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international

La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples :


Présentation et bilan d'activités (1988-1989)
M. Fatsah Ouguergouz

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Ouguergouz Fatsah. La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples : Présentation et bilan d'activités (1988-
1989). In: Annuaire français de droit international, volume 35, 1989. pp. 557-571;

doi : https://doi.org/10.3406/afdi.1989.2917

https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_1989_num_35_1_2917

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ANNUAIRE FRANÇAIS DE DROIT INTERNATIONAL
XXXV - 1989 - Éditions du CNRS, Paris.

LA COMMISSION AFRICAINE
DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES :
PRESENTATION ET BILAN D'ACTIVITES (1988-1989)

Fatsah OUGUERGOUZ

Mise en place le 2 novembre 1987, la Commission Africaine des Droits


de l'Homme et des Peuples (1), dont le siège a été fixé à Banjul, capitale
de la Gambie, dans la douceur humide des palmiers et des brises
océaniques (2), est la dernière née des institutions régionales de protection des
droits de l'homme à vocation générale. Elle constitue la pièce essentielle du
mécanisme de sauvegarde prévu par la Charte Africaine des Droits de
l'Homme et des Peuples (3) adoptée le 27 juin 1981 à Nairobi (Kenya) par
la XVIIIe Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement de 1'O.U.A. et
entrée en vigueur le 21 octobre 1986 (4). Des trois organes sollicités dans
le fonctionnement de ce mécanisme de sauvegarde, elle est le seul à avoir
été créé spécialement pour la circonstance, les deux autres organes étant
la Conférence des Chefs d'Etat et de Gouvernement (5) de l'Organisation
de l'Unité Africaine (O.U.A.) et le Secrétaire Général de cette même
organisation. La Commission est également le principal organe sollicité dans le
processus de contrôle de l'application de la Charte Africaine bien que, comme
nous le verrons, son rôle soit parfois relativisé par celui de la Conférence,

(*) Fatsah Ouguergouz , Assistant, Département de droit international public et


organisation internationale, Université de Genève.
(1) La «Commission» dans le reste du texte.
(2) Ni la Charte Africaine, ni le Règlement intérieur de la Commission n'aborde la question
du siège de celle-ci; à sa troisième session, cette dernière a donc fait certaines recommandations
à ce propos. Elle a ainsi affirmé que du fait de sa nature quasi-législative et de la nécessité de
la doter d'un secrétariat entièrement à sa disposition, il n'était pas souhaitable que son siège
soit celui où sont fixés les organes politiques et administratifs de l'O.U.A., autrement dit Addis
Abeba (Ethiopie); elle soulignait d'autre part que son siège ne pouvait être abrité que par un
Etat qui avait ratifié la Charte Africaine et qui offrait à la Commission des facilités importantes
et substantielles d'installation, de travail et de recherche, Recommandation relative au siège de
la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, Doc. O.U.A. AFR/COM/HPR/AC-
TY/RPT (III), Annexe VI. Lors de sa XXIVe session (25-28 mai 1988), la Conférence des Chefs
d'Etat a finalement choisi la Gambie dont la capitale a accueilli les deux conférences ministérielles
préparatoires à l'adoption de la Charte Africaine, Doc. O.U.A. AHG/Dec. 1 (XXIV); le siège a été
inauguré le 12 juin 1989.
(3) Doc. O.U.A. CAB/LEG /67/3/Rev. 5, la «Charte Africaine» dans le reste du texte.
(4) Au 1er mars 1989, 36 Etats africains étaient parties à la Charte Africaine : Algérie,
Bénin, Botswana, Burkina Faso, Cap Vert, République Centrafricaine, Tchad, Comores, Congo,
Egypte, Guinée Equatoriale, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée/Guinée-Bissau, Libéria, Libye, Mali,
Mauritanie, Niger, Nigeria, Rwanda, République Arabe Démocratique Saharouie, Sao Tome et
Principe, Sénégal, Sierra Leone, Somalie, Soudan, Togo, Tunisie, Ouganda, Tanzanie, Zaire,
Zambie, Zimbabwe.
(5) La «Conférence» dans le reste du texte.
558 LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME

organe politique suprême de l'organisation panafricaine; le Secrétaire


Général, pour sa part, assurant essentiellement des fonctions de coordination.
Aux termes de l'article 30 de la Charte Africaine, la Commission est
«chargée de promouvoir les droits de l'homme et des peuples et d'assurer leur
protection en Afrique». L'essentiel de notre propos consistera à présenter
cette nouvelle institution et à voir comment elle s'est acquittée de sa mission
durant ses deux premières années d'existence, période pendant laquelle elle
a tenu pas moins de sept sessions.
Nous examinerons ainsi successivement l'organisation de la Commission,
ses fonctions ainsi que la procédure en matière de protection des droits de
l'homme et des peuples. A cet effet, nous nous référerons tant au texte de
la Charte Africaine qu'à celui du Règlement intérieur de la Commission
adopté par celle-ci le 13 février 1988 lors de sa deuxième session (6).

1 — Organisation de la Commission

a) Membres, bureau et secrétariat


La Commission Africaine est composée de onze membres (7) élus au
scrutin secret par la Conférence (8) sur proposition des Etats parties à la
Charte Africaine (art. 33) (9). Les candidats doivent avoir la nationalité d'un
Etat partie à cette convention (10) ; ils doivent en outre satisfaire aux
traditionnelles exigences de moralité, d'intégrité, d'impartialité et de
compétence et posséder une compétence en matière de droits de l'homme et des
peuples (art. 31 ).
La première élection a eu lieu le 29 juillet 1987 lors de la 23e session
ordinaire de la Conférence; elle s'est déroulée en tenant dûment compte du
principe de répartition géographique équitable entre le Nord, le Sud, l'Est,

(6) Doc. O.U.A. AFR/COM/HPR.I (II). Le Règlement intérieur a été approuvé en mai 1988
par la Conférence dans sa résolution AHGVRés. 176 (XXIV); il a été publié en anglais in Human
Rights Law Journal, Vol. 9, Nos 2-3, 1988, pp. 333-349.
(7) Cette composition restreinte est à comparer avec celle de la Commission Européenne
des Droits de l'Homme qui comprend un membre par Etat partie (art. 20 de la Convention
Européenne), La lourdeur qu'aurait impliquée la représentation de chaque Etat partie (l'O.U.A.
compte 50 Etats membres) justifie très certainement une telle solution; la Commission
Interaméricaine des Droits de l'Homme ne comprend également qu'un nombre de membres (7) très inférieur
à celui des Etats membres de 1'O.E.A. ou parties à la Convention Américaine (partie II de la
résolution VIII de la Cinquième Réunion de Consultation des Ministres des Affaires Etrangères
créant cette commission, Santiago-du-Chili, août 1959, et article 34 de la Convention Américaine).
(8) Ainsi, comme dans les systèmes européen et américain, les commissaires- sont élus par
les organes pléniers de l'organisation régionale intéressée (article 21 de la Convention Européenne
et article 36 de la Convention Américaine); les Etats non parties aux instruments en question
participent donc au vote au même titre que les Etats qui en sont parties. L'article 30 (4) du
Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques réserve, pour sa part, aux seuls
Etats parties la participation à l'élection des membres du Comité des Droits de l'Homme.
(9) La mention d'un article sans mention de l'instrument de référence renvoit à la Charte
Africaine.
(10) Cette condition a pour conséquence de limiter le choix des Etats en la matière. La
Convention Américaine (article 36), pour sa part, exige simplement que les candidats soient des
ressortissants d'un Etat membre de l'O.E.A.. Quant à la Convention Européenne (article 21), elle
n'exige pas non plus que les commissaires aient la nationalité d'un Etat partie, ni même celle
d'un Etat membre du Conseil de l'Europe; la même règle est également applicable aux membres
de la Cour Européenne qui comprend actuellement un juge canadien (Ronald Saint-Jones Mac-
donald) présenté par le Liechtenstein.
LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME 559

le Centre et l'Ouest de l'Afrique (11). Les commissaires sont élus pour une
période de six années, sont rééligibles et siègent à titre personnel (12). On
aurait pu craindre ici que, comme le prévoit l'article 21 de la Charte
Constitutive de 1'O.U.A. à propos des commissions spécialisées, la Commission ne
soit exclusivement composée de ministres ou de plénipotentiaires des Etats
parties; bien que créée «auprès de l'Organisation de l'Unité Africaine»
(art. 30), la Commission ne constitue donc pas une de ces «commissions
spécialisées» dont le statut est réglé par les articles 20 à 22 de la charte
susmentionnée. Le statut des commissaires a d'ailleurs été aménagé de manière
à leur assurer une certaine indépendance. Tout d'abord, selon l'article 34,
ils peuvent être présentés par un Etat dont ils ne sont pas ressortissants;
cela rend possible le recrutement de candidats qui, pour des raisons
politiques ou autres, n'ont aucune chance d'être présentés par leur pays. Ensuite,
une fois élu, un commissaire ne peut être démis de ses fonctions que si, de
l'avis unanime des autres membres de la Commission, «il a cessé de remplir
ses fonctions pour toute autre cause qu'une absence de caractère temporaire,
ou se trouve dans l'incapacité de continuer à les remplir» (art. 39 (2)). Cette
quasi-inamovibilité des commissaires est le gage le plus évident de leur
indépendance à l'égard des Etats (13); celle-ci est renforcée par la jouissance
des privilèges et immunités diplomatiques prévus par la convention du même
nom de FO.U.A. (art. 43).
On remarquera cependant que la Charte Africaine ne contient pas de
clause d'incompatibilité de fonctions. Outre sa motivation politique évidente
- les Etats voulant sans aucun doute pouvoir compter sur leur représentant
à la Commission - un tel silence a, semble-t-il, également une justification
pratique; prévoir une incompatibilité de fonctions aurait en effet limité le
champ de recrutement des candidats dans des pays pauvres en personnel
qualifié.
La Commission élit parmi ses membres un Président et un
Vice-Président pour une période de deux années renouvelable (art. 42) (14). Le
Secrétaire de la Commission est pour sa part désigné par le Secrétaire Général
de l'O.U.A. qui fournit également le personnel et les moyens nécessaires au
fonctionnement de la Commission (art. 41 ) (15). Selon l'article 25 du Rè-

— pour
(11)l'Afrique
Ont été du
élusNord,
: Ali Mahmoud Abou Hadiyah (Libye) et Ibrahim Ali Badawi El Sheikh
(Egypte),
— pour l'Afrique Australe, M. D. Mokama (Botswana) et Mubanga-Chipoya C.L.C. (Zambie),
— pour l'Afrique de l'Est, Grace Stuart Ibingira (Ouganda) et Robert Habesh Kisanga (Tanzanie)
— pour l'Afrique Centrale, Gabou Alexis (Congo) et Isaac Nguema (Gabon),
— pour l'Afrique de l'Ouest, Beye Alioun Blondin (Mali), "Yôussoupha Ndiaye (Sénégal) et Souha-
rata N. Semega Janneh (Gambie), Doc. O.U.A. AFR/C0M/HPR.2 (I), Annexe II. Le commissaire
ougandais, ayant démissionné pour raisons personnelles le 25 avril 1989, a été remplacé par U.
Oji Umozurike (Nigeria); cette composition est restée inchangée à la date du 31 décembre 1989.
(12) Une fois élus et avant d'entrer en fonctions, les commissaires doivent, en séance
publique, faire le serment solennel de «bien et fidèlement remplir [leurs] fonctions en toute
impartialité», article 16 du Règlement intérieur.
(13) A comparer avec la situation des membres de la commission prévue par le Protocole
de médiation, de conciliation et d'arbitrage de l'O.U.A. du 21 juillet 1964 dont l'article IV prévoit
une possibilité de révocation de ceux-ci par la Conférence des Chefs d'Etat.
(14) Lors de sa sixième session ordinaire (Banjul, 23 octobre-4 novembre 1989), la
Commission a élu U.O. Umozurike (Nigeria), Président, et Gabou Alexis (Congo), Vice-Président, postes
jusqu'alors occupés respectivement par Isaac Nguema (Gabon) et Ibrahim Ali Badawi El-Sheikh
(Egypte).
(15) Depuis le 10 février 1989, le poste de Secrétaire de la Commission est occupé par Jean
Ngabishema Muntsinzi désigné en remplacement de Mme Esther Tchouta-Moussa.
560 LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME

glement intérieur, le Secrétaire de la Commission est responsable de


l'activité du Secrétariat sous la direction du Président et sert en particulier
d'intermédiaire pour toutes les communications concernant la Commission.
Toujours selon le même règlement (art. 26), il est également responsable de
la tenue d'un «registre spécial» sur lequel sont inscrites la date
d'enregistrement des requêtes et communications et celle de clôture de la procédure
y relative devant la Commission.
La Commission a également la possibilité de créer deux types d'organes
subsidiaires qui se distinguent par leur composition. Elle peut tout d'abord
créer des «comités» ou «groupes de travail» composés de membres de la
Commission et auxquels elle peut renvoyer, pour étude et rapport, tout point
de l'ordre du jour (art. 28 du Règlement); à Benghazi (Libye), lors de sa
cinquième session ordinaire, la Commission a ainsi désigné cinq de ses
membres chargés de faire rapport sur des communications reçues au Secrétariat.
La Commission peut aussi créer des «sous commissions d'experts»,
vraisemblablement composées de personnes étrangères à la Commission, mais
seulement après approbation de la Conférence (art. 29 du Règlement).

b) Sessions, conduite des travaux et rapports


La Commission tient normalement deux sessions ordinaires de deux
semaines chacune par année et elle peut également se réunir en session
extraordinaire (art. 2 & 3 du Règlement). Au 31 décembre 1989, la Commission
avait ainsi tenu six sessions ordinaires (16) et une session
extraordinaire (17).
Selon l'article 34 du Règlement, les langues de travail de la Commission
sont celles de l'O.U.A.; c'est-à-dire, si possible des langues africaines (dont
l'arabe) ainsi que l'anglais et le français (18). Le quorum est constitué par
sept membres de la Commission (art. 42 (3)). Sauf mention contraire de la
Charte Africaine ou du Règlement, les décisions de la Commission sont prises
à la majorité des membres présents et votants et, en cas de partage des
voix, celle du Président est prépondérante; le vote se déroule normalement
à main levée mais il peut, sur décision de la Commission, s'effectuer au
scrutin secret (art. 60, 62 & 64 du Règlement).
A moins qu'elle n'en décide autrement, la Commission (ou ses organes
subsidiaires) siège à Huis-clos (19) mais elle a toutefois la possibilité de
faire publier un communiqué par le Secrétaire Général de l'O.U.A. à l'issue
de chacune de ses séances privées (art. 32 & 33 du Règlement).
La Commission (ou ses organes subsidiaires) peut inviter tout Etat, tout
mouvement de libération nationale — reconnu par l'O.U.A. — à participer à
la discussion de toute question les intéressant particulièrement; il en va de

2e
4e
6e session
(16) :lrele
Dakar
Banjul
session
Caire(Sénégal),
(Gambie),
(Egypte),
: Addis Abeba
8-13
17-26
23 octobre-4
février
(Ethiopie),
octobre
1988
novembre
1988
2: 3enovembre
: 5e
session
1989.
session:1987
Libreville
: Benghazi
(installation
(Gabon),
(Libye),
de18-28
la
3-14
Commission)
avril 1989
1988

(17) Banjul (Gambie), 13-14 juin 1989.


(18) Article 8 du Règlement intérieur de la Conférence et article 10 du Règlement intérieur
du Conseil des Ministres de l'O.U.A..
(19) H en va de même pour la Commission Européenne et la Commission Interaméricaine
(voir respectivement les articles 17 et 14 de leurs règlements intérieurs) : le règlement intérieur
(art. 33) du Comité des Droits de l'Homme des Nations Unies consacre, pour sa part, une solution
inverse.
LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME 561

même en ce qui concerne les organisations intergouvernementales (art. 72


à 75 du Règlement). Quant aux organisations non-gouvernementales, elles
sont également autorisées à participer aux séances publiques de la
Commission (art. 76 & 77 du Règlement; les représentants de certaines d'entre elles
ont par exemple été entendus à la quatrième session ordinaire de la
Commission (20). A la date du 31 décembre 1989, dix-sept de ces organisations
avaient ainsi obtenu le statut d'observateur (21).
Aux termes des articles 54 et 59 de la Charte Africaine et de l'article
80 du Règlement, la Commission doit également établir un rapport annuel
sur ses travaux qu'elle doit soumettre à chacune des sessions ordinaires de
la Conférence des Chefs d'Etat; ce rapport est publié par le Président de la
Commission après examen par ladite conférence. On observera ici que cette
publication est subordonnée à un «examen» par l'organe politique suprême
de l'O.U.A. et non pas à sa «décision» comme à propos du rapport élaboré
à l'issue de la procédure d'examen des communications (art. 59 (2) de la
Charte Africaine). Il y a là une nuance terminologique qui n'est pas sans
portée juridique; l'examen du rapport par les chefs d'Etat et de
gouvernement africains serait ainsi une simple formalité et la Conférence ne devrait
donc pas pouvoir émettre de veto à sa publication. Le premier rapport
d'activités de la Commission a été adopté par celle-ci le 28 avril 1988 et couvre
la période qui court depuis son installation (2 novembre 1987); un deuxième
rapport d'activités concernant la période du 29 avril 1 988 au mois de juin
1989 a été adopté le 14 juin 1989. Ces deux rapports ont été transmis pour
examen à la Conférence, ont été approuvés par celle-ci (22) mais n'étaient
toujours pas publiés par la Commission au moment où nous écrivons cet
article; leur publication est néanmoins imminente. Un tel retard s'explique
uniquement par l'absence de ressources financières nécessaires à une telle
opération.

II — Fonctions de la Commission

Les articles 30 et 45 de la Charte Africaine investissent la Commission


de trois fonctions principales: la promotion des droits de l'homme et des
peuples en Afrique, leur protection et l'interprétation de toute disposition
de cet instrument; seules les deux premières fonctions nous occuperons ici.

a) Fonction de promotion des droits de l'homme et des peuples


Les attributions de la Commission en matière de promotion des droits
de l'homme et des peuples sont relativement larges et la Commission accorde
une importance toute particulière à cette fonction; dès sa deuxième session

(20) Amnesty International, Union des Avocats Arabes et Association Egyptienne des Nations
Unies, Final Communiqué, 26 October 1988, AFR/COM/HPR/Communiqué (IV), paragraphe 6.
(21) Comme, par exemple, Amnesty International (Londres), la Commission Internationale
de Juristes (Genève), l'Association Africaine de Droit International (Nairobi), le Centre
International de Formation à l'Enseignement des Droits de l'Homme et de la Paix (Genève), l'Union des
Avocats Arabes (le Caire), l'Association Egyptienne des Nations Unies (le Caire), l'Union des
Journalistes Africains (le Caire), le Mouvement Burkinabé des Droits de l'Homme et des Peuples
(Ouagadougou) ou encore Human Rights Internet (Cambridge, Mass.), Liste des organisations
jouissant du statut d'observateur auprès de la Commission Africaine des Droits de l'Homme et
des Peuples, Doc. O.U.A. AFR/COM/HPR/ GEN/II.
(22) Pour le premier de ces rapports, voir la résolution AHG/Rés. 176 (XXIV) de la Conférence.
562 LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME

(Dakar, 8-13 février 1988), elle a en effet adopté un vaste programme d'action
(23) envisageant dans le détail les principaux aspects de son activité de
promotion telle qu'elle a été fixée par l'article 45 (1) de la Charte Africaine.
Ce programme prévoit principalement trois axes à son action.
La Commission a tout d'abord un rôle d'information et de recherche;
c'est là, l'activité de promotion par excellence dans la mesure où elle a pour
objet la sensibilisation de l'opinion publique africaine à la question des droits
de l'homme et des peuples. A ce propos, le rôle de la Commission consistera
notamment à
— «rassembler de la documentation, faire des études et des recherches
sur les problèmes africains dans le domaine des droits de l'homme et des
peuples» (24),
— «organiser des séminaires, des colloques et des conférences» (25) et à
— «diffuser des informations, encourager les organismes nationaux et
locaux s'occupant des droits de l'homme et des peuples» (26).
Lors de sa sixième session, la Commission a ainsi décidé de lancer la
publication d'une «Revue Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples» (27)
comme cela était déjà prévu dans son programme d'action. En matière
d'étude et d'information, celui-ci prévoit également inter alia la constitution
d'une bibliothèque africaine et d'un centre de documentation sur les droits
de l'homme, la diffusion du texte de la Charte Africaine, la diffusion
d'émissions radiophoniques et télévisées sur les droits de l'homme en Afrique,
l'intégration de l'enseignement des droits de l'homme dans les programmes
de l'enseignement secondaire, la création d'une journée africaine des droits
de l'homme, d'un prix et d'un concours sur les droits de l'homme (28).
La Commission a ensuite un rôle de conseil auprès des Etats africains.
A ce propos, elle a notamment pour mission de formuler «des principes et
règles qui permettent de résoudre les problèmes juridiques relatifs à la
jouissance des droits de l'homme et des peuples et des libertés fondamentales» (29).
Il s'agit en quelque sorte ici d'un rôle d'expertise en matière d'harmonisation
des législations nationales avec les dispositions de la Charte Africaine.
La Commission a encore pour mission de «coopérer avec les autres
institutions africaines ou internationales qui s'intéressent à la protection des
droits de l'homme et des peuples» (30); c'est là un des aspects de son activité

(23) Programme d'action de la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples,
Doc. O.U.A. AHG/155 (XXIV), Annexe VIII.
(24) Charte Africaine, article 45 (1) littera a).
(25) id.; la Commission Africaine a par exemple organisé en collaboration avec l'Association
Africaine de Droit International un «Séminaire sur les droits de l'homme et le pouvoir judiciaire
en Afrique» à Banjul (Gambie) du 13 au 17 novembre 1989.
(26) Charte Africaine, article 45 (1) littera a). Comme exemple de tels organismes nationaux
autonomes chargés de protéger et de promouvoir les droits de l'homme, on peut citer la Commission
Nationale des Droits de l'Homme créée par le gouvernement togolais le 9 juin 1987; celle-ci est
composée de 13 membres : 2 magistrats, 2 avocats, 1 député, 1 représentant du Conseil écononique
et social, 1 représentant de la jeunesse, 1 représentant des travailleurs, 1 représentante des
femmes, 1 représentant des chefs traditionnels, 1 médecin, 1 enseignant en droit et 1 représentant
de la Croix-Rouge togolaise.
(27) Final Communiqué, 4 novembre 1989, AFR/COM/HPR/VI, parag. 2.
(28) op. cit..
(29) Charte Africaine, article 45 (1) littera b).
(30) Charte Africaine, article 45 (1) littera c).
LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME 563

promotionnelle que la Commission ne devra pas négliger car elle pourra


tirer beaucoup d'enseignements de l'expérience de ses homologues
européenne et interaméricaine pour ne citer que ces deux institutions.
La Commission a enfin et surtout pour mission, bien que cela ne ressorte
pas expressément de la Charte Africaine (31), d'examiner les rapports
étatiques périodiques prévus par l'article 62 de ce dernier instrument et relatifs
aux mesures d'ordre législatif ou autre prises par les Etats parties en vue
de donner effet aux droits et libertés objet de leur engagement (32). L'article
85 du Kèglement intérieur prévoit que, si de l'avis de la Commission, il
s'avère qu'un Etat ne s'est pas acquitté de ses obligations conventionnelles,
celle-ci pourra lui adresser toutes «observations générales qu'elle jugerait
appropriées». Dans tous les cas, la Commission devra communiquer à tous les
Etats parties ses «observations générales fondées sur l'examen du rapport et
des renseignements fournis» par ceux-ci. Ces observations ainsi que les
rapports pourront être transmis par la Commission à la Conférence (art. 86 du
Règlement); l'unique sanction dont dispose la Commission en matière
d'examen des rapports périodiques consiste donc seulement dans la possibilité
d'en référer à l'organe politique suprême de l'O.U.A.. On soulignera
néanmoins qu'aux termes de l'article 79 du Règlement les rapports et autres
renseignements présentés par les Etats parties en vertu de l'article 62 de la
Charte Africaine sont des documents de distribution générale; il ne faut donc
pas minimiser les effets possibles d'une telle publicité. Ces rapports ont une
autre vertu: ils obligent les Etats parties à se justifier. Lors de sa quatrième
session (le Caire, 17-26 octobre 1988), la Commission a élaboré, à l'intention
des Etats, des directives assez précises relatives à la forme et au contenu
de ces rapports (33). Du fait d'une certaine carence des Etats parties en la
matière, la Commission n'a pas encore eu l'occasion de procéder à l'examen
desdits rapports étatiques; son président a néanmoins entrepris des
démarches auprès de ces Etats afin qu'ils commencent à soumettre les rapports
périodiques initiaux (34).

b) Fonction de protection des droits de l'homme et des peuples


C'est là l'autre fonction importante confiée à la Commission par l'article
45 (2) de la Charte Africaine; aux termes de cette disposition, celle-ci a pour

(31) La Charte Africaine ne précisant pas à quelle autorité les rapports périodiques des
Etats devaient être destinés, la Conférence, au cours de sa XXIVe session, a décidé de confier
expressément leur examen à la Commission et d'autoriser celle-ci à établir et à fournir aux Etats
parties des directives générales sur la forme et le contenu des rapports périodiques.
(32) L'article 62 dispose que «Chaque Etat partie s'engage à présenter tous les deux ans, à
compter de la date d'entrée en vigueur de la présente Charte, un rapport sur les mesures d'ordre
législatif ou autre, prises en vue de donner effet aux droits et libertés reconnus et garantis dans
la présente Charte».
(33) Directives générales relatives aux rapports nationaux périodiques, AFR/COM/HPR. 5 (IV),
45 pp.. Ces directives sont rédigées de manière à permettre aux Etats de faire rapport sans
oublier un quelconque aspect du contenu normatif de la Charte Africaine; 7 points sont ainsi
successivement envisagés: les droits civils et politiques, les droits économiques, sociaux et
culturels, les droits des peuples, les devoirs spécifiques, l'élimination de toutes les formes de
discrimination raciale, la suppression et la punition du crime d'apartheid et l'élimination de toutes les
formes de discrimination à l'égard des femmes.
(34) Note adressée par le Président de la Commission Africaine des Droits de l'Homme et
des Peuples, Doc. O.U.A. AHG/165 (XXV), Annexe XIII et Lettre de rappel du Président de la
Commission, 11 avril 1989, Doc. O.U.A. AHG /165 (XXV), Annexe XIV
564 LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME

mission d'«assurer la protection des droits de l'homme et des peuples dans


les conditions fixées par la présente Charte».
A ce propos, la Charte Africaine se présente comme un texte dont
l'originalité réside dans la formulation et l'association dynamique de concepts,
anciens ou nouveaux, dans un instrument unique. En effet, outre qu'elle
énonce des droits de la troisième génération, et consacre le peuple comme
entité juridique à part entière, la Charte Africaine consiste, au niveau
normatif, en une triple juxtaposition: elle proclame des droits civils et politiques
en même temps que des droits économiques, sociaux et culturels, des droits
individuels en même temps que des droits collectifs et des droits en même
temps que des devoirs individuels.
La particularité fondamentale de la Charte Africaine réside dans le fait
qu'en matière d'engagement de l'Etat relativement à la mise en œuvre des
droits qu'elle consacre, elle n'entérine pas, contrairement aux deux pactes
des Nations Unies de 1966 (35) par exemple, la traditionnelle différenciation
entre droits de nature juridique exécutoire — droits civils et politiques — et
droits de nature juridique programmatoire — droits économiques, sociaux et
culturels. Son article premier dispose en effet que
«Les Etats membres de l'Organisation de l'Unité Africaine, parties à la
présente Charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés dans cette
Charte et s'engagent à adopter des mesures législatives ou autres pour les
appliquer».
En principe, les droits économiques, sociaux et culturels garantis par
la Charte Africaine sont donc potentiellement «justiciables» devant la
Commission au même titre que les droits civils et politiques et selon les
mêmes procédures.
La Charte Africaine ne distingue pas non plus selon le caractère
individuel ou collectif des droits en question et on peut là encore s'interroger
sur la «justiciabilité» des droits garantis aux peuples. A priori, rien dans le
libellé de la Charte Africaine (36) ne s'oppose à ce que l'application de tels
droits par les Etats parties fasse l'objet d'une procédure de contrôle devant
la Commission dont l'activité se rapporte, comme son nom l'indique, tant
aux droits de Vhomme qu'aux droits des peuples. Le seul problème en la
matière, mais il est déterminant, concerne l'identification précise du contenu
et du sujet passif de ces droits collectifs; et celle-ci suppose résolue par la
Commission la question controversée de la définition du terme «peuple» sur
laquelle la Charte Africaine demeure silencieuse. On ne saurait en effet
concevoir une quelconque «justiciabilité» devant la Commission du droit d'un
peuple au développement, par exemple, si celui-ci a pour unique débiteur
un ou plusieurs Etats tiers par rapport à la Charte Africaine.
En ce qui concerne finalement la possibilité pour la Commission de
contrôler le respect des devoirs individuels énoncés par la Charte Africaine,
elle n'est pas exclue bien qu'elle paraisse insolite à première vue. Un tel
contrôle par la Commission ne consistera alors, ni plus ni moins, qu'en un

(35) Ils prévoient pour leur part un engagement des Etats d'une nature différente selon la
catégorie de droits concernés. Dans le cadre du premier pacte, il s'agit d'une obligation de moyens;
son article 2 parle en effet d'une mise en oeuvre progressive des droits par l'Etat, et ce, dans la
mesure de ses ressources disponibles. Dans le cadre du second pacte, il s'agit au contraire d'une
obligation de résultat (voir son article 2).
(36) Voir également l'article 114 (1) du Règlement intérieur de la Commission.
LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME 565

contrôle du respect par l'Etat des engagements souscrits au titre de la Charte


Africaine. Tout Etat partie a, en effet, l'obligation de reconnaître et
d'appliquer les devoirs de l'individu (37) et de les faire comprendre par la diffusion
et l'éducation (38). Ainsi, en cas de non respect de l'un de ses devoirs par
l'individu, seule la responsabilité internationale de l'Etat intéressé pourra
être mise en cause; l'individu, pour sa part, ne pourra en aucun cas être
«attrait» devant la Commission.
L'activité de protection des droits de l'homme et des peuples de la
Commission consiste essentiellement dans l'examen des violations de tout
droit ou liberté garantis par la Charte Africaine qui auraient été portées à
sa connaissance par le biais de communications. La Commission peut en
effet, dans l'exercice de sa fonction de protection, recevoir deux types de
communications: les «communications émanant d'un Etat partie» à la Charte
Africaine et ce que celle-ci désigne par l'expression «autres communications».
Concernant ce dernier type de communications, l'article 114 du Règlement
intérieur de la Commission précise que des communications peuvent être
soumises à celle-ci non seulement par une «prétendue victime» d'une violation
par un Etat partie d'un des droits consacrés - ou en son nom, lorsqu'il
apparaît que celle-ci est dans l'incapacité de présenter elle-même la
communication mais également par tout individu ou organisation où qu'ils se
trouvent, pouvant fournir la preuve d'une situation de violations graves ou
massives des droits de l'homme et des peuples.
Ainsi, à la différence des commissions européenne (39) et
interaméricaine (40), la Commission peut être saisie â l'initiative tant d'un Etat partie
que d'une personne physique ou morale sans que les Etats parties intéressés
aient à souscrire une déclaration préalable à cet effet. A cette dualité dans
la compétence ratione personae de la Commission correspond toutefois une
dualité dans la procédure devant elle (41).

III — Procédure devant la Commission

Le cours de la procédure diffère en effet sensiblement selon que l'on se


trouve en présence de l'un ou l'autre type de communication; seule son issue
est identique. Dans les deux cas, la Charte Africaine confie essentiellement
à la Commission une mission d'enquête et de médiation mais c'est dans le
cadre de la procédure relative aux communications interétatiques que la
volonté de conciliation affichée par cet instrument apparaît avec le plus de
netteté. Les dimensions nécessairement réduites de notre étude ne nous
autorisent pas à procéder ici à une analyse détaillée des règles de procédure
devant la Commission; notre seule ambition est de donner une vue
synthétique mais fidèle de celles-ci.

(37) Charte Africaine, article premier.


(38) Ibid, article 25.
(39) Convention Européenne, articles 24 et 25.
(40) Convention Américaine, articles 44 et 45.
(41) Charte Africaine, articles 46 à 59 et articles 87 à 118 du Règlement intérieur de la
Commission.
566 LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME

a) Procédure relative aux communications d'origine étatique


Les articles 47 â 49 de la Charte Africaine offrent en effet â l'Etat auteur
d'une communication le choix entre deux procédures que le Règlement
intérieur de la Commission désigne de manière très révélatrice par «procédure
de communication-négociation» et «procédure de communication-plainte». En
cas d'échec, la première de ces procédures peut déboucher sur la seconde
qui seule amorce véritablement la procédure devant la Commission; elle
constitue en quelque sorte une phase préliminaire de conciliation dont le
déroulement s'effectue totalement en dehors du cadre de la Commission. Si,
en effet, un Etat partie à la Charte Africaine
«a de bonnes raisons de croire qu'un autre Etat partie à cette charte a
violé les dispositions de celle-ci, il peut appeler, par communication écrite,
l'attention de cet Etat sur la question [...]» (42).
L'article 48 du même instrument prévoit ensuite qu'une période de trois
mois à compter de la réception de la communication par l'Etat destinataire
devra être mise à profit par les parties en présence pour parvenir à un
règlement amiable de leur différend. Ce n'est qu'en l'absence d'un tel
règlement dans le délai imparti que chacune des parties pourra soumettre la
question à la Commission par une notification adressée à son Président (43).
La «communication-négociation» non suivie d'effet se transformera alors en
«communication-plainte».
La procédure du second type peut donc s'ouvrir soit après épuisement
de la «procédure de la communication-négociation», soit directement sur la
base de l'article 49 de la Charte Africaine qui offre aux Etats parties la
possibilité d'une saisine directe de la Commission par communication
adressée à son Président, au Secrétaire Général de l'O.U.A. et à l'Etat intéressé.
Les conditions de recevabilité de la communication d'origine étatique
sont relativement souples puisqu'elles se résument en définitive à
l'épuisement des voies de recours internes (44) qui est un principe cardinal de droit
international en matière de protection diplomatique et commun à tous les
systèmes de protection des droits de l'homme (45). La communication rece-
vable fera ensuite l'objet d'un examen par la Commission qui pourra
demander aux Etats de lui fournir toute information pertinente (46). A l'issue
de cette phase d'instruction de la communication, au cours de laquelle elle
devra encore tenter de parvenir à un règlement amiable de la question, la
Commission rédige un rapport relatant les faits et les conclusions auxquelles
elle a aboutit. Ce rapport sera adressé aux Etats concernés et à la
Conférence (47); la Commission pourra faire à cette dernière telle recommandation
qu'elle jugera utile (48). Le rapport de la Commission ne pourra être publié
par son Président que sur décision de la Conférence (49).
(42) Charte Africaine, article 47.
(43) id.
(44) Charte Africaine, article 50; l'article 96 du Règlement intérieur prévoit bien, pour sa
part, deux autres conditions, (l'échec de la procédure de conciliation et l'expiration du délai de
trois mois prévu à l'article 48 de la Charte Africaine) mais celles-ci n'ont de sens que dans
l'hypothèse de l'utilisation initiale de la «procédure de la communication-négociation».
(45) Article 26 de la Convention Européenne, article 46 de la Convention Américaine, article
41 (1) littera c) du second Pacte des Nations Unies et article 2 du Protocole facultatif y relatif.
(46) Charte Africaine, article 51 (1).
(47) Charte Africaine, article 52.
(48) Charte Africaine, article 53.
(49) Charte Africaine, article 59.
LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME 567

Après deux années de fonctionnement, aucune communication


interétatique n'a encore été enregistrée par le Secrétariat de la Commission. Un
tel constat est loin d'être surprenant car il faut, en effet, compter avec la
réticence naturelle des Etats à dénoncer des violations commises par d'autres
Etats dés lors qu'eux-mêmes ne sont pas toujours irréprochables en la
matière et risquent donc à leur tour de faire l'objet d'une telle dénonciation;
cela est particulièrement vrai pour le continent africain qui abrite un très
grand nombre de régimes plus ou moins autoritaires. On fera à ce propos
observer que dans le système européen, il a fallu attendre deux années après
l'élection (le 18 mai 1954) des membres de la Commission Européenne des
Droits de l'Homme pour que celle-ci soit saisie d'une requête
interétatique (50); à titre de comparaison, au cours d'une période équivalente (du 5
juillet 1955 au 31 décembre 1957), elle a été saisie de 343 requêtes
individuelles (51). Comme nous allons le voir à présent, une telle disproportion
entre l'initiative des Etats et celle des particuliers est également
caractéristique du système africain.

b) Procédure relative aux communications d'origine non étatique


Cette procédure réglée par les articles 55 à 59 de la Charte Africaine
présente de grandes similitudes avec celle précédemment examinée; elle est
néanmoins sensiblement plus complexe et obéit à des règles autrement plus
rigoureuses.
Comme nous l'avons vu, de telles communications peuvent émaner aussi
bien de personnes physiques que de personnes morales (52). Aucune forme
particulière n'est exigée pour la rédaction de la communication; le
Secrétariat de la Commission ne dispose d'ailleurs pas de formulaire spécial à cet
effet. Cette absence de formalisme est peut-être préférable dans un continent
pauvre en moyens de communication et où. il peut donc s'avérer très difficile
pour le plus grand nombre de se procurer un tel formulaire.
Pour être recevable, la communication non étatique doit satisfaire un
certain nombre de conditions qui aux termes de l'article 56 de la Charte
Africaine sont au nombre de sept : 1) elle doit indiquer l'identité de son
auteur, 2) elle doit être compatible avec ladite charte et avec celle de
l'O.U.A., 3) elle ne doit pas être rédigée en des termes outrageants, 4) elle
ne doit pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées
par des moyens de communication de masse, 5) elle doit être postérieure à
l'épuisement des recours internes, 6) elle doit être introduite dans un délai
raisonnable et 7) elle doit respecter le principe non bis in idem. L'article
114 du Règlement ajoute cependant une autre condition : l'objet de la
communication ne doit pas être en cours d'examen devant une autre instance
internationale de règlement. Ces conditions de recevabilité sont ainsi
sensiblement les mêmes que celles prévues par les deux autres instruments
régionaux (53).

(50) 7 mai 1956, Requête Grèce c. Royaume Uni, à propos de la violation de la Convention
Européenne par l'administration de Chypre.
(51) Commission Européenne des Droits de l'Homme — Documents et décisions (1955-1956-
1957), La Haye, Martinus Nijhoff, 1959, p. 133.
(52) Règlement intérieur, articles 103 (1) et 114.
(53) Voir les articles 26 et 27 de la Convention Européenne et les articles 46 et 47 de la
Convention Américaine.
568 LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME

Cet examen de recevabilité de la communication est normalement du


ressort de la Commission elle-même, mais celle-ci peut, selon l'article 113
du Règlement, charger un ou plusieurs groupes de travail de lui présenter
des recommandations touchant l'exécution desdites conditions de
recevabilité; à sa cinquième session, la Commission a ainsi désigné cinq de ses
membres pour faire rapport sur des communications reçues au Secrétariat (54).
La décision sur la recevabilité est néanmoins du ressort de la Commission
siégeant en séance plénière et statuant à la majorité absolue de ses
membres (55).
Avant d'être examinée au fond, la communication doit être portée à la
connaissance de l'Etat intéressé (56) et, à ce niveau, il est toujours loisible
à la Commission de revenir sur sa décision de recevabilité sur la base des
explications fournies par ce dernier (57). Les modalités d'examen au fond
de la communication non étatique sont ensuite réglées par l'article 58 de
la Charte Africaine dont le premier paragraphe prévoit une étape
procédurale tout aussi décisive pour ladite communication que celle de la
recevabilité. L'article 58 (1) dispose en effet que :
«Lorsqu'il apparaît à la suite d'une délibération de la Commission qu'une
ou plusieurs communications relatent des situations particulières qui semblent
révéler l'existence d'un ensemble de violations graves ou massives des droits
de l'homme et des peuples, la Commission attire l'attention de la Conférence
des Chefs d'Etat et de Gouvernement sur ces situations».
La seule prérogative accordée ici à la Commission est d'attirer l'attention
de la Conférence si, et seulement si, la communication en question fait
apparaître «l'existence d'un ensemble de violations graves ou massives des droits
de l'homme et des peuples». La Commission ne peut donc pas proprio motu
procéder à un examen approfondi de la situation rapportée par la
communication; seule la Conférence peut l'y autoriser et là encore, le rapport qui
sera, le cas échéant, établi sur lesdites situations ne pourra être publié que
sur décision de la même Conférence (58). La formule de cet article 58 (1),
vraisembablement inspirée de celle des résolutions 1235 (XLII) (59) et 1503
(XLVIII) (60) du Conseil Economique et Social des Nations Unies, pose ainsi
une exigence supplémentaire particulièrement difficile à remplir par la
communication d'origine non étatique.
Un espoir est néanmoins permis par le règlement de la Commission qui
prévoit un traitement beaucoup plus généreux de la communication non
étatique en ne reprenant pas la fameuse formule de l'article 58 (1) de la Charte
Africaine; mais, ce faisant, il ne respecte pas la lettre de cette dernière. En
effet, aux termes des articles 117 et 118 du Règlement, la communication

(54) Doc. O.U.A. AHG/165 (XXV), p. 8 (# 37).


(55) Charte Africaine, article 55 (2).
(56) Charte Africaine, article 57 et Règlement, article 110.
(57) Règlement, article 117 (4).
(58) Charte Africaine, article 59.
(59) Adoptée le 6 juin 1967, Question de la Violation des droits de l'homme et des libertés
fondamentales, y compris la politique de discrimination raciale et de ségrégation ainsi que la
politique d'apartheid, dans tous les pays, en particulier dans les pays et territoires coloniaux et
dépendants; son paragraphe 3 parle de «constantes et systématiques violations des droits de
l'homme».
(60) Adoptée le 27 mai 1970, Procédures à adopter pour l'examen des communications
relatives aux violations des droits de l'homme et des libertés fondamentales; le paragraphe 1 de cette
résolution parle de «l'existence d'un ensemble de violations flagrantes et systématiques» des droits
de l'homme.
LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME 569

déclarée recevable fait directement l'objet d'une instruction par la


Commission éclairée par les observations de l'Etat intéressé et de l'auteur de la
communication; la Commission fait ensuite part de ses «constatations» à la
Conférence. De manière fort étrange, la procédure devant la Commission
ne trouve pas là son aboutissement; l'article 118 (3) la prolonge en effet de
manière à la rendre finalement compatible avec la Charte Africaine puisqu'il
prévoit que la Conférence peut alors demander à la Commission «de procéder
sur ces situations à une étude approfondie, et de lui rendre compte dans un
rapport circonstancié [...] en vertu des dispositions de l'article 58 alinéa 2
de la Charte». On peut dans ces conditions s'interroger sur l'objet et l'utilité
de la procédure contradictoire devant la Commission suite à sa décision sur
la recevabilité et surtout sur la teneur des «constatations» de cette dernière
à ce sujet.
Environ 130 communications d'origine non étatique, rédigées en diverses
langues (anglais, arabe, espagnol, français, portugais) et pour la plupart
introduites par des organisations non gouvernementales, sont déjà parvenues
au Secrétariat de la Commission (61). Une trentaine de ces communications
seraient encore en cours d'examen par la Commission et quelques unes
d'entre elles seulement auraient franchi le barrage de la recevabilité (62).
Aucune des communications traitées par la Commission au cours de ses deux
premières années d'existence n'a encore donné lieu à une décision définitive
sur le fond (63). Ce qu'il importe toutefois de relever ici c'est que, selon les
déclarations de certains membres de la Commission, la pratique actuelle de
cette dernière s'inscrirait dans la voie tracée par son règlement intérieur
qui a d'ailleurs été formellement approuvé par la Conférence (64). La
Commission s'autoriserait en effet à examiner des situations individuelles
en matière de violations de droits de l'homme et, ce faisant, elle élargirait
le rôle relativement modeste qui lui a été accordé par l'article 58 (1) de la
Charte Africaine à propos des communications non étatiques.

(61 ) Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, Kairaba Avenue, P.O. Box
673, Banjul, The Gambia, Tel. 92964.
(62) Informations recueillies auprès des membres de la Commission. Pour sa part, le rapport
annuel d'activités adopté en juin 1989 fait état des informations suivantes : sur la totalité des
communications déjà enregistrées par la Commission soit 38, vingt-quatre auraient déjà fait l'objet
d'une décision sur la recevabilité, trois auraient fait l'objet d'une décision d'irrecevabilité, six
auraient fait l'objet d'une décision sur la saisine de la Commission (étape préliminaire de filtrage
prévue par l'article 55 (2) de la Charte Africaine) et cinq feront l'objet d'un examen lors des
prochaines sessions, Corrigendum au deuxième rapport d'activités de la Commission Africaine des
Droits de l'Homme et des Peuples, Doc. O.U.A. AHG/165 (XXV) Corrg..
Le chiffre de 24 communications déclarées recevables ne nous paraît cependant pas correspondre
à la réalité; il est en effet relativement élevé si l'on en juge par les statistiques relatives aux
communications examinées par la Commission lors de la dernière en date de ses sessions (Banjul,
23 octobre-4 novembre 1989): sur les 98 communications traitées, six seulement seraient dirigées
contre des Etats parties à la Charte Africaine; les autres communications seraient dirigées contre
des pays tels que l'Afrique du Sud, les Etats Unis, le Mexique, le Nicaragua, le Salvador, les
Philippines, l'Indonésie ou 1TJ.R.S.S. par exemple. Si ces informations sont exactes, 92
communications sur 98 devraient être rejetées ex officia; il resterait ensuite à examiner si les conditions
de recevabilité (épuisement des recours internes en particulier) sont remplies pour les six autres.
(63) A titre de comparaison, sur les 343 requêtes individuelles reçues durant une période
équivalente (du 5 juillet 1955 au 31 décembre 1957) par la Commission Européenne, 277 ont été
déclarées irrecevables, 15 ont été rayées du rôle et 51 étaient encore pendantes (complément
d'informations etc..) devant elle, Commission Européenne des Droits de l'Homme Documents et
décisions (1955-1956-1957), p. 133.
(64) Voir supra, note 6.
570 LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME

Conclusion
La place occupée par la Commission dans le système de sauvegarde des
droits de l'homme institué par la Charte Africaine est sans aucune mesure
avec celui des commissions régionales existantes dans le cadre américain et
européen. La Commission dispose certes d'une grande liberté de manœuvre
dans l'exercice de sa fonction de promotion des droits de l'homme en Afrique
mais est par contre beaucoup plus limitée en ce qui concerne sa fonction
de protection desdits droits. Dans ce domaine, et dans la meilleure des
hypothèses, le rôle de la Commission se limite, en effet, à l'établissement d'un
rapport dont la publication lui échappe puisque celle-ci relève de la décision
discrétionnaire de la Conférence (65). Dans leur quête d'un mécanisme de
sauvegarde des droits et libertés de l'homme et des peuples, les rédacteurs
de la Charte Africaine n'ont donc pas totalement ignoré la prédilection des
dirigeants africains pour le règlement politique de leurs différends. Cette
suprématie de la Conférence sur la Commission nous révèle très clairement
que dans le domaine particulier de la protection des droits de l'homme, les
Etats africains ont manifestement préféré l'autorité du Prince à la sagesse
du Juge. La formule retenue par la Charte Africaine se situe ainsi à mi-
chemin entre la solution minimaliste du système consacré au niveau
universel par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Comité
des droits de l'homme) (66) et de celle, maximaliste, du système consacré
au niveau régional par la Convention Européenne des Droits de l'Homme
(Cour et Commission). Cette pauvreté fonctionnelle de la Commission doit
toutefois être relativisée. La Commission peut en effet exploiter très
utilement sa fonction de promotion des droits de l'homme en attachant, par
exemple, une attention toute particulière à l'examen des rapports périodiques
des Etats et à la rédaction de son propre rapport annuel d'activités dont la
publication n'est en théorie pas soumise au veto de la Conférence. Il faut
aussi beaucoup espérer de la pratique actuelle de la Commission en matière
d'examen des communications non étatiques; si celle-ci se confirmait, la
Commission aurait réussi à créer de toutes pièces sa «compétence» dans ce
domaine et amorcerait ainsi une évolution telle que l'a connue par exemple
la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme; à l'origine conçue
comme un simple organe de promotion des droits de l'homme tels que définis
par la Déclaration Américaine des Droits et Devoirs de l'Homme de
1948 (67), cette commission s'est en effet peu à peu muée en un véritable
organe de protection des droits de l'homme en élargissant ses attributions
par une interprétation courageuse de son statut (68). Le nombre relative-

(65) Charte Africaine, articles 52, 58 (2) et 59 (2). En théorie, les décisions de la Conférence
sont prises à la majorité des deux tiers des Etats membres de l'O.U.A., article 10 de la Charte
constitutive de l'O.U.A., mais dans la pratique la Conférence essaie dans la mesure du possible
de les prendre par voie de consensus.
(66) La «saisine» du Comité des Droits de l'Homme par un Etat partie au Pacte ou par un
individu est en effet conditionnée par l'acceptation préalable de la compétence de ce comité par
les Etats intéressés (article 41 du Pacte et Protocole facultatif). Mais à l'instar de la Commission
Africaine, le Comité des Droits de l'Homme n'a pas la possibilité de publier le rapport établi à
propos d'un cas particulier; il doit toutefois le communiquer aux parties intéressés, Etats ou
individus (voir également article 45 du Pacte et article 6 du Protocole facultatif).
(67) Statut de la Commission Interaméricaine des Droits de l'Homme, articles 1 et 2.
(68) La Commission Interaméricaine présente l'originalité d'exister indépendamment de la
Convention Américaine de 1969; elle a été créée dix ans plus tôt par une résolution prise lors
d'une réunion ministérielle de l'O.E.A., Résolution VIII, Fifth Meeting of Consultation of Ministers
of Foreign Affairs, Santiago (Chile), August 12-18 1959, Final Act, O.A.S. Off. Rec. OEA/Ser.C/II
5 (English), I960, pp. 10-11.
LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME 571

ment élevé de communications d'origine non étatique jusqu'ici parvenues à


la Commission nous donne la mesure des espoirs placés en elle par les
individus mais l'extrême jeunesse de la Commission ne nous autorise pas
encore à porter un regard vraiment éclairé sur son action. Son siège a été
inauguré très récemment, le 12 juin 1989, et celle-ci en est encore à régler
des problèmes cruciaux d'organisation. La composition du Secrétariat de la
Commission se limite pour l'instant à un Secrétaire et à deux secrétaires (69)
et la Commission n'a pas encore eu le loisir de se réunir à son siège du
fait de l'absence de mobilier et d'une alimentation irrégulière des locaux en
électricité (70). Du fait du manque de ressources du Secrétariat de la
Commission, aucune organisation non gouvernementale n'a par exemple pu
participer à la dernière session de la Commission (Banjul, 23 octobre-4
novembre 1989) faute d'avoir pu être informée à temps de la date de la réunion.
On pourrait ne voir là que des difficultés propres au démarrage de toute
institution; il est néanmoins difficile de ne pas imputer celles-ci à une
absence de volonté politique des Etats parties à la Charte Africaine. Il faut
en définitive espérer qu'elles seront rapidement surmontées grâce à la bonne
volonté des membres de la Commission et du Secrétariat. La Commission
a pour l'instant le mérite d'exister : en effet, de par ce simple fait, elle n'est
pas sans exercer une certaine influence sur le comportement des Etats
africains comme en témoigne, par exemple, l'audition par la Commission en
octobre 1988, d'un représentant du Burundi — et à la requête de cet Etat
pourtant non partie à la Charte Africaine - au sujet des massacres
interethniques survenus dans ce pays en août 1988 (71); on peut y voir l'amorce
d'une évolution positive de la position des Etats africains à l'égard de la
question des droits de l'homme bien qu'il ne soit pas du tout exclu que la
démarche de l'Etat susmentionné obéisse à des motivations autres
qu'humanitaires.
*
* *

Le 15 janvier 1990

(69) La Commission a toutefois demandé à la Conférence que lui soient affectés un certain
nombre de cadres administratifs comme, par exemple dans l'immédiat, deux juristes, un
documentaliste et un traducteur français-anglais, Doc. O.U.A AHG/165 (XXV), Annexe XV.
(70) Seulement trois heures par jour; on mesure l'inconfort d'une telle situation quand on
sait que les machines à écrire comme la climatisation fonctionnent à l'électricité. La solution
consisterait pour le Secrétariat à se doter d'un groupe électrogène.
(71) Doc. O.U.A. AHG/165 (XXV), pp. 2-3 (## 11-12).

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