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Rein et agents anticancéreux

Article · December 2021

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4 authors:

Nadia Kabbali Basmat Amal Chouhani


Centre Hospitalier Universitaire Hassan II Sidi Mohamed Ben Abdellah University
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G. El Bardai Tarik Sqalli Houssaini

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Faculty of Medicine, Pharmacy, and Dentistry of Fez
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Mises au point

Rein et agents anticancéreux

Kidney and anticancer agents


N. KABBALI*, BA. CHOUHANI, G. EL BARDAI, T. SQALLI HOUSSAINI
kabbalinadia@gmail.com

Service de Néphrologie, Hémodialyse et Transplantation, CHU Hassan II, Fès. Maroc


Laboratoire d’Epidémiologie et de Recherche en Science de la Santé, Faculté de Médecine, de Pharmacie et de Médecine Dentaire,
Université Sidi Mohamed Ben Abdellah, Fès. Maroc

Résumé
La néphrotoxicité des agents anticancéreux est de plus en plus rencontrée dans la pratique
clinique, de telle sorte que le sous-domaine de “l’onco-néphrologie” a émergé. Cette toxicité
peut toucher le glomérule, les tubules, l’interstitium ou la microcirculation rénale via différents
mécanismes, avec des manifestations allant d’une élévation asymptomatique de la créatinine
sérique, à des troubles hydro-électrolytiques plus ou moins sévères, voir une insuffisance rénale
avancée nécessitant la dialyse. L’avènement des nouvelles molécules en oncologie, notamment
les thérapies ciblées et l’immunothérapie, a entraîné une amélioration de la survie des patients
par rapport à la chimiothérapie standard. Les toxicités rénales de ces agents anticancéreux sont
de plus en plus reconnues et sont variables selon la cible thérapeutique visée. D’autre part,
les reins représentent également une voie d’élimination majeure pour de nombreux agents
anticancéreux, et l’insuffisance rénale peut entrainer un retard d’élimination et une toxicité
systémique accrue. Ainsi, de nombreux médicaments nécessitent un ajustement posologique
lorsqu’ils sont administrés dans un contexte d’insuffisance rénale. Cet article passe en revue
la toxicité rénale des agents anticancéreux les plus fréquemment utilisés, tels que les sels de
platine, le méthotrexate et la gemcitabine, ainsi que la néphrotoxicité liée à des molécules plus
récentes dans le cadre des thérapies ciblées ou de l’immunothérapie.
Mots clés : Néphrotoxicité ; chimiothérapie ; thérapie ciblée ; immunothérapie

Revue Marocaine de Néphrologie


268 Volume 1 - N°4 / Déc 2021 - Fév 2022
Abstract
Nephrotoxicity from cancer therapies is increasingly encountered inclinical practice, such
that the subfield of “onco-nephrology” has emerged. This toxicity can affect the glomerulus,
tubules, interstitium, or renal microvasculature via different mechanisms, with clinical
manifestations that range from an asymptomatic elevation of serum creatinine and electrolyte
disorders to acute kidney injury requiring dialysis. The advent of new molecules oncology
including targeted therapies and immunotherapy, has resulted in improved patient survival
over standard chemotherapy. The renal toxicities of these anticancer agents are more and
more recognized and vary according to the targeted therapeutic target. The kidneys are also
a major elimination pathway for many antineoplastic drugs and their metabolites, and kidney
impairment can result in delayed drug excretion and metabolism of chemotherapeutic agents,
and increased systemic toxicity. Many drugs require dose adjustment when administered in
the setting of kidney insufficiency. This review article discusses the renal toxicity associated
with the most frequently used anti-cancer agents, such as platinum agents, methotrexate and
gemcitabine, as well as nephrotoxicity linked to newer molecules as part of targeted therapies
or immunotherapy.
Keywords: Nephrotoxicity; chemotherapy; targeted therapies; immunotherapy

Introduction potentiellement néphrotoxiques étaient utilisés dans


80 % des cures de chimiothérapie [1].
La néphrotoxicité liée à la chimiothérapie a toujours Cet article passe en revue la toxicité rénale des agents
été un domaine important pour le néphrologue. En anticancéreux les plus fréquemment utilisés, tels que les
effet, le nombre d’agents causant des lésions rénales sels de platine, le méthotrexate et la gemcitabine, ainsi
ou des troubles électrolytiques et acido-basiques que la néphrotoxicité liée à des molécules plus récentes
a considérablement augmenté. En plus des agents dans le cadre des thérapies ciblées ou de l’immunothérapie.
conventionnels, l’émergence de thérapies ciblées
et de l’immunothérapie a augmenté les cas de
néphrotoxicité induite par les agents anticancéreux. En Facteurs de risque de néphrotoxicité
outre, il est essentiel de comprendre le métabolisme
rénal et l’excrétion de ces médicaments pour garantir Plusieurs facteurs peuvent potentialiser l’atteinte
l’efficacité tout en évitant ou du moins en réduisant rénale et contribuer au potentiel néphrotoxique des
la toxicité, en particulier dans le cadre d’une maladie médicaments anticancéreux. Ceux-ci inclus :
rénale aiguë ou chronique. • L’hypovolémie due à des pertes externes ou à une
La néphrotoxicité des agents anticancéreux se séquestration liquidienne (ascite ou œdème). C’est
présente souvent sous la forme d’une insuffisance l’un des facteurs les plus courants contribuant
rénale aigüe (nécrose tubulaire aigüe, néphrite au potentiel néphrotoxique des médicaments
interstitielle aigüe, …). D’autres manifestations plus antinéoplasiques.
subtiles (troubles acido-basiques, troubles hydro- • L’utilisation concomitante de médicaments néphro-
électrolytiques, anomalies du sédiment urinaire, …), toxiques (aminoglycosides, anti-inflammatoires
sont parfois méconnus, ce qui rend l’incidence de la non stéroïdiens, …) ou des produits de contraste
néphrotoxicité des agents anticancéreux difficile à iodés, ou encore des médicaments modifiants
déterminer. Une étude a estimé que des médicaments l’hémodynamique glomérulaire.

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Volume 1 - N°4 / Déc 2021 - Fév 2022
Mises au point

• L’obstruction des voies urinaires secondaire à la les patients en dialyse péritonéale, certains auteurs
tumeur sous-jacente. suggèrent une réduction de dose de 25 % [7].
•
L a présence d’une insuffisance rénale pré-
Ifosfamide
existante, liée à d’autres comorbidités, liée à l’âge,
idiopathique, ou liée au cancer lui-même. L’ifosfamide est un agent alkylant utilisé dans
certains cancers comme le sarcome, le cancer
D’autres facteurs de risque existent et sont
des testicules et certaines formes de lymphome.
spécifiques à certaines molécules. Pour le cisplatine
Comme pour le cyclophosphamide, la principale
par exemple, une vitesse de perfusion trop élevée, le
toxicité urologique est la cystite hémorragique.
tabagisme et l’hypo-albuminémie constituent des
Un SIADH peut aussi être mis en évidence.
facteurs de risque de néphrotoxicité [2].
L’ifosfamide peut également entrainer une
dysfonction tubulaire proximale de type syndrome
Agents de chimiothérapie de Fanconi, caractérisée par l’excrétion urinaire
disproportionnée de glucose, de phosphate, de
conventionnelle bicarbonate et d’acides aminés. Cette complication

Agents alkylants reste rare chez les adultes et est fréquemment


réversible. L’insuffisance rénale pré-existante est un
Cyclophosphamide facteur de risque de néphrotoxicité de l’ifosfamide,
L’hyponatrémie est le trouble le plus fréquemment de même qu’une dose cumulée supérieure à
rencontré lors de l’utilisation du cyclophosphamide, 90 g/m² et l’exposition préalable au cisplatine.
surtout avec des doses élevées par voie intra-veineuse Des recommandations pour la réduction de la dose
(30 à 50 mg/kg ou 6 g/m²). L’hyponatrémie est due en fonction de la fonction rénale sont disponibles
à une hyperstimulation de l’hormone antidiurétique auprès de groupes d’experts, bien qu’elles diffèrent
(syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone sensiblement [5, 7]. L’ifosfamide est dialysable et
antidiurétique ou SIADH) altérant la capacité du doit être administré après la séance d’hémodialyse
rein à excréter l’eau [3]. Les nausées induites par avec une réduction de dose de 50 %. Une réduction
la chimiothérapie peuvent également jouer un rôle de dose de 50 % est également suggérée pour les
contributif, car les nausées sont un puissant stimulant patients sous dialyse péritonéale [8].
de la libération de l’hormone antidiurétique.
Melphalan
Ceci est également favorisé par les protocoles
de réhydratation des patients en prévention de Le melphalan est un agent alkylant qui est utilisé
la cystite hémorragique [4]. La nécessité d’une principalement dans le traitement du myélome
réduction de la dose de cyclophosphamide chez les multiple. Il peut également être responsable d’un
patients présentant une insuffisance rénale pré- SIADH. Bien que le médicament soit principalement
existante est controversée. L’adaptation de la dose métabolisé par le foie, 10 à 30 % sont excrétés
n’est pas recommandée par plusieurs auteurs citant sous forme inchangée dans les urines. La plupart
le manque d’association entre la fonction rénale des auteurs recommandent la réduction de la dose
et la clairance du cyclophosphamide ou la toxicité du melphalan de 25 % pour les clairances entre
hématologique [5]. En revanche, d’autres suggèrent 10 et 50 ml/min et de 50 % pour les clairances
la nécessité d’un ajustement de la dose en raison inférieures à 10 ml/min [7, 9]. Le melphalan est
de la modification de la pharmacocinétique lors de dialysable. Certains recommandent d’administrer
l’insuffisance rénale [6]. Le cyclophosphamide est la moitié de la dose habituelle après dialyse chez
modérément hémodialysable, il est préférable de les patients en hémodialyse et chez ceux en dialyse
l’administrer après la séance d’hémodialyse. Chez péritonéale [9].

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Les antimétabolites le méthotrexate n’est généralement pas associé
à une toxicité rénale, sauf en cas de dysfonction
Gemcitabine rénale sous-jacente. En revanche, le méthotrexate
La gemcitabine est un antimétabolite pyrimidique intraveineux à forte dose (1 à 15 g/m²) peut précipiter
utilisé dans le traitement d’un certain nombre de dans les tubules et induire des lésions tubulaires
tumeurs malignes (pancréas, poumon, sein, vessie). La (néphropathie cristalline). Ce risque est d’autant
principale forme de néphrotoxicité de la gemcitabine plus important que le patient est hypovolémique,
est la microangiopathie thrombotique (MAT). L’arrêt que le pH urinaire est bas (le méthotrexate est peu
du médicament est de mise. L’incidence de la MAT soluble en milieu acide), et que la concentration
sous gemcitabine varie de 0,015 à 1,4 %, elle serait plus plasmatique de méthotrexate est élevée. Les
importante lorsque la dose cumulée est supérieure à mesures préventives incluent une pré-hydratation
20 g/m² [10], ou lorsque la cure est précédée par un d’au moins 2,5 à 3,5 l/m²/jour, à commencer entre
traitement à base de mitomycine [11]. Chez les patients 4 et 12 h avant la perfusion de méthotrexate. Le
en hémodialyse, les recommandations suggèrent que recours au furosémide est parfois nécessaire afin
la séance soit réalisée 6 à 24 heures après la cure de d’augmenter le débit urinaire. Afin de réduire la
gemcitabine [11]. Il n’y a pas de données disponibles en précipitation du méthotrexate, l’alcalinisation
dialyse péritonéale. des urines par la perfusion de soluté bicarbonaté
est également recommandée [13]. L’utilisation
Hydroxyurée d’acide folinique (leucovorine) contribue à réduire
L’hydroxyurée est habituellement utilisée dans le la toxicité systémique sur les cellules saines sans
traitement de la leucémie myéloïde chronique et avoir d’effet sur l’élimination du méthotrexate,
chez les drépanocytaires pour réduire la fréquence et ceci, en entrant en compétition avec lui pour
des crises douloureuses et le recours aux transfusions les mêmes processus de transport à l’intérieur de
sanguines. Environ 40 à 50 % du médicament est la cellule. Il est administré à partir de 24 heures
excrété par voie rénale [12], et des réductions de la après le méthotrexate afin de ne pas neutraliser les
dose sont nécessaires chez les patients présentant effets antitumoraux de ce dernier, ceci est appelé
une dysfonction rénale. Les recommandations des “sauvetage folinique” ou “Leucovorin rescue”
groupes d’experts sont variables, mais la plupart [14]. Lorsque l’insuffisance rénale aigüe liée au
suggèrent une diminution de dose de 50 % si la méthotrexate est déjà installée, en plus des mesures
clairance est entre 60 et 10 ml/min, et une réduction suscitées, des doses plus importantes de leucovorine
de 50 à 80 % de la dose si la clairance est inférieure seront indiquées et la glucarpidase (carboxypeptidase
à 10 ml/min et chez les dialysés (hémodialyse ou G2) peut être envisagée [15]. L’hémodialyse, en utilisant
dialyse péritonéale) chez qui le médicament devra des débits sanguins élevés avec un dialyseur à haut
être prescrit après la séance d’hémodialyse [7, 9]. flux, peut éliminer le méthotrexate [16]. Cependant, le
recours à l’hémodialyse ne sera envisagé que lorsque
Méthotrexate l’insuffisance rénale aigüe est sévère et anurique, à
Le méthotrexate est un antagoniste des folates cause de l’effet rebond de la concentration plasmatique
qui inhibe la dihydrofolate réductase. Son activité en méthotrexate après la dialyse, ainsi qu’aux
anti-tumorale est très large, ce qui en fait une complications inhérentes à la dialyse (thrombopénie,
molécule de choix dans de nombreux protocoles hémorragie, infection, hypokaliémie, …).
en oncologie. Ses propriétés anti-inflammatoires et Lorsqu’il existe une insuffisance rénale préalable à
immunomodulatrices permettent également son l’administration du méthotrexate, une réduction
utilisation dans d’autres spécialités telles que la des doses est nécessaire. Les protocoles ne sont pas
rhumatologie, la dermatologie, … Le méthotrexate uniformes, mais la plupart des experts suggèrent une
est excrété à plus de 90 % de façon inchangée dans réduction de 25 % lorsque la clairance de créatinine
les urines. A des doses inférieures à 0,5 à 1,0 g/m², est entre 50 et 60 ml/min, et de 50 % lorsque la

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clairance est entre 15 et 50 ml/min. L’administration néphrite interstitielle aiguë, ou un diabète insipide
du médicament étant déconseillée lorsque la néphrogénique [17]. Un ajustement de la dose n’est
clairance est inférieure à 15 ml/min [5, 7]. pas nécessaire chez les patients dont la clairance de
créatinine est supérieure à 45 ml/min [18].
Pémetrexed
Le pémetrexed est un analogue de l’acide folique Les antibiotiques anti-tumoraux
inhibant préférentiellement la réplication des
cellules cancéreuses. Il est utilisé dans le traitement
Anthracyclines et substances apparentées
du mésothéliome pleural et du cancer bronchique Les anthracyclines, comme la daunorubicine et
non à petites cellules. Il est principalement excrété la doxorubicine, sont des inhibiteurs de la topo-
sous forme inchangée par le rein. La figure 1 montre isomérase II avec un large spectre d’activité
le mécanisme de néphrotoxicité tubulaire [11]. antitumorale. Elles ont été liées à l’apparition de
cas de syndrome néphrotique (lésions glomérulaires
minimes, hyalinose segmentaire et focale,
glomérulopathie collapsante) [19]. La doxorubicine
liposomale pégylée a également été associée à des cas
de micro-angiopathie thrombotique et d’insuffisance
rénale aigüe [20, 21]. Les anthracyclines sont
excrétées majoritairement par la bile, et à moindre
mesure par le rein. De ce fait, la plupart des auteurs
ne recommandent aucun ajustement des doses chez
l’insuffisant rénal, même au stade de dialyse, le
médicament devant être administré après la séance
d’hémodialyse [7].

Mitomycine
Un certain nombre de cas de micro-angiopathie
thrombotique sont survenus chez des patients
ayant reçu la mitomycine, mais la relation cause–
effet n’est pas clairement établie, car la mitomycine
Figure 1 : Mécanisme de la néphrotoxicité du Pémetrexed (Pmx), adapté est souvent prescrite en association à d’autres
d’après Perazella MA [11]
agents anticancéreux [22]. Moins de 20 % de la
Le pémetrexed entre à l’intérieur de la cellule tubulaire proximale via le
transporteur de folate réduit (RFC) au niveau de la membrane basolatérale, et via mitomycine est excrétée dans les urines [5], elle
le récepteur α du folate (FR- α) au niveau de la membrane apicale. A l’intérieur de peut donc être administrée aux patients atteints
la cellule, il est polyglutamylé, induisant une augmentation des concentrations
intracellulaires d’une part (car il ne peut plus être transporté hors de la cellule), d’insuffisance rénale, avec une surveillance étroite
une inhibition des enzymes du métabolisme du folate et une altération de la de la fonction rénale. Les recommandations diffèrent
synthèse cellulaire d’ARN/ADN d’autre part, entrainant de ce fait une tubulopathie
et une insuffisance rénale aigüe. pour la réduction de la dose dans le contexte
Pmx-glt : pemetrexed polyglutamylé
d’une insuffisance rénale pré-existante, Aronoff
recommande une réduction de dose de 25 % chez les
Bien que ses principaux effets indésirables soient patients dont la clairance de créatinine est inférieure
la myélosuppression et la neutropénie, une à 10 ml/min [7].
insuffisance rénale aigüe réversible est reportée
avec un traitement à forte dose (600 mg/m²). La Les sels de platine : le cisplatine
néphrotoxicité au pémetrexed peut également Le cisplatine est l’un des médicaments anti-
se révéler par une acidose tubulaire rénale, une néoplasiques les plus utilisés, mais aussi l’un des

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plus néphrotoxiques, limitant ainsi la dose [2]. La proposés sans montrer de réelle éfficacité (amifostine,
néphrotoxicité peut se manifester par une insuffisance thiosulfate de sodium, N-acétylcystéine, théophylline,
rénale aigüe, une micro-angiopathie thrombotique, Glycine, …) [23]. Chez les patients à haut risque, d’autres
une hypomagnésémie, ou une tubulopathie proximale platines comme le carboplatine et l’oxalaplatine
(Figure 2). peuvent être utilisés en raison de leur profil moins
néphrotoxique par rapport au cisplatine [24]. Chez les
patients atteints d’insuffisance rénale sous-jacente, il
faut éviter au maximum l’administration du cisplatine,
sauf s’il n’y a pas d’alternative thérapeutique et que
le pronostic vital est en jeu, avec une réduction des
doses de 25 à 50 % lorsque la clairance est inférieure à
50 ml/min [5, 7]. Bien que les données disponibles
soient rares et qu’elles soient surtout basées sur des cas
cliniques rapportés, des protocoles de chimiothérapie
incluant le cisplatine ont été administrés avec succès
à des patients en hémodialyse chronique. Les auteurs
suggèrent une réduction de dose de 50 à 75 % avec
l’administration du médicament après la séance
d’hémodialyse. Une réduction de dose de 50 % est
également recommandée pour les patients en une
dialyse péritonéale [7].

Figure 2 : Mécanisme de la néphrotoxicité du Cisplatine, adapté d’après


Les thérapies ciblées
Perazella MA [11]
Le cisplatine pénètre dans les cellules par les transporteurs de cations organiques L’avènement des nouvelles molécules en oncologie,
(OCT) et, lorsqu’il s’accumule dans les cellules, il provoque des lésions cellulaires par notamment les thérapies ciblées, a entraîné une
le biais de multiples mécanismes. L’apoptose et la nécrose des cellules tubulaires en
résultent et provoquent une tubulopathie et une insuffisance rénale aigüe. amélioration de la survie des patients par rapport à
CDKs : kinases dépendantes des cyclines ; MAPK : protéines kinases activées par des la chimiothérapie standard. Bien que manifestement
agents mitogènes ; MRP : protéine de multirésistance aux médicaments ; NaDC :
sodium dicarboxylate ; OAT : transporteur des anions organiques ; P53 : protéine 53 ; efficaces, ces médicaments ont des effets rénaux
Pgp : glycoprotéine ; ROS : radicaux oxygénés libres indésirables bien définis et dose-dépendants.
L’hypertension artérielle et la protéinurie sont souvent
Pour prévenir cette néphrotoxicité, il est recommandé
observées, mais une protéinurie néphrotique et/
de prescrire une bonne réhydratation à base de
ou une insuffisance rénale aigüe peuvent également
solution saline isotonique intraveineuse pour
se développer. Globalement, l’insuffisance rénale
induire une diurèse avant et après l’administration
aigüe induite par les agents ciblés est nettement
de cisplatine [2]. Un des protocoles proposés est moins fréquemment observée qu’avec l’utilisation
d’administrer par voie intraveineuse au cours des deux de la chimiothérapie cytotoxique, et a souvent une
à trois heures avant la cure 1.000 ml de solution saline origine multifactorielle [25]. Une micro-angiopathie
isotonique plus 20 mEq de chlorure de potassium thrombotique est également possible lorsque la molécule
et 2 g de sulfate de magnésium. Ensuite, administrer ciblée interfère avec l’homéostasie endothéliale [26].
500 ml au cours des deux heures après la cure, pour Le tableau I résume la néphrotoxicité des principaux
maintenir un débit urinaire d’au moins 100 ml/ traitements ciblés. La figure 3 résume l’expression rénale
heure pendant deux heures avant et deux heures des différents protéines/récepteurs ainsi que les toxicités
après l’administration du médicament [2]. Un rénales associées à cette nouvelle classe de thérapies
certain nombre d’agents chimioprotecteurs ont été ciblées.

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Tableau I : Toxicités rénales des thérapies ciblées [25]


L’immunothérapie
Traitement Toxicité rénale
Rétention hydrique L’immunothérapie a révolutionné le traitement du
Troubles ioniques : hypomagnésémie, hypokaliémie cancer en ciblant le système immunitaire plutôt que
Anti-EGFR
Glomérulopathie : LGM, GEM, IgA, glomérulonéphrite à dépôts
de CI le cancer. Aussi appelée thérapie biologique, elle
HTA est basée sur une inhibition du point de contrôle
Troubles ioniques : hypokaliémie, hyponatrémie, hypomagnésémie immunitaire avec deux cibles thérapeutiques : le
Anti-HER 2
IRA : Syndrome cardio-rénal, syndrome de lyse tumorale
Néphrotoxicité fœtale réversible, oligo-hydramnios CTLA-4 et le PD-1 (et son ligand PD-L1). L’objectif est
Troubles ioniques : Hypokaliémie, hyponatrémie de restaurer l’activation du système immunitaire,
Syndrome de Fanconi dirigée vers les cellules tumorales. Ces agents sont
Inhibiteurs BRAF IRA : Fausse élévation de la créatinine par compétition inhibitrice,
appelés inhibiteurs du point de contrôle immunitaire.
NTA, NIA immunoallergique
Protéinurie néphrotique La réponse immunitaire robuste générée par les
HTA inhibiteurs du point de contrôle immunitaire est
Inhibiteurs MEK
IRA et hyponatrémie en cas d’association tramétinib + dabrafénib compliquée par un certain nombre d’effets auto-
Troubles ioniques immuns indésirables, notamment la dermatite, la
IRA : Fausse élévation de la créatinine par compétition inhibitrice,
Inhibiteurs ALK colite, la pneumonie et diverses endocrinopathies.
NTA, NIA immunoallergique
Formation et progression de kystes rénaux Les toxicités liées à l’immunothérapie impliquent
Troubles ioniques également les reins [27]. L’incidence de la
HTA, protéinurie
Microangiopathie thrombotique néphrotoxicité liée aux inhibiteurs du point de
Anti-VEGF
Glomérulopathie : LGM, HSF collapsante, IgA, glomérulonéphrite contrôle immunitaire a été recherchée dans les
proliférative
NIA
données des essais cliniques de phase 2/3. Sur
un total de 3695 patients, l’incidence globale de
LGM : lésions glomérulaires minimes ; GEM : glomérulonéphrite extra-
membraneuse ; CI : complexes immuns ; HTA : hypertension artérielle ; IRA : l’insuffisance rénale aigüe était de 2,2 % [28]. Le
insuffisance rénale aigüe ; NTA : nécrose tubulaire aigüe ; NTI : néphrite mécanisme de la toxicité rénale reste mal étiqueté,
interstitielle aigüe ; HSF : hyalinose segmentaire et focale
mais il existe des explications potentielles (Figure 4).

Figure 4 : Mécanismes potentiels de toxicité rénale induite par un inhibiteur


Figure 3 : Localisation rénale des protéines/récepteurs cibles et toxicités du point de contrôle immunitaire [27]
rénales des différents inhibiteurs [25]
A : Les cellules T reconnaissent l’Ag médicamenteux après le blocage du récepteur
ALK : kinase lymphome anaplasique ; BRAF : B-fibrosarcome à accélération PD-1 induisant une perte de tolérance au médicament associée à une IRA. B : les
rapide ; EGFR : récépteur du facteur de croissance épidermique ; HER-2 : facteur cellules T reconnaissent un Ag rénal hors cible après le blocage du récepteur PD-1
de croissance épidermique humain-2 ; ITK : inhibiteur de la tyrosine kinase ; VEGF : induisant une IRA. C : génération d’auto-anticorps anti-tissue rénal. D: augmentation
facteur de croissance endothélial vasculaire des cytokines pro-inflammatoires dans le tissu rénal

Revue Marocaine de Néphrologie


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Perspectives dans la prédiction de 4- Bressler RB, Huston DP. Water intoxication following moderate-dose
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La meilleure approche pour éviter ou réduire la 6- Haubitz M et al. Cyclophosphamide pharmacokinetics and dose requirements
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La deuxième approche futuriste repose sur la 15- Widemann BC. Practical considerations for the administration of
technologie du rein sur puce “Kidney-on-a-chip”. Il glucarpidase in high-dose methotrexate (HDMTX) induced renal dysfunction.
s’agit d’un système in vitro permettant de reproduire Pediatr Blood Cancer. 2015;62(9):1512–3.
16- Saland JM et al. Effective removal of methotrexate by high-flux
le microenvironnement en 3D. Ainsi un “rein sur puce” hemodialysis. Pediatr Nephrol. 2002;17(10):825–9.
pourrait imiter les propriétés structurelles, mécaniques, 17- Vootukuru V et al. Pemetrexed-induced acute renal failure, nephrogenic
de transport, d’absorption et physiologiques du rein diabetes insipidus, and renal tubular acidosis in a patient with non-small cell
humain [30]. lung cancer. Med Oncol. 2006;23(3):419–22.
18- Mita AC et al. Phase I and pharmacokinetic study of pemetrexed
administered every 3 weeks to advanced cancer patients with normal and
impaired renal function. J Clin Oncol. 2006;24(4):552–62.
Conclusion 19- Mohamed N et al. Collapsing glomerulopathy following anthracycline
therapy. Am J Kidney Dis. 2013;61(5):778–81.
Les voies thérapeutiques anticancéreuses ne cessent 20- Shavit L et al. Pegylated liposomal doxorubicin and renal thrombotic
microangiopathy: An under-recognized complication of prolonged treatment
de se développer, permettant d’améliorer le pronostic for ovarian cancer. Kidney International. 2013;85:213.
de ces malades au prix de l’apparition de nombreux 21- Carron PL et al. Nephrotic syndrome and acute renal failure during
effets secondaires, notamment rénaux, qu’il faut savoir pegylated liposomal doxorubicin treatment. Hemodial Int. 2014;18(4):846–7.
prévenir et rechercher afin d’améliorer la tolérance et 22- El-Ghazal R et al. Mitomycin-C-induced thrombotic thrombocytopenic
purpura/hemolytic uremic syndrome: Cumulative toxicity of an old drug in a
minimiser la néphrotoxocité, d’autant plus que la morbi- new era. Clin Colorectal Cancer. 2011;10(2):142–5.
mortalité associée à l’insuffisance rénale aiguë reste très 23- Benoehr P et al. Nephroprotection by theophylline in patients with cisplatin
élevée, particulièrement chez les patients d’oncologie. chemotherapy: a randomized, single-blinded, placebo-controlled trial. J Am
Soc Nephrol. 2005;16(2):452–8.
24- Oun R et al. The side effects of platinum-based chemotherapy drugs: A
Conflit d’intérêt review for chemists. Dalton Transactions. 2018;47(19):6645-53.
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt. 25- Izzedine H. Toxicités rénales des thérapies ciblées en oncologie : Renal
toxicities of targeted therapies in oncology. Nephrol Ther. 2020;16(1):1-8.
26- Valérioa P et al. Thrombotic microangiopathy in oncology – a review.
Translational Oncology. 2021;14(7):101081.
Références 27- Perazella MA, Shirali AC. Nephrotoxicity of Cancer Immunotherapies:
Past, Present and Future. J Am Soc Nephrol. 2018;29(8):2039–52.
1- Launay-Vacher V et al. Prevalence of Renal Insufficiency in cancer patients 28- Cortazar FB et al. Clinicopathological features of acute kidney injury
and implications for anticancer drug management. Cancer. 2007;110(6):1376–84. associated with immune checkpoint inhibitors. Kidney Int. 2016;90(3):638–47.
2- Crona DJ et al. A Systematic Review of Strategies to Prevent Cisplatin- 29- Pavkovic M, Vaidya VS. MicroRNAs and drug-induced kidney injury.
Induced Nephrotoxicity. Oncologist. 2017;22(5):609–19. Pharmacol Ther. 2016;163:48–57.
3- Bode U et al. Studies on the antidiuretic effect of cyclophosphamide: vasopressin 30- Wilmer MJ et al. Kidney-on-achip technology for drug-induced
release and sodium excretion. Med Pediatr Oncol. 1980;8(3):295–303. nephrotoxicity screening. Trends Biotechnol. 2016;34(2):156–70.

Revue Marocaine de Néphrologie


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Volume 1 - N°4 / Déc 2021 - Fév 2022

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