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 Origines

Rome, le Forum

Pendant la période héroïque des débuts et des conquêtes (VIIIe s.-201 avant J.-C.), le peuple romain
se compose de soldats-paysans, à l'économie simple et à la culture fruste ; l'art leur apparaît comme
un luxe superflu et dangereux, sauf s'il est mis au service de la piété, qui est très vive, ou s'il sert à
glorifier la puissance politique et militaire de la cité. Mais, d'autre part, Rome est en contact étroit et
constant avec des peuples de culture avancée : d'abord et surtout les Étrusques, qui dominent
politiquement la ville pendant le VIe s. avant J.-C. et y introduisent l'urbanisme, l'architecture
monumentale (temples du Capitole et du Forum boarium), fabriquent des statues de terre cuite ou
de bronze (Louve du Capitole, vers 500 avant J.-C.) ; ensuite les Grecs, installés en Campanie, dont
l'influence est favorisée par l'expulsion des rois étrusques, en 509 avant J.-C. selon la tradition.
Au Ve s. avant J.-C., les dieux grecs (Dioscures, Héraclès, Déméter, Apollon) affluent à Rome, suivis
d'artistes qui viennent décorer leurs temples. La première période des grandes conquêtes, du milieu
du IVe s. au milieu du IIE s. avant J.-C., est marquée d'une part par l'apport massif d'œuvres enlevées
comme butin aux cités vaincues (pillage de Syracuse en 212 avant J.-C.), d'autre part par la
construction, dans un complet désordre du point de vue de l'urbanisme, de sanctuaires, d'édifices
publics et de monuments triomphaux, dont certains réalisent des formules originales : la basilique,
vaste salle couverte, au plafond porté par des colonnes, et le fornix, ancêtre de l'arc de triomphe, nés
l'un et l'autre au début du IIe s. avant J.-C. Les arts plastiques se développent aussi, mais nous n'en
n'avons presque rien gardé : le Brutus du palais des Conservateurs au Capitole représente seul une
statuaire iconographique, en pierre et en bronze, qui envahissait déjà les places publiques. Une
fresque représentant des scènes guerrières, découverte dans un hypogée1 funéraire de l'Esquilin est

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En archéologie, un hypogée est une construction souterraine et plus spécifiquement une tombe creusée
dans le sol (sous-sol, flanc de colline).

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l'unique témoin d'une peinture triomphale très abondante, dont le grand maître fut, autour de 300,
un très noble personnage, Fabius, qui légua à ses descendants le surnom de Pictor.

À tout cela il faut ajouter les arts industriels : la fabrication à Rome


même et surtout dans la ville voisine de Préneste (Palestrina) de
miroirs et de boîtes de bronze gravé, imités des Étrusques, mais
dont les sujets sont souvent originaux (la représentation d'une scène
de triomphe sur une ciste2 offre un intérêt exceptionnel, et la ciste
Ficoroni [villa Giulia, Rome], consacrée aux aventures des
Argonautes, est une œuvre de grande classe) ; la céramique décorée
(plats du type de « genucilla » ornés d'une tête de femme). Le
Latium est devenu un foyer de production artistique. R. Bianchi
Bandinelli rattache cette production à l'art « médio-italique », qui,
tout en subissant l'influence grecque italiote et celle de l'Étrurie,
présente cependant une originalité, due à l'austérité de populations
mal préparées à accepter les complications et les raffinements nés
dans les cours hellénistiques et accueillis par les centres les plus évolués de la Méditerranée
occidentale.

 L'art patricien (IIe s. avant J.-C.)

Rome, le Forum boarium

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Corbeille que l'on portait dans les mystères de Démeter, de Dionysos, de Cybèle et qui contenait divers
objets servant au culte de ces divinités.

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À partir du milieu du IIe s., une coupure se produit dans la société romaine entre la noblesse, à qui la
conquête a procuré d'immenses richesses, le moyen d'acquérir une culture fondée sur l'hellénisme et
une morale moins austère, et la masse du peuple romain, dont la situation économique s'est plutôt
dégradée et qui demeure attachée aux valeurs traditionnelles ; des conflits s'ensuivent (crise des
Gracques ; guerre sociale) ; l'armée, composée de professionnels à partir de la fin du IIe s. avant J.-C.,
en deviendra dès lors l'élément déterminant.

La noblesse investit une part importante de ses ressources dans la création artistique ; dès le début
du IIe s. avant J.-C., elle fait appel à des artistes grecs venus soit d'Athènes, qui a favorisé la mainmise
de Rome sur l'Hellade, soit d'Asie Mineure (en 133 avant J.-C., Attalos III lègue le royaume de
Pergame à Rome). Les plus connus sont des sculpteurs qui réalisent pour leurs patrons soit des
copies d'œuvres classiques, soit des adaptations. Les plus doués parviennent à combiner ces
emprunts à la tradition avec des éléments italiques : l'exemple le plus parfait de cette synthèse est la
« base de Domitius Ahenobarbus »3, qui décorait le temple de Neptune au champ de Mars et qui est
aujourd'hui partagée entre le Louvre et la Glyptothèque de Munich ; une partie des reliefs qui la
décorent représente le cortège de Neptune, selon une formule fréquente dans l'art hellénistique. Le
reste montre une scène de la vie politique de Rome : le recensement des mobilisés, accompagné
d'un sacrifice à Mars. La date a été fort discutée ; les dernières recherches tendent à la situer soit
vers 110 avant J.-C., soit vers 80 avant J.-C. Au IIe s. avant J.-C., la production de portraits est plus
abondante que jamais ; la plupart ont péri, et l'identification de ceux qui subsistent est souvent
incertaine : citons une grande statue en bronze du musée des Thermes, où certains ont voulu
reconnaître Sulla. La plupart de ces statues décoraient des temples, dont le nombre se multipliait, à
Rome d'abord. Le quartier le plus en vogue était alors le champ de Mars, où l'on peut voir encore un
ensemble religieux des IIIe-IIe s. avant J.-C. : l'aire du Largo Argentina, identifiée au portique Minucia,
et qui contient quatre temples. Les deux sanctuaires antiques les mieux conservés de Rome, le
temple rond (cfr photo sous le titre) et le temple ionique rectangulaire situés sur le bord du Tibre,
sont de la fin de cette période ; ils présentent deux formules caractéristiques de l'architecture
religieuse romaine, la rotonde et le temple « pseudo-périptère », aux colonnes engagées dans le mur

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Les reliefs ne font probablement pas partie à l'origine d'un autel, malgré la dénomination commune, mais
d'une grande base rectangulaire longue de 5,60 mètres, large de 1,75 mètre et haute de 0,80 mètre, destinée
à supporter les statues de culte. Parmi ces dernières, œuvres attribuées au sculpteur grec Scopas, on peut
citer un important groupe statuaire dans lequel figurent Neptune, Thétis, Achille, les Néréides et les
Tritons, ainsi que Phorcus, son cortège, des monstres marins et d'autres créatures fantastiques.

Les reliefs se composent de deux grands panneaux fixés sur les côtés longs de la base et de deux plus petits
sur les petits côtés. L'un des grands panneaux, conservé au musée du Louvre, est typique de l'art civique
romain et représente une scène qu'on ne retrouve qu'à Rome à cette époque : le recensement des citoyens.
Les trois autres faces illustrent un thème mythologique dans un style hellénistique, les noces de Neptune et
d'Amphitrite. Étant donné la différence de style et de sujet et le fait que les matériaux utilisés ne soient pas
les mêmes, on peut supposer que les deux frises ne sont pas contemporaines. La frise mythologique semble
avoir été exécutée en premier, couvrant trois côtés de la base qui devait être à l'origine adossée au mur du
fond de la cella. Quelques années plus tard, la base est décalée du mur, laissant libre la quatrième face sur
laquelle est apposé le dernier panneau

Art romain 3
de la cella. Un effort pour ordonner l'urbanisme anarchique
de Rome commence à se faire sentir. Il aboutira, pendant la
dictature de Sulla, à la construction du Tabularium qui
domine le Forum.

Rome, temple de Portunus

Autel de Domitius Ahenobarb – L’enregistrement des citoyens

Autel de Domitius Ahenobarb – Scène mythologique

Mais les réalisations les plus spectaculaires de l'architecture monumentale romaine au iie s. avant J.-
C. se trouvent dans les villes du Latium. Le sanctuaire de la Fortune à Préneste est un gigantesque
complexe – partiellement dégagé depuis la Seconde Guerre mondiale – de terrasses étagées sur la
pente abrupte de l'Apennin et dominées par une structure en hémicycle analogue à un théâtre.
Après de longues discussions entre partisans d'une datation vers le milieu du iie s. avant J.-C. et
partisans d'une datation sullanienne, l'épigraphie paraît avoir tranché en faveur des premiers. Dans
cet ensemble sont déjà en œuvre les principes et les techniques que les architectes de l'époque
impériale allaient appliquer en les perfectionnant pendant cinq siècles : l'emploi d'un matériau
nouveau, le blocage de pierres liées au ciment, et la connaissance des lois de la mécanique
permettent de remodeler complètement le paysage, en lui imposant un ordre rationnel fondé sur la
symétrie ; l'élément fondamental de l'architecture grecque, l'entablement porté par les colonnes,
n'est plus utilisé que pour masquer les structures dynamiques.

Tout en utilisant pour ces constructions publiques, qui servaient leur propagande, une large partie
des ressources que leur procurait l'exploitation des vaincus, les nobles romains de la fin de la
République en réservent une part importante pour se créer un cadre de vie personnelle confortable

Art romain 4
et raffiné ; les bourgeois des régions italiennes les plus favorisées les imitent. Nous voyons ainsi à
Pompéi et à Herculanum, petites villes de la riche Campanie « fossilisées » par l'éruption du Vésuve
en 79 après J.-C., la maison italique traditionnelle, constituée à l'origine essentiellement par l'atrium
(cour de ferme entourée d'un préau pour certains archéologues, vaste salle commune couverte selon
d'autres), devenir de plus en plus semblable aux palais des rois hellénistiques : on ajoute en arrière le
péristyle, portique entourant un jardin, on pare les sols de mosaïques (celles de la maison du Faune à
Pompéi, qui datent de 80 avant J.-C. environ, sont
dignes des plus beaux palais orientaux) et surtout
on orne les murs de peintures, qui, après avoir
imité des marbres précieux, en viennent, à partir
du deuxième quart du Ier s. avant J.-C., à évoquer,
derrière la paroi supposée transparente, un
monde étrange et fantastique. Ainsi s'exprime le
besoin d'évasion d'hommes à qui le monde où ils
vivaient offrait certes des possibilités et des
satisfactions infinies, mais aussi d'incessants
périls ; l'angoisse constante s'exprime dans de nombreux portraits d'hommes de cette époque,
inspirés de la tendance « physiognomique » hellénistique : parmi les plus émouvants, ceux de
Cicéron et de Pompée, qui, comme beaucoup de leurs contemporains, périrent de mort violente.

 L'art des généraux et des premiers empereurs (80 avant J.-C.- 68 après J.-C.)

Apothéose de Germanicus

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Un pilier triomphal, découvert au pied du Capitole, où il fut probablement consacré par Sulla
(actuellement au Museo Capitolino), est bien caractéristique de l'art de la période des guerres civiles,
au cours desquelles des imperatores, appuyés sur des troupes de professionnels qu'ils fanatisaient en
faisant croire qu'une chance surnaturelle les rendait invincibles, s'efforcèrent d'établir un pouvoir
monarchique. Les armes qui composent la frise de ce monument et qui reproduisent les unes des
dépouilles enlevées à Mithridate, les autres des boucliers sacrés symbolisant les principaux dieux de
Rome, ont une valeur significative précise, déterminée d'une part par leur nature et d'autre part par
leur place dans la syntaxe de la composition. Celle-ci est ordonnée dans une symétrie rigoureuse par
rapport à l'axe de chaque face, où se trouve l'objet le plus important ; ce système de composition,
que nous appelons héraldique, prévalait dans les arts de l'ancien Orient, en particulier dans celui de
Sumer ; il avait été complètement éliminé par le classicisme grec. Sa réapparition dans l'art romain
du Ier s. avant J.-C., qu'il va complètement dominer, est un des traits qui différencient le plus
nettement cet art des écoles hellénistiques, auxquelles il emprunte par ailleurs la plupart de ses
thèmes.

Il subsiste bien peu de choses des grands monuments réalisés par les chefs militaires qui dominent la
politique de la République agonisante. On a récemment identifié quelques éléments du décor du
premier théâtre permanent de Rome, construit par Pompée en 55 avant J.-C. Le forum de César, qui
prolongeait au nord-ouest le vieux Forum romain, devenu trop étroit, a été dégagé avec les ruines du
temple de la déesse protectrice du dictateur, Venus Genitrix ; mais tout cet ensemble a été
reconstruit complètement par Trajan.

Au contraire, un grand nombre des édifices construits sur


l'ordre d'Auguste, à Rome, en Italie et dans les provinces, au
cours du règne demi-séculaire qui rendit enfin la paix au
monde méditerranéen épuisé (31 avant J.-C.-14 après J.-C.),
ont traversé les âges, parfois presque intacts, comme
l'admirable Maison carrée de Nîmes. Le plus important pour
l'historien de l'art est justement un autel dédié à la « paix

d'Auguste » qui se
dressait à Rome,
dans la partie nord
du champ de Mars,
et qui a été
reconstitué aussi
près que possible de
son emplacement
originel ; le décor
essentiel est sculpté
sur une enceinte de
marbre qui entoure
l'autel proprement
dit. Les plaques qui
la composent sont
ornées au bas de

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rinceaux d'acanthes, ciselés avec une précision d'orfèvre et pourtant pleins de vie malgré la
rigoureuse ordonnance de leur disposition ; ces sculptures sont inspirées par des modèles
pergaméniens plus anciens de deux siècles. Au-dessus, le sculpteur a représenté la procession qui
s'était déroulée le jour de la dédicace de l'autel, sous la conduite de l'empereur lui-même, suivi des
prêtres, des magistrats, de sa famille et de tout le peuple romain. La noble gravité de la cérémonie
est tempérée par quelques scènes familières mettant en valeur la tendresse des rapports entre les
héritiers du prince et leurs jolies épouses ainsi que la gentillesse de leurs enfants. Ce maître de l'Ara
Pacis, dont le nom et l'origine nous restent inconnus, peut être comparé à Virgile par l'aisance avec
laquelle il a su assimiler l'héritage du classicisme grec et le revivifier par une sensibilité vivante qui
fera hélas défaut à ses successeurs.

Auguste s'était assigné la tâche énorme de remettre en état tous les temples de Rome ; il en
construisit bon nombre de nouveaux, dont les plus importants sont celui d'Apollon sur le Palatin et
celui de Mars Vengeur, qui dominait un nouveau forum, orienté perpendiculairement à celui de
César ; d'autre part, un grand nombre de villes d'Italie et des provinces, même dans des régions
encore à demi barbares comme la Gaule, suivirent l'exemple de la capitale. Aux sanctuaires
s'ajoutèrent partout toutes sortes d'édifices à fonctions politique, économique ou culturelle, comme
les théâtres et les amphithéâtres. Ce gigantesque effort de construction donna l'occasion de fixer les
règles de l'art de bâtir ; en particulier, c'est dans le dernier quart de siècle qui précède notre ère
qu'on arrêta définitivement les caractères de l'ordre corinthien romain, dont la Maison carrée de
Nîmes, qui date de ce temps, nous offre le plus remarquable exemple. Les éléments typiques sont le
chapiteau à acanthes « en feuille d'olivier », la frise décorée de rinceaux4 proches de ceux de l'Ara
Pacis, la corniche soutenue par de petites consoles, ou modillons, qui font alors leur apparition. C'est
dans les premières années du règne d'Auguste qu'un ancien officier du génie de César rédigea un
traité d'architecture qui fut considéré, de la Renaissance à la fin du XIXe s., comme un véritable livre
saint. En réalité, Vitruve, esprit assez borné et rétrograde, bien que fort cultivé, ne comprit pas les
tendances novatrices de son temps ; à plus forte raison ne pouvait-il prévoir les développements de
l'art de bâtir aux siècles suivants, qui, à tous égards, laissèrent loin derrière eux celui d'Auguste.

Le pouvoir impérial étant fondé sur la victoire, Auguste attachait une importance
particulière aux monuments qui exaltaient sa gloire militaire ; en 29 avant J.-C.
apparut au Forum romain un nouveau type d'édifice triomphal qui va être
presque immédiatement imité d'un bout à l'autre de l'Empire : l'arc de triomphe,
qui diffère du fornix républicain par ses dimensions plus fortes, son décor de
colonnes et la richesse de son ornementation sculptée. Les principaux arcs
augustéens se trouvent en Italie du Nord et en Gaule méridionale. La propagande
impériale utilise encore les armes d'apparat (cuirasse de la statue d'Auguste trouvée à Prima Porta),
les monnaies, les camées, dont la taille atteint alors sa perfection (Gemma augustea de Vienne,
Grand Camée de France à la Bibliothèque nationale, qui date de Tibère).

Dans le décor pictural des maisons (on connaît celle d'Auguste lui-même, sur le Palatin), une réaction
se manifeste contre la fantaisie irrationnelle de l'époque précédente : le IIIe style, qui apparaît vers
15 avant J.-C., supprime les échappées derrière la paroi. L'art augustéen se prolonge sans se
renouveler sous ses successeurs, Tibère, Caligula et Claude (14-54 après J.-C.). Le dernier prince de la

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Ornement architectural en forme d'arabesque végétale.

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dynastie, Néron, est un demi-dément, que nous comparerions volontiers à Louis II de Bavière ;
persuadé d'être un grand artiste, et probablement moins dépourvu de talent qu'on ne l'a dit, il
voulut faire du pouvoir suprême un des beaux
arts et substituer l'esthétique à la morale. Un
des grands incendies qui ravageaient
périodiquement Rome lui donna l'occasion de
rebâtir une partie du centre selon un
urbanisme rationnel ; on lui reprocha surtout
d'avoir profité de l'occasion pour insérer au
milieu des quartiers reconstruits une
résidence (Domus aurea) conçue plutôt
comme une villa de campagne que comme les
hôtels urbains où avaient vécu ses prédécesseurs. Le décor pictural de cette « Maison d'or » (ou
« dorée »), œuvre du peintre Fabullus, fut aussitôt imité par les particuliers, surtout à Pompéi, qui
vivait alors ses dernières années dans une activité fiévreuse ; le IVe style, comme on l'appelle, revient
aux tendances fantastiques du IIe ; le monde imaginaire qu'il laisse entrevoir derrière la paroi, à
travers une architecture baroque, est inspiré souvent du théâtre pour lequel Néron éprouvait une
passion déraisonnable.

 L'art de l'Empire (68-285 après J.-C.)

Demeure campagnarde du Bas-Empire

La mort de Néron, en 68, marque aussi la fin de la noblesse qui avait gouverné Rome depuis
le IIe s. avant J.-C. et lui avait imposé son idéal culturel, partagé par César, Auguste et leurs héritiers.
Vespasien, qui accède au trône en 69, est issu d'une famille de la bourgeoisie italienne que ses goûts
portaient vers un « art plébéien » (selon l'expression de R. Bianchi Bandinelli) plus près de la vie
familière, indifférent aux savantes spéculations de l'esthétique grecque, et en particulier à la
reconstruction d'un univers mesuré sur l'homme et conforme à sa raison, soucieux, en revanche,
d'efficacité psychologique, ce qui lui fait employer souvent des procédés comparables à ceux de la
publicité moderne. Cet art, jusque-là maintenu au second plan, va maintenant prendre d'autant plus
d'influence qu'il s'accorde aux tendances dominantes dans la bourgeoisie des provinces d'Occident,
qui bénéficie à ce moment d'une grande prospérité économique. Cependant, la haute société
romaine ne renoncera pas à défendre la tradition classique, de plus en plus identifiée avec l'art
augustéen ; elle y sera encouragée par la pénétration dans son sein de nombreux éléments venus du
monde grec, en particulier d'Asie Mineure, pour qui ce classicisme s'identifie avec l'hellénisme.

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Cependant, d'autres éléments d'origine hellénique préféreront un art pénétré de passion, inspiré des
écoles hellénistiques pergaménienne et rhodienne, qui, d'ailleurs, avaient déjà autrefois influencé
l'Italie et n'avaient pas perdu toute audience, même à l'époque augustéenne. En revanche,
l'influence des civilisations orientales non hellénisées (Syrie, Égypte, Mésopotamie, Iran), si elle se
manifeste assez tôt dans le domaine religieux, semble avoir été pratiquement négligeable dans celui
de l'art.

On peut donc, dans un souci de simplification, dire que trois grandes tendances vont désormais
s'affronter dans l'art romain, dont le domaine s'étend maintenant à l'ensemble des régions bornées
par le limes, avec une production qu'il est pratiquement impossible de dénombrer : la tendance
plébéienne, la tendance classique et la tendance pathétique ou baroque. C'est surtout dans le
domaine de l'iconographie qu'il est relativement aisé de les discerner : à la tendance plébéienne se
rattachent des portraits qualifiés souvent plus ou moins exactement de réalistes, qui confèrent au
modèle une vie intense par la reproduction de ses particularités souvent disgracieuses et qui, en
général, s'efforcent d'exprimer son énergie virile. Cette tendance prévaut au temps de César, de
nouveau sous les Flaviens et reparaît au IIIe s. à l'époque de l'« anarchie militaire ». Elle s'oppose
absolument au classicisme, qui idéalise le modèle aux dépens de sa personnalité : triomphant sous
Auguste, le classicisme reparaîtra sous Hadrien, sous les derniers Sévères et enfin sous Constantin. La
tendance pathétique, enfin, atteint son apogée sous Antonin et Marc Aurèle.

Colonne trajane

Des faits analogues peuvent être constatés dans d'autres branches de l'art ; ainsi, à Rome, la grande
frise de la colonne Trajane, réalisée entre 112 et 117, témoigne d'un esprit classique dans le
traitement de la figure humaine, constamment idéalisée, et dans la composition équilibrée des
scènes, bien que les exigences matérielles du genre (il s'agissait de présenter des milliers de
personnages et d'objets sur un étroit ruban de pierre, dans un cadre évoquant d'immenses paysages)
aient obligé à accepter, surtout dans la représentation de l'espace, des conventions analogues à
celles de l'art primitiviste. Au contraire, la colonne de Marc Aurèle, plus récente d'une soixantaine
d'années, présente une conception pathétique poussée jusqu'à la déformation systématique de la
figure humaine, afin d'exprimer la passion et l'horreur de la guerre. Un troisième monument
triomphal, l'arc de Septime Sévère, qui date des toutes premières années du IIIe s., supprime
pratiquement le décor, groupe les figures en masses compactes pour donner un effet de puissance,
les présente systématiquement face au spectateur ; l'origine de ces procédés se trouve dans l'art
plébéien. Le décor des sarcophages, qui apparaissent au début du IIe s. et qui seront, avec les
portraits, les seules œuvres sculptées importantes à partir du deuxième tiers du IIIe s., suit la même
évolution.

Art romain 9
Colonne de Marc Aurèle

Arc de Septime Sévère

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L'architecture demeure l'art roi ; l'ingéniosité créatrice des bâtisseurs ne sera affectée par aucune
des crises externes ou internes qui, pendant plus d'un siècle – de 166 à 284 –, paraîtront annoncer la
mort de l'Empire. Continuant les recherches de leurs devanciers, les architectes du iie s. et du iiie s.,
dont le plus illustre est Apollodore de Damas, maître d'œuvre de Trajan, rechercheront des formules
sans cesse plus hardies pour couvrir en voûtes d'immenses surfaces. Le matériau est toujours le
blocage de ciment, masqué à Rome par des parements en brique et dans les provinces par divers
types de maçonnerie. Les programmes sont orientés vers l'efficacité et le confort : d'une part, les
ports, les marchés (marchés de Trajan à Rome), les constructions hydrauliques, les grands immeubles
de rapport et, d'autre part, les thermes, les édifices destinés aux spectacles ont la priorité. Les
premiers servent le difficile équilibre économique de l'Empire, les seconds l'action psychologique qui
en maintient la cohérence. L'utilisation systématique de la voûte conduit l'architecte à créer un
espace artificiel clos dans lequel une lumière savamment canalisée joue sur un décor plaqué aux
parois. Ces tendances se remarquent dans les grands thermes impériaux à plan symétrique, qui

Thermes de Cluny Thermes de Maktar

apparaissent sous Trajan, atteignent leur apogée à Rome avec les fondations de Caracalla (211-217)
et de Dioclétien (284-305) et se multiplient par centaines dans les provinces. Notons, à ce propos,
que l'impression d'uniformité qu'on éprouve en retrouvant des constructions de même type de
l'Écosse à l'Euphrate est détruite par un examen plus poussé de ces monuments : par exemple,
l'exploration des thermes de Mactar (Tunisie) nous révèle un type d'édifice balnéaire conforme dans
ses grandes lignes au schéma « impérial », mais présentant, contrairement aux exemples déjà connus
de cette famille (celui de Cluny à Paris est l'un des mieux conservés), une façade articulée et
largement ouverte de baies. Il s'agit là, cependant, d'une tentative isolée et à contre-courant, la
tendance générale étant en faveur de l'espace artificiel clos. En créant le Panthéon, Hadrien
transpose même cette formule dans l'architecture religieuse.

Panthéon de Rome

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Cette recherche de l'espace clos est certainement l'une des causes de la décadence des modes
d'expression artistique auxquels les Grecs avaient donné la priorité, comme la sculpture en ronde
bosse5. Une autre cause de cette décadence, qui s'applique également à la peinture murale, est que
la force de la tradition empêchait pratiquement toute création originale dans ces domaines. Au
contraire, la mosaïque connaît depuis le début du IIe s. un extraordinaire développement,
précisément parce qu'elle convient à merveille à la décoration de l'espace clos. Des écoles
indépendantes se développent en Italie et dans les principales provinces ; toutes reviennent au décor
figuré, qui, au Ier s. avant J.-C. et au Ier s. après J.-C., avait été presque abandonné pour le décor
géométrique ; mais, tandis que l'école italienne traite ce décor figuré en noir sur fond blanc, les
écoles provinciales utilisent dès le début du IIe s. une polychromie extrêmement riche. D'autres
caractéristiques sont, au contraire, communes à toutes les écoles : l'abandon de l'illusionnisme
pictural, les figures étant souvent traitées comme des motifs ornementaux ; la tendance à la
surcharge, qui, à partir de la fin du IIe s., fait multiplier et foisonner les éléments du décor, qui
finissent par recouvrir entièrement le champ. On peut résumer sommairement cette évolution en
disant que la mosaïque de sol, qui, au Ier s., ressemblait soit à un dallage, soit à un tableau, prend de
plus en plus l'aspect d'un tapis lourdement brodé.

 La renaissance constantinienne et la fin de l'art romain

Les tendances que l'on vient d'analyser semblaient annoncer l'apparition d'un art fondé sur des
principes entièrement différents de ceux qu'avaient formulés les Grecs. Or, on constate qu'au IVe s.
certaines œuvres sont caractérisées par un souci de la netteté et de l'équilibre des formes qu'il faut
incontestablement qualifier de classique : il en est ainsi dans le domaine du portrait, mais aussi dans
celui du relief, représenté principalement par les sarcophages, de la peinture (plafond peint du
musée épiscopal de Trêves), dans celui de la mosaïque (mosaïque de chasse de Daphné-Antioche6, au
Louvre), ainsi que dans ceux de l'orfèvrerie et de l'illustration des manuscrits, qui connaissent alors
un développement particulier. La même tendance apparaît aussi dans l'architecture, notamment
celle des grandes villas seigneuriales, par exemple en Aquitaine (Montmaurin). Il s'agit d'une
« Renaissance » ; le phénomène n'est pas nouveau, mais prend alors une importance spéciale,
qu'explique la situation sociale : après les troubles du IIIe s. se reconstitue une aristocratie riche et
raffinée, qui réduit les paysans à une condition bien pire que celle qu'ils avaient connue au Haut-
Empire. Le transfert, en 330, du principal centre politique de l'Empire à Constantinople accentuera ce
phénomène, les milieux anatoliens étant toujours restés plus fidèles que ceux d'Occident à la
tradition hellénistique. C'est dans cette atmosphère que se produit la naissance de l'art chrétien
officiel, qui diffère profondément de l'art antérieur à la paix de l'Église, d'inspiration résolument
plébéienne.

5
La ronde-bosse est une technique de sculpture en trois dimensions de l'Antiquité qui, contrairement aux
hauts-reliefs et aux bas-reliefs, n'est pas physiquement attachée à un fond mais repose sur un socle. Elle
peut être observée sous n'importe quel angle, même si la partie postérieure n'est pas toujours achevée,
comme pour Hermès portant Dionysos enfant ou certaines statues médiévales au dos évidé. La sculpture en
ronde-bosse est le plus souvent utilisée pour des représentations figuratives. Cependant, les chapiteaux
comportant plusieurs sujets ne semblent pas pouvoir être assimilés au qualitatif de ronde-bosse.
6
Voir https://www.youtube.com/watch?v=cXSdpkgWcwA.

Art romain 12
Cependant, l'art plébéien, devenu l'art provincial, ne devait pas mourir ; par des voies actuellement
mystérieuses, il a engendré en Occident la sculpture que nous appelons romane : non seulement la
reprise de thèmes, mais la similitude des modes d'expression est incontestable. Par ce biais, l'art
romain propre apparaît donc comme une des composantes essentielles de la culture artistique de
l'Occident. L'architecture impériale allait, d'autre part, servir de modèle pour le décor, mais non pour
les structures, à tous les constructeurs européens du XVIe au XIXe s. Quant à la peinture, elle a exercé
une influence plus discontinue, mais féconde, au XVIe s. d'abord (Raphaël s'inspire de la Maison
dorée de Néron), puis au XVIIIe s., après les premières fouilles d'Herculanum et de Pompéi.

Villa gallo-romaine de Montmaurin et ses thermes

Art romain 13

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