une pression variable (3 à 16 centi-
la voix humaine. Le savant aussi modeste que mètres d'eau). Pendant la phonation, ce courant
consciencieux dont nous parlons s'est occupé, est interrompu plus ou moins complètement par
lui, de réaliser la synthèse de la parole. les cordes vocales, qui ne sont' autres, ainsi
qu'on sait, que les ligaments inférieurs de la Dr Marage pour faire la synthèse en question.
glotte, organe par excellence de la voix humaine. Nos lecteurs n'ignorent pas qu'on appelle sirène,
Au-dessus des cordes vocales se trouvent les en terme de physique, un instrument qui per-
ventricules de Morgagni, dont M. Marage a spé- met de produire à volonté des sons de hauteur
cialement étudié le rôle, et auxquels semblent variable en calculant, en même temps, le nom-
devoir être attribuées les caractéristiques du bre de vibrations correspondant à ces sons.
timbre vocal, particulier à chaque individu. Dans l'appareil que nous décrivons, lequel est
Enfin, l'appareil phonateur se complète par le mis en mouvement au moyen d'une.courroie
pparynx, le nez et la bouche, qui remplissent les sans fin et d'une dynamo de HO volts, le plateau
fonctions de résonnateurs. inférieur est percé d'une seule fente triangu-
Ajoutons ici que la cavité buccale peut ren- laire, représentant l'ouverture de la glotte. Le
forcer, suivant la forme qu'on lui donne, tous plateau supérieur est percé de fentes égales et
les sons compris entre si bz et si be, soit quatre dirigées suivant les rayons du disque mobile. Ce
octaves. En outre, se- dernier setrouve ren-
lon les calculs de Des- fermé dans une petite
pretz, la limite des caisse cylindrique
sons perceptiblesvarie qu'on aperçoit sur le
entre 32 et 73. 700 vi- côté intérieur de l'in-
brations à la seconde. strument. L'air, arri-
Le champ est donc in- vant par la face pos-
finiment vaste, que térieure sous une
celui où le docteur Ma- pression assez faible,
rage a placé son do- s'échappe par le tube
rnaine. perpendiculaire cou-
L'expérimentateur, dé, disposé à hauteur
pour arriver à la théo-- de l'espace glottique.
rie de la formation des Pour reproduire A,
voyelles, qui fait l' 0 b- il suffit de pratiquer,
jet de cet article, a dans le plateau mo-
commencé par l'opé- bile, trois fentes ou-
ration préliminaire et vertes, séparées par
indispensable de l'a- un intervalle plein,.
nalyse. Abandonnant de manière à obtenir
les méthodes peu pré- un groupement de
cises de ses prédé- trois vibrations. Pour
cesseurs, Helmholtz, reconstituer l'E et
Kœnig, Hermann, 1'0, il faut que les
Auerbach, Bourseul, fentes du disque
perfectionnant celles mobile soient prati-
plus récentes de quées,par groupesde
SChneebeli et de 'Sa- deux. Elles seront
Sirène donnant en haut la voyelle émise par le larynx seul,
mojloff, il a créé un en bas, la voyelle parlée. très larges pour 0, et
appareil, dont la des- au contraire très étroi-
cription nous entrainerait trop loin, qui lui a tes pour E. Enfin, si l'on veut reproduire 1 et
permis d'enregistrer par la photographie les dif- OU, on fera des ouvertures équidistantes, larges
férentes sortes de vibrations produites, dans un et triangulaires pour OU, petites et longues pour I.
temps donné, par toutes les voyelles. Ceci donne bien la synthèse des cinq voyelles,
Il a ainsi trouvé que les voyellesl, U, OU étaient mais il y manque le timbre, l'accent, la vie, ce
représentées graphiquement par une vibration je ne sais quoi qui constitue comme la caracté-
simple; E, EU, 0 par ungroupede deuxvibrations, ristique de la parole humaine. Si l'appareil pho-
et A par un groupe de trois vibrations. Après avoir nateur ne se composait que du larynx et des
analysé les voyelles parlées, chantées, et avoir cordes vocales, nous parlerions exactement
déterminé leurs vocables ou notes correspondant comme la sirène du Dr Marage. Nous avons vu
à chacune d'elles, M. Marage s'est occupé de qu'il y a autre chose.
l'opération inverse, plus délicate encore la Grâce à l'aide de son confrère, M. Roussel,
reconstitution des voyelles d'après leurs élé- et c'est ici surtout que deviennent vraiment sug-
ments. gestives dans leur nouveauté les recherches du
On va voir que, sous une apparence plutôt savant praticien, il a pu mouler l'intérieur
sévère, ces recherches devaient offrir, même aux complet de la cavité buccale, en lui conservant
profanes de l'acoustique, un intérêt primordial. la forme qu'elle prend lorsqu'on prononce une
La figure 1 montre la sirène imaginée par le voyelle donnée. Il a fait également'construire
LE MAGASIN' PITTORESQUE
les ventricules de 'Morgagni, en-suivant les di- tre, type grâce auquel il devient aisé de me-
mensions indiquées par l'anatomiste Sappey, et surer l'acuité auditive, avec une extrême pré-
ce sont ces cinq moulages, que montre lafigure 2, cision. Le même appareil, qui a, du reste, été
qui, ajoutés à la sirène où ils feront l'office de couronné par la Faculté de médecine, peut faire
résonnateursj vont donner le timbre de la voyelle fonctions de masseur du tympan et améliorer
dont nous n'avions entendu tout à l'heure que le considérablement certains cas de surdité en
chuchotement. Cette fois, la reproduction est reproduisant sur la membrane de l'oreille, avec
complète, parfaite même la synthèse a con- une intensité graduée, les vibrations fondamen-
firmé les résultats promis par l'analyse. tales de la parole.
De plus, au moyen de ces moulages, on peut Comme nous le disions au début de cet article.,
déterminer la vocable, autrement dit la note qui les applications du principe découvert par, le
accompagne chaque voyelle. Ces vocables varient Dr Marage sont très nombreuses, surtout dans
un peu suivant la le domaine patho-
forme du résonna- logique. Nous ve-
teur buccal, mais nons d'en citer une,
elles se rapprochent la plus importante
beaucoup, quel que peut-être; il y en a
soit l'individu, des d'autres.
notes suivantes Ainsi on pourrait
OU 0 A É I profiter de ces expé-
ré, faa sol, si3 ré4
riences pourl'éduca-
tion des sourds-
Ori voit donc que, muets, qui s'en trou-
pour prononcer la verait considérable-
succession desvoyel- ment facilitée. De
les dans l'ordre indi- même pour l'ensei-
qué ci-dessus, la voix gnement du chant, si
s'élève exactement peu scientifiquement
d'une octave, ce qui donné en général, et
ne laissera pas'd'é- pour l'étude d'appa-
tonner bien des gens reils acoustiques ap-
auquels jamais l'idée propriés à chaqu'e cas.
ne serait venue qu'ils M.Marage propose
chantaient en par- également de modi-
lant, comme fier d'après ses mé-
M. Jourdain faisait thodes les sirènes des
de la prose, sans navires afin de leur
le savoir. faire chanter toute
Cette synthèse une gamme parlante,
complète, confirmée Moulage de la bouche prononçant une voyelle. ce qui permettrait
par les expériences d'établir un alphabet
personnelles du Dr Marage et celles de M. Sa- international. Et pourquoi pas? Bien d'autres in-
mojloff, réalisées dernièrement au laboratoire venteurs y ont déjà songé, qui n'avaient ni les
de Koenigsberg, a permis à l'auteur de cette connaissances techniques ni l'autorité du Dr Ma-
ingénieuse méthode, de construire un acoumè- rage. EDOUARD 13ONNAFFÉ.
LE TSAR A COMPIÈGNE
Nicolas Il et la tsarine vont être, durant quel- sédé d'Espagne, et, deux ans plus tard, y ac-
ques jours, les hôtes de la France, amie et alliée cueillit une autre -archiduchesse d'Autriche,
de la Russie. Et à leur venue se réveille tout un Marie-Louise, la nouvelle impératrice des Fran-
passé de gloire et d'élégance, qui dormait au châ- çais que Louis-Philippe y célébra le mariage de
teau de Compiègne, résidence du couple impérial. sa fille aînée avec Léopold 1er, roi des Belges.
Ici même, nous avons parlé déjà de ce merveil- Enfin l'on n'a pas oublié les brillantes fêtes et
leux palais et nous nous contenterons de rap- les chasses splendides qui furent données à Com-
peler brièvement que, construit par l'architecte piègne par Napoléon III.
Gabriel, il date de Louis XV que ce roi y reçut Le palais est rempli d'œuvres d'art, d'un ines-
la jeune archiduchesse Marie-Antoinette, sur le timable prix et dont la seule énumération tien-
point d'épouser le dauphin; que Napoléon 1er y drait plusieurs colonnes du tl~agasin Pittoresque.
relégua, en 1808, Charles IV, souverain dépos- Citons, entre autres merveilles, des tableaux de
Carrache, Coypel, Oudry, Lancret, Van der Meu- chaussée est celle de Napoléon 1er et de Napo-
len, J. Vernet; des tapisseries des Gobelins; des léon III. Elle a conservé le lit du grand capitaine
statues de Clésinger, des bas-reliefs de B~auvanet. qui fit trembler l'Europe sur le parquet on dis-
Ce sont les ancièns appartements de Marie- tingue un cadran solaire en cuivre, tracé par
Louise et de l'impératrice Eugénie qui sont Louis XVI.
réservés à la tsarine. Les salles sont fort nom- Nicolas II et la tsarine seront logés dans l'aile
breuses. La chambre à coucher que précède le droite du château.
luxeuxsalon des dames d'honneur, sacheminée Le Président de la République, lui, s'installera
s'enorgueillit de la plus belle pendule de la Mal- dans l'aile gauche réservée jadis aux membres de
maison est somptueuse avec son large lit doré, la maison de Napoléon III. Les salles de l'appar-
orné de cygnes, ses commodes, les dessus de tement de M. Loubet sont confortables, certes,
porte de Dubois et le plafond de Girodet. Le mais beaucoupmoinsluxueusesquecelles qu'il a
cabinet de toilette, à côté de la chambre à coucher, réservées aux souverains russes. Mais n'est-ce
est le plus joli nid bleu que l'on puisse rêver. pas le chef d'un maître de maison de se sacrifier
La chambre à coucher du tsar située au rez-de- pour ses hôtes ? E. B.
A T( T( E = lY~ A R I E
NOUVELLE
Dans le demi-jour tamisé par les stores de soie Et dans sa tête, elle repassait toutes les tris-
rouge à moitié baissés, le vestibule s'étalait su- tesses qu'elle venait de subir.
perbe, très large et très élevé, entièrementtendu Certes, il avait fallu qu'elle fût joliment mal-
de tapisseries du commencement du XVII" siècle, heureuse pour quitter le pays, cette belle Bre-
représentant en grandeur naturelle les chasses de tagne, qu'elle aimait tant. Mais sa mère était
Maximilien le Taciturne. Au centre un énorme morte après une longue maladie qui coûta bien
lustre flamand en cuivre jaune, garni de bougies cher, et depuis le jour où son père fut enlevé
de cire, jetait une note claire sur le milieu sévère par un coup de mer, il n'y avait guère d'argent à
de la pièce. Dans le panneau principal de chaque la maison. Tout ce qu'elle possédait se trouva
côté d'une table Louis XIII en noyer, incrusté de vendu; à- peine lui restait-il de quoi prendre le
bois noir, deux escabeaux de la Renaissance chemin de fer. Car elle ne voulait à aucun prix
italienne montraient la difformité étrange de demeurer seule là-bas. Jean était bien parti, lui
leurs ornements fantastiques à droite, derrière aussi, après la mort de ses parents; et l'on racon-
une portière relevée, apparaissait l'escalier, mo- tait qu'il faisait de bonnes affaires à Paris. Elle
numental, avec sa rampe en bois sculpté, et irait le trouver, lui conterait ses malheurs. Pour
son tapis de moquette rouge, épais et soyeux. sûr il prendrait soin d'elle, de sa petite compa-
Le timbre résonna et deux valets de pied en gne d'enfance. Et elle n'avait pas hésité.
culotte courte, qui sommeillaient, se précipitè- C'est que d'abord le cliemin de fer lui parut
rent à la porte. joliment dur, à elle qui n'y était pas habi-
Ce fut une petite paysanne qui se présenta tuée'; et puis en troisième, l'administration n'a
toute mignonne sous son grand châle à carreaux, pas pris soin de faire rembourrer les banquettes.
la tête surmontée du bonnet habituel des Bre- Elle se sentait lasse, mais lasse à dormir debout.
tonnes, elle s'avança sautillante, comme si elle N'importe les mauvais jours étaient passés,
eût hésité à marcher sur le tapis, quasi intimidée puisqu'elle retrouvait son cousin, et qu'elle le
devant la solennité de l'hôtel. retrouvait riche, mais riche au-delà de ses espé-
M. Jean Johan ? demanda-t-elle. rances. Et ses yeux, involontairement, se fer-
Je vais m'assurer si M. le baron est visible, maient devant cet éblouissement de splendeurs
mais j'en doute, répondit l'un des domestiques, qui l'étourdissait.
après avoir toisé insolemment la visiteuse. Jean Johan possédait en effet une immense
Vous direz que c'est Anne-Marie, ajouta-t- fortune. Parti de Dol avec quelques francs dans
elle. sa poche, il eut la chance inespérée, en arrivant
Et elle s'assit pour attendre. à Paris, d'entrer comme commis chez un ban-
Maintenant elle regardait autour d'elle, étonnée quier, à de très modestes appointements, il est
de ce luxe. Ce n'était pas, Dieu possible, que tout vrai mais il ne devait pas tarder à s'élever au-
ceci appartînt à Jean Johan, le fils du frère de dessus de ses semblables.
sa mère, lui, qui n'était guère fortuné, là-bas, Le démon de la spéculation qui, de suite, pos-
non plus à Dol, avant qu'il vînt à Paris pour y sédale jeune homme jointàl'entêtement de sa race
gagner de l'argent. Faut croire qu'il avait joli- l'avaient poussé peu à peu aux plus folles entre-
ment réussi Il se faisait appeler Monsieur le prises. Mais tout lui souriait: il ne pouvait mettre
baron, à présent1 son nom dans une affaire sans la voir prospérer
au-delà du possible. Ce fut ainsi qu'en très peu embelli, embelli par le bonheur, par ce luxe qui
de temps, il devint le spéculateur le plus redou- lui faisait comme une auréole. De suite il lui prit
table du marché parisien. Le petit Jean Johan, l'envie de se jeteràson cou mais elle se contint.
entré à Paris avec un paquet de hardes sur « Bonjour, Jean », dit-elle.
l'épaule était devenu M. le baron Johan. Oui, Il se retourna, indifférent en apparence. Ce-
Paris s'était jeté dans les bras de cet aventurier pendant ce « bonjour, Jean tout court lui déplut.
de basse origine, dont la volonté de fer, presque te domestique écoutait peut-être derrière la
géniale, remuait les millions comme des grains porte. Il attendit avant de répondre.
de sable. « Bonjour, ma chère, fit-il posément, pesant
La dernière émission lancée mettait le comble ses paroles. Vous êtes donc venue voir Paris?
à sa réputation. Les actions surchauffées montè- Oh j'y suis venue.pour toujours.
rent à un taux vertigineux, et l'agiotage effréné Et elle commença le récit de ses malheurs la
qu'elles cachaient affola la Bourse entière. Le mort de ses parents, sa pauvreté, « Il lui restait
nom de Jean Johan, le héros du jour se bien quarante sous dans sa poche »
trouvait dans toutes les bouches; il lui suffisait Alors elle avait pensé au cousin Jean; et elle
de faire un signe pour ébranler la France entière. était partie pour Paris, comptant sur lui comme
Enfermé dans son cabinet, il réfléchissait jus- sur son bon ange.
tement à une nouvelle opération qu'il désirait A mesure qu'elle parlait, le front de Jean se
greffer sur la dernière Le Secours mutuel une rembrunissait.
idée superbe, une sorte de caisse centrale, ré- Ah elle lui dèmandait de la secourir une qué-
pondant à tous les besoins, à toutes les jouis- mandeuse alors
sances, à tous les vices même, et dans laquelle Après tout, il se moquait pas mal de sa cou-
l'argent allait s'entonner de nouveau avec fracas. sine. Avec cela qu'elle lui faisait honneur, avec
Qui ne voudrait prêter la main à ce « secours » son air niais et ses manières campagnardes. Elle
mis à la portée de toutes les bourses, garantis- se figurait peut-être qu'il allait la prendre chez
sant des produits énormes, une sorte d'assurance lui.
monstre, reposant sur les bases les plus solides. ne puis rien pour vous, ma belle »»
« Mais je
Déjà bourdonnait dans sa tête le boniment du Pour le coup Anne-Marie crut qu'elle allait
prospectus qu'il comptait lancer au plus tôt. Au- s'évanouir.
paravant, il songeait à en parler à Kahen, le Il ne pouvait rien pour elle Ainsi il l'avait
grand Kahen, son alter ego, celui en qui il pla- oubliée son coeur était de pierre Mais qu'est-ce
çait toute sa confiance. A eux deux, ils boulever- qu'elle deviendrait maintenant ?
seraient les vieilles rengaines des crédits mal Elle se fit humble, toute petite. « Il ne pou-
équilibrés; et lui, Johan, trônerait au-dessus de vait l'abandonner. Qu'est-ce qu'elle ferait, seule,
cet immense édifice, pareil à un roi. sans argent, sur le pavé de ce Paris qu'elle ne
« Il y a là une. personne qui désire parler à connaissait pas? Elle y mourrait bientôt de faim
M. le baron ». c'était évident. »
Le domestique venait d'entr'ouvrir discrète- Puis elle s'échauffait « C'était mal de la traiter
ment la porte. « M. le baron tomba du rêve, ainsi. Après tout, le même sang coulait dans
dans la réalité, leurs veines. >>
« Qu'est-ce ? » Et sa voix prit tout à coup des inflexions
« C'est une jeune fille; elle a l'air d'une tendres.
paysanne. Elle m'a chargé de dire à M. le baron Elle lui parla du pays, de leur beau pays, de la
qu'elle s'appelait Anne-Marie ». vieille cathédrale, du mont Dol surmonté de la
Anne-Marie qui cela pouvait-il être?2 petite tour consacrée à la Vierge, où ils avaient
Ah oui, cette petite cousine de Dol. Dol joué si souvent ensemble. Ilne se souvenait donc
comme c'était loin, maint~enant 1 plus lorsqu'ils parvenaient en haut, essoufflés,
Sans doute était-elle venue à Paris pour son c'étaient de tels cris de joie Et le splendide ho-
plaisir, et désirait-elle lui dire bonjour avant de rizon qui se déroulait devant eux et au loin, très
repartir. loin, la masse informe du mont Saint-Michel, se
Elle arrivait bien mal à propos Mais quand détachant dans une poussière dorée. Il ne s'en
même il n'hésita pas à la recevoir. Au fond il ne souvenait plus
se sentait pas fâché de se montrer à elle dans Il ne se souvenait plus de leurs longues confi-
l'étendue de sa puissance elle allait en raconter dences Ne jurèrent-ilspoint même de s=épouser
là-bas, sur son compte. plus tard? Et voilà qu'aujourd'hui il la reniait.
« Faites entrer, ordonna-t-il ». Elle le gênait donc? C'était donc déshonorant de
Anne-Marie s'arrêta un moment sur le seuil de l'avoir pour parente? Oh non, il ne pouvait pour-
la porte. Toutes çes vastes pièces traversées lui tant la laisser mourir de faim
en imposaient; l'or répandu à profusion lui brû- Jean écoutait, impassible en apparence, mais
lait les yeux. très ennuyé du scandale. Cette femme le ridi-
Oui, c'était bien lui moins jeune, mais.plutôt culisait tout simplement c'en était trop.
Il tira de sa poche son porte-monnaie, en sor- jalousie, les vices les plus honteux, les débau-
tit un louis, le mit dans la main d'Anne-Marie. chesles infâmes! Ah! c'était du propre, la vie1
« Voilà tout ce que je puis faire pour vous, Et puisqu'il se trouvait à présent du mauvais
dit-il d'un ton rude. côté,'mieux valait en finir de suite.
Puis s'adressant au domestique qu'il venait de Il s'apprêtait à sortir, quand il lui sembla
sonner, il ajouta « Joseph, reconduisez made- entendre des pas dans l'escalier. Qui diantre
moiselle ». pouvait monter si haut à cette heure? Seul dans
cette mansarde, il n'attendait guère de visites.
Tout-à-coup la porte s'ouvrit; une femme se
La chambre était noire et triste avec ses murs présenta.
couverts d'un papier graisseux et sa fenêtre à C'est moi, Anne-Marie, dit-elle.
tabatière placée très haut dans le plafond man- Anne-Marie par exemple, il ne l'avait pas
sardé. A peine quelques vieux meubles à demi- reconnue! ·
brisés une toilette boiteuse, un lit de fer, une C'est qu'elle lui paraissait très gentille, vêtue
commode maculée de taches, une seule chaise d'une robe simple mais proprette, comme 'une
de paille, sur laquelle se tenait Jean Johan, mé- petite Parisienne, jolie sous ce costume qui lui
connaissable. Sa barbe, qu'il avait laissé pousser, seyait à merveille.
pendait roussâtre le long.de sa figure amaigrie; Anne-Marie! il y avait bel âge qu'il l'avait
ses vêtements en lambeaux, où perçait encore la oubliée 1
coupe du bon faiseur aux bordures déchiquetées; Oui, c'est moi, Anne-Marie pour sûr j'ai
point de chemise de toile un simple col en pa- eu de la peine à te trouver, Jean. Il y a longtemps
pier devenu noirâtre, une misère affreuse, que je te cherche, depuis que j'ai appris ton
après une fortune resplendissante. malheur. Eh bien! que deviens-tu?
Ah! comme tout ceci arriva vite! Comme les Il balbutiait sans répondre, gêné des idées de
les évènements s'étaient précipités L'ébranle- suicide qui lui remontaient au coeur..
ment d'abord, un ébranlementsuccessif du coup Enfin, je t'ai trouvé, c'est l'essentiel. Tu
qu'il avait monté la baisse rapide, inattendue, ne parais guère fortuné, mon pauvre ami. Il va
invraisemblable de ses actions du Secou~~s mutuel falloir changer tout cela. Tu sais, je t'em-
mille francs en un jour puis l'effondre- mène.
ment, un effondrement effroyable, qui le jeta Elle lui expliqua « Elle avait tout arrangé
impuissant et sans le sou, à la rue. dans sa tête. Ils vivraient ensemble. Elle pos-
Et ce Kahen, cet infâme Kahen Comme il sédait un gentil appartementdeux chambres
l'avait odieusement lâché! Lui seul était cause chacun la sienne ce serait charmant. Elle se
de tout. La veine d'autrefois l'offusquait peut- sentait si heureuse de lui rendre service! Et il
être il jalousait sa fortune à lui, Johan, ses n'allait pas s'aviser de refuser c'était de bon
réussites sans cesse renouvelées; et maintenant cœur qu'elle l'offrait ».
il s'en vengeait en le laissant glisser épouvanta- Jean l'écoutait, comprenant à peine ce flux de
blement dans la boue. La misère, chose horri- paroles.
ble la misère gantée où l'on a froid, où l'on Ainsi elle rendait le bien pour le mal. Ah1
a faim, où l'on n'ose demander ni un morceau elle était bonne. trop bonne. Il ne méritait
de .bois, ni un morceau de pain, pour ne pas pas cela.
mourir. Et il rougissait, pris de honte au souvenir
Un découragement profond s'était emparé de subit de la manière dont il l'avait traitée jadis!
lui. Depuis des mois qu'il traînait ainsi sa misé- Anne-Marie parut se douter de la pensée qui
rable existence, ce qu'il souffrit était incalcula- lui passait par la tête.
ble. Partout où il s'était présenté, on l'avait « D'abord elle ne lui en avait
jamais voulu. Il
éconduit, rudoyé presque. Ah! elles semblaient était certain qu'il ne pouvait la recevoir alors
dures tout de même, les hontes subies1 elle aurait fait une jolie figure dans ses salons!
Plusieurs fois des idées de suicide hantèrent Mais il ne fallait plus songer au passé il fallait
son esprit. Il ne se sentait plus la force de sup- arranger leur vie. FIle s'était procuré une bonne
porter plus longtemps une semblable existence. place demoiselle de magasin au Louvre. On
Il fallait une bonne fois en finir. Ne lui restait-il l'aimait beaucoup; un de ces jours, elle passeraitt
point la dernière étape des désespérés la co- première. Ainsi sans honte il pouvait venir chez
lonne Vendôme ou la Seine Cela ferait un elle elle possédait de l'argent pour deux; et
joli fait divers dans les journaux Et il riait pres- puis il ne pouvait lui refuser cela. »
que à cette pensée il riait d'un rire forcé et Et comme celui-ci, très ému, étourdi, écrasé
lugubre. par ce dévouement se tenait devant elle, en pleu-
Certes oui, il valait mieux mourir, puisque le rant
monde est ainsi fait qu'il vous abandonne, dès « C'est que, vois-tu, je n'ai
jamais cessé de
que l'on est malheureux. Que rencontre-t-on en t'aimer, mon Jean, dit-elle.
somme autour de soi? L'envie, la calomnie, la JEAN BERLEUX.
Arts même, on la plaisantaH une chanson d'atelier
La Quinzaine a pour refrain « Terne comme un graveur ».
Vinrent, en pleine possession de leurtalent, Chap-
lain, Roty, ce pauvre Dupuis qui se suicida lorsqu'il
avait enfin vaincu la Renommée qui l'avait longtemps
LETTRES ET ARTS fui. La médaille fut tout à coup en grande vogue; on
forma des médaillers où on mit un peu de tout,
On achève la frappe et la distribution des derniers avec, heureusement, d'incontestables chefs-d'œuvre
souvenirs de l'Exposition de 1900, qui semble si comme cette plaquette commémorative de la mort
loin de nous, à un an de date seulement! A l'encontre de M. Carnot, où à l'avers une théorie porte au Pan-
.des précédentes, cette grande entreprise n'aura vécu théen le cercueil du Président. Il y a maintenant un
que juste la durée de sa vie. Elle était trop épar- coin des médailles, dans chaque salon où on se pique
pillée on le voit mieux encore aujourd'hui que l'on d'aimer et d'encourager les Arts. Nulle passion n'est
parcourt les espaces parsemés de carcasses de fer, plus noble et plus justifiée, quant aux conséquences
qui furent tant de merveilles. Les distances appa- historiques que la médaille peut avoir, dans l'avenir,
raissent immenses. Si on recommence dans quel- et quant aux jouissances artistiques très complètes
que dix ou vingt ans, un aussi colossal effort, on se qu'elle est à même de procurer si elle est parfaite.
souviendra sans doute de cette cause de diminution Mais il se trouve que la valeur d'une production et
de succès. d'acquisitions hâtives ne correspond pas, en général,
Donc, tour à tour, les membres de tous les comités à ce double but.
d'admission et des jurys de divers ordres reçoivent, On le remarque principalement pour les comman-
par la poste, une boite qui contient une plaquette de des de l'État qui n'a pas de chance dans ses entre-
bronze argenté ou d'argent et qui constitue le remer- prises d'art; chaque tois qu'il fait « acte de Mécène Il,
ciment officiel de l'administration. ce qui est son devoir, il donne prise à de vives criti-
C'est une gracieuseté sur laquelle on n'osait plus ques. Ne sait-on pas les déceptions qu'a produites le
guère compter car, en dehors des décorations et de concours de timbres-postes,qui ont quelque analogie,
quelques invitations souvent assez mal réparties, les au point de vue des règles de la composition, avec la
milliers de bons négociants, industriels, gens de médaille? Et la frappe des nouvelles monnaies, si on
lettres, artistes, etc., qui ont prêté un concours fort met à part la semeuse de Roty, mais enfin c'est tou-
désintéressé à MM. Picard et Cie n'avaient pas vu beau- jours Roty? Et tant d'autres souvenirs officiels qui,
coup récompenser leur zèle et rémunérer leur perte comme ces plaquettes de l'Exposition, ne nous redi-
de temps. sent pas assez éloquemment, assez clairement pour
Ces plaquettes marqueront, dans les familles, la tous, ce que nous voudrions leur voir dire? Les médail-
mémoire d'une collaboration qui fut, pour quelques- leurs, nous semble-t-il, ont un tort, celui de n'êlre
ûns, très active et préoccupante. Elles sont de diffé- pas de leur temps. Ils ont à leur disposition, à la
rents modèles, selon la nature des études du Comité suite de longues et délicates étude,, un magnifique
les « sportifs » ont, à l'avers, une allégorie tradition- procédé d'expression des choses de lanature et des
nelle qui montre la France triomphante; au revers, êtres qui vivent, parlent, agissent; ils sont en état de
une composition, égalementallégoriqueet classique, rendre, avec une force ramassée très particulière,
symbolise certains exercices du plein air. Ensemble tout ce qui pense, s'agite, palpite autour d'eux. Et ils
« satisfaisant II, rien de plus, sans note particulière. s'en tiennent trop à des leçons d'école qui leur four-
Pour les groupes industriels et commerçants, c'est nissent des symboles en trop grand nombre. Nous
aussi, d'un côté, une jeune femme à l'allure superbe sommes fatigués du Temps avec sa faux, de la For-
qui étend sur le monde une main protectrice et paci- tune avec sa roue, du Neptune avec son trident et de
fiante. Bonne pensée, mais un peu banale. Pour l'autre tant d'antiquailles. Pour une médaille sportive de
côté, l'artiste a été mieux inspiré il a reproduit sur l'Exposition, par exemple, au lieu d'un « coursier »,
le métal l'admirable perspective des Palais des Inva- le pur-sang de Longchamps, en pleine action, aurait
lides, vus du pont Alexandre III et son image a un mieux rappelé ce qu'est l'hippodrome actuel. Et un
relief en même temps qu'une justesse de réduction rameur aux bras nus, en maillot, avec sa calotte
des proportions architecturales qui font le plus bel ronde, nous aurait plu davantage qu'un athlète clas-
effet. C'est M. Roty qui a exécuté cette plaquette et sique peinant sur une trirème.
elle est digne de sa réputation, du moins en ce qui Au surplus, l'État n'est pas seul à soùffrir de cette
concerne la seconde composition. pénurie d'inspiration ou plutôt de ce défaut d'initia-
Cependant, on peut regretter de n'avoir pas en tive ou d'audace. Rien n'est plus navrant qu'une
main une œuvre encore plus complètement expres- expositiond'objets d'art offerls à des sociétés lyriques
sive et plus « moderne ». L'art du médailleur, à cet ou à des champions sportifs par de généreux dona-
égard, a besoin d'une évolution. On l'a, soudain, en teurs. Nous en voyions, récemment, une collection
quelque sorte, « découvert II, ces temps derniers. Les stupéfiante dans une bonne petite ville de province.
collections de médailles antiques nous disaient assez La Fanfare et la Gymnastique locale offraient leurs
éloquemment ce qu'on peut attendre de ce genre, trophées à l'admiration de leurs concitoyens. C'était
puisqu'on a su reconstituertout une époque, tout une une exhibition de médailles avec têtes laurées unifor-
existenèe de roi
ou d'empereur grecs, romains, etc., mément, aux profils communs et insignifiants; puis
rien qu'en consultant des effigies trouvées dans des des couronnes de lierre fondues à la douzaine et
tombeaux; ainsi a fait, par exemple, M..Théodore vierges de la moindre retouche du burin. Et encore
Reinach pour Mithridate, roi du Pont. Mais, à l'ex- des statuettes de terre-cuite ou de zinc peint, dont
ception de ces amateurset de cessavants, la médaille les sujets éiaient désolants d'ineptie ou de convenu.
laissait froid le grand public. A l'École des Beaux- La Fanfare, pour comble de malheur, avait gagné
trois fois de suite un marin à l'abordage et deux vers le plateau du Pamir (1889-90) a fait époque dans
fois une marquise en promenade, l'ombrelle à la les annales de l'exploration; il s'agissait de traverser
main. un pays que Russes et Anglais s'efforçaient vainement
Est-ce que, dans les magasins ou s'achètent ce~ d'aborder depuis de longues années. Ce que n'ont
choses il n'y a rien de plus neuf, de plus actuel, pas pu faire les armées d'explorateurs soutenus par
de plus l< vivant »? Pourquoi les générosités indivi- leurs gouvernements, les deux intrépides Fran'7ais
duelles sont-elles condamnées àcpg perpétuels lamen- l'ont accompli à la stupéfaction des indigènes du
tables « recommencements n? L'éducabon du ~oût, pays, Chinois, Thibétains, et il la grande joie des sa-
aussi bien celui des artistes que celui des clients, est vants européens auxquels les voyageurs rapportèrent
à entreprendre, dans ce sens encore. Que de jolis une riche moisson de documents nouveaux.
modèles produit l'art industriel tel qu'on l'aperçoit, Le prince Henri devait s'illustrer par un autre
au musée Galliéra! Et combien ces bijoux, ces vases, grand voyage il y jouait cette fois le rÔle de chef
ces petits meubles aux formes élégantes et affinées, et de guide en compagnie du lieutenant de vais-
feraient plus de plaisir que les marins à l'abordage et seau E. Roux.
les bergères de pendule C'est le temps des concours C'était en terre française, mais française nomina-
orphéoniques et autres. Il existe précisément des in- lement, sur papier, puisque la région était entière-
specteurs, fonctionnaires appointés, de « ces luttes » ment inconnue.
pacifiques ». Que ne s'occupent-ils aussi bien des Le prince et son compagnon tentèrent de franchir
fautes de goût que des fautes de. lecture à vue? la région située entre le Tonkin et l'Inde et recon-
PAUL BLUYSEN. naître les sources de l'Irraouaddi. C'était un véri-
table voyage de découvertes dans le cœur de l'Asie.
Ils ont réussi au-delà de tout ce que l'on pouvait es-
Géographie pérer, Ce fut unejournée triomphale, le H mars 1896,
lorsque l'explorateur exposa les principaux résultats
de son voyage, à la Sorbonne, devant une assemblée
d'élite, La réunion était organisée par la Société de
Le prince Henri d'Orléans. Nordenskitild Géographie qui accorda au vaillant voyageur la grande
Deux morts viennent d'attrister le monde des géo médaille d'or, sa plus taute récompense. Le gouver-
graphes. L'une d'el- nement, représenté
les nous est particu- à cette mémorable
lièrement sensible cérémonie, attacha
avec le prince Herni le ruban rouge à la
d'Odéans enlevé à poitrine du jeune
la fleur de l'âge, dis- prince; la croix
pal'ait l'une des fi- ainsi conquise re~
gures les plus ol'igi- vêtait une signifi-
nales et des plus cation autre que
sympathiques du celle que certains
monde colonial princes trouvent
fl'an(:ais. dans leur berceau,
Né en .1867, le Mais si la valeur
pI'Ïnce Ilenri d'Or- intrinsèque dé
léans, fils du duc l'homme était gran.
de Chal'tres, avait de, plus grandes
donc à peine tren- étaient encore les
te-quatre ans. A conséquencesd'une
vingt ans, à l'àge où carrière choisie par
d'autres jouent au
un représentant
lawn-tennis, le d'une 'grande fa-
prince Henri par- mille. Le vaillant
courait l'Inde an- explorateur nous
glaise, se rendant était particulière-
compte de l'admi- ment cher et la POS7
nistratiou britanni- térité aura à véné-
que de ce pays. Il a rer la mémoire du
effectup, depuis, prince Henri d'Or-
soit seul, soit en léans comme celle
compagnie d'esplo- d'uninitiateur,d'un
rateurs profession- homme qui aura
nels, des voyages ouvert la voie et
d'études dans diffé- indiqué le çhemin à
rentspays du globe, une pléïade de jeu-
abordant avec har- nes esprits nés dans
diesse les régions Le Prince Henri d'Orléans. l'opulence et diri-
les moins accessi- geant leurs efforts
bles Thibet, Abyssinie, Madagascar, Indo-Chine. vers le bien public, au lieu de jouirtranquillementde
Son voyage, en compagnie de G. Bonvalot, à tra- l'heureux hasard de leur naissance. Nombreux sont
actuellement les jeunes Français pourvus de fortune nord-est, rêve des navigateurs polaires, qui, durant
et qui se vouent à l'œuvre nationale, en explorant des deux siècles en ont en vain tenté ta traversée.
pays inconnus où ils représentent dignement le nom Mais ce qui nous paraît plus particulièrement mé-
francais. ritoire dans la vie du navigateur, ce fut sa vaste éru-
Une véritable petite armée coloniale et d'explora- dition. En plus des nombreux rapports et mémoires
tion s'est recrutée ainsi, sur l'indication et suivant relatant les résultats de ses explorations, Nordens-
l'exemple fourni par le prince d'Orléans. Le marquis kiÕld s'est révélé savant historiographe de la science..
de Barthélemy, le comte de Neufville, le duc d'Uzès, Deux de ses principales œuvres: Périplus, histoire de
enlevé, lui aussi, trop jeune à l'affection et à l'espoir la cartographie ancienne (1889), et Fac Simile Atlas
des siens, le comte Henry de la Vaulx, qui, après une (1898) sont dignes de figurer parmi les plus belles
fructlleuse exploration en Patagonie, se consacre productions géographiques du XIXe siècle. Le Magasin
actuellement à des expériences du plus haut intérêt Pittoresque devait, à ce titre, une mention particulière
national la traversée en ballon de la Méditerranée à l'éminent géographe et au navigateur heureux qui
le comte de Vaulserre; d'autres encore, d'une ex- vient de disparaître.
traction moins illustre, mais se créant une noblesse P. LEMOSOF.
réelle par leur prupre mérite P. Labbé, dont les
'~9
lecteurs du Magasin Pittoresque ont pu apprécier
les intéressantes observations en pays asialiques,
sans compter les hommes de dévouement qui
LA GUERRE
comme le prince Roland Bonaparte, le baron Hulot
dédaignant les frivolités mondaines, mettent AU TRANSVAAL
leur situation au service de la science et de lapatrie,
C'est en observant cette nouvelle et ~telligente école Le mois qui vient de s'écouler a été très pauvre en
qu'on songe à la perte que le mo'!tde scientifique nouvelles; c'est à peine si, de loin en loin, le télé-
français fait en la personne du regretté prince Henri graphe du War Office a daigné nous apprendre quel-
d'Orléans. Qu'il me soit permis de joindre un hom- ques escarmouches, la prise de quelques milliers de
mage tout personnel à la mémoire du digne jeune cartouches, la reddition de quelques douzaines de
homme qui m'avait fait l'honneur de me. consulter combattants.
sur divers points de son voyage, quelques jours seu- Ce mutisme du télégraphe n'a rien de rassurant
lement avant son départ. Rien ne pouvait présager pour l'opinion anglaise, il s'en faut et lord Kitchener
une fin si douloureuse. nous a trop habitués à des dépêches enthousiastes où
il se décerne à peu de frais de faciles lauriers, pour
que nous ne soyons pas enclins à voir dans sa discré-
Adolf E~·ik Nordenskiold (prononcez:Nordencheuld) tion la preuve que la situation n'est pas brillante
qui vient de s'éteindre à Stockholm, à l'âge de 69 ans, pour les Anglais, et que les héroïques soldats Boers
était un vétéran de l'exploration arctique, en même qui luttent depuis deux ans avec une si admirable
temps qu'un savant de haute etivolée. La vie de cet vaillance, vont commencer la campagne d'été sous
homme éminent renferme un épisode qui pourrait les plus heureux auspices.
serv~ir d'enseignement aux dirigeants des divers Les quelques documents qui nous sont parvenus
grands pays d'Europe. Né à Helsingfors, en Finlande, ne laissent aucun doute à ce sujet loin que la situa-
le 13 novembre 1832, Nordenskiôld était donc Russe tion des Boers soit désespérée, comme on nous le dit
d'origine. Quelques futiles dissidences politiques avec sur tous les tons dans la presse anglaise, c'est la po-
les autorités de Saint-Pétersbourg le firent exiler. sition de l'envahisseur qui devient de plus en plus
Les grandes qualités, le vaste savoir du jeune pro- critique.
fesseur ne tardèr~nt pas de se manifester;le gouver- L'évènement capital de cette période a été la
nement russe voulut rappeler le savant qui allait proclamation où lord Kitchener affirme audacieuse-
devenir la gloire d'un pays; il était trop tard. Nor- ment que la guerre devant être terminée « techni-
deliskiÕld préféra se fixer dans son pays d'exil, la quement (!) » le 15 septembre, il prendra à cette date
Suède, qui n'eut pas à regretter cette recrue. En 1859, des mesures de rigueur effroyable contre les Boers
en 1861, en 186~, en 1868, en 1870 et en 1875 Nor- en armes.
denskitild entreprit diverses explorations, soit avec Cette proclamation, qui constitue un défi sans pré-
son maitre Otto Torell (mort le Ii septembre 1900), cédent à toutes lois de l'humanité et au droit des
soit seul, au Nord Groenland, Spitzberg, mer de Kara. gens, a été accueillie dans le monde civilisé. par un
Il parvint sur la Sophie, en été 1868, à la plus haute concert d'indignation et de malédictions, et son effet
latitude, 81., jamais atteinte par l'homme. a été à tous les points de vue déplorable.
Un autre voyage devait particulièrement servir à Les Boers y ont vu ce qu'elle est en réalité
illustrer son nom. Le voyage de la Vega, 1878-18î9, une preuve, une démonstration de faiblesses, et ils y
restera célèbre dans les annales de l'exploration ont répondu par des menaces de représailles, et par
arctique. NordenskiÕld, chef de la mission, Palander, une eontre-proclamation du général Delarey affir-
commandant du navire, sont fêtés, à leur retour, à mant plus que jamais leur volonté de lutter jusqu'au
l'égal. de héros. Paris, Londres, Berlin se disputent bout.
l'honneur de les recevoir. Chez nous, l'enthousiasme Le général Botha, le président Steijn, le généralDe
fut à son comble. wet ont répondu dans le même sens à cet audacieux
Les principales sociétés de géographie de France défi, et lord Kitchener en sera pour ses frais d'élo-
réunies, le conseil municipal, acclamèrent les voya- quence la guerre ne sera pas terminée le 15 sep-
geurs dont l'exploration était réellement du plus haut tembre.
intérêt. La mission a réussi à traverser ce passage Tout porte au contraire à supposer qu'elle entrera
à cette date dans une phase nouvelle d'activité et de Contentons-nous de constater que les représentants
vigueur. des puissances étrangères se vantent d'avoir obtenu
Depuis quelque temps nous n'avons pas entendu satisfaction sur les points qu'ils jugeaient les plus
parler de Delarey, ce « Bayard Boer ni de Dewet importants. Il n'y a guère, disent-ils, que sur la
question des châtiments qu'ils n'ont pas vu leurs
l'insaisissable et le légendaire ces deux héros se
sont recueillis; attendons-nous à les voir tout à coup désirs exaucés. La liste des-coupables, qui compre-
apparaître. De vagues rumeurs les signalent du reste nait 160 noms, n'en porte plus que 54. Mais qu'im-
en vingt endroits différents à la fois; et le plus extra- porle, après tout, puisqu'il est décidé que les troupes
ordinaire, c'est que ces rumeurs sont exactes, car ils internationales évacueront Pékin?
sont à la fois et partout et nulle part. Les Chinois n'en demandaient pas davantage. Ils
C'est même sur cette incroyable mobilité des géné- triomphent sur toute la. ligne et paieront les frais de
raux et des troupes boers que lord Kitchener s'appuie la guerre. quand ils le votidrorit.
pour plaider dans un long rapport les circonstances HENRI MAZEREAU.
atténuantes et expliquer l'interminable longueur
d'une lutte qu'il apàr trois fois déclarée terminée. ~e9
La dernière semaine est mauvaise d'ailleurs à tous
les points de vue pour le généralissisme, et pendant
fl1HÉAfl1:&E
que les menaces édictées dans sa proclamation exci-
tent l'indignation générale, les hideux camps de re-
concentration, qu'il a renouvelés du général Weyler, LA V IE DRAMATIQUE
sont condamnés dans toute l'Europe, et jusques en Le chômage des théâtres pendant l'été appelle
Angleterre même. naturellement l'attention du critique sur les publi-
Il peut à son gré déclarer que les Boers sont de cations ayant raiâport à l'art théâtral et en particu-
mauvais patriotes en continuant une lutte insensée, lier sur les pièces publiés en librairie, pièces que les
cette affirmation fait hausser les épaules, et elle auteurs injoués préfèrent présenter de cette façon au
n'empèche pas les lroupes boers de faire chaque jour public.
de nombreuses recrues dans la colonie du Cap, Ceci n'est pas tout à fait le cas du bfirage, par
recrues qui compensent et au delà les pertes subies Georges Rodenbach, que vient d'éditer le libraire
par l'armée boer. Ollendorff. Tout le monde sait en effet que Georges
Et ce soulèvement continu des colons du Cap con- Rodenbach a été enlevé prématurément, il y a quel-
tre l'autorité anglaise offre un singulier et suggestif ques années et que son bagage se compose plutôt de
contraste avec ces fêtes inattendues offertes à Durban romans et de poèmes, dont le charme discret fut très
et à Capetown au duc de Cornouailles, venu pour visi- goûté des lettrés. Le théâtre cependant l'avait tenté
ter ses loyaux sujets. comme bien d'autres, et nos lecteurs se ,rappellent
En réalité, la situation au début de la campagne sans doute le succès véritable qu'il remporta à la Co-
d'été est celle-ci il y a dans les troupes anglaises, médie-Française avec le Voile, ce petit acte en vers,
50,000 hommes morts de fatigue, 16,000 malades, tout de tendresse émue, représenté en 1894 et qui
20,000 hommes de la « yeomanry » presque tous inu- révéla presque Mlle Moréno.
tilisables, de l'aveu même du général, et en face de Aujourd'hui Mm. Rodenbach a eu la pensée pieuse
cette armée disséminée sur un immense terrain où de soumettre au public ce Mirage, retrouvé dans les
elle est partout harcelée, une armée boer, aussi alerte papiers de son mari, quatre actes qu'il avait tirés de
que jamais, divisée en commandos très restreints, son roman célèbre Bruges la Morte.
d'une fantastique mobilité, et qui est forcée de choi- Disons de suite que ces quatre actes sont des plus
sir les recrues tant elles lui viennent nombreuses. émouvants et qu'ils remporteront presque à coup
On le voit, les proclamations et les déclarations sûr, après quelques élagages indispensables,unsuccès
optimistes ne sont pas de mise en Angleterre. mérité, si un directeur avisé a la bonne inspiration
de les mettre à la scène.
EN CHINE C'est en effet un drame humain au premier chef
que celui-ci.
Si les affaires sont loin de s'arranger, dans le Sud Hughes. a perdu sa femme et a conservé pour la
de l'Afrique, au gré des Anglais, il nous faut conve- pauvre morte un culte ému.
nir que les braves Chinois se tirent à merveille de la C'est ainsi qu'il a recueilli dans une chambre les
redoutable crise qn'ils viennent de traverser. moindres objets qui ont appartenu à l'adorée; il s'y
Ce n'est pas précisémentà l'honneur des puissances enferme des heures entières, absorbé par ses souve-
européennes, mais, que voulez-vous, puisque tout nirs, ayant constamment devant les yeux l'image de
le monde s'est montré d'accord pour « évacuer D sa chère passion. Or, voici qu'un jour, dans cette
le plus rapidement possible, après avoir eu tant ville de Brugts si calme et si reposante, qu'il a choisie
de mal à s'entendre sur les moyens d'exécution, en raison de sa solitude, où il ne connaît qu'une
dehors de sa servante Barbes, son
nous aurions mauvaise grâce à reprocher au seule personne en
fameux concert européen d'avoir su jouer, pour une ami Joris Borlunt, une troupe de comédiens et de
fois, ce que Gavroche appellerait irrévérencieusement comédiennes est passée. venant donner des repré-
« la Fille de l'air D
sentations au théâtre. Parmi ces comédiennes, l'une
d'une
-Donc, nos bons diplomates tiennent enfin le texte d'elles s'est trouvée tout à coup au tournant
tressailli,
du protocole final Il se compose de douze articles rue, face à face avec Hughes. Celui-ci a
dans cette apparition subite la
que nous nous garderons bien de mettre sous les croyant reconnaître défunte.
de sa chère
yeux de nos lecteurs, pour l'excellente raison que silhouette
seules les chancelleries sauraient s'en'contenter. Cependant il s'est enquis de cette femme qui a
fait sur sa personne une si manifeste impression,l1 pièces jouées, mais aussi les plus fortes recettes ob-
la revoit ses yeux le trompent encore. C'pst elle! c'est tenues sur les différentes scènes parisiennes. Avouez;
bien elle qu'il a retro¡¡vée! c'est le mirage de sa femme que voilà une publication des plus suggestives, et
qui lui est apparu! qui a sa place marquée dans toutes les bibliothèques-
Et le malheureux s'éprend de cette créature. C'est qu'intéresse l'art dramatique.
une fille coquette et débauchée, qui n'a accepté les A noter également Le théâtre et sa législation, un
propositions de Hughes que pour « se faire une posi- fort beau volume édité par Ollendorff, et dont l'au-:
tion et sans lui témoigner la moindre affection. teur, M. Georges Bureau, s'est attaché à traiter à fond
Le pauvre garçon ne commence à se désabuser qu'à toute la jurisprudence en matière théâtrale. L'ouvrage
partir du jour où, dans un moment d'exaltation, estcurieux, remarquablement écrit et d'une. clarté.
pour donner plus de corps au mirage dont il est pos- saisissante.
sédé, il a introduit la jouvencelle dans sa « chapelle » L'idée sociale au théâtre, par Émile de Saint-Aubalt
et l'a fait se vêtir d'une robe de bal dont s'était parée est l'évocation en quelque sorte de l'âme contempo-
autrefois sa femme légitime. raine traitée au point de vue théâtral. C'est très,
A cette vue, ses yeux semblent se dessiller, et il la vivant et très philosophique.
chasse.
Ainsi finit le second acte; jusque là le drame
atteint le summum de l'émotion. Pourquoi faut-il Enfin je voudrais également signaler, en outre du
qu'il soit gâté par une scène tellement peu vraisem- Théâtre de bfellhac et Halévy, publication sur laquelle
blable que je doute fort qu'elle puisse être acceptée je reviendrai, un très curieux opuscule intitulé
même par un public indulgent? Je veux parler de la les Boers, signé Léonce de Larmandie. C'est une
scène de l'apparition où le pauvre Hughes échange scène dramatique d'actualité en deux tableaux, d'une
avec l'esprit de son épouse défunte un dialogue quel- élévation de sentiments peu commune, et qui j'èn
que peu bizarre, où il lui jure qu'il n'a jamais cessé suis persuadé ferait un certain effet sur les spe"cta-
de l'aimer, et que c'est elle qu'il chérit toujours sous teurs. Espérons que nous l'applaudirons quelque part
les traits de l'étrangère. cet hiver.
Le drame se relève au quatrième acte où Hughes
exaspéré étrangle l'actrice avec les propres cheveux
de la morte, cheveux pieusement conservés, et sur Telles sont résumées les plus récentes publications
lesquels elle a osé porter théâtrales.
une main sacrilège.
L'exécution faite, le meurtrier devient subitement Il me reste à peine la place pour dire tout le bieri
fou (vous avouerez qu'il y a de quoi) et la pièce se que je pense de la nouvelle pièce de l'Ambigu, la
termine sur la divagation incohérente de l'infortuné, Fille du garde-chasse.
tandis que dans la rue se font entendre les cantiques L'Ambigu, un des rares théâtres qui restent ouverts
d'une procession qui passe sous les fenêtres. pendant l'été, n'a pas craint d'affronter malgré la
Cette rapide analyse suffira pour faire connaître chaleur, les fourches caudines de la critique.
les qualités et les défauts de cette œuvre posthume. Bien lui eu a pris car il nous a présenté un mélo-
Comme je l'ai dit, elle pourrait facilement être re- drame tout à fait réussi, dont la donnée est peut-être
maniée dans certains détails (comme celui de l'appa- un peu scabreuse, mais qui attirera la foule non
rition) qui n'ajoutent rien ni aux effets de terreur, seulement pendant l'été, mais aussi pendant une
ni à l'action elle-même. On affirme qu'un théâtre partie de l'hiver. C'est le début au théâtre pour l'un
allemapd s'est déjà assuré les représentations de des auteurs, M, Félix Decori l'acteur bien connu,
cette tragédie moderne il n'en est pas moins vrai qui fut si remarquable dans Le Chemineau à l'Odéon.
que la publication préalable en français ne peut M. Decori jouait encore il y a quelques semaines, au
qu'intéresser tous ceux et.ils sont nombreux Châtelet, le rôle d'Archibald Corsican dans la reprise
qui ont conservé un culte pour Rodenbach. du Tour du Monde.
Acteur applaudi, auteur fêté par le public, quoi
donc?. Molière, alors?.
Parmi les publications qui ont trait au théâtre, QUENTIN-BAUCHART.
je me garderai d'oublier les études de notre confrère
Albert Soubies sur l'Histoire de la musique au xixe siè-
cle. Trois volumes ont-paru récemment sur la Belgi= VARI ÉTÉS
que, la Hollande, et les États scandinaves. Ils complè-
tent heureusement ceux sur l'Allemagne, la Russie,
le Portugal, la Hongrie,la Bohéme, la Suisse et l'Espa- LE MAL DE MER.
gne. C'est une véritable encyclopédie savante éditée
délicieusement, dans un format commode, qui peut UN REFERENDUM SUR LES MOYENS DE LE GUÉRIR.
rendre les plus grands services. Le Tour du Monde nous apprend qu'il existe une
M. Albert Soubies est également le continuateur Ligue contre le mal de mer, qui a son bulletin, ses
depuis vingt-huitans, de l'Almanach des spectacles qui conférences,ses moyens de propagande et d'action.
remonte à i752! Ces petits volumes ornés chacun On aurait tort d'en sourire ou d'en médire. Si vrai-
d'une eau forte de Lalauze (l'eau forte de celui :le ment cette Ligue arrivait à trouver le remède à une
l'année i900 qui vient de paraître est consacrée au' maladie aussi ridicule que désagréable, elle rendrait
Petit Chaperon Rouge, le succès du Châtelet, celle de d'abord un grand service à l'humanité, elle aiderait
l'année dernière c'était au Vieux Marcheur, etc.), ren- ensuite au développement des relations entre les di-
ferment de précieux renseignements.C'est ainsi qu'ils vers pays, car il y a plus de gens qu'on ne pense qui
donnent non seulement la nomenclature exacte des reculent absolument à l'idée d'un voyage en mer.
Sous les auspices de cette Ligue, Mlle Lauriol, de ner l'éclosion et le développement de pareille généra-
l'École Edgar-Quinet, a fait dernièrement une inté- tion d'hommes de lettres. M. Albalat met le talent à
ressante conférence sur la guérison du mal de mer, la portée de toutes les intelligences et de toutes les
il la Société de géographie. bourses. Il nous avait enseigné l'Art d'écrire en vingt
Elle a établi qu'il existe différentes causes prédis- leçons, ce qui est déjà joli et qui avait eu un succès
posantes du mal de mer. Ensuite elle a répété les remarquable, en ces temps où les plumes écrivent
expériences de la régénération de l'air d'après les toutes seules. Mais, enfin, écrire, ce n'est qu'écrire et
travaux de M. Desgrez et M. Balthazard.Deux cobayes qui ne sait écrire, même après vingt lecons? L'essen-
(cochons d'Inde) étaient placés fun sous une cloche tief, c'est de ne pas écrire 'comme a tout le monde ».
sans rien, l'autre sous une cloche avec du bi-oxyde M. Albalat a réparé un oubli. Il nous permet désor-
de sodium. Au bout de quelques minutes, le premier mais d'écrire comme « quelques-uns ». Voici des
était près de la mort, l'autre était au contraire aussi échantillons Voulez-vous du Fénelon; du La Bruyère,
alerte que s'il avait été libre. Or, beaucoup de per- du Voltaire, du Bossuet, du Chateaubriaud? Désirez-
sonnes n'ont pas le mal de mer sur le pont, et l'ont vous un savant mélange comme on fait pour le
dans la cabine; c'est,donc une cause. En faisant dis- thé? un mélange personnel comme en réussissent
paraître cette cause, cet air confiné, on guérit donc les femmes pour les parfums? Qu'est-ce que vous
le mal de mer chez une autre catégorie de personne. mettez dans votre style, cher ami? Il a un bouquet!
Après avoir donné les conseils préventifs contre le Ah voilà! C'est mon secret.
mal de mer, à suivre quelques jours avant l'embar- Eh bien je dois dire que malgré ces critiques
quement, et les conseils généraux pour l'éviter, qu'inspirent tout d'abord les livres de M. Albalat et
Mlle Lauriol montre qu'il existe certaines. questions si nous ne lui prêtons pas gratuitement des intentions
qu'on ne pourra trancher que par un referendum. qu'il n'a pas, pour triompher sans peine ses idées
En effet, un grand nombre de personnes conseillent ont un fonds d'indéniable justesse. Les projets peuvent
de manger beaucoup avant de s'embarquer; d'autres, se réaliser. Oui, il ya une façon d'écrire qui s'acquiert
et en général, celles qui ont souffe.rt du mal de mer, il y a des styles qu'on arrive à imiter. Rappelons, en
disent au contraire de ne pas manger. effet, qu'on parvient dans les lycées, sans trop de dif-
Aussi pour trancher cette question, la Ligue a ficultés, à s'exprimer en latin. Des .élèves ils sont
établi un questionnaire referendum qui a été rempli nombreux attrapent vite le ronron cicéronien et les
par un nombre considérable de personnes et non des métaphores décadentes de Senèque et de Pline. J'ai
moindres, comme le médecin en chef de la marine vu des « cures » surprenantes.Dans tel lycée de Paris,
italienne, le médecin honoraire du roi d'Italie, quan- on vous soumet au régime du Dialogue des orateurs
tité de médecins et d'autres personnes. de Tacite; dans tel autre, c'est le Brutus qu'il importe-
Grâce à ce referendum, non seulement chacun a de connaître et de pratiquer. Comment ce qui est vrai
pu faire conuaitre son opinion sur bien des points, pour le latin serait-il impraticable dans notre propre
mais encore on a pu éliminer des quantités de mé- langue? La « thérapeutique littéraire doit même
dicaments qui étaient prônés par leurs inventeurs un être différente suivant les tempéraments. Les redon-
peu à,tort et à travers. On a pu fixer ainsi lIn corps dances méridionales, le panache commun gagneront
de doctrines, établir un véritable résumé de l'hygiène ou plutôt se perdront à être traités par les lettres de
à bord des navires; ceux qui doivent s'embarquer Voltaire.
prendront la mer avec une appréhension moins La sécheresse, laplatitude se trouveront bien à être
grande qu'auparavant. ccmises » au Chateaubriand. C'est surtout en littéra-
MlleLauriol envisage ensuite et ceci est un côté ture qu'il est vrai de dire que l'homme descend du
intéressant de la question le mal de mer au point singe. La nature vient au secours dé l'art la mé-
de vue militaire. Elle suppose une flotte partant d'un moire est un riche magasin d'accessoires où l'on
de nos ports avec un équipage fraîchement embarqué trouve de quoi faire figure et jouer son petit rôle.
et par grosse mer un tiers de cet équipage est sur Ainsi comprises les idées de M. Albalat méritent d'ê-
le flanc et va à la rencontre d'une flotte en route de- tre signalées et encouragées. Si on naît rôtisseur, on
puis trois jours, c'est-à-dire dont l'équipage est en- est conçu écrivain. Je suis sûr que M. Albalat ne
tièrement habitué. pense pas autrement.
On peut prévoir aisément le résultat de la lutte Il n'est jamais trop tard pour parler debons livres,
enlre les gens fatigués et ceux qui ne 'le sont pas. de bonnes 'anthologies d'écrivains qui restent. A la
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18
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contre la poussière.
coulissée, à la partie qui l'y at-
tache, à l'arrière, afin de protéger la dentelle x,~x.a~sx~ x~ss.~ ~~x,x,a~x
Si notre imagination n'amplifiait le peu de bien que
Ce métier est portatif. C'est pourquoi on peut nous faisons, nous cesserions bientôt d'en faire.
voir, dans les pâturages, les petites gardeuses de La civilisation doit
pas consister à connaître les lois
bestiaux, occupées à manœuvrer les fuseaux, de la nature et à nevioler les lois de la justice.
ORIGINES ET LA. FORMATION.
DU'PAYSAGE'CONTEMPORAIN EN FRANCE ~l~
Passionné et subjectif'avec le romantisme, les milieux d'école. Élève de Couture; ses. véri-
attentif et scrupuleux, mais toujours' ardent avec tables' maUres, autour.de Courbet, dans ce mi-
tes.naturalistes, aigu,. souple, divers avec Corot- lieu, ,où l'on fréquentait volontiers les Musées;
et ,déjà audacieux avec Millet, de plus en plus .furent les Espagnols, Velasquez, le Greco, Goya
objectif erim.pèrsonnel avecJe réalisme, l'art du et aussi Franz Hàls. C'est la première manière de
paysage avait encore à franchir une dernière .Hanet. Il se dégage bientôt et marche vers un
étape avant .d'avoir: épuisé tout,le champ de l'ob~ ,idéal plus personnel'où il rencontre dans sa vi-
sei'Vation:. et de revenir à son point de départ sion:des choses le double rayon de Corot et de
imaginatif. De tous ces vastes esprits contempla- Millet. Il cherche alors comment se comportent
tifs., de tous,ces yeux ouverts avec une intelligence les couleurs dans la lumière, comment elles ap-
sympathique s'était formée une nouvellevision si paraissent dans la clarté qui les pénètre et les
subtile et si affinée qu'il rie semble pas possible enveloppe, les décolore et les harmonise, il em-
d'en dépenser l'acuité. C'est la formulé de l'im- prunte à l'art d'Extrême-Orient certains prin-
presezonntsme. Contestée avec une violence qui cipes de leur esthétique qui. lui permettent
n'avait. rien d'imprévu, car elle avait accueilli d'agencer ses tableaux sous une vision qui n'est
chaque fois les précédent§ novateurs, mais avec pas la vision apprise.
une persistance'.dans la mauvaise volonté qui Les indications des formes sont souvent som-
deyient inexplicable, 1.'Ecole impressionniste maires, mais le choix des tons, frais, déli<;ats,
reçut pour la première -fois une reconnaissance vifs, subtils, l'atmosphère vibrante et lumineuse
officielle à l'Exposition de 1889, avant l'entrée dans laquelle ondoient ses personnages, offrent
la
au Musée >du. Luxembourg de collection Caille- un véritable 'ravissementorganique.
botte,qui la.mit impartialement à la place à la- D'autres enfin venaient de Corot ou de Daubi-
quelle_ elle avait droit dans l'histoire de l'art con- gny c'étaient Monet, Sisley, Lépine, Pissarro.
temporain. L.'E~tposi_tion centennale lui apporte Leur filiation était donc régulière, ils étaient
cette. fois. une consécration définitive et, malgré le produit direct et légitime de la tradition, nés
les. critiques attardées des amateurs ou gens du à la fois du romantisme et du naturalisme, de
monde qui proclament la faillite de l'impression- Corot,'de Millet et de Courbet, avec l'influence
nisme après celle de la science, les artistes qui, toute nouvelle de l'art japonais et aussi, à leur
dans cet ordre d'idées, se sont montrés des maî- tour, avec un petit stimulant donné par certains
tres, reçoivent un hommage universel, un peu précurseurs de récole anglaise, Con stable et
tardif, mais éclatant. Qu'est-ce que le groupe Turner qui les avaient justement remués.
impressionniste et qu'est-ce que l'impression- Le groupe primordial, qui forme le fonds de
nisme, mots appliqués fort souvent à tort' et' à la collection Caillebotte,comprend à proprement
travers à tout ce qui paraît .un peu osé '? .parler ceux qui acceptèrent le nom de combat
Ce groupe était, vers 1874, une réunion d'es- dont on les désigne ce sont Claude Monet, Au-
.prits: sYrnPiithiques, quoique assez divers dans guste Renoir et Sisley, qui s'étaient connus
leurs tendances et dans leurs oeuvres, venant de chez Gleyre, C. Pissarro, Manet et Degas, qui
tous les points- de 1.'horizon, mais avec un égal différaient un peu-des précédents, surtout le
esprit d'indépendance qui tentait de réagir contre second, sur bien de points; enfin Cézanne.
la vision faussée de l'éducation scolaire. Les uns Quel était leur but? Il ne faudrait pas le cher-
venaient du romantisme comme le hollandais cher entièrement dans la définition, du mot im-
Jongkind, établi et mort en France, qui conti- pressionnisme. Car impressionnistes avant eux
nuait avec audace la tradition des Bonington.et ont été tous les yeux un peu clairvoyants qui ont
des Constable à travers. Is.abey et qui joue un 'été frappés par la mobilité des spectacles de la
rôle de facteur très important dans la formation nature.' te terme imparfait .n'explique qu'en
de cette vision spéciale les autres venaient. duL partie leur idéal.
réalisme, comme Legros et Bracquemond, qui Leurs ambitions ont été diverses, soit qu'ils
n'avaient rien de commun avec eux comme ,idéal aient voulu peindre l'Homme ou .la Nature. Dans
et n'y persistèrent pas, ou comme Manet. Celui- le premier cas, qui ne nous intéresse pas spécia-
ci occupe une place de premier rang dans h -lement aujourd'hui, ils ont voulu, après Géri-
groupe et son influence, malgré les persécution!3 cault, Delacroix, Millet, Courbet, fixer l'expres.
subies et peut-être même à cause d'elles, se ré. sion de la vie de leur temps. Ils correspondent
qui,'
pandit en dehors jusque dans l'art officiel et dam9 au vaste mouvement littéraire du moment
août et il, sep. par Balzac, les Goncourt, Flaubert, Zola, Alexan
Voir le Magasin Pittoresque des 15
(1)
tembre 1901. dre Dumas fils ou Maupassant, a tenté de traduire
tous les aspects ettousles états de notreSociété. peut-être encore plus étendu. Ils ont voulu
Manet, Degas, Renoir, Raffaëlli, celui-ci plus porter sur les choses une vision neuve et in-
jeune, nous présentent certains sujets populaires génue, à l'abri des ressouvenirs du passé, se re-
que l'art avait jusqu'à ce jour abandonnés à la faire une virginité de l'œil. Jusqu'à ce jour, on-
caricature, dans le charmé pénétrant ou l'ironie s'était surtout appliqué à représenter,dans-la na-:
âpre de leur caractère, avec toute l'élévation ture, les éléments, fixes du paysage: les'wÍ'Í'ains,
du style. les arbres; les c'on'structions,;leseaux/Íh;' se 'sont'
En ce qui concerne la Nature, leur champ était surtout attachés tvoDJIsiMrèr:1e'-jéu des -éléments
mobiles qui donnent la vie à toute cette ossa- l'école du plein air, compromis entre la culture
ture inanimée, à exprimer les phénomènes les d'école et les conquêtes révolutionnaires, conti-
plus subtils, les plus imprévus de lalumière, les nuation académique de l'évolution naturaliste,
effets les plus fugaces et les plus changeants qui qui à cause de cela même exerça une influence
modifient à l'infini les mêmes aspects. Ils s'atta- énorme sur le milieu contemporain, où cette
'quaient hardiment aux problèmes les plus déli- formule servit à propager les principes nouveaux.
ca4s de la décoloration des tons dans la lumière, .Élève de Cabanel et de l':École des Beaux-Arts,
de la coloration des ombres, des vibrations bien qu'il ne pût obteitig le prix de Rome, mais
atmosphériques, variant les points de vue de leurs imprégné des préoccupations atniosphériques de
spectacles, déplaçant souvent leur ligne d'ho- Corot, et de Manet, il s'est montré dans ses por-
rizon, étendant le choix de leurs motifs, prenant traits en plein air èt dans ses scènes rustiques,
aux Japonais l'audace de leurs harmoniés de tons un naturaliste consciencieux, précis, sincère et
francs juxtaposés, et l'inattendu de la présenta- pénétré, lui aussi, d'une petite pointe de mysti-
tion de leurs motifs. cisme, une sorte de réaliste poétique. C'est de
Au point de vue même du métier, ils tentaient lui que relèvent Butiil, Duez, Renouf, Dagnan-
de supprimer la calligraphie picturale, le beau Bouveret, Binet, Friant, etc.
métier de virtuose qui fait toujours penser à l'ou-
vrier devant l'œuvre, pour fixer la splendeur des Il nous reste à dire un mot, avant de conclure,
spectacles avec la candeur d'un oeil vierge etun sur une forme de l'évolution paysagiste qui a son
amour pour ainsi dire désintéressé. intérêt particulier, parcequ'elle a été constam-
Si étroit qu'on ait pu trouver l'horizon dans ment mêlée à toutes les conquêtes et parce-
lequel ils s'étaient volontairement enfermés, si qu'elle ne se rencontre guère à l'état d'école
borné qu'on.ait pu juger leur idéal, leur apport régulière et suivie que dans l'art français. C'est
à l'art a été considérable. l'école orientaliste.
Ils nous ont donné une vision plus affinée de Sans remonter aux origines qui la font naître
la nature une fraîcheur et un éclat dans le ton, au XVII" siècle, avec Simon Vouet, Jacques Car-
qu'on avait entièrement oublié au profit des va-. rey, etc., àl'heuré du grand mouvement d'expan-
leurs; des spectacles nouveaux ou imprévus ou sion coloniale qui remua le monde, cette école
qu'on avait encore considérés qu'imparfaitement: après avoir traversé le xviue siècle sous la forme
tout un paysage inédit, exclusivèment moderne, d'une famille nombreuse et illustre, se présente
de villes, de rues, de gares, d"usines, de houille, au début même du xixg siècle au milieu de toutes
de fer et de fumée une mise en toile particu- sortes de circonstances extérieures qui favori-
culière, c'est-à-dire le dérangement du point de sent son développement. C'est d'abord l'expé-
vue classique habituel qui faisait toujours con- dition d'Egypte, puis, plus tard, la guerre de
sidérer la figure ou le paysage sur un plan con- l'Indépendance grecque, plus tard encore la con-
venu, enfin l'oubli définitif des conventions scé- quête de l'Algérie, le percement de l'Isthme de
niques de la peinture. Suez, en dernier lieu: la conquête de la Tunisie
et l'immense développement de l'idée coloniale
Entre Millet et Courbet, assez imprégné des qui pousse les nations au dernier partage du
effluves des milieux romantique et naturaliste, monde. En littérature; correspond, dès l'origine,
mais pourtant sans s'y mêler, se distingue une un mouvement parallèle, de Chateaubriand et
haute personnalité artistique qui a eu sa part Lamartine, V. Hugo et Byron, Gérard de Nerval
importante dans la filiation des peintres qui ont et Théophile Gauthier, à P- Loti et à Guy de Mau-
étudié la figure dans le, paysage. C'est Jules passant.
Breton (né en 1827). Plus souple, plus habile, Les régions principalementétudiées sont les
moins systématique, plus varié aussi peut=être pays de civilisation musulmane, Égypte, Syrie,
que ses voisins, il entreprend de son côté, pres- Algéri~~Maroc. De tous les côtés de l'art affluent
que à la même heure, la glorification de la vie dés maUres. dont l'imagination est invincible-
des champs, avec un esprit moins âpre et moins ment!3éduite par tout ce que ces pays nouveaux
mystique, et plutôt avec une préoccupation de offraient d'inattendu à la peinture, à tous les
la plastique, du charme, de la poésie qui, chez points de vue de la couleur, de la ligne, de la
ce maître, s'est ouvert une voie parallèle 4ans lumière, de la splendeur du paysage, de la
la littérature. beauté des races, de la grandeur des souvenirs.
Il a renouvelé et approfondi le rêve, qu'avait Avec lec classiques c'est Marilhat, précis et
conçu antérieurement Léopold Robert, d'expri- lumineux; avec les romantiques c'est Decamps,
mer la beauté et l'harmonie dans les rapports des exalté et farouche; Géricault, héroïque et sculp-
figures rustiques avec le milieu qui. les envi- tural; Delacroix qui sentit si profondément la
ronne. magie du ciel africain; Chassériau, étrange et
Jules Breton est le lien qui rattache au passé mélancolique, figure Dehodencq, avec son fort
la figure de Bastien-Lepag~ (1848-1884). accent local, que l'Exposition centennale a rap-
Celui-ci est le fondateur de ce qu'on a appelé pelé aux oublieux.
Les naturalistes sont représentés par Belly air l'avaient conduit, le paysage, réduit à des
qui, au moment où débutait Millet, à l'heure portraits de bouts de terrain, toujours les mêmes
même où les préraphaélites anglais Holman sous la même lumière grise et incolore, avec la
Hunt et Thomas Seddon visitaient l'Orient d'où peur sacrée. des arbres et de tous les éléments
ils rapportaient des notations si aiguës, avait de dits romantiques, sentait un mouvemcnt de
,son côté résolu certains des grands problèmes réaction poétique se produire en lui. D'abord
de l'atmosphère et de la lumière dont les nou- timide, encouragé par les vieux et chauds colo-
veautés étaient acceptées grâce à son étiquette ristes qui n'avaient jamais renoncé aux charmes
d'exotisme. des fortes harmonies, il se manifesta par le
Après lui Fromentin, dérivé classique de De- choix des sujets pris, comme au temps du ro-
lacroix, argenté, distingué, qui inaugural'Algérie. mantisme, aux heures du jour les plus propices
.Puis, se rattachant à Belly, bien que ses origines aux effets grandioses ou à la songerie voilée
le relient à Gros et à Delacroix, influencé par soleils couchants et nocturnes. Puis il se décida
Millet et par Rembrandt, Guillaumet; entre plus par un retour vigoureux vers les maîtres qui
avant encore dans la traduction de la vie semble avoir infusé aux jeunes générations un
orientale, dans la résolution des problèmes pit- sang nouveau et plus généreux. De divers côtés
2oresques; que ses jeunes successeurs, E. Dinet, du monde, de France, d'Amérique ou d'Écosse
Marius Perret, Paul Leroy, Bompard, Girardot, semblait surgir une sorte de renouveau roman-
~Chudant, etc., plus hardis encore avec leur gé- tique.
nération, pénétraÍent avec une sûreté et une Chez nous, aprèsavoirpassé souventparMonet
audace qu'on laissait passer, comme jadis, en ou Pissaro, pour remonter à Delacroix et à
raison de leur caractère exotique et qui appor- Courbet, ou même plus haut, vers les Hollandais,
tèrent, de leur côté, leur aide au grand courant les Flamands, les Espagnols et encore vers notre
.d'analyse. grand Poussin, un groupe de naturalistes
expressifs s'est formé, comparable, par certains
Désormais, au milieu du trésor inépuisable côtés, à celui qui vers 1855 environnaitCourbet.
formé de tous les idéals, de toutes les interpré- Jeunes, hardis, aventureux quelquefois, enthou-
tations, de toutes les passions et de toutes les siastes.et émus, ils ont voulu, alors que toutes
réflexions, l'art du paysage trouve pour s'expri- les extériosités en avaient été rendues, pénétrer
mer une variété, une souplesse, une richesse notre vie contemporaine jusqu'à l'âme. L'Expo-
empruntées à toutes les combinaisons les plus sition décennale vient de classer à la tête de leur
inattendues de la vision du passé, avivées et génération, soient qu'ils étudient l'homme ou la
renouvelées à ces contacts mutuels. nature, soit surtout qu'ils réunissent ces deux
C'est J.-C. Cazin qui nous donne la sensation éléments séparés de moins en moins désormais,
la plus émouvante des plus humbles choses de des peintres tels que Ch. Cottet, L. Simon, R. Mé-
la vie, avec la caresse de Corot, la tendresse fra- nard, Lobre, Prinet, etc. C'est d'eux maintenant
térnelle de Rembrandt et de Millet, l'esprit d'ob- que partira le mot d'ordre pour l'avenir.
servation pénétrant d'Hobbéma; intime et fami- LÉONCE BÉN1;DITE.
lier et cependant avec je ne sais quelle hauteur Conservateur du Musée du Luxembourg.
de contemplation qui nous fait sentir comme
1'h umilité de la terre à travers l'immensité des
-espaces. C'est Pointelin qui, avec la solidité de LA DILIGENCE DE CHAMONIX
pàte de Courbet, encrotite l'âpre écorce de ses (Avant le Chemin de fer électrique inâuguré le mois dernier)
1errains jurassiens dont les ondulations se pro-
filent solennellement sur des ciels dont la sub- Alors que le soleil levant se cache encore
-stance immatérielle a été empruntée à la palette Derrière les grands monts où s'attarde l'Aurore,
de Corot. C'est le vieil et puissant Harpignies Les misses aux longs pieds arrivent, se hissant
c(
Sur le coach où déjà l'attelage puissant
.qui découpe magistralement sur ses ciels du Des six gris-pommelés à la robuste croupe
soir la silhouette auguste de ses oliviers et de S'agite impatient. De la proue à la poupe,
Le véhicule est plein; la trompe a retenti,
ses chênes. Le fouet claque, joyeux; on part, on est parti.
Et c'est tout un monde impossible à nommer Et dès lors, au galop dans la gorge profonde
de paysagistes qui vont par tous les soleils et La voiture, longeant l'abime où l'Arve gronde,
Sautant des cailloux, dangereux éboulis,
tous les aspects, la montagne et la forêt, la dune Berce le sur
voyageur d'un émouvant roulis.
.et la mer, le Midi et le Nord et tout le vaste En haut, flottent légers les lambeaux de la brume;
-champ mal exploré de la vie et de la nature pro- En bas, c'est le torrent et sa rageuse écume;
Cependant qu'attentif aux tournants du chemin,
-vinciales, en Bretagne et en Normandie, en Si fréquents sous nos pas dans cette course étrange;
Auvergne, en Dauphiné ou en Provence. Notre vieux conducteur, cornet à la main,
le
Sonne
Et voilà. aussi maintenant que le cercle se Et, fort peuà tous les échos « Nous voici, qu'on se range! »
soucieux de recevoir le choc,
referme pour se reformer après de nouveau. Le piéton s'amincit contre le flanc du roc,
Lassé, énervé, anémié par le mot à mot et le Tandis que les chevaux, à grand bruit de sonnailles,
-terre à terre où les dérivés de l'École du plein Passent et, du sabot, font voler les pierrailles. PIC.
LE THÉATRE A LA COUR DE COMPIÈGNE
Le Palais de Compiègne qui va abriter dans cent, a publié la nomenclature complète des piè-
quelques jours L.L. M.M. l'Empereur et l'Impé- ces jouées au théâtre de la Cour à Compiègne
ratrice de Russie possède un théâtre qui fut con- de 1852 à 1869 mais il a omis de donner la ré-
struit en 1833 sous le règne de Louis-Philippe. glementation officielle de ces représentations
C'était un ancien jeu de paume situé vers l'ex- offertes aux diverses séries des invités de l'Em-
trémité nord du Palais. pereur.
Lasalle, qui peut contenir environ sept cents Voici quelques détails des plus curieux sur
personnes, à l'aspect d'un carré long assez mal cette réglementation, détails que j'emprunte à
disposé pour la vue. Sa décoration rappelle le un livre fort intéressant, signé Alphonse Leveaux,
mauvais goût de l'époque. et paru en 1885.
On y donna peu de' représentations sous le Les invitations étaient pour huit heures
règne de Louis-Philippe, bien qu'elle eût été mais le spectacle ne commençait guère avanthuit
inaugurée pour le mariage de la fille aînée du roi heures et demie, quelquefois neuf heures, dès
des Français, la princesse Louise, avec le roi que Leurs Majestés prenaient place sur les deux
des Belges Léopold 1er. fauteuils qui occupaient le devant de la Loge im-
L'Empereur Napoléon III qui affectionnait, périale.
comme on le sait, le séjour de Compiègne, et y Cette Loge remplissait le fond de la salle dans
passait chaque année l'arrière-saison, fit venir à toute sa largeur une première galerie la précé-
plusieurs reprises certains théâtres de Paris, qui dait où seules étaient admises les dames en toi-
y jouèrent presque tous les ans de 1852 à 1869. lette de bal.
C'étaient le plus souvent la Comédie-Française, Les invités du Palais prenaient place dans la
et les Comédiens ordinaires de l'Empereur qui Loge impériale, ainsi que les grands officiers de la
se faisaient applaudir soit dans les chefs-d'œu- maison de l'Empereur. Au-dessus se trouvaient
vre du répertoire, soit dans les pièces à succès les preIJ,1ières loges occupées par les invités de
de l'époque. Ces acteurs s'appelaient alors Pro- la ville et des environs. Le second étage était
vost, Bressant, Talbot, Monrose, Régnier, Lafon- rempli en grande partie par des gens de service.
taine, Delaunay, Got, Coquelin, etc., les femmes Le rez-de-chaussée se composait d'un orches-
iVl~eg Favart, Nathalie, Arnould-Plessy, Emma tre, du.parterrepour les officiers, et d'unAmphi-
Fleury, Madeleine Brohan. théâtre placé entre le Parterre et la Loge impé-
Mais, en outre de la Comédie Française, l'Odéon, riale, et réservé aux magistrats, aux officiers
le Gymnase, le Vaudeville, étaient appelés égale- supérieurs, aux conseillers généraux, maires
ment. Déjazet et sa troupe y jouèrent les Prés adjoints et autres fonctionnaires civils, tous en
Saint-Gervais, de Sardou, en 1862;: la même année uniforme.
Mélingue donna une représentationdu Bossu, avec A l'entrée de l'Empereur et de l'Impératrice,
la Porte-Saint.Martin (les danses y furent réglées la salle entière se levait.
par Mabille!) En 1863 nous trouvons l'Aïeule de Pendant les entr'actes, les personnes placées
D'Ennery avec Lacressonnière et 'M;arie Laurent. à l'Amphithéâtre et au Parterre se levaient, et
Les interprètes de l'Odéon, du Gymnase et du faisaient face à la Loge impériale des valets de
Vaudeville étaientDupuis, Landrol, Félix, Delan- pied, en grande livrée à poudre, présentaient des
noy, Geoffroy, Lesueur, Parade, Saint-Germain rafraichissements.
les femmes Rose Chéri, Fargueil, Désirée. D'ordinaire l'Empereur et l'Impératrice quit-
On voit que tout ce qui eut un nom dans le taient la salle une fois pendant un quart d'heure,
théâtre sous le Second Empire figura à Com- pour se retirer dans un petit salon placé près
piègne. de l'entrée de la loge.
Le Palais-Royal ne devait y donner qu'une A 11 heures et demie, le spectacle finissait,
seule représentation: le 13 novembre 1869,' Or_ rarement plus tard. L'Empereur et l'Impératrice
joua La Grammaère et La Consigne est de ron fler saluaient en se retirant.
avec Geoffroy, L'Héritier, Brasseur et Luguet. Les théâtres de Paris appelés à Compiègne
Cette représentation fut la dernière, la bour- étaient indemnisés sur le taux de leur recette la
rasque de 1870 ayant emporté l'Empire l'année plus élevée.
suivante. Les auteurs touchaient leurs droits et rece-
Les fatalistes pourraient disserter à l'infini sur vaient une invitation à diner à la table de l'Em-
cette unique représentation du théâtre le plus pereur s'ils étaient décorés, sinon à la table du
gai de Paris, donné un treize, sans que rien pût' Commandant du Palais. Le spectacle était tou-
faire prévoir à cette époque les malheurs qui jours suivi d'un souper offert aux artistes.
devaient survenir.
Le journal le Gaulois, dans un block-notes ré- Ces représentations fort goûtées dessertes
d'invités ne se trouvaient point être les seuls DEUXIÈME NYMPHE.
divertissements qui leur fussent offerts. En outre Sauvons-nous! Pour moi je me cache.
des promenades en chars à bancs, des visites à N'éveillons pas l'amour qui dort.
Pierrefonds, des chasses à courre et à tir, il y eut PREMIÈRE NYMPHE, la retenant.,
aussi des représentations où figuraient les hôtes Ah! bah! ce serait par trop lâche,
du château et les dames de la Cour. Puis peut-être on l'accuse à tort.
C'est ainsi qu'en décembre 1863 la Comédie (Elle lui montre l'Amour et toutes deux se penchent pour le
Française donna le samedi 12 la première repré- regarder.)
Vois son beau front, sa lèvre pure,
sentation d'une pièce de Jules Sandeau (pièce
Et son regard qui resplendit,
qui fut d'ailleurs sifflée le lendemain à Paris), La Je ne puis, voyant sa figure,
Maison de Pénarvan et le mardi 15 une charade Le croire méchant comme on dit,
-(le Ponsard, Harmonie (Arme-au-nid) réunissait Je me risque.
comme interprètes la duchesse de Morny, la (Elle jette son filet sur l'Amour.)
dgchesse d'Isly, la princesse de Bauffremont, Fils d'Aphrodite.
la générale Fleury, Mme Raimbaut, la ,baronne de Je t'ai pris. Ne pique pas.
Souancé, la baronne de Vatry, bime Emile de L"AMOUR, sortant de son nid, et s'avançant vers la
Girardin du côté des hommes, le comte de première nymphe.
Nieuwerkerke, le marquis de Latour-Maubourg, Non,
le marquis de Trévise, le baron Morio de l'Isle. Calme la frayeur qui t'agite,
Le Prince Impérial, âgé de sept ans, représen- Je suis l'Amour, mais doux et bon.
tait l'Amour(!), et certains vers de Ponsard, d'ail- Connais mieux ma race et moi-même.
Tu parlais de l'Amour ancien,
leurs médiocres, ne cachaient guère certaines
On le maudit, et moi l'on m'aime
flatteries assez exagérées à l'adresse du fils de Il fait le mal, et moi le bien.
France. (Une DÉESSE survient tout à coup et adresse aux nymphes ces vers
Voici d'ailleurs la donnée de cette charade dont il est facile de saisir l'allusion.)
Dans le premier tableau ARME un cheva- LA DÉESSE.
lier arme un néophyte.. Toi qui cherchais l'Amour au nid, ô chasseresse,
La scène représente la cour du château. Le néo- Tu l'as pris, mais le Dieu dont nous formons la cour
phyte est à genoux sur un coussin en face du nouvel et charmant amour,
Ce
parrain. Au fond du théâtre, la marraine" assise N'est plus celui qui fut adoré dans la Grèce;
sur un fauteuil supporté par une estrade. A côté Non, on l'adore en France. Enfant d'une déesse,
d'elle, sa demoiselle. Derrière le néophyte deux Ce n'est plus l'âpre enfant de la folle Vél1us,
Si sa Mère n'est pas moins belle,
chevaliers.Derrière le parrainunchevalier.Ce fut
Si les Grâces sont autour d'elle,
la'duchesse de Mornyqui représenta le néophyte.
Autour d'elle sont les vertus.
Le second tableau AU NID nous montre Son Père est maître de la foudre,
l'Amour au nid. Qui dort terrible et calme, en sa prudente main,
L'amour est caché dans un buisson d'églan- Et le monde, attentif à ce qu'il va résoudre,
tiers et des nymphes, armées de mets, le cher- S'en repose sur lui de l'avenir humain.
chent pour le prendre et le mettre en cage. Entrez dans ce palais, que l'Amour vous destine,
Tout à coup elles l'aperçoivent alors s'éta- Hâtez-vous de jouir de sa grâce enfantine
blit le dialogue qui suit Un jour l'Enfant que l'orphelin bénit,
S'asseoira sur un trône, et non plus dans un nid,
PREMIÈRE NYMPHE. Un jour succédera, sur un front plus sévère,
Chut! son nid est sous cette rose Au charme maternel, la majesté du père.
Le vois-tu?
DEUXIÈME NYMPHE, s'approchant sur la pointe du pied. Enfin dans le troisième et dernier tableau
C'est lui, je le vois. HARMONIE la Muse sous les traits de la prin-
PREMIÈRE NYMPHE. cesse de Bauffremont, chante, accompagnée du
Jette-lui ton filet1 choeur général.
Cette charade a été tirée à cent exemplaires
DEUXIÈME NYMPHE.
Je n'ose. pour les invités qui l'avaient entendue, chacun
des invités ayant son nom imprimé sur l'exem-
PREMIÈRE NYMPHE.
plaire qui lui était destiné.
Je n'ose pas non plus. La plaquette éditée avec luxe par l'Impri-
DEUXIÈME NYMPHE. merie impériale est devenue fort rare.
Pourquoi? Les invités de cette sél·ie exceptionnelle furent
PREMIÈRE NYMPHE. la princesse Mathilde, la princesse Anne Murat,
On dit qu'il est méchant et traître lord Cowley, le prince et la princesse de Cara-
Et qu'il fait perdre la raison man, le marquis et la marquise de la Valette, le
Dame! il me piquerait peut-être duc de Noya, le comte de Nieuwerkerke, la du-
Et sa piqûre est un poison. chesse d'Isly, le baron J. de Rothschild, le général
Fleury, M. et Mme Émile de Girardin, MM. Octave section du contentieux au Conseil d'f:tat,dont
Feuillet, Ponsard, Sainte-Beuve, Frémy, Achille j'ai conservé précieusement l'exemplaire.
Fould, Francis Wey, Viollet-le-Duc et Quentin- M. QUENTIN-BAUCHART,
Bauchart, mon grand-père, alors président de la Conseiller municipal de Paris.
A peine êtes-vous monté en gondole pour vous séparer, mais ces divorces n'ont jamais été que
promener sur le Grand Canal, que le gondolier passagers. Nous avons été obligé de les reprendre.
vous propose et vous conseille d'aller voir fabri- Ils nous sont indispensables, et ils le savent.
quer les fameux verres de Venise. Il vous cite Ils sont aux pièces et je n'ai pas besoin d'ajouter
plusie 'urs « fournaises pour vous laisser choisir qu'ils gagnent de bonnes journées. Aussi les
celle qu'il vous plairait de visiter, mais aux compte-t-on parmi les bourgeois de Murano. Sans
quelques commentaires dont il fait suivre chaque être riches, ce ne sont pas des ouvriers ordi-
nom, il est facile de savoir où il veut vous mener naires. On leur connaît une honnête aisance. Si
vous les rencontriez le dimanche à Murano vous
de préférence. Le mieux est de se fier à lui; c'est le
plus sûr moyen d'en finir avec les offres, les sol- ne les reconnaitriea pas; fanno i Signori, de vrais
licitudes, les descriptions, que son insistance messieurs, vous dis-je..Juillet venu, la fournaise
souriante et bavarde v ous prodigue. éteinte, ils prennent leurs vacances, deux mois
Je me trouvais un jour dans une des plus employés à voyager ou goûter, enfin, dans une
grandes fabriques de Venise, que je ne nomme- villégiature, l'ombre et le frais. Ils ne se refusent
rai pas parce qu'elle peut se passer de réclame. rien" bons hôtels, coupés de première classe.
Après avoir parcouru une file interminable de Tenez, l'année dernière, j'ai été avec Joseph Bar-
salons, où sous l'éclat de la lumière électrique rovier, ce frisé poivre et sel, là devant nous
brillent et scintillent les verreries bariolées, faire une longue excursion en Autriche, dans le
dont les' formes fragiles et bizarres semblent Tyrol. Quelquefois aussi ils emmènent leur fa-
empruntées à la faune et à la flore marines mille en Suisse. Ils passent du bon temps et ils
j'étais enfin descendu, accompagné d'un gérant, ont raison, puisque leurs moyens le leur per-
à la fournaise si vantée. Quelle ne fut pas ma mettent. C'est un repos bien gagné. Tous les ma-
surprise devant l'unique four, de dimensions, tins ils viennent ici, à Yenisé, où ils n'habitent
restreintes, qu'entouraient huit ou dix hommes pas et ils ont hâte, le soir, de rentrer à Murano,
tout au plus,. dans une salle assez petite Quoi à leur maison. Le métier est fatigant; les yeux
ces quelques ouvriers avaient pu fournir les mil- souffrent et faiblissent; je ne sais si le feu les.
liers d'objets qui étaient exposés au premier altère, mais cette bouteille.pansue que vous voyez
étage Mon étonnement redoubla quand je con- sur cette fenêtre ne chôme pas. C'est effrayant ce
statai que trois d'entre eux seulement, chacun qu'ils consomment; heureusement que le vin, un
disposant d'une bouche du four, étaient les Pappadopoliléger, est pur et subtil. Il leur donne
maître-ouvriers, les autres, plus jeunes, leur des forces et des idées. Leur habileté est prover-
servant d'aides: ° biale et atavique. Les jeunes « chassent » de
« C'est une .même famille, me dit le gérant, race. Ce grand garçon, le fils de Joseph, sera
une vieille famille de verriers qui est à.. pied sûrement un artiste remarquable. Et le gérant
d'oeuvre depuis des siècles. Elle est originaire de me montrait un fort beau gars, à la physionomie
Murano où elle habite encore. Ces. hommes que fine et ouverte, un de'ces corps d'Italien, qui
vous voyez ici sont les célèbres Berroviero; ils semblent servir d'illustration au mot de Léonard
sont frères, et les jeunes gens qui les secondent de Vinci « En Italie, la plante humaine est plus
sont leurs fils. Leur nom a une apparence fran- belle qu'ailleurs ».
çhise et on croit communément, comme ils le Ma curiosité était vivement piquée. On ne ren-
pensent eux-mêmes, que leurs ancêtres sont contre pas tous les jours sur son chemin des
venus de France. Pourtant le premier Berrovier ouvriers de souche aussi illustre et de qualité.
dont l'histoirelocalefasse mention, Antonio, vivait aussi haute. Je me décidai à me rendre à Murano,
à Murano avant 13 10. Ce n'estdonc pas d'hier que pour y chercherdes renseignements authentiques.
la famille travaille le verre. Les Berrovier sont sur les Berrovier. J'eus la chance de trouver ce
incontestablement les meilleurs ouvriersverriers qui m'intéressait au Museô Civico de Murano, où
de Venise. Il nous est arrivé quelquefois, à la j'apprenais, ce qui confirmait les paroles du
suite de contestations et de difficultés, de nous gérant, -que de tous les.enfants qui fréquenten><
le musée pour y étudier le dessin et copier des collège du Rialto (Ginnasio Rialtino), à Venise,
modèles, les petits Berroviersont hors dp. pair, professait un savant Paolo Godi, dit le Pergolano
Ma trouvaille consistait en un opuscule du direc- ou le Pergolese; très versé dans la philosophie, la
teur du Musée M. Cesare Augusto Levi L'arte théologie et la chimie. Angelo Berroviero suivait
del Vetra in Murano nel Renascimento et I Berro- ses cours assidûment et avec fruit. Sa,. science
viero, l'art du verre à Murano pendant la Renais- en chimie lui permit d'obtenir des effets d'émail-
sance et les Berrovier. Je l'ai lu à l'intention des lage et de coloration du verre, inconnus avant
lecteurs du ~tlagasin Pittoresgue, et voici ce qu'il lui. Ses ouvrages étaient recherchés partout.
m'a enseigné. Aussi un poète de Ferrare, Lodovico Corbone, le
La famille Berroviero est désignée, dans les do- célébrait-il en vers
Vue de Murano.
cuments, sous des noms variés Broio, Bero- Hic ¡¡ilus est qui totam noverat artem
dero, Berocro, Boroverius, Beroverius et Be- Angelus angelico præditus ingenio
Lector apostolicus, et secretarius olin
rovier. Son plus ancien représentant Antonio Additus ad cives, florida terra, tnos,
vivait dans la seconde ;moitié du xrne siècle. Il Hune Rex Alphonsus, Bysantius Induperator
était le père de Simon Berroviero qui travaillait Gallia dilexit.
en 1310. Il eut pour descendants, au xme siècle, « Vous trouvez ici celui qui connaissait son art
deux frères Antonio et Bartolomeo ce dernier à fond, Angelo, doué d'une intelligence angé-
est qualifié « de Muriano fisolarius principalis » lique Lecteur et secrétaire apostolique. Il compta
premier verrier de Murano. Bartolomeo qui mou- parmi tes citoyens, Ó terre fleurie. Il avait la
rut avant 1405 laissa trois fils Simone, Giuliano faveur du roi Alphonse, de l'Empereur de Cons-
et Jacopo. Jacopo, qui n'eut pas une grande im-
portance comme artiste, puisqu'on le voit se
tantinople, de la France ».
Ces vers sont une preuve éclatante du' crédit
rendre à Padoue pour exécuter des travaux gros- et de la réputation que s'était acquis Angelo. En
siers, a du moins la gloire d'être le père d'Angelo, effet le titre de Lecteur impliquait la possession
le plus fameux des Berroviero. C'est lui qui a d'un des quatre ordres mineurs; et quand furent
fondé le renom incomparable de la famille. Il se instituées dans le palais Apostolique les écoles
livrait à de longues et pénibles recherches qui pontificales on donna le nom de lecteurs à ceux.
lui coiltaient cher. Une pièce de 1423 témoigne qui y enseignaient les sciences. D'autre part,
qu'à court d'argent, il dut recourir à un emprunt nous savons que la dignité de secrétaire aposto-
et donner comme gage un rideau peint et doré lique était conférée, sous la papauté d'Eugène IV
ainsi que de l'argenterie. Vers ce temps là au et de Nicolas V, à tous les savants, étrangers ou
indigènes, qui s'étaient signalésdans leur partie. richit le ,livre d'or' de la famille de nouvelles:
Angelo Berroviero a donc été un personnage. pages glorieuses. En 1815, le duc de Vendôme
Dans un écrit du temps on le cite en compagnie visitant Murano voulut voir travailler Anzoletlo.
de Donatello, de Desiderio de Settignano et de Il se rendit à sa fournaise et acheta de nombreux
Paolo Uccello. Il a également exercé des fonc- objets d'art, ainsi que sa suite, qui prit plaisir,
tions publiques; Camerlinguede la communauté nous raconte un mémoire du temps en véni-
en 1434, chancelier en 1435. tien, à assister à leur fabricalion.
Asa mort il laissa cinq enfants, quatre fils. et Depuis ces époques reculées, les Berroviero
et une fille. D'eux d'entre eux Marino et Maria se n'ont pas cessé de produire des merveilles, de
montrèrent ses dignes successeurs. Marino avait ,père en fils. Eux aussi ont gagné u au feu leurs
hérité des secrets, des secrets merveilleux de titres de noblesse, titres de noblesse authen-
fabrication; cependant Maria était, dit-on, sans tiques, de bon aloi, qui valent certes tous les
rivale dans l'ornementation du verre, à ce point autres et qui méritent la première place dans le
que le 26 juillet 1497, le doge Agostino Barbarigo Got ha des ouvriers d'art.
lui octroyait le droit de construire une petite JOSEPH GALTIÉR.
fournaise pour son usage exclusif. A l'école de
Marino se formèrent tous les verriers qui con-
tinuèrent durant le xvie siècle les tradditions ar-
~x~ax~ ~~x~as~x
tistiques d'Angelo. Toutes les destinées ont leur vice secret et la plus bril-
lante n'est qu'un plus riche manteau jeté sur la commune
C'est un neveu d'Angelo, Anzolelto, qui en- misère.
LE FROID INDUSTRIEL
Appliqué à la Conservation et au Transport des Denrées agricoles
On parle beaucoup depuis, quelque temps, du soient seuls à déverser leur trop-plein surles
« Froid industriel ». Un rapport présenté récem- marchés de l'Europe occidentale. Vous verrez
ment à la Société Nationale d'Agriculture ;:¡ tout à l'heure que, après le Danemark et la Scan-
montré tout le parti que le producteur intelli- dinavie, la Russie commence, à son tour, à nous
gent pouvait tirer de cette méthode. inonder de ses produits.
Grâce à l'application des procédés frigorifiques C'est l'emploi du « Froid industriel qui a
perfectionnés, la situation économique des parmis cette révolution.
divers pays agricoles se trouve singulièrement Mais il faut, avànt,tout, dïssiper une erreur
modifiée. On a supprimé la distance. Longtemps très répandue dans le public.
la France, par suite d'une position géographique On croit généralement que, pour obtenir arti-
exceptionnelle, a été le principal pourvoyeur ficiellement de basses températures, on doit
d'une grande partie de l'Europe. Il a cessé d'en faire usage de la glace. Il n'en est rien. La glace
être ainsi non seulement nos produits ne a l'inconvénient d'altérer, par suite de la fusion
jouissent plus de la même faveur sur les mar- de l'eau, les denrées avec lesquelles elle se
chés voisins, mais encore les plus lointains pays trouve en contact. On le sait et de là vient la
viennent les concurrencer jusque sur le carreau défaveur qui, pour le gros public, s'attache aux
des Halles. produits conservés.
Qui ne se souvient des surprises offertes dans Qu'il se rassure on a renoncé à la glace.
cet ordre d'idées aux visiteurs de-l'Exposition de Aujourd'hui, grâce aux progrès de la science,
1900? Alors qu'au mois de juillet les laits de pro- nous avons des procédés tout autres la détente
venance française arrivaient tournés à Vin- des gaz, comprimés, l'évaporation des liquides
cennes, ceux d'Amérique étaient dans un état volatils comme l'ammoniaque, le chlorùre de
de parfaite conservation. De même les fruits méthyle, l'éther, etc., permettent d'obtenir une
expédiés des États-Unis semblaient avoir été température basse et constante sans rien enle-
coupés une heure avant sur l'arbre. ver de leur saveur aux denrées les plus suscep-
Ce ne sont pas des faits isolés on mange à tibles.
Londres des œufs frais d'Australie; le beurre de Le froid est distribué dans les chambres fri-
la République Argentine y est réputé pour son gorifiques,soit au moyen d'un système de tuyau-
arôme. terie adhérent aux parois, soit par l'introduction
Actuellement le Canada s'organise en vue de directe d'un grand volume d'air froid qu'on fait
trouver sur nos tables l'écoulement d'une partie circuler par des procédés mécaniques et revenir
de son immense production. ensuite dans les pièces à frigorifier.
N'allez pas croire que les pays d'outre-niér Il existe- actuellement dans le monde plus de
50:ÛOO installations de ée genre les unes ont dans le mouvement.' Ses trains de~ beurre font
pour objet la concentration des denrées avant merveille. Corripasés de vingt-neuf voitures rê-
l'expédition; d'autres assurent la conservation frigérentes d'un modèle très perfectionné, ils
pendant le transport, soit par eau soit par fer; il portent, trois fois par semaine, des centres agri-
en est encore qui servent de dépôts à l'arrivée; coles de la Sibérie occidentale aux rives de la
de telle sorte que les produits peuvent être li- Baltique, des produits qi.li,.troisjours après, sont
vrés en parfait état de fraîcheur au fur et à me- consommés à Londres.
sure des besoins de la consommation. D'autre part, le gouvernement de Finlande
Ce sont. les États-Unis qui possèdent fe plus vient d'accorder une subvention de trois millions
grand nombre d'installations frigorifiques. En de francs à une Société de navigation, à charge
Allemagne elles se multiplient tous les jours. à elle de pourvoir ses bateaux de cales frigori-
L'Angleterre compte 200 grands dépôts publics fiques.
ou privés, soit pour l'importation des viandes L'élan, on lé voit, est général.
congelées, soit pour la conservation de denrées Pendant ce temps que faisons-nous ? A peine
de toutes sortes lait, volailles, poissons, lé- quelques essais timides. Deux ou trois coopéra-
gumes, etc. tives de vente et quelques gros négociants sont
Le Danemark use largement du froid pour la les seuls jusqu'ici à user chez nous des procédés
conservation et le transport de ses beurres; la frigorifiques.
Suède et la Norvège commencent à l'employer. Il est nécessaire d'aviser.
Enfin voilà que la Russie entre résolument CH. BRILLAUD DE LAUJARDIÈRE.
A la Restauration, au sortir d'une terrible crise, sait séduire aux belles vitrines des magasins
l'ivoirerie se réveille. Plusieurs causes. favorisent Belleteste, Flamand, Blard, Thomas, Brunel, Hé-
cette résurrection. D'abord, en 1816, une inva- bert, Delahaye, Depoilly. Des ateliers se rou-
sion (pacifique cette fois) de touristes anglais qui, vraient, se repeuplaient ou se créaient. Sous
trop longtemps sevrés des douceurs du conti~ l'influence des survivants du précédent siècle, de
nent, débarquent à Dieppe et se précipitent, la Buisson (1) surtout qui, avec un zèle d'apôtre,
bourse à la main, chez les marchands ivoiriers sauva, sous Louis XVIII, l'industrie ivoirière
ravis d'une telle aubaine. Puis les séjours ou d'une ruine.imminente, des élèves se formaierit,
visites de princes ou princesses qui, par bien- qui-souvent devenaient des maîtres.
veillance, intérêt, reconnaissance, encouragent Restaient encore Belleteste (Louis-Augustin) et
l'industrie locale par de belles commandes. surtout Louis-Charles-Antoine qui, par leur~ por-
L'exemple vient d'en haut;'le branle est donné; traits, bas-reliefs et statuettes, maintenaient di.
le goût public suit. On n'a pas encore oublié ici gnemenl l'héritage d'un nom glorieux (2). On
la fameuse duchesse de Berry, si affectionnée citait à part Meugniot qui fit « tous les métiers »,
pour' le séjour estival de notre ville et les flots les meilleurs et les pires. Artiste inégal, parfois
glauques de la Manche. C'est à elle que Dieppe inspiré, souvent négligé, recherché autant comme
doit la fondation de son Casino et la vogue de ses portraitiste que pour ses suaves figures d'anges
bains de mer. Elle fut (rendons-lui justice) la etde vierges (3), suffisant à peine aux commandes,
Providence de Dieppe et de l'industrie ivoirière. il connut toutes les faveurs de la fortune, avant
On se rappelle aussi la visite du roi Louis-Philippe de mourir misérable et fou. On vantait aussi, de
et le séjour fait en notre ville, en 1853, par, l'em- Bignard, un Saint-Pierre avec son coq; de Clé-
pereur Napoléon, nouvel époux de Mllade Montijo. mence, des vierges et christs, et maints bas-reliefs.
En attendant Trouville, création de M. de Mor- inspirés des métamorphoses d'Ovide; de BruneI,.
ny, ou Biarritz, désir de l'impératrice Eugénie, et le port~'ait de Charles X, et'la Baigneuse (d'après
d'autrestrous « pas cher » inventés depuis, Dieppe Falconet); de Blard aîné, marchand et artiste, le
fut la plage mondaine préférée. Et l'on n'y venait buste du fameux sauveteur Bou4ard, que Na;po-
point sans en rapporter au moins quelque gra- léon Ior décora. Blard jeune, outre le portrait de
cieux objet, produit bien authentique du travail sa vieille mère, jadis nommée « la belle ivoi-
ivoirier local. Depuis. Mais pouvons-nous tout rière » modifiait, dans ses christ l'éternel type
dire ? Girardon, soit en penchant la tête à'droite ou à,
C'était donc le bon temps, pour l'ivoirerie diep-
(1) Buisson aurait eu jusqu'à 22 élèves.
poise, que les règnes de Charles X, de Louis-Phi- (2) Le dernier des Belleteste est Louis-Cliarles-Antoine,
lippe, et le début du second Empire. On se lais- né en 1787 il devait mourir du choléra à Paris, rue Vi-
vienne, en 1832. Avec lui ce nom disparaît dés annales
(i) Voir le Magasin Pittoresque des 15 août et ior sep- ivoirières.
tembre i90L (3! Voir Viergede Meugnot (Mag. Pitt., 15 août 1901).
gauche, soit en croisant ou en juxtaposant les Et que dire :des ivoiriers fleuristes dieppois
pieds (,t) (christ à trois clous, christ à quatre Les fleurs, ce gai sourire de la nature féconde,
clous) tantôt donnant au crucifié des muscles avaient tenté, dès longtemps, les doigts habiles
d'athlètes (le christ auvergnat) tantôt s'essayant de nos ouvriers artistes. Nous avions eu déjà les
dans le christ janséniste, dont décidément la enguirlandements fleuris des Belleteste et Cro-
clientèle ne veut point. Nicolle aîné, dit « martyr queloi au XVIIIe siècle. Au vme, les ivoiriers fleu-
de l'art )), sculptait d'après l'antique li9e~·cure, ristes sont légion. C'est Hébert, entourant d'une
dentelle fleurie la silhouette fine du Casino sous
Charles X. Ce sont surtout Saillot, reconnu
comme le roi de la fleur et des grappes de rai-
sins Lachelier, inimitable pour la finesse et la
vérité de ses roses mousseuses; Carpentier, dont
la psyché ovale destinée à l'impératrice Eugénie,
et qui eut tant de vicissitudes, était une mer-
veille (1). C'est encore Bouterolle, en attendant
Ternisien, si apprécié pour ses muguets, et tant
d'autres
Mais parmi tous ces noms, dont la plupart ne
disent rien au lecteur, il en est deux qui sur-
gissent et dépassent tous les autres Graillon,
Norest. Arrêtons-nous un moment à parler de
ces deux gloires incontestées de l'art dieppois.
La vie de Pierre Graillon (1809-lgî?) fut une
odyssée véritable, navrante au début, à la fin
glorieuse et reposée. Il a connu toutes les priva-
tions, avant d'arriver, au prix d'un labeur inces-
sant, à conquérir plus qu'une place, un nom. En
ses ivoires, ses sculptures sur bois, ses terres'
Portrait de Charles cuites surtout, que les amateurs s'arracbent,
X, par Brunet.
(Collection Lorain.) donnant à toutes ses œuvres un cachet bien per-
o
sonnel, P. Graillon reproduit amours gracieux
Bacchus, Ariane, les vases Bo~~glaèse. Francis Ou- et légers, nymphes vaporeuses, scènes popu-
vrier donnait une A~zd~·cmède,longtemps appelée laires, pauvres et gueux. Vrai poète des joies et
« la Vénus au rocher ». Michel Ouin, renommé des misères humaines, avec une maitrise parfois
pour ses christs, qu'il retouchait trop, toujours fougueuse, il vous force toujours à penser, à
mécontent de son oeuvre, envoyait à l'Exposition réfléchir.
de 1855 un 11'ap~oléo~z méditant. Quant à Jean François Norest, retenez bien,
Et les Thomas, Guiche, Robin, Allard, Morier,
Sacquépée, le joyeux père Jean Vié, chansonnier
et poète, nous ne devons pas les oublier.
Quelques-uns, comme Choulans et Farges, se
spécialisaientdans les vieux types documentaires,
maintenant introuvables, de pêcheurs polletais
en leur costume si pittoresque; ou, comme Fr.
Beauchène, « portraituraient des gueux et men-
digots, d'après nature, ou d'imagination.
D'autres, comme Decret, faisaient les chiens
lévriers, surtout les combats de coqs ou, comme
Drevet, « se servant d'animaux pour instruire les
hommes )), burinaient quelques-unes des fables Le casino de Charles X, par Hébert.
(Collection Garcin.)
de La Fontaine.
Nicolle jeune et plus particulièrementNyon, lecteurs, ce nom, comme celui du plus complet
qui travailla à Nuremberg, renouvelaient les artiste ivoirier que, avec Moreau, le XIX. siècle
prouesses des tourneurs japonais ou des tablet-
tiers bavarois. Ils taillaient de toutes petites (1) Le cadre de cette glace-psychè était orné de guir-
landes de !leurs et d'amours, Le bas de la glace était formé
boites, carrées ou rondes, s'encastrant les unes d'entrelacements de feuilles de laurier et de chêne, sur
dans les autres, avec un jeu de quilles dans la lesquelles une grosse araignée, dans un coin de sa fine
dernière. De'la grosseur d'une cerise, cela se toile
Dame
en fils d'ivoire guettait sa proie une mouche.
Censure, dit-on, ou la Police, e:tcitée par quelque
vendait cinq francs. Était-ce trop cher? rival envieux de l'artiste, crut voir en cela quelque maligne
allusion politique. Il n'y en avait point. Et cette mer-
veille à laquelle Carpentier travailla six ans, eut bien du
(1) G. LEU,\S, ~fl~stoire de la ville de Dieppe, -1530-lS7p. mal à arriver à destination.
français ait produit. Sa vie, simple, courte, mais gorie d'ivoire intitulée Fuyant l'~l~nour,et portant
bien remplie, nous pourrions la raconter toute bien sa date. « Crains-tu l'amour? Oui.
depuis sa naissance en 18~2, rue Richard Simon, Veux-tu le fuir? -Non. » Fuir, à dos'de tortue,
où ses parents étaient fruitiers. jusqu'à sa mort, l'amour, l'amour, qui a des ailes! Tout est à
de la variole noire, contractée avenue Trudaine, louer dans ce petit chef d'œuvre: l'habileté du
à Paris, en faisant bravement son service de faire, la science du nu et du modelé, le naturel
garde national (octobre 18iO). Norest résume en de l'expression et de la pose, avec je ne sais
lui toutes les qualités éparses de ses devanciers quelle grâce, plus charmante encore que la
et montre bien, par ses œuvres, les ressources beauté, qui captive l'esprit, le cœur et les yeux.
nouvelles qu'une étude assidue de tous les jours Créateur, Norest le fut encore dans le buste de
avait mises à sa disposition. Déjà le meilleur Napoléon I II que pieusement garde, à Chislehurst,
élève, à Dieppe, du célèbre dessinateur Féret, il l'ex-impératrice Eugénie. La tête, laurée à la
voulut encore (à 24 ans) approfondir la science Tibère, est en ivoire; la poitrine, drapée à l'an-
du dessin et du modelage, à Paris, sous M. Cail- tique, en bronze; le pied est en porphyre. Mais
louette. Il y étudia le corps humain et le jeu Norest fut surtout créateur en donnant les mo-
des
.J muscles sous le 1 fa-
Í' dèles de tant de statuettes,
meux Dr Auzou, fonda- devenues classiques, mais
teur de l'anatomie classi- trop souvent gàtées par de
que. Il s'initiait aussi il maladroits copistes, enplâ-
tous les secrets de la sculp- tre, stuc, biscuit, ivoire. De
ture dans les ateliers de lui, en effet Saint Vincent
David (d'Angers) et Car- de Paul, SaintJose~h, l'Im-
rier- Belleuse. Ivoir i e rs maculée Concep~tion, Notoe-
dieppois, voilà l'homme Dame des Victoi~~es, Jész~s
qui devrait en tout vous enfant dowraant sun la croix.
servir de modèle. Depuis le grand prix qu'il
Mais jugeons-le plutût obtint à l'Exposition de
d'après ses œuvres. Di- 1855, Norest, absorbé par
rons-nous qu'il fut profes- ses consciencieux travaux
seur de dessin aux. écoles de professeur et la multi-
municipales de Paris? Rap- plicité des commandes,
pellerons-nous que, tou- n'exposa plus. Dès cette
jours le crayon à la main époque, l'on constatait un
pour se délasser du burin ralentissement dans le tra-
ou de l'ébauchoir, consi- vail de l'ivoire. Le nombre
dérant le culte du dessin des ivoiriers devait, de-
ou de la forme et l'étude Portrait, d'après nature, de femme âgée, par :orest. puis, toujours décroître.
de la nature comme la La vieille tante Je l'auteur. De 400 à 500 qu'on comp-
probité de l'artiste, jamais tait alors, on n'allait plus
il ne passa un jour sans tracer au moins une en trouver que 300 en HHJG, 1?0 en 1882 et
ligne? Nous sommes heureux de pouvoir mon- maintenant. 30 à 40 (?!) tout au plus, à Dieppe
trer le portrait qu'il fit de sa vieille tante nona- même ou aux environs. Quelle chute!!
génaire. Dans ce travail, qu'on croirait presque Autouret au-dessous de Norest, qui les domine
de la main de Dürer ou de Greuze, les vrais de toute la hauteur de son talent prestigieux, ee
connaisseurs s'accordent tous à voir une oeuvre groupait une phalange d'artistes, som'ent de pre-
de premier jet, digne de la cimaise du Louvre. mier ordrè. En tête Charles Colette, si habile à
Comme ivoirier, ;'Íorest ne s'est pas borné à traiter le nu, se signalaitpar des pièces de choix:
reproduire la belle l'énus de Médicis, qui est à Flora, Psyché, Phryrzé, le Gazouillement d'Oi-
Londres (musée de Kensington); ou le groupe seaux, etc., etc.; puis une glace He~z~·i II, agré-
(d'après Triqueti) de la lilaclelei~ae se jetant da7zs- mentée d'arabesques et cariatides qu'eût avouées
les br·as de la Proaidence (musée de Berlin), ou le Jean Goujon. De lui aussi
un bénitier d'ivoire,
fameux christ, of1'ert par les dames lyonnaises à figprant un portail de cathédrale gothique, s'en-
la veuve du président Carnot (1) il a été aussi tr'ouvrant pour laisser voir le prêtre à l'autel.
artiste créateur.. Charles Colette a travaillé également en Angle-
.Créateur, il le fut dans son Hébé, personnifi- terre I;po~·tnait de Y~ictoria et d'Albert), à Ham-
cation suave de la jeunesse innocente et naïve; bourg, en Allemagne, produisant sans cesse, expo-
surtout dans cette délicieuse et si parlante allé- sant souvent, toujours médaillé, formant de nom-
breus élèves (1).
(1) Ce christ, d'après celui de Girardon, aurait été acheté
à un marchand de Lyon (Grégoire) G000 francs. Je dis (1) Son fils, Jules Colette, bien apprécié pour ses bas-
bien six mille francs! Mais c'est un chef-d'œuvre incom- reliefs et statuettes, porte noblement un nom qui, seul,
parable et sans prix. suffirait à lui servir de réclame,
Félix Graillon, talentueux héritier de son père, ne vient pas, dans son Ajax, de se révéler comme
taillait dans un seul morceau d'ivoire une Vénus une étoile qui se lève. Tous enfin proclament
sozxlevant et entbrc~ssccixt l'Anaox~i~. Picavet, élève que, pour les beaux christs, cadeaux à faire à de
de Norest, traitant aussi bien le sacré que le pro- riches connaisseurs ou à des princes, J.B. Le-
fane, abordait certains sujets de l'histoire mo- febvre ne craint personne. Et l'on parle du beau
derne (Charles 1er, de Van Dycl;; Henri IT'~ et crucifix. de Lefebvre offert par les dames du Tré.
llfarie de ~llédicis). Heude, le plus fort miniatu- port à la princesse Marie d'Orléans lors de son
,riste-ivoirier depuis Belleteste et Dailly, enca-
drait de fines ciselures et figurines (vie de Jea.~me
d'Arc, etc.) de délicieux coffrets et miroirs.
Ceux-là sont morts. Nous ne voudrions, certes,
point désobliger les vivants; mais, malgré leur
nombre restreint, nous ne pouvons les men-
tionner tous. Nous aimons à causer avec eux,
tirant toujours profit de ces causeries sans ap-
prêt. Pour nous (et il faut les en remercier) les
rares anciens qui restent consentent aimable-
ment à compulser lenrs souvenirs et à revivre
« le bon vieux temps ».
a
Bonaparte, par G, Souillard, père.
(Collection Souillard.)
LE DERNIER ÉPI
LE P~`R~ DARTIGrT(AC
NOUVELLE
C'était bien ce que l'on est convenu d'appeler moi-même par cette franche gaîté d'âme bonne
« un brave homme », ce gros M. Dartignac au dont j'ignorais encore la délicatesse affinée de
parler sonore et au ventre large, avec lequel je sentiments. Il me semblait impossible de décou-
fis connaissance dans le wagon qui nous empor- vrir en lui autre chose qu'un bon vivant superfi-
tait toux deux, l'an passé, vers l'Auvergne. Tout ciel se pouvant définir un' hoiume heureux de
en lui: sa bonne figure joviale au teint chaud, vivre. Mais le .Méridional est familier. des con-
encadrée de favoris bruns courts' et drus, son trastes. Dans son esprit chantent et pleurent
crâne rasé qui se terminait par un front bombé tour à tour les joies les plus vastes, les tristesses
un peu étroit, sa façon de poser ses deux poings les plus mornes, comme dans son coin de terre
fermés sur ses cuisses trop courtes en vous natale s'opposent les étés splendides et enthou;-
fixant de ses yeux clairs, tout accusait le terroir. siastes et la mélancolie presque germaine des
Pour acheter un cigare ou louer une couver- nuits pâles sous des cieux pavés d'astres
ture, il faisait par la portière de gr.mds mouli- Il nous arrive bien des fois, après ces bru,57
nets avec' ses bras, ce qui ne manquait pas de ques explosions de gaité, de rêvasser, délicieuse-
faire sourire 'le beau brun et la dame blonde qui ment attendris. Le brave homme subit, lui
cessaient de se regarder à l'autre bout du com- aussi, .cette impression commune à tous, mais
partiment, pour reprendre peu après leur muette d'une façon d'autant plus apparente qu'il ne l'a-
adoration, traversée de ces sourires étrange- vait jamais atténuéé en se donnant la peine de
ment doux de nouveaux mariés, de ces sourires 'l'analyser. Les traits de sa physionomie s'étaient
qui ont l'air de se souvenir. empreints d'une gravité émue. Sa voix baissa
Lorsque la conversation fut. engagée, après d'un demi-ton au moins, et il continua
avoir échangé nos cartes, mon interlocuteur fut «
Vous me voyez bien gai, Monsieur, aujour-
intarissable. Les choses les plus ordinaires,. les d'hui. Je n'ai pas toujours été ainsi. Avant de
plus faciles du monde à raconter en prose sim- devenir l'industriel que je suis, je connus des
ple, prenaient parfois chez lui des tournures heures d'angoisses terribles dans ce Paris, qui
hyperboliques dont il avait conscience, car il in- m'était étranger, aussi étranger que si je me fûsse
terrompit un instant le récit de je ne sais plus trouvé dans une ville où les habitants n'auraient
quelle histoire pour me dire eu de commun avec moi que la langue. et en-
« C'est effrayant, mon cher Monsieur Je suis eore J'y vins chercher fortune, seul, sans autre
Auvergnat, et l'Auvergnat est d'un abord géné- ambition que celle de dégrever ma pauvre vieille
ralement plus froid et plus rude que le mien mère qui, chaque année, à pa.reille époque, est
On dirait, vraiment, que j'ai attrapé quelque le but de mon pèlerinage au p¡tys..Ah c'est con-
bon coup de soleil dans les parages de la Canne- solant, cher Monsie ur, de pouvoir se dire, loirs-
bière Et pourtant, Auvergnat pur sang depuis qu'on n'est pas assez beau pour épouser une
un nombre incalculable de générations Mais, belle enfant que l'on aimerait tout aussi bien -=-
par exemple, en affaires ce n'est plus le même mieux peut-être qu'un autre, que 1.'on a ce-
Dartignac » pendant, quelque part, un être cher pour lequel
Je hasardais « On dirait alors que vous avez on travaille sans trêve. Il ne tiendrait qu'à m9i
été, par la suite, stérilisé dans les brouillards d'aller me reposer deux longs mpis sur upe
glacés de la Norvège 1. plage en renom. Mais à nous autrçs terriens, la
Parfaitement, s'exclama-t~il en éclatant.de mer apparaît' comme une anonyme hypocrite
rire, oh parfaitement '1 »
Et il riait, riait de bon coeur, à pleine voix, tant
qui appartient à tout le monde et n'est à per-
sonne, tandis qu'il est bien à nous le coin de
et si bien qu'à peine perçait èntre ses paupières, terre où fleure bon le foin d'Espagne, où croit le
rapprochées par le rire olympien qui la secouait, blé noir, que nous fécondons de nos labeurs, de
son petit œil gris plein de bonhomie _et d~:ma- nos bras qui ignorent les délassements réguliers
lice. Je le regardais se calmer peu à peu, égayé des vies citadines.
Connaissantla ferronnerie et le travaildu cuivre à la vieille mamllnen bonnet de laine, en jupe
je.vins donc à Paris. Un jour, j'apprends la mise courte, chaussée de souliers grossiers lorsqu'elle
envente d'une vieille grille de château gur laquelle verrait la table de chêne des repas, la lingerié
la rouille avait çà et là mordu. J'emprunte la blanche et fraîche mais vulgaire, elle rirait peut-
somme nécessaire à son achat en hypothéquant être, se moquerait, aurait le dédain sur les lèvres,
mes biens et quelquesmois après, je la revendais un dédain de femme du monde pour tout ce qui
à la ville, remise à neuf, réalisant un gain énorme. ne châtoie pas, n'est pas doux à la main, velouté
Je monte un magasin, puis un atelier. Et voilà au regard! La pauvre mère comprendrait cela,
l'exacte et honnête genèse de ma fortune. » elle, si bonne, si douce; et elle souffrirait, sans
Le train stoppait en gare de Nevers. Le jeune rien dire, résignée! Ah! mais non non!
couple descendit. Il le regarda longer le quai, Voyez-vous je ne crois pas beaucoup à la trans-
puis, avec un hochement cYe tête « Bah! ces formation des caractères dans le mariage, ni
mains là, dit-il, en ouvrant les siennes larges et jamais dans la vie. On s'observe, on s'étudie un
trapues, sont trop rudes pour d'aussi frêles mi- moment, puis le fond de la nature réapparaît, et
nois » Puis il poursuivit: ce sont des heurts, des scènes, quelquefois
«N'allez pas croire que je vous ai raconté cela, pirei. Quand je me redressai, Monsieur, de
poussé par un instinct de gloriole,cher Monsieur ma méditation, comme je ne suis pas un raison-
N'est-il pas vrai que la vanité des enrichis est le neur à perte de vue, le mariage était rompu! »
plus insupportable des défauts ?. Il s'arrêta un instant, un peu ému, le regard
perdu vers la ligne bleue des Cévennes qui déjà
Voici où je veux en venir. Il y,a quelques cou-
ples d'années de cela, alors que j'étais déjà, avec se.dessinait au loin. Autour de nous disparais-
beaucoup moins de ventre et plus de souplesse saient champs verts et labours bruns aux pieds
dans les mouvements, sûr de l'avenir, je devins des monts arides d'Auvergne, volcanisés, chau-
amoureux de la fille d'un de mes compatriotes, ves sous le ciel bleu.
mon principal fournisseur. Elle avait vingt ans Une dernière fois, il reprit « Figurez-vous
et moi trentP. C'était parfait. Seulement j'étais que deux mois après j'étais auprès de ma mère.
Auvergnat, et elle était Parisienne, ce qui était Je n'étais pas revenu au pays depuis un an, c'est-
moins bien. Néanmoins j'avais fait part de mes à-dire depuis que ma fortune était solidement
vues à qui de droit, et les fiançailles approchaient. établie. rentrais dans notre ferme 'branlante. La
J'étais sincèrement, gravement amoureux, je puis chère femme m'attendait, à mie-montagne, au
le dire aujourd'hui que je n'ai guère plus rien à bord du torrent contre lequel un rocher énorme
craindre du côté du coeur! Sans être un senti- nous protège, l'hiver. Je l'embrassais avec efi'u-
mental exclusif, plus d'une fois mon marteaû sion, puis, tandis qu'elle me préparait quelque
d'ouvrier avait tremblé dans mes mains, mais. nourriture, j'emplis un saladier de louis d'or.
là-bas! Avais-je le temps d'ai- Ah 1 Monsieur, si vous aviez vu avec quelle émo-
la « mémé ». t ion la pauvre femme, qui n'avait jamais connu
mer? Je vous assure que j'allais même jusqu'à
me dire que je n'en avais pas .le droit Enfin, l'aisance même la plus modeste, me regardait!
bref, le jour.des fiançailles arrive. J'offre à la Puis, elle eut, en me fixant, un de ces longs
jeune fille la bague de circonstance. Vous com- regards interrogateurs comme, seules, en ont les
prenez, mon bon Monsieur, que lorsque l'on :a mères, et que, seul, un fils peut comprendre..
remué du fer toute sa vie, les grâces subtiles de « Prends-le sans crainte, dis-je, en la pressant
la bijouterie féminine peuvent bien vous échap- encore dans mes bras, il est bien à moi, je l'ai
perunpeu Monbijou était-il vulgaire?je ne sais; bien honnêtementgagné, va 1. Puis j'ai pleuré,
.ni ais il fut froidement accueilli, presque avec parce, que j'avais quand même quelque chose de
une moue de dédain. Oh! cela ne passa pas ina- brisé dans le cœurL.. C'est pour ne pas devenir
perçu à mes yeux; allez! Rentré chez moi, je un aigri dans la solitude de ma vie, ou un blasé
.-réfléchis, la tète dans mes deux mains, ce qui repu, que j'ai voulu oublier à force d'êtr~ bont
Croyez-moi, c'est un moyen qui en vaut un autre,
ne m'était jamais arrivé. Ma fiancée était jolie,
sans doute Je l'aimais et je ne crois pas encore et il a.le mérite d'être avouable. Aujourd'hui on
lui avoir été indifférent. Mais cette moue que m'appelle le père Dartignac dans le pays. Je n'ai
signifiait-elle, cette moue de ses petites lèvres plus qu'une seule source de vraie joie au monde
fines et railleuses? Je ne fus pas long à trouver, le bonheur que je répands autour de moi 1: »
malgré mon inaptitude absolue à démêler la signi- Quand nous nous sommes séparés à Clermont-
ficatidn secrète des états d'àme Le senti.J;nent Ferrand, j'ai lentement, longuement serrré la
vous a de ces divinations-là qui ne trompent main de ce.brave homme, àme d'élite sous-des
guère. Ta fiancée est coquette, me dis-je. Pari- apparences frustes, et j'ai pensé à la transcrire,
sienne éduquée dans un des grands couvents de cette 'simple et bonne histoire de la vie réelle
la capitale, elle m'apparut comme une jeune fille qui peut faire oublier un instant les vilenies
cultivée, mais superficielle, désireuse avant tout quotidiennes dont on est parfois la victime, sou-
de plaire, de plaire beaucoup pour n'avoir'pas vent le spectateur méprisant ou révolté.
PIERRE AUD1BERT..
trop à aimer. Alors, lorsque je laconduirais là-bas,
LC'
.Q..
J" t,
LETTRES:ET ARTS
,tion; qu'il ·horiore °de ~a~préseiJcè'Ièi',7tn: siléri~cé,
puis le br:t,ve homme reprénait sur un.t~n-pli~s lugu=
lira I9s en Ont emporté comme cela quatre pleines
charrettes ».
"'Cette pfaint6 d'un subalterne qui souffre dans son
amour-propre local, devrait être' entendue. « Ils » en
Les journaux. quotidiens -étant tout t au Tzar (et c' 6St 'emportentbien plus encore à Compiègne Et; d;année
fort heureux, cet empressement' à satisfaire dès -èn année, si on n'y prend garde, salles et galeries se
''Curiosités devinées; c'est un 'indice de l'état d'esprit 'videront davantage..
général qui né peut que réjouir n~6tre, patriotisme) Ce. n'est pas qu'à notre avis on ne puisse -utiiise.
on apubtié naturellement force détails Sur le palais en de rares oc'C:Ísions; ce mobilier national. il est
de Compiègne, où nos augustes visiteurs 'ont accepté impossible évidemment de.loger l'Empereurde toutes
J'hospitâlité. Entre autres un trait frappant el attris- les Russies comme on fit du Shah, en un local du
tant est la tranquillité avec laquelle uu excellent ins- Bois de Boù(qgne qui;, nagu8re, étaif< tout juste suffi-
pect eur des bâtiments civils ou du mobilier "national sant pour uIÍ dentiste' célèbre, son 'propriétaire! Mais
(peu importe) disait à'un reporter « Voyez, il n'y a nous.sommes désireux; de voir, maintenant, chaque
plus grand chose ici, mais je ne suis pas embarrassé. chose qui nous reste demeurer à une place définitive.
.1e vais utiliser ce que j'ai là, puis je puiserai ailleurs. Si Compiègne a été vidé', qu'on le'remeuble'- même
'C'est l'affaire d'emplir un train ou deux ».. en art nouveau ou qu'on l'abandonne; en tant que
Et c'était exact et, le: fonctionnaire: l'a fait comme résidence souveraine. Qu'on se contente de Fontaine-
il l'a dit; il a recommencé à dévaliser Fontainebleau -bleau, remis "eu possession de ses'.merveilles ou de
et Versailles, et d'autres châteaux nationaux encore, Versailles ou de Rambouillet ou. 'de ce qu'on vou-
et il a disposé pour chaque pièce destinée aux sou- .dra. Mais, c'est assez,- c'est trop de. 'promenad-es- de
verains ou à leur suÏie' un. ameublement qui ne sera charrettes pleines1
.-peut-être pas trop' disparate, car il n'est pas prouvé Compiègne évoque aussi, dans la presse, un
que cet inspecteur ne sache son métier. Il se tire grand nombre de souvenirs des superbes fêtes qui s'y
d'embarras de son mieux et il a raison. Mais le fait, donnèrent sous les dernières années de l'Empire,
en.soi, n'est pas moins. regrettable et doit être rete- 1867-:1868-1869; on fouille, dans ce lint, lès chroniques
nu à titre de leçon -nous avons gaspillé efiioya- dés journaux du temps et on en tire des anecd'0le3
'f¡lement ce qu'on appellp. le « mobilier national », plus ou moins amusantes sur les littérateurs, artistes
c'est-à-dire des collections de meubles, d'objets d'art, et gens du monde qui, invités à fa' Cour, se coudoyè-
de tapisseries -jusqu'à de menus objets de ménage rent, les uns servant à amuser'tes autres. Il ne reste
-ou' d'intérieur: depuis :l8iO, où ils tombèrent entre plus guère de ces gens de lettres qui soient à même
les mains de la nation française elle-même, nous les d'écrire maintenant des notes personnelles; trente-
-avons dispersés on ne sait comment, d'une façon trois ans se sont écoulés et la Faucheuse a fait son
absurde; des grandes ambassades ou des petits mini- œuvre; cependant, on trouve encore, très vaillant et
-stères on envoyait puiser au garde-meuble pour en pleine possession d'un talent qui n'est goûté que
rafraîchir ou orner un salon. Cela ne se fait plus de trop peu de, lettrés, un hpmme de plume qui,
autant, on assure même que cela ne se fait plus du mieux que personne, a connu les splendeurs de Com-
tout, mais sur ce dernier point nous sommes fort piègne: c'est M. Augustin Filon qui fut précepteur
sceptiques et nous craignons fort qu'on ne cède en-. du Prince impérial, et qui vit aujourd'hui en Angle-
core à des demandes d'Excellencesdiplomatiques ou terre où il écrit de beaux'livres de critique historique
parlementaires' qni pleurentmisère poudeurs locaux. et des articles pour des Revues ou pour le Journal des
En tout cas, si ce n'est accompli déjà, il est temps ~ébats..Dans un de ces derniers, précisément,M. Filon
desuppi-imer radicalement ces pratiques et ces abus vient de conter un peu de ce qu'il vit, dans, la saison
'puisqu'une réception telle que celle de Coinpiégne d'automne dè 1868. Il Ta fait avec une émotion dis-
nous montre à quel degré d'appauvrissemérit nous crète, très délicate. Il cite quelques-uns de ses con-
sommes tombés. On ne va guère à Compiègne, d'or- fréres qui « en étaient II- et nous relevons le nom du
dinaire pour une fois qu'on y va, on'n'y déconvre doyen actuel de la Faculté des Lettres, M. Croiset,
presque plus rien, comme on s'en doutaitd'ailleurs, celui'encore de M. Gaston- Boissier, celui aussi de
sans vouloir.l'avouer tout haut. Et on est obligé de 'M.Egger. 0 lycéens qui passàtes de pénibles bacca-
se réapprovisionner.« ailleurs Mais « ailleufil'?» » lauréats sous la férule de M.. Egger, l'auriez-vous
Eh bien, les pièces resteront vides pendant quelque -cru « courtisan de Compiègne »? M. Filon rapporte à
temps: Il n'y a pas ¡¡rand dommage! Qui vous affirme son sujet un trait tout à fait plaisant
que toutes ces 'belles commodes, ces tables qui sont « M. Egger, dit M. Filon, avait remis à l'Impératrice.
-des chefs-d'œuvre de marqueterie, ces bahuts dont certain manuscrit roulé et c'acheté en la priant d'y
t'état de' conservation est admirable autant que le jeter les yeux. L'Impératrice me demanda de la ren-
style en est exquis, ne recevront point quelque atout seigner sur M. Egger. Je fis le plus grand éloge. de
en route ? qui peut vous affirmer même' qu'ils revien- l'éminent helléniste dont j'avais suivi le cours à la
-dront tous à Fontainebleau ou à Versailles? Sorb'onile. « Alors, demanda-t-elle,'il ne s'occupe
Pendant toute l'Exposition dernière, comme on jamais que de choses grecques? » Je' répondis avec
avait déjà fort employé ce système de dévastation conviction «- Jamais » Quelques jours après,
~administrative, un des gardiens de, Fontainebleau, M. Egger se trouva sur le chemin de l'Impératrice
quand il faisait les honneurs de « son » Palais, qu'il « Puis-je demander à Votre Majesté ce qu'elle a pensé
aimait visiblement, montrait avec un geste désolé du manuscrit que je lui ai remis? -Mais. c'esllrès
des vides ça et là et disait « Ici devrait se trouver le intéressant: Ah ces souvenirs de la Grèce ont un
fameux vide-poche de. lls l'ont. emporté à l'Exposi- charme. Mais, Madame; ce sont des documents
inédits sur Mari'3-AnLoinett'e! » Egger ne se déferra Botha est toujours intangible à l'est du Transvaal
point et prouvai. en effet, à l'impératrice que c'était et Delarey, à l'Ouest.
très intéressant ». Depuis, elle a souvent ri de cette De Wet est toujours insaÍsissable dans f'Est de
histoire. » l'Orange, et une nuée de petits commandos circulént
Mais M. Egger n'avait pas dû en rire, lui! Et il s'est dans la colonie du Cap. Cela n'empêche pas M. Cham-
peut-être replongé dans le grec, uniquement, parce berlain d'être satisfait il est toujours content,
que Marie-Antoinette ne lui « réussissait pas C'est M. Chamberlain de la tournure que prennent les
pourquoi, par la suite, les zé~~o plurent sur notre gé- événements.
nération de candidats bacheliers? Mais paix à ces Pour cet homme extraordinaire, les nouvelles de
vilains souvenirs. 1'Afrique du Sud sont excellentes. Un de ces jours,
PAUL BLUYSEN.
nous l'entendrons s'écrier devant une « Association
libéral unionist » quelconque « La conquête du
Transvaal est désormais assurée encore une dizaine
LA GUERRE de milliards et quelques centaines de mille hommes,
et l'Afrique du Sud sera enfin débarassée de Botha et
AU TRANSVAAL de De Wet.
Nous allons entrer dans une période d'action qui
La quinzaine a été marquée par un succès à l'actif donnera peut-être pas mal d'inquiétudes à lord Kit-
des Boers et par un autre succès au compte des An- chener ou à son successeur. Mais, dès lors que
glais. M. Chamberlain sera satisfait quand même.
Lord Kitchener et les journaux anglais ont naturel-
lement « liquidé» le premier en quelques lignes et EN CHINE
exalté le second. Il ne faut pas trop le leur reprocher,
étant donné que s'ils capturent avec une facilité Cette fois, on baisse définitivement le rideau sur
m'erveilleuse des quantités prodigieuses de bestiaux, la sanglante tragi-comédie que les puissances du
il leur est arrivé rarement de s'emparer d'un com- monde entier viennent de jouer dans le Petchili.
mando. Le protocole, le fameux protocole a été enfin signé
C'est le 31 août, non loin de Prétoria que les Boers à Pêkin.
ont fait sauter un train, histoire de s'entretenir la C'est la fin des négociations. Mais l'avenir nous
main et aussi de s'approvisionner aux frais du gou- dira prochainementsi la signature de cet acte diplo-
vernement du Roi. matique marque la fin des difficultés.
Le fait en lui-même n'a qu'une mince importance, Uu'no.uvel état de choses commence donc en Chine,
bien que le lieutenant-colonelVandeleur et 9 hommes celui de l'occupation restreinte. Il durera ce qu'il
aient été tués, et 18 autres blessés; mais cet échec durera..
prouve que, en dépit de la garde fortement montée Mais ne cherchons point à pénétrer l'avenir. Esti-
par l'armée anglaise sur toute la ligne des chemins mons-nous simplement très heureux de nous être
de fer, la sécurité est loin d'y être assurée quand par tirés de ce guêpier sans d'autre bobo que des piqûres
hasard, un commando a besoin de vivres ou de muni- d'amour-propre.
tions. HENRI M AZEREAU.
Le 5 septembre, après un vif combat, le commando
de Lotter a été capturé au sud de Petersburg, dans iw
la colonie du Cap, après avoir eu 19 9 tués et 52 blessés.
Le commando comptait une centaine de combat- Géographie
tants, et ne se rendit au colonel Scobell qu'après
avoir brûlé sa dernière cartouche.
Le commandant Lotter avait été cerné, la nuit, dans Orient. La jeune Turquie. Constantinople.
un hangar. A propos du conflit franco-turc.
La presse anglaise exulte.
Pour elle, la captnre de Les lecteurs du Magasin Pittoresque sont au courant
cette centaine de hétos marque une victoire déci- du conflit diplomatique qui vient de surgir entre notre
sive Comme toujours, on va vite en besogne dans pays et la Turquie. Les sujets du litige sont de deux
les journaux anglais, et nos confrères oublient volon- ordres. Il s'agit, d'un côté, d'une créance à des sujets
tiers que la guerre dure depuis vingt-quatre mois,, au français, créance reconnue par les tribunaux otto-
cours desquels ils ont remporté des tas de victoires mans et que le gouvernement turc refuse de régler.
décisives de ce genre qui ne les ont cependant pas L'autre question, sur laquelle satisfaction semble avoir
beaucoup avancés. été donnée, est la question des quais. Nous donnons
Lord Kitchener est bien moins optimiste et pour une vue de 1'un'des coins de Constantinople. La con-
cause. Quelle mélancolie, quelle lassitude dans cette cession des quais fut faite à une compagnie française
dépêche de Prétoria, datée du 2 septembre, où il en 1879. Les travaux commencèrent en 1890 et furent
dit achevés. en 1898. Le tout comporte un développement
« Dans l'est du' Transvaal aucun changement de plus de 1.200 mètres. La compagnie porte le titre
« Dans l'ouest, plusieurs colonnes poursuivent « Sociétés des quais, docs et entrepôts de Constanti-
Kent. à l'ouest de Rustenburg, mais elles ne sont pas nople ». Ses opérations sont considérables. Quais,
encore entrées en contact aveclui; docs et entrepôts sont naturellementloués aux arma-
Au Nord, la colonne Elliott n'a rencontré qu'une teurs comme aux négociants. La Société se charge
faible opposition. en outre de débarquer, dédouaner et entrer en ma-
Dans la colonie du Cap la situation n'a pas changé. gasin les marchandises; elle fait même des avances
Eh! non, la situation n'a pas changé. en argent aux clients dépositaires. Le capital engagé
est d'environ 40 millions de francs. C'est l'une de nos écrivain relate justement la manière de solder les
plus grosses entreprises industrielles, d'une. impor- dettes ou d'obtenir le paiement d'une créance, en
tance exceptionnelle pour la ville de Constantinople. Turquie, « Vous avez un débiteur; payez une somme
Nous donnons plus loin quelques cbiffres récents sur déterminée à la garde qui l'appréhrndera dans la
le mouvement commercial de la capitale turque. Rap- rue; il versera une somme identique soit pour
pelons seulement ici que le confit qui a éclaté entre se libérer, soit pour qu'elle vous mette également en
notre gouvernement et celui de la Turquie est plutôt état d'arrestation ce qui lui laissera quelque répit;
d'ordre moral. La question d'argent est ici secon- à moins que vous ne vous cotisiez pour couvrir les
daire. L'ambassadeur français à Constantinople ne frais d'une autre garde qui se chargera d'arrP.tev
pouvait pas admettre que le souverain d'un pays celle qui s'est d'abord saisie de vous ».
manquàl à une parole donnée. JI considérait au-des- Phénomène singulier l'empire ottoman qui compte
sous de sa dignité de traiter lui représentant. comme on sait, une population de plus que quarante
d'une grande puissance d'égal il égal avec une millions d'àmes renferme à peine dix millions de
personnalité insolvable. Les affaires de pays à pays Turcs; ceux-ci sont d'ailleurs en décroiswnce! La
Un duai do (:un~tantinople.
doivent en effet être traitées de la même manière et dislocation de l'empire turc est, donc l'une des con-
avec la même correction que les affaires individuelles. séquences inévitables de la marche en avant de notre
C'est ce manque de correction qui est justement civilisation, Constantinople et le Bosphore, ces deux
reproché au sultan actuel par ses propres sujets, ce merveilles de la création, sont-ils destinés à tomber
qu'on est convenu d'appeler les jeunes 'Turcs. Car, il au pouvoir d'une puissance européenne?Les rivalités
existe une jeune Turquie, éprise de l'idéal de l'lion- entre les nations occidentales ont été jusqu'à présent
nêteté, de réformes. NOU3 nous bornerons d'ailleurs les principaux appuis de la domination turque sur le
à indiquer l'esprit de cette génération nouvelle en plus beau coin de la Méditerranée. Notre pays a eu
citant seulement quelques-uns de ses propres argu- sa part dans la formation politique de cette région.
ments ((. Le sultan actuel -disent, entre autres, les Les relations de la France avec l'Orient remontent à
jeunes Turcs est renié à la fois comme chef reli- une date fort éloignée. Un mouvement commercial
gieux et exécré comme chef d'État. L'heure de la assez actif fut établi entre Marseille et les échelles
chute est proche, si une mort naturelle ne vient pas du Levant dès le mm siècle. Une compagnie com-
sauver Abdul-Hamid du juste elit'itiment. » Les merciale, la Société d'Orient, fondée à l\Iarseill~
jeunes Turcs ne sont pas ennemis de l'Islam; c'est en 16'2, eut pour objet l'établissement de relations
au contraire, en s'appuyant sur ce que le « Livre » directes entre cette ville et l'empire ottoman. La pré.
(le Coran) renferme de juste et d'équitable, que les pondérance française dans l'Orient ne s'est pas main-
réformateurs cherchent à régénérer leur pays. tenue, hélas! Comme c'est le cas pour les pays parti-
Nous ne pouvons pas rés ister au désir de citer, en culiers où les fortunes tendent à s'égaliser, de même
regard de ces réflexions de la nouvelle école, la rela- sur l'échiquier du globe, les influences se dépla-
tion du séjour en Turquie du comte.Andreossy, l'un cent, se transforment, se nivellent.
des prédécesseurs de ]1'1. Constans, ambassadeur de Constantinople est beaucoup de nos lecteurs
France à Constantinople, vers 1830. Le diplomate- ont pu s'eu rendre compte cle uisic = une ville cu-
rieuse.. Nous dirions. avec Loti « Aucune capitale de semblables conditions, et d'autres l'ont imité;
n'est plus diverse par .elle-mfme, ni surtout plus mais la figure de ce hardi voyageur le doyen des
changeante d'heure en heure avec les aspects du ciel, « navigateurs solitaires comme on les a surnom-
avec les vents, avec les nuages )J. Consultez vos més est bien curieuse et ses aventures valent
souvenirs, interrogez ceux qui l'ont visitée, on vous d'être contées.
apprendra que Constantinople, pareille, d'ailleurs à Et d'abord, pour commencer par un trait particu-
la. plupart des villes d'Orient, perd énormément de lier, M. Andrews n'est pas capitaine de tout; il ne
son aspect panoramique dès que vous entrez dans la possède aucun diplôme et n'a jamais de sa vie même
cité. La désillusion est vive. Ruelles tortue\lses, im- pris une seule leçon de navigation. A l'âge de trente-
mondices, chiens errants, telles sont les premières six ans, il était encore un paisible employé dans une
visions de l'étranger qui y débarque. Mais occupons- manufacture de pianos à Boston. Un jour, se voyant à
nous de sa valeur commerciale. la tête de quelques économies, il rèva de s'établir,
Constantinople- compte actuellement une popula- et donna son congé mais auparavant il voulut profi-
tion de 1125 000 habitants. Durant l'exercice 1899-1900, ter de sa liberté pour voir du pays et acquérir quel-
le port a reçu 31078 navires, jaugeant ensemble près que expérience. C'était en :1878 et l'Exposition uni-
de 10 millions de tonnes. Ces chiffres sont en dimi- verselle de Paris allait s'ouvrir Andrews décida de
nution marquée sur les trois exercices antérieurs la visiter. Comme sa modeste fortune destinée à son
où le nombre des navires était de 32000 à 34: 000, avec futurcommerce ne lui permettait pas de dépenses
un tonnage de H 500000 à i2700000 tonnes. Dans ce exagérés, il chercha le moyen de faire le voyage avec
mouvement1 les Anglais tiennent la tète avec le moins de frais possible, et il se rappela un fait qui,
2865 navires et un tonnage de 4 255000 tonnes. à son époque, l'avait fortement impressionné un
Mais ces données comprennent l'ensemble des na- nommé Johnson avait, en 1875, traversé avec succès
vires britanniques qui traversent le Bosphore, sans l'Atlanique dans un bateau de vingt pieds de long.
même faire aucune .>pération dans le port. Viennent Pourquoi lui n'en ferait-il pas autant Il communiqua
ensuite les Grecs avec environ 1500 navires; les Otto- son projet à son frère qui s'enthousiasma aussi et
mans, avec i4:73; Autrichiens, 540; Russes, 737; Ita- l'expérience fut décidée, Sans perdre de temps, l'an-
liens, 532; Français, 400 navires, avec un tonnage cien facteur de pianos s'enquit de l'armateur qui avait
de 503648; Roumains, 236; Allemands, 209, etc. Nos construit le bateau de Johnson et lui en commanda
nationaux occupent, comme on voit, le septième un semblable, mais de seize pieds de long.seulement
rang. Il est juste de reconnaître que, abstraction faite (5 mètres :1/2 à peu près). L'armateur, craignant
des navires, anglais et tu~cs les nationalités en pour sa responsabilité, ne voulut pas le faire moins
avance sur les Français sont les voisins immédiats de de 7 mètres. Cinq jours plus tard, le canot fut livré
l'Empire Russes, Autrichiens, Grecs. et reçut le nom de. « Nautilus », et les deux frères
Dans le mouvement maritime général de l'empire .s'e,mbarquèrent à Boston le 8 juin 1878. Un foule
ottoman, la France occupe le quatrième rang. énorme assistait à leur départ leur souhaitant un
Pour ce qui est des relations avec Constantinople, heureux voyage et une véritable flotte de bateaux
la France compte trois grands services de vapeurs leur fit escorte à quelque distance.
Compagnie .des Messageries maritimes (HiS navires, Cette première tentative d'Andrews fut riche en
270732 tonnes, l'année dernière), Compagnie Frais-. mésaventures peine étà4t-il parvenuau large, que
sinet (70 vapeurs, 81764 tonneaux); Coiùpagnie, Pa- laboussole se brisa et il fallait revénir en arrière et
quet (service bi-mensuel, 84 navires, 87905 tonneaux s'arrêteI' pour la faire arranger. Le temps était épou-
durant l'exercice dernier), Le rapport consulaire vantable, et le canot, culbuté, roulé, dansait éperdû-
auquel nous empruntons ces données, engage la ment sur les vagues, et les deux voy ageurs ne durent
Compagnie Paquet à augmenter son service! Le mo- qu'à l'exiguïté de la place de n'être pas jetés hors de
ment semblerait mal choisi. Attendons la solution leur couche où ils se tenaient pelotonnés. Ils avancè-
de ce regrettable conflit. rent ainsi, à la' grâce de Dieu, s'informant des lati-
P. LEMOSOF. tudes et des lbngitudes auprès des navires qu'ils croi-
sèrent sur leur route et qui, heureusement pour eux,
étaient fort nombreux; à l'aide de ces indications,
après de bien mauvais moments, ils arrivèrent enfin
VARIÉTÉS à Mullion Cove, Cornwall, où ils purent, après qua-
rante-cinq jours de fatigue, détendre leurs muscles
endoloris. Apeine reposés, ils firent route vers Paris,
UN RECORD MARITIME puis retournèrent en Angleterre où le « Nautilis » fut
exposé, pendant quelques mois, comme un objet de
Deux téméraires Américains préparent pour cette grande curiosité.
année un record qui, parmi tant de records de toutes La première expérience d'Andrews fut donc cou-
sortes qui abondent à. notre époque, ne sera pas le ronnée d'un plein succès; cependant, il n'eut envie
moins intéressant. Le Strand Mngazine nous apprend de la répéter que dix ans plus tard, et dans le même
que les capitaines Andrews et Blackburn se proposent but 'qu'autrefois, celui de visiter l'Exposition uni-
d'organiser à eux deux une course en bateau à travers verselle de 1889 à Paris. Cette fois, il fit construire
l'Océan Atlantique les bateaux ne devront pas avoir un canot de quinze pieds de long qu'il appela « La
plus de vingt pieds de long (moins de sept mètres) et Sirène
la traversée devra s'effectuer en trente jours.
et il allait partirseul -son frère étant mort
lorsqu'un spéculaleur anglais qui.flairait là une
Le fait, quoique peu ordinaire, ne sera pas nouveau, affaire 3'argent, lui proposa cent dollars d'abord
car ce même capitaine Andrews a déjà entrepris une pour qu'il débaptisât la Sirène et lui donnât le nom
demi-douzaine -de voyages plus ou moins réussis en de Sombre secret »; puis vingt dollars par semaine
LE MAGASIN PITTORES`QUE
et-ltius ses frais remboursés peudant uu tour d'une Andrews, au contraire, ftit enfin favorisé par la:
année en mer. fortune. Le Sapolio », admirablementagencé, quoi-
Andrews n'augura rien de bon de ce nouveau nom que-in'ayant que n'ayant que quatorze pieds de long,
il accepta néanmoins, jugeant le marché avantageux, fila à toute vitesse par un temps propice et atteignit
et il partit de Boston le 17 juin 1888. Trente mille les Açores au bout de trente jours.
curieux environ assistèrent à son embarquement, et Lorsque, précédé par la Renommée, il débarqua à
Huelva, en Espagne, la population l'accueillit avec
comme, par contrat, il avait un droit de tant pour
cent sur la recette des entrées qui étaient payantes, des ovations délirantes. De robustes citoyens tinrent
le capitaine Andrews réalisa là encore la somme de à honneur de le porter eu triomphe sur leurs épaules,
trois cents dollars. L'expédition commença donc sous les dames lui jetèrent des flleurs. Des célébrités vin-
les meilleurs auspices. Mais une fois lancé, le rent le questionner .et les, journaux -consacrèrent
d'interminables coloni~es à cette mémorable aven-
« Sombre 'secret n'éprouva que des malchances un
terrible vent contraire le détourna de son chemin et ture. Le gouvernement espagnol traita le capitaine
pendant soixante deux jours le ballotta au gré des comme son hôte et remboursatoutes ses dépenses la
flots en fureur. Au bout de ce temps un vaisseau qu'il Reine elle-même lui adressa une invitation. Les pho-
rencontra, informa le pauvre capitaine qu'il se trou- tographes l'assaillirent et firent des affaires d'or avec
vait à 150 milles de distance seulement de Boston; les portraits d'Andrews sur le Sapolio. Et Andrews,
quinze jours plus tard, uu autre navire lui apprit rapatrié aux frais de l'Espagne, rentra aux États-Unis
qu'il en était à 100 milles. Découragé,.Andrews qui, couvert de gloire.
pour comble de malheur vit sa provision d'eau douce Après ce succès éclatant, le capitaine fit deux
épuisée, se fit prendre à bord d'une barque norvé- antres tentatives de traversée qui échouèrent. L'une
gIenne et rentra penaud en Amérique. d'eliesJutmarquée par un incident amusant. Un pro-.
Là son amour-propre eut à souffrir de la gloire fesseur Miller vint le trouver et lui offrit de l'accom-
d'un M. Lawlor qui venait.de faire avec succès la tra- pagner à. pied! C'est-à-dire que cet origninal avait
versée de l'Atlantique dans un canot. Aussitôt, An- conçu l'idée de suivre le bateau du navigateur avec
drews se sentit prêt pour une tentative nouvelle des « sabots-canots de son invention qui lui per-
Abandonnant le t( Sombre secret» de tristemémoire, mettraient de se maintenir et de marcher, sur l'eau.
il se fit faire un bateau de mêmes dimensions et alla Ce projet fit sensation, et le capitaine, quoique scep-
trouver son heureux rival, M. Lawlor, pour lui pro- tiqûe, fit confectionner deux sabots de bois de cinq
psser une course à travers l'Océan: mille dollars et pieds de long environ des canots en miniature
une coupe d'argent devaient être la récompense du avec, au milieu une ouverture .pour le pied. Plein
vainqueur. d'une belle confiance, le professeur Miller chaussa
Le pari éveilla un vif intérêt dans le public et les ses sabots et entra dans l'Océan, mais il ne tarda pas
hourrahs enthousiastes d'une foule énorme saluèrent à s'apercevoir que son projet, pas plus que lui, « ne
le départ des deux navigateurs. Ils partireut de Bos- tenait pas debout car il fut renversé et roulé par
ton le soir du 17 juin 189t, par une mer démontée d les vagues, et dut regagner la terre ferme. 11 se con-
Lawlor prit par le Nord, Andrees par le Sad. Le pre- sola en se faisant photograph ier avec ses sabots-
mier, au bout de quarante:"cinq jours, arriva sain et canots sous les bras.
sauf en Angleterre, pendant que l'infortuné Andrews TH. MANDEL.
fut encore cette fois l'impuissantjouetdes éléments.
Il eut désastre sur désastre; son bateau défedueuse- UNE PAGE OUBLIÉE
ment construit, chavira sept fois. Après cinq j01lrs
de lutte, ce fut pis encore le canot se trouva pris Quel est l'enfant de dix ans, l'homme de quarante,
dans'un cyclone d'où il sortit pitoyablement avarié, la femme de. (Je n'ose fixer un chiffre), qui n'ait
les vivres et l'eau perdus. Le capitaine Andrews se été instruit, élevé, moralisé par le Magasin Pitto-
vit donc dans la nécessité de renoncer à son entre- resque? Qui a répandu l'instruction en Fiance, sinon
prise. Un navire hollandais le transpÓrta à Anvers où ce livre admirable qui fait qu'à la fin du mois chaque
la « Sirène lui fut achetée. enfant tourmente ses parents ou le concierge, et
Malgré ces deux notables insuccès, Andrews ne demande fièrement « Mon Magasin Pittoresque est-il
rêvait que de nouvelles tournées. Il retourna donc arrivé? » Les étrennes approchent, on va donner des
auprès du triomphateur Lawlor et lui fit la proposi- livres aux enfants. Quelle est la mère prudente qui
tion de traverser l'Atlantique en trente jours. Lawlor ne commencera par feuilleter ces volumes inconnus
accepta et les deux canots immédiatementcomman- pourvoir s'il n'y a pas danger à les mettre entre les
dés, celui de Lawlor s'appela « Christophe Colomb » mains de sa fille? Mais le Magasin Pittoresque, qui 1'&
et delui d'Andrews le « Sapolio ». Comme précédem- jamais exa~iné ainsi? On estsûrqu'il est moral, ins-
ment,. on devait débarquer en Angleterre; mais tructif, excellent. Nous y sommes tellement habitués"
Andrews apprit à cette époque qu'à l'occasion du qu'il nous semble qu'il se fait tout seul et qu'il ne.
400me anniversaire de la.découverte de l'Amérique, peut pas êh:eautrement. Tels sont les hommes; l'ha-
de grandes fêtes allaient être célébrées en Espagne bitude les rend ingrats. Si nous réfléchissions, nous
en l'honneur de la mémoire de Christophe Colomb. sentirions que, pour que ce journal entràt dans nos
Il résolut d'assister à cette solennité et d'y faire une familles comme un ami, il a fallu un homme dévoué
apparition sensationnelle.. Lawlor, à qui il fit part de qui, au milieu des peines, des fatigues, des chagrins
son plan, prit les devants et se mit en route vers de la vie, veillât sans relâche sur l'âme de nos enfants.
l'Espagne avant que son compagnon fùt prêt, mais Un jour viendra, où quand on écrira l'histoire de
sa chance jusque-là merveilleuse l;abandonna cette notre temps, on fera une grande place au livre qui a
fois il dut périr.en mer, car jamais depuis on n'eut commencé l'éducation populaire, et je ne serais pas
de ses nouvelles. étonné que dans un siècle (je dis un siècle pour ne
pas blesser sa modestie)'on mît dans la bibliothèqu'e notre langue, je leur enteverais toute saveur, même
de Versailles, devenue une grande bibliothèque, le toute intelligence.
buste d,'ÉdouardCharton?Si les saints ont des rues Maisj'ai hâte d'arriver en France. De l'aveu de tous,
qui portent leur nom, c'est parce qu'ils ont défendu c'est le pays'où plus qu'ailleurs, l'esprit court les
la justice, aimé, instruit les hommes? rues. Est-il étonnant que beaucoup l'aient saisi au pas..
~DOU~1RD LABOULAYE, sage et en aient émaillé leurs conversations ? Au Moyen~
30 décembre 1865. Age, on fut trop batailleur pour s'adonner à ce frivole,
passe-temps de faire des jeux de mots. Mais à. la
Renaissance, sous le règne de François le., le jovial
compère, et de ses descendants, qui avaient hérité de
LE 'CALEMBOUR lui le penchant à la gaudriole et à la vie facile, plu-
tôt que l'intrépidité chevaleresque, le caleinbour eut
Êtes-vous bien convaincus que la tour de Babel a des jours superbes et un renouveau qui n'a fait jus"
été démolie de fond en comble et qu'il n'en demeure qu'à cette heure que croître et embellir. Rabelais,
pas vestige? Les savantsnous le disent; les voyageurs l'immortel Rabelais, qui n'eut jamais d'autres préoc-
qui ont parcouru la Palestine nous l'affirment. Pour cupations, après un bon dîner, que de favoriser pieu..
moi, je n'en crois rien. J'estime au contraire que cette sement sa digestion, en écrivant ses livres exubérants
pauvre tour n'a jamais cessé de dresser- le faîte de de verve, et en faisant assaut de pointes avec des concw
son toit par-dessus le monde; et qu'aujourd'hui plus pères aussi joyeuxque lui, brandit d'une maÎn ,ferme.
que jamais, elle tient sa place, sa large place, au l'étendard'du calembour. Il eut de nombreux imita.
soleil. teurs, même parmi le menu peuple, à telles ensei-
A coup silr, il vous est arrivé maintes fois, (la chose gnes, que l'épicier, si peu en vue qu'il fût, si enterré
est si aisée à Paris, si bien nommé le cœur de la civi- qu'il fflt au fond de la province la plus éloignée,
lisation et le rendez-vous de tout ce que le monde prenait pour enseigne « A l'épi scié ». Ne soyons pas
compte d'hommes d'esprit et d'intelligence cultivées), trop étonnés que le charmant curé de Meudon, en
d'assister à une conversation où de temps en temps, dépit de sa soutanelle,ait cultivé « les joyeux devis; »
éclataient, comme des fusées radieuses, des mots car enfin de plus hauts personnages que lui, mêmé
ailés, pittoresques, qui provoquaient un sourire dans la cléricature, ne s'en sont pas privés.
adouci ou une joyeuse exclamation;mais tout d'abord On connaît le calembour classique que notre vieux
vous ne découvriez pas le sens véritable, parce qu'il conteur a fait au livre V de la Vie de Pantagruel et
se dissimulaitderrière le sens naturel. De quoi s'agis- de Gargantua « Le grand Dieu, dit-il, fait les planètes;¡
sait-il donc D'un calembour. C'était la Babel d'au- nous faisons les plats nets. » J'estime que beaucoup
trefois réapparaissant à vos regards, avec sa con- de maîtres d'hôtel riraient bleu devant un pareil jeu
fusion des langues et sa parole inintelligente à la de mots, si tous leurs convives, en le prenant pour
multitude.' devise, le mettaient sérieusement en pratique. Enfin;
Le calembour! Beaucoup d'écrivains l'ont combattu l'impulsion était donnée désormais le calembour
à outrance « diseur de bons mots, geignait Pascal ne s'arrête plus. Il marche à pas de géants.
le grincheux, mauvais caractère »; « c'est l'éteignoir Henri IV visitant une fois son arsenal, un seigneur
de l'esprit! » clamait Voltaire et bravementil conseil- lui demanda si l'on pouvait trouver au monde d'aussi
lait à Mme du Deffand, de chasser de son salon « ce bons cangns que ceux qu'ils voyaient là « Ventre
tyran si bête qui usurpe l'empire du grand monde»; Saint-Gris! répondit le roi, je n'ai jamais trouvé de
Victor Hugo, dans un accès sans doute de noire mé- meilleurs canons, que ceux de la messe. » J'en passe
lancolie, l'a appelé la fiente de l'esprit ». Mais d'au- et des meilleurs pour .arriver à l'âge d'or du calem-
très, dont le jugement à coup so.r, peut être placé sûr bour, je veux dire au marquisde Bièvre. C'est lui, en
le même rang que celui de Victor Hugo, de Voltaire effet, qui a créé une révolution dans le calembour;
et de Pascal, ont montré la plus grarde sollicitude et comme Malherbe l'avait créée dans la littérature. On
la tendresse la moins équivoque envers le calembour. met à Jachargè du marquis Imille calembours plus
Ainsi Balzac, Monge, Piron, Rabelais, Dante, Shakes. amusants les uns que les autres. M. de Bièvre avait
peare. Le marquis de Bièvre ne sôuhaitait rien tant une-cuisinière appelé Inès. Comme elle brisait chaque
que de mourir en faisant un calembour. jour une pièce de vaisselle, le spirituel 'marquis l'ap.'
Qu'est-ce que lé calembour? A vrai dire la défini- pelait plaisammentlnèsde Cast~~o (casse trôp). Le mar~
tion est difficile à donner, mais chacun sent fort bien quis de Bièvre avait, sur le chapitre qui nous occupe,
ce qu'il faut entendre par là. Ce mot a été mis à la un partisan ma foi parfaitement digne de lui; dans
mode par le marquis de Bièvre. Quelques auteurs le Louis XVI. « A quelle secte, monsieur le marquis,
font venir du composé italien, calumaju .burlure, qui lui dit un jour le roi, appartiennent les puces? »
signifie badiner avec la plilme. Quoiqu'il en soit, disons « A la secte d'Epicure (des piqûres) répondit triom-i
simplement, sans faire davantage étalage d'une éru- phatament de Bièvre. » A votre tour, sire « De quellé
ption qui me semble déplacée en un pareil sujet, que secte sont les poux? » = « Parbleu, s'écria le roi;'
le calembour c'est un équivoque, uii jeu de mots voilà qui n'est pas malin; de la secte d'Epic1ète (des
dans lequel se.complaisentles esprits ingénieux'- pique-têtes).
Remontez les siècles écoulés, consultez les annales Même sous la Révolution,tandis que l'échafaud était
de tous les peuples; allez au Nord, au Midi, à l'Orient, dressé sur les places publiques et était sans cesse en'
vers les régions où le soleil se couche, vous le ren- mouvement, coupant des têtes jeunes et chenues de-
contrez partout. En Égypte, en Grèce, à Rome, le' jeunes filles ou de ci-devant nobles, d'ouvriers en
calembour est une véritable épidémie. Je regrette de bourgéron,oude.paisibles habitants des campagnes,
ne pouvoir faire passer sous vos yeux, quelques;ulls l'esprit en France ne perdait pas ses droits et le ca-~
de ces calembours, mais en les -faisant passer dans lembour déridait un instant les fronts moroses à~
la pensée des tueries de la veille et de celles du vait pas demeurer non plus.enfermé dans 'sa vieille
lendemain. Il monte sur l'échafaud avec le patient, chrysalide. Il l'a donc brisée et [s'est niétamorphosé
après qu'ils'est assis avec lui au tribunal révolution- en un genre nouveau, qui tient à la fois du calembour
naire. Le suspect Martinville comparaissait devant et de la satire genre éminemment français, alerte,
Fouquier-Tinville. L'accusateur public s'obstinait à pimpant, primesautier et capiteux, autant que le vin
l'appeler de Martinville. « Pardon, interrompt l'ac- de Champagne de la,meilleure marque.
cusé, je suis ici non pour être allongé, mais pour être ROBERT EUDE.
raccourci!» Qu'on l'élar'gisse » dit alors Fouquier
Tinville, frappé de cette réponse audacieuse et l'accusé 00
fut épargné..
Si la Terreurn'apas mis des entraves aucalembour, PETIT COURRIER TIMBROLOGIQUE
pensez si le Consulat et l'Empire lui ont coupé les
ailes. Alors tout était à la joie. On sortait d'un affreux
cauchemar et la Victoire nous souriait sous tous les Les Timbres anglais.
climats, sur tous les rivages. Quel temps plus propice En même temps que le demi pen~~y mis en cours en
aux feux d'artifice de la place du Trône et à ceux 1870 on créa un timbre de trois et demi pence égale-
qui éclatent soudain parmi les accidents mouvemen- ment rouge foncé. Il représente
tés de la conversation 1 Il n'est pas jusqu'au futur l'effigie de la Reine encadrée
empereur qui, parmi le crépitementde la fusillade et danifUll triangle portant la dési-
les préoccupations d'un siège ou d'une bataille, ne gnation de -la valeur; aux quatre
s'amuse à faire des pointes agrémentées d'équivoques angles des coins blancs reçoivent
chaimantes. L'armée française, sous la conduite de des lettres de couleur. Deux
Bonaparte, était¡ftorivéeen quelques bonds, quiétaient planches composaient l'émission,
autant de triomphes, sous les murs de Milan. Le siège la première, la moins commune,
de la ville italienne était poursuivi à outrance. Un ne porte aucun signe distinctif, la seconde porte un
soir, l'illustre capitaine avait réuni autour. de lui chiffre 3 intercalé dans le bouclage de l'encadrement
tout son état-major et lui imposait ses plans, pour et
extérieur à droite gauche du timbre, dans le bas.
amener promptementla reddition de la place. L'état- Ces timbres ont le filigrane grande couronne.
major demeurait sceptique. Les vieux officiers mur- Comme pour tous les timbres anglais dont la rareté
muraient dans leurs barbes ou se prenaient à sourire, n'est faite que de petites minuties auxquelles certains
quand soudain, l'un d'entre eux se prit à dire amateurs ne prennent qu'un intérêt secondaire tandis
Vous êtes jeune, général, et. » que d'autres les ignorent, les exemplaires qui sont
Oui, je suis,jeune interrompt Bonaparte, encore fournis par les petits marchands oit même qui nous
imberbe ou à peu près mais demain, j'aurai Milan sont indiqués par de grands catalogues peu explicites
(mille ans). par politique de l'auteur, sont toujours les exem-
A l'heure où nous sommes, le calembour est dans plaires les moins cotés. ils portent le filigrane tige de
la force de l'àge, si vous me permettèz cette expres- rose, si c'est le filigrane fleurs héraldiques qui
sion. Non seulement. comme jadis, il hante les con- se trouvé être le. rare et vice versa, et pour le
versations, mais il s'est faufilé partout, dans les jour- 3 pence et demi décrit plus haut, je m'étonnerai bien
naux, dans les revues à caricatures, même dans celles qu'il en soit donné pour deux sous des exemplaires
qui se drapent dans une tenue grave et qui portent non chiffrés alors qu'el) cet état ils valent de dix à
le frac solennel ou l'habit vert, dans les pièces de quinze. Je ne saurai trop mettre en garde mes lec-
théâtre, au café-concert, dans l'almanach, partout teurs contre le manque d'indications de certains cata-
enfin. Des feuilles spéciales n'existent-elles pas, où, logues sur la foi desquels ils achètent leurs timbres
depuis le rez-de-chaussée Jusqu'au dernier étage et et vendent leurs doubles et c'est là pour eux la vraie
jUSqlJ'au galetas, le calembour a élu domicile, ex- cause de perte, car lorsque un timbre est marqué
cluant toute autre production de l'esprit2 Il semble trois sous, ce prix étaIat. vrai pour la sorte ordinaire
que n'ous ayons un besoin réel et pressant de, nous qu'Í! désigne, les marchand! rie ,veulent bien entendu
étourdir parmi le cliquetis de bons motg et les fusil- acheter tous les timbres pareils. selon eux que ce
lades d'esprit. même prix de trois sous et ils se gardent bien de
Il me serait facile de poursuivre encore longtemps prévenir le vendeur d'un piquage o u d'un filigrane
cette étude, car le calembour est un de ces sujets rare dont ils vont tirer un joli bénéfice. Un catalogue
qu'on n'épuise jamais, pour si complet qu'on veuille détaillé et eonscientieux est réclamé depuis long-
être. J'aurais pu vous narrer le calembour habillé en temps par les vrais amateurs auxquels un travail
charlatan, vantant son orviétan, attroupant les foules bien fait sur les timbres et leurs différents prix per-
autour de sa voiture où, selon le mot de Molière, tout iiiettra de se « mettre en garde contre des eXr+gératioÍls
l'or du monde reluit en basse, parmi les éclats de ou des filouteries dont il ne peut encore se défendre
cuivre et le bruit des grosses caisses et des cymbales. sciemment. Ce catalogue type, dont pour ma part j'ai
Car si jamais le calembour désertait le salon ou lejouy- appuyé la proposition lorsqu'il a été présenté à la
nal, il le faudrait aller chercher sous ce costume Société française de timbrologie, est en voie de pré-
bizarre que nous avons aimé, tandis que nous étions paration. Rédigé par les collectionneurs les plus com-
encore enfants, et que peut-être, arrivés à l'àge pétents dans chaque matière il sera le livre manuel
d'hommes, nous ne dédaignons pas encore. Je dois du timbrologiste et je me promets d'en reparler à
cependant ajouter qu'une véritable révolution s'est nos lecteurs qui tro uveront là certainementune aide
accomplie aujourd'hui dans le calembour. D'ailleurs plus cOplplète que celle que je puis leur donner ici
tous les. genres littéraires ont subi, peu ou prou chaque quinzaine pour l'arrangementde leurs séries.
l'influence de l'esprit nouveau. Le calembour ne pou- FILIGRANE.
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letteurs ~es: conditions
'achats'! de timbres aux L'hygiène' du'premier'âgedoit êire l'obje't de l'attention
que nos primes. rPour10us les renseignements timlirolti- lnéticuleusedès'parents. > 1
giques et les demandes de timbres, on est prié de s'a- ;L'es, négligences, l'erieur Peuvent avoir ,de, 1unes}~s in,
dresser à' Filigrane'; au bureau du bfagasin Pittoresque. fiu~ences
sur la santé, de l'enfant: ·
FIL. Peu de mères hésitent aujourd'hui il,
devant un la:vage ou
únsavonnage. aussi nécessaire 'que' salutaire. M8Jheureu~
sement le choix du savon n'est pas toujours. l'objet d'une
WlPi~ .jVIO~$. '1~ITTOI~ESQ~Ir attention' suffisante. On se préoccupe.~plutôt du' bon as-
pect, de la.julie couleur, du parfum agréable que de.l,
composition du savon. C'es là une indifférence coupable,
liptupatt 'des savons rétifertriant i3es~ principes Musti.
Mm. de Maintenon ,é'crivait à une maîtresse de classe
ques; acides, ou simplément malsains, au grand détriment
de Saint-Cyr à laquelle. elle donnait ses instructions de]a santé. de l'enfant. Cette -situation- n'a' pas été sans
¡,: J'appel~el~cheté, ~ada~e; cette réc~efchë(:~o,i1ti~~eUè'~e~s
éveiller l'atténtion des hy giénisies.
'COmmodités de la 'l'le 'qUI ferait'établir`dés' maclünes pour L'un d'eux M. le D'Andrieu a trouvé la formule de sa-
apporter toutes -les choses:dont on peut avoir besoin, etc. » vôn approprié à-l'enia~-hé 1e. Les mères sont déli~rée's,tlli
Que dirait-elle aujourd'hui où tout se fait, se combine leurs appré hensiôns et de leurs soucis.
dans ce seul but du bien-être de l'exÍstence'; le confort ~L8 Savori'glycéroZdont MM. Heiti et' Ci. sont également
'est poussé jusqu'aux extrêmes limites, bientôt même'avec dé,positaires s'adresse,.lui, à tous -les.âges. C'est un anti-
le tapis roulànt hoüs arriverOns ne plus 's marcher."
C'est. surtout dans lés:malles d'une femmeil la mode» »
peut arriver
septique.très puissant, sans précédent, préparé aussi selon
la formule dû' D'Andrieu.
que l'on voit à quel degré. de raffinement'Ou'
dans-cet ordre d'idées..Il y da mallette à chapeaUitavec III
cloisons 'mobiies s'8."an.çant ou sé reculant,selon la gran-
deur des susdits; disons én passânt que l'on a l'intention POUR NETTOYER LES CRAINES D'OR.
de faire en feutre et en ;vélours.le peu seyant" « bâmbin » Mettez dans' une,petite 'bciut~ilIe de verre la chaine avec
a,
de paille qui se perche sur le sommet de la tête laissant la de:l'eau,'un peu de bicarbonate de'soude et de savon:
figure à.découvert, il aura donc, sa place marquée dans Bouchez bien la bouteille' et 'secou/:Jz fort pendant @une
la petite caisse donlle 'contenu ~e '~en6uvéllé au 'passage minute. Le frottement contre le Jlerre polit l'or; le savon
à Paris. Elle recèlè aussi des pochette's'pour les voilettes, et la soude abso'rbenl' la graisse et la poussière qui rem
les cravates rletulle,' et autres objets fragiles. 'Ceuit ci plissent les interstices des chaînons. Rincez avec' de l'eaú
sont;nombreux, car ,si on est forcé de limiter les-toilettes claire, essuyez et vous serez surpris du brillant'què vous
on emporte mille accesoires qui en modifient l'aspect Imrez obtenu..
'grâce â 5ine ceinture ou un nœud placé avec goiît.
Les souliers' ont, :p'ar 'paire,. des enveloppés- de toile
bordées de ~'olige afin de ne pas froisser ni abîmer le linge CONTRE LA COQUELUCHE
et les robes garnissant le grand panier d'osier recouvert La grippe et les toux'nerveuses, quelles qu'en-soïent les
de sa htiusse'et tapissé, à l'intérieur, de mousseline Li-
berty,'de grand's' 's,acheté 'de 'la' longueur du 'c6uverCl,e'et causes, sont instantanément guéries par le Sirop ~lerbécq~
à la Grindélia Robusta.C'est un remède absolument effi-
du fond sont en éto'1fe pareille et embaument-l'iris;lâ après
malle semble 'line armoire bien-rangée dans.laquélle.il.ne cace qui procure un soulagementimmédiat. Aussitôt
s'on absorption 1e's quintes diininueutpour ne plus repa-
saurait se faire de confusion,.puisque ~cha4ue 'Chose a sa Paître et les vomissements s'arrëtent. Les hôpitaux de'
place ..déterminée.. Paris ont tous expérimenté le Sirop Derbecq et. les. résul=
Par exemple, il faut une. longue caisse de bois blanc tats, t01¡S favorables, ont été concluants: Le Sirop Derbecq,
pouvant contenir les robes du soir sans les plier,'et les a d'autant plus de succès qu'il ne contient aucun toxique.
corsages -sont bourrés de papier de soie. Des cordons tra- Etànt inoffensi.f il convient surtout aux enfarits, auxquels
versent d'un côté -à ,,l'autre 'les,: parôis de la.caisse afin il 'peut être administré 'sans crainte. On le trouve' partotit
d'éviter un bouleversement général, car il. n'y a pas de au prix 'de 4 francs le flacon. 'ou de 1 francs les deux.
compartiment dâlis cés sort!Js:de boités. `
A la campàgn'évôh a souvent le tort de négliget le 'Soin
de,sa main, les.gants gênent 'pour .pêcher; jouer su télt- w.
nis, etc., et le soleil met sa,patine sur les;peaux fines:.la
Prélatsleünrendront
vite ètsûrement
;MURS HUMIDES.
excellent'moyen, de sé-
pdte et le savon des M. Arveur; architepte"indique un
leurblancheur, leur souplesse et leur doux s'ati*n."É'ù n'ét cher les murs humides. On place urie. feuille de papier au
l'autre se trouvent à :lú Pa5·fumeriè Exotique, -35, 'ivt` du pied du 'murà sécher; pour garantir le 'parquet, et oh ré-
Quatre-Septembré.. LIBELLULE. pand dessus de là chaux'vive ~en .poudre; elle absorbera
toute l'humidité. Répéter l'opération jusqu'à ce que-le
-$aronne T. Toutes les jolies femmes qui s'ont à là
recherche dès inÿs'tériéüx talis`mazis de beauté ônttuüjôurs mur soit sec. Au garde-meuble national on conserve. ainsi
le's coffrets précieux .quel'humfdité pourrait endommager.,
un flacon de:là .Véritaâlé èaù,dé.i1'inon tànt èllés én vreoon-
naissent les merveilléüx~résultat~.Faites-çous dolac en;voyer
un flacpnde 6 Cr. 59 contre mandat-poste adressé.à la Par-
fumerié Nüton; 39; rue'du Quatr'e-Septe»xbre. ilf. R.; à Tozirs. Les douleurs que vous é~roü~Í: pro-
viennent certainement du foie. Büvez à t01ls' 'Vos 'repas'
peligant une quinzaine de jours, de l'eaü~de.Yich~ G~·anüé
y ~ECaTTES B~ Cdft~E;1'ois.`. G;~lle. -Ces douleurs: disparaitront au bout de, peu de
temps. Mais exigez bien le nom de la -source sur l:éti-.
q1¡ette'e't la capsule'ainsi'quele disque bleu ,VichycEtat,
3ni.le'goulot de la bouteille..
Si °
i
plus, d'autre.
v · .v
1 er OCTOBRE ~9~ 19
~a ~Porte c~ussée, â ~erdun
Il n'est plus guère de villes en France pour Le savant abbé Clouët et l'abbé Gabriel, qui ont
avoir, autant que Verdun-sur-Meuse, gardé leur écrit l'histoire de Verdun celui là autrement
originale physionomied'antan. Cette vieille place personnel que celui-ci nous content les des-
forte, fameuse dans l'histoire, le traité de 8-i3 tins divers de la vieille tour. Nous y joindrons
y fut signé dans une maison qui subsiste, et l'on quelques renseignements, de date toute récente,
connaît les sièges de 1792 et de 1870, n'a et que la mort les a, l'un et l'autre, empêchés
pas encore été démantelée et ne le sera pas de si de donner.
tôt; elle conserve son corset de murailles trouéEs En 1690 la Tour Chaussée comptait déjà
par les boulets; ses glacis plantés d'arbres et plus de trois cents ans d'existence on s'aper-
semés de gazon; la tour romane, dite de Saint- çut que la gemelle de gauche prenait charge et
Vannes, vestige d'une abbaye glorieuse, et qui fléchissait considérablement. La Ville, quoique.
dresse sa silhouette dépaysée parmi les bastions les fortifications ne lui appartinssent plus à cette
de Vauban et les parcs d'artillerie. époque, restait propriétaire de la porte de Jehan
Surtout, surtout, des âges révolus où la Cité Wautrec. Elle fit alors démolir la partie qui me-
possédait des évêques-comtes, princes du Saint- naçait on en nu.mérota les pierres et on rebâtit
Empire, et où ses bourgeois luttaient pour le la tour, avec lés mêmes matériaux qui avaient
maintien des fr~nchises comm.unales, demeure servi à sa construction. Rien ne fut changé à la
un imposant témoin de pierre, cette Porte Chaus- disposition générale. L'entrée, seule, fut modi-
sée dont le Magasin Pittoresque donne aujour- fiée au lieu de l'arcade ogivale qui existait, on
d'hui une superbe gravure. dessina, suivant le goût du temps, l'arcade à
Ces deux belles tours jumelles, dont l'archi- plein cintre et le fronton d'ordre toscan actuels.
tecture rappelle celle de la Bastille, s'ouvraient La ville, en 1755, probablement pour être dé-
jadis sur un grand pont franchissant la Meuse chargée d'un entretien constant et dispendieux,
et qui donnait accès sur la campagne. Ce pont, abandonna la Tour de la Chaussée au gouverne-
appelé d'abord Pont-à-la-Gravière, à cause du ter- ment qui avait besoin d'une prison militaire à
ra'in de sable et de gravière où reposaient ses Verdun. Et pendant plus d'un siècle, jusqu'en
assises, puis de Dame-Deie (Domus Dei) en raison 1860 exactement, l'œuvre de Jehan Wautrec resta
de la proximité d'un hôpital, prit le nom = qu'il prison pour la troupe.
a gardé'- de Pont de la Chaulcie ou de la Chaus- Vers 1880 l'autorité militaire, toute puissante
sée, quand le riche bourgeois Constantius fit dans une' ville qui compte actuellement près de
établir au bout du pont une large chaussée pour quinze mille hommes de garnison (la~ population
servir de chemin aux voyageurs en même temps civile n'atteint pas quatorze mille âmes) estima
que de digue contre les eaux du fléuve qui sou- que le passage constitué par ,la voûte de la Tour
vent inondaient le terrain avoisinant: n'était pas assez large pour donner facileinent
La tour s'appela comme le pont. issue aux troupes en cas de 'presse ou de guerre.
Elle fut édifiée en 1380, grâce à la libéralité de Le génie eut alors la pensée d'ouvrir une secbnde
Jehan Wautrec, « citain et doyen de~la laïc (sécu- porte dans la gemelle de gauche, celle- qui avait
lière) justice de Verdun », c'est-à-dire le premier été reconstruite. On songea même, dit-on, à
magistrat de la Ville. Sous la longne et habile jeter bas la vieille Tour.
administration de Jehan Wautrec la Commune Lés Verdunois s'émurent fort d'un tel projet;
obtint la plénitude de sa liberté elle en usa pour les journaux.locaux protestèrenténergiquement,
faire ,construire la première grande enceinte de des réclamations furent adresséès en haut lieu.
Verdun, nommée le Grànd Rempart. Au point où et la Porte Chaussée fût conservée.
se terminait le nouveau Grand Rempart, Wautrec Toutefois on supprima le pont-1evis, inutile
donna l'ordre de bâtir, à ses frais, une belle et avec le système de défense moderne; on rem-
ha'lite tour géminée, plus belle et plus haute que blayai le pied de la Tour jusqu'au niveau du
les vingt-cinq ou trente autres qui, s'élevant au- tablier du pont; on élargit, des deux côtés,
dessus des remparts ou dans l'intérieur de la l'extrémité du pont désormais immobile; enfin
Cité, rendaient alors, avec ses nombreux clo- on ouvrit aux troupes, dans le rempart voisin, ùn
chers, lai vue de Verdun si pittoresque. Elle de- large passage donnant sur le pont élargi.
vait servir à la défense et faire à la ville guer- Ce fut alors, et pour éviter à l'avenir d'aùtrès
rière une entrée monumentale, de soi>ante pieds dégradations, que d'hèureuses influences obtin-
de hauteur, imposante, majestueuse, grâce à sa rent le classement de la Tour Chaussée au nom-
couronne de créneaux, sa bordure de mâchi- bre de nos monuments historiques. Le ministre
coulis en saillie et ses deux grands bras où, na- des Beaux-Arts était M. Jules Ferry. L'arrêté est
guère encore, pendaient les chaînes dupont-levis. du 21 mars 1881.
L'administration militaire, qui aurait dtl rén- et, reste de l'ancienne affectation, un cachot
dre la Tour Chaussée à la ville puisque la fermé d'une porte massive, assujettie par d'énor-
ville lui en avait fait l'abandon en 1755 a jugé œes-~Ónds, une serrure et un verrou à l'ave-
plus utile de la mettre en adjudication. nant, etc.
Verdun l'a rachetée, tout récemment, pour la Dans le sous-sol, de.petites caves du celluies
somme de 5 025 francs. de trois à quatre mètres de longueur sur deux
Depuis un certain nombre d'années, la Tour de largeur fermées comme le cachot. Au mur
Chaussée est affectée aux réunions des diffé- de chaque cellule est fixé un gros anneau aUI{1!el
rentes sociétés musicales de la Ville pour leurs on attachait le prisonnier, récalcitrant ou non.
répétitions et le Conseil municipal actuel ne Du haut du parapet, on jouit d'une vue splen-
songe, pas à modifier cette affectation. Mainte- dide sur les quartiers de la ville basse et la cam-
nant, a~ murmure des eaux lentes, se mêlent, pagne voisine, les coteaux plantés de vignes, les
non plus le cliquetis des armes, mais les sons de forèts toutes proches. et les ouvrages fortifiés
quelque valse d'Olivier Métra ou de quelque qui font de Verdun la plus redoutable des forte-
morceau d'opérette en vogue. resses. ERNEST BEAUGUITTE.
Outre les trois pièces occupées par les sociétés
il existe, au rez-de-chaussée de -la Tour, un ma-
*AA**A*A**A*
Avec les femmes, il ne suffit pas d'être ungrand homme,
gasin pour les outils des cantonniers de'la Ville il faut avoir la figure de l'emploi.
C'est un Italien, un nommé Bartolomeo Cristo- le jeune Érard~ponr faire revenir de leur antipa-
fori, qui en 1720 construisit le premier instru- thie les détracteurs de la nouvelle invention.
ment musical dans lequel les sons étaient pro- Aujourd'hui le piano est le plus populaire et
duits par deI¡; marteaux actionnés par des tou- le plus répandu de tous les instruments, il est en
ches et frappant sur des cordes. Le piano forte, quelque sorte la véritable langue- universelle des
ainsi que l'appelait son inventeur, devait selon lui musiciens; et lorsque ce sont des virtuoses qui
remplacer le clavioorde, l'épinette et le clavecin, parcourent son clavier régonneur il semble que
de formes presque semblables mais dans lesquels sous leur,s doigts l'instrument s'anime et vit.
les sons provenaient du jeu de becs de plume Pour nos grands pianistes, l'excellence de l'ins-
pinçant les cordes, comme dans le clavecin, ou de trumentsur lequel ils exécutentleurs prestigieux
lames de cuivre les faisant résonner par leur exercices est une condition essentielle de succès
choc, comme dans le clavicorde. Plus sonore que et leurs préférences vont toujours aux grands
ses devanciers, permettant des amplitudes de pianos à queue, dont la forme, semblable d'as-
sons inconnues jusqu'alors, le piano ne tarda pect à celle déjà ancienne du clavecin, permet
pas à prendre place parmi les instruments de l'application d'un mécanisme simple, donnant
musique indispensables à l'accompagnement du des résultats de docilité, de sonorité et de' durée
chant ou à la traduction immédiate et commode qu'il est impossible d'attendre 'des pianos droits,
de phrases harmoniques et, dès que Ztumpf en plus. compliqués, moins sonore; et dont' la seule
Angleterre, puis Silbermann et Stein en Allema- qualité est d'être d'un usage pratique alors qu'il
gne eurent consacré des fabriques à la seule s'agit de le loger dans les recoins exigus de nos
construction des pianos forte, leurs produits, salons bourgeois.
jugés bientôt excellents, furent pour la plupart Le modèle de piano rationnel; c'est le piano à
des musiciens de l'époque un encouragement à queue et, parmi ces derniers, les pianos de con-,
la vulgarisation du nouvel élément de sonorités certs, tout en ne différant que par des détails
musicales. constitutifs des modèles ordinaires fabriqués en
Cependant, quoique dès le milieu du xviiie siè- même temps qu'eux, méritent particulièrement
cle le piano fût d'un usage courant en Allemagne une étude. Ils demandent, en effet, une surveil-
et en Angleterre, il ne s'était pas encore accli- lance attentive dans la préparation de leurs piè-
maté en France et lorsque, en 1768, Sébastien ces, -un soin particulier pour léur.ajustage, opé-
Érard, fils d'un petit ébéniste de Strasbourg, vint rations qui ne nécessitent pas moins de quatre
à Paris et fabriqua son premier piano, ce fut mois pendant lesquels un nombre considérable
pour nos musiciens une véritable révélation. de mains différentes sont occupées à la mise en
Jusqu'ici ils s'étaient entendus pour considérer oeuvre des matériaux les plus divers.
le piano comme un outil barbare, brutal,et surtout L'indispensable condition des qualités mat-
trop bruyant pour leurs oreilles accoutumées aux tresses du futur piano, c'est avant tout l'emploi
sons fins et grêles du clavecin et il ne fallait pas de bois absolument secs qui lui donneront ses
moins que les perfectionnements découverts par qualités de sonorité et de solidité. On comprend
que ce n'est'pas un des côtés les moins coûteux thies en donnant les effets fo~·te; l'autr'e en dépla-
de la fabrication que la nécessité de conserver çant le mécanisme dont les marteaux, en ne frap-
longtemps les bois nécessaires à la construction pant plus qu'une ou deux des trois cordes ten-
du piano et, dans l'usine qui me servait d'étude, dues pour chaque note sur la table d'harmonie,
on me montre d'abord pour plus d'un million de donnent les effets piano en ne produisant plus
matières premières entassées dans une vaste que des sons affaiblis.
cour; il y a là un choix des meilleures essences C'est par la carcasse extérieure que se com-
européennes et exotiques chêne, acajou, palis- mence la construction du piano. Cette caisse se
sandre, érable, tulipier, sapin, cèdre, tilleul, compose de cinq longues et minces planches de
amboine, charme, cormier, sycomore, cédrat, bois blanc que l'on colle les unes sur les autres
ébène, thuya, etc. Lorsque ces différents bois à plat, et que l'on met en forme, c'est-à-dire à la
ont passé en plein air les quatre années jugées courbure extérieure du futur instrument. La
utiles à la dessication parfaite de leurs fibres, carcasse qui se préparait devant moi devait-elle
llontage de la caisse.
ils sont portés à la scierie et débités à la dimen- devenir, dans la suite des opérations, modèle
sion de largeur, de longueur et d'épaisseur qu'ils de luxe ou modèle courant? Les ouvriers ques-
doivent avoir selon les pièces auxquelles ils sont tionnés ne peuvent me renseigner. Une des carac-
destinés. Réduits en planches, baguettes, billots téristiques de la fabrication est en effet de néces-
ou placages, les bois sont empilés dans un sé- siterune très grande division de la main-d'œuYre;
choir chauffé où ils passent encore deux ans et chaque ouvrier ne s'occupe que d'une besogne
dont ils ne sortent que pour être livrés aux ate- et ceux d'entre eux qui vieillissent dans la mai-
liers de fabrication. son n'ont jamais eu dans les mains, quelques-
Il est, je crois, inutile de donner une descrip- uns pendant des cinquante ans, qu'un même
tion détaillée de l'instrument dont je vais étu- outil avec lequel ils exécutent toujours la même
dier la construction; tout le monde sait que le pièce les ouvriers qui forment la carcasse
piano à queue se compose essentiellement d'une ignorent donc tout naturellement quelle couver-
caisse sonore montée sur des pieds; d'un som- ture en placage ou quel mécanisme elle recevra
mier servant d'appui à la tension des cordes dans la suite des opérations, et, pour connaître
qu'une table d'harmonie fait résonner; d'un cla- les destinées futures de cette carcasse il faut
vier et d'un mécanisme, ce dernier constitué de absolument aller et venir d'ateliers en ateliers
tom;hes, de marteaux qui frappent les cordes et et circuler dans l'encombrement des caisses,
d'étouffoirs destinés à arrêter la vibration des des planches, des établis et des pots de colle
cordes et à empêcher les sons de se confondre. posés au hasard des places et rendant difficile
Deux pédales permettent de modérer ou d',aug- une promenade rapide dans les salles de travail.
menter la puissance sonore de l'instrument, De l'atelier de' collage j'avais dû gravir plu-
l'une en levant à la fois tous les étouffoirs, ce sieurs étages pour suivre la carcasse à l'aielier
qui permet !aux cordes de résonner par sympa- des barrages. Le ba~wage est la charpente à claire-
voie qui forme le fond du piano et consolide son dres, dans tout le stock des marchands spéciaux.
enveloppe extérieure. Formé de sept ou huit Au sortir du placage la caisse est montée sur
épais baneaux de sapins, bois peu flexible et de faux pieds pour la commodité de son trans-
résistant, le barrage est aiusté à l'intérieur de la port et passe à l'atelier de tablage où elle doit
carcasse à laquelle il est réuni par des vis et être munie de son âme, la table d'harmonie. C'est
des boulons. Etroitement reliées entre elles ces devant l'établi du vétéran de l'atelier, un tabl~:uy
deux parties forment dorénavant la caisse et expert dans ce travail difficile, que l'on m'ap-
celle-ci est descendue à l'atelie~~ de placage où prend à reconnaître les différentes parties de
elle s'habillera plus ou moins luxueusement cette pièce qui, au premier abord, me semblait
selon le goût et la bourse des clients futurs. être une simple planche bien rabotée. Cette
Préparation du clavier.
Les paquets de placage arrivent à l'atelier tout planche en sapin de Hongrie est en réalité com-
préparés, c'est-à-dire que chaque paquet contient posée de nombreux morceaux assemblés ingé-
toutes les pièces nécessaires pour un même nieusement d'après des règles fixes. Selon les
piano, caisses, pieds, couvercle, etc. les pla- cordes qui viendront plus tard se tendre sur sa
quetirs n'ont plus qu'à s'occuper d'appareiller surface lisse, elle se compose de morceaux de
les morceaux par couleur et par dessins et après bois dont les fibres plus ou moins serrées sont
avoir passé un rabot à dents à l'envers des disposées horizontalement ou verticalement. On
feuilles de bois ils les encollent et les fixent en a reconnu en effet que les bois à fibres verticales,
se servant des outils habituels, calles et serre- très serrés, donnaient à l'usage des sons plus
joints. L'acajou, l'érable, le tlmya, le palissandre forts que les bois à fibres transversales, moins
sontles boislesplus employés pour les placages; compacts, et l'habileté d'un bon tableur consiste
on en fait aussi en citronnier, un bois rare, et à ne placer sous les note5 graves que des bois à
11Z. Demouveau, mon aimable cicérone; me citait fibres verticales et sous les notes aiguës que
la commande d'un riche Américain, un piano ceux à fibres horizontales. Un tel travail demande
pour lequel on avait employé pour neuf cents du soin et de l'habitude, et aussi du temps, car
francs des minces feuilles de placage, du pla- il faut six jours pour l'exécution complète d'une
cage en bois de citronnier, d'un moirage parti- table et son montage dans la caisse. Lorsqu'il a
culier, et qu'il avait fallu aller choisir à Lon- complété son travail d'assemblage le tableur
soutient la table par en-dessous avec des barres gnées, etc., puis l'instrument, qui est sali par les
de bois disposées en quinconce, puis colle sur''le différentes mains qui l'ont travaillé, passe au
dessus le chevalet, en hêtre doublé de cormie'r, vernissage où il va prendre sa parure définitive.
sur lequel doivent venir s'appuyer directement Dans l'atelier de vernissage où une quinzaine de
les cordes comme sur un chevalet de violon. Ce pianos occupent à leur toilette une huitaine
n'est qu'après avoir fixé la table au barrage de la d'ouvriers, on ne voit plus les caisses noires
caisse que l'ouvrier livre le piano aux caissiers d'autrefois,, ces meubles funèbres si peu à leur
monteurs chargés de terminer la charpente de place dans un salon; la clientèle ne veut plus
l'instrument en y posant les côtés et la tablette que des placages de bois naturels etles pianos
entre lesquels le clavier et le mécanisme doivent noirs ne trouvent plus aujourd'hui d'amateurs
venir prendre place. Le piano passe ensuite au qu'en Belgique. Le noyer et le palissandre, l'aca-
ferrage. C'est dans cet atelier que se pose le jou, le chêne, les bois clairs sont en majorité;
sommier qui, pour les pianos de concert, est un j'aperçois également des caisses peintes au ver-
grand cadre de fonte de fer bizarrement découpé, nis Martin, puis d'autres laquées sur des sculp-
dont la forme ajourée suit exactement les con- tures Louis XV. Mais une pièce rare m'est mon-
tours de la caisse et se compose d'une' partie trée dans un coin de l'atelier, un piano à queue
cintrée et d'une partie droite étroitement 'réu- sculpté par Charpentier et peint par Besnard, un
nies par des barres transversales. Il est destiné meuble qui n'aurtl pas demandé moins de deux
à reçevoir les cordes qui se monteront sur des an9 pour son achèvement et qui n'attend qu'un
pointes d'attaches et des chevilles 'préalablement dernier coup des vernisseurs pour partir chez le
mises en place à ses deux extrémités. riche étranger qui l'a acftuis trente mille francs.
Son cadre posé, le piano est remis aux mains C'est l'ornementation et l'habillementdes pianos
des monteurs de cordes. Les cordes en acier vien- qui font leur différence de prix bien plus que la
nent d'Allemagne, les fabricants français ne pou- fabrication de la charpente, toujours semblable,
vant les obtenir assez résistantes. Les cordes des- ou que le mécanisme dont les pièces sont tou-
tinées aux notes hautes sont fines et mises en jours composées des mêmes matières débitées
place telles quelles; celles des notes basses sont selon les mêmes méthodes.
en fil d'acier également, mais recouvertes d'un Le mécanisme qui donne au piano son carac-
entourage de laiton ou de cuivre. C'est dans un tère à'instrument compliqué n'en est pas la
atelier spécial que s'exécutent l'habillage ou partie la plus coûteuse, la plupart des pièces se
filage de ces grosses cordes. Sur un tour à ni1ifu:" .f4fgà~nt mécaniquement et par grande quantité.
la corde est fixée par ses extrémités puis un 'ot`i=' .)L'atelier dans lequel se préparent les 4 420 piè-
vrier attache sur elle, au point voulu, le fil-de' ces de ce mécanisme échaque marteau 11 piè-
laiton qu'il dirige de ses deux mairiS- ganté ès de' ces, chaque mécanique 20, chaque touche 12 et
cuir tandis qu'un second ouvrier fait tourner la chaque étouffoir 9), est situé tout en haut de la
machine. Vite et régulièrement .le laiton s'en- fabrique, sous les toits, et les ouvriers, qui tra-
roule sur l'âme d'acier à laquelle il doâneTa une vaillent à la chaleur étouffante du soleil con-
grande amplitude de son en même temps qu'il centrée par les vitrages, se mettent à leur aise,
la consolidera. en gilet de flanelle ou même sans, et c'est à
Étant allé chercher les grosses cordes au filage, l'entrée du patron qui m'accompagne une en-
les petites au magasin, le monteur range der- volée de torses nus qui se parent de chemises
rière lui les deux cent cinquante cordes utiles pour une tenue plus correcte. Ici, plus qu'en au-
pour les quatre-vingt-cinq notes d'un piano, puis cune autre partie de l'usine, les ouvriers font tou-
commence leur mise en place et il est surprenant jours la même petite pièce, tête de marteau, tige
de voir avec quelle stlreté de mouvements il sai- de cuir; ressort, charnière, etc., et tandis que
sit de ses doigts, protégés des coupures par d'épais devant eux est préparée à leur portée la matière
morceaux de cuir, une des extrémités de la première on voit couler de leurs mains les pièces
corde, tourne une boucle fermée, passe cette percées, coupées, rabotées d'un seul tour de
boucle dans l'une des pointes d'accroche du machine et des millions de morceaux s'entas-
sommier, fait passer la corde entre les crans du sent dans des tiroirs classés par piano, @'est-à-
chevalet et enfile l'extrémité restée libre dans le dire par quatre-vingt-cinqmorceauxpareils. Sans
trou de la cheville qu'il serre-en la tournant à essayer l'étude impossible de toutes ces pièces,
l'aide de'la clef spéciale. Chaque nQte est ensuite je m'étais attaché aux deux principales, les mar-
pincée, c'est-à-dire qu'à l'aide œun morcea teaux et le clavier.
d'ivoire le monteur la fait vibrer pour la mettre Chaque marteau se compose d'une tête en
approximativement au ton, puis, toutes ses charme et d'un manche en cèdre ce dernier bois,
cordes rangées régulièrement l'une à côté de léger et élastique, est le seul qui permette une
l'autre, le piano est livré aux finisseurs. Ceux-ci bonne égalité des chocs vibratoires rnalheureu-
complètent le meuble ils posent les pieds, la sement, il est presque introuvable aujourd'hui,
lyre des pédales, les roulettes, le couvercle, les les marchands de crayon l'accaparant par une
charnières, le chevalet, la serrure, les poi- consommation exorbitante. Lorsque le manche
a été fixé à la tête, celle-ci est habillée par les délicates et chères c'est une des parties du piano
garraisseurs. Ils commencent par coller sur la pour laquelle la concurrence étrangère fait sentir
tête un morceau de peau, la font sécher, collent vivement ses empiètements constants; c'est ainsi
sur elle une garniture de feutre de couleur, puis que l'on me citait un fabricapt américain qui,
une seconde garniture de feutre blanc très épais, pour vingt-deux francs, tous frais de port et de
et pour ces collages, ils emploient des machines douane compris, livre en Angleterre des claviers
spéciales, qui, en pinçant les garnitures, les for- complets. Il est vrai que les touches ne sont pas
cent à s'étendre sur le bois et les y retiennent en ivoire mais en celluloïd, l'effet obtenu est
jusqu'à leur complète dessiccation. Numérotés cependant suffisant pour attirer les clients ama-
et classés par piano, les marteaux secs sont teurs de bon marché à outrance et les facteurs
rangés sur des consciencieux
planchettes ne peuvent pas
avant leur des- lutter contre
cente chez les cette camelote
monteu~·sde7né- à laquelle il se-
canisnte où ils rait meilleur,
doiventretrou- semble-t-il, au
ver le clavie~ point de vue de
Celui-ci est en la durée, de
bois de tilleul préférer un cla-
qu'un ouvrier vier d'occasion,
débite aux di- l'ivoire jauni
mensions vou- des vieux
lues, qu'un pianos se net-
autre ouvrier toyant en effet
prépare en y facilement.
perçant les Au fur et à
trous des.mor- mesure de leur
taises et despi- terminaison
vots, puis que -les claviers,
l'on garnit d'i- rangés par pia-
voire, non pas no sur des plan-
de l'ivoire 'Clé'" ches tiroirs
biLé à l'usine sontdescendus
et découpé à à l'atelier de
même de gran- montage oit ils
des dents d'élé- doivent être
phants, mais réunis au mé-
des plaquettes canisme. Six
d'ivoire ache- Le montage du mécanisme. jours sont né-
tées à des mar- cessaires aux
chands spéciaux qui les livrenttoutespréparées, monteurs'pour assembler les milliers de pièces
de grandeur appropriée et de choix parfait. On qu'il a reçues séparées venant des divers ateliers.
colle d'abord les frontons des touches, puis les Il en forme un ensemble homogène, retenu en
tétes et enfin les queues dont les joints avec les place par des haverses de bois et qui se glisse
têtes. doivent être assez bien faits pour être com- dans la caisse.
plètement invisibles. Lorsque le collage est re- Dès la pose du mécanismeles touches font agir
connu très sec, on râcle l'ivoire, on le rabote les marteaux qui frappent les cordes, les échap-
avec un rabot tout en acier et très doux, on le pements et les noix remplissent leur office, les
polit et on termine les touches en leur mettant étouffoirs viennent s'appuyer sur les cordes pour
les garnitures de draps et en les plombant. arrêter les sons lorsque les touches retombent et
Plonzbeo les touches c'est y insérer, dans une les pédales, mises en place également par les
ouverture circulaire pratiquée dans leur tranche, monteurs, permettent de moduler les vibrations
un ou plusieurs disques de plomb destinés à de l'instrument, qui désormais n'est plus une
forcer.la note à revenir automatiquement à sa carcasse, ni une caisse, mais bien un piano et un
place après chaque coup de doigt du pianiste. piano qui parle. Il parle, mais parle mal, et pour
Lorsqu'il est entièrement monté le clavier n'a régler son langage on le roule chez les é~alisezors
pas demandé moins de vingt ouvriers pour sa chargés de donner aux sons un ensemble har-
mise en œuvre et, le travail se payant aux pièces, monique parfait. Doués d'oreilles essentielle-
un clavier revient à quatre-vingts francs dont qua- ment musicales ces accordeurs règlent d'abord
rante francs d'ivoire. Comme toutes les pièces les cordes puis les marteaux, adoucissant ceux
qui paraissent trop durs en les cardant à l'aide coïncidence j'avais vu là Baüer, venu pour com-
d'aiguilles dont ils piquent le fer, durcissant ¡w mander un piano dont il désirait être suivi dans
contraire ceux qui manquent de fermeté eJtl¡)e,s une tournée en Suisse; puis la petite Germain,
chauffant avec un fer qui presse la garniture et la petite pianiste prodige, que sa mère amenait
lui donne la solidité qui lui manque. Après son pour des heures d'exercicesjournaliers. Cette fil-
égalisation le piano est encore accordé deux lette qui passait devant moi, un ballon de grand
fois à intervalles rapprochés puis, définitivement magasin flottant au-dessus d'elle, et qui3 indiffé-
terminé, il passe au magasin de départ. rente aux regards curieux, se préoccupait uni-
Bien des détails m'avaient échappé dans le quément des envolées de son jouet d'enfant,
cours de ma visite, tant la fabrication des pianos était-ce bien la même qui, pendantdes soirs, avait
est complexe et demande de multiples mains tenu une salle sous le charme de son étonnante
d'œuvre cantonnées dans des dizaines d'ateliers exécutiondessonatesde Chopin? Etje me deman-
séparés. Cependant si je n'avais pu voir qu'une dais comment ce bébé au visage charmant de,
petite partie des pièces préparées par les cinq grâce poupine pouvait être arrivé à la possibilité
cents ouvriers de l'usine, j'en gardais le souve- prochaine d'une comparaison avec Baüer, le grand
nir d'un kaléidoscope de travaux compliqués pianiste, homme fait, à la carrure puissante, à la
comme à plaisir; à la fabrique, jusqu'à leur dé- compréhension musicale parfaite. N'était-ce pas
part pour le dépôt parisien, des finisseurs sont à l'une des qualités essentielles du piano que
encore occupés à parachever la toilette des pia- Mlle Germain devait son talent précoce à cette
nos,. frottant le vernis, les cuivres; et ce n'est facilité de toucher, à cette possibilité de varier
que lorsqu'ils sont rangés dans le magasin pour ses tons et ses effets sans être obligé de créer
la mise en vente, que les instruments peuvent ses notes; à la formationpossible des sons selon
être considérés comme entièrement abandonnés des systèmes appris et sans l'indispensable obli-
des ouvriers qui les ont construits. gation de sentir la musique et de jouer avec son
Au dépôt les pianos sont accordés de nouveau âme pour être vraiment classé virtuose? N'est-ce
puis essayés par des pianistes avant la présen- pas parce qu'il est essentiellement mécanique
tation aux 'clients. Ces pianistes, jeunes filles que le piano. permet de tels prodiges et si cela
pour la plupart, viennent non seulement essayer est, n'est-il pas l'instrument de musique le plus
les pianos mais aussi étudier dans des salles utile qui soit et ne doit-on pas se féliciter de sa
spéciales quileur sont consacrées; salles où des popularité si, en nous infligeant souvent le sup-
virtuoses de passage à Paris viennent également plice de 'gammes insipides, elle nous permet d'ap-
répéter leurs morceaux de-concert ou s'exercer plaudir des artistes dont le talent s'est éveillé
à la sonorité d'un nouvel instrum'ent. Et lorsque quelquefois à la vue et au toucher d'un mauvais
je m'étais rendu rue du Mail pour remercier piano ou même d'un clavier tout jauni monté
M. Blondel, le chef de la maison Erard, de la très' sur un vieux clavecin? 2
courtoise amabilité avec laquelle il m'avait auto- PIERRE CALMETTES.
risé à visiter ses ateliers, je m'étais trouvé as-
sister au défilé des artistes et des élèves titulaires
x~~x~s
Certaines
xx~s~xa~sz~ ~s~
font songer à la Tour de Pise qui tou-
d'entrées aux salles d'étude. Par, une heureuse jours penchevertuset ne jamais ne tombe.
Le onze août dernier et le quinze septembre, suffisamment pour écrire une étude un peu juste
en deux points du Berry, on a fêté George Sand et originale sur des livres qui ne se trouvent
comme elle eût désiré l'être en pleins champs. plus à portée de la main dans les bibliothèques.
George Sand est le « grand homme du Berry. J'aime mieux la façon de jugerdes paysans berri-
On en a gardé, dans toute une région, le souve- chons eux aussi ignorent les romans de, George
nir ému et respectueux. Elle est, dans la cam- Sand, mais ils ne s'en vantent pas et ils ne son-
pagne, l'aïeule bienveillante dont la bonté fut gent qu'aux qualités exquises de leur patronne
légendaire. On ignore la pauvre petite aventure laïque. Le jour viendra où, éliminant les scories
qui fournit la matière de tant de chroniques trop qui font la joie malsaine des badauds, une nou-
parisiennes, il y a deux ou trois ans. On dirait velle génération saura découvrir le vrai caractère
qu'on a plus de plaisir, en notre temps, à mon- et le réel génie de l'auteur des « romans cham-
»
trer les défauts des gens et leurs erreurs, fussent- pêtres Car avant tout George Sand avait l'àme
elles passagères, qu'à chercher à faire connaître rustique. A un moment, elle se flt romancier,
l'œuvre bienfaisante d'un écrivain. Il est bien par nécessité, mais elle fut toujours, par goût,
plus aisé d'écrire une médiocre amplification.sur herboriste et géologue. So'n cabinet de travail,
une: anecdotepassionnelle que de se documenter où je suis allé m'asseoir un moment, ces jours-
ci, en l'aimable compagnie de M-0 Maurice Sand murs vous attirent tout de suite. Voici le maré-
ct d'une de ses filles, montre clairement les deux -cbal de Saxe, voici Maurice Dupin, voici Aurore
préoccupations dominantes de l'esprit de la Dudevant, voici Maurice et Solange et voici les
« bonne dame ». D'un côté, labibliothèque, simple enfants. On a de l'ennui à qui~ter des yeux tous
et méthodique; de l'autre, sur de larges rayons, ces êtres beaux et nobles, dont le cœur et l'esprit
les herbiers, surmontés d'une longue étagère ont trouvé leur complète manifestation en cette
pour les collections minéralogiques. Par la fenê- Aurore Dupin, baronne Dudevant, qui devint
tre, elle apercevait les cèdres de son parc, le George Sand.
peuplier pleureur et toutes les cimes du petit C'est, ensuite, la visite au petit théàtre et aux
bois de chênes dont le sol est un tapis ininter- célèbres marionnettes. Puis le tour traditionnel
rompu de pervenches. Au delà, la route de la dans le parc, à la tour de George Sand, où une
Châtre à Chateauroux, où vont se jeter tous les légende, qu'il convient de rectifier, veut qu'elle
chemins et les sentiers qui s'en viennent de Saint- ait écrit la plupart de ses romans. Elle écrivait
Chartier, de Verneuil, de Montipouret, de lifers, dans sa chambre et dans son cabinet. Enfin on
de Neuvy, de Briantes, de Tranzault, d'Angi- tire à soi une grosse porte pratiquée dans un mur
hault, etc., c'est-à-dire de tous les coins qu'aimait du jardin potager et l'on se découvre devant la
à peindre George Sand et où vécurent les héros tombe de ceux dont on vient d'admirer les jeunes
de la Petite H'ade(te, de la ~llane au diable, de rran- et brillantes silhouettes. Au milieu, toute en
rois le Cl~aniPi, du ~llpu>2ie~· d'f.t ngibault, des lllaî- pierre noire et rude, c'est la tombe de George
tnes So~ancu~e et, aussi, des Beaux ~llessiez~rs de Sand. Elle eut, ce mois-ci, de l'l'aiches couronnes.
Bois Do~·é. Noliant, commandant à la Vallée Noire, était
Nohant, où vécut toute sa vie George Sand, est la demeure habituelle. C'est là qu'on vient de
devenu le but d'un véritable pélerinage. Il ne se célébrer la grande absente.
passe pas de jour sans qu'on vienne sonner à la Un train spécial amena de la La Chàtre, capi-
grille, sur la place de la petite église. Une cour tale du « pays de George Sand
de gros graviergrinçant et nous voici sur le seuil. sa statue de marbre blanc, jusqu'à la modeste
et
qui possède
Un grand vestibuled'une fraîcheur réconfortante, gare de Nohant-Vicq, les pieux pé,lerins qui,
puis c'est la vaste et haute salle à manger avec presque tous, étaient allés, le mois précédent, à
son perron sur le jardin, enfin le salon dont les Gargilesse.
quitte à peine la vallée de la Creuse, merveilleu-
sement variée 1 De minute en minute, tout le
Gargilesse est un petit-village où George Sand paysage change d'aspect, comme par magie.
aimait à aller se -tJaigner en pleine nature. Bai- C'est, tout au fond, entre deux coteaux sauva-
gner est le mot exact. Tout auprès du bourg, ges, des marches rocheuses que dégringole en
entre d'énormes rochers arrondis posés là, dirait- chantant la bonne rivière; l'instant d'après, c'est
on, én prévision du désir d'une grande amie à une large nappe d'eau qui porte un bac rustique
venir, à un coude de la Creuse, l'eau si vive en et majestueux avec deux paysannes à coiffes
amont et en aval, se calme en large bassin, pro- blanches et les rochers d'alentour se sont mués
fond et silencieux. George Sand, de grand ma- en petits chênes vert tendre, en fougères, en
tin, avec pour seuls compagnons les martins- somptueux tapis de thym; puis c'est l'apparition
pêcheurs vert et or et les demoiselles bleues, éclatante d'une colline rose et mauve de bruyères
venait se plonger dans l'eau froide. Le coin a serrées comme un grand troupeau, sous la garde
gardé le nom de bain ou de baignoire de George bienveillante de genêts d'or; enfin, grimpé sur un
Sand. De toutes parts, les coteaux s'élèvent vert roc à pic, un village surgit, dans sa crâne témé-
sombre et gris d'argent, faits de petits chênes et rité, dominé par son vieux cloche rustique. Par
de roches que le soleil grille. N'a pas qui veut un détour, on y arrive, on le dépasse et on
pareille baignoire 1 dévale vers la Gargilesse, ruisseau affluent de la
Mais l'auteur de Lélia, de Vale~etine, de Jac- Creuse, mais dont les coteaux sont aussi somp-
ques, de Mauprat, du Marquis de Villemer avait tueux que ceux de la grande riVière elle-même.
chaque année le réel besoin d'un rafraîchisse- Le grondement de la Creuse se perd dans l'éloi-
ment général. La fièvre de son imagination, le gnement, et c'est, maintenant, le petit murmure
grand labeur parisien la plongeaient dans un état intime, les babillages enfantins, de cailloux en
anormal, presque factice, presque maladif. Dela- cailloux, du ruisselet aimé de George Sand.
touche, son compatriote et son premier maUre Gargilesse, c'est un village et c'est une rivière
en littérature, ne suffisait pas à calmer, par ses comme un jeune époux dont les bras entourent
sentences, cette vigueur et ces nerfs. Nohant la taille fraîche de sa douce épousée, la Gargi-
même, le calme Nohant, derrière le rideau de ses less(-, embrasse du filet clair de ses. eaux heu-
grands arbres, n'arrivait pas à la guérir complète- reuses maiso-as du hameau. Et'te hameau de
ment. Alors, pour rentrer en elle-même, en sa se mirer dans les yeux timides et-.fuyants de la
droite nature, elle avait recours à Gargilesse. rivière.
« Mme Dudevant faisait atteler son cabriolet»» Nous voici dànsles rues calmes du bourg iL
pour courir les chemins, « l'œil toujours au guet n'a guère changé depuis vingt ans, et on a les
de nouveaux paysages, hélant d'un « Bonjour, impressions qu'avait George Sand lorsqu'elle y
l'ami lefermier dont on croisela carriole, tirant revenait « Sur les bancs des seuils les paysans
sur les guides pour s'arrêter en face d'un guéret saluent en riant des yeux. Les vieill~s échelles,
où courent des perdrix, esquissant un grand geste le dos courbé, s'appuient aux lucarnes des- toits.
romantique à la vue d'un jeune garçon qui aiguil- Áuprès de la maison du charron, il y a des roues
lonne les bœufs sous l'œil de son vieux pèrè, de voitures et des colliers peints en bleu. Une
souriant à la vue lointaine d'un toit qui fume, vieille arrête son rouet et regarde, la main en
entrant dans les fermes pour manger du fromage l'air, passer le cabriolet de Mme Dudevant » (1).
et baiser à pleine bouche les joues chaudes des Dans son roman de Laura et surtout dans ce
petits gars, conversant avec ses amis les meu- délicieux petit livre intitulé Promenade autour
niers et les laboureurs, frappant du manche de d'un village, George Sand décrit avec amour Gar-
son fouet les reins écumeux du vieux cheval, gilesse et ses somptueux environs. Elle y habi-
riant d'un cahot profond qui la jétte contre Sil- tait une maison achetée par son ami « Amyntas »,
vain, se laissant entraîner dans la pensée du « bâtie à pierres sèches, couverte en tuiles et
roman commencé, s'assoupissant un peu, ses ornée d'un perron à sept marches brutes » les
larges paupières closes et la tête blottie au fond dépendances n'étaient pas vastes, c'était: « une
de la capote,et se réveillant tout-à-coup, en quête cour de quatre mètres carrés; un bout deyruis-
d'autres gens, d'autres bêtes' et d'autres pay- seau avec droit d'y bâtir sur une arche, plus, un
sages (t) ». talus de rocher ayant pour limite un buis et un
Elle allait ainsi de Nohant vers Gargilesse, par cerisier sauvage. » Mais c'était le Paradis du
la vallée de la Bouzanne. repos. Sans faire fi de l'Italie, patrie d'élection
Le chemin de fer n'arrive pas encore à Gar- des artistes, elle revenait sans cesse à son coin
gilesse il vous laisse à Argenton, c'est-à-dire à de Berry, plein de sites heureux où règnent
«
une heure et demie du village. Mais qui regret- les bénignes influences, la vie à bon marché, et
terait cette heure et demie le long de la route
admirable qui traverse Badecon et Le Pin? On (1) Pierre de Querlon, dans la brochure dédiée à George
Sand po'ur la fête de Gargilesse le il août dernier, à 18,-
quelle collaborèrent E. Hubert, J. des Gachons, J. Bouchard,
(11 Pierre de Querlon. A. Aubret.
le grand avantage d'être à proximité de ses encore les paysans d'alentour et aussi les Berri-
devoirs et de ses affections ». chons des villes, reconnaissants du rayon de
Chacun sait, en effet, que George Sand fut la gloire dont elle a éclairé les deux vallées du Bas-
meilleure des mères et la plus adorable des Berry, la vallée Noire, fertile et douce, où som-
aïeules. « Aimer et plaindre ne se séparent pas, meille l'Indre, et la vallée, sauvage et tapageuse,
dit-elle dans une lettre au grand Flaubert. Et où coule la Creuse.
voilà le mécanisme peu compliqué de ma pen- Les fêtes organisées à Nohant et à Gargilesse,
sée ». Toute sa vie et toute son œuvre tiennent aux « deux demeures », étaient nécessaires.
dans cette remarque, humble et grande. Elle Elles eurent l'intimité qui convenait, malgré
vécut pour les siens, pour les enfants des autres, l'affluence. Seuls les rimeurs locaux, et surtout
pour les pauvres, pour les malades et la plupart le bon poète Hugues Lapaire, dirent ou chantè-
de ses livres sont écrits pour les simples et pour rent des strophes et si M. le sénateur Forichon,
les malheureux. premier président de la Cour d'appel de Paris, y
« Aimons-nous en ce monde, écrit-elle au prit la parole ce ne fut ni comme magistrat, ni
tome IV de l'Histoire de sa vie, aimons-nous en comme politique, mais comme Berrichon berri-
ce monde, nous qui y sommes encore, aimons- elionnant.
nous assez saintement pour qu'il nous soit per- Tout y fut simple, les poèmes et le déjeuner,
mis de nous retrouver sur tous les rivages de surtout à Gal'gilesse là, ce fut une solennité
l'éternité avec l'ivresse d'une famille réunie après tout-à-fait champêtre, mais le soleil avait été
de longues pérégrinations >J. C'est toujours la invité, et il dorait les rochers, faisait scintiller
la même préoccupation d'union, de secours, les petites cascades d'eau et luire les feuilles
d'amour. fraîches des ormes, des chènes et le tapis pro-
Relisez ses chefs-d'œuvre, ses quatre beaux fond des prairies où paissaient sans émoi les
romans champêtres ce sont les ouvrages qui grands bœufs, les moutons et les petits pour-
resteront parce qu'ils sont plus près des petits, ceaux roses à l'œil curieux.
plus près de la ferre et qu'ils expriment sans C'est dans ces deux villages et dans leurs alen-
contrainte ce qui remuait au fond du coeur de la tours que George Sand, combattant son imagina-
«bax~ne dame de Nohant » comme l'appellent tior vagabonde, maintenait son génie dans la
peinture de la réalité. « L'art aime et voit aujour- rentrée d'octobre. Le maire de cette localité, en
,d'hui tout ce quJ. est naïf ». « Nous aurons gagni' homme de bon sens et d'esprit, a trouvé l'idée excel-
à ces étudés de connaitre à fond un petit coin de lente et a aidé de tout son pouvoir à la réaliser.
Et si pour donner cet enseignement il n'y a pas le
ce monde réel que quelques amis nous ont
reproché de voir en beau. » célèbre professeur en art culinaire, M. Driessens, il y
George Sand fut plus souvent vraie qu'on ne aura une de ses plus brillantes élèves.
Il se trouve en effet dans cette charmante ville une
se l'imagine d'ordinaire. Seulement, elle savait grande dame, aussi remarquable par son intelligence
cieoisir ~parmi les choses vraies et lorsqu'on a vu que par sa bonté, qui veut bien apporter son savoir
le. pays de Gargilesse, on sourit à lire qu'elle et son dévouement à cette cause.
venait s'y guérir de l'optimisme et de l'opéra- Les fillettes tireront donc un double profit de cet
comique. Car Gargilesse est d'un romantisme enseignement; elles verront que la fortune et l'in-
merveilleux. struction n'excluent pas la modestie et la bonté, et
Quels que' soient ces deux villages, les fêtes que, dans toutes les conditions, la femme vraiment
récentes vont attirer sur eux la foule de plus en intelligente ne méprise et ne néglige aucun des
plus nombreuse des excursionnistes, etils s'écrie- devoirs de la bonne ménagère.
Maintenant, n'allez pas croire que ces cours seront
ront, malgré eux, avec le grand écrivain purement théoriques et que, tout oreille ou livre en
« Belle.et bonne France, on ne te connaît pas ». main, les élèves écouteront ou liront docilement une
JACQUES DES GACHONS. leçon; non, ces cours auront d'abord lieu le jeudi
matin dans la cantine scolaire et n'empièteront pas
sur les autres études: ils seront surtout pratiques,
carles élèves iront elles-mêmes,, accompagnées d'une
maîtresse, faire 'les achats de viande et de légumes
É~ llC~ T ION ltl,ÉN~ GÉRE et autres comestibles nécessaires. Ensuite une partie
des élèves seront occupées à la confection des mets
pendant que les autres prendront soigneusement des
Au risque d'être honnie par toutes les féministes notes; quelques-unes dresseront le couvert, orneront
et par Mme Schmal en particulier, je me permets de la table et toutes goûteront aux mets préparés. Ce
venir plaider ici en faveur de l'éducation ménagère sera une cuisine très simple et à la portée de toutes
et des cours de cuisine qui, déjà organisés dans un les bourses. La jeune fille apprendra ainsi la manière
certain nombre d'écoles professionnelles, le seront de préparer une nourriture saine et peu co/).teuse;
bientôt aussi dans toutes nos écoles primaires. elle prendra goût à l'art culinaire et constatera que
Mme Schmal, qui nous est présentée comme une la façon de dresser un plat, d'orner une table ajoute
comme très instruite ettrès intelligente ce dont je encore au plaisir d'un excellent repas, et que, dans
suis convaincue-me pardonnerade n'être pas de son tous, ces travaux la femme intelligente ne perd ni de
avis, lorsque dans son zèle pour l'émancipalion de la sa grâce, ni de son charme.
femme elle réclame la suppression de la cuisine La Parisienne, plus que toute autre, connaît dé
i
bourgeoise. trop la cuisine préparée à la hâte ou achetée chez le
« Plus de travaux domestiques pour la femme, dit- restaurateur; malheureusement elle est souvent
elle ni soins du ménage, ni préparation des repas obligée de travailler au dehors pour augmenter le
quotidiens de la famille. Ceux-ci viendront du res- budget et je dis malheureusement, n'en déplaise à
taurant la femme n'aura plus alors qu'à s'occuper Mme Schmal; cat:. à mon humble avis, la femme, la
des travaux extérieurs et de la culture de son esprit ». mère de famille devrait rester au logis pour élever
Rassurez-vous,jeunes gens, futurs époux, il y aura les enfants et veiller aux soins du ménage. Que de
encore et pendant longtemps de bonnes ménagères, foisn'a-t-on pas répété cette parole.de Mme de Main-
d'excellents cordons bleus. tenon « La fel]lme fait la maison »! Certainement
S'il se trouve des esprits supérieurs pour reven- oui, mais encore faut-il pour cela qu'elle reste à la
diquer les droits de la femme, il s'en trouvera aussi maison et qu'elle puisse y accomplir ses devoirs.
pour lui apprendre se~ devoirs. Droits et devoirs ne Plus que jamais il faut que la femme soit instruite,
sont pas incompatibles. c'est un charme de plus et qui n'est pas pour déplaire
C'est ce qu'ontpensé les congressi!'tesde Bordeaux aux maris; mais pour le bonheur et la joie du foyer,
quand, parmi tous les vceux émis, ils en ont formulé il faut qu'elle soit aussi une femme d'intérieur, ne
un qui demande la création d'ouvroirs destinés'à dédaignantni ne négligeant aucun des devoirs domes-
apprendre aux jeunes filles à leur sortie de l'école tiques.
la coupe et la confection des objets usuels de lingerie, Tant que le monde sera monde, il faudra manger
le raccommodage, le repassage, l'économie domes- pour vivre et toujours sera vraie la parole du boti-
tique et la cuisine en particulier. homme Chrysale « On vit de bonne soupe et non de
On n'attendra même pas la sortie de l'école pour beau langage. »
démontrer aux fillettes l'utilité de toutes ces choses, D. GUIGUET.
car il se crée dès maintenant à Paris et dans la Pro- Directrice d'école.
vince des cours d'éducation ménagère et des cours
de cuisine. ~E4~R~l~asx%%Akds~,a~:k~à~G;È~~6:as~~atx~
Je connais même, dans une des plus jolies et des Tel est le lot de l'imperfectionhumaine que tout blâmer
plus aristocratiquesbanlieuesde Paris, à Neuilly-sur- est le moyen d'avoir le plus souvent raison.
Seine, un projet à ce sujet, projet qui aura son exé- Le défaut des comédiens est de ne pas savoir où finit le
c~tion dans les deux écoles cummunales dès la théâtre, où commence la vie.
Le Portrait d'Alexandre=le=ûrand, à Pompéï
Les fervents admirateurs de l'art antique se les dimensions et de simplifier les accessoires
sont un'moment flattés de retrouver des copies pour les approprier à l'espace dont ils dispo-
des chefs-d'oeuvre de la peinture grecque dans saient.
la décoration intérieure des maisons de Pompéï. Presque toujours les sujets empruntés aux
Jusqu'à présent cette attente a été en très grande tableaux de l'école Alexandrine représentaient
partie déçue. Les savantes recherches de des scènes de l'antique mythologie où l'amour
MM. Helbig, Gaston Boissier, Auguste Man, So- jouait un rôle capital. Le sensualisme licencieux
gliano ont permis de reconstituer les méthodes et des cours dégénérées d'Égypte et de Syrie, plai
les procédés de travail employés par les peintres sait aux descendants des colons romains dont la
du premier siècle de l'ère chrétienne et ont décadence morale s'était aggravée sousl'influence
prouvé que les artistes pompéiens n'avaient dû débilitante du climat de la Campania.
que très rarement, et àtitre tout à fait exception- Pourtant parmi ces nombreux propl'iétaires
nel, copier des tableaux qui faisaient décorer de
des maîtres. peintures l'intérieurde leur
Les liommes qui ont en maison, il devait se ren-
peu d'années et peut-être contrer de loin en loin un
même en peu de mois cou- homme de goût qui préfé-
vert de peintures les mu- rait une copie exacte cl(,
railles des Q~)'L211725 et des quelque chef-d'œuvre de
cubicula de toutes les mai- l'époque classique aux imi-
sons occupées non seule- tations presque toujours
ment par les pl'iyilégiés de très lihres, ou plutôt aux
la fortune mais encore par réminiscences en général
le grand nombre de ci- assez lointaines des ta
toyens, qui dansune ville I)Ieaux où les peintres de
d'une trentaine de mille la décadence hellénistiqu
habitants où le commerce avaient représenté les scè-
était très actif avaient ac- nes de la vie galante de:
quis quelque aisance, de- divinités de l'Olympe. Il
vaient travailler avec une suffit, par exemple, de jeter
prodigieuse rapidité. un coup d'œil sur la Médéf'
Démolie de fond en com- qui a été découverte -li Her-
ble par le tremblement de Buste cL\lexandrc (\Iu~éo du Capitole). culanum pour reconnaîirn
terre de l'an 63 et immé- que cette figure, d'une ex-
diatement reconstruite par ordre du Sénat, la pression admirable, ne pouvait pas être l'œuYl'e
ville de Pompéï ne conservait plus aucune trace personnelle de l'un de ces décorateurs à bon
de ce premier désastre lorsqu'elle fut ensevelie marché dont le facile talent s'exerçait dans les
sous l'éruption du Vésuve du 2{ ao~at 79. Il suffit villas de la Campania, mais avait été evécutée
de rapprocher ces deux dates .pour se faire une pour le compte d'un amateur intelligent qui tenait
idée des procédés de composition et d'exécution à avoir chez lui une copie fidèle du célèbre ta-
que devaient employer des artistes qui, durant un hleau de Timomaque.
si court intervalle, ont peint les seize ou dix-sept A notre avis, il y a lieu d'attribuer une origine
cents fl'esques découvertes jusqu'à ce jour, sans semblable à une fresque qui décore l'un des
compter celles qui se trouveront dans l'autre moi murs de la première chambre à gauche de l'atoiuna
tié de la ville qui n'a pas été encore rendue à la de la Casa dei ~'etti, l'une des dernières maisons
lumière. que les fouilles de Pompéï aient rendues à la
Les peintres pompéiens n'avaient pas le temps lumière du jour. Les deux premiers archéologues
de composer des oeuvres originales. Ils choisis- qui ont donné une description de cette remar-
saient leurs modèles dans des recueils où quable peinture ont été d'avis que l'artiste avait
étaientréunies un grandnombre de reproductions voulu représenter un Jupiter tonnant. Le per-
de tableaux qui avaient été à la mode en 1;g5~pte sonna~e est assis, il a le torse nu, de sa main
du temps des Ptolémées et dans les cours asia- droite'il s'appuie sur un sceptre et de la gauche il
tiques où avaient régné les suceesscurs d'Alexan- tient la foudre. On retrouve en lui l'attitude et
dre. Dès qu'ils avaient fait choix d'un sujet, ils le les attributs que, suivant une tradition consacrée
traitaient avec la plus entière liberté et ne se par tous les sculpteurs et les peintres de l'anti-
piquaient pas de copier avec fidélité la composi- cluité classique, devait avoir le plus puissant des
tion orignale dont ils étaient ohli~ ~s de modifier dieux de l'Olympe. Cette opinicn ne partit pas
douteuse à 1\1. Auguste Man qui a donné dans les temps devait être à peu près aussi répandu dans
Scavi di Ponyei (1894-1895) une description des les pays où avait régné le vainqueur d'Issus et
peintures de la Casa cfei Yetti et elle a été repro- d'Arbelles que de nos jours, en Europe, le por-
duite par M. A. Sogliano dans le tome VIII de la trait de Napoléon.
grande publication dei ~llo~zzc~eziti. antichi entre- Ajoutons que les Ptolémées, las Séleucides, les
prise par les soins de l'AcadénÜe dei Lincei. rois de Pergame et toutes les dynasties qui se
M. Giuseppe de Lorenzo soutient une autre considéraient comme les héritières d'Alexandre
thèse. Au dire du savant collaborateur de la plus favorisaient de tout leur pouvoir la reproduction
vivante, de la plus variée et peut-être aussi de la des eliefs-d'oeuvre de Lysimaque, de Lysippe et
plus intéressante des revues italiennes ce ne d'Apelles qui entretenaient, parmi les nations de
serait pas Jupiter mais Alexandre le Grand qu'au- l'Orient, le culte du héros dont la popularité et la
rait voulu représenter l'artiste pompéien. Pen- jloire rejaillissaient sur ses indignes succes-
dant la dernière période de l'antiquité gre0o- seurs. Nous avons dit plus haut que c'était à
romaine la barbe était un at- l'école alexandrine ou hellé-
tribut aussi indispensable au nistique, que les artistes de
père des dieux et des hommes Pompéï avaient emprunté la
que le sceptre ou la foudre. plupart de leurs modèles et
Ce majestueux ornement fait il est tout naturel qu'en de-
défaut au personnage de la hors des tableaux de mytlio
Casa dei Yetti et un Jupiter logie licencieuse, ils aient
sans barbe ne peut être également copié le célèbre
qu'un faux Jupiter. Il est portrait peint par Appelles,
vrai que Overbeck a soutenu qui remontait à une époque
que l'art hellénique avait antérieure, mais était extrê-
connu un Jupiter glabre. A mement répandu dans les
l'appui de son opinion, le sa- pays où ils allaient chercher
vant archéologue allemand leurs inspirations. Il suffit,
a invoqué le témoignage de d'ailleurs, de jeter un coup
Pausanias qui a vu à Olym- d'cl-il sur la peinture de la
pie trois statues de Jupiter Casa dei jletti pour recon-
imberbe et une quatrième naître les traits du conqué-
sur ;le Forzim d',E-ion. 0 rant. Il'porte la tète légère-
Malgré la confiance que ment inclinée du côté de
méritent, en général, des l'épaule gauche comme le
renseignements recueillis dit Plutarque, d'après le té-
sur place par le plus remar- moiânage de ses contempo-
quable géographe de l'anti- Statue de hronze d'Alexandre-Ie-Grand rains, il a l'ovale régulier,
quité, il ne faut pas perdre découverte à Reims. la chevelure abondante, sa
de vue que Pausanias a vécu bouche est légèrement en-
cinq siècles environ après Alexandre le Grand et tr'ouverte, ses yeux regardent haut et loin comme
qu'il a très bien pu, dans des notes de voyage dans la statue de Lysippe dont le buste du Capi-
prises sur des oeuvres d'art qui remontaient à tole n'est très probablement qu'une copie. Si quel-
une époque fort éloignée et dont il n'avait pas que doute pouvait subsister encore sur l'identité
eu le temps d'étudier à fond l'origine et l'histoire, du personnage qu'a voulu représenter le peintre
confondre avec des Jupiter imberbes, des per- pompéien, toute hésitation devrait, à notre avis,
sonnages célèbres, revêtus des attributs divins. disharaitre en comparant le portrait de la Casa
On sait que, dans l'antiquité, il n'était pas rare que dei Vetti à l'œuvre de Lysippe et surtout à la
les grands hommes fussent après leur mort, as- statue de bronze trouvée à Reinis et que l'on peut
similés aux dieux. D'ailleurs, en admettant qu'il voir maintenant à la Bibliothèque nationale,
soit arrivé à des sculpteurs de l'ancienne Grèce de collection Janzé. La ressemblance est frappante,
représenter Jupiter sous les traits d'un person- l'attitude est à très peu de chose près la même;
nage glabre, ce quine nous paraît pas absolument seulement l'Alexandre de Pompéï est le fils de
démontré, un fait est hors de doute, c'est que Jupiter qui tient le sceptre et la foudre, tandis
dans le célèbre tableau d'Apelles, dont Plutarque que l'Alexandre de Reims est le guerrier qui tient
a donné une description malheureusement très la lance et l'épée. G. LABADlE-LAGRA VE.
sommaire, Alexandre tient la foudre. Il était du
reste tout naturel, qu'en sa qualité de fils de Ju-
~$£~£££~$~~£$~$££~$
piter officiellement reconnu par le grand prêtre s'en La vie se passe à reconnaître qu'on a été heureux sans
douter et à se croire malheureux sans l'être,
d'Ammon, le Conquérant de l'Asie fût représenté P.-L. COURIER.
avec les attributs paternels. Le portrait du héros Le decouragement vient, comme l'ambition, de l'impa-
macédonien par le plus grand peintre de son tience du succès.
HYGIÈNE DES LISEURS
Quels sont les moments de la journée les plus médecins spécialistes, on ne doit pas lire conti-
convenables pour lire 2? nûment des heures entières, et il est bon d'in-
Tous les médecins sont d'accord pour déclarer terrompre fréquemment ses lectures pour re-
que lire en mangeant est une pernicieuse habi- garder au loin à travers la fenêtre, ou, si la vue
tude; et ce n'est pas d'hier que la remarque est est bornée par un mur très rapproché, porter les
faite. yeux en haut, vers le ciel (le meilleur moyen de
Quand, après le repas, les chapelains de saint reposer les yeux, c'est de regarder au loin). Il est
Louis lui offraient de lui lire quelqu'un de ses bon également de quitter son livre pour prendre
livres favoris « Non, répliquait-il avec un sou- des notes, pour réfléchir, ou, mieux encore, pour
rire, il n'est si bon livre qui vaille, après manger, se lever de son siège, marcher et circuler quelque
une causerie ». peu dans l'appartement ou la pièce.
Nous sommestous portés, quandnous sommes
« Humecter son doigts pour tourner les feuillets
seuls, dit le journal l'Hygiène moderne, à lire en d'un livre est, il faut l'avouer, un procédé bien
mangeant, soit que nous déjeunions, soit que commodeet bien tentant'. Lorque, debout devant
nous dînions, et c'est là une habitude extrême- une boite de bouquiniste ou le comptoir d'un
ment mauvaise et qui doit être condamnée, sur- libraire, vous parcourez un volume'et vous vous
tout si, pour ne pas perdre de temps, on continue trouvez arrêté par deux feuillets qui, en dépit de
à table une étude ou un travail commencé. vos essais réitérés et de toutes vos insistances,
« Si vous lisez, que ce soit quelque chose s'obstinent à ne pas se décoller, que faire ? Le
d'amusant. doigt, le doigt mouillé, semble tout indiqué.
« L'habitude commune de lire. à déjeuner lé Et cependant, voyez ce dont vous avertit le
journal du matin n'est pas absolument préjudi- doyen de notre Faculté de médecine, M. le doc-
ciable elle fournit des sujets de conversation et teur Brouardel, un des plus autorisés en l'espèce
ne fatigue pas trop le cerveau; mais si l'on nous « Parmi les causes de propagation de la tuber-
demandait notre avis, nous conseillerions de ne culose, il faut noter l'habitude trop répandue de
rien lire du tout pendant les repas. s'aider d'un doigt préalablement humecté de sa-
« La digestion se fait toujours mieux quand live pour feuilleter un livre, un dossier, des pa-
l'esprit est libre de toute préoccupation, et que piers quelconques, jusqu'aux plus crasseux
les processus naturels s'accomplissent sans être billets de banque Si la (,( moitié du personnel
entravés par le travail de la pensée. des instituteurs primaires de Paris est phthisi-
« Il est extrêmement sain de dîner en compa- que, elle le doit, pour une bonne part, à cette
gnie de personnes gaies. Le stimulant qui e~t pratique malpropre et funeste. Ceci, on le voit
ainsi donné à l'activité nerveuse agit puissamment d'ailleurs faire tous les jours, non pas seulement
et efficacementsur la digestion. dans l'enseignement,. mais dans les bureaux, les
« Tout au contraire, une personne qui est en- offices ministériels,etc. Les élèves,les employés,
nuyée, fatiguée ou excitée, ne peut digérer d'une les clercs font ce qu'ils voient faire ils emportent
façon
9
satisfaisante
1,1
».
Essai.cr
Jean Darche, dans son la lecture,
~e es-
time, d'une façon générale, qu~pl: le. teJDpl' le plus
favorable pour ~iré, ~'e.st lé matin,.en se levant,
ensuite partout, dans leur carrière administrative
ou dans leur vie d'hommes d'affaires, l'habitude
de ces- immenses dangers.
Le tuberculèux dépose innocemment sur les
et le soir avant dé se coucher~ Tçl,&tgi4 gu~si l'avis feuilles.de papier des bacilles que l'homme sain
d'Erasme. y ramasse et porte inconsciemment à sa bouche
',>
Quant à la lecture au lit, si elle est dangereuse il suffit d'un malade pour empoisonner toute une
pour les livres, qu'on ne peut, en effet, dans la bibliothèque, tous les cartons d'une étude ou d'un
position horzointale, tenir aisément ouverts et bureau
qu'on risque d'endommager, elle n'est qu'incom- « Les professeurs, pères de famille, maîtres
mode pour les lecteurs et ne les menace'd'aucun de pension, instituteurs, ou autres personnes
péril direct. Outre les paresseux à qui elle peut charg~es de surveiller la jeunesse studieuse,
convenir, elle est d'un grand secours pour les feront bien de ne pas perdre de vue ce danger.
malades et ne mérite pas l'ostracisme impitoyable « Un avis pourrait même être affiché dans les
prononcé contre elle par le bibliographe améri- bibliothèques et salles de lecture pour mettre le
cain Harold Klett, qui a publié, il y a une quin- public en garde contre cette fâcheuse habi-
zaine d'années, sous le titre de Uon't (Ce qu'il ne tude (1) ».
faut pas faire) un résumé de toutes les précau-
tions recommandées aux amis des livres et de (1) Confért"ncefaite à. Nancy par M. Brouardel, doyen de
l'étude. la Faculté de médecine de Paris, sur les causes de la pro-
pagation de la tuberculose (Indépendancede l'Est, 26 mars
Néanmoins, suivant les conseils de plusieurs 1900)..
Les preuves abondent de la réalité de ce péril, l'employé préposé très longtemps auparavant
de la fréquence de cette contagion, et nous n'a- aux archives, tuberculeux à la dernière période,
vons, pour en. fournir, que l'embarras du choix. avait la mauvaise habitude de se mouiller le doigt
Voici, entre tant d'autres, un exemple, que nous avec de la salive pour feuilleter et compulser les
empruntons à la Revice enc~clof~édique, aujour- pièces. Il avait ainsi contaminé les archives sou-
d'hui Reane zcnivei·selle. mises à sa garde; les bacilles, avec le temps, s'y
Dernièrement, à Kharkow, chef-lieu de gouver- étaient développés et avaient créé un véritable
nement de la Russie méridionale, une véritable foyer de tuberculose qui avait infecté les em-
épidémie de tuberculose s'était abattue sur les ployés. « Que ceci serve de leçon aux personnes
.employés de la municipalité, surtout sur ceux qui ont la mauvaise habitude de ne pouvoir feuil-
spécialement affectés aux archives. Émus de cet leter un livre sans l'intervention de la salive.
état de choses, les médecins soumirent ces ar- Avis aussi à celles qui empruntent des livres aux
chives à des analyses bactériologiques et micro- cabinets de lecture, livres prêtés en grand nombre
graphiques, et constatèrent bientôt que les ba- aux malades de toute sorte ».
cilles de Koch y pullulaient. L'enquête établit que ALernT CIM.
En arrivant dans le charmant ermitage qui stitut, et auquel nous devons son installation,
compose le domaine de l'Institut Pasteur, nous au milieu d'Européens et cl'incligi'nes de toutes
sommes tout d'abord séduits par l'aspect de frai- races, Sénégalais, Hindous et l\Jalgaches qui,
cheur que nous expli-
présente ce que-t-il,
coin de co- viennent,
teau, dont la tous les ma-
verdure, tins, suivre
taanchantt le traite-
-agréable- ment pré-
ment sur ventif de la
l'aridité des rage.
montagnes Une petite
environnan- fillette à
tes, semble peau cui-
abriter plu- vrée,etdont
tôt une ha- la chevelure
bitation de est ornée
plaisance d'une mul-
qu'un labo- tittide' de
ratoire ou petites tres-
un hûpital. ses,se laisse
Des allées inoculer
ombreuses sans la
permettent moindre ré-
de circuler sistance,
au milieu L'Institut Pasteur de Tananarive. tandisqu'un
d'un vérita- affreux ga-
ble parc émaillé de fleurs et coupé d'une façon min, à peu près du même àge, pousse des cris
pittoresque de hautes terrasses d'où l'on jouit perçants et roule des yeux terrifiés.
d'une vue superh3 sur la vallée au delà de la- Tout en inoculant ses patients, le docteur nous
quelle on aperçoit Tananarive, dominé par ses explique le mécanisme du traitement préventif
deux palais. et nous montre de nombreux petits Ilacons où
Dans l'enceinte de murs faits de cette terre sont conservées dans la glycérine les moelles de
rouge dont la teinte chaude illumine le plateau différents âges servant au traitement.
de l'Imerina, on aperçoit, trouant la verdure, de Trente-deux personnes, nous dit-il, ont été
nombreux petits toits en tuiles, qui indiquent les traitées jusqu'à ce jour; d'autres sont annoncées,
divers bâtiments affectés aux différents services et, depuis le 9 février, époque à laquelle a com-
de l'Institut Pasteur et au logement du personnel. mencé à fonctionner le service,'il y a toujours
Nous trouvons le Dr Thirou~, directeur de 1'ln- eu des personnes en traitement.
Le docteur se montre très satisfait des résul- et suspect d'avoir mordu trois colons européens.
tats du traitement antirabique pas un accident. Le Dr Thiroux nous montre ensuite son instal-
Il nous avoue cependant avoir craint quelque- 1ation pour la production de levures pures, qu'à
fois pour l'existence des personnes qui lui ont l'aide d'un dispositif très ingénieux, il arrive à
été confiées. Il nous cite entre autres le cas de reproduire dans des dame-jeannes, en l'absence
deux enfants mordus à la face, présentant des d'appareils spéciaux qu'il attend prochainement.
plaies de plus d'un centimètre de profondeur. Les distillateurs, nous dit-il, dont les indus-
Les morsures sont, en général, très étendues, tries semblent de celles qui résisteront le mieux
ressemblant plutôt à des morsures d'animaux aux caprices de la mode à Madagascar, ne pour-
sauvages qu'aux morsures qu'on a l'habitude de ront rien faire sans levures pures, surtout lorsque
rencontrer en Europe, et l'on nous montre le l'abaissement des prix de transport les aura mis
jeune Tafy, sur l'épaule noire duquel se dessine plus directement en face de la concurrence euro-
en rouge une large cicatrice de plus de quinze péenne.
centimètres de longueur. La seule matière première employée actuelle-
Les indigènes commencent à se rendre compte ment se compose de mélasse ou de sucre brut.
des bienfaits du traitement pasteurien, et quel- D'autres produits, en particulier les grains, cer-
ques-uns, nous a-t-on aflirmé, ont d'eux-mêmes tains tubercules, comme le manioc, les patates
télégraphié à l'Institut Pasteur pour demander et même les pommes de terre, pourront être
des instructions, à la suite de morsures. également transformés en alcool.
Ils connaissent d'ailleurs très bien la maladie, Deux procédés, nous explique le docteur, per-
et ont, pour la désigner, un terme spécial. mettent d'arriver à l'utilisation de ces matières
Les chiens enragés sont des chiens fous; les par les distillateurs l'un est le procédé chinois,
personnes mordues, disent-ils, deviennent étudié par M. le professeur Calmette, qui en a
comme folles, et meurent rapidement un mois fait un procédé industriel de tout premier ordre,
et demi ou deux mois après avoir été mordues. l'autre la saccharification par les acides.
On ne peut que déplorer à Madagascar cette Notre aimable cicerone, pour appuyel' son
extraordinaire pullulation des chiens errants qui argumentation, nous fait alors goùter des échan-
fait que des bandes de ces animaux, rendus pour tillons d'alcool de canne et d'alcool de riz, obte-
ainsi dire à la vie sauvage, parcourent les vil- nus au laboratoire de fermentations qu'il,a adjoint
lages, hurlant et mordant de droite et de gau- à son Institut.
che. Quelques industriels apprécient d'ailleurs les
Cet état de choses est d'autant plus déplorable services que peuvent rendre ces nouveaux pro-
que les cas de rage ont été nettement affirmés cédés, et demandent leurs ferments au labora-
à plusieurs reprises par les autopsies des vétéri- toire de Tananarive.
naires et par l'inoculation expérimentale, qui Les brasseurs, dans leurs essais, s'en sont mon-
vient d'être faite positivement à l'Institut Pas- trés très satisfaits; ils nousfont espérer que nous
teur; du bulbe d'un chien "Ibattudans notre ville pourrons bientôt boire une bière plus agréable
et moins coùteuse que la bière d'exportation, et en un clair filet de cristal, et qui est alimentée
chacun à Tananarive attend avec impatience par la source qui apporte la fraicheur et la ferti-
l'achèvement de la belle installation de M. Jouve. 1ité dans ce-petit coin privilégié.
Nous voyons, en passant, le vaccin charbon- Les génisses, en très bon état, paraissent se
neux et le microbe du charbon, ce dernier, pa- trouver très bien dans leurs étables, aménaâées
rait-il, recueilli dans les environs mêmes de d'après les modèles les plus récents, et tenues
Tananarive, à Fiadana. dans un état de propreté remarquable.
Cette maladie, qui a fait autrefois de si grands L'une d'elles présente déjà l'éruption carac-
ravages en Beauce et en téristique; et afin de nous
Champagne, est connue ici la faire mieux voir, les gar-
sous le nom de toznboka. çons indigènes la couchent
Elle y semble assez répandue rapidement sur la table à
et occasionne des pertes sé- bascule.
rieuses aussi ne saurait-on La production du vaccin,
trop engager les propriétai- nous dit le Dr Thiroux, a dé-
res à employer les vaccina- passé, pendant les derniers
tions pasteuriennes. mois, trois mille tubes par
Après avoir vu une très mois; elle se trouve actuel-
intéressante collection de lement réduite. La variole
microbes choléra, tubercu- a, d'ailleurs, presque com-
lose, peste, etc. dont la plètement disparu de certai-
plupart ont été récoltés par nes contrées depuis la créa-
le Dr Thiroux lui-même, tion de l'Institut.
nous rendons visite aux ani- Nous prenons alors congé
maux inoculés, rangés dans de l'aimable directeur, et en
des cages soigneusement le félicitant des résultats si
étiquetées, tout autour d'une rapidement obtenus, nous
pièce spécialement aména- lui souhaitons de tout notre
gée à cet effet. Parmi ces coeur, et dans l'intérêt de
Le D~ Thiroux, directeur de l'lnstitut Pasteur
animauxauxquels le docteur à Tananarive. notre belle colonie, la r éus-
a inoculé les maladies les site des expériences nou-
..J~u_ nousvoyons quelques essais d'ino- velles qu'il poursuit dans les trop peu nombreux
._1_ diverses
plus
culation de la lèpre.. moments de loisir que lui laisse un service trop
Pour descendre aux étables, nous passons de- chal'gé.
vant une fontaine, dont le trop-plein s'échappe J.
Tous les ans et pour ainsi dire à date fixe vers la faire remonter à Philippe le Bel, qui en créant en
l'époque de l'élection du bâtonnier l'ordre des faveur des juristes,consultants ou plaidants, un ordre
avocats, qui ne s'en porte pas plus mal, a à subir des de claevalerie ès lois, leur accorda tous les droits et
attaques plus ou moins justifiées. Provoquées sans toutes les distinctions de la chevalerie militaire. Seu-
doute par la proposition Coutant (qui demande la lement le titre de maître remplaça celui de messire
suppression de l'ordre), elles ont été cette année Par- ou de monseigneur.
ticulièrementviolentes et elles commencent à trouver Cet ordre des avocats, organisé, réglementé, se
un écho parmi ces jeunes avocats qui, en attendant donna un chefqui était en même temps, sous l'ancien
d'être ramenés à la modération par la prospérité, régime, celui de la confrérie de Saint-Nicolas,établie
représentent ce qu'on pourrait appeler le barreau à la Sainte-Chapelle et composée des procureurs au
~°é~~olutioYinnioe. parlement. Comme insigne de sa dignité, il portait-
Avant d'examiner ce qu'on a reproché de tout d'où le nom de bâtonnier- un bàton revêtu d'argent
temps et ce qu'on reproche encore à l'ordre des et surmonté à son E'xtrémité d'une statuette représen-
avocats, il ne sera pas inutile de dire quelques mots tant Saint Nicolas.
sur son origine et son organisation. Les deux corporations des avocats et des procureurs
Voltaire commet une erreur lorsqu'il assure que les (aujourd'hui avoués) reconnaissaient donc le même
avocats prirent le titre d'ordre vers i 730. Cette déno- chef, élu le 9 mai.par les anciens batonniers et les
mination était déjà en usage au seizième siècle et, procureurs de communauté mais qui devait toujours
sans aller jusqu'à Louis IX ou Hugues Capet, on peutt être le doyen des avocats. Celui-ci posait sa candida-
ture en ôffrant, le jour de [la Saint-Thomas, un repas tantes par les maîtres anciens et' réputés, ceux qui,
somptueux aux électeurs. au seizième siècle, occupaient un banc d'honneur,
Aussitôt élu, le bâtonnier envoyait mille livres fleurdelisé.
pour être distribués aux avocats indigents ou aux Il datait de loin, quoiqu'il n'ait été formulé
veuves d'avocats et il y avait en outre d'autres frais qu'en 1.84.4, le mot célèbre de Pinard « que le plus
ou aumônes qui s'élevaient à un millier de livres. court chemin pour aller à l'Hôtel-Dieu est peut être le
Quel fut le premier batomiier? Denis Doupat, à la Palais de Justice. »
fin du seizième siècle, ou Jehan Mauvelet, au qua- En 1781, il y avait plus de 550 avocats inscrits au
torzième siècle? Il est impossible de l'affirmer avec tableau, et l'auteur d'un très curieux pamphlet, Ré-
précision. flexions d'un militaire sur la profession d'avocat, attri.
Les fonctions du bâtonnier, avant la Révolution, bue à ce nombre excessif la décadence du barreau
étaient à peu près les mêmes qu'aujourd'hui. et la formation d'une catégorie de fabricants de
Dépositaire du tableau, il représentait l'ordre dont plaidoyers au rabais que le prétendu militaire appelle
il présidait le conseil chaque semaine. Il servait d'in- des avocats man,ceuures, des avocats à la toise. Ils
termédiaire auprès du gouvernement et du corps n'étaient pas encore assez nombreux pour qu'on se
judiciaire, ce qui n'était pas toujours une besogne crût obligé de les ménager.
facile ni agréable. Ces avocats à la toise ne reculaient devant aucune
Armé de sa triple pçnalité réprimande, suspen- cause, quelque peu équitable qu'elle parilt, et ils
sion, radiation, il régnait sur cette population auraient pu, si on le leur avait reproché, répondre
remuante qui occupait au seizième siècle les 4 bancs comme un de leurs prédecesseurs du dix-septième
de la grand'chambre du Parlement et, deux siècles siècle, Me Langlois «J'ai tant perdu de bonnes causes
plus tard, le nombre ayant considérablement aug- que je ne sais lesquelles prendre. »
menté, les 12 bancs auxquels on avait donné des noms A côté de ces besogneux et donnant l'exemple d'abus
pompeux, la Prudence, l'Épée herminée, le Soleil d'or, d'un autre genre, de jeunes maUres étalaient des
la Bonne foi, la Providence, l'Écu de France et la talents brillants, mais très coûteux, et comme le
Palme, etc. remarqueBarbier dans son Journal (c Il fallait les bien
Dès sa fondation, l'ordre des avocatsavait été l'objet payer pour les faire bien plaider. »
de bien des critiques et on lui avait reproché surtout Ces aubaines étaient rares au Palais, même en ce
nous examinerons tout à l'heure la valeur de ce temps-là. Un procès sensationnel, couru par des can-
grief sa cupidité, sa préférencetrès marquée pour didats innombrables, suffisait à classer un avocat,
les causes lucratives. mais pour un qui réussissait par hasard, combien
« On n'a pas avocat pour vin de Surânes », affirmait d'autres vivaient ou plutôt ne vivaient pas de quel-
un vieux dicton, et au dix-huitième siècle Mercier ques maigres causes, pauvrement payées 1
écrivait, dans son Tableau de Paris « les écrivains se Moins fantaisiste et plus navrante peut-être que la
battent pour la gloire, les avocats se battent pour la bohème littéraire, la bohème judiciaire a eu, de
gloire et pour la soupe ». siècle en siècle, ses héros et ses martyrs. Elle com-
L'humeur satirique de nos bons aïeux n'avait même mence, joyeusement, avec Me Pathelin pour aboutir,'
pas fait fait grâce à saint Yves advocatus sed non à une époque voisine de nous, à Fauvre, mort alcoo-
latro, ~~es miranda populo admis au Paradis parce lique après avoir été rayé du tableau, à Maurice Joly
qu'il n'y avait pas encore d'avocats ou plutôt, ajoutait- qui avait beaucoup de talent mais qui ne fut pas heu-
on, parce que menacé 'd'en être chassé, après s'y être reux, et à Thorel Saint-Martin,
introduit par surprise, il exigea que son expulsion lui
fut signifiée par ministère d'huissier. pn ahercha un Ce Thorel Saint-Martin
huissier. Naturellement on n'en trouva pas et voilà Qui défend pour trois francs la veuve et l'orphelin
pourquoi Saint Yves resta dans le Paradis. Comme les autres corps, celui des avocats, à la veille
A l'époque où un peintre très idéaliste représentait de la Révolution, recélait de ;nombreux abus et exi-
Etienne Pasquier, célèbre par son désintéressement, geait une sérieuse réforme.
sans mains, les avocats n'ayant pas le droit d'en avoir, L'Assemblée constituante, qui i¡Javait sans doute à
Henri Estienne reproduisaitou peut-être inventait ce quoi s'en tenir puisqu'elle comptait parmi ses mem-
billet d'un avocat dénué de préjugés à un de ses con- bres 183 avocats,'reprochait à l'ordre de former une
frères corporation privilégiée, animée d'un esprit routinier
Deux chapons gras me sont venus sous la main, il ne s'en est pas complètement débarrassé et
desquels, ayant choisi le plus gras, je vous envoie l'au- imbue d'idées aristocratiques.
tre. Je plumerai de mon côté, plumez du vôtre. » Supprimé en 1. 790, en même temps que l'École de
Ces théories, très fausses, sur le désintéressement droit, l'ordre disparut sans résistance, sans protesta-
absolu et obligatoire des membres de l'ordre étaient tion, peut-être parce qu'il était sûr d'être rétabli, et
tellement ancrées dans tous les esprits que l'on con- le nom même d'avocat, qui sentait l'ancien régime,
sidéra comme une fantaisie, et une fantaisie répré- fut.remplacé par celui de « défenseur officieux ».
hensihle, l'ouvrage de Jacques Lescornay, publié On s'aperçut bientôt que l'ancienne organisation,
en 1650, Apologie pour l'honoraire ou récompense (pé- si elle maintenait chez les avocats un certain esprit
cutiiaire) dù aux avocats d .cause de leur travail. de caste, conservé 'pieusement par eux et qui n'est
1':1Ie n'avait pas encore prévalu cette idée, cependant
pas d'ailleurs sans avantagés, si elle leur imposait une
si simple, que l'avocat n'exerce pas un sacerdoce, mais discipline trop minutieuse, trop sévère, qu'il serait
une profession dont il essaye de tirer le meilleurparti facile et habile de réformer, avait au moins le mé-
possible profession que rendaient chaque jour plus rite d'assurer, autant que possible, leur dignité pro-
difficile et plus précaire J'augmentation croissante fessionnelle,
des concurrents et l'accaparementdes causes impor- On s'en apercevra également et plus encore, à
notre époque' où le besoin et l'amour de l'argent ont
singulièrementabaissé le niveau de la moralité, si l'on LE VILLAGE
se décide ce qui d'ailleurs ne semble pas probjlble
à reprendre, comme le proposent des utopistes Le village, là-bas, sur le bord du coteau,
mal renseignés, la mesure, si imprudente et si peu Sourit dans l'air du soir avec ses maisons blanches,
pratique, de l'Assemblée constituante. Et dresse vers les cieux, parmi les hautes branches,
Rendre plus libéraux les règlements de l'ordre, Le clocher d'une église et la tour d'un château.
diminz<er le nombre des avocats- ils sont 2000 àParis,
en comptant les stagiaires telles sont les deux réfor-
Transparence du ciel! Sérénité de l'heure 1.
Seule un peu de fumée ondule à l'horizon.
mes qui suffiraient à apporter un notable soulage- Un mince filet gris sort de chaque maison
mentlà un malaise très réel. Comme pour révéler sa vie intérieure.
Le jour où lès examens de l'École de droit devIen-
Et la cloche du soir s'ébranle dans la tour,
dront sérieux, le jour où résolument on en écartera Et son tintement monte à travers la fumée,
les non-valeurs, c'est-à-dire deux candidats au moins Et l'Ómbre, à pas de loup, descend sous la ramée,
sur trois, il n'y aura pas trop d'avocats, et je ne sais Comme si l'angélus hâtait la fin du jour.
même pas s'il y en aura assez. Que de coeurs ont battu dans cet humble village!
Que l'Etat, fabricant patenté de parchemins coûteux, Que de bonheurs cachés que je ne connais pas1
ne se croie plus obligé de fournir des diplômes à tous Que de couples muets sont rentrés, pas à pas,
les Français qui désirent en avoir, et aucune carrière Par ce même chemin, sous ce même feuillage!
libérale ne sera encombrée. HENRI D'ALMERAS.
C'est l'heure où les maris, le travail achevé,
A Reviennent, et la paix du soir emplit les âmes.
Ils inclinent le front vers le baiser des femmes,
Et chacun est heureux de s'être retrouvé.
ha Statue du roi Itieton-Emmabuel II, à nome
Et l'on s'assemble autour de la table servie.
On se couche dans les grands lits silencieux.
Nous avons donné, le 15jllilletla vue du monument On se lève au matin, du sommeil plein les yeux.
en construction sur la Porte du Capitole. Et c'est là du bonheur, et c'est là de la vie.
Au haut des escaliers figurera la statue équestre Et tous, jeunes et vieux, ont leurs jours de douleurs,
colossale du roi. ~l, Et le village est plein d'histoires arrivées.
Le sculpteur E. Chiaradia, étant mort, l'achèvement Les peines dont je souffre, ils les ont éprouvées,
de l'ouvrage a été nécessairement confié à d'autres Et mes émotions sont pareilles aux leurs.
mains. Il parait que,' par suite, il y a eu des appré- Ils vivent et mourront dans la petite ville,
ciations différentes sur sa qualité. Sans vouloir rien de mieux, sans rêver rien de plus.
Pour sortir d'embarras, on a décidé d'exposer le Ils se signent très bas quand tinte l'angélus,
modèle, à la grandeur réelle, à la place même que la Sentant confusément veiller le çiel tranquille.
statue devra occuper.' Et voici que s'éteint la dernière rumeur,
Le public jugera. S'efface la fumée et se taisent les cloches.
le
Ce genre de plébiscite n'est pas nouveau èn Italie; On pourrait ignorer que des maisons sont proches,
il a été fréquemment employé à :Florence au temps, Où l'on vit, où l'on aime, où l'on souffre, où l'on meurt.
de la République. Et, dans la douce paix que chaque nuit ramène,
Si on avait eu l'idée d'en faire usage plus souveut Le' village, noyé par l'ombre, disparaît.
au sise siècle, il est fort probable que. bon nombre Et je vais partir seul, plein du vague regret
de statues élevées sur les places puBliques de l'Eu- De rester étranger à tant de vie humaine.
rope eussent été refusées. GERSPAGH. ANDRÉ DUMAS.
aux autres.
et qui sont inversement proporlionnels les uns considérer qu'il s'agit surtout de produire rapi-
dement et d'envoyer en tous sens des illustra-
Le cliché électrographique.ainsi constitué est tions destinées principalement aux gazettes quo-
tidiennes affamées d'actualité. Le but poursuivi ques n'auront jamais recours à ce mode d'illus-
est donc.pleinement atteint et on peut considé- tration, et les lecteurs du Magasin Pittoresque ne
rer que les images produites de cette manière trouveront dans leur chère Revue d'autre spe-
rivaliseront sans peine avec. lés affreux zincs et cimen électrographique que celui que nous
les horribles gravures sur bois qui encombrent reproduisons ci-contre et que, à leur intention.,
actuellement les journaux quotidiens. Il est pro- nous avons extrait du Scienti~c American.
bable, sinon certain, que lés publications artisti- ALBERT REYNER.
PAROLE ID-*XONNIEU-R
NOU V ELLE (1)
Ce n'était encore qu'un enfant de seize ans, et la terre profondément durcie par la gelée, une
cependant on allait le fusiller. balle prussienne était venue lui fracasser l'épaule.
La compagnie de fédérés à laquelle il apparte- Plus tard, un peu pour manger, un peu par
nait venait d'être mise en déroute par l'armée de crainte, il avait cru devoir s'enrôler dans l'armée
Versailles. Pris les armes à la main, en même de la Commune. Comme beaucoup de ses cama-
temps qu'une dizaine de ses-camarades, il avait rades. il n'avait marché qu'à regret. Il n'avait pas
été amené avec eux au poste de la.mairie du du tout le cœur à cette lutte fratricide. Et main-
XI8 arrondissement.. tinant, sur le point de payer de sa vie un con-
Frappé de sa-jeunesse et de l'étonnante séré- cours de fatalités inexorables, il se félicitait au
nité de sa physionomie, le commandant avait moins de n'avoir pas une seule mort à se repro-
donné l'ordre de surseoir à son égard, et de le cher. Il en était bien sûr, et pour cause..
garder à vue pendant qu'on allait procéder, au Pourtant, qu'il eût tué ou non, on allait lui ôter
pied de la barricade voisine, à l'exécution de ses la vie. Cela lui donnait une bien triste idée de la
compagnons. logique des choses. Aussi lui importait-il fort peu
Bravement résigné à son sort, ses grands yeux maintenant de vivre ou de mourir, Ce qu'il avait
bleus et sa longue figure pâle d'enfant de Paris vu, ce qu'il avait souffert, en quelques mois, lui
ne trahissaient ni émotion ni anxiété. Il parais- causait une réelle épouvante de la vie. Certes, il
sait même complètement étranger à tout ce qui lui était pénible de laisser au milieu de ce monde
se passait autour de lui. Il entendit sans sour- méchant sa bonne mère tant aimée mais il se
ciller la sinistre fusillade qui éclata, soudain, consolait un peu en pensant que, très probable-
dans le morne silence de la troupe. Son regard, ment, elle n'avait plus elle-même très longtemps
fixe et tranquille, plongé dans l'infini, semblait à vivre. Quand il l'avait quittée, il y avait déjà
interroger l'Bternité qui allait, si tôt, commencer quatre jours, elle était fort affaiblie « Mon pauvre
pour lui. Peut-être aussi songeait-il à son enfance enfant, lui avait-elle dit, embrasse-moi bien, car
joyeuse et choyée, à sa famille subitement ané- j'ai le pressentiment que je ne te reverrai pas ».
antie, aux stupides événements qui étaient venus « Ah pensait-il, si. on voulait bien avoir con-
le faire orphelin et le jeter malgré lui dans la fiance ~en moi, si on consentait à me donner seu-
fournaise de la guerre civile, pour le faire mourir lement une heure de liberté, je courrais auprès
sous des balles françaises. Et, sans doute, il se d'elle et je reviendrais de moi-mêmeme remettre
demandait pourquoi tout cela. J'en
aux mains de ceux qui ont soif de mon sang.tie'ti-
Apprenti typographe au moment où le démon donnerais ma parole d'honneur, et je la
de la guerre vint s'abattre sur la France, il vivait drais. Pourquoi;manquerais-je à ma parole ? Ma
heureux et tranquille entre son père et sa mère, mère exceptée, je n'ai rien ni personne à regret-
d'honnêtes et paisibles travailleurs qui ne s'oc ter. La voir une dernière fois, l'embrasser, la
cupaient pas même de politique: consoler, l'encourager, lui laisser l'espérance, et
Dès le début, les Prussiens avaient tué son j'irais ensuite bravement à la mort ».
père. Les privations du siège, les longues stations Il en était là de ses funèbres réflexions quand
à la porte des bouchers et des boulangers, les soudain le commandant, suivi de plusieurs offi-
pieds dans la neige, avaient couché sa mère sur ciers, s'approcha de lui
le triste lit de misère où elle se mourait lente- A nous deux maintenant, mon gaillard. Tu
ment. sais ce qui t'attend?2
Un jour qu'il était allé, comme tant d'autres, Oui, mon commandant, et je suis prêt.
au risque.de se faire tuer, cueillir des pommes de Vraiment Tu n'as donc pas peur de la
-terre dans la plaine Saint-Denis, en rampant sur mort?2
Moins peur que de la: vle. J'ai tant vécu
(1) Reproductioninterdite sans l'autorisation de l'auteur. depuis six mois, et rai. vu tant de si vilaines
choses, que la mort me parait belle et désœable
à côté de la vie.
Au Bourget.
Comme pour les consulter du regard, le com-
N'empêche que si je te donnais tout de suite maa.dant se tournave'rs les officiers qui l'entou-
à choisir, tu n'hésiterais pas un instant. Si je te raient. Lé pauvre jeune homme paraissait leur
disais :-« Prends tes jambes à ton cou et fiche-moi inspirer, à tous, un vif intérêt et une profonde
le camp 1 Ce serait vite fait, hein? mon bon- pitié,
homme, et l'on ne te reverrait pas ici. Eh bien c'est entendu, dit le commandant
-Eh bien, mon commandant, essayez-en.Pour d'un air solennel; après avoir un moment réfléchi,
la rareté du fait, mettez-moi à l'épreuve. Un de tu vas aller embrasser ta mère. Tu m'as donné ta
plus, ou de moins, à fusiller, qile vous importe parole d'honneur d'être ici dans une heÜre c'est
Vous verrez si je serai exact au rendez-vous et si bien; moi, je te donne jusqu'à ce soir. Je saurai
la mort me fait peur. si tu as du caractère, si tu es un homme, comme
Oui dà! tu n'es pas bête, mais tu- me crois tu le prétends. Si ce soir, à huit heures, tu n'es
un peu trop naïf. Une fois libre, loin d'ici, tu pas là, nous dirons tous que tu n'est qu'un fanfa-
reviendrais comme ça, bonnement, te faire fu- ron, et que tu tiens plus à la vie qu'à l'honneur.
siller, du même pas que tu irais à un rendez-vous Allons file
d'amour Ce serait en effet singulier, mais ce Merci, mon-commandant. A huit heures, je
n'est pas à moi qui tu feras accroire ça. serai ici.
Éco1,1tez, mon commandant, vous ne me pa- Tu en es sûr 2
raissez pas méchant. C'est que, sans doute, vous Très sûr 1
avez une bonne mère. Cette mère, vous l'aimez cer- Nous verrons bien.
tainement par dessus tout. Si, comme moi, vous Avant de prendre son vol, Victor fit un mouve-
étiez sur lé point de mourir,votre dernière pensée ment pour se jeter dans les bras de l'officier, tant
serait pour elle. Vous béniriez celui qui pourrait son cœur débordait de joie et de gratitude; celui-
vous donner la suprême consolation delapresser ci le repoussa doucement.
dans vos bras une dernière fois. Eh bien! mon Non, pas maintenant, dit-il, ce soir, si tu
commandant, faites pour moi ce que vous sou- reviens, je t'embrasserai. devant le peloton
haiteriez qu'on fît pour vous; accordez-moi une d'exécution. Va1
heure de liber~é pour courir embrasser ma mère, L'enfant partit comme un trait. Les officiers
et je vous donne ma parole d'honneur de revenir souriaient en le regardant détaler.
ensuite me remettre entre vos mains. (1) Vous Vingt minutes plus tard, il frappait à la porte
souriez, vous ne me croyez pas ? Pourtant, est-ce de sa mère. La voisine qui la soignait vint lui
que la vie vaut la peine qu'un homme de cœur ouvrir. En l'apercevant, elle poussa une excla-
manque à sa parole ? mation de joyeuse surprise, car tout le monde le
Pendant que le jeune homme parlait, le 'com- croyait mort. Il voulut tout de suite se précipiter
mandant allait et venait en tourmentant sa mous- dans la chambre de sa mère la femme l'arréta.
tache, et en faisant de visibles efforts pour re- N'entre pas, lui dit-elle en baissant la voix,
pousser l'émotion qui l'envahissait « Ma parole[ ta mère repose. Elle a été bien malade après ton
murmura-t-il, ce gamin-là parle comme un che- départ, mais elle va un peu mieux. Hier, le mé-
valier d'autrefois » decin a dit que si elle pouvait dormir les forces
Tout à coup, il se plaça en face de son prison- lui reviendraient promptement. Il ne faut pas la
nier, les sourcils froncés, la parole brève réveiller. La pauvre femme sera bien heureuse
Comment t'appelles-tu ?`i de te revoir, car elle te demandait sans cesse.
Victor Oury. Souvent elle priait tout haut le bon Dieu de te
Ton âge?2 conserver la vie, et de ramener enfin la paix
Seize ans, le 14 juillet prochain. parmi tout le monde. Hélas! on dirait qu'il nous
Où demeure ta mère 2 a tout à fait abandonnés, le bon Dieu, et que les
A Belleville. hommes vont s'entre-dévorertous. C'est épou-
Pourquoi l'as-tu quittée?' Pourquoi as-tu vantable, dis, tout ce qui se passe.
suivi les fédérés ?2 Impatient, Victor n'entendait qu'à moitié ce
Il fallait bien manger. Puis des camarades, que la brave femme lui disait. Il crut percevoir
des voisins, menaçaient de ine -fusiller si je ne un faible appel de son nom; et, malgré elle, il se
marchais pas avec eux. Ils disaient que j'étais dirigea, sur la pointe des pieds, vers le lit de sa
assez grand pour faire mon devoir. Ma pauvre mère. Il ne s'était pas trompé, la malade avait les
mère eut peur et me conseilla, en pleurant, de yeux grands ouverts.
faire comme les autres. Victor s'écria-t-elle 'd'une voix affaiblie
Tu n.'as donc plus ton père ?2 pendant que, sans pouvoir proférer un mot, son
Il a été tué. fils tombait dans ses bras en sanglotant.
Où cela Alors, ce jeune homme, que nous avons ,.vu jus-
qu'ici indifférent, impassible devant la mort, ne
(1) Historique. peut plus que pleurer. Dans les bras de sa mère
il redevient un enfant; il a peur de mourir; il se jamais. Elle s'était endormie avec bonheur en
désespère. songeant que je ne me séparerais plus d'elle.
La pauvre femme, à qui le contact de son)il!¡ Qui sait si, au dernier moment, je n'aurais pas
semblait avoir rendu subitement une partie de faibli Il faut une singulière énergie pour ne pas
ses forces, essayait en vain de le consoler « Pour- céder aux larmes d'une mère. Et qu'auriez-vous
quoi pleurer ainsi, mon enfant bien-aimé ? lui pensé de moi si je n'étais pas revenu?. Enfin,
disait-elle.Je ne veux plus que tu me quittes. Tu je l'ai embrassée tendrement pendant son som-
n'as donc plus rien à craindre. Tu vas jeter à la meil, puis je me suis sauvé comme un voleur;
rue ce costume de malheur que je ne veux plus et me voilà. J'espère que la Providence aura
voir. Moi, je vais me dépêcher de guérir. Je me pitié de ma malheureuse mère en abrégeant ses
sens déjà beaucoup mieux depuis que tu es là. souffrances.
Tu vas te remettre au travail, et tu ne tarderas Maintenant, mon commandant, je n'ai plus
pas à être tout à fait un homme. Bientôt le passé qu'une prière à vous faire, c'est d'en finir avec
ne sera plus pour nous que comme un rêve plein moi le plus vite possible.
d'horreur que le temps ne tardera pas à nous Le commandant observait ce jeune homme
faire oublier ». avec étonnement, et, malgré lui, ses yeux se
Elle était loin de se douter que cet affectueux mouillaient de pitié et d'admiration.
langage ne pouvait qu'augmenterle désespoir de Alors, tu es bien résigné, et la mort ne
son enfant. Elle se tut, en réfléchissant que le t'effraie pas2
meilleur moyen de tarir les larmes, c'est de les Victor ne répondit que par un haussement
laisser couler librement. Elle embrassa à plu- d'épaules.
sieurs reprises son cher désespéré, puis elle Et si je te faisais grâce 1
laissa letomber sa tête fatiguée sur l'oreiller, et Eh bien, mon commandant, je l'accepterais
s'abandonna à une méditation pleine de confiance avec reconnaissance, parce que vous feriez en
en l'avenir. 1 même temps grâce à ma pauvre mère. Je vous
Victor s'apaisa à son tour, et bientôt on n'en- aimerais ensuite toute ma vie comme un second
tendit plus dans la petite chambre que le bruit père.
régulier de deux respirarions rentrant dans le Allons! tu es décidément un brave garçon,
calme. et tu ne méritais pas tant souffrir. Tu peux
Cependant, presque honteux de sa défaillance, retourner chez toi. Auparavant, viens qne je
le malheureux jeune homme s'efforçait silen- t'embrasse. Bien. Maintenant, sauve-toi, et
cieusement de se ressaisir. Quand il releva la vivement va retrouver ta mère, et continue de
tête, se jugeant de nou~eau plus fort que la la bien aimer.
mort, il vit que sa pauvre mère, cédant à la douce En même temps, le bon commandant prenait
réaction qui résultait de la joie et de la quiétude le jeune homme par les épaules, et le poussait
qu'elle éprouvait, s'était endormieprofondément. doucement dehors.
Il résolut d'en profiter pour s'éloigner sur le C'eût été vraiment dommage de le fusiller I
champ, afin d'éviter une nouvelle scène de déso- dit-il à ses officiers en se retournant.
lation, plus déchirante que la première, et à la- Victor ne courut pas, il vola à Belleville. Heu-
quelle il n'aurait peut-être pas la force de résis- reusement, sa mère dormait toujours, quoique
ter. Il déposa un long baiser sur le front de sa d'un sommeil qui semblait un peu agité. Il n'osait
bonne mère, la contempla quelques instants pas la réveiller. Pourtant, il était impatient de
tandis qu'elle semblait lui sourire, puis il sortit l'embrasser et de lui faire partager sa joie.
précipitamment et s'en alla aussi vite qu'il était Tout-à-coup, elle se dressa en criant
venu, sans regarder autour de lui, sans voir per- Victor! Victor! mon enfant! grâce 1.
sonne. grâcé! Ah! tu es là, fit-elle en s'éveillant. C'est
Comment! déjà? fit le commandant, stupéc bien toi? répétait-elle en l'embrassant et en le
fait. Car il espérait bien, le généreux soldat, que serrant dans ses bras. Ah mon cher enfant 1.
ce pauvre garçon ne reviendrait pas. mon pauvre enfant! Je rêvais qu'on allait te
Est-ce que je ne vous avais pas donné ma fusiller1
parole2 Alors, elle éclata en sanglots que son fils, pro-
Sans doute, mais il me semble que tu t'es fondément ému, en lui prodiguant les paroles
bien pressé. Sans manquer à ta parole, tu aurais les plus tendres et les plus affectueuses, eutbeau-
pu rester un peu plus longtemps auprès de ta coup de peine à faire cesser.
mère. En effet, c'èût été grand dommage qu'on le
Ma pauvre mère! Après une scène de fusillât, ce petit communard malgré lui, d'un si
larmes où j'ai senti un moment mon courage admirable et si rare caractère c'eût été dommage
m'abandonner,larmes de joie pour elle, de déses- pour lui, pour le pays, et pour l'armée dont il
pour moi, elle s'est endormie d'un sommeil si fut depuis un des officiers les plus br~ves et les
profond, si calme, si heureux,.que je n'ai pas eu plus distingués.
la force d'attendre son réveil pour la quitter à JEAN DU REBRAC.
La Quinzaine copier dans le tableau de Boucher, le But, qui est au
Louvre, un groupe d'amours jouant avec des guir-
landes de roses qui ont été disposés très élégamment
LETTRES ET ARTS au milieu d'un texte en caractères du temps. Le tout
a été imprimé en couleur, avec le vieux procédé dit
Le voyage des souverains russes dont- il n'est de la poupée, dans la manière des anciennes estampes.
pas trop tard pour parler encore, nous aura four- Voilà une pièce qui fera prime dans les ventes, avant
ni une belle occasion d'affirmer, aux yeux de nos longtemps, si les collectionneurs qui ont pu l'obtenir
hôtes, que nous sommes toujours une nation « de s'en dessaisissent. Mais ils la garderont.
gens de goût », un peuple dont le sens artistique est Ce programme était, en quelque sorte, un hom-
aussi cultivé qu'étendu. Nous en voulons trouver mage rendu à notre glorieux passé artistique et il
la preuve non seulement dans la somptuosité des s'harmonisait bien- avec les objets d'art et les meu-
grands décors de cités, de Dunkerque, Compiègne ou b;es anciens accumulés à Compiègne. Mais il me
Reims, mais encore, de préférence, dans ces mille et plait de noter qu'on a su montrer à nos hôtes que les
un « riens parisiens qui nous font à juste titre à cet artistes de notre temps rie sont pas inférieurs à leurs
égard une réputation européenne nous voulons par- devanciers. A ce point de vue, il faut citer le menu
ler, notamment, des invitations, programmes, me- que M. Devambez a exécuté pour le déjeuner de
nus, etc., qui ont été offerts au Tsar et à la Tsarine. Dunkerque et qui était un excellent spécimen d'or-
Quelle jolie collection on en formera! Maints col- nementation moderne. Il représentait une partie de
lectionneurs s'en sont certainement préoccupés et ils la Revue navale avec, au-dessus du Standart et du
ont dû éprouver quelques difficultés dans leurs re~ Cassini, le soleil symbolisant la Paix féconde. Ce
cherches, car le Protocole est avare de gracieusetés, n'était pas trop. allégorique, juste assez pour laisser
mais on en trouvera le lot complet, dit-on, au musée une place au « Classique et pour que l'évocation
Carnavalet où M. Cain a songé à les réunir. Il l'avait de Dunkerque de 1901 surgît, plus tard, aux yeux
déjà fait pour le, voyage de i89G et il avait très bien des témoins de la fête. On ne saurait trop le répéter,
garni une salle de ces souvenirs précieux pour tous, en effet l'allégorie pure et simple, si majestueuse
si nombreux que, d'autre part, un écrivain, M. Grand- qu'elle apparaisse, n'est plus entièrement de notre
Carteret put en composer tout un livre. Cette fois, temps, et il faut qu'entoute occasion, si on l'emploie
la moisson ne sera pas moins abondante. Et pour- encore à litre de glorieux souvenir d'une belle épo-
tant on était pressé parle temps, car ce voyage n'était que d'art, en certaines parties de notre production
pas prévu à l'avance, comme le précédent. On a su, artistique, on l'associe à des éléments de décoration
néanmoins, faire montre d'ingéniosité et de délica- actuelle qui relatent un peu ce que nous sommes et
tesse dans les plus petits détails de l'organisation des le milieu où nous vivons.
fêtes. Combien, dans ce sens, a été admirablement in-
Ainsi, à Compiègne, tout d'abord, on avait été obligé spiré le maire de Compièg¡¡e lorsqu'il a offert à la
d'écrire les noms des invités de tout rang, ministres Tzarine un cadeau acheté avec une souscription
ou fonctionnaires russes, sur les portes de leur appar- d'habitants ce fut une brassée de bruyères de la
tement. C'est un honneur protocolaire au premier forêt, fleurs préférées de l'auguste visiteuse, qui
chef, paraît-il, qui est tout à fait de tradition dans étaient déposées dans un vase en argent, d'un modèle
la diplomatie. On conte que sous Louis XV les am- tout nouveau, tout parisien ». Dans l'amoncelle-
bassadeurs étrangers se rébellèrent contre le Proto- ment des présents innombrables, souvent baroques,
cole d'alors, le maréchal de la cour, qui leur refusait qui encombre les châteaux impériaux, celui-là con-
ce témoignage de considération particulière, dû, esti- servera certainement une des premières places.
mait-il, aux seuls princes du sang et très grands sei- Pendant que se déroulaient ces fêtes franco-russes,
gneurs. Les ambassadeurs boudèrent le Roi, qui dut il s'est produit, à l'École des Beaux-Arts, un incident
céder, ne recevant plus leurs visites. qui, en temps ordinaire, aurait soulevé une petite
Nos ministres actuels et nos dignitaires d'État n'au- émeute peut-être. L'École est fer:mée, d'abord, puis
raient pas poussé le mécontentementjusque-là, s'ils le Tzar était là l'affaire n'a pas dépassé les bornes
n'avaient pas eu « leur pancarte, mais, quoique d'une modeste campagne de presse, articulets et
démocrates, ils n'en ont sans doute pas été moins notes aigres-d ouces. Mais cela valait davantage. Elle
satisfaits surtout quand ils ont pu voir comment celte mettait en vue, une fois de' plus, la routine de cer-
pancarte était composée au lieu d'une modeste éti. taines administrations. C'est à propos des loges des-
quette calligraphiée, on avait choisi des modèles ex= prix de Rome; celles.ci étaient- et seront encore
quis, du XVIIIe siècle, à la Calcographie du Louvre, situées dans un petit couloir du deuxième étage d'un
qui est une mine de chefs-d'œuvre trop ignorée du bâtiment, au fond de la cour centrale. Elles sont
ex-
grand public; et on les avait apposés, avec les noms de trêmement incommodes les logistes qui doivent y
Leurs Excellences, sur les portes. Il y gros à parier passer quarante jours environ, l'été, y éto1,1ffent; ils
qu'aprèli le départ des Souverains, les chefs de cabi- sont dépourvus de tout confortable le plus élémen-
net, tout au moins, ne les ont pas laissés là. Et ils taire et se trouvent dans les pires conditions pour
n'ont pas eu tort. travailler.
C'est également au Louvre et à'Fontainebleau 11 était question, depuis longtemps, à la suite de
qu'on a eillprunté les motifs de décoration d'un plaintes nombreuses, de remédier à ce si défectueux
des principaux programmes, celui de la représenta- état de choses:et de donner aux jeunesgens cloUrés par
tion de gala à Compiègne. L'éditeur R. Baschet en l'Institut, de l'air, de la lumière, etc. On devait
re-
avait été chargé il s'est souvenu d'avoir lu que la construire les loges. La plus simple logique indiquait
Tzarine a une affection particulière pour nos grands qu'on les rebâtit, spacieuses, en quelque autre coin
et petits maîtres de la fin du siècle dernier et il a fait de l'École, où la place ne fait pas défaut. Au lieu de
cela, on a décidé, tout d'un coup, de les réinstaller à télégraphier ces désastreuses nouvelles, et d'être
d'une façon moins défavorable, mais au même el\- obligé d'avouer que ses glorieuses troupes ayaient été
droit. On s'est contenté d'élargir les fenêtres Puis, vaincues par le « gibier D qu'elles chargeaient, suivant
pendant que les ouvriers étaient présents, on a résolu l'expression odieuse qu'il avait, quelques jours avant,
de badigeonner les couloirs. Or, il y avait là, sur les trouvé plaisant d'employer.
murailles, quantité de pochades qui faisaient partie Ainsi se trouvent réalisées nos prévisions le prin-
de l'histoire de l'École. Au bout du couloir, Henri temps est venu, l'herbe a poussé « Paarlëneld Il, et la
Regnault avait dessiné et signé pendant son guerre reprend, plus active, plus implacable que
temps de logiste, un cavalier qui avait une très belle jamais.
allure. Plus loin, c'étaient des croquis de Falguière, Il suffit de consulter une carte pour se rendre
de Mercié, etc., de toute la pléiade artistique d'au- compte du mouvement qui se prépare, et qui, n'en
jourd'hui. Quelques-uns étaient sans doute un peu doutez pas, a été longuement concerté entre Botha
lestes, mais d'autres ne méritaient pas le même et de Wet voici les troupes boers victorieuses sur la.
reproche et, en tout cas, 'on les considérait comme frontière du Natal; de nouveau la colonie peut être
de précieux morceaux de jeunesse des Anciens.Pour- envahie, et les beaux jours de l'investissement de
quoi les effacer? L'administration(on ne sait jamais, Ladysmith ne sont pas impossibles; la route de Dur-
au juste, qui « c'est en France) ne s'est même pas ban peut s'ouvrir brusquement devant les Boers.
Aujourd'hui, les chefs de l'armée boer ne s'appéllent
fait cette demande et les ouvriers peintres ont passé
une couche de blanc sur le cavalier de Regnault et sur plus Joubert ni Cronje; ce ne sont plus des vieillards
tout le reste. Les loges sont encore étroites (le bel trop prudents, ce sont des jeunes; ils ne se conten-
avantage, un élargissement de fenêtres!); les logistes teront pas de vaincre, ils sauront, le cas échéant,
ne seront guère mieux à leur aise que naguère et profiter de leur victoire.
les murs sont « quelconques », administratifs. Des La place nous manque aujourd'hui pour examiner
pétitions ont été adressées à M. Paul Dubois, direc- les probabilités qui semblent se dégager de l'exa-
teur de l'École, contre ces mesures incomplètes et men du théâtre de la guerre, après,le mouvement si
inutiles; il était trop tard. Et l'affaire n'ira pas plus brillamment esquissé par les soldats de Botha; nous
loin. Mais, comme elle révèle bien que certaines ad- y reviendrons la quinzaine prochaine; pour aujour-
ministrations ne « pensent pas à tout », ce qui pour- d'hui, nous nous contenterons de mettre en garde nos
tant serait leur devoir. lecteurs contre les nouvelles tendancieuses qui, aux
PAUL BLUYSEN. approches de la fin du mois et de la liquidation de
bourse, ne peuvent manquer d'être transmises par le
N télégraphe, fidèle serviteur des Anglais, et d'affirmer
LA GUERRE à nouveau que la situation actuelle est loin d'être
désespérée pour nos amis, et que des événements se
AU TRANSVAAL préparent peut-être qui, encore une fois, étonneront
le monde.
La quinzaine qui vient de s'écouler a été dure pour Ç'est la « phase finale » de la guerre qui semble
l'amour-propre anglais. Commencée, sous de brillants commencer, mais certainement pas dans le sens que
auspices par la défaite du commando de Lotter, qui les Anglais attachent à ce mot.
se rendit après un combat héroïquedont le récit a sa HENRI MAZEREAU.
place marquée dans les annales militaires de tous les
temps et de tous les peuples, elle s'est terminée au
milieu de désastres infligés à l'armée anglaise, dé- 111 H É A 1111tE
sastres qui rappellent singulièrement les journées de
Spion-Kop, désastre précurseur d'une nouvelle cam-
pagne qui coûtera cher à l'Angleterre. LA V IE DRAMATIQUE
Les défaites infligées aux Anglais, à Elandsriver
Poart par le commando de Scuts, à Reenedmont par La librairie Calmann-Lévy vient de faire paraître
les troupes de Botha, ne sont pas seulement significa- cinq volumes- du théâtre de Meilhac et Halévy cette
tives en elle-même, elles ont causé aux troupes publication, venantaprès celle de l'œuvre de Labiche,
anglaises des pertes énormes, et, au cours de la se- donne bien la note gaie du théâtre d'il y a trente ans.
conde, les Boers se sont emparés de cent-cinquante Ces scènes finement écrites, d'un burlesque parfois
prisonniers sur un effectif de trois-cent hommes! exagéré, évoquent toute une génération aujourd'hui
elles acquièrent en outre une importance singulière disparue génération qui, suivant une expression de
par la date où elles furent infligées. J'époque, « agitait gaiment les grelots de la folie ».
C'est le 17 septembre que les armés boers firent C'était la génération de l'opérette et de la comédie-
cette éclatante réponse à l'insolente proclamation du bouffe.
général Kitchener fixant le 15 septembre comme le La collaboration de Meilhac et d'Halévy devait en
dernier délai où il consentirait à accepter la reddition effet donner le branle à ces flonflons que la musique
de ses adversaires. endiablée d'Offenbach portait aux nues, ou bien
Le choc a été rude, il n'en pouvait guère être au- mettre au jour pour les scènes parisiennes, appelées
trement après avoir affirmé que la guerre était finie, alors. « les petits théâtres » comme le Palais~Royal
après avoir, avec une superbe arrogance, fixé la.date ou les Variétés, toute une série' de bouffonneries,
de cette « fin finale », et avoir édicté contre ceux qui empreintes aussi bien que celles de Labiche d'une
n'admettraient par'le fait accompli des pénalités sans note réelle de vérité, et défendues par toute une gé-
exemple dans l'histoire du monde civilisé, il a dû être nération d'acteurs comiques hors ligne qui n'ont
singulièrement pénible au général Kitchener d'avoir jamais été dépassés.
De ce mouvement créé aussi bien par Meilhac et voir, sans se rendre compte qu'elle accélérait sa pro-
Halévy que par Eugène Labiche, que reste-t-il au- pre ruine.
jourd'hui? Que dire, par exemple, de ce cortège de rois anti-
D'une part l'opérette se meurt, si elle n'est,tout à 'q5t~s ivrognes et débauchés, de ce grand-prêtre tri-
fait morte. Dès la prochaine saison nous assiste- chant au jeu, de ce vice-roi péruvien coureur et cruel,
rons à son agonie. Trois des théâtres qui eurent, gràce de ce général Boum panachard et grotesque, de cette
à elle, leurs heures de célébrités, les Bouffes-*Pari- « vie parisienne enfin où s'agitent, noceurs ridi-
siens, les Folies-Dramatiques et la Renaissance, cules, tous les inutiles de la vie
sont en effet absolument transformés par des direc- N'est-cepoint, sous le couvert de la satire, s'attaquer
tions nouvelles. Le Palais-Royal a supprimé son à tout ce qui devrait être respecté, et préparer
orchestre, et les Variétés, préférant la comédie de en quelque sorte les revendications et les utopies
mŒurs avec Lavedan et Capus, n'évoquent que de sociales.
loin en loin par des reprises où seul le luxe de la Je ne crois point pour ma part que Meilhac et Ha-
mise en scène attire le public, leurs succès d'antan. lévy aient pensé aussi loin leur esprit frondeur pre-
L'opérette s'est transformée, est devenue l'opé- nait plaisir à découvrir le ridicule, et à en tirer une
rette à grand spectacle pour la Gaîté ou le Châ- philosophie spéciale. La faute en est au succès qu'ils
telet. D'ici quelques années elle aura complètement obtenaient et qui les entraînait à de nouvelles
disparu. audaces?
La comédie-bouffe, au contraire, a pris un nou- Aujourd'hui que ces audaces ont été depuis long-
vel essor, grâce àune pléiade d'auteurs gais, qui sein- temps dépassées, les personnages évoqués ne nous
blent par leurs excentricités vouloir nous faire oublier apparaissent que sous l'enveloppe de vulgaires fan
les tristesses de l'heure présente ét les difficultés toches, et ne nous intéressent plus.
sociales. Comme Figaro, nous nous dépêchons de Aussi, si, dans l'œuvre écrite de Meilhac et Halévy
rire, avant peut-être d'être obligés de pleurer. nous prenons plaisir à retrouver, comme d'anciennes
C'est ainsi qu'à côté d'une école toute de senti- amies, les comédies pleines d'esprit et de sel réu-
ments qui a envahi les planches autrefois réservées nies en volumes, nous re pouvons admettre qu'à
aux cocasseries les plus invraisemblables, évo- titre de curiosité l'adjonction de ces opérettes démo-
lution dont Antoine fut le promoteur un certain dées qui, dans vingt ans, seront absolument incom-
nombre de littérateurs de talent demeurent les dignes prénensibles.
successeurs de leurs illustres devanciers. Et, pour notrepart, nous ne saurions croire qu'elles
Il était donc intéressant de nous remettre sous les aient pu être d'un poids quelconque pour conduire
yeux, autrement que par de vagues reprises, où sou- leurs auteurs à l'Académie Francaise!
vent même se perd la véritable tradition, le texte QUENTIN-BAUCHART.
complet de ces anciens chefs-d'œuvres, classés pour
ainsi dire. Les Folies-Dramatiquesont rouvert leurs portes avec
Dans les cinq volumes que je viens de parcourir, à l'Etude_Tocasson,une folie-vaudeville de MM. Valabrègue
l'exception de Froufrou, cette étude du cœur humain, et Ordonneau qui afait beaucoup rire; le Palais-Royal
qui, comme sa devancière la Da~rce aux Camélias, de- avec Bichette, une comédie de MM. A. Vély et Fontanes,
meurera éternellement vraie, nous nous trouvons quipossèdentde bonnes qualités, malgré certaines gau-
sans cesse en présence de ces deux genres bien carac loiseries inadmissibles. Dansl'interprétation,M. Lamy
térisés l'opérette,qualifiéeopéra-bouffe, et la comé- est absolument supérieur. Les théâtres d'ailleurs
die-bouffe, appelée gravement comédie. rouvrent leurs portes. C'est ainsi que nous avons eu une
Ce qui ressort de l'œuvre de Meilhac et Halévy, aussi reprise de Quo Vadis à la Porte Saint-Martin, avec de
bien dans l'un et l'autre genre, c'est l'observation Max dans le rôle de Pétrone. Était-ce biennécessaire?
fine, même dans les extravagances les plus folles. Q. B.
Depuis le Réveillon, jusqu'à la Ci,gale, en passant *0
par la Boule, le Brésilien, la Petite Marquise ou le Roi
Candaule, c'est toujours la même Satire adroitement CAUSERIE MILITAIRE
présentée sous ses dehors burlesques, des hommes et
des choses. Parfois la note émue, comme dans Toto
chez Tata, ou les Sonnettes, vient brusquement atten- « Vive le tsar vive la tsarine vive l'armée vive
drir le spectatateur, cette note qu'a retrouvée avec Loubet vive la Russie vive la France D telles furent
un sentiment tout personnel Alfred Capus, et dont il les formidables acclamations qui, le 21 septembre
a su tirer un si admirable parti. 1901, consacrèrent à la face du monde entier l'alliance
Dans l'opérette, au contraire, est-ce le genre vieilli de deux peuples si bien faits paur s'entendre, tant au
et démodé qui nous obsède; mais nous retrouvons point de vue du caractère qu'au point de vue des
difficilement les mêmes qualités. Et pourtant que de nobles aspirations les Russes et les Français.
triomphes passés la Belle Hélène, la Grande Duchesse, Déjà, le 18, à Dunkerque, les deux nations avaient so-
Barbe-Bleue, la Périchole, la Vie parisienne! Le siècle lennellement fraternisé dans les eaux de la MerduNord,
a marché depuis ces plaisanteries faciles qui faisaient et c'était là le prélude admirable de ce qui devait
la joie de nos pères, plaisanteries d'ailleurs fort sou- s'accomplir dans la vaste plaine de Bétheny, non loin
vent du plus mauvais goût sur les institutions établies. de cette magnifique cathédrale de Reims., où celle
Sans s'en douter, Meilhac et Halévy furent de grands qu'on peut appeler à si juste titre la Patronne Je la
démolisseurs. La société d'alors, la société du second France, trancha de sa flamboyante épée le dernier
Empire qui se croyait sûre du lendemain, et ne anneau-de la chaîne qui, depuis un siècle, rivait notre
prévoyaitguère les catastrophes prochaines, -applau" beau pays an joug de l'Angleterre. « Il avait été à la
dissait à tout rompre à ces critiques acerbes du- puu- peine, c'était bien raisonqu'il fût à l'honneur » s'écria
Jeanne d'Arc en brandissant son étendard aux .côtés malgré les inqualifiables intri~~e.s des sans-patrie,
de son roi; et c'est près de ce temple sacré, où plane, l'amour de la France restait si solidement ancré au
encore sa grande âme, que défilèrentfièrement les dra- cœur de ses enfants.
peaux de deux armées françaises, saluant de leurs Le tsar, ce. noble représentant du droit et de
plis flottants le plus glorieux souvenir de notre his- l'équité, en a dû ressentir une inoubliable émotion;
toire. il a vu qu'il pouvait sûrement compter sur la France,
Je n'ai pas à raconter ici les différentes phases et comme celle-ci peut compter sur la Russie, et qu'à
péripéties de ces superbes manifestations. Mes con- elles deux elles sont invincibles, ayant pour elles
frères des feuilles quotidiennes ont à cet égard donné ce qui fait la véritable force. des peuples le senti-
ample satisfaction à la légitime curio~ité du public ment du devoir, de l'honneur, de la justice et de la
il, est impossible cependant de ne pas louanger liberté. Capitaine FOUQUET.
comme il convient la tenue irréprochable des équi-
pages de notre flotte, leur esprit de discipline, leur
vigueur, leur agilité, en un mot l'assemblage com- A DUNKERQUE
plet des qualités morales. et physiques qui, aux jours
A bord de l'Hirondelle.
de bataille, font des combattants de premier ordre.
Et je ne parle pas des vaillants chefs qui les com- Une mer glauque, tumultueuse, qu'assombrissent
mandent on touche à la perfection même quand on des nuées s'échevelant dans des rais de soleil; une
arrive à former de pareils soldats. mêlée de vagues qui se heurtent, se brisent, tour-
Du haut de son superbe navire le Standart, le Tsar noient, moutonnent; et, sur ce tumulte, l'apparition
a pu s'en rendre compte, comme aussi de la valeur solennelle et tranquille du grand vaisseau à l'aigle
matérielle de cuirassés tels que le Surcouf, le Dupuy- d'or, que suivent deux cuirassés russes où des or-
de-Ldme, le Jauréguiberry, le Bouvet, le Charles-Martel, chestres jouent la Haa~seillaise.
le Courbet, le Formidable, le Masséna, et pour l'autre Au loin, sur les flots, des mâts, des cheminées, une
ligne, le Bouvines, l'Amiral Tréhouart, le ~Jemmapes, le forêt de vergues, un peuplement de l'étendue re=
Valmy, le Bruix, le d'Assas et le Galilée. muante, une animation inaccoutumée du décor
Quant aux torpilleurs, il est difficile de manaeuvrer farouche, une prise de possession de l'élément en
avec plus de précision et de rapidité l'emploi de révolte, l'affirmation de la puissance de l'homme-
cette unité de combat convient d'ailleurs à merveille pygmée sur les forces terribles de la Nature; c'est
à notre tempérament tout de fougue et d'audace. l'escadre qui bientôt se précise à nos yeux, l'escadre
Ce que j'ai dit plus haut des équipages de notre d'où sortent des éclairs brefs, des boules de fumée
flotte peut s'appliquer exactement aux marins russes blanche, rumeur de canons qu'on n'entend pas, qui
des navi:es qui escortaientl'empereur, comme à ceux se devine seulement.
que l'on vit, dans nos autres ports de mer, en d'au- Tandis que nous stoppons, la cérémonie officielle
tres circonstances même vivacité, même esprit commence, dont on suit les détails par les drapeaux,
d'ordre et de, discipline, même attitude vigoureuse et les tlammes qui sont hissés, qui descendent; le Cas-
martiale; ce sont bien là nos frères d'armes, prêts à sini, blanc et léger, amène le Président de la Répu-
affronter les tempêtes des mers avec le .même cou- blique, un canot accoste le Standart; après quelques
rage que celles de la guerre. minutes d'attente, celui-ci portant les deux pavillons
Que dire à présent du. magnifique défilé de plus de unis de France et Russie, se met en marche pour la
cent mille hommes, de ces deux armées composées revue navale; sur la passerelle on distingue très net-
des ler, 2e, 6" et :Z~B corps'? tement deux silhouettes d'hommes, l'un avec le grand
Voilà des troupes supérieurement ,comlllandées, cordon de la Légion d'honneur sur son uniforme,
entraînées, et prêtes à toutes les éventualités de la l'autre son habit noir barré du grand cordon bleu de
guerre. Infanterie, génie, artillerie, cavalerie, sections Saint-André.
de cyclistes, tout est irréprochablement mis au point. A la suite du vaisseau impérial nous allons entre
Les alignements sont bien maintenus il y a peut- les deux rangées immobiles des cuirassés formidables,
être, de ci, de là, quelques légers à-coups, mais il ne constructions étranges, informes, qui semblent nier
faut pas s'en étonner, étant donné les accidents de l'instabilité de la mer, citadelles monstrueuses aux
terrain et aussi cette furia francese qui entralne mal- étages superposés, aux tourelles blindées, aux plates-
gré eux nos soldats en avant et laisse voir en eux des formes immenses, aux longs canons luisants, villes
qualités d'action et d'initiative dont on ne saurait se flottantes couvertés d'une fourmilière de matelots qui
plaindre, car, en guerre, elles constitueraient un sûr sont alignés comme soldats à la parade.
élément de succès. Le Bouvines, le Masséna, le Courbet, le Valmy, le
Les mémorables journées du 18 et du 21 septem- demmapes, le Bouvet, le Jauréguiber~y, le Galilée, le
bre 1901 ont eu, à un 'autre point de vue, une portée Surcouf, le Charles Martel, etc., sont là, sphynx géants
considérable elles ont fait voir aux attachés militaires qccroupis de chaque côté de l'avenue d'eau que nous
étrangers combien les Français savent se mettre suivons, et, à mesure, leurs flancs mugissent, l'atmo-
d'accord sur le terrain du patriotisme. Là, plus de sphère est ébranlée par les salves qui se succèdent,
discussions stériles, plus de querelles, plus de discor- les répons tonitruent, imposant dialogue de poudre et
des politiques. On a pu en juger à l'enthousiasme des de fumée qui avec les bruits de guerre affirme la paix.
deux cent mille spectateurs de la revue de Bétheny. Tout entier au spectacle grandiose, on oublie les
Tous acclamaient l'armée, et chaque fois que passaient traHrises du roulis et du tangage; Jes plus malades
les drapeaux à la tête de leurs régiments, les bravos même parmi les parlementaires, habitués seulement
et les vivats redoublaient, tandis que toutes les, têtes aux flflctuations de l'opinion, se relèvent pâles, dé-
se découvraient avec respect. Et ce fut là un spec- faits, s'accoudent au bastingage pour regarder et ad-
tacle émouvant et gros de consolations de voir que, mirer, s'intéressent à la manoeuvre des torpilleurs
qui nous frôlent presque, avec une agilité soudaine divers; les trois suivantes. traitent de la broderie;
de marsouins, leur dos noir émergeant à peine, leur viennent ensuite la passementerie, les dentelles, la
allongement sombre mettant une note de péril et de pyrogravure, etc.; la plus belle série est, à notre
deuil; ils circulent à'dëmi couverts "par' les vagues, avi§; celle qui est consacrée-à-labijouterie.'LesModèles
énigmatiques, muets, sinistres, ils échappent aux Godart constituent un recueil précieux de documents
regards, déroutent l'attention, se glissent çà et là, accompagnés d'un texte intéressant. Quelques-uns de
évoluent rapidement, jouent autour des Mammouths ces modèles ont été exécutés et ont 11guré à divers
expositions artistiques de Paris.
de l'Océan qui, ancrés, demeurent à leur place d'ali-
gnement. zo
Le Standart, le Cassini, et nous, continuons de
défiler entre la double haie magnifique, qui s'anime PETIT COURRIER TIMBROLOGIQUE
et vibre, et toujours sur la passerelle sont les deux
silhouettes d'hommes qui incarnent deux grands
peuples. Les Timbres anglais.
Maintenant, nous repassons derrière la rangée de En 1872, ce n'est pas une émission, mais le' simple
gauche des cuirassés, avec le même cérémonial de changement du 6 pence de 1865 qui est remplacé par
coups de canon, de hurrahs, de musiques, et, d'un un nouveau type de modèle assez semblable à la série
côté alors, c'est la pleine mer, le moutonnement à en cours, mais tiré en brun sur papier blanc à filigrane
l'infini des eaux jaunâtres, de « glaise délayée» où tige de ~·ose. Il fut tiré ensuite en bistre, puis, en 1873,
des mouettes s'ébattent et plongent. Le vent souffle en gris verdâtre. Les nos de planche plaéés dans deux
en rafale brusque, glace le visage, le balafre d'em- petits cercles en bas de cadre sont 11 et 12.
brun, jette des paquets, d'eau par-dessus bord; des En 1873, les types en cours furent modifiés, les Jet-
passagères pelotonnées dans des couvertures grelot- tres des angles se détachant do-
tent, claquent des dents, ont les joues marbrées, les rénavant en foncé sur blanc. Le
lèvres bleuies, les mains exsangues, n'essayent plus 3 pence reste rose, le 6 pence
de regarder, somnolent sur leurs pliants. gris et le 1 sh. vert; seuls les nu:
La revue est finie, le navire impérial s'arrête, méros des planches changent, le
stationnera jusqu'à la marée haute le Président de la 3 pence portant les nos 11 'à 20,
République remonte à bord du Cassini, va attendre sauf le 13 qui n'existe pas; le
son hôte à quai. 6 pence les nos 13 à 1 î le 1 sh.
La rentrée à Dunkerque est pittoresque entre les les nos 8 à 13. Ils sont tous à filigrane tige de rose.
jetées que couvrent des délégations, des orphéons, En 1875, création d'une nouvelle valeur un 2 1/2
dss bannières, des drapeaux, une foule entassée, pence tiré en rose sur blanc et dessiné selon un nou-
serrée, compacte, aux bariolures patriotiques, avec veau type. Ce timbre est tiré sur papier à filigrane
le dessin régulier des sentinelles postées à égale dis- ancre pour les planches 1, 2 et 3; à filigrane globe
tance. (voir ci-contre) pour les planches 3 à 47. Cette émis-
Le décor se resserre, s'eiipadre dans l'étroit chenal sion fut complétée en 18i6 par un
qui mène aux écluses et aux bassins, on a la vision de 4 pence vermillon, filigrane grande
la petite ville aux maisons de briques, aux beffrois jarretière, planches 15; puis de 1876
et aux campaniles, aux enseignes de désinences fla- à 1880 par un 2 1/2 pence sembla-
mandes, aux arcs de triomphe en ustensiles de ble à celui de 187 5, mais tiré en bleu
pêcheurs. clair, d'abord sur papier à filigrane
Et l'existence ordinaire vous reprend, dont l'intérêt .globe pour les planches 17 à 20, puis
s'atténue à cause du souvenir persistant dans les sur filigrane grande couronne pour les planches 21 à 23:
yeux de l'immensité orageuse où sont là-bas les ba- Un 3 pence rose, planches 20 et 21 (filigrane grande
tt}aux-colosses. couronne); un 4 pence vert pâle, planches 15 et 16; un
MAURICE GUILLEMOT. 4 pence gris, planche 17 un 8 pence orange, planche 1;
3 5
Au nom de nos morts vénérés, Car les vaillantes nations
Pour resserrer ces nœuds sacrés Dont planent les ambitions
Que désormais on nous ~ppelle: Par delà les choses réelles,
Russes, Français de l'Orient, Ne voyant gloire ni bonheur
Français, Russes de l'Occidentl Que dans la justice et f'~onneur;
Nut-il être union plus belle? Ces nations sont immortelles!
Pour la Patrie & Pour la Patrie &
~a M01DE PITTO~ES2UE ni de briser la pointe. En ajoutant à la, poudre anglaise
un peu de carbonate; on obtient plus rapidement un beau
poli.
Le charme de l'arrière-saison s'étend même sur nos
toilettes qui s'inspirent des tons variés dont l'automne est FORCE ET SANTÉ
prodigue. Les feuillages pourpres ou dorés se mélangent Il est évident que depuis nombre.d'années les généra-
au feutre gris, comme les brumes matinales, la parure tions qui se succèdent subissent un affaiblissementphy-
légère, couleur de châtaigne naissante, se drape en toque, sique progressif. L'Anémie et la Neurasthénie aug-
traversée par des plumes d'aigle ou des couteaux gouachés mentent toujours; elles ouvrent toute grande la porte à
les lainages, les draps souples sont de teintes neutres toutes les' maladies infectieuses, à la Phtisie. La cause
que' réveillent des revers en taffetas ombré, le col et le réside en ce que, sous prétexte de perfectionnements, 'nos
bas des m'anches sont pareils et quelquefois rebrodés par aliments sont de plus en plus déphosphatisés. Pour régé-
un fil d'or. nérer et fortifier les sujets, il faut les phosphatiser: les
On fait aussi beaucoup de galons or et velours noir, ANÉMIQUES, par l'emploi simultané du Phosphate de fer
ainsi que des ceintures cloutées de jais et d'acier, ou Michel (3 fr.) et du Vin Iodophosphaté du D~ Foy (4 fr.);
même ornées de plaques d'émail, de pierreries fines rap- les NEURASTHÉNIQUES, au moyer de l'Élixir Phosphovinique
pelant les larges cordelières des châtelaines du moyen (4 fr.) ou des Pilules iodophosphatées du D' Foy (4 fr.)
âge. de la Pharmacie JOLLY, 64, boulevaod Pasteur, à.Paris.
Les femmes, en général, éprouvent un plaisir infini à
separer de bijoux étincelants, et la mode actuelle flatte ce
coûteux désir en multipliant les joyaux de fantaisie, aux
formes tourmentées'et bizarres, où s'incrustent lés pérles
irisées, les turquoises, les topazes, les diamants blancs,
bleus, jaunes,'roses, noirs, les pierres de lune et du La-
brador, etc., enfin tous les trésors des mines du mondé
arrachés par l'art industriel. Le goût vient heureusement
mettre une limite à ce ruissellement, ce cliquetis de chaînes
et de gourmettes, sans quoi nous aurions une certaine
analogie av ec la statue de Sainte-Foy-la-Grande,que nous
avons toutes admirée à l'Exposition, mais derrière une
vitrine
Pour soutenir l'éclat de la parure et'ne pas faire triste Inutile de demander si bébé aime la Pkosphatine Falières.
mine au milieu de ces richesses, le teint doit, par « ses
lys et ses roses », rivaliser de splendeur. Le Duvet de
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x.
(PLiot._dLuari, a l'loreuw.~
PIERRE FEVRE, tapissier parisien, par SUSTERMANS. (;t'aVüt'e ~de ~IARIf: PUGn'.
LA D~CORA'TIOT( ~COT(OMI~~iE
COMMENT ON FAIT LES STATUES EN STAFF
LE SU.D TL1T(ISI~T(
Le sud tunisien est sans contredit l'une des orientation, la fureur des flots sera plus grande
eontrées les plus curieuses de la terre par les encore. Nullement. Le vent souffle toujours
étrangetés et les contrastes qu'y a réunis comme impétueux, la tempête soulève toujours là-bas
à plaisir la Nature, par les exceptions, au pre- des montagnes d'eau,et cependant peu à peu
mierabord inexplicables, qu'elle y tolère pres- les vagues diminuent de hauteur, le calme des
que partout. flots, en contraste frappant avec. le déchaîne-
Le sud tunisien est un théâtre d'études irité- ment des airs, est presque parfait au fond db.
ressantes et une mine de découvertes inatten- golfe, et ce .changement sauveur s'est produit
du es pour le géographe, pour le météorologiste, progressivement, sans secousse. Pourquoi?
pour le physicien, pour le botaniste, voire Peut-être parce que lé lit de la mer en pente très
même pour le marin et l'archéologue. Si, par douce est formé là de matières très meubles,
eontre, il. peut intéresser l'homme de guerre, élastiques pourrait-on presque dire.
c'est seulement à un point de vue rétrospectif Voici une île, une grande île, Djerba; elle
car, ainsi qu'on va le voir, il est peu dé fron-' est située très au sud, sous un soleil de .feu
tières coloniales de pays musulmans, c'est-à. n'est-cè pas plutôt une presqu'île puisque, sans
dire a~ fanatisme irré ductible, qui égale en sé- même se mouiller le buste, un homme peut la
gagner du continent en traversant à pied l'un
ttinisien.
curité la frontière à laquelle s'appuie le sud
sature de granit atteignant plus de 100 mètres celles de l'Océan et ce lac devait être bien pro-
de hauteur, mais c'est là une des rares exceptions fond, car certaines de ces fissures sont, paraît-il,
de cette bande continue de régions basses qui insondables. Plus loin la croûte salée fait voûte"
vont de l'est à l'ouest, bien loin, jusqu'en Algé- elle sonne creux sous les pas et recouvre des
rie, et qui s'abaissent de plus en plus au fur et abîmes malheur au voyageur sous les pieds du-
s'effondrerait.
mesure vers l'occident, jusqu'à s'enfoncer au- quel elle surface
dessous du niveau de la Méditerranée. Cette salée et. solide ne possède au-
A peu de distance de ce seuil de Gabès, du cune dénivellation, cependant, parfois, le travail
côté du soleil couchant, commence l'impres- intérieur des eaux et des gaz qu'elle emprisonne
sionnante région des chotts. Le premier rencon- la boursoufle, ou mieux encore, la crève après
tré est le plus vaste, il mesure 200 kilomètres de l'avoir soulevée voici formé un petit monticule
longueur et, en son milieu, 75 kilomètres de lar- avec ou sans cratère au sommet.
geur. Ce petit monticule possè,le à peine quatre
Enserré au nord et à l'ouest par des collines pieds de hauteur, mais ces plaines blanches
rocheuses, ici nues et arides, là revêtues d'un sous ce soleil trop radieux sont par etsellence
le royaume dij mirage, et de loin le monticule source de toute richesse, car sans eux pas d'eau
revêt la taille d'une colline de loin, on donne et sans eau pas ,de palmiers, pas de jardins, ces
raison aux Arabes qui l'appellent « Djebel » peuples nous sont attachés maintenant par la
(montagne). reconnaissance. Si nous étions, comme eux, dis-
Après le grand chott, s'étend du nord-est au ciples de Mahomet, ils nous vénéreraientà l'égal
sud-ouest un second seuil, fertilisé par les eaux de demi-dieux.
souterraines, jardin immense au sein du Sahara; Les frontières sont sùres, car d'un côté elles
c'est le Djérid, « pays des palmes », où abondent se trouvent constituées par la mer, du côté op-
les meilleures dattes du monde, car là les dat- posé par l'Algérie pacifiée depuis longtemps, et
tes ont les pieds dans l'eau et le parasol de leur sur une tr oisième face, vers le sud; les Touaregs
lourd feuillage dans l'air de feu embrasé par la et les Tripolitains sont séparés de nous par le
fournaise des chotts. désert, le vrai désert, le désert sans eau. Du
Le Djérid a donné son nom à la plus grande côté de nos ennemis les plus redoutables, en
des plaines de sel, ses voisines, peut-être par re- particulier du côté des Touaregs, s'étend en
connaissance ne sont-elles pas les créatrices de effet le grand Erg, immense solitude de sables,
cette atmosphère brûlante grâce à laquelle seule de près de cent lieues en tous sens, aux dunes
les dattes des oasis, leur grande richesse, peu- géantes, bien difficiles à franchir même pour ces
vent mûrir leur chair délicieuse? navires du désert que sont les mehara.
Au delà, toujours plus à l'ouest, on rencontre Ce sud tunisien, si merveilleusement doté de
une série d'autres chotts et bientôt on entre sur curiosités par la Nature, si bien protégé par elle,
le territoire algérien. Ces chotts ont leur surface est encore des plus intéressants à parcourir
cristalline au-dessous du niveau de la mer et pour l'archéologue car à chaque pas, pour ainsi
léur littoral, très loin encore, se trouve égale- dire, on y rencontre des ruines, ruines parfois
ment en contre-bas de ce niveau. C'est là qli'il grandioses; on y rencontre aussi des vestiges
fut question d'établir cette mer intérieure dont abondants d'u>ne population des temps préhisto-
on attendait un changement heureux du climat riques. Les unes comme les autres attestent
des contrées voisines si assoiffées d'eau; malheu- qu'autrefois ce pays était naturellement,grâce à
reusement il n'eût pas suffi de percer les deux un climat moins extrême, ce qu'il est à l'heure
seuils de Gabès et du Djérid pour déverser la Mé- présente en un grand nombre de ses points,
diterranée dans cette dépression dont le grand grâce à l'industrie humaine une contrée fertile
chott ne fait, hélas! pas partie. Le grand chott et luxuriante entre toutes, car ruines et silex
Djérid, plus haut que la mer, eût refusé le pass- taillés ou bronzes travaillés s'y découvrent même
sage, et le canal à creuser aurait dû avoir près de dans des lieux aujourd'hui déserts et ~rides.
deux cents kilomètres de longueur. Avec nos L. D.
moyens actuels il ne pouvaitêtre qu'un beau rêve.
Les populations du sud tunisien, groupées
dans des oasis fertiles, sont naturellement atta- LES FAIBLES
chées au sol, elles sont aussi sans grande cohé-
n'ai d'amour au cœur que pour ceux qu'on torture,
sion, leur existence étant un peu celle d'ins'l1- JeLes tout petits enfants de l'immense nature
laires isolés les uns des autres par les sables au Qui vivent dans l'ennui, la tristesse ou l'effroi;
lieu de l'être par les flots d'un Océan. Ceux qui n'ont pas de nid, le soir, quand il fait froid,
Qui' tremblent dans le et gîtent sous la neige;
Leur conquête fut facile. Une seule de ces tri- Les faibles, ceux qu'oilventtue et que nu~ ne protège
bus franchit la frontière tripolitaine à la vue de Et dont le bon soleil lui-même est ennemi;
Qui n'ont que la douceur d'avoir un peu dormi
nos soldats, mais bientôt elle revint soumise; Lorsqu'il faut s'éveiller encor pour vivre, et vivre.
où eût-elle trouvé dans le sud un pays compa- Aussi, lorsque l'hiver met des robes de givre
rable à ses oasis? A ces peuples nous avons ap- Sur les troncs d'arbres noirs et les brins d'herbe roux,
porté un grand bienfait partout nos machines Je rève d-'être un dieu paternel, grave et doux,
Qui pourrait, en faisant refleurir les pervenches,
ont creusé de nouveaux puits, ont consolidé les Etre aimé des oiseaux qui glissent sous les branches.
puits anciens, et comme les puits sont là-basla EDMOND HARAUCOURT.
Gessler.
Arnold de 3lelchth.al.
Vt'erner, baron d'Attinghausen.
GUSTAVE SCHMID, filateur, lieutenant de l'armée helvétique.
ARNOLD, maUre d'hôtel, ancien lieutenant-colonelde l'armée helvétique.
FRANÇOIS NAGER, recteur de l'école cantonale.
Ulrich de Rudenz ADÓLPHE HUBER, caissier de la Banque.
Conrad Baummgarten WERNER LUSSER, secrétaire de la Cour de justice, capitaine de l'armée
Rosselmann le
Walther, fils de
Prêtre.
Tell.
helvétique.
ANDRÉAS HUBER, imprimeur.
CHARLES ARNOLD, écolier.
Bertha de Brunecls.
Tell
Hedwige, femme de
Miles
ELISABETH HEFTI, fille d'un négociant.
MARIE ANGELE, professeur de musique.
Gertrude, femme de Stauffacher.. JOSÉPHINE HUBER, fille de l'imprimeur.
Depuis 1899, les représentations se sont régu- triste situation du pays et de la nécessité d'y
lièrement poursuivies à raison de huit par an, mettre fin; Tell résiste à prendre part à une ten-
trois dans le mois de juillet, trois en août et tative aventurée, il préfèrerait l'action indivi-
deux en septembre. duelle.
Les jours où elles se donnent, les ,rues de la L'homme fort dans, la crise
petite cité d'Altdorf s'emplissent d'une anima- N'ést puissant qu'isolé. (1).
tion inaccoutumée; par les bateaux de Fluelen, (1)Traduction en vers français, de Jules Mulhauser. Ge-
par les trains du Gothard, sur des véhicules de nève, 1852.
Pressé pourtant par Stauffacher, il le quitte en Guillaume ne fait pas attention et passe; mais,
lui disant rappelé à l'ordre, il refuse d'obéir à l'injonction
du farouche gouverneur; celui-ci paraît en ce
Pour agir, s'il faut tenter un pas,
Appelez Tell alors, et ne l'épargnez pas 1 moment, et c'est alors que se passe la scène
populaire entre toutes où l'on voit Guillaume
Puis c'est en1re Walther Furst, Stauffacher et percer la pomme sur la tête de son fils.
Melchthal le serment de sauver leur pays de A ce point culminant du drame, il est intéres-
l'oppression; chacun d'eux s'engage à amener sant de suivre les impressions de l'assistance
dans une nuit prochaine les amis de son canton elle est composée de gens venus de pays bien
pour se concerter en vue du soulèvement libé- différents, un grand nombre ignorent même la
rateur. langue allemande dans laquelle l'ouvrage est
Et bientôt l'on assiste à la célèbre scène qui, interprété; mais telle est la grandeur de la situa-
dans la nuit du ï novembre .¡ 30ï, réunit sur le tion, telle aussi la sincérité dn jeu des artistes,
bord du lac, dans la prairie de Rütli devenue qu'une commune émotion étreint tous les cœurs,
depuis lieu de pèlerinage dix conjurés de et, lorsque la pomme tombe frappée par la flèche
chacun des trois cantons; tous jurent de sa- de Guillaume, c'est une explosion de cris et
~rifier au besoin leur vie pour sauver leur patrie.d'applaudissements enthousiastes peu d'effets
lous serons peuplé libre ainsi que nos aïeux; au théàtre atteignent une pareille hauteur.
Plutôt souffrir la mort qu'un servage odieux. Mais le tyran n'est pas satisfait; Guillaume
La scène est de toute beauté dans un décor est arrêté, et Gessler le transporte lui-même de
l'autre côté du lac, dans la forteresse de Ktiss-
sauvage éclairé par les premières lueurs de
l'aube qui blanchit le faîte des montagnes. nacht.
Mais voici Guillaume dans son intérieur de Pendant la traversée un orage violent s'élève
BÜrglen, entre sa femme Edwige et ses deux en- sur le lac, la barque va sombrer, mais Tell en
fants il va descendre à Altdorf chez son beau prend la direction et profitant de cette circon-
père Walther Furst; Edwige s'inquiète car des stance providentielle l'approche du bord et, la
bruits ont couru-et elle voudrait leretenir; il repoussant du pied, saute sur un rocher et se
ira néanmoins et son fils Walter veut l'accom- dérobe ainsi à la vengeance de Gessler (1).
Après l'épisode de la mort du vénérable Attin-
,paâner; d'un mot, il rassure sa femple.
âhausen qui, dans une prophétique vision, an-
Je ne fais que le bien et je n'ai
rien à craindre.
Et il arrive à Altdorf où, par une provocante (1) L'endroit où Tell aborda, situé au pied de l' lYen-
fantaisie, Gessler vient de faire exposer en public berg, a pris en souvenir de ce fait le nom de Tellsplotte;
la piété du peuple y a élevé et toujours entretenu une
.son chapeau avec ordre pour tous de le saluer. chapelle qui est l'objet d'une grande vénération.
nonce la chute du despotisme, nous retrouvons Et Tell
Guillaume dans le chemin creux de Küssnacht où, Tu dois la reconnaître
résolu à soutenir contre son mortel ennemi une Le bras qui t'a frappé, c'est le mien, tu le vois!
lutte implacable,il attend l'occasion de le frapper La cabane du pauvre est libre de tes lois;
au cœur. L'innocent est sauvé! tu ne pourras plus nuÏl'e!
Bientôt le gouverneur arrive, suivi de ses Désormais le signal est donné; il va se répéter
amis, et se trouve en présence d'une pauvre de sommets en sommets, et dans une heure pro-
femme qui se jette à ses genoux avec ses enfants chaine, le peuple soulevé de toutes parts aura
pour lui demander la grâce de son mari retenu chassé l'étranger, et l'aurore de l'indépendance
en prison. luira sur l'Helvétie tout entière.
Hautain, Gessler refuse et, sur l'insistance de la Et le spectacle se termine sur une apothéose
malheureuse, il va pousser son cheval sur elle, glorifiant le triomphe de la Liberté et la foule
quand tout à coup on le voit chanceler et tomber s'écoule avec lenteur sous l'impressiondes émo-
de sa monture. tions vécues et des sensations d'art qu'elle vient
d'éprouver. GEORGES CRESTE.
C'est la flèche àe Tell!
s'écrie-t-il en mourant. Qui parle sème qui écoute récolte. MAXIME PERSANE.,
Le chef de la libre Amérique est le citoyen le avait poussé jusqu'à Alexandria Bay, Thousand
môins libre du royaume; il est un véritable pri- Islando. Ses adversaires politiques lui repro-
sonnier des moeurs et des coutumes du pays. Le chèrent aussi une. excursion de pêche à travers
plus misérable chiffonnier peut, à son gré, dis- la ligne canadienne.
poser de ses loisirs, mais non le président qui, Le président Cleveland aussi encourutle blâme
toujours et partout, est l'esclave de vieilles tra- de ses concitoyens pour être, à l'occasion d'une
ditions avec lesquelles transiger serait une faute partie de chasse dans la Caroline du Nord, allé-
aussi grave que d'enfreindre les lois écrites, plus loin que le cap Hatteras. Ses ennemis décla-
UriedE\ces coutumes consacrées par tous, les rèrent qu'il avait ainsi dépassé la limite de trois
successeurs de Washington à une ou deux ex- milles, fixée par la loi internationale, comme
ceptions près est celle qui défend au pré- limite des possessions d'un pays au-delà de la
sident de jamais quitter ses états, même pour frontière.
'Ill seul jour. Une anecdote que le Ladies Home Cette tradition sévère ne s'applique qu'au pré-
,Journal_ raconte de Mac Kinley prouve jusqu'où sident le vice-président en est exempt au point
ce président poussait le respect des usages. Au qu'on en cite un, William Rufus King, qui fut
printemps dernier, avant le départde Mac Kinley élu sur terre étrangère. Avant son élection,
pour une tournée dans le Sud et l'Ouest, il avait Rufus King était parti à Cuba pour raison de
été annoncé qu'il y aurait une entrevue entre santé et c'est à Havane, devant le consul général
lui et le président du Mexique, Diaz, sur. un des États-Unis, qu'il prêta serment.
point quelconque de la frontière de cette répu- Le président de la République américaine ne
blique. Lorsqu'il visita El Paso, dans le Texas, où peut transférer son pouvoir à personne, pas-
il fut salué par les représentants du président même au vice-président. En cas de « relèvement
Diaz, Mac Kinley exprima' le désir de jeter un de ses fonctions, de mort, de démission ou d'in-
regard sur le pays voisin. Un pont construit sur capacité» » seulement, le président devra être
la Rio Grande, le Pont International, relie à cet remplacé par le vice-président. Le désir ou le
endroit El Paso au Mexique; et la question besoin d'un repos ne saurait être une raison de
s'éleva, inquiète, si le président des États-Unis ne pas servir le pays. Les lois n'out d'ailleurs
allait traverser la ligne séparatrice. Il ne la tra- jamais spécifié en quels cas cette incapacité,
versa. pas, mais se contenta de s'avancer jus- mentionnée dans la Constitutio'n, pourrait re-
qu'au pont d'où son oeil pouvait apercevoir la lever le chef de l'État de ses devoirs. Lorsque le
Sierra Madre. Au milieu de la construction, se président Garfield était gravement malade, la
trouve une ligne de démarcation un pas plus question fut débattue de savoir si le vice-prési-
loin, c'est le territoire mexicain. Dix ans plus dent devait le décharger de ses fonctions. Le
tôt, le président Harrison s'était aventuré jus- général Arthur, vice-président, n'y voulùt pas
qu'à cette ligne Mac Kinley ne voulut même consentir tant que le président avait une parcelle
pas poser le pied sur le pont. de vie. Et Garfield, pendant les dernières se-
Le président Arthur en 1883 futaccusé par ses maines de sa vie, signa des papiers d'État sur
ennemis d'avoir violé cette tradition; on racon- son lit de mort.
tait de lui que pendant un voyage d'agrément, il Le président des États-Unis ne doit pas fran-
chir le seuil d'une ambassade ou d'une légation Une exception est faite pour les monarques
étrangère. La résidence officielle d'un ambassa- étrangers que le président apostrophe ainsi
deur ou d'un ministre accrédités à Washington Grand et bon ami et qu'il salue en terminant
est territoire étranger et considéré comme cQ- Votre bon ami.
Ionie étrangère. Ces demeures, et les diplomates Les cartes de visite du président ne portent
qui les habitent, jouissent d'une immunité ab- aucun nom, mais tout uniment les deux mots
solue les morceaux de terre acquis par les gou- Le président et les mêmes cartes peuvent ser-
vernements étrangers sont exempts de toutes vir pour tous les premiers magistrats du pays
taxes. Poser le pied sur la ligne seulement d'un Un vieil usage s'oppose à ce que le président
de ces terrains serait, de la part du président, des États-Unis accepte des cadeaux de valéur de
une offense grave contre une loi non écrite, mais ses inférieurs. Un président, il y a quelques
respectée. années, reçut des membres de son Cabinet, une
Le dimanche est le jour consacré aux intimes; villa au bord de la mer. Ce fàit lui fut injurieu-
il serait malséant de troubler le repos dominical sement reproché et les invectives ne prirent fin
du président par des visites officielles. De même, que 'lorsque le président eut couvert par un
l'usage interdit à la Maison-Blanche les récep- chèque la valeur de la maison. Mais il fut jugé de
tions et les dîners de cérémonie pendant le bon ton que le président Mac-Kinley acceptât
Carême. les deux beaux vases de Sèvres qui luifurent
Le président des £tats-Unis ne peut faire de offerts par notre président.
visite de cérémonie qu'à un président nouvelle- La dignité du chef de l'État, en Amérique, lui
ment élu, à un ex~président, au vice-président, interdit formellernent de se prêter aux inter-
aux présidents de pays étrangers ou à des mo- views des journalistes. Mais peu de présidents
narques régnants, de passage dans la capitale résistent aux entreprises des reporters. Cleveland
américaine. Il ne doit faire de première visite autorisait les interviews et corrigeait lui-même
qu'à un chef régnant. Lorsqu'un de ces hôtes les articles qui s'occupaient de lui.
se trouve à Washington et qu'il réside à la Un cas bien amusant de reportage essentielle-
légation de son pays, le président des États-Unis ment américain fui celtü d'une intrépide jour-
lui désigne un hôt~1 comme lieu de rencontre. naliste, Mme Ann Royall, éditrice d'une feuille
Tous les autres membresdes familles régnantes sensationnelle, le « Paul Pry. » Cette feuille
doivent faire la première visite au président; un ingénieuse employa un moyen inédit pour inter-
prince héritier même n'équivaut comme rang viewer de force le président Tyler. Ayant épié le
qu'au vice-président. moment où le président -prenait un bain dans la
Dans sa correspondance, le président se dis- rivière du Potomac, la reporteresse s'assit, au
pense des formalités qui ouvrent et closent habi- bord de l'eau, sur les vêtements même de
tuellement les lettres. Il commence ses commu- M. Tyler et n'en voulut pas bouger avant d'avoir
nications par Monsieur, jamais Cher Monsieur; tiré du président toutes les informations dont
au bas, il signe simplement son nom. elle avait besoin. Ta. MANDEL.
AU TURKESTAN,
Les Paysans russes. Leurs rapports avec les Sartes et les Kirghizes
Les villages bâtis. par les paysans russes sont Ces villages sont de création récente chaque
nombreux au Turkestan. Sur la route postale qui année en éffet d'innombrables caravanes d'émi-
conduit d'Omsk à- Tachkent, longue. de plus de grés quittent la Russie et se dirigent vers les
plus de 500 kilomètres, les stations sont d'abord monts Ourals. Las de lutter contre les misères
distantes de trente à quarante kilomètres. Long- de la vie, contre la famine et les maux
temps, la station consiste en une chaumière faite qu'elle entraine, les paysans russes s'en vont
de bois ou de terre, où vit le maître de poste, et chercher une terre meilleure sous un ciel plus
est entourée dp. misérables huttes qui servent clément.
l'hiver aux Kirghizes. On franchit ainsi près de Des charrettes, attelées de chevaux affamés,
deux mille kilomètres; alors le spectacle change, pléines de femmes et d'enfants, entourées d'hom-
chaque station se trouve dans un village, les vil- mes et de jeunes gens, roulent ainsi lentement
lages sont peu éloignés les uns des autres vers l'Asie. Là, quelques caravanes s'arrêtent
chaque village est situé le long de la route, et dans les terres achetées aux Bachkirs, d'autres
grâce aux travaux d'irrigation intelligemment continuent et se dirigent vers l'Extrême-Sibérie,
exécutés, des grands arbres ont poussé et une d'autres enfin traversent Orenbourg et Orsk, puis
oasis est apparue dans le désert. par la steppe de Tourgaï et en côtoyant la mer
d'Aral et le Syr-Daria, atteignent, après mille Comme mesure de bien-être des paysans, on
maux supportés, le Turkestan. peut prendre le pain qu'ils mangent. En Russie
Là, tout l'été, pas un nuage au ciel, des terrains on mélange au pain de froment, de l'orge, du
non cultivés en abondance, des récoltes assu- seigle, du son même. Au Turkestan le pain des
rées. D'après l'analyse chimique, les terres sont paysans est blanc et sans mélange.
merveilleusement fertiles, et le seul travail im- Les paysans venus de Russie se trouvent au
portant est un tra- Turkestan en pré-
vail d'irrigation. sence de deux
Le moindre effort peuples les Kir-
de l'homme est gkizes et les Sar-
récompensé. Au tes.
nord de Tachkent, Les Kirghizes
le froment, l'orge, leur servent par-
la luzerne ont fois de bergers,
poussé facile- mais leur causent
ment, et à Tach- plus d'ennuis
kent même la si- qu'ils ne rendent
de services. Le
tuation est meil-
leure encore, car Kirghize est né vo-
la récolte du coton leur de chevaux,
et dans toutes les
a amené avec elle
la richesse. ci1ansons ou les
Trois sortes de Ville sarte. Vue prise d'une colline.
légendes que l'on
colons habitent le raconte dans la
y a toujours un couplet en l'honneur
pays les 'anciens soldats, les premiers colons, steppe, il
et les colons récemment arrivés. du jeune homme habile à voler les chevaux des
Les anciens soldats sont peu nombreux; ils environs.
méprisent l'agriculture et louent leurs terres aux Les Kirghizes ne volent pas les chevaux des
Kirghizes. Ils s'occupent de pêche et d'élevage et paysans atlnd'enrichir leurs troupeaux, mais
envoient leurs fils travailler à la ville. simplement pour les manger. On a vu des colons-
Les maisons des soldats sont proprement éleveurs absolument ruinés par leurs peu scru-
tenues, contraire- puleuY voisins.
ment à celles des Il v a des villa-
premiers colons. nes où des pay-
Ceux-ci sont le sans ont usé de
plus souvent des représailles, mais
petits Russiens, quelque soit son
bons, obligeants, habileté un paysan
amusants à obser- russe ne saura ja-
ver, mais liorri- mais voler les
blement sales. Ils chevaux, comme
habitent d'inhabi- un simple gamin
tables demeures hirghize.
où le manque Les rapports
d'hygiène et la entre les Russes
malpropreté sont et les Sartes fu-
incroyables. An- rentaussifort dé-
ciens serfs,etpour Tombeau d'un juge kirghize. licats établir, car
cela habitués à si les Kir¡rhizes du
souffrir, ils ne songent pas à essayer de suppri- Turkestan sont des sauvag'es, il y avait du moins
mer leurs souffrances et, parmi eux, même ceux chez les Sartes une civilisation.
qui sont riches, vivent sans soin avec une extra- Les Sartes sont musulmans de taille assez
ordinaire insouciance. grande, ils sont bien bàtis et solides. On rencon-
Le troisième type est le colon récent celui-ci tre chez eux de belles têtes; les doigts sont effi-
sait pourquoi il est venu, et en venant savait où lés, plus semblables à des doigts de femmes qu'à
il allait. Il arrive en juillet, sème de suite son des doigts d'hommes. Les mouvements sont
grain pour récolter dès le printemps. Il construit lents et cadencés, très harmonieux, même pen~
sa maison en briques, où, faute de bois, la table dant les plus durs travaux.
est souvent en pierre. De suite, ce colon se L'arrivée des colons ne pouvait sérieuse-
trouve vivre dans de.bonnes conditions, en com- ment les émouvoir,car ils sont nés commerçants.
paraison de celles où il était en Russie. La vie de la campagne les attire peu; ils
aiment les métiers ou l'on g'ag-ne un salaire, les rues sales et étroites, d'atroces fièvres
y
car ils poussent au plus haut point l'amour de règnent. La ville européenne, au contraire, est
l'argent. Les colons pouvaient envahir les cam- une des plus admirables qui soient
au monde,
pagnes; pourvu qu'on leur laissât, à eux, le COl:n- les rues sont larges, des jardins merveilleux les
merce et les métiers des villes, les Sartes s'en bordent, de belles maisons sont construites or
inquiétaient peu. cette superbe ville est l'muvre d'ouvriers sartes
Tout en vivant très à part, les Sartes, lorsqu'ils travaillant sous la direction des Russes actuel-
virent que leurs vainqueurs n'en voulaient ni à lement même,certains de ces ouvriers sont deve-
leur vie, ni à leur religion, ni à leurs croyances, nus des entrepreneursqui exécutent des travaux
se sont rapprochés des Russes pour tirer d'eux, privés ou commandés par le gouvernement.
dans divers métiers, tout l'argent qu'il serait pos- On voit par ces quelques mots que le paysan
sible. russe arrivant dans le Turkestan n'y rencontrait
Commerçant inné, le Sarte sait dépenser quand pas de sérieux obstacles à ses travaux. Il trouvait
il le faut pour gagner davantage, mais il sait un pays fertile, ou destiné à le devenir, dès
crue
-l~
compter toujours des travaux d'irri-
quand il dépense, gation y seraient
ce qu'un commer- entrepris.
çant russe sait ra- Son rôle était fa-
rement faire. Tra- cile il n'avait qu'à
vailleur et ouvrier travailler intelli-
intelligent il s'est gemment, sûr qu'il
engagé comme ma- était de voir ses ef-
çon, plâtrier, me- forts récompensés.
nuisier, terrassier Le rôle du gou-
sous la direction vernement ett
des ingénieurs rus- celui-ci est loin
ses et à la grande d'avoir fini de le
satisfaction de ces remplir était
derniers. d'aider le colon en
La ville de Tach- lui fournissant les
kent peut être divi- meilleurs moyens
sée en deux par- de colonisation, en
ties la ville sarte et la ville européenne dans lui ouvrant des écoles, en lui construisant des
la ville sarte qui est immense la salubrité est hôpitaux.
insuflisante, les maisons sont trop rapprochées, PAUL LABBÉ.
Plus encore peut-être que ses prédécesseurs, géant des airs n'a rien produit d'intéressant au
l'an premier de ce siècle a vu éclore en grand point de vue aérostatique, je n'y reviendrai donc
nombre les projets aérostatiques, mais à l'en- pas.
contre de ce qui se produit quatre-vingt-dix-neuf M. Santos-Dumont, avec une ténacité pour la-
fois sur cent pour les projets de ce genre, cer- quelle on ne saurait trop avoir d'admiration si
tains de ces nouveaux-nés sont sortis des limbes tous les éloges ne devaient d'abord aller à son
de la conception pure pour entrer dans le do- remarquable courage, s'est aventuré plusieurs
maine de la réalisation, sinon complète du moins fois, durant ces derniers mois, à bord d'un frêle
presque complète. esquif aérien taillé en ballon dirigeable et muni
Dans l'ordre chronologique il convient de d'un puissant moteur. Poursuivant un but diffi-
retenir parmi ces derniers cile il a évolué avec ce canot aérienau-dessusdu
Les essais de l'aérostat von Zeppelin; point du globe le plus semé d'obstacles aérosta-
Les expériences pleines d'intrépidité de tiques les environs immédiats de Paris et Paris
M. Santos-Dumont; même, là où se pressent maisons élevées,
Les timides tentatives de l'aviateur Roze; arbres, tour la plus haute du monde, autant
Les recherches de navigation maritimo- d'écueils formidables guettant l'aérostat pour le
aérienne de membres distingués de l'Aéro-Club. mettre en pièces avec la complicité du vent,
Par le numéro du 1 er janvier du IlTagasin Pitto- quand il cherche à toucher terre pour y repren-
~·esque, nos lecteurs ont été mis au courant des dre de nouvelles forces.
essais de l'aérostat von Zeppelin. Depuis, ce A l'heure où j'écris ces lignes, M. Santos-
Dumont n'a pas encore réussi à accomplir son carcasse rigide de son double ballon. Quand il
programme doubler par voie aérienne la tour s'enlèvera, ce qui n'est pas impossible, il se
Eiffel én parcourant une courbe, fermée ayant montrera encore plus instable que l'aérostat de
Saint-Cloud pour points de départ et d'arrivée. M. Santos-Dumont,car les deux ballons accolés
Bien d'autres que lui se seraient découragés. Lui dont il se compose seront fatalement, de façon
non pas,et il a raison car il doit parvenirau succès. incessante, dans des états d'équilibre différents;
Si jusqu'ici la Fortune s'est montrée des plus non seulement il tanguera, mais de plus il rou-,
maràtres envers M. Santos-Dumont, cela tient en lera, et il est fort à craindre que ces multiples
premier lieu, incontestablement, à ce qu'il ne embardées dans tous les sens ne rendent sa diri-
compte point parmi les favoris de cette capri- geabilité illusoire. Puis, quand il atterrira, à
cieuse déesse; cela provient en s~cond lieu de moins de chances exceptionnelles, il r~cevra à
ce que son aérostat est instable. tout coup de grands dommages; ses carcasses
Quand un aérostat dirigeable fend l'atmo- rigides, nécessairement fort fragiles, parce que
sphère dans sa marche en avant, l'air réagit sur composées d'éléments ultra légers, se tordront
son enveloppe et si celle-ci n'est point parfaite- au moindre contact. Après chaque voyage ce ne
ment rigide il s'y forme des replis, des creux seront point des réparations qu'il lui faudra
irréguliers dans lesquels l'air tourbillonne, et mais de véritables réfections.
bientôt le ballon tangue de plus en plus comme De distingués membres de l'Aéro-Club avaient
un navire secoué par la tempête. Or l'enveloppe projeté la traversée aérienne de la Méditerranéeau
du ballon dé M. Santos-Dumontn'est point rigide moven d'un aérostat ordinaire muni de déviateurs
Pour qu'elle le fût il lui faudrait ou posséder aquatiques, autrement dit d'un véritable assem-
une carcasse métallique, ce qui l'alourdirait de blage de gouv0rhails plongeant dans l'eau et qui,
façon inadmissible, ou contenir un gaz maintenu comme tous gouvernails, devaient permettre à
sous pression par un artifice spécial. Avec juste l'aérostat de dévier sa marche à droite et à gau-
raison M. Santos-Dumont n'a point tendu son che du lit du vent. Ils ont sagement renoncé àa
ballon sur une carcasse rigide le faire eût été tenter cette traversée, à la fois pleine de périls,
tomber dans l'erreur de l'Allemand Zeppelin et ce qui ne pouvait.les arrêter mais faisaittrembler
de bien d'autres, son aérostat eût été et trop leurs amis pour eux, et en même temps remplie
lourd et trop fragile aux atterrissages. Il empor- de diffi_cultés, pour ne pas dire d'impftsibUités.
taitbien dans'sa nacelle une pompe àair destinée à Par un article paru dans le numéro du15 mai,
maintenir son gaz sous pression en envoyant, au dernier, les lecteurs du M~zgasi~a Pittoresque ont
moment opportun, de l'air dans un ballonnet su que cesimpossibilitésprovenaient du régime-
situé au sein de l'hydrogène qui gonflait le ballon; météorologique spécial de la Méditerranée occi-
mais cette pompe à air et ce ballonnet,tous deux dentale dont les vents ont une tendance à con-
trop rudimentaires, remplissaient incomplète- verger vers le centre de l'immense lae salé
ment leur office. Aussi dès que l'aérostat acqué- qu'elle forme. Je n'insisterai pas sur ce sujet,
rait un peu de vitesse le ballon imparfaitement d'autant plus que la traversée de la Méditerra-
« rigidifié»se couvrait de plis et un tangage
formidable s'en suivait. Dans ces conditions
née par ballonne doit plus être tentée, du moins
officiellement.Mais, fort heureusement pour la
l'action du gouvernail, celle même des hélices science, les sympathiques promoteurs de cette
propulsives, était incessamment contrariée et le hasardeuse tentative l'ont remplacée par des expé-
pauvre esquif aérien gouvernait fort mal. riénces de dirigeabilité de ballon en mer, basées
Telle est la principale cause des inhuccès de cet sur le principe qui permet à tout navire à voile
aérostat dirigeable. M. Santos-Dumontne l'ignore de se diriger à son gré à la surface des flots.
certainement point; il y apportera remède ainsi Le ballon constitue une voile immense qu'en-
qu'à certaines autres petites imperfections de traîne le vent; à sa remorque il a, plongeant dans.
détail, et, son admirable persévérance aidant, il l'eau, des gouvernails appropriés et grâce à eux
parviendra à ses fins. il s'oriente en contrar iant par leur réaction une
Quand il y sera parvenu il pourra -prétendre partie de l'action d'entraînement du vent.
avoir réalisé, lui second, ce qu'avait déjà Ce sont là, répétées en grand, les curieuses.
réalisé, il y a dix-huit ans, le colonel Charles expériences déjà faites jadis par l'aéronaute
Renard un aérostat capable d'être dirigé pen- Hervé on ne peut que féliciter celui-ci, ainsi que
dant une demi-heure par un vent de vingt kilo- MM. de la Vaulx, Castillon de Saint-Victoret
mètres 'à l'heure. Ce ne sera point encore le leurs collaborateurs d'avoir songé à les renou--
paquebot aérien, car un vent de vingt kilomè- velernonsans péril mais aussi non sans gloire (1).
tres est une brise assez modeste et marcher une LÉo DEX.
demi-heure n'est pas marcher bien longtemps,
néanmoins ce sera. un premier succès qui peu à (1.)Notre collaborateur Léo Des était tout indiqué pour
peu en amènera d'autres. traiter pareil sujet car, sous ce pseudonyme se cache un
officier d'aérostiers, breveté pilote-aéronaute, deux fois
L'aviateur de M. Roze n'a pu s'enlever, il était lauréat de notre Académie des Sciences pour son projet
trop lourd. La faute en est surtout à la fameuse de traversée du Sahara en ballon. (N. D. L. R.).
UNE ~~ccuRSlou SUR LE LARZAC
Ce que nous voyons tous les jours, ce qui est immense, comme celui de Châlons, où pourront
la port.ée de la main n'attire pas notre attention aisément évoluer des armées.
ni n'excite notre admiration. « Il n'y a pas de J'avais donc-quitté Lodève pour me rendre à
grand homme pour son valet de chambre ». Avec l'invitation d'un ami qui possède un domaine
autant de raison, pourrait-on ajouter, le pays important sur le Larzac. Cet ami est grand chas-
qu'on habite, fût-il trt'S beau, ne paraît jamais seur il voulait me faire goî~ter et partager les
étonnant. Pour qu'une contrée, un village, un joies des chasses au chien courant. {( Beethoven,
site soientclassés dans les merveilles de lanature, Schumann ou Wagner, me disait-il, n'ont rien de
il faut qu'ils soient loin, d'accès difficile, et per- comparable à la symphonie canine jouée au petit
La Couvertoirade.
mis seulement à un petit nombre. « Je veux qu'on jour, par toute la meute. L'arzclante de la «quête»,
me distingue », telle est la devise du touriste. l'alleg~·o de la « poursuite vous touchent, vous
Avez-vous remarqué que le simple détail, qui a passionnent. On est grisé, dans l'air vif du matin,
échappé à la plupart des voyageurs, devient pour où flottent des senteurs de lavande, de thym et
celui qui l'a observé le point capital, la raison de serpolet. « Mes débuts dans cette chasse à
d'être du voyage? Vanité des vanités Le Fran- grand orchestre, hélas n'ont pas été brillants. A
t.:ais est généralement convaincu que les curio- une heure innaisemblable, on m'a «posté» sous
sités de l'étranger n'ont point d'équivalent en un arbre, dans un sentier, entré deux collines.
France, à plus forte raison dans sa province, Longtemps j'ai monté la garde; je me faisais
dans son pays natal. l'effet d'un boer entre deux kopjes. Je n'ai rien
Ces réflexions, que je ne donne ni pour neuves entendu et je n'ai rien vu. C'était peu encoura-
ni pour personnelles, me sont d'elles-mêmes geant; mais je prévoyais que les mécomptes de
venues à l'esprit, cet été, au cours d'une excur- la chasse me vaudraient une compensation.
sion que j'ai faite, par hasard, sur le Larzac. Le Ce jour-là le déjeuner fut très gai. Il y avait
Larzac est un vaste plateau, sur les Cévennes, des invités venus des environs, des voisins de
qui s'étend dans les départements de l'Hérault et villégiature. En quittant la table, on était passé
de l'Aveyron. Il est compris, parlons comme sur une terrasse formant galerie, un vrai prome-
les géomètres, dans un quadrilatère dont Lo- noir de couvent, ~t angle droit, dont les arcades
dùve, Saint-Affrique, Millau et le Vigan forment découpaient le paysage en panneaux cintrés. Vers
les sommets. C'est aux environs de Millau, à la le Nord, là-bas, sur les confins du Gard, les mon-
Cavalerie, qu'on est en train d'établir un camp tagnes, sur plusieurs points, fermaient l'horizon
et prenaient cette teinte bleue, si douce, qu'on petite colline, gaie elle aussi, dont la forme et
aime dans les tableaux toscans. Plus près de nous, les rugosités font songer à une immense écaille
à l'est, une colline s'encadrait entre les piliers d'huître. Une rivière, la Vis, coule à l'autre
de la galerie, une colline desséchée où, sur le extrémité du cirque et baigne un village pitto-
,fond grisaille du calcaire, se détachaient des resque qui apparaît parmi les arbres plantureux,
bouquets de chênes-verts et des touffes de brous- bouquet placé dans ces ruines c'est Navacelle.
sailles d'un vert presque noir tableau d'une On est saisi, étonné devant ce tableau que l'ima-
gruce sévère, propre aux contrées méridionales gination la plus riche ne saurait se figurer comme
et qui m'a rappelé des parties du Péloponèse. il est réellement. La nature, une fois de plus,
Vous admirez notre pays et vous avez rai- nous a présenté là un modèle de ses caprices,
son. Il en vaut un autre, me dit un aimable con- de ses trouvailles. Mais qui connait Navacelle?
vive. Vous devriez profiter de votre séjour ici A quelques lieues à la ronde on l'ignore et si
pour aller voir Navacelle. Nous nous y rendons on en entend parler, on juge inutile de se dépla-
.demain avec des amis. Venez avec nous. cer pour aller contempler cette merveille.
Le Pas de l'Escalette.
-Je ne demanderais pas mieux, mais je pars Il en est de même de la Couvertoirade. Une
demain pour le Caylar où je descends chez un de route excellente-y mène du Caylar, chef-lieu de
mes anciens condisciples, et peut-être Navacelle canton de l'arrondissement de Lodève. Quand
n'est-il pas précisément sur mon chemin. j'y arrivai, un beau matin de septembre, et que
On s'arrangera. L'essentiel c'est que vous j'aperçus ses tours et son mur d'enceinte, je ne
voyiez Navacelle. N'oubliez pas non plus quand pus m'empêcher de dire à mes compagnons de
vous serez au Caylar de pousser jusqu'à la Couver- route « Mais c'est le Sa>z Gi.mignano du
toirade. Vous ne regretterez pas votre excursion. Larzac J'avoue que j'exagérais un peu. San
Et je ne rai pas regrettée, cette excursion. Gimi.p2anodelle belle torr·e, la perle de la Toscane,
D'abord Navacelle. Rien ne saurait rendre l'im- a l'avantage d'une situation unique. Il domine
pression que l'on éprouve quand, arrivé à la une plaine à perte de vue, s'élève sur une colline
ferme de la Baume-Auriol, de la plateforme qui et ses tours se détachent, d'une façon altière,
forme balcon, on découvre, pour ainsi dire sous sur le ciel bleu italien. La Couvertoirade ne se
ses pieds, le cirque de Navacelle. Au fond, à voit pas de loin. Elle est comme accroupie, à
quatre cents mètres, c'est une piste de gazon ou l'affùt, dissimulée dans le moutonnement ou
plutôt de prairies, de la plus belle couleur éme- plutôt les replis de courtes montagnes. C'est une
raude, qu'entourentde hautes murailles inclinées, sentinelle de pierre; une espèce d'abbaye forti-
amphithéâtre de cendre grise, sans une plante, fiée. Un guide que je me suis procuré dans l'uni-
sans un arbuste qui anime l'aimable désolation que auberge du pays nous raconte ceci
de ce décor. « Les Templiers, en 1158, quand Reymond
Au milieu de la piste s'élèYe un tertre, une Bérenger, comte de Barcelone et roi d'Aragon,
donna à cet ordre puissant, sur le plateau du Voici quelques détails sur ces malfaisantes
Lorzac, les hameaux de Sainte Eulalie et de la petites bêtes et sur les moyens de les combattre.
Commanderie avec les imménses. terrains qui Les principaux vers qui attaquent les livres et
s'étendaient alentour. rongent le papier appartiennent au genre Ano-
« D'abord la
Commanderie dépendit de la Ca- bium, qui comprend trois espèces Anobium
valerie, avec Elie de Montbrun comme premier pertinax, Anobium eruditus et Anobiumpaniceum,.
commandeur. La Couvertoirade, à cette époque, et au genre ~cophora, dont l'espèce ~co~hora
ne se composait que du château et de la chapelle. pseudo-spretella doit être placée au premier rang
Sa première destination fut de donner le couvert des ravageurs de bibliothèques. Vulgairement,
(abri) aux chevaliers vieux et malades malgré on les appelle, les uns et les autres vers de
son exiguité, le château et ses dépendances bois, vrillettes, pulsateurs, etc.
prouvaient une merveilleuse entente de l'art mi- A l'état dé larves, les anobiums ressemblent
taire,de l'époque. » aux vers que l'on trouve dans les noisettes, et
Nous savons que la Couvertoiradefut un point leurs différentes espèces se confondent. Ces
stratégique important durant la guerre de Cent larves, nées ou introduites dans les livres, s'y
ans. C'est de cette époque que date le mur nourrissent et s'y développent aux dépens des
d'enceinte. Les Calvinistes en 1562 y donnèrent éléments de ces livres, y accomplissent leurs
de rudes assauts. En 1768, l'ordre de Malte y métamorphoses, et s'y creusent des couloirs de
établit une commanderie, à côté de celle de sortie. Les anobiums peuvent facilement tra-
Sainte-Eulalie. Cette commanderie appartint au verser plusieurs volumes rangés d'affilée, et
baron de Mirabeau, oncle du célèbre orateur. l'éminent bibliographe Gabriel Peignot a trouvé
C'est le dernier souvenir historique de la Couver- jusqu'à vingt-sept volumes percés en ligne droite
toirade. par un même ver. L'épaisseur des couvertures
Aujourd'hui pour entrer dans le village on n'est nullement un obstacle à ces dégâts, au con-
passe sous une porte ogivale pratiquée dans l'une traire on a remarqué que les livres brochés sont
des tours. Le village est pauvre, presque aban- moins fréquemment atteints que les livres re-
donné. Il compte deux cents habitants à peine. liés. Pour une autre raison, les livres anciens
J'aurais voulu obtenir des renseignements auprès sont bien plus fréquentés par ces insectes que
du curé, mais ce vénérable ecclésiastique était les livres modernes c'est que le papier de
absent. ceux-ci, notre papier de bois, av ec sa charge de
Je n'en demeurai pas moins satisfait de ma plâtre ou de kaolin, est tellement mauvais que
visite à la Couvertoirade. Le peu que j'avais les'vers eux-mêmes ,n'en veulent pas. C'est d'ail-
« découvert » durant mon expédition sur le leurs, outre sa modicité de prix, le seul avan-
Larzac avait fait naître en moi le vif désir d'ex- tage qu'il possède sur le papier d'autrefois.
plorerplus complètement cette région inconnue. La colle' de farine parait être ce qui attire le
Le retour à Lodève a été digne de mon séjour plus les vers voilà pourquoi les relieurs. ne
sur le plateau. J'ai vu de près ce fameux pas de doivent pas manquer d'ajouter à leur colle de
l'Escaletté, taillé dans des rochers qui hérissent l'alun ou tout autre corps qui la rende impu-
l'horizon d'un décor fantastique mais la sur- trescible. Les anciens plats de bois des couver-
prise du voyage a été encore celle que je ressen- tures, auxquels on a si judicieusement renoncé,
tis en constatant que tous les Lodévois ou à peu offraient aussi à ces insectes un appât très re-
près ignoraient et Navacelle et la Couvertoirade. cherché.
Je pensai aux lazzaroni qui passent leur vie, sans La larve de 1'tEcophora diffère de celle de,
jamais les connaître, à côté de merveilles. l'Anobium en ce qu'elle possède des pattes.
JOSE PI! GALTIER. « C'est, dit William Blades, dans son étude sur
les Livres et leurs ennemis, une chenille avec six
jambes sur le thorax et huit protubérances en
1NSECTES 818ZIOPl~t'~GES forme de suçoirs sur le corps. Elle ressemble au
ver à soie. Après avoir passé à l'état de chrysa-
lide, elle se transforme e~ petit papillon brun.
Le Congrès international des bibliothécaires, qui Sa longueur est d'environ 12 millimètres et la
s'est tenu à Paris au mois d'août 1900, a, grâce tête, corneuse, possède de fortes mâchoires.
à de généreux donateurs et principalement à Le lecteur qui n'a pas eu l'occasion de visiter de
M"8 Marie Pellechet, bibliothécaire honoraire à vieilles bibliothèques, remarque encore William
la Bibliothèque nationale (la seule femme qui Blades, ne peut se figurer la dévastation que ces-
jusqu'ici ait obtenu ce titre) (1), institué trois insectes nuisible's sont capables de faire. »
prix pour récompenserles meilleurs mémoires Certaines espèces de blattes, la Blatia germa-
relatifs à la destruction des insectes qui dété- nica ou Croton Bug et la Blatta americana, eau.-
riorent les livreat l~s insectes bibliophages. sent de grands ravages dans les bibliothèques
d'Amérique. Ces insectes, vulgairementdésignés-
(i) M"° Pellechet est décédée le H décembre dernier. sous les noms de cancrelats, ravets ou bêtes noi--
res, ont à peu près la longueur d'un hanneton; mêler à la colle d'amidon des relieurs de la fa-
ils sont doués d'une extrême agilité, recherchent rine de marrons d'Inde. En raison de son amer-
les ténèbres, et exhalent une odeur fétide, qu'ils tume, cette farine, paraît-il, protégerait encore
communiquent à tout ce qu'ils touchent. Un mieux les livres contre les attaques des vers
missionnaire du XVIIe siècle, le .père dominicain que la térébenthine et le camphre. Du Rieu a
Dutertre, nous a jadis conté leurs rapides et récemment conseillé d'employer la benzine
étonnants dégâts (1). comme préservaUf: il suffirait, d'après lui, de
Mentionnons encore un petit insecte à écailles la répandre goutte à goutte avec une éponge sur
argentées appelé Lepisma « mais ses ravages les rayons, les vieilles reliures en bois ou les
ne sont pas de grande importance », assure volumes attaqués, pour détruire les insectes,
William Blades. D'autres auteurs cependant, sinon toujours à la première application, du
comme le Dr Henri Beauregard, dans son ou- moins dans tous les cas à la seconde. »
vrage les Animaux nuisibles, affirment que le Un désinfectant plus énergique et tout à fait
lepisma « fait de réels dommages (2). radical, assure-t-on, est recommandé depuis
quelques années, c'est « l'aldéhyde formique
Quel est le meilleur système à employer pour (formol, formaline, formaldéhyde), corps dont
se débarrasser de toute cette vermine? « C'est le pouvoir antiseptique avait été reconnu en 1888
là, répond le bibliographe allemand, Graesel, par V. Loew, et dont la fabrication commerciale
une question difficile à résoudre et qui a même en solutions concentrées fut enseignée à l'in-
été, à différentes reprises, l'objet de concours; dustrie par les travaux de M. Trillat (1).
mais la plupart des mesures qui ont été propo- Voici comment, d'après le chimiste P. Miquel,
sées jusqu'ici sont ou trop compliquées ou in- il convient de procéder. On dissout environ une
suffisantes. » partie de chlorure de calcium dans deux parties
Pour combattre l'anobium, qui affectionne la de solution commerciale d'aldéhyde formique,
colle d'amidon et dépose volontiers ses oeut's et on humecte de ce mélange des bandes de
dans le bois de hêtre, des spécialistes conseillent toile qu'on étend dans le local à désinfecter,
de placer, « en été, dans certains endroits de la après avoir eu soin d'en fermer toutes les ou-
bibliothèque, des morceaux de hêtre recouverts vertures. Au bout de vingt-quatre heures, tous
d'une légère couche de colle d'amidÓn, sur les- les germes ou microbes oontenus dans ce local
quels les insectes viennent aussitôt pondre leurs sont anéantis, et il ne reste plus qu'à l'aérer
oeufs. La sortie des vers n'ayant lieu qu'en hi- pour chasser les relents pénétrants du formol.
ver, on diffère jusqu'à cette saison l'examen des M. "Alkan aîné, auteur de les Livres et leurs
pièges. Si, après les avoir visités,.entre janvier ennemis, conseille, lorsqu'on aperçoit sur une
et mars, on reconnaît que certains d'entre eux reliure quelques trous de vers, de plonger une
sont vermoulus ou couverts de petites excrois- aiguille ou un poinçon mince dans chacun de
sances dénotant la présence des vers, on les ces trous, afin de détruire le ver, si, par hasard,
brûle et l'on arrive ainsi à se débarrasser à peu il s'y trouve encore; puis, de boucher « avec du
près complètement de l'anobium (3) ». camphre en poudre ou du poivre mêlé à un peu
D'une façon plus générale, c'est-à-dire sans se de cire ramollie ».
borner à l'anobium ou vrillette, et en cherchant Il est juste d'ajouter que, grâce aux précau-
à détruire aussi l'œcophora et les autres insectes tions prises à peu près partout actuellement,
bibliophages, « la méthode la plus simple et en dans les bibliothèques publiques, pour la sau-
même temps la plus pratique, croyons-nous, dit vegarde des anciens livres, aujourd'hui mieux
encore le Dr Graesel, est celle qui consiste à connus et plus appréciés grâce à la lumière
imprégner de térébenthine, de camphre ou de naturelle qu'on 'ne leur ménage plus, aux fré-
toute autre substance insecticide des morceaux quents aérages et nettoyages dont ces précieux
de drap que l'on place ensuite derrière les ran- volumes sont particulièrement l'objet, le. fléau
gées de livres. Pour les volumes précieux, et dont nous nous occupons a beaucoup perdu de
particulièrement pour les reliures en bois, dont son intensité. La propreté, la lumière naturelle
toute bibliothèque un peu importante possède et l'air sont, en effet, les trois grands ennemis
une certaine quantité et qui sont en général très des insectes.
estimées en raison de leur ancienneté, le mieux Goutte bien tracassée
est d'employer l'huile de cèdre (le cedrium) dont Est, dit-on, à demi pansée
les propriétés conservatrilJes étaient déjà con- de même, les livres fréquemment battus, jour-
nues des anciens. Naumann a ainsi proposé, et nellement remués et maniés, sont à l'ahri de
infatigables
ce sur le conseil d'un chimiste distingué, de ces myriades d'imperceptibles et
rongeurs. Selon le joli mot de Charles Nodier,
(:1) Voir le Magasin Pittoresque, 1878, p. 146 et suiv. laborieux n'est
Les Ennemis des Livres. (Série d'articles non signés.) « la bibliothèque des savants
(2) Le lepisma rst très dangereux pour les livres, m'as- jamais attaquée des vers. » ALBERT CIM.
sure-t-on, et d'autant plus dangereux, qu'il résiste, parait-
il, aux plus énergiques insecticides. (1) R. YVE-PLESSIS, Petit Essai de bibliothérapeutique,
(3'l GRAESEL, Dlanuel de bibliothéconomie, p. 320. p. 11.
DANS LA FOR1tT EN OR
NOUVELLE
Grand, blond, mince, d'une sveltesse sportive, A des carrefours, des allées le tentent avec leur
malgré la cinquantaine proche, le comte Pierre perspective ombreuse, avec leur tapis ouaté de
de Noghès, dédaigneux du snobisme accoutumé, feuilles, « où les pas ne fontaucun bruit », comme
ayant arrangé son existence selon ses goûts et dans la romance il obéit à la séduction, il lui
non selon la mode, ne se montrait ni à Trouvilfe semble alors être chez la Belle au bois dormant,
pendant la grande semaine, ni sur la Riviera à et par delà les grandes fougères brftlées, par delà
l'époque du Carnaval; fréquentant peu le monde les chênes, par delà les hêtres, plus loin que ces
qui l'ennuyait, fuyant le Cercle où il s'était laissé montées d'orgup-s des troncs d'arbres, que ces
inscrire, s'en tenant avec.sa famille à la stricte voûtes de verdure, son regard cherche le vieux
correction des éphémérides, il menait une vie château d'idéal où, depuis cent ans, la vie est
délicieusement solitaire de touriste indépendant, immobilisée, arrêtée, la vie et ses soucis, et ses
esclave de ses seuls caprices, n'obéissant qu'à sa tristesses et « son monotone ennui ».
fantaisie. Il ne séjournait que quelques semaines Rien ne trouble la'quiétude, qu'un craquement
à Paris et voyageait le reste de l'année, allant de branchette au passage, un envol de petites ailes,
de-ci, de-là, en flâneur fortuné à l'abri de la ques- la chute brusque d'un gland, et cela qui ne rompt
tion d'argent, en célibataire n'abandonnantrien pas le charme suffit à prouver que la forêt muette
ni personne derrière lui. De qui aurait voulu a son existence propre; on se sent au milieu
le suivre il détournait les pistes; on le supposait d'une vitalité qui se continue, on est simple unité
en Orient et il était tout simplement niché aux dans le grand mystère des sèves et des forces.
bois de Cernay; il partait pour Biskra et s'arrêtait Les sentes se croisent, bifurquent, s'aèrent de
à Fontainebleau; toujours à bicyclette, il s'éva- coupes engrillagées, s'élargissent à des ronds-
dait, ne disant pas où. points décorés d'une bonne Vierge dans sa niche
L'automye dernier, au moment même où Paris d'ex-voto, s'enfoncent en des courbes ravinées
reprenait son animation rormale, le comte Pierre par les orages, épousent les courbes de vallonne-
disparut soudainement, et la concierge clôtura ments pittoresques,et elles vous emmènent ainsi
les volets du petit rez-de-chaussée de la rue Ma- loin, très loin, dans l'ombre calme où ne mu-
tignon, un logement très coquet qu'il appelait, gissent pas les teuf-teuf.
comme feu Barbey, son tourne-bride de sous- Après des détours, après un chemin des é~o-
lieutenant il l'avait été jadis, et en gardait dans liers, dont il sait un peu le'tracé sur sa carte, il
l'allure une élégance, une crânerie qui étaient arrive au bord de l'eau, près des Plâtreries, où
remarquées. Un gentilhomme, ancien officier de résida autrefois Alphonse de Neuville, il aperçoit
cavalerie, tel apparaissait cet être de race. le pont de Valvins près duquel villégiaturait Sté-
Descendu à la gare de Bois-le-Roi, ayant pris phane Mallarmé dont il se rappelle le joli vers,
sa machine aux bagages, il s'en va,.au hasard un tout d'actualité d'ailleurs
peu, à travers la forêt. Un automne jonché de taches de rousseur.
Dans le ciel mouvementé, tumultueux, il y a
un échevèlement de nuées lourdes, menaces de et, le crépuscule aidant, décide de s'arrêter là.
pluie, zébrant les lointains de l'horizon qui, tout C'est, au bord de la rivière, un restaurant à
à coup, apparaissent éclaboussés d'un pâle soleil; tonnelles et à fritures la terrasse domine le
c'est une journée grise de la fin d'octobre, un miroir d'eau, les saulaies de la rive, les stations
temps triste de nature agonisante, que ne fleuri- des barques en face, un arbre s'érige, comme
ront plus les heures printanières, que n'incen- ceux de la forêt, tout en or, qui friselise, qui
dieront plus les brasiers estivaIS, et sur laquelle scintille, qui s'essaime, qui ensoleille la vue, et
bientôt l'hiver étèndra son linceul; il y a un dont le reflet est troublé un instant par l'hélice
ciharme suMii à vouloir en jouir d'un yacht de plaisance. Sur le pont, passent des
encore avant les
mornes décembres, à profiter d'un dernier sou- religieuses, l'aumonière de quête à la main, des
rire qui va s'évanouissant. pêcheurs le fileten sautoir, des cyclistes courbés,
des chauffeurs casquettés; et, tandis que cette
Une rose d'automne est plus qu'une autre exquise
humanité s'agite, va, court, vire,, « le chemin qui
Ce qu'a dit Agrippa d'Aubigné de la reine des marche de Pascal étend là tout près la tranquil-
fleurs, le comte Pierre se le répète de la forêt, lité berceuse de sa moire, égaye tout le paysage
de la forêt qui, par endroits, semble toute en or.. de saclarté; les yoles dorment, voiles en rouleau,
La route.en un ruban blanchâtre se desvne entre avirons ramenés, les embarcadères sont vides,
les gazons roux des berges et, de chaque côté, et sur la rive s'aperçoit un garage de bicyclettes
s'étend à l'infini I'als6ve délicieuse des futaies; il avec l'épigraphe hugolienne Ceci tuera cela.
roule dans du silence, de la solitude, de la beauté. Et de la rivière émane une impression de lu-
mière, de sérénité, de joie douce où se fond la une année personne ne l'a vue, elle était toute à
mélancolie antomnale. sa douleur; depuis deux mois environ elle com-
L'endroit est exquis, la clientèle d'été s'est mence à sortir, vient souvent de ce côté, le che-
envolée vers les joies urbaines, le comte Pierre min est si jQli, et puis nous sommes ses fournis-
sera bien tranquille en cette auberge modeste, seurs. Son nom entier est Jane de Gardes, elle
dont l'entrée, toute feuillue de vigne-vierge, est n'a pas d'enfants; c'est pénible de la voir si
attirante. Il a, attachée dans le cadre de sa bicy- triste, si seule, et une tant brave dame, tout le
clette, une boîte de peintre, ce qui le dispense monde l'aime. »
de donner des détails là où il s'installe. Le comte Pierre de Noghès sentait déjà qu'il
Le lendemain, comme il ach~vait de déjeuner ferait comme tout le monde
sur la terrasse qui domine la Seine, son atten- Dès lors sa vie eut un but, approcher la jeune
tion fut attirée par un bruit de pas; il se pencha, femme, se présenter à elle et d'être, en cette
et aperçut, venant par le chemin de halage, une saison d'automne, à l'automne aussi de sa vie,
amazone, seule, gracieusehéroïne de John Levis le désespérait; à côté d'elle, il était presque un
Brown; elle s'approcha sous son regard, s'ar- vieillard, et sa tenue de cycliste lui devenait
rêta devant la maison même, et, tandis que l'hô- ridicule.
telier, accouru, prenait, d'un geste d'habitude, la
bride du cheval, elle sauta légère de la selle, Des semaines et des semaines se sont;écoulées,
ramassa la traîne de sa robe, monta les marches la forêt a été ensevelie sous la neige, puis le
du perron, choisit une table à l'écart. printemps a réveillé la morte, l'été l'a fait s'épa-
Les gens s'empressèrent, c'était une cliente nouir, et voilà qu'à nouveau la bise souffle dans
qu'on connaissait, et, Pierre de Noghès pensait les grands arbres, que la ronde des feuilles est
qu'il serait renseigné quand il interrogerait, sa orchestrée par les autans, et le comte Pierre de
curiosité de suite en éveil depuis qu'à la dé- Noghès, auprès du premier feu de cette fin d'oc-
robée il considérait la jeune femme: tobre, les pieds sur ses chenêts, se rappelle.
Des cheveux ensoleillés sur un teint pâle, des Il revoit et il revit cette courte idylle où le cou-
yeux rêveurs aux cernures d'ombre, un sourire rage lui a manqué à la fin, il évoque de sa cham-
triste en l'écrin des lèvres, le buste moulé dans bre déserte, rue Matignon, l'auberge du pont de
une étoffe de deuil, les mains nerveuses avec Valvins, la première vision de l'amazone, leurs
l'éclat doré d'une alliance, une voix douce et rencontres cherchées, sa visite à la Gardière,
posée, l'apparition était séductrice, et comme l'intimité discrète qui peu à peu naissait, des
anoblie par une douleur récente un tuyauté de aveux sur le bord des lèvres, et un jour, sa fuite,
crêpe sommait le corsage. à lui, sa fuite cruelle sans doute mais nécessaire,
Des heures passèrènt; le comte Pierre s'attar- la pudeur lui venant de son âge, l'impossibilité
dait à rêver. de proposer une union se dressant devant l'illu-
Lor sque l'amazone repartit, qu'il vit peu à peu sion charmante, le départ alors, apeuré, sanglo-
sa fine silhouette s'effacer au lointain de la route, tant, honnête.
disparaître dans la forêt, il se sentit tout à coup Les étincelles du foyer s'animent, prennent
oppressé par une tristesse, il murmura un never forme comme des fées, et toutes semblent ma-
n~ore embué de larmes, demeura la pensée fixée térialiser sa pensée, lui montrent Mme Jane; il a
là-bas, par où elle s'en était allée et, faisant un des regrets, et des remords peut-être.
retour sur lui-même, se découvrit une émotion La concierge entre, lui remet le courrier-,
inédite, une hantise soudaine; il reniait déjà son parmi les journaux, les brochures, les lettres,
existence égoïste, la jugeait inutile et vide, se une enveloppe tremble dans ses doigts; il croit
rendait compte qu'il s'était sevré de joies, de reconnaître l'écriture, le cachet de la poste con-
bonheur, que l'homme n'est pas fait pour vivre firme son espoir, il ouvre fébrilement, et lit
seul. Château de la Gardière,
Quelle est cette dame qui est venue ce
par Thomery (S.-et-M.)
matin?
S'efforçant de mettre de l'indifférence dans sa
En toute situation, les femmes ont plus de caus~
de douleur que n'en a l'homme, et souffrent plus que
question, il tremblait d'anxiété à la réponse du lui. L'homme a sa force et l'exercice de sa puissance
patron qui lui servait à dîner. il agit, il va, il s'occupe,.il pense, il embrasse l'avenir
Si Monsieur arrive de Paris, Monsieur la et y trouve des consolations. Mais la femme demeure,
connaît peut-êt'1, a dû en entendre parler, à elle reste face à face avec le chagrin dont rien ne la
cause dé la mort de son mari, cet caccident hor- distrait, elle descend jusqu'au fond de l'abîme' qu'il a
rible pendant une chasse à courre au sanglier ouvert, le mesure, et souvent le comble de ses vœux
la monture, blessée au passage par une laie pour- et de ses larmes. » ~BALZAG (ÉUGÉNIE GRANDET).
suivie, faisant un brusque écart, le cavalier tué
v~uve de Gardes s'appelle aujourd'hui
net contre le tronc d'un arbre; Mme Jane, comme Mme
on l'appelle dans le pays, s'est enfermée en son Mme la comtesse Jane de Noghès.
GUILLEMOT.
château, la Gardière, près de Thomery, pendant MAURICE
La Quinzaine production, très pauvres, très rudimentaires,ceux là,
qui sont tout simplement les chambrettes d'ouvriers,
la salle à manger-cuisine-dortoird'une famille com-
LETTRES ET ARTS plète où, l'époque favorable approchant, autour d'une
lampe, après dîner, chacun, père, mère et enfants,
C'est une idée très ingénieuse et en même temps travaille au bibelot qui sera vendu aux promeneurs
artistique, qu'a eue M. le Préfet de police d'organiser désœuvrés et riches.
ce concours de jouets de Paris pour lequel la presse Ainsi, à Belleville, au Marais ou à Ménilmontant,
entière, avec raison, est pleine d'éloges. Une idée dans les agglomérations ouvrières enfin, les jouets de
artistique? Eh oui. L'art intervient parfaitement ici. l'année sont fabriqués avec une habileté et une science
Remarquez tout d'abord combien, dans ces bibelots de l'utilisation des moindres ressources que l'on au-
éphémères en carton, en zinc, en bois peint, qu'ils rait peine à imaginer et qui sont vraies. Le chef de
nous offrent, de préférence à certaines époques de famille ou un voisin dont le métier se rapproche un
l'année, les fabricants et les camelots qui sont leurs peu de la bimbelotterie (peinture, gravure, menui-
auxiliaires indispensables quand ils ne sont pas aussi serie, etc.), a trouvé un objet nouveau. Ce sera une
leurs collaborateurs, remarquez combien ils dépen- danseuse de corde, un cochon à musique, un sergent
sent de goût, combien ils s'efforcent de les faire de ville à bâtons blancs (l'actualité est serrée de très
plaisants à l'œil, vivants, en quelque sorte, pittores- près, en général). Toutle monde s'emploie à réaliser
ques de silhouettes-et d'attitudes toujours justement ce beau dessein on achète du bois, du carton, du
observées et rendues. Les petits balayeurs, les petits calicot, de la couleur et on se répartit la besogne la
violonistes des rues, les clowns et ces animaux divers mère coudra, les filles manieront le pot à colle, les
qui nous divertissent, grands enfants que uous som- garçons cisailleront ou tailleront le sapin le père
mes, autant que nos petits, sont presque toujours s'est chargé du montage et de l'adaptation du truc
très naturels, avec la pointe de fantaisie qui convient qui est sa propriété; sa chose, et qui consiste le plus
et révèlent, chez leurs inventeurs, ces précieuses fa- souvent en une roue dentée ou un caoutchouc tendu.
cultés de perspicacité el de finesse de remarque qui C'est l'affaire de quelques soirées dé, tâtonnements.
sont, dans le peuple parisien surtout, dons de race. Bientôt, le bibelot a pris figure définitive et il est
Appliquées à des objets d'un ordre supérieur, elles. exécuté en autant de sujets que les fonds familiaux
produisent, avec l'étude en plus, des chefs-d'œuvre. ont permis d'acheter de matériaux. Il ne reste plus
En second lieu, l'art iutervient encore, dans cette qu'à le vendre, ce dont on se charge également entre
modeste affaire, à titre éducateur. Si les dons que soi'ou avec l'aide de camarades qui ont l'habitude du
nous indiquons existent « en germe », peut-on dire, boniment en plein air. La vente n'est pas bien con-
c'est une raison pour e'on veuille non seulement les sidérable, au demeurant. Néanmoins, comme les
conserver, mais les développer. Le camelot, le petit frais ont été minimès. elle aide très utilement les
fabricant lui-même, a déjà d'heureuses trouvailles; ménages à se tirer d'embarras, pendant ces fêtes où,
stimulé, se piquant d'émulation, un peu guidé par précisément, l'or roule, sans arrêt, dans les maisons
les résultats d'un premier concours, il fera mieux des riches qui ne connaissent pas ces luttes ingé-
encore sans doute et son ingéniosité s'affinera. nieuses contre la misère. Un préfet de police qui a
M. le Préfet de police a certainement songé à cela, la perception de ces situations si intéressantes, n'est-
en'prenant son arrêté et il a montré ainsi que les il pas tout à fait « dans son rôle », très philanthro-
graves préoccupations d'une lourde charge qu'il rem- piqùement compris?
plit avec autant d'activité que de tact, ne le laissent Quant à la concurrence, le-bibelot parisien a besoin
pas étranger à ce qu'on appelle l'éducation artistique d'être aussi protégé et encouragé parce que l'étranger
du peuple, éducation qui peut aussi bien se parfaire lui a fait, ces années dernières, le'plus grand tort.
de ce côté-là que sous d'autres rapports.. Les Allemands surtout, qui excellent à des imitations
Car pourquoi en~re, si l'on s'inquiète de l'acheteur lourdes et qui sont fort elltreprena!)ts, ont vu le parti
lui-même, ne désirerait-on pas, à bon droit, qu'un qu'il pouvaient tirer de notre curiosité, de notre ba-
choix plus large et plus a intelligent» de babioles dauderiEfamuséesfacilement. Ils ont copié nos jouets,
de nouvel an, s'offrit à lui? M. Lépine a le 6ulte de puis ils' ont fabriqué eux-mêmes des modèles nou-
Paris qu'il aime jusque dans les moindres dét'ails, veaux ceux-ci sont, généralement, inférieurs aux
qu'il aime en artiste comme il s'occupe' en fonction- nôtres ,au point de vue de la délicatesse d'exécution
naire zélé de sa sécurité il doit être loué de ne né- et de.1'esprit d'actualité, mais ils s'offrent générale-
gliger aucun moyen de nous le rendre plus agréable ment à bon marché et on en a écoulé des quantités
à tous. énormes.
Au surplus, en soi, ce concours puise sa raison Les fabricants français ont tenté de réagir; ils ont
d'être dans des conditions économiques très urgentes, appelé la presse à leur aide; ils ont supplié le public
très dignes d'intérêt; il faut encourager le jouet pari- de donner la préférence à leur marque, placée bien
sien pour lui-meme et à cause de la concurrence qui en évidence; malgré ces efforts, le jouetallemand est
lui est faite. toujours menaçant, envahissant. Il diminue les béné-
Pour lui-même ce jouet est le gagne-pain de fices et de nos grands industriels et de nos ar·tistes
quantité de braves gens. On sait comment il s'exé- en
chambre, nos artistes improvisés, en même temps
cute. Il y en a de nombreuses et importantes fabri- qu'il abâtardit, qu'il abaiSSE! le Genre, car c'est un
ques qui lerépandentsur les boulevards, par milliers Genre. Si nous ne sommes pas secondés dans cette
d'exemplaires et qui mettent en œuvre toutes les.res- défense de nos intérêts; ceux-ci péricliteront peut-être
sources' de la mécanique moderne la plus précbe et de plus en plus. Un concours public, témoignage
la plus expéditive. Mais, auprès' de ces « usines D, il officiel d'une bienveillance avisée, qui revêt toutes les
existe réellement une infinité d'autres centres de formes, sera certainement un précieux appui.' Les
bibelots primés, tous ceux qui seront exposés, étu- devenue une simple dépendance des États-Unis. C'est
diés, fourniront autant de sujets d'idées nouvelles, de là, comme on sait, que se trouve le célèbre Momo-
procédés que leurs inventeursn'avaient pu mettre en tombo, ancien volcan éteint, chanté par Victor Hugo
lumière jusqu'ici. Ce sera un relèvement, nous
J'ai regardé de près le dieu de l'étranger,
sommes tentés de dire un Renouveau. Ne rions pas. Et j'ai dit Ce n'est pas la peine de changer.
Certes, la matière n'est pas grave elle évoque des
souvenirs de joies très rapides, de petites joies, qui Notre grand poète fait allusion aux conquérants et
durent une semaine, mais elle tient essentiellement aux nouveaux dominateurs du pays dont les atrocités
à ce qu'il y a de meilleur en nous, peut-être le et la mauvaise gestion ont été, jusqu'à présent, les
raffermissement,l'encouragement du goût et de l'ini- seules causes de l'état de stagnation où ces contrées
tiative privée. Enfin elle nous permet de louanger se trouvent. C'est ce que leur reprochent aussi les
sans réserve, un fonctionnaire, un chef de grande Yankees « La race latine -'disent-ils a conquis
administration publique qui se montre novateur sans le pays, un véritable Eden, cent ans avant notre-
redouter leS moqueries, sans dédaignerdes choses en arrivée. Or, la civilisation, c'est nous qui l'avons
apparence futiles. Voilà un double résultat qui valait apportée, tandis que. leurs chefs sont rapaces, avi-
bien cent chroniques et celle-ci. des, sans scrupules, cherchant l'aventure pour l'or,
PAUL BLUYSEN. le luxe raffiné, sans produire. Ce sont les grands du
pays, le travail leur répugne, ils demandent tout aux
iw indigènes ou aux étrangers. » Hélas! beaucoup de
ces reproches sont justifiés. Sauf la RépubliqueArgen-
Géographie tine, prospère grâce à l'infusion des éléments étran-
gers, français et allemands, la plupart des pays sud-
américains comme ceux de l'isthme ne font presque-
Dans l'Apiérique du Sud. Colombie et rien en vue d'étudier leur domaine propre. Un bureau.
Venezuela leur conflit. international des républiquesespagnoles a été fondé,
Leurs conflits, devrait-on dire. Car depuis que la il y a quelques années à Washington. C'est dans
partie sud du continent américaina été morcelée entre les publications du Bureau of American Republics que
les diverses républiques, l'état de guerre et de con- les chercheurs et les érudits trouvent quelques indica-
flits est permanent dans ces pays. Cette situation est tions précises sur l'état actuel, le mouvement écono-
d'autant plus déplorable que nous, nous voyons ici mique et commercial des diverses régions.
deuxraces en présence, l'une, la race anglo-saxonne La confusion est telle qu'on y compte plus de cent
qui travaille, produit et prospère; l'autre, la race langues et près de deux mille dialectes; six millions
d'origine latine (la population dominante, tout au d'Indiens se trouvent ainsi avoir autant d'idiomés que
moins) qui s'épuise en sottes et vaines querelles. Ne les huit cent millions d'habitants d'Europe et d'Asie
serait-ce pas le devoir de tout esprit cultivé, de la réunies L'assimilation n'est faite nulle part. En
presse scientifique et périodique surtout, de signa- Bolivie, à en croire des témoins oculaires, les révo-
ler ce danger aux' divers peuples, très intéressants lutions ont lieu à peu près toutes les trois semaines.
assurément,qui occupent le continent sud-américain? « Il n'y a pas d'espoir disent-ils que les Anglais,
Dans l'Amérique du Sud, tout est sujet à conflit « les Allemands, les Français qui arrivent
parfois
incursion de quelques révolutionnaires (il y en a « nombreux, s'identifient jamais avec la population
partout), déviation d'un oruisseau, déplacement d'une « dominante. » Au Pérou, un voyageur visite le che-
borne de frontières. Examinez sur une carte ce mer- min de fer en construction. On lui recommande de
veilleux contour se prolongeant des bouches de l'A- ne pas s'avancer trop loin de la capitale, la campagne
mazone, sur l'Atlantique, au littoral péruvien, sur le environnante étant gardée. par les forces révolu-
Pacifique. Ajoutez-y la langue de terre' qui réunit les tionnaires elles ne sont qu'à cent-vingt kilomètres.
deux moitiés du Nouveau-Monde et dont une grande « Mais elles peuvent facilement prendre la ville,
je
partie forme la Colombie. Combien de ports, combien ne vois aucuns préparatifs pour la défense? C'est
de cités florissantes s'échelonneraient sur ce par- peu probable, lui répond-t-on; les chefs révolution-
cours si les habitants, au lieu de s'entretuer pour naires ne sont pas d'accord non plus entre eux 1 p~
quelque question d'éliquette, s'appliquaient à faire Dépourvus de toute industrie, les belligérants ont
valoir les richesses que ces contrées renferment! La recours à la voisine du Nord pour obtenir armes et,
position de la Colombie est unique au monde. C'est à munitions. Dans ce triste duel entre le Venezuela et
travers son territoire que les deux océans feront un la Colombie le premier a, parait-il, déjà engagé ses.
jour marier leurs flots. Sur le continent même la revenus de douane, les appointements de ses fonc,
Colombie possède une partie des Andes, de vérita- tionnaires et les coupons de ses dettes. La CQlombie,
bles Alpes, que des mains habiles transformeraienten qui ne posséde rien non plus, décrète des emprunts.
une source de profits. forcés. La puissante républiqueaméricaine assiste aux
Le Venezuela, entouré d'un coté par la mer, de démêlés sud-américains à la fois comme spectatrice-
l'autre coté par l'immense bassin de l'Amazone, et comme actrice. Chez elle, pas de crise. La tratis-
couvre une superficie de près de i 3000000 kilomè- mission des pouvoirs vient de s'effectuer, après l'as-
tres carrés, c'est-à-dire le double de la superficie de sassinat de son président, de la manière.laplus régu-
la France. Sa population ? Environ 3 millions. Le lière et la plus correcte. Elle s'occupe d'assurer les
pays jouit en revanche, de huit ministères Les autres gages que les gouvernements révolutionnaires et
régu"1iers du sud-Amérique lui apportent simultané-
républiques espagnoles du centre et du sud de l'Amé-
rique sont dans les mêmes conditions le Nicaragua ment en échange de sa bienveillante neutralité.
compte 500000 habitants; depuis qu'il est question Les républiques sud-aQléric'aines u aux entrailles
d'y faire passer le canal interocéanique. la région est opulentes ne possèdent naturellement aucune voie-
de communication digne de ce nom. Les chiffres offi- Aujourd'hui comme il y a deux ,an.s, les Boers con-
ciels., remontant à quelques années sont La Répu- tinuent la guerre sur tous les points à la- fois. ,Pour-
blique Argentine, fi à 7 000 .milles; le Brésil, 5 à chassés par les nombreuse~ colonnes de lord Kit-
6000 milles; les autres Etats réunis, 3 à 4000 milles; chener, mais jamais vaincus, Botha, Delarey, de Wet
soit pour tout le continent sud-américain environ et vingt autres chefs de commandos harëèlent tou~
i5000 milles ou 23000 kilomètres. Mais les États- jours, avec une énergie indomptable, les malheureux
Unis veillent. Une commission permanente travaille soldats anglais qui se consument en efforts inutiles,
actuellement à la réalisationde la Pan American Rail- occupant un immense territoire, mais n'étant maîtres
way Route, ou chemin dé fer panaméricain. Comme nulle part furieux des sanglantes défaites partielles
le titre l'indique, cette voie à travers le continent. qui leur sont journellement infligées, quoique vain-
sera uniquement américaine, c'est-à..dire yankee. Le queurs d'un ennemi qui leur échappe sans cesse et se
tracé est fait. Il part de la mer des Caribes, se diri- trouvant aujourd'hui, en réalité, dans l'impossibilité
geant droit au sud, vers la République Argentine. de terminer une guerre abominable à laquelle, depuis
C'est à peu près l'idée poursuivie par les Anglais longtemps, l'Europe aurait dû mettre un terme
cherchant à relier le Caire au Cap, à travers le con- Au début des hostilités, l'offensive stratégique prise
tjnent africain. La voie passera par Cartagena (Co- par le généralissime Joubert avait porté la guerre sur
lombiej', traversera la Cordillière orientale, Iquitos trois théâtres différents: au Natal, au sud de l'Orange
(Équateur) et aboutira à Santa Cruz (Bolivie) qui sera et enfin à l'ouest (Kimberley-Mafeking).
réunie plus tard à la République Argentine, Comme Après les innombrables combats que nous avons
on le voit, le projet est grandiose. Mais pourquoi, relatés chaque quinzaine, la guerre, loin d'être loca-
seules les nations anglo-saxonnes en auraient-elles lisée, est partout à la fois. Cela ne fait pas grand
le monopole? P. LEMOSOF. honneur à la science stratégique et tactique des géné-
raux anglais, qui semblent ignorer encore les prin-
P. S. Une nouvelle intéressante nous arrive de cipes les plus élémentaires de leur métier mais
Chine. Le lieutenant de vaisseau Hourst qui servait, quand on songe qu'en vingt-quatre mois, une armée
comme on sait, en Chine, et dont l'activité se trou- de 250000 hommes dont les vides ont été comblés au
vait forcément raleirtie par suite du licenciement fur et à mesure des besoins, n'a pas réussi à triom-
d'une grande partie du corps expéditionnaire,vient pher des Boers, on reste stupéfait, on est saisi d'ad-
d'être chargé d'une mission mi-scientifique, mi- miration devant l'héroïsme de ce vaillant petit peu-
politique, en tout cas fort délicate et d'un réel in- ple qui ne veut pas mourir, bien que son pays soit
térêt. Il s'a~it de remonter, aussi loin que possible, transformé aujourd'hui en un immense cimetière
le Yang-tzé,'se mettre en relation avec les riverains, En Angleterre, de nombreux symptômes indiquent
et leur faire connaître les couleurs françaises. Après que l'on commence à en avoir assez, de cette guerre
le Niger, le Yang-tzé. Celui qui a si bien réussi dans sans fin où s'engloutissentles milliards, et l'étoile de
l'exploration hydrographique du grand fleuve africain M. Chamberlain pâlit.
était bien qua,lifié pour entreprendre l'étude de l'im- D'autre part, lord Roberts vient de prononcer à
mense artère chinoise. Les lecteurs du Magasin Pitto- Liverpool un discours dont le passage suivant dé-
resque ont pu apprécier le style élégant et le haut coché à lord Kitchener mérite d'être cité
intérêt du récit fait dans nos colonnes. Il nous reste « Ceux qui sont chargés des opérations militaires
donc à adresser à notre vaillant cônfrère, notre dans l'Afrique du Sud, aussi bien que ceux à qui le
pollaborateur et notre ami, nos meilleurs vœux; nous pays a confié la défense de ses intérêts, vont faire
réservons au gouvernement nos félicitations de,l'ex- tous leurs efforts pour mener promptement la guerre
cellent choix qu'il a fait pour cette nouvelle campagne- à sa fin; lord Kitchener, en qui l'on a la plus grande
P. L. confiance, n'a jamais demandé un seul homme, un
seul cheval ou des approvisionnements quelconques
sans qu'immédiatement il ait donné satisfaction au
LA GUERRE pays j'espère que l'insuccès que viennent d'éprouver
les Boers montrera à l'ennemi l'inutilité de continuer
AU TRANSVAAL la lutte
Il y a eu exactement deux ans, le 9 octobre der- Enfin, les attaques de l'opposition deviennent plus
nier, que fut lancé le décret de mobilisation de l'ar- aigres de jour en jour. Bref, le peuple anglais entre-
mée anglaise. voit aujourd'hui la vérité, et déjà le War Office ne
L'ultimatum du président Kruger exigeait une ré- trouve plus les volontaires que lord Kitchener ré-
ponse de l'Angleterre, le
du soir au plus tard.
i octobre, à cinq heures clame sans cesse!
Par contre, Botha ne se laisse pas entamer à l'est
On sait que le gouvernement de la Reine répondit du Transvaal; ses coureurs parcourent même le nord
qu'il. n'avait rien à répondre et que les hostilités du Natal et enlèvent des convois non loin de Ladys-
commencèrent dès le lendemain i2, par la capture mith.
d'un train blindé qui portait des canons.à Mafeking1 A l'ouest du Transvaal, Delareÿ livre de furieux
Deux années se sont écoulées depuis les premiers combats aux sous-ordres de lord Methuen et inflige
coups de fusil tirés par les Boers. Et chaque jour, un échec sérieux au colonel Kekevitch.
depuis lors, les ruines se sont accumulées sur les Dans l'Orange, la situation reste la même. Toute la
ruines, au Transvaal et dans l'Orange, le sang a coulé partie à l'est de la ligne de Bloemfontein à Prétoria
à flots, sans que les milliards et les immenses réserves est toujours occupée par De Wet et ses commandos.
humaines de l'Angleterre aient pu triompher d'une Enfin la rébellion, dans la colonie du Cap, fait des
poignée de paysans luttant pour l'indépendance de progrès que les anglais n'osent point s'avouer à
leur pays. eux-
mêmes, et le général Frenclllui-même, le brillant
« raider D, revient bredouille comme un simple autre chose que l'histoire d'une 'pauvre fille séduite,
Methuen placée dans un cadre bourgeois et si les deux pre-
On peut donc affirmer que les Anglais sont aussi miers actes ont paru languissants le premier sur-
loin de la conquête définitive.qu au premier jour. Et tout, sorte de prologue qui n'ajoute rien à l'action,
l'on peut ajouter qu'ils sont incapables -matérielle- le troisième se relève par la scène finale, toute d'é-
ment de soutenir longtemps encore le colossal motion concentrée, qui a produit un grand effet.
effort qu'ils ont fait depuis deux ans. L'œuvre entière est d'une rare tenue littéraire. Je ne
Les milliards s'épuisent à la longue, et les hommes sais si elle plaira beaucoup au public ordinaire du
aussi Gymnase; mais elle n'en aura pas moins été un vrai
Seule, la foi des Boers en la justice de leur cause régal pour les lettrés.
est immuable, et cette foi leur donnera jusqu'au bout L'interprétation de Manou~ie est bonne, excellente
la vaillance nécessaire, cet héroïsme qui fait l'ad- même avec Arquillière et Mlle Suzanne Desprès, une
miration du monde entier, pour triompher finale- grande artiste, qui excelle dans ces rôles de demi-
ment de leurs odieux agresseurs. teinte.
HENRI MAZEREAU.
Gémier, lui aussi, pour les débuts de sa direction,
iw a eu la main heureuse. L'Écolière cinq actes de
M. Jean Jullien'- est un ce~.ivre forte, conçue avec un
IJ:1HÉAIJ:1l\E
grand sens dramatique; c'est l'histoire toujours vraie
de la jeune fille, qui s'est destinée à l'enseignement,
en but dès son arrivée au poste qui lui a été assigné,
LA V IE DRAMATIQUE aux obsessions des principaux personnages de la
'Voici que, presque à la fois, nos théâtres annoncent ville où elle est forcée d'habiter, obsessions qui ne
leurs réouverturesd'octobre parmi eux quelques-uns tardent point à faire déverser sur l'ingénue tout
plus pressés l'ont déjà devancée, n'attendant même un flot de calomnies. Une situation semblable, tour-
pas la rentrée des classes, des tribunaux. et des née au mélodrame, avait été essayéeà l'Ambigu, il
Chambres. y a quelques années, avec la ~Ylaîtresse d'école, où
C'est que la saison qui s'ouvre offre un intérêt très l'Ille Rose Syma fut si remarquable. Prise dans le
particulier, et sera pour l'avenir comme une étape sens gai, c'est laPetite fonctionnaire,de Capus. Ici c'est
de l'évolution nouvelle. Deux scènes, en effet, sous tout simplement une histoire vécue, tragique dans
les directions Gémier et Lenéka, la Renaissance et les sa simplicité la lutte acharnée d'une malheureuse
Bouffes renonçant aux flons flons d'antan, ont pris enfant, Noëmie, Lambert, ignorante des dhoses de la
l'ésolument une tournure littéraire, nous promettent vie, contre la meute avide de cinq à six hommes peu
aussi bien dans le genre sérieux que dans le genre scrupuleux, qui tournent autour d'elle; l'un d'eux,
gai toute une série d'œuvres nouvelles. De son côté, tout à fait méprisable, renouvelantavec plus d'audace
le Gymnase avec Frank a déjà depuis l'année der- la fameuse scène de Vos Intimes, la belle comédie de
liière sacrifié au genre théâtre libre. L'évolution dra- Sardou- scène qui semblait autrefois si audacieuse et
matique amorcée par Antoine se complète peu à peu qui est amplement dépassée c'est enfin le dénoue-~
en s'affinant pour ainsi dire. C'est une sorte de révo- ment brutal, la démission forcée, devant les calom-
lution pacifique aussi bien de la mise en scène que nies odieuses, sous les huées d'une foule insolente et
du dialogue, apportant avec elle, malgré le grossis- cruelle.'
sement forcé de la scène, un peu de vérité. 11 est M. Jean Jullien était bien l'auteur qu'il fallait pour
indubitable que tout ce qui n'entre pas dans cet ordre cette âpre étude. Personne r.'ignore les qualités toutes
d'idée nous semble aujourd'hui poncif et vieux jeu. personnelles de sa première pièce, le Maître, repré-'
Est-ce à dire qu'il nous en naîtra des chefs-d'œuvres? sentée il y a Mjà près de onze ans au Théâtre-Libre,
.C'est ce que l'avenir nous apprendra. cette paysannerie vécue, qui nous transportait loin
des idylles champêtres de George Sand, et nous fai-
sait voir l'homme de la campagne dans sa scrupu-
Le GYMNASE avec Manoune de Jeanne Marni a ouvert leuse vérité. D'ailleurs ces théories, qui à cette époque
,le.feu. furent des audaces, ont été dé\'eloppées par M. Jullien,
Qni ne connaît à Paris la silhouette exquise de sous forme de préface, dans un livre instructif,
.Marni, sa tournure élégante, ses beaux cheveux du- le Thédtre vivant, paru en i892, où l'auteur réunis-
vetés de blanc par une sorte de coquetterie de femme sait son bagage dramatique. Ces théories sont à relire,
encore jeune`? àprésent qu'ellesne sontplus attaquées parpersonne.
Jeanne Marni a un très grand talent elle nous l'a Pour en revenir à l'Écolière, constatons également
;prouvé dans une série de volumes, affectionnant plus qu'une partie de son succès est due tant à l'interpré-
particulièrement un dialogue clair, souvent ému, tation qu'à l'art véritable déployé dans la mise en
toujours empoignant. Cette facilité à mettre sur le scène. L'écolière, c'est Mlle Andrée Mégard, très en
papier des dialogues aussi délicieux devait la con- progrès, et faisant preuve de qualités exceptionnelles.
.duire fatalement au théâtre. Déjà elle s'était essayée Les autres rôles sont bien tenus, surtout par Gémier,
sur certaines scènes à côté, au Grand Guignol no- qui a composé avec une science consommée le per-
.tamment, avec de piquantes études de mœurs, trous- sonnage de Baudrand, un pharmaciendélégué cantonal
sées à la manière d'Henri Monnier. Aujourd'hui, cauteleux et brutal.
.c'est une œuvre plus complète, trois actes émou-
vants, où l'on retrouve, malgré une certaine inex- A l'ODÉON: Les hlaugars, pièce politico-larmoyante
périence, toutes ses qualités. de MM. André Theuriet et Georges Loiseau, histoire
Manoune n'a point d'ailleurs la prétention d'ètre des rivalités d'une petite ville discordes de Montaigus
et de Capulets modernes,. où il ne manque ni Roméo ensuite avec 285 000 kil. nous trouvons en Asie
ni Juliette scènes d'amour exquises de jeunesse 60000 kil., et enfin en Afrique 21000 kil.
qui apportent un peu de fraîcheur dans ce sujet qui Les États-Unis d'Amérique tiennent de beaucoup
n'est pas neuf. la tête par l'étendue de leurs voies ferrées, qui attei,-
L'originalité (!) consiste iL faire passer ce drame au gnent 307000 kil. Le deuxième rang appartient à
moment du Coup d'État en 1851, et à faire traiter de l'Allemagne (51000 kil.) puis viennent la Russie
« saltimbanque le Prince-Président, mais l'action d'Europe (46500 kil.), la France (430ÕO kil.), les
est bien menée et a produit un très grand effet sur le Indes anglaises et dépendances (40000 kil.), l'Autri-
public. clie-Hongrie (36500 kil.), la Grande-Bretagne et l'Ir-
L'Odéon s'est mis en frais M. Ginisty a délié lande (35 000 kiL), le Canada (28 000 kil.), l'Australie
les cordons de sa bourse. Ce ne sont que décors continentale (21000 kil.), etc.
flamboyants, mise ell scène somptueuse, modes fidè- Si l'on ajoute aux chemins de fer des divers Etats,
lement reconstituées dans leur laideur amusante. Je les voies ferrées de leurs colonies, nous trouvons le
vous recommande surtout un intérieur Louis-Philippe classement suivant États-Unis (310000 kil.), Angle-
qui est tout un poème. Janvier a créé un Simon terre et possessions (137700 kil.), Empire Russe
Maugars, en se souvenant de son succès dans le (5~000 kil.), Allemagne et colonies .(51500 kil.J,
.Chemineau. Dorival a des révoltes intéressantes. France et colonies (f8 î00 kiLt, Autriche-Hongrie
Mlle de Hally a fait un bon début Mlle Emma Bonnet (36500 kil.), etc.
est pleine d'entrain et Mlle Jane Rabuteau exquise, Au point de vue de la densité des chemins de fer,
comme d'habitude. c'est-à-dire du rapport du réseau à la surface des
divers pays, c'est la Belgique qui tient la tête avec
21 kil. de voie ferrée en moyenne pour 100 kil. car-
Tandis que le VAUDEVILLE, en l'absence de Mme Ré-
rés les autres pays viennent bien après la Grande-
j.ane, voulant justifier, comme par hasard, son nom,
vient de monter, sous le titre de la Vie en voyage, une Bretagne et l'Irlande (fi kil.), l'Allemagne (9 k. 3),
la Hollande et la Suisse (9 kil.), la France (7 k. 9).
sorte de revue, renouvelée du Voyage en Suisse, où
Les États-Unis n'ont que 3 k. 9 de chemi!)s de fer
l'on s'attend à chaque instant à voir surgir quelques
Hanlon-Lees, mais qui n'en est pas moins fort amu- pour 100 kil. carrés de surface, la Russie d'Europe
sante, la nouvelle direction de M. Lenéka aux Bouffes- que 0 k. 9 et la Norvège que 0 k., 6.
Si l'on considère maintenant le rapport des. che-
Parisiens, n'a pets été inspirée pour ses débuts avec
l'Instantané, une bouffonnerie photographique (?) de mins de fer à la population, on remarque que ce sont
les pays les moins denses qui sont les plus favorisés.
M. Hugues H.e Roux. C'est un imbroglio inénarrable,
Én effet, l'Australie occidentale a 130 k. 4 de voies
d'une invraisemblance absolue. Il est vrai que l'au-
ferrées pour 10000 habitants, l'Australie du Sud
teur, sans doute, a voulu seulement nous désopiler la
(83 k. 4), le Queensland (91 k. 1). Le Canada en pos-
raté. Le public de la répétition et de la premiére s'est sède 52 k. 9, les États-Unis, 41 k. 1. En Europe, la
révolté devant ces effets trop gros mais je ne serais
Suède a 21 k. 4 de chemins de fer pour 10000 habi-
pas étonné que le vrai public en rappelât de cette tants, la France 10 k. 9, l'Allemagne 9 k. 5, la Bel-
décision. Il y a des exemples de chutes semblables
qui se sont transformées en succès d'argent. Je sup- gique 9 k. 2, la Grande-Bretagne et l'Irlande 8 k. 6
seulement.
pose que M. Lenéka, quant à présent, n'a pas cher- Le chemin de fer le plus septentrional du globe
ché autré chose, et qu'il n'a donné l'Instantané que
se trouve en Suède et dépasse le cercle polaire c'est
pour lui permettre de monter tout doucement la la ligne de Lulea (golfe de Bothnie) aux mines de fer
comédie de Pierre Valdagne, d'un piment plus relevé
et dont on dit grand bien par avance. de Gellivara, ouverte en 1894. Le prolongement-en a
été décidé vers le Nord, sur 292 kilomètre, entre
QUENT1N-B AUCHART. Gellivara et Ofoten (Victoria), sur la côte de la Nor-
iw vège. De plus, cette ligne hyperboréenne serait reliée
VARIÉTÉS au réseau russe par une ligne qui, de Lulea, suivrait
le littoral jusqu'à Uleaborg, en Finlande, où s'arrête,
depuis 1886, la voie ferrée venant de Saint-Péters-
LES VOIES FERR~ES DU MOftDE ENTIER bourg cette dernière ligne fut, avant l'ouverture de
la ligne suédoise précitée, la voie ferrée la plus rap-
La locomotive fit sa première apparition en Angle- prochée du pôle. La ligne qui part de Vologda, en
terre, en 1825. Le Tour drc Monde nous apprend que Russie, a atteint Arkhangelsk en 1898 et constitue
la France ouvrit -sa première ligne ferrée en 1828 aussi l'une des lignes les plus septentrionales,bien
(entre Saint-Étienne et An¡lrézieux), et inaugura, en que située au Sud du cercle polaire. La ligne de
1837, celle de Paris à Saint-Germain. Perm à Kotlas, sur la Dvina, terminée en 1899, est
L'Amérique eut son premier chemin de fer en 1829, un peu plus au Sud. La ligne, actuellement en cons-
l'Asie en 1849 (aux Indes), l'Océanie en 185r (colonie truction, dans l'Alaska, entre la côte et Dawson, au
de Victoria), l'Afrique en 1856 (en Égypte). Klondyke, quoique très avancée vers le Nord, n'at-
Le monde entier, qui n'avait que 332 kilomètres teindra pas non plus la latitude des lignes d'Uleaborg
de chemins de fer en 1830, en possédait 8641 kil. et'de Gellivara.
en 1840, 39443 kil. en 1850, 106 886 kil. en 1860, Quant aux voies ferrées les plus méridionales de
221980 kil. en 1870, 367855 kil. en 1880 et 60882R kil. notre planète, ce sont celles de Tasmanie, de la
en 1890. Actuellement, le réseau universel a une Nouvelle-Zélande et de l'Amérique du Sud. La ligne
étendue estimée à 794000 kil. qui s'avance le plus vers le pôle antarctique est celle
L'Amérique possède à elle seùle plus de la moitié qui atteint Invercargill et Campbelltown, à l'extré-
de ce total, soit 400000 kil. environ. L'Europe vient mité Sud de la Nouvelle-Zélande. Elle est d'ailleurs
s
bien plus éloignée du pôle Sud que les lignes précé- lement au moins, et en ce qui concerne la navigation
dentes ne le sont du pôle arctique. La ligne la plus de l'Extrême-Orient, à ce que de pareilles dimensions
avancée ensuite est celle qui atteint le rio Chubut, à soient sensiblement dépassées, on peut s'attendre à
Trelew, dans la République Argentine. voir les types considérés aujourd'hui comme excep-
Le plus long tunnel du monde est toujours celui tionnels devenir de plus eh plus nombreux.
du Saint-Gothard, en Europe, qui mesure 15 kilo- Il est scientifiquement établi que l'accroissement
mètres; celui du Simplon aura 18 kil. i. des dimensions des navires est la condition de l'aug-
Le chemin de fer le plus élevé de l'Europe se mentat:on de leur vitesse, et toutes les entreprises de
trouve en Suisse c'est celui qui conduit de Zermatt transport tendent de plus en plus à réaliser le maxi-
au Gornergrat, inauguré le 20 août 1898; la traction mum de vitesse. Cet accroissement est également
électrique y porte le voyageur à 3018 mètres d'alti- imposé par la nécessité, pour ces entreprises, de ré=
tude. Mais, en Amérique, des altitudes beaucoup plus duire leurs dépenses d'exploitation ~t de pouvoir
hautes ont été atteintes depuis plusieurs années. Au accepter en même temps le frêt à meilleur marché.
Mexique, notamment, la voie ferrée atteint, à la La moyenne du séjour total des navires dans ,le
Cumbra de las Cruces, près Salazar, la hauteur de canal avait été de 18 h. 38 min. en 1899; la moyenne
3041 mètres. Les chemins de fer de montagnes du correspondanteen 1900 a été de 18 h. 32 min. La durée
Denver et Rio Grande, aux États-Unis, atteignent moyenne de marche effective a été de 15 h. 39 min.
3 i J 9 mètres au col de Tenn et 3453 mètres au col en f900, au lieu de 15 h. 41 min. en 1899.
de Fremont. La ligne transandine, à l'aide d'une sec- 360 navires ont transité pour la première fois.
tion à crémaillère, s'élève à la Cumbra, à 3 490 mè- Sur ce nombre, 72 appartiennent aux Compagnies de
tres. L'Anto fagasta and Bolivia atteint 3 956 mètres navigation, clientes régulières du canal. Ils repré-
à Ascatan. sentent une jauge nette totale de 2 i 6 000 tonnes,
En Bolivie, près des mines de Palacayo, le chemin dont H9000 sont fournies par le pavillon anglais et
de fer s'élève à la hauteur de 4 152 mètres. Le Sou- 103000 par le pavillon allemand, le Norddeutscher
thern Peruvian monte à 44 iO mètres à Portez del Lloyd entrant, pourplus de la moitié, dans ce dernier
Cruzera, près du lac Titicaca. Mais la ligne du monde chiffre.
qui détient le record de l'altitude est celle de Callao
à Oroya, au Pérou, qui atteint, au tunnel de la Ga-
~9
lera, la cote de 4 it74 mètres, inférieure seulement de LES LIVRES
46 mètres au mont Blanc. PAUL BARRÉ.
s
L'Agaire du Collier, par M. Frantz FUNcK-BaE:¡:"
TRANSIT ET NA~IGATION DU CANAL DE SUEZ TANO (Librairie Hachette).
EN 900 J'ai profité de la morte saison des livres -l'été, les
éditeurs nous préparent les nouveautés de l'automne
Combien de navires ont traversé le canal de Suez et de l'hiver pour lire l'A~aire du Collier de
l'année dernière? Le Tour du Monde va nous le dire M. Funck-Brentano dont on m'avait dit le plus grand
il y en a eu 3441 dont la jauge nette totale s'est éle- bien. L'éloge était mérité l'ouvrage vaut comme
vée à 9738 Hî2 tonnes ils ont traversé le canal en1900. intérêt plusieurs romans; on est pris dès la première
Le nombre des navires avait été en 1899 de 3607 ligne et l'on a hàte d'arriver à la dernière. C'est en
avec une jauge nette de 9895630 tonnes. 11-ressort courts chapitres, qui sont de lumineux résumés,
donc, en 1900 une diminution de 166 navires et de l'histoire de la fameuse affaire qui a agité et préci-
Hi74-78 tonnes. Si cette dernière différence n'a pas pité la fin de la monarchie et préparé la Révolution.
été plus élevée. C'est que le tonnage net moyen par Gœthe disait « Ce procès fit une secousse qui mina
navire est passé de 2743 tonnes en 1899 à 2830 tonnes et
les bases de l'État" le plus autorisé des historiens
de Marie-Antoinette, M. Pierre de Nolhac « A partir
en i900.
La progression constante de la jauge moyenne des de l'Affaire du Collier, la France se hâte vers la Ré-
navires constitue la caractéristique du progrès mari- volution. La loyauté a perdu son dernier prestige. »
time moderne et présente, au point de vue de l'exploi-' Dans le choc formidable des passions qu'a excitées
tation du canal, une importance considérable. Encore la Révolution,la vérité a naturellement subi de rudes
les chiffres obtenus en divisant le tonnage total par atteintes. L'esprit de parti s'est emparé de cette af-
le nombre des navires ne donnent-ils qu'une idée' faire et fa si bien embrouillée que ce n'était pas une
imparfaite des dimensions toujours croissantes des tâche facile de faire le départ du vrai et du fau~ dans
grands types desservant le trafic normal. En 1890, le le fatras de documents, de mémoires, de brochures,
canal n'avait été fréquenté que par 13 navires dont de libelles qui ont nourri la curiosité et la malignité
la largeur fût égale ou supérieure à 15 mètres. publiques. Cette tâche malaisée, c'est l'honneur de
Depuis 1895, le nombre des navires de cette dimen- M. Funck-Brentano del'avoirentrepriseetmenéeàbien.
sion a progressé de la façon suivante 42 en 1895, Son ouvrage nous présente d'abord les personnages
68 en 1896, 92 en 1897, 123 en 1898, 159 en 1899 et du drame. Et quels personnages! Le cardinal Louis
212 en t 900. Parmi les unités les plus plus puis- de Rohan, Marie-Thérèse, Marie-Antoinette, Jeanne
santes qui ont transité par le canal, nous citerons le lie Valois, Cagliostro, la baronne d'Oliva, sans compter
Grosser Kurfurst du Norddeutscher Lloyd et le Batavia les comparses invraisemblables, troupe bariolée du
de la Hamburg Amerika Linie, dont le premier, avec théâtre de la foire, d'opéra-comique et Je mélo-
un tonnage net de 9303 tonnes a 177m,21 de longueur drame. Il y a dans ces pages une vie, une couleur
sur i8m,90 de largeur, et le second, avec un tonnage extraordinaires et dans le scénario un tel luxe de
net de 8395 tonnes, a 152m,80 de longueur sur 18m,96 préparations et de ricochets stupéfiants qu'il est im-
de largeur. Si certaines difficultés s'opposent, actuel- possible de fanalyser rapidement.
A signaler l'arrivée de Marie-Antoinette à la cathé- cerai dorénavant le filigrane que lorsqu'il ne sera pas
drale de Strasbourg. C'est un panneau décoratif de grande
haute allure. L'évêque-coadjuteur du diocèse, le couronne..
Les premiers timbrés mis en cours furent le i~'Z
prin<;e Louis de Rohan Éminence de trente-six
ans,
reçoit la jeune princesse, qui va être reine de France, penny vert; le 1 penny rouge; le
3 1/2 pence également rouge; le
entouré de son clergé, de tous les dignitaires laïques 2 pence rose et le 5 pence bleu
et ecclésiastiques du chapitre. Au milieu des accla- noir. Un 2 shilling tiré en rouge
mations, des fumées d'encens, des hymnes éclatants brun fut mis en cours, mais fut
des orgues, sous le portail imposant de la cathédrale
retiré presque aussitôt de la cir-
se détachent les deux protagotiistes du drame futur culation, sa couleur se confon-
ta reine et le cardinal. dant trop facilement avec celle du 1 shilling brique.
Quel tableau saisissant Le cardinal « avait presque En 1881, on doit noter l'apparition d'un décret au-
la beauté d'une femme dans sa longue r obe de moire torisant l'emploi provisoire des timbres fiscaux de
violette, tombant à plis à la Watteau, sous la mousse 1 penny
légère du point d'Angleterre. La mitre d'or et de vent pour l'usage postal; ces provisoires, qui doi-
se classer dans les collections lorsqu'ils sont
pierreries brillait à son front, et à son doigt l'an- oblitérés poste, furent bientôt remplacés par un type
neau épiscopal ». 'spécial de 1 penny, tiré en lilas sur blanc, et qui pré-
Le décor change la route de Passy, qui n'était
sente cette particularite d'être
alors qu'un village des environs de Paris. Sur le bord à la fois postal et fiscal. Le pre-
de la route, une pauvre petite mendiante, en haillons,
pieds nus, attend un carrosse qui monte lentement la mier type de ce t penny comp-
tait H boules dans chacun des
-côte. La petite mendiante n'est autre que Jeanne de angles perlés du cadre, soit
Valois, plus tard Mme de Lamotte. Dans le carrosse se
56 perles en tout; il fut bientôt
trouvait la marquise de Boulainvilliers, femme du modifié et les angles comptent
prévôt de Paris, qni dès cette rencontre devient la
bienfaitrice de Jeanne de Valois, le monstre effroyable' Les premiers types, maintenant t6 boules, soit 64.
qui nécessitent des recherches-
qui a monté l'affaire du Collier. C'est en effet Mme de longues et ennuyeuses pour leur découverte, valent
Lamotte dont l'imagination infernale a réglé le plan sept fois plus que les autres.
et les détails de cette sinistre comédie. Marie-Antoi- En 883, il faut également signaler un 3 pence
nette et le prince de Rohan ont été ses victimes. La violet, type de 1873, surchargé d'un 3 et d'un d. tirés
reine, dans saïière indignation, a eu le tort de vouloir
en rouge et un 3 pence -violet, id., surchargé'6 d.
faire é clater, fût-ce au prix d'un scandale, sa com- également en rouge.
plète innocence. Sa vertu a été trop orgueilleuse, trop A partir du 1 penny de 1881, tous les timbres émis
hautaine, trop dédaigneuse. Elle ne se doutait pas
en Angleterre devaient porter la mention and inland
que de bases jalousies épiaient son innocence, autour revenue et servir pour les deux usages; bien entendu,
d'elle, et n'attendaient que le moment de la calom- les timbres oblitérés poste, avec des cachets à date,
nier. Elle a glissé dans cette boue, ramassée par la sont les seuls qui doivent être conservés par les col-
cour. Le cardinal n'a été coupable que de folle pré- lectionneurs, tous les exemplaires biffés à la plume
somption et de vanité aveugle. étant sans valeur. Je ne saurais.trop recommander de
M. Funck-Brentano expose l'affaire du Collier
avec s'en garer, les marchands peu consciencieux ne né-
une simplicité et une clarté remarquables. Il a échappé gligeant pas,de glisser quelques oblitérations à la
an danger de se perdre et de nous.perdre dansle plume dans leurs occasions à très bon marché. Tel
labyrinthe tortueux de cette sombre affaire. Il ne timbre vaut 100 francs qui vaut seulement 3 francs
néglige rien de ce qui peut nous éclairer et nous in- s'il est oblitéré fiscal et l'amateur qui l'achèterait
téresser. Le chapitre sur Cagliostro et celui sur les 25 francs en croyant faire une bonne affaire serait,
fiançailles du baron de Fages sont pleins de saveur.
En ajoutant, pour terminer, que son livre e'st écrit en définitive, parfaitement volé. FILIGRANE.
avec vivacité et agrément, je n'aurai certes pas dit PRIMES TIMBROLOGIQUES DU 1" OCTOBRE.
tout le bien que je pense de cet ouvrage, mais j'en Transvaal 1901. 2 pence brun et vert surchargé E. R. I.
aurai, j'espère, dit assez pour que nus lecteurs ouvrent 1/2 penny, vient de paraître. N. 0 fr. 15.
sans retard l'Affaire du Collier. JOSEPH GALTIER. Japon 1900. Timbre du couronnement, 3 sen. carmin.
N. 0 fr.
15.
Colombie 1900. Révolution un centavo noir et
a49 2 cen-
tavos rouge. N. les deux timbres 0 fr. 30.
Indes anglaises 1882. 12 Anna brun sur rouge, obl.
0 fI'.
20.
PETIT COURRIER TIMBROLOGIQUE Sainte Lucie 1887. 1 penny violet. N. 0 fr. 25
En dehors de nos primes nous pouvons faciliter à
lecteurs leurs achats de timbres aux mêmes conditions nos
Les Timbres anglais. que nos primes. Pôur tous les renseignements timbrolo-
giques et les demandes de timbres, on est prié de s'a-
C'est une véritable révolution qui, en 1880, change dresser à Filigrane, aubureau du Magasin Pitloresque.
les types des timbres anglais, et non seulement les FIL.
types, mais la constitution même des types qui, à
partir de cette émission, ne comportent plus ni let- Ua~OOE 1~ITTO1~HSQUH
tres de contrôles, ni numéros de planches; seuls les
filigranes sont restés et encore seront-ils, à de rares
exceptions près, les grandes couronnes déjà décrites De tout temps la parfumerie a joué
la toilette de la femme. Les Romaines,un grand rôle dans
ici..Pour ne pas me répéter inutilement, je n'annon- si remarquables
par leur beauté, se couvraient le visage d'un corps gras
et se servaient d'huile antique pour rendre leurs cheveux très bien jusqu'à parfaite maturité ces fruits conservent
plus brillants lés Grecques avaient aussi certains talis- toute leur saveur native et une très belle apparence.
mans qui les conservaient longtemps'jeunes et -belle's: Dans la paillé de bois, produit composé' de' copeaux très
Une grande partie de ces secrets intimes est arrivée jus- minces et très longs de sapin ou de peuplier, les poires se
qu'à nous et l'on peut dire que nos parfumeurs ont dé- conservent très bien, mais restent inférieuresc<;¡mme qua-
:passé cette perfection si vantée par les auteurs classi- lité à celles conservées dans le papier de soie.
ques. Ainsi nous ne connaissons pas de meilleure poudre Dans la paille d'orge, le fruit ne preIicl ni tache ni s~-
de riz plus adhérente, plus rafraîchissante à la peau que veur désagréable, mais il perd de sa fraîcheur et mûri!
la fleur de pêche dont le grain impalpable est embaumé moins bien que lorsque l'on emploie les deux procédés
par des essences exotiques. Cette poudre existe en quatre précédents.
nuances blanche, rosée, naturelle et bise et se trouve à Dans le regain de fourrage, les fruits pourrissent facile-
la Parfumerie Exotique, 35, rue du Quatre-Septembre. ment, se tachent et prennent une forte odeur de foin.
Bientôt la fourrure va faire sa véritable entrée; plus à La sciure de bois donne de mauvais résultats, car les
la mode que jamais, elle est mise à contribution pour les fruits s'y piquent rapidement.
vêtements, les'chapeaux et les ornements. N'a-t-on pas Dans la menue paille de blé, les fruits se conservent
déjà vu, à la revue de Bétheny, Mma Loubet avec une robe assez bien, mais fléchissent assez vite et prennent assez
.de guipure d'Irlande, garnie de bandes de zibeline c'était souvent le goût de moisi..
un prélude plein de promessespourla saison d'hiver; du Dans les feuilles sèches, les fruits se comportent à peu
reste on chercherait en vain un tissu pouvant remplacer près comme dans le cas- précédent.
toutes ces peaux chatoyantes et souples, aux reflets fauves Les'fruits abandonnés sur la tablette d'un fruitier se
ou dorés dont le nombre augmente,chaque année, car il comportent assez bien, mais se flétrissent très vite.
n'y a point d'animal fourré dont on ne sache tirer parti. Les fruits enfouis dans le sable restent parfaits et mûris-
Au mérite d'être parfaitement confortables pendant les sent moins vite; c'est la meilleure méthode pour les con-
froids, elles joignent celui de se transformer de telle façon server longtemps; mais il est encore préférable, avant de
que l'œil le plus exercé ne saurait s'y reconnaître. les enfouir dans le sable, de les envelopperdans dupapier
Ainsi, par l'adjonction d'autres peaux ou' de volants en de soie.
velours (ce qui sera très en faveur), la veste courte s'al- ~r
longe'au point voulu ou bien Je trois-quart usé devient On nous demande de toutes parts le nom d'une maison
boléro, tandis que celui-ci, dont les manches sont mangées de-confiance pour des produits de pharmacie, d'hygiène',
de toilette.
par place, les fend pour laisser passer des bouffants de Nous ne pouvons qu'engagernoslecteurs à.s'adresser à
panne brodée d'or et de passementerie. Dans la rue on la Pharmacie Anglaise SWA:'i!è' ~1, rue Castiglione, qui
porte moins de dentelles avec la fourrure, elle est réservée
aux délicieuses mantes et aux paletots sacs qui se mettent enverra son catalogue franco sur demande.
le soir et restent d'une élégance, d'une richesse inouïe. DU CHOIX D'UN SAVON
C'est à eux que convient le lourd lampas Louis XV, le L'hygiène du premier âge doit être l'objet de l'attention
drap champagne, le satin L iberty, le broché aux fleurs méticuleuse des parents.
serties de fil argenté ou pailletées selon le goût empire. Les négligences, l'erreur peuvent avoir de. funestes in-
Toutes ces splendides étoffes sont alors allégées par des fluences sur la santé de l'enfant.
flots de mousseline de soie mêlée à de l'Alençon ou du Peu de mères hésitent aujourd'hui devant un lavage ou
Bruges, car le vieux point de Flandres et la guipure se
posent en empiècement. un savonnage aussi nécessaire que salutaire. Malheureu-
semé'nt le choix du savon n'est pas toujours l'objet d'une
Il y a dans la physionomie féminine un charme parti- attention suffisante. On se préoccupe plutôt du bon 'as-
culier attaché aux longs cils et aux épais sourcils les uns pect; de la jolie couleur, du parfum agréable que de la
donnent au regard plus de profondeur; les autres, par composition du savon. C'est là une indifférence coupable,
contraste, font ressortir la blancheur du front. Mais comme la plupart des savons renfermant des principes' causti-
la nature ne prodigue pas ses dons également, il est né-
cessaire, quelquefois, de la remplacer, aussi indiquons- ques, acides, ou simplement malsains, au grand détriment
de la santé de l'enfant. Cette situation n'a pas été sans
nous la Sève sourcilière de la Parfumerie Ninon, 31, rue éveiller l'attention des hygiénistès.
du Quatre-Septembre,comme le seul produit susceptible L'un d'eux M. le D'Andrieu a trouvé la formule.de sa-
de faire pousser, allonger, épaissir cils et sourcils. Le
flacon contre mandat-poste franco, coûte 5 fr. 50. von approprié à l'enfance. Les mères sont délivrée's de
leurs appréhensions et de leurs soucis.
LIBELLULE. Le Savon glycérol dont MM. Heitz et Ci~ sont également
dépositaires s'adresse, lui, à tous les âges. C'est un anti-
septique très puissant, sans précédent, préparé aussi selon
I~EGHTTES ]ET ,COf!1SElhS la formule du D'Andrieu.
AVIS IMPORTANT
Ce qui a valu à l'Eau de Suez sa réputation de dentifrice Aux personnes qui ont souci de leur santé et de celle des
antiseptique.horsligne, c'est qu'elle conserve les dents, leurs, nous adressons à titre gracieux, sur leur demande,
les préserve de la carie, parfume agréablement la bouche. les deux brochures Etude sur l'alimentatio~a actuelle, etc.
C'est la grande marque du Tout-Paris élégant recomman- et La Santé, etc. Elles apprendront pourquoi l'ANÉMIE et
dée par les sommités médicales. L'essayer, c'est l'adopter la NEURASTHÉNIE progressent toujours et les raisons qui
pour toujours;) L'Eucalypta de Suez est la plus'hygiéni- nous font associerdans leurs traitements les préparations
que des eaux de toilette. Pour les soins du corps, c'est la iodées et phosphatées, faisant prédominer les unes ou les
seule eau de toilette antiseptique. autres selon les cas. Adresse JOLLY, pharmacién, boule-
vard Pasfeur, 64, t'ciris.
V., à Bordeaux. Non; n'employ ez pas ce sel de Vichy
CONTRE LA COQUELUCHE
du commerce qui n'est que du simple bicarbonate de
soude, prenez le sel Vichy-État qui renferme tous les Le SIROpDERBECQà la Grindelia Robusta, expérimenté
principes contenus dans l'eau de Vichy des sources de dans les hôpitaux de Paris, a donné les'résultats les plus
l'État. Vous en trouverez dans tentés les bonnes phar- favorables. De plus, le SIROP DERBECQ ne renfermant aucun
macies à 10 centimes le paquet pour'un litre. Mais exigez toxique peut être administré sans crainte aux plus jeunes
bien la marque Vichy-État. enfants, auxquels il.procure un soulagement immédiat en
arrêtant les vomissements et en dim~nuant le nombre et
CONSERVATION DES FRUITS. la durée des quintes. Ce Sirop se vend à raison de 4 fr.
La conservation des fruits, notamment de ceux que l'on le flacon ou 7 fr. lés deux. La grippe et les toux nerveuses
recueille en automne, est une question intéressante pour sont également guéries' par le même SIROP DERBECQ.
l'économie domestique. Voici quelques indications prati- Maladies nerveuses, de poitrine et d'épuisement; guéi'i-
ques à ce sujet que nos lecteurs pourront mettre à profit. son assurée par les produits Henry Mure, de Pont-Saint-
Les fruits enveloppés de papier de soie se maintiennent Esprit (Gard) Notice gratis sur demande.
Une sylve profonde aux clairières heureuses; sylve, par des sentiers à peine tracés, hantés
des étangs endormis dans leur,chuchotante surtout des,~angliers et des chevreuils; avoir
bordure d'ajoncs et de roseaux; des ~garge4-fral-~i- rê4 dans le taillis ou la futaie, au pied des
ehes à souhait; contrée fertile en souvenirs arbres, parmi les mousses fraîches, les champi-
historiques, à quelques lieues de la frontière gnons. et les fleurs, avec seulement un coin de
allemande, sur les marches de la Champagne ciel déchiqueté au-dessus de sa tête, pour saisir
et de la Lorraine, telle est l'Argonne. le charme intime et berceur de ce coin de terre.
Des poètes lyriques l'ont chantée et u4, acadé- Que la poésie se mêle à la géographie et à la
micien, André Theuriet, lui doit lç, plus clair de démographie, 'comme à la science du. géologue,
son renom; les historiens n'ont pu l'omettre et comme à l'histoire; que cela forme un tout har-
en ont décrit sans les avoir jamais vus = les ,monieux et ce tout harmonieux n'aura pas
défilés, ces « Thermopyles de la France dont rendu encore le caractère vrai du pays d'Argonne.
parlait Dumouriez; les géographes nous ont dit ~aÎ~,I?.i.mage nous vient en aide, et parce qu'elle
lalongueur de ses rivières et de fte,$,riviérettes, parle directement aux yeux, sans doute sera-t-
l'altitude des points culminants de l'Argonne et, elle moins vaine que la phrase. Dans le Magasin
avec une exactitude contestable, le nombre Pittoresque, d'une si riche documentation il-
d'hectares de ses bois. Or ni les uns ni les autres, lustrée, des notes sur l'Argonne ne sauraient
ni les poètes, ni les historiens, ni les géographes trouver place toutes nues, privées de ce qui en
à la seience aride ne nous ont fait connaître constitue le principal attrait des gravures.
l'Argonne. Il faut avoir vécu là de longs jours, et Les voici, abondantes.
de la vie même des paysans mi-champenois,
mi-lorrains; avoir, bàton en main et sans souci
de la fatigue,-couru ses villages, suivi ses che- L'exacte science que celle des géographes1
mins forestiers; s'être enfo'ncé au coeur de la Les uns Reclus par exemple veulent qu'il
y ait deux Argonnes, l'une orientale, l'autre du Midi; et au levant, depuis les confins de la
occidentale, divisées par le cours de la Meuse; Lorraine et du Clermontois, jusqu'au village
les autres assurent qu'il n'y a pas d'Argonne du d'Auve (1) au couchant ». Il semble bien que
tout, que ce pays est improprement dénommé Buirette ait raison. L'Argonne forêt, prairies
et qu'en réalité l'Argonne, c'est l'Ardenne. et cultures mord trois de nos départements
A l'origine, évidemment, la forêt d'Argonne la Meuse, oÙ sa superficie est la plus considérable,
tenait à la sylve de l'Ardenne. Les deux noms la Marne et les Ardennes.
vous ont un air de proche parenté. Ar duinn (la Entre les plateaux monotones du Verdunois et
profonde) a incontestablement donné naissance les plaines crayeuses de la Champagne, entre
à Arduenna, Ardenne et Arguenna, Argonne l'Aisne et son affluent majeur, l'Aire (~); le long
n'est qu'une altération d'Arduenna. Mais la main de l'Aisne ensuite, jusqu'au-delà du Chesne-
de l'homme, de bonne heure, par des défriche- Populeux, la forêt s'étend ample, une des plus
ments, a fait de cette unique forêt deux forêts belles de notre France, une des moins con-
bien distinctes que différenciait déjà la nature nues encore, en dépit de son pittoresque.
du sol et des Les touris-
essences, tes, cepen-
que différen- dant, com-
dent tout au- mencent à
tant aujour- l'envahir, at-
d'hui leurs tirés par son
physiono- charme repo-
mies. Autant sant, par sa
en effet l'Ar- verdure, par
penne est sé- l'air salubre
vère, âpre, qu'on y res-
sauvage; pire gagnés
autant l'Ar- aussi par cer-
gonn:e est tains coins
avenante,in- comme Beau-
time, repo- lieu, les âor-
sante J'une nes de Saint-
est sombre, Rouin, les
quasi noire lslettes, la
l'autre mou- Chalade, qui
tonne, d'un sont dignes
vert-clair. Et Sainte-Ménehould. Le château. de la Suisse.
combien peu C'est depuis
se ressemblent les races des deux forêts, des quelques années seulement qu'ils se sont avi-
deux pays! sés de découvrir, en leur propre pays, à soixante
Il y a donc une Argonne et une seule, celle lieues à peine de Paris,
ces bois profonds et
que les géographes dénomment Argonne occi- ces villages ou pittoresquement perchés au haut
dentale. Ce qu'ils appellent Argonne orientale, des collines, ou bâtis en amphithéâtre, ou blot-
la carte d'État-Major l'appelle les Hauts. de tis au fond de quelque vallon,
sur les rives d'un
Meuse; ce sont des collines pour la plupart ruisselet gazouillant et limpide. Ceux qui sont
dénudées que couronnent quelques forts et qui las des Pyrénées, des Alpes, des Vosges ceux
viennentmourir dans une vaste et grasse plaine, que ne tente plus le snobisme des longs voyages
la Woëvre, où peut-être s'engagera la première vers les sites fameux de l'étranger, peut-être
bataille de la prochaine guerre. un peu trop vantés, seront agréablement surpris
On n'attend pas de nous une étude complète, de rencontrer, au coeur de l'Argonne, les
pay-
définitive (mais une étude peut-elle jamais être sages enchanteurs qu'ils sont allés chercher si
définitive?) surl'Argonne,avec tousles éléments, loin.
si divers,qu'ellecomporte. Nous!nous bornerons
sagement ici et le titre même de cet article
l'indi,que suffisamment à parler du cœur de Après un t:'ajet de quatre heures, le train vous
cette Argonne qui s'étend sur une longueur de dépose à Sainte-Ménehould, et Sainte-Ménehould,
quinze à vingt lieues et dont la largeur est fort ce fut, de tout temps, la capitàle de l'Argonne.
inégale. Claude Buirette, dans son Histoire de Sainte-Ménehould, célèbre par une industrie
Sainte-i9/enelaoulcl, dit que ce pays « s'étend au
Nord, depuis la ville de Beaumont, frontière de (1) Arrondissement de Sainte-~lénchou](1.
la principauté de Sedan, jusqu'à la vieille abbaye (2) Un autre affluent de l'Aisne, la Vesle ou Vèle, qui
passé à Reims, a un cours de même longueur que celui
de Montier, près des limites du Barrois du côté de l'Aire 130 kilomètres environ.
locale, unique au monde la fabrication des pieds promenade du Château, si pittoresque, aux pieds
de cochon. Camille Desmoulins n'acr.usa-t-il pas de laquelle est bâtie la' petite cité. Pourquoi
Louis XVI, en route pour la frontière, de s'être faut-il que la déshonore le gâteau de Savoie,
arrêté à Sainte-Ménehould, « Sancho Pança cou- à péine édifié, où, cet hiver, des troupes de pas-
ronné », pour « manger des pieds de cochon » 2 sage joueront devant les Ménechildiensle drame
Au vrai, si l'infortuné roi de France fit halte dans
et la comédie ?
la petite ville où le reconnut Drouët, le maUre Si'les pêcheurs à la ligne et les amis du goût
de poste, ce n'était point pour satisfaire sa gour-moderne trouvent leur compte à Sainte-Méne-
mandise et si la monarchie sombra, quelques hould, les archéologues n'en sauraient dire au-
heures plus tard, à Varennes, par suite d'un re- tant. En dehors des ruines du château-fort qui,
tard des berlines royales, les pieds de porc n'y aux âges révolus, servait de défense à la ville, il
furent pour rien. ,n'est pas, pour eux, un coin intéressant, pas un
Qui dira la recette des succulents pieds à la vieux quartier aux maisons branlantes que res-
Sainte-Ménehould ? Ni l'un ni l'autre assurément, pectèrent les ans. Sainte-Ménehould, en effet,
des patrons des deux hôtels où, d'octobre au fut détruit tout entier, le 7 août 1719, par un in=
mois de mars, on les confectionnepar centaines. cendie. Le feu, allumé, dit-on, par la foudre
C'est un secret Ces pieds dont les os se broyent consuma huit cents habitations, et son ardeur
facilement et était si grande,
que l'on mange au témoignage
avec la chair de même du curé-
l'animal appelé doyen de Sain-
« cher ange »
te Ménehould
par Monselet, à cette époque,
on les a fait M. Le Char-
cuire avecquel- treux, que
que ehose, et le « l'on vit l'eau
quelque chose, bouillir comme
l'ingrédientqui si elle eût été
attendritles os, sur un four-
les habitants neau,etquel'on
de Sainte-Mé- en tira du pois-
nehould, les son cuit suffi-
Ménechildiens, de Kellermann, à Valmy.
samment (f). »
Les monuments
l'ignorent à Avant de
l'exception des deux hôteliers -comme le com- nous enfoncer profondément dans l'Argonne, il
mun des autres Français, des autres mortels du faut parler de Valmy, un petit village à deux
globe. lieues de Sainte-Ménehould. Le champ de bataille
Dom Pérignon, de Sainte-Ménehould,fut plus de Valmy est fameux dans l'histoire. C'est là
loquace, lui qui découvrit la façon de fabriquer que Kellermann défit l'armée de Brunswick en
le Champagne, de faire mousser ce vin glorieux. 1792. En ce lieu aride, qu'ombragent de maigres
Il livra généreusemerrl son procédé. Combien, bouquets d'a.rbres, mais d'où l'on découvre, du
parmi ceux que tente une f1ùte ou une coupe de côté de Sainte-Ménehould,l'horizon enchanteur
connaissent'lede l'Argonne, on a érigé au vainqueur. de la jour-
ce Champagne où luit du soleil,
nom du bénédictin Dom Pérignon (1) 2? née du 90 septembre 1792 deux monuments. Le
Tous ces titres à la reconnaissance des gour- premier, sous la base duquel est déposé le coeur
mets, c'est assez pour la renommée de Sainte- de Kellermann, est une pyramide, élevée en 1821,
Ménehould. Mais les touristes exigent davantage. du produit d'une souscription volontaire rem-
plie par les' habitants de Sainte-Ménehould et de
Qu'ils soient satisfaits! La petite ville, à la lisière
Valmy. Le second date de neuf ans c'est, oeuvre
de la forêt d' Argonne, est fort coquette, très gra-
cieuse, point somnolente, grâce sans doute au du- sculpteur Barrau, une statue du maréchal,
régiment de cuirassiers formant brigade avec. duc de Valmy; Kellermann tient de la main droite
celui de Vouziers qui y tient garnison de- son épée à l'extrémité du bras gauche, le cha-
puis une quinzaine d'années. Sainte-Ménehould, peau du brave rallie les soldats pour le choc dé-
s'enorgueillit ceci pour les pêcheurs de finitif avec les troupes prussiennes.
deux rivières, non seulement aimables, mais (1) Sainte-Ménehould, on prononce Ménou,-tire son
poissonneuses l'Aisne et l'Auve elle s'enor- nom de Ménehould ou Manechilde, une des sept filles de
Sigmar, gouverneur de cette province du Perthois, dont
gueillit plus encore de ses rues larges etpropres, Château-sur-Aisne(aujourd'hui Sainte-Ménehould) était la
aux riches magasins de son Hôtel-de-ville ma- forteresse frontière. Ménehould venait souvent à Château-
jestueux, gardé par deux lions de pierre; de sa sur-Aisne avec son père et soignait les malades qui la con-
sidéraient comme leur ange tutélaire. La bienfaitrice fut
(l) Dom Pérignon a laissé un ouvrage sur la manipula- regardée par les habitants comme une sainte et son nom
tion des vins. donné à la bourgade.
rive, d'un vert plus sombre que le vert des prés.
En dix minutes, par le chemin de fer, on re- De coquettes maisons de campagne, au ver-
vient à Sainte-Ménehould, et la première station sant de la côte; un moulin, tout proche, dans les
après Sainte-Ménehould,'c'est le village le plus roseaux, évoquent le calme des vies heureuses,
central de l'Argonne les Islettes. des idylles sereines, loin du fracas de Paris.
Mais au trajet dans un wagon, même moëlleu- Franchi le pont jeté sur la Biesme,nous sommes
sement capitonné, de combien est préférable la dans le département de la Meuse. La route, c'est
course à pied, de la ville aux Islettes, par la fa- durant plus d'un kilomètre, la rue principale des
meuse côte de Biesme, la côte historique à l'issue Islettes. Puis les maisons cessant, elle s'enfonce
du défilé où Dumouriez, aidé de Dillon, du géné- dans le défilé, elle est elle-même l'historique
ral Chazot, de Galbaud, tint en échec l'armée défilé des Islettes jusqu'à Clermont-en-Argonne.
prussienne
Nous voici, au sortir de Sainte-Ménehould, en Toute cette contrée était, aux siècles derniers,
pleine Argonne, et la terre des moines et
c'est charmant. Des des gentilhommesver-
deux côtés de la large riers. Les moines vi-
route qui monte vers "aient de son sol gi-
la Grange-aux-Bois (1), bo3~eux, de ses cours
le pays des cerises, le d'eau et de ses étangs
pays des fruits savou- où abondait le poisson.
reux, les arbres de Aux moines les co-
la forêt forment un teaux donnaient aussi
rempart de verdure. un vin clairet, délicat,
Qu'un rayon de soleil dont le renom n'est
brille, et l'ombre mys-
pas purement local. Si
térieuse du sous-bois les gentilhommes ver
s'éclaire, se colore de riers, amis des fran-
teintes douces qui re- ches lippées, ne dédai-
culent la profondeur. gnaient ni le gibier de
Et quel spectacle ad- l'Argonne, ni le vin
mirable s'offre au re- clairet de ses coteaux,
âard, à la descente de ni le poisson de ses ri-
la côte Devant vous, vières, ils trouvaient
le village des Islettes, là, dans la forêt, pour
peuplé de près de souffler leurs bouteil-
deux mille habitants; les, le sable fin et la
le clocher de son église fougère; les troncs des
pointe là-bas, entre les chênes et des hêtres
arbres. A droite, la fo- Un charhonnier et sa hutte. alimentaient leurs ou-
rêt moutonne et une
vreaux. Ce pays béni se
route toute blanche s'enfonce dans la verdure peupla, de bonne heure, d'abbayes puissantes et
abondante, luxuriante, qui mène à l'îlot de riches. C'étaient,
au hasard des souvenirs, les
maisons des Senades, court vers Futeau, Belle- monastères de Montier, à l'extrême limite de
fontaine, Courupt. A gauche, l'horizon se ferme l'Argonne,
vers Bar-le-Duc; de Châtrices, de
moins vite; dans une verdoyante caresse, l'œil Beaulieu, de Moiremont, de La Chalade l'ermi-
embrasse, jusqu'aux confins bleutés des collines tage de Bonneval, le prieuré de Beauchamp.
que le tissu de la brume enveloppe, les taches De toutes ces abbayes (certes moins glorieuses
blanches et rouges que forment les Petites-ls- et moins peuplées
que les abbayes de Cluny et
lettes, le Neufour, le Claon, la Chalade, des ha- de Citeaux
en France; du Mont-Cassin en Italie;
meaux, des villages blottis parmi les arbres. Une de Saint-Gall en Suisse de Fulde Allemagne
riviérette serpente dans la prairie grasse, entre mais dont plusieurs comptèrentenjusqu'à trois
les saules et les aunelles, se hâte vers les lignes cents moines) il
ne reste plus que des ruines etle
des côteaux boisés aux courbes molles c'est la souvenir.
Biesme qui, jadis, servait de limite entre la Si, pourtant. Il subsiste encore, dans la partie
France et l'empire.d'Allemagne; qui sépare au- la plus
sauvage, la plus poétique, la plus fraîche,
jourd'liui, sur une étendue de plusieurs lieues, la plus belle peut-être du de l'Argonne, un
les départements de la Meuse et de la Marne. Des ermitage Saint-Rouin. Ilcoeur s'appelait jadis Bon-
ruisselets y affluent, dont le cours capricieux se neval; il a pris le
nom de Saint-Rouinparce que
marque par les taches vertes des arbustes de la c'est là, assure la tradition,
que se retira, après
(1) La Grange-aux-Bois. qui compte près de 800 habi- avoir fondé. la célèbre abbaye de Beaulieu, Saint-
tants, dépend de Sainte-~Iénehould. Rouin ou Saint-Roding, évêque en Ecosse. Tous
les ans, on accourt des environs, moins y prier leurs combes vaporeuses où s'attarde un brouil-
peut-être que s'y divertir. Il s'y donne, d'ailleurs,
lard-léger; leurs sources d'eau vive, d'une lim-
deux fêtes :.1'une en mai, toute profane; l'autre pidité df' cristal; leurs. étangs endormis parmi
dans les premiers jours de septembre, pélerinage les chênes aux troncs rugueux, les hêtres aux
pour les âmes pieuses: l'évêque de Verdun y fûts lisses, pareils aux colonnes d'une nef de
vient parfois officier, dans la petite chapelle de cathédrale, les bouleaux sveltes, à l'écorce de
l'ermitage. satin argenté.
Depuis trois ou quatre années, Saint-Rouinest Les charbonniers vivent en maitres ici avec les
sans ermite. Le dernier de ces anachorètes n'était bûcherons. Le forêt est le domaine, tantôt
pas précisément, faut-il le dire? un objet d'édi- ensoleillé et riant, tantôt brumeux et morose,
fication pour les fidèles des alentours. Cet ancien où ils fabriquent le charbon qui tinte clair
zouave ne se gênait nullementpourjurer comme comme de l'argent. Mieux que personne ils la
un païen, mendier dans les villages de l'Argonne connaissent;; pour eux sa faune et sa flore n'ont
et apostrophervertement, en un français mélangé pas de secrets. Les charbonniers ont grandi dans
d'arabe, ceux qui lui refusaient une aumône. la forêt hopitalière; ils y coulent une existence
Enfin, il était un peu trop l'ami de la dive bou- simple et libre; ils y mourront, jeunes souvent
teille. Bref, à la mort de cet indigne successeur l'ardeur des fournaises leur faisant une,pré-
de, l'austère Saint-Rouin, apôtre de .1'Argonne, coce vieillesse près de la femme et des enfants
l'évêque de Verdun ne jugea pas à propos de qui les ont accompagnés aux bois.
~x~s~x~x~x~
elle.
lui donner un remplaçant. (A suivre.) ERN£ST BEAUGUITTE.
Avec ou sans ermite, Saint-Rouin est un des
plus jolis coins que nous sachions. Les sous-bois
La vérité s'offre souvent à nous comme une pointe
sont pleins de mystère et de poésie avec leurs d'épée, et notre premier mouvement est de tomber en
ravinsfuyants; leurs minuscules gorges fraîches; garde contre
UN MÉDECIN D'.OISEAUX
Tous les jours, la science médicale nous émer- terre, cinq seulement échappaient jusqu'ici aux
veille par ses découvertes et nous remplit de ra\"ages de ce fléau aujourd'hui vaincu. Les re-
gratitude et d'admiration pour les grands esprits froidissements, l'asthme, les inflammations fai-
qui se sont donné la noble tâche de soulager les, saient aussi de nombreuses victimes.
misères humaines. L'art du médecin dont nous Le Strand Magazine nous raconte quelques
allons parler est, certes, bien loin d'avoir les opérations bien amusantes qui sont exécutées
mêmes droits à la reconnaissance du prochain, journellement dans le cabinet du plus achalandé
et cependant, que de peines il évite, que de des médecins d'oiseaux à Londres. Ce savant en
pleurs il sèche Tout le monde sait la place qu'oc- son genre qui prodigue ses soins à l'aristocratie
cupe dans nos affections le petit monde gracieux ailée des salons de'la capitale anglaise a fait, au
ou comique des oiseaux; il est une des joies de cours d'une carrière longue et bien remplie, les
nos intérieurs, et l'homme qui s'est voué à cette expériences les plus curieuses; et rien n'est di-
bizarre et charmante clientèle a choisi une pro- vertissant comme d'assister à une de ces séances
fession intéressante autant que lucrative. médicales où le médecin- a besoin de déployer
Jadis, lorsqu'un de ces petits favoris était at- autant de ruse que d'habileté.
teint d'une indisposition sérieuse ou d'un acci- Pour administrer une pilule à un majestueux
dent, un arrêt implacable voulait qu'on lui tor- toucan, le docteur imagina de la dissimuler dans
dit le cou; et comme les oiseaux sont sujets.à l'intérieur d'un grain de raisin qu'il présenta
des maux nombreux, il était difficile, souvent gracieusement à la bête. Mais celle-ci, quoique
impossible, de les conserver longtemps. A pré- très friande habituellement de cette gourman-
sent, quand on voit que le canari penche sa tête dise qu'elle avalait sans sourciller, considéra le
mignonne et ne mange pas ou que la perruche fruit d'un œil méfiant et courroucé. Elle le prit
devient mélancolique, vite, on va chercher le néanmoins, mais après en avoir découv ert et re-
spécialiste qui, presque toujours, vous rendra jeté la pilule. Comme il répéta cette manœuvre
votre petit compagnon joyeux et dispos,,car sa plusieurs fois, le médecin fut enfin obligé de
science connait le remède de la plupart des ma- recourir à un moyen plus énergique à l'aide
ladies qui dévastent nos cages. La phtisie, cette d'un instrument, il enfonça la pilule dans la
ennemie féroce de la gent volatile, et qui s'at- gorge de la bête récalcitrante.
taque surtout aux perroquets, est facile à com- Un autre patient difficile à manier fut aussi un
battre maintenant si elle est soignéedès le début. superbe perroquet affligé d'une excroissance
Sur cinquante perroquets importés en Angle- cornue sur le bec. On fit venir le praticien pour
procéder à une petite opération chirurgicale, les bouts trop longs des griffes, et ces blessures
mais 1''oiseau, flairant quelque chose d'insolite, finissentparrendrelesbêtes infirmes etentratnent
ne se laissa pas approcher il se démena furieu- même leur mort. La visite du praticien, ici, est de
sement et se mit à crier de façon assourdissante, toute nécessité. Les pigeons aussi ont souvent
invectivant le médecin. Force fut donc de le besoin de l'intervention chirurgicale pour éloi-
ligotter pour arriver au résultat voulu. gner de leurs pattes des peaux durcies qui les
Quoique le médecin d'oiseaux se méfie du chlo- enlaidissent.
roforme qui est d'un emploi dangereux pour ses Comme on le voit un habile médecin d'oiseaux
clients délicats, il y a des cas graves où l'usage ne manque pas de besogne. Et s'il est vfai, ainsi
de cette drogue devient indispensable une pré- qu'il en a été question, que le printemps prochain
paration spéciale inventée à cet effet diminue les une exposition d'oiseaux d'appartement sera
risques du traitement anesthésique. C'est ainsi organisée à Londres, l'honneur en devra revenir,
que fut opéré dernièrement, avec succès, un per- avant tout, à ces ingénieux et patients Esculape~
roquet de grande valeur dont les jours étaient modernes. Ta. MANDEL.
menacés à la suite d'une tumeur.
La classe des canaris, avec leur corps frêle et
leur gosier fragile, fournit au médecin d'oiseaux
le plus de malades; aussi sont-ils l'objet d'une CE QUI DURE
sollicitude toute spéciale. Il faut voir avec quelle
Le présent se fait vide et triste,
tendresse, quelle anxiété les maîtresses recom- o mon amie, autour de nous;
mandent au docteur leurs mignons favoris Sou- Combien peu de passé subsiste
vent elles demandent à assister à la séance, et. Et ceux qui restent changent tous,
c'est en tremblant qu'eUes, suivent de l'œil tous Nous ne voyons plus sans envie
les mouvements du médecin qui, d'un geste un Les yeux de vingt ans resplendir,
Et combien sont déjà sans vie
peu brusque, pourrait étouffer ou écraser les Des yeux qui nous ont vus grandir!
fragiles patients. Mais il n'y a aucune crainte à,
avoir le médecin, avec une délicatesse infinie, Que de, jeunesse emporte l'heure,
Qui n'en rapporte .jamais rien!
sait manier les petits malades aussi bien quand Pourtant quelque chose demeure
il s'agit de les guérir d'un rhume préjudiciable à Je t'aime avec mon coeurancien.
leur chant que lorsqu'il lui faut raccommoder Mon vrai cœur, celui qui s'attache
une aile =ou une patte brisée. Les difficultés en Et souffre depuis qu'il est né,
ces derniers cas sont énormes; car l'oiseau se Mon coeur d'enfant, le cceur sans tache
débat et, à coups de bec, cherche à se débarrasser Que ma mè:re m'avait donné.
des bandages ou de l'appareil. Mais le système Ce cœur où plus rien ne pénètre,
du docteur anglais est d'une telle perfection que D'où plus rien désormais ne sort
Je t'aime avec ce que mon être'
ses opérations sont presque toutes infaillibles. A de plus fort contre la mort.
La fracture d'un os de poitrine est le seul acci-
dent irrémédiab~e. Et, s'il peut braver la mort même,
Si le meilleur de l'homme est tel
Les oiseaux des cages souffrent beaucoup de Que rien ne périsse, je t'aime
la croissance excessive d~l?iÏ'iffes; eri.s'agrip- Avec ce que j'ai d'immortel.
pant au perchoir, ils s'écorchent les pattes avec SULLY PRUD'HOMME.
Il y a deux ans, à pareille époque, nous dé~ri'= iLà-,déj7ùier en date et, sans conteste, le plus
vions, pour tes lecteurs du Magasin Pittoresque, colossal de ces Léviathans, est le Celtic, lancé à-
le plus grand paquebot du monde, l'Oceanic, Belfast au début de l'été, et dont la presse mari-
récemment mis en service par la Gompagnie an- time des deux continents a été unanime à ad-
glaise White Star Line. Depuis, la navigation mirer les imposantes proportions, les ingénieux
transatlantique a fait des progrès de géant; les dispositifs et l'aménagement somptueux. Les
Allemands, quoique entrés en lice après tant photographies inédites que nous sommes heu-
d'autres, ont lancé presque coup sur coup des pa- reux de mettre sous les yeux de nos lecteur$ leur
quebots énormes, à grande vitesse la France, à en diront plus long, à ce sujet, que la meilleure
son tour, construisait, pour sa: ligne du Havre à des descriptions graphiques.
New-York, la Lorraine et la Savoie; bref, tous Veut-on quelques chiffres?
les pays intéressés ont redoublé d'efforts, dans Le Celtic, qui appartient comme son atné,
cette lutte pacifique, pour s'assurer la suprématie aujourd'hui son cadet, l'Oceanic, à la Compa-
du confort ou de la rapidité,sur l'Océan qui sépare gnie White Star, peut transporter à son bord
l'ancien du nouveau monde. 3.°00 passagers, sans compter les officiers chargés
de sa conduite et 355 hommes d'équipage. C'est Quant au tonnage, il n'PSt pas inférieur à
donc la population d'une ville tout entière que ~t 000 tonnes, ce qui correspond à un déplace-
loge dans ses flancs le paquebot dontnoÚs par- ment, en pleine charge, de 38 200 tonnes. Pour
lons. faire mieux ressortir l'imporlafil'P vraiment for-
De bout en bout, sa long ueur atteint 213 mètres. midable de ces chiffres, nous rappellerons que
Eelle de la Savoie, le plus grand transatlantique le tonnage brut de la Savoie atteint 11 869 tonnes,
-français, est de 170 mètres. La largeur du Celtic soit un peu plus seulement de la moitié de celui
8st de W°',60, et son creux, autrement dit sa du nouveau transatlantique anglais.
profondeur, mesure 15 mètres. On pourrait donc Les cabines de première classe et les state-
y cacher une maison à cinq étages. rooms, ou cabines de luxe, sont toutes situées sur
l'un des quatre ponts supérieurs et au milieu du dessin très sûr et d'une heureuse richesse de
navire, de façon à éviter autant que possible aux coloris. Les murs sont décorés de panneaux en
passagers les divers inconvénients résultant du lincrusta blanc et or, et, tout autour de la pièce,
roulis, du tanâane et des trépidations de l'hélice. court une frise en albàtre sculpté, représentant
El, puisque nous parlons des hélices, disons des enfants et des animaux, du plus joli effet.
que le Celtic en comporte deux, à trois ailes cha- Il y a aussi, à côté du salon-salle à manger,
cune, hautes de 7m ,50 et pesant ensemblequelque une spacieuse bibliothèque, meublée de tables,
cent mille kilos. On remarquera, d'ailleurs, leur de pupitres, de divans et de fauteuils aussi élé-
apprentis.
travail des marbres, soit'par des incrustations rence n'a jamais eubesoin des modèles du grand-
dans une matière résistante, soit par des assem- duc pas plus que de ses artistes pour dresser les
blages de pièces de rapport constituant finale-
ment une stàtuette polychrome. Cette industrie, déjà au déclin en1860, dépérit
chaque année; elle n'emploie plus que de 150 à qui ne compte qu'une vingtaine de personnes,
l00 personnes dont la plupart vivent avec peine coûtant à l'£tat à peu près 40 000 francs par an.
dans le village de Settignano près de Florence. Lorsqu'on voit ces lapidaires en mosaïque flo-
Malgré la bonne qualité de la marchandise, elle rentine quitter leur spécialité et se mettre aux
trouve de moins en moins d'acquéreurs;la mode métaux, à la mosaïque d'êmail, aux ornements
a changé et chose assez surprenante, l'Amérique et statues de marbre, à la céramique, la pensée
du Sud fait concurrence à Florence; elle a acca- se reporte vers ces maîtres florentins du XIV. et
paré la clientèle américaine et envoie même ses du xv. siècle qui passaient de la boutique de
produits en Europe. l'orfèvre à celle du sculpteur, et du sculpteur
Le gouvernement n'avait donc pour conserver chez le peintre.
Manufacture que des raisons de sentiment; L'État a donc eu raison de tirer parti de ces
elles ne lui ont pas paru suffisantes et un mo- aptitudes natives il a supprimé une fabrication
ment il fut question de fermer la maison. inutile et l'a remplacée par un atelier productif,
Alors surgit une idée qui a tout sauvé. qui, en fait, travaille mieux et à meilleur compte
L'Italie possède un trésor d'art sans pareil; la que les entreprises particulières du même genre.
Manufacture, dans la limite de ses res sources, Si l'Opificio subsiste seul des manufactures
pourrait être employée à la réparation des objets médicéennes, et si les fabriques d'art officiel des
les plus importants et les plus menacés de des- anciens royaumes et duchés de l'Italie ont dis-
truction. paru, il reste cependant au Vatican deux ateliers.
Ce projet fut adopté; les travaux d'architec- Le pape Léon XIII continue à entretenir quel-
ture, les réfections et les nettoyages des pein- ques mosaïstes en mosaïque d'émail; ils se li-
tures et des fresquesrestant, bien entendu, con- vrent, sans bruit, à ce genre de travail lent et
fiésanx services compétents. minutieux dont les plus frappants exemples sont
J'ai suivi depuis huit ans, avec grand intérêt, à la basilique de Saint-Pierre que le pape Ur-
les travaux de l'Opificio, dirigés par l'habile et in- bain VIII (pontificat de 1623 à 1644) eut l'idée de
telligent Ed. Marchionni. faire décorer de mosaïques imitant les tableaux
Il n'est plus question de tables incrustées ni de maîtres. Il y a même au Vatican une manu-
de statuettes polychromes.. facture de tapisserie dont l'existence est généra-
On a fait des réparations à Padoue, à Ravenne, lement ignorée; elle est réduite à la plus simple
sur la Riviera, à la chartreuse d'Ema et ailleurs expression.puisqu'elle n'a qu'un unique métier
encore, aux parements de marbre des églises et et un seul tapissier.
aux hordures des tombes-; ces travaux rentraient C'est en souvenir de la Manufacturepontificàle,
dans la spécialité de l'établissement. établie en 1710 à l'hospice apostolique de San
On s'est mis à Florence à la reprise. de la mo- Michele à Ripa, que ce métier de haute lice 'a
saï que du Baptistère de Saint-Jean commencée été conservé.
au xiiie siècle et en partie détruite le travail du- Pour le Vatican l'importance d'une institution
rera encore une dizaine d'années; il n'a aucun est chose secondaire ce qui importe, ce sont les
rapport avec la technique de la mosaïque dite de traditions.
Florence, et cependant il est conduit en parfaite (Florence.) GERSPACH.
concordance avec le style du temps.
On a réparé le merveilleux tabernacle de
l'église Or San Michele élevé par Orcagna au
xive siècle..
LUX 1
Je ne puis tout citer et cependant je vais don- Montagnard, chez'toi règne l'ombre
Fille des monts et des grands bois,
ner une idée des services rendus par l'Opificio Aussi te voit-on mainte fois
dans une circonstance spéciale. Le front pensif et le cœur sombre.
En 1895 nous avons subi ici quelques secousses L'âpre vent qui, dans tes sapins,
de tremblementde terre qui, pour n'avoir pas ému Gémit ou souffle avec furie,
L'eau tombant de tes rocs alpins,
ceux qui ne les ont pas ressenties, n'en ont pas Tout t'incite à la rêverie.
moins alarlI1é la population et causé des ravages.
Ton œiL étroitemènt .borné
Un aigle en bronze placé au sommet de la ba- Aux murs de sa prison s'arrête
silique de San Miniato est tombé et a été brisé. Et le soleil à peine né
Au musée de Bargello, une statue en terre Meurt, pour toi, derrière une crête.
cuite peinte a été jetée bas et rompue en des Tu n'as jamais vu les moissons
Rouler leurs vagues jaunissantes
centaines de morceaux. Sous le vaste ciel, tes chansons
A la chartreuse d'Ema, tout un côté du grand Même sont tristes, languissantes.
cloître s'est effondré, entraînantt une vingtaine Jamais ne vient jusqu'à ton seuil
de médaillons céramiques par Andrea della Rob- Du couchant la lueur dernière;
Ah! je comprends ton.âme en deuil;
bia, et les mettant en miettes. Tu n'as point ta part de lumière.
Les débris ont été recueillis et toutes les pièces PIC.
ontété reconstituées parMarchionniet son monde (Dans les gorges du Jura, septembre 190!.}
CHEZ LES SINGES
Lesquels? Ceux d'Afrique? ou ceux de un de ses voisins de cage. Alors, il est hideux;
Corvi? Les libres habitants des forêts qui, vifs toute la partie inférieure de son corps, qu'il
et agiles, se balancent aux souplesses des lianes présente, est rouge vif, d'un rouge de viande
ou aux cimes touffues de hauts cocotiers Ou saignante qui soulève le coeur. Toute psycholo-
bien les civilisés, les savants, « les exhibés » des gie disparaît, il ne reste plus qu'une idée d'ani-
fêtes foraines; prisonniers, pelés, tristes, et. malité basse, répugnante, cynique~ apparaissant
instruits?2 brutale. Joignez-y le désordre des gestes, les
Ni les uns, ni les autres. Le hasard d'une pro- zigzags nerveux de mouvements détraqués ou
menade flâneuse nous a conduit jusqu'au Jardin semblant l'être, et vous aurez à peine la somme
d'Acclimatation, et c'est là que, par un délicieux d'antipathie qu'inspirent les affreuses bêtes.
matin de septembre, égarant nos,pas aux sinuosi- Sauvons-nous quittons-les.
tés capricieuses des chemins, nous nous sommes Et cependant, ils vivent, donc ils sont intéres-
trouvé, sans y songer, devant la maison des sants ils doivent l'être; à défaut de beauté, au
quatre mains pensionnaires de l'établissement. moins d'une que nous puissions comprendre, à
Pourquoi ne pas entrer? Le singe a quelque défaut même de ces sentiments de bonté élé-
chose d'énigmatique et de curieux bizarre cari- mentaire que nous prêtons à quelques animaux,
cature de notre laide espèce humaine, produit ils ont des instincts, une intelligence, une mé-
dégénéré, devenu plus laid que nature, ou ancé- moire leur tête, comme la nôtre, est.meublée
tre vénérable de nos modernes snobs, quelle d'images, et. Qu'est-ce qui se passe? L'air est
que soit l'opinion qu'on en ait, quelque place déchiré de cris stridents, bruit, tumulte, coups
qu'on lui assigne dans l'échelle des êtres, il échangés dans une cage voisine. Et voici nos
retient l'attention et mérite l'examen. Allons le Hamadryas aux fenêtre-s. je veux dire près de
voir; il vaut qu'on lui rende visite. Discerner sa leur grille, y écrasant leur gros nez pour mieux
petite âme simiesque, chercher quels liens, voir. Ils ont des mines on ne peut plus drôles
sinon de parenté, Ô Darwin au moins de en suivant les péripéties de la scène qui se dé-
ressemblance, l'unit à la nôtre, c'est de la psy- roule sur un mode aigu; leur vilain visage s'ani-
chologie amusante et à coup silr remplie d'im- me; on y lit leur curiosité et leur joie d'une
prévu. distraction offerte par le préjudice d'autrui; ils
Ainsi, tout en devisant avec moi-même, me remuent leurs têtes disproportionnées, s'apla-
voici entré. Quelques instants, pour me faire au tissent dans l'encoignure pour mieux voir, cli-
demi jour de la salle, etje discerne une horrible gnent de l'oeil et laissent échapper de petits gro-
bête qui, m'ayant vu avant que je ne l'aperçoive, gnements joyeux; ils ont l'expression nigaude et
darde vers moi un petit œil méchant. Rama- curieuse de bons badauds suivant une amusante
dryas, dit la pancarte, en haut de la cage. Dieu 1 scène de rue ils échangent des réflexions dans
qu'ils sont laids et. quels ancêtres! leur langue et jugent, en connaisseurs, des coups
Celui qui me regarde en ce moment est assis -de griffes des voisins. Malheureusement ceux-ci
et a passé deux mains solliciteuses à travers les ne tardent pas à revenir à des sentiments meil-
barreaux de sa cage. Il a un gros nez allongé, leurs, ils échangent encore deux ou trois gifles 'et
rose sale et tout dépourvu de poil. Il ressemble la bonne harmonie reparaît; c'est dommage. Les
à la fois à un porc et à un chien qui seraient physionomies de nos Hamadryas s'éteignent, ils
laids; ses deux gros sourcils lui donnent l'air quittent la grille d'un air ennuyé, et, tandis que
méchant, mais l'impression dominante est co- l'un reprend son agitatien stérile, sautant du bas
mique. Il a, encadrant sa figure dénudée, une de la cage sur le barreau pour retomber ensuite
énorme crinière de poils gris; plat et ras au l'autre, assis, bâille, bâille à se décrocher la
sommet de la tête, cela retombe en épaisseur mâchoire il ouvre largement sa gueule, lève les
sur.les côtés, le coiffant comme d'une perruque épaules en bâillant d'un air excédé, et étire ses
xviie siècle qui serait voulue grotesque; perru- membres d'un geste las.
que de gros notable, de magistrat ou de digni- Attirés par le bruit de la querelle, deux ou trois
taire importante et burlesque, elle s'agite, avec visiteurs ont pénétré daus la salle, et, mainte-
des balancements drôles, suivant les mouve- nant qu'elle est apaisée, ils se dirigent vers les
ments brusques et saccadés de son propriétaire. Hamadryas. Je me dispose à leur laisser la place
De temps à autre, il en écarte, d'une main ra- quand, tout-à-coup, l'un d'eux, bon plaisantin,
pide, les broussailles poilues et se gratte avec fait glisser sa canne le long des barreaux de la
une inquiétante énergie. Il roule de côté et d'au- cage. Instantanément tiré de sa torpeur, l'Hama-
tre son petit œil méchant, méditant quelque dryas bondit à la grille, en poussant un cri terri-
mauvais coup et, subitement, d'un bond, il ble, il regarde une seconde son adversaire, puis
s'élance sur le b~rreau transversal d'où il harcèle saute au fond de sa cage, et, se retournant brus-
quement, face à l'ennemi, il se lance de toute sa seulement, sous les paupières, plus vive encore,
force contre les barreaux. Il y arrive d'un élan si cette petite lueur de méchanceté des captifs' qui
impétueux que les ens effarés se reculent ins- ne connaissent pas la résignation.
tinctivement; l'animal pousse maintenant des Où donc ai-je vu ce regard aigu, vindicatif et
aboiements affreux et ininterrompus, il ne fait luisant? Où donc ai-je senti peser ce reproche
que se jeter en arrière pour s'élancer de nouveau; haineux qui se dissimule? Peu à peu le souvenir
par instant, il trépigne de rage et de colère, frap- se lève au fond de ma mémoire, il se précise, je
pant le plancher des quatre membres; dans sa me rappelle enfin.
gueule ouverte on distingue les dents terribles de Ils n'avaient pas de cages, ceux que je visitais
ses solides mâ- alors et que je
choires, sess regardais, com-
petits yeux l'ap- me les autres,
prochés flam- une bande
boient sous le de touristes,
hérissementdes avec l'étonne-
sourcils, il se ment sot et un
heurte et se peu épeuré de
frappe contre gens qui flairent
cette maudite les représailles;
barrière qui le ce n'étaient pas
sépare de ses des bêtes, bien
ennemis. Dans que machines à
le comparti- souffrir, maiss
ment voisin (car des hommes,
ces animaux des prisonniers,
sont isolés) un des « détenus »
autre Hama- l'horrible
dryas, sans dou- mot dans un
te par esprit pénitencier, au
'd'imitation, en- beau pays de
tre aussi en fu- Touraine.
reur, crie et Ils avaient ces
-frappe le plan- yeux-là,etaussi,
cher. C'est un dans le mouve-
vacarme assour- ment des mâ-
dissant et les choires aux
gens restent dents aiguës
sans mot dire, comme une en-
ébahis et mal à vie de mordre,
l'aise devant et, en tout eux-
cette explosion mêmes, cette
de férocité qu'ils férocité rageuse
ont eux-mêmes etcontenue.Ah!
déchaînée. Enfin le mauvais sou-
le gardien ac- venir. Je sa-
court, il pro- vais bien que je
mène un regard soupçonneux sur les visiteurs, trouverais des ressemblances. Il y en a d'im-
qui affectent l'innocence, puis sur l'animal, dont prévues et. de pénibles.
l'excitation, devant l'immobilité de ses ennemis, L'heure préférée des Hamadryas est celle de
commence à décroître il va et vient encore ner- leur déjeuner. Vers neuf heures du matin, on
veusement, ses flancs se soulèvent par saccades leur apporte quelques pommes de terre cuites à
puissantes, ses lèvres se retirent encore en ar- l'eau et coupées en rondelles. On les jette à même
rière, d'un brusque mouvement, avec une ex- leur plancher. Aussitôt, ils les séparent de la
pression de cruauté, et dans sa gorge roulent paille qui leur sert de litière, la reculant bien
quelques sons rauques. Peu à peu cependant il proprement à droite et à gauche, puis, assis,
se calme et reprend possession de lui-même. choisissant les unes, délaissant les autres, ils
Les gens, un peu lâches, comme toujours, grignotent leur provision d'un air satisfait.
échangent deux ou trois réflexions bêtes et s'en On leur donne quelquefois, au lieu de pommes
vont vers d'autres cages. L'Hamadryas les suit de terre, du pain, du riz, des fruits, des oeufs
des yeux, sans boug'er; il a senti sonimpuissance qu'ils cassent, qu'ils sucent, et dont ils rejettent
et renonce à toute tentative violente, il garde ensuite la coquille. C'est un de leur régal pré-
féré. Ils n~ mangent qu'une fois par jour; ils boi- de protection tendre et passionnée, cette garde,
vent de l'eau ou du lait dont ils sont friands, quand même, de ce qu'elle a de plus cher au
j'imagine que cette dernière boisson doit être de monde.
luxe. Ce régimeparaitleur convenir, puisque, de- Le petit, entre les pattes qui le retiennent,
puis sept ans déjà, ils amusent ici la curiosité des risque le regard curieux et sans effroi de l'enfant
visiteurs et usent dans leur prison leur éternel qui se sent là à l'abri de tout danger; sa petite
ennui. figure parcheminée, qu'ornent deux oreilles très
Ai-je dit qu'ils étaient originaires d'Abyssinie? détachées de la tête, plissée par l'attention, est
Ils valent de 750 à 1 000 francs pièce. Avis aux amusante au plus haut point.
amateurs. Je reste immobile.
A côté d'eux, un gros Claacma, insignifiant et Assez vite rassuré sur son propre compte, in-
morose, ne mérite pas de nous retenir. Il a le soucieux des autres, tranquillement égoïste, le
pelage noir verdâtre, sa crinière est moins déve- père se remet à manger sa noisette. Peu à peu,
'Ioppée que celle des Hamadryas. Ici, il est inu- devant mon air paisible, la mère se rassure à
tile, mais au Cap, son pays natal, les habitants son tour; l'offre de quelques morceaux de pain
l'emploient à plusieurs travaux par exemple à me concilie tout à fait leurs bonnes grâces; nous
garder les habitations, à tirer la corde d'un souf- devenons amis. Ils allongent vers moi leurs noi-
flet de forge, etc.; mais il ne faut pas le perdre res petites pattes quémandeuses et font entendre'
un instant de vue, car il abandonne aussitôt le des murmures de plaisir. «
travail qu'on lui a confié.. J'apprends, de la bouche du gardien, que le
Dans la même salle, nous trouvons des maca- jeune macaque est né au Jardin d'Acclimatation.
ques rhésuS'. Ces animaux ne sont pas très Il est âgé d'environ un an. Sa mère lui témoigne
grands, leur pelage est jaunâtre, leur petite sans cesse sa sollicitude, et, me dit le brave
figure, dénudée et blanche, est éclairée par deux homme «Il y a bien des enfants, dans le monde,
beaux yeux bruns, doux et expressifs. Ici, nous que l'on n'aime pas autant. »
avons toute une famille. Elle se compose du Quoi qu'il soit grand et prenne sa bonne part
père, de la mère et d'un enfant Droz aurait dit des pommes de terre quotidiennes, j'ai pu me
« Monsieur, Madame et Bébé. n De loin, ils
pa- convaincre que ce jeune Rhésus goûtait encore
raissent remplis de gentillesse,. le lait maternel et que sa mère ne le lui refusait
Le père grignote une amande quelconque, Ma- pas. Profitant de son sommeil, la guenon s'est
dame le regarde sans envie, et Bébé, sa petite mise à l'épucer minutieusement. Elle lui levait
queue enroulée autour d'un barreau, gollte les les pattes qu'elle visitait et qu'il laissait retomber
délices d'un balancement .ininterrompu, la tête mollement dans la lourdeur d'un profond som-
en bas. meiLElle lui grattait la tête et les oreilles, ser-
Je m'approche, désireux de contempler deplus rant de près les produits de sa chasse qu'elle ab-
près cette scène innocente, mais j'arrive trop sorbait immédiatement. Sauf ce dernier trait,
vite et je les effraie_. Le père se dresse, attentif; elle. rappelait un peu ces mères du bas peuple
la mère bondit à côté de son petit qu'elle saisit italien qui vendent du macaroni, par nécessité,
dans ses bras pour le protéger contre un enlève- et, de la même main, presque au même instant,
ment possible. Elle le serre étroitement sur sa poursuivent, par hygiène, les parasites de leur
poitrine velue et me regarde, bien en face, d'un rejeton dont la tête chevelue s'enfouit dans leurs
air de résolution où il entre à la fois de la peur jupes. Horrible, mais exact. Les re!sem-
et du défi. C'est touchant au possible ce pauvre blances continuent.
amour de bête captivé pour son petit, ce geste (A suivre), M. DAUBRESSE.
Gaies d'aspect, variées à l'infini, les plantes nos appartements où l'hiver nous retient prison-
bulbeuses, vulgairement appelées plantes à oi- niers.
gnons;sont toujours les bienvenues. Si beaucoup Les plantes à oignonsappartiennent en grande
d'entre elles apparaissent les premières dans partie à la famille des Liliacées. Les Liliacées
nos jardins, alors que les frirhas nous ont à peine sont de race noble et privilégiée. Les noms eux-
quittés, d'autres, plus frileuses, nous tiennent mêmes des genres qu'elles comprennent ont je
compagniependant la mauvaisesaison et égayent ne sais quoi d'élégant et de fier. Ce sont le lis
de leur vert feuillage, de leurs fleurs éclatantes, blanc, le martagon tacheté, les grands aloès, les
tulipes éclatantes, l'aspholède superbe, la fritil- a négligé de se faire un calice, ou plutôt que ce
laire piquetée, les muscaris originaux, les jacin- calice lui-méme a revêtu sans transition l'écla-
thes gracieuses, le muguet parfumé et le dragon- tante livrée d'une corolle. Le voilà; ce lis admi-
nier gigantesque. rons-le et, sans chercher à définir l'idée plus 'ou
Famille illustre entre toutes Grâce, beauté, moins mystique qu'il représente, contemplons
parfum, majesté, tout est chez ~lIe, et l'on cher- en lui les proportions élégantes, les belles lignes,
cherait vainement, je crois, dans le règne végétal les couleurs éclatantes, et cette expression se-
une plus glorieuse corporation. reine qui émane de sa pure et calme be'auté.
C'est le lis qui a donné son nom à la famille. On n'apprendra peut-être pas sans étonnement'
Le lis blanc, superbe entre tous, a toujours que la si brillante couleur blanche du lis est due
passé pour être originaire de l'Orient, surtout tout simplement à de l'air emprisonné dans les
de la Syrie et de la Palestine. Maintenant, il est cellules des pétales. C'èst de la même façon que
acclimaté dans nos jardins, où il domine fière- se colorent les oeufs que la cuisinière « bat en
ment de son éblouissant diadème le menu peu- neige )J. Urie fleur de lis placée sous la cloche
ple des petites-fleurs. La beauté remarquable du d'une machine pneumatique, n'est plus, au bout
lis, dont l'imagination des Grecs avait été frappée,
lui fit donner une origine mythologique par ce
peuple aux goûts artistiques el toujours épris
de merveilleux. Selon certains poètes donc, il
dut sa naissance à Vénus, qui métamorphosa en
cette fleur une jeune fille dont la beauté lui pa-
raissaitinquiétante; selon d'autres auteurs, dont
l'imagination était beaucoup plus excentrique,
le lis n'était pas autre chose que la transforma-
tion végétale d'un peu de lait tombé du sein de
Junon, un jour qu'elle allaitait le petit Hercule.
Quelques gouttes éparpillées sur la voûte céles~e
y auraient forlI1é la voie lactée, tandis que les
autres, égarées sur la terre, en auraient immé-
diatement fait jaillir le lis, dont la blancheur
également .lactée rappelle l'origine; de là vient Lilium giganteum.
même le nom'de rose de Junon que les Latins
donnèrent à cette fleur. de quelques instants, qu'une masse d'un jaune
Que voyons-nous dans le lis D'abord une sale.
touffe de feuilles qui, serrées les unes contre les A citer, après les lis blancs, les lis importés du
autrcs, ont l'air de concentrer leurs efforts. Que Japon, aux couleurs si vives (Lilium speciosum),
va-t-il sortir du milieu d'eUes? A quoi donc leur et surtoutle fameux lis des Bermudes (L. Harisii),
beau groupe va-t-il servir de piédestal? aux fleurs d'on blanc pur, en entonnoir évasé et
La voici qui s'élève, la colonne merveilleuse. profond, trop peu cultivé en France et si apprécié
Svelte, mais suffisammentfeuillée, elle s'élance, en Angleterre, où il fait l'objet d'un commerce
elle monte, dépassant d'environ dix fois la hau- très étendu. Près de Londres, on peut en voir de
teur de sa base étalée. Qu'elle est .belle dans' véritables champs, 20 000 fleurs épanouies à la
l'harmonie de ses proportions Plus basse, elle fois, et chaque fleur. se vend en moyenne 6 pence
semblerait écrasée;' plus haute, elle paraitrait (0 fr. 60). Aux Bermudes, où le climat est très
trop grêle. Elle est superbe ainsi. doux,'on les cultive par milliers ils sont en fleurs
Voyez avec quelle ardeur, avec quelle sorte presque :toute l'année et on en fait une exportation
d'émulation montent et se dépassent les petites considéràble.
folioles qui~, en s'étageant le long de la tige, A une autre 'catégorie appartiennent les lis
semblent vouloir atteindre là-haut les belles martagons, -aux fleurs magnifiques, passant par
fleurs épanouies. toutes les gammes du rouge et du roux, con-
Et dans cette fleur, quelle simplicité, quelle stellées de taches de couleurs très variées. C'est
pureté, quel éclat Avec quelle loyauté elle étale de ces lis que parlait Linné, quand il disait dans
au grand jour ses irréprochables pétales! Oh 1 son langage si imagé et poétique « Les lis sont
elle a ta conscience pure, allez regardez jusqu'au les patriciens de l'empire, ils portent- les éten-
fond, vous n'y trouverez pas une seule tache, dards et sont fiers de leur toge éclatante, ils
rien que la poussière d'or que versent les éta- éblouissent les yeux et décorent le royaume par
mines sur ces fermes tissus, dont la blancheur la splendeur de leurs draperies ».
opaque et laiteuse est devenue proverbiale, "et Les Hollandais ne seraient pas flattés de voir-
sert, comme la neige, de terme de comparaison. mettre les lis en première place. Ils la réservent,
Elle était si pressée de fleurir, c'est-à-dire cette première place, à la tulipe, pour laquelle
d'atteindre l'idéal que :rêve toute plante, qu'elle on peut dire, sans exagération, qu'ils firent des
folies. Au XVIIe siècle, ils étaient assez communs, satin blanc où mille' veines incarnates courent çà
les amateurs 'forcenés de tulipes, ces fous tuli- et là pour les passementer; les unes sur une
piers qui, pour un oignon rare, aliénaient une couche azurée ont mille petites estoilles qui les
partie de leur fortune. C'est un de ces maniaques marquetent fort joliment. En voici qui ont des
jaloux qui, en présence d'un amateur auquel il rebordements comme dupassement d'argent sur
refusait de vendre un certain oignon de tulipe, une fléur colombine en voilà où, sur du satin
même aux prix les plus extravagants, finit par verd, rient mille filaments purpurins qui les dé-
tranchent avec une gayeté admirable. Celles-cy
se nomment fouëttées, à cause que sur une fleur
de neige vous y voyez mille filets ensanglantez
comme si on l'avait fouettée jusqu'au sang.
Celles-là sont marquetées <f'e petites tachettes de
mille et mille couleurs. Celle-cy est au dehors
étincelante d'une écarlatte rayonnante, et le de-
dans est esmaillé de trois couleurs toutes diffé-
rentes. Comment est-il possible que une feuille
si mince, nourrie de'mesme air, yssue du même
oignon, soit d'or au fond, violette au dehors,
saffranée au'dedans, rebol'dée de fin or et le pi-
queron de la pointe vert comme un beau saphir
et cent autres de cent autres façons, comme si a
l'envy on les eût parées pour mettre en peine.
l'œil et ne scavoir à quelle se vouër. Diriez-vous
pas que celle-là est une flamme faite à m6de de
fleur; diriez-vous pas que cellc-cy n'est que neige
façonnée en tulipe celle-là du satin incarnat
toute clinquante d'or; celle-là un drap d'or sur-
Tulipes simples. semé de perlés orientales, ou- de petites estoilles;
celle-cy un esmail de mille couleurs; celle-là du
écraser l'oignon désiré, afin que « nul au monde sang figé, surdoré de taches jaunatres; voicy un
ne pût désormais en contempler la beauté » colombin très agréable suresmaillé de goutte-
c'est ainsi qu'il s'exprima, tandis que le talon de lettes d'or. Il faut confesser que Dieu est grande-
sa botte broyait en germe l'innocente fleur. ment admirable en ses ouvrages, puisque d'un
Comme ils auraient applaudi des deux mains,
ces tulipomanes, à la description enthousiaste
que faisait de leur fleur favorite, en 1621, René
François, prédicateur du Roy:
« L'honneur de nos jardins et la perle des
fleurs, c'est aujourd'hui la tulipe soit pour la
variété.incroyable, soit pour l'éclat de ses vives
couleurs, soit parce que c'est un abrégé de toutes
les belles beautez qui flattent nos yeux dans les
parterres. Nature a bien fait ne leur donnant
nulle odeur, car si avec tant tle beauté, elle y eût
infusé les douceurs des fleurs odoriférantes, les
hommes, qui n'en sont fois qu'à demy, en eussent
été fols tout à fait, et amoureux esperdument. La
vérité egt qu'il semble bien que la nature se soit
jouée à façonner ces fleurettes. La figure est tout
d'une sorte, à savoir comme une couppe d'ors,
ou un vase d'argent, ou un encensoir de nature,
mais sans encens ny odeur quelconque; c'est un
calice ou un parfumoir qui tous les matins s'ouvre Tulipes doubles.
U'N D ts E L AU R~ I F L E
NOUVELLE
John Palirac et James Chevagnet, fils de deux heureusement avec l'argent qu'il gagnait. Bref,
grands importateurs de bananes de la Nouvelle- il était maintenant millionnaire.
Orléans, se considéraient presque comme des Durant les premières phases de son ascension,
frères. Il y avait quarante ans, Palirac père, alors il n'avait pas cessé de correspondre avec Cheva-
dans sa quinzième année, s'était enfui de Tarbes, gnet père, son cousin, qui exerçait alors le mé-
sa ville natale, pour gagner tant bien que mal tier de maçon. Celui~ci, enthousiasmé par le
l'Amérique,du Nord. Il avait commencé par ba- succès de son parent, avait résolu de l'imiter;
layer les bureaux d'une maison de commerce. ayant trouvé une o~casion pour le Honduras, il
Puis, un jour, il était parvenu à lâcher le balai étnit parti à son tour. Très supérieur aux ouvriers
et à prendre la plume. Bon employé, intelligent, du pays, il avait été aussitôt remarqué. Comme
actif, faisant preuve de cette initiative toujours entrepreneur d'abord, puis comme architecte, il
~en éveil qu'on apprécie fort aux États-Unis, il avait acquis un petit capital. Qu'en faire? Palirac
avait monté en grade très vite, avait spéculé lui écrivit « Plante des bananiers; je t'achèterai
tes régimes ». C'était l'âge d'or des bananes; les données son père, un courrier important et vo-
planteurs gagnaient des fortunes. Chevagnet en lumineux. It avait fait de ce bureau une curiosité
gagna une rapidement, vendit toutes ses planta- célèbre,à.la Nouvelle-Orléans. Aux murs étaient
tions, rejoignit Palirac à la NouvellecOrléans, et clouées des peaux de jaguars et de pumas, sou-
s'associa avec lui, car il avait reconnu que les venirs de chasses dans l'Amérique centrale.
importateurs' s'enrichissaient encore plus vite Quelques énormes écailles de- carets pendaient
que les planteurs. au plafond, soutenues par des cordelières de
Les héritiers de ces deux nababs, John Palirac soie rouge. Quatre serpents coraux naturalisés
et James Chevagnet, moitié Français, moitié s'enroulaient aux quatre pieds de la table. Et, au
Américains, unissaient à l'entêtement des Yan- milieu de la chambre, sur une estrade, un caïman
gees toute la fougue capricieuse des enfants du empaillé"long de sept mètres, ouvrait sa gueule
Béarn. C'étaient deux parfaits gentlemen, d'ail- terrifiante face à la porte et aux visiteurs.
leurs. Ils s'entendaient à merveille et, en dehors Mais James aurait bien volontiers détruit tout
de leurs heures de travail, ils ne se quittaient cet excentrique décor s'il avait pu, par ce moyen,
guère. Excellents tireurs, ils avaient une même obtenir certain sourire.
psssion, la chasse aux caïmans, à laquelle ils se Jamais il n'avait manqué à ce principe que,
livraient ensemble, chaque semaine, sur le lac pendant l'expédition des affaires, on ne doit se
Pontchartrain. Ils professaient, à l'égard des préoccuper de rien d'autre. Il y manquait au-
plaisirs du monde et du « flirt », un dédain assez jourd'hui et, entre deux phrases sur le courtage
fréquent chez les jeunes Américains durement des bananes ou le classement des régimes, il
élevés. s'arrêtait pour penser à Gladys, à l'affolante Gla-
John disait souvent dys. La veille au-soir, ou plutôt le matin même,
Une femme ne vaut pas un gros crocodile car c'était dans un bal qui avait duré jusqu'à
à qui on loge une balle dans le ventre. l'aube, elle s'était moquée férocement de ses
Et Jâmes répondait, avec un hochement de deux amoureux. « C'est insupportable, cÓnclut-il.
tête joyeux Je ne comprends pas cette conduite. La misé-
Elle ne le vaut pas. rable Il faut que je l'épouse. John est de
Le hasard malicieux devait leur jouer un bien trop ».
méchant tour Il en était là de ses réflexions assez. incohé-
Chevagnet pèf était ami intime d'un armateur rentes, quand ce John « de trop », en personne,
d'origine écossaise, Mac Kinnoch et ce Mac Kin- entra sans frapper. Il paraissait furieux. Grand,
noch avait six filles. Les quatre dernières, de maigre, et très robuste quoique maigre, tout
douze, de dix, de sept et de cinq ans, ne pou- pareil en cela à son ex-ami James, il avait seu-
vaient encore compromettre la sécurité d'aucun lement le profil béarnais plus accentué, les yeux
« bachelor », mais les deux premières, Gladys et plus flambants. Et Dieu sait, ce jour-là, s'ils
Dorothy, dix-huit et seize ans faisaient flambaient
tourner beaucoup de têtes, avec une vitesse 'su- James, cria-t-il sans préambule, finissons-
périeure à celle de la rotation de la terre. en Tu sais que j'aime Gladys Mac Kinnoch. Re-
Qu'arriva-t-il? Il arriva tout bonnement que, tire-toi
parmi ces têtes qui tournaient, se trouvèrent Retire-toi toi-même. J'aime aussi Gladys
celles de nos deux contempteurs du beau sexe, Mac Kinnoch, répondit âprement James.
de John Palirac et de James Chevagnet. Et mieux,
effet de l'analogie des cara0t~res, ou simple
Je l'ai aimée avant toi.
Quand donc as-tu commencé à l'aimer, s'il
coïncidence? elles commencèrent à tourner te plaît?2
juste au même moment, et pour la même jeune -*Le jeudi, 2 janvier, entre dix heures et
fille, pour l'ainée, pour la toute gracieuse et onze heures, à la soirée qu'a donnée sa mère
toute blonde Gladys. pour les seize ans de Dorothy. ·
Ce:fut exactement la fable de La Fontaine Moi, j'ai commencé aussi à l'aimer le jeudi
« Deux coqs vivaient en paix. Une poule sur- 2 janvier, entre dix heures et onze heures, et
vint. ». Or, les jeunes Américains ne le cédant même plus près de dix que de onze. Par consé-
en rien à des coqs pour l'humeur combative, la quent, je ne me retirerai pas.
situation devint vite impossible, intolérable, sans Alors il est nécessaire que l'un de nous
aucun espoir de solution pacifique. D'autant que disparaisse.
Gladys, très libre, comme les jeunes filles de J'y pensais.
là-bas" coquetait avec John et James le plus in- Ils se regardèrent, hors d'eux-niêmes, prêts à
souciamment du monde, les excitait l'un contre bondir.
l'autre, riait de leurs colères, s'amusait enfin à James, le premier, se calma un peu, et reprit
cceur joie, et ne songeait pas aux périls d'un pa- Màis comment faire?
reil divertissement. Eh! bien, j'ai un moyen à te proposer. C'est
Un matin, James Chevagnet travaillait dans son pour ça, d'ailleurs, que je venais, car je m'atten-
bureau, rédigeant, d'après des notes que lui avait dais à ton obstination.
Dis ton moyen. Certes, ils l'aimaient toujours; mais peut-être lui
Nous allons tous les deux, prochainement, en voulaient-ils un peu, au fond, du tracas vrai-
partir pourl'Amérique centrale tu dois expertiser ment anormal qu'elle leur causait. Cependant,
une plantation à Bocas moi, je passerai .à Colon vers deux heures du matin, John, très ému,
pour discuter une question de tarif avec jle direc- parce qu'il avait l'âme plus sensible que James
teur de l'Aspinwall F ruits Company. Choisissons et aussi parce qu'il avait bu plus de champagne,
là-bas un bon endroit, et battons-nous au rifle (1).). eut une inspiration du coeur « Je vais risquer la
All right. L'as-tu déjà en vue, le bon endroit mort pour Gladys, se dit-il il faut absolument
dont tu parles?2 que j'emporte un souvenir d'elle, que je vole sa
Oui. Montre-moi une carte. photographie. Je la contemplerai une dernière
Ils causaient maintenantavec un calme parfait, fois avant le duel. » Il se rappela que cette pho-
comme s'il se fl1t agi d'une affaire commerciale. tographie était placée dans un album, et cet
James prit dans un tiroir, puis étala sur son album lui-même, posé sur une table, dans un
bureau uné carte de l'isthme de Panama. John petit salon. Profitant du moment où un couple
indiqua, sur la côte nord, les embouchures de flirteur venait d'en sortir, il s'y glissa, courut à
deux fleuves situés entre Colon et Bocas. l'album, tout au fond de la pièce; et hâtivement,
Tu vois le rio Miguel de la Borda, le rio sans bien y voir, dans une demi-obscurité, les
Coclé. Il y a dix-sept miles (2), au plus, de l'un yeux brouillés d'ailleurs par un commencement
à l'autre. Nous conviendrons d'un jour. -Nous d'ivresse, il s'empara de l'image adorée qu'il
irons chacun à l'un des deux fleuves. Nous pren- cacha bien vite dans son portefeuille.
drons chacun deuX: hommes pour faire la tro- Le soir, après des préparatifs follement préci-
cha (3). Puis nous partirons à l'aube, en marchant pités, John et James se retrouvèrent sur l'Alice.
l'un vers l'autre. La côte sera interdite; mais Ils se serrèrent la main avec une irréprochable
nous ne nous en écarterons pas, autant que pos- correction. Mais John s'isola bientôt sur l'avant.
sible, de plus d'un demi-mile. Nous nous rencon- Il se disait « « Je vais regarder le portrait de
trerons sans doute entre midi et deux heures. Gladys ». Il n'en avait pas encore eu le temps!
Tant mieux pour le premier qui apercevra son Il prit pieusement dans son portefeuille la pho-
adversaire et lui trouera la peau 1 tographie, et. Malheur c'était celle de Dorothy!
Et si l'un de nous est blessé, l'autre l'achè-, Il ébaucha un mouvement pour la jeter à la mer.
vera-t-i12 Puis il pensa « Non. C'est une jolie fille, après
John réfléchit un moment. Puis, d'un ton tout, et qui ne m'a jamais fait de mal ». Et il la
grave, il déclara réintégra dans la poche d'où elle sortait. Mais il
Nous sommes d'anciens amis. On pourrait était bien déconfit!
peut-être décider simplement que le blessé re- Le vapeur-bananier manquait de confortable et
noncerait à Gladys. Mais, moi, j'aimerais de propreté. Heureusement, on avait la res-
mieux être achevé. source, grâce à la chaleur, de coucher sur le pont.
Moi aussi! s'écria James. Les deux jeunes gens, étendus dans leurs chaises
(Ils étaient sérieusement pincés!) de bateau, y passaient la nuit, face aux étoiles.
Et il ajouta Le matin, ils s'éveillaient côte à côte. Cette vie
Quel fleuve prendras-tu ?.. Si nous tirions commune leur semblait très supportable, main-
au sort?. tenant Glaays s'éloignant à mesure, ils retrou-
Très juste! As-tu une pièce? vaient, sans y songer et sans le vouloir, quelque
James chercha dans son porte-monnaie. chose de leur ancienne amitié. Ils se reprenaient
Tiens dit-il. Une piastre colombienne souvent à causer en bons camarades. Un soir,
Elle fera l'affaire. Si c'est face, à toi le Miguel! Si comme ils parlaient de chasse au puma, John
c'est pile, à moi dit
Et il tendit la pièce à John qui la lança en l'air. Il faudra que nous en fassions une en-
Elle tomba sur le nez du caïman, puis rebondit semble, avant de quitter l'isthme.
par terre trois fois. Mais James, moins distrait, répondit avec un
Face proclama John. J'ai le Miguel. Quand peu d'humeur
partons-nous ? Tu n'y penses pas! Nous aurons de l'occu-
Ils résolurent de s'embarquer sur le vapeur- pation jusqu'au 15; et, après le 15, l'un de nous
bananier Alice, qui appareillait le 3 avril pour sera mort.
Bocas, et, d'avance, ils fixèrent le duel au 15. Ah tu as raison, reprit John, l'air contrarié.
Le 2 avril, ils assistèrent à une dernière soirée Et il ajouta
chez les Mac Kinnoch. Par un accord tacite, ils Ma foi, c'est ennuyeux
se montrèrent fort réservés auprès de Gladys. Le vapeur marchait bien. Le 8. au soir, il
déposa les jeunes gens à Bocas, d'où John partit
(1) Fusil rayé.
(2) 1 609 mètres.
aussitôt pour Colon dans une chaloupe. Il y
(3) Trouée qu'on fait dans la forêt vierge avec le sabre arriva le surlendemain matin. Il mena très ron-
d'abattis appelé machete. dement les négociations avec l'Aspinwall Fruits'
Company. Dans ses rares moments. de loisir, il, et le dôme d'un vert so~bre qu'ils soutenaient'.
ouvrait négligeamment son portefeuille et con- valait bien celui de la basilique de Saint-Pierre.
templait la photographie de Dorothy. John, qui avait voyagé en. Italie, formula menta-
Oui, oui, murmurait-il, c'est une jolie fille. ment cette comparaison. Puis il abaissa son
Quels grands yeux Un peu trop noirs mais le regard sur les plantes de sous-bois, hautes d'un
noir n'est-il pas moins fade que le bleu pâle? à trois mètres environ, qui se groupaient en
Puis je latrouve bien gentille, Dorothy, par com- massifs et barraient souvent le passage, et il
paraison Elle ne flirte pas. Elle n'a pas encore grommela
appris à se moquer des gens. Celui qui l'épou- Quelle végétation encombrante A quoi
serait bien vite, avant que la diablerie lui diable peut-elle servir? Pas même à faire du
vienne, ne ferait pas une sotte affaire. » fourrage 1
Le 14, dans l'après-midi, John débarquait au La chaleur, supportable au départ, augmentait
rio Miguel. Une trentaine de cases, les unes sur sans cesse. Aucun souffle d'air sous cette ombre
pilotis, les autres posées à plat sur le sol fan- lourde La sueur inondait le front de John et
geux, constituaient tout le village. John eut ses moustaches mouillées pendaient.
grand'peine à trouver deux hommes pour le gui- Vers neuf heures, les hommes voulurent se
der le lendemain; il y décida enfin un Indien et reposer. John, consultant sa montre, déclara
un mulâtre de la Guadeloupe en leur promettant Je vous donne dix minutes.
cinq piastres à chacun. Il passa une nuit agitée, Ils-s'assirent sur un arbre tombé. Le regard
au sens propre du mot, sur le plancher mouvant errant de John s'arrêta aux énormes pieds du
de l'habitation du mulâtre, sous laquelle des mulâtre, larges et ronds comme des tourteaux.
porcs se battaient avec des grognements fu- A l'un de ces pieds', il manquait le pouce. John
rieux. aussitôt demanda pourquoi.
A l'aube, les trois hommes traversèrent le C'est la nigua, senor, répondit le mori-
fleuve dans 81ne pirogue, puis s'enfoncèrent en caud.
pleine forêt vierge, dans la direction du rio Coclé. La nigua ?. Ah oui 1
L'Indien portait une hotte qui contenait les pro- John venait de se rappeler que les indigènes
visions ,cinq boites de conserves de corned- de l'Amérique Centrale et de l'Amérique du Sud
beef et des bananes. John avait gardé son por- appellent ainsi cette horrible puce pénétrante,
tefeuille par une habitude déjà invétérée, il y qui pond ses oeufs dans la chair de sa victime. B
cueillit Dorothy. Tandis que ses compagnons ne putréprimer un frisson de -dégoût Si le dan-
trouaient à coups de machete un fourré très ger de recevoir une balle le troublait peu, il fré-
épais, il la regarda longuement. Il eut une illu- missait à l'idée de perdre un doigt de pied, gan-
mination soudaine grené par les larves d'un nigua.
Saprelotte s'écria-t-il. Sapi'elotte Mais Il fallut faire une seconde halte, vers onze
c'est Dorothy, maintenant, que j'aime, et je heures, pour déjeuner. Le mulâtre et l'Indien
vais me battre pour Gladys 1.. dévorèrent le corned-beefavec une gloutonnerie
Il ajouta, très gravement de fauves. John, un peu incommodé par la tem-
Oui, mon ami; et tu ne peux plus reculer. pérature, eut moins d'appétit.
Il n'y a qu'un honneur. Tant pis 1 Tu auras bien Puis on se remit en marche. John commençait
soin de ne pas tuer James. Tu lui c'asseras une à s'émouvoir. Il tenait à deux mains son rifle
jambe et tu lui diras « Épouse Gladys )J. Il sera armé, prêt à épauler et à faire feu. N'était-ce
bien heureux. pas terrible, au fond, ce duel? Oui, il était
Au même moment, James, qui partait du rio décidé à ne pas tuer James et il pensait bien, à
Coclé avec un métis et un Espagnol, monolo- part lui, que James, de son côté, n'avait guère
guait ainsi envie de le tuer. Mais, si bon tireur qu'on soit,
C'est idiot tout de même, d'être obligé de peut-on être stlr de son coup dans de pareilles
tirer sur ce brave John, qui a été si longtemp conditions?. Et il y avait leurs familles, aux-
mon meilleur ami. Et pourquoi ? Parce qu'une quelles ils avaient trop peu songé!
Que dirait
petite coquette s'est jetée entre nous. Bah I Palirac père, au cas où on lui rapporterait Pali-
j'aurai bien soin de ne pas le tuer. Je lui casse- rac fils troué proprement? Et que penserait Che-
rai un bras et je lui dirai « Ma foi, si tu tiens vagnet père si on lui ramenait Chevagnet fils avec
tant à cette Gladys, épouse-la, et fiche le camp du plomb dans le crâne ?.. Stupide situation 1..
avec 1Il sera ravi. Ah 1 Gladys 1 Gladys 1 La coquine 1 La peste 1 S'il
John, le rifle à l'épaule, marchait derrière ses l'avait tenue, vraiment il l'aurait calottée,
deux hommes qui avançaiant très lentement. Il comme une gamine perverse qu'elle était
n'avait pas encore chassé dans ce pays, comme (c Et le plus bête de tout, concluait-il, c'est que
James l'avait fait, et il contemplait avec curio- j'aime Dorothy. »
sité le spectacle nouveau pour lui de la forêt JEAN LIONNET.
vierge. Les troncs. nus, entourés de lianes nues (A suivre.)
aussi, montaient à une hauteur invraisemblable
Société des Beaux-Arts cOnnaît des. recettes moins
La .Quinzaine considérables. Nous craignons qu'un choix annuel
des peintres mis; de plano, au premier rang, en ve-
dette particulière, ne suffise pas à rendre à l'Asso-
ciation des artistes français sa précédent~ prospérité.
LETTRES ET ARTS Enfin, c'est un essai à faire, après tout et, pour nous,
il n'y a pas lieu de s'insurger contre cette Aristocra-
tie de demain. Attendons-la à l'épreuve du jugement
Il est ',très probable que le Comité des Quatre- publie..
vingt-dix, qui régit la Société des artistes français, Mais, quant au second point, l'erreur est tout à
approuvera, le 4 novembre, une proposition de sa fait évidente et lourde. Elle provient des plaintes;
scius-commission. Cette approbation, si elle a lieu, cent fois formulées, de la Presse contre la médiocrité
constituerait une révolution dans le Salon annuel, le des Salons. Les critiques d'art (nous l'avons déploré
vieux Salon. Bien mieux même, elle le supprimerait, nous mêmes bien souvent) défilent en courant, le
en quelque sorte, du moins dans les formes aux- crayon à la main, devant des kilomètres de peinture,
quelles nous sommes habitués. où ils notent. n'importe quoi, à la fin de la jour-
La proposition est donc tout à fait grave, avec ses née, quand ils sont fatigués, et ils déclarent, en bloc,
multiples conséquences. Elle se présente avec un que c'est exécrable. « Quand nous donnera-t-on,
double but créer officiellementune espèce-d'Aristo- disent--ils, un millier seulement de bonnes œuvres
cratie de l'art dans la Société et diminuer la part de à juger? » On songe à les leur donner et à
présentation de leurs œuvres, laissée jusqu'ici très relever le niveau du Salon. A cet égard, on n'a
large aux arrivants, aux maîtres de demain peut-être,
au « menu fretin ». Voici comme, grosso modo désor-
pas tort, mais le « niveau
doit pas être « relevé"
en question ne
ce qui est à sou-
mais chaque. artiste, hors conconrs je crois (le détail haiter, en effet, par une réduction du nombre des
de tout ceci n'est pas bien arrêté et il est, en tout cas, toiles exposées. Il doit emprunter ce relèvement à
essentiellement modifiable). aurait droit, après dési- un travail plus judicieux ou plus méticuleux du jury,
gnation pour cette faveur par un jury spécial, à grou- qui procède à ses opérations avec précipitation et
per un certain nombre de ses œuvres, au Salon. On selon des coteries.
réserverait, pour cela, quelques salles qui consti- Vous ave~ tous vu le tableau, fort amusant, qui re-
tueraient une façon de Temple, un peu ce qu'est la: présente les opérations de ce tribunal de l'art. Ils
Tribuna, au grand musée de Florence. sont là une quarantaine de messieurs, le chapeau sur
D'un autre côté, on réduirait sensiblement la quan- la tête, la canne à la main ou dirigée sur une toile,
tHé des œuvres admises. On en admettait 3 000, en qui s'entretiennent avec animation de leurs petites
peinture et sculpture il n'y en aurait plus que 1200 histoires d'atelier. Ils se passent et repassent des
ou 1 500 et 500 dessins, aquarelles, etc. élèves; ils pêchent et repêchent d'après les recomman-
Telles sont les lignes générales (je néglige des dations. Ce n)est pas long. Et c'est souvent injuste. Il
points secondaires) de la réforme projetée. Il est conviendrait d'adopter un autre mode d'admission,
certain, de prime abord, que les artistes qui l'ont plus compliqué, plus sûr, garantissant mieux à l'ar-
élaborée ne sont ni des sots ni, des égoïstes renforcés tiste, qui a envoyé une toile ou un marbre, la sûreté
ni. tout ce qu'on voudra de désagréable. Ils ont une de goût et surtout la vigilance impartiale de ses juges.
conception nouvelle de la constitution du Salon qui Procès-verbaux, votes inscrits, nominatifs, je ne
leur paraît dirigée dans le sens d'une meilleure sais c'est à chercher, c'est à trouver. Et le « niveau »
marche des affaires sociales, dont le chiffre va bais- dont il s'agit en bénéficierait très certainement, par-
sant chaque année. Nous ne leur ferons pas l'injure ce qu'il n'est pas prouvé à priori qu'une infinité
de croire, comme quelques-uns, qu'ils profitent de d'œuvres refusées, du bout de la canne, sont infé-
leur situation, de leur réputation consacrée, pour ne rieures à nombre d'autres, acceptées hâtivement ou
penser qu'à tirer à eux tout le bénéfice du Salon. Ils par proteciion.
sont de bonne foi et bien intentionnés.Soit! mais ils Voilà la vraie réforme. Mais songer à mettre un
se trompent. frein à la marée de désirs d'exposer au Salon, est
On leur passera, s'ils y tiennent, cette combinai- une inspiration détestable à tous égards. Limiter les
son aristocratique dont on aperçoit les raisons supé- places, c'est dire à tous les jeunes, à tous les « sans
rieures, si on consent à ne rechercher que celles-là. protecteurs qu'ils attendent leur tour, l'accumula-
Les succès du Champ-de-Mars (de la Société rivale, tion des années, qu'ils subissent ce qu'on appelle la
les Beaux-Arts) les hante. Le système des cimaises loi des remplacements.Or, ils ont droit à un meilleur
« composées », c'est-à-dire groupant l'ensemble des traitement, parce que membres de la Société eux
efforts d'un artiste et permettant d'apprécier ceux-ci aussi, membres payants et ayant besoin de cette ré-
dans leur entier, hante évidemment l'esprit des clame que leur offre, une fois par an, le Salon, leur
Quatre-vingt-dix ou plutôt des membres, très déco- Salon.
rés, de leur sous-commission. Ils attribuent à cette Les Quatre-vingt-dix ont-ils donc oublié les diffi-
sélection d'un rang très élevé la vogue première de cultés du début, les angoisses des longues soirées
l'association concurrente et ils désirent l'imiter, en sans feu dans l'atelier de Montmartre où la nuit est
cela d'abord. C'est peutcêtrc une illusion. A nos yeux, tombée sur la toile ou le marbre qu'on rêve de voir,
l'heureux début du Champ-de-Mars a été dû à d'autres prochainement, exposé à l'admiration publique? Et
causes, à l'attrait de la nouveauté, à la qualité indis- là-bas, en province, loin du soleil de Paris qui
cutablement hors de pair des principaux exposants. semble fait de recommandations et d'apostilles, n'y
Avec le temps, du reste, ces éléments de grand a-t-ilpas une foule d'humbles, d'ignorés, decourageux
succès ont perdu de leur valeur et aujourd'hui la qui peinent, toute l'année, en vue de cette unique
occasion de se faire connaître le Salon de leur As- cette retraite en un désastre rééditant la.capitulation
sociation ?2 de Cronje à Paardeberg.
Sans doute, ils sont livrés à eux-mêmes, ils n'ont Comme toujours, les journaux anglais chantaient
pas d'appui, pas de relations, ils confieront leurs déjà victoire. Ils déchantent maintenant et sont bien
œuvres, peut-être, tout de go au chemin de fer, forcés de constater que Botha a échappé une fois de
à l'adresse du jury dont le verdict meutrira plus à la savante (?) stratégie de Kitchener et s'en est
leur cœur. Mais ils ont l'espérance, cette étoile retourné tranquillement dans le district d'Ermelo.
du berger de l'artiste ils se disent que le nom- On nous a d'ailleurs expliqué pourquoi c'est,
bre des places est très considérable, qu'après paraît-il, que le brouillard a considérablement gêné
tout tels et tels ont été admis naguère et ils les troupes anglaises, et les a empêchées de suivre
n'avaient pas une valeur si écrasante. Bref, ils se exactement les mouvements du généralissime boer.
sentent soutenus, par leur propre confiance en cette En ce qui concerne les mouvements des com-
chance si problématique. Et on la leur enlèverait mandos Kemp et Delarey, le télégraphe anglais est
sous ce prétexte qu'ils sont encombrants, qu'ils sont d'une discrétion remarquable. Sont,ils parvenus à
médiocres, qu'ils ne sont pas intéressants pour mes- passer dans l'Orange? C'est possible, mais on se
sieurs les critiques d'art d qu'ils font tort aux « ta- garde de nous en rien dire jusqu'à ce que la vérité
lentueux», aux gros personnages dont les bouton- éclate d'elle-même.
nières ont rougi et dont les escarcelles s'emplissent? Quant à De Wet, il continue à faire le mort; il
On assure que le salut de la Société est à ce prix, le fait même si bien qu'on nous a tranquillement
qu'elle duit « jeter du lest », une vilaine expres- annoncé son décès, il y a quelques jours. La dépêche
sion Allons donc! qu'on mécontente encore les cri- qui donnait cette nouvelle sensationnelle disait sim-
tiques et, tout médiocre qu'il est, qu'on tolère au Salon plement que le général boer étant inactif, on devait
son développement kilométrique, son encombrement supposer qu'il avait passé de vie à trépas.
abusif. -L'esprit même de la fondation de la Société La nouvelle a été, depuis, démentie; espérons
qui doit être l'aide confraternelle, la générosité, maintenant que De Wet la démentira lui-même' par
sinon le calcul, l'exigent. PAI'L BLUYSEN. une prochaine action d'éclat.
La loi martiale a été établie au Cap, avec tout son
a49 cortège de violences et de restrictions,- les dépêches
ne peuvent plus passer maintenant qu'après avoir été
LA GUERRE soigneusement expurg-ées par la censure anglaise;
et cependant, malgré tout cet appareil de défense
contre la vérité, on a bien été forcé de nous faire
AU TRANSVAAL connaître un mouvement formidable qui s'accomplit
au profit des Boers dans la Colonie anglaise.
La guerre se poursuit avec une activité nouvelle. Encore une fois, le Cap est envahi, des commandos
D'innombrables petits commandos se sont formés sont parvenus, dans une incursion d'une audace
pendant la saison d'hiver et surgissent aujourd'hui extraordinaire, jusqu'à 60 kilomètres de Capetown.
de toutes parts; des escarmouches sont sign'alées Un nouveau chef boer s'est révélé dans ces circons-
chaque jour sur vingt points différents, mais aucune tances, c'est le jeune commandantMaritz qui a mené
action sérieuse n'est encore venue orienter d'une ses hommes avec une étonnante maestria jusqu'aux
façon bien précise l'opinion des gens compétents qui portes de la Capitale, et jusques aux bords de la mer,
suivent avec une attention passionnée la marche des à Saldanha Bay.
événements dans l'Afrique du Sud. Quelle est exactement la portée du soulèvement
L'événement le plus important de cette dernière dans la colonie du Cap? Il est difficile de le savoir,
période est la tentative de Louis Botha sur la frontière avec ces nouvelles que le V'ar Office laisse passer en
du Natal. fragments incomplets, et volontairement obscurs..
Le brillant généralissime des Boers a-t-il eu réel- Si même cè n'était, comme le prétend, la presse
lement l'intention de pénétrer en Natalie? A-t-il sim- jingoe qu'un « raid de pillage », le fait aurait déjà
plement voulu. par sa tentative hardie, attirer à lui son importance, et c'est quelque chose c'est beaucoup
toutes les forces disponibles de lord Kitchener pour pour l'armée boer d'avoir trouvé une source nou-
dégager l'Orange et permettre ainsi à De Wet d'or- velle, extrêmementriche, de ravitaillements de toutes
ganiser tranquillement ses forces? Toutes les suppo- sortes et de chevaux achetés à grands frais par le
sitions sont permises. War Office dans tous les pays d'Europe.
Quoi qu'il en soit, parti d'Ermelo, son quartiPr gé- Mais il y Ii certainement autre chose dans ce mou-
néral habituel, Botha s'est heurté, au sud d'Utrecht, vement dont la portée morale est considérable, et
aux avant-postes de Lyttelton, dont le quartier général c'est à n'en pas douterune étape importante qui vient
est à New-Castle, les a culbutés aisément, puis a d',être franchie dans le sens du soulèvement de
abordé vigoureusement l'ouvrage de Mount Prospect l'Afrique du Sud tout entière contre l'Angleterre.
et le fort d'Itala. La loi martiale peut nous empêcher maintenant
Que s'est-il passé exactement sur ces deux points? d'avoir des renseignements plus complets, elle peut
Le War 0~ce~ a tellement embrouillé ses dépêches élever provisoirement une muraille de Chine
que lord Kitchener lui-même ne doit plus les recon- entre l'Afriqlle du Sud et l'Europe elle n'empêchera
naître. pas les évènements de s'accomplir.
Mais il est certain qu'après cette chaude affaire, HENRI MAZEREAU.
Botha s'est rabattu sur Vryheid, entraînant à sa suite
les colonnes Walter Kitchener, Bruce Hamilton,
Dartnell et Campbell, qui rêvaient de transfor'lIIer
.1 TJ.1HEATJ.1:&E
Tout ceci n'en est pas moins fort délicat; et il me
parait difficile de se prononcer en juste connaissance
de cause sans connaitre à fond les pièces du procès.
Il faut donc attendre les événements avant de se faire
LA VIE DRAMATIQUE
une opinion définitive.
Le président de la République française, Pour en revenir à la cause qui a déterminé ce con.
Sur le rapport du ministre de l'Instruction pu- flit aigu, à cette pièce nouvelle qui fit tant de bruit
blique et des Beaux-Arts, avant d'être jouée, nous devons avouer en toute sin-
Vu les décrets des f4, octobre 1812, 27 avril 1850, et cérité qu'elle n'était vraiment point digne de cette
du 1 er février f887. dispute.
Décrète Qu'est-ce en somme que ce Roi, réformateur de
ARTICLE PREMIER. L'administrateur général de la coutumes paraissant surannées iln honnête drame
Comédie-Française est seul chargé de la réception 4es moderne, ni meilleur, ni pire que la plùpart de ses
pièces nouvelles. semblables, un banal fait-divers transporté dans un
ART. 2. Sont abrogées les dispositions des dé- milieu princier imaginaire, peu intéressant en lui-
crets du 14 octobre 1812, du 25 avril 1850 et du 1 er fé- même, renfermant une situation dont la place serait
vrier 1887, qui sont contraires au.présent décret. préférable à l'Ambigu. En somme la maison de Molière
AR.L. 3. Le ministre de l'Instruction publique et ne se trouve certes point déshonorée pour avoir monté
des Beaux-Arts est chargé de l'exécution du présent cette eenvre sans originalité; mais sa réputation n'y
décret. gagnera point non plus. Dans un mois elle serait ou-
Fait à Paris, le 12 octobre 1901. bliée, sans l'incident qu'elle a provoqué..
Émile LOUBET. Faut-ilciterl'interprétationquil'adéfenduecomme
elle a pu alors il n'y aurait que des éloges à adresser
Par le président de la République à MM. Paul Mounet, Delaunay, Mayer, Mm.. Segond-
Le ministre de l'Instruction publique
et des Beaux-Arts, Weber et Leconte. Eux n'ont pas été au-dessous de
Georges LEYGUES. leur tâche.
x
Et voici d'un trait de plume le comité de lecture Quelques jours avant cette première, qui fut quand
de la Comédie-Françaisecondamné. même sensationnelle, Antoine nous avait donné un
Cette décision inattendue du gouvernement, cette très beau spectacle, la traduction d'une pièce alle-
première brèche au décret de Moscou n'a pas été mande l'Honiteur, de 111. Sudermann. Autrefois à
sans faire couler bien de l'encre pendant cette quin- l'époque des timides essais du Théâtre-Libre, le
zaine et certes il y a en ce moment chez les socié- même Antoine monta sous le même titre une œuvre
taires pleurs et grincements de dents. peu ordinaire de M. Henri Fèvre. Il s'agissait alors
N'est-ce poir.t en effetune atteinte portée à la quasi- de l'honneurd'une jeune fille; et je me souviens par-
inviolabilité de ces messieurs les comédiens ordi- faitement de la façon quasi-géniale dont Antoine joua
naires. de la République ? le rôle d'un père, apprenant la faute de son enfant.
Et comme il arrive souvent pour les événements Ici ce n'est pas du même honneur qu'il s'agit.
importants, c'est un grain de sable qui a jeté bas la Celui de M. Sudermann (dont lé succès a d'ailleurs
machine, c'est une goutte qui a fait déborder le vase été vif) est une sorte de mélodrame, avec situations
tout comme dans le verre d'eau de feu Scribe, qui fut fortes, où il semblerait être prouvé que les patrons
si souvent interprété rue Richelieu. Ce grain de sable exploitent les travailleurs, et au surplus leur ravissent
inopportun, cette goutte d'eau malencontreuse, c'est l'honneur. Il y aurait beaucoup à dire sur cette' façon
tout simplement la nouvelle pièce, de M. Gaston d'envisager les choses, et ces doctrines ne sont pas
Shéfer: le Roi. toujours bonnes à être présentées au public. D'aih
Déjà au printemps dernier le Chérubin de M. de leurs cette exportationdu socialisme qui semble nous
Croisset, dont la chute fut telle à la répétition géné- venir d'Allemagne, aurait pu demeurersans inconvé-
J;ale (événement unique dans les annales de la Comé- nient dé l'autre côté de la frontière. Mais il est de
die) que la première représentation sans cesse mode à présent d'évoquer au théâtre la question so-
retardée n'a jamais eu lieu.; déjà, dis-je, depuis cette ciale; et daus ce cas on ne saurait en vouloir à An-
époque une réforme devenaitnécessaire en ce qui con- toine de nous avoir mis sous les yeux, comme il l'avait
cerne la réception des pièces sur notre première scène. déjà fait avec les Tisserands, ne fût-ce que par pure
Le comité de lecture ou plutôt Le comité de ré- curiosité, une littérature en tous points admirable au
ception n'en était pas à ses premières frasques; et point de vue de l'art. Il est de toute évidence que
sans remonter à Beauvallet, qui faisait choisir par son si l'on compare la pièce socialiste allemande aux
chien la boule blanche, rouge ou noire, qu'il devait Mauvais bergers par exemple, on est frappé de la su-
déposer dans l'urne, il est hors de doute que souvent périorité du procédé de l'autre côté du Rhin.
se produisaient des abus. Comme toujours boulevard de Strasbourg, l'oeuvre
Au premier abord il semble donc qu'un adminis- est merveilleusement mise en scène, et merveilleuse-
trateur, seul responsable du choix des pièces, devrait ment jouée. Il faut cite en première ligne Grand,
être la solution préférée. Cependant il ne faut pas qui dépense une somme énorme de talent dans un
oublier que la Comédie-Françaisen'est pas un théâtre rôle fort difficile, dont il sait mettre en relief les
commeles autres, que c'est une société commerciale oppositions diverses. Dumény n'est pas moins excel-
régulièrement constituée, et que, comme telle, elle lent dans son élégance de sceptique humanitaire.
devrait être seule juge des œuvres qui peuvent lui Mlle Miéris, qui fut si remarquée dans Quo Vadis à la
apporter la ruine ou la fortune. Porte-Saint-Martin, a tenu ce qu'elle promettait.
Avec un peu de travail, elle deviendra l'une de nos Camerata: son talent si souple et si plein de vigueur
meilleures comédiennes. s'adapte parfaitement à cette silhouette d'une con-
spiratrice en jupon, qui ne manque pas d'allure.
Mais hélas! c'est en vain que nous avons cherché la
C'est également une. pièce politique, que celle du délicieuse frimousse de Mlle Lucy Gérard, la sédui-
théâtre Gémier (ancienne Renaissance);d'ailleursson sante Fanny Elssler celle-ci n'a pas été remplacée.
titre la Vie publique l'indique assez par avance. Ici QUENTIN-BAUCHART.
nous nous trouvons en présence d'une œuvre bien
française d'allures et qui n'en a pas moins été fort LA MUSIQUE
goûtée. L'auteur, M. Émile Fabre, a voulu peindre
toutes les hideurs de la vie publique, avec ses com- Académie nationale de musique. -Les Barbares,
promissions, ses petites lâchetés, ses capitulations et tragédie lyrique en trois actes et un prologue, de
MM. VICTORIEN SARDOU et P. B. GHEUSI, musique de
ses hypocrisies., Son héros, le. maire Ferrier, lancé
dans la politique à contre-cœur et contraint de tran- M. CAMILLE SAINT-SAENS.
siger en quelque sorte avec sa conscience, malgré ses Cent ans environ avant la naissance du Christ,
.révoltes d'honnête homme, est taillé de main de Marcomir, à la tête de trois cent mille Germains,
-maître. Certes cette peinture vécue n'offre rien de envahit la Gaule. Ayant tout mis à feu et à sang sur
bien réjouissant; mais elle est vraie, et cela suffit. son passage, il parvint jusque sous les murs d'Orange,
-Génier est tout à fait remarquable dans ce rôle écra- après avoir contraint l'armée romaine, commandée
.san 1. par les consuls Euryale et Scaurus, à s'y enfermer.
Une sortie désespérée a eu lieu; Marcomir, après
avoir' tué de sa propre main le consul Euryale, a
Aux nous avons eu l'Amour du prochain
BOUFFES, donné l'assaut à la ville et s'en est emparé il montre
de Pierre Valdagne, série de tableaux d'une gentil- à ses guerriers les femmes et les enfants réfugiés
,¡esse perverse, écrite avec soin, dans une langue dans le théâtre d'Orange et va les livrer à leur fureur,
châtiée. Cet « amour du prochain nepeul-être taxé quand il aperçoit la vestale Floria, debout et impas-
de manque d'originalité il consiste en effet dans sible près de l'autel où brfile le feu sacré.
les efforts d'une châtelaine, 11L°'e de Réserve, pour A la vue de la flamme qui brille en ce moment plus
-réunir les gens qui se plaisent. vive, Marcomir a cru à une manifestation de Thor, le
Voici une donnée fort grivoise n'est-il pas vrai dieu du Feu; il chasse ses guerriers de cette enceinte
et qui ne doit plaire qu'à un certain public. Aussi et leur défend d'y rentrer sous peine de mort. Puis,
M. Lenéka, fidèle à son programme,vient-il de remon- séduit par la souveraine beauté de Floria, il arrête le
ter Gavault, Minard et C~a, un des plus désopilants pillage, et celle-ci, prise d'amour pour le superbe
vaudevilles, du Palais-Royal. Ces deux pièces, d'un chef, consent à devenir sa femme. Désormais elle
genre si différent, alternant sur l'affiche, ne doivent partagera son existence de péril et d'aventures, et
point manquer d'attirer du monde passage Choiseul. tout pour eux finirait au mieux du monde, si Livie,
la femme du consul Euryale, devinant en Marcomir
celui qui l'a faite veuve, ne venait attester la lâcheté
Au théâtre des FOLlES DRAMATIQUES qui, lui aussi, a du chef germain en l'accusant d'avoir frappé son
abandonné les flonflons de l'opérette, la nouvelle ennemi par derrière c Tu mens! c'était au cceur! »
direction a débuté par un coup de maître avec le Bil- s'écrie Marcomir « Au coeur donc! » répond Livie;
let de logement de MM. Antony Mars et Henry Kéroul. et elle lui plonge dans la poitrine le fer du javelot
Ce vaudeville, du même genre que Champignol, n'a qu'elle a retiré du corps d'Euryale, son époux.
été qu'un éclat de rire d'un bout à l'autre,, bien que Sur ce sombre drame, M. Camille Saint-Saëns a
le scénario ne le cède en rien en grivoiserie à écrit une partition dans laquelle il a principalement
l'Amour du prochain. Mais ici c'est autre chose si cherché à enrayer le mouvement wagnérien de la
l'exécution est moins littéraire, la farce est telle nouvelle école et à nous ramener à l'opéra propre-
qu'elle vous fait passer sur bien des choses. Voici un ment dit, à l'exclusion formelle du drame lyrique. Il
très grand succès. L'interprétation est bonne,. avec se.met en révolte, et il a, ma foi, bien raison, contre
MM. Hirsch, Coquet, Mme Milo d'Arcyle, Augustine l'incessant tutti des instruments écrasant les voix,
.Leriche, Louise Bignon, etc.. contre toute obscurité symphonique, contré le leit
motiv. etc., etc., ce qui ne l'empêche pas de combi-
,ner les différents éléments de l'orchestre avec l'art
Pour terminer, je tiens it signaler la brillante re- infini qu'on lui sait, tout en demeurant sobre et
prise de l'Aiglon au Théâtre, Sarah Bernhardt. Cet clair, en plaçant au premier rang l'inspiration mélo-
admirable poème retour d'Amérique nous a paru dique et en se mettant ainsi à la portée du public,
avoir gagné en voyageant. L'intérêt de la reprise depuis trop longtemps dérouté par l'abus du leit mo-
consistait surtout dans l'interprétation. A côté de tiv,: qui ne sert à engendrer, dans toute œuvre lyri-
M-6 Sarah Bernhardt, plus jeune et plus alerte que que, que la monotonie et l'ennui.
jamais, Coquelin reprenait le rôle de Flambeau créé Pârmi les passages les plus remarquables de l'opéra
par Guitry. Il s'y est montré absolument supérieur, de M. Saint-Saëns', nous citerons, au premier acte, la
bien que le rôle ait été compris par lui d'une façon prière à Vesta; un chœur de femmes qui rappelle les
toute différente. C'est quelque chose comme le clai- pages les mieux inspirées de Samson et Dalila, puis la
ron remplaçant le tambour. Desjardins succéde à vigoureuseentrée en scène des Barbares; au deuxième
Calmette dans le personnage de Metternich; il y est acte,. le grand duo d'amour qui est une page de pre-
d'une raideur froide tout à fait réussie. On a revu mier ordre; au troisième acte, de très pittoresques
avec grand plaisir Mme Blanche Dufresne,la comtesse scènes populaires soulignant le.départ mouvementé
des Barbares, un ballet écrit'avec une habileté con- FLAMBEAU.
sommée, le fier arioso de Livie et la marche funèbre. Les femmes, pourvous voir, monteront sur des chaises,
L'interprétation, fort remarquable avec M-es Hé- Avec de ces chapeaux comme en ont les Françaises.
glon et Hatto, MM. Vaguet, Delmas, Riddez, Rousselière Tous les fusils seront fleuris.!1
et Dénoyé, a contribué pour une large part au succès Il vous acclamera,' ce grand Paris farouche.
de ce superbe ouvrage. EM.FOUQUET.
iw On doit croire
LE DUC.
embrasser la France sur la bouche,
VARI ÉTÉS Lorsqu'on est aimé de Paris.
FLAMBEAU, lui prenant les mains.
STANCES DE L'AIGLON" Toi, tu les entendras nos plaintes les plus sourdes!
N'est-ce pas qu'à présent tu te sens les mains lourdes'
Lorsque l'Aiglon fut représenté pour la première
Des grâces que tu vas signer ?
fois; l'année dernière, au milieu du tumulte des
applaudissements, dans l'apothéose de cette soirée LE DUC.
inoubliable, ce ne fut pas sans une certaine amertume Peuple, onm'a trop menti pourque je sache feindre,!
que les lettrés eurent à regretter les nombreuses Liberté! Liberté! Tu n'auras rien à craindre
coupures qu'avait exigées à la scène la longueur du D'un prince qui fut prisonnier!
poème. Quelques-unes de ces coupures, comme le Et que vais-je inventer pour choyer le mérite?
« ,récit des petits tambours », ne furent faites qu'après Ce sont des noms valant certes qu'on en hérite
la répéti~tion générale, mais d'autres avaient été, Que Trévise ou Montebello.
acceptées par l'auteur pendant le travail même des Mais d'autres noms encor je veux qu'on s'émerveille,.
répétitions. Mon père aurait voulu faire prince Corneille,
Aussi, était-ce avec une véritable impatience Je ferai duc Victor Hugo!
qu'était attendue l'apparition en librairie du volume, Je ferai. Je ferai. Je veux faire. Je rêve.
apparition retardée pendant de longs mois par la ma- L'héroïque parfum qui de ces champs s'élève
ladie d'Edmond Rostand. Commence à me rapatrier!
Cependant il n'était bruit alors que des stances
de Wagram que Sarah n'avait consenti à couper Et c'est bien dans ta brise où l'on boit de la gloire
qu'avec peine, et pour lesquelles, au dire de ses inti- Qu'au moment de partir, je devais venir boire,
Wagram, le coup de l'étrier!
mes, elle professait la plus vive admiration.
Ces stances, quelque temps après, furent publiées
par les journaux, et le Magasin Pittoresque les donna
~F
Voici maintenant la version
Vt\~Í"i mo;nFnnonF .7bR.+;o
norc.nn définitive
~1~
dans son numéro du premier avril 1900.
Or, si l'on se reporte aujourd'hui à la brochure on SCÈNE H
peut constater qu'il ne reste presque rien de la ver-
LE DUC, FLAMBEAU, MARMONT, LES CONSPIRATEURS
sion primitive jusqu'au rythme qui a été modifié!
Nous avons pensé qu'il était intéressant de signaler, UNE OMBRE, se détachant du groupe, et descendant
au moment de la reprise de l'Aiglon, cette curiosité Saint-Hélène.
vers le duc et Flambeau.
qui, à notre connaissance, n'a encore été relevée par
FLAMBEAU, répondant.
personne. Nous sommes persuadés que les bibliogra- Schcer.brunn
phes futurs nous ensauront gré; en tous cas il nous a
paru intéressant de mettre les pièces sous les yeux de LE DUC, reconnaissant celui qui s'çst avancé.)
nos lecteurs, afin qu'ils puissent se rendre compte Marmont
par eux-mêmes du travail qui s'est fait dans l'esprit MARNONT, s'inclinant.
du poète.
Duc, bonne chance ¡:
Voici la version primitive
LE DUC, désignant ceux qui restent au fond.
LE DUC DE REICHSTADT. Ces ombres?
Empereur Je vais être empereur! je frissonne! MARMONT.
Je voudrais ne jamais faire souffrir personne Vos amis.
J'ai vingt ans et je vais régner!
Ah! je me vois passer comme d'uni! fenêtre. LE DUC.
Me voilà! que c'est beau d'avoir vingt ans et d'être Ils restent à distance?
Fils de Napoléon premier! MARMONT.
Il me semble que j'ai pour âme Notre Dame C'est que de déranger Votre Altesse ils ont peur,
Que j'.entends dans la nef sonore de mon âme Et, Sire, que déjà vous êtes l'Empereur.
Prier tout un peuple à présent!
-Ah! Dieu! qu'on va pouvoir servir de grandes causes LE DUC frissonne et après un silence.
Aimer Se dévouer! Faire de belles choses! Empereur?.. Moi?. demain! Je te pardonne,
Ah Prokesch, que c'est amusant! [traître 1
J'ai vingt ans et je vais régner!
Peuple qui, de ton sang, écrivis la Légende Ah mon Dieu que c'est bon d'avoir vingt ans et d'être'
Il faut que cette gloire en bonheur je la rende! Fils de Napoléon premier1
o Retour, retour triomphal! Ce n'est pas vrai que je suis faible, et que je tousse
Soleil sur les drapeaux! multitudes grisées! Je suis jeune, Je n'ai plus peur1
Parfum des marronniers de ces Champs-Elysées Empereur?.. Moi?. Demain! Comme la nuit est
Que je vais descendre à cheval! [douce!L
LA VOIx D'UN CO~NSPIRATEURY arrivant. LE DUC.
Scha'nbrunn. Paris! Paris! Je vois.
Je vois déjà dans l'eau tremblante de la Seine
UNE AUTRE VOIX, répondant.
Le Louvre renverser ses toits!
Sainte-Hélène.
Et vous qui présentiez à mon père les armes
LE Dl'C. Dans la neige et dans le simoun,
Empereur! Vieux soldats, surmes mains je sens déjà vos larmes!
Ah! je la sens ce soir assez vaste, mon âme Paris
Pour qu'un peuple, y vienne prier 1 UNE VOIX, dans l'ombre.
Il me semble que j'ai pour âme Notre-Dame!1 Sainte-Hélène.
UNE VOIX. UNE AUTRE.
Sainte-Hélè~ae. SchcEnbrunn.
UNE AUTRE.
Nous n'apporterons à ce simple exposé aucune con-
Sch~nbrunn. clusion, les citations parlent assez par elles-mêmes.
LE DUC. Cependant, qu'il nons soit permis d'émettre un
Régner! souhait c'est que Mme Sarah Bernhardt, avant de
Régner 1. C'est dans ton vent dont le parfum de gloire clore les représentations de l'Aiglon, se décide pen-
dant quelques soirs à nous dire avec son grand. ta-
Commence à me rapatrier,
Qu'au moment de partir je devais venir boire, lent les unes ou les autres de ces strophes admi-
Wagram, le coup de l'étrier! rables.
Je puis lui affirmer qu'il y aura du monde!
Régner! Qu'on va pouvoir servir de grandes causes
Et se dévouer présent! QUENTIN-BAUCHART.
Reconstruire, apaiser, faire de belles choses!
Ah! Prokesch que c'est amusant! IM60
Prokesch, tous ces vieux rois dont les âmes sont sourdes
Ah! comme ils doivent s'ennuyer LES LIVRES
J'ai les larmes aux yeux je me sens les mains lourdes
Des grâces que je vais signer!
Peuple qui de ton sang écrivis la légende, L'arbre et les vents, par M. JOACHIM GASQUET.
Meissonier a eu le culte de ce que les Italiens appe- Mozambique 1877. 5 reis noir. N. 0 fr. 25.
· La Réunion 1855. Surcharge 5 c. sur 0 fr. 40 liberté.
laient « il costume », ce que nous traduisons par obl. 0 fr. 50.
couleur loca'e. Mieux que personne, il connaît une Pérou 1866. 5 c. vert; 10 c. rouge; 20 c. brun. Les
époque par ses détails pittoresques. Rappelez-vous 3 timbres obl. 1 fr. 45.
la Lecture chez Diderot. Et la Rixe? Elle vaut plus, à Prusse 1861. 6 pfennig orange, obI. 0 fr. 25.
mon sens, que celle, trop fameuse, de Taunay. Où En dehors de nos primes nous pouvons faciliter à nos
trouver plus de mouvement, de passion, de colère? lecteurs leurs achats de timbres aux mêmes conditions
'Que dire maintenant du peintre de l'épopée napo- que nos primes. Pour tous les renseignements timbrolo-
giques et les dèmandes de timbres, on est prié de s'a-
léonienne ? Ses tableaux sont des documents immor- dresser à Filigrane, aubureau du Dfagasin Pitto~·esgue.
tels. FIL.
ou la guérit. Son parfum, en outre, très pénétrant, rafraÎ-
~a ~VIObE PITTORESQUE chit délicieusementla bouche.
HYGIÈNE DU BAIN.
« Quand on a été belle », disait la marquise de
Créqui, Que faut-il faire après un bain froid? Le meilleur, c'est'
« on a bien du mal à s'avouer du jour au
lendemain qu'on de faire une bonne promenade pour bien se réchauffer le
a cessé de l'être. Ce n'est que quand j'ai vu mes dents corps. Il est des personnes qui boivent un peu de liqueur
tomber, que j'ai dit adieu à ma chère robe rose et à mes après le bain pour remplacer la promenade. C'est là une
chers rubans v ert-gai. » · erreur hygiénique qui compromet le bon effet du bain.
En effet, c'est bien là le triste signe du poids des ans, L'impression de chaleur que l'on ressent après l'absorption
mais c'est aussi la preuve que du temps de la charmante d'une boisson alcoolique n'est qu'apparente; produite par
marquise on ne connaissait pas l'Eau denti frice, la Poudre un engourdissement passager des vaisseaux sanguins qui'
et la Pdte des Bénédiclins du Mont Ma,geltat, que leur peuvent alors absorber plus de sang et, partant, donner
administrateur,M. É. Sénet, 35, rue dze Quatre-Septembre. l'illusion de la chaleur. En réalité, l'alcool produit un
s'empresse d'envoyer à la première demande. abaissement de température. C'est donc une pratique
Elle serait morte alors dans ses jolis atours, car elle défectueuseque d'abaisser encore la température du corps
aurait toujours conservé ses dents éblouissantes dé blan- déjà refroidi par l'eau de bain. Il faut au contraire, réta-
cheur, et d'un émail transparent. blir la température normale en se donnant du mouvement.
Quand on parle de la mode, on apeine se figurer qu'elle
puisse s'occuper de sombres couleurs, de formes austères
avec son caractère essentiellement inconstant et fan-
tasque. Pourtant, si nous feuilletons les journaux qui
sont ses organes spéciaux, nous lisons chaque année, à
cette époque, des articles traitant de la question du deuil,
cette triste livrée du chagrin, que rappelle 'la' fête des
Morts. On ne porte donc plus du tout le châle, il est rW-
placé par le vêtement demi-long en drap noir, entouré
de crêpe anglais coupé en bandes assez larges pour faire
des ondulations surmontées de biais de crêpe par nombre
impair, trois, cinq ou sept, cela dépend de la longueur
donnée au manteau. Ainsi que le châle, le bonnet de
veuve a disparu, et le voile, qui reste baissé les premières Mon Jacquot, tu fais une triste mine, comme si tu n'avais
semaines, se relè~~e ensuite très plaqué sur le fond de la
capotte, ce qui lui donne tout le sérieux que comporte le pas eu ta Phosphhtine Falières.
grand deuil. Quelques personnes substituent au biais de
crêpe noir passé sous le menton un autre semblable en POUR LES BÉBÉS.
crêpe blanc comme le rouleauté posé sur les cheveux. Le Savon émollient au lait de son, mucilage de lin et.
LIBELLULE. guimauve, est le savon adoucissant, lénitif et hygiénique
par excellence. Il est parfumé à la lavande des Alpes.
Baronne J. A l'entrée dé l'hiver, et surtout avec vos DfM. Heitz et C'°, 99, ~·ue Montorgueil, ont entrepris là
vulgarisation de ce savon adopté par tous ceux qui ont
névralgies, il ne serait pas bon de vous laver la tête; je
vous recommande de vous servir exclusivement de la le souci de la santé, du bien-ê tre et de la beauté. de leurs.
Poudre capillus, qui redonne aux cheveux blancs leur bébés.
couleur primitive, vous éviterez ainsi l'humidité occasion-
née par les teintures. En faisant votre commande à la Madame IV., à Rô~a~a. Le savon Glycérol, composé
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rue Montorgueil, Paris.
Un produit souverainement hygiénique, c'est l'Alcoolde
Maladies nerveuses, de poitrine et d'épuisement; guéri-
son,assurée par les produits Henry Mure, de Pont-Saint- Menthe de Ricqlës, attendu qu'au moindre malaise il
Esprit (Gard) Notice gratis sur demande. amène immédiatement'une prompte réaction, car il agit
énergiquement sur la circulation du sang et les organes
de la digestion. Ev4ger du Ricqlès.
FORCE ET SANTÉ
Il est évident que depuis nombre d'années les généra- Les Tablettes pectorales du D~ CHURCHILL constituent
tions qui se succèdent subissent un affaiblissement phy- certainement le meilleur remède pour les rhumes, la toux,
sique progressif. L'Anémie et la 1\eurasthénle aug- de gorge, extinction de voix, etc.
mentent toujours; elles ouvrent toute grande la porte à maux Non seulement elles sont calmantes, mais encore toni-
toutes les maladies infectieuses, à la Phtisie. La cause ques
réside en ce que, sous prétexte de, perfectionnements, nos en même temps.
Prix 2 francs la boîte franco. Pharmacie SWANN, 12" rue
aliments sont de plus. en plus déphosphatisés. Pour régé- Castiglione, Paris.
nérer et fortifier les sujets, il faut les phosphatiser: les
ANÉMIQUES, par l'emploi simultané du Phosphate de fer
Michel (3 fr.) et du Vin Iodophosphaté du Dr Foy (4 fr.);
les NEURASTHÉNIQUES,au moyer.. de l'ÉlixirPhosphovinigue
(4 fr.) ou des Pilules iodophosphatées du D· Foy (4 fr.).
de la Pharmacie JOLLY, 64, boulevard Pasteur, à Paris.
Les dentifrices ordinaires ne sont que de l'alcool plus
ou moins parfumé, et sans aucune qualité antiseptique.
L'Eau de Suez, au contraire, combinée d'après les der-
nières découvertes de Pasteur est un antiseptique puissant, Pâte dentifrice hygiénique, la meilleure, la plus
dont l'usage régulier et suivi prévient la carie dentaire agréable, 110, rue de Rivoli, Paris.
Jean-Etienne Liotard figure au nombre des spirituel. moins vivant -un « Latour ') retouché
peintres hollandais du XVIIIe siècle, et c'est au par Lancret.
Musée d'Amsterdam qu'il est le mieux repré- La « Belle Liseuse s'appelait Mlle Lavergne.
senté. Mais il était Suisse d'origine mort en 1788 Elle était la nièce du peintre.
à La Haye, y ayant vécu de longues années, il 1 Vraiment, dans son attitude nonchalante et
était né à Genève en f 722. béate, cette petite bourgeoise est délicieuse avec
Ce « déraciné» appartient logiquement à son délicat nez retroussé, son regard timidement
l'époque de la décadence de la Peinture Hollan- ingénu, ses lèvres heureuses parmi le sourire
daise. Cependant il est généralement considéré. sain des fossettes. Je ne sais pas quelle lettre
à côté de Cornelis Troost, Quinkhardt, Langen- elle lit (lettre d'un frère ou d'un fiancé 2), mais
dyck~ comme l'un des artistes qui ont su retarder je comprends qu'elle est une petite personne
un peu la marche rapide de cette décadence. peu compliquée, et bien sage, et bien obéissante.
Mais Liotard est-il, comme peintre, un pur Elle n'ignore point qu'elle est jolie et qu'elle ne
Hollandais? Assurément non. fut jamais d'une.grâce plus séduisante qu'en ce
Avant de s'établir à La Haye, il avait beaucoup moment où elle est si soigneusement «apprêtée ».
voyagé. Il avait étudié d'abord en France, puis il Elle est coquette, mais d'une coquetterie si sim~
s'était promené en Italie, en Allemagne, en An- plement'chaste, si enfantine!
gleterre. Je revois par le souvenir le pastel de Liotard,
Quelles sont donc les influences qu'il subit le le mignon corsage gris aux manches bleues, la
plus volontiers ?. Il faudrait étudier cela à chemisette et le tablier blancs, et le fin cordon
Amsterdam en présence des divers portraits qu'il noir qui retient le petit crucifix d'argent. C'est
a signés. une oeuvre harmonieuse et charmante, où l'on
Je n'ai point gardé un souvenir précis de tous sent que l'artiste a mis infiniment d'affection. et
ces portraits, mais je me rappelle très nettement de tendresse.
celui dont le Magasin Pittoresque nous offre au-
jourd'Imi une si parfaite reproduction. Et il me
semble bien que ce « Liotard »-là doit le meil-
~xz~s.~
Ce qui
~.s.a~ £t>oUARD
ÉBOUARD SARRAD1N.
SARRADIN.
,t~~x,x,s~s~
nous fait aimer les nouvellesconnaissances n'est
leur de son charme à l'École française. pas tant la lassitude que nous avons des vieilles, ou le
Liotard peignait au pastel comme notre Latour, plaisir de changer, que le dégoût de n'étre pas assez ad-
et c'est à un « Latour », précisément, que fait mirés de ceux qui nous connaissent trop, et l'espérance
de l'être davantage de ceux qui ne nous connaissent pas
penser da « Belle Liseuse », un « Latour » moins tant. LA ROCHEFOUCAULD,
i
Lorsqu'on a adressé un dernier regard d'adieu sie de la tempête et notre pilote ne l'évite-t-il
aux prestigieuses grottes de Fingal qu'auréole pas comme un danger? Non certes, plutôt, il
une légende et que chanta Mendelssohn, on se oriente la proue vers l'Ue désolée et voilà que
retrouve au large de la grande île de Mull, dans sur le pont, aux mains de chaque touriste, une
J'ouest écossais, au milieu d'un décor de solitude curiosité fait tourner les feuillets des guides et
et d'immensité tout habillé de cette lumière rechercher à la page qui convientla fabuleuse
grise contre laquelle s'essaie en vain le pâle so- histoire d'Iona, l'ile des Hes, l'He Sacrée, le
leil des ciels du Nord. Et c'est alors q~'a1i ras berceau du catholicisme anglais.
des eaux, avec l'imprécise apparence" d'un long Et tandis que la machine, plus prêt. du but,
navire échoué, se protUe au loin une île, une halète davantage, je consulte moi-même un pla-
pauvre île qui ne se différencie par rien, qui, à cide Écossais, grand collectionneur de traditions,
mesure que l'on s'approche d'elle, avoue dâvan- aimable compagnonque je dois aux bons.hasards
tage sa misère par l'âpreté de ses rivages, par la du voyage.
silhouette de ses ruines, par son silencerecueilli. Il y a bien longtemps de cela de si vieil les
Les flots l'assaillent, l'écume lui brode une colle- histoires se doivent de commencer comme un
rette rudement chiffonnée, que retrousse le vent co nte il y a bien longtemps de cela, c'était en
et que déchire le basalte. N'est-elle point aban- 521 de notre ère, naquit en Irlande, à Gartan
donnée, cette épave, oubliée dans l'Atlantique ? (comté de Syrconnel aujourd'hui), un certain
Ne s'en va-t-elle pas à la dérive, selon la fantai- Columba qui ne tarda point à devenir saint Co-
lumba. En ce me siècle, la plus grande partie de l'île étaiten effet considérée comme sacrée entre
l'Irlande, tout le pays des Pictes et toutes les toutes. « Cet îlot de granit, ditun auteur écossais,
iles étaient païennes. Le druidisme, déformé, est resté pour les Gaels chrétiens, comme pour
sorte de culte des éléments, agonisait. De véri- leurs ancêtres païens, l'lie par excellence et on
tables séminaires chrétiens eI?-tretenaienl, sou- lui donne le nom d'Eye (île). »
vent non sans de terribles combats, la foi nou- Mais les assauts des Druides furent aisément
velle et le culte du Christ. C'est dans l'une de ces réduits à l'impuissance. Ce fut pour saint Co-
pépinières d'apôtres que Columba fit ses pre- lumba, la tradition au moins l'atteste, l'oc-
mières études, Du monastère de Saint-Finnian, casion de justifier à plusieurs reprises qu'il
à Clonard, il s'en fut, vers sa trentième année, jouissait du don de miracle. En toutes circon-
fonder un nouveau monastère à Calgaich, près stances d'ailleurs, saint Columba miraculait. Tel
~le Lough Foyle. Mais l'Irlande ne lui sembla chef de pillards ayant poussé sa barque sur lona
bientôt plus un champ de bataille assez périlleux et menacé les moines, l'abbé provoqua la tem-
et dans un tronc d'arbre creusé par ses mains pête et par un prompt naufrage fut puni l'inso-
la légende est toujours audacieuse il passa la lent. Frappant du pied trois fois le sol, il fit sou-
mer, atteignit chez les Pictes, sut convaincre vent jaillir trois sources. Il n'était pas rare qu'à
leur roi, Bridius, fils de illeilochon, se lit donner son entrée dans la chapelle, une lumière écla-
l'ile de Ily, l'une des Western, y bâtit un mo- tante n'emplit la nef en dépit de ce que le cré-
nastère dont il fut l'abbé, acquit en peu de temps, puscule fÙt fort avancé. Saint Columba avait
brâce à une série d'actions qui furent tenues prévu du'au jour de ses funérailles, seuls, ses
pOUl' miraculeuses, une célébrité et aussi. une moines l'accompagneraient au tombeau. La pré-
autorité sans égales. Son influence devint telle diction semblait fort improbable. Aussi bien la
que ni le roi ni le peuple ne se décidaient à en- vénération dont l'apôtre était l'objet devait-elle
treprendre quelque projet d'importance sans lui entrainer toute une populace à franchir la mer
demander conseil. A maintes reprises, il passa pour assister à la douloureuse cerémonie. Mais
en Écosse. Il évangélisa l'île de Mull en tous il se trouva que tout se réalisa comme il avait été
sens, parut à Oban, rayonna dans tout l'Argyle, dit une tempête comme jamais inul n'en vit
par la vallée de Caledonie, Inverness, Thurso ayant, ce jour-là, rendu toute traversée impos-
peut-être. sible.
Cependant le monastère de l'ile de ou Iona,
ou encore Saint-Colms'isle, "prospérait. Les drui-
Depuis le
fondateur, le
juin 59ï, jour de la mort de son
monastère passa par des alternati-
des, chassés, essayèrent d'en reconquérir le ter- ves de prospérité et de décadence. Il fut long-
ritoire. Du plus profond des temps mythiques, temps le flambeau » (tlae lumimo~) des régions
calédoniennes. Mis au pillage par les pirates placer sous leur pied gauche déchaussé une
normands en 807, il fut pendant plus d'un siècle pierre venant de Hy, pour n'avoir à redouter rien
comme blessé à mort. « Nous v~enons de leur du malfaisant démon qui fait les mauvais mé-
chanter la messe des lances, dirent les envahis- nages. A tout hasard, j'ai ramassé une pierre du
elle commencé de bon matin, elle aduré chemin. Je l'ai choisie dans ces nombreux mon-
seurs, a
jusqu'à la nuit. » Cependant, l'œuvre de Columba ticules dégarnis chaque jour, et pièce à pièce,
survécut. Il est hors de doute que l'île d'Ionafut augmentés par les anciens moines qui, jadis, pa-
pendant tout le moyen âge l'asile du savoir, la raît-il, dénombraient ainsi leurs péchés.
pépinièredes savants qui comervèrent et accru- Et soudain, dans un enclos où le vent de la mer
rent le bagage des connaissances humaines. Des couche l'herbe très haute sur de longues dalles
moines de Cluny relevèrent au xe siècle les mu- engravées, ce sont des tombes séculaires,trèsrap-
railles du monastère et s'y maintinrentjusqu'à la prochées, composant une sorte de parvis de la
Réforme. Il y eut là une bibliothèque célèbre mort très simple, très imposant. Quels sont ceux
dans toute l'Europe. Toutes les archives de qui reposent là? Moines d'autrefois trépassés un
l'Écosse y étaient centralisées. soir en répondant aux prières fraternelles, guer-
Et tandis que nous pâèlions, voici qu'Iona a riers renversés dans les combats et réclamant,
pris forme. Ce n'est plus le bateau échoué de tout avant de mourir, le privilège de dormir en terre
à l'heure. Nous distinguons le rivage étrange- sacrée, monarques portant encore sur la tête la
ment découpé qui s'éloigne, à droite et à gauche, couronne et au côt$,le sceptre, écoutant la véhé-
ceinturé de basaltes debout, comme jaillis de la mente voix de lamer qui, au rivage proche, par les
mer en une poussée souterraine et, depuis les nuits d'ouragan, s'enfle comme faisait autrefoisla
siècles, rongés, polis par les vagues. rumeur farouchedu bon peuple, aux soirs devic-
Tout ce sol d'ailleurs semble être, par son as- toire Qui le dira jamais ? Pêle-mêle, ils sont tous
pect général et par sa coloration, de formation là, anonymement à la file. Saint Columba, seul,
volcanique. Et même les inattendus ~hamps de a quitté l'ile qu'il avait reçue du roi Bridius. Il
blé qui étalent leur tapis jaune d'or immédiate- est à Down, dans l'Ulster, aux côtés de Saint-Pa-
ment après les premières roches de la grève ne trick. Mais les disciples sont restés en Iona et,
parviennent pas à donner le change. Un caprice dans le désordre des pierres tumulaires, petits et
de la Nature a situé, un peu de bonne terre au grands de la terre cohabitent depuis des siècles.
milieu de ces granits rouges, un peu de blé a Quarante-huit rois ou chefs de clans écossais,
jailli d'entre ces schistes cristallins et ces cal- d'illustres personnages de toute la Bretagne sep-
caires grenus, mais ce n'est qu'un hasard, nous tentrionale, des rois, irlandais, des rois norvé-
irions presque à dire une erreur. Tant il est vrai giens (on va même jusqu'à affirmer un roi de
que, maintenantqu'une barque nous conduit au France), ont trouvé en ce champ clos leur dernière-
petit port, maintenant que nous savons trouver demeure. Très .\aracléristiquement celtique,
en lona le cadre de tant de périodes d'histoire la décoration de chacune des dalles s'inspire de
poussiéreuse et magnifique, il nous plait d'arra- la flore et de la faune sinueuse, tortillée, souvent
cher des tombeaux même le sourire de la fleur et élégante, qu'on retrouve dans la décoration du
d'ajouter à la grandeur tragique du lieu en en bois, en Norvège, et aussi dans les arabesques
exagérant l'âpre désolation. Aussi, vite, bien et entrelacs byzantins. Pour quelques-unes, la
vite, sitôt pied à terre, et sans attacher la moin- figure humaine joue un rôle important. Le plus
dre curiosité à quelques pâturages où de douces souvent alors, la silhouette d'un personnage cou-
chèvres; avec de grands yeux, nous regardent ché est simplement refouillée dans la masse, et
passer, nous hâtons-nous vers tout ce qui peut très rarement la figure y prend du relief. Ainsi en
nous parler d'Autrefois. va-t-il de cette pierre où un chevalier étendu
Vers le morne squelette de la cathédrale nous étreint sur sa poitrine une épée rompue et où,
allons tous en pélerins (le mot n'est pas excessif s'il faut en croire des gens bien informés, l'on
pour traduire le véritable culte professé en An- doit reconnaître le roi Macbeth, dernier souve-
gleterre à l'endroit de l'île d'Iona),formant un rain inhumé à Iona.
cortège d'anachronisme dans ce site où rien n'est Et cette certitude que l'on n'ose pas discuter,
moderne et qu'offensent nos costumes de voyage, de peur d'en gâter la saveur, ne contribue pas
nos jumelles et nos guides. Que dis-je ? La pré- peu à vous faire aimer ce carrefour de l'histoire
sence des dames offense, elle aussi, l'He sacrée anglaise, ce Saint-Denis d'£cosse, cimetière de
de lona. Ne fut-il pas tout un temps où l'entrée rois, perdu au milieu des mers. Malgré soi, de-
de rUe était interdite aux femmes? Il est vrai vant la tombe de Macbeth, il faut imaginer le
qu'une compensation leur restait octroyée. Sans combat de Meigle, le coup d'épée de biacduff,
parler des pierres, porphyres, granits serpentine, comte de Fife et les âges troublés de 1057. Mais,
d'où l'on tirait pour elle des bijoux, elles avaient heureusement,avant qu'on ne soit arrivé à Sha-
encore recours à lona pour assurer, au moment kespeare, on atteint aux portes de la cathédrale.
de leur'mariage, l'éternité de leur bonheur con- Aux portes? Non, car elles ne sont plus là. Mais
jugal. Il leur suffisait, avant la cérémonie, de enfin les mitres de pierre subsistent, et la grande
nef sans voûte,'à ciel ouvert, et la haute tour so"it en granit, en basaltq et soit pierres vertes, de
carrée, debout avec des allures d'architecture caractère volcanique et débitées par larges
militaire, très xne siècle, mi beffroi, mi donjon. feuilles, un peu à la façon de l'ardoise.
Car ce qui subsiste de l'édifice suffit à déterminer Le monastère de femmes est en ruines, sauf
les âges de sa construction. De la première église sa chapelle où quelque peu de sculpture sub-
de Columba, il ne reste rien, absolument rien. siste.
Il y a encore quelque cinquante ans on voyait, Mais il faut retourner au rivage. Nos bateliers
parait-il un fragment d'autel où, s'il faut en nous y attendent. Ils parlent entre eux un gaëlique
croire l'opinion, l'abbé aurait dit la messe. Ce très pur, dit-on, le seul langage qui soit usité
dernier vestige a lui-même disparu, morcelé en dans l'He. Et maintenant qu'ils ont quitté le bord,
tout petits fragments par les matelots qui lui et que l'avant de notre barque pointe sur le va-
attribuaient la vertu de préserver du naufrage. peur Columba qui nous emportera tout à l'heure,
De même la pierre du serment, bloc de marbre ils rient d'un gros rire de bonne. humeur et de
noir sur lequel les princes de l'Innisgaël pro- bonne santé, parce que la vague n'est pas aima-
noncaient le serment féodal reconnaissant la ble et parce que plus d'un d'entre nous appré-
souveraineté du roi hende d'expier bien-
d'£cosse, ne saurait- tôt sa visite à Saint-
elle être considéré Columba. Une petite
comme un authenti- pluie fine. Iona qui
que document. s'eslompe derrière
A Iona, comme en un rideau gris. la
tous endroits où la poussière d'eau qui
légende prospère, la nous fouette au vi-
besogne de l'archéo- sage. la pierre des
logue est plus ardue bons mariages qui
qu'ailleurs, comme alourdit ma poche.
sadéfiance p'uséveil- le va et vient de la ra-
lée. Ce qui est indé- me sous mes yeux.
niable, c'est que le le rire et le parler
choeur de la cathé- gaël. un cri de
drale est du yl"le et ~La cathédrale d'Iona. mouette. le crépus-
du viue siècle, et que cule qui s'épaissit.
la nef, la tour, les rares vestiges~du cloître, enfin
les constructions adjacentes, sont du xne siècle. l'ona n'est déjà plus qu'un songe dans la nuit.
Malheureusement très peu de documents PASCAL FORTHUNY.
sculptés existent. Les chapiteaux laissent pour-
tant çà et là deviner des motifs tels que des dé- ~~s~s,sxx.ss~a,sss~s.$s~~ a,~ax~,s
mons jouant avec des pourceaux, des anges pe- Contre le dépeuplement et la dégénérescence,on invente
sant des âmes. A l'angle de la tour, sous les des couveuses et des serres chaudes pour -nos avortons
hourds, une figure de monstre, gueule ouverte c'est amuser la charité sans rassurer le patriotisme.
G.-M. VALTOUR.
d'où sort une grosse colonne engagée dans le
mur et descendant jusqu'à pied d'oeuvre. Comme triomphe On célèbre l'abandon volontaire de la liberté comme le
système de construction, un bloquage très serré, le plus b~lmême de la liberté autant voir dans le suicide
emploi de la vie.
LE PARFAIT MODÈLE
Les visiteurs de South Kensington Museum, à parait bouder ce morceau de superbe anatomie ?2
Londres, s'arrêtent depuis quelque temps avec Non, la raison d'un intérêt si vif d'un côté, et
curiosité devant une figure de plâtre représen- d'une désapprobation si sévère de l'autre, est que
tant un homme de taille et de musculature her- cette figure de plâtre sans voiles est la statue d'un
culéennes. Les curieux qui se pressent autour de homme vivant universellement connu en Angle-
cette œuvre ne semblent cependant pas être tous terre, celle d'Engène Sandow, le fameuxathlète.
d'accOrd, car on les entend discuter avec ani- Et quelques-uns trouvent que le Musée national
mation et beaucoup d'entre eux ont l'air mécon- de, Londres se déprécie en donnant asile à un
tent. Serait-ce par un accès de pudibonderie fré- objet dont Ie modèle s'exhibe comme acrobate
quent chez nos voisins qu'une partie du public dans les cafés chantants.
Ceux qui ont eu l'occasion de voir Sandow sa- Tout le monde connaît le procédé du moulage
vent que cet homme est le plus étonnant spéci- ordinaire. On prépare d'abord une forme plus
men du développement physique de notre épo- grande que nature correspondant à peu près au
que. D'enfant chétif qu'il était, il est arrivé, au modèle qu'on y place après l'avoir enduit d'huile,
moyen d'exercices, à devenir le plus parfait mo- L'espace entre l'objet et la forme est ensuite
dèle de la forme et de la force. Et le conservateur rempli de plâtre demi-liquide qui, une fois sec,
æproduit la forme exacte du modèle. Grâce à
l'huile, le moule morceau par morceau se dé-
tache sans se .briser; on réunit alors toutes les
parties et on obtient le moule. Celui-ci, à son.
tour, est rempli de plâtre mou qui, complète-
ment durci, donne la figure. On casse ensuite le
moule et la figure reste.
Tout celà est bien simple quand il s'agit d'un
objetinanimé, mais devient- terriblement malaisé
lorsqu'on a affaire à un être vivant. Le Strand
tlsagaNi~e nous raconte comment ce travail dé-
licat a été exécuté dans tous ses détails. Pendant
plus d'un mois, Sandow posait tous les jours,
reprenant toutes les fois la même attitude. Le
moulage de chaque membre qui se faisait sép~-
rément demandait un quart d'heure de parfaite
immobilité de toutle corps, une respirationtrop
forte même étant suffisante pour briser la fra-
gile enveloppe.
Moulage du dos.
AU .co~vl~ OE IUIARaoi4jq]F(l)
Les charbonniers de l'Argonne n'ont pas d'his- Dumouriez, il existait dans la vallée treize ou
ttiire. Mais les verriers, les gentilshommes ver- quatorze verreries, depuislongtemps construites.
riers de ce coin de terre f'n ont une et qui est Toutes appartenaient à des gentilshommes
des plus curieuses. Nous l'avons; ailleurs; contée que dédaignait un peu la noblesse de race
en détail; résuinons-la brièvement. ils s'appelaient, en 1603, Moïse de Condé,
Il ne reste plus aujourd'hui, en cette étroite Jérémie de Bigault, Joël de Guiot, David des
'vallée de Biesme, si verte, si pittoresque, si Androuins, etc.
accidentée, que deuxverreries celle des Seuades Dès l'an 1300, Philippe le Bel avait déclaré que
longtemps dirigée par les trois soeurs, Miles de les gentilshommes de Champagne travaillant aux
Parfonrut et celle des Islettes qui produit verreries ne dérogeaient point à la noblesse.
journellement, pourla Champagne toute proche, Deux siècles plus tard, les gentilshommes de
quatre ou cinq mille demi-bouteilles. l'Argonne obtenaient de Henri III le même pri-
Mais à l'époque de la fameuse campagne de vilège que confirmèrent Henri IV, Louis XIII,
Louis XIV et Louis XV.
(1) Voir le Magasin Pitto~·esGue du lu novembre 1901. Les poètes satiriques 'du dix-septième siècle
les bafouàient et leur décochaient les plus dures du roi de France? De quel droit se permettait-il
épigrammes. De leur c(}té les gens des campa- de manier la fèle (canne)? Ils lui intentèrent
gnes, non seulement se moquaient de ces un procès, soutenus par le prince de Condé,
gentilshommes qui soufflaient la bouteille, pour mattredu Cierrnontôis.Etce manant de Vauthier,
ainsi dire au milieu des flammes, revêtus seu- par arrêt du 15 mai "1724, fut condamné à démo-
lement d'une longue chemise de femme (1)', mais lir sa verrerie édifiée à grands frais.
marquaient aux verriers tout leur mépris en les Jusqu'à la Révolution, les gentilshommes ver-
appelant hâzis (brûlés), parce que leur travail riers de l'Argonne vécurent tranquilles. Mais à
les tient exposés à l'insupportableardeur du feu l'heure où l'Assemblée législative déclarait la
des fours. A quoi les gentilshommes ripostaient patrie en danger et où tous les citoyens en état
du tac au tac en traitant ces manants de sacrés de porter les armes étaient invités à s'enrôler
mûtins. dans les bataillons des volontaires nationaux du
Leur manque d'éducation ne les empêchait pas département de la Meuse les anciennes pro-
d'être très fiers, même quand leur indu5trie se vinces, en effet, venaient de disparaitre pour
ralentit et que leur prospérité déclina. Quelques- faire aux départements, et toutes les verreries de
uns étaient pauvres, mal vêtus, et l'on en cite l'Argonne étaient dans la Meuse quelques
qui furent réduits à l'état de domesticité. Ils ne gentilshommes verriers prenaient le chemin de
se targuaient pas moins d~ leurs quartiers de l'étranger et allaient faire cause commune avec
noblesse et ne voulaient contracter d'alliances le duc de Brunswick, les Autrichi~nset les Prus-
du'avec les personnes de leur caste; ils ne siens.
devaient pas, disaient-ils, se mésallier. Ils exi- Au cours de la campagne dfcH9'2, le général
geaient de leurs ouvriers qu'ils leur donnassent Arthur Dillon ayant fait fouiller, par des éclai-
le titre de chevalie~·s et, dans les actes publics, reurs à pied et à cheval, la forêt d'Argonne que
ils ne manquaient jamais de prendre cette qualité ne sillonnaient pas, comme aujourd'hui, de
qui précédait celle de maître de verrerie. nombreux chemins et qui offrait à l'ennemi un
Un exemple de leur puissance, de leur influence sûr abri, on mit la main sur un certain nombre
au dix-huitième siècle un riche propriétaire de de gentilshommes verriers accusés de corrés-
Sainte-Manehould,maisun manant toutde même, pondre avec les émigrés, leurs parents et leurs
Jean Vauthier, avait eu l'idée de faire construire alliés. Dumouriez, dans ses ~Iéraoires, rapporte
un four à verre dans un faubourg de la ville. leurs efforts pour entrav er la marche de l'armée
Cette usine, qui comptait quatre ouvreaux et républicaine. On les fit Ironduire, sous bonne
occupait un grand nombre d'ouvriers, était en escorte, à la prison de Châlons.
pleine activité quand les gentilshommes verriers La Révolutionabolit leurs privilèges auxquels
de la vallée de Biesme se plaignirent qu'elle por- ils tenaient si fort. Leur influence baissa de jour
tait aux leurs un préjudice considérable. Vau- en jour, comme leur chiffre d'affaires. Des indus=
thier avait-il, comme eux, des lettres patentes triels sans parLicu}e s'étaient établis dans lavallée
de Biesme; ils y avaient construit des fours à
(1) Il y a,dans la forêt de Beaulieu, un hameau, Belle- verre très prospères où ils employaient et
fontaine, qui n'est guère habité que par des familles de salariaient les enfants de ceux-là mêmes qui,
verriers. Les mauvais plaisants, nous conte André Theu-
riet dans la Chanson du Jardinier, prétendent qu'il n'exis- naguère, ne souffraient pas qu'aucun autre qu'un
tait jadis dans tout le village qu'une seule épée; les gen- gentilhomme fabriquât des bouteilles: Pourtant,
tilhommes l'empruntaient tour tour, aux jours de grande
parade et de cérémonie; c'est pourquoi onl'avait baptisée un moment encore, la fortune sourit aux gen-
la Fatiguée. tilshommes 'verriers. C'était après le premier
Empire. Leur chiffre d'affaires qui, sous Napo= voici le chemin grimpant, sinueux, qui nous
léon, était tombé à cinq cent mille francs, conduira doucement à Sainte-Anne, au sommet
remonta brusquement. Sous la Restauration, il du promontoire.
dépassait deux millions. Mais, vers 1830, la dé- Sainte-Anne est l'orgueil de Clerniont. Un
cadence commenca; elle ne devait plus s'arrêter. château s'élevait là. Longtemp~ tenu en fief par
Atteints par la concurrence directe'des verreries des seigneurs vassaux de l'évêque de Verdun,
à la houille établies dans le nord et le midi de vendu, revendu, donné, échangé, brûlé puis
la France, les ~néfices des gentilshommes reconstruit, fortifié enfin par Vauban, il fut, après
verriers descendirent, en quelques années, à ces destins divers, détruit par corvées de tous
trois cent mille franes. les paysans des environs quand le maréchal de
Leurs usines détruites, le cœur gros, les la Ferté eut pris la ville, en novembre 1654. De
« maîtres en cloches et en bouteilles » quittèrent la forteresse, plus même de vestiges.
l'Argonne, passèrent à la solde d'industriels Sainte-Anne, c'est une petite chapelle ogivale,
roturiers, et l'on en pourrait trouver sans doute àlombr6 de tilleuls séculaires dont la masse
occupés dans les établissements des environs de figure, de loin, un lion monstrueux. Et c'est aussi,
Paris et de Lyon. Les autres, à qui leur âge ne par extension, la promenade elle-même, une
permettait plus d'embrasser une profession double rangée de sapins et de pins leurs aiguil-
différente, d'ailleurs réputée vile, continuèrent les font aux pas un chemin souple, moelleux,
à vivre, dans le pays, de ce qu'ils avaient pu élastique.
amasser. Ceux-là, au moins, ne dérogeaient pas. La promenade aboutit à une plate-forme- de
Mais on en cite qui, infidèles à l'esprit de caste, gazon où se ,domÍe rendez-vous, pour s'esbau-
changèrentdemétier et troquèrent,parexemple, dir, et danser, tous les lundis de Pentecôte, la
la canne du verrier contre la pelle du boulanger. jeunesse de Clermont et des alentours. Bien des
Nous connaissons, en un village de l'Argonpe, panoramas vantés n'égalent point celui que l'on
un de ces derniers; il s'appelle de Finance, un découvre d'ici. A vos pieds, c'est d'un côté le
nom aristocratique s'il en fut. précipice, de l'autre Clermont accroupi, tassé,
A-t-il vraiment dérogé puisque, pareil aux çomme écrasé sous la tuile rouge et l'ardoise
gentilshommes ses ancêtres, il expose, lui aussi, bleue de ses toits. Puis c'e!,t,la fertile vallée de
son buste nu à la chaleur d'un four? l'Aire au cours tortueux, la vallée toute verte
C'est la question 'qu'il nous posait en riant, peuplée de gais villages. A l'horizon, par-delà la
un jour qu'il nous accompagnait jusqu'à la ver- vallée de la Cousance que masquent des ondula-
rerie des Islettes que nous ienions à visiter. Nous tions de terrain, s'ouvre le sévère plateau du
ne nous y arrêterons pas la verrerie des Islet- Verdunois maigres bois, campagnes monoto-
tes, à la marge de la forêt, ressemble à tous les nes, mais riches cultures. Vers,le Sud, parallè-
établissements de ce genre. Mieux vaut pour- lement à la vallée de l'Aire, Ja,forêt d'Argonne
suivre notre promenade au coeur de l'Argonne moutonne à perte de vue, glorieuse.
par ce défilé des Islettes, d'une lieue et demi de Vraiment, la petite ville a le droit d'être fière
longueur, qui nous conduit la route est admi- de Sainte-Anne..
rable, le paysage enchanteur à.Clermont-en-
Argonne; Clermont est, pour le touriste qui y trouve gUe
«. aimable et bonne chère, un centre d'excursions.
Sainte-Ménehoul'd est incontestablement la 1\ n'a que l'embarras du choix; toutes sont ten-
capitale de l'Argonne, mais Clermont en est la tantes, soit que le sollicite le retour aux Islettes
perle. La coquette petite ville fut d'ailléurs, elle- et qu'il veuille descendrela Biesmejusqu'àVienne-
même, une capitale la capitale de ce Clermon- Je-Château, en visitant à gauche le village de
tois dont Louis XIV avait fait le don vraiment Florent, perdu dans le mystère des bois; à droite
royal au grand Condé. le Neufour, le Claon, la Chalade et sa vieille
De son ancienne splendeur, Clermont a gardé abbaye de Cisterciens, le Four-de-Paris, le,pitto-
peu de vestiges; elle se contente aujourd'hui resque hameau de Là Harazée; soit qu'il pré-
d'être ~avenante, avec ses maisons blanches et fère visiter le bourg de Montfaucon et la petite
jaunes pittoresquementaccrochées à un éperon, ville de Varennes, qui ont leur place marquée
à un promontoire de roches calcaires. dans notre histoire; soit que, dédaigneux de la
La ville basse vient mourir dans des vergers plaine, il tire à travers bois, sans jamais quitter
opulents pommiers et poiriers aux fruits énor- le couvert de la forêt, dans la direction du sud,
mes et savoureux,cerisiers qui donnent un kirsch vers Beaulieu le bien nommé.
à bon droit renommé. De la grande rue formée Mais on doit lui souhaiter de bonnes jambes,
par la route de Paris, part la ruelle, bordée de il lui faut être un vrai touriste, ami de la marche.
maisons en torchis qui, par une longue série Les chemins de fer sont rares en ce pays, le gé-
d'escaliers et de plates-formes, accède à l'église nie militaire s'opposant à, la création des voies
une minuscule église, avec un minuscule clocher, ferrées. Le génie a des secrets qu'il ne dévoile
perdue dans un fouillis de verdure, à mi-côte. Et point, des mystères plus impénétrables que les.
futaies de l'Argonne. Pourquoi a-t-il permis la faucon sur une montagne où cet oiseau s'arrêta,
construction d'une ligne, à voie étroite, qui « d'où est venu, ajoute-t-il, le nom de Montfau-
dessert une partie de la vallée de l'Aire, l'aban- con ». Cette étymologie est de pure fantaisie.
donne à Clermont (ou plutôt à Auzéville, village Balderic choisit sa solitude au milieu des bois
tout proche) et ne peut atteindre Varennes ? de l'Argonne, sur une colline élevée où il y
Chut 1. n'insistons pas. av.~it un grand nombre d'oiseaux de proie, et
Si donc vous voulez visiter Varennes, soit! La surtout des faucons.
grande route vous y mènera, par Neuvilly et Montfaucon d'Argonne s'appelait jadis Mont-
Boureuilles. Il vous est loisible encore de gagner, faucon-eri-Dormois.
par la voie ferrée, Aubréville, à six kilomètres de Aussi haut perché ou presque aussi haut-
Clermont; vous monterez là dans une diligence que Montfaucon, voici, au sud-est de Varennes,
des temps préhistoriques, qui vous bercera au le tout petit village de Vauquois. Mais Vauquois,
trot lent et aux sonnailles de ses chevaux, en ce n'est déjà plus l'Argonne. Dombasle-en-Ar-
attendant qu'elle vous gonne, où passe le che-
dépose à Varennes-en- min de fer qui nous ra-
Argonne. mènera à Clermont, ne
Varennes! Unmodes- fait pas davantage au-
te chef-lieu de canton, jourd'huipartie du mas-
comme Clermont; une sif. Les deux villages
simple bourgade, mais appartiennent au Ver
célèbre où, voilà cent dunois.
dix ans, vint sombrer
la monarchie française.
Varennes a une ville Pour être agréable, la
basse et une ville haute, promenade de Clermont
séparées par la rivière il Varennes, à Montfau-
d'Aire; c'est dans la con et à Vauquois, ne
ville haute, bàtie au vaut pas l'excursion de
sommet d'un coteautrès- Clermont à Beaulieu.
escarpé, que s'accompli- C'est plus de trois
rent ces événements du lieues à parcourir le
1 au 22 juin 1791, dont long de la crête des col-
le ~'LSagasin Pittoresque lines, dans le décor de
a longuement < parlé. la forêt que l'on ne
Nous n'y reviendrons quitte pas un instant,
donc pas. Mais sait-on par des chemins de via-
que, dans leur enthou- bilité incertaine, des
siasme, les officiers mu- sentiers qui se cachent
nicipaux de Varennes, Varennes-en-Argonne. Tour devant laquelle fut arrêté
Louis XVI. à demi sous les fougè-
dans l'Allier, offrirent, res, et si frais, et si
en 1791, à leurs frères de Varennes (Meuse) la verts jusqu'au moment où l'on atteint la tran-
radiation du nom de la ville dont ils adminis- chée de Courupt. On rejoirlt alors une route
traient les intérêts Pour eux, désormais, et carrossable et c'est un délice de gagner Beau-
pour la France entière, il ne devait plus y avoir lieu par une allée de sapins dont le vert sombre
au monde qu'un Varennes (1), celui où Louis XVI s'enlève vigoureusement sur la plus claire masse
et la famille royale venaient d'être arrêtés, Va- feuillue des hêtres, des chênes et des bouleaux
rennes-le-GrandUn tel effacementméritaitd'être environnants.
signalé. Vous voilà sur le plateau qui semble un im-
A quelques kilomètres de Varennes, au pied de mense jardin potager, avec tout un coin de
la colline isolée sur laquelle est pittoresquement vignes aux ceps hauts et vigoureux. Un sentier
juché le bourg de Montfaucon, le roi de France vous invite, qui traverse le plateau dans le sens
Eudes battit, en 888, les Narthmans, dont vingt- de la largeur, aboutit à des murailles à -pic, à
mille dit-on restèrent sur le champ de ba- un profond précipice. Et soudain si le soleil
taille. est de la partie un spectacle magique s'offre
Selon le moine Albéric, Saint-Balderic ou aux yeux au premier plan, à vos pieds, les
Baudry, fils de Sigebert, roi d'Austrasie et petit- vignes qui tapissentle coteau; un cirque vert où
fils de Dagobert, cherchant un lieu où établir un court un ruisselet; puis c'est le monticule isolé
ermitage et fixer sa demeure, fut conduit par un du « Pin de Sucre » et Sainte-Maxe; enfin la
basse Argonne, la plaine immense du Barrois se-
(1) Archives de Varennes-en-Argonne(adresse de MM. les
officiers municipaux de Varennes (Allier) à ceux de Va- mée de villages, les étangs qui appartiennent au
rennes en-Argonne. département de la Marne. Et Beaulieu n'a pas
volé son nom; le site est splendide vraiment région était riche en phosphates de chaux, en
d'où l'on découvre, au midi, plus de dix lieues de nodules, coquins ou crottes du diable. Découverts
pays lorrain et champenois. il y a un demi-siècle, ces nodules extraits du
La vie devait être douce, elle était douce aux sous-sol, de la gaize, étaient lavés pour être dé-
moines de l'abbay,e de Beaulieu fondée par barrassés de leur gaine, puis broyés, triturés
Saint-Rouin, il y a treize cents ans. Ce plateau dans les moulins, réduits en poudre afin de servir
était leur jardin où tout poussait en abondance, d'engrais. Le sous-sol est presque épuisé aujour-
comme il sied au jardin d'un monastère. Ces d'hui et les tireurs de coquins ont dû en grande
vignes leur donnaient un vin mousseux et par- partie émigrer, depuis quelques années, vers les
fumé, fleurant)a framboise, -et peu leur im- gisements de fer de la Haute-Marne.
portait qu'il se transportât malaisément, puis- Mais ce n'était point et ce n'est point là l'unique
qu'ils le consommaient sur place. Ces étangs leur population nomade de cette partie de l'Argonne.
fournissaient le poisson de carême, à la chair Au printemps et en été, les villages sont à moitié
ferme et blanche. Et le gibier de poil et de plume, vides, la moitié des maisons closes. Vienne l'ar-
le menu gibier et les grosses bêtes abondaient rière-saison, ils retrouvent leur animation. Les
dans ces bois touffus, dans ces gorges profondes, fondeurs d'étain sont de retour. L'hiver écoulé,
pleines de sources, arrosées d'eau vive. aux premiers rayons tièdes du soleil de mars, ils
L'abbaye, de l'ordre de Saint-Benoît, était riche délaisseront le village et s'en iront, avec les
avec les dix-huit villages dont l'avait généreuse- voitures de forains, toutes bariolées, où vit le
ment dotée, pour expier quelques torts envers ménage du fondeur, dans le septentrion de la
l'illustre Saint-Rouin, un seigneur des environs. France Aisne, Somme, Pas-de-Calais, Nord.
Et les abbés de Beaulieu étaient depuis longtemps Leurs clients fidèles les attendent là-bas; ils leur
comtes, ils s'étaient titrés eux-mêmes donneront à étamer leurs couverts d.'étain, à
quand la Révolutionles chassa de ce magnifique souder leurs chaudrons fêlés.
domaine. A ce métier les fondeurs gagnent, durant sept
ou huit mois de vie en plein air et de chinage, de
quoi passer, insouciants, la mauvaise saison dans
L'Argonne, en tant que forêt, cesse à Beaulieu. le village d'où ils sont originaires. Pour rien ils
Vers le sud, c'est ensuite une eontrée indécise ne manqueraient d'y revenir. Et l'amour de la
la plaine du Barrois; des cultures, avec quelques terre natale est si profond chez eux que ces
bois épars et la forêt de Belnoue, ce qui reste de nomades ont l'éternel souci d'en avoir une part.
l'ancienne sylve profonde, immense, ou vivaient Leurs économies, ils les emploient à acquérir
l'ours et le cerf. des champs. Quand sonnera l'heure du repos, la
Pour regagner Clermont,hors de la forêt, en vieillesse venue, leur fils ou leurs filles mariés
suivant le chemin des écoliers, vous passerez et mûrs eux-mêmes pour le chinage, les fondeurs
par Waly et rejoindrez la route départementale. d'étain trouveront au village leur maison, leurs
Vous verrez, de la sorte, un coin de la belle vallée terres. Et c'est dans le cimetière des ancêtres, au
de l'Aire, avec les opulents villages qui se pres- bruit familier du vent, au murmure berceur de
sent sur ses rives Autrécourt, Lavoye, Froidos la forêt d'Argonne, qu'ils dormiront aussi le grand
au nom bizarre, Rarécourt, dont les habitants, sommeil.
toujours neutres en temps de guerre, se gouver- ERNEST BEAUGUITTE.
naient eux-mêmes avant la Révolution, s'appro-
visionnaient de sel où bon leur semblait, nom-
maient leurs maires, n'étaient justiciables que
de leur jugé de paix, et qui formait comme une
petite république; Auzéville, Vraincourt, tous AUTOMNE
ces villages sur un parcours de moins de trois Avant que le froid glace les ruisseaux
lieues. Et voile le ciel de vapeurs moroses,
Écoute chanter les derniers oiseaux,
Voilà trente ou quarante ans à peine, une partie
Regarde fleurir les dernières roses.
de leur population était occupée dans les nom-
breuses faïenceries bâties à la lisière des fo- Octobre permet un moment encor
Que dans leur éclat les choses demeurent
rêts. Il y en avait à Waly, à Lavoye, à Froidos, Son couchant de pourpre et ses arbres d'or
à Rarécourt, à Clermont, aux Islettes, et qui Ont le charme pur des beautés qui meurent.
étaient en pleine prospérité.JI en sortait des as- Tu sais que cela ne peut pas durer,
siettes, des plats à barbe, des pots pansus, dé- Mon coeur; mais malgré la saison plaintive,
corés de fleurs bleues, rouges, vertes, ou de Un moment encor tâche d'espérer,
Et saisis du moins l'heure fugitive.
scènes rustiques, ou du coq gaulois. Toutes ces
faïenceries ont disparu. Bâtis en Espagne un dernier château,
Oubliant l'hiver qui frappe à nos portes
Naguère aussi vivait, en ces villages, toute une Et vient balayer de son dur râteau
population, venue du pays franc-comtois les Les' espoirs brisés et les feuilles mortes.
tireurs de coquins, comme on les appelait. La FRANÇOIS COPPÉE.
TRANSPORTEUR AÉRIEN AUTO-MOTEUR
Autrefois, hier à peine, les câbles aériens étaient J
Dans les installations actuelles, le câble est
peu nombreux; maintenant les fils téléphoniques commandé par une machinerie fixe chargée de
et les trolley, après avoir transformé les villes en faire mouvoir le treuil servant au hâlage. La com-
immenses toiles d'araignée, envahissent la plaine binaison nouvelle a pour résultat. de supprimer
et la montagne, enlaidissant nos sites les plus cette machinerie, le moteur devenant partie inté-
agrestes. Le téléphérage par voie aérienne vient grante du véhicule.
encore par endroits renforcer le réseau dont les La suspension du câble convoyeur est effectuée
lignes noirâtres se profilent sur notre ciel; l'in- à l'aide de potences suivant la pratique adoptée
dustrie minière utilise beaucoup ce mode de pour la mise en place des trolleys. Le câble, dit
transport q,ui permet de réduire notablement les Scienti fic American, à qui nous empruntons ces
frais de manutention aussi peut-on dire que tout détails, est distant du sol de 6 à 15 mètres suivant
pays minier acquiert la prospérité aux dépens de la hauteur des constructions, plantations etautres
la beauté du paysage. obstacles qu'il s'agit de franchir sans les endom-
Transporter une matière lourde et encombrante mager. Ce câble sera la voie du transporteur
dans un wagonnet suspendu par un solide câble aérien, le trolley-fardier* courra tout le long de
métallique ne constitue pas un mode de traction ce câble, à peu près comme le danseur de corde
absolument nouveau, mais le système vient d'être glisse sur le mince et souple fil d'acier. Mais le
perfectionné de si heureuse manière que des danseur de corde puise en lui-même la puissance
applications nouvelles et imprévues pourraient impulsive, tandis que le trolley va quérir sur un
surgir dans un délai prochain. Ce mode de trans- second câble, placé à environ 45 centimètres au-
port acquiert ainsi un regain d'actualité d'autant dessus du premier, le courant électrique néces-
plus prononcé que la circulation aérienne s'efforce saire à la propulsion.
de supplanter la circulation terrestre et que les Le trolley, dans son parcours, est guidé par
tramways eux-mêmes, tel celui de Barmen à une paire de roues à gorge sur l'axe desquelles
Eberfeld, dont nous vous avons entretenus autre- sont installés un ou plusieurs petits moteurs
fois, s'essayent à circuler entre ciel et terre. électriques. Le courant transmis par le câble con_
ducteur parvient à ces moteurs par l'intermé- peut ainsi être arrêté à un point quelconque de
diaire d'une barre-trolley représentée sur la gra- la ligne filiforme. On peut,,égalementdisposer le
vure ci-contre. vagonnet de manière à ce qu'un ouvrier puisse
Le transporteur proprement dit comprend une y prendre place; le watman ainsi improvisé
forte tige reliée au trolley et portant à son extré- surveille la marche du convoi qu'il accompagne.
mité inférieure un élévateur différentiel à poulie Dans certains cas, il suffit de placer des surveil-
qui saisit la masse à transporter ou s'accroche à lants aux points extrêmes de'la ligne; le trans-
l'anneau d'une benne d'un vagonnet, etc., d'uQ. porteur est alors abandonné à lui-même et
siège même, car le transporteur à trolley pour- néanmoins il parvient heureusement à la station
rait aussi bien servir de moyen de locomotion terminus, car tout est réglé pour qu'il puisse
rapide pour le personnel ouvrier d'une usine effectuer automatiquement son parcours.
qu'à la manutention de marchandises ou de mine- Comme dans les chemins de fer, le cableway
rais. Le commutateur qui commande l'appareil ou transporteur aérien possèdedes trains rapides,
est actionné par un fil double fixé, d'une part au des express et des trains omnibus, tout étant
trolley, et de l'autre à la chaine de l'élévateur. Une relatif naturellement. Le mécanisme du trolley
traction exercée sur le fil livre passage au cou- est, en effet, disposé en vue de fournir des vitesses
rant et le petit câbleway actionné par ses mo- ditlérentes, et le système est combiné de manière
teurs se met aussitôt en marche. Suivant la lon- à produire automatiquement un ralentissement
gueur du parcours on peut créer des s,talions dans les pentes rapides et dans les courbes de
intermédiaires placées sous la surveillance d'ou- petit rayon.
vriers, véritables chefs de gare de ce chemin de ALBERT REYNER.
fer en miniature.
Le personnel, chargé de la surveillance du ~x.a~~x~x~~ z~a,a~ss: ~ss,sx~
petit convoi, manœuvre les fils du commutateur Étudier et aimer le passé ne nous empêche pas d'êÍre
suivant les nécessités du travail, le chargement des hommes de notre temps.
Ménage de papions.
Pour revenir à la vérité, disons que le pauvre mort sans les soins du bon gardien qui l'a élevé 1
animal, si cruellement rnordu, fut soigné avec Et, bien que je m'amuse un peu de la conviction
succès par M. Guitté, le vétérinaire attaché à avec laquelle le brave homme me parle de l'ani-
l'établissement et, qu'au bout d'un mois, sa bles- mal comme d'un véritable cc orphelin je ne
sure était cicatrisée. peux m'empêcher de penser que sa douceur, sa
On peut le voir aujourd'hui, à l'état de « tri- patience et ses bons traitements lui ont conquis
mane », oublieux et consolé, dans la cage qu'il l'affection de tous ses velus pensionnaires qui
occupe avec descamarades de son espèce, moins lui témoignent en toute occasionleur reconnais-
féroces que le callit~°iclae. sance.
Celui-ci a été vendu au Jardin par une dame Ici, ne cherchons pas de ressemblance avec
qui regrette sans doute sa détermination, car notre espèce, nous craindrions de n'en pas tou-
elle vient rendre de fréquentes visites à son pen- jours trouver.
sionnaire. Elle lui apporte de petits jouets sur- Tous ces animaux se reproduisent dans nos
tout des moutons achetés au bazar voisin. Le climats, et plusieurs des sujets que nous avons
r.allitriclze, en singe pratique, les dépouille de sous les yeux sont nés au Jardin. Tel un jeune
leur toison artificielle, dont il se fait des couver- ~aacayue, ici présent, qui est le meilleur ami d'un
tures. En ce moment, il mange des groseilles, ca~~ucin geignard, son compagnon de captivité,
assis à côté d'uue toison blanche que je suppose et l'enfant gâté d'une troupe de cynocéphales
fraîchement enlevée. ~apio~as qui s'ébattent, présentement, au soleil,
Tout près du callitriche est un maki vari, ori- dans la cage grillée attenante à la maison. Ces
âinaire de riladagascar comme tous les ~rzakis. Ce animaux le prennent tour à tour dans leurs bras,
petit animal a la gentillesse et la fidélité du le bercent, et si l'un d'entre eux s'avisait de lui
faire du mal, il sentirait les morsures des autres. A ce propos, quoique d'une façon moins radi-
Bel exemple de protection du faible, sinon de cale, il y aurait peut être quelques ressemblances
l'opprimé. que nous pourrions.
Pour terminer notre visite, allons jusqu'à la Ce sera pour un autre article où nous philoso-
rotonde. C'est une cage très grande, placée au pherons à loisir.
milieu d'une pelouse, et divisée en deux com- Les singes sont des animaux bien curieux.
partiments. Celui du bas, clos et muni de fe- M. DAUBRESSE.
nêtres, constitue les appartements celui du haut,
grillagé, à l'air libre, peut être considéré comme Ate¡
la salle de récréation. On y a réuni tout ce que
la civilisation la plus raffinée peut offrir à un LE CHÊNE
singe pour le distraire chevaux de bois, roues
mobiles, balançoires, cordes, trapèzes, le tout Un gland tombe dans 1,In champ.
de couleurs voyantes. Nos singes usent de tous L'homme le foule en marchant;
Mais dans la terre il s'enfonce
ces accessoires, y joignent le plaisir de grimper Et bientôt, à cet endroit,
le long des grilles en faisant d'horribles grimaces Un arbuste naît et croît,
Ignoré, près d'une ronce.
aux bénévoles spectateurs. Ils sont là, en troupe, ·
MYTILÈNE
Nos lecteurs ont eu, il ypeu de temps, une déroulent sur l'un des points du globe où sa
étude sur Constantinople. Plus récemment en- suprématie s'est exercée pendant longtemps
core, nous avons nous-même exposé les causes d'une façon incontestée.
principales du conflit surgi entre la France et Notre envoyé, l'amiral Caillard, a occupé l'une
la Turquie et dont le dénouement a été singuliè- des îles de l'archipel, l'île de Mytilène, qui est à la
rement rapide grâce à un acte d'énergie dont fois, l'une des terres les plus fécondes de la ré-
le gouvernement français a fait preuve en cette gion et un point stratégique d'une grande valeur.
circonstance. L'île de Mytilène, comme la plupart des terres
Or donc, pour obtenir satisfaction sur les di- de l'Orient de l'Europe a son histoire. Après avoir
verses questions en litige, notre gouvernement appartenu successivement aux Pelasges et aux
avait chargé un marin expérimenté, l'amiral Eoliens, c'est-à-dire à une époque fort reculée,
Caillard, d'aller s'emparer d'un point stratégi- XVIe au xie siècle avant notre ère, elle devint la
que quelconque, et de s'y maintenir jusqu'à la propriété du peuple d'Athènes. Elle fit naturelle-
solution du conflit. ment aussi partie de l'empire romain. Sa con-
Il ne s'agissait plus uniquement de recou- quête par les Turcs remonte à 1462. Elle a été
vrer une créance chez une nation insolvable. disputéedepuis, en vain, par les Chrétiens ou les
Notre intérêt nous commandait aussi de prouver Grecs.
aux populations de l'Orient la vive sympathie Au point de vue physique, l'He forme une
qu'elle professe pour les nations opprimées; que terre triangulaire, échancrée par deux grandes
fidèle à des traditions séculaires, la France ne baiesauxquelleson accède par des passes étroites,
saurait se désintéresser des évènements qui se l'une au nord-est, Kalloni; l'autre, la plus impor-
tante, au sud, la baie de Yara ou Hiera, du nom Comme on vient de le voir par cet exposé
de son principal port dont nous avons la bonne succinct, l'île de Mytilène ou Lesbos offre des
fortune de présenter une vue caractéristique ressources suffisantes pour former ce qu'on
(collection du comte de Delmas, gracieusement appellerait une bonne prise. L'occupation per-
communiquée par la Société de Géographie). manente de l'île par une puissance civilisée lui
Mytilène ou Metelin, port sur la rive orientale procurerait assurément une prospérité de nature
de l'île, et qui est le chef-lieu du sandjak (pré- à rappeler son ancienne splendeur.
fecture), ne compte qu'une vingtaine de mille Il nous reste à dire un mot de sa population.
habitants. Son port est moins sûr; sa position, L'une des principales préoccupations du gou-
par contre, sur la route aux Dardanelles, est vernement français est comme nous 1-*avons
d'une importance capitale. dit déjà au début de cette notice de conserver
La valeur intrinsèque de l'île n'est pas à dédai- à notre pays la prépondérance morale parmi les
,-ner. Hérissée de montagnes en grande partie sujets non musulmans. Tous ceux qui ont habité
volcaniques, l'ile offre des sites d'une beauté l'Orient savent quel rôle important et souvent
incomparable. On n'y rencontre pas de rivières; néfaste jouent dans la vie de ces populations
mais les sources sont abondantes et suffisent à les différences religieuses,lesvariétés des dogmes
l'alimentation. Sa superficie est d'environ 700 ki- et, très fréquemment aussi, les simples divergen-
lomètres carrés. Les cultures les plus répandues ces dans l'exercice d'un seul et même culte. Les
sont celles d'oliviers (environ ~5 000 tonnes d'o- rivalités religieuses se compliquent de nos jours
lives par an), de figues (1500 tonnes), de raisin de querelles de races, de nationalités et d'in-
(7 000 tonnes et environ 1700 tonneaux de vin). fluences économiques. La France entretient, sur
Une douzaine d'huileries produisent annuelle- divers points de la Turquie d'Asie, des établisse-
ment pour environ 4 millions 1/~ de francs. ments d'instruction publique, des écoles profes-
Le commerce de l'iIe est relativement considé- sionnelles destinées surtout à ramener à des
rable 3~ à 35 millions, dont 18 à ~O millions idées plus saines l'esprit des jeunes générations.
pour l'exportation, H à 15 pour l'importation. C'est la consécration de cette œuvre qu'elle pour-
Les diverses agglomérations possèdent un en- suivait, en exigeant de la Sublime Porte la
semble de 160 embarcations, dont 1;;0 voiliers reconnaissance de ses divers droits.
et 13 vapeurs appartenant à des compagnies A Mytilène, la population est industrieuse et
locales. Dans l'intérieur de l'ile, les transports relativement calme, gràce sur tout à l'uniformité
se font généralement à dos de mulets. du culte sur -1:!0 000 habitants que compte
l'He, plus de 100000 sont grecs et chrétiens; les dont grecques, avec 7635 élèves et
1211 écoles
musulmans ne sont' que 10000 environ; on y 31 écoles musulmanes; avec 580 élèves. L'He
compte en outre un millier de catholiques, quel- renferme aussi de nombreuses églises et plu-
ques juifs (100 environ), des Arméniens, etc. sieurs couvents renommés.
Le dernier recensement (1890) a constaté l'exis- P. LEMOSOF.
tence dans l'Ue de plus de 150 écoles primaires
LES MILLIARDS DE LI
Li-Hung-Chang familièrement Li vient cains, des Vanderbilt, des Astor, des Rockefeller,
de mourir, âgé de près de quatre-vingts ans. des Carnegie, des Mackay, des Pullman, des
Ce n'est pas ici le lieu d'apprécier son rôle Gordon Bennett. Et l'on cite Barney Barnato qui
comme homme d'Etat et de dire à quel point se suicida peu de temps après avoir réalisé le
subtil, cauteleux, hypocrite, il synthétisait coquet capital d'un milliard.
l'âme chinoise. Les uns et les autres, de pauvres diables
Le malin vieillard s'éteint chargé d'honneurs, presque, auprès de Li-Hung-Chang qui possédait
comblé de titres. Personne, peut-étre, n'en eut deux milliards cinq cents millions environ, un peu
autant que Li. N'était-il pas vice-roi de l'Empire, plus, un peu moins, car sa richesse s'accroissait
gouverneur du Tchili, surintendant des ports de quotidiennement de quelque deux cent cinquante
Tien-Tsin, de Tché-Fou, de Niou-Tchouang, chef mille francs.
suprême des armées de terre, grand-amiral? Un Comment était-il parvenu à une telle fortune?
instant,'il y a quelques années, il connut l'ingra- Les révolutions dont la Chine fut si souvent le
titude de la Cour auquel il n'avait rendu que .des théâtre, et,que Li contribua à réprimer, à' la
services; d'une disgrâce imméritée il sortit, il tête des troupes car il était homme de guerre
revint plus fort, plus puissant d'avoir su aisé- ne furent point étrangères aux origines de
ment oublier. cette richesse. Sa vice-royauté, au surplus, était
Les titres de Li-Ilung-Chang suffiraient le source de jolis bénéfices. Il avait établi, sur toute
côté politique de son rôle mis à l'écart à pro- la surface de l'empire, des bureaux de prêts. sur
voquer l'ébahissement, j''Illlais écrire l'admira- gages et sur hypothèques qui lui fournissaient
tion de la foule. d'énormes revenus. Dans un pays où le taux
Or, les titres, qti'est ce-là? Plus encore que légal n'existe pas, on ne saurait trop recom-
l'Européen, l'Asiatique en est friand et en tire mander à ceux qui ont l'ambition de vivre lar-
vanité. Li-Hung-Changavait évidemment de quoi gement, pareille opération. Enfin, Li était pro-
s'enorgueillir des siens, puisqu'ils atteignaient, priétaire d'immenses rizières.
affirme-t-on, le chiffre de quarante. Par exemple il était d'une avarice sordide.
Mais ce Fils du Ciel, s'il était orgueilleux, était Son palais (?), au dire de notre ancien ministre
surtout pratique. Issu d'une famille pauvre en Chine, M. Stephen Pichon, semblait « une
son père était un modeste menuisier. Li avait maison de cantonnier mal tenue ».
réalisé, dès longtemps, avant sa mort, la 'plus Quarante titres enviables, le record de la ri-
fantastique des fortunes. chesse avec près de trois milliards, mais: un
A n'en pas douter, il était l'homme le plus ulcère à l'estomac qui, après l'avoir fait horri-
riche de l'univers entier et c'est ce que nous blement souffrir durant des années, emporte Li-
voulons signaler aux lecteurs du Magasin Pitto- Hung-Chang comme s'il s'agissait d'un sans-le-
resque. sou
On parle souvent des multimillionnaires améri- E. B.
UN DUEL AU RIFLE
NOU V ELLE (1)
.Il avançait pas à pas, écoutant de toutes ses fuite brusque d'un oiseau, d'un écureuil, ou
oreilles, regardant de tous ses yeux. Parfois la même d'un serpent lui faisait épauler son rifle.
Ses hommes le surveillaient avec inquiétude, se
(1) Voir le Magasin Pittoresque du 4~· novembre 1901. demandant s'il avait le délire. Il ne leur avait
rien dit, bien entendu. John et James portaient que pour un jour; et, en marchanttrès vite dans
le costume des colonies, tout blanc, et ils avaient la trocha que nous avons taillée, nous aurons
convenu qu'ils ne toléreraient pas cette couleur juste le temps de rentrer avant la nuit.
dans les vêtements de leurs compagnons ceux- Qu'est-ce que ça fait? Vous ne craignez pas
ci ne couraient donc aucun danger. Le mulâtre de coucher dehors, par cette chaleur-là! Je vous
suait dans une veste de toile bleue, et l'Indien paierai dix piastres au lieu de cinq. En avant,
étalait la nudité d'un torse en bronze sale. propres à rien, et vivement!
Les minutes, les quarts d'heure, les demi- Il parlait avec une voix tonnante, les yeux
heures s'écoulaient. Rien aucun bruit dans le furieux.
silence accablant de la forêt vierge aucun indice Non! non! non! cria l'Indien effrayé qui se
du passage d'un homme à tràvers les fourrés. leva. Nous retournons au Miguel. ç
Souvent on traversait des ruisseaux d'eau très La chaleur, la fatigue, le péril, tout cela, sans
claire, profondément encaissés. En descendant't doute, avait bien énervé le pauvre John; car,
au fond de ces fossés naturels, John les sondait, cédant à un mouvement de colère insensée, il se
à droite et. à gauche, de regards aigus il crai- rua la crosse haute sur les récalcitrants.
gnait la présence de son adversaire, posté dans Il est fou hurla le mulâtre.
un coin d'ombre, ou derrière un tronc, ou à Il est fou! hurla l'Indien à son tour.
l'abri d'une large touffe de feuilles. Le mulâtre Et ils détalèrent comme des lièvres, ils dispa-
et l'Indien, de plus en plus, s'inquiétaient des rurent en un clin d'oeil sans qu'il fût possible de
allures de leur capatas (1). John ne s'en aperce- les poursuivre. John courut deux minutes seule-
vait pas. ment et s'arrêta, éreinté.
Ils finirent par réclamer du repos. Ils avaient Décidément, la chaleur et la marche, sous cette
besoin de s'asseoir, prétendaient-ils. Ils n'en chaleur-là, l'éprouvaient. Il sentait à la fois le
pouvaient plus, ils étaient harassés de jouerainsi besoin de souffler et celui de délibérer avec lui-
du machete depuis l'aube. John refusa, se fâcha. même. A cette double fin, il avisa au bord d'une
Ils se fâchèrent aussi, crianttrès fort, invectivant rivière, une excavation, une sorte de niche, dans
l'étranger en mauvais espagnol. Et, comme un l'escarpement qui doniinait l'eau courante. Il y
arbre renversé se trouvait encore là (il s'en trouve mit une grosse pierre et il s'assit, un peu courbé
partout en forêt vierge), ils s'y installèrent. John, parce que des racines pendantes, lui grattaient
furieux, mais gêné dans son élocution par la le cou quand il se redressait. Il se trouvait à
pensée qu'une balle lui arrivait peut-être à l'im- l'abri de toute surprise; et, dans cette moitié de
proviste, commençait une phrase, ne l'achevait cave, il faisait presque froid.
pas, en commençait une encore, tournait la tête John regarda l'heure deux heures et demie.
d'un côté, la retournait de l'autre, et confirmait Il consulta sa boussole; elle était détraquée.
ses hommes, ainsi, dans la conviction qu'il ne « Hum pensa-t-il, que devenir? Il est clair que
jouissait pas de toute sa raison. ces animaux-là m'ont égaré. Je dois être à tous
Après un geste, il posa la main sur une branche les diables de la mer, la rencontre est manquée
morte. Il la retira aussitôt en poussant un cri. et j'aurai eu l'air d'un lâche. »
Une fourmi noire, longue de 5 à 6 centimètres, Rageusement, il labourait la terre du talon de
l'avait piqué affreusement. Vite, il prit dans une sa botte.
poche intérieure de sa veste un petit flacon « N'importe Il faut bien me résigner. Il n'y a
d'acide phénique, et il se cautérisa. L'Indien et qu'un seul parti à prendre retrouver la trace
la mulâtre le regardaient, l'air épouvanté. de mes hommes et regagner au plus vite le
Eh bien, leur cria-t-il, êtes-vous reposés, Miguel. »
paresseux? Voulez-vous partir enfin? Ces quelques minutes de repos à la fraîcheur
quoi bon, senor, répondit l'Indien, puis-
A l'avaient ragallardi. Il remonla, chercha des
?.
que vous allez mourir `?
Hein
Mais oui, senor, la veinte-y-cuatro vous a
traces, les suivit quelque temps, puis, après le
passage d'un ruisseau, les perdit tout à fait. Il
essaya de revenir sur ses pas, tourna, retourna,
mordu onenmeurt dans les vingt-quatre heures. et finit par ne plus savoir du touE où il était. Tous
C'est même pour ça qu'on l'appelle la veinte-y- les arbres se ressemblaiententre eux à s'y trom-
cuatro. per. Rien ne distinguait un endroit d'un autre.
La douleur première se calinait sous la brû- Il s'arrêta découragé.
lure de l'acide phénique. John répondit rageuse- « Inutile de continuer ce manège », pensa-t-il.
ment Et il conclut
Tu es idiot 1 C'est une petite piqûre de rien A défaut du Miguel, il ne me reste plus qu'à
du tout. Il n'y paraitra plus dans un instant. gagner la mer avant la nuit. La mer est au Nord.
Allons En avant Marche Cherchons le Nord, d'après la position du soleil. »
Non, seiior, déclara le mulâtre. Nous vou- Mais la 'position du soleil n'étaitpasfacile à
lons retourner. Vous ne nous avez embauchés déterminer, dans ce bois si ombreux. John, d'a'-
(1) Capitaine, cher d'une expédition.. près quelques rayons qui perçaient çà et là, y
parvint cependant tant bien- que mal. Il prit la n'y subsistait. Il paraissait que la cautérisation à
direction qu'il supposait être celle de l'océan. l'acide phénique suffisait pour rendre inoffensive
Seulement il n'avait pas de machete et, sans la morsure soi-disant meurtrière de la « veinte-
cesse, des massifs de plantes, impénétrables, y"cuatro '» 1
l'arrêtaient, le forçaient à biaiser. Une seconde réflexion succéda rapidement à
« Sapristi 1 grogna-t-il; avec ce système-là, je la première dans le cerveau réveillé de John
ne ferai pas un mile à l'heure! » « Mais j'ai une faim atroce 1 Et cette brute
Il eut alors une idée d'Indieu a filé avec les dernières provisions dans
« Les rivières, ici, vont à la mer ou à une au- sa hotte! »n
tre rivière qui y va. Je n'ai donc qu'à descendre John, de plus en plus las, s'allongea de tout
la première rivière que je rencontrerai, quitte à son long sur les cailloux, la tête appuyée contre
marcher dedans ». une pierre plus grosse.
Il en rencontra une bientôt l'eau abonde dans La forêt, silencieuse le jour, s'animait étrange-
ces forêts de l'isthme, arrosées, huit mois l'an, ment la nuit. De tous côtés, tout près parfois, on
par des pluies quotidiennes. entendait des cris d'animaux inconnus, des frois-
Mais s'il ne trouvait plus de fourrés infran- sements de feuilles, des poursuites. Étaient-
chissables, il se heurtait à des barrières d'arbres ce des singes, des cerfs, des pécaris? Était-ce le
renversés; car les vents de tempête, se ruant jaguar? Toits ces bruits demeuraienttrop mêlés,
dans ces trouées des petits fleuves, seules brè- trop confus pour qu'on en pût tirer le moindre
ches qui leur fussent ouvertes, y accumulaient indice. Mais, en tout cas, cette solitude semblait
les ravages, Et c'étaient des escalades conti- très habitée! Et fort mal, peut-être.
nuelles, par dessus des troncs pourris à l'écorce John, peu poltron et très chasseur, ne s'en
glissante Quelquefois, quand leur décomposi- inquiétait guère. Puis, qu'y pouvait-il? Il
se dit
tion intérieure était très avancée, ils craquaient simplement
sous le poide de John; ses jambes s'enfonçaient « En voilà, un tapage! Tous ces miauleurs-là
dans une immonde bouillie où grouillaient des devraient bien me laisser dormir tranquille!
»
insectes et des vers. Et il mit son mouchoir sous sa tête, en tam-
Des serpents, délogés de leurs retraites, s'en- pon, pour s'en faire un oreiller. Il avait ¡posé à
fuyaient. côté de lui son rifle inutile.
Les muscles de John étaient brisés; ses pieds, Mais le sommeil ne vénait pas; une chaleur
écorchés. Souvent il se penchait, puisait de l'eaù insolite envahissait John; bientôt il se sentit
dans ses deux paumes et la lappait comme un brûler. C'était la fièvre, conséquence ordinaire
le
chien. Mais ces lampées fréquentes le soula- des excès de fatigue sous ce climat.
geaient à peine elles ne diminuaient pas sa Le délire, alors, s'empara du jeune homme.
fatigue. Une quantité d'évènements de sa vie réapparu-
Il s'arrêtait de temps à autre, pour essayer rent devant lui, tout déformés et dans
un désor-
grondement des vagues brisant sur dre doulourenx. Des visions absurdes l'assailli-
la côte. Rien jamais rien que le silence, rent. Gladys passait en sautillant, lui tirait la
rarement troublé par le cri de quelque oiseau langue, lui jetait avec une joie démoniaque
invisible. Tu n'en reviendras pas
L'heure s'avançait; Ce fut bientôt le crépuscule Puis ce furent d'autres cauchemars, plus af-
hâtif des tropiques et vipgt minutes après, la freux. Il se trouvait face à face avec James, qui
nuit. John avait assisté avec effroi à cette mort lui disait
presque subite du jour. Le champ de sa vision Tu vas me tuer, à cause d'une jeune fille qui
s'était rétréci les profondeurs du sous-bois t'est indifférente, et j'étais ton meilleur ami.
avaient disparu; les quelques morceaux du ciel John protestait
entr'aperçus s'étaient éteints; les arbres tout Non! non! Ce n'est pas vrai! Je ne te tuerai
proches, seuls, restaient perceptibles, mais de pas.
plus en plus vagues. Le jeune homme avait dll Mais son rifle, malgré lui, partait. La balle
s'arrêter: A la rigueur, il aurait pu suivre encore traversait la figure de James. Il restait debout,
la rivière, sans les obstacles; mais ces barrages, avec un grand trou rouge sous l'œil droit. Et il
hauts de plusieurs mètres, devenaient inaborda- proclamait, d'une voix éclatante
bles dans l'obscurité qui les noyait maintenant.
John était ahuri de lassitude. Il s'assit sur le
Tu m'as assassiné
Et tous les membres de la famille de John;
gravier et resta longtemps sans penser. La pre- tous les Palirac et tous les Chevagnet de France
mière réflexion qui lui vint fut celle-ci et d'Amérique se dressaient derrière James, en
Et ma piqûre? La piqûre dont je devais criant à John
mourir ?. Tu l'as assassiné
Il l'avait complètement oubliée1. Elle n'avait Le terrible accès ne se termina que le matin.
rien fait, d'ailleurs, pour se rappeler à son atten- Aux premières lueurs du jour, John s'endormit
tion. La main n'avait pas enflé; aucune douleur pesamment.
James n'avait pas eu autant de malchance Il a dù essayer de revenir par le même che-
dans son expédition. L'un de ses hommes, le min, opina le métis.
métis hispano-indien, qui commandait à l'autre, Tu as raison.
était un gaillard tr-ès intelligent et très pratique Ils relevèrent, çà et là, quelques empreintes
comprenant qu'il avait affaire àun clientsérieux, laissées par les bottes du jeuneAméricain, et qui
il s'était aussitôt résolu à le satisfaire en tout. étaient bien dans le sens du retour.
Vers le milieu de la journée, il avait demandé Il a perdu la bonne piste ici, constata bien-
au jeune homme tôt le métis.
Faut-il retourner au Coclé? A de tout petits détails, à des vestiges infimes
Non, avait répondu James, continuons dans qu'aucun civilisé n'aurait remarqués, cet homme
la direction du Miguel. Je paierai double. suivait John comme un chien de chasse suit son
Et le métis, bien qu'étonné des allures de gibier.
James, n'en avait pas conclu qu'il était fou il Il arriva ainsi à la rivière.
avait cherché, simplement, à se les expliquer et Ah! très bien s'écria James. Il a voulu évi-
il avait presque deviné de quoi il s'agissait. demment gagner la mer. Nous n'avons plus qu'à
Le jeune Chevagnet arriva au Miguel à la nuit descendre le courant pour le retrouver:
tombante, tout à fait fourbu, et sans avoir trouvé Oui, senor, approuva le métis, auquel cette
la moindre trace de John. Il n'y comprenait rien. réflexion judicieuse inspira une certaine consi-
« Voyons, se disait-il, ce n'est pas possible qu'il dération pour le jeune Chevagnet.
ait reculé. Alors, qu'est-il devenu? » Avant midi, ils découvrirent John, toujours
Il mit le métis à moitié au courant et l'envoya éterldu. Il venait de s'éveiller et, comme il ne se
dans le village pour y chercher des nouvelles. sentait pas la force de se mouvoir, il se livrait à
Au bout d'une demi heure à peine, l'habile en- une méditation très mélancolique.
quêteur revint, aussi informé qu'on pouvait James, le yoyant si pâle, si défait, fut profon-
l'être. Il raconta toute l'odyssée de John jusqu'à dément ému. Il courut à lui, l'étreignit et lui dit
la fuite de ses deux hommes après l'incident de sans préambules
la « veinte-y-cuatro ». Je t'autorise à épouser Gladys!
Les coquins s'écria James. Pourrions-nous -Ça, jamais! s'écria: le malade énergique-
partir tout de suite à la recherche de. mon ami?2 ment. Casse-moi plutôt la tête
-Non, senor la nuit, ce serait impossible. Hein? Tu es fou!
James insistait d'autant moins qu'il se sentait Non, au contraire, je suis devenu raison-
incapable de faire un pas. Mais il demanda anxieu- nable.
sement Mais pourquoi? pourquoi?
Est-ce vrai que cette piqûre de la « veinte-y- Eh! parce que je n'aime plus Gladys, main-
cuatro » est mortellè? tenant J'aime Dorothy, depuis huit ja,urs au
Je ne crois pas, seilor. Mon beau-père a été moins.
piqué et il a guéri. Et, exhibant son portefeuille, il mit sous le
Ah 1 tant mieux nez de James la photographie de sa nouvelle
Il ne songeait plus à gratifier son « ami d'une bien-aimée.
balle dans le bras. Malgré le souvenir de Gladys, James, hébété, regardait le portrait,.et regar-
il s'inquiétait du sort de John presque autant dait John, et ne comprenait pas davantage.
qu'il s'en fût inquiété autrefois. Huit jours plus tard, John et James rentraient
Le lendemain, dès l'aube, il voulut partir, à la Nouvelle-Orléans, tout joyeux. James de-
quoique encore assez las. On prit pour guide manda la main de Gladys, et John celle de Do-
l'Indien de John, auquel James dit froide*- rothy. Mais il se produisit alors deux petits évé-
ment nements qu'ils n'avaient pas pr évus le moins du
Si tu ne retrouves pas le jeune homme que monde Gladys refusa James et Dorothy ne
tu as trahi, je te trouerai la peau. Si tu le retrouves, voulut pas de John.
tu auras dix piastres. Pendant quarante-huit heures, ils songèrent
La combinaison de ces deux promesses inspira très sérieus~ment à se suicider; ensuite ils y
beaucoup de zèle au descendant des Caraïbes. songèrent moins sérieusement; puis enfin ils n'y
Presque sans.hésitation, avec l'étonnantinstinct songèrent plus du tout.
c.
des coureurs de bois, il suivit les traces de la Ils ont repris leurs parties de chasse aux
veille. On marchait v ite, le chemin étant frayé caïmans sur le lac Pontchartrain; et, comme
aux passages difficiles. A dix heures, les quatre autrefois, John dit volontiers
hommes arrivèrent à la halte où le mulâtre et Une femme ne vaut pas un gros crocodile
l'Indien avaient abandonné John. à qui on loge une balle dans le ventre.
Maintenant, où a-t-il passé? se demanda Et John répond
James. Elle ne le vaut pas.
Et il répéta la question en espagnol pour ses JEAN LIONNET.
compagnons.
La'Quinzaine qui y tend par tous les moyens à sa portée. Cette as-
sociation compte plus de 3f1Q,membres, presque tous
LETTRES ET ARTS de Paris et elle a déjà fait beaucoup de bien à ses
adhérents,Ellea publié, pendant uneannée, une revue,
Voici encore une heureuse initiative prise ou, plu- l')mage, qui a séduit tous les amateurs, dans un cercle
tôt, encouragée par le Conseil municipal de Paris. Le malheureusement trop restreint elle a fait des dé-
Conseil est sollicité nul doute qu'il y consente marches pour empêche!' l'avilissementdes prix, pour
de donner son patronage, et un petit appui financier s'alti l'el' la prolection des Pouvoirs publics, pour se
peut-être, à une Exposition de gravure sur bois. faire, enfin, une bonne place, bien méritée, au « So-
Ce n'est pas aux lecteurs du Magasin Pittoresque leil de l'Art. » Elle a réussi souvent elle a vu venir
qu'il faut espérer apprendre ce qu'est la gravure, sur à elle, outre M. Lepère, les graveurs qui comptent
bois, le charme qu'elle a, sa finesse, son « velouté parmi les premiers de ce temps et qui ont de l'ou-
sa fermeté et sa délicatesse de contours ou de mo- vrage presque assuré chez des éditeurs tels que
delé. Les colleclions de notre chère vieille Revue M. Beraldi.on M. Carteret (maison Conquet) ou
constituent une sorte de Panthéon de cet art où figu- M. Édouard Pelletan, ces amis du Livre les plus ex-
rent les plus grands noms et notre directeur, M. Char- quisément épris de leur art et qui ont signé les plus
les Formentin, a trop le culte du Beau sous toutes beaux spécimens de l'édition moderne, capables de
ses formes, pour avoir laissé se perdre la tradition rivaliser avec l'édition ancienne.
essentielle de sa liaison. Il continue donc, comme on Dans ces volumes, quelques-uns des graveurs ont
le voit chaque quinzaine, à faire appel aux graveurs fait preuve non seulement des qualités techniques et
les plus renommés pour la reproduction d'un chef- du goût le plus solide, le plus classique, mais encore
d'œ~vre de peinture ou de sculpture sur la couver- d'un esprit de recherche extrêmement curieux, très
ture du Magasin qui, à cet égard encore, est resté personn..l certains ont, notamment, fait des essais
digue de sa réputation européenne. Il est vrai que, de g-ravure en couleur qui, imprimés chez Chamerot
par la suite, dans le texte, se rencontrent d'autres et Renouard ou chez Lahure, ont été fort admirés à
images qui sont dues aux procédés photo-mécani- l'Exposition de 1900, dans ces classes IX- Xi (librairie)
ques (photogravure). L'explication en est dans la tant industrialisées.
rapidité extrême de ce gpnre de travail qui permet Et malgré tout cela, la ftravure sur bois périclite
de serrer de plus près J'actualité et qui, toujours un encore. Le Procédé gagne du terrain, s'étend cons-
peu sec et raide si l'on veut, fait.mieux ressortir tamment. Il faut élever une barrière devant lui,
toute la valeur artistique de l'autre, de celui qui est appelf'r la foule à la recousse, à l'aide de vaillants
exécuté directement par la main humaine interpré- lutteurs pour la vie et pour l'art. Des critiques érudits,
tant une pensée. M. Arsène Alpxalldre. '_îi. Roger Marx se joignent à eux
On trouve là, dans un contraste qui frappe les yeux et patronnent ce plan d'Exposition où,' côté des
les moins exercés, un des motifs pour lesquels il con- chefs-d'œuvre des écoles anciennes, se placera la
vient d'encourager la gravure sur bois, ainsi que le « fleur ) de nos ateliers actuels qui ne redoute pas ce
Conseil municipal va sans doute le faire. Lest.rocédés grave voisinage. On voit que nous devions souhaiter
(il y en a une quantité infinie sous les appellations bonne chance à une telle entreprise.
les plus diversès) sont très expéditifs et commodes
ils n'exigent qu'une bonne photographie et une habi-
leté d'artisan; de plus, ils offrent une- économie de On a ouvert, chez Georges Petit, une petite expo-
prix de revient assez appréciable. Aussi les éditeurs, sition qui est intéressante celle d'une collection
pour la plupart, commettent-ils la faute d'y recourir d'œuvres de M. Hugo d'Alesi des paysages alpes-
presque exclusivement, tandis qu'au Magasin Pitto- tres. Ils sont, pour la plupart, a sincères»et impres-
resque on les admet seulement comme adjuvants. Il siotinants. Excellentes « notes pour de prochaines
en résulte que-l'édition moderne du livre ou du pé- affiches. Car M. Hugo d'Alesi s'est créé line spé-
riodique est banale, dans son ensemble: l'accent per- cialilé. dans un genre très largement exploité, trop
sonnel ne, s'y découvre plusautant qu'il faudrait pour exploité peut-être il a créé l'affiche panoramique,
que nos ouvrages courants eussent la chance de rapi~lement faitf', avec des couleurs séduisantes, avec
durée de leurs aînés, classés très haut encore dans des perspectives très adroitement construites, des
les grandes ventes.. proportions toujours ingénieuses et justes, en appa-
Comment lutter contre cette tendance? Comment rence il est le décorateur, par excellence, des gares
réagir?En saisissant le public de cette concurrence de chemins de fer 'et ce n'est pas un mince mérite
entre les deux branches de la reproduction graphi- que d'avoir offert aux grandes compagnies, qui s'y
que et en le mettant à même de s'assurer que la sont toutes ratigées, des facilités d'égayer leurs mu-
première, la plus vieille, n'a rien perdu de son ori- railles de gares avec des réclames ayant un aspect
ginale puissance. Car nous avons des graveurs sur artistique et vrai. Tout le monde a présees à la
bois qui sont des maîtres comme leurs ancêtres, et mémoire, à la « vue », même, ces panoramas des
nous en- avons beaucoup, peut-être même éa Pyrénées, de Suisse, des Alpes, etc., qui ne nous
avons-nous trop, du moins par rapport à la quantité fatiguent pas avec d'éternelles figures de femmes à
de travail qui leur est concédée par les éditeurs. Il demi-nues, Fortunes, Sources ou Abondances clas-
est indispensable d'amener ceux-ci à 'leur' faire la siques, ou encore avec ces pseudo-Parisiennes à demi
part plus large, en prouvant, précisénu!I:lt, ~çette déshabillées, canaillement, dont tous les affichistes
maîtrise. De là, l'idée de l'Exposition projetée.. bnt abusé sous prétexte que le maître Chéret
Le promoteur en est le graveur Lepère i1"doit agir en avait fait des motifs décoratifs d'une souplesse
au nom d'une société fraternelle qui s'est fondée', il. y et d'une coloration surprenantes.
a quatre ou cinq ans, pour atteindre ce but même, et Ces affichistes une légion,-nous fatiguaient, à la
longue, et nous faisaientprendre en grippe le placard gleterre assura, en effet, à son protégé un subside
colorié dont on a raffolé, pendant deux: ou trois ans, annuel de 3 à 4 millions de francs. Cela n'empêchait
au point d'en former d'insipides, prétentieuses et nullement le rusé souverai~1 de se ravitailler, gratis
encombrantes collections, bientôt abàndonnées. bien entendu, en armes et en munitions chez son grand
M. Hugo d'Alési a eu le bon sens de revenir à la na- ancien ami, le tzar blanc. N'avions-nous pas raison
ture et de nous la faire aimer en lui faisant chanter, de trouver cette situation particulièrement privilé-
sur le papier, sa propre gloire, sans allégories fadas- giée? Recevoir d'un côté de l'or, et :de l'autre, des
ses, compliquées ou sans piment. Il a énormément armes le tout pour le seul motif, très louable, de se
produit, il a usé des kilos et des kilos de couleur, conserver indépendant.Les progrès incessants et réels
avec une prodigieuse facilité qui défend toute grave faits par les Russes sur le continent asiatique les
critique, mais enfin il a su inventer, il a su plaire. amènent fatalement à considérer tous les territoires
Et son nom sera conservé. autour du Turkestan comme rentrant dans leur
Chez Georges Petit encore, la série des expositions sphère. d'action. Il suffit, pour s'en convaincre, d'ob-
annuelles continue par les collections de poteries, server la manière d'opérer du grand, état-major
faïences, etc., de G. Lachenal. Nous en oonseillons la russe. Ainsi, sous le titre modeste de Carte des con-
visite au moment où on s'engoue, démesurément, fins de l'empire de Russie, le gouvernement de Saint-
pour les Danois, les Hollandais et les Allemands, il Pétersbourg fait paraître une carte qui englobe dans
est agréal,le de constater que notre pays peut oppo- les confins toute la Perse, l'Afghanistan, le Thibet, la
ser de belles, pièces, françaises, d'une belle venue Chine jusqu'à la mer, une grande partie de l'Inde.
présque toujours égale, à des productions qui n'ont L'expansion russe en Asie n'est pas sans analogie
souvent d'autre recommandation que leur origine, avec la prépondéranee prise par la France sur le con-
ou une affectation de simplification ou d'étrangeté tinent africain. Mais les Russes ont sur nous ce
des tons fort discutables. double avantage de s'étendre insensiblementsans sor-
PAUL BLUYSEN. tir de leur domaine propre, ou sans avoir à franchir
iw des mers; en plus, de pouvoir peupler ces nouvelles
zones par un surcroît de population de l'intérieur qui
Géographie atteint, dans certaines provinces du Midi, jusqu'à
a6 p. 100. C'est ce que redoutent notamment les An-
glais.
L'Afghanistan. La mort de l'Émir. Un Pays montagneux, d'une altitude moyenne de
État-tampon. 1200 mètres avec, dans le centre, une masse plus
La mo:~t de l'émir de l'Afghanistan survenue pres- formidable encore, le Kaboulistan, d'une superficie-
qu'inopinément au mois de septembre dernier a fait de 50 000 kilomètres et 2000 mètres d'altitude,l'Af-
craindre un instant des complications anglo-russes ghanistan forme une forteresse naturelle qui défend
en Asie. Ces craintes se sont en partie dissipées, gràce l'entrée principale de l'Inde. C'est, selon l'expression
surtout à la sagesse des Afghans. Le nouveau souve- consacrée, l'État-tampon. C'est aussi un état fermé.
rain qui a déja donné parait-il des preuves d'in- L'Angleterre paie l'émir pour qu'il empêche de péné-
telligence et d'énergie, alors qu'il était chargé de la trer dans'ses États tout autre voyageurque les sujets
régence du royaume, il y a une dizaine d'années, a britanniques. Les émissaires du tzar prêchent natu-
su s'affermir sur le trône de son père, sans secousses; rellement l'inverse. Cette situation donne souvent
ses puissants voisins, Anglais et Russes, en sont donc lieu à des équivoques dignes de figurer dans des vau-
quittes pour une émotion. Pour nous, simples spec- devilles ou dans des drames. Notre compatriote,
tateurs d'une lutte d'influence qui se poursuit sur le M. Bonvalot, en sait quelque chose. Lors de sa mé-
continent asiatique,depuis un quart de siècle, entre morable exploration de 188i, il fut emprisonné,
l'Angleterre et la Russie, l'événement a une impor- ainsi que ses deux compagnons de route, Capus et
tance moindre. La situationn'en présente pas moins Pépin, l'un, par les partisans de la Russie, comme
un intérêt de premier ordre. espion anglais; les deux autres, soupçonnés de ser-
Un coup d'œil sur une carte de l'Asie montrera la vir comme espions en faveur des Russes. Pour les
situation -privilégiée qu'occupe ce pays. Sa superficie Afghans, il n'existe naturellement aucune autre na-
est d'environ 700000 kilomètres carrés, soit un peu tion sur le globè qu'Anglais et Russes. Nos vaillants
plus que la France sa population est évaluée de explorateurs n'ont pu être délivrés qu'au prix de
4 à 6 millions d'âmes. Mais deux grandes nations démarches nombreuses faites a Paris et grâce à la
se disputent ses bonnes grâces. L'une, à gauche, c'est libéralité d'un mécène russe, M. f. Balaschoff, qui
la Hussie, maîtresse du Turkestan, et jouissant d'une fournit une somme importante pour parer aux pre-
autorité dominante en Perse, voisine immédiate de miers frais.
l'Afghanistan. C'est la Russie qui hébergea le défunt M. Bonvalot a eu le temps toutefois de constater
émir duraut dix années à Samarcand (Turkestan), « que les Afghans sont moins sensibles à la richesse
avant son avènement au trône. Neveu de l'émir pré- britannique qu'à la force et à la souplesse mosco-
cédent, Shere-Ali, Abdour-Rhamanavaitvouluprendre vites. »
la place de l'héritier du trône, Yakoub-Khan, fils de Peuple montagnard, épris plutôt de l'idéal, les
Shere-Ali. Il succomba dans- la lutte et dut se réfu- Afghans ne sout pas une quantité négligeable. D'un
gier sur le territoire russe. Le gouvernement du tzar physique agréable (leur type se rapproche beaucoup
lui faisait une pension de 25000 roubles, soit environ du type caucasi.en), braves jusqu'à la témérité, fières,
70000 francs par an. En 1880, les Anglais réussissent ces populations semblent infiniment supérieures à
à détruire la puissance de Yakoub et Abdour-Rhaman leurs voisins immédiats, Indiens et Tatars. Elles se
parvient à se faire proclamer émir. C'est à présent le subdivisent en plusieurs tribus Ghilzais, les plus
tour à la voisine de droite de faire des largesses. L'An- nombreux, Dajiks, Hazaras, Duranis, Aimaks,
Ouzbeks. Les Afghans sont pour la plupart séden- de la guerre! Sans doute, les morls et les blessés
taires et s'adonnent de préférence à l'agriculture ou seront immédiatement remplacés. Mais le War Office
àl'industrie. Il y a;sansnul doute, affinité de race entre ne peut nier maintenant que toute la région Est et
ce peuple avec les populations diverses qui habitent Sud-Est du Transvaal est coupée pour les Anglais par
le Sud-Est de la Russie. Cette puissance a, d'autre les positions que les Boers occupent de Standerton à
part, toujours suivi une politique de conciliation vis- Amsterdam. Le général Lyttelton, qui commande au
à-vis de ses sujets 'musulmans (les Afghans le sont Natal, ne communique plus non plus avec lord Kit-
presque tous). De là un certain penchant, ou une chener, et Botha, en dépit des efforts inouïs faits par
certaine préférence, chez ce peuple, pour les Russes. les colonnes anglaises, reste le maître absolu de re-
Cesderniers procèdent aussi par les voies les plus prendre l'offensive sur le point qu'il choisira et quand
pratiques, les voies de fer (sans jeu de mots.) Leur bon lui semblera.
chemin de fer transcaspien relie Samarkand et Si, d'autre part, on considère que les colonnes de
Tachkent à Kciuchk, ville frontière de Afghanis tan, Methuen n'ont jamais pu entamer sérieusement les
à cent et quelques kilomètres en ligne droite d'Hérat, commandos de Delarey à l'Ouest du Transvaal, la
seconde capitale du pays. Rien ne semble, jusqu'à situation militaire des Anglais dans la République
présent, s'opposer à la marche envahissante du transvaalienne paraît des plus critiques.
peuple moscovite, sauf peut-être, une augmentation Dans l'État libre d'Orange, la situation reste la
dans les subsides en argent fournis par l'Angleterre. même. Ou du moins le ~Yür Office ne nous. fait con-
L'or britannique serait donc réellement inépuisable'? naitre aucun fait important concernant les comman-
P. LEMOSOF. dos placés sous les ordres de De Wett, qui continue
à faire le mort.
~9 Enfin, dans la colonie du Cap, le général French
fait toujours buisson creux dans sa poursuite contre
LA GUERRE les commandos de Fouché, Myburg et Wessels, qui
se promènent tranquillement entre Barkly-East et
AU TRANSVAAL Rhodes.
Les journaux anglais nous racontaient l'autre jour Pauvre général French Il se vantait, il y a
que Botha, le généralissime boer, avait miraculeuse- quinze jours, d'avoir définitivement refoulé loin au
ment échappé, grâce à un brouillard intense, aux nord les Boers du commandant Maritz qui, on s'en
colonnes de Kitchener qui le traquaient comme une souvient, s'étaient audacieusement avancés jusqu'à
bête fauve. Saldanay-Ba,y, à 9,5 kilomètres de Capetown.
Nous constations, nous, que le jeune générals'était Aujourd'hui il est forcé d'avouer, par le canal de
tranquillement retiré dans le district d'Ermelo, son Kitchener, que Maritz est revenu sur ses pas avec de
quartier général habituel, après avoir culbuté les nouveaux renforts et qu'il se rapproche dé la côte 1
avant-postes du général Lyttelton sur la frontière du L'armée anglaise semble donc condamnée, dans
Natal. l'Afrique du Sud, aux marches et aux contre-marches
Un télégramme de lord Kitchener est venu du reste forcées à perpétuité. Tout le monde en a la.convic-
nous mettre d'accord avec ces bons Anglais en âppre- tion dans les régions gouvernementales mais per-
nant au monde entier que la colonite Benson avait sonne n'osera en dehors de l'opposition faire
été écrasée le 30 octobre par les troupes.de Botha entendre la voix de la raison.
à Brakenlaagte, au nord de Bethel. Tant pis pour l'Angleterre!
Ce combat, dit Kitchener a été un des plus décidés HENRI 11ZAZEREAU
et des plus saaglants de la campagne. Botha, dans sa
retraite vers le Nord, avaitopéré sa jonction avec un
autre commando et guettait patiemment l'occasion !J.1HÉA!J.111E
de surprendre la colonne Benson qui se dirigeait vers
Burgspruit. Pour un général qui bat en retraite, on
avouera que ce n'est pas. mal.
L'occasion se présenta. Le temps était orageux, dit LA VIE DRAMATIQUE
le généralissime anglais. Le colonel Benson regagnait Trois grands succès pendant cette dernière quin-
tranquillement son camp sous la protection d'dne zaine l'A f~'aire bTathieu, de M. Tristan Bernard, au
forte arrière-garde accompagnée de deux canons Palais-Royal; Yvette, drame émouvant tiré par
lorsque, tout à coup, les Boers se jetèrent sur la M. Pierre Berton, pour le Vaudeville, de la nouvelle
colonne anglaise, avec une impétuosité et un mépris si vécue de Guy de Maupassant, et l'Énigme, de
de la mort extraordinaires. M. Paul Hervieu,,à la Comédie-Française.
L'orage battait à ce moment son plein, accompagné M. Tristan Bernard est en très grand progrès son
de bourrasques de grêle et de pluie, de sorte qu'on talent souple qui, actuellement, l'a fait entrer victo-
n'aperçut les Boers qu'à l'instant même où ils tom- rieux dans le cénacle des auteurs dramatiques ayant
baient comme la foudre sur l'arrière-garde, tuant pour mission d'amuser leurs contemporains, son ta-
canonniers et chevaux, et enlevant brillamment la lent, dis-je, fait de finesses mêlées à d'inénarrables
section d'artillerie. situations comiques, s'est donné un libre cours dans
Les colonels Benson et Guiness tombèrent brave- la nouvelle pièce du Palais-Royal. Il y a entre autres
ment, blessés mortellement, près de leurs canons. facbties l'histoire d'une malle rappelant de très loin
Les Anglais perdirent en outre 22 officiers et la malle de Gouffé, de lugubre mémoire, qui à elle
200 hommes environ, tués ou blessés. seule vaut d'être vue et revue avec plaisir.
L'émotion a été vive en Angleterre, en apprenant C'est de la bouffonnerie, mais de la bouffonnerie
ce nouveau désastre, inaugurant la troisième année qu'il n'est pas besoin d'étudier de très près, et qui
n'a qu'un but celui de dilater la l'ale des specta- Sylvain, Paul Mounet, les deux frères, sortes de
teurs. M. Bernard, cette fois, a mis dans le mille, rustres de la classe privilégiée, comme il en existe
,aidé d'ailleurs par l'excellente troupe du Palais- tant, brutaux et farouches, cloîtrantpendant six mois
Royal (Lamy en tête), qui 'ne le cède en rien à ses leurs femmes dans un rendez-vous de chasse trans-
devancières. formé en château MMmes Bartet et Brandès, les deux
soupçonnées, Mayer, l'amoureux surpris, Le Bargy,
toute autre qualité. On se rappelle
Yzette est d'une le philosophe déjà vieux, quelque peu raisonneur, un
la donnée de l'adorable nouvelle du regretté Mau- Le Barny transformé, à la barbe blanche, tous ces in-
passant. On nous pardonnera ile ne pas la conter. terprètes hors de pair contribuent, eux aussi, pour
La pièce que M.Berton a tirée d'une intrigue une grande part, au succès. Et parmi eux j'admire
touchante dans son romanesque aigu, n'est pas sans tout simplement Mme Bartet, dans le cri tragique qui
qualités, quoiqu'elle rappelle un peu dans sa forme termine la pièce et appelle le frisson.
les mélodrames de l'Ambigu. M. Berton, qui connait Il y avait longtemps que la éomédie-Françaisene
à fond son métier d'auteur dramatique, s'est sou- nous avait conviés à pareille fête. Et les acclama-
venu sans doute, en l'écrivant, qu'il avait quelque peu tions d'une salle enthousiaste n'ont été que le juste
collaboré autrefois aux Deux Gosses. Le procédé, en prix des efforts à la fois de l'auteur et de ses inter-
effet, s'y rattache sous plus d'une forme. prètes.
Mais Yvette n'en est pas moins un spectacle inté-
ressant à entendre et même à voir, en raison de sa Chez Antoine, deux études médicales, l'une médico-
splendide mise en scène. Ce qu'il perd en qualités tragique, l'autre médico-comique. La première, le
littéraires que l'on aurait pu attendre d'un adapta- Baillon, de MM. Camille Le Senne et A. Mayer, traite
teur de Maupassant, il le rattrape en émotion. simplement du secret professionnel. L'œnvre est
Le drame puisque drame il y a est joué avec torte, bien charpentée, mais d'une trisless.e exces-
une rare finesse par ]\IUe Toutain, qui montre des sive. La phtisie entre en scène, nous intéressant à la
qualités de premier ordre dans le personnage de la maladif-) d'une jeune femme, épousée par amour, déjà
jeune fille. 1V1~8 Rosa Bruck, en mère qui ne veut pas souffrante, au mornent du mariage, et aux transes
-abdiquer, lui donne brillamment la réplique. La d'un mari; puis à la peur, la peur tragique de la con-
scène, d'un cynisme quelque peu outré, où elle avoue tagion, qui fait éviter à ce dernier les tête-à-tête
froidement à sa fille sa situation irrégulière, a pris, avec celle qu'il a adorée et qu'il adore encor.
grâce à cette interprétation parfaite, une singulière Tout ceci est très bien pensé, ettrès bien dit mais
envergure qui a décidé tout à fait du succès. c'est une autre pièce qui se joint à la première, et le
En voici pour d'innombrablesreprésentations. spectateur dérouté s'étonne de cette anomalie.
3la.is ce succès considérable a donné jour à un petit Pour lv Mariotte, de M. Veber, nous fait tout au
scandalé, dont se sont défrayés pendant quelque contraire assister à des scènes joyeuses, à propos
temps les chroniqueurs des théâtres. Un jeune au- d'un cas patholo.-itlue cette dormeuse, dont on a
teur, M. Galopin, a prétendu avoireul'idée première tant parlé.
de la pièce et ajoutait même qu'il l'avait commencée La dormeuse de M. Veber ne dort pas du tout, et
bien avant avec la collaboration du propre fils de enrichit même son village par la venue des étrHngers
M. Berton. L'affaire, comme on le voit, était des plus qu'attire de toutes parts une curiosité malsaine.
délicates on affirme que tout a été arrangé à la Il est évident que c'est là une manière d'envisager
Société des auteurs dramatiques. Mais il n'en reste la question.
pas moins une pièce de MM. Galopin et Claude Berton
sur le même sujet. Un directeur aura-t-il le courage Au Gymnase, une comédie de M. Maurice Donnay,
de la montPf uu jour? Ce serait en tous cas assez et pas de ses meilleures la Bascule, quatre ad..s en
curieux de connaitre de quelle façon elle a pu être prose.
traitée. La comparaisonpourrait offrir quelque amu- La donnée de cette nouvelle œuvre de l'auteur
sante surprise. d'Amants et de la Douloureuse est menue. menue,
» tellement menue qu'il n'y a.plus presque rien.
Enfin l'Éni,gme a véritablement triomphé (et je me Le genre de M. Donnay, il est vrai, est de compo-
sers à dessein de ce mot) à la Comédie-Fmnçaise. ser des pièces sans intrigue véritable d~s pièces
Deux: actes concis, serrés, dramatiques, évoquant un qui n'en sont pas-et grâce à son esprit éblouissant,
des plus grands problèmes de l'humanité le pardon à son observation souvent cruelle de la vie, à inté-
de l'époux outragé dans son honneur; une thèse resserele spectateur, et même à l'empoignèr par des
admirable dans un cadre soigneusement choisi; tel situations humaines, après l'avoir secoué par quelque
est en quelques mots le sujet de cette œuvre qui mot drôle inattendu.
-classerait, s'il ne l'était déjà, M. Paul Hervieu à la Ces qualités se retrouvent encore dans la Bascule,
tête de nos dramaturges les plus puissants. Et quelle mais insuffisamment.
merveilleuse exécution Pas un mot à retrancher Qu'est-ce que la Bascule? L'histoire d'un mari qui
tout porte et fait frémir l'assistance. Je regrette que adore sa femme et qui la trompe avec une actrice à
la place, qui m'est comptée, ne me permette pas de la mode, pendant une saison qu'elle fait à Luxeuil.
donner une analyse complète de ce chef-d'œuvre, qui Le publie a accueilli froidement cette piécette sans
restera 1000lgtempsau répertoire des Français, à côté grande consistance et il a fallu tout le talent de
des comédies d'Alexandre Dumas fils, ou du Supplice M. Donnay pour le faire accepter jusqu'au bout. Il est
d'une Femme, dont il se rapproche par la concision vrai que celui-ci a émaillé la plupart de ses scènes de
et la netteté. mots d'une drôlerie telle, de boutades si inattendues
L'interprétation n'a pas été hors ligne elle a été que l'on a ri, et que par conséquent on a été dé-
plus. sarmé.
Une petite critique Donnay fait jouerun grand
M. dition de la symphonie en ut mineur, de Beethoven,
rôle à une avenue de peupliers que posséderait la dont Berlioz a dit si justement qu'elle était la plus
station thermale de Luxeuil, où l'abandonnée fait lés célèbre de toutes, sans contredit, et aussi la première
cent pas, tandis que son époux volage se console à dans laquelle Bpethoven ait donné carrière à sa vaste
Paris or ce n'est pas une avenue de peupliers, mais imagination, sans prendre pour guide ou pour appui
deux avenues de platanes monstrueux qui se trou- une pensée étrangère. On ne saurait d'ailleurs en
vent à Luxeuil. Et ces platanes ont été plantés par mieux exprimer la sculpturale beauté qu'en citant
Louis XV. ces lignes, si remarquablement écrites, de M. Ca-
l'éruditionl. mille Bellaigue
C'est beau,
Elle est le plus rude combat et la victoire la plus
QUENTIN-B ~UCHAftT. (c
complète; plus que toute autre, elle est mélancolie et
méditation, action et allégresse; elle est l'angoisse,.
le trouble, la douleur enfin, et elle est aussi la vo-
LA MUSIQUE lonté plus forte que la douleur. Militante, souffrante,
Théâtre du Châtelet. LES CONCERTS COLONNE. triomphante, elle offre au plus haut degré les trois
M. Édouard Colonne, dont le haut goût et la fé- caractères de toute'vie; elle comprend, en son évo-
conde ingéniosité artistique sont depuis lon~tpmps lution, les trois époques de toute destinée. »
connus du public et appréciés à leur juste valeur, a Les Impressions d'Italie de M. G. Charpentier ont
eu, entre tant d'autres, l'heureuse idée de faire, par retrouvé aux concerts Colonne leur succès habituel.
des auditions successives, le résumé historique de Les trois parties de cette suite, exécutées pour la pre-
la symphonie. C'est ainsi qu'il nous a présenté, dans mière fois sous la direction de M. Colonne, le 14 oc-
ses deux derniers concerts, deux œuvres de ce genre tobre 1894, furent accueillies avec enthousiasme. Elle
rune, en ré, de Méhul; l'autre, également en ré, se distingue par sa hardiesse juvénile, par sa verve
d'Hérold. Sans méconnaître les qualités de cette pre- étourdissante, par sa substantielle instrumentation
mière oeuvre, disons qu'elle n'ajoutera pas grand' et surtout par ses effets, absolument vécus, d'har-
chose à la gloire de l'illustre auteur de l'Euplernsyrae, monie imitative.
Stratonice, Joseph, etc. Méhul ne voyait d'ailleurs Parlons, en terminant, de la Rhapsodie Norvé;lienne,
d4ns la symphonie que l'ingénieux agencement de qui, exécutée aux concerts Colonne le 26 octobre
formules harmoniqlles et, là, seulement, l'inspira- 1879, y obtint un succès qui ne s'est jamais démenti
tion, si noble dans ses opéras, lui faisait défaut. depuis cette époque; elle est d'ailleurs au répertoire
La symphonie d'Hérold, bien qu'elle puisse sem- de tous les 'concerts symphoniques, aussi bien en
bler aujourd'hui vieillotte et agencée par de trop France qu'à l'étranger. C'est une des compositions
simples procédés, n'en est pas moins animée de cette les plus intéressanteset les plus finement orchestrées
grâce et de cette inspiration facile à qui nous devons du regretté maître à qui nous devons le Roi d'Ys:
des chefs-d'oeuvre tels que Marie, Zampa et le Pré- Ed. Lalo.
aux-Clercs. Il est bon d'ajouter que l'auteur, avec Nos très sincères compliments à Klee-
11i" Clotilde
une modestie qui l'honore, considérait ses sympho- berg et à M. Joseph Thibaud, deux pianistes de grand
nies comme de simples essais et ne les avait jamais talent qui se sont fait unanimementapplaudir, l'une
jugées dignes d'Mre soumises-aux suffrages du public. dans le splendide concerto en ut mineur de Saint-
Les quatre préludes de l'Ouragara, que M. Alfred Saëns, l'autre dans le concerto en la mineur de Schu-
Bruneau a disposés pour le concert sous la formé mann, dont j'ai parlé plus haut.
d'une suite en deux parties, produisent, ainsi pré- Félicitons aussi tous les instrumentistes, et princi-
sentés, bien plus d'effet que lorsqu'ils accompagnent palement M. Colonne, dont le maëstria impeccable
le drame lyrique entendu naguère à l'Opéra-Comique. sait si bien composer et mettre en jeu tous les
Cela vient de ce que l'auteur est plutôt un synpho- rouages de cet orchestre merveilleux.
niste qu'un dramaturge lyrique, bien qu'il nous ait E. FOUQUET.
montré, dans le Rêve, l'Attaque du Moulin, comme
aussi dans l'Ouragan lui-même, de quel souffle puis-
sant il est capable d'ànimer les différentes scènes de
ses œuvres et avec quelle sincérité et parfois quelle
CAUSERIE MILITAIRE
sauvage grandeur il sait en faire parler les person-
nages. On parle beaucoup, en ce moment, tant en France
Rédemption,morceau symphonique de César Franck, qu'à l'étranger, de notre nouveau règlement sur
dont M. Colonne nous a donné également l'audition, l'exercice et les maneeuvres de l'infanterie les avis
est tiré d'un oratorio de ce nom qui comprend deux sont, à cet égard, quelque peu partagés, cependant
parties l'pne, consacrée aux temps anciens, l'autre, les modifications apportées au règlement de 189.J.-
aux temps nouveaux. Bien qu'un peu cc;mfuse, cette rencontrent une approbation presque unanime.
pièce symphoniquecomprend des beautés de premier Commençons par dire que l'ou a simplifié notable-
ordre où se révèle, dans tout son éclat, le génie de ment tout l'ancien système; nous n'avons plus que
l'auteur de Ruth et de Rébecca, qui forment, avec trois volumes au lieu de quatre, ce dont se réjouis-
Rédemption, une sorte de trilogie. sent très fort nos braves troupiers, obligés de meu-
Le concerto pour piano, en la mineur, de Schu- bler leur mémoire de nombreuses pages, dont l'uti-
mann, figure parmi les meilleurs ouvrages du maître. lité est incontestable, il est vrai, mais qui sont
On estcharmé par l'ingénieqse invention des thèmes, totalement dénuées de charme et de poésie.
par le dialogue toujours intéressant du piano et de Ces trois volumes sont d'ailleurs réduits à leur
l'orchestre, par le rythme et l'expression puissante de plus simple expression, et on peut dire que leurs
l'ensemble, et ce fut une superbe préparation à l'au- éminents auteurs ont accompli un véritable tour de
force tant au point de vue de la clarté que de la c'est lorsqu'il s'agit de repousser une charge de ca-
concision. valerie. Le nouveau r èglement, en supprimant la
Le premier volume se divise en quatre titres Bases colonne contre la cavalerie, s'exprime en ces termes
de l'Instruction, Fcole du soldat, École de section, ({
L'infanterie doit adopter la formation qui, en te-
École de compagnie 1:30 pages au lieu des 350 de nant compte de la forme du terrain, lui permet de
l'ancien règlement. mettre en ligne le plus grand nombre de fusils )J. Il
Le titre premier Basea de l'instruction, est remar- est évident que des feux de salvebien réglésauraient,
quablement rédigé; nous n'envoulons d'autrepreuve en de telles occurrences, une efficacité que ne sau-
que ces quelques lignes, où le rôle de l'officier est raient avoir des coups de feu isolés, quelques rapides
tracé de main de maître qu'ils soient. Ne s'agit-il pas là de lutter masse con-
« Pour inspirer aux troupes la confiance indispen- tre masse? Un feu de salve réglé avec sang-froid
sable au succès,les officiers doivent posséder une peut abattre le premier rang des cavaliers; c'est assez
haute valeur morale et avoir, avec un sentiment élevé pour entraverl'allure du rang suivant une deuxième
de leur mission, une connaissance approfondie des décharge assurerait la supériorité à l'infanterie, tan-
devoirs de leur état. » Et plus loin « Si l'officier dis qu'avec des feux individuels, on aurait cet incon-
est l'instructeur de ses hommes, ilen est encorebien vénient que deux ou trois hommes au moins pour-
plus l'éducateur. C'est dans ce dernier rôle qu'ilaffir- raient choisir leur cavalier et, par conséquent, tirer
mera sa supériorité et créera cette confiance et cette sur le même, sans s'en rendre compte, ce qui lais-
subordinationvolontaire qui feront que le s2zivez-znoi serait le champ libre aux cavaliers non atteints et
du chef ne sera jamais un vain mot. et que, là où il des passages tout ouverts pour leurs suivants.
se portera, il trouvera ses soldats derrière lui. » La colonne par quatre, innovation relative à l'école
On ne saurait assigner plus 'brièvement et de plus de compagnie et qui n'est autre chose que le mou-
noble façon aux officiers la tâche qu'ils ont à remplir. vement employé pour la cavalerie, a-t-elle bien sa
Les changements apportés aux mouvements sans raison d'être? Pourquoi n'avoir pas conservé l'an-
armes sont peu importants quant au maniement cienne formation par le flanc?
des armes, il est peut-être un peu trop simplifié; on y N'a-t-on pas non plus trop écourté la deuxième
supprime notamment le port de l'arme je me de- partie de l'école de compagnie? Elle comprenait un
mande pourquoi. cours de tactique nécessaire aux officiers comme aux
L'instructiondu tir y est traitée très succinctement; sous-officiers. Cette partie ne contient actuellement
cela s'explique: lerèglement du 22 mai 1895 sur l'ins- que huit pages, y compris le combat contre la cavà-
truction du tir contient à cet égard toutes les pres- lerie, et encore ce genre de combat ne comporte
sriptions désirables; les répéter au titre École du sol- même plus la baïonnette au canon, sous le prétexte
dat, comme on le faisait antérieurement, eùt été une que l'infanterie n'a plus rien à craindre de la cava-
superfluité. lerie mais alors pourquoi ne pas supprimer les
Les feux rapideset les feux de salve sont supprimés; ralliements et l'escrime à la baïonnette?
on n'exécutera plus désormais que les feux à volonté La première partie du règlement nouveau laisse
et les feux à répétition. aux unités subordonnées une certaine latitude en ce
Il y a lieu d'examiner succinctement. le bien fondé qui concerne-les différentes évolutions. On espère
de cette suppression qui a déjà soulevé et soulèvera par là « développer les qualités d'initiative et l'esprit
longtemps encore de vives controverses. de décision des cadres ». C'est fort bien, mais tout
A mon avis, cette réforme était nécessaire en ce en se conformant au sens littéral de ces n01ivelles
qui concerne les" feux rapides ils n'étaient bons qu'à dispositions, c'est-à-dire en n'érigeant pas les. sus-
animer inutilement nos soldats, pour la plupart si dites évolutions en types invariables, il sera bon de
impatients d'aller de l'avant; on aurait eu, enguerre, veiller à ce que, dans les commandements subal-
où le sang-froid ne se perd malheureusement que ternes, on ne s'égare pas dans le domaine de la fan-
trop vite, ce fâcheux résultat de voir le tir de nos taisie, car, alors, que deviendrait la discipline; et,
hommes devenir de moins en moins précis, et rien sans.la discipline, que deviendrait l'armée?
ne viendra détruire ce fait, confirmé depuis long- (A suiure), Capitaine FOUQUET.
temps par l'expérience, que plus on tire vite, moins
on tire juste. On agirait même sagement en aug- *0
mentant la durée de chaque feu à répétition 40 se-
coudes au lieu de 30 pour l'armée active et la ré- LES LIVRES
serve, et 50 secondes au lieu de 40 pour l'armée
territoriale.
Quant aux feux de salve, qui ont été à ce point en Anthinea. D'Athènes à Florence,par M. CHAR-
faveur qu'une certaine école n'en voulait point d'au- LES MAURRAS (Librairie Félix Juven).
tres aux grandes et aux moyennes dista.nces,j'estime Quand j'ai lu ce titre quand j'ai compris que ce
qu'on a bien fait de les supprimer vouloir obliger à mot harmonieux d'Anthinea cachait, comme un
tirer tous ensemble des hommes dont les uns visent péplos fleuri, les gràces étern-elles d'Athènes et que
vite et les autres. lentement, constitue à mes yeux j'allais, en feuilletant ce livre, faire un voyage de la
une anomalie bonne à donner. dans une bataille, de Cité de Minerve à la Cita dei ~ori, à la ville des fleurs;
cruels mécomptes. Ajoutons à célà qu'on se laisse suivre en maints parages l'itinéraire d'Ulysse et me
facilement aller à ne garder, entre les commande- laisser bercer par la chanson de cette mer bleue
ments de joue et feu, qu'un intervalle insuffisant; à 'qu'écoutait Homère, j'ai éprouvé une ;émotion aussi
peine le fusil placé à l'épaule, la décharge éclate, et douce que profonde. Tous les souvenirs que j'ai rap-,
Dieu sait où vont les balles. Il est cependant un cas portés moi-même de ces contrées sacrées, toutes les
où la nécessité du feu de salve semble se faire sentir, images délicates et infinies comme les couleurs qui
se jouent sur l'Hymette à l'aurore (ou au coucher du sols d'un Mont-de-Piété; elles s'enrichissent d'un
soleil, m'ont ap~aru dans un éblouissement, et, pen- bouquet d'impressions toscanes recueillies à Fiesole'
dant- une minute, les yeux fermés, j'ai goûté le plaisir ou à San-Minialo, cette Acropole de Florence. Les lys
égoïste de me rappeler. Minute délicieuse que je dois rouges se marient à l'olivier d'argent et aux aspho-
à M.Maurras el qui a été suivie de beaucoup dèles.
d'autres, celles que ce guide éclairé et « musicien » 4n,thi~iea est vraiment l'ceuvre d'un artiste et d'un
-comme disaient les Grecs, m'a données, chemin philosophe. Ai-je besoin d'ajouter que c'est une
faisant. œuvre à lire? JOSEPH GALTIER.
D'abord,dansla préface,avec quel à propos il com-
pare le sol de l'Attique à certains coins de notre
Provence! « On trouvera notre pays semblable, écri- Fuveau, par M. l'abbé M. CII.~ILLAN
vait Platon, à un corps malade qui n'a conservé que (éditeur Paul Pourcel, à Aix-en-Provence).
ses os, tout ce qu'il renfermait de terre' molle et Voici un livre autour duquel, si elle était moins
grasse ayant coulé autour du rivage, il ne présente étourdie et plus consciencieuse, la critique devrait
plus que l'apparence d'un corps décharné ». Qui ne faire la plus flatteuse réclame. C'est l'œuvre d'un
se souvient, ne fût-ce que pour les avoir traversés, de grand savant, mais d'un modeste que ces quelques
ces paysages de Provence dont les charmes graciles lignes vont certainement effaroucher.
presque secs ont une élégance souveraine. Ces col- fi y a, dans l'un des sites les plus pittoresques de
lines arrondies comme la croupe d'une jeune déesse ma Provence, un simple curé de campagne que je
ces rochers aux lignes pures ainsi que le buste d'une place, sans hésiter, au rang de nos meilleurs histo-
Diane; ces rivages qui se courbent et dont les sinuo- riens. M. l'abbé Marius Chaillan, curé de Beaure-
.sités ont le galbe des vases athéniens, tout jusqu'à la cueil, aime passionnément son pays et a entrepris
couleur de la terre et la végétation évoque l'Attique. d'en reconstituer morceau par morceau la longue et
M. Charles Maurras est allé en Grèce à l'occasion curieuse histoire. Son humble presbytère est devenu
des jeux olympiques qui se donnèrent à Athènes, il y un cabinet d'études où s'entassent les documents qui
a quelques années. Naturellement il nous parle de servent à son oeuvre d'éruditiôn. M. l'abbé Chaillan
ces fêtes du muscle. Les pages qu'il consacre aux gym. n'est pas de ces historiens à qui les à peu près et les
nastes allemands, aux. athlètes américains ou- aux témoignages douteux suffisent sa science a des
cyclistes français ont certes leur raison d'être, puis- scrupules et sa méthode de travail une reinarquable
qu'elles ont été la raison du voyage, mais ce n'est sûreté. Dans toutes les monographies qu'il nous
pas sur « cette actualité)) qu'il faut juger du talent donne sur la Provence, dans celle vraiment attachante
de M. Maurras. Lisez, au contraire, les pages où il sur Fuveau, que l'éditeur Paul Pourcel vient de pu-
nous chante, àvec une espèce d'exaltation poétique, blier avec un soin délicat, nous assistons à une exhu-
son admiration pour les débris glorieux qu'il rel1- mation pittoresque et complète du passé; de vieilles
-contre sur l'Acropole. choses et de vieilles gens ressuscitent que l'on croyait
Le voici devant la première colonne des Propylées à tout jamais oubliées ou perdues. A tout ce que sa
« Sur cette colonne, aperçue la première du chœur patience savante découvre, l'abbé Chaillan sait don-
des jeunes Propylées, j'entourai de mes bras l'espace, ner de la vie et de la couleur. Épi par épi, le gla-
autant que je pus en tenir, et, inclinant la tête, non neur laborieux finit par nous offrir toute une moisson.
sans prudence à cause d'une troupe d'Américains qni Et M. l'abbé Chaillan continue depuis des années
se rapprochaient avec bruit, prenant même grand cette noble et belle besogne à l'ombre de son petit
soin que l'on me crût en train de mesurersa circon- clocher, parmi ses ouailles qu'enveloppe sa sollici-
férence, je la baisai- de mes lèvres comme une amie. tude, il vit avec ses manuscrits poudreux où son flair
« Si le ciel en feu, si la roche dure que je foulais et découvre les raretés précieuses. Il n'envie pas les
le marbre que j'étreignais ne fournirent point de honneurs que d'autres recherchent; il fuit le bruit
réponse à la vibration secrète de ce baiser, si je fus que soulèvent d'ambitieuses vanités; il est heureux
seul où je me crus mêlé à d'universelles ivresses, de servir sa chère Provence à sa façon, en disant ce
-c'est un point qu'il est inutile de traiter, car le doute qu'elle fut autrefois, en des époques très anciennes.
et la foi y deviennent également insoutenables. Ce J'admire ce petit curé de campagne, et je voudraiss
qui n'admet ni foi ni doute, étant certain, c'est l'état qu'une récompense officielle bien gagnée allât le
de folie lyrique où je roulai avec une complaisance surprendre en son ermitage de Beaurecueil.
infinie, sans cesser de tenir la belle substanc3 em- Car c'est gràce à. des savants comme celui-là, grâce
brassée. » aux matériaux que leur patience érudite rassemble,
Avec la même dévotion frémissante, bi. Maurras que d'autres écrivent plus tard l'histoire de la France.
passe de longues heures dans le petit musée, à côté CH. F.
du Parthénon, ou dans le grand musée de la ville.
Ses remarques, ses commentaires sur l'art attique
sont pénétrantes et émues. Je voudrais bien chercher LA ~OOE PITTO~ES2UE
querelle à M. Maurras sur l'indifférence dédaigneuse
qu'il prodigue aux monuments de Mycènes et
d'Egine je serais malheureusement entraîné hors Malgré les belles journées du tardif été de la Saint-
du cadre restreint de cette courte chronique. Martin, il faut se décider à prendre la livrée de
Les notes sur Athènes occupent, comme il convient,
l'hiver, qui sera des plus élégantes, ainsi que nous
la première place dans Anthinea, elles se complètent avons pu le voir dans les grands ateliers où on nous
permet de jeter les regard8 curieuxd'une courriériste
par des souvenirs de Londres, rapportés du British de la Mode.
Museum où la gloire d'Athènes semble avoir été mise Si les jupes de drap zibeline, d'homespum, de vi-
par des marchands ou des flibustiers dans les sous- gogne à longs poils ou de grosse serge sont relati-.
vemeut sobres d'ornements, car elles sont toutes Ce qui a valu à l'Eau de Sue~ sa réputation de dentifrice
destinées aux sorties du jour, on se rattrape sur les antiseptique hors ligne, c'est qu'eUe conserve les. dents,
corsages, d'une grâce inoomparable jointe à tous les les préserve de la carie, parfume agréablement la bouche.
raffinements d'une intellfgente coquetterie. Les man- C'est la grande marque du Tout-Paris élégant recomman-
dée par les sommités médicales. L'essayer, c'est .l'adopter
ches deviennent très originales; incrustations de
guipure sur taffetas ou de velours découpé, brodé, pour toujours.) L'Eucalypta de Sue~ est la plus hygiéni-
que des eaux de toilette. Pour les soins du corps, c'est la
soûtaché; bouffants d'étoffe soyeuse ou de fourrure seule eau de toilette antiseptique.
s'unissent' pour changer leur silhouette qui, après
avoir été d'une ampleur fantastique, rappelant celle DU CHOIX D'UN SAVON
du « bouffon du roi », était devenue d'une rigidité L'hygiène du premier âge doit être l'objet de l'attention
anglaise avec le costume tailleur. Toujours pour ré- méticuleuse des parents.
pondre à ce courant réagissant, le corsage se blouse Les négligences, l'erreur peuvent avoir de funestes in-
entr'ouvert sur un étroit gilet de fourrure quelque- fluence"s sur la santé de l'enfant.
fois, plus souvent de mousseline de soie avec cravate Peu de mères hésitent aujourd'hui devant un lavage ou
de taffetas; le grand col@ayant la forme d'une berthe, un savonnage aussi nécessaire que salutaire. Malheureu-
sement le choix du savon n'est pas toujours l'objet d'une
terminé par de vastes. revers se perdant< en; fichu attention suffisante. Cln se préoccupe plutôt du bon as-
dans la haute ceinturé-drapée, est aussi mie--des gar- pect, de la jolie couleur, du parfum agréable que de la
nitures les plus goùtées; à lui seul il est toute la pa- composition du savon. C'est là une indifférence coupable,
rure de la robe. la plupart des savons renfermant des principes causti-
Nous ne reparlerons après tant d'autres, du`ma- ques, acides, ou simplement malsains, au grand détriment-
de la santé de l'enfant. Cette situation ripas été sans
prépondérante donnée, la
riage de MUe Fouquier, que pour remarquer la place
fourruffJ dans toutes
lés toilettes habillées et de grande céréuopie elle.
éveiller l'attention des hygiénistes.
L'un d'eux 1\1. le D'Andrieu a trouvé la formule de sa-
v-onapproprié à l'enfance. Les mères sont délivrées de
soulignait les volants de taffetas, cerclait. la robe de leurs:appréhensions et de leurs souois.
drap', se torsadait sur des toques de crêpe, des cols Le Saaon ,glycérol dont MM. Heitz et Ci' sont également
de tulle étaient rayés de queues de zibeline il Y en dëpositaiues s'adresse, lui, à tous les âges. C'est un anti-
avait partout et ce n'était pas trop, tellement on septique très puissant, sans précédent, préparé aussi selon
manie avec art'ces peaux souples dont les doux re- la formule du D, Andrieu.
nets vont si bien à la physionomie. M. R., à Tours. Les douleurs que vous éprouvez pro-
Caché dans la ceinture ou dans le manchon duveté, viennent certainement du foie. Buvez à tous vos repas
le mouchoir, si minuscule qu'il soit, se révèle, s'il est pendant une quinzaine de jours, de l'eau de Vichy Grande
imprégné du nouveau pczrfzcm de violettes blanches de Grille. Ces douleurs disparaitront au bout de peu de
la Parfzvmerie Ninon, 3. ~~ue du Quatre-Septembre. temps. Mais exigez bien le nom de la source sur l'éti-
LIBELLULE. quelle et la capsuleainsi que le disque bleu Vichy-Etat ~·
sur te goulot de la bouteille.
Refcseiqnenzents mozadains. Trop souvent on ap-
prend, à ses dépens, à se méfier des merveilleux AVIS IMPORTANT
produits qui doivent rendre aux cheveux blancs leur Aux personnes qui ont souci de leur santé et de celle des
couleur primitive le contrôle chimique permanent leurs, nous adressons à titre gracieux, sur leur demande,
les deux brochures Etude sur l'alimenlaliolaactuelle, etc.,
français nous épargne cette inquiétude au sujet de et La Santé, etc. Elles apprendront pourquoi l'ANÉMIE et
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Toutes les maladiés relèvent de deux grandes causes
I~ECETTES ET CO]~1SEIIt.'S 1° l'appauvrissement du sang par l'insuffisancephosphatée-
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maladies zzerveuses; 2° l'altération du sang. d'origine héré-
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Rhumes, de la'Toux, Maux de gorge, Eiti-n.dtion'de voix,' maladies. Ces deux causes associées ouvrent la porte à'
etc. combien ne doivent leurs propriété`s qu~a uneréclaIDe' toutes les maladies infectieuses, et à la plithisie, aussi
plus.ou mains savante ? bien chez les enfants'que chez les "adultes. C'est pourquoi.i
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Pour savoir si la toile est mélangée de coton, on n'a CONTRE LA COQUELUCHE
qu'à laisser toinbér une g.outted'encre avec une plume sur Le SIROe~DEREECQ à la Grindelia Robusta, expérimenté
le m.orceau"qu'.onveut essayer. Si la goutte d'encre s'étend dans les hôpitaux de Paris, a donné les résultats les plus
dans deux directions opposées, la toile.contiènt du c.oton", favorables. De plus, le SIROP DEIIBECQ ne renfermant aucun'
Si par contre, la tache se propage dans toutes les direc- toxique peut être administré sans crainte aux plus jeunes
tions, la toile est pur fil. Si la toile est fortement apprê. enfants, auxquels il procure un soulagement immédiat en
tée, il faut d'abord enlever l'apprêt en fr.ottant fortement- arrêtant les vomissements et en dimiÍmant le nombre et
la durée des quintes. Ce Sirop se vend à raison de 4 fr.
L'abus des fruits et des boissons glacées occasionne, le flacon ou 7 fr. les deux. La grippe et les toux nerveuses.-
en été, des troubles graves de l'intestin. Pour les dissi- sont également guéries par le même SIROP DERBECQ.
per, prenez une cuillerée à café d'alcool de menthe de
Ricqlès dans un verre d'eau sucrée bien chaude. Le Ricq- Maladies nerveuses, de poitrine et d'épuisement; guéri-
lès est souverain contre la cholérine. son assurée par les produits Henry Mure,.de Pont-Saint-
Hors concotirs, naémbre du Jur~, Paris,. 1900. Esprit (Gard) Notice gratis sur demande.
Il se pourrait bien que le ~ilagasin Pittoresque, fameux, à cette heure, comme aqua-fortiste que
en dépit de ses soixante-dix ans tout proches, comme peintre? Il en va de même d'Albert van
n'eût jamais reproduit aucune œùvre d'Albert Everdingen, son contemporain. La première
van Everdingen. série de ses eaux-fortes comprend une centaine
Quel est ce nom? Celui d'un maître ou celui de paysages. La seconde se compose de cinquante-
de quelque obscur disciple de Ruysdaël, dont sa sept planches admirables qui servent d'illustra-
manière parait se rapprocher? tions au vieux poème des Fourberies du Renard.
Si l'on s'pn rapporte à Lebrun, Everdingen, En tou$ ses paysages car il fut avant tout
non seulement dépassa et Roland Savery et Pierre un paysagiste Everdingen a merveilleuse-
Molyn; le vieux, dont il fréquenta successive- ment saisi et rendu le sentiment d'austérité
ment les ateliers, mais encore doit étre placé ou d'âpre sauvagerie des contrées septentrio-
au-dessus de Jacques Ruysdaël. C'est aller un nales, qu'il s'agisse de la paisible plaine hollan-
peu loin dans l'admiration. On s'en convaincra à daise ou de la nature tourmentée"de Norvège.
l'examen des toiles d'Everdingen qui figurent N'est-il pas d'un très personnel accent, ce
dans les galerie.s d'Europe. Notre musée du paysage que nous reproduisons aujourd'hui? Il
Louvre.ne possède de lui qu'un paysage. Mais le est simple, il ne vise pas à l'effet, et pourtant,
musée d'Amsterdam, la galerie de Dresde, le quelle impression dé sauvage et mélancolique
musée de Münich surtout, renferment quelques grandeur s'en dégage Le soleil meurt, Sur le
oeuvres de notre peintre toiles ou paysages serein ciel crépusculaire se détache vigoureuse-
sur bois. C'est assez pour permettre de le juger ment, baignée de subtile atmosphère, la dentelle
en parfaite connaissance de cause et de lui assi- de feuillage des sapins surgissant du roc. Dans la
gner son rang, voisin de la maîtrise. On dit que masse déjà confuse des arbres le primitif mou-
ses meilleures productions se trou8ent au· palais lin aux poutres à peine équarries se blottit. Et
de Christianborg, en Danemark; elles auraient tout au premier plan, l'eau tombe en cascade,
été cominand'ées à l'artiste par le roi Frédéric IV, glisse sur la pente lisse .parmi les grosses pier-
alors qu'Everdingen revenait de Norvège où il res, se vient briser en écume blanche contre le
était allé puiser l'inspiration. Ses toiles de Chris- roc immuable. C'est la force aveugle, brutale et
tianborg sont tenues pour de véritables chefs- magnifique, du torrent. qui déracine les sapins à
d'oeuvre. l'époque des crues, quand fondent les neiges,
Mais où semble éclater particulièrement le mais qui fait tourner,. pour la vie des hommes,
talent d'Everdingen, c'est dans la série de ses la roue de l'humble moulin.
eaux-fortes. Rembrandt n'est-il point aussi ERNEST BEAUGUITTE.
ll9Al3l3AYE DEVAu1VIOf'{T
Je sais peu d'impressionsde nature plus char- heureux avec leurs maisonnettes garnies de
mantes que. celle qui vous attend au pays de roses et leurs jardins. en bouquet. L'industrie
Caux quand, délaissant la mer et ses falaises dresse la colonne de ses cheminées tout au long
aveuglantes de craie, vous reportez les yeux sur des ruisseaux, halète et porte au vent son pana-
la campagne. che de vapeur et de fumée qui s'effiloque aux
La nudité du flot, la vue de ces murailles de lacis des branchages. Comment s'étonner dès
Soixante à cent mètres qui le contiennent en lui lors que ce soit, par surcroît, contrée de villégia-
eédant chaque jour quelque bribe de terrain, la ture et de châteaux, après avoir été, au bon temps
sécheresse de ces bords, mettent en valeur la des prébendes, pays de moines moinants en
plaine à l'herbe grasse et la côte boisée. Le con= abbaye?.
Graste est si frappant qu'il semble qu'on ait tota- C'est qu'aussi partout l'eau jaillit. La masse
lement changé de région; et lorsque, par exem- crayeuse des plateaux, fait office d'un immense
ple, on quitte la plage et la ville dé Fécamp pour crible. Les pluies pénètrent le sol, absorbées par
s'engager dans la vallée de Ganzeville, on dans d'innombrables fissures; puis tout à coup arrê-
celle de Valmont, c'est un ravissement. tées par une couche compacte d'argile brune ou
Là, tout le charme de la fécondité se décèle. par le-banc de roche jurassique, elles reparais-
On perçoit la richesse de la terre dans son arbo- sent dans les creux et les combes en sources
fr~iches et claires, de dix à douze degrés environ.
rescence et sa floraison. Les villages ont des airs
Le revers de la médaille est pour les habitants du cadre dé ses bois. La vallée semble se termi-
d'en haut, réduits à leurs citernes et qui disent ner là. Nous avons parcouru une réduction pit-
par coutume, avec résignation qu'ils mangent toresque de la Suisse, quelques sites aussi agré-
l'eau de leur mare plutôt"qu'ils ne la boivent, ables, mais plus agrestes encore que ceux de la
tant elle parait épaisse à leurs lèvres peu délica- vallée de Chevreuse. Nous sommes rendus au
tes pourtant. eliàteau de Valmont et à l'abbaye qui nous occu-
Néanmoins les buées qui montent de la cozelée pent. Ils sont absolument distincts l'un de l'autre.
sont suffisantes pour entretenir en leur état Le chàteau de Valmont, que l'on visite rare-
splendide les végétations du plateau. Et les fer- ment pendant la saison, est la propriété du pro-
mes abondent, construites en terre battue avec fesseur Lannelongue. En chàteau-fol't, flanqué
bois apparents, au milieu des herbages plantés d'une aile où la Renaissance a laissé ses marques,
de pommiers, enclos des quatre côtés par une et bâti sur la hauteur, il est en partie dissimulé
futaie de hêtres ou de chênes entremêlés, en par les mag-nifiques futaies qui le ceignent et
ligne double ou quadruple, sur des talus d'un l'ombragent.
Le château de Valmont.
mètre et demi de haut. Et ces « brise-vents », Mais ce n'est pas au donjon imposant qu'est le
dressés contre le souffle de mer casseur de bran- spectacle d'aI'l il faut redescendre danslavallée,
ches, font les pommiers chargés annuellement sur l'autre bord de la rivière, vers la chapelle
de fruits à cidre. dite des Six Heures, si bien conservée au milieu
.Nous passons la fausse mais séduisante abbaye des ruines de l'ancienne abbaye de Valmont par
oÙ l'on niche aux flacons pansus la Bénédictine les soins de IVI1\I. Bataille et Bornot père et fils.
laïquedes soi-disants Pères, etlavéritable abbaye C'est là un bijou architectural qui attire et atti-
ou sont installés présentement les services de rera toujours les connaisseurs et les touristes en
['Hùtel de Ville et nous nous dirigeons, au long quète d'érudition, dans un pays où les richesses
de la rivière de Fécamp, vers le bois et les sour- qu'on va chercher parfois bien loin pullulent. De
ces de l'Épinay. Promenade exquise sous la cette merveille d'art la Normandie peut se mon-
bétraie qui escalade la pente à notre droite. trer fière à bon droit.
A gauche la route de Valmont que nous allons A travers le jardin, qui s'étale en un pare ad-
rejoindre court en épousant les caprices de la mirablement dessiné au delà de la maison, de
rivière à un détour de laquelle on élève de la III. Camille Bornot, nous nous acheminons vers
truite saumonnée. Et pendant quatre kilomètres, les restes de l'église.
sous le soleil supportable et le cielc'est
déroulement d'un ruban blanc parmi les verts
le La nef a désormais pour toit le ciel tendu
d'azur il ne reste que les quatre murs ~t ceux
cle toutes nuances et les gris argentés du fi'it des des chapelles latérales, murs envahis de lierres
milliers d'arbres. aux grappés de fleurs pr~?tes à s'ouvrir.
Mais voici le clocher de Valmont émergeant Auxplacesoiides dalles s alternaient côte à.côte,
des hêtres ont poussé leurs rejets dans les fentes. série d'anges aux poses raphaéliques, ailes éten-
Ainsi la nature reconquiert peu à peu la terre dues ou joueurs de viole d'amour, l'Assomption.
que l'homme lui prit pour le service de Dieu1 Le Pérugin les composait aïnsi.-
Autour de nous, au dessus des voûtes en ar- Mais sur .1'autel même; un groupe forme-
ceau, c'est la fine èolonnade aux colonnes cou- l'étable et attire et retient invinciblement l'ama-
plPes. Et l'on s'arrête émerveillé dans ce temple teur. L'art s'épanouit ici en une œuvre charmante
profond où l'herbe est drue commeun épais tapis. et curieuse qui évoque le mystère. de l'Annon-
Mais il faut pousser la porte du chœur, entrer ciation.
dans. la chapelle conservée avec ses mausolées et Dans une chambre meublée avec un très grand
ses vitraux, la chapelle où filtre une lumière soin, la Vierge à genoux sur son prie-Dieu se
joyeuse qui met suc cet écrin d'ivoire des taches tient, lesmains jointes, au-dessusdu livre qu'elle.
de saphir, d'améthyste et de rubis L'injure des n'a pas achevé de lire. L'ange Gabriel vient de
âges n'a point. étendu sa souillure en ce lieu. Il lui apparaître, également agenouillé, et elle lève-
impressionne comme autrefois, lorqu'il étaitl'ab- adorablement ses yeux vers lui.'Femme, divine
side même de l'église, tour à tour saccagée et femme, il est, dans cette époque de la Renais-
incendiée par les gens de guerre, gens sans res- ance,peu de visages plus purs que celui de cette
pect et sans pitié. Vierge. Que de statuaires se désespéreraient
Fondée en 1116 par Nicolas d'Estouteville, et devant le fini de cet impressionnant morceau
terminée cinquante-trois ans après, pour donner Et à côté de cela, quel plaisir.que celui de relever
asile à des religieux de l'ordre de Saint-Benoit, les détails charmants de l'iQ.térieur de cette
l'antique abbaye de Notre-Dame de Valmont, fut chambre, avec le lit à baldaquin, les rideaux aux
mise à sac par les Anglais, subit l'assaut des plis élégants, le miroir et le prie-Dieu plein de
Huguenots, la rage des Ligueurs et, brûlée en tivres de prières à fermoirs? Puis à gàuche, la
1671, reçut la foudre quelques .années après. superbe cheminée haute du XVIe siècle avec ses
Abandonnée, ruinée, l'abside en est restée in- landiers et sa crémaillère prête. Ainsi les artistes-
tacte, comme si tous les désastres n'avaient eu de ces temps cherchaient la gracilité et rencon-
pour terminaison que d'en mettre en valeur la traient la grâce. La poésie du décor simple et
grâce coquette et séduisante. son intimité pénétrante, qui donne à l'art du
« Elle est, au surplus, écrivaitM. Jules Claretie, caractère, ne leur échappait pas. Le sculpteur
postérieure à plusieurs des terribles évènements n'eut garde d'omettre l'établi de menuisier de
dont l'abbaye supporta le poids. Construite au Joseph. Regardezau fond,le voici avecson rabot,
?CVIe siècle, dans le style de la Renaissance, ell.e ses tenailles et la pince, comme auprès de la
a de ce temps « d'une gentillesse presque païenne », Vierge la corbeille à ouvrage débordante de ses-
comme on disait alors, l'attrait profond de l'élé- pelotons de laine.
gance presque féminine. L'impression que donne Du plafond la figure du Père Eternel semble,
ce coin d'église, devenu un musée artistique et en sagloire immarcessible bénir cet ange incliné.
fait désormais pour rester tel, n'a rien de l'émo- sut la Vierge
tion un peu farouche d'un temple gothique; cela Germain Pi(ânt s'écrie la--tradition devant
est plutôt souriant, aimable et gracieux, comme ce travail de ciselure délicate. Peut-être ne se
tout cet art d'une époque de résurrection et de trompe-t-elle pas A coup sûr un maUre a mis sa
renouveau où le ciseau de Jean Goujon avait le main aux reliefs de ces personnages, au fini de
charme d'une strophe de Ronsard ». ces objets et ce n'est point faire tort à Germain
Tout d'abord l'attention est attirée par le lumi- Pilon que de lui prêter cette oeuvre.
neux éclat des verrières. Leur dessin est remar- Uu autre groupe brisé malheureusement
qu able. Elles ont pour sujet « l'Annonciation à nous sollicite à. droite de ce rétable. C'est la
Sainte-Anne, la Naissance de la Vierge, Saint- scène du Baptême avec un saint Jean-Baptiste
Zacharie, la Visitation à Sainte-Élisabeth,le Can- (dont le buste est une merveille) et l'ange à
tique de Saint-Siméon, la Présentation, la Mort genoux parmi les délicieux détails d'un paysage
de la Vierge. Quel maitre les signa?Quelle main de pierre.
évoqua, dans son naturalisme plaisant à voir, tant Mais tout dans cette chapelle requiert l'admi-
de poésie, car le réalisme est de tous les temps ration, jusqu'auxentrelacementsd'un plafond en
et nos contemporains se flattent lorsqu'ils "se arceaux qui soutiennent un dôme en forme de
congratulent pour l'avoir inventé. Nul ne le sait. couronne, d'une hardiesse et d'une élégance
Une date reste seule, modeste souvenir 1552. étonnantes. Puis c'est une rosace encastrée dans.
Elle n'y serait pas que le goût et le faire du le mur qui fit construire M. Bataille pour préser-
R~'Ie siècle se trahiraient en ces tableaux exquis ver cette chapelle.
où telle de ces figures a la délicatesse d'un André Elle se compose d'anciens vitraux sauvés aux
del Sarto. fenêtres de l'abbaye et que réunit et agença.
Il faut encore citer au fond de l'autel d-eux un grand peintre dont on montre aussi chez,
vitraux d'un inestimable talent. Ils représentent, M. Bornot des fresques intéressantes et presque
l'un l'Adoration des bergers, et l'autre, avec une magistrales. C'est le Père Eternel entouré
d'anges le célébrant. Cet agencement est l'œuvre 92avril 11401 Édifié comme souvenir de re-
d'Eugène Delacroix et l'on conserve pieusement connaissance lontemps après la mort de Nicolas
le croquis au fusain que fit l'auteur de l'Entrée d'Estouteville, ce tombeau est d'un remarquable
des croisés pour amalgamer heureusement ces caractère. Mais celui qui lui fait face et qui porte
fragments de verreries qui forment un tout les deux statues de Jacques d'Estouteville, mort
aujourd'hui. le -12 mars 1489 et de Louise d'Albret, son épouse,
Sous nos pieds, des figures gravées sur des décédée le 8 septembret494 est d'une valeur
dalles s'allongent en des poses raidies. Ce sont les plus grande et vaut surtout par les figurines qui
tombeaux des d'Estouteville,le fondateur de l'ab- décorent le bas-relief du cénotaphe, saint Jac-
baye ayant réservé pour sa famille et lui le privi- ques le Mineur, sainte Barbe, saint Sébastien, la
lège d'une sépulture dans le chœur de l'église. Sainte-Vierge, saint Jean le précurseur, sainte
L'abbaye de Valmont.
Le temps a légèrement effacé les traits de ces Anne, saint :E[oi,sainte Catherine et saint Louis.
figures, etles têtes et les mains lamées de cuivre Jadis les deux statues des défunts furent d'al-
ou de marbre ont disparu. Mais aux ailettes qui bàtre polychromé. On voit encore aux mailles de
ornent les épaules, aux lions rampants qu'on la cotte d'armes les traces de l'or dont elles fu-
devine encore sur l'armure, on reconnait les rent recouvertes. Lui, les pieds sur un lion,
conquérants de la conquête d'Angleterre, les symbole de la vaillance, elle les pieds sur une
compagnons de Guillaume. Un d'Estouteville fut brebis, emblème de la douceur, ces deux époux
tué à Hastings, et le lecteur d'Hugo se souviendra sommeillent leur éternel dormir, mains jointes
que le poète a rappelé ces toml~eaut dans sa et côte à côte. N'est-ce pas dans le courage et la
~l'otre Da7ne de PaL'ic. bonté que réside l'idéal épanouissement du
En entrant à droite voici, couchée, la statue bonheur dans l'union?
de l'\icolas d'Estouteville, le fondateur de l'ab- D'autres tombeaux restent à découvrir appa-
baye. Sauf le masque qui est d'albàtre, le monu- remment. Un jour, une intelligente ànesse, en
ment tout entier est d'une pierre parfaitement broutant l'herbe aux ruines de la chapelle, dis-
belle. On lit au socle ces quatre lignes: parut dans le sol et le fit savoir par des braie-
ments à ameuter le village. On aceourut et dans
CI GIST IIAUT ET ~CI~S_1.1'T ïELGNEUft
-'[COLI, SIHE D'ESTOI;TE\'ILLE
l'excavation d'où, à grand'peine, on la tira, on
LEQUEL EN SO~ \'LV~11T FONDA CETTE ,llJB_I YE
découvrit un escalier aboutissant sous le chœur
EN L'.1. DE ¡;RACE 111G à un vieux caveau dont la vo~'ite avait croulé sous
ET 'fRlï'P.5.\ LE SXLI JOUIT D'AVRIL MIL CENT ET XL le poids de l'animal si cher -,t Balaam.
Des cercueils en plomb d'une époque fort an- Tel est ce petit musée de l'abbaye de Valmorit
cienne furent mis à jour, tous portant le nom de où s'entassent encore des débris divers trouvé$ çà
membres de la famille d'Estouteville. Ils avaient et là dans la chapelle ou dans des fouilles avoisi-
été posés sur des barres de fer à un pied ou deux nantes.
au-dessus de l'eau qui est presque à fleur de Sur ces pierres que le Temps effrite, sur ces
terre. Ils étaient là depuis des siècles On transféra débris que la Mort a touchés et que .haque jour
ces cercueils respectés dans un caveau neuf, sous anéantit en les amoindrissant, la merveilleuse Vie
le jlarvis de la Chapelle conservée. Durant les instaure la grâce de son décor et le calme triom-
tra,~iaux, un des coeurs de plomb posés sur chaque phe de son intarissable renouv eau. Ainsi la sèvee
cercueil et contenant les entrailles d'un de ces de la Nature se vivifie des atomes et des parcelles
morts, avait été volé. Par miracle on le retrouva. de ce qui fut, pour faire sortir de la tristesse
Le cœur de plomb avait été ouvert sur le côté et et du néant, de la joie et de la beauté.
il s'en échappait une poudre d'un gris roussâtre, GEORGES LOISEAU.
la poussière de la mort. Cette relique est mainte-
nant posée sur l'autel même de la chapelle.
*$~$~$$$~~$$$$~$$~
L'amour maternel est un instinct, mais il'y a des ins-
Habet sica'fata pulve~~isl tincts qui ont un souffle de divinité.
Autrefois il y a bien longtemps les Japo- I reflétée. Elle s'avança, comme fascinée par une
nais racontent que la déesse du Soleil, la puis- vision si exquise, et pendant qu'elle restait
sante déesse qui resplendit dans les cieux, fut charmée, on ferma habilement l'entrée de la ca-
offensée par les Dieux. Elle voulut les punir, et 1 verne avec des cordes de paille de riz.
comt~e nul châtiment n'était plus sévère que la Les dieux entourèrent la chète retrouvée, la
privation de sa beauté, elle se retira dans une suppliant de rester au milieu d'eux et, en les
caverne dont elle ferma l'entrée sur elle avec un réjouissant de sa beauté, de goûter encore en-
énorme rocher. semble les plaisirs enchanteurs de la musique.
Les Dieuxfurcnt désespérés;leurs yeùxn'étaient La Déesse, apaisée, daigna accéder à leur prière
plus réjouis de la beauté splendide et leur mé- et le calme fut ainsi rétabli au céleste Séjour(i)~
moire seule leur retraçait)a gràce de ses mouve- C'est ainsi que les Japonais racontent l'origine
ments. Tristes ils étaient, et tristes ils se retrou- de la musique à laquelle ils attribuent, pour pre-
vèrent au grand conseil tenu dans le lit desséché mier bienfait. le retour du soleil. C'est dire
d'un vaste fleuve. Là, ils résolurent de tout tenter quelle importance ils lui donnent, ou mieux quel
pour amener une réconciliation avec l'irascible amour ils lui vouent. Nulle fête, nulle cérémonie
déesse. qui ne soient accompagnées de chants, de danse
Des ambassadeurs. lui furent envoyés, mille et de musique. Tous les actes importants de la
tentatives furent faites; maistoutes sanssuccès, vie publique ou de la vie privée japonaise s'ac-
et l'abattement des divins allait sans cesse crpis- compagnent d'harmonies qui, fort pénibles pour
sant. des oreilles européennes, sont un pur délice aux
Enfin, l'un d'eux, aidé du célèbre Amatsumore, tympans asiatiques. La musique est la compagne
le Vulcain japonais, réussit à construire un de l'homme à tous les instants importants de son
miroir parfait, d'une grandeur extraordinaire, existence. Elle est plus encore l'amie fidèle de la
qui fut suspendu en face de -la caverne fatale, femme, et la dot de la plus humble fiancée com-
cependant que le dieu B~~as Fort se cachait der- prend le Koto à 13 cordes et le Samhin.
rière un rocher, prêt à mettre à profit la première Enfin, dans chaque rue, à tous les carrefours,
occasion favorable pour arracher la belle déesse des musiciens ambulants font entendre leurs
à sa volontaire prison. improvisations à un cercle nombreux d'auditeurs.
Alors commença une merveilleuse symphonie Ils s'accompagnent en général des sons d'une,
exécutée par plusieurs centaines dé coqs que les guitare.
dieux avaient réunis à cet effet. Puis, quand cette Comme si ce n'était point
ouverture fut terminée, la déesse Udsume se assez, le promeneur atten-
présenta seule devant les dieux. Ses cheveux tif entend. encore les har-
étaient ornés de mousse et ses manches artiste- monies qui s'échappent
ment rattachées par des lianes. Elle se mit à des maisons de Thé où une
jouer sur une espèce de fifre en bambou; une nombreuse population de
autre divinité l'accompagnait en pinçant, avec musiciens, de musiciennes
des morceaux de joncs, les cordes de six archets et de danseuses rendent
de guerre réunis, tandis que les autres dieux d'orientaux hommages à
battaient en cadence des baguettes de bois. Eùterpe et à Terpsichore.
Ensuite la déesse se mit à danser en chantant, Dans le quartier des Dé-
et voici les paroles de sa romance qui nous ont lices, à Tokio, Midford ne
été conservées compte pas moins de 394
maisons de thé.
Dieux, regardez la porte, Enfin, il n'est pas d'hum-
Voici la majesté de la Déesse,
La joie ne remplira-t-elle pas vos cœurs ble auberge qui n'ait sa
Mes charmes ne sont-ils pas puissants? réunion de Gueshas qui
En entendant cetle déclaration, où tant d'or- charment (?) le voyageur
gueil se mêlait à tant d'ingénuité, les dieux par- européen en exécutant sur
tircnt â rire comme seuls peuvent rire les Im- le Schamisenq leurs plus
0/' séduisantes mélodies.
mortels, c'est-à-dire que les cieux et la terre en Cheng ou orgue chinois.
tremblaient sur leurs bases. L'instrument national
En entendant ce vacarme, succédant à des par excellence est le cheng (2). Il est composé
louanges qui s'adressaient à un autre objet
qu'elle-même, la déesse du Soleil sortit de sa ca- (1'jD'après les T~·ansactions of the Asiatic Society of
Japan, de Satow.
verne, ou mieux en entr'ouvrit la porte. Au même (2) Gravure extraite de la hlusique et les Vlusiciens,
instant, elle aperçut le miroir et sa propre image par ALBERT LA VIGNAC (éditeur peh¡grave), 3 fr. 50.
d'une caisse ronde, le plus souvent en laque; construisirent des koto ou des kin, dont on put
cette caisse possède un couvercle percé de trous, entendre le son limpide à une grande distance.
chacun planté d'un tube de bambou d'une gran- Cet instrument était réservé aux Daïmios,
deur différente. Ces tubes sout munis intérieu- princes japonais. Il se jouait avec des plectres
rement d'une anche libre. Ils sont fixés par un en forme d'ongles prolongés.
anneau à la caisse et possèdent une ouverture La caisse sonore, en laque noire, a la forme
oblongue assez étroite, garnie de métal. Quand d'un bateau. Un des montants est droit comme
le joueur ferme avec son doigt les ouvertures, un petit mât; l'autre est recourbé en arc de
l'air est obligé de passer par l'anche, et la fait cerc~e. Sur cet arc sont tendues, en nombre
vibrer en donnant un son déterminé. variable, des cordes de boyau qui produisent les
Un côté de la caisse ronde est allongé et différents sons de la tonalité japonaise.
pourvu d'une ouverture carrée, garnie de métal, La famille des instruments à percussion est
qui sert d'embouchure.
On produit les sons du chéng, soit en aspirant,
soit en soufflant dedans. Les instruments ont
différentes dimensions les plus grands ont
jusqu'à 26 tubes.
Le kokiou est le violon japonais. Il possède
4 cordes et se joue avec un archet de crin appelé
kiou.
Les violonistes japonais ont une tenue abso-
lument différente des nôtres. Tandis que les
Européens appuient le violon sur l'épaule et
manœuvrent leur archet avec agilité, l'artiste
japonais, au contraire, tient l'archet immobile,
horizontal, entre l'index et la pouce, et il pré-
sente à l'archet, tantôt l'une, tantôt l'autre des
cordes du violon qu'il fait aller rapidement de
droite gauche et de gauche à droite. Ajoutons
que, pour se livrer à cet exercice, il s'est assis sur
ses talons comme tout bon Japonais ne con-
naissant pas d'autre siège et il a posé l'ins-
trument, tout droit, sur la petite cheville verti- extrêmement riche au Japon. Tams-tams de
cale, métallique, qui le termine. Avant de toutes formes et de toutes grandeurs, tambours,
commencer il a eu soin de frotter ses mains avec cymbales, sonneries, grelots en sont les élé-
de la poudre d'amidon pour les assouplir. ments nombreux et souvent employés.
Un autre instrument, à cordes pincées', est le Nous ne les décrirons pas tous, et" ne donne-
kinno-koto qui correspond au kin des Chinois. rons ici que la figure du gong', l'un des plus
La parole kin si- retentissants.
gnifie en chinois Il est de.forme circulaire. Au milieu, se trouve
défendre, ,suraeiller une espèce de calotte que l'on frappe avec une
et le nom de kin a baguette de bois dur dont la tête est recouverte
été donné à cet de peau. On attache le gong à un châssis, à l'aide
instrum'~nt. parce d'un cordon de soie ou d'une sangle en peau qui
que, toujours sui- passe à travers deux trous pratiqués dans le bord
vant l'opinion chi- de l'instrument.
noise, il a le pou- C'est le plus énergique et le plus violent des
voir d-e modérer, instruments de percussion, aussi n'est-il employé
par des sons, les que dans les circonstances terrifiantes.
mauvais .penchants Nous ne saurions abandonner les Japonais
de l'âme et de pu- sans dire quelques mots du ché qui rappelle par
rifier le cbeur.. sa forme le psaltérion du moyen-âge et le tym-
Kin, harpe chinoise Il est très ancien panon des tzi-anes
et fut introduit au Ce ché est une caisse sonore, enforme de tra-
Japon de la façon suivante. Dans la 31" année du pèze, avec une table convexe dans le sens;de s~
règne de l'Empereur Ogintenn8 (331 après J.-C.) largeur. A l'intérieur de la caisse un fil d'acier,
un bateau, construit 25 années auparavant et qui tourné en spirale, .résonne lorsqu'on secoue
n'était plus bon à tenir la mer, fut déchiré et le l'instrumentet sert probablement la
production
bois en fut brûlé pour en extraire le sel. de quelque effet rythmique. Seize cordes de lai-
.Il advint que d'habiles ouvriers de la Corée arri- ton, tendues par autant de chevilles de bois à
vaient alors au Japon; des tisons,de ce bois, ils tête carrée, sont disposées diagonalement sur
l'étendue de la table: les cordes se pincent des Ce nombre des instruments à cordes pincées
deux mains comme on peut le voir par la figure. est ici plus grand que celui dei'f, engins de per-
La caisse sonore est quelquefois richement cussion, contrairement aux. habitudes japo-
incrustée d'ébène et d'ivoire et les cordes peu- naises. Leurs guitares et- leurs luths se rap-
vent être en soie. Quand ilatteint ce degré de prochent beaucoup des nôtres et sont désignées
splendeur, le claé change de nom, il s'appelle sous le nom générique de vinas. Leurs formes
cal:igato et est élégantes et capricieuses sont des plus sédui-
le favori des santes pour l'œil de l'artiste.
dames japo- Nous citerons en première ligne 1'instrument
naises de la
haute société.
Nous nous re-
procherions
de ne pas si-
gnaler aux
moralistes
l'emploi que
font les peu- que les Hindous appellent TCyuç ou mayuri, ce
ples jaunes qui, dans leur langue, veut dire paon. En effet,
d'un de leurs cet instrument rappelle la figure de l'oiseau dont
instruments il porte le nom. On ne l'emploie qu'à l'accom-
de musique pagnement des voix de femmes, des chants d'un
détourné de caractère gracieux. Il est monté de quatre cordes
son primitif principales et de quinze cordes sympathiques.
usage. C'est La première etla quatrième sont en acier; toute!'
dutambourin les autres, en laiton.
qu'il s'agit. Le Mridanga est l'instrument, fort ancien,
Quand il a dont l'invention est attri-
fini son rôle buée par la légende au
de tambou- dieu Brahma. Il se fait
rin, à l'orchestre, .on le transforme en champ de entendre dans les ré0ep-
courses. En champ de courses! -Parfaite- tions royales; on l'em-
ment. Steeple pour criquets. On prend quelques- ploie aussi dans l'ac0om-
unes de ces infortunées bestioles, on les .pose pagnement de la musi-
délicatement sur la membrane souple où elles que sacrée et des chants
courent àvitesses variables, avec des arrêts et des qui ont un caractère éle-
reprises qui font palpiter le cœur de tous les pa- vé. Le plus souvent il
rieurs groupés autour de leurs évolutions. s'emploie seul, mais quel-
On « met sur telle ou telle bête; et on gagne quefois on le joint à d'au-
ou on perd tout comme aux petits chevaux. tres instruments.
Pauvres Européens Nous n'avons pas même La caisse du ~nridanga
inventé nos vices. est en bois, elle a une
Il y. a encore un grand nombre d'instruments forme elliptique assez
chinois et japonais qu'il serait bien intéressant prononcée.
d'étudier ici; malheureusement la place nous Le Rajah Sourindro Mohun Tagore un nom
manque, et, pOlir atteindre le but que nous nous un peu long a écrit une méthode pour l'en-
sommes proposé, qui est de donner une idée des seignement de cet instrument. Ce curieux ou-
instruments de musique asiatiques, nous allons vrage est la propriété du Conservatoire de
prier notre patient lecteur de nous suivre jusque Bruxelles.
chez les Hindous. (A suivre) M. DAUBRESSE.
î UN BANQUET DE REPTILES
Les dix-huit convives qui, le mois dernier, M. Gruber est le plus fameux chasseur de ser-
étaient assemblés à Rochester, aux États-Unis, pents du monde et populaire de l'Océan Atlan-
autour de la table de M. Pierre Gruber, garderont tique à l'Océan Pac:ifique. Il possède une collec-
toute leur vie le souvenir du dîner qu'ils y ont tion de plusieurs douzaines de serpents des plus
mangé. venimeux qui lui obéissent doux comme des
moutons, car il sait non seulement les capturer, de serpent. Et comme c'est, parait-il, un amphy-
mâis aussi les manier jusqu'à gagner l'amitié de trion plein de verve et qui a toujours des aven-
ces terribles serpents.
M. Pierre Gruber a un rival, c'est le professeur
tures palpitantes à raconter, la soirée s'annon-
çait fort divertissante. Cependant, le ragoût de
Harry Davies (de Denver, au Colorado), le seul serpent qui servit d'entrée jeta quelque froid
'homme qui, en dehors de Gruber, soit assez parmi les invités dont la partie moins brave se
téméraire pour vivre en une si inquiétante com- montra nerveuse et peu rassurée. Mais Gruber
pagnie. Lors d'un voyage que Gruber fit l'an der- et Davies y allèrent de si bon coeur et semblèrent
nier au~ Colorado, Davies l'invita et le traita avec si bien se régaler que les autres suivirent l'ei~e'm-
tous les honneurs dus à sa renommée. Gruber ne ple et furent obligés de cônvenir que le ragoût,
voulut pas rester en .arrière et, à l'occasion d'une en effet, était succuleht. Le professeur Davies en
visite de son confrère, organis~ pour lui le ban- fut absolument ravi et témoigna de son plaisir
quet le plus extraordinaire qui fût jamais servi en remplissant plusieurs fois son assiette.
la plupart des mets se composaient de serpents Lorsque le plat fut enlevé et que les hors-
savammentassaisonnés et qui, si nous en croyons d'oeuvre qui n'avaient rien d'anormal eurent
le Strand Magazine où nous prenons ces détails donné quelque répit aux esprits encore troublés,
amusants, furent trouvés délicieux et nullement on respira plus librement et chacun formula son
indigestes. opinion sur le mets original. « On dirait du pois-
Voici d'ailleurs. le menu complet de ce dîner son », disait l'un. « C'était beaucoup meilleur
unique. que les cuisses de grenouilles », remarquait
l'autre. « Pour moi, déclarait un sceptique, c'é-
Ragoût de serpent.
Olives. Radis.Concombres. taient des anguilles, et pas autre chose. » Et l'on
Serpent à sonnette frit au beurre. demandait la recette de ce plat énigmatique dont
Python au court bouillon. Sauce aux œufs de serpent. l'hôte ne voulut pas livrer le secret.
Dinde. Langue froide.
Rôti de boa constrictor. Plus le dîner s'avançait, plus les convives se
Sandwichs. tranquillisaient et s'habituaientau menu étrange
Pommes nouvelles. Petits pois. Betteraves.
Petits oignons. Salade de poulet. auquel ils firent honneur. Le serpent à sonnette
Glaces. Gâteaux. frit fut unaniment déclaré le roi des serpents de
Champagne. Café. Cigares. table sa chair délicate rappelle le poulet ét le
Queues de serpent.
veau. Le python bouilli, à la sauce aux œufs, ne
La fête eut lieu au domicile de Gruber, dans sa fut pas moins goûté quant au rôti de boa cons-
ménagerie même, un vrai sanctuaire ouvert seu- trictor, le plat de résistance, il reçut un accueil
lement à de rares privilégiés. Les décorations de enthousiaste.
la table étaient dignes du menu un énorme Lorsqu'enfin, à la fin du repas, le champagne
serpent à sonnette vivant, enfermé en une cage circula parmi l'assistance, tout scrupule fondit
de verre en occupait le milieu, faisant office de dans la douce chaleur d'une bonne digestion; les
surtout; sur la nappe, des reptiles empaillés, joyeux dîneurs, tout attendris, ne se sentirent
disposés en des-'attitudes variées, remplaçaient plus aucune animosité contre la gent rampante,
les fleurs habituelles. Près de chaque couvert considérée sous ce jour favorable, et Gruber fut
reposaient, immobiles, de petits serpents noirs, vivement complimenté de l'innovation apportée
vivants; autour des pieds de la table s'enrou- par lui dans le domaine gastronomique.
laient de gros cobras empaillés; les murs étaient Le 'serpent devenu comestible Voilà qui
ex-
garnis de peaux de serpents et de mille trophées pliquerait peut-être la légende du Paradis Ter-
de ce genre, pittoresquementarrangés. restre où Ève, d~jà gourmande, .trouva, dit-on,
M. Pierre Gruber présidait au banquet, vêtu le serpent de son goût.
d'un vèston entièrement confectionné en peaux Ta. MANDEL.
Les Italiens ont à un haut degré le culte de vigueur, qui interdit la suppression des effigies,
leurs hommes illustres; ils perpétuent leurs inscriptions, écnssens, tabernacles, alors même
mémoires dans les grandes villes et dans les qu'ils sont propriétés personnelles, lorsqu'ils
cités secondaires par des statues, des bustes, sont appliquées contre les murailles des cons-
des inscriptions. tructions publiques ou particulières.
Entre toutes les villes d'Italie, Florence se Ce qu'on est convenu d'appeler maintenant
distingue par la profusion de ces souvenirs. l'art puûlic gagne singulièrementà ce vieil usage.
Cela tient non seulement à un sentiment na- au détriment, il est vrai, des droits de la liberté
turel, mais encore à une ancienne loi, toujours en de la propriété; mais cette liberté, qui n'existe
nulle part d'une façon absolue, importe assez et proportionnent l'importance du monument à
peu aux Italiens, fiers du decoro publico de la la recette probable. 1:
cité. Quelques exemples me viennent à l'idée.
Durant le mois de mai, Florence a inauguré En voici un qui m'a particulièrement frappé.
une memorica pour Savonarole et une autre pour Après le tremblement de terre que nous avons
Benvenuto Cellini. ressenti à Florence, en 1895, un comité laïque se
Nous les reproduisons. forma pour ajouter une lampe votive aux nom-
Le médaillon en bronze de Savonarole est posé breuses lampes suspendues à l'église de lq San-
à plat sur le sol de la place de la Seigneurerié, tessima Annun.~iata, devant la fresque de l'Annon-
à l'endroit même où le célèbre dominicain a été ciation.
brûlé, puis pendu, avec deux frères de son ordre La souscription fut fixée à dix centimes par
le 23 mai 1493. personne.
Il fut alors voué aux dieux infernaux; mais la En une semaine le comité réunit les six mille
réaction s'est francs néces-
faite et main- saires.
tenant il est Un simple
bien plusprès avis dans les
de la porte du journaux
paradis que avait été suf-
de celle de fisant.
l'enfer. En 1858,
Le monu- lorsqu'il fut
ment de Ben- décidé, après
venuto Cellini plusieurs siè-
est sur le cles d'attente,
Vieux-Pont de faire enfin
toujours oc- la façade du
cupé par des dôme de
boutiques Sainte-Marie
d'orfèvres et de la Fleu
de bijoutiers; la Commis-
on ne pou- sion promo-
vait lui don- trice ouvrit
ner une autre une souscrip-
place. tion. Elle re-
La repro- cueillit un
duction don- million de
ne une idée francs; le
de l'ensemble pape, le roi
mais elle ne d'Italie,l'aris-
fait pas sentir Médaillon de Savonarole. tocratie les.
les détails du professionsli-
soubassement. Il en est un qui pourrait choquer bérales, le clergé, le commerce, les ouvriers.
ceux qui n'ont pas l'habitude de l'art italien du tout le monde s'inscrivit.
XVIe siècle. Les sculpteurs et la sculpture, statues,
L'eau jaillit des seins de femmes superposés, bustes et ornements, est touffue ne voulurent
comme Cellini les a disposés dans le socle dé son aucune rémunération pour leur travail personnel
Persée. Il n'y a rien d'insolite. et ne demandèront qu'à être remboursés des
Il en est de même dans la fontaine par Jean dépenses de la pratique et des matériaux. Si
Bologne, Fontana del Gigante élevée en 1564 sur bien qu'il est resté assez d'argent pour l'établis-
la principale place de Bologne. sement des portes de bronze, non prévues dans
La cité était alors dans le domaine du Saint- le devis.primitif.
Siège, elle est y restée jusqu'en 1859, et jamais un Il est vrai qu'il s'agissait là d'un monument
pape n'a eu la pensée de modifier quoi que ce national décrété par la République de Florence
soit au monument. en 1294.
L'une des raisons de l'abondance desmem01;ie Pour être complet, il faut dire que parfois,
en Italie vient de la facilité qu'ont les comités on a eu recours à des moyens un peu moins
promoteurs de trouver l'argent nécessaire. simples, mais toujours pris en vue de demander
Les comités ne demandent pas de subsides à les subsides au public seulement.
l'État et aux communes. De 1560. à 15i4, Vasari, excellent architecte,
Hs savent quelle somme ils pourront.recueillir peintre médiocre, écrivain d'art hors ligne,
construisit le palais des Offices pour le grand On sait qu'en Italie, comme en Autriche, il y a
duc Cosme de Médicis, à l'effet de loger les
1er toujours une loterie d'Étàt qui se tire chaque
services publics de la principauté.- semaine; les gouvernementsy font de gros bé-
Dans ses. murailles et ses piliers. Vasari avait néfices, mais les pontes ne se plaignent pas..
ménagé des niches pour recevoir des statues; En Italie, indépendamment de la loterieroyale,
mai,s les ni- le Ministre a
ches restè- le droit
rent vides d'autoriser
jusqu'en des tombo-
1842. las,mais àla
On prit condition
alors la ré- que le béné-
solution de fice sera
les complé- toujoursap-
ter par les pliqué à une
effigies en institution
marbre, à de bienfai-
grandeur sance ou à
naturelle, une aeuvre
des Flo- d'art.
rentins il- En géné-
lustres dans ral une tom-
la politique, bola laisse
a religion comme bé-
les arts, les néfice netla
armes, les moitié en-
lettres etles viron de la
sciences. recette ef-
Il y avait fectuée par
à pourvoir la vente des
vingt-huit billets, l'au-
niches; c'é- tre moitié
tait' beau- est pour les
coup. frais et les
Les frais gagnants.
des premiè- Grâce à
res statues un système
furent faci- de tombolas
lement cou- bien con-
verts par Le monument de Benvenuto Cellini. duit, les ni-
des sou- ches de Va-
scriptions mais peu à peu les souscripteurs sari ont été complétées en 1856 tout était ter-
furent moins empressés. Pour terminer la déco- miné.
ration, on organisa des tombolas, genre de lo- GERSPACH.
(Florence.)
,terie publique usitée en Italie.
LE MUSÉE DE L'OPÉRA
Une double rampe en fer à cheval, douce et bles seraient cruellement écrasés, si la fortune
facile aux équipages princiers qui n'y viennent nous les faisait choir sur la tête, un pavillon su-
jamais, des colonnes rostrales comme en éri- perbe et qui lui, du mains, sans peine ceint le
geaient les Césars, des aigles à peine reposés et diadème d'un dôme fastueux, des pilastres, des
battant de leurs ailes de bronze l'espace qui les frontons, des balustrades comme aux palais de
appelle encore, des cariatides colossales et qui, rêve et de féerie où se complaisaient Véronèse
nous tendant des palmes, semblent en nous sa- et Tiepolo, une porte largement béante et qui
luer les victorieux de victoires que nous igno- suffirait à dévorer tout un cortège de fête triom-
rons, des couronnes impériales un peu hors de phale, voilà, dans l'immensité des splendeurs
portée toutefois, et dont nos fronts très hum- babyloniennes, la ha.w:.ise et la gloire de Ch. Gar-
nier, ce qui précède, accueille, enferme la biblio- le ciel et l'enfer, nous dit le naïf moyen-âge, ses
thèque et le musée de l'Opéra. Le cadre exagère crédulités faciles et les épouvantes de ces âmes
un peu et de tels dehors préparent, sinon quel- toujours en terreur du diable, qui les guette de
que déception, du moins quelque surprise. De près, en espérance du ciel qui les appelle, mais
ceci qui nous appelle, à cela qui nous attend, d'un peu loin. Auprès de ces choses abolies et
l'accord ne se résout point sans quelque disso- presque oubliées, le contraste est saisissant de
nance. L'ouverture est à grand orchestre et sin- surprendre la très moderne mademoiselle Mauri,
gulièrement tapageuse pour la pièce qui va nous qu'évoque le pinceau de Berthier, à l'instant
être jouée. même où ses petits pieds aériens essaient le pre-
Mais, enfin, c'est la coutume de la maison, ou mier pas de la sémillante hôi·~·igane.
plutôt du temple; rien n'est simple à l'Opéra.Au Falcon lui fait pendant, non pas en Valentine
reste, toute cette mise en scène prévoyait plus, des Hu~uenots, en Rachel de la Juive (quels états
nous ne dirons pas mieux, que des visiteurs cu- de service, que de victoires! mais telle qu'elle
rieux, que des travailleurs et des collectionneurs pouvait apparaître en quelque salon hospitalier,
érudits; elle devait hospitaliser le maître, non un soir de réception amicale.
de quelque ouvrage tout près de là représenté et Les bras, les épaules sont nus, et contre-
applaudi, mais le maître d'une grande nation et disent les médisants qui, à travers les âges, nous
d'un grand pays. En des temps, cependant tout dénoncent encore la maigreur de leur cantatrice,
.rayonnants de la majesté royale, les rois ne ré- hélas! bientôt sans voix.
clamaient qu'une loge ou deux, le coin de la reine « Le bouillon sera maigre, mais il aura de
faisant pendant au coin du roi le second Empire beaux yeux! » Cela fut dit à'la scène dernière de
ambitionnait davantage; et l'architecte docile la Juive, lorsque, pour la première fois, s'ache-
avait prévu entrée particulière, écurie, escalier vait, au milieu d'applaudissements enthousiastes,
réservé, salons, boudoir, fumoir, salle des gar- le chef-d'œuvre d'Halévy, et que le bourreau
des, salle de conseil, car l'architecte supposait précipitait Rachel dans la chaudière béante. Du
telle circonstance, bien fâcheuse pourtant, où moins le portrait nous confirme les beaux yeux.
l'Empereur aurait à présider un conseil de mi- Falcon, Dorus-Gras Quels noms qui rayon-
nistres et non plus un bouquet de ballerines, nèrent dans le même ciel et à> la même heure
Melpomène etClio, la tragédie et l'histoire, après L'une et l'autre vécurent par delà l'espace des
Terpsichore. De tout ceci la fortune cruelle se ans qui sont le privilège coutumier de notre
devait jouer; et rien ne fut qu'ébauché,de toute humanité l'une et l'autre (mais Falcon devait se
cette résidence impériale. Manuscrits et livres, taire trop tôt, et la première) traversèrent toutes
estampes et autographes, reliques touchantes ou les saisons de notre v ie, et ne disparurent que
précieuses ont pris la place que le maître, déchu dans les ombres des derniers hivers. Il y a
et banni, n'occupa jamais. peu d'années encore, Mme Dorus-Gras édifiait les
L'escalier qu'il faut grav ir, atténdra longtemps, bonnes âmes d'Étretat, et son nom se lit aux ver-
peut-être toujours, les degrés de marbre que de- rières par elle données à son église paroissiale.
vaient fouler les pas d'un empereur et d'une im- Du haut dé son cadre, assis à son clavecin, le
pératrice. vieux Monsigny nous appelle d'un bon sourire, où
Une estampe nous montre le Déserteur déjà l'esprit s'aiguise en malice pas méchante, et qui
prêt à tomber sous les balles, mais que.Louise sera bien vite aisément attendrie. Prinet, de son
sauvera, non pas la Louise de M. CharpeIiiier- qui pastel savoureux et caressant, nous dit les dan-
certainementne sauvera jamais personne, mais seuses qu'il a surprises en leur loge. Parbonheur,
celle de Monsieur Sedaine et du sensible Monsi- elles ne sont point ombrageuses ainsi que l'était
gny. Nous voilà; fredonnant de souvenir et à voix Diane et de son indiscrétion, l'indiscret conteur
basse (le lieu commande le respect) comme ces ne doit redouter aucun dommage. Au -reste, fu-
aimables auteurs d'autrefois reurs et vengeances, au moins sur la scène (ne
Quel bonheur! Il a sa grâce! parlons point" de celles qui grondent aux alen-
C'est nous ta donner à tous » tours de la scène ) s'apaisent volontiers, et se
Nous dépassons deux murailles de livres que contentent d'un semblant de supplice. N'est-ce
prennent d'assaut des échelles vertigineuses; et pas, au siècle dernier, le galant Boucher qui
nous voici dans ce qui devait être le grand salon habillait, ou plutôt déshabillait, les Furies ? Ses
impérial, ce qui n'est plus qu'une salle de lec- dessins délicieux et la note manuscrite qui les
ture. Huit monolithes de marbre rare coiffent des accompagne, nous disent qu'elles devaient se
En 1880, ces établissements, au nombre de IS, Entre cousins, c'est très conforme aux bienséances-,
De se dire bonjour, bonsoir, en s'embrassant.
occupaient 8 500 ouvriers. Les dernières statis- (Il s'approche du piano).
tiques nous apprennentque l'Allemagne compte Tu décbiffres?
à présent 39 chantiers en pleine activité, avec ARLETTE.
ll docks et 454 cales de construction, où près Je chiffre
de 38000 ouvriers sont employés d'une façon PAUL, regardant la mudqne.
permanente. Ah! Schumann!
Si nous considérons; à présent, le chiffre des A RLETTE.
naviresayantpassé par le canal de Suez, en 1900, Agaçantr
nous aurons un classement assez exact des ma-
Prrr!
Prrr
PAUL.
rines marchandes du globe. Ma tante est sortie ?
L'Angle.te.l'F& vient naturrellement en tête de
ARLETTE.
liste, avec 1935 navir~s et 5605421 tonnes. La Oui.
proportion dans l'ensembk du trafic représente
PAUL.
les 3/5, sensible diminution sur les années Tant pis, c'est dommage,
précédentes. Serait-ce un symptôme? Je l'attends, tu permets?. sage comme une image.
Viennent ensuite l'Allemagne (462 navires et
ARLETTE.
1466391 tonnes) en augmentation très marquée Que lui veux-tu?
sur 1899, la Francé (R85 navires et 751759 tonnes) PAUL, posant son képi.
également en progrès considérable, la Hollande, Moi?. Mais, lui demander ta main.
l'Autriche, le Jàpon, oui, le Japon, au sixième ARTETTE, se. récriant.
rang la Russie, l'Italie, l'Espagne, la Norvège, Mais tu l'as demandée hier!
le Danemark, les États-Unis, laTurquie, la Belgi- PAUL, soupirant.
que, ~'Égypte, le Portugal, la Suède, le Siam et C'est vrai. demain
la Grèce. Je recommencerai(
Telles sont, à l'aurore du siècle, les places ARLETTE.
occupées par les diverses flottes du monde. Notre Tous les jours! pourquoi faire?
rang n'est certes pas mauvais, mais pourquoi PAUl..
nous être laissé dépasser-par l'Allemagne? Si tu veux m'abréger le nombre, je préfère.
E. BONNAFFÉ. ARLETTE.
Voyons, c'est très gentil d'être cousins
DE jgoul~14E PAUL.
ARLETTE.
Bon te voilà fâché'?.
Quoi PAUL.
PAUL.
Non, non, non. (il chante) tra la la!
Je vais te le dire ARLETTE.
Je songe que jamais je ne te vis sourire. Mais qu'est-ce qui te prend-¡
.1RLET1'E. PAUL.
Rien, je suis gai, je chante.
Par exemple!
PAUL. ARLETTE.
Jamais! Comme 'un oiseau chanteur, Tu boudes!
P~1UL. Les chameaux, les burnous. le tigre rencontré
Pas du tout! Ça fait quinze jours, dis, que te voilà'rentré?
ARLETTE. P:1 L1L..
J'ai donc été méchante'? Dix-huit.
ARLETTE,
PAUL. Raconte, allons
Au contraire!
:1RLETTE. PAUL.
Pourtant Mais, ma pauvre petite,
PAUL, nerveux. Chaque anecdote un peu drôle, je vous l'ai dite,
Mais nous sommes au mieux! Je n'en sais plus.
Je suis dans un état d'esprit. délicieux, ABLETTE.
Je te trouve charmante,et tiens! je rentre en gràce. Mais si! cherche!
(Il veut l'eru"rasser). PAUL, cherchant.
ABLETTE. Non, je crois bien
Finis donc! Vous avoir.
PAUL. ARLETTE.
Des cousins? c'est classique on s'embrasse Recommence, alors ça ne fait rien!
ARLETTE. PAUL.
Quand on arrive et quand on part, c'est suffisant. Voyons! t'ai-je conté l'histoire des Arabes
PAUL. Qui vinrent me voler.
Ah?. (se ravançant). Eh bien 1 je m'en vais adieu! ARLETTE, vivement.
ARLETTE. Pas les moindres syllabes!
Tiens'? soi-disant, Dis vite!
Tu voulais voir maman PAUL.
PAUL. Eh bien! voilà. Je relevais des plans
Oui, oui, mais. elle tarde Dans la brousse, au delà de l'Oued, sur les flancs
Et. allons, au revoir! Du Djebel Bou Khaïl. Je couchais sous la tente.
Un matin. f
ARLETTE, un peu tristement lui tendant la joue.
Bonsoir, Paul! Un
ARLETTE, intéressée.
matin?
(Il l'embrasse, prend son képi et se dirige vers la porte).
PAUL.
ARLETTE, pendant qu'il s'en va. Dispos, l'àme contente,
Il me garde
Rancune un peu, je crois. Je m'éveille plus rien à mon porte-manteau.
Mes effets, disparus! Je me lève un couteau,
PAUL, reparaissant à la porte,son képi à la main. Comme ceux qu'un pillard, un indigène, porte,
Bonjour! (il va pour l'embrasser). Était tombé par terre, à deux pas de la porte.
ARLETTE, Stupéfaite.. Je cours à ma cantine elle était vide! argent,
Ah ça, dis donc? Provisions, raflés!
PAUL. ARLETTE.
Embrassons-nous Oh! les vilaines gens!
ARLETTE. Et tu n'avais rien vu, rien entendu?
Vous vous moquez de moi!
PAUL, riant.
PAUL, d'un air pince' Par veine!
P ardon!
Pardon! Car si j'avais dit ouf! j'aurais perdu ma peine
Vous n'êtes pas du tout de bonne foi vous dites Réveillé, l'on se fùt défait de l'ennemi,
Qu'on s'embrasse en entrant, en sortant deux visites, Èt je fus épargné pour avoir bien dormi!
Ça fait quatre baisers. Je partais, je reviens,
Donc. ARLETTE.
C'est égal, tu n'as pas dû rire, tout de suite.
ARLETTE, avec un soupir.
Mon Dieu, qu'il .est bête aujourd'hui, ce Paul! PAUL.
t Bah !l'onen voit bien d'autre et puis j'en étais quitte
PAUL, brusquement jetant son képi. A bon compte, n'ayant rien de bien précieux
Tiens,
Tiens;
Tu as raison, je suis stupide Avec moi. quelque jour, je t'expliquerai mieux
Pourquoi ce souvenir est un bon de ma Nie.
ARLETTE.
la bonne heure!
A En attendant, de quel récit as-tu l'envie?
Voilà que tu refais ta figure meilleure! ABLETTE.
Assieds-toi là. causons! Mais de tout! dis un peu t'ennuyais-tu, là-bas,
PAUL, calmé et souriant, assis prés d'Arlette sur le canapé.
Parfois .?
PAUL.
De quoi veux-tu causer?
On travaillaits'ennuyait pas.
on ne
ARLETTE. Cependant, certains jours, en pensant à la France,
De quelque chose qui pourrait nous amuser. Mon désir plus aigu se tournait en souffrance.
De l'Afrique! de ta campagne. Je songeais. oh! les jours de rêve ardent et fou
P-1 UL. Dans lesquels on se sent vivre, on ne sait plus où!
De l'Afrique? Et les soirs chauds, la paix des solitudes bleues
ARLETTE, s'installant comme une petite fille qui va Qui bercent. et, passant la mer, faisant des lieues,
entendre un conte. L'esprit qui part et qui s'en va. Tiens, je m'y crois,
Oui, raconte. ton nègre et ta vieille bourrique, C'est bon!
ARLETTE.
Tu te trouvais donc heureux? Quelque chose que j'ai,
Qui ne me quitte pas. Devines-tn?
P AUL.
Quelquefois. ARLETTE.
Pour les déshérités qui sont tout seuls au monde, Que sais-je?
L'exil est plus cruel 'et la nuit plus profonde. P.1UL.
Mais quand, les yeux fermés. on voit dans l'avenir, Ce n'est pas gros, ce fut bénit. et ça protège!
Se dessiner le rêve aimé d'un souvenir, Tu ne te souviens pas?. Le jour de mon départ,
Quand d'une enfance chère on garda les promesses, Voilà trois ans, c'était au jardin. le hasard
Quand le retour paraît tout riche de tendresses Fit tomber à mes pieds, dans le sable perdue,
Et qu'au bout de l'épreuve on aperçoit briller La médaille d'argent à ton cou suspendue;
La flamme réchauffante et claire d'un foyer, Je me baissai, voyant briller ce petit point.
Alors, non, l'on n'est pas malheureux! et, sans Mais tu me dis a Eh bien) garde-la donc, Bédouin
[doute, Pour être préservé des dangers, en Afrique 1. >1
C'est là tout le meilleur qui s'en va goutte à goutte. D'un lacet de ton sac, j'attachai ma relique;
Mais je t'ennuie, Arlette, en me laissant aller Et je l'ai conservée, avec son vieux cordon,
A ces vieux songes creux. tu m'as trop fait parler, Qui n'a jamais cassé. Mais, Arlette, ris donc 1
Vois-tu! Qu'as-tu? je n'y comprends rien du tout, ma parole!
ARLETTE, sérieuse. Mon histoire est pourtant très drôle.
Non, dis encor. ARLETTE.
PAUL. Eh oui 1. très. drôle!
Arlette, je rabâche. (Elle vent rire, mais son rire s'étrangle, ses yeux sont pleins de
larmes, et elle s'arrête en souriant à Paul qui la regarde avec une
ARLETTE. émotion soudaine).
Tu pensais donc à nous, un peu?. PAUL.
Arlette
PAUL, se laissant aller à une légère émotion qui augmente
ARLETTE.
peu à peu.
Quand, sous la bàche J'ai souri, je crois.
De quelque °diligence aux ressorts cahotants, PAUL.
Je voyais défiler, aveuglé tout le temps, Fais voir tes yeux!
Le paysage cru, sans arbre, et blanc de poudre, Ils sont.
Je regardais en moi, très loin. je voyais coudre ARLETTE, souriant toujours.
Grand'mère à sa fenêtre, et, dans l'ancien verger, J'ai souri, Paul, et c'est délicieux!
Je voyais ta petite robe voltiger. PAUL, lui saisissant les.mains.
Je voyais le vieux chêne aux paternelles branches, Tu m'aimes!
Sous lequel nous avons passé tant de dimanches! ARLETTE.
Un peu, juste de quoi faire vivre une fleur, Laisse-moi savourer l'âme neuve
De la, terre de France était là, dans mon cœur! En moi chantante, et dont ce sourire est la preuve.
Mais encore une fois je deviens insipide! Je comprends, maintenant, tout ce que tu disais
Pardonne C'est venu doucement, pendant que tu causais.
ARLETTE. Oui, je comprends. bonheur aérien, qui flotte.
Continue. Quelque chose d'heureux au fond de moi sanglotte.
PAUL. PAUL.
quoi bon, dans le vide,
A Tu souris, et tu vas pleurer 1
Évoquer tout cela? Ce ne sont que liochets,
ARLETTE.
Tu peux en rire, va! Moi qui te reprochais C'est puéril,
De trop rire, tantôt! te voilà toute grave! Mais c'est divin! mon cœur est un pommier d'Avril!I
Ta gaité se morfond, et c'est moi qui l'entrave.
PAUL, tout ému.
ARLETTE. Arlette, cueillons-en la floraison si blanche.
Non, dis toujours. tu vois, je ne me moque pas.
ARLETTE.
Que voyais-tu là-bas, encor, dis-moi?
Va, tu peux sans efrort incliner chaque branche!
PAUL.
Là-bas'?. Tu fus pour ses bourgeons le doux rayon chauffant!
Toi qui rêvais là-bas à ta cousine enfant,
Je revoyais ta chambre, aux rideaux d'étamine;
Et lui prêtais de loin toute une âme de femme,
Je te revoyais, toi, si franche et si gamine,
A force d'y rêver, tu lui soufflas cette âme
Avec ta jupe courte et tes cheveux tombants,
Et la petite Arlette, au fou rire étourdi,
Et j'avais le vertige ému de tes rubans.
Chère enfant 1. tu ne peux savoir. Peut se dire, à présent, qu'elle a vraiment grandi
(Changeant brusquement de ton). PAUL, tendrement.
Quand cette prise Oui, sans hausser ta taille, à mon bras appuyée
Eut lieu chez moi, tiens?. Tu marcheras, le long de la route frayée,
ARLETTE. Te souvenant du Jour, 'aux bienheureux émois,
O ''1 Où ton être a souri pour la première fois!
PAVL.
Veux-tu que ie dise Et pour que ce bonheur, plus jamais, ne s'en aille..
Ce qui m'a, du péril, j'en suis sûr, protégé?
ARLETTE, doucement.
Nous garderons toujours la petite médaille!
ARLETTE.
1-OTJIS MAIGUE.
Ce qui L'a. dis-le moi
LE MAGASIN -PITTORESQUE 17291°
doute pas, a priori, d'être mis en présence d'oeuvres qui mérite quelques lignes ce monument doit être
d'un groupe quelconque de « barbouilleurs ». Le fait élevé à Gavarni. Le grand caricaturiste n'avait pas
d'obtenir asile d'une association riche, considérée, encore reçu les honneurs du bronze ou du marbre.
«.parisienne », offrirait une garantie de succès. Nous Un comité s'est créé pour réparer cette injustice, car
le souhaitons à M. Zwiller et à ses amis nous le ré- c'en est une réellement. En ce temps où sévit la sta-
pétons le Salon n'est médiocre que par ce qu'il est tuomanie, on peut apporter une contribution> à cet
formé selon des règles et des façons d'admission hommage car Gavarni en était digne. Voici pourquoi
souvent injustes. Et la majorité des artistes non On le traite de « caricaturiste », un peu dédaigneuse-
célèbres ne doit pasêtre sacrifiée à la phalange sacrée ment et, d'autre part, nous aimons beaucoup la cari-
des dignitaires del'Art. cature, surtout politique. Depuis quelques années
L'hôtel Drouot est en pleine activité c'est Je mo- elle s'étale surabondamment à toutes les devantures
ment d'y faire des trouvailles et d'acheter à bon des libraires mais nos successeurs de Daumier et de
prix, en suivant attentivement les ventes, mais Gavarni ont sur eux cette infériorité qu'ils ne des-
sans se laisser « emballer par les surenchères des sinent plus quelques-uns savent sans doute dessiner
marchands qui font'souvent le jeu des commissaires- voyez plutôt M. Forain, -mais ils ne s'en donnent
priseurs ou des cpllectionneurs intéressés à ce que plus la peine et jettent sur le papier quelques traits
leurs collections ne soient pas dépréciées. Engénéral que fait valoir l'âpreté de la légende. Ou bien plutôt
on doit se méfier de toute montée subite des chiffres la majorité ne sait pas dessiner et on ne le voit que
lancés à haute voix par des assistants très innocentS trop l'ensemble de nos journaux pour rire est pi-
en apparence il faut se fixer à soi-même certaill teux, au point de vue artistique, s'il est quelquefois
taux et ne pas le dépasser. Il faut aussi avoir con- amusant. Gavarni, autant que Daumier, sut construire
stamment présent à l'esprit cette vérité qu'on est supérieurement ses types, leur donner des attitudes,
collectionneur pour son propre plaisir, peut-être un desgestes, des jeux de physionomie vrais autant que
peu aussi parce qu'il est agréable « d'encourager les caustiques on sentait, sous le caricaturiste, l'artiste
Arts », mais jamais pour faire un placement de. père qui « possédait son anatomie et qui avait étudié
de famille. la vie dans la rue. Il convient de témoigner, fdt-ce
par un monument, ce qui est devenu banal, paysans qui ne consentent..pas à déposer les armes
qu'on regrette ces maîtres. et luttent plus vaillamment que jamais pour l'indé-
Il nous reste quelques lignes encore pour consta- pendance. Nous nous contenterons donc de citer les
ter le succès qu'a obtenu l'Exposition des jouets orga- faits les-plus saillants, de jeter un coup d'œil d'en-
nisée par M. le préfet de police Lépine ce dernier a semble sur cette fantastique guerre de guérilla où
eu la générosité de prendre à sa charge l'installation menace de sombrer la fortune de la plus puissante
de cette Exposition au Tribunal de commerce et il y natioq du monde.
a fait preuve d'autant de goût, dans l'organisationsi
rapide, qu'il avait montré d'heureux esprit d'initia- Lord Kitchener a recueilli le 27 novembre 1900 la
tive en ouvrant le concours. Les journauxquotidiens lourde succession du maréchal Roberts qui, après avoir
l'en ont loué, comme ils ont loué l'originalité et l'in- décrété que la «guerre était virtuellementterminée",
géniosité extrêmes des concurrents. Il nous appar- est rentré en Angleterre, laissant au nouveau géné-
tient de noter la participation à cette excellente en- J'alissime le soin de se débrouiller avec les débris
treprise, d'artistes tels que MM. Frémiet, Félix épars de l'armée transvaalienne.
Régamey, Gérôme, Coutan, qui ont donné, plutôt que Le vainqueur de Cronje débute par une série
des jouets, des modèles aux concurrents de l'an pro- d'échecs lamentables.
chain (car le concours est désormais une institution). Au moment même où le vieux président Kruger
Voilà le côté très utile, le côté « éducateurde l'af- débarquait en France, de Wet, enfermé dans le
faire. triangle formé par le Caledon, l'Orange et la frontière
Les camelots, et ceux qui travaillent pour eux, du Basutoland, échappait, par une manœuvre d'une
voient qu'ils ne sont pas dédaignés; ils prendront hardiesse incomparable, aux six colonnes anglaises
des leçons de bien faire, et de ne pas se contenter qui le traquaient, permettant à deux forts comman-
d'à peu près. Puissent-ils s'en inspirer en 1902 dos de passer tranquillement l'Orange etde pénétrer
PAUL BLUYSEN. dans la Colonie du Cap
IM60
Presque en même temps, Delarey comptait à son
actif le brillant fait d'armes de Nooitegdacht, où le
LA GUERRE général Clements fut outrageusementbattu, perdant
plus de 600 hommes, tués, blessés ou prisonniers.
AU TRANSVAAL Ces malheureux débuts de Kitchener jetèrent la
L'an dernier, à cette même date, après avoir ré- consternation en Angleterre.
sumé rapidement les événements de la première an- Mais le vainqueur d'OmdurnHln ne se laisse point
née de cette guerre extraordinaire, je terminais par. démonter. Sans hésitation, il renonce au « système
ces mots des garnisons cher à lord Roberts, partage la « con-
« C'est la guerre de guerilla qui commence, lutte quêteen zones dont les lignes de communication
désespérée d'un vaillant petit peuple résolu à mourir sont gardées par les forces strictement nécessaires, et
plutôt que de SI;) soumettre à l'envahisseur.»»
emploie toutes les troupes disponibles au déblayage
Et je constatais qu'en.dépit de l'annexion, solen- méthodique des différents secteurs ainsi formés.
nellement proclamée, du Transvaal et de l'État Le premier secteur objectivé est celui que Louis
d'Orange, les Anglais n'étaient maîtres, en réalité, que Botha occupe au sud-est du Transvaal.
de quelques grandes villes et des lignes de chemins de De janvier à la mi-avril, nous voyons le général
fer. French, à la tête de sept fortes colonnes, s'acharner
Eh bien aujourd'hui comme il y a un an, après contre les troupes du généralissime boer. Le brillant
d'innombrables combats, en dépit de formidables sa- raider anglais, dans ces trois mois d'efforts, n'exécute
crifices d'hommes et d'argent, les deux tiers de l'État en réalité qu'une immense razzia, et les Boers re-
d'Orange et les quatre cinquièmes de la République viennent aussitôt, sur les talons des arrière-gardes
du Transvaal sont toujours libres Louis Botha, à anglaises, occuper de nouveau le district d'Ermelo.
cheval sur la voie ferrée de Lourenço-Marquez, me- Donc, résultat purement négatif.
nace sans cesse les abords de Prétoria ou la colonie Kitchener veut nettoyer. ensuite le secteur nord-
du Natal; Delarey, à l'ouest, se joue de l'extraordi- est. Le 7 avril, Plumer, par une marche rapide, s'em-
naire stratégie de Methuen De Wet, qui rentre en pare de Pietersburg, point terminus de la voie ferrée
scène de nouveau, reste toujours inabordable dans au nord de Prétoria, puis il. se rabat au sud-est, à la
l'Est de l'État d'Orange enfin, dans la colonie du rencontre des colonnes Douglas, Benson et Pultney,
Cap, nous admirons les évolutions de nombreux pe- et occupe, le 22 avril, Roos-Sénékal, forçant ainsi
tits commandos qui, peu à peu, font boule de neige Schalk-Burger à transporter à Amsterdam le siège du'
et finiront par mettre les Anglais dans la plus fi- gouvernement transvaalien.'
bheuse posture. Plumer continue hardiment sa marche jusqu'à
Les changements apportés à la situation respective Eerstefabriken, mais les autres colonnes restent pru-
des belligérants pendant cette deuxième année de la demment collées à la ligne de chemin de fer, et Vil-
guerre sont donc incontestablement en faveur des joen peut traverser tranquillement le cordon destiné
Boers, puisque le théâtre des opérations, loin de se à)' étrangler.
rétrécir, embrasse maintenant la colonie du Cap Lord Kitçhener, furieux, lance de nouvelles co-
elle-même! lonnes aux trousses de Botha et de Viljoen. Les deux
Il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, généraux boers esquivent en se retirant, l'lin au nord
de résumer cette année de gicérillca intense, de suivre du chemin de fer, l'autre, Botha, sur la frontière du
pas à pas les opérations des innombrables colonnes Swaziland, attendant dans ces nouvelles positions les
anglaises lancées sur tous les points, par lord Kit- têtes-de colonnes anglaises qui n'osent se montrer.
chener, à la poursuite de ces héroïques bandes de Pendant ce temps-là, tout est à recommencer, à
LvE MAGASIN PITTORESQUE 731
l'ouest du Transvaal, contre Delarey qui promène les blockhaus, petits fortins en tôle, à l'épreuve de la
Anglais de i>.opje en kopje, livrant entre temps de balle, disposés de 3000 mètres en 3000 mètres en-
sanglants combats quand il croit l'occasion propice. viron, armés de deux canons hotchkiss et occupé s
A citer t'ont particulièrementune des affaires les plus par une quinzaine d'hommes. En même temps, des
chaudes de la guerilla l'embuscade de Vitpoortie, ouvrages de campagne furent élevés pour protéger
dans laquelle tombe l'arrière-garde de la colonne les ponts et les points importants.
Dixon (29 mai), qui perd 2 canons, 13 officiers et Les lignes de postes fortifiés ainsi établies ne con-
170 hommes tués ou blessés. stituent pas une barrière infranchissable pour les
Boers, mais elles sont incontestablementd'un grand
secours pour les Anglais.
Dans l'Orange, Knox est de nouveau aux trousses L'événement capital de cette période d"hiver a été
du merveilleux De Wet qui se trouve, le 3 février, au la proclamation de lord Kitchener affirmant auda-
sud de Dewetsdorp, serré de près par six colonnes. Le cieusement que, la guerre devant être terminée
t5 février, avant le jour, il franchit l'Orange à « techniquement le 1~ septembre, il prendra à cette
Baartman's-Siding, à portée de fusil des colonnes de date des mesures de rigueur effroyables contre les
Pulmer et de Crabbe, stupéfaites de ce coup d'audace. Boers en armes.
Kitchener, non moins inquiet que ses lieutenants, Cette proclamation, qui constituait un défi sans
vient de sa personne à De Aar pour conduire l'hallali, précédent à toutes les lois de l'humanité et au droit
car, cette fois, De Wet doit infailliblement tomber des gens, a été accueillie par les Boers comme une
aux mains des Anglais. Huit colonnes resserrent peu démonstration de faiblesse, et Botha, Delarey, De
à peu le cercle de fer. De Wet essaye en vain de repas- Wet ont répondu par une contre-proclamationaffir-
ser l'Orange, n'ayant pu faire sa jonction avec le mant simplement leur volonté de lutter jusqu'au
commando d'Herzog. Tout le monde croit l'incompa- bout pour l'indépendance.
rable raider perdu, quand une faute commise par le
colonel Byng permet à De Wet de passer le fleuve le Avec le mois de-septembre, reprennent les opéra-
28 février, à quatre milles du pont de Golesberg. tions militaires.
Avec le coup-d'œil ~t le sang-froid d'un grand géné- Le 5 septembre, le commando de Lotter, cerné la
ral, le vaillant chef orangiste a su merveilleusement nuit, est capturé par le colonel Scobell, dans la colo-
tirer parti de la faute de Byng, échappant ainsi au
plus grand danger qu'il eût couru au cours de la
campagne.
Le t
nie du Cap.
septembre, les Anglais sont battus à Elands-
river-Poort par le commando de Scuts et à Reened-
Ce fut un jeu pour lui, ensuite, d'échapper à Plu- mont par les troupes de Botha.
mer, qui se tenait au nord du fleuve pour s'opposer à Le mois d'octobre marque un sérieux échec infligé
toute tentative de passage à gué. Le 4 mars, 'De Wet aux troupes'de Kikevitch, à l'ouest du Transvaal, par
reparaissait à Fauresmith et gagnait tranquillement le général Delarey. De son côté le général Botha fait
Sénékal. une sérieuse tentative sur la frontière du Natal.
Affaire à recommencer.
Dans la colonie du Cap, les mois de mars, avril et Dans l'Orange, une laconique dépêche de lord Kit-
mai voient se développer les commandos de Herzog, chener nous apprend la résurrection de De Wet dont
Brand et Kolbe, dans l'est; ceux de Kruitzinger et de on avait escompté la mort un peu prématurément.
Fouché entre Aliwal-Noorth et Sterstroom; à l'ouest, Enfin, dans la colonie du Cap, French ne sait plus
les bandes de Malan et Schéepers. où envoyer ses colonnes, d'innombrables petits com-
Les colonnes de Gorringe, de ,White, de Scobell, de mandos battant l'estrade sur vingt points différents
Crabbe, et d'autres encore sont impuissantes à arrê- et disparaissant comme par enchantementà l'appro-
ter les incursions des commandos et, le 6 juin, le che des colonnes anglaises pour tomber ensuite sur
général French doit quitter Capetown pour prendre les arrière-gardes afin de s'approvisionner à leurs dé-
le commandement en chef des troupes anglaises dans pens en vivres et en munitions.
la colonie du Cap.
Tel est le résumé très succinct de la seconde année
Nous voici arrivés à la saison d'hiver. Les opérations de cette guerre abominable, la honte de l'humanité
de guerre vont se ralentir, mais c'est alors que
au ~m siècle.
Kitchener va inaugurer cette campagne de sauvage- J'ai négligé de parler des pourparlers engagés, au
ries effroyables, qui a soulevé l'indignation du monde mois de mars, entre lord Kitchener et Mme Louis
entier. Botha, en vue d'amener les Boers à déposer les
Nous lie signalerons que pour mémoire la hideuse armes. On sait que, pour toute réponse, Louis Botha
misère des camps de concentration et cet autre deuil
a posé comme base sine quâ non la reconriaissance de
national la mort de llme Kruger, femme du vieux l'indépendance de6 deux Républiques.
président de la République transvalienne, décédée le D'autre part, la question a été portée devant le
20juillet à Prétoria.. tribunal arbitral de La Haye. Ce tribunal vient de
Les mois d'.hiver sont relativement calmes. Le gé- déclarer que cela ne le regardait Fas!
néralissime anglais en protlte pour élaborer de nou- L'Europe va-t-elle continuer à assister, impassible,
veaux plans en vue de la reprise des opérations. Sa à l'égorgement lent et méthodique d'un brave petit
principale préoccupation est de mettre ses commu- peuple qui donne au monde le plus bel exemple
nications par chemin de fer à l'abri de toute insulte, d'héroïsme qu'ait enregistré l'histoire ?
puis de gagner peu à peu du terrain en avant des Henri 11ZAZEREAL'.
lignes ferrées qui lui serviraient de bases d'opéra-
tion. C'est alors qu'il recourut'au système des
fJ.1HÉAfJ.1l\E devant la] Cour d'assises, l'auteur et le directeur de
théâtre.
Pensez-vous que ceux-ci n'y regarderaient pas à
deux fois avant de risquer. une pareille éventualité?
LA YI"E DRAMATIQUE Ce serait, me dit-on, la ruine du théâtre même.
L'interdiction des Avariés, la nouvelle pièce de Non, ce serait la ruine du théâtre à scandale et
Brieux, la lecture de l'œuvre incriminée par l'au- nous n'assisterons plus à ces exhibitions malsaines
teur lui-même devant une salle de deux mille per- dont nous sommes gratifiés dans certains établisse-
sonnes ramènent l'attention sur la liberté du théâtre, ments sous le couvert et avec le visa même de la
et la suppression possible de la censure ou au moins censure.
son amélioration dans un avenir prochain. Les immoralités actuelles qui déshonorent la litté-
On! vit alors certaines personnalités politiques ap- rature française, ce flot d'immondices sans cesse gran-
partenant à différents partis opposés, s'unir dans dissant qui des cQfés-concerts gagne parfois quelques
une communion purement littéraire, venir réclamer scènes parisiennes, toutes ces ignominies qui s'éta-
les unes après les autres sur la scène du boulevard lent au grand jour, qui faussent le go lit du public,
de Strasbourg cette liberté demandée depuis de lon- tout cela a lieu sous le couvert de la censure avec
gues années, et qu'aucun gouvernement n'a encore garantie du gouvernement.
osé donner. Pensez-vous que la loi, la loi seule bien appliquée
La question de la suppression de la censure ne ne serait point préférable?2
date pas en effet d'hier on peut dire qu'elle a été Et puis la censure existe-t-elle véritablement de
réclamée par le dix-neuvième siècle tout entigr; et nosjours?
sans remonter jusqu'à Hugo qui se vit interdire par Lorsqu'elle a pris une décision, l'auteur n'a-t-il
la Restauration Marion Delorme sous prétexte qu'il pas le recours au directeur des Beaux-Arts, et le der-
mettait en scène un Louis XIII peut-être trop « vécu » nier appel au ministre?
à Hugo qui devait quelques années plus tard avoir N'est-ce point là en quelque sorte le régime du bon
de nouveau maille à partir avec les censeurs à pro- plaisir remplaçant celui de la liberté?
pos du Roi s'amuse, nous pourrions remplir les colon- Alors quel inconvénient y aurait-il à tâter de cette
nes du bfagasin Pittoresque avec les interdictions liberté pleine et entière?
connues de pièces qui, jouées dans la suite, ne causè- Une raison qui milite également en faveur de la
rent aucun scandale. Je ne parle que pour mémoire suppression ou au moins de la réorganisation de la
des gaietés de la censure à l'époque du secondEmpire, censure telle qu'elle est pratiquée actuellement, est
et je citerai entre autres amusantes fantaisies l'in- sa partialité vraiment révoltante à l'égard de ce qui
terdiction du fameux couplet de la Périchole, où les touche de près ou de loin aux choses de la politique.
auteurs terminaient leur refrain par ces vers bien La moindre petite allusion malséante à certains
inoffensifs faits du jour est biffée sans merci. Si la censure avait
Il sera grand, car il est Espagnol! existe: du temps d'Aristophane, nous aurions dix chefs--
d'œuvres de moins.
Ce rapprochement parut une insulte gratuite à Comme conclusion, nous sommes de ceux qui pen-
l'égard de l'Impératrice Eugénie; et levers incriminé
sent que l'on pourrait sans inconvénient grave sup-
fut remplacé par celui-ci, qui ne voulait rien dire et
primer, ne fût-ce que pour un essai loyal, l'antique
qui,peut-être à cause de cela, devait devenir célèbre Anastasie-; quand on devrait, si l'expérienceapportait
Il grandira, car. il est Espagnol de trop graves inconvénients, se contenter de réor-
Ce qui prouve une fois de plus que sous tous les ganiser l'institution dans un sens plus libéral.
gouvernements la censure eut de sembables naïvetés! Mais l'état actuel nous semble intolérable, et c'est
Mais si sous la Restauration, sous le gouvernement pourquoi nous le combattons.
de Juillet, ét sous le second Empire, gouvernements
que les républicains d'alors représentaient comme
foulant aux pieds les plus saintes des libertés, on Nous voici loin des Avariés, qui furent le prétexte
devait admettre le maintien de cette institution au de cette levée de boucliers. La lecture je l'ai dit
nom des grands principes ou plutôt des grands mots a obtenu un très vif succès. La pièce en elle-même
d'ordre et de préservation sociale, ce. maintien ne est des plus morales; elle ne prête nullement à rire,
se comprend guère sous une République qui a la et sans aucun doute n'aurait provoqué, avec quelques
prétention d'avoir fait de la France un pays libre. légères retouches, aucune perturbation.
C'est au nom de cette liberté des lettres que se L'intention de l'auteur était donc excellente et ce-
produit le mouvement actuel. pendant malgré tout son mérite, malgré le talent
La question se pose ainsi si la censure se trouvait déployé par M. Brieux, y avait-il nécessité à étaler
supprimée, le gouvernement serait-il armé pour sur la scène cette plaie sociale? Un tel sujet ne
reprimer la licence et empêcher le scandale dans les devrait-il pas se cantonner dans le roman?
salles de spectacle? Je répondrai hardiment oui. C'est ce que le public, le vrai public, nous aurait
Depuis que les répétitions générales soet devenues dit, s'il.lui avait été permis de donner son opinion.
de véritables premières raon payantes, si un scandale On parle aussi de l'interdiction d'une autre étude
quelconque se produisait à ce premier contact d'un de mœurs: Ces Messieurs, de Georges Ancey, reçue
auteur avec le public, le préfet de police aurait le au même Théàtre Antoine.
droit d'interdïre les représentations devant le,public L'auteur a déclaré, parait-il, qu'usant d'un autre
payant le parquet de son côté aurait également le système que M. Brieux, il trouverait bien le moyen
droit et même le devoir de déférer devant les Tribu- de faire jouer sa pièce.
naux, en police correctionnelle, et dans certains cas Nous n'avons donc quant à présent qu'à atlendre
ve._o..
pour savoir si une fois de plus la censure se trouvera l'étÓurderie de l'enfant gâtée que les affres de la
dans son tort. ,femme abandonnée. Donnons enfin une mention
toute spéciale à Mlle Guitty, une vieille commère, bien
Cette grave question que j'ai cru devoir traiter nature, de Figeac qui a porté à un degré supérieur,
avec quelques détails et qui passionne le monde des dans une note épisodique, son genre comique si per-
lettres m'aura laissé cette quinzaine bien peu de sonnel.
placepourparler comme elles le mériteraient des nou-
veautés théâtrales. Aussi bien ont-elles été pour la A la Renaissance, Gémier à renouvelé son spectacle
plupart fort intéressantes. avec succès. Cette fois, nous nous trouvons transportés
A la Porte Saint-Martin, la Pompadour, de M. Ber- aux colonies et c'est toute l'existence de la vie coloniale
gerat, si elle n'est pas demeurée toujours dans la vé- à la fois prise sur le vif et quelque peu tournée en
rité historique, n'eu est pas moins une reconstitution. ridicule que M. Gleize nous présente dans Une Blanche.
des plus réussies de l'époque de Louis XV encadrée La satire est amusante, souvent amère, peut-être
dans une éblouissante mise en scène. L'oeuvre est traitée de façon un
peu grosse. Le premier acte
bien écrite, d'un style sobre et d'une excellente tenue avait beaucoup plu mots à l'emporte-
avec
littéraire. C'est un vrai régal de la lire après l'avoir pièce et sa saveur locale trèssesprononcée. Le second,
entendue (la brochure a paru à la librairie Ollen- est également fort amusant; mais le troisième
dorff presque en même temps que la première a paru absolument raté et tout à fait inutile, quant nous
à
représentation).L'interprétationnous a semblé de tout l'action. On pourrait le couper en entier sans incon-
premier ordre. Du côté des hommes, Brémond, en vénient. Peu de chose à sigualer touchant l'interpré-
Louis XV, plein de dignité et de charme, Jean Co- tation qui est quelconque du côté hommes, à l'excep-
quelin amusant comme toujours; de Max, en mari tion de Frédal, dont les mines ahuries sont réjouis-
trompé et jaloux, a de beaux instants. santes. Le seul rôle lie femme est échu à. M«8 Mégard
La Pompadour c'est Mme Jane Hading, qui, si elle tout à fait exquise en Parisienne, transportée
au
ne ressemble en rien physiquement aux portraits fond de l'Asie, ayant toute une colonie à ses pieds,
trop connus de la favorite, n'en a pas moins montré y compris le missionnaire et le roi authentique du
un talent réel dans ce rôle difficile. Mm. Marie Ma- pays. QUENTIN-BAUCHART.
gnier apporte ses qualités de rondeur dans le rôle de
la maréchale de Mirepoix. Mlle Bouchetal est bien
charmant~, et Mil. Rafty bien imposante. En voici LA MUSIQUE
pour de nombreuses représentations. Opéra-Comique. Grisélidis, conte lyrique en trois
actes, avec un prologue; poèmed'Armand SiLVESxati
et de M. Eugène MORAND; musique de M. J. MAS-
L'fiuréole à l'Athénée décèle un très réel talent SENET.
chez ses auteurs, MM. Jules Chancel et Henry de Poème charmant, dont les vers harmonieux appe-
Gorsse. L'Auréole est celle dont quarante années de laient la musique, Grisélidis eut la bonne fortune de
service ont entouré le général Servin, frappé par la tenter l'inspiration d'un maître plus à même
que
retraite en pleine activité, et qu'il- ne peut défendre quiconque de réaliser cette immatérielle union
dans cette vie civile, qu'il ignore. La premièreatteinte M. J. Massenet. Qu'on appelle Grisélidis »7.ystére,
y est portée par sa fille Germaine, élevée librement, comme on le fit au Théâtre-Français,ou conte, comme
.trop peut. être, qui s'est làissé conter fleurette par un vient de le faire" l'Opéra-Comique, peu importe; ce
bel officier, peu pressé d'épouserpar la suite une jeune qui n'estdès à présent un mystère
pourpersonne, non
fille sans fortune: Le général apprend cette faute, plus qu'un colite, c'est l'éclatant succès qui
croit devoir chasser son enfant. Mais rongé par l'ennui l'apparitionet, surtout, le retour bien marquéde en a salué
cette
il se laisse prendre aux belles phrases d'un fiI:\ancier
.oeuvre vers l'art français, c'est-à-dire vers le charme
véreux dans une affaire, fort brillante d'aspect, qui et la grâce, la
verve, la clarté et l'heureuse invention
se termine pour lui par le banc de la Cour d'assises. mélodique.
Acqu~tté, mais brisé par cette épreuve., il ouvre enfin Certes, l'École, dite de l'avenir, va protester, crier,
les bras à sa fille, en reconnaissant que si elle a pé- tempêter; les snobstrouverontMassenetbiencoupable
ché autrefois, ce fut comme lui, par ignorance de la d'arrêter l'élan
vers l'incompréhensiblede jeunes soi-
vie et constatant que lui non plus n'a pas su défendre disant maîtres qui,
au lieu du royal manteau de
son. honneur. gloire, n'ont jusqu'ici endossé que des vestes peu
Une telle donnée prêtait à des scènes dramatiques;. nous importe nous allons respirer à l'aise et
re-
les auteurs les ont traitées avec une sobriété et un trouver enfin
réalisme qui les rendent des plus saisissantes. Celle d'autrefois..
la salle Favart les mémorables soirées
où le général découvre la faute de sa fille et la chasse Rappelons en quelques lignes le sujet de cette Gri-
nous a paru particulièrement bien venue MM. Chan- sélidisqui valut, il y a dix ans, à Armand Silvestre un
cel et de Gorsse savent p~indre aussi. avec beaucoup si grand et si lé~itime succès à la Comédie-Française.
de dextérité les. milieux les plus divers officiers en L'action se passe en Provence, où dame Grisélidis,
manoeuvres, vieilles provinciales dévotes et sucrées, heureuse épouse d'un marquis parti guerroyer en
monde de la finance et monde de. l'antichambre. Es Terre Sainte, lui reste fidèle
envers et contre tous,
se complaisent même par trop à ces tableaux, véri- malgré les innombrables pièges que lui tend le diable,
tables hors-d'œuvres qui empiètent sur.l'action et qui a résolu de lui faire goûter
au fruit défendu.
l'alourdissent. Vainement il revêt toutes les formes pour la mieux
L'iuterprétation est parfaite. Deval a la simplicité tromper; vainement il envoie Mme Satan, elle-même,
tragique, l'accent martial, la démarche ferme d'un lui annoncer que le marquis l'a répudiée et pris
vieil officier. Mil. Duluc possède aussi bien toute femme en Palestine. Les traits perfides de la atenta-
tion s'émoussent çontre l'impénétrable vertu de la une œuvre orchestrée avec une extrême habileté
douce chàtelaine le beau poète Alain, qui en est fol-' l'association des timbres en est variée et pittoresque;
.lement épris, y perd son temps et sa peine, et, furieux on y voudraU voir cependant des idées plus neuves,
d'être vaincu, le diable imagine un moyen qu'il croit, surtout dans les deuxième et troisième parties. U y
cette fois, infaillible. Il enlève Loys, le petit enfant de a du coloris, de la fraîcheur, d'heureux effets d'r.ar-
la marquise, à laquelle, transformé en vénérable vieil- monie imitative; quel dommage qu'il né s'y trouve
lard, il persuade qu'un corsaire lui rendra son fils si pas un peu plus d'émotion!
elle veut lui accorder un baiser. Grisélidis accepte, et Africa, de M. C. Saint-Saëns, est uue fantaisie
part avec la secrète pensée de tuer le ravisseur pour pour piano et orchestre. toute de verve et de couleur
lui reprendre son Loys. Elle n'a pu le retrouver, et locale l\Ime Roger-Miclos s'y est fort distinguée, et lé
voici que le marquis, rentrant à son foyer, apprend publie, en l'applaudissant et en la rappelant à plu-
l'affreux malheur. Ils n'ont d'autre ressource que sieurs reprises, lui a prouvé coinbien il savait appré-
d'implorer sainte Agnès, ce qu'ils font avec tant de CÍer son remarquable talent.
ferveur que les portes du triptyque s'ouvrent et Quant à la Symphonie fantastique de Berlioz, je me
qu'auprès de la statue de la Sainte apparaît l'enfant, demande si c'est bien la dernière audition que
miraculeusementretrouvé. Des voix célestes enton- M. Colonne a donnée dimanche dernier; les bravos et
nant le Magnificat achèvent la déroute du diable les bis qni l'ont accueillie prouvent surabondamment
consterné. combien lé public estdésireux de l'entendre encore.
Ce qui fera la fortune du conte lyrique de M. J. Mas- Le Venusberg,passage symphonique duTannhaeu~er,
senet, c'est que, comme cela se faisait an bon temps de Wagner, a dignement couronné une matinée mu-
de la mélodie, nombreux morceaux peuvent s'en dé- sicale où, selon leur habitude, M. Colonne et ses mu-
tacher sans perdre pour cela l'unité qui leur est propre, siciens ont marché au succès avec un parfait
et, par suite, se populariseront facilement. ensemble. E. FOUQUET.
Nous citerons, parmi ces morceaux l'air d'Alain ~9
Ouvrez-vous. un douze-huit en mi bémol, morceau de
ténor un peu tendu, dont la transposition existe d'ail- VARIÉTÉS
leurs, et quieest d'un grand effet; la chanson de la
suivante En Avignon. d'une inspiration agréable et
d'une interprétation facile; les couplets du ,marquis: MASSENET INTIME~
Traiter en prisonnière. aux chaudes intonations le
serment de Grisélidis soleil clair. d'une
Dei~a~at le Encore une fois le grand musicien Massenet vient de
triompher avec une œuvre nouvelle et notre collaborateur
exécution difficile, mais destiné à produire une Emile Fouquet juge plus haut, avec son autorité de
grande impression dans les réunions musicales, critique, la Grisélidis, jouée l'autre Sf!IIIBine à. 1'6péTa-
surtoutsi l'on peut joindre au piano le violoncelle; Comique.
l'amusant monologue du diable Loin de sa femme Nos lecteurs ne liront pas sans intérêt à cette occasion
la page qu'écrivait, dans la Revue illustrée, notre directeur
qu'on est bien; le duo de Grisélidis et d'Alain, tout Ch. Formentin, le 17 mars 189-i, le jour de la première re-
de tlamme et de pénétrante émotion; et celui du présentation dé Thaïs. C'est le Massenet intime, son exis-
marquis et de Grisélidis L'oiselet est tombé du nid, tence tranquille dans l'appartement bourgeois de la rue du
appelé' un grand succès. Général-Foy, sa façon de composer, d'écrire, ses habi-
L'air superbe de l'épée sert de conclusion cette tudes.
partition si bien venue et qu'on a si justement ap- Ici le cabinet de travail d'où s'envolent depuis plus'
plaudie. de vingt ans tant de délicieuses mélodies. Près du
Très bonne interprétation avec M. Fugère, un mur. en pleine lumière, la table où s'assied le com-
diable qu'on ne peut croire très méchant, tant il sait positeur tout à côté, sur des rayons un peu en dé-
vous amuser et tant bien il chante; M. Maréchal, à la sordré; des livres reliés ou brochés, livres de poésie,
voix toujours fralche et chaude; M. Dufrane, qui. d'histoire, quelques romans; et, à la meilleure place,
phrase en artisteconsommé;M.'le Bréval, superbedans les deux auteurs favoris du maître Beaumarchais et
le duo; 1VI"e Tiphaine, accorte et plaisante à souhait; Jean-Jacques Rousseau. Dans un angle, près de la
Mlle Daffetye, très gracieuse MM. Jacquin et Huber= fenêtre, une bibliothèque vitrée où s'alignent sous
deau. leur solide reliure de volumineux in-folio.
L'orchestre à fait merveille sous la toujours habile Ceci, me'dit le maître, est mon petit coin à moi;
direction de M. A. Messager; quant aux décors, :sur- ces gros bouquins que vous voyez là, par ordre chro-
tout celui du prologue, ils font, ainsi que la mise en nologique' sont mes oeuvres dramatiques en manus-
scène, le plus grand honneur à M. Albert Carré, et crit, depuis ma plus humble partition jusqu'à mon
l'on s'explique très naturellement que, d'un commun dernier et plus grand opéra. C'est ma fille qui en
accord, compositeur et librettiste aient écrit en tête prend soin, et c'est elle qui se charge avec un tendre
de la partition la dédicace suivante « A Albert Carré, souci de les faire relier et de veiller à ce qu'aucune
à l'ami, au collaborateur. » page ne s'égare. Voilà tout mon bagage, cher ami. Il
vaut ce qu'il vaut, mais, dans tous les cas, il est la
preuve_d'un travail que rien jusqu'ici n'a découragé
Au Concert Colonne. La symphonie en si mineur et qu'aucune critique fùt..elle la plus injuste ne
de Schubert a été accueillie avec enthousiasme par le saurait interrompre. »
public; il est vraiment regrettable que le maître ait Et, comme j'examinais dans tous les coins le cabi-
laissé une pareille oeuvre inachevée et ne nous en net de travail avec une surprise mal dissimulée « Je
ait légué que les deux premières parties l'Alleyro vois ce que vous cherchez, me dit Massenet, et j'ai
modernto et l'A~adante con moto. deviné la cause de votre étonnement. Vous vous
Adonis, poème symphonique de M. Th. Dubois, es demandez, sans doute, où est le piano?- Vous l'avez
dit, cher maître. Mais je n'ai pas de piano et quand, tonnerres d'applaudissements me
m'exaspérerait,
des
par hasard, il en vient un ici, c'est que j'ai quelques feraient perdre la tête, et, succès ou chute, je ren-
amis à dîner et que je veux, avant de les laisser trerais malade. Non, j'aime mièux rester ici, auprès
p artir, les régaler d'un peu de musique. D'ailleurs, à de ma femme, avee mes livres et mon papier à mu-
quoi bon un piano? Il y en a assez comme cela dans sique. Pendant que l'on joue mon nouvel ouvrage
toute la maison, puisque, à chaque étage, les claviers place du Châtelet ou à l'Opéra, je pense à autre chose
font charivari; j'en ai un sur la tête, un au-dessous ici; je songe à mes illustres ancêtres, à Bach, ce
de moi; à côté, en bas, les arpèges presque toute la géaut, à mon vénéré et bon maitre Ambroise Thomas
journée s'escriment, et les valses font danser jusqu'à je me rappelle tout ce qu'ils ont eu de génie, tout
minuit les locataires. Mais moi, qui suis compositeur ce qu'ils ont d'immortalité, et cela me fait oublier
de musique, je n'ai pas besoin de piano. Pourquoi pendant ce temps que mon œuvre est dédaignée ou
faire, s'il vous plaît? » applaudie. Et si je n'ai pas, ce soir-là, l'esprit tourné
Et j'écoutai, stupéfait, Massenet m'expliquer sa ma- au rêve, je travaille. Savez-vous ce que je faisais pen-
nière de composer et d'écrire. dant la première de Manon, à Paris?J'écrivais le Ca-
« Quand j'ai sous les yeux le livret avec lequel je rillon, un ballet que l'on joue en ce moment à Vienne.
dois faire un opéra, je le lis, je le relis, je l'apprends Tenez, vous allez en avoir la preuve. »
presque par cœur: je me pénètre du sujet, je vis dans Et, se dirigeantvers la bibliothèque auxmanuscrits,
l'intrigue et la peau de mes personnages. Et alors, Massenet en retira le volume relié du Carillon, et
quand je me suis bien placé dans le milieu où se sur l'une despages je lus ceci en marge: « 11 octobre
meuvent mes héros, quand ils sont tout vivants dans 1891 huit heures et demie du soir, pendant la pre-
mon imagination, je reste deux ans environ sans tou- mière de blanon. ». CH. FORMENTIN.
cher une plume. J'attends l'inspiration qui vient plus
ou moins abondante, et de tête, je fais la musique.
Dans la rue, à la ville, aux champs, en voyage, je tra:- BIBLIOGRAPHIE
vaille et peu à peu la partition s'écrit dans mon cer-
veau, telle qu'elle sera plus tard reproduite sur le
papier et telle qu'elle sera exécutée. Les mélodies, A la Libr~airie Delagrat~e. S'il est utile de signaler
l'orchestration, l'ensemble de l'œuvre, tout cela se un bon livre, roman ou voyage, nous croyons ne pas
prépare lentement par un effort mystérieux de ma déplaire à nos nombreux abonnés chefs d'institu-
pensée. tion, directeurs ou directrices d'école, instituteurs
Et quand ma'partition est écrite dans ma tête,
c'est-à-dire je la
ou institutricp.s, en leur signalant deux petits livres
qui sont appelés à rendre un réel service à tous ceux
au bout de deux ans à peu près,
r ecopie de mémoire, et ce travail ne me prendpas qui s'intéressent à l'enseignement
plus de six mois. Et pendant tout ce temps je ne La Déclaration des Droits de l'Homme, par
mets pas les doigts sur un clavier, et je n'ai pas be- MM. BELOT et BERTRAND.
so in de contrôler au piano tel effet d'orchestre com- L'Enseignement antialcoolique, par M. BAU-
pliqué, telle phrase mélodique confuse mon œuvre DRILLARD, inspecteur de l'Enseignement primaire.
chante toute seule dans ma tête et je l'entends. La Déclaration des Droits de l'Homme, qui, jusqu'à
« Pendant que je fais ce travail de copie, je ne présent, n'avait servi qu'à orner les murs des écoles,
change rien à mes habitudes je me lève comme tou- a depuis un an sa place marquée dans les program-
jours, à cinq heures du matin l'été, à six heures mes d'examens. Il était donc nécessaire d'en faciliter
~'hiver; je reste à mon bureau jusqu'à midi; après l'enseigtiement et de le mettre à la portée de tous.
déjeuner, je sors, je vais à l'Institut, chez les amis, C'est ce qu'a pensé M. Belot, inspecteur de l'ensei-
chez mon éditeur, et je n'ai pas de plus grande joie gnement primaire du département de la Seine, l'un
que de rentrer le soirà la maison, et d'y vivre dans de nos pédagogues les plus savants et les plus auto-
la bonne et chaude intimité que je m'y suis faite. risés.
Voyez-vous mon cher ami, je suis un homme de Voici ce que dit de ce livre un de nos meilleurs
coin du feu, je suis un artiste bourgeois; je ne hais maîtres M. Devinat, directeur de « l'École nouvelle ».
certes pas le monde, dont je comprends et remplis Cet ouvrage, écrit.il, est conforme à la pure doc-
de mon mieux les devoirs mais je raffole de mon trine de la Révolution, il est clair et bien ordonné,
intérieur, de ce homemodeste qne vous voyez et où substantiel et suffisamment simple. Il est pourvu de
je suis sûr de ne pas rencontrer de méchante figure. bons questionnaires et d'excellents exercices de ré-
« Et savez vous quelle est,ma distractioti favorite daction. »
pendant la période consacrée à récrire mes parti- Ajoutons que la préface est de M. Bertrand, le dis-
tions ? Je fais, le soir, en fumant force cigarettes, la tingué professeur de philosophie à la' Faculté des
réduction de mes opéras pour piano, sans piano na- lettres de Lyon et que cette préface est une page
turellement. admirable, empreinte de la plus haute philosophie.
« Voilà ma facon de travailler. Est-elle bonne ou Elle est, s'il est permis de s'exprimer ainsi, le poème
mauvaise, je ne sais et je ne me sens pas le courage de la Déclaration des Droits de l'Homme, comme le
ni le pouvoir de la changer. livre en est le commentaire le plus juste et le plus
clair.
Assistez-vous à vospremières représentations'? L'Enseignement antialcoolique de M. Baudrillard est
Et levant les'bras au plafond, le maître de s'écrier: également un ouvrage de tout point parfait; il s'ap-
« Moi, aller à une de mes premières Mais vous n'y puie sur des données scientifiques claires, irréfuta-
pensez pas. Jamais, au grand jamais, on ne m'a vu bles et bien à la portée des enfants.
au théâtre le soir où j'ai livré une bataille. Je suis Des leçons bien graduées et accompagnées de gra-
trop nerveux, trop susceptible un coup de Afflet vures intelligemment choisies s'y trouvent dans un
ordre rationnel et pratique. Nul doute que la con- geul, il blanchit les dents sans en altérer. l'émail et permet
naissance de ces vérités incontestables n'agisse sur de les conserver jusqu'à l'extrême vieillesse., Pour. les
l'esprit de l'enfant et par l'enfant s'introduise dans soins du corps, il est nécesaire d'en»loyer 1.'Éucalypta; de
Suez, eau de toilette hygiénique, extraite <1e l'eucalyptus
le milieu social. globulus.
Nous croyons donc faire notre devoir en signalant
Maladies neraeuses, de poitrine et .d'épuisement; guéri-,
ces deux ouvrages également utiles et intéressants. son assurée par les produits Henry Mure, dePont-Saiilt-'
G. Esprit (Gard) Notice gratis sur demande.
Dentifrice incomparable, eau de toilette excellente,bois-
A la librairie Montgredien, le Brigadier Floridor, son hygiénique et agréable; puissant cordial tout cela est
roman d'aventures, de cape et d'épée, illnstré par conténu dans le flacon d'Alcôol de menthe de Ricqijls,
Job. C'est le premier volume d'une série historique dont. le succès s'affirme tous les jours en Franc!J et à
qui, commencée en 1792, se terminera à la fin du l'Etranger.
Hors concours, me»zbre du Juz·y, Paris, 9900..
Premier. Empire.
Rarement M.LE FAURE a été aussi bien inspiré,
et les illustrations délicates de Job font du volume
une publication de premier ordre.
Ajoutons que ce livre intéressant peut être mis
dans toutes les mains. `
15 DÉCEMBRE 1901. 24
LES PHARES
COMMENT ON LES CONSTRUIT
rés ou mixtes, c'est-à-dire réunissant plusieurs ment difficile que les phares de terre. Comment
variétés de disposition optique sur un même comparer au point de vue du pittoresque un
appareil. phare comme celui d'Eckmühl, par exemple,
La fabrication des lanternes de phares pré- édifié récemment sur la pointe de Penmarc'h et
sente, par la diversité des appareils selon le qui, haut de plus de 60 mètres, exécuté d'après
langage qu'ils doivent parler, un intérêt suffisant des plans architecturaux, d'aménagements pres-
pour mériter l'étude; cependant, dans leur en- que luxueux, a coûté 1)1) i 000 francs et a été ter-
semble, les phares se composent toujours d'une miné en trois ans et demi, à un isolé comme le
tour en haut de laquelle une plate-forme soutient feu d'Ar-Men, élevé sur un ilût rocheux à sept
la lanterne, qui elle-même r2nferme l'optique, et lieues des côtes, au milieu de la chaussée de Sein,
avant d'étudier la production de la lumière, il aubout duFinistère,et quin'apas nécessité moins
semble logique de savoir comment s'est construit de quatorze ans pour son achèvement, coûtant
le support. près d'un million, quoiqu'il n'eût que 33 mètres
Si la plupart des phares sont élevés sur des de hauteur et fût conçu de formes simples ? Dire
plateaux de falaises ou sur les jetées des ports, comment fut construit Ar-Men suffit pour faire
il en est aussi de bâtis en pleine mer sur des connaître les difficultés rencontrées pour lès
récifs, au milieu d'écueils dont ils doivent indi- autres isolés et donne la marche suivie pour
quer aux navigateurs les approches dangereux. l'édification de toutes les tours de phares.
Élevé de un mètre seulement au-dessus du 1 sera déclarée terminée par les ingénieurs qui la
niveau des plus basses mers, le roc d'Ar-Men, sur veillent, elle ne sera pas encore un phare
placé au milieu de remous tels que, même par c'est la lanterne qui lui donnera ses qualités de
temps calme, il était recouvert d'eau à chaque feux humanitaires. Cette lanterne, le service des
seconde, ne fut accostable que sept fois pendant phares la fournira, les ingénieurs des différents
la première année et les ouvriers qui, munis de départements maritimes ne s'occupant que des
ceintures de sauvetage, travaillaient couchés sur plans, des devis et de la mise en place des tours.
le rocher ne purent s'y tenir que huit heures pen- Si elles sont intéressantes par la difficulté de
dant lesquelles ils percèrent quinze trous. L'année leur construction en pleine mer ou par leur hau-
suivante plus favorable on put accoster seize fois, teur et leur architecture sur terre, les tours sont
travailler dix-huit heures, placer des crampons de modèles presque identiques, rondes oucarrées,
dans les trous forés l'année d'avant et commen- généralement en pierres, quelquefois en fer,
cer la maçonnerie. D'année en année, mètre par rarement en bois et leur classement par ordre
mètre. la tour s'éleva et toujours en butte aux réside essentiellement dans leurs lanternes plus
mêmes difficultés d'approche et de travail les ou moins puissantes. C'est sa lumière qui, fixe
ingénieurs ne virent s'achever leur oeuvre que ou mobile, donne la vie. l'ensemble du phare.
quatorze ans après les premiers coups de pic L'appareil optique est ûonc le côté de mécanique
donnés dans le rocher. Mais lorsque, la tour ter- précise dont l'étude est indispensable pour qui
minée, la lanterne d'Ar-Men mise en place et veut connaitre la construction des phares.-
allumée fut le signal qui sauve on peut dire que Le Dépôt des phares et balises du Trocadéro
l'humanité avait montré ce que peuvent la tena- ne s'occupe pas de la fabrication, il sert d'entre-
cité et le courage d'hommes dévoués à la plus pôt pour les différents appareils fournis par les
noble des causes. industriels spéciaux, appareils qui sont essayés
Et ces preuves de dévouement, les ingénieurs puis montés définitivementdans les ateliers sous
et les ouvriers chargés de ces travaux ne les la surveillance des ingénieurs. Pour s'initier à
donnèrent pas seulement à Ar-Men mais aussi la mise en oeuvre des appareils d'optiques, il faut
aux isolés du Four, du Grand Jardin, des grands se rendre dans les usines spéciales dont l'une,
cardinaux, etc., construits à différentes époques. très aimablement ouverte auxvisiteurs,est située
En ce moment même, au phare de Rochebonne, à Paris dans le quartier du pont de Flandre,
les travaux sont plus difficiles encore qu'à Ar- Ces grandes usines ne travaillent pas seule=
Men. Installé à 120 kilomètres de la côte rochel- ment pour la France et des appareils leur sont
loise le nouvel isolé a du être appuyé sur un commandés pour le monde entier. C'est ainsi
fond sous-marin, à une profondeur de huit niè- qu'on peut voir dans la cour, pas très grande,
tres. fermée par les ateliers, des phares en cours de
Pour préparer la place du bloc de maçonnerie montage, phares destinés aux atterrages de Moka
qui devait servir de soutènement à la tour, des dans la mer Rouge et, pour remédier à l'absence
plongeurs durent débarrasser les végétations de matériaux calcaires dans ce pays, ces phares
sous-marines qui s'enchevêtraientà la surface du sont construits tout en fer. Poutres et planchers
roc et deux années, 489 et 1898, furent consa- sont métalliques et élèvent à cinquante mètres
crées aux sondages et aux premiers travaux. Des vers le ciel la lanterne qui semble bien petite
trous furent forés en 1899, des blocs de ciment vue du sol de la cour. La préparation de toutes
fixés au rocher; la maçonnerie, à laquelle les les pièces nécessairespour construire ces phares
scaphandriers travaillaient pendantles intervalles mériterait une étude spéciale et intéressante,
de beau temps, fut élevée peu à peu etaujour- mais l'optique nous occupant seule aujourd'hui
d'hui elle effleure la surface, cinq ans ayant été c'est aux ateliers de polissag~ que nous devrons
nécessaires pour mener à bien les huit mètres nous rendre, laissant de côté les forges, la métal-
detravaux sous-marins. Bientôt sans doute l'achè- lurgie, etc.
vement de cette œuvre éminemment utile l'in- Une optique de phare se compose essentielle-
scrira au livre d'or des phares. Il sera enfin ment aujourd'hui, comme du temps de Fresnel,
signalé mieux que pardes bouées, ce plateau de de panneaux for més de bandes de verre prisma-
Rochebonne sur lequel la mer se lève de telle tiques, entourant une lentille faite elle-même de
manière que, même par temps calme, on a vu plusieurs cercles concentriques réunis autour
des navires qui en franchissaient la crète par d'un noyau central. Les bandes prismatiques
des profondeurs de trente mètres, saisis par des s'encastrent dans une armature de bronze en
lames de fond et rasés de bout en bout. forme.de crémaillère; la lentille est encadrée de
Lorsque!péniblementapportéepierreparpierre, métal, toutes les parties de verre se trouvent
la tour ronde sera dressée sur la plate-forme de fixées à l'armature par de minces couches de
Rochelonne; lorsque, son couronnement posé, mastic. L'ensemble de l'appareil est monté sur
lai galerie de fer en place, l'escalier installé dans
un socle à pivot tournant dans une cuve de mer-
le cylindre intérieur, la chambre des gardiens et cure ce qui permet une rotation très rapide avec
le magasin disposés aux étages supérieurs, elle l'aide d'un moteur relativement faible. Grâce à
ses propriétés de liquide solide, le mercure faci- dix.ième de millimètre et l'attention doit être
lite la rotation, en dix secondes,d'optiques de dix constante jusqu'au moment où, jugées terminées,
mille kilogrammes; son introduction a donc été les différentes parties constitutives d'une opti-
un grand perfectionnement dans les appareils, que, quelquefois plus de cent morceaux., sont
mais il est en même temps une des causes de enlevées des tours et portées au montage.
leurs prix élevés, une cuve d'optique de premier Une à une les pièces de verre sont ajustées
ordre contenant généralement quatre cents kilos dans les chassis de bronze, dont quelques-uns
de mercure et celui-ci coûtant, selon les cours, de pour les grands appareils n'ont pas moins de
sept à huit francs le kilo-
gramme.
C'est à Saint-Gobain que
sont moulés les plaques et
les cercles de verre; ils ar-
rivent non préparés, d'une
couleur blanc terne, que des
bavures salissent, et la pre-
mière opération consiste à
les dégrossir. On les ajuste
sur des tours de grandes di-
mensions, quelques-uns de
ces cercles ayant un mètre
vingt de diamètre, et lors-
qu'ils sont solidement fixés
on met le tour en marche
pendant la rotation le verre
passe sous des rabots de
grès qui enlèvent les grosses
rugosités sur les deux pre-
mières faces du prisme. Cinq
jours sont nécessaires pour
cette partie du travail; les
rabots de grès sont alors
remplacés par des brosses
imprégnées d'émeri en pou-
dre presque impalpable sous
lesquelles le verre tourne
encore pendant cinq autres
jours. Enfin un dernier chan-
gement d'outil, et le polis-
sage se termine par le frot-
tement lent et doux de rougee
à polir et de chiffons de laine.
Lorsque les deux faces supé-
rieures du triangle de verre
formant prisme sont.elairs
et nets, transparents comme
du cristal de roche, on re-
tourne le cercle et l'opéra-
tion recommence pour la troisième face. trois mètres de hauteur sur deux mètres de dia-
Les lentilles et les prismes de verre sont de mètre. Il faut des soins minutieux pour fixer à
grandeurs diverses selon l'optique qu'ils doivent la lentille les cercles qui l'encadrent, pour poser
contribuer à former et ils s'exécutent sur des dans la crémaillère les prismes dont la précision
tours différents; aussi les ateliers de polissage lumineuse doit être essayée plusieurs fois à
sont-ils encombl'és d'un enchevêtrement de pou- l'aide d'une petite lampe électrique de faible
tres, de poulies, de tours sur lesquels miroitent intensité enfermée derrière les lentilles. On pro-
les morceaux de verre dans un ruissellement jette un à un et séparément les rayons de cha-
d'eau, d'émeri ou de pâte à polir. Sans cesse les que cercle sur un vaste écran placé à au moins
ouvriers, chargés chacun de la surveillance d'un trente mètres et présentant le dessin grandeur
tour, jettent sur la pièce en travail la matière naturc de l'optique. Chaque lame est numérotée
usante dont ils vérifient au toucher l'action plus sur le dessin et le verre correspondant, lorsqu'il
ou moins rapide. Les épaisseurs sont calculées au estprùjeté,doit venir s'y superposer exactement.
Ces essais sont renouvelés jusqu'à cette parfaite ~'euxéclairs, le plus grand perfectionnement
concordance et sont recommencés à l'arrivée de apporté dans la construction des phares en ces
l'appareil au Dépût des phares. dernières années.
De préparations longues et coûteuses, telles Le principe des feux éclairs consiste il faire
sont les raisons pour lesquelles les phares sont tourner très vite, en dix secondes, les appareils
de prix généralement fort élevés; des appareils qui auparavant effectuaient lcur rotation en huit
optiques de premier ordre tels que celui de l'lie minutes. La perceplion des rayons lumineux se
Vierge coûtent 11?OOU francs, celui de Planier trouvant d'autant plus étendue que la vision en
40000 francs, de la Hève 90000 francs, de sim- est plus brève, on est parvenu à obtenir avec ces
ples feux de port coûtant encore de 5000 à feux extra rapides des portées de 1~?0 kilomètres
8000 francs. Il semblerait qu'avec de telles dé- par temps brumeux, de ~t0 kilomètres par temps
penses les phares soient de constructions res- clairs; tels les optiques des feux électriques de
treintes il n'en est rien cependant et lorsqu'on Planier et d'Eckmühl donnant une intensité de
visite l'usine troismillionss
oÙ se prépa- de becs Car-
rent les opti- cel. On sait
dues on ne que la lampe
peut s'empê- Carcel équi-
cher d'être vaut à une
surpris par lampe ayant
la multipli- une mèche
cité des appa- de trois cen-
reils en con- timètres de
structions, diamètre,
des balises, une flamme
des si-,naux, de quatre
des lanter- centimètres
nes, des pro- et brûlant
jecleurs ran- quarante-
gés pal' séries deux. gram-
dans les mes d'huile à
magasins, l'heure; on
comme des s'imagine
objets d'uti- quelle peut
lité courante. être la puis-
De fait on sance detrois
en use beau- millions de
coup,tousles lampes sem-
pays tenant à Le phare d'Ecllll1Ühl. blal)les en-
honneur de -oyant dans
posséder des phares puissants et nombreux et la nuit l'éclatant rayonnement de leurs faisceaux
la fabrication arrive à ne pouvoir suffire aux irradiants.
demandes. Il est vrai qu'il faut une moyenne Non seulement les phares électriques, dont
de six mois pour livrer une optique de premier nous possédons en France treize exemplaires
ordre, délai variable puisque, enun véritable tour réservés aux grands atterrages, mais les phares
de force, on est parvenu à terminer en un mois et d'ordre secondaire éclairés depuis quelques
demi un de ces phares destiné à Saint-Pierre- années au gaz de pétrole ou à l'huile minérale,
Miquelon. donnent aujourd'hui des portées lumineuses
Ce qui étonne encore pendant la visite dans les inespérées autrefois. Avec une lampe à pétrole
ateliers de montage ce sont les formes adoptées un appareil donne jusqu'à vingt mille becs Car-
aujourd'hui pour les optiques que l'habitude cels, avec le gaz comprimé et un bec Aüer, on
nous représente toujours circulaires. Les unes en obtient soixante mille. Ces liquides éclairants
sont aplaties, les autres carrées, d'autres encore sont d'autant plus pratiques qu'ils permettent
renflées en forme de boucliers ou élargies comme de supprimer les gardiens dans certains phares
un paravent à trois côtés; quelques-unes n'ont isolés d'approches difficiles en les remplaçant
qu'une lentille, d'autres deux, trois, quatre; pardes feux~~e~·nzazzents. Ces feux, une nouveauté,
certains appareils de grande puissance se com- alimentés à l'aide d'un réservoir de pétrole à
posent de deux optiques montées sur le même régulateur de débit et mus par un mécanisme
pivot et tournant côte à côte en envoyant leurs électrique, marchent automatiquement et restent
rayons jumeaux vers le même point d'horizon. allumés pendant plusieurs mois. Aux essais im-
Ces optiques de formes nouvelles, ce sont les posés par le Dépôt des phares, un feu perma-
nent construit par la maison Barbier et Bénard pendue une escarpolette que les hommes effec-
a tourné pendant cinq mois sans s'arrêter; c'est tuent le voyage entre le phare et le vapeur.
là un record, mais en marche normale on re- Mouillés, enlevés quelquefois par les lames, les
charge et visite les appareils tous les trois mois. gardiens de relève gagnent leur poste. par le
Pour permettre à la mèche de garder la flamme même chemin et c'est une entrée en fonction
sans s'user on lui fait subir le croutage, opération peu encourageante pour les gardiens fraîche-
qui consiste à la recouvrir d'une mince couche ment nommés que cette première arrivée au
de goudron carbonisé. phare, ce voyage en l'air sur la mer qui coule
S~uf les feux permanents, tous les phares, littéralement comme un torrent, pendus par une
qu'ils soient construits sur terre ou enmer, sont corde d'un côté à la tour, de l'autre au vapeur
confiés aux soins d'un, deux ou trois gardiens qui à l'ancre doit marcher à toute vitesse pour
chargés de l'entretien des appareils et de la sur- résister au courant qui l'entraîne. Elle est plutôt
veillance des lampes. Dans les phares élevés sur lugubre, cette arrivée au phare par un gros temps
les côtes les gardiens sont généralement logés d'hiver.
dans des bâtiments contigus à la tour, ils vivent Cependant les gardiens de phare aiment leur
là avec leur famille, font leur service comme de métier, sont même fiers de la responsabilité qui
petits employés, cultivent un jardin, se pro- leur incombe, contents, malgré la minime part
mènent aux heures de repos; autrement diffi- réservée pour eux dans les traitements accordés
cile et fastidieuse est la vie sur les isolés. auxemployésde l'État, de575francsà1200 francs
Éloignés quelquefois de plusieurs lieues du par an selon la classe à laquelle ils sont arrivés.
port le plus proche, emmurés dans une tour de Pour ces appointements bien modestes les gar-
quatre mètres de diamètre, n'ayant pour résister diens passentleurvie dans les isolés, vie si pleine
à l'engourdissement des membres que la montée d'ennui, et même de dangers, que les exemples
et la descente des escaliers de fer réunissant en sont nombreux de gardiens devenus fous de so-
colimaçon les différents étages du phare, les litude ou d'autres enlevés jusque sur la galerie
gardiens des isolés vivent dans l'étourdissement des phares par des lames de fond aux bondisse-
du bruit monotone des lames battant la tour. ments imprévus. Malgré ces dangers, quel que
Clottrésdansl'espace étroit, sans fuites possibles, soit le dur recommencement de leur tâche, les
ils n'en sortent qu'au moment des relèves, tous gardiens de phare peuvent s'enorgueillir d'avoir
les quinze jours, lorsqu'ils sont seuls, tous les sauvé par leur vigilance assez d'existences
trente jours lorsqu'ils sont deux, tous les qua- pour n'être pas séparés, dans la reconnaissance
rante-cinq jours lorsqu'ils sont trois. des navigateurs, de la création philanthropique
Le nettoyage des appareils, l'allumage des dont ils ont la garde.
lampes, le quart de nuit passé auprès de la lan- Par leurs soins, chaque soir, à l'heure du cré-
terne dans une atmosphère chauffée à 40 degrés, puscule, lorsque sur la mer l'ombre étend son
les yeux garnis de lunettes noires pour obvier à manteau uniforme et que paraît au ciel la pre-
l'insupportable crudité de la lumière et le cahier mière étoile, on voit au long des côtes s'allumer
d'observations sur les genoux, tels sont les seuls un à un les phares aux lumières blanches, vertes
moments d'occupations permettant aux gardiens ou rouges. Tous les jours, aux mêmes heures,
des phares en mer d'échapper à la désespérante par le calmè ou par la tempête, ils envoient
monotonie de l'inaction dans l'isolement. Et cet jusqu'aux fonds d'horizon leurs rayons d'argent,
isolement est d'autant plus complet, que, con- de rubis où d'émeraude et forment dans la pro-
struits pour la plupart en des points de récifs fondeur obscure des nuits comme une ligne de
dangereux, les phares sont entourés de tels tour- sentinelles dressées là par nos civilisations
billons que l'approche en est difficile, l'atterris- humanitaires.
sage impossible. Lorsqu'ils viennent relever les PIERRE CALMETTES.
gardiens, les baliseurs des ponts et chaussées ~xxax,a~as~x,asx~x~xas~,s~xx~a~
sont obligés de s'arrêter à cinquante mètres du
Jeune, on est riche de tout l'avenir que l'on rêve; vieux,
phare et c'est par une amarre à laquelle est on est auvre de tout le passé qu'on regrette.
Un jour d'été, il y a de cela une dizaine d'an- plus qu'avec de grosses lunettes rondes, aux
nées, comme je lavais une aquarelle sur les bords verres bombés. Il me montra dans un petit
du Lac du Bourget et que j'analysais les tons, flacon, rempli d'alcool, ses deux cataracfes extir-
demi-tons et quarts de tons du lac, du ciel et des pées qui avaient la forme de grosses lentilles
montagnes, je m'aperçus que je ne retrouvais jaunâtres et molles. Je lui demandai ses impres-
plus lés tonalités que j'avais remarquées quel- sions, mais il me fut impossible de le compren-
ques jours auparavant; non pas qu'elles eussent dre il parlait un italien barbare, c'était du niçois,
disparu, mais je les voyais moins nettes. Je me peut-être, mais, pour moi, c'était de l'hébreu.
frottai les yeux, puis je regardai en fermant Je vis seulement qu'il marchait lentement dans
tantôt l'un, tantôt l'autre et je constatai bientôt la rue, tâtant le sol avec une canne, mais, à tra-
que l'œil gauche faiblissait, qu'il me donnait une vers ses lunettes, ses yeux, agrandis par les
vision.plus pâle et moins nette des couleurs et verres bombés, me semblaient très clairs.
que les contours des objets n'étaient plus arrêtés: C'est ainsi que je serai me dis-je. Bah 1
l'image réfléchie par mon oeil était flou, comme j'ai encore un œil de bon, usons-en, nous ver-
on dit dans l'argot des peintres. Mon œil droit, rons plus tard si l'autre se met à faiblir.
au contraire, avait conservé toute sa vigueur.
J'attribuai cela à un trouble passager et y~ fis
d'autant moins attention queje ne lavais pas des Plusieurs années se passèrent. J'écrivais et je
aquarelles tous les jours. lisais sans trop de fatigue et ne pensais plus à
Quand vint l'hiver, je m'aperçus que mon oeil l'occlusion de mon œil gauche, quand mon œil
gauche devenait de plus en plus faible et que la droit s'affaiblit à son tour, lentement, il est vrai,
vision des couleurs était presque totalement mais je ne me dissimulais pas qu'à un certain
disparue je ne voyais plus que des ombres. Je moment, il serait voilé tout à fait, et qu'alors, je
ne ressentais, du reste, aucune douleur, mais je serais complètement aveugle, Bientôt il me fut
larmoyais beaucoup. Justement inquiet, j'allai impossible de lire et d'écrire. Dans le livre, les
consulter un médecin spécialiste. Après m'avoir lettres me paraissaienttrès pâles sur le papier,
examiné l'œil avec une loupe, le praticien me dit l'encre la plus noire me semblait grise. Je voyais
d'un ton léger encore les figurés et les costumes, mais seule-
Ce n'est rien Ce n'est qú'un commence- ment de près. A trois pas, je ne distinguais plus
ment de cataracte. Revenez me voir dans six le nez, les yeux, la bouche les lointains étaient
mois. confus. Un autre phénomène se produisit la
Je ne cacherai pas que ce mot de cataracte me nuit, les étoiles et les lueurs des becs de gaz me
fit une impression pénible; pour moi, c'était la paraissaient doubles; ce spectacle était des plus
cécité, tout au moins c'était une opération future curieux Le croissant de la lune semblait cou-
et qui pouvait ne pas réussir.. vert par un autre croissant. inégalement super-
Au bout de six mois, l'opacité du cristallin posé, de manière que la lune avaitquatre cornes.
était devenue plus grande, mais, comme j'y Ma marche se ressentait de cette infirmité je
vc>yais très bien de l'œil droit, je ne m'en inquié- ne quittais pas ma canne et je marchais en hési-.
tai pas. Un an après, l'œil gauche était complè- tant.
tement voilé. J'étais réellement borgne. Il fallait enfin prendre un parti. J'allai trouver
le Dr A.badie, le spécialiste bien connu, et me
remis entre ses mains. Malgré ses bonnes
Le moatlent était donc venu d'aller retrouver paroles réconfortantes et la confiance absolue
le docteur et de lui dire opérez-moi. Mais voilà! que j'avais en son talent, ce ne fut pas sans
L'opération me faisait peur; j'avais pris des ren- appréhension que je me décidai à l'opération,
seignements et l'on avait beau me dire que je Toutes les suppositions fàcheuses se heurtaient
ne sentirais rien, je ne pouvais m'imaginer qu'un dans mon esprit; d'abord la mise en scène la
outil d'acier pénétrât dans 'mon oeil sans me vue des instruments, les préparatifs; puis lêg
faire souffrir; puis l'un disait ceci, l'autre cela, accidents possibles un mouvement nerveux t~te
les récits ne concordaient pas et augmentaient je pourrais faire, même aussi, et j'en rougis; une
mon indécision. Du reste, tous ceux que je con- hésitation du docteur, que sais-je?. En deux
sultais n'avaient pas passé par là; ils avaient mots, j'avais la frousse1
entendu dire, je ne trouvais pas cela suffisant.
Une fois, cependant, j'en trouvai un, à Nice, qui
avait été opéré des deux yeux et qui ne voyait Enfin le jour fixé arriva et voici comment. se
fit l'opération. J'arrivai chez le docteur un matin, énorme coup de poing. Cela dura toute la jour-
vers dix heures et demie, et pris de suite posses- née puis la douleur changea de caractère
sion de la chambre dans laquelle je devais rester c'étaient maintenant des escarbilles qui roulaient
pendant huit jours. On me fit enlever mon par- dans mon oeil et je devais me retenir de le frot-
dessus, ma cravate pour dégager le cou, et mettre ter. Cela dura une partie de la nuit et du lende-
des pantoufles. Dix minutes après, je descendais main matin; puis la douleur diminua et disparut.
dans la salle d'opération. Pendant ce court trajet, Ce ne fut que le surlendemain, à midi, que le
mon trac était à peu près passé, sans doute docteur vint m'enlevermon bandeau et examiner
« Il est merveilleux
1 dit-il, l'opéra-
parce que l'opération était inévitable et proche, mon œil.
mais il disparut tout à fait quand j'entrai dans tion a parfaitement réussi. Maintenant patience
une chambre où se trouvaient sur des tablettes, et tranquillité. Vous pourrez vous lever un peu
des bocaux remplis d'une eau claire et pas d'au- demain, pas plus de deux heures. Je reviendrai
tres meubles qu'une chaise et, sur une longue vous voir ». Il revint en effet me voir tous les
table assez haute, un matelas gros vert et un jours, constatant chaque fois le bon état de mon
oreiller. Cet objet, qui eût pu m'effrayer, me œil, puis le huitième jour, il me permit de ren-
laissa indifférent; je croyais qu'il ne m'était pas trer chez moi, le bandeau et la compresse sur
destiné. l'œil, en me recommandant de continuer le pan-
Je m'assis sur la chaise placée contre le mur, sement antiseptique. Je devais conserver ce ban-
près de la cheminée et, de suite, l'infirmière me deati pendant six semaines, mais au bout de
cocaïna l'oeil à plusieurs reprises. Cela ne me trois, l'œil étant complètement rétabli, le doc-
fit aucun mal. teur, voyant mon impatience, se décida à m'or-
Le docteur entra suivi de son interne. donner des lunettes.
Tout est-il prêt? dit-il. Eh bien, Monsieur,
mettez-vous sur le lit. Sans lunettes, en effet, je ne pouvais pas voir
Je montai un petit gradin et m'étendis sur le mieux qu'avant l'opération. L'oeil opéré voyait
lit, les bras le long du corps et la tête sur l'oreil- cependant, mais seulement les couleurs, par
ler. Le docteur et son aide se placèrent derrière taches, sans lignes. D'un paysage, je voyais les
ma tête. L'infirmièreme banda l'œil qui y voyait masses vertes des arbres, le blanc des murs, le
encore et l'opération commença. Tout d'abord rouge des toits, le bleu du ciel, mais le dessin
je sentis qu'on me touchait l'œil avec la main, était absent et tous les détails manquaient.
mais je ne sentis aucun instrument et cepen- Voici l'ordonnance du docteur
dant il y en eut sept qui entrèrent dans mon œil. Pour presbyte
D'abord une spatule, puis un écarteur des pau- 0 Droit dépoli.
pières, un mainteneur de l'œil, des ciseaux- 0 Gauche 0° 150 + 16..
pinçes, un couteau, un crochet double pour en- Pour lire.
lever la cataracte, et enfin une spatule pôur 0 Droit plan.
nettoyer les culs-de-sac. Quand tous ces instru- 0 Gauche 0° + 150,+ 10..
ments eurent fonctionné, le docteur me dit en Et maintenant, me dit le docteur, allez chez
me massant l'œil avec les doigts Maintenant, l'opticien et tantôt vous pourrez lire à l'aise votre
je n'ai plus d'instrumcnts (je ne les avais pas journal, vous aurez votre vue de quinze ans.
sentis), c'est fini! Ouvrez l'œil. Il mit sa main Me voici chez l'opticien. J'ai déjà roulé dans
ouverte devant moi Que voyez-vous? ma tête tout ce que je ferai, maintenant que je
Votre main. Bien, fermez l'œil. J'avais en vais y voir. Je lui donne mon ordonnance.
effet, vu sa main ouverte, à contre-jour mais Très bien, me dit-il, je vais vous .faire vos
très distincte et, en même temps, la clarté du jour lunettes; revenez dans trois jours.
brillante comme du magnésium. On lava ensuite Comment! vous n'en avez pas de toutes
l'œil opéré, qu'on couvrit avec une compresse faites?
d'eau au sublimé corrosif au millième, puis les Si, mais pas à votre vue, il faut les fabri-
deux yeux furent bandés avec soin et l'on me quer. Il y en a deux paires.
reconduisit à ma chambre. Il était onze heures Comment ? Comment deux paires?
et l'opération avait duré juste une minute et Sans doute; une pour vous diriger et voir
demie1 au loin, et l'autre pour lire et écrire.
Je n'avais pas du tout songé à cela.
Remonté dans ma chambre où les rideaux Alors, si je vais acheter mon journal avec
tirés ne laissaient passer qu'un eemi-jour, je me les lunettes n° 1, je ne pourrai le lire qu'avec les
couchai heureux d'en être quitte. A midi, je dé- lunettes n° 9-?
jeunai légèrement ou plutôt on me donna la bec- Évidemment.
quée et j'essayai de m'endormir, mais cela me Diable 1 Diable 1 Ce sera bien génant! Bah 1
fut impossible, la cocaïne ne faisant plus d'effet, Au lieu de lunettes, faites-moi des binocles, ce
l'insensibilité disparut et mon oeil devint dou- sera plus commode pour moL
lour~l1x. Il me semblait que j'avais reçu un C'est impossible, Monsieur, vous ne verriez
pas. Il faut que vos lunettes soient fixes sur votre roi. Mon oeil droit, n'étant pas encore voilé, me
nez. Songez que vos verres sont gros et lourds donne toujours une vision affaiblie des objets.
et ne tiendraient pas. Ainsi quand, avec mes lunettes n° 1, je les re-
Trois jours après, qui me parurent très longs, garde avec mes deux yeux, une double image se
j'allai chercher mes lunettes et je les essayai.. forme, l'une, très claire et amplifiée sous le verre
Le numéro me parut très bon à une petite bombé, l'autre affaiblie et moins nette, qui vient
distance, quarante centimètres, je voyais très contrarier la première et lui enlever l'équilibre.
bien des lettres qui avaient, au minimum, un Il est donc nécessaire pour moi de fermer l'œil
centimètre de hauteur, mais au-dessous elles droit.
me semblaient confuses. Il fallut diminuer de Un autre phénomène a lieu quand je regarde
moitié la distance. Ainsi donc, pour lire et écrire un point lumineux, de jour ou de nuit, sans
avec mes lunettes je devais me tenir à vingt mettre mes lunettes. Voici, par exemple, une
centimètres au plus du livre ou du papier. bougie allumée Je vois très bien la flamme,
Pour le numéro 1, qui devait assurer ma mar- mais il se forme au-dessous ou à côté une image
che, ce fut autre chose. Je dois dire tout d'abord lumineuse semblable à un disque ovoïde de den-
que ces lunettes éclairaient fortement les objets telle d'or ou d'argent, si c'est le jour. Les stries
en les grossissant, mais elles modifiaient énor- de cette image qui sont perpendiculairestrem=
mément la perspective la rue semblait monter blottent sans cesse et il semble qu'une poussière
ou descendre, les objets n'étaient pas d'aplomb, d'or flotte dessus. J'imagine que c'est l'iris
l'équilibre manquait dans tout; je chancelais en qui renvoie ainsi son image mais, dans ce reflet;
marchant comme un homme ivre. là pupille n'existe pas.
Mais j'ai quitté un,mal pour un autre, dis-je Au moment où j'écris ces lignes, il y a trois
à l'opticien, jamais je ne pourrai me servir de mois que je suis opéré. Je suis certain que lors-
ces lunettes. que la cataracte de l'œil droit- sera m1ire, mon
Le marchand me répondit « Monsieur, tous oeil gauche aura plus de vigueur et que j'y verrai'
ceux qui mettent ces lunettes pour la première suffisamment bien pour qu'une nouvelle opéra-
fois me font les mêmes observations, mais à tion ne soit pas nécessaire.
mesure qu'ils en font usage et que l'œil se forti- Chers lecteurs,vous voici instruits maintenant.
fie, elles s'y habituent. Maintenant il faut que Si un de vous a la cataracte, qu'il m'imite, je lui
vous fassiez attention à une chose Vous n'avez réponds qu'il ne s'en repentira pas et qu'il pourra
qu'un oeil opéré et l'autre y voit, encore or, les dire, comme moi-même j'ai dit au docteur
deux visions se nuisent; pour y voir nettement, Charles Abadie qui m'a opéré
il faut donc annihiler un œil. Ainsi, si vous fer-
« Veni, vidi! ll~erci »
mez l'œil droit, les objets ne vous semblent plus
de travers ». La iemarque était juste, l'œil droit L'. LEMERCIER DE NEUVILLE.
fermé, je vis normalement.
Je mis donc mes lunettes n° 1 sur mon nez et
pris congé de l'opticien; mais en franchissant le
seuil de sa porte, je faillis tomber, n'ayant pas LE POINT DU JOUR
aperçu un petit pas qui le. séparait du trottoir.
Faites attention! Monsieur, me dit le mar- C'est l'heure indécise où l'aurore
chand; avec ces lunettes, vous verrez très loin, Annonce son prochain retour
Plus à l'àme qu'aux yeux encore,
mais vous ne verrez pas à vos pieds. C'est à un Quand il ne fait ni nuit ni jour.
mètre seulement qu'elles vous seront utiles. A peine un coq s'est fait entendre,
C'est une habitude à prendre. A peine fume un premier feu
Oui, mais les escaliers, par exemple ? Dans le ciel humide et si tendre
Qu'on ne sait s'il est blanc ou bleu.
Eh bien, vous prendrez la rampei
Sur la route flotte et s'allonge
Un lambeau d'errante vapeur,
Qui semble en fuite comme un songe
Je vois donc très bien maintenant, de près e~ A qui la lumière a fait peur.
de loin. Il n'y a plus que ce mètre distant de mes La rosée, où ne s'illumine
pieds qui m'est interdit. Il faut m'en consoler en Pas encore un seul diamant,
Sous une gaze bléme et fine
songeant que cette lacune n'est rien à côté de ce Ensevelit le pré dormant.
que j'ai retrouvé en me faisant opérer. Mais un souffle léger s'élève;
Pour être complet, je dois encore signaler Au brusque éclat du jour vainqueur,
quelques petites remarques que je fais chaque L'horizon. tressaille et se crève,
jour. Ainsi les couleurs sont maintenant très Et tous les nids chantent en chœur 1
vives dans un jardin, les feuillages ont l'éclat Et là-bas, sur la glèbe rose, `
d'émeraudes, les jaunes ont l'apparence de l'or, D'où l'alouette prend l'essor,
Marchent dans une apothéose
les blancs sont crus. Dans la maison, des pan- Des boeufs de pourpre aux cornes d'or!
toufles de drap noir ont pris la teinte bleu de SULLY-PRUDHOMME.-
L'ÉCHEVINAGE DE LA ROCHELLE
L'été dernier, l'Etat-Major renouvela sur la des trafiquants et des corsaires comme le chaton
terre rochelaise, le simulacre des anciens com- ciselé d'un joyau de pierre.
bats. On vit les sotdas sortir de la mer, on les Une tour svelte, coiffée d'un éteignoir suré-
vit se ruer par toutes les routes de l'Orient. Ce levé se dresse comme une sentinelle à l'angle
fut alors pour les pacifiques bourgeois de la droit de deux murailles crénelées, le long de
campagne avoisinante un doux agrément de quoi des gargouilles grimaçaient.
considérer l'émoi des troupiers étrangers quand Ironiquement fidèle au roi, la Ville a gravé sur
surgirent du moutonnement vulgaire des toits, la tour du beffroi les armes de la couronne, puis
les colosses de pierre qui marquent entre toutes les siennes qui sont un vaisseau d'or habillé
les villes, la fière cité d'Aunis. d'argent sur fond de gueule, voguant sur mer de
La Rochelle! La Rochélle et ses tours1 sinople avec en haut trois fleurs dé lys sur champ
La fée Mélusine, tête de femme et corps de d'azur. Ces héraldismes se détachent dans une
sirène d'un coup de baguette enchantée, créa, sorte de châsse de pierre ciselée à la manière
dit-on, le rocher qui fut La Rochelle. Travailleur des artistes du gothique flamboyant.
infatigable, l'Océan creusa la baie et les hommes Une tour naine marque le long de la façade
des âges héroïques semèrent le littoral de dé- principale l'extrémité du mur de défense. Cette
fenses gigan- maçonnerie
tesques. élégante et so-
Voici donc lide est percée
une ville pa- d'un vaste por-
reille à nulle tail ogival, flan-
autre et qui qué précau-
connut d'in- tionneusement
vraisemblables d'une petite
vicissitudes. entrée où deux
Petit état dans hommes ont
l'Etat, fière de peine à se tenir
ses murailles Les armes de la Rochelle et ses tours. de front. Voilà
longtemps in- le mur der-
violées, elle riait des rois qui l'abolissaient en rière lequel il s'est passé de grandes choses.
des décrets impuissants Voulons et ordonnons, La cité s'armait parfois contre le roi, mais
signifiait Louis XIII en 1628, que les murs, ram- l'échevinage dominait les tumultes de la rue et
pa~·ts, bastions et autres ouvrages soient rasés, rez- pouvait défier l'émeute grondante.
pied, reÿ-terre, en sorte que la charrue y puisse Pour savoir quel gonfalonnier résidait en
passer comme sur des terres de labour. cette Maison de ville, il faut rappeler l'organisa-
La Rochelle est restée dans son immuable tion de la commune rochelaise. Cent pairs, élus
orgueil, et les rois ont passé. Le soleil joue en- par les citoyens, nommaient trois prud'hommes,
core avec les créneaux des murs et marque les entre lesquels, pour un an, le roi désignait le
heures en promenant les ombres immenses des maire. Douze échevins et douze conseillers con-
tours, tantôt les -baignant dans les eaux, tantôt stituaient le petit parlement de la ville, dont les
les projetant, fantastiques sur la ville. libertés millenaires furent reconnues par Alié-
Cette minuscule république, ceinte de granit nor d'Aquitaine, les rois Saxons et les rois
et caressée par l'Atlantique, avait un cœur de Français.
pierre où gîtait vraiment le secret de la vie et de Entré roturier dans la Maison, le maire sortait
la force. De ce cœur, il reste aujourd'hui l'enve- annobli par la porte dônnant sur la rue dite des
loppe, l'indestructible péricarde. Le touriste y gentilshommes. Tel un podestat d'Italie, il
promène ses regards amusés, tandis que les battait monnaie, il connaissait de certains délits
grandioses images d'autrefois emplissent sa concuremment avec le Présidial. Sénéchaux et
pensée ce visiteur indolent, mesurant les vieilles juges du roi jalousaient la puissance des maires
pierres se dit tout bas « Là furent des mar- et luttaient contre elles, en de terribles conflits.
chands qui guerroyèrent contre des rois ». Toujours besogneux, François I®r tenta de créer
Donc, le cœur de cette république battait dans des impôts nouveaux, il dut céder devant
ce beffroi, muni d'un bourdon aussi entaér, beau, l'émeute; durant les guerres intestines, quand
bo~z de façon et de son que sein de ce royaume. viurent pour assurer l'ordre les troupes roy ales,
L'Hôtel de Ville apparaît comme une forteresse le peuple se soulèva aux cris de
« Point de
luxueuse, un bijou de guerre, le château d'un garnison »
burgrave très artiste. C'était, au milieu de la ville Les iconoclastes réformés ne respectèrent des
églises que les tours où l'on pouvait jucher des vailla de 1595 en 160i. A dater de cette époque,
canons; la Maison de ville ne subit que les inso- l'échevinage était définitif dans ses parties es-
lences du temps. L'édifice fut pourtant, depuis sentielles et nous pouvons aujourd'hui encore
l'origine, défait et refait plus d'une fois. Les comparer le monument actuel aux plans et des-
historiographes nous apprennent que le maire sins exécutés par l'ingénieur Masse vers la fin
Guillaume Evrart acheta, vers 1?9S, une maison du siècle.
au nommé Jacques Fouras et, selon Mervault, Entre temps, dans l'Hôtel inachevé, des grands
Philippe le Bel donna l'autorisation de con- conseils se réunirent, des conspirations se nouè-
struire l'échevinage ou Maison de ville. Les chro- rent. En 1588 s'y tint l'assemblée des églises ré-
niqueurs estiment, d'après un texte datant de formées à laquelle assistaient le roi de Navarre,
Louis XI, qu'un premier échevinage fut la proie levicomte de Turenne, le duc de la Trémoille,
Hôtel de Ville de la Rochelle. Galerie conduisant à l'ancienne salle de la ~lilice. (Cliche LEI.lRux, à La Rocliello.)
des flammes vers H61. L'enceinte extérieure du Plessis-Mornay, etc. On voyait, appendus
commencée en 1487 ne fut finie sur la rue de la dans une vaste salle, les trophées pris sur l'en-
Grille qu'en 1498. Un annaliste note qu'en 1545, nemi par Henri de Navarre ou ses lieutenants.
le beffroi reçut sa toiture conique. Sur la cour donnait, par une galerie en forme
Le corps de la Maison de ville rochelaise -de cloître, la salle de lamilice. Des pilastres très
garde toute la joliesse de la Renaissance. Un géminés et cannelés supportent un double arceau
es.alier monumental le séparait en deux; à qui finit au milieu par une sorte de pendantif
gauche on voit encore une exquise façade où se d'une élégance parfaite. Il n'y a, dit-on, aucun
distinguent en des chapiteaux d'une délicatesse autre exempled'une pareille ornementation dans
extrême, les trois ordres grecques, dorique, io- les édifices de cette époque.
nique et corinthien. Les plus grands travaux Autre singularité: parmi les cinq fenêtres mé-
furent accomplis sous Henri Il et l'escalier lui- nagées à la base de la toiture, deux ont des fron-
même ne fut achevé qu'en 1591, sous le maire tons dont le tympan est tronqué et les angles
Jacques Thévenin. rentrants.
Certes, il faudrait pouvoir redire les noms des L'escalier principal a une plateforme surmon-
artistes qui collaborèrent à cette oeuvre de pierre tée elle-même d'une loggia, oÙ fut placée entre
si prestigieuse. Les mémoires permettent seule- quatre sveltes colonnettes la statue du roiHenri.
ment de penser que Philibert Delorme y tra- Le haut de l'escalier constituait pour les maires
et échevins une tribune en plein vent d'où ils Toute la paperasserie contemporaine a fourré
pouvaient haranguer aisément la foule réunie là ses. poussières et ses mites Biereau de l'état
dans la vaste cour de la Maison de ville. On ima- civil, Bzcreau des lllariages, Bureazc des chiens et
gine ces dictateurs improvisés jetant au peuple des claar~·ettes, etc. Les émules de M. Lisch ont su
des paroles d'espoir, exhortant les citoyens à la approprier à merveille les vieilles choses à de
résistance héroïque. Là, sans doute, durant la louables et pratiques destinations.
misère affreuse du grand siège, les Rochelais ve- Çà et là, dans la désolante banalité d'un mo-
naient chercher le mot d'ordre et les discours de dernisme opulent, on trouve quelques reliques.
réconfort. En 'li90, le 18 janvier, sur ce même Dans le cabinet où les solliciteurs attendent les
balcon, le maire Denis Goguet, directeur de la audiences de M. le maire, un bureau de marque-
Chambre du commerce, prêta serment à la Con- terie, un fauteuil et une vitrine, derniers restes
stitution nouvelle. de la richesseancienne.La vitrine est une chàsse
Après les malheurs du Siège et lorsqu'à la car on y garde pieusement des choses sacrées
Rochelle on dit le Siège c'est celui de 1 17 i Deux lettres de Louis XIII à lareine, datées de
oü triompha Richelieu qu'il faut entendr e, les Laleu (petit village à quatre kilomètres de La
survivants virent s'effriter la gloire ancienne et Rochelle) l'une du 29 septembre 162R, l'autre du
les tours découronnées de leurs défenses. Dans :-1 octobre, Il heures 'du matin; on y lit ces mots
INTÉRIEUR HOLLANDAIS
Le déjeuner vient de s'achever, dans la mo- fils c'est peut-être l'amoureux; mais il a, avec
deste cuisine. Le moulin à café, quelques tasses le vieux, un proche air de famille dédaigneux
posées surl'humble table de bois, en témoignent. de tout escabeau, a trouvé plus commode de
C'est l'heure de la digestion et chacun des per- s'accroupir pour, béatement, fumer sa pipe.
sonnages de ce tableau l'entend à sa manière. Le4ère rêve. Il songe que de ce pauvre inté-
Le père, rêve; assis, une main dans la poche, rieur'lant aimé, la mère est absente. Plus jamais
l'a~tre tombant de la tablette de la fenêtre, sur la bonne compagne ne l'animera de sa chère
laquelle s'appuie -i'.avant-bras. En face du père, présence. Depuis quand est-elle partie? Les en-
la jeune fille tricote, de ses doigts agiles. Son fants tout petits, ou grandelets déjà? Il n'im-
visage, à l'ovale'allongé, est mélancolique sous porte. Son souvenir demeure en ce logis; ces
le bonnet en pointe aux gracieuses ailettes. Le meubles familiers l'ont vue aller et venir par la
pièce, diligente et avisée ménagère. Plus jamais l'on vit intérieurement, avec la pure mémoire
elle ne reviendra; mais que par-delà la tombe de l'en-allée.
elle soit heureuse les survivants ne l'oublient Il faut louer M. Jules Benoît-Lévy, l'auteur de
point, ni le père au visage si triste, ni la douce la belle toile que nous reproduisons, d'avoir su
On a beaucoup parlé, en ces derniers temps, d'impériale avec des forgerons, des menuisiers,
d'un musée Victor Hugo qui serait inauguré à des employés de commerce, des comptables-.
Paris l'année prochaine, au mois de février, en Quel intérêt il savait donner aux choses les plus
même temps que la statue du poète, à l'occasion simples Son regard, son vaste front génial s'il-
des fêtes de son centenaire. lùminaient, et nous aussi nous étions ravis.
Le véritable fondateur de ce musée est M. Paul
Meurice, l'intéressant auteur dramatique qui fut,
avec Auguste Vacquerie, un des amis les plus Drouet, surnommée la belle Juliette en
Mme
intimes de l'écrivain, et qui fut désigné, à sa son printemps, fut, on se le rappelle, l'amie
mort; au nombre de ses exécuteurs testamen- intime de Victor Hugo. C'est elle qui reçut du
taires. poète tous ces travaux de menuiserie, ces boi-
M. Paul Meurice a voué un véritable culte à la series, ces meubles qu'il fabriquait en exil, à
mémoire de l'immortel poète, il a recueilli ses Guernesey, pour distraire son génie. Lorsqu'elle
manuscrits, les diverses éditionsde ses ouvrages, mourut, son neveu et héritier, M. Koch, profes-
et toutes les pièces documentaires qui peuvent seur d'allemand et auteur de manuels répandus,
le concerner portraits, dessins, gravures, devint possesseur de tous ces souvenirs. Il les
tabléaux, illustrations multiples, bronzes, mar- a cédés récemment à M. Paul Meurice pour le
bres, etc. Ces divers souvenirs formeront le fond musée qui nous occupe, en même temps que de
du musée Victor Hugo, ainsi que plusieurs boi- nombreux dessins du maître.
series et meubles fabriqués par l'auteur des Les locaux du musée Victor Hugo seront four-
Misérables, carHugo, à sesmoments perdus, était nis par le Conseil municipal. Ils sont situés place
ébéniste, tapissier, décorateur, sculpteur sur des Vosges et c'est uri ancien logis du poète,
bois, encadreur, bref travaillait dans l'ameuble- é.trange coïncidence, qui, utilisé déjà pour une
ment et était, paraît-il, très habile dans la partie.
école primaire, va servir à cette création. Celle-
Un illustre personnage qui lui rendit un jour ci constituera de la sorte un nouveau musée
visite, et qui était fort ému à la pensée d'adres-officiel de la Ville de Paris.
ser la parole à un si grand poète, le trouva L'idée de consacrer un musée à l'auteur
occupé à poser un tapis. Armé d'un marteau, d'Hernani n'est pas absolument nouvelle. Elle a
Hugo, à genoux sur le plancher, enfonçait dés eu un précurseur actif. Il y a nne quinzaine
clous,' prenait des mesures, et suait à grosses d'années environ, un jeune homme, nommé Paul
gouttes. D'autres fois, il maniait le rabot et Beuve, simple employé de commerce, se prit
ajustait des planches. La main qui venait d'ècrired'une belle passion pour la mémoire de Victor
Un chapitre des ll~isérables, ou une page des Hugo et se mit à collectioner tout ce qui, de
Chdtiments, ne dédaignait pas de pousser là var- près ou de loin, se rapportait au grand homme.
lope et de confectionner une armoire. Comme il n'était pas riche et n'avait pas de
Il était très fier de son talent d'ébéniste, ain:i,
crédit ouvert à la Banque de France ni chez-
d'ailleurs que de son habileté à dessiner. Jus- M. de Rothschild, Paul Beuve commença par ce
qu'à la fin de sa vie, il aima de la sorte se rap-qu'on peut appeler le bibelot populaire, le bibe-
procher du peuple par certains actes. Une de ses lot à un sou, à deux sous, à cinq sous. Il acquit
distractions favorites à Paris, on le sait, était de
ainsi des souvenirs précieux pour des sommes
grimper sur l'impériale des omnibus, d'y faire minimes, souvenirs disparus aujourd'hui de la
un long trajet, et là, inconnu, en veston et en circulation, et qu'on ne pourrait plus se procu-'
chapeau mou, de causer avec les ouvriers, de rer, même à prix d'or.
leur parler de la dureté des temps; de l'égoïsme « Tout ce que l'imagerie, dit M. André Maurel,
des gouvernements, de la cherté des loyers et la « vaissellerie », laverrerie, la poterie, la dinan-
des denrées. Les interlocuteurs étaient loin de derie, la fonderie, la bimbeloterie ont inventé
se douter de la personnalité' véritable de ce de laid, de bizarre, mais de si émouvant assiet-
brave homme qui s'exprimait comme un plé- tes, bouteilles, pipes, têtes de pipes, épingles
béien ils le prenaientpour quelquevieuxcontre- de cravate, boutons de manchettes, trcnnpettes
maître chargé de famille, et Victor Hugo ren- en zinc, romances pour coin de rue, parodies
trait ravi. pour cafés borgnes, images àdeux sous le mille,
Je me souviens de l'époque heureuse, où, couteaux à trente-deux lames, les plus intimes
dans ma toute jeunesse, j'avais l'honneur d'être et imprévus ustensiles, tout cela à l'effigie du
accueilli chez le grand homme et de m'asseoir maître, M. Beuve le réunit dans son petit appar-
à sa table. Je l'entends encore nous raconter ses nient. »
courses d'omnibus de Batignolles-Clichy-Odéon, Avec le temps il visa plus haut, enrichit sa
ou de Panthéon-Courcelles, ses conversations collection de pièces de valeur, bustes en bronze,
médaillons des maîtres,gravures_deluxe, et autres vivants en cage, et contre la muraille une échelle.
objets en grand nombre portant la marque de A l'aide de celle-ci on accédait à un toit presque
l'art. Toutes les économies de l'excellent Beuve horizontal qui abritait les lapins. Beuve examine,
y passaient. Que dis-je? Il se privait du néces- réfléchit un instant, et poussé par une force
saire, et quelquefois se passait de déjeuner pour mystérieuse, il grimpe à l'échelle, parcourt des
acheter des Hugo en plâtre, en bois, en terre yeux ce toit misérable, et tout à coup. il pâlit.
cuite, en bronze, des 'Hugo sans la barbe, des Il vient d'apercevoir une tablelte en marbre, et
Hugo avec la barbe, etc., etc., E'tc. sculpté dans le bloc un médaillon de Victor Hugo.
Son modeste logis, situé sur les hauteurs de Il tressaille, mais se tait; ce médaillon, il le con-
Belleville, devint assez rapidement un véritable naît il sait le nom de l'artiste qui a tenu le ci-
musée en l'honneur du po"ète, bien avant qu'on seau, c'est une œuvre superbe.
agitât la question d'un musée officiel. En quel- Et pas une cassure, pas une éraflure à la pièce 1
ques années, il avait, dans son zèle, réuni plu- Sous une couche d'inénarrable saleté, elle est
sieurs milliers de pièces, y compris les gravures intacte et miraculeusement conservée. Elle pré-
et illustrations. servait les lapins de la pluie!
« Tout lui était bon, écrit Adolphe Brisson,
le Quelle divinité tutélaire avait conduit Beuve
bois, le fer, le papier, le pain d'épice. Il recueil- en cet abject taudis, dans cette cour, sur ce toit?
lait avec la même avidité la vieille planche de Cette pièce d'art, je l'ai vue et admirée. Elle vaut
caricatures, la botte de conserve, le calicot im- cinq cents francs, au bas mot. Beuve l'a eue pour
primé. Ces débris lui devenaient précieux, à con- quarante sous et un litre à douze, « une tournée ».
dition qu'iis eussent un caractère hugotique. »
Il 'Vivait heirireux avec sa passion, ne songeant
qu'à augmenter sa collection et à dénicher des Le grand poète a été propice à ce fervent de sa
documents nouveaux. Le dimanche, il faisait les mémoire un rayon de sa gloire est tombé sur
h(')nneurs de son musée à quelques camarades Beuve. Petit à petit la fameuse collection fit du
qui s'extasiaient, l'encourageaient, et lui indi- bruit dans le monde, les hommes de lettres allè-
quaient au besoin des trouvailles. rent voir ce disciple d'Hugo à sa manière et s'in-
En 1895, un lettré de mes amis me parla de téressèrent à lui; Jean Richepin, notamment, le
Paul Beuve, me raconta son engouement, ses prit en amitié et l'arracha au commerce et à la
privations, et me fit l'historique de son musée. confection. Fatalement, il devait entrer en rela-
J'eus aussitôt le désir de faire sa connaissance. tions avec M. Paul Meurice qui, lui aussi, le prit
C'est seulement il y a un an que les circons- sous sa protection et consentit, bonheur suprême
tances me le firent rencontrer. Ma sympathie pour Beuve, à être le parrain de sa petite fille.
préalable ne fit qu'augmenter quand je connus Un jour un Américain, cousu d'or, eut vent de
cet excellent homme. M. Paul Beuve est un mo- la collection et alla la visit~r. Il en offrit trente
deste. 'Il me narra son existence, et me fi t visiter mille francs. Beuve n'a jamais été un homme
sa collection Hugo. Je fus charmé, et mon attente d'argent. Bien que l'offre fût tentante et vînt à
fut dépassée. propos, très à propos même, la pensée de voir
Il connait à fond le métier de collectionneur, ses Hugo s'en aller hors de France lui serra le
dont le premier principe consiste à découvrir coeur, il refusa.
des objets de valeur, des pièces rares qu'on paie Cette collection tant aimée, formée au prix de
un prix dérisoire. tant de privations, de tant de peines et de fatigues,
Je remplirais tout un numéro de cette Revue, Beuve en a fait don récemment au musée Victor
si j'entreprenais de raconter les aventures de Hugo de la Ville de Paris. Elle va rejoindre ainsi
Beuve parti en chasse pour trouver des Hugo. les souvenirs que M. Paul Meurice et d'autres
Ah il né renâcle pas devant la besogne et ne re- fidèles d'Hugo ont offerts de même à la Vill~ de
doute guère la fatigue! Paris.
Un souvenir entre mille. Un dimanche,habillé HIPPOLYTE BUFFENOIR.
L~AUTOGRAPH:E
NOUVELLE
À Ni. 181. Bt hsoN (Gaëtan), Fi00. GACHONS (J. DESI, 581. 2-)1, 263, 330, 398, 528,
ALnvtc ¡Mathilde!, 36, ~226, C.\UA"'ÈS 1 Dr), 353, 68;i. GaLTIEis (Joseph), 63, 94, 99 ~7·2, 622, 616, 6-j îlt.
310, 416, 502, 546. CADIETTES (Pierre), 14, 198, 127, 160, 191, 223, 2?Ei, 266 ~I.\RTIlOLD (J. DE), 268.
ALLORGE (Henri), 234, 462. 2'>2,215, 388, 4t}; tJ,9, -~38. 296, 319, 327, 3f9, 3:j4,383 MAVP.\SS.\l'iT (Guy DE~, 147.
AUIÉIIAS ( Henri 'D'), 6, 73, C.\NTIl'ŒLLI 1 Richard), 338. 411, 430~ 510, J2J, Jf2, 5JS MA YEN(Marius!, 7i1.
20:i, 593, 61::>. CAIIDA:SE (Jules), 20, 306, 402, 6-27, 638, 610, 702. i\L\ZEREAU (Henri), 26, 59, 91
AoIOT !,Fernand), 268. !t50. GANNIERS (Arthur DE),,239. 122, 154, 186, 218, 2;jO,28¡
A~TAR (Michel), 109, 422. CIIASTEAl' (Loui.e), 66. G:1YET (:~1.), 1f3, 428. 315, 3 78, 411, H3, 4-1 539
AUDE lE.), 229. CDIIAlbert),11, 46'1,491,591, GERSPACH, 2, 112, 165, 422 'i î0, 602, 63:i, 666, 699. 73U,
ArDlUERT (Pierre), .314, 401, 629. ;j96, 609, 6:;0, 715. NIÉ[IAT IAlbern, 493.
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691, -j29, 161. 214. L.4RSÉ (Paull, 84, 623. Itol~aov,Henry), 194.
BÛISSlER (Émile~, 91, 290, EUDE (Robert), 574. L.4RUULATE (Édouard l, 513. ROULE (Antoinej, 56:i.
370. F. (Ch.), 103. L.\FENESTRE (Geol'.ges\, 2j5. SARIlADIN (Édouard), 674.
BÛ:NAFFÉ (Édouard), 50, 105, FIEIIENS-GE\'AEIIT, 308. L.~uzaN:~E (Stéphanel. 125. SIENKIEWICZ (Henrybj, 62.
162, 213, 26'361,459,531,
G17, 124, 7[;
FILI(1IL\NF.. 63, 128, 151, 190, LE BRUN i armand 7:j. SIL YESTHE 1 Armand), 172.
223, 2~,j, 286,318,349,383, LtCUYER (Ra5'mondi, ;127. STIlYENSKI (Casimir!, 49, 386.
llOl'UÉLlER (St-Georges nE), 4i 444, 419, 511, 543, 515, LEGR.\XIJ (llarci, 691. 5L'LL1'-PIiL'U~HÜ?I)IE, 1 il, J k1,
12. 605, 639, 671. LEMERCIEII DE NEUYlLLE 'L.), 433, 617, 748.
BouRDON (Georges), [;14. FORMEN2IN (Charles), 162, 32
1, '11G. TAL.utO, 147, 433, 722.
BOUBLIFR (J.), 130. 450, 642, 734. LE\lOSOF (Paul' 58, 90, 186, TIIEUITIET (André), 111.
BRANDE'113URti(A.-J.), 460. FoETeuNr (Pascal), 61'>. 218, 282, 314, 3ffi, 371, 410, TOURISTE (un), 140.
BRANDICOURT (V.), 51, 340, FOUQUET (Ém.), 29, 30, 62, :~f2, i î 4, a06, 538, a70, 63-'I, TRICOCHE ¡G.-N,), 207, 418.
493, 655. 91, 125, 156, 187, 190, 219, 691, 698. VALAIIIIÈGU (Antony'), 46
BItEl3ANT (M.), 350. 221, 252, 286, 311, 3.>S, 368, LIONNET (Jean), 661, 693. VILLE MER (,Jean), 107.
BHILL:1UD DE LAU.rARDIÈRE,138, 412, 4.1,3, n5, 4 76, 603, 606, LOISEAU (Geor~es), 301, 06. X. Me), 126.
237, 298, 437, 560, 110. 668, 701, 733. !\IAIGUE (Louis), 72: Z. 1f9, 212.
Bt'r'rENOrR ~111.), ï5-t. G. 9.,181. 1\1.\NnEL (~Th.1), 10, 43, Ili,
A ma lampe, 47. Argonne (Au cœur de l'), Barry (L1h°^ du) était-elle Cantine (Une) scolaire, 4.«j.
A propos des pierres écrites, 642, 679. blonde ou brune? 685. Capture d'un tigre, 212.
181. Armée (L') suisse, 418. Bas-relief (Lede la Comédie- Cataracte (Laj. i>6.
A propos du 4' Centenaire de Art (L') du bien manger, 49 1. Française, 83. Causerie militaire, 91, 18i,
Benvenuto Cellini, 2. Artillerie (L') agricole, 138. Berroviero (Les) de :lturano, 219, 286, 3>8, >12, 4-AU, 603,
A qui je rève, 711. Artiste (Un grand), 722. JJB. 701.
Abbaye (L') de Valmont, 706. Au Cimetière de Milan, 48. Berthelot (M.), 297. Ce que l'on verra à la fin du
Aérostat (L') dirigeable de Au Pays de la Dentelle, (;47. Betteraves (les) géautes, 710. w° siècle, 43.
von Zeppelin, 12. Au Pays Sakalave, 175. Bibliothèque \La) Méjanes, Ce qui dure, 6~7.
Aïeule (Mon) bloquée, nou- Aubépines r.Les) de grand'- 229. Cellini ¡A propos du '~e cen-
velle, 119. père, 3,13. Bohème En), 158. tenaire de Bem.enuto), 2.
Aiglon (Les stances de 1\ Australie (La colonisation de Bon (Le) vieux, 42. Chances (Deux), nouvelle,
669. l'), 147. Bonaparte a-t-il fait étran- >38.
Aîné (L'), nouvelle, 246. Autographe (L'), nouvelle, gler Pichegru? 363. Chanson de rouet, 268.
Algues (Les) marines, ~1. 757. Bossuet (Le musée), 130. Chanson 1 La) des Coqueli-
Amis (Mes), nouvelle, 469. Automne, 683. Bourgogne (Le Duc de), 386. cots, 393.
Ange (L') à la guitare, !j25. Automobile r,Un nouvel,, de Boutade, 297. Chanson (Lai des Pommier:.
Ange (Un) de Raphaël, pein- guerre, 112. Buste (Le) de Mirabeau, 97. 2i:
ture, 9. Avalanches (Les), 142. Cairé (de Paris au' 143. Chanson(Lai des Yeux, 181.
Anne-lllarie, nouvelle, [j34. Ballon (Le) dirigeable San- Calembour (Le" ~74. Chanson La) du champagne.
Antinoë (Mes dernières dé- tos-Dumont, 450. Calvaire (Le) de la Comédie- 327.
couvertes à), 428. Banquet (Un) de reptiles, 714. Française, 40. Chant militaire franco-russe,
Arbres (Nos vieux), 116. Baptême (Le) du Feu, 2(;3. Calvi \Les internés de), 20. 606.
Chardons (Les), 493 Édouard VII, 125. Journée (La) d'une mon- paysage contemporain en
Chemin de fer (Le) électri- Éducation ménagère, :;88.
Égoûts (Les) de Paris, 14.
daine, 1 janvier 1801, 6. France, 482, 519, ;i:i2.
que du Mont-Blanc, 459. Jubilé (Le) de Ilenryk Sien- Page (Une) oubliée, 514.
Chêne (Le), 691. En aoÚt, 467. kiewicz, 49. Palais (Le 1 Marguerita Re-
Cheval (Le! de fiacre, 310. En préseenc du sous-.marin, Kava (Lel, 371. gina, à Ilome, 112.
Chevaux emportés (pour ar- 103. La Révellière-Lépeaux, 546. Paquebot (Un) géant, 647.
rêter les;, 105. En route, 368. Lacs (Les) de France, 413. Pàquerette, 757.
Chez les Singes, 653, 688. Engraissement 1 L') du bétail, Légende de Sabala, 62. Paradoxe d'tinl bavard sur
Chiens 1 Les) de justice, 237. Légionnaires (\os) au Ton- la guerre, 463.
398. Entrées (Les) des anciens kin, 412. Parole d'honneur, nouvelle,
Clairvaux (La Maison cen- rois et reines à Paris, 273. Lézards séchés, 507. 598.
trale deî, 402. Épi iLe dernierl, 565. Li-llung-Chang ';tes milliards Partie Une), de cartes, 368.
Classes d'aveugles, 290, 332. Épicier-chandelier! Un): Sau- des, 693. Paysage du soir, 706.
Collectionneurs inosn, 301. ce de Varennes, 394. Ligne: (Une) stratégique de Peintre (Un) de la Provence,
Collège (Le) de Normandie, Essais aérostatiques,récents, Nice à Meyrargues, 79. 450.
430. 625. Limace (La) pressée, 206. Pensées,.6, 9, 20, 23, 40, 44,
Colonisation (La) de l'Aus- Éventail (1,'), 374. Lion (Le) d'Androclès, 258. 48, 71, 79,86,130,138,143,
tralie, 147. 1. Excursioni 1.' 1 d'Olympie,3;;4. Liseuse (La belle), 674. 1'i2, 173, 198, 206, 2t3, 229,
Comédie-Franeaise (Le bas- Excursion (Une'l, sur le Lar- Livres (Les), 32, 63, 94, 127, 237, 2f2, 258, 264, 274, 278,
relief de 1a1, 83..
vaire de la,, 0.
zac, 627.
Comédie-Française (Le Cal- Exotiques (Les), 234.
Faguet (Émile: 226.
349, 383. 413,4!
160, 191, 223, 255, 287, 319,
h78, 5i0,
542, 605, 638, 670, 702.
290, 298, 322, 329, 338, 340,
3f! 358, 366, 388, 401, 433,
437, 4:;0, 4"8, 491, ~00, ,;27,
Commandements (Les d'un Faibles (Les 618. Logistes (Les) à Compiègne, "47, 551, 560, "79,584. 588,
Président aux États-Unis, Famille (Unei royale recen- 335. 646, 674,677, 679, 68:J,710,
622. sée, 181. Longévité (La) des animaux, 7*3, 7 i2.
Commémorations à Savo- Fancy, nouvelle, 310. 406. Père (Le) Dartignac, nou-
narole et à Benvenuto Fête ¡ La) des eaux, 723. Lux, 652. velle, 567.
Cellini, 715. Figure de Prince, 380. Maison (La) centrale de Pérouse, 266.
Comment nait et vit une Flâneries dans l'herbe, 262. Cla.irvaux, 402. Petits (Lesi au Petit-Palais,
locomotive, 198, 2 >2, 27.13. Flotte (La) commerciale du Mal de mer (Le\, 541. 322.
Comment on dresseun fauve, monde, 124. Mltlihran (La) à Bruxelles. Petits 1 Les>' cailloux, 8.
10. Fortunes 1 Les grandes) aux 3:j8. Petticoat Lane, 433.
Comment on fabrique les Etats-Unis, 207. Mansourah (Ruines LI'EL 2ti8. Phares Les' 738.
cylindres duphonographe, Fouché (La fortune de 135. Manufactures (Les d'art des Phonographe (Les cylindres
168. Froid (Le) industriel. 560. Médicis, 609, 650. dui, 168.
Comment on fait les statues Fusil ¡Le nouveau') de l'ar- Mars (Les signaux de la pla- Pichegru (Bonaparlc l"a-t-il
de staff, 613. mée allemande. 239. nète), 95. fait étrangler?) 363.
Comment se fabriquent les Garçon d'honneur, nom'elle, Massenet intime, 734. Pichon (Le baron Jérôme) et
pianos, :j79. 278. Maternité. 14. l'hôtel Lauzun, 16G.
Comtesse (La) d'Houdetot. Géographie, 58, 90, 186, 2i'8, Méd('cin (Un) d'oiseaux, 6f6. Pieds (Les petits) des Chi-
460. 282,314,346,377,410, 442, Mère (Lal, nouvelle, 23. noises, 29.
Concorde (La place de la), 474,506, 538, 571. 634, 698. Midi. 437. Pierres (Les écrites, 109.
;;07. George Sand (Les deux de- Milliardaire américain (Le Piste (Une)cyclable aérienne,
Concours(Un) original, 172. meures de), 584. tra.in de maison d'un), 755.
Congres ¡Le) des poètes,370. Grand'tante (La), itl. 11. Plantes (Les) bulbeuses, 655.
Conseils (Petits) aux voya- Grève La~ générale, 660. Milliards (Les) de Li-Ilung Ponts-de-Cé (Les), 36.
geurs en Italie, 140. Guerre La) de Chine, 26, 60, Chang, 693. Porcelaine (Les) de Sèvres,
Conseils Les) de 5i°1. 126. 92, 123, 1:;4, 187, 219, 251, Mirabeau, sculpture, 97. 388.
Constantinople, 99. 283, 316, 379, 411, 443, 475, Mirages (Les'! de la Garonne, Porte (La) Chaussée à Ver-
Coqs (Les), 405. 540, 570. nouvelle, ,H. dun, 578.
Côte à côte, nouvelle, 86. Guerre (La) du Transvaal, blireille, peinture, 161. Porte (Une) de Todi, 327.
Coucou (Le) d'Argonne, 238. 26, 59, 91, 122, 154, 186, inlireille, 162. Portrait ïLei d'Alexandre le
Courrier( petit) timbrologique 218, 250, 283, 315, 378, 411, Modèle (Le parfait), 617. Grand, à Pompéï, 'i89.
63, 127, 190, 223, 25;j, 287, 443, 474, ;;39,570, 602, 635, Monument (Le) du roi Vic Portrait de ~I^~° de Porcin,
318, 349, 383, 414, 41
479, 666, 699, 730. tor-Emmanuel II, 422. par Greuze, peinture, 225.
Guillaume Il et Marie-Stuart, Moteur (Un nouveau) à hé-
511, 543,575, 605, 639, 671. Portrait de Mm. Vigée-Lebrun,
Crépuscule, 430. peinture, 737. lice, 566. par elle-même,peinture, 1.
Cruautés (Les) de lapeine de Habitude (L'), 141. Moteurs aériens, 43; Portrait du fils de Frédéric
mort, 615. IIomme-Autruche (L',i, 263. Moteurs (Les) solaires, 300. Ill, roi de Danemark,
Culte (Le) de l'Eau au pays Hospitalité, 72. Mousses (Les), 340. peinture, 290.
de la soif, 4,;4. Hôtel (L') Lauzun et le Ba- Musée (Le) Bossuet, à Dijon, Portrait d'une princesse Bo-
Dans la Forêt en or, nou- ron Jérôme Pichon, 166. 130. naparte, par Ingres, 193.
velle, 631. Huile de pin ;Utilisation mé- Musée (Le) de l'Opéra, 117. Pour arrêter les chevaux em-
Dans les Fiords, nouvelle, dicale et industrielle de), Musée (Le) Victor Hugo, 75t. portés, 10 i.
149, 182, 214. 498. Musique 30, 158, 350, 445. Procédé (Un, nouveau pour
De Paris au Caire, 143. Hygiène des liseurs, 591. Mytilène, 691. la conservation des beur-
Découvertes (Mes) à Antinoë, Ichanes (Les) du Turkestan, Napoléon et M. Vollant, res, 298.
428. 84. fournisseur des armées, Profondeur (La) et tempéra-
Demont-Breton (Chez llim°), Ils s'en von! musique, 30. 7' ture des mers, 342.
488. Industrie IL') navale en Alle- Neige et sang, 105. Progrès ¡Le des transports
Dépôt (Le) des marbres, 169. magne, 413. Nid ILe), peinture, 641. depuis le xvII' siècle, 86.
Diligence (La) de Charnonis, Ingres. 194. Nid Le), ti42. Prophéties américaines, 43.
555. Insectes bibliophages, 629. Nourrice (La), peinture, 33. Quinzaine (La), 25, 57, 89,
Dolorosa, peinture, 129. Instruments de musique Nuit de Neige, 147.i. 121, 153, 185, 217, 239, 281,
Dressage, Le) des chevaux exotiques, ii2, 743. Qasis (Les) sahariennes, 422. 313, 3t5, 317, 409, Hl,
pour l'armée, 330. Intérieur hollandais, 752. Odeur (L') de la terre, 245. 473, 50,'i, 537, 569, 601,633,
Droüet, l'homme de Varen- Internés ¡Les) de Calvi, 20. Odorat (L') chez les femmes, 665, fi97, 729, 761.
nes, 3f. Iona, la Mecque anglaise, 501. Ranavalo en exil, 523.
Duc Lei de Bourgognel, 386. 614. Oiseaux (Les 3,jO. Ramn'alouna, 399.
Duel IUn) au ritle, nouvelle, Ivoire iL'J et. les ivoiriers Ulympie (L'Excursion d'), Raphaël Un ange de 9.
661,693. dieppois, 484, 529, ~61. 3~)4 Recenaement ,Le) aux États-
Dunkerctue fAl, 604. Jeannette (La), 321. Opéra (Le musée de 1'),111. Unis, ~21.
Échevinage (L') de la Ro- Jeudi (Le) de Bonne-Maman, Ordre (L') des avocats. [j!H. Recensements (Les) de Paris,
chelle, 749. nouvelle, 502. Origines et formation du 20.p.
Recettes et Conseils, 32, 64, Sèvres (Les porcelaines de), Théâtre, 27, 61, 92, 123, 154. Turkestan (Les Ichanes du),
96, 128, 160, 192, 224, 256, 388. 188, 220, 251, 284, 316, 341, 84.
288, 320, 352, 384, 416, 44S, Sifflet (Un) curieux, 149. 379, 443, 476, 540, 602, 636, Types populaires de la Rus-
480, 512, 544, 576, 608, 640, Simple chanson, 172. 667, 699, 732. sie, 73.
672, 704, 735. Soir (Le), 493. Timbrologique (Courrier), 63, Tsar (Le) à Compiègne, 533.
Record (Un) maritime, 572. Sourire 1 Le\, 725. 157. Verdi (Giuseppe), 125.
Record (Le) du tour de la Sous-marin(Enprésence dul, Tombe (La) entr'ouverte, Victimes Deux) de l'étiquette
terre, 401. 103. 329. lllarie-Louise, blarie-Antoi-
Reliure (Sur la), 467, 497. Squelette ILei de l'Exposi- Toreras (Les) barcelonaises, nette, 16.
Reliures singulières, 71. tion, 306. 213. Victoria (La reine), 107.
Ressemblance, 433. Statue (La de Hoche, 526. Tour (Le) de la Terre, 401. Vie i La) dramatique, 21, 61,
Retourtour (Le château de), Statue (La) de Victor-Emma- Train (Le) de maison d'un 92, 123, 154, 188, 220. 251,
500. nuel Il. à Rome, 596. milliardaireaméricain,114. ~2", 316, 341, 379, 510, 602,
Rèverie, 417. Sud (Le) tunisien, 616. Train (Le 1 sibérien, 162. 636, 661, 699, 732.
Roman (Le) d'une île, 66. Suisse (L'arméen, 418. Trains (Les) de luxe en Amé- ~'ie (La.' musicale, 29, 62, 94,
Romance, 214. Sur un portrait d'Edmond rique, 46. 125,156,190,221,2;;2,316,
Rondeau de printemps, 234. Rostand, 331. Transit et navigation du ca- 443, 4i6, 668, 701, 733.
Rondel triste, 462. Sur une esquisse de Robert nal de Suez en 1900, 638. Village (Le), 596.
Roue (Une) de pleine eau Schumann, 460. Transmission(La des images Village (Le) chantant, 528.
pour l'irrigation des prai- Surveillance (La) des sour- par le télégraphe. fi96. Villégiature d'artistes, 488.
ries, 437. ces, 81. Transporteur aérien auto- ~'isite (Une) à l'Institut Pas-
Ru i nes ( Les) d'El-llfansourah, Synthèse (La) de la parole, moteur, 681. teur de Tananarive, 592.
268. 531. Traversée (La. de la mer en Vitraux (Les) de Triel, 259.
Sa Fille, nouvelle, 314, 407. Tableaux (Prix des) anciens ballon, 294. "oies Les) ferrées du monde
Saintes-1\1aries (Les) de la en Italie, 165. Traversée (La! du Niagara, entier, '631,
mer, 338.
Sakalave (Au pays), 174.
Santos-Dumont (Le ballon
dirigeable), 450.
Sauce, de Varennes, 394.
Tapisserie (Unei, 465.
Compiègne sous le second
Empire, 556.
367.
[;0.
Théâtre (Le) à la Cour de Trésor 'Le.; noir d'Albion,
Tricolore (Lei. 401>.
Théâtre (Le) de Guillaume Tunis la Blanche, 514.
·
Westminster (La Chapelle du
Pyx à), 501.
Yachts (Les) royaux, 264.
Zeppelin (L'aérostat dirigea-
ble de von), 12.
Saules (Les vieux), 525. Tell à Altdorf, 618. Turkestan (Au), 623.
ARCHÉOLOGIE géographique, 58, 90, 186, 218, 282, 314, 346, 377, 410, 442,
414, 506, .538, 511, 634, 698. Constantinople (La rue), 99.
Antinoë (Mes dernières découvertes à: 428. Chapelle Excursion (Li d'Olympie, 35.. Excursion Une) sur
(La) du Pyx, à Westminster, 501. Château (Le) de Re- le Larzac, 621. Ichanes i}-eS! dn Turkestan, 84. Iona,
tourtour, 500. Hôtel (L') Lauzun et le baron Pichon, la Mecque anglaise, 674. Lacs (Les) de France, 413.
166. Porte chaussée (La) à Verdun, 578. Porte (Une) Mytilène, 691. Oasis (Les) sahariennes, 42i. Pays
de Todi, 327. Portrait ILe') d'Alexandre-le-Grand, à Pom- (_1ui sakalave, 174. Sud (Le) tunisien, 616. Tunis la
péï, ~89. Ruines (Les) d'E1-Dtansourah, 268. Blanche, 514. Turkestan (Au:, les paysans russes; leur,;
rapports avec les Sartes et les Kirghizes, 623.
ARCHITECTURE
Monument (Le) du roi Victor-Emmanuel JI, 422. Pa- HISTOIRE
lais (Le) Regina 111arguerita, à Rome, 112. Barry (NI-, du étaitelle blonde ou brune?, 685. Bona-
ARMÉES, MARINES parte a-t-il fait étrangler Pichegru'! 363. Droüet, l'homme
de Varennes, 34. -Duc (Le) de Bourgogne (9751-1761),
Armée (L') suisse, 419. Automobile Un nouvel) de 386. Édouard VII, 125. Fouché (Comment s'enrichit)
guerre, 112. Causerie militaire, 91, 187, 219, 286, 348, 135. Guerre de Chine, 26, 60, 92, 123,154, 181,219,251,
412, 475, 603, 701. En présence du sous-marin, 103. 283, 316, 319, 411, 41,3, 415, 540, 510. Guerre du Trans-
Fusil (Le nouveau) de l'armée allemande, 239. Ligne vaal, 26', 59, 91, 122, 154, 186, 218, ?:i0, 283, 315, 378, 411,
(une) stratégique de :ice à Meyrargues, 79. 4>3, 41'4, 539, 510, 602, 635, 666, 699, 730. Napoléon et
M. Vollant, fournisseur des armées, 75. Ranavalo en
COSTUMES, MEUBLES, OBJETS DIVERS exil, 523. Sauce, l'épicier-chandelier de Varennes, 394.
Comment on fait les statues en staff, 613. Ivoire (L ) LITTÉRATURE, CRITIQUE, MUSIQUE, POÉSIE,
et les ivoiriers dieppois, 484, 529, 561. Pianos ( Comment
fabriquent les), 579. Porcelaines (Les) de Sèvres, 388. MORALE, ÉDUCATION
se
Reliure (Sur la), 467, 497. Statue (La) de Hoche, 526. Littéuature. Critiyue. A propos du quatrième cente-
Statue (La) du roi Victor-Emmanuel Il, à Rome, 596. naire de Benvenuto Cellini, 2. Ange (L'), à la guitare,
Tapisserie (Une), 465. 525. Ange IUn', de Raphaël, 9. Art (L'j du bien
manger, .91. Artiste ;Un grand), 7~22. Baffier (Jean),
DROIT
321. Bas-relief (Le) de la Comédie-Française, 83.
Conseils de M' X. 126. Berthelot ¡M.), 297.' Bibliographie, 32, 63, 94, 127, 160,
191, 223, 2:5, 287, 319, 349, 383, H4, 4H, fi8, 510, 542,
ÉCONOMIE, INDUSTRIE ET CO\I)11ERCE, STATISTIQUE Calvaire (Le) de la Comédie-
605, 6~S, 670, 702, 735.
Comment nait et vit une locomotive, 198, 242, 275. Française, 40. Chant militaire franco-russe, 606. Col-
Flotte (La) commerciale du monde, 724. lectionneurs (Nos), 301. Collège yLei de Normandie, 430
Froid (Le) in- Commémorations à Savonarole et à Benvenuto Cellini
dustriel appliqué à la conservation des denrées agricoles,
560. Industrie (L') navale en Allemagne, 413. 715. Comtesse (Lai d'Houdetot, 460. Congrès (Le-
(Les) Comment on les construit, 738.
Phares
Transit et navi- des poètes, 370. Deux ¡Les) demeures de George Sand,
584. Dolorosa, 129. Éducation ménagère, 588.
gation du canal de Suez, 638. Trésor (Le) noir d'Al-
bion, 367. Voies (Les) ferrées du monde entier, 637. Exotiques (Les), 23.; Faguet (Emile), 226. Fortunes
¡Les grandes) aux États-Unis, 201. Hoche i,La statue
GÉOGRAPHIE, VOT:1GES de), 526. Hygiène des liseurs, 591. Ingres, 194.
Ivoire tL') et les ivoiriers dieppois, 484, 529, 561. -La Re-
A travers le Sud-Oranais, 109. Au cœur de l'Argonne, vellière-Lépeaux, ;;46. Liseuse (La belle), 674. Mali-
612, 679. Australie (Colonisation de l'), 147. Causerie bran ¡La} à Bruxelles, 358. Manufactures(Les) d'art des
l\lédicis, 609, 650. Massenet intime, 1:H. Mirabeau, Chemin de fer (Lei électrique du ~Nlont-13lanc, -if~9.
97. Mireille, 162. Musée ¡Le) Bossuet, Dijon, 130. Chez les singes, fi53, 688. Chiens (Les) de justice, 398.
Musée (Lei de l'Opéra, 111. -Musée .Lei, i, ~'ictor Hugo, Chinoises (Les petits pieds des" 29. Classes d'aveu-
754. Musique, 30, 158, 3:'0, lii. Nid i Lei, 642. Ori- gles, 290, 332. Commandements (Les; d'un président
gines (Les, et la formation du paysage contemporain en aux Etats-l:nis. 622. Comment on dresse un fauve, 10.
France, 482, ¡il9, :,52. Partie i Une, de cartes, 368. Concours iUni original, ti2. Conseils (Petits) aux
Peintre (Lni de la Pro~-eme, 450. Pensées, fi, 9. 20, 23, voyageurs en Italie, 110. Cruautés (Les) de la peine de
40, 41, 48, il, 1, î9, 86, 130, 138, 143, 1:J2, 11:J, 198, 206. mort.. 615. Culte Le de l'eau au pays de la soif, 454.
213, 229, 231. 21?. 2;iS. 261, 21 2-18, 290, 298, 322. 339. D¿pùt (Le~ des marbres, 169. Dressage (Le) des
chevaux sauvages pour l'armée, 331. Échevinage jL'1
338, 340, 3=ti, :J:;8, 366. 388, -SO1, 433, 431, 450. 458, 49-
de la Rochelle, 1 ~9. ¡::gO\US Les de Paris, 14. Entrées
500, :;21, :j47, L~:il, :i60, :;19, :'84, ~88, 646, 674, 617. 619,
68: 710, 743, 752. Portrait ',Un! de Greuze. 221,. ¡ Les') des rois et des reines à, Paris, -2 j3. Famille (Une)
Portrait du fils de Frédéric III, roi de Danemarb. 290. royale recensée. 181. Homme Autruche 263.
Quinzaine Lai. 25, :i1, 8:). 121, 133,18:211.249,281, Huile de pin iUtilisation de l'i, 498. Instruments (Les)
;n, :;69,601,633,6(;5,691,
313.34:377, >09, 4 il, i 13, fiOLi. de musique exotiques, 112, i ~:J. Internés (Les) de -Calvi,
janvier
729,761. Sienkiewicz Le Jubilé de' 49. Stances \Lesl 20. Journée ',La, d'une mondaine 18(1), 6.
de l'Airllon, 669. Théiltre, 21. 61, 92, 123, 188, 2?O, Liizai-ds séchés, `i07. Logistes iLesi à Compiègne,
251, 251, 3lfi, 3!~î, 3î9, 'kh3, 416, 667, 699, î32.
.f0, 602, 636, 335. Longévité l,La) des animaux, 406. Maison (La)
Théàtre (Lei ~t la Cour de Compiègne sous le second centrale de Clairvaux, 401. Médecin lUn'i d'oiseaux, 6~6.
Empire, 556. Théâtre Le~ de Guillaume Tell à Altdorf, Milliards lLes) de Li, 693. Nlodèle :le pa l'fait l, Gil.
618. Verdi !Giuseppe' 125. Vie ,La, dramatique, 21, Musée Victor Ilugo,
1 Lei Napoléon et :\1. Vol-
61, 92, 123, 1:;>, 188, 2?0, 2.'ïl, 28>, 316, 3\1, 379, 5>0, 60--3, lant, fournisseur des armées, l:j. Odeur i L') de la terre,
fi36, 667, 699, 7:J2. Vie il.,i, musicale, 29, 62, 9t. 12:" 245. Odorat ¡ L') chez les femmes, 507. Ordre iL')
1.:j6, 190, 221, 2~2, 316. 41.3, 4.l>, 608, 701,133. \ïllégia- des avocats, 594. Paquebot ¡Un) géant, 647. Petti-
ture d'artiste iChez nI°·9 Demont-Bretonl, 488. ~'itram coat Lane, 433. Pierres ¡Les') écrites, 109, 181. Piste
(Les) de Triel, 259. (Une, cyclable aérienne, 15:5. Porcelaines (Les) de Sè-
Poésie. A ma lampe, 41. A qui je rêve, 711. Au- vres, 388. Prix (Lei des tableaux anciens en Italie, 165.
tomne, 583. Bon Lei vieux, \2. Boutade, 297. Ce Profondeur (La) et la température des mers, 3~2.
qui dure, 6~7. Chanson de rouet, 268. Chanson (Lal Progrès ',Les) des transports depuis le XVII" siècle, 86.
des coquelicots, 393. Chanson Lai des pommiers, Prophéties américaines, 43. Hecensement (Le'1 aux
2.5. Chanson La des yeux, 181. Chanson lLai du États-Unis, 221. Hecensements (Lesi de Paris, 205.
champagne, 327. i
Chêne Le 691. Cheval (Le de Record (Le) du tour de la terre, 401. Recoed (Un)
fiacre, 310. Coqs ILes" Coucou ~Le'i d'Argonne, maritime, 512. Reine (La) ~'ictoria, 101. Reliures
238. Crépuscule, 430. Dernier 1 Le Épi, 565. Dili- singulières. 71. Roman (Les d'une ile, 66. Roue
gence 1 La) de Chamonix, En août. 467. En route, (Une) de pleine eau pour l'irrigation des prairies, 437.
368. Éventail ',L'" 3il. Faibles Les 618. Fête (La) Sifflet (Un) curieux, H9. Temps (Le) que perd un
des eaux, 12:J. Flrzueries dans l'herbe, 262. Grand'- homme dans sa vie, I î 8. Toreras Les 1 barcelo-
tante i La 111. Grève La générale, 661. Habitude naises, 213. Train Le de maison d'un milliardaire
(L'l, 141. Hospitalité, 72. Limace (Lai pressée. 206.
Neige et
américain, 114. Train ¡Lei sibérien, 162. Trains ;Les)
de luxe en Amérique, 46. Traversée (La) du Niagara, 51.
Lux! 652. Maternité, 14. ~Iidi, 437.
sang, 105. Nuit de neige, 147. Pimluerette, 151. Tsar (Le` à Compiègne, 533. Turkestan ¡Au), 623.
Petits (Les) cailloux 8. Ressemblance, 433. Rêverie, TypE,s populaires de la Russie, 73. Victimes (Deuxi de
417. Romance, 214. Rondeau de printemps, 231. l'étiquette iNlai-ie-Louise et :\Iarie-Antoinette, 76. Vil-
Rondel triste, -1t33. Saules ~;Les vieux', Simple lage (Le) chantant, ~28. ~'isite Une) à lïnstitut Pasteur
chanson, Ii2. Soir 1 Le 493. Sourire ¡ Le'l, 725. de Tananarive, 592. Yachts ¡Les royaux, 264.
Stances Les) de l'.4iglou, 669. Sur un portrait d'Edmond
Rostand, 331. Sur une esquisse de Robert Schumann, PEINTURE, SCULPTURE, ARCHITECTURE, ARTS
460. Tricolore La', 4011. \ïllage (Lej, 596. DIVERS, ILLUSTRATIONS, GR_1~'URES
Récits, Inapressions, \'our,~elles. A Dunkerque, 604.
Abbaye L' de ~'almont, 706. Aïeule 1 Mon) bloquée, Peinture. Ange ¡Un) de Haphaël, gravure de 1\1. Cros-
119. Ainé 1 L' 2>6. Anne-Marie, 534. Aubé- bie, 9.
pines 1 Les, de grand-père, 343. Au ceeur de l'Argonne, Bi~~he(La) au bois, musée du Louvre, par Gustave
613, 6i9. Autographe ~L'), 1:;7. Baptême (Le) du feu, Courbet, gravure de M. Crosbie, 481. Bords de l'Oise, par
255. Cataracte 1 La j4li. Chez les singes, 6ti3, 688. Th..Rousseau (collection Lutzi, gravure de 1\1. Guérelle, 304.
Berroviero Les de Murano, %8. Cùte-â-côte, 86. Dolorosa, gravure de NI. Crosbie, 129. Duc (,Le,; de Bour-
Dans la forêt en or, 631. Dans les fiords, 150, 182, gogne, par Nattier, musée de Versailles, gravure de NI. Fro-
211. Deux chances, 438. Duel ¡Un', au ritle, 661, 693. ment, 385.
Excuffiion ,L') d'Olympie, 354. Excursion lUne) FÈvre (Pierren, tapissier parisien, d'après Sustermans,
sur le Larzac, 621. Fancy. 310. Figure de prince, gt'a\"Ure de 1\1. Marie Pugh, 609.
380. Fille ¡Sal, 37>, 401. Gar.:on d'honneur,.278. Guillaume Il et Dlarie-~fuart, par Van Dyck; gravure
Intérieur hollandais, 132. lona, la lllecdue anglaise, de NI. Guérelle, 737.
Intérieur hollandais, par Jules Benoit-Lé\'y, gravure de
67~. Jeudi ¡Le) de Bonne-Maman, 502. Kava (Lel,
371. Légende de Sabala, 62. Légionnaires (Nos) au M. JolTroy, 1,j:).
Tonkin, 412. Lion Le) d'Androclès, 258. -Maître (Le) La Révellière-Lépeaux, musée d'Angers, par Gérard,
du Moulin-Blanc., 476. ~Ière ~,La' 23. Mes Amis, 469. gravure de NI. Crosbie, :i15. Liseuse ila Belle), musée
Milliards Les) de Li, 693. Mirages (Les) de la Ga- d'Amsterdam, par J.-E. Liotard, gravure de 1\1. Crosbie,
ronne, 54. Oasis iLesi sahariennes, 42t. Page (Une) 673.
oubliée, :;13. Paradoxe d'un bavard sur la guerre, 463. ilénippe, musée de l\Iadrid. par Vélasquez, gravure de
Paris i De au Caire, l~3. Parole d'honneur, 598. l\1. Jarraud, 65. Mireille, musée du Luxembourg, par A.
Paysage du soir, 106. Père ILei Dartignac, 567. Pé- Cot, gravure de 1\1. Bazin, 161.
rouse, 266. Petits i Les'i au Petit-Palais, 322. Place Nourrice (La!, galerie royale de Berlin, tableau de
(La) de la Concorde, 507. Ponts-de-Cé ¡Lesl, 36. :\1. Franz Hals, gravure de M. Guérelle 33.
Ranavalo en exil, t~23. Ranavalouna, 399. Saintes- Partie (Une) de cartes, salon de 1901, tableau de 1\1. n.
Maries ¡Les! de la mer, 338. Sourire (Le'l, 12". Lefranc, gravure de Guérelle, 369. Paysage, musée du
Squelette, Le, de l'Exposition, 306. Tombe (La) entr'- Luxembourg, d'après Claude Monet, gravure de Jarraud,
ouverte, 329. Tunis-la-Blanche, 512. 553. Paysage, musée du Luxembourg, d'après J. C.
Cazin, gravure de NI. Guérelle, 521. Paysage, par Ever-
1IOEUIL9, COLTUJ\IES, CROYANCES, CURIOSITÉS dingen (Pinacothèque de :\Iunich), gravure de Puyplat,
705. Portrait de NI-, Vigée-Lebru n, galerie des Offices à
Arbres (Nos vieux), 116. Artillerie agricole, 138. Florence,gravure de ill. Crosbie, 1. Portrait de !\lm. de Por-
Au cimetière de Milan, 48. Au paysi Unpde lade dentelle,
reptiles,
5n.
7l4.
cin, musée d'Angers, par Greuze, gravure de Jarraud, 22~.
Portrait du fils de Frédéric III roi de Danemark, par
Avalanches ¡Les\ H2. Banquet
Bibliothèque iLai :\Iéjanes, 229. Calembour (Le 514. Sustermans, gravures de Gilardi. 289. Premier sourire,
Cantine ,Une) scolaire, H. Capture d'un tigre, 212. par E. Renard gravure de Jarraud, 513.
Retour Le) du Père, par Alphonse Moutte, gravure de tour à bandages, 203; l'atelier de montage, 20, la loco-
Puyplat, H9. Rêverie, par Jef Leempoels. gravure de motive, 2~3; locomotive prenant son charbon au pare -,t
Gilardi, 4l7. combustible, 2~5; au dépùt, lenettoynge à l'arrivée, 217;
Sculplure. Jeannette (Lai, musée Galliera, par Jean l'abri d'une C 61, rapide de nuit, 277. Comment on
Baffier, gravure de M. Crosbie, 321. dresse un fauve, 1 ravùre, Il. Comment on fait les
Lion ïLel d'Androlès, par Gérôme, gravure de ~l. Crosbie, statues en staff, 1 gravure mise en place des bandes mé-
257. talliques, 614. -Comment se fabriquent les pianos, 3 gra-
Mirabeau Buste de), par J. liot-idon, gravure de :\1. Jar- vures montage de la caisse, 580; préparation du clavier,
raud, 97. li8l: montage du mécanisme, [;83. Comtesse, La)
Nid (Le~, bas-relief par Émile Derré, gravure de 11I. Jar- d'Houdetot. 2 gravures la comte-,se jeune, 46 t la com-
raud, 641. tesse à 80 ans, 462. Constantinople, 1 gravure un quai,
Tête de l'Hermès de Praxitèle, musée d'Oly-mpie ,ravure :i71. Constantinople (La Rue', 3 gravures: un attelage
de :\1. Crosbie, 3~3 de buffles, 100 un café turc, 101; mosquée d'Ahmed, 103.
Arcfaiteclure: Porte La) Chaussée, à Verùun, gravure Culte ,Lei de l'eau au pays de la soif. 6 gravures
de Puyplat, .i7î. jeune fille turque revenant de la fontaine, 4:J~; un puits
.·tr~fs divers. Portrait d'une princesse Bonaparte, par dans le désert des Somalis; le transportde l'eau à Djibouti,
Ingres, gra\'ure de :1I. Crosbie, 193. ~55; le transport de l'eau à Hanoï, '>36, en Turquie le
Illust~·alious, Grat~uues. A propos du 4' centenaire de marchand d'eau, -t57 la fontaine du Saut de l'Eau à
Benvenuto Cellini, 2 gravures Mercure, 3 le buste duduc Mexicp, 458.
Cosimo 1",5. Abbaye ~,L", de Valmont, 2 gravures le DeParis au Caire, 2 gravures le'perron de l'Hôtel Con-
chàteau de Valmont, 701; l'abbaye de Valmont, 109. tinental, lU; la mosquée du sultan Hassan, 143. Dépôt
AleKandre-le-Gi.wd(portrait d'.I à Pompéï, gravures: buste (Le) des n1Drbres, 2 gravures un coin du dépôt des
d'Alevandre, :;89; statue de bronze (l'Alexandre-le-Graiid, marbres, i î0, un autre coin du dépôt. 1,1. Droüet,
;;90.mis JIe~ ,4 gravures. -Ange(Un)deRaphaël 9. l'homme de ~'arennes, 2 gravi-ires Dro(iet en sous-préfet
Ange iL') à la guitare, 526. Aérostat (L',I dirigeable de de l'Empire, 3fi; grotte taillé dans le roc où s'est caché
von Zeppelin, 1 gravure, 13. Algues Les) marines, 7 gra- Drouet, 36, Duc !Le de Bourgogne, 38:
vures polysiphoniain~idiosa, 51 lamentaria, sargD,stum Échevinage ¡L') de la ltochelle, 3 gravures les armes
vulgare, ulva lingua, :i2; queue de paon, enteremorpha de la Rochelle et ses tours. 149: nôtel-de-ville de la Ro-
arecta, floramium cœcineum, 53. Arbres (Nos vieux), chelle galerie conduisant à l'ancienne salle de la milice,
3 gra~-ures un chêne de la Gorge-aW -Loups, 116, le Char- 750; table et fauteuil de Jean Guiton, î5l.
lentanne, 117 le Jupiter, 118. Argonne (Au cœur de l'), Égouts iLes'i de Paris, 7 gravures croquis dans un
5 gravures Sainte-Ménehould, 643; les monuments de égout, lt; égout de rue, collecteur du centre, 1~; collec-
Kellermann à Valmy, 644; hutte de charbonnier, 64: teur d"Asnières, 16; collecteur de Sébastopol, 17; charroi
vue générale de Clermont-en-Argonne, 680; tour devant des sables sous la rue Turbigo, 18; outils des égoutiers,
laquelle fut arrêté Louis XVI, 682. Armée (L') Suisse, 19. Épicier-chandelier jUnï Sauce, de Ynrennes, 2 gra-
2 gravures les mitmilleurs il cheval, une pièce en marche, vures portrait de Sauce, 395; la maison de Sauce, 391.
419; une pièce en action, 421. Art (L') du bien manger, Excursion IL') d'Olympie, 3 gravures vue d'Olympie,
1 gravure un repas au :\Ioyen-Age, 492. Artillerie (L') 355; canal de Corinthe, 356; gardien sur les ruines du
agricole, 1 gravure vigneron-artilleur faisant partir le temple de Zeus, 357. Excursion (Une, sur le Larzac,
canon, 139. Au cimetière de Milan, 1 gravure le mo- 2 gravures: La Couvertoirade, 627 le Pas de l'Escalette,
nument de la famille Branca, 48. -Au pays de la dentelle, 628. Exotiques (Les) 4 gravures la cuisine au Daho-
4 gravures dentellière à Lantriac, 541; dentellière espa- mey, 23 en filanzane, 235; Ralalao; Fenoamboatra, 236.
liste, 548; dentellières du Puy, 549 et 551. Au pays Faguet (Émile 3 3 gravures: Émile Faguet enfant, 221
sakalave, 6 gra\'ures femme antalaotre, 175; enfants Émile Faguet étudiant, 227 Émile Faguet académicien,
hovas, l-j6; jeune fille noble hova, 4i7; groupe de jeunes 228. Fortunes (Les grandes) aux Etats-Unis, 2 gravures
hommcs sakaloves, 118; femme de Sainte-Marie et son New-York le haut de la ville où les millionnaires vi\'ent,
enfant, 179; salon de coiffure sakalave, 180. -Automobile 208; New-York: le bas de la ville où se font les milliow;,
Un nouvel' de guerre, 1 gravure, 112. 209. Fusil (Le nouveau) de l'armée allemande, i gra-
Ballon 1 Le', dirigeable Santos-Dumont, 4 gravures: la sortie vures fixage du sabre-baïonnette en dessous du canon;
du hangar; en route pour la tour Eiffel, 451; membres de sabre-baïonnette, 240; fusil vu du côté ~auclie, fusil vu du
l'Aéro-Club suivant la course, 452; le coin de la propriété côté droit, 2U.
où'a eu lieu la chute, 4:;3. Bas-relief(Le) de la Comédie- George Sand (les deux demeures de), 2 gravures, l'église
Fraw;aise, 1 gravure, 83. Berroviero (Les) de Murano, de Nohant, ,;85; la Creuse, près de Gargilesse, lI81.
1 gravure vue de Murano, 559. Betteraves (les) géantes, Guillaume Il et Marie-Stuart.
2 gravures: betterave rose géante; betterave demi-su- Hermès iL'i de Praxitèle. 353. Hoche la statue de~,
crière, 710. Bibliothèque (Lai ?lféjanes 4 gravures mi- 1 gravure,27. Hôtel L') Lauzun et le baron Pichon,
niature du manuscrit 22 de la Dléjanes, 230; vue de la 1 gravure, 167. Huile (L') de pin, 2 gravures la cueil-
salle de travail, 231; reliure dite à l'Oiseau 232; buste du lette des aiguilles de pin:; salle de distillation, \99.
marquis de lléjanes, 233. Biche (La) au bois, 481. Ichanes Les), du Turkestan, 3 gravures la yourta de
Bonaparte a-t-il fait étrangler Pichegru'? 1 gravure Piche- l'ichane, 8f femme Kirghize, station de poste, 85.
gru, 365. Ingres, 2 gravures étude pour le portrait peint du mar-
Caire (de Paris au\ 2 gravures le perron de l'Hôtel Con- (,luis de Pastoret, 195; étude pour l'apothéose d'Homère,
tinental, 144; mosquée du sultan Hassan, 145.. Calvaire 19,. Institut (L') Pasteur de Tananarire, 3 gravures
(Le) de la Comédie-Française, 1 gravure portrait de l'Institut, 592; le docteur Thiroux inoculant le sérum anti-
bi"a Henriot, 41. Cantine (Une) scolaire, 1 gravure, 4."j. rabique, ,;93; le D' Tliéroux, 594. Instruments jles)
Capture d'un tigre, 1 gravure, 212. Chardons (Les), de musique exotiques, 12 gravures cheng ou orgue chi-
6 gravures carline vulgaire;carline acaule, 49~; bardane; nois, 712; kin, harpe chinoise; tam-tam ou gong chinois,
cardère sauvage, 495; panicaut des Alpes; les arrnoiries 713: le l'hé, tayuç ou maj'uri, mridanga, 114, ranavastron
de Nancy, 496. Chevaux emportés ¡Pour arrêter les), ou violon chinois, guitare bourzouk, chikara. 7H; Eoud,
1 gravure lœillère-frein, 106. Chez les singes, 3 gra- darabouked, concert arabe au XIII' siècle, 145. Intérieur
vures hamadryas, 654; papion, 689; ménage de papions, hollandais, 753. Internés ,Les) de Calvi, 21; groupe
690. Classes d'aveugles 8 gravures aveugles accor- d'internés arabes, 22. Iona, la Alecdue anglaise, 2 gra-
deurs, 291; la récréation, 292; lecture et écriture, 293; vures, vue d'Iona, 6-À5; la cathédrale d'Iona, 611. Ivoire
alphabet Braille, 29i; tablette, réglette, poini,,on, 332; le L') et les ivoiriers Dieppois, 14 gravures: graphique in-
cubarithme, 333: le multiplicateur, 334; travaux manuels, diquant la longueur des diverses sortes d'ivoire, 48, la
335. Collectionneurs 1 Nos), 1 gravure Bords de l'Oise, Vierge de rlleugnot, 486; G. Souillard père au travail, 487;
par Th. Rousseau. Collège Le~ de Normandie, 3 gra-
vures vieille tourelle et maison du garde, 431; avenue
navire de Brunel, '>88; l'Espérance nourrit
vercle de bonbonnière; Revue au
l' Amour; cou-
Champ-de-l\!ars, lI30;
du côté de l'Est; labuanderie, 132.-Cumédie-française (le portrait de Charles X par Brunel le casino de Charles X
bas-relief de la' 1 gra\'ure, 83. Commémorationsà Savo- par Hébert, 562; portrait de femme âgée par Norest, 563;
narole et à Benvenuto Cellini, 2 gravures médaillon de Flora, Bon-aparte, Ajax, 864, Norest, 565.
Savonarole, 116; le monument de Benvenuto Cellini, 717. Jeannette (La: 321. -Jubilé ;Lei de Ilenryk Sienkiewicz,
Comment nait et vit une locomotice,gravures Une C 6~ 1 gravure Sienkiewicz à différents âges, 49.
démontée, 199 montage d'une chaudière, 201; le grand Kava lLe), 2 gravures Taoupos samoanes préparant
le Kava; le pétrissage, 372; pied de hava offert au roi de mon, 69; une parqueuse, 70. Roue (Unej pour l'irriga-
Tonga, 373. tion des prairies, 1 gravure,-437.
La Revellière-Lépeaux, 545. Ligne (Une) stratégique Saintes-Maries (Les) de la mer, 1 gravure, 339. Sauce,
de Nice à Meyrargues, 2 gravures le pont de la Manda de Yarennes, 2 gravures portrait de J.-B. Sauce, 395 la
sur le Var, le viaduc du Loup, 80. Lion (Le) d'Andro- maison de Sauce, 397. Sienkiewicz Heuryk), 1 gravure
clès, gravure, 257. Liseuse La Belle), gravure, 673. Sienkiewicz à différents àges, 49. Sifflet fUn) curieux,
Logistes (Les) à Compiègne, 3 gravures la salle de dictée, 1 gravure, H9. Squelette (Lei de l'Exposition, 6 gra-
336; le réfectoire; une loge, 337. v-ures l'avenue des Palais, aux Invalides; les Dieux s'en
Maison (La) centrale de Clairvaux, 3 gravures entrée vont. 307; la rue des Nations la Hongrie;l'Indo-Chine
de la première enceinte de la maison centrale, 403 les française, 308; le Tour du monde; le globe Céleste, 309.
bàtiments, 40f; détenus travaillant devant la façade, 405. Sud (Le) Tunisien, 1 gravure le grand Chott-el-Djérid,
Malibran (La) à Bruxelles 2 gravures buste de la 617. Synthèse (Lai de la parole, 2 gravures sirène
Malibran, 359; le pavillon de Bériot-Malibran, 361. donnant la voyelle, 532 moulage de la bouche prononçant
Manufactures (Les) d'art des Médicis, 2 gravures Pierre une voyelle, 533.
Fèvre, tapissier parisien, 609; la Déposition de la Croix, Tapisserie (Une), 1 gravure le triomphe de Molière,
611. Ménippe, 65. Mirabeau (Buste de), 97. inlireille, 4fï6. Théâtre 1 Lei de Guillaume Tell à Altdorf, 2 gra-
161. ;\lodèle (Le parfait;l, 2 gravures moulage du dos; vures la chapelle de Guillaume Tell, 619; le théâtre, 621.
dix minutes pénibles, 678. Monument d'Emmanuel Il, Tombe iLa) entr'ouverte, 1 gravure, 329. Train (Le)
1 gravure, 422. Moteur (Un') à hélice, 1 gravure, 566. sibérien, 3 gravures compartiment de 1" classe, 163;
Moteurs aériens, 2 gravures, 436. Moteurs (Les) so- salon-bibliothèque, 164; vue d'ensemble du train sibérien,
laires, 1 gravure, 301. Mousses (Les), 10 gravures 165. Trains (Les) de luxe en Amérique, 1 gravure le
polytric, minium; polytric grossi, 340; sphaigne, sphaigne wagon-parloir, 46. Transmission iLaj des images par le
grossie; hypne des jardiniers; capsule; barbula muralis, téIégraphe, 2 gravures portrait transmis par l'électro-
341 funaire, fruits de sphaigne; atrichum ondulé, 342. graphe l'électrographe, 597. Transporteur aérien auto-
Musée (Le) Bossuet, à Dijon, 7 gravures acte de baptême moteur, 2 gravures transport d'un ouvrier transport
de J.-B. Bossuet, 131; maison où est né Bossuet, à Dijon, d'un tonneau plein, 684. Traversée ILa) de la mer en
132; fac-simile d'un fragment de lettre de Bossuet, cari- ballon, 1 gravure nacelle en fer et soie qui a résisté au
cature de l'évêque de Meaux, 133 3 portraits de Bossuet, traînage sur les rochers, 296. Trésor fLej noir d'Albion,
d'après Rigaud et Mignard, -13t. Musée (Le) de l'Opéra, 3 gravures. Tunis le Blanche, 4 gravures Tunis, une
2 gravures le musée de l'Opéra, 719; la salle de lecture, rue du quartier Dar-el-Bey, 515 Tunis, vue générale prise
721. Mytilène, 1 gravure vue de Yara, 692. de la Kasba, 516; Tunis, le palais du Bardo, 517; Tunis,
Nid (Le), 6H. Nourrice (La), 33. jeunes filles juives, 518. Turkestan (Au), 3 gravures
Oasis (Les) sahariennes, 5 gravures une mer démontée, ville Sarte, 624; tombeau d'un juge Kirghize, 624; marché
figée, méhari harnaché, 424; bouquet de palmiers dans Kirghize dans un village russe, 625. Types populaires
l'oasis, 42; 111m° la comtesse du. Jonchay, 426; paysage du de la Russie, 10 gravures cocher de fiacre, garçon aigui-
Sud-Oranais la voie ferrée, 427. Origines et formation seur, marchand de pâtés, 73; marchand ambulant, mer-
duhaysage contemporain en France, 2 gravures paysage cier ambulant, famille de paysans, marchande d'indiennes,
de Cazin, 521 paysage d'après Claude Monet, 553. marchande de bas, 74; .attelage rustique, vieux men-
Paquebot i Un) géant, 2 gravures l'arrière du CPltic, diant, 75.
648; le salon central du Celtic, 649. Palais (Le) Regina Villégiature d'artistes (chez 1\Ima Demont-Breton), 1 gra-
Marguerita, à Rome, 1 gravure Gaulois se tuant, 113. vure le château de Montgeron, 489. Vitraux (Les) de
Partie (Une) de cartes, 1 gravure 369. Yatrie, de Triel,.3 gravures les miracles de Saint-Nicolas, 259;
Sardou, 1 gravure les créateurs de Patrie, 188. Paysage, Repas du Christ chez les Pharisiens, 260; Saint-Martinet
705. Pérouse, 1 gravure une porte de Pérouse, 267. Saint-Sébastien, 21i1.
Petits (Les) au Petit-Palais, 3 gravures une photogra- Yachts (Les) royal-ix, 1 gravure L'Opkir, yacht du dur,
phie du Prince impérial, 323; lettrede la. princesse de Cornouailles et d'York, 265.
Mathilde au prince impérial, 325 dessin inédit du prince
impérial, daté et signé (16 janvier 1868), 328. Phares RECETTES ET CONSEILS
(Les), 4 gravures lanterne à un phare, 738; le polissage 32, 64, 96, 128, 160. 192, 22L 256, 288, 320, 352, 384, 416,
des lentilles, 739; montage de l'optique, 741; le phare Mal
d'Eckmühl, 742. Pichon (Le baron Jérôme), 1 gravure 448, 480, 512, 5H, 576. 608, 6<0, 672, 704, 736, 762,
167. Pierres (Les) écrites, 3 gravures une des pierres de mer (Moyens de guérir le), 541. Quelques moyens de
de El Hadj Mimoun, 109 pierres écrites de Tiout, 110 conserver la santé, 477.
le dromadaire, 111. Piste (Une) cyclable aérienne, 1 gra- SCIENCES
vure, 156. Plantes (Les) bulbeuses, 8 gravures lilium
giganteum, 656; tulipes simples, tulipes doubles, 657; Astnonomie. Les signaux de la planète Mars, 95.
jacinthes simples, jacinthes doubles, 658; muscari plu- Hi.stoire natuoelle, Botanigue, Zoolottie. Algues ¡Les)
meux, muscari odorant, couronne impériale, 6.'i9. Por- marines, 51. Chardons (Les), 493. Insectes biblio-
celaines (Les) de Sèvres, 4 gravures le grand coulage, phages, 629. Mousses (Les), 340. Plantes (Les) bu[-
388; l'atelier des tourneurs, 389: montage des statuettes, beuses lis, tulipes et jacinthes, 655.
391; la mise en cazettes avant la cuisson, 392. Ponts- blécaniyue. Aérostat iL} dirigeable de von Zeppelin,
de-Cé (Les), 3 gravures donjon des Ponts-de-Cé, 37; 12. Ballon 1 Le) dirigeable de Santos-Dumont, 450.
Pont de Dumnacus, 38 femme des Ponts-de-Cé, 39. \Ioteur (Un nouveaui à hélice, 566. Moteurs aériens,
Porte (La) Chaussée à Verdun, 577. Porte (Une) de 435. Moteurs f Lesl solaires, 300. Récents essais
Todi, 1 gravure, 328. Portrait de Mme de Porcin, 225. aérostatiques, 625. Synthèse il.a) de la parole, i3l.
Portrait de Mme Vigée-Lebrun, 1. Portrait du fils de Traversée (La) de la mer en ballon, 2%.
Frédéric II1, roi de Danemark, 289. Portrait d'une prin- -Pla~sique. Transmission (Lai des images par le télé-
cesse Bonaparte, 193. Premier sourire, 513. Prince graphe, 596.
(Le) Henri d'Orléans, 538. Procédé (Uni nouveau pour Yulgarisatio~a. Betteraves ( les) géantes, 710.
la conservation des beurres, 1 aravure: le Propagateur Comment on fabrique les cylindres du phonographe,
Pour arrè-
299. 168. Engraissement iL'1 du bétail, 237.
Ranavalouna, 1 gravure portrait de la reine, 400. ter les chevaux emportés, 105. Procédé nouveau
Retour (Le:1 du Père, 449. Retourtour iLe Château de), pour la conservation des beurres, 298. Surveillance
2 gravures vue prise de face, 500; vue prise du fond de (La) des sources, 81. Transporteur aérien auto-moteur,
la vallée, 501. Rêverie, 417. Ruines (Les) d'El-Man- 684.
sourah, 3 gravures l'enceinte d'El-llansourah, 269; la TIbIBROLC1GIE
tour d'EI-ilansourah, 2 î 1 porte d'EI-llansourah, 272.
Roman (Le) d'une He, 4 gravures femme d'Oléron, 67; Courrier timbrologique, 63, 127, 190, 223, 255, 287, 318,
Lanterne des morts, à Saint-Pierre, 68; récolte du goé- 349, 383, 414, 444, 479, 511, :43, 57; 605, 639, 671.