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La représentation des animaux dans les œuvres, nous nous intéressons aux figures d’animaux
de spectacle, et en nous concentrant, principalement sur :
Le livre X des Métamorphoses, ou l’Âne d’or, qui voit Lucius devenir un compagnon
divertissant au service de Thiasus, avant d’être promis au cirque ;
L’épisode du tambour dans la vie de Berganza, plus loin enrôlé dans une troupe de
théâtre ;
L’activité spectaculaire du singe de Kafka, Rotpeter, autant par son emploi au music-
hall que par l’énonciation même du « Rapport », donné comme une performance
académique
Mais aussi de quoi réfléchir plus largement sur le statut de l’animal dans nos récits, puisque
représenter l’animal, c’est d’une certaine façon le donner en spectacle littéraire
L’art de spectacle est l’art de la littérature à amuser et divertir le lecteur.
Dans ces récits, le moment où le personnage animal ou animalisé se produit dans une mise
en scène peut être interprété comme un point crucial où il se rapproche soit de l'humain,
soit de son humanité perdue. Cela crée une tension entre les deux aspects de son existence,
ainsi qu'entre les dimensions humaines et animales de nous-mêmes en tant que lecteurs.
si le spectacle inclut toujours une dimension d’admiration – le substantif spectaculum latin
est proche de l’adjectif spectabilis, ce qui attire l’attention, ce qui est digne d’être vu : Les
jeux du cirque dans le cas d’Apulée, forme de divertissement violent, mais aussi le zoo dans
le cas de Kafka, particulièrement au moment où il écrit, relèvent du champ du spectaculaire,
tout comme les acrobaties et les performances scéniques.
Apulée :
A l’époque romaine
la peine de mort était parfois aggravée par la damnatio ad bestias, c’est-à-dire être dévorés
par les animaux sauvages.
Dès le début du récit, le narrateur annonce une œuvre qui jongle entre différents genres et
imaginaires, créant ainsi une véritable voltige littéraire.
L'image de l'écriture comme un "art de la voltige", une "desultoria scientia", évoque les
desultores, ces cavaliers acrobates qui jonglaient entre plusieurs montures lors des courses
de chars romaines. Cette métaphore suggère que le texte lui-même est un spectacle en
mouvement constant, capable de captiver et d'étonner le lecteur par ses arabesques et ses
tours de force rhétoriques.
Lucien de Samosate admirait les danseurs, comme le montre son opuscule De la danse.
Apulée prend visiblement modèle sur les saltimbanques et les voltigeurs, utilise les animaux
comme des éléments spectaculaires dans ses récits pour surprendre et captiver ses lecteurs.
En cela, il agit comme un véritable "dresseur littéraire", captivant son public avec des
histoires fantastiques et des métamorphoses impressionnantes
1. Livres IV à IX : Mettent en avant les polarités de l'animal domestiqué et utilitaire ainsi
que de l'animal sauvage et féroce, à travers des histoires d'animaux de travail comme Lucius,
de bêtes sauvages telles que le sanglier, l'ours et le dragon.
2. Livre X : Paradoxalement, Lucius devient un compagnon divertissant et une bête de
scène au service de Thiasus, marquant le seul épisode heureux de son existence d'âne.
3. Le livre X est à la fois le comble de l'avilissement et de la dégradation morale de
Lucius, mais aussi le prélude à sa révélation divine et à sa réhumanisation.
4. Lucius semble être humanisé par une scène de quasi-reconnaissance, où son statut
change après avoir été découvert en train de chaparder de la nourriture.
5. La scène où Lucius est découvert en train de manger par des serviteurs et est ensuite
régalé de mets délicieux par son maître suggère un retour apparent à la condition humaine,
symbolisé notamment par la façon dont il boit le vin. Cependant, ce triomphe est en réalité
un faux retour à l'humanité.
6. Lucius se plie au "dressage" et devient un âne savant, capable de lutter, de danser, de
comprendre les paroles humaines et même d'exprimer sa pensée par des gestes. Il ne
devient pas simplement une monture pour Thiasus, mais un véritable convive à part entière.
7. Les tours de l'âne savant, bien que grotesques dans leur simulation de
comportements humains, peuvent néanmoins être inspirés de réalités observables chez les
animaux dressés, comme en témoignent les éléphants savants documentés par les
naturalistes antiques.
8. L'épisode du dîner est inspiré de la légende selon laquelle le sage Chrysippe serait
mort en éclatant de rire en voyant un âne manger des figues, ce qui remet en question la
distinction stoïcienne entre l'intelligence humaine et l'instinct animal.
9. Lucius, conscient des risques de révéler son humanité et d'être considéré comme un
monstre, suscite néanmoins la curiosité et attire les foules à Corinthe, où il jouit enfin de la
gloire prédite par l'oracle. Cependant, cette gloire suscite également des questions sur la
nature de cette curiosité humaine et ses conséquences potentiellement désastreuses.
10. Il y a quelque chose de pourri dans cette société du spectacle :
Thiasus vend les faveurs de l'âne à une matrone, dans un épisode particulièrement mis en
scène par Apulée. Bien que cela ne soit pas un spectacle au sens strict, Lucius craint
immédiatement d'être livré aux bêtes du cirque s'il s'en prenait à cette maîtresse
lubrique.
Le dresseur suggère alors à Thiasus l'idée d'un "spectacle inédit", une mise en scène
publique avec une condamnée à mort, combinant les talents de l'âne savant avec la
violence et la souillure la plus extrême. Pour Lucius, cette suggestion confirme sa
condamnation à être exposé au spectacle.
Cette situation soulève des questions sur la nature perverse de la fascination humaine pour
les spectacles sensationnels, combinant le divertissement avec la violence et la
dépravation
11. Les jeux du cirque constituent évidemment une institution importante à l’époque
d’Apulée, un marqueur de la civilisation romaine, sous les deux formes de la venatio,
le combat de gladiateurs contre des bêtes, et de la damnatio ad bestias, l’exécution
des condamnés livrés aux fauves
12. Thrasyléyon :
Thrasyléon se porte volontaire pour se déguiser en ours et s'introduire chez
Démocharès, dans une mise en scène rappelant le cheval de Troie et mettant en abyme
l'histoire de Lucius.
L'ours de théâtre attire les badauds, car l'esprit humain est attiré par la nouveauté des
spectacles inédits. Cependant, une catastrophe tragique survient lorsque l'imposture
de Thrasyléon est découverte et qu'on lâche les chiens sur lui.
Malgré sa fin tragique, Thrasyléon s'efforce de tenir son rôle jusqu'au bout, "mugissant
obstinément et grondant comme une bête sauvage", ce qui peut être interprété
comme un comportement philosophique dans le sens stoïcien.
On peut se demander s'il faut admirer Thrasyléon pour son application sur les planches
du "theatrum mundi", son comportement pouvant être considéré comme
philosophique selon certains aspects stoïciens, ou s'il s'agit du comble de la folie.
Dans Les Métamorphoses d'Apulée, c'est l'être humain qui endosse le rôle de la bête,
tandis que l'animal savant est souvent représenté comme se comportant de manière
humaine. Cette inversion ironique souligne le contraste entre la nature sauvage des
animaux et la cruauté de l'humanité.
Lorsque le boucher ouvre le cadavre de l'ours pour en sortir le brigand, c'est comme un
accouchement inverse, grotesque et monstrueux. Cette scène met en lumière la
violence inhérente aux jeux du cirque, où l'humanité semble être assassinée à travers
les animaux pour le seul plaisir de la foule.
Apulée semble exprimer à travers ses récits une forme de dégoût envers le cirque et les
spectacles sanglants, anticipant ainsi sur la critique des spectacles formulée par les
premiers chrétiens, telle que celle de Tertullien dans son ouvrage Contre les spectacles.
Bien que l'anachronisme soit à éviter, certains intellectuels romains, tels que Cicéron et
Sénèque, exprimaient déjà leur méfiance envers la furor collective qui caractérisait la
passion populaire pour les jeux.
Apulée esquisse une scène qui serait le spectacle total où se rejoindraient toutes les
figures de l’érotisme et de la mort qui traversent l’Âne d’or, montrant de manière
éclatante que la curiosité caractérisant l’être humain est paradoxalement le plus animal
de ses traits. Certes, la mise en scène abominable du livre X trouvera son antidote dans
le cortège d’Isis au livre XI, qui inclut lui aussi une forme de spectacle animal.
Guimarise rosa :
L'évocation de l'œuvre de Guimarães Rosa met en lumière un contraste avec les autres textes
étudiés dans cette analyse. Contrairement à Kafka, dont les récits explorent souvent la relation
complexe entre l'homme et l'animal dans un contexte de domestication et de spectacle, l'œuvre
de Guimarães Rosa se déroule dans des environnements sauvages, où les humains se retrouvent
confrontés à la brutalité et à la puissance des animaux.