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Cours Droit de l'Union africaine II par Mme.

Hajer GUELDICH

UNIVERSITE DE CARTHAGE

FACULTE DES SCIENCES JURIDIQUES POLITIQUES ET SOCIALES


DE TUNIS

COURS
DROIT DE L'UNION
AFRICAINE II

COURS PREPARE PAR :

Mme. HAJER GUELDICH


Maître de Conférences agrégée à la Faculté des sciences juridiques politiques et sociales de
Tunis- Université de Carthage

Responsable du Master de recherche en Droit et politiques de l'Union africaine


Membre élue et Rapporteur général de la Commission de l'Union africaine pour le Droit
international (CUADI)

hajer.gueldich@yahoo.fr

https://independent.academia.edu/HajerGueldich

@HajerGueldich

COURS ENSEIGNE AUX :

Master 1 Droit et politiques de l'Union africaine


Année universitaire : 2019 - 2020

FSJPST/ 2019-2020 1
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PLAN DU COURS

DES PRINCIPES INNOVANTS DU DROIT DE L'UNION AFRICAINE:


QUELQUES ILLUSTRATIONS

Chapitre 1. Le droit d'intervenir de l'UA dans un Etat membre

Chapitre 2. L'interdiction des changements anticonstitutionnels de


gouvernement et le respect de la Démocratie et de la
Bonne gouvernance
Chapitre 3. La Convention de Kampala sur la protection et
l'assistance aux personnes déplacées en Afrique

Chapitre 4. L'Accord de zone de libre échange continentale africaine

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COURS

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DES PRINCIPES INNOVANTS DU DROIT DE L'UNION


AFRICAINE: QUELQUES ILLUSTRATIONS

Au cours du 2e semestre de ce Master, nous avons choisi de nous attarder sur quelques

principes innovants et innovateurs du droit matériel de l'Union africaine, en ce


qu'ils présentent des aspects nouveaux et totalement inédits, comparés à l'état
actuel du droit international positif.

Il s'agit notamment du droit d'intervenir de l'Union africaine dans un Etat


membre (chapitre 1), du principe d'interdiction des changements
anticonstitutionnels de gouvernement et le respect de la Démocratie et de la
Bonne gouvernance (chapitre 2.), la Convention de Kampala sur la protection et
l'assistance aux personnes déplacées en Afrique (chapitre 4) et de l'Accord de
zone de libre échange continentale africaine (chapitre 5).

CHAPITRE 1:

LE DROIT D'INTERVENIR DE L'UA DANS UN ETAT MEMBRE

L’Union africaine a le mérite d’énoncer clairement, pour la première fois dans


l’histoire du droit positif relatif à la question d’intervention dans un Etat
souverain, un véritable droit d’intervention reconnu à l’Union, en vertu de
l’article 4 h) de l’Acte constitutif de l'Union africaine du 11 juillet 2000.
En effet, l’article 4 de l’Acte constitutif de l'Union africaine du 11 juillet 2000
renvoie aux principes de l’Union africaine1. Mais c’est le point h) de cet article

1
L’article 4 de l’Acte constitutif de l’Union africaine du 11 juillet 2000 énonce clairement que l'Union africaine
fonctionne conformément aux principes suivants :
« a) égalité souveraine et interdépendance de tous les Etats membres de l'Union;
b) respect des frontières existant au moment de l'accession à l'indépendance;

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reconnaissant, parmi les principes de l’Union africaine, « le droit de l'Union


d'intervenir dans un Etat membre sur décision de la Conférence, dans certaines
circonstances graves, à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes
contre l'humanité », qui attire notre attention, en ce qu’il consacre, sans
équivoque, un droit d’intervention de l’Union africaine dans certaines
circonstances graves, touchant à la question humanitaire.

"On peut s'étonner de l'audace de cette nouvelle organisation internationale en


ceci qu'elle est pratiquement l'une des premières organisations régionales à
s'attribuer un tel droit"2.

Néanmoins, cette audace peut être justifiée par la gravité des cas de mise en
œuvre de ce droit d'intervention reconnu à l'UA et la multiplication de ce genre
de violations dans le continent africain depuis les dernières décennies (section
1). Néanmoins, nous pouvons affirmer que, sur le plan pratique, la mise en
œuvre concrète de ce droit d'intervention reste limitée et concurrencée par la
pratique de l'ONU en matière de maintien et de rétablissement de la paix et de la
sécurité internationales et régionales (section 2).

c) participation des peuples africains aux activités de l'Union;


d) mise en place d'une politique de défense commune pour le continent africain;
e) règlement pacifique des conflits entre les Etats membres de l'Union par les moyens appropriés qui peuvent
être décidés par la Conférence de l'Union;
f) interdiction de recourir ou de menacer de recourir à l'usage de la force entre les Etats membres de l'Union;
g) non-ingérence d'un Etat membre dans les affaires intérieures d'un autre Etat membre;
h) le droit de l'Union d'intervenir dans un Etat membre sur décision de la Conférence, dans certaines
circonstances graves, à savoir : les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l'humanité;
i) coexistence pacifique entre les Etats membres de l'Union et leur droit de vivre dans la paix et la sécurité;
j) droit des Etats membres de solliciter l'intervention de l'Union pour restaurer la paix et la sécurité;
k) promotion de l'auto-dépendance collective, dans le cadre de l'Union;
l) promotion de l'égalité entre les hommes et les femmes;
m) respect des principes démocratiques, des droits de l'homme, de l'Etat de droit et de la bonne gouvernance;
n) promotion de la justice sociale pour assurer le développement économique équilibré;
o) respect du caractère sacro-saint de la vie humaine et condamnation et rejet de l'impunité, des assassinats
politiques, des actes de terrorisme et des activités subversives;
p) condamnation et rejet des changements anticonstitutionnels de gouvernement ».
2
FOPY (S.), Le droit d'intervention de l'Union africaine, Université de Dschang - DEA en droit communautaire
et comparé CEMAC 2006

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Section 1- LES CAS DE MISE EN ŒUVRE DU DROIT


D'INTERVENTION DE L'UNION AFRICAINE:

Les trois cas évoqués dans l'article 4 h) de l’Acte constitutif de l'Union africaine
du 11 juillet 2000 sont expressément énumérés. Il s’agit des crimes de guerre, du
génocide et des crimes contre l'humanité.

L’article 4 h) énonce ces trois crimes sans les définir. Mais le protocole de 2002
portant création du Conseil de paix et de sécurité précise que le Conseil «
recommande à la conférence, conformément à l’article 4 h) de l’acte constitutif,
l’intervention au nom de l’Union dans un Etat membre dans certaines
circonstances graves à savoir les crimes de guerre, le génocide et les crimes
contre l’humanité, tels que définis dans les conventions et instruments
internationaux pertinents».

Sur cette base, les crimes de guerre sont les violations graves du droit
international humanitaire commises à l’encontre de civils ou de combattants
ennemis à l’occasion d’un conflit armé international ou interne, violations qui
entraînent la responsabilité pénale individuelle de leurs auteurs. Ces crimes
découlent essentiellement des Conventions de Genève du 12 août 1949 et de
leurs Protocoles additionnels I et II de 1977 et des Conventions de la Haye de
1899 et 1907. Leur codification la plus récente se trouve à l’article 8 du Statut de
Rome de la Cour pénale internationale de 1998.

La définition de crimes contre l’humanité a été codifiée à l’article 7 du Statut de


la CPI. Lorsque des actes tels que le meurtre, l’extermination, le viol, la
persécution et tous autres actes inhumains de caractère analogue causant
intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l'intégrité
physique ou à la santé physique ou mentale sont commis « dans le cadre d'une
attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en

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connaissance de cette attaque ».

Pour ce qui est du crime de génocide, on en trouve une définition à l’article 6 du


Statut de la CPI qui définit ce crime « comme l'un quelconque des actes ci-après
commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national,
ethnique, racial ou religieux, comme tel ». L'article détaille par la suite ces actes
qui sont considérés comme un crime de génocide.

Comparé aux textes fondateurs de l'Organisation de l'Unité africaine, il va sans


la dire que cet article 4 h) de l'acte constitutif de l'Union africaine rompt
radicalement avec la Charte de l'Organisation de l’Unité africaine adoptée le 25
mars 1963, où les principes d’égalité souveraine de tous les Etats membres et de
non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats étaient énoncés sans
exception aucune3.

En fait, l’OUA ne disposait pas d’un mécanisme de sécurité continentale, qui


peut être présenté comme une exception au principe de non-ingérence. Toutes
les interventions de l’OUA dans une crise affectant un Etat membre, devraient
être autorisées par le gouvernement de cet Etat. Pourtant, la création d’un
mécanisme de prévention, de gestion et de règlement des conflits, en juin 1993,
n’a pas donné preuve d’efficacité et la faillite de l’OUA dans le domaine de la
paix et de la sécurité continentale avait déjà impliqué pour les organisations
sous-régionales de réaliser des mécanismes autonomes d’intervention dans les
crises concernant un des leurs Etats membres4.

3
Article 3 de la Charte de l’Organisation de l’Unité africaine du 25 mai 1963.
4
Les Etats membres de la CEDEAO ont signé un Protocole relatif au Mécanisme de prévention, de gestion, de
règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité (Lomé, 10 décembre 1999), voir l’article 25 du
Protocole CEDEAO ; les Etats membre de la CEEAC ont signé un Protocole relatif au Conseil de paix et de
sécurité de l’Afrique centrale (Malabo, 24 février 2000), voir l’article 25 du Protocole CEEAC ; et les Etats
membres de la CAAS ont signé un Protocole sur la coopération politique, de défense et de sécurité (Blantyre, 14
août 2001), voir l’article 11 du Protocole CAAS. Dans tous ces instruments, un droit autonome de l’Organisation
à l’ingérence humanitaire est affirmé, même en ayant recours aux moyens militaires.

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L’Acte constitutif de l’Union africaine du 11 juillet 2000 a complété l’innovation


dans cette direction au niveau continental.

Bien qu’il constitue une évolution, voire une révolution importante en matière
de protection des droits de l’homme, sur le plan régional et non universel, et
bien qu’il constitue un précédent en la matière puisque, comme nous l’avons
déjà affirmé, aucun texte de droit international positif n’a jusqu’alors posé
clairement le principe d’intervention (ou plutôt l’exception au principe de non-
intervention), le point h) de l’article 4 de l’Acte constitutif de l’Union africaine
du 11 juillet 2000 suscite un certain nombre d’interrogations, du point de vue du
droit international, car il nous paraît controversé et critiquable.

A la lumière du droit international, l’article 4 h) doit être évalué sous deux


aspects : d’une part, sa compatibilité avec la Charte des Nations Unies et le droit
international coutumier et d’autre part, sa compatibilité avec la lettre et l’esprit
de l’Acte constitutif de l’Union africaine. Dans les deux cas, la responsabilité
internationale des Etats africains est engagée.

En effet, dans un premier temps, nous notons que les deux seules exceptions
quant aux principes de non recours à la force et de non intervention reconnues
dans la Charte des Nations unies étant le droit de légitime défense et le recours
aux mesures coercitives autorisées par le Conseil de sécurité, l’Acte constitutif
de l’Union africaine du 11 juillet 2000, dans le même article 4, stipule que parmi
les principes de l’Union : « f) interdiction de recourir ou de menacer de recourir
à l'usage de la force entre les Etats membres de l'Union; g) non-ingérence d'un
Etat membre dans les affaires intérieures d'un autre Etat membre ».

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L’article 4 h) de l’Acte constitutif de l’Union africaine du 11 juillet 2000


reconnaît, néanmoins, un droit d’intervenir5 qui émane de la Conférence de
l’Union, sur avis du Conseil de paix et de sécurité, même sans le consentement
de l’Etat concerné, et il suffit la majorité des deux tiers des Etats membres pour
intervenir. Dans ce cas, n’y a-t-il pas une contradiction ambiguë entre d’une
part, le rappel des principes de non-recours à la force armée et de non-
intervention et d’autre part, l’autorisation d’un droit d’intervenir, même sans la
sollicitation de l’Etat membre6, dans les circonstances graves énumérées ci-
dessus ?

Si l’Union africaine entend un cas exceptionnel lorsqu’il autorise cette


intervention, il aurait dû le préciser clairement, tout en indiquant les conditions
de sa mise en œuvre, pour ne pas donner à confusion et en conclure à une
consécration du droit d’ingérence dans les affaires internes des Etats membres.

Dans ce sens, Andrea Caligiuri estime qu' : « à la lumière du droit des Nations
unies et du droit international général, l’article 4 h) est en position de rupture.
Donc il pourrait être considéré comme un nouvel élément de la pratique des
Etats africains qui cherche à modifier la règle générale de l’interdiction à
l’emploi de la force par les Etats, en supposant des dérogations dans les cas
d’ingérence humanitaire ou de sauvegarde du principe démocratique »7.
L’auteur, afin de dépasser cette impasse, propose une interprétation différente de
l’article 4 h) de l’Acte constitutif de l’Union africaine, et qui consiste à supposer

5
Notons que la notion de « droit d’ingérence » n’a pas été employée par l’Acte constitutif de l’Union africaine
du 11 juillet 2000. Mais le droit d’intervenir n’a-t-il pas le même sens que le droit de s’ingérer et donc que le
droit d’ingérence ?
6
Le cas de la sollicitation de l’Etat membre d’une intervention de l’Union pour restaurer la paix et la sécurité a
été prévu dans le point j) de l’article 4 de l’Acte. Ce dernier autorise tout Etat membre « de solliciter
l'intervention de l'Union pour restaurer la paix et la sécurité ».
Cette hypothèse ne pose pas problème, dans la mesure où le consentement de l’Etat en question ne constitue pas
un cas d’ingérence en contradiction avec le principe de non-intervention dans les affaires internes d’un Etat.
7
CALIGIURI (A.), « Le droit d’intervention de l’Union africaine et l’interdiction de l’usage de la force en droit
international », juin 2004, http://www.umimc.it/internazionale/doc/caligiuri_wp.pdf/, p. 4.

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que les Etats membres de l’OUA ont inauguré un processus de transfert de leur
souveraineté à l’Union africaine qui, contrairement à l’ancienne OUA, « est sans
doute une organisation internationale d’intégration, sur le modèle de l’Union
européenne »8. Par conséquent, l’auteur conclut que l’usage de la force par
l’Union africaine dans les hypothèses de l’article 4 h) « pourrait être configuré
comme un usage de la force intérieure et non pas international »9. Dans la
même ligne de pensée, un autre auteur va jusqu’à affirmer, dans ce cas, que les
Etats membres de l’Union africaine « cèdent, progressivement, leur
souveraineté »10.

Cette interprétation ne nous semble pas satisfaisante car nous pensons que
l’Union africaine peut être classée comme une organisation de coopération et
non pas comme une organisation d’intégration. En effet, l’Union africaine n’a
pas une tendance vers la fédération, comme c’est le cas pour l’Union
européenne, les Etats membres n’ont pas opéré au profit de l’Union un transfert
de compétences et cette dernière n’est pas dotée de pouvoirs qui limitent les
pouvoirs des Etats membres. Par conséquent, le droit d’intervenir, tel que prévu
par l’Acte constitutif de l’Union africaine, autorise un droit d’intervention dans
des Etats souverains et indépendants.

Section 2- LA MISE EN ŒUVRE DU DROIT D'INTERVENTION


DE L'UA:

Ce qui nous préoccupe le plus, à ce niveau de l’analyse, c’est la question de


savoir si le droit d’intervenir tel que prévu par l’article 4 h) de l’Acte constitutif
de l’Union africaine peut être mis en œuvre, même sans être liée à l’autorisation
8
Idem., op. cit.
9
Ibid., op. cit.
10
KIOKO (B.), « The right of intervention under the African Union’s Constitutive Act : from non-interference to
non-intervention », in International Review of the Red Cross, 2003, n°85, p. 820.

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du Conseil de sécurité ?

Une réponse par l’affirmative risque de bouleverser les règles établies du droit
international, y compris l’article 53 § 1 de la Charte des Nations Unies qui
dispose clairement que : « le Conseil de sécurité utilise, s’il y a lieu, les accords
ou organismes régionaux pour l’application des mesures coercitives prises sous
son autorité. Toutefois aucune mesure coercitive ne sera entreprise en vertu
d’accords régionaux ou des organismes régionaux sans l’autorisation du
Conseil de sécurité (…) ».

Par conséquent, si l’Union africaine a le droit d’intervenir, même au-delà de


l’autorisation du Conseil de sécurité, il y a lieu de parler de la consécration d’un
véritable droit d’ingérence humanitaire reconnu à une organisation régionale.
Néanmoins, il nous semble qu’un certain nombre d’éléments réfutent cette
hypothèse. En effet, le Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de
sécurité de l’Union africaine du 9 juillet 2002 dispose que : « dans l’exercice du
mandat qui est le sien dans la promotion et le maintien de la paix, de la sécurité
et de la stabilité en Afrique, le Conseil de paix et de sécurité coopère et travaille
en étroite collaboration avec le Conseil de sécurité des Nations unies, qui
assume la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité
internationales (…) »11.

De même, le Pacte de non-agression et de défense commune de l’Union


africaine adopté le 31 janvier 2005 prévoit expressément le respect de la Charte
et de la responsabilité principale du Conseil de sécurité. A la lecture de ces
textes, il apparaît clairement que l’Union africaine n’entend nullement déroger
aux principes de la Charte des Nations unies, en particulier le chapitre VIII de la

11
Article 17 du Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité en Afrique du 9 juillet 2002.

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Charte12.

Dans un deuxième temps, il y a lieu de remarquer que les modalités et la


procédure de mise en œuvre de ce droit d’intervenir manquent de précision et de
rigueur juridique. En effet, s’il a été précisé que ce droit ne peut être mis en
œuvre qu’à trois conditions : intervenir dans un Etat membre de l’Union, la
décision d’intervention doit être prise par la Conférence de l’Union13, sur
recommandation du Conseil de paix et de sécurité 14, et enfin elle ne peut avoir
lieu, jusqu’à présent, que dans trois cas seulement limitativement énumérés,
nous pensons que ces conditions ne sont pas suffisantes pour garantir
l’objectivité et l’efficacité de la décision et de l’action d’intervenir.

Pour autant, la décision de l’Union africaine pour intervenir peut, elle aussi,
susciter un certain nombre de questions. Ce pouvoir de qualification et de prise
de décision incombe aux Etats membres de l’Union qui décident de
l’intervention unanimement ou, à défaut, à la majorité des deux tiers. Cela
signifie qu’à défaut de la majorité requise pour la prise de décision, le droit

12
D’autant plus que les Etats africains avaient toujours défendu, comme nous l’avons évoqué, une interprétation
stricte de la Charte des Nations unies, en rejetant toute reconnaissance d’un droit d’intervention en dehors de
l’hypothèse d’une autorisation du Conseil de sécurité.
13
L’article 6 de l’Acte constitutif de l’Union africaine du 11 juillet 2000 dispose que :
« 1. La Conférence est composée des Chefs d'Etat et de Gouvernement ou de leurs représentants dûment
accrédités.
2. La Conférence est l'organe suprême de l'Union.
3. La Conférence se réunit au moins une fois par an en session ordinaire. A la demande d'un Etat membre, et sur
approbation des deux tiers des Etats membres, elle se réunit en session extraordinaire.
4. La présidence de la Conférence est assurée pendant un an par un Chef d'Etat et de Gouvernement élu, après
consultations entre les Etats membres ».
De même, selon l’article 7 de l’Acte constitutif de l’Union africaine du 11 juillet 2000 :
« 1. La Conférence prend ses décisions par consensus ou, à défaut, à la majorité des deux tiers des Etats
membres de l'Union. Toutefois, les décisions de procédure, y compris pour déterminer si une question est de
procédure ou non, sont prises à la majorité simple.
2. Le quorum est constitué des deux tiers des Etats membres de l'Union pour toute session de la Conférence ».
14
Dans le Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine (Durban, le 9 juillet
2002), l’article 6 relatif aux fonctions du Conseil dispose que : « 1. Le Conseil de paix et de sécurité assume des
fonctions dans les domaines suivants : (…) d. opérations d'appui à la paix et intervention, conformément à
l'Article 4 h) et j) de l'Acte constitutif ». L’article 7 relatif aux pouvoirs du Conseil dispose que : « 1.
Conjointement avec le Président de la Commission, le Conseil de paix et de sécurité : (…) f. approuve les
modalités d’intervention de l’Union dans un Etat membre, suite à une décision de la Conférence conformément à
l'article 4 j) de l'Acte constitutif ».

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d’intervenir ne peut pas être décidé et mis en œuvre, quand bien même il y a une
circonstance grave dans un Etat membre de l’Union, assimilée à des crimes de
guerre, un génocide ou des crimes contre l'humanité. Des centaines, voire des
milliers de civils peuvent être assassinés, à l’abri des frontières, sans que
l’Union africaine puisse agir, si la décision d’agir n’a pas été prise. Dans ce cas,
il faudra attendre une décision du Conseil de sécurité des Nations unies.

Une autre question s’impose à la lecture du point h) de l’article 4, celle de savoir


à qui incombe d’intervenir, matériellement ? A la lecture de ce point h), on ne
peut pas savoir si l’intervention peut ou doit être accompagnée par des mesures
coercitives, notamment le recours à la force armée, dont l’interdiction fut déjà
rappelée dans le même article 4 de l’Acte constitutif. Est-ce que des soldats de
tous les Etats membres de l’Union africaine vont être contraints à utiliser les
armes contre un autre Etat membre, s’il s’avère que sur le territoire de ce
dernier, il y a crimes de guerre, génocide ou crimes contre l'humanité ?

En fait, l’organe compétent pour intervenir n’a pas été prévu dans l’Acte
constitutif de l’Union africaine du 11 juillet 2000, mais il a fait l’objet d’un
Protocole adopté par la première session ordinaire de la Conférence de l’Union à
Durban, du 9 juillet 2002, conformément à l’article 5 de l’Acte constitutif de
l’Union africaine du 11 juillet 200015 qui permet, dans son paragraphe 2, de
créer d’autres organes de l’Union. Ainsi, le Protocole relatif à la création du

15
L’article 5 de l’Acte constitutif de l’Union africaine du 11 juillet 2000 dispose que :
« 1. Les organes de l'Union sont les suivants :
a) la Conférence de l'Union;
b) le Conseil exécutif
c) le Parlement panafricain;
d) la Cour de justice;
e) la Commission;
f) le Comité des représentants permanents;
g) les Comités techniques spécialisés;
h) le Conseil économique, social et culturel;
i) les institutions financières.
2. La Conférence peut décider de créer d'autres organes ».

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Conseil de paix et de sécurité en Afrique, du 9 juillet 2002, dispose qu' : « il a


été crée au sein de l’Union, conformément à l’article 5 paragraphe 2 de l’Acte
constitutif, un Conseil de paix et de sécurité, qui est un organe de décision
permanent pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits. Le Conseil
de paix et de sécurité constitue un système de sécurité collective et d’alerte
rapide, visant à permettre une réaction rapide et efficace aux situations de
conflit et de crise en Afrique »16.

Destiné à éviter la lenteur, la marginalisation et l’inefficacité du Conseil de


sécurité des Nations unies dans des circonstances graves d’urgence humanitaire,
le Conseil de paix et de sécurité africain est destiné à jouer un rôle important en
matière de protection des droits de l’homme et des peuples en Afrique, puisqu’il
est doté d’un pouvoir de décision et d’intervention important. C’est l’organe
chargé de mettre en œuvre l’article 4 h) de l’Acte constitutif de l’Union africaine
du 11 juillet 2000.

Sur ce, il est utile de rappeler que les Etats membres de l’Union africaine
refusent de suivre le modèle du Conseil de sécurité des Nations unies, en
écartant l’option d’avoir des membres permanents au Conseil de paix et de
sécurité. Par conséquent, il nous semble que le droit de l’Union africaine
d’intervenir dans un Etat membre, figurant dans l’actuel article 4 h) de l’Acte
constitutif de l’Union africaine du 11 juillet 2000, est un précédent en lui-même,
même s’il ne consacre pas un droit d’ingérence ouvert aux Etats pouvant agir
unilatéralement en ayant recours à la force armée , car nulle part ne se trouve la
consécration d’un droit d’intervenir reconnu aussi clairement aux organisations
internationales ou régionales, même au sein des textes de l’ONU.

De surcroît, il convient de noter que les Etats de l’Union africaine avaient adopté

16
Article 2 du Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité en Afrique du 9 juillet 2002.

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une position commune, le 5 juillet 2005, sur la réforme des Nations unies, en
vertu de laquelle ils soutiennent que : « s’agissant de l’usage de la force, il est
important de respecter scrupuleusement les dispositions de l’article 51 de la
Charte des Nations unies qui autorisent l’usage de la force seulement dans le
cas de légitime défense. En outre, l’Acte constitutif de l’Union africaine à son
article 4 h) autorise l’intervention dans des circonstances graves telles que le
génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. En conséquence,
tout recours à la force hors du cadre de l’Article 51 de la Charte des Nations
unies et de l’Article 4 h) de l’UA, doit être prohibé ».

Il reste à attendre les applications de ce principe sur le plan pratique, pour voir
dans quel sens l’Union africaine et son Acte constitutif vont s’orienter? simple «
obligation collective régionale de protection » en cas de violations massives des
droits de la personne humaine, à la mesure de la « responsabilité collective des
Etats de protéger » consacré, sans ambiguïté, par le Document final du Sommet
de l’Organisation des Nations Unies de septembre 2005 ou consécration d'un
"véritable droit d'ingérence humanitaire"17 ?

Ceci dit, nous estimons que même si les dispositions de l’article 4 h) de l’Acte
constitutif de l'UA du 11 juillet 2000 semblent révolutionnaires, en ce qu’elles
ouvrent la voie pour une organisation régionale à recourir à la force armée pour
intervenir dans des situations de crises humanitaires graves sur le continent
africain dans un Etat souverain, il est important de rappeler, d’une part, que ce
droit d’intervenir ne peut se faire sans l’autorisation du Conseil de sécurité et
que d’autre part, les effets juridiques de cet article restent, avant tout, internes à
l’Union africaine et ne tendent pas à modifier le droit international général.

17
GUELDICH (H.), Droit d’ingérence et interventions humanitaires : état de la pratique et du droit
international (thèse de Doctorat d’Etat), Université de Carthage, Tunis, éditions universitaires européennes,
2011, 692 pages.

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CHAPITRE 2:

INTERDICTION DES CHANGEMENTS ANTICONSTITUTIONNELS


DE GOUVERNEMENT ET RESPECT DE LA DEMOCRATIE ET DE LA
BONNE GOUVERNANCE

Après quarante ans d’existence, l’OUA a laissé la place à une nouvelle


organisation panafricaine en 2002 qui, sans renier l’héritage idéologique et
politique de l’OUA, se veut beaucoup plus ambitieuse et encore plus adaptée
aux besoins des Etats et des peuples africains. Il s'agissait de faire face aux défis
du troisième millénaire et en particulier, mettre l'accent sur les questions
relatives au respect de la démocratie, de la bonne gouvernance et de l'Etat de
droit18

"De ce fait, le contexte dans lequel l'UA naquit est très différent de celui qui
prévalait sous l'empire de l'OUA et ceci est naturellement imprégné par la
nouvelle organisation panafricaine. Celle-ci porte, en effet, les marques de son
temps et présente des nouveautés qui la démarquent de sa devancière"19.
Désormais, l’Etat de droit, la démocratie et l’hostilité aux changements
anticonstitutionnels de gouvernement occupent une place centrale dans l’Acte
constitutif de l’UA du 11 juillet 2000 (section 1) mais aussi dans un autre texte
de référence qui est la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la
gouvernance du 30 janvier 2007 (section 2).

Un autre document mérite notre attention qui est le Protocole sur les
amendements à l’Acte constitutif de l’Union africaine de 2003 (non encore entré
en vigueur) et qui a trait à la répression des changements anticonstitutionnels de
18
DOSSO (K.), « Les pratiques constitutionnelles dans les pays d'Afrique noire francophone : cohérences et
incohérences », in Revue française de droit constitutionnel 2012/2 (n° 90), p. 57-85.

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Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

gouvernement en tant que crime international (section 3).

Section 1- LA CONSÉCRATION DES PRINCIPES DE RESPECT


DE LA DÉMOCRATIE ET DE L'ETAT DE DROIT DANS L'ACTE
CONSTITUTIF DE L'UNION AFRICAINE DE 2002:

Cette consécration s'est faite de manière progressive. En effet, l'Organisation de


l'Unité africaine n'a fait aucune référence à l'Etat de droit et à la Démocratie
dans la Charte du 25 mai 1963. "Attachée aux souverainetés fraichement
retrouvées, la Charte a lourdement insisté sur le principe de non ingérence et a
observé, de ce fait, une totale indifférence par rapport aux changements
anticonstitutionnels de gouvernement. Pourtant, le phénomène est bien répandu
sur le continent africain"20.
Désormais, l’Etat de droit, la démocratie et l’hostilité aux changements
anticonstitutionnels de gouvernement occupent une place centrale dans l’Acte
constitutif de l’UA. En effet, l’Etat de droit, la démocratie et la condamnation
des changements anticonstitutionnels de gouvernement font non seulement
partie des principes de l’UA, mais leur inobservation peut être à l’origine de
sanctions prononcées par l’Organisation contre ses Etats membres.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que parmi les principes de l'Union africaine
consacrés par l'article 4 de l'Acte constitutif du 11 juillet 2000, nous notons: " p.
[la] Condamnation et rejet des changements anticonstitutionnels de
gouvernement ».

19
BEN H'MIDA (Ch.) et MEJRI (Kh.), "L'Union africaine: d'une association d'Etats à une communauté de
valeurs", in BEN ACHOUR (R.) et LAGHMANI (S.), Les droits de l'Homme: une nouvelle cohérence du Droit
international, Paris, Pedone, 2009, p. 230.
20
BEN ACHOUR (R.), "Rapport introductif", in BEN ACHOUR (R.), (sous dir.), Changements
anticonstitutionnels de gouvernement : approches de droit constitutionnel et de droit international, colloque
FSJPST des 4 et 5 avril 2013, éditions Presses universitaires Aix Marseille, 2014, p. 15.

FSJPST/ 2019-2020 17
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

Section 2- LA CONSÉCRATION DES PRINCIPES DE RESPECT DE

LA DÉMOCRATIE ET DE L'ETAT DE DROIT DANS LA CHARTE


AFRICAINE DE LA DÉMOCRATIE DE 2007:

L’Union africaine ne s’est pas contentée des dispositions relatives au respect de


la démocratie et de l'Etat de droit dans son Acte constitutif. Elle a adopté, lors de
la huitième session ordinaire de la conférence tenue le 30 janvier 2007 à Addis
Abeba, à l'instar de l'Organisation des Etats américains, la Charte africaine de la
démocratie, des élections et de la gouvernance21.

Il s'agit d'une véritable convention internationale imposant des normes de


référence en matière de démocratie et des droits de l'Homme. Pratiquement
aucun autre texte international de type continental, mis à part la Charte
démocratique interaméricaine22 (adoptée à la première séance plénière tenue le
11 septembre 2001), n'en fait autant.

Cette Charte mentionne, dans son préambule, que les Etats membres de l'Union
africaine sont « préoccupés par les changements anticonstitutionnels de
gouvernement qui constituent l’une des causes essentielles d’insécurité,
d’instabilité, de crise et même de violents affrontements en Afrique ».

L'article 2 relatif aux objectifs de la Charte africaine de la démocratie, des


élections et de la gouvernance, le point 4 vise à « 4. interdire, rejeter et

21
http://www.un.org/fr/africa/osaa/pdf/au/african_charter_democracy_elections_governance_2007f.pdf
22
Sur la base de la Déclaration de Québec, l’Assemblée générale de l’OEA adopta le 11 septembre 2001 une
Charte démocratique interaméricaine dans laquelle a été insérée une clause démocratique. Dans le préambule de
cette Charte, il est rappelé que « la Charte de l'Organisation des États Américains reconnaît que la démocratie
représentative est indispensable à la stabilité, à la paix et au développement de la région, et que l'un des buts de
l'OEA est de promouvoir et de consolider la démocratie représentative, dans le respect du principe de non-
intervention, […] que les Chefs d'État et de gouvernement des Amériques, réunis à l'occasion du Troisième
Sommet des Amériques qui a eu lieu du 20 au 22 avril 2001 à Québec, ont adopté une clause démocratique
établissant que toute altération ou interruption inconstitutionnelle de l'ordre démocratique dans un Etat du
Continent américain constitue un obstacle insurmontable à la participation du gouvernement de l'Etat concerné
au processus des Sommets des Amériques,… que la solidarité et la coopération entre les Etats américains
requièrent l'organisation politique de ces derniers sur la base de l'exercice effectif de la démocratie
représentative ».
http://www.oas.org/OASpage/frn/documents/Democractic_Charter.htm

FSJPST/ 2019-2020 18
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

condamner tout changement anticonstitutionnel de gouvernement dans tout Etat


membre comme étant une menace grave à la stabilité, à la paix, à la sécurité et
au développement ».

L'article 3 relatif aux principes de la Charte mentionne : « 2. L’accès au pouvoir


et son exercice, conformément à la Constitution de l’Etat partie et au principe
de l’Etat de droit. 3. La promotion d’un système de gouvernement représentatif.
4. La tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes. 10. Le rejet et la
condamnation des changements anticonstitutionnels de gouvernement. 11. Le
renforcement du pluralisme politique, notamment par la reconnaissance du rôle,
des droits et des obligations des partis politiques légalement constitués, y
compris les partis politiques d’opposition qui doivent bénéficier d’un statut sous
la loi nationale ».
Mis à part cela, l'article 32 de la Charte établit les cas où il peut y a voir
changement anticonstitutionnel de gouvernement. A cet effet, il dispose que:
"les Etats parties conviennent que l’utilisation, entre autres, des moyens ci-après
pour accéder ou se maintenir au pouvoir, constitue un changement
anticonstitutionnel de gouvernement et est passible de sanctions appropriées de
la part de l’Union:

1. Tout putsh ou coup d’Etat contre un gouvernement démocratiquement élu.

2. Toute intervention de mercenaires pour renverser un gouvernement


démocratiquement élu.

3. Toute intervention de groupes dissidents armés ou de mouvements rebelles


pour renverser un gouvernement démocratiquement élu.

4. Tout refus par un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti ou


au candidat vainqueur à l’issue d’élections libres, justes et régulières.

FSJPST/ 2019-2020 19
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

5. Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments


juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique".

Au niveau concret, une pratique constante s’est progressivement établie afin de


répondre à ce genre de dépassements au sein de l'Union.

C'est l'article 25 de la Charte qui le prévoit: " Si le Conseil de paix et de sécurité


constate qu’il y a eu changement anticonstitutionnel de gouvernement dans un
Etat partie, et que les initiatives diplomatiques ont échoué, il prend la décision
de suspendre les droits de participation de l’Etat partie concerné aux activités
de l’Union en vertu des dispositions des articles 30 de l’Acte Constitutif et 7 (g)
du Protocole. La suspension prend immédiatement effet".

Par ailleurs, et en vertu de l’article 30 de l’Acte constitutif de l’Union « les


Gouvernements qui accèdent au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels ne
sont pas admis à participer aux activités de l’Union ». C'est donc un cas de
suspension. Un délai maximum de six mois est accordé aux auteurs du
changement anticonstitutionnel pour restaurer l’ordre constitutionnel23.

Mis à part cela, d'autres sanctions peuvent être mises en œuvre à l’encontre du
régime qui refuse de restaurer l’ordre constitutionnel. C'est l'article 37 du
règlement intérieur de la Conférence de l'Union relatif aux "Sanctions pour les
changements anticonstitutionnels de gouvernement" qui détaille ce genre de
sanctions. Selon le paragraphe 5 dudit article, les sanctions sont, entre autres,
les suivantes:

23
En vertu du Règlement intérieur de la Conférence, qui a repris les prévisions de la Déclaration de Lomé du 12
juillet 2000 en les adaptant aux nouvelles structures de l’Union, et en application de l'article 30 de l'Acte
constitutif : « 4. Chaque fois qu’il y a un changement anticonstitutionnel de gouvernement, le Président et le
Président de la Commission : a) condamnent immédiatement, au nom de l’Union, ce changement et demandent
instamment le retour rapide à l’ordre constitutionnel ; b) envoient un avertissement clair et sans équivoque, à
savoir que ce changement illégal n’est ni toléré, ni reconnu par l’Union ; c) assurent la cohérence de l’action
aux niveaux bilatéral, inter États, sous-régional et international ; d) demandent au CPS de se réunir pour
examiner la question ; e) suspendent immédiatement l’État membre de l’Union et sa participation aux organes
de l’Union, sous réserve que sa non participation aux organes de l’Union n’affecte pas la qualité d’État membre
de l’Union et ses obligations envers l’Union ».

FSJPST/ 2019-2020 20
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

« a) refus de visas pour les auteurs du changement anticonstitutionnel ;

b) restriction des contacts du gouvernement avec les autres gouvernements ;

c) restrictions commerciales ;

d) les sanctions prévues dans l’article 23 (2) de l’Acte constitutif et [du]


Règlement intérieur ;

e) toute sanction supplémentaire que pourrait recommander le CPS ».

Lorsque ces sanctions sont prises, il faut veiller à ce que les citoyens ordinaires
du pays concerné ne souffrent pas indûment de l’application des sanctions24.

Bien entendu, il va de soi que la Démocratie ne peut pas être imposée par la
force25. Les valeurs de Démocratie et de respect des droits de l'être humain sont
devenues des principes universellement reconnus et admis. C'est la raison pour
laquelle une place centrale a été réservée à la culture démocratique dans la
charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.

Il s'agit du chapitre V intitulé "De la culture démocratique et de la paix",


préalable nécessaire à toute société démocratique. Ce chapitre met l'accent sur
trois idées importantes qui sont: l’instauration et le renforcement de la culture de

24
Des cas pratiques de l’application de ces nouvelles dispositions nous est fourni par l’attitude du Conseil de
paix et de sécurité de l'Union africaine à l’égard du coup d’état intervenu en Mauritanie le 6 août 2008. Un autre
cas intéressant mettant en exergue la complémentarité d’action de l’Union africaine et des Communautés
économiques régionales, la SADC pour le cas de l’espèce, nous est fourni par la crise politique malgache de
mars 2009. De même, le CPS en sa 362ème réunion, tenue à Addis-Abeba, le 23 mars 2013, a adopté des
sanctions contre les auteurs du coup d’état en République centrafricaine (RCA).
De même, le cas de l'Egypte après le coup d'Etat militaire contre le régime élu de Mohamed Morsi et sa
suspension de l'UA en 2013 est édifiant, à cet égard. Cette suspension a été levée suite au rétablissement de
l'ordre constitutionnel et la tenue des élections présidentielles en Egypte en mai 2014.
Voir BEN ACHOUR (R.), Changements anticonstitutionnels de gouvernement et droit international, Recueil des
cours de l'Académie de droit international de la Haye, tome 379, 2016, p.520-533.
25
GUELDICH (H.), « L’ingérence démocratique : peut-on imposer la légitimité démocratique par la force armée
? », in BEN ACHOUR (R.), (sous direction), Changements anticonstitutionnels de gouvernement : approches de
droit constitutionnel et de droit international , op. cit., éditions Presses universitaires Aix Marseille, 2014, p.
115-124.

FSJPST/ 2019-2020 21
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

la démocratie et de la paix26, la promotion des principes et pratiques


démocratiques et la consolidation de la culture de la démocratie et de la paix27,
mais aussi l'établissement et le maintien d'un dialogue politique et social entre
gouvernants et gouvernés28.

Nous pensons que si elles sont respectées, ces pratiques peuvent améliorer les
standards démocratiques dans les sociétés et pays africains qui restent, en dépit
de tous ces textes bien écrits, pointés du doigt comme étant les plus despotiques,
tyranniques et anti-démocratiques.

Section 3- LE FUTUR AMENDEMENT DE L'ARTICLE 4 H) DE


L'ACTE CONSTITUTIF DE L'UNION AFRICAINE:

Une dernière observation revient à commenter le Protocole sur les amendements


à l’Acte constitutif de l’Union africaine, adopté par la première session
extraordinaire de la Conférence de l’Union africaine tenue le 3 février 2003, à
Adis Abeba en Ethiopie et par la deuxième session ordinaire de la Conférence de
l’Union tenue le 11 juillet 2003, à Maputo au Mozambique. Ce qui nous
intéresse, dans ce Protocole, c’est l’amendement qui va être adopté au sein de
l’article 4 h) de l’Acte constitutif de l’Union africaine du 11 juillet 2000 et relatif
au droit d’intervenir.

26
L'article 11 de la Charte dispose que: " Les Etats parties s’engagent à élaborer les cadres législatif et politique
nécessaires à l’instauration et au renforcement de la culture, de la démocratie et de la paix".
27
L'article 12 de la Charte dispose que: "Les Etats parties s’engagent à mettre en œuvre des programmes et à
entreprendre des activités visant à promouvoir des principes et pratiques démocratiques ainsi qu’à consolider la
culture de la démocratie et de la paix. A ces fins, les Etats parties doivent : 1. Promouvoir la bonne
gouvernance, notamment par la transparence et l’obligation de rendre compte de l’administration. 2. Renforcer
les institutions politiques pour asseoir une culture de la démocratie et de la paix. 3. Créer les conditions légales
propices à l’épanouissement des organisations de la société civile. 4. Intégrer dans leurs programmes scolaires
l’éducation civique sur la démocratie et la paix et mettre au point les programmes et activités appropriés".
28
L'article 13 de la Charte dispose que: " Les Etats parties prennent des mesures pour établir et maintenir un
dialogue politique et social, ainsi que la transparence et la confiance entre les dirigeants politiques et les
populations en vue de consolider la démocratie et la paix".

FSJPST/ 2019-2020 22
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

En fait, dans ce Protocole d'amendements 29, il a été décidé d’ajouter un


quatrième cas et qui consiste à autoriser le droit d’intervenir de l’Union
africaine, même dans l'hypothèse « d’une menace grave de l’ordre légitime afin
de restaurer la paix et la stabilité dans l’Etat membre de l’Union, sur la
recommandation du Conseil de paix et de sécurité ».

Ce membre de phrase suscite encore plus de controverses que l’article 4 h) tel


que formulé jusqu’à présent. En réalité, ce dernier cas nous pousse à formuler
plus d’une question s’il est ratifié, car la définition d’une « menace grave de
l’ordre légitime » est une tâche difficile et peut être sujette à une interprEtation
discrétionnaire.

A priori, ce cas vise à rétablir la paix et la sécurité dans l’Etat membre, ce qui
semble un but légitime, dans le cadre de la protection des régimes établis, s’ils
sont démocratiquement élus. En sus de la garantie supplémentaire qui consiste,
pour la Conférence de l’Union, à avoir la recommandation du Conseil de
sécurité et de paix en Afrique30.

Néanmoins, et malgré ces garanties procédurales, il nous semble que la notion


de « menace grave de l’ordre légitime » est extrêmement superflue, son
appréciation est, difficilement, objective et ce qui peut sembler à certains Etats
comme menace grave peut ne pas l’être pour d’autres. D’ailleurs, on peut se
demander qu’est-ce qu’un ordre légitime et qu’est ce qui peut menacer
29
A ce jour, le Protocole sur les Amendements du 3 février 2003 à l'Acte constitutif de l'Union africaine a été
signé par 50 Etats sur 55 membres et ratifié seulement par 28 Etats (dernière consultation le 9 septembre 2018).
Par conséquent, ce texte n'est pas encore entrée en vigueur. Voir texte et état des signatures et ratifications sur
https://au.int/sites/default/files/treaties/7785-sl-
protocol_on_the_amendments_to_the_constitutive_act_of_the_african_union_.pdf
A ce sujet, voir notamment :
BAIMU (E.) & STURMAN (K.), « Amendment of the African Union’s Right to Intervene. A shift from human
security to regime security ? », African Security Review, 2003, n°12,
http://www.iss.co.za/ASR/12/No2/AfWat.html.
CALIGIURI (A.), " Le droit d’intervention de l’Union africaine et l’interdiction de l’usage de la force en droit
international", juin 2004, http://www.umimc.it/internazionale/doc/caligiuri_wp.pdf/
30
Ce qui constitue une garantie supplémentaire pour la mise en œuvre du droit d’intervenir, puisque le pouvoir
de décision revient, en dernier lieu, au moins aux deux tiers des Etats membres.

FSJPST/ 2019-2020 23
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

gravement un ordre légitime ?

Ce membre de phrase, ou cette notion nouvelle, ne figure dans aucun texte de


droit positif, ni national, ni international. Mais à la lecture des principes de
l’article 4 de l’Acte constitutif de l’Union africaine du 11 juillet 2000, il y est
mentionné : « p) condamnation et rejet des changements anti-constitutionnels de
gouvernement ». Ainsi, il parait que les Etats membres de l’Union africaine
visent les changements anti-constitutionnels de gouvernements
démocratiquement élus et ont l’intention de fonder un droit d’intervenir pour
rétablir l’ordre légitime, dans ce cas.

Nous sommes ici, avec ce Protocole d’amendements, face à une situation


politique interne d’un Etat souverain mais qui peut donner lieu à un droit
d’intervenir si elle est qualifiée, par au moins les deux tiers des Etats membres,
comme « une menace grave de l’ordre légitime ». En outre, la notion d’ordre
légitime nous semble extrêmement imprécise et impropre. Si le Protocole vise le
régime politique, ce régime doit être légal et non légitime, c'est-à-dire élu suite à
des élections démocratiques et une accession au pouvoir dans le respect des
principes constitutionnels de l’Etat en question, ce qui n’est pas toujours le cas
dans un nombre important de pays africains. Si la notion de « menace grave à un
ordre légitime » vise les coups d’Etat, les actions ou menaces terroristes, les
manipulations frauduleuses dans les résultats d’élections, (etc.), alors s’agit-il ici
d’une véritable consécration d’un droit d’ingérence politique dans les affaires
internes d’un Etat souverain, contraire au principe du libre choix de son système
politique, social, économique et culturel, ne touchant pas aux violations
massives des droits de l’homme et qui n’a aucun trait humanitaire, comme dans
les trois cas précédents (à savoir les crimes contre l’humanité, le génocide et les
crimes de guerre) ?

FSJPST/ 2019-2020 24
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

Ce dernier cas n’est-il pas en contradiction avec les principes du respect de


l’égalité souveraine, ainsi que la non-intervention d’un Etat membre dans les
affaires intérieures d’un autre Etat membre, comme confirmé au sein même de
l’article 4 de l’Acte constitutif de l’Union africaine du 11 juillet 2000 ?

Nous pensons que le Protocole d’amendements de l’Acte constitutif de l’Union


africaine du 3 février 2003, s’il est ratifié par les deux tiers au moins des Etats
31
membres de l’Union africaine , y compris concernant l’ajout du dernier cas
autorisant un droit d’intervenir à l’Union africaine, il ouvrira la porte à
l’arbitraire et mènera le droit d’intervention vers une conception très large qui
pourra être dangereuse au niveau de sa mise en œuvre, surtout lorsqu’il y a des
pressions extérieures susceptibles de contraindre la majorité des Etats africains,
déjà fragilisés par leurs dépendances financières et économiques aux Etats les
plus puissants, à prendre une décision altruiste, bien plus généreuse que ne le
supporte la situation réelle.

Intervenir, même en ayant recours à la force armée, dans un Etat africain où son
ordre légitime est menacé gravement, selon l’appréciation d’autres Etats
africains, en dépit de l’absence de son consentement, ne sera-t-il pas accueilli
par sa population comme un nouveau visage du colonialisme, pouvant coûter
des milliers de vies humaines qui auraient dû être épargnées, du côté de ceux qui
interviennent, mais aussi du côté de ceux qui subissent l’intervention, et
permettant une dégradation progressive de la situation en accélérant la violence
et en élargissant le cercle du conflit ? N’y a-t-il pas d’autres moyens afin de
régler pacifiquement le différent entre belligérants 32 et éviter ainsi le droit
d’intervenir accompagné de la force armée ?

31
Jusqu’à présent, ce Protocole a été signé par 50 Etats sur 55 Etats membres et ratifié seulement par 28 Etats,
donc pas encore entré en vigueur (dernière consultation le 9 septembre 2018).
32
Comme les moyens de règlement pacifique des différends conçus par l’article 33 de la Charte des Nations
unies, à travers la négociation, la médiation, la conciliation, l’arbitrage, le règlement judiciaire, etc.

FSJPST/ 2019-2020 25
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

Pour conclure cette partie, il est primordial de rappeler que les principes de
respect de la démocratie, de l’Etat de droit et de la bonne gouvernance sont de
plus en plus des valeurs universelles et unanimement reconnues sur le plan
international33. La réaction de l'Union africaine, tant au niveau normatif, qu'au
niveau opérationnel, a été très rigoureuse par rapport au rejet et à la
condamnation des changements anticonstitutionnels de gouvernement.

En sus des sanctions qu'on avait énumérées et qui sont appliquées à l'encontre
des Etats, le crime de changement anticonstitutionnel de gouvernement34 risque
de devenir un cas de crime grave susceptible de recours devant la future Cour
africaine de justice et des droits de l'Homme, si la volonté politique des Chefs
d'Etats membres de l'Union africaine ont la ferme intention d'aller jusque là.

En tout cas, cette audace incomparable au niveau continental et régional laisse


entendre que l'Union africaine, à travers le corpus de règles qu'elle a établi, est
très préoccupée par les valeurs universelles de Démocratie et d'Etat de droit et
semble être sur la bonne voie afin d'atteindre ces idéaux qui restent chers à
l'humanité toute entière.

Il n'est pas vain, dans ce sillage, de rappeler la proposition de la Tunisie


concernant la création d’une Cour constitutionnelle internationale 35, en tant

33
Cf. BEN ACHOUR (R.). "Le droit international de la démocratie", in Cours Euro-méditerranéen Bancaja de
droit international. Volume IV. 2000, p. 327 - 359
34
TCHIKAYA (B.), "Le crime international de changement anticonstitutionnel de gouvernement: quelques
questions", in BEN ACHOUR (R.), (sous direction), Changements anticonstitutionnels de gouvernement :
approches de droit constitutionnel et de droit international , op. cit., éditions Presses universitaires Aix
Marseille, 2014, p. 141-147.
35
En 1999, alors qu’il était dans l’opposition, M. Mohamed Moncef Marzouki a publié dans le journal français «
Libération » un article dont les principales idées ont été reprises dans son livre « Le mal arabe » (2004). Dans cet
article, l’auteur explique que les maux liés à la dictature devront être résolus par le renforcement des mécanismes
favorisant l’Etat de Droit et limitant la marge de l’arbitraire dans la gestion des affaires publiques et ce, par
l’instauration d’un mécanisme juridictionnel international. En 2006, le Professeur Yadh Ben Achour a repris
cette idée et l’a étayée dans la conclusion du Cours qu’il a donné à l’Académie Internationale de Droit
Constitutionnel (AIDC). En 2011, il a été institué un Comité d’Experts composé de M. Yadh Ben Achour
(Tunisie), Pr. Monique Chemillier Gendreau (France), Pr. Ghazi Gherairi (Tunisie), Pr.Ferhat Horchani
(Tunisie), Pr. Maurice Kamto (Cameroun), Pr. Slim Laghmani (Tunisie), Pr. Ahmed Mahiou (Algérie), Pr.
Christian Tomuschat (Allemagne).

FSJPST/ 2019-2020 26
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

qu'organe de contrôle de la constitutionnalité internationale et ayant une


compétence consultative qu’elle exerce par des avis consultatifs et une
compétence contentieuse qu’elle exerce par voie d’arrêts. Si ce projet pourra
aboutir, un jour, une révolution implacable se fera au sein du droit
constitutionnel international et du droit international constitutionnel 36.

Certes, nous sommes convaincus qu'une telle Cour pourra préparer le terrain à
un monde plus démocratique, pacifique et prospère.

Il suffit d'y croire vraiment37.

L’idée de créer une Cour Constitutionnelle a, alors, pris forme. Par la suite, il a été décidé de créer un Comité ad
hoc ayant pour mission de soutenir l’idée de mise en place de la Cour Constitutionnelle Internationale, présidé
par le Président de la République. L’objectif du Comité est de diffuser l’idée du projet et de lui assurer le soutien
des Etats membres de l’ONU. Il s’agit, en effet, d’un projet d’avenir, non pas seulement pour la Tunisie, pour
son environnement arabe, islamique, méditerranéen, africain, mais aussi pour l’humanité tout entière.
Le Comité a aussi pour objectif de rassembler autour de ce projet un collectif symbolique de 100 professeurs de
Droit constitutionnel et de droit international à travers tous les continents, outre un collectif de grandes
personnalités internationales, dans le monde de la politique, de la pensée, de l’art et du sport, ainsi qu’un groupe
d’étudiants. Grâce aux efforts déployés, l’initiative a reçu l’aval des pays africains lors du XXème sommet de
l’Union Africaine. La Tunisie continuera à travailler pour assurer l’appui des autres groupes à commencer par les
pays arabes et islamiques, afin de garantir la réception favorable du projet de résolution qui a été soumis à
l’Assemblée Générale de l’Organisation des Nations Unies lors de sa 68ème session (septembre 2013).
36
Voir PALLARD (H.) et GHACHEM (A.), (sous dir.), Une Cour constitutionnelle internationale au service du
droit démocratique et du droit constitutionnel, 2017.
Avec cet ouvrage qui regroupe d’éminents professeurs d’Algérie, du Brésil, du Cameroun, du Canada, de la
France, du Liban, du Maroc, du Portugal et de la Tunisie, les participants ont considéré que la réflexion
théorique a suffisamment muri et qu'il fallait passer à l’élaboration du statut de la future Cour.
37
Une équipe de professeurs universitaires a travaillé sous la direction du Professeur Yadh Ben Achour, tout au
long de l'année 2018, afin de rédiger le projet de statut de la Cour constitutionnelle internationale. L'équipe est
composée par Asma Ghachem, Nadia Akacha, Khaled Méjri, Sarra Maaouia et Hajer Gueldich.
Un travail de longue haleine de persuasion, de promotion, de diffusion et de marketing politique de cette idée
innovante doit être fait afin de voir se concrétiser, un jour, ce projet fort ambitieux.
Etant vice-Président du Comité des droits de l’Homme aux Nations unies, le Professeur Yadh Ben Achour se
charge de sensibiliser son réseau onusien pour présenter le projet et faire un plaidoyer pour que les Etats signent
ce traité.
Pour sa part, le Professeur Hassan Ouazzani Chahdi qui est membre de la Commission du droit international des
Nations unies et faisant partie de l’équipe internationale qui travaille sur le projet, est aussi enthousiaste pour
mobiliser son réseau pour l’adoption de ce projet.
En notre qualité de membre de l’équipe tunisienne qui a travaillé sur le projet de statut et étant aussi membre
élue de la Commission de l’Union africaine pour le droit international, nous nous montrons tout autant
enthousiaste pour diffuser l’idée auprès de notre réseau africain.

FSJPST/ 2019-2020 27
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

CHAPITRE 3:

LA CONVENTION DE KAMPALA SUR LA PROTECTION ET


L'ASSISTANCE AUX PERSONNES DEPLACEES EN AFRIQUE

La Convention sur la protection et l’assistance des personnes déplacées en


Afrique (Convention de Kampala)38, adoptée le 22 octobre 2009 à Kampala
(Ouganda) et entrée en vigueur le 6 décembre 2012, fait œuvre de pionnier
lorsqu’elle transforme le droit à la protection contre le déplacement arbitraire en
une norme légalement contraignante.

En adoptant cette convention en 2009, l’Union africaine a franchi une étape


essentielle pour renforcer la protection des droits de certaines personnes les plus
vulnérables sur le continent.

"Quelles que soient les causes du déplacement - conflits armés, catastrophes


naturelles ou projets de développement, l’impact sur les personnes est toujours
grave (...). La Convention de Kampala met en place un cadre juridique africain
pour prévenir les déplacements internes, pour protéger et aider les personnes
pendant le déplacement, et pour fournir des solutions durables aux personnes
déplacées. En adoptant la Convention de Kampala, l’Union africaine est
devenue la première organisation régionale au monde à adopter un instrument
juridiquement contraignant pour protéger les droits des personnes déplacées. La
Convention de Kampala est, également, unique parce qu’elle reconnaît le rôle
fondamental de la société civile dans la fourniture de protection et assistance

38
http://www.peaceau.org/uploads/convention-on-idps-fr.pdf

FSJPST/ 2019-2020 28
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

aux personnes déplacées"39.

La Convention de Kampala est la première convention internationale abordant,


de manière globale, la question des déplacements internes, y compris la
prévention, la réponse et les solutions durables.

Elle réitère les règles existantes en droit international et dans le cadre de l’UA,
notamment les droits de l’Homme et les normes de droit international
humanitaire. Par ailleurs, en renforçant et en consolidant ces normes dans un
seul instrument, elle offre un cadre juridique unique pour aborder les spécificités
des déplacements internes sur le continent africain et fournit une base juridique
plus solide et plus claire pour la protection des personnes déplacées.

Afin de mieux cerner la portée et l'importance de ce texte, il y a lieu de présenter


le champ d'application de cette convention (section 1), les droits des personnes
déplacées internes (section 2), ainsi que les limites et obstacles quant à la mise
en œuvre effective de cette Convention (section 3).

Section 1- CHAMPS D'APPLICATION DE LA CONVENTION de


KAMPALA:

La question de la protection des personnes déplacées a été pendant, longtemps,

marginalisée, vu l’absence d’une convention internationale les concernant, d'une


part et vu la subordination de la protection des personnes déplacées à d’autres

39
AKERE (T-M), "Préface", in Rendre la convention de Kampala opérationnelle pour les personnes déplacées
Guide pour la société civile: Appui à la ratification et à la mise en œuvre de la Convention sur la protection et
l’assistance aux personnes déplacées en Afrique, Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC),
juillet 2010, p. 10.
http://www.internal-displacement.org/sites/default/files/inline-files/2010-making-the-kampala-convention-work-
thematic-fr.pdf

FSJPST/ 2019-2020 29
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

catégories de personnes vulnérables (spécialement les réfugiés), d'autre part40.

Au niveau international régional et universel, aucun texte spécifique ne couvre


cette catégorie de personnes. Depuis 1998, il existe, seulement, des
recommandations comme les principes directeurs des Nations unies relatifs au
déplacement interne 41, sans plus. C'est donc la Convention de Kampala de 2009
qui innove sur le plan conceptuel, mais aussi opérationnel, comparée à tous les
autres textes en la matière.

Dans ce sens, "La Convention de Kampala a transformé le droit à la protection


contre le déplacement arbitraire contenu dans les Principes directeurs en une
norme légalement contraignante. Même s’il s’agit uniquement d’un instrument
régional, il est, néanmoins, indicateur du fait que les Etats ont reconnu ce droit
parce qu’il existait une lacune légale qu’il convenait de combler"42. Les agences
internationales humanitaires et des droits de l’homme ainsi que les ONG
disposent alors d’un nouvel instrument de plaidoyer pour les aider à traiter les
causes de déplacement. "Le respect et la mise en œuvre de ce droit tout neuf
apporterait une énorme contribution à la réduction des flux de réfugiés et des
40
Pour une étude détaillée des conventions, protocoles et textes régissant la question de la protection des
déplaces en Afrique avant la convention de Kampala, voir:
DAMAK (M.), La Convention de Kampala pour la protection des personnes déplacées en Afrique, Mémoire de
Master de recherche en Droit public, Faculté des sciences juridiques politiques et sociales de Tunis, Université
de Carthage, 2014.
41
Les principes directeurs des Nations unies de 1998 visent à répondre aux besoins particuliers des personnes
déplacées à l’intérieur de leur propre pays à travers le monde. Y sont identifiés les droits et les garanties
concernant la protection des personnes contre les déplacements forcés et la protection et l’aide qu’il convient de
leur apporter au cours du processus de déplacement, ainsi que pendant leur retour ou leur réinstallation et leur
réintégration. Néanmoins, ces principes directeurs sont limités quand il s'agit de leur mise en œuvre pratique.
Leur valeur juridique est une simple recommandation, sans force contraignante pour les Etats et les organisations
internationales. Les principes directeurs des nations unies souffrent encore de leur faible application
opérationnelle sur le terrain. De surcroît, le volet institutionnel fait défaut étant donné qu’aucune organisation ou
agence n’est aujourd’hui seule responsable de la protection des personnes déplacées dans le monde.
Voir notamment:
CORDULA (G.), « L’évolution en matière de protection juridique des personnes déplacées à l'intérieur de leur
propre pays – état de la situation dix ans après la présentation des principes directeurs », in Revue internationale
de la Croix-Rouge, 18-02-2009, www.icrc.org/fre/resources/documents/misc/5fzf6z.htm
FERRIS (E.), « Evaluer l’impact des principes : une tache inachevée », in Revue migrations forcées, décembre
2008, disponible sur : http://www.fmreview.org/fr/pdf/GP10/full.pdf
42
STAVROPOULOU (Maria), " La Convention de Kampala et la protection contre le déplacement arbitraire", in
Revue Migrations forcées, http://www.fmreview.org/fr/RDCongo/stavropoulou.htm

FSJPST/ 2019-2020 30
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

déplacements internes"43.

Pour ce qui est de la définition de cette catégorie des personnes déplacées, c'est
L’article 1 k) de la Convention de Kampala qui définit les « personnes déplacées
» comme suit : "Les personnes ou groupes de personnes ayant été forcées ou
obligées de fuir ou de quitter leurs habitations ou lieux habituels de résidence,
en particulier après, ou afin d’éviter les effets des confits armés, des situations
de violence généralisée, des violations des droits de l’homme et/ou des
catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme, et qui n’ont pas traversé
une frontière d’Etat internationalement reconnue"

De surcroît, l’une des caractéristiques essentielles de la Convention de Kampala


est qu’elle va au-delà de la portée que son titre implique (Convention de l’Union
Africaine pour la protection et l’assistance des Personnes déplacées internes), en
ce qu’elle contient, également, le droit à la protection contre le déplacement
arbitraire.

Ceci inclut, à la fois, le déplacement interne et le déplacement au-delà des


frontières internationales. "La Convention complète donc, sciemment ou non, la
Convention de 1951 sur le Statut des réfugiés"44

Le déplacement interne, selon la Convention 45, peut résulter soit d’un


déplacement arbitraire tel que défini à l’article 4, soit d’autres causes de
mouvement involontaire (par exemple, une catastrophe naturelle), pour
lesquelles les personnes restent à l’intérieur des frontières internationalement
reconnues d’un Etat.

Le déplacement arbitraire, d’autre part, est défini à l’article 3 de la Convention,


43
Idem. op. cit.
44
STAVROPOULOU (Maria), " La Convention de Kampala et la protection contre le déplacement arbitraire",
op. cit.
45
L'article 1 (l) de la Convention de Kampala définit le déplacement interne comme suit: " le mouvement,
l’évacuation ou la réinstallation involontaires ou forcés des personnes ou groupes de personnes à l’intérieur des
frontières internationalement reconnues d’un Etat".

FSJPST/ 2019-2020 31
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

en plaçant sur les Etats parties la responsabilité de s’abstenir, d’interdire et de


prévenir tout déplacement arbitraire de populations, et en ajoutant des détails
relatifs aux causes de ces déplacements qui pourraient être imputées aux Etats
eux-mêmes ou à des acteurs non Etatiques46.

L’article 4 proclame que « toute personne a le droit d’être protégée contre le


déplacement arbitraire». Cet article enjoint aux Etats de respecter leurs
obligations en vertu du droit international, notamment des droits de l’homme et
du droit humanitaire, afin de prévenir et d’éviter les conditions pouvant conduire
au déplacement arbitraire de personnes et de prévoir la mise en place d’un
système précoce d’alerte à l’échelle du continent.

A la lumière de tout ce qui précède, les catégories de déplacements arbitraires


interdits incluent notamment:

 Le déplacement basé sur les politiques de discrimination raciale ou autres


pratiques similaires, visant à altérer la composition ethnique, religieuse ou

46
l'article 3 de la Convention de Kampala dispose que:
"1. Les Etats parties s’engagent à respecter et à assurer le respect de la présente Convention, et tout
particulièrement, à :
a. S’abstenir de pratiquer, interdire, prévenir le déplacement arbitraire des populations ;
b. Prévenir l’exclusion et la marginalisation politiques, sociales, culturelles, susceptibles de causer le
déplacement de populations ou de personnes en vertu de leur identité, leur religion ou leur opinion politique ;
c. Respecter et assurer le respect des principes d’humanité et de dignité humaine des personnes déplacées ;
d. Respecter et assurer le respect et la protection des droits humains des personnes déplacées, y compris un
traitement empreint d’humanité, de non discrimination, d’égalité et de protection égale par le droit ;
e. Respecter et assurer le respect du droit international humanitaire concernant la protection des personnes
déplacées ;
f. Respecter et assurer le respect du caractère humanitaire et civil de la protection et de l’assistance aux
personnes déplacées, en veillant notamment à ce que ces personnes ne se livrent pas à des activités subversives ;
g. S’assurer de la responsabilité individuelle des auteurs d’actes de déplacement arbitraire, conformément au
droit pénal national et international en vigueur ;
h. S’assurer de la responsabilité des acteurs non étatiques concernés, y compris les entreprises multinationales
et entreprises militaires ou de sécurité privées, pour les actes de déplacement arbitraire ou de complicité dans
de tels actes ;
i. Assurer la responsabilité des acteurs non étatiques impliqués dans l’exploration et l’exploitation des
ressources économiques et naturelles, ayant pour conséquence des déplacements de population ;
j. Porter assistance aux personnes déplacées en assurant la satisfaction de leurs besoins fondamentaux, en
autorisant et facilitant un accès rapide et libre aux organisations et au personnel humanitaires ;
k. Assurer la promotion des moyens autonomes et durables en faveur des personnes déplacées, à condition que
ces moyens ne soient pas utilisés comme prétexte pour négliger la protection et l’assistance à ces personnes,
sans préjudice de tout autre moyen d’assistance".

FSJPST/ 2019-2020 32
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

raciale de la population ;
 Le déplacement individuel ou massif de civils en situation de conflit armé,
sauf pour des raisons de sécurité des civils impliqués ou des impératifs
d’ordre militaire conformément au droit international humanitaire ;
 Le déplacement utilisé intentionnellement comme méthode de guerre ou
autres violations du droit international humanitaire dans des situations de
conflit armé ;
 Le déplacement issu des situations de violence ou de violations
généralisées des droits de l’homme ;
 Le déplacement résultant de pratiques néfastes ;
 L’évacuation forcée dans les cas de catastrophes naturelles ou provoquées
par l’homme ou par d’autres causes si les évacuations ne sont pas exigées
par la sécurité et la santé des personnes affectées ;
 Le déplacement utilisé comme punition collective.

L’article 4 de la Convention de Kampala conclut en demandant aux Etats


membres de l’UA de déclarer comme "infractions punissables par la loi, les
actes de déplacement arbitraire pouvant être assimilés à un génocide, à des
crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité"47.

Section 2- LES DROITS DES PERSONNES DEPLACEES


INTERNES:

Une comparaison entre la Convention de Kampala et les Principes directeurs en


relation au droit d’être protégé contre le déplacement arbitraire révèle un certain
nombre de différences.

47
L'article 4 paragraphe 6 de la Convention de Kampala dispose que: " Les États parties déclarent comme
infractions punissables par la loi, les actes de déplacement arbitraire pouvant être assimilés à un génocide, à
des crimes de guerre ou à des crimes contre l’humanité".

FSJPST/ 2019-2020 33
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

En effet, la Convention de Kampala semble être plus spécifique sur des


questions de responsabilité. En effet, elle met l'accent sur la responsabilité
individuelle48, la responsabilité des Etats et des organisations internationales et
agences spécialisées, ainsi que la responsabilité des acteurs non-Etatiques, en
particulier en ce qui concerne les compagnies multinationales et les compagnies
militaires privées ou de sécurité.

C'est ainsi que l'article 5 de la Convention de Kampala met un catalogue détaillé


d'obligations qui incombent aux Etats parties à ladite convention, en disposant
que:

" 1. Les Etats parties assument leur devoir et leur responsabilité première,
d’apporter protection et assistance humanitaire aux personnes déplacées, au
sein de leur territoire ou de leur juridiction, sans discrimination aucune.

2. Les Etats parties coopèrent, à l’initiative de l’Etat concerné ou de la


Conférence des Etats Parties, en vue de protéger et d’assister les personnes
déplacées.

3. Les Etats parties respectent les mandats de l’Union africaine et des Nations
Unies, ainsi que le rôle des organisations humanitaires internationales pour la
protection et l’assistance aux personnes déplacées, conformément au droit
international.

4. Les Etats parties prennent les mesures nécessaires pour assurer protection et
assistance aux personnes victimes de déplacement interne en raison de
catastrophes naturelles ou humaines y compris du changement climatique.

5. Les Etats parties évaluent ou facilitent l’évaluation des besoins et des

48
L'article Article 15 paragraphe 2 de la Convention de Kampala dispose que: " Les États parties conviennent
qu’aucun aspect de cette Convention ne saurait être conçu comme accordant un statut légal ou comme une
reconnaissance des groupes armés et que ses dispositions n’exonèrent pas de leur responsabilité pénale
individuelle leurs membres en vertu du droit pénal national ou international".

FSJPST/ 2019-2020 34
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

vulnérabilités des personnes déplacées et des communautés d’accueil, en


coopération avec les organisations ou agences internationales.

6. Les Etats parties assurent suffisamment de protection et d’assistance aux


personnes déplacées, et en cas d’insuffisance des ressources maximales
disponibles pour leur permettre de le faire, coopèrent en vue de solliciter
l’assistance des organisations internationales ou des agences humanitaires, des
organisations de la société civile et des autres acteurs concernés. Ces
organisations peuvent offrir leurs services à tous ceux qui en ont besoin.

7. Les Etats parties prennent les mesures nécessaires pour organiser les
opérations de secours à caractère humanitaire et impartial, et garantir les
meilleures conditions de sécurité et d’efficacité. Les Etats parties autorisent le
passage rapide et libre de toutes les opérations, tous les équipements et de tout
le personnel de secours au bénéfice des personnes déplacées. Les Etats parties
rendent également possible et facilitent le rôle des organisations locales et
internationales, des agences humanitaires, ainsi que des organisations de la
société civile, et d’autres acteurs pertinents, afin d’apporter protection et
assistance aux personnes déplacées. Les Etats parties ont le droit de prescrire
les conditions techniques sous lesquelles ce passage est autorisé.

8. Les Etats parties soutiennent et assurent le respect des principes d’humanité,


de neutralité, d’impartialité et d’indépendance des organisations humanitaires.

9. Les Etats parties respectent le droit des personnes déplacées à demander


pacifiquement protection et assistance conformément aux législations nationales
et internationales pertinentes, un droit pour lequel elles ne seront pas
persécutées, poursuivies, ni punies.

10. Les Etats parties respectent et protègent et n’attaquent ni portent préjudice


au personnel et au matériel déployés pour l’assistance au profit des personnes

FSJPST/ 2019-2020 35
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

déplacées.

11. Les Etats parties prennent les mesures nécessaires visant à garantir que les
groupes armés respectent leurs obligations au titre de l’article 7".

L'article 6 de la Convention de Kampala relatif aux obligations des organisations


internationales et des agences humanitaires dispose, quant à lui, ce qui suit:

" 1. Les organisations internationales et les agences humanitaires assument


leurs obligations au titre de cette convention conformément au droit
international et aux lois du pays dans lequel elles opèrent.

2. Dans le cadre de la protection et de l’assistance aux personnes déplacées, les


organisations internationales et agences humanitaires respectent les droits de
ces personnes conformément au droit international.

3. Les organisations internationales et les agences humanitaires sont liées par


les principes d’humanité, de neutralité, d’impartialité et d’indépendance des
acteurs humanitaires et respectent les normes et codes de conduite
internationaux appropriés".

En période de conflits armés, la Convention couvre aussi l'hypothèse de


violations engendrées par des membres de groupes armés. L'article 7 paragraphe
5 dispose, à cet effet, ce qui suit:

"Il est interdit aux membres des groupes armés de :

a) Procéder à des déplacements arbitraires ;

b) Entraver, en quelque circonstance que ce soit, la fourniture de la protection et


de l’assistance aux personnes déplacées ;

c) Nier aux personnes déplacées, le droit de vivre dans des conditions


satisfaisantes de dignité, de sécurité, d’assainissement, d’alimentation, d’eau,
de santé et d’abri, et de séparer les membres d’une même famille ;

FSJPST/ 2019-2020 36
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

d) Restreindre la liberté de mouvement des personnes déplacées à l’intérieur et


à l’extérieur de leurs zones de résidence ;

e) Recruter, en quelque circonstance que ce soit, des enfants, de leur demander


ou de leur permettre de participer aux hostilités ;

f) Recruter par la force des individus, de se livrer à des actes d’enlèvement, de


rapt ou de prise d’otages, d’esclavage sexuel et de trafic d’êtres humains,
notamment des femmes et des enfants ;

g) Empêcher l’assistance humanitaire et l’acheminement des secours, des


équipements et du personnel au profit des personnes déplacées ;

h) Attaquer ou nuire au personnel et au matériel déployés pour l’assistance au


profit des personnes déplacées, et de détruire, de confisquer ou de détourner ces
matériels ;

i) Violer le caractère civil et humanitaire des lieux où les personnes déplacées


sont accueillies et de s’infiltrer dans ces lieux".

Il est clair que cette Convention de Kampala adopte une approche plus
analytique en matière de déplacement dans le contexte des conflits armés et
place, également, davantage d’importance sur le déplacement résultant de
l’exploitation des ressources économiques et naturelles et de projets de
développement49.

Bien plus, elle demande l’établissement d’un système de préparation aux


catastrophes et de mesures de gestion pour contribuer à prévenir et atténuer le
déplacement.

49
L'Article 10 de la Convention intitulé " Déplacement provoqué par des projets" dispose que:
" 1. Les Etats parties préviennent, dans la mesure du possible, le déplacement provoqué par les projets réalisés
par les acteurs publics ou privés. 2. Les Etats parties assurent que les acteurs publics ou privés explorent toutes
les alternatives réalisables sur la base de l’entière information et consultation des personnes susceptibles d’être
déplacées en raison de projets. 3. Les Etats parties entreprennent une évaluation de l’impact socio-économique
et environnemental de toute proposition de projet de développement avant la mise en œuvre de ce projet".

FSJPST/ 2019-2020 37
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

L'article 9 de la Convention de Kampala résume, à lui seul, toutes les obligations


des Etats parties relatives à la protection et à l’assistance durant le déplacement
interne. Il s'agit d'un véritable plaidoyer de respect des droits de l'être humain les
plus élémentaires et de respect des règles de droit international humanitaire.
L'article 9 détaille, alors, ces obligations qui sont considérées comme de
véritables droits reconnus aux personnes déplacées internes, quelle que soit la
cause du déplacement, en ces termes:

" 1. Les Etats parties protègent les droits des personnes déplacées, quelle que
soit la cause de déplacement, en s’abstenant de pratiquer, et en prévenant les
actes suivants, entre autres :

a. La discrimination dans la jouissance de tout droit et ou toute liberté, du fait


de leur condition de personnes déplacées.

b. Le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et autres


violations du droit international humanitaire ;

c. Le meurtre arbitraire, les exécutions sommaires, la détention arbitraire,


l’enlèvement, la disparition forcée, la torture ou toute autre forme de traitements
cruels, inhumains et dégradants ;

d. La violence sexuelle et fondée sur le genre, notamment le viol, la prostitution


forcée, l’exploitation sexuelle, et les pratiques néfastes, l’esclavage, le
recrutement d’enfants et leur utilisation dans les hostilités, travail forcé, trafic et
détournement d’êtres humains ;

e. La famine.

2. Les Etats parties s’engagent à :

a. Prendre les mesures nécessaires pour assurer aux personnes déplacées un


accueil sans discrimination aucune, et qu’ils vivent dans des conditions

FSJPST/ 2019-2020 38
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

satisfaisantes de sûreté, de dignité et de sécurité ;

b. Fournir aux personnes déplacées, dans la plus large mesure possible et dans
les plus brefs délais, l'assistance humanitaire adéquate, notamment
l'alimentation, l'eau, l'abri, les soins médicaux et autres services de santé,
l’assainissement, l’éducation, et tous autres services sociaux nécessaires. Cette
assistance peut être étendue, en cas de besoin, aux communautés locales et
d’accueil ;

c. Apporter une protection spéciale et une assistance aux personnes déplacées


ayant des besoins spéciaux, notamment les enfants séparés et non accompagnés,
les femmes chefs de ménage, les femmes enceintes, les mères accompagnées de
jeunes enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées ou souffrant de
maladies transmissibles ;

d. Prendre des mesures spéciales visant à protéger et prévoir la santé


reproductive et sexuelle des femmes déplacées, ainsi que l’appui psychosocial
approprié aux victimes d’abus sexuels et autres ;

e. Respecter et assurer aux personnes déplacées le droit de rechercher la


sécurité dans une autre région de leur Etat, et d’être protégées contre le retour
forcé ou la réinstallation dans un lieu où leur vie, leur sécurité, leur liberté et/ou
leur santé seraient à risque ;

f. Garantir la liberté de mouvement et de choix de résidence des personnes


déplacées, excepté dans les cas où les restrictions sur ces mouvements et ce
choix de résidence sont nécessaires, justifiées, et proportionnées pour des
raisons de sécurité, ou pour des raisons d’ordre et de santé publique ;

g. Respecter et maintenir le caractère civil et humanitaire des lieux d’accueil


des personnes déplacées, et protéger ces lieux contre l’infiltration par des
groupes ou éléments armés, désarmer et séparer ces groupes ou éléments de la

FSJPST/ 2019-2020 39
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

population des personnes déplacées ;

h. Prendre les mesures nécessaires, y compris la mise en place de mécanismes


spécialisés, pour retrouver et réunifier les familles séparées durant le
déplacement, en vue du rétablissement des liens familiaux ;

i. Prendre les mesures nécessaires pour protéger les biens individuels, collectifs
et culturels abandonnés par les personnes déplacées, ainsi que les zones où sont
localisées les personnes déplacées ; soit dans la juridiction des Etats parties, ou
dans les secteurs sous leur contrôle effectif ;

j. Prendre les mesures nécessaires de sauvegarde contre la dégradation de


l’environnement dans les zones où sont localisées les personnes déplacées, dans
la juridiction des Etats parties ou dans les secteurs sous leur contrôle effectif ;

k. Consulter les personnes déplacées et leur permettre de participer aux prises


de décisions relatives à la protection et à l’assistance qui leur sont apportées.

l. Prendre les mesures nécessaires pour assurer que les personnes déplacées,
citoyens dans leurs pays d’origine, puissent jouir et exercer leurs droits civiques
et politiques, particulièrement le droit à la participation publique, notamment le
droit de voter et d’être éligible aux fonctions publiques ;

m. Mettre en place des mesures en vue d’assurer l’efficacité du suivi et de


l’évaluation de l’impact de l’assistance humanitaire fournie aux personnes
déplacées, conformément à la pratique prescrite dans les Normes Sphère".

Section 3- LIMITES ET DIFFICULTÉS DE MISE EN ŒUVRE DE


LA CONVENTION DE KAMPALA:

Au niveau normatif et conceptuel, il est clair que la Convention de Kampala sur


la protection des déplacés internes en Afrique de 2009 innove et marque un

FSJPST/ 2019-2020 40
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

tournant décisif en matière de protection des personnes déplacées au niveau du


continent africain. D'ailleurs et dans le but de verrouiller la Convention de
Kampala et protéger les acquis précieux en matière de protection des déplacés
internes dans le continent africain, quelle qu'en soit la cause, l'article 21 de cette
Convention n'autorise pas les Etats parties à émettre des réserves. En effet, cet
article dispose clairement que: "les Etats parties ne peuvent, ni émettre ni
introduire des réserves relatives à cette convention qui seraient non compatibles
avec ses objectifs et ses buts".

Néanmoins et malgré l'adoption de ce texte en 2009 et malgré son entrée en


vigueur en 201250, sa mise en œuvre effective demeure sujette à des
insuffisances, des limites et des difficultés.

Pour cela, un certain nombre de mesures ont été prévues par ladite convention,
allant de la simple coopération jusqu'à déclencher un véritable droit d'intervenir
avec recours à la force armée.

En effet, la Convention de Kampala prévoit l’établissement d’une Conférence


des Etats parties pour suivre et examiner la mise en œuvre des objectifs de la
Convention. Cette Conférence devrait permettre aux Etats de renforcer leurs
capacités en matière de coopération et d’assistance mutuelle. Elle doit être
convoquée «régulièrement» même si la Convention de Kampala n’indique pas
ce que cela signifie en pratique51.

50
La date d'entrée en vigueur de la convention est le 6 décembre 2012, soit 30 jours après que le Swaziland,
quinzième Etat africain à le faire, eut déposé ses instruments de ratification auprès de l'Union africaine.
51
L'article 14 de la Convention de Kampala dispose que:
" 1. Les Etats parties conviennent de créer une Conférence des États parties à la présente Convention, de suivre
et d’examiner la mise en œuvre des objectifs de la présente Convention.
2. Les Eats parties renforcent leur capacité en matière de coopération et d’assistance mutuelle, sous les auspices
de la Conférence des Etats parties.
3. Les Eats parties conviennent de l’organisation régulière de la Conférence des États parties et de sa
facilitation par l’Union africaine.
4. Les Etats parties, en présentant leur rapport conformément à l’Article 62 de la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples et le cas échéant, dans le cadre du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs,
indiquent les mesures législatives et autres qu’ils ont prises pour donner effet à la présente Convention".

FSJPST/ 2019-2020 41
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

D'un autre côté, et à la lumière des dispositions de la Convention de Kampala, la


responsabilité première d’apporter assistance humanitaire et protection aux
personnes déplacées incombe aux Etats parties. Faute de respect de cette
obligation volontairement ou par suite d’une force majeure, l’Union africaine
exerce son droit d’intervenir.

C'est l'article 8 de la Convention de Kampala qui rappelle les obligations de


l'Union africaine, en la matière, en disposant que :

« 1. L'Union africaine a le droit d’intervenir dans un Etat partie, conformément


à l’Article 4(h) de l’Acte constitutif, dans de circonstances graves, notamment
les crimes de guerre, le génocide et les crimes contre l'humanité.

2. L’Union africaine respecte le droit des Etats parties de solliciter son


intervention pour restaurer la paix et la sécurité, conformément à l’Article 4(j)
de l’Acte constitutif, aux fins de contribuer à la création de conditions
favorables, et de rechercher des solutions durables au problème du déplacement
interne.

3. L’Union africaine soutient les efforts que déploient des Etats parties pour
protéger et porter assistance aux personnes déplacées conformément à la
présente Convention».

Par conséquent, la qualification du déplacement arbitraire des populations


comme crime grave (au sein de l'article 4 paragraphe 6 de ladite Convention 52)
qui peut être assimilé à un génocide, à des crimes de guerre ou à des crimes
contre l’humanité, renvoie automatiquement à l'application de l'article 4 h) de
l’Acte constitutif de l'Union africaine relatif au droit d'intervenir.

Néanmoins, et si l'on veut mesurer l'effectivité et la faisabilité de cette mesure


52
Il est rappeler que ce paragraphe dispose que:" Les États parties déclarent comme infractions punissables par
la loi, les actes de déplacement arbitraire pouvant être assimilés à un génocide, à des crimes de guerre ou à des
crimes contre l’humanité".

FSJPST/ 2019-2020 42
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

sur le plan pratique53, nous pouvons constater que pour tous les cas de
déplacements arbitraires de personnes dans certains pays africains54, notamment
depuis l'entrée en vigueur de cette Convention, il y a absence totale de mise en
œuvre de ce mécanisme de recours à la force armée pour intervenir dans ces
Etats. Ceci montre toutes les limites de la Convention de Kampala quand il s'agit
de sa mise en œuvre au niveau pratique55. C'est ce qui nécessite une volonté
politique ferme pour appliquer les mesures édictées dans les dispositions légales,
d'une part, mais aussi des moyens financiers et humains suffisants, d'autre part,
pour que les dispositions de ladite Convention ne soient pas un vœux pieux.

Pour conclure cette partie de l'analyse, il est important de signaler que les Etats
africains, qui ne l'ont pas encore fait, sont appelés à ratifier la Convention de
Kampala sur la protection et l'assistance des déplacées internes. Et pour les Etats
qui ont déjà ratifié, il est important qu'ils adaptent leurs législations internes à la
lumière de cette Convention.

Sur ce, il est utile de préciser que la Commission de l'Union africaine pour le
droit international, dans le cadre de son mandat, avait établi la loi-type de
l'Union africaine pour la mise en œuvre de la Convention de l'Union africaine
sur la protection et l'assistance aux personnes déplacées en Afrique le 27
novembre 2014. Ce projet de Loi-type a été adopté au sommet de l'UA en
janvier 2015 56.

Le projet de loi-type de l’UA est divisé en 14 chapitres et 63 articles. Les projets

53
HAKATA (K), « Vers une protection plus effective des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays
», in RGDIP, 2002/3. http://www.seikei.ac.jp/university/bungaku/teachers/20110613.pdf
54
Notamment en Libye, au Nigéria, au Mali, en côte d'ivoire, au Burkina-Faso, au Kenya, etc.
55
BILAK (Alexandra), "L’Afrique face à ses déplacés internes", in Revue Politique étrangère 2016/1
(Printemps), pp. 39-51.
56
Voir Rapport sur le projet de loi-type pour la mise en œuvre de la Convention de l’Union Africaine sur la
protection et l’assistance aux personnes déplacées internes en Afrique, par Minelik Alemu Getahun , Rapporteur
Spécial de la CUADI, du 27 novembre 2014, http://www.refworld.org/pdfid/5aeb39434.pdf

FSJPST/ 2019-2020 43
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

d'articles sont organisés de façon à suivre la structure de la Convention de


Kampala de 2009, couvrant tous les aspects des déplacements internes: la
prévention, la protection, l'assistance et la solution durable. Il contient,
également, des dispositions d'indemnisation et de recours et des dispositions
pénales pour prévenir les déplacements internes arbitraires et la poursuite
d’actes criminels contre les personnes déplacées internes.

La loi-type est censée être utilisée comme ressource dans le processus de


rédaction de la législation nationale pour mettre en œuvre la Convention de
Kampala au niveau national. Elle est conçue d'une manière qui permet une
adaptation souple à des situations particulières en termes de causes et de défis
des déplacements dans chaque pays, ce qui la rend, facilement, adaptable aux
différents systèmes juridiques.

De surcroît, un travail de sensibilisation et de vulgarisation pour mieux faire


connaître les dispositions révolutionnaires de la Convention de Kampala doivent
être entrepris, que ce soit au niveau des Etats, des organisations internationales
et autres agences spécialisées dans l'aide humanitaire, des ONG, de la société
civile, des milieux académiques et médiatiques, etc. Ce n'est pas par hasard que
le thème de l'année 2019 soit proclamée "Année de la protection des réfugiés et
des personnes déplacées en Afrique57.

57
https://au.int/sites/default/files/decisions/34635-ex_cl_dec_1008-1030_xxxiii_f.pdf

FSJPST/ 2019-2020 44
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CHAPITRE 4:

L'ACCORD PORTANT CRÉATION DE LA ZONE DE LIBRE


ÉCHANGE CONTINENTALE AFRICAINE

L'Accord portant création de la zone de libre échange continentale africaine


(ZLECAf)58, signé à Kigali (Rwanda) le 21 mars 2018, lors du Sommet
extraordinaire de l'Union africaine, est un accord historique. Il constitue une
évolution très importante en vu de réaliser la liberté économique de l'Afrique et
sa participation significative au système commercial mondial, mais aussi afin
d'atteindre une forte intégration économique à l'échelle du continent en facilitant
les flux de marchandises et de personnes59.

Lors du 12e Sommet extraordinaire de l'Union africaine qui s’est tenu à Niamey
(Niger), le 7 juillet 201960, les Chefs d'Etat et de gouvernement ont
officiellement lancé la zone de libre échange continentale africaine (ZLECAf)61,
inauguré la phase opérationnelle du marché intérieur africain et décidé du siège
et de la structure du Secrétariat de la ZLECAf.

Il s'agit d'un pas historique dans le cadre de l'intégration économique du


continent et de la mise en œuvre des objectifs de l'Agenda 2063. C'est
l'événement le plus marquant pour l'Afrique, depuis la création de l'OUA

58
https://au.int/sites/default/files/treaties/34248-treaty-consolidted_text_on_cfta_-_fr.pdf
59
D'ailleurs l'Acte constitutif de l'Union africaine du 11 juillet 2000, rappelle, à plusieurs
reprises, les objectifs d'accélération "de l'intégration économique du continent" et de
promotion "de l'intégration des économies africaines" (article 3).
60
En réalité, cet accord est entré en vigueur pour les 24 pays africains qui l'ont signé et ratifié
le 30 mai 2019.
61
En vertu de la Décision Assembly/AU/Dec.714 de la 32ème session ordinaire de la
Conférence, tenue à Addis-Abeba (Éthiopie), les 10 et 11 février 2019, et disposant de tenir
spécifiquement ce 12ème Sommet extraordinaire pour célébrer le premier anniversaire de la
signature de l'Accord (qui a eu lieu lors du sommet extraordinaire de l'UA à Kigali le 21 mars
2018).

FSJPST/ 2019-2020 45
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

(Organisation de l'Unité Africaine) en 1963.

En réalité, la zone de libre échange continentale africaine figure parmi les


principales priorités de l’Agenda 2063 de l’UA, qui prévoit une nouvelle vision
pour le développement de l’Afrique sur cinq décennies. Le projet, l'une des
pierres angulaires de l'Agenda 2063, n'est pas nouveau. Il était en discussion
officielle depuis 201262.

L'Accord est alors présenté comme une initiative phare de l'Afrique, visant à
faire évoluer, avec urgence, le programme séculaire d'intégration régionale et le
développement du Continent. Il demeure une opportunité importante pour
aborder les vulnérabilités des économies africaines et pouvoir relever le défi du
développement dans un monde entièrement globalisé.

Les Etats africains63, résolus à sortir du carcan d'un espace économique étroit, ils

62
Le préambule de cet Accord rappelle les étapes décisives avant la conclusion de ce traité en
ces termes:
"Nous, Etats membres de l’Union africaine,
DÉSIREUX de mettre en œuvre la décision (Assembly/AU/Dec.394(XVIII) de la Conférence
des Chefs d’Etat et de gouvernement, adoptée au cours de sa dix-huitième session ordinaire
tenue les 29 et 30 janvier 2012 à Addis-Abeba (Éthiopie), relative au cadre, à la Feuille de
route et à l’Architecture concernant l’accélération de la création rapide de la Zone de libre-
échange continentale africaine et au Plan d’action pour la stimulation du commerce intra-
africain.
CONSCIENTS du lancement des négociations en vue de la création d’une Zone de libre-
échange continentale visant à intégrer les marchés africains conformément aux objectifs et
principes énoncés dans le Traité d’Abuja lors de la vingt-cinquième session ordinaire de la
Conférence des Chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine tenue à Johannesburg
(Afrique du Sud) les 14 et 15 juin 2015 [Assembly/AU/Dec. 569(XXV)] ;
DÉTERMINÉS à renforcer nos relations économiques en nous appuyant sur nos droits et
obligations respectifs en vertu de l’Acte constitutif de l’Union africaine de 2000, du Traité
d’Abuja et, le cas échéant, de l’Accord de Marrakech de 1994 portant création de
l’Organisation mondiale du commerce".
63
Actuellement, il y a 27 Etats Parties qui ont déposé les instruments de ratification de
l’Accord de la ZLECAf auprès du Président de la Commission, notamment: le Burkina Faso,
le Tchad, la Côte d’Ivoire, le Congo, Djibouti, l’Egypte, Eswatini, l’Ethiopie, le Gabon, la
Gambie, le Ghana, la Guinée, la Guinée équatoriale, le Kenya, le Mali, la Mauritanie, la
Namibie, le Niger, le Rwanda, la République arabe sahraouie démocratique, Sao Tome e
Principe, le Sénégal, la Sierra Leone, l’Afrique du Sud, le Togo, l’Ouganda et le Zimbabwe.

FSJPST/ 2019-2020 46
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

avaient senti l'extrême urgence de dépasser le cadre de leurs souverainetés


nationales afin de faire face, de manière concertée, aux différents enjeux
économiques, politiques et sociaux, mais surtout stratégiques, imposés par un
nouvel ordre mondial globalisé.

Ce pacte commercial devrait alors stimuler la croissance économique,


l’industrialisation, améliorer le développement des infrastructures et permettre la
diversification des activités. Il s'agit du plus grand accord de libre-échange
depuis la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC)64.

Si tous les pays africains adhèrent à la ZLECAf, celle-ci pourrait devenir la plus
grande zone de libre-échange au monde, avec plus d'un milliard et demi de
consommateurs.
Afin de mieux cerner les contours de cet Accord et afin de déceler son
importance et son rôle clé dans la construction d'une Afrique intégrée et forte
économiquement, il nous semble primordial d'aborder les mécanismes prévus
par ledit Accord pour réaliser le processus d'intégration économique de
l'Afrique, d'une part (I), mais aussi de cerner le poids des enjeux, limites et
contraintes de la réalisation d'un tel projet, d'autre part (II).

Section 2- PROCESSUS D'UNE INTEGRATION


ECONOMIQUE REUSSIE A LA LUMIERE DE L'ACCORD
PORTANT CREATION DE LA ZLECAf:

64
Son excellence Paul Kagame, Président en exercice de l'Union africaine, déclara lors du
sommet extraordinaire tenu à Kigali en mars 2018, à propos de la ZLECA: "C’est un rêve
devenu réalité (...). La Zone de libre-échange continentale est l’aboutissement d’une vision
énoncée il y a près de 40 ans dans le Plan d’action de Lagos, adoptée par les chefs d’Etat en
1980 ».
https://mobile.apanews.net/index.php/fr/news/laccord-portant-creation-de-la-zlec-signe-a-
kigali

FSJPST/ 2019-2020 47
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

La zone de libre échange constitue le premier échelon des cinq degrés


d'intégration sur le plan économique, à savoir: zone de libre échange, union
douanière, marché commun, union économique, intégration économique.

Il s'agit d'une "zone au sein de laquelle les marchandises circulent librement


(absence de barrières tarifaires et non tarifaires), chaque pays membre
conservant son système douanier vis-à-vis des pays tiers"65.

En ce qui concerne le texte que nous allons présenter (l'accord sur la ZLECAf66),
cette zone a vocation à couvrir tout le continent africain.

En fait, l'Accord portant création de la zone de libre échange continentale


africaine, signé à Kigali (Rwanda) le 21 mars 2018, lors du Sommet
extraordinaire de l'Union africaine par 44 Etats membres de l'Union africaine,
marque un engagement politique et une volonté ferme d'être liés par ce Traité.
Ce fut un pas décisif qui mérite d'être salué et encouragé.

Il est à rappeler que, jusqu'à présent, aucun traité dans le droit de l'Union
africaine n'a cette portée. Il s'agit non pas d'une simple déclaration, mais d'un
texte juridique contraignant qui entre en vigueur dès sa ratification par 22 Etats
parties67.

Cet Accord régit "le commerce des marchandises, le commerce des services, les
investissements, les droits de la propriété intellectuelle et la politique de la
concurrence" à l'échelle du continent68.

Outre ses 30 articles divisés en 7 Parties (1. Définitions, 2. Création, objectifs,


65
https://www.glossaire-international.com/pages/tous-les-termes/zone-de-libre-
undefinedchange.html
66
D'aorès les articles 1 et 2, l'abréviation exacte est la ZLECAf: L'article 2 dispose: "Il est
créé une Zone de libre-échange continentale africaine, ci-après dénommée « ZLECAf ».
67
Selon l'article 23 de l'Accord "Le Présent Accord (...) entre en vigueur trente jours après le
dépôt du vingt-deuxième instrument de ratification". La ZLECAf est entrée en vigueur le 30
mai 2019.
68
Voir article 6 de l'Accord relatif au champ d'application.

FSJPST/ 2019-2020 48
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

principes et champ d'application, 3. Administration et organisation, 4.


Transparence, 5. Préférences continentales, 6. Règlement des différends, 7.
Dispositions finales), il est suivi par 3 autres Protocoles, à savoir le Protocole
sur le commerce des marchandises, le Protocole sur le commerce des services et
le Protocole sur les règles et procédures relatives au règlement des différends69.

Ce traité a pour objectif principal "la création d'un marché unique pour les
marchandises et les services facilité par la circulation des personnes, afin
d'approfondir l'intégration économique du continent africain"70, comme le
préconise l'Agenda 2063 et comme le conçoit la vision panafricaine d'une
Afrique intégrée, prospère et pacifique71.

Le traité distingue, d'ailleurs, entre objectifs généraux et objectifs spécifiques.

Les premiers sont énumérés au sein de l'article 3 de l'Accord qui dispose que:

" Dans ses objectifs généraux, la ZLECAf vise à :

(a) créer un marché unique pour les marchandises et les services facilité par la

69
D'après l'article 8 de cet accord relatif au Statut des protocoles, annexes et appendices, il est
mentionné ce qui suit:
"1. Les Protocoles sur le commerce des marchandises, le commerce des services, les
investissements, les droits de propriété intellectuelle, la politique de concurrence et les règles
et procédures relatives au règlement des différends ainsi que les Annexes et Appendices y
relatifs font, dès leur adoption, partie intégrante du présent Accord.
2. Les Protocoles sur le commerce des marchandises, le commerce des services, les
investissements, les droits de propriété intellectuelle, la politique de concurrence et les règles
et procédures relatives au règlement des différends ainsi que les Annexes et Appendices y
afférents, forment un engagement unique, sous réserve de leur entrée en vigueur.
3. Les instruments supplémentaires, jugés nécessaires dans le cadre de la poursuite des
objectifs du présent Accord sont conclus et font, dès leur adoption, partie intégrante du
présent Accord".
70
En vertu de l'article 3 de l'Accord.
71
" La Zone de libre-échange continentale (ZLEC), un des étendards de l’agenda 2063 de
l’Union africaine, était en discussion depuis 2012. Il vise à créer un marché commun de 1,2
milliard d’habitants, dont le PIB cumulé avoisinerait 2 500 milliards de dollars", Voir GRAS
(R.), "Ce qu'il faut retenir du Sommet sur la ZLEC", in Jeune Afrique, 22 mars 2018,
http://www.jeuneafrique.com/544287/politique/union-africaine-ce-quil-faut-retenir-du-
sommet-sur-la-zone-de-libre-echange-continentale/

FSJPST/ 2019-2020 49
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

circulation des personnes afin d’approfondir l’intégration économique du


continent africain et conformément à la vision panafricaine d’une « Afrique
intégrée, prospère et pacifique » telle qu’énoncée dans l’Agenda 2063 ;

(b) créer un marché libéralisé pour les marchandises et services à travers des
cycles successifs de négociations ;

(c) contribuer à la circulation des capitaux et des personnes physiques et


faciliter les investissements en s’appuyant sur les initiatives et les
développements dans les Etats parties et les CER ;

(d) poser les bases de la création d’une union douanière continentale à un stade
ultérieur;

(e) promouvoir et réaliser le développement socio-économique inclusif et


durable, l’égalité de genres et la transformation structurelle des États parties ;

(f) renforcer la compétitivité des économies des Etats parties aux niveaux
continental et mondial ;

(g) promouvoir le développement industriel à travers la diversification et le


développement des chaînes de valeurs régionales, le développement de
l’agriculture et la sécurité alimentaire ; et

(h) résoudre les défis de l’appartenance à une multitude d’organisations qui se


chevauchent et accélérer les processus d’intégration régionale et continentale".

La deuxième série d'objectifs spécifiques ont été énumérés à l'article 4 dudit


Accord qui dispose que:

" Aux fins de la réalisation des objectifs énoncés à l’article 3, les États parties :
(a) éliminent progressivement les barrières tarifaires et non-tarifaires au
commerce des marchandises ;

(b) libéralisent progressivement le commerce des services ;

FSJPST/ 2019-2020 50
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

(c) coopèrent en matière d’investissement, de droits de propriété intellectuelle et


de politique de concurrence ;

(d) coopèrent dans tous les domaines liés au commerce;

(e) coopèrent dans le domaine douanier et dans la mise en œuvre des mesures de
facilitation des échanges ;

(f) établissent un mécanisme de règlement des différends concernant leurs droits


et obligations ;

(g) établissent et maintiennent un cadre institutionnel de mise en œuvre et de


gestion de la ZLECAf".

Par conséquent, il s'agit là d'une sorte de feuille de route qui mentionne les
étapes à suivre afin d'arriver à une forte intégration économique sur le continent
africain et cette perspective dynamique aura des retombées positives sur la
promotion et la réalisation du développement socio-économique en Afrique, le
renforcement de la compétitivité des Etats africains et la création de beaucoup
de nouveaux emplois, ce qui favorisera le développement de l'agriculture, de
l'industrie et de la sécurité alimentaire sur le continent africain.

Le cadre institutionnel de mise en œuvre de la ZLECAf est prévu au sein de la


troisième partie de cet accord. Dans ce sens, l'article 9 dudit Accord dispose de
ce qui suit: "Le cadre institutionnel pour la mise en œuvre, l’administration, la
facilitation, le suivi et l’évaluation de la ZLECAf comprend les organes suivants
: (a) la Conférence ; (b) le Conseil des ministres; (c) le Comité des hauts
fonctionnaires du commerce ; et (d) le Secrétariat".

Les articles qui suivent détaillent l'organisation et la fonction de chacun de ces


organes dans le processus d'administration, de facilitation, de suivi et de
d'évaluation de cet Accord.

FSJPST/ 2019-2020 51
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

Lors du sommet extraordinaire de Niamey du 7 juillet 2019, les Chefs d'Etat et


de gouvernement ont pu lancé la phase opérationnelle de la zone de libre-
échange continentale africaine. Par ailleurs, les Etats africains ont décidé que :

" a) les listes finales des concessions tarifaires et les règles d’origine en suspens
de la ZLECAf soient soumis à la prochaine session de la Conférence en janvier
2020 ; et

b) le démantèlement des tarifs commence au plus tard le 1 er juillet 2020 pour


faciliter le démarrage des activités commerciales le même jour dans le cadre du
régime de la ZLECAf ;

c) le Président et le Secrétaire général du Secrétariat de la ZLECAf participent


aux réunions de coordination annuelle de l’UA et à celles des Communautés
économiques régionales ;

d) Le Secrétariat intérimaire de la ZLECAf organise la réunion inaugurale du


Conseil des ministres de la ZLECAf au plus tard le 31 octobre 2019 ; et

e) la Commission veille à ce que le Secrétariat de la ZLECAf soit opérationnel


au plus tard le 31 mars 2020 ;

f) le 21 mars de chaque année soit désigné Journée de l'intégration de


l'Afrique sans être un jour férié pour commémorer la mise en œuvre de l'Accord
de libre-échange de la ZLECAf"72.

72
Par ailleurs, dans la déclaration commune des Chefs d'Etats et de gouvernements, il a été
décidé des "Cérémonies de célébration" des acquis dans le cadre de ZLECAf, à travers cette
déclaration: "Conscients du fait que le destin de la ZLECAf se trouve en nos mains, NOUS
DÉCIDONS, à cet égard, que le 21 mars de chaque année soit retenue comme la Journée de
l'intégration africaine sans qu’elle ne soit déclarée fériée. Au cours de cette journée, les
Africains du continent et de la diaspora doivent proposer des activités commémoratives afin

FSJPST/ 2019-2020 52
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

En outre, le leader désigné de la ZLECAf, S.E. M. Issoufou Mahamadou,


Président de la République du Niger, a été prié de présenter un rapport
intérimaire sur la ZLECAf au Sommet de janvier 2020 73.

Il a été décidé, par ailleurs, que la République du Ghana accueille le Secrétariat


de la ZLECAf74.

Lors de ce sommet extraordinaire de Niamey, les Chefs d'Etats africains se sont


engagés, en outre, à consolider les progrès accomplis au cours de la première
année de la ZLECAf, conformément aux piliers énoncés dans le Plan d’action
sur la stimulation du commerce intra africain (BIAT) 75.

Néanmoins, les cadres conceptuel et institutionnel de cet accord doivent être


complétés par un cadre réel et effectif de mise en œuvre pratique de toute
politique africaine d'intégration, afin que ce processus d'intégration économique
soit réellement effectif et concrétisé. Cette mise en œuvre n'est pas sans être
confrontée à des défis et obstacles.

Section 2- DÉFIS D'UNE ZONE DE LIBRE ECHANGE A


L'ECHELLE DU CONTINENT AFRICAIN:

Une fois mis en œuvre, cet Accord verra se constituer la zone la plus grande à

de célébrer les réalisations de la ZLECAf au cours de l’année précédente. De même, nous


autorisons le président de l'UA, également président de la ZLECAf et Leader désigné pour
promouvoir la ZLECAf, ainsi que le Président de la Commission de l’Union africaine à
publier, à l’occasion de cette journée, une déclaration commune dans le même état esprit".
Décision Assembly/AU/ Decl.1(XII), du 7 juillet 2019, à Niamey (République du Niger),
page 5.
73
Décision Assembly/AU/ Decl.1(XII), op. cit, page 2.
74
Ibid. op. cit.
75
Idem. op. cit.

FSJPST/ 2019-2020 53
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

l'échelle continentale76. Ce sera une évolution marquante et sans précédent dans


l'histoire du panafricanisme. Il s'agit donc d'un projet-clé en vue de renforcer
l'intégration du continent.

Outre les questions relatives au droit du commerce international, il y a lieu de


remarquer que la concrétisation d'un tel Accord pourra aussi engendrer nombre
de questions connexes, notamment en matière du droit international des droits
humains, le droit de la propriété intellectuelle, le droit d'investissement, le droit
fiscal, l'arbitrage, etc.

Il pose aussi des questions logistiques relatives à la formation et le recyclage des


policiers et des douaniers, à l'échelle des pays africains qui ont signé et ratifié ce
texte, sur le contenu dudit Accord. Il nécessitera un cadre approprié en matière
d'encouragement des investissements et en matière de politique fiscale et de non
double imposition. Ce sont aussi des chantiers énormes auxquels il faudra penser
afin de concrétiser le rêve de l'intégration économique à l'échelle continentale.

Néanmoins, une fois entré en vigueur, cet Accord se verra aussi confronté à
d'autres accords bilatéraux ou multilatéraux, notamment à l'échelle des
communautés économiques régionales (CER) en Afrique. Va-t-il y avoir des
chevauchements, des double-emplois, des contradictions, des disparités entre le

76
La ZLECAf, qui constituera la plus grande zone de libre-échange du monde, regroupant 55
pays et 1,2 milliard d'habitants, "permettra de concrétiser le rêve d'une croissance
économique basée sur le commerce pour les entrepreneurs, les industriels, les investisseurs,
les innovateurs et les fournisseurs de services d'Afrique. Cette zone de libre-échange créera
des emplois, et contribuera aux transferts de technologie et au développement de nouvelles
compétences ; elle améliorera les capacités de production et la diversification de l'industrie,
et fera augmenter les investissements africains et étrangers.
La ZLECAf est un outil qui permettra de libérer l'innovation africaine, de stimuler la
croissance, de transformer les économies africaines et de contribuer à un continent africain
prospère, stable et pacifique, comme le prévoient l'Agenda 2063 et le Programme de
développement durable à l'horizon 2030", Discours Amina Mohamed, Vice-secrétaire
générale des Nations unies, lors du Sommet extraordinaire de l'UA du 7 juillet 2019 à
Niamey, ench.xinhuanet.com/afrique/2019-07/08/c_138207038.htm .

FSJPST/ 2019-2020 54
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

texte continental et les textes sous-régionaux?

A priori, c'est l'article 19 relatif au conflit et incompatibilité avec d'autres


accords régionaux qui répond à ces questions. En effet, cet article dispose que:

"1. En cas de conflit et d’incompatibilité entre le présent Accord et tout autre


accord régional, le présent Accord prévaut dans la mesure de l’incompatibilité
spécifique, sauf dispositions contraires du présent article.

2. Nonobstant les dispositions de l’alinéa 1 du présent article, les Etats parties


qui sont membres d’autres communautés économiques régionales, d’autres
accords commerciaux régionaux et d’autres unions douanières, et qui ont atteint
entre eux des niveaux d’intégration régionale plus élevés que ceux prévus par le
présent Accord, maintiennent ces niveaux entre eux".

Cette solution est d'apparence facile, mais sur le plan technique et pratique, elle
reste très délicate et très difficile à mettre en œuvre. Elle nécessite plutôt un
traitement au cas par cas. Cela est d'autant plus difficile que le texte n'accepte
pas de réserves77, mais il permet le retrait d'un Etat partie après un délai de cinq
ans à compter de la date d'entrée en vigueur à son égard 78.

Sur un autre registre, l'objectif retenu pour atteindre les vingtaines de


ratifications qui restent des pays africains qui ont signé mais pas encore ratifié
le texte, semble très ambitieux, très réaliste, mais un peu difficile à atteindre
rapidement, étant donné que les économies africaines des pays africains ne sont
pas toutes au même niveau d'avancement pour permettre la concrétisation d'un

77
Selon l'article 25 de l'Accord "Aucune réserve n'est admise au présent Accord".
78
Selon l'article 27 de l'Accord qui dispose que:
" 1. Après un délai de cinq (5) ans à compter de la date d’entrée en vigueur à son égard, un
État partie peut se retirer du présent Accord en adressant une notification écrite aux États
parties par le biais du dépositaire.
2. Le retrait est effectif deux (2) ans suivant la réception de la notification par le dépositaire,
ou à une date ultérieure qui peut être spécifiée dans la notification.
3. Le retrait n’affecte pas les droits et obligations en cours de l’État partie avant le retrait".

FSJPST/ 2019-2020 55
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

projet d'une telle envergure d'ici 2020.

En tout état de cause, et bien que le texte marque une avancée décisive dans le
processus d'intégration de l'Union africaine, néanmoins, la question pratique de
la mise en œuvre de cette zone de libre échange continentale demeure la plus
épineuse.

En effet, "l'intégration du continent africain nécessite un niveau très avancée de


valeurs et de principes partagées entre les africains, un passé commun et un
désir de vivre ensemble, une certaine harmonie entre les législations nationales
des Etats membres, un rapprochement culturel, linguistique, politique,
économique et sociologique79".

Or, les réalités sur terrain sont toutes autres. Même l'intégration régionale à
l'échelle des communautés économiques régionales n'est pas la même. De
surcroît, les pays africains ont des configurations économiques différentes et les
effets de cet accord se feront sentir de manières différentes, selon le niveau de
développement et de richesse de chaque Etat partie.

"Ces disparités de développement, d'intégration et même de compréhension


entre les différentes sous-régions et entre les différents pays africains peuvent
porter préjudice à la concrétisation effective de cet accord"80.

Outre les questions logistiques non encore résolues de passeport africain, de


suppression des visas d'entrée, de l'inexistence de connections directes entre tous
Etats africains, de disparités de développement, de défis sécuritaires à
l'intégration et même de barrières de compréhension entre les différentes sous-
régions et entre les différents pays africains, il y a aussi les épineuses questions

79
GUELDICH (H.),"L'Accord prévoyant la mise en place d'une zone de libre échange
continentale (ZLECAf) en Afrique du 21 mars 2018", in Revue VigieAfrique de CapAfriques,
1er numéro 2018.
80
Idem., op. cit.

FSJPST/ 2019-2020 56
Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

fiscales et économiques non encore résolues, la question de monnaie unique


africaine non encore aboutie et plein d'autres défis économiques et financiers qui
peuvent porter préjudice quant à la concrétisation effective de cet accord
révolutionnaire. C'est tout le problème quant à la concrétisation et
l'aboutissement d'une zone économique de libre échange continentale africaine.
Le plus dur reste encore à venir.

Pour conclure, nous pouvons dire que, du point de vue économique, la zone de
libre échange continentale en Afrique s'avère être le soubassement devant
conduire à parachever le processus de base de l'intégration économique et
financière africaine. De même, elle pourra contribuer à la réalisation de la
convergence économique sur le continent, en jugulant les disparités de
développement entre les pays africains et en permettant aux Etats membres de se
développer ensemble.

De surcroît, il y a une forte dimension sociale dans le processus de mise en place


de cette zone de libre échange continentale, dans un contexte de lutte contre la
pauvreté, de création de compétitivité et de dynamisme économique,
d'encouragement des investissements, tout en plaçant les populations africaines
au centre de ce processus et tout en opérant par une intégration par le bas.

L'efficacité et la réussite de ce chantier passera alors par une véritable identité


communautaire, un vouloir réel de vivre ensemble et une volonté politique
ferme de respect et d'application des normes édictées par l'Union africaine et
ayant reçu l'aval de la totalité des Etats membres de l'Union lors des deux
Sommets extraordinaires de Kigali du 21 mars 2018 et de Niamey du 7 juillet
2019.

Dans les années à venir, et sans copier le modèle européen, l'Afrique pourra
s'inspirer de la réussite du modèle d'intégration économique européenne, afin de

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Cours Droit de l'Union africaine II par Mme. Hajer GUELDICH

réussir sa propre intégration81, tout en injectant les spécificités de l'économie


africaine et tout en se battant contre les véritables problèmes et obstacles quant à
l'intégration économique réelle du continent.

CONCLUSION GENERALE:

A la lumière de ces quelques illustrations inspirées par les avancées du droit de


l'Union africaine, il est clair que l'Acte constitutif de l'Union africaine ainsi que
les autres traités et conventions conclus par les Etats africains sous l'égide l'OUA
et de l'UA "annoncent l’avènement d’un « droit public africain » qui fournit un
cadre normatif pour la réalisation des objectifs politiques, économiques et
sociaux du mouvement panafricain"82.

Par ailleurs, il est de plus en plus évident que l'analyse de ce droit permet de
confirmer aussi qu'en Afrique, "un système de plus en plus cohérent de règles et
de principes s'élabore, secrété par la construction d'Etats et la recherche d'un
ordre juridique qui corresponde aux réalités du continent"83.

De nombreuses institutions, placées sous l’autorité de l’Union africaine ou qui


lui sont rattachées, sont chargées d’appliquer ce droit, veiller à son respect et
œuvrer à le promouvoir.

81
ELABIDI (A.), L’évaluation de l’Union africaine par rapport à l’Union européenne
(comme un modèle de régulation juridique internationale d’excellence) : étude comparative,
Thèse de Doctorat en Droit, Université d’Auvergne - Clermont-Ferrand I, 2015.
82
YUSUF (Abdulqawy) et OUGUERGOUZ (Fatsah) (sous dir.), L’Union africaine: cadre
juridique et institutionnel. Manuel sur l’Organisation panafricaine, Paris, Pedone, 2013, page
14.
83
SOBZE (Serge François), "Existe-t-il un ordre juridique africain?", in Revue de droit
international et de droit comparé, n°2017/2, 94e année, page 221.

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