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Rhumatologie pour le praticien Bernard

Mazières
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BIBLIOTHEQUE DE LA RECHERCHE BIBLIOGRAPHIQUE SCIENCE MEDICALE

Elsevier Masson SAS, 65, rue Camille-Desmoulins, 92442 Issy-les-Moulineaux cedex, France
Rhumatologie pour le praticien de Bernard Mazières, Michel Laroche, Arnaud Constantin et Alain Cantagrel
© 2018, Elsevier Masson SAS.
ISBN : 978-2-294-74832-5
e-ISBN : 978-2-294-74952-0
Tous droits réservés.

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­propriété intellectuelle).

Légendes et crédits de la couverture (de gauche à droite et de haut en bas) :


1 Aspects de la fluorescence des noyaux des cellules Hep-2 en présence d'anticorps anti-nucléaires : homogène, mouchetée, nucléo-
laire et homogène à renforcement périphérique (Source : T. Belmondo, S. Hüe, Autoanticorps antinucléaires : tests de dépistage par
immunofluorescence indirecte sur cellules HEp-2, Biologie médicale, 2017-09-01, Volume 12, Numéro 3, Pages 1-11, Copyright © 2017
Elsevier Masson SAS).
2 Microscopie électronique de transmission de la couche superficielle d'un cartilage du condyle de lapin montrant deux chondro-
cytes, l'un normal, l'autre apoptotique.
3 Radiographie d'une sacro-iliite droite.
4 Tassement-fracture lombaire par ostéoporose.
5 Symbole illustrant la rhumatologie (Source : www.docteurclic.com/maladie/troubles-musculo-squelettiques.aspx).
6 IRM d'une ostéonécrose de la tête fémorale droite.
7 Main rhumatoïde avec synovite de la 3e IPP et kyste synovial de la 2e IPD.
8 Bursite goutteuse du coude.
9 Microscopie électronique de transmission d'un ostéoclaste.

Les illustrations 1.07, 2.01, 2.15, 2.16, 3.04, 3.05, 3.08, 3.11, 4.01, 9.01, 10.01, 10.02, 10.03, 10.04, 10.05, 20.02, 28.02, 29.06, 29.21,
29.27, 29.31, 30.01, 30.02, 30.03, 30.04, 30.05, 34.02, 34.03, 37.01, 44.01, 44.02, 44.03, 44.08, 44.09 et 53.01 ont été réalisées par
Carole Fumat.

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domaine universitaire, le développement massif du « photo-copillage ». Cette pratique qui s'est généralisée, notamment
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Les auteurs

Daniel Adoue Service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital


Professeur des universités, université Toulouse III-Paul Purpan, CHU de Toulouse.
Sabatier. Praticien hospitalier. Médecine interne et immuno­
pathologie clinique. Centre de Rhumatologie et d'immuno­ Philippe Gaudin
logie Clinique, Pôle Institut Universitaire du Cancer Professeur des universités, université Grenoble Alpes.
Oncopole, CHU de Toulouse. Praticien hospitalier. Rhumatologue, chef de service. CHU
de Grenoble Alpes.
Jacques Bernard
Praticien hospitalier. Rhumatologue et interniste. Centre Pauline Lansalot-Matras
de rhumatologie et d'immunologie clinique, hôpital Pierre- Praticien hospitalier. Infectiologue. Service des maladies
Paul Riquet, CHU de Toulouse. infectieuses et tropicales, hôpital Purpan, CHU de Toulouse.

Laure Bernard Michel Laroche


Interne des hôpitaux. Service de gynécologie médicale, Professeur des universités, université Toulouse III-Paul
CHU de Strasbourg. Sabatier. Praticien hospitalier. Rhumatologue. Centre de
rhumatologie et d'immunologie Clinique, hôpital Pierre-
Alain Cantagrel Paul Riquet, CHU de Toulouse.
Professeur des universités, université Toulouse III-Paul
Sabatier. Praticien hospitalier. Rhumatologue, chef de service. Henri Lellouche
Centre de rhumatologie et d'immunologie clinique, hôpital Rhumatologue. Attaché des hôpitaux. Institut de l'appareil
Pierre-Paul Riquet, CHU de Toulouse et Inserm UMR 1043. locomoteur Nollet, Paris.

Pascal Cintas Bernard Mazières


Praticien hospitalier. Neurologue. Explorations neurophysio­ Professeur émérite des universités, université Toulouse
logiques, Centre SLA, Centre de référence de patho­logie III-Paul Sabatier. Rhumatologue.
neuromusculaire, hôpital Pierre-Paul Riquet, CHU de
Toulouse.
Jacques Morel
Professeur des universités, université de Montpellier.
Arnaud Constantin Praticien hospitalier. Rhumatologue. Département de
Professeur des universités, université Toulouse III-Paul Rhumatologie, CHU de Montpellier.
Sabatier. Praticien hospitalier. Rhumatologue. Centre de
rhumatologie et d'immunologie clinique, hôpital Pierre-
Virginie Pécourneau
Paul Riquet, CHU de Toulouse et Inserm UMR 1043.
Assistante hospitalo-universitaire. Rhumatologue. Service
d'exploration de la fonction respiratoire et de médecine
Alexa Debard du sport, hôpital Larrey et Centre de rhumatologie et
Praticien hospitalier. Infectiologue. Service des maladies ­d'immunologie Clinique, hôpital Pierre-Paul Riquet, CHU
infectieuses et tropicales, hôpital Purpan, CHU de Toulouse. de Toulouse.

Yannick Degboé Fabien Pillard


Chef de clinique, assistant des hôpitaux. Rhumatologue. Maître de conférences des Universités, praticien hospitalier.
Centre de Rhumatologie et d'immunologie clinique, hôpital Service d'exploration de la fonction respiratoire et de méde-
Pierre-Paul Riquet, CHU de Toulouse. cine du sport, hôpital Larrey, CHU de Toulouse. Laboratoire
de recherche sur les sécrétions adipocytaires, les obésités
Pierre Delobel et les pathologies associées (AdipOLab), INSERM U1048,
Professeur des universités, université Toulouse III-Paul Institut des Maladies Métaboliques et Cardiovasculaires
Sabatier. Praticien hospitalier. Infectiologue, chef de service. (I2MC), Toulouse.

XI
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XII Les auteurs

Daniel Rivière Jérôme Sales de Gauzy


Professeur des Universités, praticien hospitalier. Service Professeur des universités, université Toulouse III-Paul
­d'Exploration de la Fonction Respiratoire et de Médecine du Sabatier. Praticien hospitalier. Chirurgien orthopédiste
Sport, Hôpital Larrey, CHU Toulouse. Laboratoire de infantile, chef de service. Hôpital des enfants, CHU de
recherche sur les sécrétions adipocytaires, les obésités et les Toulouse.
pathologies associées (AdipOLab), INSERM U1048, Institut
des Maladies Métaboliques et Cardiovasculaires (I2MC), Pascale Vergne-Salle
Toulouse. Professeur des universités, université de Limoges. Praticien
hospitalier. Rhumatologue. Service de rhumatologie
Adeline Ruyssen-Witrand et Centre d'étude et de traitement de la douleur, CHU
Praticien hospitalier. Rhumatologue. Centre de rhumato­ Dupuytren, Limoges.
logie et d'immunologie Clinique, hôpital Pierre-Paul Riquet.
CHU de Toulouse et INSERM UMR 1027, Toulouse.
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Préface

L'expérience C'est ce que nous avons essayé de faire au mieux dans cet
En tant que médecins hospitaliers, nous avons, au cours ouvrage. Présenter l'état de l'art et de la science rhumato­
de nos dizaines d'années de carrière, reçu en consultation logique, l'état des recherches qui, à ce jour, peuvent être uti-
des milliers de patients. Nous n'apprendrons donc rien aux lisables en pratique quotidienne, aider au diagnostic, à une
médecins généralistes et aux spécialistes libéraux, qui en ont meilleure prise en charge de nos patients. Ce livre s'efforce
certainement vu beaucoup plus, en disant que l'érudition d'être pédagogique, didactique et plaisant à lire.
scientifique acquise au cours de nos études médicales semble
parfois peu utile par rapport à l'écoute des patients, à l'atten- Le défi de la prise en charge
tion et à l'empathie que nous leur portons. L'accumulation, des maladies de l'appareil locomoteur
cas après cas, d'une expérience de terrain et de l'intuition Douleur et chronicité sont associées aux maladies de
surprenante qu'elle nous permet d'acquérir, semble souvent l'appareil locomoteur : à côté de rhumatismes longtemps
l'essence même de notre compétence. effroyables, mais potentiellement vaincus (polyarthrites,
goutte), resteront ces maux plus banals, beaucoup plus fré-
Le savoir quents (lombalgies, tendinopathies, arthrose, ostéoporose),
conséquences de nos modes de vie autant que de notre
En marge de notre quotidien de médecin traitant, un vaste hérédité.
champ de recherches biomédicales s'active sans relâche à Parce que la douleur est une émotion autant qu'une
décortiquer le pourquoi du comment, se penche sur des sensation, son traitement ne pourra jamais n'être que
détails paraissant éloignés du bien-être de nos patients. pharmacologique.
Pourtant, les 28 millions d'études référencées à ce jour par Parce que la chronicité reste encore le lot de bon nombre
PubMed [1] témoignent, article après article, d'un effort de rhumatisants, elle nous lance plusieurs défis dont deux
cumulatif constant pour faire mieux, pour être plus sûr, pour nous concernent directement :
ouvrir de nouvelles pistes. Les savoirs physiopathologiques Pour le thérapeute, prendre en compte sa dimension tem-
explosent, les progrès thérapeutiques fleurissent, générant porelle (écouter, comprendre, informer, expliquer, partager,
des recommandations diagnostiques et thérapeutiques tous conseiller, surveiller…). En avons-nous les moyens, la com-
azimuts. Comment les implémenter ? L'informatique, les pétence, le temps, la volonté ? C'est l'éducation thérapeu-
objets connectés, devraient nous y aider [2]. tique dans toute son ampleur : ce n'est plus le schéma « je
sais, je donne », mais « ensemble, que pouvons-nous faire ? ».
Les progrès Comment rendre au médecin du temps médical ? Comment
Certains succès nous le rappellent quotidiennement : la corti- prescrire moins pour soigner mieux ? La médecine narra-
sone (fin des années 1940) a sauvé des polyarthrites au prix de tive, forme moderne de l'écoute, qui s'apprend et se trans-
nombreuses et lourdes complications ; les hypo-uricémiants met, peut-elle nous y aider [3, 4] ?
(années 1960) épargnent aux goutteux de mourir tophacés et Pour le patient, vivre avec, faire face, être observant, modi-
urémiques ; moins spectaculaires, les bisphosphonates (années fier ses habitudes, changer son mode de vie. Défi autrement
1970) évitent aux pagétiques de souffrir et aux ostéoporotiques plus complexe et lourd à relever que prendre quelques pilules
de se casser ; enfin, les biothérapies (années 2000) permettent ou recourir au bistouri en attendant passivement une guéri-
aux rhumatisants inflammatoires récents de mener des vies son, un retour illusoire à un état antérieur, voire l'éternelle
quasi normales. Dans cette quête constante du progrès médical, jeunesse du transhumanisme. Pour lui, « l'éducation théra-
n'oublions pas que le scanner, l'IRM surtout, maintenant l'écho- peutique n'est pas qu'un simple apprentissage de l'auto-soin,
graphie, ont transformé notre vision des articulations et du mais doit s'inscrire dans un processus de résilience » [5].
rachis, et permettent de plus une approche interventionnelle. Ces maladies ne vont pas disparaître et leur prévalence
devrait augmenter de façon sensible, du fait du vieillisse-
ment des populations, mais aussi à cause de l'incidence
« Rhumatologie pour le praticien » croissante de l'obésité, source de bien de nos maux, dont
À moindre échelle, des résultats plus modestes mais significa- ceux de l'appareil musculo-squelettique [6]. Elles soulèvent
tifs, nous permettent de réactiver notre apprentissage. Nous la question de leur prévention, problème individuel (chan-
mettons régulièrement à jour nos perspectives, nos savoirs gements de comportements) et de santé publique (coopé-
fondamentaux, nos explorations, nos prescriptions, qui sont ration public-privé, moyens financiers, choix politiques,
les socles sur lesquels notre connaissance et notre expérience réforme de nos formations – dont celle de l'internat –, de
peuvent nous faire croître sans souffrir du temps qui passe. notre système de santé).

XIII
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XIV   Préface

L'humilité touche d'un clavier, lancer un test statistique ou une ana-


Enfin, le simple fait de se confronter à l'évolution des lyse d'image. Personne ne sait très bien comment cela va se
connaissances scientifiques, si lente et fastidieuse qu'elle concrétiser, mais la machine nous garantit une chose : nous
puisse parfois être, nous invite à l'humilité. Prenons la permettre de cerner ce qu'elle ne peut pas faire, c'est-à-dire
mesure de notre ignorance par rapport aux grands défis qui ce qu'il y a de plus humain dans la médecine. Le médecin
s'annoncent : la circulation de savoirs – parfois douteux – pourra donc se concentrer sur ce pour quoi il est le plus
sur Internet, pris pour acquis par les patients, les diagnos- doué et utile, si tant est qu'il n'ait jamais cessé d'apprendre.
tics et les soins à distance, les promesses de l'intelligence Pendant longtemps encore, nous aurons à écouter, interro-
artificielle et de la robotique [7]. Du jour au lendemain, des ger et examiner nos malades.
pans entiers de notre profession se réduiront à presser la Toulouse, mars 2018
B. Mazières, M. Laroche
A. Constantin, A. Cantagrel

Références des étudiants à la relation médecin-malade ? Presse Méd, 42 : 2013 ;


e1–8.
1. PubMed, https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/. 5. Grimaldi A, Caillé Y, Pierru F, Tabutau D. Les maladies chroniques,
2. Wisely. Choosing Promoting conversations between patients and cli- vers la troisième médecine. Paris : Un vol, Odile Jacob ; 2017. 784 p.
nicians, www.choosingwisely.org. 6. Mo F, Morrison H, Neutel IC. Population attributable risk from
3. Charon R, Wyer P. for the NEBM working group. Narrative evidence ­obesity to arthritis in the Canadian population Health longitudinal
based medicine. Lancet 2008 ; 371 : 296–7. survey 1994–2006. Int J Rheum Dis 2014 ; 17 : 628–34.
4. Goupy F, Abgrall-Barbry G, Aslangul E, et al. L'enseignement de la 7. http://www.economist.com/news/bisiness/21736193. Apple and Amazon's
médecine narrative peut-il être une réponse à l'attente de formation moves in health signal a coming transformation.
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Remerciements

À tous nos malades par qui et pour qui nous avons tant À nos collègues, à tous nos personnels avec lesquels nous
appris. avons partagé enthousiasmes et inquiétudes, connaissances
À nos maîtres qui nous ont transmis leurs visions et leurs et interrogations.
savoirs, tout particulièrement au Professeur Jacques Arlet. À nos étudiants dont la curiosité est notre meilleur stimulant.

XV
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Abréviations

1-25 di OH D3 vitamine D3 hydroxylée en positions 1 et AT accident du travail


25 (calcitriol) ATC anatomie, thérapeutique, chimie (classement
18
FDG deoxyglucose marqué au fluor 18 des médicaments)
25-OH D vitamine D hydroxylée en position 25 ATG autophagy-related genes
ß2M bêta 2 microglobuline ATM articulation temporo-mandibulaire
A° Angström = 10-10 mètre ATP adénosine triphosphate
AAP antiagrégants plaquettaires ATU autorisation temporaire d'utilisation
AASAL anti-arthrosiques symptomatiques d'action AVC accident vasculaire cérébral
lente AVK antivitamine K
Ac anticorps BAFF B-cell activating factor
ACAN anticorps antinucléaires BASDAI Bath Ankylosing Spondylitis Disease Activity
ACPA anti-citrullinated protein antibodies (anti- Index
corps anti-protéines citrullinées) BASFI Bath Ankylosing Spondylitis Functional Index
ACR American College of Rheumatology BCG bacille de Calmette et Guérin
ACTH adreno corticotrophic hormone (cortico­ BGSA biopsie des glandes salivaires accessoires
trophine) BLOKS Boston-Leeds Osteoarthritis Knee Score
ADAMTS A Disintegrin and Metalloproteinase with BLyS B lymphocyte stimulator
Thrombospondin motifs (aggracanase) BMPs bone morphogenetic proteins
ADN acide désoxyribonucléïque BMU bone multicellular unit (unité de remodelage
ADP accès douloureux paroxystiques osseux)
ADP adénosine biphosphate BP bisphosphonates
ADT antidépresseurs tricycliques BPC bilan phosphocalcique
AFSSAPS Agence française de sécurité sanitaire des BPCO bronchopneumopathie chronique obstructive
produits de santé (remplacée par l'ANSM) C1q, C3, C4 fractions du complément
Ag antigène Ca calcium
AGC artérite giganto-cellulaire CAFA conflit antérieur fémoro-acétabulaire
AGEs advanced glycation end products CAPS syndrome périodique associé à la cryopyrine
AINS anti-inflammatoires non stéroïdiens CASPAR Classification Criteria for Psoriasic Arthritis
ALD affection de longue durée CBG corticotrophin-binding globulin (transcortine)
AMM autorisation de mise sur le marché CBP calcium binding protein
AMP adénosine monophosphate CCA chondrocalcinose articulaire
ANAES Agence nationale d'accréditation et d'éva- CCP cyclic citrullinated peptides
luation en santé
CD cluster de différenciation
ANCA anticorps anticytoplasme des poly­
CDAI Clinical Disease Activity Index
nucléaires neutrophiles
CGRP calcitonine gene-related peptide
ANSM Agence nationale de sécurité du médica-
ment et des produits de santé (remplace CHU Centre hospitalo-universitaire
l'AFSSAPS) ClCr clairance de la créatinine
Anti-RNP anticorps antiribonucléoprotéines CLE canal lombaire étroit
APRT adénine-phospho-ribosyl-transférase CMH complexe majeur d'histocompatibilité
APS antipaludéens de synthèse CMI concentration minimale inhibitrice
ARA 2 récepteurs de l'angiotensine 2 CMU Couverture Maladie Universelle
ARCO Association Research Circulation Osseous CMV cytomégalovirus
ARN acide ribonucléïque COMP cartilage oligomeric matrix protein
ASAS groupe Assessment spondyloarthritis COX cyclo-oxygénase
ASMR amélioration du service médical rendu CPAM Caisse primaire d'Assurance Maladie

XVII
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XVIII Abréviations

CPK créatine phospho-kinase FiRST Fibromy alg i a R api d S c ree ning To ol


Cr créatinine (questionnaire)
CRI Club Rhumatismes et Inflammations FR facteurs rhumatoïdes
CRIOAC Centre de référence des infections ostéo-­ FRAX Fracture Risk Assessment Tool
articulaires complexes GAG glycoaminoglycans
CRP C reactive protein (protéine réactive C) GB globules blancs ou leucocytes
CRRMP Comité régional de reconnaissance des mala- GILZ glucocorticoid-induced leucine zipper
dies professionnelles GMP Good Manufacturing Practices
CSP Code de la Santé publique GR globules rouges ou hématies
CT calcitonine GRIO Groupe de Recherche et d'Information sur les
CTX télopeptides C-terminaux du collagène de Ostéoporoses
type I GWAS Genome Wide Association Studies
CUP cancer of unknown primary HAQ Health Assessment Questionnaire
CV coefficient de variation HAS Haute Autorité de Santé
D2/3 vitamine D2/3 (ergocalciférol/cholécalciférol) HBPM héparines de bas poids moléculaire
DAMP Damage-Associated Molecular Patterns HGPRT hypoxanthine-guanine-phosphoribosyl-
DAS28 Disease Activity Score comptant 28 articulations transférase
DBP vitamin D binding protein HLA human leucocyte antigen (antigène d'histo-
DCI dénomination commune internationale compatibilité tissulaire)
DDB dilatation des bronches HOAMS hip osteoarthritis MRI scoring system
DEXA dual-energy X-ray absorptiometry HPT hyperparathyroïdie
DFG débit de filtration glomérulaire HRpQCT scanner périphérique à haute résolution
dGEMRIC delayed gadolinium-enhanced magnetic reso- HTA hypertension artérielle
nance imaging of cartilage HTLV-1 Human T cell leukemia/lymphoma virus type 1
DISH diffuse idiopathic skeletal hyperostosis IASP International Association for the Study of Pain
DITRA déficit du récepteur de l'IL-36 IC 95 % intervalle de confiance à 95 %
DKK1 Dickkopf-related protein 1 IEC inhibiteurs de l'enzyme de conversion
DMARDs disease-modifying antirheumatic drugs IFNγ interféron gamma
DMO/DO densité minérale osseuse IgA/G/M immunoglobulines A/G/M
DMSO diméthylsulfoxide IGF insulin-like growth factor
DN4 Douleur neuropathique 4 (questionnaire) IGRA test de détection de la production d'interféron
DRESS drug rash with eosinophilia and systematic gamma
symptoms IL-1 Interleukin-1
DS standard deviation (écart-type) IL-6 Interleukin-6
EBM Evidence-Based Medicine IL6R Interleukin-6 Receptor
EXT externe IM intra-musculaire
ECT extract of calf thymus IMAO inhibiteur de la monoamine oxydase
EEG électro-encéphalogramme IMC indice de masse corporelle
ELISA enzyme-linked immunosorbent assay INR International Normalised Ratio (coagulation)
EMA Agence européenne du Médicament IPD interphalangienne distale
ENA extractable nuclear antigen (antigènes IPP inhibiteurs de la pompe à protons
nucléaires solubles) IPP interphalangienne proximale
ENMG électroneuromyographie IRM imagerie par résonnance magnétique
EPS électrophorèse des protéines sériques nucléaire
ES effect size/ effet thérapeutique, selon contexte IRS inhibiteurs de la recapture de la sérotonine
ESF extrémité supérieure du fémur IRSA inhibiteurs mixtes de la recapture de la séro-
EuLAR European League Against Rheumatism tonine et de la noradrénaline
EVA échelle visuelle analogique (0–100 mm) IV intra-veineux
FAN facteurs anti-nuclaires K+ potassium
FAT SAT séquence IRM en saturation de graisse KHOALA knee and hip osteoarthritis long-term assess-
FDA Food and Drug Administration ment (cohorte)
FEA analyse en éléments finis LCA ligament croisé antérieur (du genou)
FGF-23 fibroblast growth factor 23 LCP ligament croisé postérieur (du genou)
FIQ Fibromyalgia Impact Questionnaire LEAD lupus érythémateux aigu disséminé
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Abréviations XIX

LOX lipo-oxygénase PBDV ponction biopsie disco-vertébrale


LP libération prolongée (médicament) PBJ protéinurie de Bence-Jones
LRPS low-density lipoprotein receptor-related PCR polymerase chain reaction
protein 5 PDGF platelet-derived growth factor
MAPK mitogen-activated protein kinase pg picogramme (10-12 g)
MCP métacarpo-phalangienne/maladies à PGI2 prostacycline
caractère professionnel (selon contexte) PGs prostaglandines/protéoglycans (selon contexte)
MDP méthylène bisphosphonate Ph phosphore
MEC matrice extracellulaire (des tissus PHRC programme hospitalier de recherche clinique
conjonctifs) PNN polynucléaires neutrophiles
Mg magnésium POS perforation, occlusion, saignement
mg milligramme PPCa pyrophosphate de calcium
MGUS monoclonal gammapathy of unknown PPi pyrophosphate inorganique
significance
PPVS plus petite variation significative
MH maladie de Horton
PPR pseudo-polyarthrite rhizomélique
MICI maladies inflammatoires chroniques de
PR polyarthrite rhumatoïde
l'intestin (Crohn et RCH)
PROs patient reported outcomes
MKP-1 Mitogen activated protein kinase phos-
phatase 1 PRP plasma riche en plaquettes
mL millilitre PRPP phosphoribosyl pyrophosphate
MMP matrix metalloproteinases PTG prothèse totale de genou
MP maladie osseuse de Paget PTH parathormone/prothèse totale de hanche
(selon contexte)
MPI maladies professionnelles indemnisables
PUC prothèse unicompartimentale
MTP métatarso-phalangienne
PUS perforation, ulcère symptomatique, saignement
MTX méthotrexate
QUS ultrasonographie quantitative
NaCl chlorure de sodium
Rank receptor for activation of nuclear factor Kappa ß
NCB névralgie cervico-brachiale
Rank-L RANK Ligand
NEM néoplasie endocrinienne multiple
RCH rectocolite hémorragique
NFS numération formule sanguine (hémo-
gramme) RCP résumé des caractéristiques du produit (dic-
tionnaire Vidal)
NFκB nuclear factor kappa B
RCP réunion de concertation pluridisciplinaire
ng nanogramme (10-9 g)
Rh Pso rhumatisme psoriasique
NGF nerve growth factor
RIC rhumatismes inflammatoires chroniques
NIH National Institute of Health
ROR rougeole, oreillons, rubéole (vaccin)
NK (lymphocyte) natural killer
ROT réflexes ostéo-tendineux
NMDA acide N-méthyl D-aspartique (récepteurs)
RR risque relatif
NNH number need to harm
RT-PCR reverse transcription-polymerase chain reaction
NNT number need to treat
SADAM syndrome algodysfonctionnel de l'appareil
NO monoxyde d'azote
mandicateur
O2 oxygène
SAPHO syndrome synovite, acné, pustulose palmo-
OARSI Osteoarthritis Research Society Inter­ plantaire, hyperostose, ostéite
national
SAPL syndrome des anticorps anti-phospholipides
OHOA Oslo hand osteoarthritis
SARM Staphylococcus aureus méti-résistant
OMERACT groupe Outcome measures in rheuma­
SDAI Simplified Disease Activity Index
tology
SDRC syndrome douloureux régional complexe
OMS Organisation mondiale de la Santé
Se sensibilité (d'un test)
ON ostéonécrose
SFR Société française de Rhumatologie
ONDAM Objectif national de dépenses d'Assu-
rance Maladie SGS syndrome de Gougerot-Sjögren
OPG ostéoprotégérine SLAM Systemic Lupus Activity Measure
OR odd ratio SLAP lesions superior labrum anterior to posterior lesions
(épaule)
P1NP procollagen type I N-termianl propeptide
SLEDAI Systemic Lupus Erythematosus Disease
PAMP pathogen associated molecular patterns
Activity Index
PAPA syndrome arthrite purulente stérile
SMR service médical rendu
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XX Abréviations

SNC système nerveux central TNF tumor necrosis factor


Sp spécificité (d'un test) TP taux de prothrombine
SpA spondyloarthrite TRAPS déficit en TNF-R
SPE sciatique poplité externe (nerf fibulaire commun) TSH thyroid stimulating hormone (thyréotimuline)
SQSTM séquestrosome TXA2 thromboxane A2
STAT signal transducer and activator of transcription VDR vitamin D receptor
T3/4 tri/tétra-iodothyronine VDRL venereal disease research laboratory
TBS trabecular bone structure VEGF vascular epithelial growth factor
Tc99m technetium 99m VFA Vertebral Fracture Assessment
TCA temps de céphaline activée (coagulation) VHA/B/C virus de l'hépatite A/B/C
TCR T cell receptor VIH virus de l'immunodéficience humaine
TDM tomodensitométrie (scanner) VS vitesse de sédimentation globulaire
TENS neurostimulation transdermique VZV varicella-zoster virus
TEP tomographie en émission de positons Wnt wingless
TGFß transforming growth factor ß WOMAC Western Ontario and McMaster universities
THM traitement hormonal de la ménopause Osteoarthritis index
TIMPS tissue inhibitor of metalloproteases (inhibiteur WORMS Whole-Organ Magnetic Resonance imaging
tissulaire des métalloprotéinases) Score
TLR toll-like receptor μg microgramme (10-6 g)
1
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Chapitre

L'os : physiologie et exploration


PLAN DU CHAPITRE
Remodelage osseux normal Précautions d'interprétation. . . . . . . . . . . . . . . 15
et pathologique. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Physiologie, régulations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15
Introduction. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Principales anomalies
Rôles du tissu osseux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 du bilan phosphocalcique. . . . . . . . . . . . . . . . . 16
Les éléments constitutifs de l'os. . . . . . . . . . . . 9 Mesure de la densité osseuse en pratique
Le remodelage osseux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 clinique : Absorptiométrie biphotonique
Explorations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 à rayons X. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Situations pathologiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . 12 Algorithme et équation. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 20
Le bilan phosphocalcique normal Interprétation de la DEXA. . . . . . . . . . . . . . . . . 21
et ses anomalies. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Indications rhumatologiques. . . . . . . . . . . . . . . 23
Que comprend-il ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 Limites de la DEXA et outils
Quand demander un bilan complémentaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
phosphocalcique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15 Conclusions. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

Remodelage osseux
normal et pathologique
Michel Laroche

Introduction
Le squelette est l'armature et le tuteur du corps. Il repré- Figure 1.1 Facteurs de solidité de l'os
sente 9 % du volume corporel, mais 17 % de son poids.
.

Anatomiquement réparti entre le squelette axial et le sque-


lette périphérique ou appendiculaire, il est constitué d'os
longs, courts ou plats. ■ une fonction métabolique liée à sa capacité de stoker le
En tant qu'organe, l'os contient le tissu hématopoïétique calcium et le phosphate.
(moelle « rouge »), du tissu graisseux (moelle « jaune ») et
le tissu osseux proprement dit, traversé de nerfs et de vais-
seaux. L'os est solide et cette solidité dépend de facteurs Les éléments constitutifs de l'os
quantitatifs comme qualitatifs (figure 1.1). Le tissu osseux adulte comporte l'os cortical compact et l'os
En tant que tissu, l'os est un tissu conjonctif spécialisé : le spongieux ou trabéculaire (tableau 1.1).
tissu osseux (figure 1.2). L'os cortical, essentiellement situé dans les os longs, est
fait d'ostéons. Ces ostéons sont constitués par des lamelles
osseuses concentriques disposées autour d'un canal de
Rôles du tissu osseux [1] Havers au sein duquel on trouve les éléments vasculo-­
Le tissu osseux est un tissu complexe composé d'une matrice nerveux. Ces canaux haversiens sont reliés entre eux ou à la
extracellulaire calcifiée dont les propriétés permettent d'as- surface de l'os et à la moelle osseuse par des canaux trans-
surer trois fonctions principales : versaux ou obliques.
■ une fonction mécanique assurant le support du poids de L'os spongieux est constitué d'ostéons qui prennent
l'organisme, un aspect en croissant. Entre les trabécules spon-
■ une fonction de protection des organes essentiels du gieuses, on trouve le tissu médullaire hématopoïétique
crâne, du thorax et de l'abdomen, et graisseux.

Rhumatologie
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10   Partie I. Rhumatologie pratique

Figure 1.2 Constitution du tissu osseux.

■ la sialoprotéine osseuse pourrait être le nucléateur qui


Tableau 1.1 Structure d'un os long déclenche la formation des cristaux d'hydroxyapatite à la
.
Os cortical Os trabéculaire surface des fibres de collagène ;
(os compact) (os spongieux) ■ l'ostéonectine jouerait un rôle important dans le couplage
% de la masse 80 % 20 % formation-résorption osseuse ;
squelettique totale ■ l'ostéocalcine, sécrétée quasi exclusivement par les ostéo-
blastes, donne le signal pour le recrutement et la différen-
% du remodelage 20 % 80 %
osseux
ciation des ostéoclastes.
Structure générale tissu osseux dense tissu osseux lâche
Structure l'ostéon la trabécule Une substance amorphe
élémentaire lamelles osseuses orientée selon Cette substance, disposée entre les fibres de collagène, contient des
concentriques les contraintes
complexes protéino-polysaccharidiques et des glycoprotéines.
autour du canal de mécaniques locales
Havers
Fonctions résistance mécanique résistance Des substances minérales
essentielles insertion tendons et élasticité
et capsules (enthèses) homéostasie
Elles constituent environ 70 % du poids de l'os. L'analyse
protection contre les minérale chimique montre qu'elles contiennent 90 % de phosphates
traumatismes tricalciques et 10 % de carbonates calciques. On admet que
Renouvellement 2–3 % par an 25 % par an
le cristal osseux est un cristal d'hydroxyapatite.

Les cellules osseuses (voir, figure 1.1)


Les ostéocytes (figure 1.3) se situent dans la matrice osseuse
Le collagène de l'os au sein de cavités appelées ostéoplastes. Les ostéoplastes sont
Quatre-vingt-dix pour cent du contenu protidique de l'os est reliés entre eux par de fins canalicules. Il est très probable
constitué de collagène. Il s'agit essentiellement de collagène de que ces canalicules transmettent des informations sur les
type I et d'une faible quantité de collagène de type V. Les fibres pressions et les contraintes mécaniques. Les ostéocytes pour-
de collagène sont stabilisées par des molécules de pontage, ou raient, par le biais de cytokines, informer les cellules osseuses
cross links, qui se constituent entre les chaînes alpha de collagène. formatrices (ostéoblastes) ou résorptrices (ostéoclastes) sur
l'orientation à donner aux travées osseuses. Ils jouent un rôle
dans le maintien de l'homéostasie phosphocalcique.
Les protéines non collagéniques osseuses Les ostéoclastes (figure 1.4) sont des grosses cellules, sou-
Ces protéines jouent probablement un rôle important dans vent plurinucléées, possédant une bordure en brosse capable
la nucléation et la croissance des cristaux d'apatite, la résorp- de résorber la matrice osseuse. Les ostéoclastes dérivent de
tion et la formation osseuse : la lignée monocytes/macrophages (ostéoclastogénèse).
■ l'ostéopontine est une protéine d'adhésion cellulaire Les ostéoblastes (figures 1.4 et 1.5) proviennent d'une
jouant un rôle dans la régulation de la résorption osseuse ; cellule souche mésenchymateuse qui peut donner aussi des
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Chapitre 1. L'os : physiologie et exploration    11

Le remodelage osseux [1, 2]


Le remodelage osseux doit permettre la constitution d'un
squelette adapté à la croissance (acquisition du pic de
masse osseuse), la conservation de ses propriétés méca-
niques et de sa capacité d'adaptation aux contraintes (en
remplaçant de l'os ancien par de l'os nouveau), la répa-
ration des fractures et la mise à disposition du calcium
qu'il stocke (maintien de l'homéostasie calcique san-
guine). L'os contient aussi la moelle hématopoïétique
et il peut exister des liens physiologiques ou physiopa-
thologiques entre tissu osseux et fabrication des cellules
hématopoïétiques.

Figure 1.3 Ostéocytes au sein d'un ostéon. Dans l'angle inférieur L'unité de remodelage osseux
gauche, on aperçoit une partie du canal de Havers. Le tissu osseux est en perpétuel remodelage, il se fait et se
défait sans cesse, s'appose et se résorbe. Au sein d'une unité
de remodelage osseux (BMU : Bone Multicellular Unit), se
succèdent différentes phases :
■ Au départ, une surface osseuse inactive est recouverte de
cellules bordantes (phase quiescente).
■ Viennent ensuite les précurseurs mononucléés des ostéo-
clastes. Il s'agit de la phase d'activation. Les ostéoclastes
sont alors formés et la résorption débute.
■ Lorsque les ostéoclastes ont terminé leur fonction, ils sont
remplacés par les ostéoblastes qui synthétisent le tissu
ostéoïde (phase de formation), ultérieurement minéralisé
sous l'action de la vitamine D.
Ce cycle dure environ 3 mois. Le nombre d'unités
osseuses par cm3, est 20 fois plus important dans l'os spon-
gieux que dans l'os cortical, beaucoup plus inerte. Ainsi,
résorption et formation sont couplées et à l'équilibre chez
l'adulte jeune. Dans l'enfance et l'adolescence, l'ostéofor-
mation prédomine sur l'ostéorésorption, à la ménopause le
contraire se produit.
Figure 1.4 Trabécules osseuses enserrant la moelle osseuse.
La trabécule du haut est tapissée d'une rangée d'ostéoblastes. La trabé-
cule inférieure est en cours de résorption sous l'effet des ostéoclastes. Sa régulation
Plusieurs systèmes de régulation locaux et généraux, com-
plexes et intriqués, coexistent pour ajuster les séquences du
remodelage osseux.

Facteurs hormonaux
Divers systèmes hormonaux agissent directement (récep-
teurs spécifiques) ou indirectement sur les cellules osseuses :
la PTH stimule résorption et formation, de même les déri-
vés hydroxylés de la vitamine D (1-25 dihydrocolécalciférol
ou calcitriol), la calcitonine freine la résorption, les œstro-
gènes augmentent la formation, les corticoïdes la dépri-
ment et stimulent la résorption. L'hormone de croissance
stimule la formation osseuse. Les hormones thyroïdiennes
Figure 1.5 Ostéoblastes en palissade, recouvrant le tissu ostéoïde stimulent la résorption [2].
(rouge) en train de se minéraliser
.
Cytokines, facteurs de croissance,
cellules adipeuses et chondroblastiques. Le rôle de l'ostéo- voies de signalisation
blaste est de synthétiser, de déposer, d'organiser la matrice Ce chapitre est vrai à un instant T : en effet, tous les 5 à
osseuse (tissu ostéoïde) et de participer ensuite à sa miné- 6 ans, de nouvelles voies de signalisation sont découvertes.
ralisation. C'est la « tête pensante » du remodelage osseux, Les connaît-on actuellement toutes ?
sécrétant de nombreuses cytokines ou facteurs de croissance Parmi les cytokines ou facteurs de croissance : l'IL-6, l'IL-1,
régulant la résorption ostéoclastique. le TNF, les prostaglandines sont hyper-résorptives alors que
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12   Partie I. Rhumatologie pratique

l'IFN-gamma freine la résorption, l'IGF-1, le TGFß stimu- osseuse. Elle peut être modifiée par des médicaments
lant la formation. Les BMP (Bone Morphogenetic Proteins) inhibant ou accélérant le remodelage osseux, et peut-être
contrôlent la formation osseuse. directement par certains médicaments se fixant sur le
Deux voies de signalisation sont actuellement au premier cristal osseux (Strontium, bisphosphonates). Au cours
plan car certains médicaments commercialisés ou en déve- du remodelage osseux, la matrice organique commence
loppement peuvent les inhiber ou les stimuler : à se minéraliser au niveau du front de calcification : c'est
■ Le système Rank (Receptor for activation of nuclear factor la minéralisation primaire, courte (100 jours environ).
Kappa B), Rank L ou Rank Ligand et Ostéoprotégérine, Ensuite, la minéralisation secondaire débute : matura-
pourrait être la voie finale commune de l'activation de tion lente avec modification de la structure des cristaux
la résorption ostéoclastique, qu'elle soit d'origine hor- d'apatite.
monale, maligne ou immunologique. Le Rank L sécrété
par l'ostéoblaste se fixe sur le récepteur Rank, présent Architecture osseuse [7]
sur le macrophage pré-­ostéoclaste et/ou l'ostéoclaste, Il s'agit de l'agencement des trabécules de l'os spongieux,
et stimule la différentiation ou l'activation de ce dernier. toujours orientées pour résister le mieux possible aux
À l'opposé, l'Ostéoprotégérine (OPG), récepteur leurre contraintes mécaniques, malléables dans le temps sous l'ef-
secrété par les cellules ostéoblastiques, peut, elle aussi, fet de ces contraintes.
se fixer sur Rank L et inhiber ainsi la résorption osseuse. C'est probablement l'ostéocyte qui agence cette
Le Denosumab est un anticorps anti-RankL. architecture.
■ La voie d'activation ostéoblastique de la Wnt protein
agit via un récepteur LRP5 (low-density lipoprotein
receptor-related protein 5) sur la béta-caténine [3]. Explorations
Cette voie est inhibée par DKK1 et Sclérostine. Des
anticorps anti-DKK1 et anti-sclérostine sont à l'étude Histomorphométrie
dans le traitement de l'ostéoporose et de la lyse osseuse Elle permet d'étudier l'architecture, les phénomènes cellu-
myélomateuse. laires osseux et la vitesse de minéralisation.

Contrôle du remodelage osseux par le système


sympathique [4]
Ostéodensitométrie
Elle permet d'évaluer la teneur en minéral de l'os : celle-
Plusieurs travaux récents montrent une régulation de la for- ci peut être diminuée par disparition ou amincissement
mation ostéoblastique par le système sympathique. La lep- de travées osseuses (ostéoporose) ou par mauvaise miné-
tine, régulant l'appétit, le tissu graisseux a aussi une action ralisation de celles-ci (ostéomalacie) (voir chapitre 1.3,
sur l'ostéoblaste, de même la sérotonine qui est un média- « Mesure de la densité osseuse »).
teur cérébral impliqué dans la régulation de l'humeur et des
fonctions cognitives.
Marqueurs biochimiques
Vaisseaux et os (figure 1.6) [5]
Le remodelage osseux peut être évalué par des marqueurs
Toute zone de remodelage osseux actif comporte une riche biochimiques spécifiques : l'ostéocalcine, la phosphatase alca-
vascularisation : capillaires artériels et sinus veineux joux- line osseuse, le P1NP sériques, ont supplanté la phosphatase
tant les trabécules osseuses. Les vaisseaux jouent donc un alcaline totale et reflètent la fonction ostéoblastique, alors
rôle essentiel pour apporter le minéral indispensable et cer- que le dosage des molécules de pontage du collagène osseux
tains précurseurs des cellules osseuses. (pyridinolines, D-OH pyridinolines, C télopeptides [CTX
ou crosslaps]), dans les urines et dans le sérum, évaluent,
Minéralisation osseuse [6] de façon plus spécifique que l'hydroxyprolinurie, l'activité
Le rôle de la minéralisation osseuse a probablement été ostéoclastique.
sous-estimé dans l'explication de la résistance mécanique

Situations pathologiques
Toute stimulation excessive de la résorption (hyper­
parathyroïdie, hyperthyroïdie), toute freination de la for-
mation osseuse (corticothérapie), toute circonstance où
la résorption prendra le pas sur la formation (carence
œstrogénique post-ménopausique) entraînera une
ostéoporose.
Des anomalies du remodelage osseux peuvent aussi être
induites par la sécrétion, par des cellules néoplasiques ou
leurs cellules stromales, de cytokines, occasionnant lyses ou
condensations pathologiques.
L'ostéomalacie est due à un défaut de minéralisation le
Figure 1.6 Vaisseaux au sein d'un espace médullaire plus souvent par carence profonde en vitamine D.
.
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Chapitre 1. L'os : physiologie et exploration    13

L'algodystrophie sympathique réflexe, secondaire à


une activation pathologique du système nerveux sympa-
thique aboutit à des perturbations majeures du remodelage Entrée :
et de l'architecture osseuses. La dépression peut induire une tube digestif

ostéoporose par le biais de la Sérotonine. Enquête


diététique
Vit. D (+)
L'ostéonécrose de hanche est liée à des perturbations de PTH (+)
la circulation osseuse.
Lors de pathologies auto-immunes avec stimulations
Réservoir :
lymphocytaires, comme la polyarthrite rhumatoïde, la PTH (−) les os
stimulation par les lymphocytes activés du système Rank- DEXA
PTH (+)
RankL explique la déminéralisation péri-articulaire et Sang

générale. Bilan
phospho-calcique

Urines
Références
Sortie : PTH (−)
[1] Lyons KM. Molecular, cellular, and genetic determinants of bone struc- reins
ture and formation. In : Rosen CJ, editor. Primer on the metabolic bone « La calcémie règle la calcémie » :
Si calcémie : PTH
diseases and disorders of mineral metabolism. 8th edition. New York : Si calcémie : PTH
Wiley-Blackwell ed ; 2013. p. 1–58.
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tic regulation and growth factor involvement. Physiology 2016 ; 31 :
233–45. Figure 1.7 Schéma du métabolisme du calcium.
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lism by Wnt signals. J Biochem 2016 ; 159 : 387–92.
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tion via the sympathetic nervous system. Cell 2002 ; 111 : 305–17.
[5] Laroche M. Intraosseous circulation : from physiology to the disease.
Joint Bone Spine 2002 ; 69 : 262–6. Tableau 1.2 Rôles des ions calcium et phosphore

.
[6] Boivin G, Meunier PJ. Minéralisation et qualité osseuse. In : de
Ca++ PO4–
Vernéjouls MC, Marie P, editors. Traité des maladies métaboliques
osseuses de l'adulte. Paris : Flammarion ; 2008. p. 53–6. Minéralisation du squelette
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Marie P, editors. Traité des maladies métaboliques osseuses de l'adulte.
Paris : Flammarion ; 2008. p. 47–52. Contraction musculaire Activités enzymatiques
2e messager majeur 2e messager (AMPc, GMPc)
Coagulation Équilibre acide-base

Le bilan Différenciation cellulaire

phosphocalcique normal
et ses anomalies Que comprend-il ?
Bilan phosphocalcique de base (BPC)
Michel Laroche Le bilan phosphocalcique, ou BPC, inclut, comme son
Le calcium entre dans l'organisme par voie alimentaire, nom l'indique, les dosages de calcium (Ca), de phosphore
passe dans le sang d'où il est stocké dans l'os et éliminé par (Ph), dans le sang et dans les urines. Dans les urines, les
le rein (figure 1.7). Calcium et phosphore sont liés dans le dosages peuvent être réalisés sur les urines de 24 heures
cadre de la minéralisation osseuse, mais leurs rôles sont par ou sur un échantillon des urines recueillies le matin à jeun
ailleurs essentiels à la vie cellulaire et à celle de l'organisme selon la méthode proposée par Nordin [1]. Cette tech-
(tableau 1.2). nique, assez bien corrélée au recueil des 24 heures [2], est
En physiologie, on peut explorer les entrées par enquêtes évidemment plus simple, évitant les erreurs des mauvais
diététiques, le stockage osseux par mesure de l'ostéoden- recueils urinaires, et permet de dépister la plupart des
sitométrie, et dans le sang et les urines par les dosages du anomalies de l'excrétion urinaire de calcium et de phos-
calcium et du phosphore. phore. Il faut alors calculer les rapports calciurie/créatini-
En pathologie, les approches sont différentes selon que nurie (Ca/Cr) ou phosphaturie/créatininurie (Ph/Cr). Ces
l'on a affaire à une maladie digestive (ex. : malabsorption), rapports, dans certaines situations particulières (explo-
rénale (ex. : insuffisance rénale) ou osseuse (ex. : ostéopo- ration d'une hypercalciurie) sont complémentaires des
rose, ostéomalacie, hyperparathyroïdie, ostéolyse méta­ dosages des 24 heures, caractérisant plutôt la part osseuse
statique…). Dans tous les cas cependant, l'étude du bilan et rénale de l'excrétion calcique, alors que les urines des
phosphocalcique est incontournable pour comprendre la 24 heures prennent plus en compte la part alimentaire et
pathologie et la prendre en charge. l'absorption digestive.
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14   Partie I. Rhumatologie pratique

Calcémie corrigée, calcémie ionisée normocalcémiques, mais elle génèrera des économies non
Le calcium est pour moitié lié à l'albumine et à la Calcium négligeables en évitant des contrôles successifs, des explo-
Binding Protein (CBP). Le calcium actif est le calcium libre ou rations sophistiquées devant des erreurs de dosage ou des
ionisé (Ca ++). La valeur de la calcémie totale peut-être faussée résistances partielles à la PTH sans traduction clinique.
par des variations importantes de ces paramètres. Chez des
malades en situation « d'urgence », déshydratés, hyperprotidé- Vitamine D (figure 1.8)
miques, la calcémie peut être surévaluée. À l'inverse chez des Le dosage de la vitamine D2 (Ergocalciférol) et D3
malades âgés, dénutris, chez des malades ayant un syndrome (Colécalciférol) ou 25OH D, devant toute asthénie ou dans le
inflammatoire ou un myélome, la calcémie peut être sous-­ cadre du bilan de ménopause, a tout de même coûté en 2010
estimée par l'hypoalbuminémie. Les formules de corrections 92 millions d'euros à la Sécurité sociale française. Réserver
sont la plupart fausses, autant utiliser la plus simple qui consiste ce dosage aux malades ayant réellement une carence d'enso-
à prendre pour valeur normale de l'albumine 40 g/L et soustraire leillement prolongée (les sources de vitamine D proviennent
ou additionner à la valeur de la calcémie en mmol/L, 0,20 mmol à 80 % de la synthèse cutanée sous l'action des UV) : sujets
par 10 g d‘albumine en plus ou en moins. Exemple : un malade âgés en EHPAD, musulmanes voilées, lupiques chez qui
qui a 2,10 mmol/L de calcémie et 30 g d'albumine aura en fait l'exposition solaire est contre-indiquée. Le dosage de la vita-
2,10 mmol/L plus 0,20, donc 2,30 mmol/L de calcémie. mine D fait partie du bilan étiologique d'une hypocalcémie
Doser le calcium ionisé dans ces situations pallierait ces pro- ou d'une hypocalciurie. Objectiver un taux de 250H D à
blèmes, mais ce dosage est complexe : nécessité de placer le pré- 20 ng/mL en fin d'hiver chez un sujet qui sortira, dès le mois
lèvement dans de la glace et le congeler dans l'heure, de ne pas le de mai, en jupe ou short et t-shirt n'a aucun intérêt clinique.
« contaminer » avec l'air de la seringue et il n'est pas remboursé. Certes, un taux bas de vitamine D est associé à diverses
pathologies infectieuses, auto-immunes, cancéreuses, mais
PTH, vitamines D, FGF-23 les études interventionnelles dont le but est d'évaluer l'effi-
cacité préventive de la vitamine D sur ces maladies chez des
Le dosage de ces hormones ne doit être demandé qu'en cas
sujets dont les taux de vitamine D avant inclusion étaient de
d'anomalie du bilan phosphocalcique et non systématique-
15 à 25 ng/mL sont toutes négatives [3].
ment dans le cadre d'un bilan d'ostéoporose.
Le taux normal de vitamine D, défini par les experts à
30 ng/mL [4], et non devant des dosages de sujets sains
Parathormone comme c'est le cas pour la plupart des paramètres biolo-
Certes, pour la parathormone (PTH), cette attitude ne per- giques, est un taux qui permettrait l'absence d'hyperpara-
mettra pas le diagnostic de quelques hyperparathyroïdies thyroïdie biologique, hyperparathyroïdie suspecte, pour

Figure 1.8 Métabolisme de la vitamine D. La vitamine D de l'organisme est la vitamine D3 venant pour 90 % du 7-deshydro-cholestérol des
cellules de la peau sous l'effet des rayons ultra-violets B du soleil, et pour 10 % seulement de l'apport alimentaire. Cette vitamine D3 subit une
première hydroxylation en position 25 sous l'effet d'une 25-hydroxylase hépatique, puis une seconde au niveau rénal (par la 1-alpha hydroxylase).
C'est ce composé final, di-hydroxylé, qui est la molécule active (1,25 (OH)2 D3 ou calcitriol). Son action endocrine, non génomique, est connue de
longue date : assurer la croissance et la minéralisation osseuse. La découverte de 1-alpha hydroxylases dans différents tissus a permis de constater
de nombreuses actions auto/paracrines, génomiques, de la vitamine D, jouant sur les régulations cellulaires et l'immunité.
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Chapitre 1. L'os : physiologie et exploration    15

ces mêmes experts, d'être délétère sur le tissu osseux. Nous ■ Une ostéoporose dont le bilan étiologique comporte obli-
avons démontré chez plus de 500 sujets témoins de 55 ans, gatoirement un bilan phosphocalcique.
que seuls 3 % d'entre eux, malgré un taux de vitamine infé- ■ Une maladie osseuse ou générale pouvant entraîner des
rieur à 10 ng/mL chez 75 sujets, avaient une PTH supérieur perturbations du BPC : myélome, métastases osseuses,
à la normale : il s'agissait de sujets plus âgés avec une insuffi- sarcoïdose.
sance rénale modérée [5].

Précautions d'interprétation
Conditions de remboursement Avant d'aller plus avant dans l'exploration d'une anomalie
du dosage de vitamine D du BPC, il faut s'assurer :
À partir du 4/09/2014, les conditions de remboursement ■ que la prise de sang ait été réalisée à jeun : la calcémie
des dosages de vitamine D changent (elles suivent en cela les
peut augmenter transitoirement en cas d'apports lactés
recommandations récentes de l'HAS sur ce dosage) :
« La prise en charge du dosage de la vitamine D est limitée aux
importants, de même la phosphorémie. Cette même
situations suivantes : phosphorémie peut baisser par l'hyperinsulinisme induit

suspicion de rachitisme ; par des apports sucrés.

suspicion d'ostéomalacie ; ■ que le temps entre le dosage et le prélèvement soit court.

suivi ambulatoire de l'adulte transplanté rénal au-delà de La souffrance cellulaire induit dans un premier temps une
3 mois après transplantation ; hypophosphorémie, puis la lyse de ces mêmes cellules

avant et après chirurgie bariatrique ; hématopoïétiques provoque une hyperphosphorémie.

évaluation et prise en charge des personnes âgées sujettes aux ■ que le malade ne prenne pas de médicaments faussant le BPC :
chutes répétées ; à l'évidence, la prise de calcium et de vitamine D va provoquer
respect des résumés des caractéristiques du produit (RCP)
une hypercalciurie, un traitement par diurétiques thiazidiques,

des médicaments préconisant la réalisation de l'acte 1139.


En dehors de ces situations, il est inutile de doser la vitamine D,
une hypocalciurie et une hypercalcémie modérée.
notamment lors de l'instauration ou du suivi d'une supplémen- ■ que la fonction rénale soit normale (calcul du débit de fil-
tation par la vitamine D. » tration glomérulaire (DFG) automatiquement « couplé »
par le dosage de la créatininémie au BPC). Toute altéra-
tion de la fonction rénale va entraîner une hypocalciurie,
une hypocalcémie et une hyperphosphorémie.
Le dosage de calcitriol (1-25 di OH D), complexe, doit ■ que l'albuminémie et la protidémie soient normales.
être réservé aux rares cas d'hypercalcémie où une hyper­ ■ que le recueil urinaire, lorsqu'il concerne les urines des
sécrétion de calcitriol est évoquée (sarcoïdose, lymphome) 24 heures, soit correct et que la diurèse ait bien été notée.
ou dans l'insuffisance rénale sévère qui peut altérer l'hy- La mesure de la créatininurie des 24 heures est indispen-
droxylation de la vitamine D. sable. La normale est de 10 000 μmol/24 heures, ceci pour
un sujet de 70 kg, à masse musculaire « standard ». Une
FGF-23 patiente ostéoporotique pesant 50 kg pourra avoir une
créatininurie de 7 000. La normalité de la créatininurie
Ce facteur de croissance, découvert il y a une dizaine valide donc le recueil urinaire.
d'années devant des diabètes phosphorés oncogènes est, en ■ dans un bilan d'asthénie, le dosage de la calcémie suffit.
fait, une véritable hormone, régissant l'excrétion urinaire Mais si ce paramètre est anormal, il faudra alors obliga-
phosphorée. Il est, de plus, impliqué dans la minéralisation toirement doser phosphorémie et calciurie pour détermi-
osseuse et la constitution des plaques calcifiées vasculaires. ner la cause de cette anomalie.
Il peut être dosé, hors nomenclature, dans certains labora-
toires hospitaliers dans le cadre de l'exploration d'une hypo-
phosphorémie [6]. Physiologie, régulations [7]
Quelques notions de physiologie sont utiles pour bien com-
Quand demander un bilan prendre et retenir les étiologies des principales anomalies du
phosphocalcique ? BPC.
Il faut tout d'abord savoir que le but des principaux méca-
Trois circonstances conduisent à prescrire ces dosages : nismes de régulation est de maintenir normale la calcémie,
■ Des signes cliniques potentiellement en rapport avec essentielle au bon fonctionnement d'organes vitaux : cœur,
une anomalie du BPC : l'hypercalcémie entraîne des cerveau. Par exemple, en cas de carence d'apport ou d'absorp-
signes digestifs, neurologiques ou cardiologiques (voir tion digestive déficiente, l'excrétion rénale sera verrouillée et la
paragraphe « Hypercalcémie »), mais les premiers signes résorption osseuse augmentée. En cas de lyse osseuse métasta-
peuvent être une fatigue anormale et tout bilan d'asthénie tique, la calciurie sera tout d'abord augmentée, l'hypercalcémie
doit comporter un dosage de la calcémie. L'hypocalcémie n'apparaissant que lorsque ce mécanisme sera dépassé.
peut, elle aussi, provoquer une fatigabilité associée à
des crampes, des paresthésies, des crises de tétanie,
une hyperréflexie, un signe de Chvostek témoignant de Calcémie
l'hyperexcitabilité neuromusculaire. L'hypercalciurie Elle va être régulée par l'absorption digestive dépendante de
engendre des lithiases urinaires récidivantes. la vitamine D qui la favorise, l'excrétion rénale dépendante
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16   Partie I. Rhumatologie pratique

de la parathormone (PTH) qui la diminue et le remodelage Organes clés


osseux qui libère ou accrête du calcium selon que la résorp- Le tube digestif, sous l'action du calcitriol, absorbe calcium
tion ostéoclastique ou la formation ostéoblastique sont plus et phosphore. À noter qu'en cas d'ingestion d'importantes
ou moins activées. quantités de calcium, l'absorption de cet ion peut être pas-
Le calcium non fixé aux protéines ou calcium ionisé est le sive, para cellulaire.
calcium actif : il intervient dans la fonction cellulaire, dans L'os, dont l'activité des cellules est régulée par de mul-
la transmission membranaire (myocarde, transmission de tiples systèmes (voir chapitre 1, « Remodelage osseux »),
l'influx nerveux, tube digestif). libère ou accrête calcium et phosphore suivant ses besoins
et ses pathologies.
Phosphorémie Le tubule rénal sous l'influence de la PTH et du FGF-23,
Son absorption digestive est, elle aussi, favorisée par la vita- régule l'excrétion urinaire de ces ions.
mine D, son excrétion rénale est augmentée par la PTH et
réduite par le FGF-23. Valeurs normales
Le phosphore, constituant de l'AMP, de l'ATP, intervient Les valeurs normales du BPC standard figurent sur le
dans le métabolisme énergétique cellulaire. tableau 1.3.
Calcium et phosphore sont, bien sûr, indispensables à la ■ 25 OH D2 + D3 : supérieur à 15 ng/mL l'hiver, supérieur
minéralisation du squelette. à 25 ng/mL l'été. Risque de toxicité si taux > 75 ng/mL
■ 1-25 di OH D : 20 à 60 pg/mL
Calciurie ■ PTH : dépend du Kit de dosage : 25 à 65 pg/mL
Elle dépend de l'absorption digestive, elle-même sous
l'influence de la vitamine D. Elle est corrélée négativement
au taux de PTH. Elle augmente en cas d'hyperrésorption
Principales anomalies
osseuse. Elle est liée à l'excrétion sodée et un régime trop du bilan phosphocalcique
riche en sel peut l'augmenter.
Hypercalcémie [8, 9]
Définition
Parathormone
L'hypercalcémie se définit par un taux de calcium plasma-
La PTH est sécrétée par les cellules parathyroïdiennes. Cette tique supérieur à 105 mg ou 2,60 mmol/L. Le chiffre de
sécrétion est régulée à court terme par le calcium libre et à calcémie doit toujours être interprété en fonction du taux
long terme par le calcitriol. À noter que les vitamines D2 ou d'albumine plasmatique. Si l'albumine est abaissée, la calcé-
D3 ne régulent pas directement la sécrétion de PTH. mie peut apparaître normale alors qu'elle est en réalité éle-
Au tubule rénal, elle permet de réabsorber le calcium et vée. Il faut doser le calcium ionisé.
d'excréter le phosphore. Elle augmente l'activité des cellules
osseuses.
Épidémiologie
Les deux causes les plus fréquentes d'hypercalcémie sont
Vitamine D l'hyperparathyroïdie primitive (HPT) et les métastases
Le dérivé actif est le calcitriol, ou 1-25 di OH D. Il est formé osseuses. À elles deux, elles représentent 90 % des causes
à partir de l'ergocalciférol et du colécalciférol synthétisés par d'hypercalcémie :
l'action des UV sur la peau à partir des dérivés du cholesté- ■ l'incidence de l'HPT a augmenté avec le dosage de
rol. Les apports alimentaires, dans nos pays, représentent la calcémie devant des symptômes aspécifiques : de
moins de 20 % des sources de vitamine D2 ou D3. Les vita-
mines D2 ou 3 sont hydroxylées en 25 dans le foie puis en Tableau 1.3 Valeurs normales du bilan
1-alpha dans le rein (quelques autres tissus possèdent aussi la phospho-calcique
.
1-alpha hydroxylase). L'hydroxylation rénale est régulée : elle
mmol/L mg/L
est stimulée par l'hypocalcémie, par l'hypophosphorémie, par
la PTH ; elle est freinée par l'hypercalcémie et le FGF-23. La Calcémie 2,25 – 2,55 90 – 102
vitamine D fabriquée l'été est stockée dans le tissu graisseux. Phosphorémie 0,80 – 1,20 25 – 40
Le calcitriol agit essentiellement sur le tube digestif,
Calciurie des 24 h 2–7 80 – 250
en favorisant l'absorption du calcium et du phosphore. Il
est indispensable à la minéralisation du squelette. Il a une Calciurie/ 0,08 – 0,30
créatininurie
action favorable sur la trophicité musculaire, l'immunité, la
lutte contre les infections et la différenciation cellulaire. Phosphaturie des 10 – 20 300 – 600
24 h

FGF-23 Phosphaturie/
créatininurie
0,30 – 0,90

Il est secrété par les ostéocytes et les ostéoblastes et peut-être


Calcium ionisé 1,17 – 1,30
par d'autres cellules de même souche.
Il augmente l'excrétion urinaire du phosphore et pourrait Facteur de conversion : mmol ‡ mg : 40 pour le calcium, 31 pour le
phosphore.
réguler la minéralisation osseuse.
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Chapitre 1. L'os : physiologie et exploration    17

7,8/100 000 en 1965 elle est passée à 28/100 000 en 1980. Le dosage de la PTH, dont le résultat doit être obtenu en
Elle prédomine chez la femme et augmente avec l'âge : 48 heures, oriente très vite le diagnostic étiologique :
92/100 000 chez l'homme de plus de 60 ans, 188/100 000 ■ Soit elle est augmentée ou inadaptée, associée à une hypo-
chez la femme. Les adénomes représentent 80 % des HPT phosphorémie dans 80 % des cas : il s'agit d'une hyperpara-
opérées, les hyperplasies 15 à 17 %, les cancers parathy- thyroïdie primitive dont il faudra évaluer les conséquences
roïdiens 3 à 5 %. (ostéodensitométrie, échographie rénale) et savoir si elle
■ hypercalcémie et cancer. En Angleterre, dans la région est secondaire à un adénome ou à une hyperplasie para-
de Birmingham, les hypercalcémies des cancers repré- thyroïdienne (échographie cervicale, scintigraphie au
sentent 180 nouveaux cas/an pour 1 million d'habitants. MIBI couplée à un scanner) pour décision chirurgicale.
Dix pour cent des cancéreux auront, au cours de l'évolu- Rappelons que le diagnostic d'HPT est biologique. La négati-
tion de leur cancer, une hypercalcémie. La durée de sur- vité des explorations radiologiques cervicale ne l'exclut en
vie, lorsque l'hypercalcémie complique un cancer connu aucun cas. S'il s'agit d'un homme ou d'une femme jeune,
est de 1,5 à 6 mois. Les cancers le plus souvent en cause il faut s'assurer que l'HPT ne complique pas une néopla-
sont : le poumon (35 %), le sein (25 %), les hémopathies sie endocrinienne multiple (NEM) de type 1 (gastrinome,
dont myélome et lymphomes (14 %), les cancers ORL tumeurs carcinoïdes, adénome à prolactine) ou 2 (cancer
(6 %), les cancers du rein (3 %) les cancers de primitif médullaire de la thyroïde, phéochromocytome) et deman-
inconnu (7 %). der un dépistage génétique (récepteur RET).
■ Soit la PTH est basse : il faut alors demander une élec-
Signes cliniques trophorèse des protides (myélome), un dosage de la TSH
(hyperthyroïdie), une scintigraphie osseuse, un scanner
Le calcium intervient dans de nombreux phénomènes enzy- thoraco-abdomino-pelvien, une mammographie et une
matiques et dans le métabolisme cellulaire. L'hypercalcémie échographie des seins (métastases osseuses). Le scanner
peut donc entraîner des dysfonctionnements importants de pourra révéler une atteinte pulmonaire, des adénomé-
divers organes : galies en faveur d'une sarcoïdose ou d'un lymphome (le
■ signes généraux : asthénie physique, intellectuelle, poly- 1-25 di OHD sera alors augmenté, mais il faut attendre
uro-polydypsie, léger état dépressif ; souvent plusieurs semaines pour en obtenir le dosage…).
■ signes digestifs : nausées, vomissements, troubles du Quelques « pièges » rares doivent être éliminés :
transit, ulcères gastroduodénaux, pancréatites aiguës ; ■ l'hyperparathyroïdie paranéoplasique complique un
■ signes neuropsychiatriques : céphalées, troubles du cancer sécrétant du PTHrp (hormone ayant une activité
comportement, troubles de la vigilance, hypotonie proche de la PTH). L'hypercalcémie est associée à une
musculaire ; hypophosphorémie avec hyper phosphaturie mais la
■ signes cardio-vasculaires : le raccourcissement de l'es- PTH est très basse. Pour l'instant, aucun laboratoire ne
pace ST sur l'électrocardiogramme est le premier signe. dose de façon fiable le PTHrp. Les cancers en cause sont
Différents troubles du rythme peuvent survenir : blocs le plus souvent gynécologiques ou ORL.
de conduction, blocs de branche, fibrillation auriculaire, ■ Le syndrome de Marx, ou hypercalcémie-hypocalciurie
extrasystoles auriculaires ou ventriculaires. Une hyper- familiale est dû à une mutation du récepteur sensible au
tension artérielle modérée peut être notée. calcium (CaSR). Le malade est asymptomatique et l'hy-
■ signes néphrologiques : lithiases calciques, infections pocalciurie est nette (d'où l'intérêt de demander systéma-
urinaires, néphrocalcinose, peuvent conduire à l'insuffi- tiquement un dosage de la calciurie devant une suspicion
sance rénale ; d'hyperparathyroïdie).
■ signes oculaires : il s'agit essentiellement de kératite en ■ L'intoxication à la vitamine D ne provoque d'hypercalcé-
bande et de calcifications conjonctivales. mie que lorsqu'il s'agit de l'absorption excessive de déri-
Ces signes cliniques sont peu spécifiques, ils dépendent vés hydroxylés (Dédrogyl®, Un-alpha®, Rocaltrol®)
de l'importance de l'hypercalcémie et surtout des variations ■ L'hypercalcémie d'immobilisation ne concerne que des
brutales de celle-ci, et aussi de la susceptibilité de chaque adolescents polytraumatisés.
patient. ■ L'hyperparathyroïdie tertiaire apparaît chez l'insuffisant
Lorsque l'hypercalcémie est importante et rapidement rénal dialysé. Elle est secondaire à une autonomisation de
évolutive, ces signes peuvent s'associer : c'est la crise l'hyperparathyroïdie secondaire à l'insuffisance rénale.
aiguë hypercalcémique avec une déshydratation globale,
des vomissements, des douleurs abdominales pseudo- Traitement
chirurgicales, une obnubilation, parfois un coma, une
hypotonie extrême, des troubles du rythme cardiaque. Une hypercalcémie modérée, < 3 mmol/L, dans le cadre
d'une hyperparathyroïdie évoluant lentement, peut être
respectée jusqu'à l'intervention chirurgicale. Il convient
Examens complémentaires, diagnostic simplement de conseiller aux malades d'avoir des apports
étiologique hydro-sodés suffisants, surtout si un épisode fébrile ou une
Le bilan à effectuer devant une hypercalcémie aura pour but gastroentérite surviennent.
d'évaluer la gravité de celle-ci et d'en établir le diagnostic Le traitement de l'hypercalcémie, > 3 mmol/L, comprend
étiologique. tout d'abord une réhydratation par 4 à 6 litres de chloruré
Le bilan électrolytique va guider la réhydratation et le isotonique par 24 heures. S'il existe une acidose, le NaCl
traitement. peut être remplacé par du sérum bicarbonaté.
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18   Partie I. Rhumatologie pratique

Les bisphosphonates inhibant la résorption osseuse de ■ L'hypomagnésémie, inutilement cherchée chez des asthé-
façon puissante et prolongée ont transformé le traitement de niques sans antécédents, peut compliquer une chimiothé-
l'hypercalcémie, lorsque celle-ci est secondaire à une hyper- rapie par sels de platine, une irradiation ou une résection de
résorption osseuse (métastases, myélome, HPT). Le zolé- l'intestin grêle. Cette hypomagnésémie inhibe la sécrétion
dronate (4 mg en perfusion d'1/4 d'heure) corrige 90 % des de PTH et l'efficience de la PTH et induit une hypocalcé-
hypercalcémies. La durée de normalisation est de 21 jours mie que seule la prescription de magnésium corrigera.
en moyenne, le délai d'action de 48 heures. Il peut avoir une
toxicité rénale. En cas d'insuffisance rénale, on peut utiliser
Traitement
le dénosumab : 120 mg sous-cutanés.
Les calcitonines, 300 à 400 unités de calcitonine salmine Le traitement de l'hypoparathyroïdie repose sur l'adminis-
ou 1,5 mg de Calcitonine humaine de synthèse en perfu- tration de dérivés hydroxylés de la vitamine D : Un-alpha®
sion, peuvent être utilisés pour avoir une action plus rapide 0,5 à 2 μg/j ; celui de l'ostéomalacie sur l'administration de
devant une crise aiguë hypercalcémique, associées aux corti- fortes doses de vitamine D2 ou D3 : Uvédose® ou ZymaD®
coïdes : 80 à 160 mg de méthylprednisolone. Les corticoïdes 100 000 UI une ampoule tous les 15 jours pendant 2 mois,
sont surtout actifs en cas de sarcoïdose, de myélome, de leu- puis une ampoule tous les 2 mois et de calcium (1,5 g/jour
cémie ou de lymphome. dans un premier temps, puis 1 g/jour). L'hypomagnésémie
Le traitement étiologique est indispensable. Toute doit être corrigée, dans un premier temps par voie parenté-
hyperparathyroïdie primitive symptomatique (hypercal- rale, puis par voie orale.
cémie > 2,8 mmol/L, ostéoporose, lithiases rénales) doit
être opérée. Lors d'une hyperparathyroïdie entraînant une
hypercalcémie > 3 mmol, le Cinacalcet (30 à 60 mg/j) peut
Hypophosphorémie [11]
permettre d'abaisser la calcémie en attendant la chirurgie. Signes cliniques
Ce traitement n'a pas d'action sur l'ostéoporose secondaire à ■ L'hypophosphorémie majeure, aiguë, est le plus souvent
l'hyperparathyroïdie. liée à un transfert du phosphore du secteur extracellu-
laire vers le secteur intracellulaire : il s'agit d'un pro-
Hypocalcémie [10] blème de réanimation où l'hypophosphorémie brutale
peut aggraver l'affection qui l'a provoquée : choc sep-
Signes cliniques tique, insulinothérapie, alcoolisme aigu, insuffisance
Comme pour l'hypercalcémie, c'est l'importance de respiratoire.
l'hypocalcémie, la rapidité de sa survenue, la suscepti- ■ L'hypophosphorémie chronique importante, < 0,50
bilité du malade qui détermineront l'existence ou non mmol/L, induit chez l'enfant un rachitisme vitamino-
de signes cliniques : le plus souvent asymptomatique, résistant, chez l'adulte un tableau d'ostéomalacie à vita-
l'hypocalcémie peut parfois engendrer des signes d'hy- mine D normale : fissures ou fractures du bassin, des côtes,
perexcitabilité neuro-musculaire : paresthésies distales, douleurs osseuses multiples et faiblesse musculaire.
crampes, crises de tétanie ; des troubles neuropsychia- ■ L'hypophosphorémie modérée comprise entre 0,60 et
triques : somnolence ou irritabilité, confusion, asthé- 0,80 mmol/L peut être asymptomatique ou s'associer
nie, convulsions. Les signes de Chvostek ou Trousseau à des douleurs de type « fibromyalgie », associées à une
doivent être cherchés. asthénie et à une tendance dépressive.

Bilan étiologique Bilan étiologique


Toute hypocalcémie réelle doit bénéficier d'un bilan étiolo- Le bilan d'une hypophosphorémie chronique comprend le
gique et l'on ne doit pas se satisfaire d'une simple carence dosage de la calcémie, de la créatinémie, de la vitamine D,
des apports lactés pour l'expliquer. Il faut systématiquement de la PTH, et surtout de la phosphaturie (normale : 15 à
doser l'albuminémie, la phosphorémie, le DFG, la calciurie, 20 mmol/24 h).
la magnésémie, la PTH et la vitamine D. ■ Si la phosphaturie est basse, l'hypophosphorémie, sou-
■ L'hypocalcémie associée à une hyperphosphorémie peut vent associée à une hypocalcémie, est liée à une malab-
être secondaire à l'insuffisance rénale. Si le DFG est nor- sorption digestive, à une malnutrition, à une carence
mal, il s'agit d'une hypoparathyroïdie post-chirurgicale profonde en vitamine D, et fréquemment à l'éthylisme
(thyroïdectomie le plus souvent), congénitale ou auto- chronique.
immune. La PTH est basse ou inadaptée. ■ Si la phosphaturie est élevée – et ceci peut être confirmé
■ L'hypocalcémie associée a une hypophophorémie corres- par la mesure de la clairance du phosphore ( > 15 mL/mn),
pond le plus souvent à une malabsorption digestive ou du taux de réabsorption du phosphore (< 85 %) ou du
une ostéomalacie par carence en vitamine D : dans ces seuil de réabsorption (Tmpo4/GFR < 0,8) – il s'agit d'un
cas, la calciurie est effondrée. Ce sont les carences en vita- diabète phosphoré (tableau 1.4).
mine D importantes (25OHD< 10 ng/mL) et prolongées
qui entraînent de tels tableaux biologiques. Si la correc-
tion de la carence en vitamine D ne corrige pas l'hypo- Hyperphosphorémie [11]
calcémie, une malabsorption doit être cherchée, maladie L'hyperphosphorémie peut entraîner des calcifications vas-
cœliaque, en particulier. culaires et des tissus mous.
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Chapitre 1. L'os : physiologie et exploration    19

Tableau 1.4 Étiologies des diabètes phosphorés

.
Particularités biologiques Maladies en cause Traitement
Hyperparathyroïdie Calcémie augmentée Hyperparathyroïdie Chirurgie
primitive PTH augmentée ou inadaptée
Tubulopathie complexe : Glycosurie Amylose Traitement étiologique
syndrome de Fanconi Protéinurie Myélome à chaînes légères
Bicarbonaturie (PH urinaire à Gougerot-Sjögren
jeun > 6,5) Ténofovir, autres anti viraux
Cystatinurie
Amino-acidurie
hypouricémie
Diabète phosphoré Augmentation du FGF-23 Diabète phosphoré oncogène Exérèse de la tumeur
FGF-23 dépendant Diminution ou normalité (tumeurs ostéomalaciantes) Phosphore per os
paradoxale du 1-25 di OH D Rachitisme vitamino-résistant (phosphoneuros® : 50 gouttes x
3/j et calcitriol 0,50 μ/jour)
Diabètes phosphorés Associés à un tableau de Étiologie inconnue Phosphore ± calcitriol en
« idiopathiques » fibromyalgie fonction du taux de 1–25
di-OH D
Associés à une ostéoporose et Origine génétique : mutation Dypiridamole : 75 mg x 3/j si test
une hyper calciurie NaPI ? (augmentation du TRP après
perfusion) positif

Étiologies Le régime de privation calcique (suppression de tout


Afin de comprendre l'étiologie d'une hyperphosphorémie, il laitage pendant 10 jours) permet de différencier les hyper
faut systématiquement doser calcium et créatinémie : calciuries d'absorption qui se normalisent, des hypercalciu-
■ l'hyperphosphorémie isolée est physiologique chez l'en- ries d'origine rénale, qui persistent. Ces dernières s'associent
fant en croissance. Chez l'adulte, elle peut révéler une fréquemment à une hyperrésorption osseuse. Dans ce cas,
acromégalie. Elle peut compliquer un déficit congénital il faut éliminer une hyperparathyroïdie (dosage calcium
en FGF-23 ; ionisé et PTH).
■ associée à une hypercalcémie, elle correspond souvent à
des métastases osseuses ; Traitement
■ associée à une hypocalcémie, elle est satellite d'une insuf- Le traitement des hypercalciuries absorptives repose sur une
fisance rénale ou d'une hypoparathyroïdie. diurèse abondante, une réduction des apports protidiques et
sodés ; celui des hypercalciuries d'origine tubulaire sur les
Traitement thiazidiques en cas de lithiases, sur les bisphosphonates ou
Les chélateurs de phosphore sont uniquement administrés le dénosumab en cas d'ostéoporose associée. Dans tous les
chez l'insuffisant rénal dialysé. cas, les apports calciques doivent être d'environ 800 mg/jour
et les apports de vitamine D réduits.
Hypercalciurie [12]
Références
L'hypercalciurie, définie par une calciurie des 24 heures
> 7,5 mmol, peut provoquer des lithiases rénales récidi- [1] Nordin BEC. Diagnostic procedures in disorders of calcium metabo-
vantes et une néphrocalcinose. L'hypercalciurie d'origine lism. Clin Endocrinol 1978 ; 8 : 56–67.
tubulaire peut être une cause d'ostéoporose essentiellement [2] Laroche M, Cantagrel A, Degraeve J, et al. Avantages et inconvénients de
l'étude de l'excrétion urinaire à jeun du calcium et du phosphore compa-
masculine.
rée aux dosages de vingt-quatre heures. Sem Hop Paris 1988 ; 64 : 81–4.
[3] Autier P, Boniol M, Pizot C, et al. Vitamin D status and ill health :
Bilan étiologique a systematic review. Lancet Diabetes Endocrinol 2014 ; 2 : 76–89.
Avant d'explorer une hypercalciurie, il faut s'assurer que : [4] Dawson-Hughes B, Heaney RP, Holick MF, et al. Estimates of optimal
■ le recueil urinaire concerne bien les urines de 24 heures vitamin D status. Osteoporosis Int 2005 ; 16 : 713–6.
et non, en plus, celles de la nuit précédente : créatininurie [5] Laroche M, Nigon D, Gennero I, et al. Le déficit en vitamine D, très
fréquent, n'entraine qu'exceptionnellement une hyperparathyroidie
comprise entre 8 et 12 000 μmol/24 h, selon le poids ;
secondaire chez des sujets sains de la cinquantaine. Press Med 2015 ;
■ le malade ne soit pas traité par calcium et vitamine D ; 44 : 40–5.
■ la natriurèse ne soit pas excessive. [6] Laroche M, Boyer JF. Phosphate diabetes, tubular phosphate reab-
On doit avoir un BPC complet, un dosage de vitamine D, sorption and phosphatonins. Joint Bone Spine 2005 ; 72 : 376–81.
voire du 1-25 di OH, de PTH, un cliché thoracique. [7] Houiller P. In : De Vernejouls MC, Marie P, editors. Métabolisme du
Les lyses osseuses et la sarcoïdose occasionnent des calcium et du phosphate. Traité des maladies métaboliques osseuses.
hypercalciuries, le plus souvent asymptomatiques. Paris : Flammarion ; 2008. p. 77–109.
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20   Partie I. Rhumatologie pratique

[8] Silverberg SJ. In : Rosen CJ, editor. Primary Hyperparathyroidism. Composition corporelle
Primer on the metabolic bone diseases and disorders of mineral meta-
bolism. eight edition. New York : Wiley-Blackwell ed ; 2013. p. 68–70. La composition tissulaire soit du corps entier, soit d'un seg-
[9] Horwitz MJ, Hodak SP, Stewart AF. In : Rosen CJ, editor. Non- ment, se fait par la mesure respective de l'absorption des
parathyroid hypercalcemia. Primer on the metabolic bone diseases rayons X par les tissus maigres et les tissus adipeux [2]. Le
and disorders of mineral metabolism. eight edition. New York : coefficient de variation (CV) de la mesure des tissus est de
Wiley-Blackwell ed ; 2013. p. 562–71. l'ordre de 5 %.
[10] Shafer AL, Shoback D. In : Rosen CJ, editor. Hypocalcemia : defini- Les endocrinologues et les diabétologues évaluent la
tion, etiology, pathogenesis, diagnosis and management. Primer on composition corporelle des patients dans le cadre de la prise
the metabolic bone diseases and disorders of mineral metabolism.
en charge de l'obésité (chirurgie bariatrique notamment), de
eight edition. New York : Wiley-Blackwell ed ; 2013. p. 71–3.
[11] Ruppe MD, Rosen CJ. Jan de Beur SM. Disorders of phosphates
la maigreur, et des facteurs de risque vasculaires (% de masse
homeostasis. Primer on the metabolic bone diseases and disorders of grasse et sa répartition, type d'obésité, évolution) [3–5].
mineral metabolism. eight edition. New York : Wiley-Blackwell ed ; La masse maigre appendiculaire (des membres) rap-
2013. p. 601–12. portée à la surface au carré est considérée par les gériatres
[12] Laroche M, Nigon D, Gennero I, et al. Calciurie des 24 heures, comme un indicateur fidèle de la masse musculaire dont la
normes régulations : à propos d'une cohorte de 317 témoins. Annales chute semble un déterminant majeur dans la constitution
de Biologie Clinique 2016 ; 4 : 465–71. d'un état de « fragilité générale » [6].
Les travaux concernant l'intérêt de l'étude des tissus
mous comme facteurs de risque spécifiques de la résis-

Mesure de la densité
tance osseuse, bien que théoriquement séduisants, n'ont pas
encore produit d'aspect pratique [7].

osseuse en pratique Masse surfacique des os

clinique : Absorptiométrie La masse surfacique osseuse (DO) s'étudie par la mesure


respective de l'absorption des rayons X par les os et la

biphotonique à rayons X
masse tissulaire (le regroupement des tissus maigres et adi-
peux induit une erreur et la nécessité d'une correction dite
« de la ligne de base ») [8]. Le CV de la densité osseuse est
Jacques Bernard, Laure Bernard de 1 % pour le rachis, de 2 % pour le col fémoral chez le
sujet sain. Une difficulté d'installation sur la table d'exa-
L'absorptiométrie biphotonique à rayons X (DEXA : Dual- men et toute modification morphologique des os altèrent
Energy X-ray Absorptiometry) est la méthode de mesure de cette reproductibilité1. Les tissus mous sont à la fois un élé-
la « densité minérale osseuse » (DMO ou DO) de référence. ment indispensable de la technique et un objet de mesure.
Son intérêt dans l'évaluation de la résistance osseuse a été Leur analyse permet de valider l'examen et d'en tirer des
largement démontré chez les femmes ménopausées, au résultats.
point d'avoir amené les experts de nombreux pays à défi- L'unité de mesure de la DO est exprimée en gramme de
nir « l'ostéoporose densitométrique », dans ce seul contexte, minéral osseux par cm2 de projection osseuse.
sur la base d'une simple valeur basse de densité osseuse
fémorale ou lombaire, un T score < –2.5 DS (DS : déviation
standard par analogie avec le standard deviation anglais la
Au rachis
traduction en fait est l'écart-type). Elle est ainsi devenue le Les différentes machines de l'industrie (essentiellement
pivot de la détection de cette « épidémie silencieuse » [1]. Lunar® et Hologic®) permettent la mesure des quatre pre-
Sa prescription s'est étendue à de nombreuses autres mières vertèbres lombaires (encadré 1.1). Leur valeur
pathologies et/ou traitements, inducteurs démontrés de moyenne est calculée et donnée en valeur absolue (g/cm2) ;
déminéralisation. elle est rapportée à une courbe de référence comprenant des
Si cette mesure est incontournable dans l'évaluation de la volontaires représentatifs de la population d'un même pays
« santé osseuse », les limites de la technique comme celles de et de même sexe, et exprimée en scores. Ces courbes de nor-
la signification des résultats sont nombreuses. Sa place doit malité sont propres à chaque constructeur, les appareils de
être intégrée parmi tous les autres facteurs de risque de frac- DEXA n'étant pas standardisés (les valeurs « Lunar » sont de
ture recueillis au cours d'un interrogatoire et d'un examen 10 à 15 % plus hautes que les valeurs « Hologic »).
clinique orientés. Le T score est le nombre d'écarts-type (SD : standard
deviation) qui séparent la valeur du patient de la valeur
moyenne des sujets de la population de référence ayant l'âge
Algorithme et équation du capital osseux maximal (20–29 ans).
Le Z score est le nombre d'écarts-type qui séparent
Le principe de l'absorptiométrie biphotonique à rayons X la valeur du patient de la valeur moyenne des sujets de la
repose sur l'analyse de l'atténuation de deux rayonnements population de référence ayant le même âge.
photoniques d'énergie différente ce qui revient à résoudre
un système de deux équations à deux inconnues. Selon ce
principe, la DEXA peut étudier la composition tissulaire ou 1
La reproductibilité se calcule en mesurant la DO de 15 patients trois
la masse surfacique des os. fois ou de 30 patients deux fois, avec repositionnement à chaque fois.
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Chapitre 1. L'os : physiologie et exploration    21

Encadré 1.1 Constructeurs Encadré 1.2 Formation et environnement


Chaque constructeur utilise une technique propre ; les valeurs La formation spécifique à cet acte est requise, en plus de
absolues de densité ne sont pas comparables d'une machine à la formation initiale : formation technique des opérateurs
l'autre ce qui ne remet pas en question l'intérêt de la mesure, et formation à l'interprétation des résultats de l'examen. La
mais impose de toujours faire les contrôles sur le même type de compétence en radioprotection est obligatoire.
machine. Les courbes de références ne sont pas établies sur les L'environnement est spécifique : respect des modalités de
mêmes populations. Leur représentativité équivalente permet contrôle qualité des dispositifs d'ostéo-densitométrie utilisant
cependant de comparer les scores. les radiations ionisantes (décision AFSSAPS du 20 avril 2005).
Code extension documentaire, pour distinguer un premier
Au fémur examen (coder A) et un examen de suivi (coder B).

La mesure de DO de l'épiphyse fémorale supérieure


concerne trois zones d'intérêt : le col, le grand trochanter et
la zone inter-trochantérienne. Seuls le col et le « total fémur »
(regroupement des trois sites) sont rendus. L'expression des
résultats est superposable à celle du rachis, en valeur absolue
et en scores.
Les mesures de l'avant-bras et du corps entier ne sont pas
utilisées pour le diagnostic d'ostéoporose.
Les résultats de chaque site, malgré des résultats parfois
discordants entre les sites (rachis, fémur et radius), sont pré-
dictifs du risque de fracture avec un risque relatif de 1,2 à 2,5
pour chaque diminution d'un écart-type de DO [9]. Le plus
prédictif est la hanche [9]. Le rachis est le site où les modifica-
tions de densité osseuse sont les plus rapides, mais régulière-
ment faussées par l'arthrose ou les déformations vertébrales.
Figure 1.9 Mesure de la DO. Positionnement correct : le rachis est
centré et vertical, les deux crêtes iliaques sont visibles, l'image com-
prend une partie de L5 et une partie de D12. À la hanche, la diaphyse
Interprétation de la DEXA fémorale est verticale, le membre inférieur en rotation interne (effa-
La lecture des résultats doit être exigeante ; la fréquence cement du petit trochanter à peine visible), le col est dégagé, l'image
des examens rendus et interprétés incorrectement est éle- inclut l'ischion et le grand trochanter.
vée [10].

Contrôle qualité ■ Le rachis doit y être centré, vertical, au-dessus des deux
Tout praticien réalisant une ostéodensitométrie a bénéfi- crêtes iliaques et comprenant une partie de D12 et de L5.
cié d'une formation spécifique et soumet ses résultats à un ■ Le col du fémur doit y être individualisé, le petit trochan-
contrôle qualité réglementaire (encadré 1.2). ter peu ou non visible (nécessité d'une rotation interne
de 15° du membre inférieur pour effacer l'antéversion
physiologique du col), la diaphyse fémorale verticale,
Acquisition des mesures l'ischion et le grand trochanter dégagés.
Les conditions d'acquisition des mesures sont standardisées.
Si elles ne sont pas ou ne peuvent être respectées, au point Analyse des zones d'intérêt
de rendre aléatoire toute interprétation, le compte rendu
doit le mentionner clairement. Les zones d'intérêt sont définies de manière semi-automatique.
Le patient ne doit pas avoir sur lui de métal (piercing) et
n'avoir subi aucun examen avec produit de contraste ou de Au rachis
scintigraphie osseuse 48 à 72 heures avant. L'analyse débute par la numérotation des vertèbres de L1
Le poids et la taille sont mesurés le jour de l'examen. Une à L4, L4 se projetant juste au-dessus de la tangentielle des
obésité ou une maigreur morbides, une ascite peuvent alté- crêtes iliaques. Elle comprend l'étude des mesures des quatre
rer ou modifier la mesure. vertèbres. La variation de mesure d'une vertèbre à l'autre ne
Le positionnement du patient sur la table d'examen est cru- doit pas excéder 1 unité en T-score (figure 1.9).
cial car il conditionne la surface de projection en 2D de l'os, et Les artéfacts sont repérés et exclus. En présence d'arté-
donc le résultat. Une anomalie structurale et/ou une souffrance facts ou de variation élevée d'une vertèbre par rapport à
du rachis ou d'une articulation des membres inférieurs, peuvent une autre gênant l'interprétation, le minimum requis
empêcher le positionnement standard et modifier la mesure. pour le calcul de la valeur moyenne de densité du rachis
L'analyse critique de l'image numérique rendue doit être est de deux vertèbres contiguës et de valeurs homogènes
le préalable à la lecture des résultats : ­(encadré 1.3) [11].
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22   Partie I. Rhumatologie pratique

Encadré 1.3 Artéfacts et indications


de confrontation radio-densitométrique
Des matériaux ou des tissus « absorbants » les rayons X peuvent
biaiser le résultat de la DO en se projetant sur les sites étudiés :

au rachis : calcification aortique, matériel radio-opaque,
ascite… Les principales causes de densité osseuse élevée
d'une vertèbre sont : l'arthrose, un tassement vertébral,
une vertèbre pagétique. Les principales causes de densité
osseuse abaissée sont : une isthmectomie, une formation
angiomateuse et une lyse tumorale.

au col fémoral : calcifications des tissus mous, matériel radio-
opaque, absence de tissus mous… Les principales causes de
densité osseuse élevée sont : la coxarthrose, une fracture,
une ostéonécrose de la tête fémorale. Les principales causes
de densité osseuse abaissée sont : l'algodystrophie, une Figure 1.10 Mesure de la DO du col fémoral. Zones d'analyse

.
coxite, une neuropathie.
Le logiciel d'analyse permet d'exclure du champ de mesure (T score < –3 DS sur l'un des deux sites, fémoral ou lom-
certains artéfacts. Des variations hautes ou basses sur un baire) et en l'absence de fracture, représente un seuil de
col ou une vertèbre peuvent justifier une confrontation fragilité osseuse pour une prise en charge médicamen-
radio-densitométrique. teuse (recommandations GRIO/SFR) [12] ;
■ un niveau bas de DO (T score compris entre -1,5 et -3 DS),
en l'absence de fracture, sera intégré aux autres facteurs
Au fémur de risque de fracture, pour décision sur la conduite à
Les zones d'analyse du col ne sont pas identiques d'un tenir. Le FRAX [13], algorithme prenant en compte
constructeur à l'autre et leurs modalités respectives devront 12 d'entre eux, illustre cette démarche (encadré 1.4) ;
être appliquées (Lunar : positionnement à la partie moyenne ■ en présence d'une fracture ostéoporotique, la densité
du col. Hologic : zone tangentielle au grand trochanter). osseuse est retrouvée régulièrement basse. Une densité
Les modifications de taille ou de positionnement de ces osseuse « normale » (T score > –1) doit amener à recon-
zones d'intérêt peuvent entraîner des erreurs importantes sidérer le diagnostic. L'examen garde un intérêt pour le
(figure 1.10). suivi du traitement.
Si la mesure du col du fémur est la plus documentée, En l'absence de ces données, l'interprétation est réduite
le calcul de la densité moyenne du « total fémur » est aussi à sa plus simple expression, explicitant la qualité des condi-
validé. tions d'acquisition et la fiabilité des données. Si justifié, le
La plupart des machines actuelles propose une mesure caractère aléatoire de toute interprétation et sa raison sont
simultanée des deux cols. Toute différence entre les deux indiqués.
cols supérieure à 10 % doit être considérée comme patholo- L'examen considéré fiable, l'opérateur indique les valeurs
gique (encadré 1.3). absolues des densités osseuses du rachis et du col et leur
niveau respectif au sein de la population de référence du
Autres zones d'intérêt constructeur en indiquant les deux scores (figure 1.11).
Si seules les mesures de DO du rachis et du fémur sont Aucun diagnostic ne sera donné, mais le niveau de la den-
recommandées pour définir « l'ostéoporose densitomé- sité osseuse du patient sera qualifié, bas, haut ou « médian »,
trique », les mesures de DO du corps entier, de l'avant- et la valeur la plus basse soulignée. Une seule valeur de den-
bras, ou d'autres zones segmentaires du corps entier sont sité osseuse, basse ou élevée, ne peut exclure ou affirmer
d'authentiques mesures de DO, et leur application à l'échelle l'existence d'une ostéopathie. Cette démarche appartient au
de l'individu peut rendre des services ponctuels quand les seul prescripteur.
deux mesures de référence ne sont pas possibles ou inin-
terprétables (sous réserve de la disponibilité de courbes de Deuxième examen
référence validées pour la population française). Le contexte clinique conditionnera sa prescription, la vitesse
de déminéralisation étant variable d'une pathologie à l'autre.
Interprétation La vitesse de récupération de DO et la rémanence de l'ef-
fet sont très variables d'un médicament de l'ostéoporose à
Premier examen l'autre. La variation attendue ou suspectée cliniquement
L'interprétation ne peut se faire qu'en fonction du contexte fixera le rythme du contrôle.
clinique et biologique, voire radiographique du patient. Techniquement, ce contrôle devra être réalisé sur la
En possession de l'ensemble des données, la valeur de la même machine et les conditions d'acquisition comparées.
DO sera intégrée dans le contexte : Toute modification devra rendre l'interprétation prudente.
■ dans l'ostéoporose commune post-ménopausique ou Une variation de DO ne sera retenue que lorsqu'elle est
chez l'homme après 50 ans, un niveau de DO très bas supérieure à la « plus petite variation significative » (PPVS)
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Chapitre 1. L'os : physiologie et exploration    23

Encadré 1.4 Définitions

Ostéoporose Ostéoporose post-ménopausique


« L'ostéoporose est une pathologie squelettique caractérisée densitométrique (OMS, 1994)
par une diminution de la solidité́ osseuse qui augmente le ■
T score > –1 DS : densité́ osseuse normale
risque de fracture. La solidité́ est principalement déterminée par ■
–2,5 < T score ≤ –1 : ostéopénie
la densité́ osseuse et la qualité́ osseuse. La qualité osseuse ■
T score ≤ –2,5 : ostéoporose
comprend l'architecture, le remodelage, l'accumulation des ■
T score ≤ –2,5 et fracture : ostéoporose sévère
microtraumatismes (micro-cracks) et la minéralisation. » (NIH)

Avec une ou –2,5 DS –1 DS DMO théorique


plusieurs fractures
T score
Ostéoporose sévère Ostéoporose Ostéopénie Densité normale

La HAS recommande de mesurer la DO sur au moins 2 sites, de FRAX


préférence sur l'extrémité supérieure d'un fémur et sur le rachis Le WHO Fracture Assessment tool ou FRAX®-tool permet de
lombaire, pour définir l'ostéoporose – la valeur la plus basse calculer le risque individuel de fracture. Les algorithmes du
faisant référence (2006). FRAX® donnent une probabilité sur 10 ans de fracture de la
Plus petite variation significative (PPVS) hanche et d'une fracture majeure (fracture clinique du rachis, de
l'avant-bras, de la hanche ou de l'épaule), à partir de 12 items,
Cette variation (SDD : Smallest Detectable Difference) est
pour les deux sexes de 40 à 90 ans. Le calcul du FRAX se fait
exprimée en valeur absolue. Elle est indépendante de la valeur
directement sur internet (https://www.sheffield.ac.uk/FRAX/tool.
mesurée de la densité. Elle doit être calculée dans chaque centre,
aspx?country=12).
à partir de l'écart-type (ET). Pour un intervalle de confiance de
95 %, la PPVS est de 2,8*ET.

de la machine. Elle doit être exprimée en valeur absolue. l'appareil musculo-squelettique (fractures, infections
Selon les auteurs, elle varie de 0,03 g/cm2 à 0,04 g/cm2, géné- ostéoarticulaires, polyarthrites, spondyloarthropa-
ralement plus basse au rachis qu'au fémur [14, 15]. thies…). Ces pathologies à l'origine de longues périodes
de « sédentarité obligée » altèrent la masse et la puissance
musculaires, diminuent la densité osseuse et augmentent
Indications rhumatologiques ainsi le risque fracturaire à moyen ou long termes.
Cette « ambiguïté » de la législation dessert la prise en
La prescription d'une ostéodensitométrie est ouverte à tous charge précoce de la « santé osseuse » pour une partie à
les praticiens. Les indications et le remboursement de la risque de cette population et, en particulier, freine le déve-
mesure de la densité osseuse sont encadrés par l'HAS. loppement des techniques non médicamenteuses pour l'en-
tretien de l'appareil musculo-squelettique.
Détection de l'ostéoporose : En pratique, lorsque la prescription de l'ostéodensi-
indication principale tométrie est explicite quant au caractère potentiellement
« déminéralisant » de la situation pathologique d'un patient,
Les indications de remboursement de la DEXA (tableau 1.5) l'Assurance maladie accepte le remboursement de l'acte.
en population générale ne citent cependant pas de nom-
breuses maladies pour lesquelles le lien entre l'activité de la
maladie et une déminéralisation est démontré : Suivi de l'ostéoporose commune
■ le diabète [16], C'est l'indication la plus fréquente en pratique clinique. Elle
■ la BPCO [17], vient clore un cycle thérapeutique.
■ les maladies vasculaires et inflammatoires, ■ Le gain ou la stabilité de DO indique un effet favorable
■ un grand nombre d'affections neurologiques centrales et du traitement. Cependant, la démonstration de l'effet
périphériques, anti-fracturaire du gain de DO n'est toujours pas clai-
■ les hépatopathies chroniques, rement établie même dans les études avec les molécules
■ l'alcoolisme, entraînant les gains les plus élevés [20–23]. Le niveau de
■ les MICI [18], correction guidera la suite de la prise en charge.
■ les rétroviroses [19], ■ La chute importante de densité osseuse et/ou la survenue
■ les ostéopathies métaboliques (ostéomalacies) d'une fracture imposent de vérifier l'observance du traite­
■ toutes les situations à l'origine d'une immobilisation ment, d'éliminer une cause d'ostéoporose secondaire et
prolongée, et en particulier les maladies et accidents de de reconsidérer la prise en charge thérapeutique.
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24   Partie I. Rhumatologie pratique

Figure 1.11 Exemple de feuille de résultats (Lunar).

Tableau 1.5 Conditions de remboursement d'une ostéodensitométrie.


Ostéodensitométrie (absorptiométrie osseuse) sur 2 sites, par méthode biphotonique
.
1re densitométrie 2e densitométrie
Dans la population générale À l'arrêt du traitement anti-ostéoporotique
(quels que soient l'âge et le sexe) en dehors de l'arrêt précoce pour effet indésirable.
En cas de signe d'ostéoporose :
• fracture vertébrale sans contexte traumatique ou tumoral
• antécédent personnel de fracture périphérique sans trauma
majeur (sauf crâne, main, pied, rachis cervical)
En cas de pathologie/traitement ostéopéniant potentiel :
• corticothérapie ≥ 3 mois consécutifs ≥ 7,5 mg/j équivalent
prednisone
• hypogonadisme prolongé (orchidectomie ou traitement
par analogue GH-RH)
• hyperthyroïdie évolutive non traitée
• hypercorticisme
• hyperparathyroïdie primitive
• ostéogénèse imparfaite

(Suite)
BIBLIOTHEQUE DE LA RECHERCHE BIBLIOGRAPHIQUE SCIENCE MEDICALE
Chapitre 1. L'os : physiologie et exploration    25

Tableau 1.5 Suite

.
En plus, chez la femme ménopausée : Chez la femme ménopausée sans fracture :
• antécédent de fracture du col fémoral non traumatique chez lorsqu'un traitement n'a pas été mis en route après une
parent du 1er degré première ostéodensitométrie montrant une valeur normale ou
• indice de masse corporelle < 19 kg/m2 une ostéopénie, une 2e ostéodensitométrie peut être proposée
• ménopause avant 40 ans 3 à 5 ans après la première ou en fonction de l'apparition de
• antécédent de corticothérapie ≥ 3 mois, ≥ 7,5 mg/j équivalent nouveaux facteurs de risque.
prednisone
Pour chacune de ces indications, l'ostéodensitométrie n'est indiquée que si le résultat de l'examen peut, a priori, conduire à une modification de la prise
en charge thérapeutique du patient.
Source : J.O. du 30 juin 2006.

Prévention de l'ostéoporose Ainsi s'expliquent que plus de 50 % des patients ayant


Chez les hommes de plus de 50 ans et les femmes méno- subi une fracture ostéoporotique sont au-dessus du seuil
pausées pour lesquels les données cliniques et de densité (T score < –2,5) retenu par l'OMS comme définition de l'os-
n'avaient pas justifié de traitement, le contrôle sera fonc- téoporose post ménopausique [25, 26] et que la variation de
tion de la correction ou de l'apparition des facteurs de DO mesurée par DEXA au cours des traitements n'explique
risque de déminéralisation. Un contrôle après 3 à 5 ans est qu'une partie de leur efficacité.
recommandé. Une conséquence pratique a été de rechercher des tech-
nologies complémentaires pour prédire le risque fracturaire
en évaluant précisément la qualité de l'os ; certaines sont
Déminéralisations subaiguës issues de la technique de la DEXA.
■ Lors des ostéopathies « métaboliques » représentées prin-
cipalement par les « ostéomalacies » quels que soient leurs
mécanismes (carence en vit. D, syndromes de Fanconi
Outils complémentaires d'évaluation de
tumoral ou iatrogène, diabète phosphoré…). la résistance des os issus de la technique
■ Conséquence d'une infiltration tumorale diffuse (lym- d'ostéodensitométrie
phome, mastocytose) ou d'un syndrome de Cushing. Vertebral Fracture Assessment (VFA)
■ Les situations pathologiques inductrices de déminérali-
On réalise un cliché de profil de l'ensemble des ver-
sation, ou à l'origine de sédentarité obligée chez les sujets
tèbres thoraciques et lombaires avec l'ostéodensitomètre
jeunes, voient les indications de contrôle se préciser. La
permettant, pour une faible irradiation supplémentaire
mise en rémission sous traitement biologique d'une PR
(encadré 1.5), le diagnostic de fractures vertébrales asymp-
ou d'une spondylarthrite est régulièrement associée à un
tomatiques (très fréquentes), ce qui a un intérêt pronos-
gain de densité osseuse. Au cours des maladies inflam-
tique et thérapeutique majeur. De plus, elle a une très
matoires persistantes, l'évaluation de la « santé osseuse »
bonne « valeur prédictive négative ». Si elle est normale,
des patients comprenant une DO doit s'inscrire dans les
elle permet d'éviter des radiographies standards, son usage
préoccupations du clinicien.
prolonge le temps d'examen (positionnement difficile) et
L'évaluation précoce de l'évolution de la densité osseuse
n'est pas coté [8].
est une information importante sur l'effet des différents
traite­ments ou sur l'activité de ces maladies.
Trabecular Bone Structure (TBS)
C'est un logiciel adapté d'analyse de la texture osseuse fon-
Algodystrophie de la hanche dée sur l'étude des variations de niveau de gris de pixels à
C'est une indication régulièrement utile pour le diagnostic pixels de l'image DEXA du rachis lombaire. Le TBS est cor-
et le suivi de cette coxopathie à radiographie initialement rélé à certains paramètres de la microarchitecture. Il prédit
normale. La différence de densité osseuse entre les deux le risque fracturaire aussi bien que la DO et de manière en
fémurs peut atteindre plus de 30 % (3 déviations standard), partie indépendante et complémentaire de celle-ci. Des
et être entièrement régressive en quelques mois. études supplémentaires devraient aboutir à une prise en
charge de cette aide à la décision thérapeutique [8].

Limites de la DEXA et outils


complémentaires Encadré 1.5 Radiations ionisantes
Si le DEXA reste le gold standard des mesures de la masse
L'irradiation naturelle moyenne d'un individu, en dehors de
osseuse, ses limites doivent être connues : il s'agit d'une
toute exposition aux radiations médicales, est de 2,5 mSv/an.
mesure en projection plane (2D) qui ne permet pas de dif-
Une ostéodensitométrie délivre environ 0,005 mSv par examen.
férencier la densité corticale de la densité trabéculaire ; elle
Minime, elle impose des précautions dont l'application est
n'évalue pas la « qualité des os » et en particulier la microar-
réglementée, fondées sur les principes de protection des
chitecture dont l'altération est une des causes de leur fragi-
manipulateurs et des patients [28].
lité [24].
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26   Partie I. Rhumatologie pratique

Les études sur la mesure de la géométrie de l'épiphyse fémo- [3] Oliveros EI, Somers VKI, Sochor O, Goel K, Lopez-Jimenez F. The
rale supérieure comme facteur prédictif de fracture du col ont concept of normal weight obesity. Prog Cardiovasc Dis 2014 ; 56 :
montré un intérêt qui ne s'est pas traduit en ­pratique [8]. 426–33.
[4] Kelly TR, Wilson KE, Heymsfield SB. Dual energy X-ray absorptio-
metry body composition reference values from NHANES. PLoS One
Autres outils d'évaluation 2009 ; 4. e7038, 10.1371.
de la résistance osseuse [5] Katzmarzyk PT, Greenway FL, Heymsfield SB, Bouchard C. Clinical
utility and reproducibility of visceral adipose tissue measurements
Certaines de ces technologies prendront demain une place derived from dual-energy X-ray absorptiometry in White and African
importante dans l'évaluation de la résistance osseuse centrée American adults. Obesity 2013 ; 21 : 2221–4.
sur la qualité osseuse par : [6] Fielding RA, Vellas B, Evans WJ, et al. Sarcopenia : An undiagnosed
■ l'étude de la microarchitecture : le scanner périphérique condition in older adults. Current consensus definition : Prevalence,
à haute résolution (HRpQCT) ; l'imagerie en résonnance etiology, and consequences. International working group on sarcope-
magnétique (IRM), l'ultrasonographie quantitative (QUS). nia. J Am Med Dir Assoc 2011 ; 12 : 249–56.
■ L'évaluation des propriétés biomécaniques : analyse en [7] Briot K. Les apports de la DXA en dehors de la mesure de la densité
minérale osseuse. Revue du rhumatisme 2013 ; 80 : 225–30.
éléments finis (FEA).
[8] Pouillès JM, Ribot C. Pratique des mesures de densité osseuse. Rev
Leur intégration dans la démarche clinique est Rhum 1997 ; 64 : 15SP–26SP.
aujourd'hui sérieusement considérée [27]. [9] Marshall D, Johnell O, Wedel H. Meta-analysis of how well measures
of bone mineral density predict occurrence of osteoporotic fractures.
BMJ 1996 ; 312 : 1254–9.
Conclusions [10] EM1 Lewiecki, Binkley N, Petak SM. DXA quality matters. J Clin
Densitom. 2006 ; 9 : 388–92.
L'évaluation de la masse osseuse par DEXA est simple, peu [11] Peel NF, Johnson A, Barrington NA, et al. Impact of anomalous verte-
irradiante et peu onéreuse. Chez les femmes ménopausées, bral segmentation on measurements of bone mineral density. J Bone
elle est devenue l'outil de référence pour détecter celles à Miner Res. 1993 ; 8 : 719–23.
risque de fracture. L'extension raisonnée de sa prescription à [12] Briot K, Cortet B, Thomas T, et al. 2012 update of French guidelines
la population générale devrait permettre une prise en charge for the pharmacological treatment of postmenopausal osteoporosis.
Joint Bone Spine 2012 ; 79 : 304–13.
de la santé osseuse plus précoce et accélérer le développe-
[13] Kanis JA, Harvey NC, Cooper C, et al. A systematic review of interven-
ment des molécules comme des techniques non médicamen- tion thresholds based on FRAX : A report prepared for the National
teuses de renforcement de l'appareil musculo-squelettique Osteoporosis Guideline Group and the International Osteoporosis
dans les nombreuses circonstances pathologiques où elle est Foundation. Arch Osteoporos 2016 ; 11 : 25.
menacée. Toute situation jugée « déminéralisante » par le cli- [14] Roux C, Garnero P, Thomas T, et al. Recommendations for monito-
nicien est une indication « remboursable », quelque soit l'âge ring antiresorptive therapies in postmenopausal osteoporosis. Joint
et le sexe, pour peu que l'ordonnance soit explicite, et que le Bone Spine 2005 ; 72 : 26–31.
résultat puisse influencer la prise en charge. La prescription [15] Ravaud P, Reny JL, Giraudeau B, et al. Smallest detectable difference
d'une DEXA n'a de place que dans une démarche clinique in individual bone mineral density measurements. J Bone Miner Res
d'évaluation de la santé de l'appareil musculo-squelettique 1999 ; 14 : 1449–56.
[16] Schacter GI, Leslie WD. DXA-Based Measurements in Diabetes :
d'un patient. Un résultat de DEXA doit être intégré parmi
Can They Predict Fracture Risk ? Calcif Tissue Int 2017 ; 100 :
l'ensemble des facteurs de risque de fracture démontrés, de 150–64.
l'anamnèse familiale et personnelle à l'histoire pathologique. [17] Okazaki R, Watanabe R, Inoue D. Osteoporosis Associated with
Les limites de la technique sont nombreuses : à côté Chronic Obstructive Pulmonary Disease. J Bone Metab 2016 ; 23 :
des problèmes posés par une acquisition difficile, par la 111–20.
présence d'artéfacts ou des modifications importantes des [18] Melek J, Sakuraba A. Efficacy and safety of medical therapy for low bone
tissus mous, les résultats de DO ne couvrent que l'aspect mineral density in patients with inflammatory bowel disease : a meta-­
« quantitatif » des os. analysis and systematic review. Clin Gastroenterol Hepatol 2014 ; 12 :
Les nouvelles technologies évaluant la « qualité » des os 32–44.
sont en pleine évolution, et une plus grande accessibilité, [19] Grant PM, Kitch D, McComsey GA, et al. Long-term Bone Mineral
Density Changes in Antiretroviral-Treated HIV-Infected Individuals.
aujourd'hui confidentielle, devrait permettre d'améliorer
J Infect Dis 2016 ; 214 : 607–11.
l'évaluation directe de leur résistance en complément de la [20] Delmas PD, Seeman E. Changes in bone mineral density explain little
densitométrie qui restera encore pour longtemps surement of the reduction in vertebral or nonvertebral fracture risk with anti-
l'examen de référence. resorptive therapy. Bone 2004 ; 34 : 599–604.
Les progrès techniques de mesure de la masse et de la [21] Wensel TM, Iranikhah MM, Wilborn TW. Effects of denosumab on
force musculaires complèteront nos outils pour une évalua- bone mineral density and bone turnover in postmenopausal women.
tion juste de la « santé de l'appareil musculo-squelettique ». Pharmacotherapy 2011 ; 31 : 510–23.
[22] Han SL, Wan SL. Effect of teriparatide on bone mineral density and
fracture in postmenopausal osteoporosis : meta-analysis of rando-
Références mised controlled trials. Int J Clin Pract 2012 ; 66 : 199–209.
[23] Leder BZ, Tsai JN, Neer RM, et al. Both in Postmenopausal Women
[1] Kanis JA. The diagnosis of osteoporosis. J Bone Miner Res. 1994 ; 9 : in the DATA (Denosumab and Teriparatide Administration)
1137–41. Study Randomized Controlled Trial. J Clin Densitom 2016 ; 19 :
[2] Ribot C, Trémollieres F, Pouillès JM, et al. Mesure de la composition 346–51.
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Chapitre 1. L'os : physiologie et exploration    27

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2
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Chapitre

L'articulation,
entité fonctionnelle
PLAN DU CHAPITRE
Physiologie articulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 L'inflammation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
Fonction articulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 Immunologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38
Physiologie articulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42
L'articulation, entité fonctionnelle . . . . . . . . . 35
Notions générales sur l'inflammation
et l'immunologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

Physiologie articulaire Tendon

Bernard Mazières Bourse graisseuse

La biomécanique de l'appareil locomoteur dépend de l'anato- Ligament


mie, de la physiologie articulaire et musculaire. Sa finalité est Capsule articulaire Cartilage hyalin
d'être le support des gestes et des postures de l'homme sain Membrane synoviale
dans son environnement. Elle dépend du sexe, de l'âge et de la Os sous-chondral
Liquide synovial
morphologie générale. On peut en faire une approche méca-
nique, sémiologique, mais aussi psychologique et culturelle.

Fonction articulaire
L'articulation diarthrodiale est faite de deux pièces osseuses Figure 2.1 Schéma d'une articulation représentant les différents
en regard, recouvertes d'un cartilage hyalin (vitreux) d'en- tissus la composant .

croûtement, enchâssées dans un sac (ou capsule articulaire)


plus ou moins étanche dont la face interne, intra-articulaire,
est tapissée par la membrane synoviale. Cette membrane aux articulations de l'autre membre de se mouvoir et, finale-
sécrète le liquide synovial qui vient baigner la cavité articu- ment, mouvoir l'ensemble du corps. Au membre supérieur,
laire, et nourrir le cartilage. À l'extérieur de la capsule, des pour saisir le pot de confiture sur l'étagère avec la main,
ligaments très peu extensibles assurent le maintien passif et il faut que l'épaule et le coude soient fixés dans l'espace.
la coaptation de l'articulation. Ils sont eux-mêmes recouverts Il existe donc une synergie d'action entre articulations, cer-
par les muscles dont les tendons se terminent à proximité de taines sont fixées pour permettre à d'autres de bouger. Cette
l'articulation et y assurent le maintien actif de l'articulation, « chaîne » articulaire est rendue possible par la synergie
sa protection, sa mobilité et sa stabilité (figure 2.1). musculaire où muscles agonistes et antagonistes constituent
En effet, une articulation a deux fonctions opposées et eux aussi une « chaîne » musculaire assurant verrouillage et
complémentaires : assurer le maintien de la posture par sa mobilité articulaires.
stabilité (l'articulation travaille alors en compression) et per-
mettre le mouvement par sa mobilité (l'articulation travaille
alors en glissement). Lors de la marche, c'est bien parce que Biomécanique articulaire [1]
les articulations sont stables et verrouillées que le membre Dans un système polyarticulé, la stabilité de chaque élément
inférieur d'appui peut jouer son rôle de tuteur, permettant est nécessaire pour la mobilité de l'ensemble.

Rhumatologie
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30   Partie I. Rhumatologie pratique

Figure 2.2 Illustration du principe des bras de levier. La résistance de la charge (R) et la force de résistance (F) sont du même côté par rap-
port au pivot (le coude) : levier du 3e genre, le plus rependu dans l'organisme. (A) Inconvénient : la force résultante s'exerçant sur l'épaule est
importante. La distance entre le coude et l'insertion du biceps sur le radius serait le double, la force F serait diminuée de moitié. (B) Avantages :
à vitesse de contraction du biceps donnée, la vitesse de déplacement de la main est 7 fois plus rapide et surtout l'amplitude du mouvement
de la main est 7 fois plus grande. Source : Widmaier EP, Raff H, Strang KT. Vander's Human Physiology : The Mechanisms of Body Function -
11th edition, Ed. McGraw-Hill Education, 2008, 770 pages.

Stabilité Le mouvement ainsi créé entraîne un déplacement qui


Elle dépend des conditions anatomiques de chaque peut se faire par glissement, par rotation (moins de frotte-
articulation. ment) par combinaison des deux (c'est la cas de l'articula-
Il faut donc : tion fémoro-tibiale) ou par pivotement (coxo-fémorale).
■ des conditions osseuses : la congruence (emboîtement) Dans tous les cas, ces mouvements peuvent se faire
et la concordance (même rayon de courbure) des pièces dans différents plans de l'espace (frontal, sagittal, axial)
osseuses sont la condition osseuse de cette stabilité. et leurs amplitudes sont fonction de l'anatomie articulaire
Concordante et congruente, la hanche ne se luxe que pour (voir chapitre 3, « Examen clinique des articulations »). Les
des traumatismes majeurs, alors que les pièces osseuses moteurs du mouvement sont les muscles agonistes, leurs
de l'épaule sont concordantes mais non congruentes et freins les muscles antagonistes, les ligaments et la confor-
que celles d'une articulation des doigts ne sont ni l'un ni mation osseuse de l'articulation. Ces mouvements se font
l'autre, ne demandant qu'à se luxer pour un traumatisme par l'intermédiaire de bras de levier (figure 2.2). Selon la
moindre (accidents de basket ou de volley-ball). conformation anatomique et le type de bras de levier, ceci
■ des conditions capsulo-ligamentaires : le renforcement présente des avantages (gain de place) et des inconvénients
capsulaire antérieur de la hanche avec ses fibres torsadées (augmentation des contraintes au point de résultante de la
permet la flexion mais est un frein à son extension. De force) [2]. À l'inverse, des poulies de réflexion permettant
même, la morphologie des condyles fémoraux fait que les le passage d'un tendon changent l'orientation d'une force,
ligaments latéraux sont étirés en extension et participent sans diminuer son intensité (figure 2.3).
au verrouillage de l'articulation fémoro-tibiale, alors
qu'ils sont détendus en flexion, autorisant des mouve-
ments de latéralité dans cette position.
■ des conditions musculo-tendineuses : c'est le cas du hauba-
nage de la colonne vertébrale par les puissants muscles rachi-
diens, qui maintiennent le squelette rachidien en érection.

Mobilité
Elle induit le mouvement. Celui-ci peut être « conduit »,
lent, ajustable, peu dangereux (base de la rééducation) ou Figure 2.3 L'existence de poulies de réflexion, dans lesquelles
« lancé » avec une impulsion initiale (phase d'armé) qui le chemine un tendon (ici le tendon fléchisseur d'un doigt), permet
rend non modifiable et potentiellement dangereux par la une modification de la direction de la force, sans perte de son
succession d'une phase d'accélération suivie d'une phase de intensité. Source : Dufour M, Pillu M. Biomécanique fonctionnelle.
freinage (accidents sportifs). Membres, tête, cou. Un volume, Masson, 2006, 568 pages.
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Chapitre 2. L'articulation, entité fonctionnelle   31

Notion de « secteur utile » de mobilité. Dans la vie courante, la ligament : il tolère un certain degré d'étirement dans des
mobilité articulaire est souvent supérieure aux besoins. Alors conditions physiologiques (élasticité), puis s'étire de façon
que la flexion du genou est de l'ordre de 140°, il ne faut que 90° irréversible (entorse) avant de se rompre. Les principales
de flexion au maximum pour pouvoir marcher, mais au moins contraintes sont la traction, la compression, le cisaillement
100° pour descendre une marche. Ceci rend compte de l'utilité et la torsion. En pratique, les contraintes sont souvent com-
de la gymnastique pour faire travailler les articulations à leur binées et touchent plusieurs tissus (figure 2.5).
maximum d'amplitude, du bon résultat fonctionnel d'une pro- Les applications de ces principes sont nombreuses :
thèse totale de genou, même si la flexion ne dépasse pas 120°. ■ en anatomie : les contraintes sont d'autant plus fortes
qu'on s'éloigne de l'axe de torsion, ce qui explique qu'un
Contraintes ostéo-articulaires os diaphysaire peut être creux sans perdre de sa solidité
L'appareil locomoteur est l'objet de contraintes importantes. (figure 2.6) ;
L'étude de la résistance des matériaux permet de ramener ■ en physiologie : un tendon admet une déformation de
cette étude du comportement global du système musculo- ≈ 3–4 % de sa longueur sans dommage (entraînement
squelettique à celle du comportement local de ses différentes sportif) ;
composantes (muscle, tendon, os, cartilage), autorisant le ■ en pathologie : c'est la fracture de contrainte d'un os.
calcul des contraintes et déformations s'exerçant sur elles. La fracture d'un os long commence toujours par sa
Lorsque l'intensité de la contrainte augmente, il y a convexité ;
d'abord déformation élastique (le matériau se déforme ■ en orthopédie : tests de fatigue, de fluage des matériaux
proportionnellement à l'effort appliqué et reprend sa (vis, plaques d'ostéosynthèse, prothèses).
forme initiale lorsque la sollicitation disparaît), suivie
d'une déformation plastique (le matériau ne reprend pas
sa forme initiale lorsque la sollicitation disparaît, il subsiste
Physiologie articulaire
une déformation résiduelle ou hystérésis), et enfin rupture Tous les tissus musculo-squelettiques sont des tissus
lorsque la sollicitation dépasse la résistance intrinsèque du conjonctifs. Tous sont richement innervés (sauf le car-
matériau (figure 2.4). Ce schéma s'applique notamment au tilage), expliquant la fréquence de la douleur dans les
processus pathologiques ostéo-articulaires. Tous sont vas-
cularisés, sauf le cartilage qui ne l'est pas et le tendon qui
l'est peu.

Figure 2.4 Courbe de déformation d'un matériau sous l'effet


d'une contrainte. Dans un premier temps, le matériau se déforme
proportionnellement à la contrainte et retrouve son état antérieur à la
fin de la sollicitation (déformation élastique), puis il ne revient pas à son
Figure 2.5 Déformation de l'épiphyse ostéo-articulaire sous
état initial à la fin de la sollicitation et garde une déformation résiduelle
l'effet de la charge
(déformation plastique) et enfin se rompt.
.
Figure 2.6 Moment d'inertie en torsion. Ce moment augmente en s'éloignant de l'axe de torsion. À surface corticale égale, la résistance de la
diaphyse d'un os long est d'autant plus forte que son diamètre est grand (et donc que sa corticale est plus mince).
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32   Partie I. Rhumatologie pratique

Tissus conjonctifs, ils sont donc tous composés de cel- La membrane synoviale a deux fonctions principales :
lules spécialisées noyées au sein d'une matrice extracellulaire ■ production du liquide synovial en synthétisant l'acide
qu'elles ont secrétée et dont elles régulent le métabolisme. hyaluronique (synoviocyte B) et en assurant un rôle de
Cette matrice est toujours composée de collagènes, de pro- barrière de filtration et d'échanges entre le sang et la
téoglycanes et d'eau. cavité articulaire sous l'effet des pressions hydrostatiques
et osmotiques ;
■ défense contre les agressions extérieures, rôle dévolu aux
Synoviale synoviocytes de type A, cellules exprimant des antigènes
Ce tissu conjonctif lâche est classiquement composé de trois de classe II, ainsi que des antigènes de membrane caracté-
couches : ristiques de la lignée macrophagique (voir sous-­chapitre
■ la couche bordante, ou intima, contient les synoviocytes « Inflammation »).
disposés en palissade de 1 à 4 couches d'épaisseur, sans
membrane bordante, ce qui permet des échanges avec la
cavité articulaire. Il en existe deux types : synoviocytes de
Liquide synovial
type A, cellules macrophagiques, nombreuses, immuno- Produit par la synoviale, il est constitué d'acide hyaluronique
logiquement compétentes, et les synoviocytes de type B, synthétisé par les synoviocytes de type B et d'un dialysat du
fibroblastiques, moins nombreux, qui produisent l'acide plasma sanguin. Il forme un film à la surface des cartilages
hyaluronique et la lubricine (figure 2.7) ; articulaires.
■ la subintima, très vascularisée, riche en cellules (fibro- L'acide hyaluronique est une macromolécule de plu-
blastes, macrophages, histiocytes, mastocytes) ; sieurs millions de daltons, de la famille des glycoamino-
■ la subsynoviale, pauci-cellulaire (fibroblastes et adipo- glycanes (enchaînement d'unités d'acide glucuronique et
cytes), se confond avec les éléments capsulaires ; de N-acétylglucosamine). Sous forme de hyaluronate de
■ le collagène de la matrice extracellulaire est de type I. sodium, il est très hydrophile. Il capte l'eau via la synoviale
pour constituer un gel doué de propriétés viscoélastiques
(sa viscosité diminue avec la vitesse de déplacement), qui
assurent un rôle de lubrification et d'amortisseur intra-­
articulaire contre les forces de compression et de cisaille-
ment. Il est aussi doué de propriétés anti-inflammatoires
et chondroprotectrices, nourrissant les chondrocytes par
­diffusion dans la matrice cartilagineuse.
Le dialysat est la résultante de la filtration de la mem-
brane synoviale : sa concentration en électrolytes est voisine
de celle du plasma, mais celle en sucres est plus faible et il y
a trois fois moins de protéines, et seulement de faibles poids
moléculaires, que dans le sang.
Le liquide synovial normal est très peu abondant
(quelques gouttes peuvent être difficilement retirées par
ponction articulaire), visqueux, transparent et contient
moins d'une centaine de cellules, essentiellement mono-
nuclées. Toute pathologie articulaire peut s'accompagner
d'épanchement de synovie ou hydarthrose, qu'une ponction
articulaire peut évacuer à fins de soulagement par dimi-
nution de la pression intra-articulaire et d'analyses (voir
chapitre 7 « Hydarthrose »).

Cartilage (encadré 2.1, figures 2.3, 2.8, 2.9,


2.10)
Il est composé de cellules spécifiques, les chondrocytes, et
d'une matrice extracellulaire très hydratée (tableau 2.1)
contenant de grosses fibres de collagène II, organisées en
arceaux enchâssés dans le cartilage calcifié (figure 2.11),
et des protéoglycanes (PGs), grosses molécules composées
de glycoaminoglycanes (GAG) fixées sur une protéine por-
teuse. Ces PGs se fixent sur une longue chaîne d'acide hya-
luronique pour former de gros agrégats, dits « agrécanes ».
Figure 2.7 Synoviocytes. (1) en microscopie électronique de balayage ; Les GAG, très hydrophiles, attirent l'eau par leurs charges
(2) en microscopie électronique de transmission. négatives (COO-, SO4-).
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Chapitre 2. L'articulation, entité fonctionnelle   33

Encadré 2.1 Le cartilage normal


Anatomie

Tissu qui recouvre les extrémités osseuses, il apparaît blanc nacré laquelle viennent se brancher des molécules de glycoaminoglycanes
à l'ouverture de l'articulation ou en arthroscopie, brillant, lisse à (GAG), longues chaînes disaccharidiques de chondroïtine-sulfates
l'œil nu. Il est ferme mais dépressible. Il assure le glissement des ou de kératane-sulfates (voir, figure 2.9). Ces PGs monomères
pièces osseuses lors du mouvement grâce à un coefficient de viennent se brancher sur une longue chaîne d'acide hyaluronique
friction très bas (inférieur à celui d'un patin sur la glace), et grâce pour former des polymères de PG de poids moléculaire de plusieurs
au liquide synovial. millions de daltons (agrécanes).
Son épaisseur répond à la loi des pressions de Sharpey et à celle des Les GAG ont des charges négatives sur leurs sulfates carboxylés
surfaces de Rouvière qui stipulent que « L'épaisseur du cartilage et peuvent ainsi capter les ions Ca++ et Na+ qui, eux-mêmes,
articulaire est proportionnelle à la pression subie par unité de surface et attirent l'eau. Ces protéoglycanes constituent un véritable gel
elle est, pour une même pression, en raison inverse de l'étendue des hydrophile qui occupe un volume considérable par rapport à son
surfaces qui la supporte ». Les cartilages articulaires sont un peu plus contenu glucidique et l'eau représente ainsi 70 à 75 % du poids
épais chez l'homme que chez la femme et ne s'amincissent pas avec humide du cartilage articulaire adulte.
l'âge, dans des conditions physiologiques. Le cartilage le plus épais de
Les collagènes
l'organisme est celui de la rotule (≈ 7 mm).
Sous le microscope, sous une surface acellulaire, on observe une Cette capacité du cartilage à s'imbiber d'eau est bridée par
plage faite d'un tissu homogène dans lequel sont disposés, plus le réseau des fibres de collagène. Le collagène spécifique du
ou moins en colonnettes, dont l'axe principal est perpendiculaire cartilage est de type II. À lui seul, il constitue 95 % des collagènes
à la surface, les chondrocytes enchâssés dans leurs logettes du cartilage normal. Les 5 % restants sont le collagène IX qui
(les chondroplastes) (voir, figure 2.8). Ces grosses cellules (20 à constitue une armature au sein du collagène II, le collagène XI
40 μm), arrondies, représentent 3 % du volume du cartilage (voir, qui est situé à la surface du collagène II et assure des liaisons
figure 2.9). avec les PG. Le rôle de ces collagènes mineurs, incomplètement
La surface du cartilage joue un rôle important puisque c'est elle connu, semble capital dans le maintien de la structure entre PGs
qui reçoit en premier les pressions, et qui est soumise aux forces et collagène II, ainsi que dans la limitation de la croissance du
de cisaillement. Elle est le filtre sélectif à travers lequel passent collagène II.
les substances nutritives venant du liquide synovial, principale Organisation de la matrice extracellulaire
source d'alimentation des chondrocytes, dans des conditions
Les PGs jouent un rôle majeur dans l'organisation de la matrice
physiologiques. C'est à son niveau qu'apparaissent les premiers
extracellulaire en interagissant avec d'autres molécules telles que
signes histologiques de la désorganisation structurale de l'arthrose.
les collagènes, les glycoprotéines et l'acide hyaluronique. Les
De la surface à la profondeur, on divise morphologiquement le
petites PGs, telles que la décorine et la fibromoduline, associées
cartilage articulaire en quatre couches :
aux fibres de collagène, interviennent dans la fibrillogenèse

C1 : couche superficielle ou tangentielle (les fibres de collagène
en régulant la taille et le diamètre de fibres de collagène. Ce
étant parallèles à la surface), d'environ 5 % de l'épaisseur,
réseau moléculaire hautement organisé, détermine la taille et

C2 : couche moyenne ou transitionnelle (≈ 45 %),
l'espacement des fibres de collagène et confère à l'ensemble sa

C3 : couche profonde, radiée (à fibres verticales) la plus épaisse
cohésion et sa résistance.
(≈ 45 %),

C4 : couche calcifiée (5 %) repose directement sur l'os sous- Régulation
chondral et est séparée de C3 par la tide mark (ligne de Privé de nerfs et de vaisseaux, le chondrocyte règle son activité
séparation entre C3 et C4, bien visible en histologie). métabolique par les informations reçues via sa matrice. La
Ces couches correspondent à des teneurs variables des pression entraîne des mouvements liquidiens au sein du tissu
composants de la matrice et à une organisation différente des et des modifications chimiques (variation du pH, augmentation
fibres de collagène dans chaque couche. Cette organisation fait d'osmolarité). Les modifications de pression et de composition
penser que les fibres de collagène sont organisées en arceaux chimique sont détectées par les récepteurs du chondrocyte
dont les extrémités s'implantent dans la couche calcifiée et dont (dont les intégrines, véritables barorécepteurs membranaires)
la réflexion se fait dans les zones moyennes et superficielles, qui induisent ainsi des signaux intracellulaires entraînant les
assurant une véritable « armature » au tissu cartilagineux. réponses transcriptionnelles : différentiation et prolifération
En microscopie électronique, les fibres de collagène de type II cellulaire, synthèse des macromolécules matricielles et de leurs
sont bien visualisées avec leur striation caractéristique tous les enzymes dégradatives.
640 A° et leur diamètre de 30 à 80 nm (voir, figure 2.3). Le métabolisme normal du chondrocyte résulte d'un équilibre
Biochimie entre trois types de cytokines (voir, figure 2.10) :

des facteurs régulateurs (IL-4, 10, 13, inhibiteurs de collagé-
Les protéoglycanes (PGs) nases ou TIMPs)
Ce sont des molécules formées par une protéine porteuse sur

des facteurs cataboliques (IL-1ß, IL-6, IL-17, TNF)

des facteurs de croissance (IGF-1, FGF, TGFß, BMP et CDMP)
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34   Partie I. Rhumatologie pratique

Tableau 2.1 Composition biochimique du cartilage


articulaire
.
Eau ≈ 70 %
Poids sec ≈ 30 % dont :
Dont :
• Collagènes, dont : ≈ 55 %
– collagène type II : 95 % des
collagènes
– collagènes « mineurs » : 5 %
• Protéines non collagéniques ≈ 12 %
• Protéoglycanes ≈ 20 %
• Hyaluronate de sodium ≈1%
• Autres (lipides, lysozyme, glycoprotéines ≈ 12 %
de structure)

Figure 2.8 Coupe histologique d'un cartilage articulaire humain


normal (coloration hématoxyline-éosine usuelle). Source : cette
figure a été publiée dans Rheumatology - 4th edition, Vol. 1, Hochberg
MC, Silman AJ, Smolen JS, Wienblatt ME, Weisman MH, page 36,
© Mosby (2008).

Figure 2.9 Microscopie électronique de transmission. (1) Chondrocyte normal de la couche moyenne C2 ; (2) chondrocyte apoptotique ; (3)
fibres de collagène de type II de la couche profonde C3.

Figure 2.10 Les différentes cytokines régulant le métabolisme chondrocytaire.


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Chapitre 2. L'articulation, entité fonctionnelle   35

circulant en dehors du champ d'attraction des PGs, ce qui


contribue à sa régénération. Le mouvement est donc bien
le moteur de la vie du cartilage.

Os sous-chondral
Voir chapitre 1, « Physiologie de l'os ».
Il absorbe les pressions.
En tant qu'organe, l'os est un matériau :
■ viscoélastique et sa courbe de déformations aux
contraintes suit le même schéma que celui précédem-
ment indiqué ;
■ composite, sa composante minérale le fait résister aux
forces de compression et sa composante collagénique le
fait résister aux forces de traction ;
■ anisotrope, il n'a pas les mêmes propriétés de résistance
face aux contraintes dans tous les plans de l'espace.
Son épaisseur est proportionnelle aux pressions subies et
il s'adapte aux contraintes :
■ physiologiques (augmentation de volume),
■ excessives (microfractures),
■ insuffisantes (amincissement, fragilisation au contact
d'une prothèse ou d'un matériau rigide),
■ il est plus épais dans la concavité que dans la convexité.

Tendons
Figure 2.11 Organisation arciforme des fibres de collagène de type II Les tendons assurent la liaison entre muscles et os. Le ten-
.
don est un tissu conjonctif spécialisé dont la cellularité est
faible, passant de 200 000 ténocytes/mm3 à la naissance
Rôle d'amortisseur à 50 000 à 20 ans. Parallèlement, la matrice extracellulaire
Les PGs confèrent au tissu cartilagineux une turgescence contient des fibres de collagène (de type I à 80 %), dont le
élastique et une grande résistance mécanique à la pression et diamètre s'accroit de 40 nm à la naissance à 500 nm à 20 ans,
à l'amortissement des chocs. Cette résistance est augmentée des protéoglycanes hydrophiles et ≈ 68 % d'eau.
par le solide filet collagénique qui bride l'expansion des PGs Le tendon est résistant (collagène), élastique (élastine)
hydratés et assure une rigidité par lui-même. et flexible. Sa courbe de déformation sous contrainte
répond au mécanisme général d'un matériau viscoélastique
Mécanisme de nutrition du cartilage (cf. supra).
Du fait de l'absence de vascularisation, le chondrocyte vit Son extrémité osseuse (enthèse) voit sa structure passer
en hypoxie : le gradient d'oxygène diminue de la surface de celle de tendon (collagène de type I) à celle d'un fibrocar-
(≈ 10 %) à la profondeur (≈ 1 %). Le cartilage normal tilage, puis d'un cartilage calcifié (collagène de type II), avant
ne peut être nourri que par l'apport de nutriments de de se terminer dans l'os (collagène de type I). Richement
faible poids moléculaire, venus du liquide synovial et qui innervé, surtout en périphérie (péritendon) et aux extrémi-
diffusent au travers de la matrice extracellulaire, grâce tés, il est en revanche mal vascularisé, notamment dans sa
aux propriétés viscoélastiques du tissu. L'apport de ces partie centrale où la circulation est pauvre et terminale. Il
métabolites se fait grâce aux mouvements de l'eau entre travaille donc en anaérobiose partielle, ce qui est un avan-
le cartilage et la cavité synoviale, eux-mêmes induits par tage (possibilité de supporter longtemps des tractions sans
les pressions cycliques qui s'exercent sur le tissu. Lorsque risque de nécrose) et un inconvénient (sa cicatrisation après
le cartilage n'est pas sous pression, la perméabilité et les blessure est lente, de l'ordre de 6 semaines). L'exercice phy-
mouvements de l'eau sont relativement faibles. Sous l'effet sique peut augmenter de 3 à 7 fois cette vascularisation.
d'une charge, les liaisons hydrogène faibles sont rompues,
l'eau est chassée dans les régions du cartilage hors charge
et vers la cavité articulaire, entraînant à l'extérieur du tissu
L'articulation, entité fonctionnelle
les déchets métaboliques des chondrocytes, notamment Les différents constituants de l'articulation travaillent en
l'acide lactique. Le phénomène étant réversible, lorsque la symbiose. La synoviale assure la nutrition du cartilage,
charge cesse, un flux inverse se crée de la cavité articulaire la morphologie de l'extrémité osseuse rend compte de la
vers le cartilage, ramenant le cartilage à son hydratation répartition des pressions sur le cartilage. L'ensemble consti-
basale, et amenant avec lui les nutriments nécessaires au tue un espace continu interstitiel extra-vasculaire où cir-
fonctionnement cellulaire, en particulier le glucose. Un culent l'eau et les nutriments. La vascularisation se fait par
échange continuel s'effectue entre les molécules d'eau les pôles que constituent la synoviale et l'os sous-chondral
fixées par les charges négatives des PGs et la phase libre (figure 2.12).
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36   Partie I. Rhumatologie pratique

Vaisseau

Collagène 1

Synoviale
PGs

Synoviocyte

Eau
Cavité
articulaire
Acide hyaluronique

Chondrocyte

Acide hyaluronique

Cartilage Figure 2.13 Variation de la pression intra-articulaire en fonction


PGs du degré de flexion du genou. La pression est la plus basse en
demi-flexion expliquant l'attitude antalgique des malades dans cette
Collagène 2 position.

Ostéoblaste

os
Références
Ostéoclaste
Le lecteur désireux d'approfondir ce chapitre trouvera de nombreux textes,
Vaisseau diaporamas et vidéos régulièrement mis à jour sur le site de la faculté
de médecine de Toulouse : www.medecine.ups-tlse.fr ; > ressources
Figure 2.12 Schéma général illustrant le continum interstitiel pédagogiques > DFGSM2 > module 12, appareil locomoteur.
extra-vasculaire de l'articulation [1] Dufour M, Pillu M. Biomécanique fonctionnelle. Membres, tête, cou.
.
Un volume, Masson, 2006, 568 pages.
La communication os-cartilage, longtemps considérée [2] Arkill KP, Phil WD. Solute transport in the deep and calcified zones of
comme inexistante, est en fait attestée par la diffusion de articular cartilage. Osteoarthritis Cart 2008 ; 16 : 708–14.
[3] Widmaier EP, Raff H, Strang KT. Physiologie humaine. 5e édition.
petites molécules de part et d'autre de la tide mark. Cette
Un volume, Maloine, 2009, 888 pages.
diffusion bidirectionnelle est physiologique [3] et augmente
en pathologie.
La pression intra-articulaire est une mesure indirecte et
globale des pressions qui s'exercent sur les différents tis-
sus. Elle est maximale pour les mouvements extrêmes de Notions générales
sur l'inflammation
l'articulation, et minimale pour une position intermédiaire,
semi-fléchie, position antalgique qu'adoptent les malades
ayant notamment un épanchement articulaire (figure 2.13).

En pathologie
et l'immunologie
Les nombreuses affections qui touchent une articulation Yannick Degboé
peuvent être classées en 3 groupes selon le tissu initialement
touché :
■ maladies commençant par le cartilage et l'os : principale- L'inflammation
ment l'arthrose ;
■ maladies commençant par la membrane syno- Généralités sur l'inflammation
viale : arthrites (infectieuses, inflammatoires, L'inflammation est une réponse physiologique de l'orga-
micro-cristallines) ; nisme aux agressions tissulaires. En 1794, le chirurgien
■ maladies commençant par l'os sous-chondral : ostéoné- écossais John Hunter écrivait à ce propos : « Inflammation
croses épiphysaires, algodystrophie sympathique réflexe, in itself is not to be considered as a disease but as a salu-
fracture de fatigue sous-chondrale, maladie de Paget… tary operation consequent to some violence or some
Mais toute maladie d'une de ces trois structures articu- disease » (L'inflammation ne doit pas être considérée en soi
laires finit toujours par retentir sur les deux autres, rapide- comme une maladie, mais plutôt comme une réponse salu-
ment (arthrite septique, en quelques jours) ou lentement taire consécutive à une agression ou une maladie) [1].
(arthrose, en quelques années), mais inéluctablement. Cela Ce processus bénéfique est orchestré dans le temps et
explique qu'à un stade tardif d'évolution, l'articulation dans l'espace afin d'éliminer l'agent agresseur, et de res-
soit globalement détruite et que, radiologiquement, il soit taurer la structure et la fonction tissulaire [2]. Toutefois,
impossible de faire un diagnostic de la maladie initiale. dans certaines situations − telles que les rhumatismes
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Chapitre 2. L'articulation, entité fonctionnelle   37

inflammatoires chroniques, l'asthme ou l'athérosclérose − le réaction inflammatoire. De plus, trois cascades de protéases
contrôle de l'inflammation est dérégulé et ne permet plus la plasmatiques (le système des kinines, le système du com-
résolution du processus. L'inflammation persistante mène plément et le système de la coagulation) participent aussi à
alors à des dommages tissulaires, à des maladies inflamma- l'initiation de l'inflammation.
toires chroniques et à de l'auto-immunité par défaut d'élimi- La réaction inflammatoire à proprement parler débute
nation « d'épines irritatives » pour le système immunitaire. par une réponse vasculaire avec hyperhémie. Cette vaso-
dilatation avec augmentation du flux vasculaire explique
la rougeur et la sensation de chaleur. Il s'y associe une aug-
Déroulement de la réponse inflammatoire mentation de la perméabilité vasculaire responsable d'un
Le processus inflammatoire aigu est la réponse primaire à exsudat du compartiment sanguin vers le compartiment
de nombreux types d'agressions : infection, traumatisme interstitiel. L'œdème généré permet un apport local de
mécanique, ischémie, toxines, minéraux, cristaux, agents médiateurs chimiques et de moyens de défense (complé-
chimiques… Dans tous les cas, il est possible de constater ment, immunoglobulines…), une dilution des toxines de la
les signes cardinaux décrit par Aulus Cornelius Celsus, dans lésion, une limitation du foyer inflammatoire par une bar-
son traité De Medicina datant du ier siècle après J.-C. : dolor rière de fibrine et l'afflux de leucocytes. Parmi les média-
(douleur), calor (chaleur), tumor (gonflement) et rubor teurs présents, certains sont dits algogènes (Bradykinine,
(rougeur), auxquels a été plus récemment ajoutée la perte Prostaglandine E2…) car à l'origine d'un signal douloureux.
de fonction. Ces signes physiques sont sous-tendus par des La phase vasculaire aboutit à une migration de leucocytes
modifications histologiques. (d'abord polynucléaires, puis les cellules mononucléées :
La réaction inflammatoire évolue schématiquement en monocytes et lymphocytes), la diapédèse leucocytaire, s'ef-
3 phases (figure 2.14) : fectuant du sang vers le tissu agressé, en réponse à des fac-
■ une phase vasculaire générant un œdème inflammatoire, teurs attractants, les chimiokines. La diapédèse comporte :
■ une phase effectrice combinant une réaction cellulaire et ■ une étape de margination des leucocytes contre l'endo-
la détersion tissulaire, thélium vasculaire,
■ une phase de résolution associant réparation et remode- ■ puis l'adhérence des leucocytes aux cellules endothéliales
lage tissulaire. via la mise en jeu de diverses molécules d'adhésion (inté-
Ce processus fait intervenir des cellules (en particulier de grines, sélectines…) présentes sur les leucocytes et les
l'immunité innée), les vaisseaux sanguins et lymphatiques, cellules endothéliales,
la matrice extra-cellulaire et les médiateurs chimiques de la ■ enfin le passage trans-endothélial des leucocytes
réponse inflammatoire. au travers des jonctions intercellulaires des cellules
Le développement d'une inflammation implique la endothéliales.
reconnaissance de signaux de dangers. Cette détection est Une fois sur le site de la lésion, les leucocytes débutent
assurée par les cellules résidentes des tissus (macrophages, la seconde phase de l'inflammation, dite phase effectrice.
cellules dendritiques, cellules épithéliales) qui présentent Ces leucocytes sont activés, s'accumulent et forment, avec
divers récepteurs capables de reconnaître des motifs molé- les cellules du tissu conjonctif local, un granulome inflam-
culaires associés aux pathogènes (PAMP) et des motifs matoire. Ce granulome est évolutif et produit de nombreux
moléculaires associés aux dégâts tissulaires (DAMP) [3]. médiateurs inflammatoires (cytokines, chimiokines, fac-
La reconnaissance de ces signaux de danger induit une cas- teurs de croissance, radicaux libres, lipides). Leur fonction
cade de réactions aboutissant notamment à l'induction de la est de :

Figure 2.14 Déroulement de l'inflammation. Source : Perretti M, Leroy X, Bland EJ et al. Resolution pharmacology : opportunities for therapeu-
tic innovation in inflammation. Trends Pharmacol Sci, 2015, 36 : 737-55.
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38   Partie I. Rhumatologie pratique

■ développer une réaction immunitaire envers l'agent destruction tissulaire prennent alors le pas sur la recons-
agresseur, truction tissulaire.
■ modifier le tissu conjonctif environnant,
■ assurer la détersion du tissu par les cellules phagocytes
mononucléées (macrophages) et les polynucléaires. L'inflammation articulaire
L'étape de détersion s'effectue en parallèle de la réaction L'articulation est un site fréquemment touché par les phéno­
cellulaire. Elle assure le nettoyage du foyer inflammatoire mènes inflammatoires en rhumatologie. La structure de
pour le débarrasser de l'agent pathogène, des tissus nécrosés l'articulation a été abordée (voir chapitre 2, « Physiologie
et des cellules mortes. Cette étape prépare la dernière phase articulaire »). En situation inflammatoire, la membrane
de l'inflammation, la phase de résolution de l'inflammation. synoviale est classiquement touchée et l'on décrit une syno-
Dans l'idéal, cette dernière phase aboutit à une reconstitu- vite. Des particularités histologiques peuvent être individua-
tion ad integrum du tissu lésé. lisées selon l'étiologie de l'inflammation. Nous retiendrons
que les éléments clés de la synovite sont :
■ l'infiltrat inflammatoire constitué de cellules mononu-
La résolution de l'inflammation cléées dont les macrophages et les lymphocytes T et B, les
La résolution de l'inflammation a longtemps été vue comme cellules dendritiques,
un phénomène passif résultant de la disparition progressive ■ la production de médiateurs inflammatoires : cytokines
des médiateurs de l'inflammation [4]. Il devient clair, depuis (IL-1, IL-6, TNF, IL-17…), facteurs pro-angiogéniques
une vingtaine d'années, qu'il s'agit plutôt d'un phénomène actif (VEGF, IL8…), chimiokines (CCL2/MCP1, CCL5/
impliquant notamment des cellules immunitaires (dont les RANTES…), facteurs de croissance (GM-CSF, PDGF…),
macrophages) et des médiateurs lipidiques [5, 6]. Les média- radicaux libres (O2-, H2O2, NO…), médiateurs lipidiques
teurs actuellement reconnus comme pro-résolutifs sont : (prostaglandines type PGE2, leucotriènes),
■ les médiateurs lipidiques dérivés d'acides gras polyinsa- ■ l'implication des autres cellules ostéoarticulaires : ostéo-
turés (lipoxines, résolvines, protectines, marésines), clastes, ostéoblastes, ostéocytes, chondrocytes, synovio-
■ les protéines induites par les glucocorticoïdes endo- cytes fibroblastiques.
gènes : Glucocorticoid-induced leucine zipper (GILZ), Le phénomène inflammatoire s'étend jusque dans le
Annexine A1, Mitogen activated protein kinase phospha- liquide synovial dont la cellularité augmente, et éventuelle-
tase 1 (MKP-1), ment dans les tissus adjacents. En règle générale, sur le plan
■ bien que cela puisse paraître surprenant, les radicaux cellulaire, le liquide synovial inflammatoire est constitué
libres (anion superoxyde, peroxyde d'hydrogène…) majoritairement de PNN. Il peut toutefois aussi être lym-
connus pour leur action anti-microbienne et potentielle- phocytaire, mixte ou monocytaire en fonction de l'étiologie
ment délétère pour les cellules/tissus, participent aussi au envisagée (voir chapitre 7, « Analyse du liquide synovial »).
contrôle de la survie des leucocytes et donc au contrôle
de l'inflammation,
■ les prostaglandines cyclopentenones dérivées de la cyclo- Immunologie
oxygénase-2 (PG D2 et ses métabolites),
■ l'interleukine 10 produite par de nombreux types cellu- Généralités sur l'immunité
laires (macrophages, monocytes, cellules dendritiques, L'immunité est définie comme l'ensemble des mécanismes
cellules épithéliales…), de défense d'un organisme contre les éléments étrangers à
■ le système mélanocortine (hormone corticotrope : cet organisme, en particulier les agents infectieux (bactéries,
ACTH, mélanocortine α : αMSH…). virus, parasites, champignons) et les tumeurs. Elle regroupe :
La résolution de l'inflammation présente plusieurs ■ les barrières naturelles représentant la première ligne
aspects : de défense contre les pathogènes. Ces barrières sont
■ l'apoptose des polynucléaires neutrophiles (PNN), en constituées d'éléments physiques (peau, muqueuses,
lien avec l'induction de médiateurs pro-résolutifs et la cils, poils, drainage/toux/éternuement) et d'éléments
diminution des facteurs favorisant leur survie, chimiques (salive, sécrétion acide de l'estomac, mucus
■ la phagocytose des cellules apoptotiques par les macro- des muqueuses, enzymes des fluides corporels),
phages. Ce phénomène est appelé également efférocytose ■ le système immunitaire avec un versant dit inné, inter­
(du latin effere : « amener vers la tombe »), venant en seconde ligne de défense et un versant dit
■ le changement de phénotype des macrophages : pas- adaptatif intervenant en 3e ligne.
sant d'un macrophage pro-inflammatoire (dit M1), à un L'immunité est classiquement décrite de manière dicho-
macrophage dit alternatif (M2) spécialisé dans la produc- tomique. On distingue l'immunité innée et l'immunité
tion de médiateurs pro-résolutifs, adaptative dont les caractéristiques sont rapportées dans le
■ l'implication des autres cellules pro-résolutives [7] telles tableau 2.2. Ces deux versants de l'immunité interagissent
que les lymphocytes T régulateurs, entre eux et cette collaboration est nécessaire pour une
■ la reconstruction du tissu matriciel et le remodelage. réponse optimale.
Lorsque le remodelage est aberrant et source d'une L'immunité est en équilibre permanent avec un état de
fibrose extensive, on parle alors de cicatrice chéloïde. tolérance vis-à-vis de ses propres composants antigéniques
En l'absence de résolution de l'inflammation, la situation et des éléments environnementaux non délétères. En consé-
aboutit à une inflammation chronique. Les phénomènes de quence, un défaut d'immunité conduit à une susceptibilité
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Chapitre 2. L'articulation, entité fonctionnelle   39

accrue aux infections et aux cancers, alors qu'une réacti- sein de la moelle osseuse. Ce précurseur donne naissance à
vité immunitaire excessive conduit à une hypersensibilité deux lignées de cellules immunitaires : les cellules myéloïdes
telle qu'observée dans les maladies auto-immunes ou les et les cellules lymphoïdes. Ces cellules se distinguent par
allergies. leurs caractéristiques histologiques et par leurs marqueurs
Le système immunitaire regroupe l'ensemble des élé- de surface, aussi appelés clusters de différenciation (CD).
ments cellulaires et tissulaires impliqués dans les réponses Les leucocytes peuvent aussi être classés en fonction de leur
immunitaires de l'organisme contre des agents pathogènes. participation à la réponse immunitaire innée ou à la réponse
Son rôle est d'effectuer la surveillance immune de l'orga- immunitaire adaptative (figure 2.15).
nisme en le défendant contre les pathogènes extérieurs, mais Les cellules de l'immunité innée sont :
aussi de maintenir une homéostasie via l'élimination des ■ les monocytes : ils appartiennent au groupe des phago-
cellules devenues anormales. Le corollaire de cette fonction cytes. Ces cellules sanguines sont les précurseurs des
est de pouvoir faire la différence entre le soi normal (et y macrophages et de certaines cellules dendritiques,
être tolérant) et le soi altéré, voire le non-soi (et induire une ■ les macrophages : ils appartiennent au groupe des pha-
réaction immunitaire) [3]. gocytes. Un de leurs rôles majeurs est la phagocytose des
corps apoptotiques, des débris nécrotiques et des agents
pathogènes. Les macrophages participent aussi à la pro-
Cellules du système immunitaire duction de médiateurs inflammatoires, à la présentation
Le système immunitaire repose en grande partie sur les leu- d'antigènes et à la résolution de l'inflammation. Parmi
cocytes. Ces cellules sont issues d'un précurseur commun les macrophages, certains sont dits résidents (cellules de
(cellule souche hématopoïétique pluripotente) présent au Kupffer, microglie…), car présents en permanence au
sein des différents tissus de l'organisme où ils participent
Tableau 2.2 Caractéristiques de l'immunité à l'homéostasie. A contrario, d'autres macrophages sont
innée et de l'immunité adaptative
dits infiltrants, car recrutés en contexte inflammatoire et
.
Immunité innée Immunité différenciés à partir des monocytes sanguins.
adaptative ■ les cellules dendritiques : elles appartiennent au groupe
Apparition Naturellement Acquise après des phagocytes. Elles peuvent avoir une origine myéloïde
présente une 1re exposition ou une origine lymphoïde. Leur rôle premier est de capter
Spécificité Aspécifique Spécifique
les antigènes de leur environnement, puis de les présenter
d'un pathogène aux lymphocytes T et B, au sein des organes lymphoïdes
secondaires, afin de les activer. Elles participent donc à
Cinétique Mise en place rapide Mise en place
retardée
l'induction de la réponse adaptative. À noter qu'elles par-
ticipent aussi au maintien de la tolérance immunitaire
Mémoire Non Oui, protection
lors de l'éducation des lymphocytes (abordée dans le
immunologique spécifique
paragraphe organes lymphoïdes).
Acteurs Barrières physiques Cellulaire ■ les polynucléaires neutrophiles : ils appartiennent au
et chimiques, (lymphocytes T), groupe des granulocytes. Ce sont les leucocytes les plus
cellulaire humorale
(lymphocytes B,
nombreux du sang. Ils se distinguent par la présence
plasmocytes) de granulations d'aspect neutrophile (coloration de

Immunité innée Immunité adaptative


Monocyte Mastocyte

Lymphocyte B
Cellule Lymphocyte Tγδ
dendritique

Macrophage
Cellule lymphoïde
innée (NK) Lymphocyte T CD4

Lymphocyte NKT
Neutrophile

Lymphocyte T CD8
Basophile Éosinophile

Figure 2.15 Les cellules immunitaires. Source : adapté de Ait-Oufella H, Sage AP, Mallat Z, Tedgui A. Adaptive (T and B Cells) Immunity and
Control by Dendritic Cells in Atherosclerosis. Circulation Research. 2014, 114 : 1640-60.
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40   Partie I. Rhumatologie pratique

May Grünwald Giemsa) dans leur cytoplasme. Ils par- Les cellules de l'immunité adaptative sont des lympho-
ticipent à la phagocytose (bactéries, autres cellules) et cytes qui reconnaissent des antigènes spécifiques présen-
à la libération de médiateurs inflammatoires tels que tés par les cellules présentatrices (cellules dendritiques,
les radicaux libres, en particulier lors des infections macrophages), à leur récepteur (TCR [T cell receptor] pour
bactériennes. les lymphocytes T, BCR/immunoglobuline pour les lym-
■ les polynucléaires basophiles : ils appartiennent au phocytes B). Les lymphocytes sont dits naïfs lorsqu'ils n'ont
groupe des granulocytes. Comme leur nom l'indique, ils pas encore rencontré l'antigène dont ils sont spécifiques. Ils
se distinguent par des granulations basophiles qui jouent s'activent après avoir reçu trois signaux :
un rôle dans la réaction allergique en produisant notam- ■ la présentation de l'antigène dont ils sont spécifiques par
ment de l'histamine. une cellule présentatrice d'antigènes,
■ les polynucléaires éosinophiles : ils appartiennent au ■ les signaux de costimulation induits par la cellule présen-
groupe des granulocytes. Ils se distinguent par des tatrice d'antigène,
granulations acidophiles. Ils participent à la défense ■ le signal cytokinique produit dans sont environnement.
anti-parasitaire. Certains lymphocytes activés deviendront des cellules
■ les mastocytes. Ces leucocytes exclusivement tissulaires mémoires de longue durée de vie, permettant, lors des ren-
comportent de nombreuses granulations qui participent contres ultérieures avec le même antigène, de déclencher
aux modifications vasculo-exsudatives de la réponse une réaction immunitaire adaptative (donc spécifique) plus
inflammatoire, mais aussi à la réaction allergique menant rapide.
parfois au choc anaphylactique. Ils sont caractérisés
par l'expression du récepteur au fragment constant des Lymphocytes B
immunoglobulines E (IgE). Ce récepteur engendre une Ce sont les principaux acteurs de l'immunité à médiation
dégranulation lorsque l'IgE qu'il lie rentre en contact avec humorale (via la production d'anticorps/immunoglobu-
l'allergène dont elle est spécifique. lines). Ils sont caractérisés par la présence de l'antigène de
■ les cellules lymphoïdes innées. Il en existe trois types, le surface CD20. Une fois activés, ils se différencient en plas-
plus connu étant les lymphocytes NK (Natural Killer). mocytes producteurs d'immunoglobulines monoclonales
Bien qu'issues d'un progéniteur lymphoïde, elles parti- ou en lymphocytes B mémoires. Les immunoglobulines
cipent à l'immunité innée. Les NK sont caractérisés par produites permettent la neutralisation des agents patho-
l'antigène de surface CD56. Ces cellules interviennent gènes dont elles sont spécifiques.
dans l'élimination des cellules du soi modifié (cellules
infectées, cellules tumorales). La capacité des NK à éli- Lymphocytes T auxiliaires
miner spontanément ces cellules, sauf en présence de Ils sont caractérisés par la présence de l'antigène de surface CD4.
ligands inhibiteurs signant la bonne santé de la cellule Leur rôle est de réguler la réponse immunitaire adaptative en
cible, explique ce qualificatif de « cellules tueuses natu- l'orientant vers une défense de type Th1 anti-pathogène intra-
relles ». Deux autres types de cellules lymphoïdes innées cellulaire (virus, bactéries), Th2 anti-parasite extra-cellulaire,
ont été identifiés récemment. Ils participent à l'immunité Th17 anti-fongique et anti-bactérie extra-­cellulaire ou T régu-
mucosale intestinale et respiratoire. latrice pour la tolérance immune (figure 2.16).

Lymphocytes
Th1
• IFN-γ, TNF, IL-2
• Réponse cellulaire anti-virale et bactérienne
• Maladies auti-immunes

-γ Lymphocytes
IFN Th2
• IL-4, IL-5, IL-3
12,
IL- • Réponse humorale anti-parasites extra-cellulaires
+ • Allergie
Cellule
présentatrice -4
d’antigène Lymphocyte + IL
T CD4 naïf Lymphocytes
Th17
+ IL-6, IL-23, TGFβ • IL-17, IL-21, IL-22
+ • Défense anti-bactéries extra-cellulaires et fongiques
• Maladies auto-immunes
+ IL
-2,
• présentation d’antigène TGF
β
• Costimulation Lymphocytes
• Cytokines T régulateurs
• TGFβ, IL-10, IL-35
• Tolérance immune
• Cancer

• Tfh, Th3, Th9, Tr1, ...

Figure 2.16 Polarisation des lymphocytes T auxiliaires. IL : interleukine ; Tfh : lymphocyte T auxiliaire folliculaire (T follicular helper) ; TGFβ :
Transforming growth factor bêta ; Th : lymphocyte T auxiliaire ; Tr1 : lymphocytes T régulateurs de type 1. Source : adapté de Swain SL, McKinstry
KK, Strutt TM. Expanding roles for CD4+ T cells in immunity to viruses. Nat Rev Immunol 2012, 12 : 136–48.
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Chapitre 2. L'articulation, entité fonctionnelle   41

Lymphocyte T cytotoxique Ces petites protéines solubles interviennent dans le déve-


Il est caractérisé par la présence de l'antigène de surface loppement, la différenciation et la régulation des cellules
CD8. Il participe à l'immuno-surveillance en éliminant les immunes. Leur action s'exerce sur la cellule productrice
cellules exprimant des antigènes du non-soi (virus, tumeur, (effet autocrine), sur les cellules adjacentes (effet juxta-
greffon). La cellule cible est alors éliminée par la libération crine), sur les cellules du voisinage (effet paracrine) ou les
de protéines cytolytiques (perforine, granzyme). cellules à distance (effet endocrine).
Certaines cellules sont à l'interface entre l'immunité La famille des cytokines comprend les interleukines
innée et l'immunité adaptative : (IL), les interférons, les chimiokines, la famille du facteur
■ les lymphocytes T γδ. Ces lymphocytes T non conven- de nécrose tumorale (TNF), les facteurs de croissance des
tionnels se distinguent par un récepteur particulier aux colonies (CSF), les facteurs de croissance de transformation
antigènes qui ne nécessite pas d'interaction avec les cel- (TGF) [8].
lules présentatrices. Leur fonction cytotoxique, proche de
celle des NK, rentre dans le cadre de l'immunité innée, Interleukines
alors que leur récepteur TCR et leur capacité de mémoire Il s'agit d'un groupe hétérogène de par leur structure,
immunologique rendent compte d'une participation à leur mode de signalisation et leur fonction. On distingue
l'immunité adaptative. classiquement :
■ Les lymphocytes NKT. Cette cellule est intermédiaire ■ les interleukines apparentées à l'IL-1,
entre le lymphocyte NK et le lymphocyte T. Ils ne recon- ■ les interleukines utilisant la chaîne commune gamma
naissent pas des antigènes protéiques mais des glyco- (CD132),
lipides. Ils produisent de grandes quantités de cytokines. ■ les interleukines utilisant la chaîne commune bêta
(CD131),
Organes lymphoïdes ■ les interleukines apparentées à l'IL-6.
Les organes lymphoïdes jouent un rôle dans la lymphopoïèse Interférons
(production des lymphocytes) et la régulation de la réponse
immune. Une grande partie de la réaction immunitaire est Ces cytokines sont produites en contexte d'infection micro-
orchestrée au sein des organes lymphoïdes. On distingue les bienne (majoritairement virale) ou d'affection tumorale.
organes lymphoïdes primaires et secondaires. Leur rôle est d'interférer avec la multiplication de l'agent
pathogène.
Organes lymphoïdes primaires
Chimiokines
Ils permettent la production et la maturation des lym-
phocytes. Il s'agit de la moelle osseuse et du thymus. Chez Ces petites cytokines sont produites en contexte inflam-
l'adulte, la moelle osseuse des os courts et plats est le site matoire. Contrairement aux interleukines, elles présentent
de l'hématopoïèse et donc de production de l'ensemble une homologie de structure et des fonctions redondantes.
des leucocytes de l'organisme. Le thymus est le site de dif- Elles exercent un pouvoir dit de chimiotactisme, car elles
férenciation et d'éducation des lymphocytes T. Il permet contrôlent la migration des cellules vers le foyer inflamma-
la sélection des lymphocytes T réactifs et l'élimination des toire et vers les organes lymphoïdes. Leur nomenclature est
lymphocytes T autoréactifs, potentiellement délétères pour basée sur leur structure : la position des 2 premiers résidus
l'organisme. cystéines de leur structure primaire permet de distinguer les
C, les CC, les CXC et les CX3C chimiokines.
Organes lymphoïdes secondaires
La famille du facteur de nécrose tumorale (TNF)
Ils incluent les ganglions lymphatiques, la rate, les plaques
de Payer et l'anneau lymphoïde du pharynx incluant les Il s'agit d'un groupe de cytokines d'importance majeure
amygdales. Les ganglions lymphatiques sont traversés par la dans l'inflammation. Cette famille de cytokines interagit
lymphe qui draine les tissus de l'organisme. Ces structures aussi avec des récepteurs contrôlant la mort cellulaire.
permettent d'apporter les antigènes auprès des cellules pré-
sentatrices qui induisent alors une activation et une prolifé- Facteurs de croissance de colonies (CSF)
ration des cellules immunitaires. La rate n'est pas tributaire Ils participent à l'hématopoïèse (prolifération et différen-
de la lymphe mais du sang. Elle intervient dans la défense ciation des cellules sanguines), ainsi qu'à l'activation des
contre les germes encapsulés (pneumocoque, méningo- leucocytes.
coques). Elle participe aussi à la destruction des hématies
sénescentes. Les plaques de Payer sont des agrégats iléaux de
Facteurs de croissance de transformation (TGF)
follicules lymphoïdes jouant le rôle de sites d'activation pour
les lymphocytes de l'intestin. Ils participent aux phénomènes de cicatrisation, de fibrose
et de contrôle des cellules immunes.
Le rôle central des cytokines dans l'immunité explique
Cytokines qu'elles soient devenues des cibles thérapeutiques de choix
La communication entre les différentes cellules du système dans la stratégie de prise en charge des maladies dysimmu-
immunitaire passe par des médiateurs appelés cytokines. nitaires [9].
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42   Partie I. Rhumatologie pratique

Tableau 2.3 Les maladies immunitaires à expression rhumatologique

.
Maladies auto-inflammatoires Maladies auto-inflammatoires Maladies à caractéristiques Maladies auto-immunes
monogéniques polygéniques mixtes polygéniques
• FMF • Maladie de Crohn • spondylarthrite ankylosante • polyarthrite rhumatoïde
• TRAPS • RCH • rhumatisme psoriasique • lupus
• CAPS • Arthrose • arthrites réactionnelles • syndrome de Sjögren
• PAPA • arthropathies microcristallines • uvéites HLA-B27 + • dermatopolymyosite
• Syndrome de Blau • vascularites sans anticorps • maladie de Behçet • polymyosite
• Syndrome hyper IgD • maladies associées à • sclérodermie
un érythème noueux • vascularites à ANCA
(sarcoïdose…) • maladie cœliaque
FMF : Fièvre méditerranéenne familiale ; TRAPS : Syndrome périodique associé au récepteur 1 du facteur de nécrose tumorale ; CAPS : Syndrome périodique
associé à la cryopyrine ; PAPA : Syndrome arthrite purulente stérile, pyoderma gangrenosum, acné ; RCH : Rectocolite hémorragique. Les rares maladies auto-
immunes monogéniques (IPEX, APECED, ALPS) ne sont pas représentées ici.

La pathologie immunologique révolutions thérapeutiques telles que l'apparition des biothé-


en rhumatologie rapies anti-cytokines. De nouvelles stratégies thérapeutiques
ciblant des mécanismes ubiquitaires de l'inflammation, ou
L'objectif de la réponse immune est de permettre la survie plus spécifiquement la résolution de l'inflammation, sont
de l'hôte face à un agent pathogène. Toutefois, dans certains en cours de développement. L'objectif ultime reste d'obtenir
cas, cette réponse peut s'avérer anormale et délétère. C'est ce des traitements curateurs des pathologies inflammatoires
qui est observé dans les maladies du système immunitaire. chroniques.
Nous n'aborderons pas ici le problème des déficits immu-
nitaires qui, dans certains cas (déficit immunitaire commun
variable, par exemple), peuvent présenter une expression Références
rhumatologique.
On oppose habituellement les maladies auto-immunes [1] Serhan CN, Savill J. Resolution of inflammation : the beginning pro-
grams the end. Nat Immunol 2005 ; 6 : 1191–7.
aux maladies auto-inflammatoires. Cette classification tient
[2] Medzhitov R. Inflammation 2010 : new adventures of an old flame.
actuellement compte du type d'immunité mise en jeu (innée Cell 2010 ; 140 : 771–6.
versus adaptative), et de la composante génétique sous- [3] Matzinger P. Tolerance, danger, and the extended family. Ann Rev
jacente (monogénique versus polygénique) (tableau 2.3). Les Immunol 1994 ; 12 : 991–1045.
maladies auto-immunes sont caractérisées par une mise en [4] Majno G. Inflammation and infection : historic highlights. Monogr
jeu de l'immunité adaptative, avec une rupture de tolérance Pathol 1982 ; 1–17.
immunitaire responsable de l'apparition de lymphocytes T [5] Alessandri AL, Sousa LP, Lucas CD, et al. Resolution of inflamma-
auto-réactifs. C'est typiquement le cas de la polyarthrite tion : mechanisms and opportunity for drug development. Pharmacol
rhumatoïde ou du lupus. Les maladies auto-inflammatoires Ther 2013 ; 139 : 189–212.
sont caractérisées par une mise en jeu de l'immunité innée, [6] Perretti M, Cooper D, Dalli J, et al. Immune resolution mechanisms in
inflammatory arthritis. Nat Rev Rheumatol 2017 ; 13 : 87–99.
non provoquée par une situation pathologique et n'impli-
[7] Ortega-Gomez A, Perretti M, Soehnlein O. Resolution of inflamma-
quant pas d'auto-anticorps ni de lymphocytes autoréactifs tion : an integrated view. EMBO Mol Med 2013 ; 5 : 661–74.
[10]. La fièvre méditerranéenne familiale et la goutte en sont [8] Cameron MJK, Cytokines DJ. Chemokines and Their Receptors. In :
deux illustrations. Certaines maladies telles que les spon- Bioscience L, editor. Madame Curie Bioscience Database ; 2013.
dyloarthrites se trouvent à l'interface entre maladie auto- [9] Schwartz DM, Bonelli M, Gadina M, et al. Type I/II cytokines,
immune et maladie auto-inflammatoire. JAKs, and new strategies for treating autoimmune diseases. Nat Rev
Rheumatol 2016 ; 12 : 25–36.
[10] Park H, Bourla AB, Kastner DL, et al. Lighting the fires within :
the cell biology of autoinflammatory diseases. Nat Rev Immunol
Conclusion 2012 ;12 : 570–80.
[11] Perretti M, Leroy X, Bland EJ, et al. Resolution pharmacology :
La mise en jeu du système immunitaire lors des réactions opportunities for therapeutic innovation in inflammation. Trends
inflammatoires est une réaction bénéfique pour l'orga- Pharmacol Sci 2015 ; 36 : 737–55.
nisme. Toutefois, dans certains cas, tels que les rhuma- [12] Ait-Oufella H, Sage AP, Mallat Z, Tedgui A. Adaptive (T and B
tismes inflammatoires chroniques, cette inflammation Cells) Immunity and Control by Dendritic Cells in Atherosclerosis.
devient non-contrôlée et génère des dommages tissulaires. Circulation Research 2014 ; 114 : 1640–60.
La connaissance des mécanismes immunologiques qui [13] Swain SL, McKinstry KK, Strutt TM. Expanding roles for CD4+ T
sous-tendent ces conditions pathologiques a permis des cells in immunity to viruses. Nat Rev Immunol 2012 ; 12 : 136–48.
3
BIBLIOTHEQUE DE LA RECHERCHE BIBLIOGRAPHIQUE SCIENCE MEDICALE
Chapitre

Sémiologie ostéo-articulaire
PLAN DU CHAPITRE
La douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 Impotence fonctionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
Définition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54
Physiologie des voies de la nociception . . . . . 44 L'examen clinique en rhumatologie . . . . . . 55
De la théorie à la pratique : la dualité Signes fonctionnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
de la douleur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50 Signes physiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
Douleurs de l'appareil ostéo-articulaire Examen général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
chez l'adulte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

La douleur Une telle définition souligne :


■ une variabilité du lien entre la lésion et la douleur,
■ la double composante sensorielle (composante nocicep-
Bernard Mazières tive) et émotionnelle (composante affective qui confère
« L'homme devrait savoir que la joie, le plaisir, le rire à la douleur sa tonalité désagréable, pénible, voire insup-
et le divertissement, le chagrin, la peine, le décourage- portable) de l'expérience douloureuse,
ment et les larmes ne peuvent venir que du cerveau… et suggère que cette douleur dépend elle-même de l'état pré-
C'est à cause du même organe que l'on peut deve- alable du sujet (biologique, médical, affectif, émotionnel, psy-
nir fou et dément et que la peur et l'angoisse nous chologique, sociologique…), expliquant un seuil de tolérance à
assaillent…Je considère donc que le cerveau exerce le la douleur variable dans le temps et d'un individu à l'autre.
plus grand pouvoir sur l'homme. » La douleur est donc une expérience subjective, elle est ce
Hippocrate. La maladie sacrée (ive siècle av. J.-C.) que la personne qui en est atteinte dit qu'elle est.
Fondamentalement, la douleur aiguë est un signal d'alarme
La douleur est le principal signe d'appel qui conduit chez qui protège l'organisme en déclenchant des réponses réflexes
un médecin pour une affection musculo-squelettique. Elle et comportementales dont la finalité est d'en supprimer la
est le motif de consultation auprès du rhumatologue dans cause et donc d'en limiter les conséquences.
96 % des cas2. L'écoute attentive du patient, la caractérisa- Un modèle multidimensionnel de la douleur [2] a été
tion de cette douleur, l'évaluation de son intensité et de son proposé, d'autant plus pertinent que la douleur se prolonge
retentissement sur le malade sont les clés – parfois uniques – (figure 3.2).
du diagnostic, de la prise en charge thérapeutique et même ■ Composante sensori-discriminative : elle correspond aux
du pronostic. mécanismes neurophysiologiques permettant le déco-
Les limitations d'activités (professionnelles et domestiques) dage de la qualité, de la durée, de l'intensité et de la loca-
du fait de la douleur (figure 3.1) sont fréquentes [1], justifiant lisation des messages nociceptifs.
la circulaire DGS/DH n° 94-3 du 7 janvier 1994 « relative à ■ Composante affectivo-émotionnelle déterminée non seule­
l'organisation des soins et la prise en charge des douleurs ment par la cause de la douleur elle-même, mais égale­
chroniques » en France et les différents plans du « programme ment par son contexte. La signification de la maladie,
national de lutte contre la douleur » qui ont suivi. l'incertitude sur son évolution sont autant de facteurs qui
viennent moduler le vécu douloureux. Cette composante
affective peut se prolonger vers des états émotionnels voi-
Définition sins, comme l'anxiété ou la dépression.
■ Composante cognitive, ensemble des processus mentaux
« La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle susceptibles d'influencer la douleur et les réactions
désagréable, liée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, comportementales qu'elle détermine : processus d'at-
ou décrite en termes évoquant une telle lésion », d'après tention et de diversion de l'attention, interprétations et
l'IASP (International Association for the Study of Pain). valeurs attribuées à la douleur, anticipations, références
à des expériences douloureuses antérieures person-
2
Par convention, les douleurs d'origine cancéreuse ne seront pas traitées nelles ou observées, décisions sur le comportement à
dans ce chapitre. adopter.

Rhumatologie
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BIBLIOTHEQUE DE LA RECHERCHE BIBLIOGRAPHIQUE SCIENCE MEDICALE
44   Partie I. Rhumatologie pratique

35

30 % limitation d'activités liée à la douleur

25

20

15

10

0
15–24 25–64 65–84 85+

Figure 3.1 Limitation des activités (professionnelles ou personnelles) liées à la douleur. Pourcentage selon l'âge, en population
générale (échantillon de 25 713 personnes), des personnes ayant répondu « beaucoup » ou « énormément » à la question : « au cours
des quatre dernières semaines, dans quelle mesure vos douleurs physiques vous ont-elles limité dans votre travail ou vos activités
domestiques ? » [1].

Comportements douloureux : ensemble des manifestations


Comportements verbales et non verbales observables chez un patient douloureux.
douloureux Assure une fonction de communication avec l'entourage.

Souffrance : envahissement de la vie par la douleur et émotions liées.


Souffrance Impossibilité de détourner son attention de la douleur.

Émotions Émotions : Phase aiguë : anxiété, peur, stress.


Phase chronique : dépression.

Pensées
Pensées et cognitions :
distinction par le cerveau entre « bonne » et « mauvaise » douleur.
Sensation
de douleur
Sensation douloureuse : intégration au cerveau.

Naciception
Lésion tissulaire Lésion tissulaire : naciception par les fibres C et Aδ

Modification du signal par l'environnement.

Figure 3.2 Conception multidimensionnelle de la douleur.

■ Composante comportementale qui englobe l'ensemble des perception (projections thalamocorticales). À cette cascade
manifestations verbales et non verbales observables chez s'ajoutent des mécanismes de contrôle à tous les niveaux.
la personne qui souffre (plaintes, mimiques, postures Il existe deux voies sensitives qui acheminent les mes-
antalgiques, impossibilité de maintenir un comportement sages sensitifs au cerveau : la voie lemniscale (concerne la
normal). Elles assurent aussi une fonction de communi- proprioception, le tact et les vibrations) et la voie spinotha-
cation avec l'entourage (familial, professionnel, soignant) lamique (concerne les messages thermiques et douloureux)
dont les réactions peuvent interférer avec le comporte- (figure 3.3).
ment du malade douloureux et contribuer à son entretien. L'influx douloureux, quant à lui, est véhiculé par deux
grandes voies :
■ voie de la sensation : celle de la douleur rapide, transmise
Physiologie des voies par les fibres A δ, responsable de la douleur localisée,
précise, qui rejoint le thalamus latéral par le faisceau néo-
de la nociception [3–5] spinothalamique, puis le cortex sensitif (aires S1 et S2),
La nociception est le processus sensoriel à l'origine du message ■ voie de l'émotion et du comportement : celle de la douleur
nerveux qui provoque la douleur. Entre le message douloureux tardive, diffuse, transmise par les fibres C, responsable
et la perception de la douleur, il existe une cascade électrique de la douleur lente, qui – après relai au niveau du tronc
et chimique en 4 étapes : transduction (nocicepteurs), trans- cérébral – rejoint le thalamus médian, puis les structures
mission (protoneurone), modulation (voie spinothalamique), limbiques et le cortex frontal.
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vous chez vous? Rien. Pire que rien. Croyez-nous, Madame, il est ici à sa
place. Et, si Dieu le permet, une fois accomplis les deux ans que nous vous
avons demandés, il vous reviendra transformé enfin, aussi bien par le temps
que par nos cordiaux efforts.»

Elle monta le perron, trébuchante, sentant que son cœur lui manquait,
son cœur qui n’en pouvait plus. De ce voyage si joyeusement accompli, ne
rapporter que la certitude d’être haïe par son enfant!
Sur le seuil, dans l’ombre, une voix moqueuse:
—Eh bien?... Tu le ramènes?...
—Oh! Jacques!...
Elle venait de s’abattre sur l’épaule de son frère stupéfait. Ce fut toute
secouée par son chagrin qu’il l’emmena doucement jusqu’au petit salon de
leurs veillées. Il avait fait faire un peu de feu dans la cheminée. La lampe
basse éclairait la petite table.
Tombée dans son fauteuil de tapisserie, Mᵐᵉ Carmin pleura longtemps, la
tête dans ses mains. L’oncle Jacques, debout, ne voyait que son chapeau,
qui remuait par petites saccades. Il ne savait que dire ni que faire, rien ne
l’ayant habitué jamais aux gestes de la tendresse. Simplement il hochait la
tête en répétant: «Voyons!... Voyons!...» Et sa rancune contre Laurent
grandissait encore, car il savait bien que tout cela venait, naturellement, de
cet enfant épouvantable.
Quand elle se fut un peu calmée, qu’elle eut retiré son chapeau tout en
approchant ses pieds de la flamme, elle commença de raconter son voyage.
Et, tout d’abord, la vanité maternelle la redressa, face au sourd ennemi de
son fils.
—Tu sais, il travaille très bien! Ces messieurs sont absolument édifiés.
Ils ne savent que faire pour le récompenser!
Devant ce triomphe inattendu, l’autre pinçait les lèvres.
—Mais, alors, tout va bien! Pourquoi pleures-tu?
—C’est que je croyais le ramener... dit-elle.
Là-dessus, son cœur gros, une fois de plus, creva.
—Mais, alors, qu’est-ce qu’il y a?... demanda Jacques de Bonnevie. Est-
ce qu’il est malade?...
—Non... Non... sanglota-t-elle, il va très bien.
Et, tout en détournant sa pauvre figure, déformée par la lippe du chagrin,
elle se mit à fouiller dans son grand sac de soie noire, maladroitement,
gênée par ses larmes.
—Tiens!... Tu vas voir sa photographie. Ils me l’ont donnée...
Comme elle sortait les objets du sac pour mieux chercher, les deux écrins
qui contenaient le chapelet de nacre et la montre d’or apparurent.
—Comment?... s’étonna Jacques, tu rapportes tes cadeaux?...
Elle ne put pas répondre et fit signe avec sa tête: «Oui.» Puis, dans un
spasme qui entrecoupait les mots:
—Il... il n’en a pas voulu!...
Le vieux garçon ouvrit d’abord la bouche, puis mordit lentement sa lèvre
inférieure. Peut-être commençait-il à comprendre.
Nerveusement, pressée de se changer les idées, elle tendit la
photographie enfin trouvée.
—Tiens!...
Elle s’était levée pour regarder avec son frère. Ayant baissé la
photographie sous la lampe, celui-ci chercha son lorgnon. Quand il l’eut
enfin ajusté:
—Oh! mon Dieu!... cria-t-il.
—Eh bien! qu’est-ce que tu as?... Il a engraissé, n’est-ce pas, et
grandi?... Et puis... et puis, il n’a plus ses boucles sur le front...
Mais Jacques la regardait avec un visage tel qu’elle crut qu’il devenait
fou.
—Mais enfin, qu’est-ce que tu as?... Vas-tu me le dire, à la fin?
—Ce que j’ai?... Alice, Alice!... Et dire que j’ai écrit à mon
collectionneur d’Italie une lettre pour lui dire qu’il n’était qu’un imbécile et
que la gravure qu’il m’avait envoyée... Alice! Alice... Mais c’est effrayant!
Mais c’est admirable!... Ah! ah!... Vous ne direz plus que je rêve!... Oh!...
c’est trop fort!... C’est trop fort! Et dire qu’on ne voit pas ça sur les êtres et
qu’on le voit sur leurs portraits! Tu vas juger toi-même, tiens! Je cours là-
haut chercher la gravure. Où est la bougie? Attends-moi un instant, et tu vas
voir!
Avant qu’elle fût revenue de sa surprise, il s’était précipité, sa bougie à
la main.
—Vieux fou!... pensa-t-elle.
Mais un trouble étrange montait en elle, qui lui faisait trembler les
jambes.
Il redescendit, souffla sa bougie avec violence, faillit casser le bougeoir
en le remettant sur la cheminée, et, sous la lampe, à côté de la photographie,
il posa précieusement une petite gravure jaune, faite d’après quelque
tableau de la Renaissance, figure d’homme méticuleusement dessinée, qui,
la barbe frisée, le cou nu dans des mailles, reproduisait avec une exactitude
presque parfaite le front si particulier de Laurent, tel que le révélait la
photographie, maintenant que les boucles n’y étaient plus pour cacher tout.
Elles étaient là sur les deux portraits, les petites cornes prêtes à naître
sous la racine des cheveux, faunesques, diaboliques, signe
incompréhensible, anomalie dans la famille. Et même, en examinant de plus
près, on reconnaissait une ressemblance entre les yeux de Laurent, larges et
rapprochés, et ceux de la gravure, tandis que ses mâchoires vigoureuses, sa
bouche impérieuse et royale n’étaient pas sans similitude avec les traits du
personnage ancien.
—Regarde!... Regarde!... murmurait Jacques de Bonnevie avec une sorte
de peur. Tu vois? Celui-là, mon correspondant me l’affirme, c’est Laurent
Buonavita. Reconnais-tu ton fils?
—Laurent Buonavita?... tressaillit-elle, pourquoi l’appelles-tu Laurent?
—Mais, répondit-il, parce que Laurent et Lorenzo c’est le même nom!
Elle lui jeta furtivement un regard étrange. Et, penchée sur les deux
portraits:
—C’est pourtant vrai! Voilà bien son front, son front auquel on ne
comprend rien!
Béants, ils se dévisagèrent parmi le vert clair-obscur que leur renvoyait
l’abat-jour trop bas.
Est-ce que, pendant quinze ans, Jacques de Bonnevie, sans même y
croire, poussé par on ne savait quel mystérieux génie, avait travaillé, moqué
de tous, à découvrir la vérité?
Le vieux garçon s’essuya le front. En cette minute suprême il croyait
déchiffrer toutes les énigmes: son acharnement, sa foi malgré son propre
doute, et aussi des petits et des grands signes auxquels il n’avait pas su
prêter attention. Il revit son neveu dans le parc, enfonçant la lame de son
canif dans les arbres; il le revit saccageant les papiers dans son cabinet; il le
revit à cheval, la figure ensanglantée et riant; il entendit les histoires de
rapines racontées par les galopins du village; il s’expliqua le casse-tête, le
petit Quesnot éborgné, tout ce qu’ensuite avait raconté la lettre des
Jésuites...
Il y eut de l’épouvante et du triomphe dans le grand cri qu’il poussa:
—C’est un condottiere!
Sa sœur fit un geste pour lui mettre la main sur la bouche:
—Tais-toi!
Et tous les deux, comme envoûtés, restèrent, la tête basse, engloutis dans
leurs réflexions.
Au bout d’un long moment, approchant les fauteuils, ils se courbèrent de
nouveau sur les deux images.
—Et dire que nous ne savions pas!... murmura-t-il, car enfin, moi, je ne
croyais pas absolument ce que j’affirmais, dire que nous ne comprenions
pas que Laurent, que j’avais appelé comme ça sans savoir, c’était vraiment
Lorenzo, la répétition de notre premier ancêtre!
Elle parla si bas qu’il l’entendit à peine.
—Moi je le savais...
—Qu’est-ce que tu dis?... cria-t-il.
Elle continua, décomposée, haletante:
—Je le savais depuis... depuis ta lecture d’un soir. Tu te souviens?... Je
t’ai fait répéter ce passage?... Car... tu ne sais pas encore tout. La blessure
de Clémentine ne vient pas d’une chute. C’est Laurent qui l’a frappée, en
lui jetant son verre à la tête, un jour qu’il était entré à cheval dans la cuisine,
pour lui demander à boire...
Il écarquillait ses yeux myopes, tout en l’écoutant.
—Rien ne m’étonne, souffla-t-il, maintenant!
Alors, une sorte de lyrisme l’anima.
—Des Italiens, nous!... Toi!... Moi!... Nos parents!... Nos grands-
parents!... Nous, ces braves Normands encroûtés!... Mais qu’est-ce qui
dormait donc derrière notre bourgeoisisme de hobereaux tranquilles?
Enfin!... Tu n’es pas passionnée, toi!... Tu n’as pas l’air!... Et moi!... Et tous
les nôtres!... Pourquoi faut-il que ce petit... Qui sait?... C’est peut-être ce
mariage entre cousins qui a refait tout d’un coup le sang oublié du grand
passé, qui a refait un héros!
—Un héros!... répéta-t-elle amèrement.
—Oui, un héros!... s’emporta-t-il. Cet enfant-là, mais à une autre époque
que la pauvre nôtre, il aurait été chef, un grand chef! Il avait tout: la
violence, la fierté, le courage, l’autorité, la volonté, l’orgueil. Il était beau,
sain, dominateur. Il était né pour la gloire! Et voilà: dévoyé dans un temps
qui n’est pas le sien, il finit ou plutôt commence dans une maison de
correction!... Pauvre petit!
Elle fit entendre un rire désespéré.
—Ah! tu le plains, maintenant!
—Oui, je le plains! Car ce n’est pas un vrai vivant. C’est un réapparu!
Ils s’étaient tournés tous deux du côté de la cheminée. Le feu qui baissait
faisait passer par instants des ombres et des lumières sur leurs deux faces
profondément altérées. Un silence, encore une fois, les laissa plongés dans
les rêves. Alors, lentement, Jacques de Bonnevie, penché vers sa sœur,
articula tout bas, avec une espèce de curiosité terrifiée:
—Alice... Alice, dis?... Qu’est-ce que c’est... qu’est-ce que c’est donc
que cet enfant que tu as fait là?...
XI

LE MAITRE

Elle avait prié son frère de ne pas montrer à l’abbé Lost la troublante
gravure, et, du reste, de ne plus jamais faire allusion à leur découverte.
Ainsi lui semblait-il jeter un voile de silence sur cette nouvelle angoisse.
«Coïncidence...» songea-t-elle au bout d’un mois.
Au bout de deux, elle était en plein doute.
Cependant, une fièvre agitait Jacques de Bonnevie.
Celui-ci venait de toucher du doigt les réalités. Il n’était plus dans le
songe. Il travaillait en pleine lumière. Que sa sœur ne voulût plus le suivre
ne le décourageait en rien.
Avec quelle impatience il attendait désormais ce neveu qu’il avait vu
partir avec tant de plaisir!
—Ote-le donc de cette sale boîte, qu’on le revoie, maintenant!
Une curiosité de savant devant sa découverte, curiosité palpitante,
implacable, presque monstrueuse, lui faisait souhaiter le retour rapide du
galopin qui l’avait tant exaspéré. Car il ne s’agissait plus du «sale gosse»
renverseur d’encriers et casseur de carreaux; il s’agissait d’une apparition
quasi surnaturelle.
Jacques de Bonnevie était fier de son petit condottiere comme s’il l’eût
forgé de ses propres mains, comme si, d’entre ses paperasses de vieux
maniaque, le deuxième Lorenzo Buonavita fût sorti tout vivant, comme si,
secouant ses livres, l’historien eût vu tomber d’entre les pages, en chair et
en os, son personnage, comme si, l’ayant pendant quinze ans appelé du fond
des Légendes, l’autre eût soudainement répondu: «Me voici!»
*
**
L’abbé Lost et son église furent le grand refuge de la mère douloureuse
pendant les longs mois qui vinrent, pleins de privation maternelle,
d’angoisse et d’anxiété.
Les lettres régulières de l’institution répétaient toutes la même chose.
Laurent ne modifiait en rien l’attitude qu’il avait prise. Son cœur continuait
à ne pas s’ouvrir. Mais il travaillait. Que pouvait-on demander de plus?
—Tant qu’il ne m’écrira pas lui-même, sanglotait Mᵐᵉ de Bonnevie, je
serai plus malheureuse que si je l’avais perdu!
—Suivez pieusement les chemins de votre calvaire... disait l’abbé.
Les neuvaines se succédaient, et aussi les dons pour les pauvres de la
paroisse. Ces sacrifices d’argent coûtaient tant à la regardante châtelaine qui
lui semblait devoir en être récompensée à la fin.
Son visage se transforma, vieillit. Son austérité devint presque ascétique.
—Depuis qu’ son gas est dans les collèges, disaient les gens du pays,
Mâme Carmin n’en gagne pas, marchez! On dirait bientôt d’un crucifix de
campagne!
*
**
Madame,
Voici donc accomplies les deux années exigées par nous pour améliorer
votre fils, et nous ne craignons pas de dire que nous l’avons, en effet,
amélioré, puisque, après les effroyables tempêtes du début, il est parvenu à
un tel point de domination sur lui-même que, jamais plus, nous n’avons eu
l’occasion de sévir contre lui, puisque, jamais plus, ne se sont renouvelés
ces châtiments extrêmement sévères, il faut l’avouer, sans lesquels notre
tâche d’éducateurs serait impossible près des sujets très spéciaux remis
entre nos mains.
Nous vous proposerions volontiers de garder votre enfant jusqu’à sa
majorité, mais plusieurs raisons nous conseillent de vous dissuader d’un tel
projet.
La première de ces raisons est que la santé du jeune garçon, malgré sa
constitution puissante, pourrait finir par s’altérer à force de réclusion, car
notre médecin dit qu’avec son tempérament et à l’âge où il arrive, le grand
air lui est désormais indispensable.
La seconde raison est qu’en poussant trop loin les choses, en
prolongeant outre mesure cet exil qu’on lui a toujours dit ne devoir durer
que deux ans, nous pourrions craindre, à la fin, quelque néfaste revirement
de ce caractère que seul un miracle de volonté maintient au calme; nous
redoutons, en tout cas, de voir s’accentuer et se durcir définitivement en lui
les sentiments d’inimitié, de rancune qu’il semble, dans son for intérieur,
nourrir contre les siens.
Enfin, la troisième raison est que, malgré la régularité de son travail,
nous avons tout lieu de croire que Laurent ne sera jamais apte à passer son
baccalauréat, vu le système adopté par lui. Travail passif ne mène pas bien
loin, et le pauvre enfant n’a jamais pu ou jamais voulu faire collaborer son
initiative personnelle au labeur tout mécanique qu’il fournit.
Nous pensons donc, Madame, qu’il vaut mieux, pour vous et pour votre
fils, ne pas persister davantage, et le reprendre près de vous tandis qu’il est
encore un enfant, tandis qu’il vient de mériter sa libération par deux ans
d’effort, tandis que la tendresse maternelle, enfin, peut avoir encore
quelque chance de reprendre ses droits sur cette jeune âme repliée.
Votre fils, Madame, va bientôt avoir quatorze ans. Il entre dans
l’adolescence. Il va retrouver près de vous sa liberté d’autrefois, et toutes
ces douceurs du foyer, qu’il saura mieux apprécier après son long séjour
ici. Peut-être, ayant pris parmi nous l’habitude, à défaut de l’amour du
travail, en découvrira-t-il les charmes une fois remis sous la coupe
bienveillante de ses maîtres précédents. Tout est possible avec une nature
comme la sienne. Quoi qu’il arrive, il a goûté le plaisir de la discipline
intérieure, et nous sommes presque sûrs que vous n’aurez plus à déplorer
ces éclats et ces scandales qui l’ont conduit jusqu’à nous.
Et si ses études scolaires doivent s’arrêter là, ne lui reste-t-il pas à
apprendre ce devoir, qui fut celui de ses pères, de gérer ses biens et de
veiller sur ses cultures?

Occupez-le beaucoup, Madame, dans le sens tout physique du mot. Qu’il


parcoure ses terres à cheval, qu’il ait devant lui l’espace, qu’il puisse peu à
peu, de sa propre initiative, s’intéresser à son domaine, qu’il ait le désir de
le diriger. Il a toutes les qualités qui font un maître. C’est là, Madame, qu’il
faut voir son salut et l’emploi de ses jeunes forces, si frémissantes derrière
les dehors qu’il a choisis parmi nous.

Laurent a besoin de triompher. Cet instinct orgueilleux l’a conduit


d’abord à triompher, en effet, des impulsions de son caractère violent, et
cette conquête n’est pas, somme toute, à regretter. La façon dont il a
supporté le régime de la maison est tout à son honneur, bien que nous
puissions déplorer avec vous la sécheresse où s’est obstiné son cœur
d’enfant. Mais, nous le répétons: à vous, Madame, de le reprendre petit à
petit et d’en refaire votre fils. Il y faudra des nuances qu’une mère saura
trouver mieux que quiconque: et cette belle tâche est désormais la vôtre.
C’est donc avec la plus grande confiance en l’avenir que nous nous
disposons à vous rendre votre enfant, heureux si nous avons réussi comme
nous en sommes sûrs, à le complètement modifier, pour le plus grand bien
des siens et de lui-même, avec l’aide de Dieu.
Nous attendons un mot de vous, Madame, et si votre avis est le même
que le nôtre, nous confierons Laurent de Bonnevie au surveillant dont il a
l’habitude, et qui ne le quittera qu’après l’avoir remis entre vos mains.
*
**
Les préparatifs qui bouleversaient tout le château, semblant annoncer
une fête, ne trompaient personne, cependant. Mᵐᵉ Carmin passait ses nuits à
sangloter; les servantes, muettes, arrondissaient des yeux effarés; le
jardinier grommelait; l’abbé Lost hochait la tête. Seul, l’oncle Jacques
montrait un visage joyeux, et se frottait les mains.
Après deux voyages au chef-lieu, Mᵐᵉ Carmin reçut une bicyclette toute
neuve; puis on vit arriver un cheval de selle, frais et de bonne race, qui prit
dans l’écurie la place vide du poney.
Roulée dans sa passion, la pauvre mère ne savait que faire pour réparer
les deux ans de martyre infligés à son enfant. De toute son âme, elle voulait
se faire pardonner, souhaitait reprendre ce petit qu’elle avait déçu.
Naïvement, elle fit refaire les plates-bandes abandonnées, couper l’herbe
de la grande pelouse et repeindre la cabane des cygnes. Elle fit aussi
changer le couvre-lit de la chambre de Laurent, et carder les matelas.
Enfin le grand jour vint. N’osant aller à la gare dans la crainte de
quelque camouflet public, elle envoya l’abbé Lost et son frère, dans la
victoria, chercher le collégien, ou plutôt le prisonnier.
Quand elle entendit la voiture tourner l’allée, il lui sembla que son cœur
s’écrasait sous les roues. Pâle et tremblante, elle ouvrit la porte vitrée qui
donne sur le perron, et se tint sur le seuil.
Elle ne s’élança que quand elle le vit descendre de la victoria. Changée
en pierre, elle l’attendit.
Il monta les marches, suivi de l’oncle et de l’abbé. Il avait bien vu sa
mère, mais il ne se pressa pas.
Quand il fut devant elle, il ôta son chapeau, baissa les veux et ne fit pas
d’autre geste.
—Bonjour, maman...
Un frisson parcourut la mère. Ce n’était plus la voix haute, encore
entendue lors de la dernière entrevue. C’était une voix de quatorze ans, en
plaine mue déjà, rauque, déséquilibrée.
Elle l’embrassa sur les deux joues, nerveusement, sans plaisir. Comme il
était grand! Toujours gras, les paupières bouffies, les yeux rapetissés. Mais
on avait laissé repousser ses cheveux, qui recommençaient leurs grosses
boucles noires sur le front. Et, de les reconnaître, elle eut si grande envie de
pleurer qu’elle détourna la tête.
Il y eut un mouvement qui poussa tout le monde dans la salle à manger.
Là, l’enthousiasme de Jacques de Bonnevie éclata.
—Mais regarde-le donc! Est-il assez admirable avec ses belles
mâchoires, ses grands sourcils, ses yeux de capitaine, ses cheveux sculptés
comme un bronze de la Renaissance!
Il releva les boucles d’un revers de main, et, regardant fixement sa sœur:
—Et son front?... Hein, son front? Tu le vois?...
—Ce qu’il a surtout, corrigea doucement l’abbé Lost, c’est que ses
manières sont devenues parfaites! C’est un homme, maintenant. N’est-ce
pas, Laurent?
—Oui, monsieur l’abbé...
Il n’avait pas encore levé les yeux.
L’oncle Jacques se mit à rire.
—Gras comme un moine, par exemple!
Et, sur ces mots, il tressaillit, au souvenir de Carmine Buonavita, sorti du
couvent pour devenir condottiere. Une association d’idées le fit continuer:
—Et ton chant?
Alors l’enfant releva les paupières, et son regard fut tel que les autres
sentirent qu’ils n’étaient pas de taille à le supporter.
—Le chant?... C’est fini, mon oncle.
Et cette petite parole sembla pour jamais enfouir dans l’irrémédiable
toute la beauté passée de cette voix d’archange que l’on ne devait plus
entendre, soprano sombré pour toujours dans les enrouements de la puberté.
En cet instant, Mᵐᵉ Carmin, une fois de plus, sentit qu’elle avait perdu
les deux dernières années de l’enfance de son fils, et qu’il n’avait pas été
près d’elle pour les vivre au grand air, magnifiquement.
Afin de ne pas éclater en sanglots, elle murmura, sans oser rien préciser:
—Il a besoin d’exercice, maintenant...
—Hein, ce sera bon, la liberté!... dit assez lourdement l’abbé.
—Oui, fit joyeusement, énigmatiquement, l’oncle Jacques, en route, à
présent pour la bonne vie!
Les servantes, doucement, étaient apparues à la porte, avançant leurs
trois têtes craintives, celle de Clémentine traversée par une balafre blanche.
—Bonjour, Monsieur Laurent... dirent-elles enfin.
—Bonjour...
Il regardait de nouveau par terre.
—Il est devenu doux comme une fille!... s’extasia l’abbé.
Et, fronçant les sourcils, furieux, tout à coup, l’oncle Jacques:
—Dites qu’il est devenu Jésuite, oui!...
Il secoua le garçon aux épaules.
—Allons! Allons!... Remue-toi un peu!... Et, d’abord, viens voir les
surprises de ta mère.
Laurent jeta de côté son regard qui ne voulait s’arrêter sur personne.
—Puis-je monter un instant à ma chambre?... demanda-t-il froidement.
Quand il fut sorti de la salle, toutes les voix parlèrent à la fois.
L’étonnement des servantes et celui de l’abbé, les exclamations de l’oncle
Jacques, un mélange de félicitations et de remarques assourdirent la
silencieuse mère. Puis l’abbé prit congé, les servantes se retirèrent.
—Ah!... le revoilà!...
L’oncle Jacques avait mis son bras au cou du petit.
—Viens! On a des choses à te faire voir!
Ils marchèrent tous trois le long des allées parfumées aux roses, sous les
verdures tachées de soleil et tremblantes, entre lesquelles la grande pelouse
apparaissait toujours, avec ses deux cygnes sur l’eau.
—Tu vois!... disait l’oncle Jacques, on à repeint leur cabane en ton
honneur!... Tu vois, on a mis des fleurs aux plates-bandes!... Tout ça c’est
pour toi, mon garçon! Dis un peu si l’on n’est pas heureux de te revoir!
Mais la mère, elle, ne prononçait pas un mot.
Elle ne parla que dans la cour où sont les écuries et la remise. On eût dit,
en vérité, que tout son cœur se donnait dans ces mots, articulés avec une
émotion inouïe:
—Tiens, Laurent, regarde! Cette belle bicyclette toute neuve, c’est pour
toi!... Tiens, regarde encore! Ce joli cheval-là, c’est ton cheval! Tu as bien
mérité de belles vacances! Tu auras tout ce que tu veux!
Il avait ouvert grandes ses étincelantes prunelles pour regarder les
merveilles. Une sorte de frémissement le secoua, qui sembla ressusciter son
âme et son corps, engourdis pendant deux ans dans l’hypocrite prison de la
«maison d’amélioration». Il se tourna tout entier vers sa mère tremblante,
l’écrasa d’un coup d’œil impérieux et sombre. Et, lentement, il prononça, de
sa rauque voix adolescente:
—Ce n’est pas tout ça que je veux, maintenant. C’est une auto.
XII

LE SCANDALE

Depuis deux heures, elle cherchait en silence les raisons qu’elle


donnerait à son refus.
Laurent, remonté dans sa chambre, défaisait sa malle. L’oncle Jacques
était retourné chez lui.
Commencer ce premier dîner en tête-à-tête, après deux ans d’absence,
par des contestations, que c’était triste! Elle avait pensé tout prévoir, elle
avait cru faire de son mieux, et voici, cruelle déception, que l’enfant n’était
pas encore satisfait. «Une auto!... se disait-elle, épouvantée. D’abord, c’est
la ruine définitive; ensuite, c’est l’absence perpétuelle et sans contrôle. Où
ira-t-il avec ça?... Enfin, c’est la menace constante de l’accident. Je le
croirai toujours tué. Je ne vivrai plus!»
Elle ne pouvait pas lui dire ces trois choses, craignant de l’indisposer
encore contre elle. Elle chercha longtemps. Il n’était plus possible, à
présent, de le traiter comme un enfant. Il était le maître à la maison, maître
redoutable qui faisait tout trembler autour de lui.
Au moment de descendre à la salle à manger, elle trouva subitement. Et
quand ils furent assis face à face, Laurent, muet, regardant son assiette:
—Ecoute... commença-t-elle d’une pauvre voix entrecoupée, j’ai réfléchi
à ce que tu m’as dit tantôt. Moi, je ne demanderais pas mieux que de te
donner une auto, mais tu sais bien que tu ne peux obtenir ton brevet de
chauffeur qu’à partir de seize ans... Alors... si... si tu veux bien attendre
jusque-là... je... eh! bien!... je te promets que tu auras ce que tu désires. Je
m’y engage formellement.
Comme il ne relevait pas la tête, elle murmura, de même qu’autrefois,
lors de leur premier pacte:
—Est-ce entendu, Laurent?
Il ne la regarda pas.
—Bien, maman... répondit-il.
Et ce fut tout.
Elle le dévorait des yeux, penchée. Que pensait-il? Lui en voulait-il de
ce qu’elle venait de dire? Songeait-il à quelque vengeance? Comme elle eût
préféré les violences de jadis à ce calme glacial qui lui faisait froid au cœur!
Elle essaya de parler d’autre chose, de lui raconter les petits événements
du village. Mais elle n’en tira plus un seul mot, et le silence tomba, qui dura
jusqu’à la fin du dîner.
Quand ils se levèrent de table, suivis des yeux par la servante ahurie:
—Bonsoir, maman...
—Tu montes déjà?... s’écria-t-elle douloureusement. Tu ne veux pas
venir au petit salon avec moi?... Il y a si longtemps que je ne t’ai vu,
Laurent!
Une fois encore, il répondit:
—Bien, maman.
Et quand ils furent assis chacun dans un des fauteuils de tapisserie, l’un
devant l’autre, au moment de reprendre sa couture, elle eut une envie
furieuse de se précipiter sur lui pour le couvrir de baisers, de lui demander
pardon, de se jeter à ses genoux. Ce n’était pas possible qu’il fût devenu ce
grand garçon aux yeux baissés, silencieux, sombre, et qui obéissait
passivement, amèrement, à la moindre parole.
Il sentit sans doute le regard tendre et désespéré dont elle l’enveloppait,
mais il ne fit pas un geste, ne releva pas se paupières. Et, se mordant les
lèvres pour ne pas pleurer à chaudes larmes, elle reprit tristement sa
couture, tandis que le silence immense du soir, autour d’eux, déferlait.
Au bout d’une demi-heure, il demanda doucement:
—Puis-je aller me coucher, maman?
—Mais certainement, mon chéri... Veux-tu que je monte avec toi pour
voir si tu as tout ce qu’il te faut dans ta chambre?
—J’ai tout ce qu’il me faut, maman...
Et, sur cette réponse, détournée comme son regard, il se leva.
—Bonsoir, maman...
Elle s’était levée aussi.
—Veux-tu que je t’embrasse, Laurent?...
Sa voix avait tremblé, pleine de larmes.
—Si tu veux, maman...
Il la laissa faire, tandis qu’elle le serrait contre elle, si grand, presque
aussi grand qu’elle. Mais il ne lui rendit pas un baiser. A deux mains elle
l’avait pris aux tempes, fébrilement, essayant de forcer ses yeux. Et toute
son âme était là, proche, ardente, son âme de mère qui voulait entrer,
prendre, conquérir.
Qu’y a-t-il donc, dans le regard humain, qui donne ou qui refuse, et
pourquoi ceux qui ne veulent pas nous livrer leurs yeux nous font-ils si
mal? Quel est ce besoin que nous avons du regard, quel est cet échange qui
se fait entre les êtres, quel est ce contact qui se produit par la rencontre de
leurs prunelles, quelles sont ces deux électricités qui se cherchent, qui se
cherchent jusqu’à ce que l’étincelle ait jailli?
—Laurent, je t’en supplie, regarde-moi! Regarde-moi!
—Non, maman.
Elle laissa retomber ses mains. Et comme, sans bruit, sans se retourner, il
sortait du salon, elle alla s’effondrer sur son fauteuil, et, le visage dans la
paume, sanglota.
*
**
—Je m’invite!... annonça l’oncle Jacques, le lendemain, à l’heure du
déjeuner. Alice, fais mettre mon couvert!
Mais il fut surpris par le regard désespéré, les paupières rougies de sa
sœur. N’osant l’interroger, il baissa simplement la tête. «Est-ce que Laurent
aurait déjà recommencé?...» se demandait-il non sans un frémissement de
curiosité presque joyeuse.
Il ne savait pas que, dès l’aurore, Laurent était sorti de la maison. Mᵐᵉ de
Bonnevie, en proie à l’insomnie depuis son coucher, l’avait bien entendu
descendre les escaliers et pousser les barres. Elle l’avait même, cachée
derrière son rideau, regardé s’éloigner dans le parc; et l’oreille aux écoutes,
elle avait guetté les bruits, espérant entendre les sabots du cheval marteler le
sol, comme au jour de son premier effroi. Mais seul le silence du petit matin
avait rempli son ouïe aux aguets. Et, grelottante, elle avait fini par se
recoucher. «Sans doute, il aura préféré la bicyclette pour commencer...»
Où donc était-il parti, de si bonne heure et tout seul?
Mon Dieu! ne prendrez-vous pas en pitié cette martyrisée dont la bouche
desséchée murmure tant de prières? Ecoutez comme elle espère encore
malgré tous les déboires! Simple femme revêche et sans élan, la sublime
maternité va jusqu’à faire d’elle un poète. Elle pense aux forces de la nature
que jamais elle n’a contemplée ni sentie. Elle compte sur l’air du parc natal,
sur les fleurs, sur le ciel, sur les cygnes dans le bassin, sur la douce herbe,
sur le sous-bois et ses émeraudes, elle compte sur les arbres aux branches
tordues dans le ciel, aux racines tordues dans la terre, pour reprendre son
fils, pour l’enraciner de nouveau, lui aussi, dans son terroir originel. Elle
demande aux nuages, aux feuilles, aux cailloux de parler pour elle. Elle veut
que l’espace, que l’air lui caressent les joues au passage, soient pleins de
voix persuasives. Elle invoque la race défunte, elle demande aux enterrés de
la famille d’être des fantômes éloquents. Elle cherche des aides sur la terre
comme elle en cherche dans l’inconnaissable. Elle appelle à elle toutes les
puissances de ce monde et de l’autre. Elle désire, elle croit. Cela, mon Dieu,
n’est-il pas, à la fin, digne de pitié?

Dès qu’elle avait pu se lever sans déconcerter les habitudes de la maison,


elle s’était dirigée, cœur battant, mains fiévreuses, vers les écuries et
remises. Et tandis qu’elle avançait dans l’allée, sa souffrance habituée
inventait ce nouveau supplice: «Il n’aura pas voulu de mes cadeaux. Je vais
trouver le cheval dans son boxe et la bicyclette dans la remise...»
La main sur la porte, au moment de la surprise, quelle qu’elle fût,
frémissante et malade, elle avait hésité quelques secondes. Ouvrir, et savoir!
Encore un instant de répit avant la joie ou le chagrin...
Un hennissement du cheval l’avait glacée.
—Ah! le cheval est là!...
Puis:
—C’est qu’il a plutôt pris la bicyclette, alors....
Brusquement elle avait ouvert, s’était précipitée. Et tout de suite elle
avait vu dans son coin, guidons brillants dans l’ombre, la machine que nulle
main n’avait dérangée.
—Eh bien, voilà... Je le savais d’avance. Il n’en a pas voulu, voilà tout, il
n’en a pas voulu...
*
**
Quand il entra dans la salle à manger, l’oncle Jacques s’avança
vivement.
—Bonjour, Laurent!...
—Bonjour, mon oncle...
Il fit un pas vers sa mère.
—Bonjour, maman...
Elle ne l’embrassa pas.
—Tu as bien dormi?... fit-elle avec effort.
Ses yeux rouges, ses joues creuses disaient sa nuit. Ils se mirent à table,
l’oncle Jacques se frottant les mains.
—Eh bien!... ta promenade?.. Agréable?...
—Oui, mon oncle...
—Et le patelin?... Toujours le même?...
—Oui, mon oncle...
—Tu as été à bicyclette?
—Non, mon oncle!
—A cheval, alors?
—Non, mon oncle.
Le vieux célibataire donna sur la table un grand coup. Imitant le ton du
garçon:
—«Oui, mon oncle... Non, mon oncle...» C’est tout ce que tu sais dire,
maintenant?
Plus froidement, plus poliment, le petit prononça:
—Oui, mon oncle!
Et malgré tous ses efforts, Jacques de Bonnevie, pendant tout le
déjeuner, n’en put rien tirer d’autre.
Il retourna chez lui dans un état d’extrême exaspération, et l’on ne le
revit pas pour le dîner. Cependant, il avait dit à sa sœur:
—Ça lui passera, ne te fais pas de bile. Il est encore enjésuité, mais le
grand air et l’exercice feront leur effet d’ici peu, sois tranquille!
Et la mère s’accrocha, reconnaissante, à cet espoir.
Laurent avait passé son après-midi dans le parc, cherchant des branches
souples pour en faire arc et flèches. Il n’acceptait décidément ni le cheval ni
la bicyclette.
—C’est formidable!... répétait l’oncle Jacques.
Pendant cinq ou six jours, celui-ci vint plusieurs fois dans la journée
s’informer de son neveu. Mais il n’y avait rien à lui raconter. L’enfant avait
organisé sa vie à sa façon. Il disparaissait dès l’aurore, revenait déjeuner,
disparaissait de nouveau, rentrait pour le dîner et se couchait en sortant de
table. Pour le reste, aux heures des repas, seul moment où le vit sa mère, il
gardait son silence farouche et sa tête basse.
—On n’en fera plus rien!... remarquait le tuteur avec dépit, comme s’il
eût souhaité des esclandres.
Et les mille avances qu’il faisait à l’adolescent chaque fois qu’il le
rencontrait à midi, le soir, restaient sans résultat.
Un matin (l’oncle Jacques avait-il guetté?), Laurent se trouva nez à nez
avec lui dans le parc.
—Ecoute, Laurent!
—Quoi, mon oncle?...
—J’ai quelque chose à te dire...
—Bien, mon oncle...
—Tu veux une auto, mon garçon? Eh bien! je te donnerai, moi, ton auto,
na!
Le souvenir du passé faisait sourire le bonhomme. Autrefois, le petit
était venu chez lui pour lui demander une bicyclette. Que ne l’avait-il
donnée! Que n’avait-il compris ce qu’était cet enfant vertigineux qu’il avait
repoussé comme un gamin ordinaire!
—Eh! bien! Laurent?... ça te va?... Tu la veux, ton auto?... Tu la veux
tout de suite?
L’autre ne manifesta même pas quelque surprise devant cet excès de
générosité de la part de son ancien ennemi. Avec cet air fuyant qu’il avait
désormais, il répondit, poli jusqu’à l’insolence:
—Non, merci, mon oncle...
Et, tournant les talons, il disparut dans les profondeurs du parc.
*
**
Les vacances se terminaient. Mᵐᵉ Carmin ne savait comment s’y prendre
pour demander à Laurent quelles étaient ses intentions quant à la reprise du
travail. Elle craignait également les deux phrases laconiques qu’il pouvait
lui répondre, seules paroles qu’elle connût de lui, maintenant: «Bien,
maman...» ou: «Non, maman...» Car, dans l’une ou l’autre, il y avait autant
de révolte et de haine.
Une lâcheté désolée la fit reculer au dernier moment. Elle pria donc
l’abbé Lost à déjeuner, un jour. L’ayant vu la veille, elle lui avait expliqué la
mission dont elle le chargeait. Par ailleurs, l’abbé souffrait de ne plus jamais
voir Laurent à la messe. «Qu’est-ce que vous voulez que j’y fasse?... disait
Mᵐᵉ Carmin. Ils ont dû le saturer, là-bas. Il faut craindre, si l’on veut le
forcer, de le voir prendre aussi la religion en grippe...»
L’abbé Lost était bien trop fin pour ne pas comprendre. «Le bon Dieu
fera pour le mieux...» soupirait-il.
Comme ce déjeuner s’achevait:
—Laurent, dit l’abbé, j’ai à te parler. Veux-tu que nous passions tous
deux dans le petit salon?
Mᵐᵉ Carmin s’était esquivée.
—J’irai tout droit au but... commença le prêtre. Voilà: les vacances vont
être finies dans quelques jours. Tu en as bien profité, si j’en juge par ta
mine. Maintenant, il s’agit de te remettre à la tâche. Tu n’as que quatorze
ans. Tes études ne sont pas finies. Veux-tu que nous recommencions à
travailler ensemble comme autrefois, avec l’aide de monsieur l’instituteur?
—Non, monsieur l’abbé.
Le curé, saisi, tâcha de n’élever pas la voix.
—Regarde-moi. Tu ne veux pas me regarder?... Soit. Donc, cela ne te
plaît pas de travailler de cette façon-là?
Il prit une inflexion très douce pour déguiser sa menace.
—Tu aimes peut-être mieux retourner dans les collèges, avec des
garçons de ton âge?
Brusquement, Laurent le regarda, lui enfonça ses yeux, comme deux
lames, jusqu’au plus profond de l’être. Et ce fut quelque chose de tel que le
prêtre recula comme s’il avait vu Satan.
—Non, monsieur l’abbé!
Pris de peur, comme les autres, l’abbé Lost se sentit pâlir. Il essaya de
sourire et même de rire, fit entendre quelques mots sans suite, puis enfin,
répondit fort clairement:
—C’est bien, mon enfant.
Un instant plus tard, il était près de Mᵐᵉ Carmin. «Il ne veut pas...» dit-il
simplement. Et il n’y eut pas d’autres explications.
Alors ils cherchèrent ensemble ce qu’ils allaient faire.
—Surtout, dit la mère, n’allons pas lui parler de s’occuper des terres; car
cela suffirait pour l’en dégoûter à jamais. Peut-être, en le laissant tranquille,
qu’il y viendra tout naturellement de lui-même.
—Il ne fera plus que ce qu’il voudra... dit rêveusement le curé.
—Alors, laissons-le... murmura-t-elle, épouvantée. Le voilà devenu
calme et régulier, qu’est-ce que nous pouvons lui demander de plus?...
*
**
Il changeait. Il avait encore grandi, sa mauvaise graisse s’était fondue,
son teint redevenait clair. Mince et beau, pâle et brun, une petite ombre
apparaissait au-dessus de sa bouche trop rouge, épaisse comme un fruit.
Les quatre saisons se succédèrent lentement sans amener rien de
nouveau dans la vie singulière de ce jouvenceau silencieux, dont personne
ne savait plus rien. Que faisait-il tout le jour, où disparaissait-il? On savait
par le village que jamais plus il n’avait même regardé ses anciens
compagnons, ceux qui l’avaient vendu. Pas de traces d’une violence
quelconque. Mais on l’avait vu se promener seul dans la campagne, fort
loin du château, longues courses qu’il faisait à pied, puisqu’il n’avait pas
plus accepté la bicyclette que le cheval achetés pour lui.
Et, confinée dans son enfer intérieur, Mᵐᵉ de Bonnevie continuait sans
rien dire sa vie ardente et lamentable, sa vie rongée par le chagrin.
Un des premiers jours de l’été—Laurent allait avoir quinze ans,—une
femme, une paysanne, se présentant à la porte du château, dit qu’elle voulait
parler aux maîtres.
Mᵐᵉ de Bonnevie, qui cousait à la fenêtre ouverte du petit salon, ayant
près d’elle son frère, lequel, parfois, venait lui tenir compagnie, entendit de
loin le colloque, et se mit à trembler. Un pressentiment l’avertissait qu’il
allait être question de Laurent.

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