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Avril—2024 n°550

DOSSIER
COMÉDIE
LA RÉVOLUTION
FRANÇAISE ?

SYDNEY
SWEENEY
APRÈS
L’«EUPHORIA»

FIASCO
S.O.S.
TOURNAGE
RÉUSSI POUR
PIERRE NINEY FANT MES
LA MENACE DE GLACE
Les coulisses du film qui croise les générations
LA SAGA RACONTÉE PAR DAN AYKROYD

• JULIA FAURE • TYE SHERIDAN • ALBA ROHRWACHER L 12166 - 550 - F: 5,90 € - RD


GUESTS • PABLO PAULY • ÉMILIE NOBLET • SÉBASTIEN CHASSAGNE
Édito
PHOTO DE COUVERTURE © 2024 Columbia Pictures Industries, Inc. All Rights Reserved.

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RÉDACTION
GAËL GOLHEN : Rédacteur en chef (53 90) – ggolhen@premiere.fr
THIERRY CHEZE : Rédacteur en chef magazine (43 95) – tcheze@premiere.fr
ÉDOUARD OROZCO : Rédacteur en chef adjoint numérique (53 84) – eorozco@premiere.fr
FRÉDÉRIC FOUBERT : Rédacteur (53 89) – ffoubert@premiere.fr
SYLVESTRE PICARD : Rédacteur (53 94) – spicard@premiere.fr
THOMAS BAUREZ : Rédacteur (43 90) – tbaurez@premiere.fr
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FRANÇOIS LÉGER : Rédacteur – fleger@premiere.fr
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COLLABORATIONS
DIRECTEUR ARTISTIQUE : ÉMILIEN GUILLON
RÉDACTRICE GRAPHISTE : HÉLÈNE GIQUELLO
PHOTO : NELLY MACHANEK

PHILTRE D’HUMOUR
1RE SECRÉTAIRE DE RÉDACTION : ESTELLE RUET (53 88) – eruet@premiere.fr
SECRÉTAIRES DE RÉDACTION : ISABELLE CALMETS, MARIANNE RAVEL
TEXTES : BASTIEN ASSIÉ, JONATHAN BLANCHET, GUILLAUME BONNET, LUCIE CHIQUER,
FRANÇOIS GRELET, YOHAN HADDAD, LOU HUPPEL, DAMIEN LEBLANC, PIERRE LUNN,
NICOLAS MORENO, EMMA POESY, THÉO RIBETON, ROMAIN THORAL, DAVID YANKELEVICH

SITE INTERNET

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WALID CHARFEDDINE : Digital manager
DIRECTION, ÉDITION

E
REGINALD DE GUILLEBON : Directeur de la publication
LAURENT COTILLON : Directeur exécutif
CHRISTINE TURK : Directrice éditorial et digital
n relisant le magazine, ça nous a sauté aux yeux. Tout
RICCARDO MOLTENI : Responsable financier
CATHERINE LEBORGNE : Comptable
tenait en trois lettres, brillantes, pop, sonores. SNL,
FABRICATION pour Saturday Night Live, cette émission satirique amé-
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MARKETING ricaine qui a vu naître tous les plus grands humoristes
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caroline.paquet@lefilmfrancais.com américains, des années 80 à aujourd’hui. Sur la couverture,
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– Fax : 01 44 88 97 79 – mail pnom@mediaobs.com. Pour joindre par téléphone votre
correspondant, composez le 01 44 88 suivi des 4 chiffres entre parenthèses fantômes, mais Bill Murray et Dan Aykroyd trônent en ma-
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DIRECTRICE COMMERCIALE : Sandrine Kirchthaler (89 22) jesté. Deux pivots de l’émission des 80s, qui incarnent les
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OGs (les ghostbusters originaux) dans ce nouveau S.O.S.
STUDIO : Brune Provost (89 13) Fantômes. Ce ne sont pas les héros, ils ne font que passer
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Château-Bloch 10 – 1219 Le Lignon - Suisse - Tél. : 070/ 233 304 – www.edigroup.be – rants et les réussites touchantes, mais il réussissait tou-
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Fax : (514) 355-3332. Prix : 1 an 59,99 $, USA. Prix : 1 an 59,99 $, Canada (TPS et TVQ non
incluses). « Première » ISSN 0399-3698, is published monthly (11 times per year,
except August) by Première SAS, c/o Distribution Grid, 600 Meadowlands Parkway, Unit 14,
influencé toute la nouvelle génération de la comédie fran-
Secaucus, NJ 07094 USA Periodicals Postage paid at Secaucus, NJ. Postmaster :
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çaise. On a rencontré Florent Bernard, Émilie Noblet,
Plattsburgh, NY, 12901-0239.
Xavier Lacaille ou Jérémie Sein et tous reconnaissent la
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ISSN 0399-3698. Tous droits de reproduction textes et photos réservés pour tous pays sous
quelque procédé que ce soit. Commission paritaire :
dette qu’ils ont envers les génies de l’émission (Will Ferrell
n° 0923 K 82451. Imprimé en Italie chez Arti Grafiche Boccia - 84131 Salerno.
Dépôt légal : avril 2024. Distribution MLP.
et Steve Carell en tête). Le numéro que vous tenez entre
DIFFUSION les mains n’est pas un « spécial comédie », mais pas loin.
Vente au numéro (réservé aux marchands de journaux) :
DESTINATION MEDIA – tél : 01 56 82 12 06 et reseau@destinationmedia.fr Comme on disait à l’époque : « Live from New York, it’s sa-
ADRESSE turday night ! »
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Avril 2024 3
42

28 40
46 Sommaire N°550 – AVRIL 2024

06 LES NEWS
28 EN COUVERTURE S.O.S. Fantômes : La Menace
de glace de Gil Kenan

40 PORTRAIT Alba Rohrwacher


42 PORTRAIT Tye Sheridan
44 PORTRAIT Julia Faure
44 46 ENQUÊTE La nouvelle comédie française
54 FOCUS Le cinéma doit-il craindre l’IA ?
58 58 PORTRAIT Sydney Sweeney
62 TOURNAGE Fiasco d’Igor Gotesman
66 SÉRIE Fallout de Jonathan Nolan
70 CLASSICS Sans retour de Walter Hill
76 EN SALLES
92 STREAMING/VOD/DVD
94 SÉRIES
97 AGENDA
54 98 LE FILM QUI… Pablo Pauly

62 70

66
4 Avril 2024
LE MEILLEUR
POLAR CARCÉRAL DEPUIS
UN PROPHÈTE LE FIGARO

PABLO
FAU PAULY

UN FILM DE STÉPHANE DEMOUSTIER

AU CINÉMA LE 17 AVRIL
NE W S

LA FRANCE A-T-ELLE LOUPÉ


RENEE RAPP ?
Mean Girls, le film qui l’a starifiée, s’est joué dans des salles hexagonales vides
au tout début de 2024. La sortie VOD de ce teen musical va-t-il permettre à nos

«A
compatriotes de mesurer l’étendue du phénomène Reneé Rapp ? u PAR ROMAIN THORAL
merican singer, songwriter and actress. » propose jamais, et qui l’a installée comme l’une des plus
C’est dans cet ordre, probablement pas hasar­ grosses promesses de l’industrie. À la mi­janvier, Reneé
deux, que sa fiche Wikipédia la présente. Rapp était l’invitée du Saturday Night Live où, entre un
Voici donc Reneé Rapp, tout juste 24 ans, sketch et deux prestations musicales, elle révélait son
blondeur peroxydée, patronyme irrésistible, homosexualité ainsi que son génie touche­à­tout. Début
inconnue au bataillon en 2023, déjà super­ mars, The Hollywood Reporter lui offrait sa une en tant
star en 2024. Cette poussée de notoriété n’est que « voix de la génération Z ». De son côté, l’histoire du
pourtant pas tant due à la parution, il y a six mois, de son cinéma retiendra probablement que la première fois qu’on
album Snow Angel qu’à son rôle de garce en chef dans son a vu Reneé Rapp sur grand écran, elle était toute de cuir
tout premier film, le récent remake de Mean Girls, lolita noir vêtue, portait un gros médaillon « R » autour du cou,
malgré moi, dont elle a aussi écrit et interprété Not my et s’était mise illico à pousser la chansonnette et à exiger
Fault, tube du générique de fin. Le rôle de Regina George, en fixant droit la caméra : « Crains-moi, aime-moi, mais
antagoniste rose bonbon jouée par Rachel McAdams dans surtout regarde-moi. » Le message a été bien reçu visi­
l’original, semble être désormais sa propriété ad vitam. blement. Peut­être arrivera­t­il un jour jusque chez nous. u
© 2023 PARAMOUNT PICTURES.

Elle l’aura longtemps campée à Broadway (où le Mean


Girls de 2004 était devenu un musical), puis dans ce M E A N G I R L S , L O L I TA M A L G R É M O I
remake (en)chanté qui fut en outre un flop saignant chez De Samantha Jayne & Arturo Perez • Avec Angourie Rice,
nous – moins de 100 000 spectateurs. Une performance, Reneé Rapp, Avantika… • En VOD en avril
une vraie, dans un genre, le teen movie pastel, qui n’en

6 Avril 2024
!
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PA G E S A U M O N
À LA PÊCHE AUX GROS CHIFFRES

Boon
en ch’tite forme
Il accumule les flops depuis
quelques années. Le roi du box-
office aurait-il perdu le nord ?
u PAR THÉO RIBETON

a fête est finie, biloute : course)… Mais Boon a­t­il jamais

L
après une première semaine eu besoin d’excuses ? Son retour, l’an
à 110 000 entrées, le des­ dernier, dans la chaise du réalisa­
tin des Chèvres ! de Fred teur aurait dû dissiper pour de bon
Cavayé était déjà, à l’heure les nuages. Patatras : La Vie pour de
où nous bouclions, scellé vrai a signé son pire score, en des­
– au vu des courbes prédic­ sous de son premier film, La Maison
tives, la comédie médiévale de Dany du bonheur. Moins d’un an plus tard,
Boon pouvait encore espérer tripler Les Chèvres ! plante le dernier clou.
ce démarrage, pousser jusqu’au Dans un contexte où d’autres vedettes
xxxx u PAR XXen cas de super miracle,
demi­million se croûtent (Franck Dubosc en 2023 :
certainement pas plus. Un score quatre films, quatre bides), mais où
décevant au vu de son budget colos­ certaines valeurs sûres faiblissent sans
sal (19 millions), mais surtout pour ce couler, telle la bande à Fifi, insubmer­
qu’il confirme, voire entérine, du sta­ sible (Alibi.com 2, 3 Jours max…), ou
tut de sa star. Clavier et Bourdon qui ont déjà tous
La sagesse qui nous caractérise nous deux passé le million en 2024 (Chasse
recommandait jusqu’ici d’interpré­ gardée, Cocorico), le décrochage de
ter les contre­performances récentes Boon relève­t­il d’une véritable décote
comme de simples accidents de par­ de son star power ou est­il symptôme
cours, mais qui à force de s’accumu­ d’une perte de vitesse globale de la
ler sont devenus la norme : Boon fait comédie très grand public ?
bien face à une dévaluation de fond.
Depuis son dernier carton véritable Contes lénifiants
(La Ch’tite Famille, 5,6 millions en La conjoncture décliniste ne sau­
2018), le seul registre qui lui a réussi rait à elle seule expliquer ce désa­
est un genre très spécifique : la comé­ mour, qui n’est certainement pas
die whodunit à la Poirot (Mon crime totalement étranger au choix des
d’Ozon, Murder Mystery et sa suite sujets, assez dépourvus de mordant
sur Netflix). À part ça, il s’est à peu contemporain, et portés par un petit
près fendu d’un bide annuel. 2019 : excès de confiance en soi : contes
Le Dindon, 240 000 entrées. 2020 : moraux lénifiants et bancals, fables
Le Lion, 450 000 entrées. 2021 : en costumes d’un autre âge… Le fac­
salles fermées, 8 rue de l’Humanité teur de Bergues n’a plus qu’un film
sur Netflix, qui ne communique pas pour le sortir de ce mauvais tour : La
ses chiffres. 2022 : Une belle course, Famille Hennedricks, de et avec sa
450 000 spectateurs. compagne Laurence Arné, qui sortira
À la plupart on peut trouver une fin juin. Un road­trip familial mené
excuse : désuétude revendiquée (Le en monospace sur la côte atlantique.
© AUDOIN DESFORGES / PASCO&CO

Dindon adapté de Feydeau), déca­ Allez, fonce Dany, pied au plancher,


drage hors comédie (Une belle et (re)sauve le CNC ! u
© DR

8 Avril 2024
www.music-cinema.com
© MARTIN CARRESE

info@music-cinema.com
M I C R O C L I M AT
TENDANCE OU COÏNCIDENCE ?

Drive-Away Dolls
d’Ethan Coen

C’est pas fini l’essence de Fargo, réexaminant le film ori­


ginel à la loupe pour y questionner une sorte
d’angle mort (le personnage de la femme kid­

les coeneries ?
nappée de William H. Macy), duquel repartir
pour broder dix heures de télé foisonnantes,
fonctionnant comme un instantané d’une
Amérique en plein délire sécessionniste
Succès de la saison 5 de Fargo, sortie de la pépite indé LaRoy… post­Trump – la preuve que les dispositifs
coeniens, aussi épurés soient­ils, sont peut­
Alors qu’Ethan se crashe en solo avec Drive-Away Dolls, le cinéma être bien en réalité inépuisables.
des Coen continue de faire des émules… u PAR FRÉDÉRIC FOUBERT Ce que suggère aussi LaRoy, premier long de

P
Shane Atkinson, Grand Prix du dernier festi­
oint météo cinéphile : la sortie mieux savoir qui était qui entre Joel et Ethan. val de Deauville bientôt en salles, sur un cocu
d’une poignée de films et séries Le premier a tourné une histoire d’amour et texan sans qualité qui va se retrouver pris
« à la frères Coen » (ou « coe­ de meurtres avec Frances McDormand (très dans un engrenage meurtrier sans retour…
neries », comme on les appelle Blood Simple, donc), mais adapté de Shakes­ Un néo­Blood Simple, encore un, par un
affectueusement) suffit­elle à peare, pour changer (The Tragedy of Mac- débutant doué qui a clairement choisi le Coen
justifier une page « Microcli­ beth). Le deuxième tente aujourd’hui de première langue à l’école de cinéma. Com­
mat » dans les news ? Après reproduire les figures imposées du coenisme ment Joel et Ethan réagissent­ils à l’effer­
tout, des films inspirés par le style néo­noir dans le road­movie lesbien Drive-Away vescence artistique de leur progéniture ? Et
et absurdo­minimaliste de Joel et Ethan, Dolls. Mais tout (le filmage cartoon, les au crash de Drive-Away Dolls au box­office
on en voit fleurir un peu tout le temps, sous accents péquenauds, les persos nigauds…) US ? Figurez­vous qu’ils viennent d’annon­
toutes les latitudes. C’est devenu un genre paraît vieillot et laborieux. Comme si Ethan cer qu’ils allaient reformer leur duo. Avec un
en soi, et depuis longtemps. Quarante ans ne savait plus parler le Coen. film « dans la veine de Blood Simple » ! Un
très exactement : on le sait parce que vient retour aux sources pour réapprendre à par­
de paraître chez Criterion une édition 4K Langue fraternelle ler leur langue maternelle. Ou fraternelle, en
anniversaire de leur chef­d’œuvre inaugural Le fait qu’un mauvais Coen sorte au ciné­ l’occurrence. u
Blood Simple, le film qui posait en 1984 les ma n’est en soi pas très grave, ce ne sera pas
bases de leur grammaire. Le mythe des fran­ la première fois. Ce qui l’est plus, c’est que
gins naissait là : l’un réalisait, l’autre pro­ la cata Drive-Away Dolls intervient peu de Drive-Away Dolls d’Ethan Coen,
duisait, ils étaient deux et parlaient pourtant temps après la fin de la cinquième saison sortie le 3 avril
Fargo - Saison 5, créée par Noah Hawley,
d’une seule et même voix. Leur style allait de Fargo, l’anthologie télé inspirée du chef­
sur MyCanal
bientôt essaimer partout. Depuis qu’ils se d’œuvre coenien sorti en 1996. Après une LaRoy, de Shane Atkinson,
sont séparés (après La Ballade de Buster saison 4 en forme d’impasse, épuisante, satu­ sortie le 17 avril
Scruggs, en 2018), on pensait que leurs car­ rée de personnages et d’effets de signature, Blood Simple de Joel & Ethan Coen,
rières solos allaient enfin nous permettre de Noah Hawley a eu la bonne idée de revenir à
© DR

en UHD import (Criterion)

10 Avril 2024
INTERVIE W E XPRESS
LES PLUS COURTES SONT-ELLES FORCÉMENT LES MEILLEURES ?

Nell Tiger FreeTitre a venir


Jamais rencontrésur 2 lignes 180 signes Ipis quo eos pore que

quelqu’un d’aussi punk magniminciis ari re excepel


itatur? Esed ut abore odisqui ut
utem hictia sequias pidunt ex

que Bill Nighy ! eossinum sunt et eturiae offici


bereperitini bea c u PAR XXX XXX
1500 s magnatis voluptia di alit que laboratium evelibus impeditem

U
Après avoir été la nounou creepy de Servant, velia duscium qui aut labore harum sit ilit prae nuste porerunt quidus
la Britannique Nell Tiger Free fait ses premiers pas ma sitibea quatis dipsam ea molupta commolu ptationes dit libusto
au cinéma dans La Malédiction : L’Origine, préquelle pores archili assectisto et rioribe atquatus simusapis maxim quas­
tardive d’un sommet de l’épouvante 70s. La nouvelleea dite pa quiatquo moloris
deliasit rerro exped quos
seceat occuptam re nusciur rate nien­
di ape et eate verum et quatur recabor
reine de l’étrange, c’est elle ? u PAR GAËL GOLHEN estiaer chitem fuga. Ende­ seque pre, sum natus imus conecab
nima sunto mos maiosan dandiat offi­ orisquo berchil ex enist aut arum rest
cient qui od mil magnimin pores evellib ea dolumquatus, sum veliquo magnihi
PREMIÈRE : Vous vous souvenez errovid modis endae nist, officab orposa ligenda ndicid ea quibusdaniet et lam,
de la première fois où vous avez vu suntibus dite que pellabo rrovit eatquiat tem et elescias maximpore reptiur sunt
La Malédiction ? quis sit quiae net iur si vel ipite dero­ autet lis eosapit alibus et explaudit, qua­
NELL TIGER FREE : Je me pose la ques­ rit, consedis assit faci occum et rem id tiis int odis verum quo quatium eatas u
tion depuis que j’ai commencé la promo magnima ximusda dolenia epratior alia
du film… Je ne sais plus si je l’ai vu avec porerib usciet omnitat umquunt face­
ma copine Hannah ou avec mes parents. pel laccullabor saerum que nihita sit
Avec Hannah, très jeunes, on regardait faciae. Rate nis mos derum qui conesti
des films d’horreur. On voyait des trucs isciaes dolupta tustrum, ero exped quos
effrayants, en douce, sans que les adultes estiaer chitem fuga. Endenima sunto
le sachent… Ou bien je l’ai découvert mos maiosan dandiat officient qui od
avec ma mère et mon père un peu plus mil magnimin pores evellib errovid
tard. Bref, ce dont je me souviens vrai­ Commemodis Servant,endae nist, officab: oret rem idHeureuse de travailler avec
La Malédiction
ment bien, c’est d’avoir adoré ce film… L’Origine sembleximusda
magnima conjuguer l’horreur
dolenia epratior alial’extraordinaire Bill Nighy ?
Je me rappelle aussi que c’était un mara­ au féminin…
porerib usciet omnitat umquunt face­C’est un génie. L’un des tout premiers
thon, on avait enchaîné La Malédiction, Il était temps, vous ne trouvez
pel laccullabor saerum pasque
? Depuis
nihita sitjours de tournage, je cherchais ma copine
Shining et peut­être L’Exorciste. Bizar­ des annéesfaciae.
les Rate
femmes
nis mos
saventderum
ce qui
quifait
cones­que j’avais perdue. Je suis entrée dans une
rement, c’est La Malédiction qui m’avait peur – sans
ti isciaes
doute mieux
doluptaque tustrum,
les hommes.
et volup­caravane en criant et Bill était là, en train
le plus effrayée. La musique et la tête du Jusque­là, dans les films,
ta estrumque on était
consendit surtout
es aut in nihit,de faire ses essais maquillage. Je me suis
petit Damien quand on comprenait qui il bonne àcorecourirprate
toute
repudam
nue ou àharumquo
se faire cou­
digenisexcusée platement, il s’est levé, m’a regar­
était vraiment ! Quelle trouille ! per en deux.
elenitasQu’on
dolupta
reprenne
ipsus unaborpeu
accuptat
le dée, a posé ses mains sur mes épaules et
pouvoir n’est que justice. C’est ce que fait m’a dit : « Calme-toi, chérie. Raconte-moi.
C’est de là que vient votre amour Arkasha Stevenson, la réalisatrice, avec Qu’est-ce qui se passe ? » Et on a parlé des
de l’horreur ? La Malédiction : L’Origine. Je ne peux pas heures. Je devrais le payer pour qu’il soit
C’est surtout un genre où je me sens bien. vous en dire trop, mais c’est un film bien mon thérapeute : cet homme déborde de
Tourner un film d’horreur permet de se de son temps. sagesse, et c’est le mec le plus rock’n’roll
retrouver dans des situations que l’on ne que je connaisse. Le punk le plus cool du
rencontrera jamais dans la vie de tous les À part le film de Richard Donner, vous monde. u
jours. C’est le meilleur moyen de s’évader. aviez des références précises ?
Que ce soit chez Shyamalan dans la série Pas vraiment. Arkasha m’a montré Posses-
© 2024 20TH CENTURY STUDIOS

Servant, chez N. W. Refn dans Too Old sion de Zulawski. C’est un bon film, mais
to Die Young, ou maintenant dans cette j’étais plus intéressée par nos discussions. Il
L A M A L É D I C T I O N : L’ O R I G I N E
Malédiction, ce que je cherche avant tout fallait que Margaret soit crédible, que le per­
De Arkasha Stevenson • Avec Bill Nighy, Ralph
sur un plateau, c’est le plaisir de jouer des sonnage soit vraiment réaliste. Pour ça, on
© CREDIT

Ineson, Nell Tiger Free… • En salles le 10 avril


personnages dans des univers décalés. a surtout dû beaucoup échanger entre nous.

Avril 2024 11
S O U SX XI NXFXLXU E N C E
QUAND L’ACTU FAIT RESSURGIR UN CLASSIQUE PAS DU TOUT OUBLIÉ

Jon Snow, sors par les dernières saisons de GoT, quand


Benioff et Weiss se retrouvèrent orphelins
de la prose de George R. R. Martin et que

de ces trois corps !


les équilibres de la série (justesse des dia­
logues, précision du récit, gestion du temps,
de l’espace et des effets de réel) explosèrent
en vol. Il est saisissant de retrouver la plu­
part de ces défauts terminaux dans cette
Débauchés par Netflix, David Benioff et D.B. Weiss, les deux nouvelle série : les grands décors vides, la
showrunners les plus successful de l’histoire, repartent dans l’inconnu sensation de regarder une collection de huis
clos mal connectés, l’escamotage express de
avec Le Problème à 3 corps, un récit d’invasion alien où leur signature certaines situations, la difficulté à embras­
(qualités et défauts) saute aux yeux. u PAR GUILLAUME BONNET ser un univers global. Recalibrés en Lon­
doniens hébétés face à l’irruption d’une
e monde d’après. La remise à plat, réintroduite dans les traductions anglaises). menace intergalactique, les personnages

L
à zéro et de son titre en jeu. Les Cette histoire déjà adaptée en série locale (à deviennent plus ou moins tous des varia­
sportifs connaissent ça après la découvrir sur Peacock) a désormais sa ver­ tions sur les yeux de chien battu du Jon
médaille, les créateurs pop cultu­ sion en mondovision occidentalisée, dont Snow largué des dernières saisons, quand sa
rels après l’inscription d’une œuvre 90 % des personnages ont été transformés propre série semblait lui filer entre
dans l’inconscient collectif. Pour en Britanniques. « C’est Sun Tzu qui a dit les doigts. Après huit épisodes
eux, il ne s’agit pas juste de conti­ ça, n’est-ce pas ? », demande un des héros à des 3 Corps, le problème
nuer à courir vite ou à marquer des buts, un enquêteur joué par le comédien Benedict du rebond post­Game of
mais de repartir depuis le bas de la mon­ Wong. À quoi ce dernier répond : « Qu’est- Thrones reste entier. u
tagne pour tout reconstruire : un univers, ce que j’en sais ? Je suis de Manchester. »
des personnages, un récit, des enjeux et LE PROBLÈ ME À 3 C ORPS
(surtout ?) de la conversation. David Benioff Le poids du passé Créée par David Benioff,
et D.B. Weiss ont fini Game of Thrones à La série démarre par ce qui serait une auto­
D.B. Weiss & Alexander Woo
bout de souffle, rincés jusqu’à la dernière citation si la scène n’était présente dans le • Avec Jovan Adepo, Rosalind
goutte. Ils ont ensuite passé leur tour sur roman : une jeune fille est témoin de l’exé­
Chao, Liam Cunningham…
House of the Dragon (trop safe). Ont aban­ cution publique de son père. Ned Stark se • Sur Netflix le 21 mars
donné leur projet dystopique Confederate recale douillettement dans sa tombe tandis
sur des USA esclavagistes (trop risqué). qu’un trio d’acteurs GoT­esques reprennent
Puis esquivé la reprise de Star Wars (trop du service (Ser Davos, Samwell Tarly et
Disney), préférant joindre leur force avec Jonathan Pryce, le seul dont on connaisse
Alexander Woo (transfuge de The Terror) le nom civil sans passer par IMDb). Le
pour adapter Le Problème à trois corps de poids du passé est partout. Dans le budget
Liu Cixin, un monument de littérature SF pharaonique alloué au projet (le Wall Street
contemporaine. Trop chinois ? Journal avance le chiffre de 20 millions
L’œuvre originale fut publiée en feuille­ de dollars par épisode), dans l’art consom­
ton dans le magazine Kehuan shijie à par­ mé des cocréateurs pour les climax et les
tir de 2006, puis compilée en trois tomes cliffhangers (tout particulièrement
expurgés de certains celui du « clin d’œil de l’univers »
éléments controversés qui lance les hostilités à la fin du
(notamment une par­ premier épisode) mais aussi dans
tie « révolution cultu­ l’intransigeance réflexe (injuste ?)
relle » censurée, mais du regard du spectateur, échaudé
©DR

12 Avril 2024
T O P 10
UN PEU D’ORDRE SVP

Sean Penn
Classé !
Quand il n’est pas artiste engagé ou
réalisateur bonnet d’âne à Cannes, il peut
aussi être un grand acteur, comme dans
Black Flies. Top ten Penn. u PAR FRÉDÉRIC FOUBERT

EMMET RAY (ACCORDS

10 & DÉSACCORDS)
Sean Penn unplugged. Littéralement,
puisqu’il joue de la guitare acoustique
dans cette friandise jazzy de Woody
Allen. Moustache 30s, mèche rebelle, œil qui frise…
Un charme fou. Même si, soyons honnêtes, on ne revoit
BRAD JR. (COMME

1
pas ce film tous les jours non plus.
UN CHIEN ENRAGÉ)
La révolte d’un fils contre
GENE RUTKOVSKY (BLACK FLIES) son père sociopathe… Sean

9 À ses débuts, Penn tenait souvent la dragée


haute à une star plus âgée (Duvall, Walken,
De Niro). C’est désormais lui qui est assis sur le
siège passager, livrant une belle partition hébé-
tée en ambulancier lessivé. Pas cabot, juste cabossé.
est tellement chez lui ici qu’il
est venu en famille, avec son frère
Chris au générique, et la musique de
sa femme (Madonna) en bande-son.
Dans la lignée de Kazan et Ray, son
manifeste de néo-James Dean.

DAVID KLEINFELD (L’IMPASSE)

8 Al Pacino a décidé de la jouer sobre ? Penn en


profite pour faire n’importe quoi, avec son look
pas possible, cheveux roux frisés, front dégar-
ni, lunettes sur le nez et de la coke plein les
narines. Un manifeste : sa carrière sera clivante ou ne
sera pas.
2
HARVEY MILK (HARVEY
MILK)
Une perf à Oscars, oui, mais
qui évite tous les pièges
du genre. Penn se fond en
Milk, l’élu gay assassiné, un rôle
qui fonctionne pour l’acteur autant
SERGENT WELSH comme un contre-emploi que

7
DANNY MCGAVIN (COLORS)
Devant la caméra du hippie réac Dennis Hop-
per, Penn frime en rookie roquet patrouillant
dans South Central. Le flic qui sert de consul-
tant apprécie : « Dès qu’il montait en voiture
avec nous, les ennuis commençaient. Sean était un
5 (LA LIGNE ROUGE)
Penn fond sa voix dans la polyphonie méta-
physique orchestrée par Malick. Une manière
d’échapper à l’ego-trip qui menace ? C’est dans
un autre Malick, The Tree of Life, que son ego prendra
comme un reflet. Le bad boy casta-
gneur disparaît, l’animal politique
rayonne.

JEFF SPICOLI

3
un vrai coup, son rôle sortant en lambeaux de la salle
vrai aimant à merde. » de montage. (ÇA CHAUFFE AU LYCÉE
RIDGEMONT)
Petit rôle, mais cultissime,
JIMMY MARKUM (MYSTIC RIVER) TERRY NOONAN (LES ANGES DE LA NUIT) de surfeur lycéen défoncé,

6 Les postures de prolo macho, les yeux


humides, l’humanisme fébrile… Tout l’attirail
« pennien » (qui a dit pénible ?) sublimé par la
mise en scène « crépusculaire » d’Eastwood,
sanctifié par un Oscar. Une certaine idée du grand
4 Plutôt sobre face à un Gary Oldman survolté,
Penn joue un flic-Judas irlandais au cœur pur,
infiltré à Hell’s Kitchen pour y trahir ses amis
d’enfance. James Gray doit beaucoup aimer
ce film. Et Joaquin Phoenix doit beaucoup aimer Sean
caricature de branleur californien.
L’équivalent dans sa carrière des
Sous-Doués dans celle de Daniel
Auteuil. Adulé par Paul Thomas
Anderson (Ridgemont, hein, PTA n’a
© DR

acteur hollywoodien. Penn dans ce film. jamais mentionné le Claude Zidi).

Avril 2024 13
M I C R O C L I M AT
TENDANCE OU COÏNCIDENCE ?

Y a plein de lézards !
Après le succès inespéré du japonais Godzilla Minus One
débarque Godzilla x Kong : Le Nouvel Empire, énorme
blockbuster US dont le carton annoncé devrait
installer la grosse bête au sommet du star-system.
Pourquoi le monde entier s’est-il soudainement
pris de passion pour Godzilla? Deux spécialistes
des kaijû nous éclairent. u PAR ROMAIN THORAL

l y a quelques numéros de cela, le magazine que


vous tenez entre les mains célébrait l’appari­
tion tardive dans nos contrées (et uniquement au
rayon vidéo) du sidérant Shin Godzilla de Hideaki
Anno, réalisé en 2016. Nous en profitions pour
faire remarquer que la France n’avait jamais vrai­
ment été une terre d’accueil pour le lézard radioactif.
Alors que Godzilla Minus One, nouvelle itération du
gros reptile par le studio Tôhô, venait tout juste de
sortir au japon, Première affirmait : « Ce film-là ne se
destine quasi exclusivement qu’au seul public de l’ar-
chipel et sûrement pas aux multiplexes occidentaux. »
Bilan : le film de Takashi Yamazaki est devenu un phé­
nomène mondial, rapportant plus de 100 millions de
dollars à l’international, dont 60 aux États­Unis. En
France, il a été diffusé de manière très singulière :
d’abord façon Blitzkrieg, le 7 et le 8 décembre
2023, puis, suite à un succès et un buzz
pas forcément anticipés, il a fini par
réapparaître le 17 janvier 2024 pour
quatorze jours et pas un seul de plus.
En fin de course, Godzilla Minus One aura tout
de même attiré un peu plus de 175 000 specta­
teurs. Des chiffres assez fous, qu’il faut mettre en
perspective avec les 4 000 malheureux tickets ven­
dus dans l’Hexagone il y a vingt ans pour Godzil-
la : Final Wars, dernier volet de la saga à avoir
trouvé un chemin jusqu’à nos salles.
À peine le temps de prendre un peu de recul sur ce suc­
cès, que, rebelote, le monstre ressurgit déjà dans nos
multiplexes avec Godzilla x Kong : Le Nouvel Empire
d’Adam Wingard [lire interview page 17], cinquième
épisode du MonsterVerse de la Warner, et énième relec­
ture hollywoodienne de la bête, qui pourrait bien refaire
sauter le tiroir­caisse international. Comment expliquer
© TOHO COMPANY ­ TOHO STUDIOS ­ ROBOT COMMUNICATIONS

cette obsession globale pour une créature aussi typi­


quement japonaise ? Ne risquerait­elle pas de laisser un
peu de ses écailles dans ce grand barnum mondialisé ?
Cette fois, la rédaction de Première a préféré s’entou­
rer de spécialistes pour évoquer le sujet. D’un côté
Fabien Mauro, auteur de Kaijû, Envahisseurs & Apo-
calypse : L’Âge d’or de la science-fiction japonaise
(éditions Aardvark), énorme bouquin assez définitif
Godzilla Minus One sur le genre, et de l’autre Julien Carbon, ex­journa­
liste, ex­scénariste exilé à Hong Kong, ayant travaillé,
© DR

de Takashi Yamazaki

14 Avril 2024
Godzilla x Kong : FM : C’est juste et en même temps je me
Le Nouvel Empire demande si le Godzilla américain peut sur­
d’Adam Wingard
vivre s’il n’a pas King Kong à ses côtés. Le
deuxième Godzilla « solo » issu du Monster­
Verse, sorti en 2019, n’avait pas marché alors
qu’il se rapprochait vraiment de ce que les
fans pouvaient attendre. Depuis, on a donc
eu droit à deux opus où les deux créatures
cohabitent. J’ai l’impression que c’est mieux
pour l’une comme pour l’autre.

JC : Ce qui me fascine un peu avec ce


MonsterVerse américain, c’est qu’ils n’ont
produit que cinq volets et que ça ne se des­
tine déjà plus qu’aux seuls enfants.
Pourtant, ça avait bien com­
mencé avec le film de Gareth
Edwards [Godzilla, 2014], qui
était assez étonnant, assez
singulier, et puis ça a dérapé
vraiment très vite…

FM : Moi j’avais adoré le Kong :


Fabien Mauro Skull Island [Jordan Vogt­
Roberts, 2017] qui était un survival
très nerveux, très hargneux…

JC : Ah ça, désolé, je n’aime


pas du tout…

FM : Je comprends. Mais les


Monarch : Legacy of Américains sont assez malins
Monsters (Apple TV+)
dans leur manière de gérer leur
Julien Carbon franchise sur le long terme. Ils
avec son compère Laurent Courtiaud, récente série Monarch : Legacy utilisent l’image du Godzilla super­
sur deux projets autour du gros lézard pour of Monsters sur Apple TV+. Enfin, héroïque, protecteur de l’humanité.
le réalisateur Tsui Hark. Mieux qu’un com­ le film original d’Ishirô Honda [Godzilla, Effectivement, il plaît beaucoup aux enfants.
bat de monstres, un dialogue à bâtons rom­ 1954] a été restauré en 4K et montré à la Ce n’est plus tout à fait un monstre, il ne sus­
pus entre deux sommités. dernière Berlinade, tandis que le livre « offi­ cite plus l’effroi. C’est un peu comme les per­
ciel » de la saga a été publié un peu partout sonnages de slashers, à la Freddy, qui sont
PREMIÈRE : Avec la sortie de Godzilla dans le monde chez Huginn & Muninn*. On d’abord très menaçants puis finissent par
x Kong , on a l’impression que le a l’impression que ça ne s’arrête plus... devenir rigolos et attachants.
reptile est devenu encore plus célèbre
et désirable que le gorille. Est-ce que JULIEN CARBON : Si la question est : sur­ JC : Oui, et dans ce nouvel épisode, Kong
vous ressentez la même chose ? passe­t­il désormais King Kong en termes et Godzilla ont l’air d’être vraiment très
FABIEN MAURO : C’est discutable, mais d’intérêt commercial ou artistique, eh bien copains si j’en crois la bande­annonce. Les
© WARNER BROS. ­ LEGENDARY ENTERTAINMENT ­ SCREEN QUEENSLAND ­ DR

il est vrai qu’à l’approche du 70e anniver­ je pense que oui. Parce que Kong ne possède petits vont vraiment être ravis…
saire de Godzilla, on peut constater que la au fond qu’un seul univers, le sien, c’est­à­
Tôhô, le studio japonais qui en possède les dire celui du film d’origine. Les déclinai­ FM : Pour le meilleur et le pire, la trajectoire
droits, mène les choses de main de maître en sons n’ont pas amené un nouveau bestiaire, de ce MonsterVerse est assez intéressante à
matière de licensing. On vient d’assister au alors que chez Godzilla, il y a des antago­ observer. Beaucoup de gens n’ont pas aimé
succès assez surprenant de Minus One qui nistes célèbres comme Mothra, Rodan ou l’approche de Gareth Edwards qui était basée
est carrément nommé aux Oscars des meil­ King Ghidorah… Traiter le personnage et le sur la suggestion, la frustration et l’attente.
leurs VFX. S’il gagne, Godzilla va donc monde de King Kong, c’est beaucoup plus Et ils ne sont pas allés voir Godzilla 2 : Roi
devenir une licence oscarisée, ce qui va com­ délicat. Godzilla se prête nettement mieux à des monstres qui était, lui, tout le contraire…
plètement changer sa valeur commerciale... l’exploitation. De manière assez ironique, j’ai
Par ailleurs les célébrations du 70e anni­ l’impression qu’aujourd’hui, Kong est inté­ JC : … avec deux, trois scènes magnifiques,
versaire vont se poursuivre avec ce projet gré au bestiaire du lézard, c’est devenu une comme l’attaque de Rodan, et malgré de gros
américain, Godzilla x Kong, qui prolonge la figure secondaire parmi d’autres. problèmes de rythme…

Avril 2024 15
M I C R O C L I M AT
TENDANCE OU COÏNCIDENCE ?

FM : … oui, et après il y a eu Godzilla vs part, cette mondialisation de la bête a du bon, Ce n’est qu’une coïncidence, bien sûr. Ce
Kong [Adam Wingard, 2021] qui est sorti c’est indéniable. qui est certain, en revanche, c’est que beau­
pendant l’ère Covid et qui a relancé la saga coup de spectateurs américains sont sortis
grâce à un box­office chinois colossal. Il Est-ce que finalement ce nouvel âge de Minus One en affirmant qu’il s’agissait
ne faut d’ailleurs jamais oublier de préciser d’or de Godzilla, un peu comme le à leurs yeux de la suite directe d’Oppenhei-
que ce MonsterVerse est une propriété de la succès surpris d’Oppenheimer, peut mer, et qu’il fallait regarder les deux films en
société Legendary Pictures qui appartient s’expliquer par la crainte mondiale double programme. Le grand public est donc
elle­même à un gigantesque conglomérat d’un nouveau péril atomique ? très au courant de ce qu’incarne originelle­
chinois, Wanda Group, et ce depuis 2016. On JC : Jamais pensé à un truc pareil. (Rires.) ment Godzilla, c’est­à­dire le péril atomique.
a donc affaire en quelque sorte à des block­ C’est possible, pourquoi pas. C’est la preuve à mon sens que l’empreinte
busters hollywoodo­chinois. laissée par la bête dans l’inconscient occi­
FM : La toute première bande­annonce du dental est beaucoup plus pro­
De fait, le risque ne serait-il pas de Godzilla de Gareth Edwards com­ fonde qu’on ne l’imagine… u
mondialiser complètement l’ADN mençait par la phrase désor­
de Godzilla et de lui ôter petit à petit mais célèbre de Robert
GODZILL A X KONG : LE NOUVEL
toutes ses spécificités ? Oppenheimer : « Main- EMPIRE
JC : Je ne sais pas, je ne crois pas… Ce n’est tenant, je suis devenu De Adam Wingard • Sortie 3 avril
pas comme si jusque­là toute la saga avait été la mort, le destructeur
géniale et brillante. Moi, pendant des années, des mondes. » Et ceci *GODZILLA, LA GRANDE HISTOIRE
j’ai regardé les Godzilla japonais de manière au moment même DU ROI DES MONSTRES
purement mécanique. C’était un peu comme où Nolan travail­ Éditeur Huggin & Munnin
les James Bond de l’ère Brosnan : ok, vu, sui­ lait main dans
vant. Un beau jour arrive Casino Royale et ça la main avec
relance soudainement mon intérêt, comme Legendary
une décharge électrique. Cette sensation, je Pictures sur
l’ai éprouvée en découvrant Shin Godzilla les Batman et
en 2016, l’un des plus grands films de la série. Interstellar.
Un volet « autonome », mais qui rediscutait
aussi toute la mythologie de la saga. Sublime.
Ça faisait très longtemps qu’on n’avait pas vu
ça. Et puis là arrive Minus One, je ne suis pas
un grand fan de ce film, mais si tu le com­
pares à la moyenne des trente dernières
années, c’est à nouveau très au­dessus
de la mêlée.

FM : C’est intéressant de se
dire qu’actuellement, on a
deux franchises, l’une
américaine, l’autre
japonaise, qui sont
menées en paral­
lèle. C’est même
© WARNER BROS. ­ LEGENDARY PICTURES ­ DISRUPTION ENTERTAINMENT ­ TOHO COMPANY / DR

c om plè t e m e nt
inédit. Je ne sais
pas si c’est une
conséquence,
mais c’est
vrai qu’on a
l’air d’avoir
échappé à
une forme de
standardisa­
tion qui han­
dicapait les
films japo­
nais produits
par la Tôhô. Godzilla
Donc quelque de Gareth Edwards

16 Avril 2024
INTERVIE W E XPRESS
LES PLUS COURTES SONT-ELLES FORCÉMENT LES MEILLEURES ?

Titre a venir
Adam Wingard
sur 2 lignes
Explosif, excitant, un peu
180 signes Ipis quo eos pore que
magniminciis ari re excepel
itatur? Esed ut abore odisqui ut

grotesque et idiot…
utem hictia sequias pidunt ex
eossinum sunt et eturiae offici
bereperitini bea c u PAR XXX XXX

En pleine postproduction, le réalisateur de Godzilla x1500 s magnatis voluptia di alit que laboratium evelibus impeditem

U
Kong :
Le Nouvel Empire a bien voulu décrocher son téléphone velia duscium qui aut labore harum sit ilit prae nuste porerunt quidus
ma sitibea quatis dipsam ea molupta commolu ptationes dit libusto
pour nous exposer sa vision très personnelle des filmspores archili assectisto et rioribe atquatus simusapis maxim quas­
de monstres. u PAR SYLVESTRE PICARD ea dite pa quiatquo moloris seceat occuptam re nusciur rate nien­
deliasit rerro exped quos di ape et eate verum et quatur recabor
estiaer chitem fuga. Ende­ seque pre, sum natus imus conecab
nima sunto mos maiosan dandiat offi­ orisquo berchil ex enist aut arum rest
PREMIÈRE : Godzilla x Kong arrive en bloc,cient
mais qui cette
od milfois
magnimin
on pores evellib que
ea dolumquatus,
Godzilla peutsum faire
veliquo
ou pas,
magnihi
ils ont
en salle et on a l’impression que errovid modisavec
sera complètement endae lesnist, officab orposa unligenda
« directeur
ndicid ea
général
quibusdaniet
de Godzilla
et lam,»
chaque film du MonsterVerse monstres.
suntibus dite que pellabo rrovit eatquiat entem et elescias
charge. Son maximpore
boulot c’estreptiur
Godzillasunt!
s’éloigne un peu plus de la vision quis sit quiae net iur si vel ipite dero­ Deautet
toute
lis eosapit
évidence,
alibus
le MonsterVerse
et explaudit, qua­
est
de Gareth Edwards, qui était une C’est larit,
grande
consedisquestion
assit faci occum et rem id dans
tiis int
uneodis
tout
verum
autrequotimeline
quatiumque
eatas
celle
u
sorte de « Godzilla begins ». de tousmagnima
les filmsximusda
de dolenia epratior alia des films produits par la Tôhô…
ADAM WINGARD : Le film de Gareth a monstres : à quel
porerib moment
usciet omnitat umquunt face­
dix ans et les SFX sont encore très impres­ on cessepeld’être du côté
laccullabor des que nihita sit
saerum Après le « versus » de Gozilla vs
sionnants, je trouve… Godzilla y était humains pourRate
faciae. se ranger
nis mosdu derum qui conesti Kong, pourquoi le « x » dans le titre
montré comme une entité massive, quasi côté deisciaes
la bête… dolupta tustrum, ero exped quos cette fois ?
divine, qu’on appréhendait uniquement à C’est vrai.
estiaerParchitem
exemple,
fuga.dansEndenima sunto Il y a toujours un élément marketing
travers une expérience humaine. On ne fait Godzillamos maiosan
Minus One,dandiat
on s’in­officient qui od à prendre en compte. « Versus » ne se
que l’apercevoir. Dans mes films, Godzilla téresse mil
surtoutmagnimin
aux humains,
pores evellib errovid traduit pas bien dans toutes les langues.
et Kong sont des personnages. Il faut donc Godzillamodis
ne faitendae
que renforcer
nist, officab oret rem id Pour être honnête, je n’ai appris son
se mettre à leur échelle, à leur niveau. Je leur histoire.
magnima Nous,ximusda
on s’est
dolenia epratior alia existence que très tard. C’est Barnaby,
crois que dans le film de Gareth, Godzilla vraimentporerib
dit : «usciet omnitat umquunt face­
Abandon- le boss du marketing chez Legendary,
apparaissait onze minutes en tout. Nous on pel laccullabor
nons presque saerum que nihita sit
toute l’histoire qui a eu l’idée du titre du film. À l’écrit,
passe une heure avec eux, sans humains ! faciae. et
des humains, Rate nis mos
voyons si derum qui cones­ c’est cool, c’est frais, c’est original… Ce
Godzilla est un super film, mais le mien ti isciaes
ça marche. » On dolupta
a quandtustrum, et volup­ n’était pas dans le premier jet du scé­
est complètement différent. ta estrumque
même essayé consendit es aut in nihit,
de conce­ nario. Et puis on peut appeler le film
voir quelques
core prate
personnages
repudam harumquo digenis GxK. Je prononce « Godzilla ixe Kong »
Avec onze minutes d’humains ? attachants
elenitas
et de dolupta
voir si leipsus abor accuptat mais officiellement il faut dire « God-
Ah ah, presque ! Je crois que durant les drame des monstres et zilla Kong ».
cinq premières minutes, on n’a même pas celui des humains pou­
de dialogues ! Je veux proposer un film vaient se répondre… On peut aussi lire : « Godzilla
explosif et excitant – un peu ridicule aussi, multiplié par Kong »…
sûrement, parce que plein de trucs idiots Tiens, en parlant de Oui, c’est complètement l’idée ! u
arrivent au cours de l’intrigue. Mais je Minus One, comment ça
prends les enjeux au sérieux. Je ne veux fonctionne avec le
pas faire quelque chose de trop cartoon, MonsterVerse ? C’est
avec des personnages qui s’en sortent relié ou pas du tout ?
© ROBBY KLEIN/GETTY IMAGES

par des jeux de mots face à des monstres On doit travailler avec
géants ! Il y a des fans qui veulent un God- la Tôhô en termes d’ap­
zilla sombre et sérieux, car pour eux, c’est probation des designs.
la seule et unique façon de faire Godzilla. Tôhô a des règles très
© CREDIT

Certains rejetteront notre proposition strictes concernant ce

Avril 2024 17
ZONE INTERDITE
UN SUJET CONFIDENTIEL MAIS TOTALEMENT ESSENTIEL

La jeune fille et la mort pas friendly du tout – c’est Treat Williams


et son air de James Dean allumé. Le type se
tortille sur la carrosserie dans une sorte de
parade amoureuse érotico­mécanique qui ne
Smooth Talk, coming-of-age des années 80 avec Laura Dern en lolita, préfigure rien de bon. Connie, attirée mais
sort en Blu-ray. Son final aussi étouffant que malaisant n’a pas fini prudente, s’avance puis recule, finit par se
retrancher dans la maison. La voilà séparée
de nous hanter. u PAR THOMAS BAUREZ de Friend par la fine porte­fenêtre de l’entrée.
Le smooth talk débute. Lui, suave : « L’idée
ommençons par la fin, puisque renvoyait en effet à la première adaptation c’est que tu viennes à moi… T’inquiète pas,

C
tout nous y conduit. Celle de du pavé de Joyce Carol Oates sur Marilyn tu es juste effrayée… » L’ascendant diabo­
Smooth Talk de Joyce Chopra tournée onze ans plus tôt pour CBS. Un télé­ lique du jeune homme dévitalise peu à peu
(1985) un peu plus que les autres. film signé Joyce Chopra justement. L’écri­ les défenses de la lolita. En un claquement
Elle est pourtant comme une vaine et la réalisatrice se connaissaient de doigts, on est passé d’American Graffiti à
déchirure dans l’indolent mouve­ puisque Smooth Talk n’est autre que l’adap­ Shining. Chopra ausculte les rouages de cette
ment du récit. Le titre même du tation d’une nouvelle de Oates : Where are emprise qui hante aujourd’hui la parole enfin
film désigne directement cette suspension du you going, where have you been ?, court texte libérée des victimes d’agressions sexuelles.
temps : trente minutes infernales. Peut­être de 1966, inspiré tout à la fois par la ballade À la sortie du film aux États­Unis, Oates
inéluctables. Ce coming-of-age 80s totale­ dylanienne, It’s all over now baby blue et par avait adoubé le travail de la réalisatrice dans
ment oublié avec Laura Dern, 18 ans, cen­ le tueur en série­séducteur Charles Schmid les pages du New York Times. Seul point
sément 15 pour les besoins de la fiction, et (aka le Joueur de flûte de Tucson.) d’achoppement, cette fin justement. L’écri­
Treat Williams, 34 ans, est sorti des limbes vaine assumait l’allégorie tragique de son
via une restauration chez Criterion en 2020. Emprise épilogue et s’interrogeait sur la façon dont
Carlotta a aujourd’hui la riche idée de le Revenons à la fin et donc à cette « douce Chopra avait renversé les choses par le biais
faire venir jusqu’à nous, car ce premier long conversation ». Connie (Laura Dern), longue d’un certain réalisme, avant de concéder :
métrage de Joyce Chopra n’est étonnamment tige adolescente vaguement rebelle que l’on a « Ma prose était de toute façon impossible à
jamais sorti dans les salles françaises et ce, vue, l’été durant, zoner avec ses copines dans transposer sur grand écran. » Et à la jonction
malgré un Grand Prix du jury à Sundance. un mall à la recherche d’un premier amant. de la littérature et du cinéma, ne reste désor­
Il est donc à peu près certain que vous n’en Elle se retrouve cette fois seule dans la mai­ mais que Connie et ses rêves brisés. u
ayez jamais entendu parler à moins d’être fan son de ses parents, le temps d’une après­midi.
hardcore de Laura Dern voire de Treat Wil­ Le soleil californien alanguit l’atmosphère. S M O O T H TA L K
liams ou plus sûrement un cinéphile prompt La blonde entend soudain le crépitement De Joyce Chopra • Avec Laura Dern, Treat
à faire des ponts et tirer des ficelles. L’irrup­ d’un véhicule au dehors. Une Pontiac déca­ Williams, Levon Helm… • En Blu-ray (Carlotta)
tion de Blonde d’Andrew Dominik (2022) potable surgit. À son bord, Arnold Friend,
© DR

18 Avril 2024
EN VENTE ACTUELLEMENT

PREMIERE.FR
M I C R O C L I M AT
TENDANCE OU COÏNCIDENCE ?

Vince Staples est-il


le Larry David noir ?
Alors que Larry et son nombril fait ses adieux avec sa douzième les intrigues étirées à l’extrême côtoient chez
saison, The Vince Staples Show pousse le concept de l’autofiction lui constamment le commentaire acerbe de
dans ses retranchements. Un hasard, vraiment ? u PAR FRANÇOIS LÉGER la condition noire. Et si Larry et son nombril
s’intéresse parfois aux mêmes thématiques
est bien connu, les plate­ Staples, rappeur et acteur notamment aperçu – la saison en cours évoque d’ailleurs le

C’ formes de streaming ont au dans Dope et la rigolote Abbott Elementary, racisme des États du Sud du point de vue
moins autant horreur du vide préfère jouer la partition en victime flegma­ des Blancs –, elle le fait dans un petit monde
que la nature. Il n’est donc pas tique des événements (fous) qui lui tombent aux règles immuables, et un peu trop méca­
illogique de voir The Vince dessus. « Vaguement connu et vaguement niques, qui orbite autour de Larry depuis le
Staples Show débarquer sur riche », comme le dit le synopsis officiel, il a tout premier épisode. The Vince Staples Show
Netflix pile­poil au moment la particularité d’être noir aux États­Unis. Et est de son côté hantée par un esprit cartoo­
où Larry et son nombril (Curb Your Enthu- forcément, ça change tout. nesque (des airs de Bip Bip et Coyote sous
siasm en VO) fait ses adieux à HBO avec sa stéroïdes) et lynchien (l’épisode chelou de la
douzième et ultime saison (à voir en France Esprit cartoonesque fête foraine, très justement intitulé Red Door,
sur le Pass Warner). Alors que Larry David On a beau aimer d’amour Papy Larry, recon­ en référence à Twin Peaks), donc complète­
s’affaire à sortir de taule parce qu’il a offert naissons que cette nouvelle fournée d’épi­ ment imprévisible. Après une journée à se
un peu d’eau à des électeurs patientant depuis sodes ne restera a priori dans les mémoires faire pourchasser par un ennemi d’enfance lui
des heures sous le cagnard d’Atlanta (une loi que parce qu’elle sera (normalement) la der­ tirant dessus sans sommation, Vince regagne
de l’État de Géorgie interdit vraiment de four­ nière. Il serait temps : Staples, qui revêt pour ses pénates et s’installe sur le canapé auprès
nir de quoi se désaltérer aux votants…), Vince la première fois la casquette de showrunner, de sa copine : « Alors, ta journée ? » « Pei-
entame lui aussi son épopée du quotidien en lui met un sacré coup de vieux en revitali­ narde. » Même Larry David, éternel intran­
zonzon, mais pour excès de vitesse et suspi­ sant le concept d’autofiction lose avec une quille cathodique et désormais jeune retraité,
cion d’agression physique. Pas le dernier des foultitude d’idées héritées de « l’afro­surréa­ a dû esquisser un sourire. u
points communs entre ces deux séries où cha­ lisme », érigé en genre à part entière par Jor­
T H E V I N C E S TA P L E S S H O W
cun joue un rôle semi­autobiographique, une dan Peele (Get Out), Donald Glover (Atlanta)
Sur Netflix
version fantasmée d’eux­mêmes. Alors que le ou Boots Riley (Sorry to Bother You). L’ab­
cocréateur de Seinfeld trimballe depuis plus surde jusqu’au­boutiste (au détour d’un plan,
L A R R Y E T S O N N O M B R I L – S A I S O N 12
de vingt ans son personnage de misanthrope on aperçoit une opération de chirurgie esthé­
Sur Prime Video (Pass Warner)
grincheux qui cherche les noises, Vince tique dans l’arrière­boutique d’une laverie) et
© DR

20 Avril 2024
RÉ VOLUTION DE SALON
L’ACTU DU CINÉMA SUR VOTRE ÉCRAN PLAT

Même pas peur


L’un des plus grands films du patrimoine français, Le Salaire de la
annonçait mettre un terme à ses activi­
tés (et ses investissements) dans l’édition
physique.
Cinq ans plus tard, les Anglais publient sur
peur, sort fièrement en Blu-ray 4K chez les Anglais, tandis qu’ici on leur territoire un Blu­ray 4K conçu à partir
de cette « restauration TF1 ». Si le disque de
l’attend encore. Et si cette offense racontait aussi le désintérêt de 2017 reste plus qu’appréciable, cet upgrade
la patrie de la cinéphilie pour le support ? u PAR ROMAIN THORAL le rend cependant obsolète, en particulier
lors de la séquence de « la mare de pétrole »
aisons un peu les comptes, juste jamais de la niche (le format représente – pas vraiment ce qu’on appellerait un

F
pour s’amuser. Huit ans après l’ap­ environ 10 % d’un marché vidéo connu moment anecdotique. Le gras des textures,
parition du support, il n’y en a pas pour être totalement sinistré). De fait, si ce l’intensité du soleil, la tôle du camion qui
tant que ça des méga classiques du n’est le tout petit et tout jeune éditeur local gondole et menace de tout faire péter ainsi
cinéma local à avoir eu l’insigne Coin de Mire (qui propose ces temps­ci ses que les yeux amoureux et embués de Mon­
honneur de se voir éditer en Blu­ deux premiers films en UHD : L’Homme tand n’avaient encore jamais existé de cette
ray 4K. La Règle du jeu, quelques de Rio et Classe tous risques) ainsi que le manière­là, du moins pas dans nos salons.
Truffaut (les Doinel), deux Godard (À bout mastodonte StudioCanal, il semble qu’il ne Le léger gain de définition et la sophisti­
de souffle et Le Mépris), une poignée de va pas falloir trop compter sur nos compa­ cation du traitement HDR (avec des noirs
Melville, Casque d’or, et puis… et puis on triotes pour vraiment changer la donne. tellement profonds qu’ils en auraient ému
commence à sécher, là. Rien en tout cas dans Clouzot) donnent vraiment l’impression de
nos Fnac au rayon Carné, Cocteau, Bresson, Fierté nationale percevoir les muscles broyés de la jambe de
Tati, Franju, Guitry, Duvivier ou Ophüls Le mois dernier, par exemple, c’est le pres­ Vanel, pourtant bien recouverte de pétrole.
dont les films les plus célébrés ont pourtant tigieux BFI, c’est­à­dire la Cinémathèque Cette folie, remplie par ailleurs de petites
été pour la plupart restaurés en 4K. anglaise, qui publiait dans sa collection friandises éditoriales, est donc (pour l’heure)
C’est un peu dommage, car ce support UHD déjà bien garnie l’un de nos plus beaux une exclusivité anglaise, ainsi que le tout pre­
mal­aimé est encore plus spectaculaire fleurons : rien de moins que Le Salaire mier film de son auteur à connaître les joies
sur des œuvres lointaines, particulière­ de la peur de Henri­Georges Clouzot, d’une édition UHD. Ça en dit beaucoup sur
ment celles tournées en une fierté nationale. Lors de la grande notre désintérêt pour le support, mais aussi
noir et blanc, que sur rétrospective consacrée au cinéaste en pas mal sur la place, toujours aussi floue,
des blockbusters 2017, le film, dans un état plus que pas­ qu’occupe le cinéma de Henri­
high­tech dopés sable, avait été spectaculairement Georges Clouzot dans notre
au mix Dolby restauré par TF1 Vidéo. Ce patrimoine local. u
Atmos (le Blu­ qui avait débouché sur un
ray 4K le plus Blu­ray somptueux, l’un
époustou­ des plus sidérants de THE WAGES OF FEAR (LE
SALAIRE DE LA PEUR)
flant de 2023 ? l’histoire du support. De Henri-Georges
Casablanca !). Mais deux ans plus Clouzot • En Blu-ray 4K
Mais tout ceci tard, la société respon­
• Éditeur BFI (Import)
reste plus que sable de ce coup d’éclat
© WIPF / DR

21 Avril 2024 21
L A DERNIÈRE VOGUE
LES MICRO-CÉLÉBRITÉS D’AUJOURD’HUI SONT (PEUT-ÊTRE) LES STARS DE DEMAIN

Taylor OUI,
C’EST UNE BÊTE
DE SCÈNE
Tomlinson En 2023, l’Eras Tour de l’autre
Taylor, Swift, faisait péter le

est-elle la
milliard de recettes.
Pendant ce temps, Tomlinson,
du haut de sa 7e place au
classement des tournées

Taylor Swift
comiques les plus lucratives,
battait tout son petit monde
en nombre de dates (130).
Sous ses airs de modeste

de l’humour ?
chipie calibre moineau,
l’humoriste cache une
stakhanoviste au
spectre large : des
grands théâtres new-
yorkais aux salles
discount d’Europe, de sa
L’humoriste de 30 ans propre émission sur CBS
(qu’elle a négociée au rythme
cartonne sur Netflix, de trois représentations par
sur scène, et s’invite dans semaine) en passant par Have it
l’Olympe des late shows. all, son troisième seule-en-scène
Netflix à même pas 30 ans, elle est
Il ne lui manque plus partout. C’est donc ça, les fameux
que le cinéma. Patience. gens à qui l’avenir appartient ?
u PAR THÉO RIBETON

OUI,
ELLE A ÉCHAPPÉ NON,
DE PEU AU COUVENT CAR ELLE
Le profil est le même : une blonde
proprette aux airs de pur produit red
N’EST PAS PRÊTE
state, taillée pour l’Amérique du DE SE LISSER
Walmart et de la messe du dimanche, Fraîchement intronisée dans un
qui l’a d’ailleurs vue grandir. paysage late show trusté par des
Tourner en dérision, gentiment ou à la hommes de plus de 50 ans, Taylor
sulfateuse, son éducation chrétienne et Tomlinson a déjoué les pronostics en
les complexes qu’elle en retire aujourd’hui prenant non pas la tête d’une classique
(« À chaque retard de règles, je pense que émission d’interviews promotionnelles
je porte le Christ ») est son répertoire à gros bureau en acajou, mais d’un
favori, avec l’auto-dissection sentimentale improbable game show pour geeks où
de son personnage de vingtenaire mi- défile la nouvelle génération
anxieuse mi-croqueuse d’hommes, d’humoristes. Manière pour elle de
entamée par son fulgurant premier refuser le lissage, et de rester
spectacle Quarter-Life Crisis en 2020. Son connectée aux forces vives du funny
père, fervent chrétien, ne lui parle plus game. De bon augure pour son premier
© 2024 CBS PHOTO ARCHIVE /GETTYIMAGES

depuis qu’elle s’épanche sous la ceinture film en développement, une comédie


et s’émancipe en icône rassembleuse d’un d’inspiration autobio, comme avant
nouveau monde un chouïa moins elle Amy Schumer (Crazy Amy) ou Pete
conservateur. Tant pis pour lui ! Davidson (The King of Staten Island),
et mise en boîte par le réalisateur
d’American Pie.

22 Avril 2024
SOUS INFLUENCE
QUAND L’ACTU FAIT RESSURGIR UN CLASSIQUE OUBLIÉ

L.A., belle histoire


Un docu-fleuve retrace la carrière du tordant Steve Martin, mais sans
jamais avoir un mot pour son chef-d’œuvre ciné, Los Angeles Story. Et s’il
ne s’agissait pas que d’un malencontreux oubli ? u PAR FRANÇOIS GRELET

P
as vraiment de mystère à percer, Le documentaire de Neville se trouve néan­ films sur Los Angeles, c’est à la fois une
de carcasse à fendre, de dark side moins une très bonne raison d’enjamber cette romcom un peu dada et un témoignage de
à dévoiler. Après un peu plus de période : il capte son sujet au moment même premier plan sur la solitude flippante des
3 heures, et deux films (!), à évo­ où celui­ci se consacre avec le cartooniste rigolos célèbres. Martin y joue un présenta­
quer la vie de Steve Martin, le Harry Bliss à la publication d’une autobio teur météo blagueur et déprimé par la Cali­
documentariste Morgan Neville dessinée à propos de ses années hollywoo­ fornie, sa frime fluo, ses courtisans et son
semble revenir à son point de diennes. Ses comédies les plus connues ennui ensoleillé. Son retour à la vie va s’opé­
départ : c’est l’histoire d’un brave mec qui sont donc évoquées, citées, montrées, mais rer grâce à la rencontre d’une Londonienne
voulait faire rire les gens. C’est un peu court, par ricochets ou accidents, lorsque Neville intello, romantique et vacharde interprétée
et un peu long de fait. Le voyage n’en a pas observe le duo au travail. Travail qui est par Victoria Tennant – à l’époque, Mme
moins été agréable. Il est bâti en deux étapes d’ailleurs disponible en librairie depuis Steve Martin. C’est la seule fois de sa carrière
et une escale. Then, le film­archive : les 2022 (Number one is walking, éd. Celadon où ce diplômé de philo s’est offert un grand
années stand­up où Martin recommence Books, en anglais). C’est une petite collec­ geste introspectif et arty où il nous racon­
sans cesse le même sketch, celui du « wild tion d’anecdotes charmantes, sympathiques, tait son amour fou pour la grande peinture
and crazy guy » avec son banjo et sa tronche pleines d’esprit, bref, à la Steve Martin quoi. (dans laquelle il a investi toute sa fortune),
de gendre idéal. D’abord, dans des salles Shakespeare, Tati, Dostoïevski, Charles
vides et embarrassées, ensuite, dans des Geste introspectif et arty Trenet, les existentialistes, les Monty Python,
stades remplis et hilares. Puis Now, le docu Qu’ils aient été conçus par un autre ou par les ritournelles pop et les femmes euro­
embarqué : papy Steve, pas loin des 80 ans, Steve Martin lui­même, ces deux objets péennes. Trente­cinq ans plus tard, le meil­
se consacre à sa série télé avec son vieux restent donc à distance de l’homme comme leur documentaire jamais fait sur la vie de
copain Martin Short, à son spectacle itiné­ du comédien, dont on ne perçoit ici et là Steve Martin semble s’être subitement effacé
rant avec son vieux copain Martin Short et à qu’une certaine pudeur et un goût absolu du à jamais de la mémoire de Steve Martin. u
ses promenades à vélo avec son copain vieux secret. Ils font par ailleurs tous deux l’im­
Martin Short… Tout y est charmant, sympa­ passe de manière assez étonnante sur ce que
thique, plein d’esprit, amusant, à l’image de Martin aura produit de plus intime dans sa S T E V E M A R T I N : U N D O C U M E N TA I R E E N D E U X
PA R T I E S
Steve Martin (et de son vieux copain Mar­ carrière au service de la grimace, le splen­
De Morgan Neville • Sur Apple TV+ • Disponible
tin Short). L’angle mort du (des) film(s) reste dide Los Angeles Story de Mick Jackson,
le 29 mars
donc la carrière cinéma de ce doux génie, long métrage dont il fut à la fois la tête d’af­
ce qui est un peu regrettable pour de pauvre fiche et le scénariste. Succès local au moment LOS ANGELES STORY
Français comme nous, qui ne le connaissons de sa sortie, en 1991, considéré là­bas comme De Mick Jackson • En DVD (StudioCanal) et VOD
quasi exclusivement qu’à travers ses films. un trésor national et l’un des tout meilleurs
© DR

Avril 2024 23
IMPORT TROP LOIN
IL EST SORTI, MAIS PAS ICI

Sur une autre planète


Scavengers Reign raconte l’errance de survivants perdus sur une planète inconnue.
Douze épisodes post-Moebius/Miyazaki sidérants dont le culte mondial ne cesse de
grandir depuis leur diffusion sur HBO Max à la fin de l’année dernière. u PAR GUILLAUME BONNET

es racines ne sont ni inconnues à leur égard, flore et faune étant occupées règles qui lui sont propres. Hommes (et

L
ni masquées. Ce sont les mêmes à (di)gérer leurs propres affaires courantes, machines) ne sont pas menacés de dévora­
pour tout le monde depuis les et réaction d’urticaire à ces intrus qui la tion par des créatures féroces mais absorbés
années 80 : Moebius et ses pla­ traversent. Outre les inspirations précitées par des mécanismes organiques, symbio­
nètes luxuriantes puis ce qu’en a (« dans notre ADN », disent les auteurs), tique, contamination et autres formes com­
tiré Miyazaki dans Nausicaä de le spectateur ne peut s’empêcher de pen­ plexes de parasitage. Mis à plat, rien de tout
la vallée du vent. À savoir deux ser à Pandora, mais une Pandora qui serait cela n’est très nouveau : les espèces inven­
versants de la science­fiction organique : fidèle à la promesse (finalement jamais tées et les hybridations sont toutes plus ou
pile, champignon hallucinogène (le Moe­ tenue) du début du premier Avatar : un moins dérivées de phénomènes terrestres
bius seventies), face, animisme épique (le lieu hostile, sauvage, où chaque pétale de et/ou d’ouvrages de science­fiction connus.
Miyazaki pré­Ghibli). Joseph Bennett et fleur recèlerait des dangers insoupçonnés. Mais en SF plus que dans tout autre genre,
Charles Huettner ont commencé leur explo­ Pas des loups à crêtes ou des baleines à l’originalité d’une œuvre ne tient pas tant
ration de ce double héritage par un court six nageoires mais un biotope délirant, à ses racines qu’à ce qu’elle fait bourgeon­
métrage remarqué en 2016 (Scavengers) fait d’organismes vertébrés ou non, cham­ ner, ici, un sentiment constant de sidéra­
avant d’être greenlightés par HBO Max : pignons, spores, fluides en tous genres, tion, rehaussé par une stylisation presque
douze épisodes de 24 minutes, un récit ponte, osmose, hosting et autres phéno­ naturaliste de l’animation des personnages
d’une simplicité biblique, de la poésie à mènes transformatifs. humains et de ce qu’il faut bien appeler
chaque plan. Une navette spatiale s’est leur jeu d’acteur. Le micmac de la non­dis­
crashée, trois groupes de survivants isolés Sentiment de sidération ponibilité de HBO Max en France venant
font ce qu’ils peuvent pour survivre encore Dans le court métrage de 2016, la plupart ajouter au sentiment de jamais­vu presque
un peu. Une navigatrice et son robot, le de ces hypothèses étaient déjà illustrées, les clandestin à la découverte de cette planète
capitaine du vaisseau accompagné d’une êtres humains utilisant les propriétés des lointaine, interdite et proprement inouïe. u
chercheuse et enfin un scientifique devenu différentes espèces à leur avantage, se ser­
fou (par amour, jalousie, soli­ vant de certains végétaux comme masques
S C AV E N G E R S R E I G N
tude ou les trois), paumés à oxygène ou d’animaux comme parachutes
Créée par Charles Huettner & Joe Bennett
aux trois coins d’une ou radeaux de sauvetage. On retrouve les
• Animation • Sur HBO Max
planète mystère mêmes principes dans la version série mais
qui hésite entre compliqués par un danger d’autant plus gla­
l’indifférence çant qu’il est débarrassé de toute intention
de nuire. La planète Vesta (on connaît son
nom grâce au court métrage) n’est pas hos­
tile ou prédatrice, mais son écosys­
tème fonctionne
selon des
© DR

24 Avril 2024
L’ I N S I D E R D U M O I S
IL VA (RE)METTRE HOLLYWOOD À SES PIEDS

Le Dan de fer
Responsable du pôle longs métrages chez Netflix depuis 2017,
le très volubile et schizo Scott Stuber a laissé sa place à Dan Lin,
exécutif pro et discret, au CV gentiment ennuyeux. u PAR ROMAIN THORAL

D
es années que la presse ciné l’industrie puisque l’avant­veille de son nier disciple
internationale cherche à expo­ arrivée, Sean Bailey, patron du cinéma live du légendaire
ser de manière plus ou moins chez Disney depuis quinze ans, quittait son Lew Wasser­
rationnelle la politique des poste à la surprise générale et devenait illi­ man, agent le
longs métrages Netflix à ses co le favori des bookmakers pour occuper plus puissant
lecteurs, et qu’elle s’y casse sys­ le poste de Stuber. Il semble pourtant avoir du Hollywood
tématiquement les dents. Com­ refusé le job, ce qui prive la plateforme de l’âge d’or et
posé de concert par le fameux algorithme, d’une (énorme) prise hollywoodienne. Sur­ surnommé en
l’air du temps et quelques opportunités de tout, malgré ses quelques cartons stratos­ son temps « le
marché, le catalogue des « films Netflix » phériques, Dan Lin est issu d’une lignée dernier mogul ». Stuber opérait ainsi un lien
reste l’un des mystères les plus insondables un peu moins noble que son prédécesseur, symbolique très fort entre les majors de Los
de la Silicon Valley. Considérons tout de connu dans le milieu pour avoir été le der­ Angeles et l’ex­start­up de San Francisco.
même que cette drôle d’équation devait Outre son attachement connu à « l’ex­
néanmoins refléter, en partie, la vision périence en salles », il s’amusait à tenter
de Scott Stuber, responsable de la sec­ quelques coups spectaculaires et très com­
tion depuis une bonne décennie et dont les mentés (les 450 millions mis sur la table
mésententes avec son patron Ted Sarandos pour acquérir la franchise À couteaux tirés)
étaient à la fois nombreuses et connues de et s’était débrouillé, depuis sa prise de fonc­
tous (le premier militait notamment pour tion, pour qu’à chaque édition des produc­
plus de sorties des productions maison dans tions maison soient nommées aux Oscars.
les salles US, le second pour beaucoup Son départ et le profil de son remplaçant
moins). Peut­être ont­elles fini par épuiser semblent signifier que ce genre de petites
tout le monde. L’année dernière, l’organi­ coquetteries typiquement hollywoo­
gramme de la plateforme a été remodelé diennes appartiennent désormais au
pour placer une femme, Bela Bajaria, nou­ passé. Sans chercher à exposer de
velle responsable du contenu, entre les deux manière rationnelle la politique édi­
hommes. Ça n’a visiblement pas suffi : en toriale de Netflix aux lecteurs de
janvier dernier Stuber annonçait son départ Première, risquons­nous au moins
de la société, et à la fin du mois de février le à affirmer ceci : ça ne sent pas
nom de son remplaçant était donc dévoilé. très bon. u

Producteur tout-terrain
Il s’agit de l’Americano­Taïwanais Dan
Lin, 51 ans, producteur tout­terrain, que
vous retrouverez ce mois­ci au générique de
Godzilla x Kong : Le Nouvel Empire et qui
l’an passé proposait le superfour Le Manoir
hanté, qui fit perdre 150 millions à Disney.
Les plus hauts faits de son CV ne dessinent
pas spécialement un profil de poète ou
d’obsessionnel : le Sherlock Holmes de Guy
Ritchie, La Grande Aventure Lego, L’Arme
fatale version série télé et les deux Ça
© PHOTO BY JON KOPALOFF/GETTY IMAGES

d’Andy Muschietti. Depuis peu, l’homme


s’était rapproché de Netflix en produisant
pour eux Les Deux Papes de Fernando
© 2019 GETTY IMAGES / DR

Meirelles et tout récemment leur supercar­


ton au rayon séries : Avatar : Le Dernier
Maître de l’air. L’embauche de Dan Lin
semble avoir cependant pris de court toute

Avril 2024 25
ZONE INTERDITE
UN SUJET CONFIDENTIEL MAIS TOTALEMENT ESSENTIEL

La revanche du chat noir


Potemkine édite dans le même coffret Blu-ray deux films du sacrée trouille. Sens de l’épure, art de la
Japonais Kaneto Shindô. D’un côté le très réputé Onibaba, de l’autre suggestion, pulsions sexuelles et hypo­
thèse du fantastique : Onibaba sait cocher
le beaucoup moins célébré Kuroneko. Une manière de faire enfin avec une certaine vista toutes les cases
exister le second grâce à la lumière du premier ? u PAR FRANÇOIS GRELET du bon goût, celle de la « chic­néphilie »,
comme l’appellent certains. À côté, Kurone-
n voilà une belle idée éditoriale plus qu’un simple package en Blu­ray. ko paraît vraiment débraillé. Le film relève

E
ET marketing : lier dans un même L’inévitable étude comparée qui en résulte d’un postulat assez proche de celui de son
petit coffret­combo un chef­ a surtout le mérite d’éclairer sur les rai­ prédécesseur : à peu près au même endroit,
d’œuvre officiel et un beaucoup sons pour lesquelles le premier est devenu à peu près au même moment, une femme et
plus officieux. Proposé en « solo », l’un des films les plus connus du cinéma sa belle­fille attendent elles aussi un homme
le disque de Kuroneko n’aurait pas japonais des années 60, et le second, pas parti faire la guerre. Mais dès la première
eu la moindre chance d’exister face grand­chose. Ça n’a rien à voir avec un scène déboule une bande de samouraïs qui
à celui d’Onibaba, l’un des deux films les fossé qualitatif, mais plutôt avec l’éternel les violent puis mettent le feu à leur mai­
plus célébrés de Kaneto Shindô, l’autre étant affrontement entre merveilleux et réalisme. son. Un petit chat noir (un kuroneko en VO)
L’Île nue. Présenté de la sorte sur les étals, Onibaba est ascétique : trois personnages, va ensuite les ramener à la vie, sous forme
presque à égalité l’un avec l’autre, Kuroneko deux décors, et la matière narrative d’une de spectres avec de gros sourcils. Le duo
peut entrevoir une occasion de sortir enfin fable à raconter au coin du feu. Au milieu recomposé va alors se jurer de faire la peau
des limbes cinéphiles (occidentales). La d’un champ de roseaux et d’un Japon médié­ à chaque mâle qui croisera son chemin…
technique pourrait presque ressembler à de val à feu et à sang, deux femmes attendent
la vente forcée, si Kuroneko n’était pas à le même homme : le fils de l’une et le Mauvaises manières
ce point extraordinaire et ne dialoguait pas mari de l’autre. Il ne reviendra jamais de Il s’agit d’une œuvre qui foisonne, une
en permanence avec le monument, réalisé la guerre, et une fois la nouvelle apprise, folie exotique bâtie sur la superposition
quatre ans plus tôt, qui l’accompagne. C’est son ex­épouse va se jeter dans les bras du des genres, une grande variété d’imageries
donc bel et bien un double programme que voisin, tandis que sa belle­mère, jalouse, (film médiéval, de fantômes, de vampires,
nous propose ici l’éditeur Potemkine bien se grimera en démon pour leur foutre une de guerre, de samouraïs…) et différentes
énonciations (à la fin du premier acte, le
soldat attendu réapparaît et on glisse subi­
tement du point de vue des deux revenantes
au sien). Tout ceci se conclut presque dans
une atmosphère de ghost kung-fu comedy
hongkongaise, avec bagarre contre un
démon et câbles apparents, ce qui en fait
forcément un objet un peu moins présen­
table qu’Onibaba. La postérité jusque­là
quasi nulle de Kuroneko ne relève donc en
rien d’une injustice, mais maintenant que
le voilà lié à l’autre par la grâce d’une box
en carton, on peut imaginer qu’un jour,
peut­être, ses mauvaises manières puissent
charmer plus fort que l’évidence de son res­
pectable aîné. u

COFFRET K ANETO SHINDÔ : ONIBABA +


KURONEKO
En Blu-ray • Éditeur Potemkine

Onibaba
© DR

de Kaneto Shindô

26 Avril 2024
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© 2023 CTMG, INC.

S.O.S. Fantômes : La Menace de glace


de Gil Kenan

28 Avril 2024
EN COUVERTURE

S.O.S. FANTÔMES :
L’HÉRITAGE
À VOIR SUR

LE NOUVEAU
PROTOCOLE
Ça va refaire
chboom là-dedans !
Après des décennies de suites ratées, de projets
avortés et de reboots mal-aimés, la saga S.O.S.
Fantômes, depuis le succès de L’Héritage, est enfin
en ordre de bataille. Gil Kenan, le réalisateur du
nouvel épisode, La Menace de glace, et le producteur
Jason Reitman nous expliquent comment ils
entendent propulser l’esprit de Ghostbusters dans
une nouvelle ère. u PAR FRÉDÉRIC FOUBERT

Avril 2024 29
U
n nouveau S.O.S. Fantômes ? C’est
mon cauchemar ! » Ce n’est pas le
cri du cœur d’un spectateur déçu
par le récent S.O.S. Fantômes :
L’Héritage, mais celui de Bill
Murray en personne, en 2010, sur
le plateau du talk­show de David
Letterman. Ce soir­là, l’acteur di­
sait enfin tout haut ce que Hol­
lywood savait depuis longtemps
qu’il pensait tout bas. L’interprète
du docteur Peter Venkman a en
effet toujours entretenu une relation d’amour­haine avec
cette saga qui lui a pourtant apporté la gloire et la for­
tune. Il n’avait pas initié ce hit phénoménal – ses vrais
géniteurs en étaient les scénaristes­comédiens Dan
Aykroyd et Harold Ramis, associés au réalisateur Ivan
Reitman –, il en était néanmoins le visage, la star em­
blématique, l’incarnation ultime, celui qui encapsulait à
la perfection ce mélange de cool new­yorkais et d’anar­
chisme eighties qu’on associe au mot Ghostbusters.
Le problème, c’est que Bill Murray ne voulait pas pour­
chasser des revenants, mais ses rêves d’acteur. Il avait
fini par en vouloir à S.O.S. Fantômes de menacer de
l’enfermer dans une cage dorée.
Si elle n’explique pas tous les ratés de la franchise au fil
du temps, la répugnance du comédien d’Un jour sans
fin à rendosser le proton pack de Venkman est carac­
téristique d’une saga qui n’a jamais rien fait comme les
autres. Alors que la plupart des IP (intellectual proper- Ernie Hudson et Bill Murray
ties) hollywoodiennes semblent très bien savoir com­
ment faire fructifier la légende et relever les compteurs à de Juno ou In the Air, des films beaucoup plus présen­
intervalles réguliers, la très débraillée épopée des chas­ tables que les comédies de son père comme Un flic à la
seurs de fantômes n’a jamais réussi à suivre de chemin maternelle ou Arrête de ramer, t’es sur le sable… L’Hé-
© JAAP BUITENDIJK ­ COLUMBIA PICTURES ­ SONY PICTURES RELEASING ­ BRON STUDIOS ­ GHOSTCORPS ­ RIGHT OF WAY FILMS / 2024 CTMG, INC

tout tracé : après le carton inaugural de 1984, l’épisode 2 ritage n’était pas génial mais suffisamment investi (d’af­
de 1989 a été une débâcle artistique, le 3 ne s’est ja­ fects, de sentiments personnels, d’amour des différents
mais fait, le reboot au féminin signé Paul Feig en 2016 fétiches de la saga) pour dépasser les cyniques calculs
a aujourd’hui complètement disparu des mémoires et du fan service. Sans compter qu’il y avait dans le film au
de l’histoire officielle… Puis, un beau jour, tout est ren­ moins une scène surexcitante (la course folle d’Ecto­1,
tré dans l’ordre. En 2021, Bill Murray en avait fini avec la Cadillac « pimpée » des chasseurs de fantômes, à tra­
ses tergiversations (il avait déjà passé une tête dans le vers un bled de l’Oklahoma) et une vraie apparition de
film de Paul Feig) et Jason Reitman, fils d’Ivan, a dé­ cinéma, en la personne de Mckenna Grace, dans le rôle
cidé de mettre de l’ordre dans le legs familial avec le de Phoebe Spengler, petite­fille d’Egon et nouvelle star
bien nommé S.O.S. Fantômes : L’Héritage. Les ingré­ de la saga. Le box­office du film (204 millions de dol­
dients ? Une délocalisation de New York à la campagne, lars de recettes pour un budget de 75 M) a confirmé
un recentrage narratif sur la famille d’Egon Spengler qu’un public était là pour voir ça. Public qui a dû ressen­
(en hommage à Harold Ramis, interprète du ghostbus­ tir un petit frisson d’excitation devant la bande­annonce
ter à lunettes, décédé en 2014), et une imprégnation de du nouvel opus, La Menace de glace, qui tease le retour
l’esprit de la comédie fantastique originelle par la sen­ à New York – et dans la mythique caserne – des nou­
sibilité « indé » du fiston Reitman – réalisateur acclamé veaux héros de la franchise, épaulés par les OGs (« les
Original Ghostbusters », comme on les appelle dans le
S.O.S. FANTÔMES : petit monde des fans de S.O.S. Fantômes).

L’HÉRITAGE ÉTAIT UNE Passage de témoin


« Il y avait vraiment deux dimensions dans L’Héri­

LETTRE D’AMOUR AUX tage, analyse rétrospectivement Jason Reitman, au­


jourd’hui crédité comme producteur et coscénariste
du nouveau volet. La formation d’une nouvelle es-
FILMS D’ORIGINE. JASON REITMAN couade de chasseurs de fantômes, doublée d’une lettre

30 Avril 2024
EN COUVERTURE

en 1984. Et le nouveau film, La Menace de glace, est


la première véritable aventure des nouveaux person-
nages. » Un recommencement, donc, symbolisé par
le passage de témoin à la mise en scène entre Jason
Reitman et son pote Gil Kenan (déjà coscénariste du
précédent), spécialiste du mix trouille/rigolade de­
puis ses débuts en 2006 avec l’excellent film d’ani­
mation Monster House, produit par Robert Zemeckis.
À Gil Kenan la charge de diriger un casting extra­large,
qui pousse dans ses retranchements le concept des
legacyquels, ces films où une distribution de stars sur
le retour dialogue avec une nouvelle génération d’ac­
teurs chargés de les remplacer à court ou moyen terme,
comme dans les Creed (les nouveaux Rocky) ou la der­
nière trilogie Star Wars.

Vétérans et jeune garde


Dans La Menace de glace, les revenants des années 80
sont tous là : Bill Murray en Peter Venkman, Dan
Aykroyd en Ray Stantz, mais aussi Ernie Hudson en
Winston Zeddemore (le personnage trône désormais à
la tête du business des chasseurs de fantômes, une forme
de revanche pour l’acteur qui a longtemps été traité
comme la cinquième roue du carrosse) et Annie Potts,
alias Janine Melnitz, la secrétaire qui ne se contente plus
de répondre au téléphone mais enfile elle aussi la com­
binaison iconique. Ces vétérans sont là en soutien de
la jeune garde emmenée par Mckenna Grace, incluant
notamment Paul Rudd, Carrie Coon et Finn Wolfhard
de Stranger Things. Sans compter des seconds rôles
tenus par Kumail Nanjiani ou Patton Oswalt, et l’iné­
d’amour aux films d’origine. C’est la raison pour la- vitable apparition de Bouffe­tout… Soit des vieux, des
quelle une grande partie de l’intrigue était consacrée ados, des quadras, des stars, des mascottes, beaucoup
à une excavation archéologique ! Nous réactivions les de gens sur l’affiche (et la couverture de Première).
fétiches de la saga, méticuleusement, les uns après « Une vision très inclusive et progressiste de qui peut
les autres. D’abord les proton packs, puis la voiture, être un ghostbuster », s’enthousiasme Gil Kenan. Et
jusqu’au climax où arrivaient les OGs. D’une certaine aussi, sans doute, une forme de reflet du public visé : le
façon, le film était l’épilogue d’une histoire entamée plus de monde possible.

Carrie Coon, Mckenna Grace,


Finn Wolfhard et Paul Rudd

Avril 2024 31
Finn Wolfhard

La saga en est donc arrivée à ce stade de croissance où beaucoup de temps pendant leurs séances d’écriture à
elle doit abandonner les atermoiements passés pour se « binge­watcher » le dessin animé S.O.S. Fantômes des
concevoir comme une machine viable d’un point de vue années 80 (The Real Ghostbusters en VO, sept saisons
industriel, sans renier pour autant l’ADN bordélique et entre 1986 et 1991). « Ça a bercé mon enfance, explique Gil Kenan sur le tournage
braillard qui a fait son succès. La mort d’Ivan Reitman, Gil Kenan. Ça et les céréales Ghostbusters ! (Rires.) Il y de La Menace de glace
en 2022, quelques mois seulement après la sortie de avait une audace et une générosité remarquables dans
L’Héritage, a marqué un nouveau tournant (La Menace ce dessin animé, qui travaillait à étendre la mythologie
de glace lui est dédié). Il n’est plus question pour les Reit­ des films, avec des “méchants de la semaine” toujours
man père et fils de dialoguer par film interposé – à un très inventifs, comme le Sandman, ou des momies ve-
ou deux clins d’œil près, comme cette citation de Canni- nues de l’Égypte ancienne, plein de forces maléfiques
bal Girls, le deuxième film d’Ivan (« Pas son meilleur », qui nous disaient à quel point ce monde était vaste. »
rigole Jason). Il était donc plus que jamais temps de se Des cartoons qui ont stimulé son imagination au mo­
poser la question : c’est quoi, au fond, un film S.O.S. ment de concevoir les antagonistes de La Menace de
Fantômes en 2024 ? Une farce malpolie ? Une histoire de glace. « Je dessine en même temps que j’écris, pour­
famille ? Un film d’horreur pour mômes ? « C’est beau- suit Kenan, mon travail sur le scénario a donc immé-
coup de choses, avance Jason Reitman. Une chanson, un diatement été accompagné des premiers croquis des
logo, un humour et une sensibilité qu’on ne trouve nulle nouveaux fantômes que vous allez voir dans le film,
part ailleurs. Une comédie autant qu’un film d’horreur. le Dragon des égouts, Melody… » Et bien sûr le grand
Une ode à ceux qui résistent à l’autorité et fabriquent méchant, Garraka : « J’en suis très fier, j’espère que les
leur propre technologie. Une manière aussi de réfléchir gens le trouveront effrayant. C’est une vision de cau-
à la question suivante : comment croire dans un monde chemar. L’idée de ses très longs ongles m’est venue d’un
devenu cynique ? Une interrogation qui est autant d’ac- livre allemand pour enfants bien flippant que me lisait
tualité en 2024 qu’en 1984. L’humour de S.O.S. Fan­ mon grand-père, Der Struwwelpeter. »
tômes s’est toujours fondé sur cette opposition entre un
cynique et un “believer”. Hier, c’étaient Venkman (Mur- Vieux démons
ray) et Stantz (Aykroyd), aujourd’hui, les personnages de Quand Gil Kenan dit ça, on ne peut pas s’empêcher de
Carrie Coon et Paul Rudd. » penser à Ray Stantz convoquant le Bibendum Chamallow
Pour mieux cogiter à ce que pouvait signifier une mise dans le final du premier film – « J’ai pensé à un machin
à jour de S.O.S. Fantômes, Reitman et Kenan ont passé inoffensif, qui me venait du fond de mon enfance… »

L’HUMOUR DE S.O.S. FANTÔMES


S’EST TOUJOURS FONDÉ SUR CETTE
© 2024 CTMG, INC. /

OPPOSITION ENTRE UN CYNIQUE


ET UN « BELIEVER ». JASON REITMAN

32 Avril 2024
EN COUVERTURE

Dès qu’il est question de S.O.S. Fantômes, oui, on en avec les spectres depuis le XIXe siècle. Et Bill Murray,
revient très vite à l’enfance. Et aux différentes façons de alors ? On ignore quels fantômes le ghostbuster récalci­
faire la paix avec ses vieux démons. Gil Kenan regarde trant traque aujourd’hui mais « il tenait vraiment à faire
des cartoons et dessine des monstres dans les marges le film », tient à nous rassurer Gil Kenan, complice de
de ses scénarios. Jason Reitman prépare un film sur les l’acteur depuis qu’il l’a dirigé dans La Cité de l’ombre
débuts du Saturday Night Live (SNL 1975), qui est une en 2008. « Il a ressuscité en un clin d’œil son person-
autre manière pour lui de revenir aux sources de cet hu­ nage de Venkman, toujours aussi acerbe et pince-sans-
mour qui allait exploser dans S.O.S. Fantômes et à l’es­ rire. » Jason Reitman précise : « Et il était tous les jours
pace­temps durant lequel son père a connu ses premiers à l’heure sur le plateau ! » Dans le monde de S.O.S.
succès. Dan Aykroyd, dans l’interview qui suit, honore Fantômes, qui n’a longtemps répondu à aucune règle,
à sa façon la mémoire de ses aïeux, qui conversent ce n’est pas une petite victoire. u

Avril 2024 33
EN COUVERTURE

DAN
AYKROYD Le bon esprit
L’âme de S.O.S. Fantômes, c’est lui. Dan Aykroyd,
interprète de Ray Stantz, créateur de la saga,
nous raconte une vie dédiée à la comédie
et au paranormal, hantée par les spectres
de ses vieux copains. u PAR FRÉDÉRIC FOUBERT

PREMIÈRE : Bonjour M. Aykroyd… imaginez ? Ils sont fans de S.O.S. Fantômes


DAN AYKROYD : Bonjour ! Vous m’appelez depuis leur enfance, c’était un rêve de gosse
de France ? Alors, qu’est­ce que vous avez pour eux de jouer dedans. Leur enthou­
pensé de Napoléon ? siasme apporte une énergie folle au film.

Bof, j’ai été un peu déçu. Mais je crois Pour vous aussi, d’une certaine façon,
que c’est le cas de beaucoup de S.O.S. Fantômes a un rapport à
Français… l’enfance. Vous avez grandi dans une
C’est ce que j’ai cru comprendre. Moi, j’ai famille passionnée par le
aimé ! Ne serait­ce que parce que ça offre paranormal…
l’occasion au public de se confronter à l’his­ Oui, l’intérêt pour le surnaturel, c’est dans
toire. Il y a peut­être des inexactitudes, mais mon sang. C’est la religion de ma famille.
ça poussera certains à aller lire un livre en­ Je viens d’une lignée de spiritualistes. Mon
suite et se faire leur propre opinion… Bon. arrière­grand­père était dentiste dans une
On parle de S.O.S. Fantômes ? ville appelée Kingston, en Ontario, au
Canada, et il a été l’un des tout premiers
Oui. Le nouveau film revient aux chercheurs dans le domaine du paranor­
fondamentaux : New York, la caserne, mal. Il faut savoir qu’entre les années 1890
les ghostbusters vétérans prêts au et 1920 s’est développé partout dans le
combat… Vous qui en êtes à l’origine, monde un grand intérêt pour les fantômes,
comment définiriez-vous l’essence les activités médiumniques, la conversa­
de la saga ? tion avec les défunts, la manifestation des
Beaucoup de cœur, de sincérité et d’hu­ morts depuis l’au­delà à travers les séances
mour. Quelques bons petits moments de de médiumnité… Arthur Conan Doyle, le
trouille. Et par­dessus tout, un vrai sens de créateur de Sherlock Holmes, faisait partie
la camaraderie. C’était central dans le pre­ des gens qui se passionnaient pour ces ques­
mier film et c’est ce qu’on continue de re­ tions. C’est en homme de science que mon
chercher : une véritable alchimie entre les arrière­grand­père s’est lancé dans des re­
interprètes. C’est le cas dans La Menace de cherches sur le sujet. Après lui, mon grand­
© AMANDA NIKOLIC

glace. Tout le monde est ravi d’être là. Les père a organisé des séances dans la vieille
jeunes acteurs sont excellents, à commencer ferme familiale. Mon père a écrit un livre
par Mckenna Grace et Finn Wolfhard. Vous intitulé A History of Ghosts (Une histoire

34 Avril 2024
Avril 2024 35
S.O.S. Fantômes : La Menace
de glace de Gil Kenan

des fantômes), que vous pouvez acheter ne le connaissait pas ? Ça a forcément joué, déjeuner à la maison. On était dans le jardin,
sur Amazon. C’est vraiment une affaire de ne serait­ce qu’inconsciemment. Je me suis près de la piscine… Dans le plus pur style
famille, en effet. nourri de toutes les histoires de fantômes, Hollywood ! Et Billy me dit : « Tu te rends
toutes, sans exception, les dessins animés, compte que tu as écrit une comédie qui va
Et vous avez décidé d’en tirer une les vieux films, de Casper à La Falaise mys- devenir l’une des plus drôles et populaires
comédie fantastique… térieuse. J’ai ensuite eu la chance d’écrire de tous les temps ? » Wow ! Moi, je ne tirais
Oui, je me suis dit que j’allais mettre tout le film avec Harold Ramis, qui était sur la pas de plan sur la comète, parce que je sa­
le savoir que m’avait légué ma famille dans même longueur d’onde que moi. vais que le succès et l’échec dépendent d’un
une comédie de fantômes à l’ancienne, tas de facteurs différents, le marketing, la
dans la lignée des films d’Abbott et Cos­ La légende raconte que le premier film date de sortie, etc. Mais Billy avait l’air tel­
tello, des Bowery Boys, de Bob Hope, Bing s’est tourné dans la panique. À quel lement sûr de lui en disant ça. Je ne me suis
Crosby, Dean Martin et Jerry Lewis… Il y moment vous êtes-vous dit que vous plus posé de questions après ce déjeuner.
avait toute cette tradition de films où des co­ teniez un hit ?
miques rencontrent des fantômes. Mais Ray Oh, je ne pense pas que le tournage du pre­ Comment le monde des chercheurs
Stantz, Peter Venkman et Egon Spengler mier S.O.S. Fantômes ait été plus compli­ en phénomènes paranormaux a-t-il
[les trois ghostbusters originels] sont des qué que n’importe quel autre film de cette accueilli S.O.S. Fantômes ?
chercheurs très sérieux ! Ils utilisent leurs taille et de cette ambition. Dès qu’il y a des Très bien. Je suis allé à plusieurs reprises
investigations paranormales pour mieux effets spéciaux en jeu, on se demande à quel visiter la bibliothèque de l’American
comprendre ce que les morts ont à nous point ça va fonctionner à l’écran. J’habi­ Society for Psychical Research, à New
dire. Les fantômes existent vraiment, vous tais près du studio, à Los Angeles. Un jour, York, sur la 73e Rue, et j’ai toujours été très
savez. Ce sont des phénomènes bien réels. alors qu’on tournait la scène sur le toit du bien reçu. Nous avons réussi à attirer l’at­
Des films, des photos, des enregistrements temple où les ghostbusters affrontent Gozer, tention du monde entier sur ces questions.
audio sont là pour le prouver. j’ai proposé à Billy [Bill Murray] de venir Avant ce film, les gens ne connaissaient

Il y a ce petit mystère pop culturel


que vous pouvez m’aider à résoudre.
Est-ce que le dessin animé Disney
des années 30 intitulé Lonesome LES FANTÔMES EXISTENT
Ghosts (Les Revenants solitaires),
dans lequel Mickey, Donald, et Dingo VRAIMENT, VOUS SAVEZ.
© 2023 CTMG, INC. / COLUMBIA / DR

tiennent une agence de chasseurs


de fantômes, était aussi l’une de vos DES FILMS, DES PHOTOS, DES
sources d’inspiration ?
Bien sûr ! Celui où ils visitent la maison ENREGISTREMENTS AUDIO
hantée ? Je vois très bien de quel cartoon
vous parlez. Quel gamin de ma génération SONT LÀ POUR LE PROUVER.
36 Avril 2024
EN COUVERTURE

même pas l’existence du mot ectoplasme ! de tout faire pour que le film ne voie qu’on était tous très occupés, on tournait
C’est un Français, d’ailleurs, qui l’a inventé. jamais le jour… beaucoup, Harold [Ramis] avait sa propre
Un chercheur en médecine du nom de On n’arrivait pas à écrire un bon scénario, carrière de réalisateur… La saga est entrée
Charles Richet. Lors d’une séance de mé­ c’est aussi bête que ça ! On a retourné le en sommeil. Tout a pu véritablement re­
diumnité, il a vu une paire de mains sortir problème dans tous les sens. J’ai même fini commencer quand Jason [Reitman] a eu la
de l’estomac de quelqu’un. Ça lui a retourné par écrire un script dans lequel Billy n’avait brillante idée de déménager les ghostbus­
le cerveau et il a complètement révisé son qu’une demi­journée de tournage, pour la­ ters en Oklahoma pour S.O.S. Fantômes :
système de pensée ! quelle on était prêts à lui donner beaucoup L’Héritage.
d’argent… J’aimais l’histoire, mais j’étais
Que s’est-il passé avec le projet S.O.S. le seul ! J’ai refait une autre version, en L’Héritage et La Menace de glace sont
Fantômes 3 ? Ça a été un serpent de prenant en compte les avis des uns et des ce qu’on appelle des legacyquels,
mer tout au long des années 90 et autres, mais ça ne marchait toujours pas. On et posent donc la question de savoir si
2000, Bill Murray donnait l’impression a fini par laisser tomber. Il faut dire aussi la saga peut continuer sans ses stars
originelles… Vous vous voyez dire
S.O.S. Fantômes adieu à S.O.S. Fantômes ?
d’Ivan Reitman Oh oui, absolument. Je crois bien que c’est
le plan, d’ailleurs. La prochaine fois, les
nouvelles générations seront seules, sans les
OGs [les ghostbusters originaux]. Ils iront
peut­être à la chasse aux fantômes dans un
autre pays… On a déjà quelques idées pour
la suite !

Vous êtes dans une situation à


la George Lucas avec Star Wars,
vous allez voir votre création continuer
sans vous…
Je ne serai plus là en tant qu’acteur, mais
attention, je garde les droits de la licence
Ghostbusters ! Si quelque chose ne me plaît
pas, je peux utiliser mon droit de veto. La
licence appartient à cinq entités : Billy,
moi, Erica – la veuve de Harold Ramis –,
la famille Reitman représentée par Jason,
et Sony. À nous cinq, on s’occupe des films,
mais aussi des jeux vidéo. Il y a eu Ghost-
busters : Spirits Unleashed récemment, et
un autre, en VR, vient de sortir (Ghostbus-
ters : Rise of the Ghost Lord).

Il paraît que vous avez aussi écrit un


prequel de S.O.S. Fantômes…
Oui, Ghostbusters High ! Ça raconte la ren­
contre entre Venkman, Stantz et Spengler
au lycée, dans le New Jersey, en 1969. Une
super histoire. Honnêtement, je crois que
c’est un des meilleurs trucs que j’ai écrits
de ma vie ! Reste à savoir ce qu’on va en
faire. Un film ? Un pilote de série ? Un des­
sin animé ? On y réfléchira après la sortie de
La Menace de glace. J’avoue que je préfé­
rerais que ce soit live parce que ça m’amu­
serait beaucoup d’organiser un casting pour
trouver un jeune Murray, un jeune Ramis et
un jeune moi.

On va aussi voir un jeune Dan Aykroyd


dans SNL 1975, le film que prépare
Jason Reitman sur les débuts

Avril 2024 37
EN COUVERTURE

S.O.S. Fantômes : La Menace


de glace de Gil Kenan

du Saturday Night Live, l’émission qui Quel était l’état d’esprit de Dan
vous a rendu célèbre et a révolutionné
la comédie en Amérique…
Aykroyd en 1975 ?
J’étais reconnaissant envers Lorne Michaels LE FANTÔME
Oui. Ils ne vont pas me rajeunir numéri­
quement, hein ! Ils ont engagé quelqu’un
[le créateur du SNL] de m’avoir embauché
dans cette aventure qui allait avoir un im­ DE JOHN BELUSHI
pour me jouer [Dylan O’Brien]. Je ne sais
pas grand­chose du film, à vrai dire, mais
pact phénoménal sur le monde du divertisse­
ment. Reconnaissant et surexcité. Imaginez, N’EST JAMAIS
je soutiens tout ce que fait Jason. Il veut ra­
conter la soirée de lancement du SNL, ce
j’avais 23 ans, je vivais à New York, je fai­
sais partie de cette incroyable équipe d’au­ APPARU AU PIED
qui s’est passé le soir du tout premier show. teurs et de comiques… Très vite, on a monté
les Blues Brothers avec John Belushi. On DE MON LIT. ÇA
chauffait la salle avant l’émission, puis on
allait jouer downtown avec Willie Nelson… AURAIT ÉTÉ
Qu’est­ce que je peux dire ? C’était le pi­
nacle de ma carrière ! EXCITANT !
S.O.S. Fantômes : L’Héritage était dédié
à Harold Ramis, mort en 2014,
La Menace de glace est dédié à
Ivan Reitman, qui est décédé
en 2022… Comment les
esprits de vos amis et
collaborateurs décédés se
manifestent-ils à vous ?
En général, ça se passe dans des
rêves. Je n’ai pas encore fait de rêve
avec Ivan, il faudrait que je demande à
Jason si ça a été le cas pour lui… L’hu­
moriste Al Franken, un ancien auteur du
Saturday Night Live devenu sénateur des
États­Unis, dit qu’il a vu le fantôme de
John Belushi au Château Marmont [à Los
Angeles]. Dans le bungalow où John est
mort [d’une overdose, en 1982]. Franken
était allé vivre là­bas peu de temps après le
© 2023 CTMG / UNIVERSAL / DR / COLUMBIA

drame et, une nuit, le fantôme de John lui


est apparu. À côté de lui, sur le lit. Il lui a
souri. Je crois ce que dit Al Franken, c’est
quelqu’un de très sérieux – même si c’est
un comique.
Les Blues Brothers
de John Landis

38 Avril 2024
S.O.S. Fantômes
d’Ivan Reitman

John Belushi s’est aussi manifesté à qu’Elwood est celui que j’aspire à être. Il est Charles Richet. Quant au livre de mon père,
vous ? calme, tranquille, introverti, il ne sort de ses il est édité chez Rodale Books, comman­
Oui, plusieurs fois, dans des rêves très vifs, gonds que quand la musique commence. Le dez­le, il en reste encore quelques exem­
très frappants. Mais son fantôme n’est ja­ reste du temps, c’est un ermite anarchiste et plaires. Vous comprendrez à sa lecture que
mais apparu au pied de mon lit. Ça aurait anti­autoritaire. les fantômes peuvent se manifester sous des
été excitant ! tas de formes différentes. Vous découvrirez
Un dernier mot pour les spectateurs l’histoire d’Eusapia Palladino, une médium
Vous avez transformé deux de vos français ? Vous nous conseillez de italienne qui a exsudé de l’ectoplasme par de
grandes passions, le paranormal et retourner voir Napoléon ? nombreux orifices. Vous m’entendez ? (Par-
le rythm and blues, en deux créations Non, laissez tomber Napoléon ! Allez voir lant soudainement français.) De beaucoup
comiques légendaires, S.O.S. Fantômes S.O.S. Fantômes : La Menace de glace. d’orifices ! (Retour à l’anglais.) Bref. Merci
et Les Blues Brothers. Lequel de ces Allez­y nombreux ! C’est du bon vieux di­ de votre appel. Et allez au cinéma ! u
deux personnages vous ressemble vertissement à l’ancienne, fait avec sin­
le plus, Ray Stantz ou Elwood Blues ? cérité. Ça justifie le fait d’abandonner un
Oh, Ray et moi partageons de nombreux instant le streaming et son canapé. J’aime S . O . S . FA N T Ô M E S : L A M E N A C E D E G L A C E
traits de caractère : une vision optimiste de ce film, je le soutiens à 100 %. Après la De Gil Kenan • Avec Mckenna Grace, Paul Rudd,
l’existence, cet intérêt très sérieux porté au séance, renseignez­vous sur votre com­ Carrie Coon… • Durée 1 h 49 • Sortie 10 avril
surnaturel… Mais spirituellement, je crois patriote qui a inventé le mot ectoplasme.

Avril 2024 39
PORTR AIT

ALBA
ROCHWACHER
LA FORCE DU DESTIN
L’une des plus grandes actrices européennes brille chez Stéphane
Brizé dans Hors-saison. Et si l’Italienne qui aime tant le cinéma
français venait de signer un long bail avec lui ? u PAR THIERRY CHEZE

R
ien ne prédestinait Alba formation ultra­sélective : six places par an (Sous le ciel d’Alice). Aujourd’hui, c’est Sté­
Rohrwacher à devenir un jour pour les actrices. Elle décroche le précieux phane Brizé qui la dirige dans Hors-saison,
comédienne. Elle a grandi dans sésame. La force du destin frappe une deu­ où elle campe une femme qui, des années
un village de l’Ombrie à mille xième fois quand, après qu’elle a fait de la après leur séparation, retrouve l’homme
lieues de toute salle de cinéma figuration pour Le Sourire de avec qui elle a vécu une his­
et ses parents lui interdisaient ma mère que Marco Bellocchio toire passionnée et dont elle
comme à sa sœur Alice (future tourne dans l’école, le ci­ FILMO retombe amoureuse. Un grand
réalisatrice d’Heureux comme Lazzaro) de néaste se souvient d’elle. Nous EXPRESS film d’amour qui doit beau­
regarder la télé. Une exception pourtant : sommes en 2004 et l’Italien tra­ coup à cette immense actrice.
le 1900 de Bertolucci qu’elle découvre à vaille sur Le Metteur en scène 2012 « Mon agent m’a parlé de ce
La Belle Endormie
10 ans, « parce que ce film fascinait mon de mariages. « Son assistant de Marco Bellocchio projet tout en m’expliquant que
père. J’étais trop jeune pour tout com- a appelé toutes les élèves pré- le rôle n’était pas pour une ac-
prendre mais j’ai ressenti un vertige que sentes à l’école cette année-là 2014 trice étrangère. Mais Stéphane
je n’ai jamais oublié ». Si les films restent pour retrouver la jeune fille Hungry Hearts a bien voulu me rencontrer. Il
donc à des années­lumière, la jeune Alba blonde qui faisait un passage de Saverio Costanzo m’a expliqué sa méthode de tra-
baigne cependant dans un univers très en nonne dans son film. Un vrai 2024 vail où tout se joue sur le pla-
artistique. Son père joue du violon et du conte de fées. » Ce tournage Hors-saison teau. Je savais que le fait de ne
piano, sa mère est passionnée de littéra­ agit comme une révélation. La de Stéphane Brizé pas maîtriser le français al-
ture. Et puis il y a cette troupe du village caméra aime Alba Rohrwacher lait être un handicap. Mais j’ai
qui possède un cirque ambulant, syno­ autant que la comédienne l’aime. « Dans la senti que je devais faire ce film. » Même
nyme de fantasme et d’ailleurs. « Mon rêve vie, je ne me sens jamais au bon endroit. coup de foudre chez le cinéaste : « On s’est
était de courir le monde avec eux. J’ai Là, devant une caméra, j’ai immédiate- rencontrés et j’avais la lumière et le mystère
même commencé la gym artistique à haute ment trouvé ma place. » La suite ? Un prix à en face de moi. C’est ce qui m’intéresse le
dose pour y parvenir. » Le premier voyage Venise pour Hungry Hearts, des beaux plus chez les comédiens : être en perpétuel
sera sinon exotique, du moins décisif. rôles chez Moretti, Guadagnino et Garrone, questionnement lorsque je les filme. » L’in­
Florence, sa fac et un cours de théâtre au­ et cette capacité à disparaître derrière des tuition d’Alba était bonne. « L’obstacle de
quel la jeune femme ose un soir assister personnages complexes sans jamais donner la langue n’a jamais existé. Je me suis sen-
après avoir longtemps hésité. « J’étais avec le sentiment de composer. tie incroyablement libre sur ce plateau car
une copine. Le cours avait débuté, elle est entre les mains de quelqu’un. » Et dans les
rentrée chez elle mais j’ai décidé de rester. Lumière et mystère yeux d’un autre, son partenaire Guillaume
J’ai commencé à étudier avec eux puis j’ai Rien ne prédestinait Alba Rohrwacher à Canet. « Ce film, c’est une danse à deux. Or
intégré leur compagnie. » Elle était fina­ tourner en France. Même si elle adore jouer il me suffisait souvent de le regarder dans
lement devenue comédienne. dans une autre langue que la sienne « pour les yeux pour être bouleversée comme mon
Rien ne prédestinait Alba Rohrwacher à l’agitation que ça me procure au cerveau ». personnage devait l’être. » Cette expérience
© PHILIPPE QUAISSE / PASCO

faire du cinéma. Mais après Florence, elle Encore fallait­il que l’envie soit réciproque ! heureuse lui a en tout cas mis des idées dans
passe le concours du Centro sperimentale Nicolas Saada ouvre la voie avec Taj Mahal la tête. Consolider son français de manière
di Cinematografia de Rome, l’unique école en 2014. Suivront Thomas Kruithof (La Mé- intensive pour « maîtriser la grammaire et
de cinéma publique d’Italie qui a formé des canique de l’ombre), Arnaud Desplechin me sentir encore plus libre ». Désormais,
générations de cinéastes et d’acteurs. Une (Les Fantômes d’Ismaël), Chloé Mazlo tout la prédestine à tourner en France. u

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© THOMAS LAISNÉ/CONTOURBYGETTYIMAGES

Avril 2024
PORTR AIT

THE TREE OF LIFE


À VOIR SUR

TYE SHERIDAN
LA BALADE SAUVAGE
Révélé enfant dans The Tree of Life de Terrence Malick, Tye Sheridan
a grandi depuis devant les caméras de Jeff Nichols, Steven Spielberg,
Paul Schrader… Pour Black Flies, il s’est aussi fait producteur, pour
mieux affirmer sa foi dans le cinéma d’auteur.
u PAR FRÉDÉRIC FOUBERT

errence Malick, Jeff Nichols… fait d’avoir, à l’âge de 11 ans, été choisi plique Sheridan. Pour eux, le réalisateur

T
Les cinéastes avec lesquels par le génial Terrence Malick, parmi une passe après. » Son spectre va des vieux
a travaillé Tye Sheridan sont foule de 10 000 autres enfants, pour in­ maîtres (The Card Counter de Paul Schra­
listés sur sa fiche Wikipédia. carner la progéniture de Brad Pitt et der) aux excentriques marginaux (The
Mais une partie d’entre eux est Jessica Chastain dans le film­monument Mountain : Une odyssée américaine de
également au générique de fin The Tree of Life, Palme d’or 2011. Ce ne Rick Alverson, lui aussi remercié au gé­
de Black Flies, le film d’ambu­ fut pas pour autant le début nérique de Black Flies). Même
lanciers new­yorkais halluciné réalisé par d’une vocation mais « une FILMO quand il tourne dans l’inévi­
Jean­Stéphane Sauvaire, dans la section aventure dans un monde in- table film de superhéros, c’est
« remerciements ». Une manière pour le connu et excitant, comme un
EXPRESS avec Bryan Singer (X-Men :
cinéaste français de saluer ses confrères séjour dans un camp d’été un 2011 Apocalypse). Et le seul vrai
qui ont pavé la voie au jeune acteur texan ? peu spécial ». Sheridan sera blockbuster qu’il a jusqu’à pré­
The Tree of Life
Pas tout à fait, nous expliquait celui­ci, embauché dans la foulée par de Terrence Malick sent porté sur ses épaules était
au Festival de Cannes, en mai dernier, où deux disciples de Malick, Jeff signé Steven Spielberg, qui le
Black Flies était montré en compétition : Nichols et David Gordon 2018 filmait dans Ready Player One
« Le montage a été un processus assez Green, pour jouer dans Mud Ready Player One comme une sorte d’alter­ado,
compliqué, Jean-Stéphane avait du mal puis Joe. C’est alors que se de Steven Spielberg un reflet de sa propre jeunesse.
à trouver la forme finale du film. Une cristallise pour de bon le 2024 De film en film, les réalisateurs
conséquence de son processus filmique désir de cinéma du jeune captent la mue de Tye Sheri­
Black Flies
très particulier : immersif, avec cette ca- acteur : « Très précisément de Jean-Stéphane Sauvaire dan, la disparition progressive
méra toujours en mouvement… Au bout le soir de la projection de des dernières traces de l’en­
d’un moment, à force de le voir se cogner Mud au Festival de Cannes. Un mo- fance. Une forme d’endurcissement, aussi,
la tête contre les murs, je me suis permis, ment électrisant, l’un des plus forts de l’acteur jouant souvent les types taiseux,
en tant que producteur, de lui proposer ma vie. L’écran immense, la salle qui plongés en eux­mêmes, pris sous leur aile
de montrer le film à quelques cinéastes retient son souffle, la standing ovation… par des plus âgés, des archétypes virils :
amis, qui pourraient lui faire des retours. C’est la première fois que j’ai véritable- Matthew McConaughey dans Mud, Nico­
J’ai donc appelé Terry [Malick], Jeff ment pris conscience de l’émotion im- las Cage dans Joe, Oscar Isaac dans The
[Nichols], et puis Darren Aronofsky, qui mense que le cinéma peut susciter chez Card Counter, Ben Affleck dans The Ten-
a longtemps eu les droits du livre Black les gens. » der Bar, maintenant Sean Penn dans Black
Flies et avec qui j’ai sympathisé récem- Flies. Ce dernier film, l’acteur a aussi tenu
ment… Ils ont tous été très réactifs, et ont Dernières traces d’enfance à le produire, comme « une façon d’aider à
aidé Jean-Stéphane à peaufiner le film. » Le trait distinctif de la carrière de Tye créer le meilleur environnement artistique
Tye Sheridan ne frime pas parce qu’il a Sheridan sera dès lors une obsession pour possible, à montrer que je me donne à fond
un gros carnet d’adresses : c’est simple­ le cinéma « filmmaker-driven », d’abord au au film ». Et après ? Il a tourné récemment
ment que, depuis ses débuts au cinéma, la service des réalisateurs. Ce qui ne va pas dans The Order de Justin Kurzel, sur un
conversation directe avec les grands au­ forcément de soi à Hollywood : « Nombre groupe de suprémacistes blancs. Le film
teurs du cinéma américain est pour lui un de mes camarades acteurs ne jurent que doit être en cours de montage. Terrence
processus naturel. Une conséquence du par le scénario, ou leur personnage, ex­ Malick l’a sans doute déjà vu. u

Avril 2024 43
PORTR AIT

JULIA FAURE
MORD LE RIRE
Elle a été formée au Conservatoire et est l’héroïne de nombreux films
d’auteur, de Garrel à Bonello. Sa malice facétieuse fait aussi
merveille dans la comédie, comme le prouve Et plus si affinités.
Rencontre avec une actrice inclassable. u PAR THIERRY CHEZE

A
ussi loin que je me souvienne, jouer. À 15 ans, je ne rêvais que de drame en venant là. Jusqu’au jour où j’ai découvert
j’ai toujours voulu jouer. Ce pour exprimer tout ce qui pesait tant dans Le Vent de la nuit. C’est comme si je n’avais
désir – d’abord de théâtre – ma vie ! » jamais vu de film en salles avant. Deux ans
a constitué ma colonne ver- plus tard, il m’a confié mon premier rôle sur
tébrale. J’avais l’impression Désobéissance grand écran. Il restera à jamais
que la scène allait me per- Le Conservatoire qu’elle mon père de cinéma. »
mettre de m’arracher à tout décroche la laisse dans ce FILMO Sa vraie rencontre avec la co­
ce qui m’ennuyait, dont ma famille, même couloir­ci. Elle y fait deux EXPRESS médie, ce sera dix ans plus tard
s’ils étaient irréprochables. » La phrase rencontres inoubliables. avec Camille redouble de Noémie
pourrait paraître grandiloquente, mais D’abord Michel Piccoli, dont 2001 Lvovsky. « Une comédie drama-
c’est la manière avec laquelle elle la ba­ elle fut la partenaire dans Sauvage Innocence tique dans laquelle on ne sait ja-
lance, sourire aux lèvres, yeux facétieux, Les Géants de la montagne de Philippe Garrel mais à quel moment on va rire ou
qui l’emmène bien loin de ce terrain­là. de Pirandello. « C’était pleurer, dans un parfait mélange
Cette phrase et cette manière racontent mon idole absolue depuis
2012 de burlesque et de mélancolie.
parfaitement le côté insaisissable de Julia mes 10 ans. Comme un ami Camille redouble Noémie a libéré quelque chose
Faure. Une vingtaine d’années de carrière imaginaire. Sa juvénilité de Noémie Lvovsky en moi. Elle m’a fait prendre
derrière elle et autant de films, sans comp­ d’homme de 72 ans, son im- 2024 conscience que c’est cet endroit
ter les séries et les pièces. Dans des petits mense générosité ont agi Et plus si si affinités que j’avais envie de creuser, alors
rôles (Jeux d’enfants, Fumer fait tousser…) comme des révélateurs sur d’Olivier Ducray & que je me l’étais jusque-là inter-
ou au centre du jeu (Sauvage innocence, moi qui me sentais alors ab- Wilfried Méance dit… un peu comme si j’avais
Coma…), du cinéma d’auteur et des comé­ solument banale, transpa- honte d’aimer ça. » À partir de
dies, comme Et plus si affinités, multiprimé rente. » Le deuxième nom résonne d’une là, Julia se fait une nouvelle culture. « Au-
au festival de l’Alpe d’Huez. Là, elle joue autre manière aujourd’hui mais elle ne l’es­ jourd’hui, je peux baiser les pieds des gens
la jeune femme d’un couple en apparence quive pas. Philippe Garrel. « Il est l’héritier qui me font rire au cinéma. Le cinéma de
très libéré, invité par les voisins du dessous, d’un monde où il fallait s’imaginer amou- Veber, L’Innocent, Sophie Letourneur, Éric
très plan­plan. Le dîner va évidemment dé­ reux de son actrice pour pouvoir la filmer. Judor… » ou encore Dupieux qui l’a diri­
générer. Son interprétation ultra rythmée Ce monde n’existe plus et je crois qu’il le gée deux fois – « Des petits rôles, mais qui
et d’une précision au scalpel constitue l’un sait. J’entends les accusations des comé- m’ont marquée par le mélange de légèreté
des atouts majeurs de ce remake du film diennes portées contre lui. Et je ne mets pas et de précision totalitaire de Quentin. » Au
espagnol Sentimental. Mais contrairement un instant en doute leur parole. Je ne ra- fil du temps, la comédie a même fini par
à ce que son aisance pourrait laisser croire, jouterai jamais un “mais” à cette phrase. » devenir son champ d’action préféré. « Je
la comédie n’a jamais été son terrain de jeu Avant d’ajouter : « Il se trouve que je n’ai m’éclate de plus en plus. Je cherche de plus
© ALEXANDRE GUIRKINGER

de prédilection. « Les films qui m’ont mar- pas vécu la même chose. C’est lui qui m’a en plus l’accident. Et je ne remercierai ja-
quée ado, c’était Thelma & Louise et La fait aimer le cinéma. Pourtant, quand j’ai mais assez mes partenaires qui m’aident à
Femme d’à côté. Cette idée de la mort au commencé ses cours au Conservatoire, je tendre vers cette désobéissance. » Et plus
bout du voyage, dit­elle dans un éclat de ne le prenais pas du tout au sérieux. Pour si affinités est le symbole de cette nouvelle
rire. Ça rejoignait ce que j’avais envie de moi, c’était un type farfelu qui s’était perdu déclaration d’humour. u

44 Avril 2024
CAMILLE REDOUBLE XXXXXXX
À VOIR SUR À VOIR SUR

Avril 2024 45
FOCUS

LEGRAND
CHA MB OUL E-TO
C’est quoi cette nouvelle
UT
comédie française ?
Ce mois-ci, Bis repetita et Nous, les Leroy, bientôt L’Esprit
Coubertin… Ça n’a peut-être l’air de rien, mais ces trois
films témoignent à leur manière d’un bouleversement
du rire tricolore. Nouvelles tendances, nouvelles
recrues et nouveaux horizons : Première a pris le pouls
de ce qui pourrait bien être la nouvelle génération de la
comédie française. u PAR GAËL GOLHEN, FRANÇOIS LÉGER & THÉO RIBETON
© STEPHANIE BRANCHU / DR

46 Avril 2024
n a longtemps tourné autour

O
de ce dossier. Ça ressemblait
presque à une blague de conf de
rédaction ou à l’un de ces mar­
ronniers de la presse cinéma.
Trois comédies un peu à la marge
en l’espace de quelques semaines,
des thèmes ou des sujets différents
et hop : le journaliste croit pouvoir
lancer une tendance… Pourtant, en
posant la question autour de nous,
beaucoup en conviennent : il se passe
bien quelque chose dans la comédie française. D’abord,
cette sensation que les mastodontes calent un peu. En 2023,
Dany Boon, le duo Toledano­Nakache ou Franck Dubosc
ont connu des revers : aucun d’eux n’a réussi à
franchir la barre symbolique du million d’en­
trées. Même si on ne peut pas crier à la crise struc­
turelle (comme l’ont rappelé en début d’année les
succès de Maison de retraite 2, Chasse gardée ou de
Cocorico), les recettes du LOL français coincent. Et puis,
en janvier dernier, au Festival international du film de co­
médie de l’Alpe d’Huez, l’impression se renforçait subite­
ment. Sur les dix longs métrages en compétition, six étaient
des premiers films. Frédéric Cassoly, l’un des organisa­
teurs du raout montagnard, nous expliquait qu’il voyait
effectivement émerger « un renouvellement des valeurs.
Moins de comédie familiale, moins de comédie formatée
télé. Plus de recherche et d’audace ». Et de rajouter entre
la tartiflette et le génépi qu’« on assiste à l’apparition de
jeunes cinéastes qui, après avoir fait leurs armes sur le
web, la scène, les réseaux sociaux ou dans des séries, im-
posent sur grand écran un humour plus fin, parfois plus
noir aussi, différent ».

L’esprit de bande
C’est à l’Alpe d’Huez qu’on a remarqué les trois films
qui incarnent chacun à leur manière ce renouveau.
Bis repetita, Nous, les Leroy et L’Esprit Coubertin
ont beau être radicalement « différents », ils partagent cer­
tains points communs. Ça tient sans doute à un esprit
de bande (leurs auteurs se sont croisés sur des sé­
ries, à la Fémis ou sur le web), à des acteurs com­
muns (Xavier Lacaille, Sébastien Chassagne)
mais aussi à des influences partagées. Comme
nous le confiait Jérémie Sein, le réalisateur de
l’hilarant L’Esprit Coubertin, « les références
américaines ont infusé et on voit bien que
cette génération va puiser dans les mêmes
fonds, sans doute plus modernes : Judd
Apatow, Adam McKay, ou les sitcoms amé-
ricaines ». Après avoir transformé le petit
écran et le digital, une nouvelle génération
est donc en train d’apparaître au cinéma.
Ils sont trentenaires, signent leur premier
film et ont choisi de faire rire tout en vou­
lant faire du cinéma profond ou intelli­
gent. État des lieux, photo de groupes et
Légende
champ d’action : suivez le guide.

Avril 2024 47
FOCUS

ÉMILIE NOBLET
“J’ai le sentiment de faire
complètement partie
d’une génération”
Réalisatrice de séries (Irresponsable, HP,
Parlement), la cinéaste sort ce mois-ci
son premier film, Bis repetita, et vient
d’enchaîner avec le Zorro porté par
Jean Dujardin. Entre deux projets, elle
nous présente la bande de funny people
qui agite le marigot comique français.
u PAR THÉO RIBETON

PREMIÈRE : Qu’est-ce qui a lancé Justement, quel rôle avez-vous joué


Bis repetita ? sur cette série de Frédéric Rosset ?
ÉMILIE NOBLET : Une idée de la scénariste Le département Créations de séries venait
Clémence Dargent, qui avait développé ce d’ouvrir à la Fémis, on avait demandé à 450
script en projet de fin d’études. C’était diffé­ étudiants s’ils voulaient réaliser un pilote,
rent, la prof était accompagnée par un vieux personne n’avait accepté : il n’y avait pas un
thésard, je lui ai suggéré de le rajeunir pour grand intérêt à le faire, c’était du bénévolat.
introduire un élément romantique. Je vou­ Frédéric Rosset est venu et m’a un peu pous­
lais aussi que Delphine [Louis Bourgoin] sée. J’ai réalisé le pilote, rencontré Sébas­
soit beaucoup plus réaliste et fucked up. tien Chassagne que j’avais vu jouer avec son
Et je voulais qu’on fasse très attention école de théâtre. La série s’est vendue chez
à l’aspect teen movie, pour sortir des OCS, où l’on m’a dit que ce ne serait pas moi
vieux schémas. Il fallait les mettre à qui réaliserais car j’étais trop cinéma d’au­
l’épreuve de vraies personnalités, en teur, trop Fémis…
partant du casting.
Xavier Lacaille, Jérémie Sein, Frédéric
Vous êtes-vous toujours Rosset, Clémence Dargent et vous
sentie destinée à la avez en commun d’être passés par la
comédie ? Fémis. Le département Création de
Pas du tout. J’ai fait mes études séries a-t-il joué un rôle de pépinière
à la Fémis et on n’y était pas pour la nouvelle génération d’auteurs
vraiment poussé. Je me disais de comédie ?
d’autant moins que j’allais faire Oui et non, parce qu’il y a une personne par
des comédies que je ne pensais an qui concrétise. Mais c’était suffisam­
même pas faire des films : j’étais ment rare pour qu’on se remarque les uns
dans la section image. Pourtant, les autres. Jérémie avait deux années d’écart
mon film de fin d’études, inspiré avec moi, au­dessus il y avait Jean­Baptiste
de mon boulot d’étudiante à la Saurel, qui a fait La Bifle. On se repérait
© CREDIT PHOTO

caisse du Gaumont Opéra, était mais il n’y avait pas d’effet de bande. Dix
une comédie. Et puis il y a eu ans après, j’ai le sentiment de faire partie
Irresponsable… d’une même génération. Il y a des goûts
© DR

48 Avril 2024
W

LES GENRES L’ESPRIT COUBERTIN


communs, un respect mutuel. On ne s’est
pas dit qu’on allait révolutionner la comé­
die. Mais on partage un même état d’esprit.
HEUREUX
Qui est qui, qui fait quoi et JÉRÉMIE SEIN
ANTONY CORDIER
On se fait relire nos scénarios, on se montre
nos versions de montage, on se retrouve sur dans quel registre ? Des
des projets : Parlement avec Jérémie, Zorro couleurs et des punaises pour
avec Jean­Baptiste… s’y retrouver (ou presque)

S)
dans la galaxie comique. IRRÉSISTIBLE

NI(
Quelles seraient les tares de la

OV
comédie française selon vous ?
On est trop grossiers, trop attendus. Les per­
sonnages n’ont aucune complexité. Ils ont
CLÉM
ENCE
une ligne et n’en dévient jamais. Ou alors
ils changent du tout au tout, mais dans ce
R L E- DARG
ENT
cas­là, c’est totalement artificiel. Il y a une
certaine frilosité également : on a peur de IER DES JUIFS PA ENT
la nouveauté. Et puis, on reste cantonné sur LE DERN M
des archétypes sociologiques qui ne ren­
voient plus qu’à eux­mêmes : le mari, la
OBLET
maîtresse, les collègues un peu beauf, le NOÉ DEBRÉ ÉMILIE N
riche et le pauvre… tout ça, c’est très chiant, LE
R LACAIL
et je crois qu’une grande partie de la popu­ XAVIE
lation ne s’y reconnaît plus.
R O
Est-ce qu’il n’y a pas aussi, y compris
chez les nouveaux scénaristes, une ZOR
obsession de la structure, des récits
troussés et bien rangés, génératrice
de formatages ? JEAN-BAPTISTE SAUREL
J’essaie de m’en libérer. Mais le problème
n’est pas les scénaristes, ce sont les finan­ BIS REPETITA
cements. Dans le financement d’un film,
-
on commence par demander une structure IRRES BLE
A
PONS
littéraire, et ça peut faire perdre l’essence
du ton. Certains réalisateurs très talentueux
n’arrivent pas à rentrer dans ce système basé
sur l’écrit. Or les grands auteurs de comédie
ont la faculté d’imposer des scènes miracle FRÉDÉRIC ROSSET LA E
qui échappent à toute règle. Regardez [An­
FLAM-M
tonin] Peretjatko aujourd’hui, ou Kervern CAMILLE ROSSET SÉBASTIEN CHASSAGNE
et Delépine, même si leurs films dans l’en­ LE EAU
semble ne me transcendent pas, il y a tou­ FL MB
A
OHEN
jours un moment où ils me font pleurer de
FLORENT BERNARD HAN C
rire, parce qu’ils font confiance à l’acteur. JONAT

O O M
GR
Et Zorro, alors ?
C’est un beau projet de Noé Debré. On com­
mence avec un Zorro qu’on connaît, qui est
déjà un peu comique, et on part vers totale­
ment autre chose. Le principe est de prendre
le personnage vingt ans après. Mais je ne
peux pas encore en dire beaucoup… u
SENTINELLE
E NIEL
B I S R E P E T I TA JÉROM NOUS, LE
De Émilie Noblet • Avec Louise Bourgoin, S LEROY
Xavier Lacaille, Noémie Lvovsky… • Durée 1 h 26 HUGO
IG
• Sortie 20 mars • Critique page 79 BENAMOIDZ
VOUS LA PRÉFÉREZ DAV LI
IELLE
COMMENT VOTRE COMÉDIE ?
décentralisée d’aventure CASTIGLIO
ADRIEN MÉN puérile d’hypokhâgneux
Avril 2024 49
FOCUS

PREMIERS Deux générations


Sur les bancs de la même école où se sont rencontrés
il y a trente ans Desplechin, Pascale Ferran, Noémie
Lvovsky et toute une bande qui allait faire de l’ethno­

DE LA CLASSE graphie sentimentale sur vingtenaires hypokhâgneux le


thème central du cinéma d’auteur des années 90, c’est à
partir de 2015 (et notamment dans le nouveau départe­
L’ombre portée du cinéma sentimental ment Création de séries) que s’est fédérée une nouvelle
fournée d’auteurs empreints de subtilité d’écriture et de
d’intellos des années 90 plane sur culture littéraire. Elle a repris à son compte le goût de
la relève comique, qui en assume l’intellect et des personnages abondamment réflexifs,
mais avec à cœur l’idée de s’en servir pour faire désor­
pleinement l’héritage. À l’instar mais rire. Entre les deux générations se noue un rapport
de Xavier Lacaille… u PAR THÉO RIBETON cinéphile accentué par le trait d’union de la Fémis : « Ce
sont des films que j’aime, donc il y a certainement une
influence inconsciente », reconnaît Émilie Noblet, qu’il
nterrogé il y a quelques années sur une célèbre une serait certes un peu réducteur, mais tout de même pas

I
de Télérama de 1999 qui estampillait la bande de délirant, de présenter comme une sorte de Desplechin
cinéma constituée autour de lui (Desplechin, Po­ à vannes. u
dalydès, Assayas, les Larrieu…) sous le titre de
« génération fragile », Mathieu Amalric confiait
avoir très mal vécu ce surnom, et ce pour une rai­
son qui en jette : « Parce que je suis costaud. »
Cette petite tension « oxymorique » entre la vulnéra­
bilité et la force, cette espèce de colère de l’intellectuel
qu’on a tort de croire pusillanime, on la retrouve beau­
coup dans les incarnations de la nouvelle comédie fran­
çaise qui ont mis à jour et revigoré le vieux stéréotype
du nerd malingre. Ce sont des cérébraux mais surtout
pas des petits poltrons timorés.
Vincent Dedienne, dans Terrible Jungle, détourne son
rôle attendu d’anthropologue froussard perdu en pleine
Amazonie et se révèle finalement très volontariste. Avec
son débit staccato et sa pluie de références, Sébastien
Chassagne (initialement pressenti pour le même rôle,
mais finalement pas assez connu pour une tête d’affiche
à l’époque) porte cette tension jusqu’en lui­même, en in­
terview presque plus que dans la fiction [lire page 52].
Xavier Lacaille, enfin, ne se cache pas de sa forte ascen­
dance avec Amalric : « C’est ma très grande référence
depuis toujours. J’ai toujours été un peu au mauvais
endroit : en école de théâtre je disais qu’en fait j’al-
lais être avocat, en fac de droit je disais que je serais
acteur… Je crois que j’ai été très touché par sa façon
d’être multiple, toujours un peu à côté de là où il est, et
d’assumer les contradictions. » Les stigmates « amalri­
quiens » sont légion dans la jeune carrière de l’acteur,
très gros lecteur (Lévi­Strauss, Modiano…) et grand
amateur de citations, comme Paul Dédalus, héros ré­
current d’Arnaud Desplechin. Parlement n’est pas sans
rappeler une certaine obsession de Desplechin pour les
secrets arcanes politiques du monde (La Sentinelle, Les
Fantômes d’Ismaël), et le pullulement de cerveaux qui
gronde sous la surface des lieux de pouvoir. Bis repe-
© STEPHANIE BRANCHU / DR

tita, surtout, marque un croisement évident, avec un

COMÉDIEHÂGNEUX
personnage de thésard latiniste lunaire, quelque peu
hors­sol, mais jamais tout à fait largué, et surtout, sur­

D’HYPOK
tout pas asexué.

50 Avril 2024
COMÉDIEURE
D’AVENT

L’AVENTURE,
C’EST L’AVENTURE
Bonne nouvelle, les vifs-argents et les
COMÉDIE
Tintin casse-cou sont de retour ! u PAR TR
PUÉRILE
’est une petite marotte plus tôt La Loi de la jungle d’An­

C
nationale, qui depuis tonin Peretjatko cherchent dans
Philippe de Broca nous
aide sans doute à ré­
soudre notre complexe
les tropiques de nouvelles recettes
pour un rire à production value et
forte empreinte carbone. C’est un
LES IDIOTS
à l’endroit du cinéma
de genre, comme si la
seule façon vraiment française d’as­
sumer le spectacle et les effets spé­
défi d’écriture (l’histoire ne doit
pas sacrifier les vannes, et vice
versa) en même temps que de fi­
nancement. Initialement écrit pour
DE LA FAMILLE
Longtemps délaissée, la
ciaux était d’y frotter nos vedettes le cinéma, Sentinelle s’est fait avec
comiques, de Bébel (L’Homme de Amazon : aucun distributeur n’ac­ comédie française renoue enfin
Rio) à Pierre Richard (Les Naufra-
gés de l’île de la Tortue), de Coluche
ceptait d’investir son budget de huit
millions sans imposer le cahier des
avec sa part immature. u PAR GG

P
(Banzaï) aux stars Canal (Astérix). charges d’une comédie de grande our la génération qui a grandi avec les films
Le petit succès de Terrible Jungle exploitation, taillée pour les salles, de Will Ferrell, c’est incompréhensible. À un
et celui colossal, sans qu’on sache mais surtout la télé, donc le public moment donné, dans la patrie des Charlots,
de combien (y compris leurs au­ senior, et ses vedettes (Bourdon, de Funès ou Bourvil, le rire régressif a bi­
teurs, à qui Amazon n’a donné que Clavier, Foresti). « Quelque part, zarrement cessé de s’incarner au cinéma.
des courbes sans valeur chiffrée), de on est allés chercher notre public, Quand le cinoche yankee enchaînait les
Sentinelle des mêmes Hugo Bena­ les 15-40 ans, là où il se trouve », pépites de Ferrell ou Steve Carell, lar­
mozig et David Caviglioli, a remis reconnaît Benamozig, qui se ré­ guait les bombes irrévérencieuses de South Park sur
sur le tapis cette vieille obsession, jouit du succès en même temps grand écran, échafaudait même des modèles de folie
dont le tandem se fout un peu (« On qu’il déplore l’effet déroutant d’un furieuse parfois pleine de grâce, parfois méchamment
nous sort tout le temps de Broca tel triomphe dématérialisé : « C’est nihiliste, la comédie française restait, sur le terrain de
alors que notre truc, c’est Herzog. comme lâcher un ballon d’hélium, l’idiotie, remarquablement frileuse. Sans doute parce
Terrible Jungle c’est Aguirre en co- pfuitt ! » Le prochain, qu’ils écrivent que, comme le reconnaissait Éric Judor à Libération,
médie ! »), mais dont les avatars pro­ toujours pour Jonathan Cohen, « l’humour français est historiquement social ». Autant
lifèrent. sera exploité en salles où, parado­ dire qu’on a vécu la découverte de L’Esprit Coubertin
xalement, son budget encore supé­ à l’Alpe d’Huez comme une épiphanie. Jérémie Sein,
Avatars rieur lui permet de retourner. Si ça qui appartient à la team de la série Parlement, signait
Irréductible de Jérôme Comman­ ne fait pas revenir quelques boutons un film mordant, avançant entre ligne claire (on pense
deur, Jack Mimoun et les secrets d’acné sur les fauteuils rouges, ça ai­ beaucoup à la BD ou à l’animation américaine), comé­
de Val Verde de Malik Bentalha et dera au moins à percer pour de bon die sociale des 70s et classiques US des années 2000.
Ludovic Colbeau­Justin, un peu la couche d’ozone. u Un ovni ? « Je ne suis pas tout seul, relativise Sein. Je
ne sais pas si c’est générationnel, mais dans des genres
différents, aujourd’hui, des types comme Antonin
Peretjatko ou Jean-Christophe Meurisse partagent en
partie les mêmes horizons. Moi, ce qui m’a poussé vers
la comédie, ce sont les premiers films d’Adam McKay.
Et les Simpson. L’infra-quotidien, le mélange entre co-
médie puérile et dimension politique, la sophistication
claire : c’était ça l’objectif. » Humour social donc, bla­
gues borderline, situations qui partent en couille, ima­
ginaire puéril et drôlerie vitriolée… la nouvelle galaxie
comique a peut­être trouvé la formule. « Surtout, je
crois qu’on n’a pas peur d’assumer autant l’héritage
intello que notre ADN mainstream. » C’est peut­être ça
la nouveauté : cette volonté de fédérer sans rien abdiquer
des ambitions. u

Avril 2024 51
FOCUS

SÉBASTIEN CHASSAGNE à cet endroit-là en France : produire


du rire bizarre, du malaise ?
On a un système moins ouvert à ces ano­

“Émilie Noblet a « révélé »


malies extraterrestres, même s’il y en a qui
percent. Il y avait Chris Esquerre. Et il y a
DAVA, qui est une sorte de hit d’initiés. Ils

beaucoup de monde”
ne se mélangent pas, refusent beaucoup de
choses. Tu ne les verras pas à Vendredi tout
est permis. Ils ont besoin d’avoir les clés de
tout ce qu’ils font. Un peu comme [Quen­
tin] Dupieux qui dit : je ne sais pas ce que je
L’Irresponsable traîne son personnage d’« enfulte » fais, mais je sais qu’il ne faut pas m’emmer­
lunaire et teigneux dans tous les recoins du funny der, sinon tout s’effondre.

game. Hilarant dans Nous, les Leroy, il relie comme Avez-vous déjà ressenti le mépris dont
ferait l’objet la comédie ?
personne tous les points du nouveau paysage Bien sûr. Regardez aux César : rien. L’an
comique. u PAR THÉO RIBETON dernier, j’ai fait un film que j’adore, Grand
Paris… Je ne dis pas qu’il fallait qu’il soit
primé, mais qu’il soit totalement absent,
PREMIÈRE : Et si vous étiez le tourné le pilote de Têtard, puis Xavier c’est refuser d’éclairer une forme nouvelle
comédien le plus rassembleur de cette Lacaille… Hélas, ces mondes ne se ren­ de comédie qui essaye d’émerger. C’est
nouvelle génération d’auteurs ? contrent pas assez. curieux parce qu’on voit bien en même
SÉBASTIEN CHASSAGNE : C’est trop temps que l’aristocratie du cinéma s’y inté­
d’honneur ! Entre la bande de la Fémis et Identifiez-vous des différences de resse. Louis Garrel fait de la comédie, par
celle sortie de YouTube, je me sens plus ap­ culture, d’écriture, de méthode ? exemple.
partenir à la première. C’est Émilie Noblet Pas tant que ça. Ça m’évoque un peu le
qui m’a casté pour Irresponsable et je veux schisme entre théâtre public et privé, qui Est-ce qu’à l’inverse, il n’y a pas aussi
le dire et le redire : Noblet a « révélé » beau­ évidemment est plus une barrière mentale un mépris des diffuseurs classiques
coup de monde. Raphaël Quenard dans HP, qu’autre chose. On s’imagine que le privé vis-à-vis de la comédie d’auteur ?
Finnegan Oldfield… Elle a su détecter ce doit être rentable et que dans le public on Si les auteurs se tournent autant vers les
qu’allait être la comédie des dix prochaines s’en fout – donc on peut être plus libre. Mais plateformes, c’est qu’on a peut­être eu le
années, parce qu’elle a l’intelligence des quand on regarde dans le détail, on voit bien sentiment que ce serait un peu différent. À
choses, des acteurs, comme Sophie Fil­ que c’est plus compliqué. la télé, les décideurs ne regardent rien de
lières, ou la Justine Triet des débuts. tout ça. Quel intérêt ont­ils à prendre des
Avant Irresponsable, vous risques ? Ils font leur audience avec Meurtre
Comment s’est créé votre vous imaginiez taillé à Montauban. Ils ne vont pas faire du
lien avec « l’autre » pour la comédie ? Jean­Christophe Averty. Et leur audience
bande, celle de Non, parce que j’aime est senior, majoritairement. C’est pour ça
YouTube ? faire rire, mais pas seu­ qu’Irresponsable a été une réussite, para­
C’est FloBer [Florent lement. J’aime quand doxalement : parce qu’OCS n’en avait rien
Bernard] qui est venu me il y a un peu de tout. à branler et nous a laissé faire.
chercher parce qu’il avait J’adore Nathan Fielder,
vu Irresponsable. Il m’a mais ce n’est pas que de Est-ce que le centre de gravité
proposé un pilote de série, la comédie. de la comédie s’est éloigné du cinéma ?
qui ne s’est jamais fait, et Le succès de Jonathan Cohen, qui est
m’a invité dans le Floodcast N’aurait-on pas une peut-être la plus grande star comique
pour un des premiers difficulté du moment, ne se joue plus vraiment
© REMY GRANDROQUES ­ TETRA MEDIA FICTION ­ FRANCE 2 / DR

épisodes. Au même particulière en salle.


moment, je ren­ Oui, mais parce qu’il a les clés quand il fait
contrai Jéré­ La Flamme et Le Flambeau. Il va chercher
mie Sein tout le monde, il n’est pas emmerdé par des
avec qui hiérarchies ou des ego. Il a les mains dans
j ’a i le cambouis et c’est ce qu’il aime faire. Il
faut aussi tomber sur de bons producteurs de
comédie, et ce n’est pas facile. Même pour
eux, c’est compliqué de trouver l’argent. u

52 Avril 2024
C’EST ARRIVÉ PRÈS
DE CHEZ VOUS
Et si cette nouvelle comédie lui avoir proposé un petit rôle dans Nous, l e s
française pouvait aussi Leroy. La rencontre n’a pas pu se faire pour des
raisons logistiques, mais le film porte fièrement
arpenter la province des zones son empreinte. « Ce que j’aime chez Leconte, c’est
qu’outre le fait de montrer une France qu’on ne
commerciales et filmer des voit pas tant que ça au cinéma, il mélange plusieurs
gens « normaux » ? C’est types d’humours et sait marier la comédie et l’émotion.
Il ne cache jamais la bassesse de ses personnages, mais
le pari de Florent Bernard il a sincèrement de l’empathie pour eux. »
avec Nous, les Leroy. De Leconte à Apatow
u PAR FRANÇOIS LÉGER Nous, les Leroy doit précisément sa réussite à son nu­

S
méro d’équilibriste entre le burlesque et le dramatique.
ur un tournage, Florent Bernard est inca­ « C’est à l’image de la vie : on ne rigole pas tout le
pable de s’asseoir. « J’ai une chaise, mais je temps, on passe d’un état à l’autre. » Et le cinéaste
ne suis jamais dessus. Sûrement parce que d’évoquer sans transition Judd Apatow, son autre figure
je n’ai pas été éduqué comme ça. » L’héri­ tutélaire, dont l’humour n’est selon lui pas si éloigné
tage de nombreuses années à faire ses armes de celui de Leconte : « Apatow ne s’empêche jamais
sur internet avec le collectif Golden Mous­ de faire des scènes purement comiques, mais le per-
tache, royaume de la débrouille où il mul­ sonnage est au centre de tout, parfois avec une forme
tipliait les casquettes à chaque sketch. « J’écrivais, je de gravité qu’il n’esquive pas. Je m’en serais d’ailleurs
réalisais, je montais et parfois je cadrais… Résultat, je voulu de ne faire qu’une comé- die, j’aurais eu
ne sais pas me poser, mais ça me permet aujourd’hui l’impression de ne pas aller au
d’avoir une vision globale et de parler à tous les corps fond de mon sujet, c’est-à-dire
de métiers », détaille le trentenaire, également connu des membres d’une famille
sous le pseudonyme de FloBer par les auditeurs du très qui n’arrivent pas à se par-
populaire Floodcast, un podcast façon Grosses Têtes en ler. Des gens normaux
plus bordélique et nerd. qui s’ennuient et ont envie
Entre deux scénarios (le film d’horreur Vermines, la d’autre chose. » Soit tout
série La Flamme et bientôt le nouveau volet d’Evil l’inverse de ce qu’il vit avec
Dead, rien que ça), Bernard a trouvé le temps d’écrire Nous, les Leroy depuis sa
et de réaliser Nous, les Leroy, son premier long métrage victoire à l’Alpe d’Huez, où il

COMÉDIERALISÉE
où José Garcia incarne un mari qui tente de reconqué­ a été frappé par le nombre de
rir sa femme (Charlotte Gainsbourg) avec un road trip premiers films en sélection.

DÉCENT
nostalgique sur les traces de leur passé. Grand Prix au Le signe, selon lui, d’une
festival de l’Alpe d’Huez, cette tragi­comédie explore la « appétence pour la co-
France des ronds­points, des GiFi et des Buffalo Grill. médie qui revient chez
« Mais avec une approche “américaine”. Je voulais re- les jeunes réalisateurs
produire la façon dont ils parviennent à rendre cinéma- et une envie d’aborder
tographiques leurs épiceries ou leurs stations-service. d’autres sujets à travers elle.
La nuit, avec les lumières de la façade, un parking de J’ai l’impression que cela se
magasin peut prendre des airs de Las Vegas. J’ai grandi couple aussi au vieillissement de
dans ces endroits avec une Foir’Fouille et un Inters- grands acteurs de comédie, et à
port, j’en suis nostalgique. Et je leur ai toujours trouvé une volonté du public de décou-
un look de cinéma : ce sont des lieux qui n’ont pas de vrir de nouvelles têtes. Question
hauteur, tu peux presque les filmer en Scope et cap- de cycle, non ? » u
ter le ciel en même temps. C’est du western en fait ! »
Cette sensibilité pour les zones commerciales et les pe­ NOUS, LES LEROY
tits bleds au charme suranné, FloBer l’a aussi héritée De Florent Bernard • Avec Charlotte Gainsbourg, José
du Patrice Leconte époque Tandem et Le Mari de la Garcia… • Durée 1 h 43 • Sortie 10 avril • Critique page 90
coiffeuse, un réalisateur qu’il tient en estime au point de

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© DR / 2023 NETFLIX, INC.

54
Avril 2024
QUI VIVRA
ENQUÊTE

SORA D
u reportage naturaliste à la vidéo
de chiots, de la carte postale fil­
mée par un drone au trailer de
SF arty en passant, bien sûr, par
les visuels publicitaires, la pré­
sentation dévoilée le 15 février
dernier par OpenAI de Sora,
son moteur révolutionnaire d’in­
telligence artificielle généra­

Le cinéma
tive text-to-video, ne s’est pas
cantonnée à l’annonce d’une
révolution hollywoodienne : elle

doit-il craindre a bien semblé vouloir couvrir plus largement tout le


spectre de ses futurs concurrents potentiels. On y dé­

l’IA? couvre, dix minutes durant, une succession d’exemples


de prompts (une ligne de commande descriptive adres­
sée au logiciel) suivis de leur résultat, chacun cor­
respondant à un rayon particulier du vaste marché
Sous le feu des projecteurs dématérialisé du contenu vidéo, dont la compilation a
fait, auprès du grand public, l’effet d’une bombe. On n’a
depuis la sortie de la pas encore de date de sortie publique, et l’outil n’est pas
sidérante démo de Sora, l’outil le premier à défricher le champ de la vidéo générative.
Mais à date, il est simplement le plus performant. Ses
de vidéo générative d’OpenAI, potentialités revendiquées ouvrent d’ores et déjà des
perspectives vertigineuses – son nom veut d’ailleurs dire
l’intelligence artificielle va- « ciel » en japonais, clin d’œil à l’infini de ses possibi­
t-elle vraiment révolutionner lités. Même si la profession audiovisuelle s’y préparait
depuis l’explosion fin 2022 des outils d’IA, cette révolu­
la fabrique du cinéma ? tion­là, de l’aveu d’un ponte des effets spéciaux français,
Les Frenchies concernés Rodolphe Chabrier, « tombe un peu plus tôt que prévu ».

répondent. u PAR THÉO RIBETON Réponse industrielle


La question qui brûle invariablement les lèvres des néo­
phytes face à l’émergence de ces outils, c’est celle de la
possibilité, technique comme artistique, d’un film entiè­
rement conçu à l’aide de telles technologies. Si elle n’est
évidemment pas à écarter d’une réflexion purement spé­
culative, elle ne recouvre toutefois pas les perspectives
concrètes de l’IA à moyen terme dans le champ des ef­
fets visuels. Mais ce petit monde n’a pas attendu Sora
pour se mettre au machine learning (apprentissage au­
tomatique) et les professionnels français tiennent plutôt
un discours de rationalisation de nature à faire quelque
peu retomber le fantasme.
La fonctionnalité la plus connue du grand public per­
mise par l’IA est aussi celle sur laquelle s’est jouée la
plus grande effervescence d’innovations ces dernières
années : le deepfake. Chabrier, patron du studio d’ef­
fets spéciaux Mac Guff, en a été un pionnier avec son
moteur IA Face Engine, récompensé en 2021 d’un prix
de l’Innovation César & Techniques. Étrennée sur l’ul­
time saison du Bureau des légendes, la technologie a ré­
cemment permis sur la série Tapie des prouesses certes
moins tape­à­l’œil que celles très commentées de The
Irishman, mais qui de fait n’auraient pas été possibles
sans intelligence artificielle : « Il y a un volume de plans
à traiter en de­aging [technique de rajeunissement nu­
mérique] qu’il aurait été impensable de livrer dans les
délais impartis, proche du millier en quelques mois. »

Avril 2024 55
ENQUÊ TE

LES PRODUCTIONS
SE DÉCOMPLEXENT,
ET L’IA A DÉBLOQUÉ
DES BUDGETS.
JEAN-LOUIS AUTRET, SUPERVISEUR SFX

L’IA est en réalité un fil qu’on n’a jamais fini de tirer,


le sigle recouvrant une multitude d’outils depuis long­
temps intégrés au couteau suisse du superviseur d’effets
visuels, comme Antoine Moulineau, qui a travaillé sur
La Nuée et de récents blockbusters tels Napoléon ou
John Wick. « L’IA a facilité des tâches auparavant très
rébarbatives en matière de détourage, de rotoscopie,
de nettoyage d’image. » Tous les grands logiciels du
métier, comme Nuke, logiciel de compositing dont l’his­ Ensuite, en 2018, la naissance d’une subvention au ci­ Robert De Niro dans
toire remonte à 1993 et au studio VFX de James Came­ néma de genre, qui a accompagné un nouvel écosys­ The Irishman de Martin
Scorsese
ron, ou Houdini, outil d’animation 3D prisé de Ghibli, tème de films à effets et dont ont bénéficié notamment
intègrent des fonctionnalités assistées par l’intelligence La Nuée, Acide… « Même si la grève hollywoodienne
artificielle. « On s’en sert beaucoup pour faire du ré- de l’an dernier est venue compenser cette hausse, son
éclairage, par exemple : on prend un plan tourné sur effet se dissipe maintenant et on voit bien que les ou-
fond vert, et en fonction du décor que l’on va lui asso- tils IA sont tout simplement nécessaires pour suivre le
cier, on corrige artificiellement la lumière. » rythme », note Cyrille Bonjean, qui voit dans sa globa­
Cyrille Bonjean, Bruno Sommier et Jean­Louis Autret lité un phénomène d’hypercroissance aux airs de fuite
Laurent Lafitte dans
viennent tout juste de recevoir le jeune César des meil­ en avant, avec un horizon de perfectionnement et de Tapie de Tristan Séguéla
leurs effets visuels pour leur travail sur Le Règne ani- démocratisation des outils, mais pas forcément de dés­ et Olivier Demangel
mal de Thomas Cailley. Un film mariant effets à la fois humanisation des processus.
physiques et numériques, dont le bestiaire conceptualisé
avec le dessinateur de science­fiction Frederik Peeters Métiers vulnérables
n’a été que marginalement concerné par l’essor récent D’autres voix contestent évidemment ces perspectives
© NETFLIX ­ FABRICA DE CINE ­ STX ENTERTAINMENT ­ SIKELIA PRODUCTIONS ­ TRIBECA PRODUCTIONS / NETFLIX FRANCE ­ UNITE / DR

de l’IA. Face au catastrophisme actuel, le trio répond optimistes, notamment aux États­Unis. Une enquête
qu’il n’est pas très sérieux d’imaginer la technologie se commandée en janvier par la Guilde de l’anima­
substituer à l’humain pour des projets originaux de cette tion à l’institut CVL Economics, et menée auprès de
nature, nés de conjonctions de savoir­faire artistiques 300 cadres de l’industrie du divertissement, a estimé
très particuliers. « C’est dans des champs qui vous in- que 204 000 emplois pourraient être affectés dans les
téresseront un peu moins, mais qui nourrissent beau- trois prochaines années par les progrès de l’IA, en iden­
coup notre carnet de commandes, que cela va se jouer : tifiant spécifiquement le doublage (la plus exposée de
la pub, la télévision, TikTok, YouTube », précise Jean­ toutes les professions), l’ingénierie son et les effets vi­
Louis Autret, qui voit surtout dans l’IA une réponse in­ suels comme les métiers les plus vulnérables.
dustrielle à l’explosion du volume de demandes, sans « Dire qu’on n’en a pas peur serait mentir, car cela va
commune mesure avec la situation d’il y a dix ans en trop vite, reconnaît Cyrille Bonjean. Mais c’est dans
France. « Il y a à la fois une augmentation du nombre de les faits quelque chose qu’on a du mal à voir venir car,
films et de séries à effets, une augmentation du nombre en l’état, c’est tout ou rien. On a soit des superviseurs
de tournages et tout un champ de la production audio- avec lesquels le réalisateur peut nouer une collabo-
visuelle qui auparavant ne s’intéressait pas aux effets ration artistique en dialogue et atteindre par petites
visuels et maintenant s’y autorise. Les productions se touches son objectif , soit une machine avec laquelle on
décomplexent, et l’IA a débloqué des budgets. » communique en prompts, sans vraiment pouvoir ouvrir
Deux facteurs ont notamment déterminé cette hausse. le capot pour ajuster le détail, et pour qui rectifier une
D’abord, en 2016, le passage de 20 à 30 % du C2I, le commande revient à produire intégralement une nou-
crédit d’impôt international accordé par le CNC, of­ velle itération à partir de zéro. Aucun cinéaste n’est
frant un abattement aux producteurs étrangers venant prêt à céder une telle marge d’expression. » De fait, les
tourner ou post­produire leurs programmes en France. outils d’IA livrent un rendu, mais ne lâchent pas leurs

56 Avril 2024
caches, leurs données, leur code, tout ce qui structure Le Règne animal celle d’un client débarquant en réunion avec ses propres
une image, une vidéo, un objet 3D, et qu’un opérateur de Thomas Cailley exports Midjourney. L’IA générative est un outil de re­
humain (ou un réalisateur) pourrait réarranger selon sa cherche d’idées, de moodboards, venant surtout concur­
volonté. Les exceptions commencent à arriver (« Dans rencer les concept artists, « ou Google Images »,
l’IA Stable Diffusion, on a des outils avec du contrôle », s’amuse Rodolphe Chabrier. « Ce qu’on observe par-
précise Antoine Moulineau) mais restent marginales. tout où on nous dit que l’IA va supprimer des emplois,
L’étape de travail la plus impactée par les outils généra­ c’est qu’au lieu de cela, les chaînes de compétences
tifs, dans leur état actuel d’imperfection, n’est donc pas s’adaptent, et on fait simplement plus de choses. C’est
le rendu final, mais plutôt tout ce qui relève de la cui­ une sorte d’exosquelette. » Des domaines comme la res­
sine préparatoire. Tous les professionnels interrogés rap­ tauration de films, très rébarbative et coûteuse pour des
portent la même anecdote, devenue monnaie courante : opérateurs humains, doivent s’attendre selon lui à une
explosion très vertueuse. Il suffit de ne pas louper le
train, qu’il résume en une formule : « L’IA ne va pas te
prendre ton boulot, mais quelqu’un qui maîtrise l’IA
va te le prendre. »
L’intégration vertueuse à l’écosystème de produc­
tion est donc plus à l’ordre du jour que le scénario
Skynet de la guerre des machines. Avec tout de même des
phénomènes de stratification à prévoir, comme dans
l’animation : l’arrivée, dans les films candidats du festi­
val d’Annecy, de projets réalisés en partie à l’aide de l’in­
telligence artificielle interroge. Son directeur Mickaël
Marin n’exclut pas, à terme, la division en catégories
spécifiques : « Je ne vois pas se côtoyer des œuvres
sans IA et des œuvres réalisées entièrement en IA sur
le même plan. » De la même manière que certains prix
de photographies excluent l’usage de la retouche (« mais
pour des raisons d’éthique journalistique qui ne sont
pas à mettre au même niveau », précise­t­il), ou bien à
l’instar du studio Pixar qui, à l’époque de Ratatouille,
précisait au générique ne pas avoir eu recours à la rotos­
copie, le directeur d’Annecy peut « imaginer un avenir
où le non-usage de cette technologie serait un artisanat
valorisé. Une sorte de labelisation bio »... C’est donc
ça, l’IA : l’OGM du cinéma ? Réponse espérée fin 2024
ou début 2025, avec la sortie d’un Sora désormais aussi
attendu que le nouveau GTA. u

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© CELESTE SLOMAN/ TRUNK ARCHIVE/ PHOTOSENSO

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Avril 2024
PORTR AIT
PARCE QU’ELLE ÉTAIT
DÉTERMINÉE
Quelle était la probabilité que cette fille
d’un soignant et d’une avocate devenue
mère au foyer, élevée à Spokane, petite

PASSÉ
ville de 23 000 habitants de l’État de Was-
hington, sans le moindre contact avec
l’industrie puisse devenir l’une des ac-
trices que le Hollywood des années 2020
s’arrache ? Une chance sur un million ?
Un milliard ? C’était sans compter la vo­
lonté folle de l’intéressée. « Très jeune, j’ai-
mais m’inventer des histoires, m’imaginer
dans des mondes différents de cette maison

L’EUPHORIA
au bord du lac où ma famille était instal-
lée depuis cinq générations. C’est la raison
pour laquelle j’adorais lire – je dévorais les
Nancy Drew détective et La Cité de l’ombre
de Jeanne DuPrau – et j’aimais regarder
des films ou des séries. J’étais hyper fleur
bleue. Je fondais devant Titanic, N’oublie
jamais, Hors du temps… Et je n’ai jamais
oublié ce jour où, au collège, on nous a fait

Sydney Sweeney, remplir un questionnaire pour savoir quel


métier on envisageait d’exercer. J’avais été
incapable de cocher une seule case. Je ne

les raisons d’un succès me voyais pas faire la même chose toute ma
vie. Je m’imaginais aussi bien avocate que
médecin ou femme d’affaires. Devenir ac-
trice allait me permettre de tout faire. Et
quand j’ai compris qu’on pouvait être payé
Film d’horreur, d’auteur, drame, romcom, elle pour ça, j’avais trouvé mon objectif. » Elle
met son plan à exécution quand elle entend
brille dans tous les registres. Avec Immaculée, son parler d’un tournage dans la région, Zom-
premier film de productrice dont elle tient le rôle bies of Mass Destruction. Pour convaincre
ses parents de lui laisser sa chance, du haut
principal, elle poursuit son irrésistible ascension de ses 12 ans, elle leur présente un Power­
depuis sa révélation dans la série Euphoria. point détaillant sa carrière dans les cinq
années à venir. La méthode va porter ses
u PAR THIERRY CHEZE fruits. Elle passe l’audition, décroche un
petit rôle qui marque sa première appari­
tion au cinéma. Mais comme indiqué dans
undi 4 mars. 14 h 30. Un moment digne d’une scène son Powerpoint, elle ne s’arrête pas en si

L
de film. On a rendez­vous dans un grand hôtel pa­ bon chemin. « Pour mes parents, tout cela
risien avec Sydney Sweeney qui assure la promo était au-delà de l’impossible. Mais je ne
d’Immaculée. Dans ce film d’horreur, elle incarne les remercierai jamais assez de m’avoir
une jeune religieuse américaine qui va vivre l’enfer fait confiance. » Pendant des mois, ils font
dans un couvent italien où elle a choisi de s’isoler. des allers­retours à Seattle, à six heures de
Depuis quinze minutes, les alarmes à incendie route, pour accompagner leur fille à des
donnent de la voix d’un bout à l’autre de l’établis­ auditions. L’étape suivante sera Los Ange­
sement, dans un bruit assourdissant. Et soudain les où elle finit par déménager. Et vivre le
quand, à 14 h 29 et une poignée de secondes, la temps des vaches maigres. À courir la ville
comédienne sort de l’ascenseur, le silence se fait. au rythme de dix auditions (la plupart sans
Son sourire, la chaleur avec laquelle elle salue réponse) par semaine pour décrocher une
toute l’équipe du distributeur français du film et sa ponctualité poignée de mini­rôles (The Ward de John
inhabituelle dans ce genre de circonstances pourraient suffire à la Carpenter, des épisodes de 90210 Beverly
raconter. Simple et pro jusqu’au bout des ongles, consciente de vivre Hills : Nouvelle Génération ou de Grey’s
depuis Euphoria un rêve qu’elle attendait depuis toujours et qu’elle Anatomy) qui ne suffisent pas pour vivre.
fera durer autant qu’elle le peut. Mais ce succès ne doit rien au ha­ Ses parents s’endettent mais elle ne lâche
sard. Pourquoi et comment Sydney Sweeney est­elle devenue rien. « Je savais que ça finirait par mar-
une (vraie) star ? cher. Je n’avais sciemment aucun plan B. »

Avril 2024 59
PARCE QU’ELLE A FAIT
LA BONNE
RENCONTRE
Sa ténacité va payer. À partir de 2018,
la télé lui ouvre les bras et ses rôles
montent en gamme : Pretty Little Liars,
Everything sucks, The Handmaid’s Tale
et surtout The Sharp Objects, la série
mise en scène par le regretté Jean-Marc
Vallée. Un homme qui va tout comprendre
de cette jeune actrice timide. À l’évoca­
tion de ce nom, son regard bleu perçant se
voile. « Jean-Marc a été le premier à croire
en moi. J’avais un tout petit rôle et j’étais
un peu perdue. Je ne savais pas si, entre
les prises, je devais rester ou aller dans
ma loge pour ne pas gêner. Jean-Marc l’a
tout de suite vu, m’a fait découvrir et aimer
toutes les coulisses de ce métier. Je me sen-
tais comme en famille, avec lui et Nathan
Ross, son partenaire de production avec
qui je travaille d’ailleurs aujourd’hui, au
The Sharp Objects
fil des dîners qu’il préparait chez lui. » Si
Sydney est devenue l’actrice et productrice
qu’elle est, c’est donc grâce à Vallée. « Il m’a
donné envie d’imaginer et de construire des
mondes tels que lui les bâtissait. »
PARCE QU’EUPHORIA
A TOUT CHANGÉ
Euphoria

Mais après quelques apparitions dans


Under the Silver Lake et Once Upon a
Time… in Hollywood, c’est bien évidem-
ment Euphoria qui va changer son destin,
comme ceux de ses partenaires Zendaya
et Jacob Elardi. Pas au même rythme ce­
pendant, comme si son physique (et la multi­
plication des scènes dénudées qui vont avec)
la desservait. Comme si, par pure misogy­
nie, elle devait affirmer son talent plus que
les autres. La preuve : elle devra attendre
2022 pour être nommée aux Emmy Awards,
contrairement à Zendaya. Car, entre­temps,
son monologue­confession de la saison 2 et
son « Je n’ai jamais été plus heureuse », crié
le visage déformé par les larmes, a mis tout
le monde d’accord. « En refermant le scé-
nario de la saison 1, j’avais la sensation de
n’avoir jamais rien lu de tel. Par son écri-
ture, Sam [Levinson] vous fait ressentir
physiquement l’ascenseur émotionnel des
personnages. En tournant la première sai-
son, on savait qu’on était en train de faire
quelque chose de spécial mais on n’avait
aucune idée de ce que serait la réaction du
public. » Tout allait changer avec la saison 2.
© DR

60 Avril 2024
PORTR AIT

PARCE QU’ELLE SAIT OÙ ELLE VA


Comment toucher du doigt son rêve et ne pas le voir s’évapo- vie à travers la société de production
rer aussitôt ? Plutôt que d’attendre, Sydney Sweeney choisit Fifty­Fifty Films qu’elle a créée
de se démultiplier. Jamais dupe de rien (« je suis consciente avec comme projet inaugural,
que je dois prouver à beaucoup qu’ils se trompent sur avant Tout sauf toi, Immacu-
mes capacités de jeu ») mais sans pour autant chercher le lée. Un projet qui symbo­
contre­emploi à tout prix. Sa composition dans The White lise sa capacité à ne jamais
Lotus va contribuer à ce qu’on la prenne au sérieux et elle rien lâcher. « J’aime le ci-
frappe un grand coup avec Reality, véritable tour de force néma d’horreur et les thril-
où elle campe la lanceuse d’alerte Reality Winner en s’ap­ lers psychologiques. J’ai
puyant, aux mots et silences près, sur la retranscription de dû voir à 12 ans Rosema­
l’enregistrement audio de son interrogatoire par le FBI. On ry’s Baby, une des influences
la voit aussi dans un film de superhéros, Madame Web, et majeures d’Immaculée, pour
elle remet la romcom au goût du jour avec le carton inattendu lequel j’avais passé une audi-
de Tout sauf toi. « Je n’ai pas de stratégie outre celle de ne pas The White Lotus tion à l’âge de 16 ans ! Et comme
me répéter. Je fonctionne simplement au coup de cœur. Je me suis le film avait finalement été aban-
battue pour me retrouver où je suis. Maintenant que j’ai le choix, je donné, je n’ai jamais cessé de suivre son
ne vais pas faire des films qui ne me plaisent pas juste parce qu’ils évolution. Et quand j’ai eu l’opportunité, j’ai
pourraient m’accorder telle ou telle légitimité. » Et d’enfoncer le décidé de le coproduire. » Un geste qui ne se limite pas à trouver du
clou. « Je me régale autant à honorer Reality Winner par un travail financement. « Je me suis occupée des repérages, du casting. J’étais
de mimétisme le plus précis possible pour ne pas la trahir qu’à jouer présente à chaque étape du processus. Avoir la sensation de créer un
une comédie romantique, le genre qui a bercé mon adolescence. » monde a provoqué chez moi un sentiment de plénitude inédit. » On
Surtout, elle ne se contente pas d’attendre les projets. Elle leur donne ne serait guère surpris de la voir vite passer à la réalisation.

PARCE QU’ELLE EST Immaculée

TOTALEMENT ATYPIQUE
Sydney Sweeney ne se résume pas à ce
qui peut émaner d’elle dans les shootings
glamour ou sur les tapis rouges. Ado,
elle a fréquenté les rings de MMA. Et
elle s’éclate à retaper des vieilles voitures
de collection en mécanicienne hors pair.
« Le garçon manqué que j’étais gamine n’a
pas disparu mais, aujourd’hui, ma féminité
me fait sentir puissante. » Inclassable, elle
l’est aussi à l’écran où elle joue aussi bien
les girls next door que les femmes fatales,
les bonnes copines que les grandes amou­
reuses. Et pas dupe de ce qu’on peut penser
d’elle, Sydney Sweeney sait répondre aux
attaques par un humour affûté. « Je sais que
beaucoup me voient comme une blonde aux
gros seins pas très futée. Ils se trompent : je
suis brune ! », a­t­elle récemment balancé
dans un éclat de rire en interview. Et début
mars, sa toute première participation au
SNL a fait un carton. Sa manière de s’y mo­
quer de son échec de Madame Web tourne
en boucle depuis sur la toile. Nous sommes
dans le « moment » Sydney Sweeney et il
pourrait bien durer. u

IMMACULÉE
De Michael Mohan • Avec Sydney Sweeney,
Simona Tabasco, Álvaro Morte… • Durée 1 h 29
• Sortie 20 mars • Critique page 80

Avril 2024 61
TOURNAGE

NINEYY
SEME LA I
Sur le tournage ZZ
A
de la série Fiasco
Après Family Business, Igor
Gotesman a choisi de raconter
le quotidien d’un tournage qui

NI E
part en vrille. Pour l’occasion,
il a retrouvé son bro Pierre
Niney. Le temps d’une journée,
Première s’est glissé sur le
plateau pour mesurer
l’étendue de ce Fiasco.

B
u PAR LUCIE CHIQUER

izarrement, tout s’est bien passé


sur ce tournage. Du coup, là, je
croise les doigts pour que la ré-
alité ne rattrape pas la fiction au
dernier moment… », balance Igor
Gotesman à notre arrivée – avant
de jeter son dévolu sur les crus­
tacés à la cantoche. La fiction ?
Fiasco, une minisérie qui suit Igor se marre. Il a de quoi : il reste deux semaines et
un jeune metteur en scène totale­ demie de production, et c’est bientôt la fin de ce projet
ment à la ramasse (Raphaël Va­ qui lui trottait dans la tête depuis douze ans mainte­
lande joué par Pierre Niney) au nant. « Avant Casting(s) [la shortcom de Canal+] j’ai
moment où la production de son film, une aventure proposé à Pierre [Niney] d’écrire une série sur un pla-
qui traverse les époques pour rendre hommage à la vie teau de tournage. L’idée a un peu traîné et n’est ressor-
héroïque de sa grand­mère résistante, part en sucette. tie que récemment », explique Gotesman avant d’être
Mais ici à Saint­Denis, la réalité, c’est que tout le monde est interrompu par l’arrivée de Niney, casque de moto à la
serein et que l’ambiance est au beau fixe. L’équipe prend main et lunettes de soleil sur les yeux. L’acteur débarque
© DR / 2023 NETFLIX, INC.

le soleil (on est au mois d’avril 2023, la canicule ap­ à temps pour donner sa version des faits : « On voulait
proche), certains sont allongés par terre, ambiance co­ parler des rapports hiérarchiques et intimes qui com-
lonie de vacances. L’euphorie règne sur le plateau et posent un plateau. C’est un endroit où se jouent des

62 Avril 2024
FIVE
À VOIR SUR

Pierre Niney sur le tournage de Fiasco

comédies et des drames : il y a de l’argent en jeu, du tout ce qui peut faire vriller un tournage : organisation
stress, certains jouent leur carrière, d’autres pas du chaotique, conflits personnels, dégradation du décor…
tout… » Mais connaissant le pedigree de Gotesman et Logique : « Tu ne racontes pas à ton pote le jour où tu
Niney, pas d’inquiétude : Fiasco n’est pas un making t’es levé à l’heure, où tu t’es rendu à la gare et que ton
of théorique qui s’adresserait aux puristes du cinéma. train était bien là. Tu ne vas pas t’amuser à expliquer
Après tout, les crêpages de chignons et les histoires de que t’es bien arrivé à ton rendez-vous, pile à l’heure.
salaires au boulot, c’est universel. D’ailleurs, quand on Non, ce que tu vas décrire, c’est plutôt la fois où ton
demande à Igor Gotesman sa principale inspiration, il réveil n’a pas sonné, comment t’as attrapé un taxi pour
répond Lost in La Mancha, documentaire qui retrace la découvrir que ton train était retardé et qu’il a finale-
première tentative avortée de Terry Gilliam de tourner ment fallu prendre un avion… »
L’homme qui tua Don Quichotte avec Jean Rochefort Fiasco, c’est ça, étape par étape : les chausse­trappes,
et Johnny Depp. Gotesman voulait en effet compiler erreurs d’aiguillage, négligences, tout ce qui peut

Avril 2024 63
conduire méthodiquement un film au fond du ravin. vu leurs récents succès. Le trio, qui collabore depuis François Civil et Pierre
Mais c’est avant tout… une histoire familiale. Un thème l’époque de Casting(s) et Five, se retrouve alors que leurs Niney dans Fiasco
récurrent dans la filmo d’Igor Gotesman. Il y a eu la statuts respectifs ont en effet bien changé. Igor est un ci­
famille que l’on choisit (Five) et celle que l’on se traîne néaste accompli et très demandé, François est devenu
(Family Business). Cette fois, il s’agit de la grande fa­ mousquetaire, et Pierre sera bientôt comte (de Monte­
mille du cinéma. « Si on regarde bien, les différentes Cristo). Pourtant, rien d’insurmontable pour ces trois
hiérarchies entre les acteurs, les réalisateurs, les pro- potes qui « s’aiment tous les jours un peu plus ». Et leur
ducteurs, les techniciens s’apparentent effectivement à notoriété n’est pas qu’un handicap. « Au contraire ! On
un schéma familial. Le sujet de cette série est un pré- a les moyens de nos ambitions », explique Jérôme Cen­
texte pour générer une belle galerie de personnages. dron, le cofondateur, avec Igor Gotesman, de la société
C’est pour ça que le cantinier, la maquilleuse, ou le de production Five Dogs. Des moyens, de l’ambition
producteur sont des rôles à part entière », raconte le et un super casting : Pascal Demolon, Louise Coldefy
réalisateur entre deux gorgées de Coca.
Igor Gotesman, Vincent Cassel et Leslie Medina
Une affaire de famille
Et pour ça, Gotesman a choisi naturellement de s’entou­
rer de ses potes de longue date. Pierre Niney est à l’ori­
gine de la série et également coscénariste. Il a surtout le
rôle principal. Ça n’a l’air de rien, mais c’est un saut de
l’ange pour l’acteur, plus habitué au cinéma. Il a d’ail­
leurs découvert avec Fiasco que le format sériel pouvait
lui apporter une autre liberté. « Au niveau du scénario
c’est un langage très différent et c’était très enrichis-
sant de voir comment les arcs d’un personnage peuvent
se développer sur beaucoup plus de temps qu’un long
métrage. Il y a moins de frustration à l’écriture et… »
Niney s’arrête, retourne le pain posé à l’envers sur la
table – question de superstition et… « Où j’en étais ?
Ah oui : au niveau du jeu, Raphaël est peut-être le per-
sonnage le plus maladroit et mal dans ses pompes que
j’ai eu à jouer. En plus de ça il a un énorme déficit de
charisme ! » Sacré challenge pour l’acteur habitué aux
rôles magnétiques. Mais sur ce coup, il peut compen­
© DR / 2023 NETFLIX, INC.

ser grâce à ses partenaires. Quand Gotesman et Niney


sont dans une pièce, François Civil n’est jamais loin.
Même si leur agenda est plus compliqué à synchroniser

64 Avril 2024
TOURNAGE

cente tendance des films qui mettent à nu les coulisses


du 7e art, à l’instar de Ça tourne à Séoul ! de Kim Jee­
woon, Making of de Cédric Kahn ou Coupez ! de Michel
Hazanavicius. Mais la série ne cherche pas seulement à
réfléchir sur le cinéma. Elle entend aussi être spectacu­
laire : « Pour une comédie, il y a quand même pas mal
de production value, beaucoup de décors, et on espère
que les gens vont en prendre un peu plein la gueule ! »,
s’excite Igor Gotesman.

Amuser la galerie
Igor Gotesman et Pierre Niney
Si le projet a bénéficié d’un budget ambitieux, la fa­
mille Fiasco a tout de même pu faire les choses à sa
façon. « Ça faisait partie du deal dès le début : on vou-
lait avoir le temps sur le plateau. On avait besoin d’al-
ler chercher des instants de comédie, avec l’équipe
comme premier public », poursuit le cinéaste. Avec
Pierre Niney, ils ont donc développé une façon bien à
eux de travailler. Ce qu’ils appellent les « workshops ».
Une fois qu’ils ont tourné une scène qui les satisfait, ils
se permettent de passer encore une demi­heure sur une
vanne pour « expérimenter ». « On ne peut pas vraiment
appeler ça de l’improvisation – l’impro, elle a eu lieu
en salle d’écriture. Mais Pierre est un acteur qui peut
proposer plusieurs variations sur un même sketch. On
a donc choisi d’en profiter et on faisait régulièrement 5,
6, 7 ou 8 prises de plus », raconte le producteur. Niney
Leslie Medina
explique que pour lui, il y a trois moments d’écriture en
comédie. Le moment du scénario, pendant le montage,
(qu’Igor surnomme son « lucky penny »), Géraldine et enfin sur le plateau où l’équipe se rend compte si une
Nakache, Djimo, Leslie Medina… et en guest surprise, blague fonctionne ou pas, s’il faut rajouter un costume,
Vincent Cassel. décaler une phrase, changer un mot. « Quand on a du
temps à ce moment-là, c’est le grand luxe ! Ça nous
« Archi-méta » permet de faire de la comédie qu’on affectionne vrai-
Bon, c’est pas tout ça, mais il y a une série à tourner. ment, avec de la recherche. » Mais faire rire n’est pas
Igor Gotesman finit son café et nous embarque avec lui. chose aisée pour autant. C’est même une science très
Dans une pièce noire calfeutrée, sous une lumière bleu­ complexe pour Igor Gotesman. « Avec un thriller, le
tée, les techniciens s’activent et il se cale sur sa chaise spectateur est accroché grâce au suspense. On veut sa-
de réalisateur. Silence. Ça tourne. Vincent Cassel et voir “qui ? comment ? pourquoi ?”. L’humour pardonne
Leslie Medina arrivent : ils incarnent deux comédiens moins. Il y a un pacte passé avec le spectateur : il va
ayant les rôles principaux du film de Raphaël Valande. rire. Et si ce n’est pas le cas, c’est très décevant. » C’est
Ils tournent ici une séquence où Leslie interprète la pour ça qu’au moment de l’écriture, le duo a rajouté
grand­mère de Raphaël dans sa jeunesse. Elle orga­ des enjeux dramatiques, et même rehaussé l’ensemble
nise un mouvement de résistance avec son amoureux d’un parfum de murder mystery – le personnage prin­
de l’époque joué par Cassel, qui, sur le plateau, s’avère cipal tente de débusquer celui qui sabote son tournage.
être un acteur égotique cherchant à voler la vedette au « Bon… Ce n’est pas non plus une comédie d’action,
réalisateur. Niney et Géraldine Nakache se marrent de­ hein, mais ça swingue pas mal ! », promet le réalisateur.
vant le moniteur. Pas le temps de traîner : il faut changer Il n’y a plus qu’à attendre la sortie de la série pour voir
de plan. « On va passer à une séquence de making of, si Niney et Gotesman réussiront à tenir leur promesse.
attention ça va swinguer, accrochez vos ceintures ! », En attendant, la journée s’achève : la chaleur retombe un
blague Gotesman. Chaque scène du « faux film » a en peu, les acteurs rejoignent leurs pénates, les techniciens
effet le droit à sa version behind-the-scenes, avec Niney rangent le matos. Soudain… un miroir manque de se
en metteur en scène dépassé par les événements. « Igor briser. Rien de cassé : toujours pas de fiasco en vue ! u
joue le réalisateur du making of, il y a un tournage du
tournage. C’est une mise en abîme de dingue ! Archi- FIASCO
méta », confirme Jérôme Cendron pour éviter de nous Créée par Igor Gotesman & Pierre Niney • Avec Pierre Niney,
perdre dans ce dédale. Drôle d’expérience que celle de François Civil, Géraldine Nakache… • Sur Netflix
démêler le vrai du faux : faux clap, vrai clap, fausse prochainement
équipe, vraie équipe. Fiasco s’inscrit dans cette ré­

Avril 2024 65
FOCUS

FALL UT
GAME LOVER
L’autre Nolan
Un an après la folie The Last of Us, c’est
au tour de Fallout de passer sur le petit
écran, dans une série aux décors
phénoménaux et à l’ambiance grisante.
Un nouveau western postapo imaginé
par Jonathan Nolan, qui confirme que
les jeux vidéo reviennent en force à
Hollywood… Au point de remplacer les
comics comme source d’inspiration ?
u PAR CHARLES MARTIN

Q
uand Fallout 3 est arrivé sur Xbox,
j’ai mis le disque dans la console
et j’ai pris une claque. » Jonathan
Nolan se souvient précisément
du jour où il a mis les pieds, pour
la première fois, dans l’univers
Fallout. La guerre nucléaire a
ravagé l’humanité. La moitié du
globe a été dévastée par un dé­
luge de bombes. Le gouvernement
américain avait prévu le coup en
créant de gigantesques abris anti­
atomiques, appelés « Vault », où quelques chanceux ont
pu continuer à vivre sereinement tandis que le chaos et de fond une satire sociale cinglante.
la loi du plus fort régnaient à la surface parmi les sur­ Les jeux parlent de la fin du monde, mais ce sont
vivants. « C’était une approche totalement novatrice, aussi des tentatives d’analyses de ce qui n’allait pas
avec un ton complètement étrange, continue Nolan. On dans le monde avant qu’il explose. En y jouant, j’avais
commençait dans ce bunker (Vault) et dès qu’on fran- le sentiment de découvrir le travail d’un cinéaste…
chissait les portes de ce cocon, on sentait qu’on passait C’est pour cela qu’on a fait cette série : parce que j’ai
dans un monde étrange avec un sens de l’humour très adoré Fallout 3. »
noir. C’est ce ton qui m’a tout de suite plu… et puis Titre révolutionnaire pour gamers assidus, la saga se
la violence incroyable des premiers affrontements ! Je décline désormais sur Prime Video en version sérielle.
n’avais jamais vu une histoire capable de réunir autant Pas sous la forme d’un remake, plutôt un nouveau cha­
de critères, d’être à la fois drôle, brutale, avec en toile pitre, qui viendrait s’intégrer au reste de la franchise.
© DR

66 Avril 2024
THE LAST OF US
À VOIR SUR

« The Last of Us nous a battus. Ils


ont prouvé avant nous que l’on pou-
Jonathan Nolan et vait faire une bonne adaptation de
Ella Purnell sur
le tournage de Fallout jeu vidéo à la télévision ! s’amusent
les showrunners Geneva Robertson­
Dworet et Graham Wagner. Mais le
challenge était complètement diffé-
rent. The Last of Us est une simple his-
toire. Fallout est un univers ! Eux ont
pu reproduire le jeu. Nous, il a fallu que
l’on crée une nouvelle histoire à l’inté-
rieur de ce monde, quelque chose qui
trouve sa place juste après Fallout 4 et
qui prenne en compte le reste de la my-
thologie de la saga ! » Pour toutes ces
raisons, l’adaptation nécessitait une vraie
vision. Celle de Jonathan Nolan a été plus
que précieuse. Le cocréateur de Westworld
a passé la moitié de sa carrière à conce­
voir des œuvres originales et l’autre moitié
à travailler sur des adaptations. Il sait faire.
« Quand j’adapte, je ne suis pas du genre
à faire quelque chose de fidèle. J’adore les
adaptations rigoureuses, mais ce n’est pas ce
que je fais. Le meilleur exemple, c’est Batman
[qu’il a coécrit avec son frère Christopher]. Il y
a eu tellement de versions dans les comics qu’on
ne peut pas dire laquelle est la plus authentique.
Toutes partagent le même univers, mais elles ont
chacune un ton différent, de la plus loufoque à la
plus sérieuse. »

Un résultat spectaculaire
Jonathan Nolan a pris soin de créer un Fallout res­
pectueux de l’original, de son ton, de ses designs
(en lien avec le créateur Todd Howard) mais en
évitant l’écueil de la révérence aseptisée. Pas ques­
tion d’imaginer une série pour gamers hardcore. Et
Nolan de reprendre son parallèle avec le justicier DC :
« Pour Batman, on avait juste arrêté de se poser la
question de la réaction des fans. Nous aussi sommes
fans. On a donc écrit notre vision en tant que fans de
Batman. C’est pareil pour Fallout. On ne s’est pas de-
mandé ce qu’en pensaient les autres. D’autant plus
que la fanbase est elle-même segmentée ! Il y a ceux
qui voudraient qu’on adapte Fallout 3, ceux qui vou-
draient qu’on adapte Fallout 4, etc. Pas question de
mettre le doigt là-dedans ! C’est ce que j’ai appris sur
Batman, quand tous nos choix étaient commentés ad
nauseam sur le Net. Je me suis dit : “Qu’est-ce qu’on
en a à foutre, au fond ?” Je fais ce qui me semble le plus
juste ! Il faut avoir la force de ses convictions. » Sûr de
ses choix, le réalisateur a opté pour une intrigue débu­
tant dans un nouvel abri, le Vault 33, avec une jeune
femme protégée du monde extérieur, qui va devoir sortir

Avril 2024 67
FOCUS

et de se confronter à l’horreur postapo. Le résultat est


spectaculaire. Époustouflant même, par moments, tant
les décors « rétrofuturistes » dévastés sont impres­
sionnants. « Cette production fut une aventure ! On a
filmé en décors réels en Namibie, dans les montagnes
de l’Utah et aussi dans New York en plein hiver ! »,
détaillent les showrunners, tandis que la star Walton
Goggins s’enflamme : « Les visuels sont épiques, mais
plus que ça, c’est monumental, complètement gigan-
tesque. Parce que Jonah [Nolan] a voulu aller sur
place pour tourner. On a filmé en Namibie à l’intérieur
du parc national de Skeleton Coast avec ses bateaux j’avais 14 ans. Il savait que je trouverais une narration Ella Purnell (à gauche) et
échoués, on a filmé dans l’ancienne mine de diamants inventive dans ces pages. Il avait du respect pour le ma- Aaron Moten (ci-dessus)
abandonnée de Lüderitz… La réalité de ces décors est tériel et quand il l’a adapté, il l’a fait de manière très
saisissante et ça change tout. Bien entendu, on a uti- réfléchie. À l’inverse, les premières adaptations de jeux
lisé des écrans verts. Il y a des CGI dans Fallout. Mais vidéo n’étaient pas prises au sérieux. Quand vous voyez
huit fois sur dix, ce que vous voyez à l’écran est vrai. » le Super Mario de 1993… Je ne dis pas qu’ils ont fait un
mauvais film intentionnellement, mais ils ont approché
Gros budgets et nouveaux réalisateurs le jeu avec une forme de cynisme. C’était une époque où
Indéniablement, le budget massif offert par Amazon a les réalisateurs ne connaissaient rien aux jeux vidéo,
largement contribué à délivrer une adaptation somp­ ne jouaient pas et s’en foutaient royalement. Ils ne
tueuse. « La technologie a certainement quelque chose comprenaient pas pourquoi c’était important, alors ils
à voir là-dedans. On réalise aujourd’hui des choses mettaient l’accent sur des choses idiotes ! Ils ne com-
qui étaient encore infaisables il y a quelques années. prenaient pas que l’essentiel, c’est la narration ! » En
Tourner Super Mario Bros. dans les années 90 a dû d’autres termes, il a fallu qu’ils fassent fausse route pour
être compliqué », sourient Geneva Robertson­Dworet que sa génération trouve la bonne approche : « C’est
et Graham Wagner. Comme The Last of Us ou The évident : ces échecs nous ont permis d’apprendre. Le
Witcher avant elle, Fallout complète ainsi une mis­ premier western n’était certainement pas très bon. Mais
sion qui semblait impossible il n’y a pas si longtemps. tous les grands westerns qui ont été faits par la suite se
Adapter des jeux en live action avait tout de la fausse sont appuyés sur cet échec. Il a fallu que certains es-
bonne idée jusque dans les années 2010. Mais quelque suient les plâtres, résume Walton Goggins. Et c’est vrai
chose a changé avec l’ère du streaming. La taille des pour les films adaptés de jeux vidéo. On a compris petit
budgets, évidemment, mais pas seulement : « Ce qui a à petit ce que les fans attendaient, quels morceaux de
changé, c’est qu’on a une toute nouvelle génération de l’histoire il fallait mettre en avant, et jusqu’à quel point
réalisateurs qui ont grandi en ayant réellement joué à on pouvait prendre certaines libertés… »
ces jeux, analyse Jonathan Nolan. Comme Craig Mazin Un peu tard au goût de Jonathan Nolan, qui estime que
[réalisateur de The Last of Us]. Ils regardent les jeux les créateurs de jeux vidéo ont trop souvent été pris de
vidéo sans mépris. Au contraire, ils les regardent avec
LES JEUX VIDÉO ONT
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admiration. » Le cinéaste croit même que ce qui s’est


passé dans l’industrie hollywoodienne avec les BD de
superhéros pourrait se produire avec les jeux vidéo :
« Il y avait cette même défiance à une époque avec les
EMPRUNTÉ UNE VOIE
adaptations de comics. Elles étaient faites avec cy-
nisme ! Attention, je ne dis pas qu’il faut être fan à la
PUNK-ROCK LAISSÉE LIBRE
base. Chris [Nolan] n’est pas un fan de Batman. Mais
il connaissait très bien son univers. Il m’a offert mon PAR LE CINÉMA.
premier Batman (Année Un de Frank Miller) quand JONATHAN NOLAN

68 Avril 2024
WALTON GOGGINS
Qu’est-ce qu’il a son Ghoul ?
Deux fois cow-boy pour Tarantino, flic pourri dans
The Shield et salaud terminal de Justified, l’acteur joue
ici un chasseur de primes écumant le monde postapo
de Fallout. u PAR CHARLES MARTIN
PREMIÈRE : Vous aviez joué à Les Huit Salopards) ou dans Jus-
Fallout avant la série ? tified. Jouer les fous de la gâchette,
WALTON GOGGINS : Jamais ! Pas c’est comme une deuxième nature
une seule fois ! Et quand on m’a pour moi !
proposé le rôle, je me suis dit qu’il
ne fallait surtout pas que j’y joue ! Ce qui change ici, c’est qu’on
Pour qu’on ait un regard extérieur vous a enlevé votre nez…
dans l’équipe, un regard critique Je vous rassure : ils ne me l’ont pas
haut, alors qu’ils étaient, eux aussi, des conteurs d’his­ sur la série. Jonathan [Nolan] et vraiment coupé ! (Rires.) Je jouais
toires extraordinaires. « À la fin des années 2000, quand les autres étaient de gros gamers : avec des petits points blancs sur la
on me demandait mon film préféré, je disais : Fallout ! ma contribution a précisément été tronche, mais ça n’a rien changé.
BioShock ! Portal ! Les jeux sont devenus sophistiqués de ne pas être joueur. Je ne me disais pas à chaque plan
et c’est ça aussi qui a changé. Ils ont emprunté une qu’il n’avait pas nez, je n’ai pas
voie punk-rock laissée libre par le cinéma. Certains Comment est-ce qu’on vous a changé ma voix ou fait des re­
créateurs, comme Todd Howard, ont osé des histoires présenté le rôle du « Ghoul » ? cherches sur les gens sans nez !
vraiment audacieuses. Les films ont peu à peu C’est un personnage qui erre sur Il ne fallait surtout pas qu’il soit
abandonné ça. Ils sont de moins en moins cette terre désolée depuis deux grotesque. L’idée n’était pas de
provocateurs. On l’a fait un peu dans la cents ans. Un chasseur de primes dégoûter le public mais de rendre
trilogie Batman, je crois… mais d’une brutal et pragmatique. Avec un le « Ghoul » presque sexy, il a
manière générale, les jeux vidéo ont sens de l’humour très piquant. un certain swag… Mais pour ça,
vraiment creusé ce sillon. » Une vi­ Mais avant de devenir cette créa­ je passais chaque matin 1 h 45 au
sion partagée par les showrunners ture, il était Cooper Howard. Au maquillage.
de la série Prime Video, qui jugent fond, c’est un pont entre le monde
que les jeux ont su s’élever à « une d’avant et le monde postapo de C’est compliqué de
forme d’art supérieure. Ils sont bien Fallout. Je ne joue pas une version transmettre des émotions
plus intéressants que de nombreux télé d’un « Ghoul » présent dans avec autant de prothèses
films ou séries. Il a fallu que le cinéma les jeux. Je joue une personne qui et de maquillage ?
et la télé rattrapent le niveau des vit dans ce paysage irradié depuis Je n’étais pas à l’aise au début…
jeux vidéo ! Parce qu’il n’y a pas deux siècles. Quelqu’un avec des L’équipe technique a conçu tout ça
grand-chose d’aussi immer- motivations particulières, qui a de la manière la plus fine possible,
sif que cette forme d’art. beaucoup souffert… afin qu’on puisse discerner les
L’industrie réalise enfin mouvements de mon visage. Mais
tout son potentiel. Alors, Le « Ghoul » est un vrai je ne suis pas un acteur conscient
on fait quoi ensuite ? La pistolero, le genre de rôle que de ses mimiques. Quand je trans­
série King’s Quest ? La vous maîtrisez bien… mets des émotions, ça vient surtout
série XCOM ? » u Oui, il y a toute une partie wes­ de l’intérieur. Là, c’était encore
tern intégrée dans l’histoire de plus compliqué. Je ne savais pas
FA L L O U T – S A I S O N 1
Fallout qui est directement liée à du tout si j’arrivais à transmettre
Créée par Geneva Robertson-
mon personnage ! C’est un genre quoi que ce soit et souvent je me
Dworet & Graham Wagner
dont je suis effectivement fami­ retournais vers Jonathan pour lui
lier. (Rires.) J’ai eu la chance de demander s’il fallait que j’en fasse
• Avec Walton Goggins, Ella
Purnell, Aaron Moten... • Sur
faire pas mal de grands westerns plus, que j’accentue mes gimmicks
Prime Video le 12 avril
dans ma carrière, que ce soit avec pour que ça rende quelque chose.
Tarantino (Django Unchained et Mais il m’a rassuré. u

Avril 2024 69
LES RUES DE FEU
À VOIR SUR

Sans retour
de Walter Hill
© DR

70 Avril 2024
CL A SSICS

HILL
e cinéma de Walter Hill, joliment rétro,

L
gentiment macho, obstinément rus­
taud, pouvait­il survivre à l’époque ?
Du haut de 2024 et alors que les livres
d’exégèse autour de l’œuvre du réali­
sateur se multiplient (trois dans les
deux dernières années, tous très bons
mais édités en VO seulement), on se­
rait tenté de répondre que oui – tout en
se pinçant un peu pour le croire. Cette

EST DES
œuvre remplie de bourre­pifs, de gros
mots, et de récits ultra­linéaires agi­
rait­elle aujourd’hui comme le contrepoison idéal de
notre période qui ne jure que par l’inclusion et la so­
phistication ? C’est heureusement bien plus compliqué
que cela. Dans un segment de l’anthologie Voir, dif­
fusé par Netflix et produit par David Fincher, le cri­
tique Walter Shaw se penchait sur le cas de 48 Heures,

NÔTRES
l’un des films les plus célèbres de Walter Hill. Il met­
tait en avant non seulement son caractère progressiste
et piquant (Eddie Murphy qui refuse les excuses de
Nick Nolte après ses moqueries racistes) et le grand
malentendu qui a toujours régné autour de ce clas­
sique (pour Chaw, « ce n’est pas un buddy­movie, car
les deux ne sont jamais amis et ce n’est pas non plus
une comédie, c’est une tragédie »). Ce genre d’incom­
préhension semble s’étendre sur une bonne partie de

Sans retour revient la carrière d’un réalisateur qui s’est défini comme un
légataire de l’âge d’or hollywoodien, mais dont au moins
trois sommets (The Driver, Les Guerriers de la nuit et

d’entre les morts Les Rues de feu) sont des œuvres de pur visionnaire qui
auront infusé la pop culture du XXIe siècle.

Raoul Walsh, ce héros


Dès son premier film (Le Bagarreur en 75), Walter Hill
Les temps auraient pu être durs avec s’envisageait en apprenti riquiqui et sans surmoi de
le cinéma vintage, bourru et hyper- Raoul Walsh, son héros, son maître, ce qui n’était pas
forcément la façon la plus sexy de se présenter au public
masculin de Walter Hill. Pourtant, du Nouvel Hollywood. À peine né, déjà un peu ringard.
Les choses changeaient (radicalement) au moment de
le cinéaste n’a jamais eu autant la cote son deuxième long, Driver, sorte de pré­Michael Mann,
qu’aujourd’hui. À quoi est dû ce soudain un petit flop mais un objet qui a été hommagé/pompé
par deux hits des dernières années (Drive de Nicolas
regain d’intérêt ? Et ne serait-ce pas Winding Refn en 2011 et Baby Driver d’Edgar Wright
le moment de se jeter sur Sans retour, en 2017). Cette doublette inaugurale, à la fois Nostalgie
et MTV, semble agir aujourd’hui comme une synthèse
le sommet oublié d’un réalisateur un parfaite du travail de Walter Hill. Un contraste entre
hier et demain, entre deux visions de cinéma, qui allait
peu plus subtil qu’il n’en a l’air ? s’exprimer à la fois dans l’enchaînement des œuvres (Le
Gang des frères James, western mythologique faisant
u PAR FRANÇOIS GRELET
suite à l’ultracontemporain Les Guerriers de la nuit)
mais aussi à l’intérieur d’un seul projet (Les Rues de feu
ou Johnny Belle Gueule : du 80s pur jus traversé par
les clichés de l’âge d’or). Dans ces conditions, il fallait
tenter de réconcilier ces deux pôles, d’où tout un tas de
malentendus, et ce qui en fait désormais un sujet d’étude
obsédant pour ses (de plus en plus nombreux) exégètes.
Comment avaler en effet que le Walter Hill progressiste
qui aimait les néons et les synthés était également un

Avril 2024 71
conservateur qui raffolait du crottin de cheval et des
banjos ?
À l’époque de sa gloire, la question ne s’est pas posée
bien longtemps puisque tout est parti à vau­l’eau au
début des années 90, au moment de 48 Heures de plus,
prototype du sequel inflationniste, rempli de frime ca­
lifornienne, de punchlines idiotes, et d’erreurs majeures
de production. Un film haï à sa sortie qui a réussi le pro­
dige de faire basculer à la fois la carrière de sa superstar
(Eddie Murphy) ainsi que celle de son cinéaste vers le
caniveau – et ceci sans se planter au tiroir­caisse. Après
cela, pour Walter Hill, des bides, beaucoup de bides, rien
que des bides. Des films pas forcément nuls, mais tous
aberrants et archaïques, racontant que leur auteur avait
cette fois choisi de se réfugier pour de bon dans le passé
et son enfance (son dernier projet, Dead for a Dollar,
en 2022, était dédié à Budd Boetticher, petit maître du
western 50s disparu vingt ans auparavant).

Cajuns vs Yankees
Aujourd’hui, à 84 ans, Walter Hill suce donc son pouce
dans un espace­temps assez éloigné du nôtre et on
peut constater tranquillement qu’entre Le Bagarreur vidéo sur tous les aspects de la fabrication…), signifiant
et 48 Heures de plus, le début et la fin des haricots, qu’il est l’heure pour lui de trouver sa juste place dans
il n’y aura guère eu que quinze ans, une douzaine de l’histoire du cinéma.
longs métrages, une poignée de classiques, et beau­ Sans retour est sorti en 1981 (deux ans plus tard chez
coup de plaisirs, pas toujours coupables. Si la plupart nous), quelques mois après La Porte du paradis, mais
de ces œuvres se situent à cheval entre le présent et le son action se déroule en 1973, comme nous le précise
passé, aucune ne raconte mieux cet écartèlement que un carton, peut­être rajouté en postproduction. Il faut
Sans retour, qui en fait son sujet et le cœur de son in­ bien noter que cette indication temporelle n’a que peu
trigue, puisqu’une bande de Yankees citadins s’y fait d’incidence sur le récit, les personnages, le décor ou
poursuivre par trois ou quatre Cajuns, échappés du fond quoi que ce soit. Elle place le projet dans le registre de
des âges. Pas le plus célébré des films de son auteur, il l’évocation, du « il était une fois ». Elle aura pourtant
ressort ces jours­ci dans une édition restaurée en 4K de causé, elle aussi, un gros malentendu. Puisqu’il met en
l’autre côté de l’Atlantique où il bénéficie d’un traite­ scène un groupe de volontaires de la garde nationale
ment éditorial habituellement réservé aux classiques of­ pris en chasse par quelques Cajuns au beau milieu du
ficiels (commentaire audio de l’analyste en chef Walter bayou, beaucoup ont donc perçu ici une métaphore de la
© DR

Chaw, deux petits livrets d’étude, beaucoup de modules guerre du Vietnam et de ses GI piégés en territoire hos­

72 Avril 2024
CL A SSICS

il va soudainement se transformer en une opposition bru­


tale entre plusieurs Amériques qui se haïssent de manière
irréconciliable. En exposant cette plaie ouverte et en ne
la regardant jamais se refermer, le film cogne très fort
dans l’inconscient collectif de 2024. Voilà pourquoi un
éditeur américain décide à présent de le publier comme
un vénérable classique hollywoodien.
Le sacre ne devrait pas tarder, car outre son acuité so­
ciopolitique, le film semble braconner aujourd’hui sur
des terres très prisées, celles de l’elevated-horror – ou
autrement dit de l’angoisse art et essai, de la boucherie
chic, de la tripaille intello. Et s’il était tourné de nos
jours, Sans retour serait probablement distribué par
la très réputée maison A24. Débarrassé de son attirail
(pseudo) militaire, et de son opposition civilisation­
nelle entre Yankees et Cajuns, il agit en effet comme un
survival dans les marais, une sorte de slasher­bayou où
un ennemi invisible va décimer avec un certain sens de
la diversité et de la cruauté toute une bande d’écerve­
lés. La photo, plus automnale qu’un mois de novembre
en Bavière, signée Andrew Laszlo, joue beaucoup dans
la dimension poético­animiste de ce spectacle mor­
bide. Et cette sensation quasi métaphysique d’un envi­
ronnement dévorant ses propres créatures va culminer
dans les tout derniers instants, enchaînement d’une di­
L’ÉPOQUE SEMBLE À CE POINT zaine de plans au ralenti, aussi inoubliables qu’interlo­
quants. Le film, étouffant depuis ses premières minutes,
LE DÉSIRER QU’ON L’IMAGINE va refuser de se refermer sur une respiration et préfé­
rera une montée foudroyante de paranoïa, d’étrangeté
BIEN CONNAÎTRE UN SORT et d’ambiguïté, remettant potentiellement en ques­
tion tout ce qu’on vient de voir jusque­là (l’intrigue,
À LA SORCERER. le genre et l’horizon). Une sidération, une énigme, en­
core, toujours, presque quarante­cinq ans après. Tous
ceux qui pensaient, parfois à raison, que le cinéma de
tile et inconnu – une idée que le cinéaste a toujours re­ Walter Hill était joliment rétro, gentiment macho, obs­
fusé de commenter, qu’il a ensuite fini par revendiquer, tinément rustaud risquent de ne pas en revenir. Une
avant de l’envoyer paître dans les bonus conçus pour somme de bouquins sur le sujet les attend désormais
ce disque… Cette lecture ne relève en rien du contre­ au rayon import (les Français ne devraient pas tarder à
sens mais elle a donné l’impression de suffire, d’offrir s’y employer), tout comme le Blu­ray 4K épatant de ce
toutes les clés de Sans retour, ce qui l’a circonscrit à un film. L’époque semble à ce point le désirer qu’on l’ima­
genre (les films Vietnam des 80s) auquel il n’appartient gine bien connaître un sort à la Sorcerer, objet cousin
pas et lui aura probablement coûté une bonne partie de devenu tellement déterminant et indiscutable que tout
sa postérité (vous avez eu récemment envie de revoir le monde a fini par oublier ses décennies de purgatoire.
Platoon, vous ?). Un malentendu, un de plus, qui viendrait en dissiper un
autre, mais nous rapprocherait cette fois d’une certaine
Slasher-bayou idée de la vérité : au cœur de l’œuvre de Walter Hill,
Il s’agit donc d’une traque : une dizaine de types qui ne Sans retour est sans égal. u
sont pas tout à fait des militaires (et ne possèdent que des
balles à blanc) se font pourchasser et décimer par quelques
paysans au beau milieu des marais de Louisiane, et ceci
parce qu’ils ont commis l’erreur fatale de leur piquer leurs
canoës. Raconté depuis le point de vue des réservistes, S A N S R E T O U R (S O U T H E R N C O M F O R T )
qui sont aussi des civils et pour la plupart pas franche­ De Walter Hill • Avec Keith Carradine, Powers Boothe, Fred
ment des lumières, Sans retour va inspecter avec beau­ Ward… • En Blu-ray et UHD • Éditeur Vinegar Syndrom
coup de méticulosité les dynamiques socioculturelles (import)
à l’œuvre à l’intérieur du groupe, quitte à ce qu’aucun
membre ne suscite d’ailleurs le moindre désir d’identifi­ A WA LT E R H I L L F I L M – T R A G E D Y A N D M A S C U L I N I T Y I N
T H E F I L M S O F WA LT E R H I L L
cation. Leur horizon était fédérateur (retrouver quelques De Walter Shaw • Éditeur MZS Press (en anglais)
prostituées locales une fois la randonnée terminée),

Avril 2024 73
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CRITIQUES

PAS BIEN DU TOUT


PAS BIEN
ASSEZ BIEN
EN SALLES

BIEN
Le mal n’existe pas

Ricky Stanicky

SUPER BIEN
CHEF-D'ŒUVRE
STREAMING
La Fièvre

SÉRIES
Avril 2024 75
EN SALLES

10 AVRIL |
LE FILM

LE MAL N’EXISTE PAS


DU MOIS

Après Drive my car et Contes du hasard… Ryûsuke Hamaguchi sonde à nouveau les mystères
de la nature humaine à travers un drame écolo dont les contours a priori lisibles interrogent
pourtant notre raison. Sublime de bout en bout.

urbaine désireuse de décompresser au grand


air. Le cœur du récit voit une réunion entre
des représentants d’une boîte de com venus
vendre leur « produit » touristique haut de
gamme et des locaux qui pointent un à un
les dégâts d’une telle entreprise. L’extrême
lisibilité de la séquence, où s’affrontent deux
partis identifiés – méchants bobos vs gentils
villageois dont nous avons jusqu’ici épousé
le point de vue –, sera, sinon déjouée, du
moins mise en perspective. Hamaguchi,
fidèle à l’axiome « renoirien » selon lequel
chacun a ses raisons, change alors d’axe de
lecture et nous fait voyager (l’habitacle des
voitures est ici aussi un espace cathartique)
avec ces gens de la ville déroutés par l’ex­
périence qu’ils viennent de vivre/subir dans
la province.

SUBJECTIVITÉ. Cette subjectivité propre


Hitoshi Omika et Ryo Nishikawa
© DR

à estimer la valeur de nos actes est bien la

S
grande affaire du film. Subjectivité dont
i, comme semble l’affirmer le Elle accompagne le mouvement d’appa­ la souveraineté, on l’a dit, sera appelée à
titre du nouveau long métrage de reil dont on pressent la subjectivité mys­ être disloquée. « Ne lâche pas la bûche
l’auteur de Drive my car, le mal térieuse. Un mystère levé dès le deuxième des yeux ! » conseille d’ailleurs l’un des
n’existe pas, il convient tout de plan qui raccorde sur une fillette les yeux protagonistes au novice impressionné par
même de s’interroger sur la portée de nos levés vers le ciel. Hauteurs célestes et inno­ la sérénité avec laquelle celui­ci coupe du
actes et la façon d’appréhender celle des cence inquiète. La musique a brutalement bois. Rien ne doit faire écran à ce regard
autres. À moins que cette formule péremp­ cessé, laissant un vide immédiatement com­ sous peine d’aveuglement et de mensonges.
toire prise dans son acception ironique blé par cette incarnation. Chez Hamaguchi, Nous, spectateurs, face aux images,
invite à marteler l’inverse de ce qu’elle les ruptures apparentes s’inscrivent dans sommes obligés d’adhérer à ce monde tel
entend signifier. Le mal serait alors par­ un continuum harmonieux. La musicalité qu’il est, de ne pas le « lâcher des yeux ». Il
tout, à l’intérieur et à l’extérieur de nous, de sa mise en scène tient dans un apparent nous faudra pourtant accepter de voir cer­
consubstantiel à notre nature humaine. C’est dévoilement des choses. Ce qui n’empêche tains protagonistes s’enfoncer dans l’épaisse
au fond un peu la même chose. D’ailleurs, le pas qu’elles puissent nous échapper. Dans forêt et disparaître avant que, tel un écho
génial Ryûsuke Hamaguchi ne tranche pas Drive my car, l’enregistrement de la voix lointain, le travelling originel ne reprenne
et préférera nous laisser sur un épilogue à d’un être décédé recouvrait ainsi l’absence sa course. La cime des arbres est désormais
sorties multiples plutôt que de nous « fau­ de son omniprésence. Ici, deux travellings rehaussée d’un crépuscule. Hors champ, une
cher dans le sens du poil ». Le surgissement latéraux révéleront tout à la fois les prémices respiration. Un homme, une bête ? Nous ?
inattendu d’une violence sourde brouille­ de la disparition d’une enfant et son évapo­ Le malin ? C’est le battement même du film.
ra les pistes, laissant exsangue la (dé)rai­ ration effective. Être et avoir été. u THOMAS BAUREZ
son même d’un film qui semblait pourtant
avancer sur un chemin balisé. Partons plutôt DANS LA FORÊT. L’action principale du ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ As Bestas (2022), Dark
de ses premières images : un long travelling film se situe dans un village près de Tokyo. Waters (2019), Promised Land (2012)
dévoilant la cime des arbres, dont les bran­ La nature préservée par une population sous
chages nus se découpent sur un ciel laiteux. cloche est menacée avec l’arrivée d’un pro­ Aku wa sonzai shinai • Pays Japon • De Ryûsuke
La musique à la solennité évidente de la jet de « glamping » (mot valise pour « cam­ Hamaguchi • Avec Hitoshi Omika, Ryo
Nishikawa, Ayaka Shibutani... • Durée 1 h 46
fidèle Eiko Ishibashi emplit tout l’espace. ping glamour ») censé rameuter une foule

76 Avril 2024
20 MARS |

HORS-SAISON
Un grand et beau film d’amour signé Stéphane
Brizé, porté par l’alchimie incandescente entre
Alba Rohrwacher et Guillaume Canet.

On a tendance à l’oublier, mais avant son exploration du monde


du travail avec La Loi du marché, En guerre et Un autre monde,
Stéphane Brizé a commencé par parler d’amour. Dans Le Bleu des
villes, son premier long en 1999, suivi de Je ne suis pas là pour être
aimé, Entre adultes et Mademoiselle Chambon, qui lui a valu son Guillaume Canet et Alba Rohrwacher

© DR
seul César à ce jour. Avec Hors-saison, coécrit par Marie Drucker,
il renoue avec les origines de son cinéma, dans un geste d’un roman­ et Lui, mais jamais, depuis des années, il n’était apparu aussi lumi­
tisme pur. Hors-saison retrace l’histoire d’un homme, comédien en neux, aussi à nu devant la caméra d’un réalisateur. Face à lui, les
vue qui, après avoir planté une pièce de théâtre, vient se ressourcer mots manquent pour qualifier l’interprétation si juste, si précise, si
en thalasso. Dans ce petit coin de Bretagne, il retrouve une femme dépouillée, si profonde d’Alba Rohrwacher. Ce film, c’est avant tout
aimée quinze ans plus tôt, dont il s’était séparé et qu’il avait perdue le leur. Celui de leur alchimie renversante. u THIERRY CHEZE
de vue. Accompagné par la BO d’un Vincent Delerm très inspiré,
Brizé filme cette passion endormie qui peu à peu ressurgit mal­
gré eux – car ses protagonistes sont, chacun, en couple – avec une ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ Un homme qui me plaît (1969), Les Regrets (2009),
sensibilité qui n’a d’égal que la précision du regard amoureux qu’il Mademoiselle Chambon (2009)
porte sur ses deux comédiens, laissant leurs silences, leurs regards,
leurs peaux rougissantes en dire plus que mille mots. Guillaume Pays France • De Stéphane Brizé • Avec Guillaume Canet, Alba
Rohrwacher, Sharif Andoura… • Durée 1 h 55
Canet a certes déjà joué des doubles de lui­même dans Rock’n Roll

20 MARS | 20 MARS |
SMOKE SAUNA SISTERHOOD LA JEUNE FILLE ET LES PAYSANS
Au loin, une cabane isolée Après La Passion Van
au fond d’un bois ennei­ Gogh, les Welchman
gé où plusieurs femmes reviennent dépoussiérer
s’engouffrent, laissant le cinéma d’animation.
derrière elles le froid gla­ Dans un style pictural fin
cial de l’hiver estonien. XIXe inspiré des peintres
À l’intérieur, une chaleur de la Jeune Pologne, le
étouffante : celle du sauna duo brosse le portrait de
© DR

© DR

à fumée, lieu sacré puri­ l’enivrante Jagna, jeune


ficateur du corps et de l’âme. C’est au cœur de ce rituel ances­ femme indomptable prisonnière d’un mariage forcé. Mais au
tral fennique que la réalisatrice estonienne Anna Hints plonge sa rythme des récoltes saisonnières, sa révolte va peu à peu faire
caméra. Alors que des silhouettes nues s’extirpent de l’obscurité trembler la terre de son village putréfié par le patriarcat… Adapté
et se forment dans les nuages de vapeur, les sens s’activent et la du prix Nobel de littérature Les Paysans de Wladyslaw Reymont
parole, elle, se délie. Se succèdent des monologues aussi doulou­ (1924), ce film­tableau fascine d’emblée par la richesse de son
reux que pudiques sur la sexualité et la maladie, au rythme des animation. La magie s’opère réellement lorsque la bande­son de
gouttelettes ruisselant sur les corps, mélange de sueur et de larmes. L.U.C. & Rebel Babel Film Orchestra fusionne avec les traits
En privilégiant l’écoute de l’autre et la vulnérabilité, la cinéaste impressionnistes, et que les personnages, eux, virevoltent. Mais
revient au fondement même de la sororité et livre un documentaire une danse endiablée n’est jamais éternelle, et le film peine parfois
ensorcelant où des êtres sans visage deviennent figures allégo­ à concilier l’audace de sa forme à sa substance, perdant le fil de ses
riques de la féminité. u LUCIE CHIQUER réflexions sur les dérives communautaires… u LC

Chlopi • Pays Pologne, Serbie, Lituanie • De DK Welchman & Hugh


Pays Estonie, France, Islande • De Anna Hints • Documentaire • Durée 1 h 29 Welchman • Animation • Durée 1 h 54

Avril 2024 77
20 MARS |

VAMPIRE HUMANISTE
CHERCHE SUICIDAIRE
CONSENTANT
La révélation de Falcon Lake se change en vampire
dans cette charmante petite comédie qui réussit à
tracer un portrait mélancolique de la jeunesse.

© PAVLIN SHAWN
Sara Montpetit
Un bon film, ça ne tient à rien : une phrase qui fait rire, un joli
plan, de super acteurs… Vampire humaniste cherche suicidaire
consentant arrive justement à accomplir ce petit miracle dès ses consentant fonctionne grâce à son humour constant (le vocabu­
dix premières minutes : on assiste à une fête d’anniversaire chez la laire québécois joue forcément un rôle là­dedans) qui se charge de
famille vampire, qui va manger un clown un peu nul – et surtout mélancolie aux moments les plus justes. Et aussi grâce à son actrice
réaliser que leur petite fille, trop émotive, n’est pas très chaude à principale, la formidable Sara Montpetit, découverte dans Falcon
l’idée de boire le sang d’autres êtres humains. Arrivée à l’âge adulte Lake de Charlotte Le Bon. Ça ne tient à rien, un bon film ? En fait,
(60 ans, le look d’une jeune fille gothique à frange), alors que la pres­ si, ça tient à beaucoup de choses. u SYLVESTRE PICARD
sion sociale se fait de plus en plus forte, elle va jeter son dévolu sur
un autre gamin dépressif pour franchir le pas. Le grand drame de la ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ Morse (2010), Vampires en toute intimité (2015), How to
découverte de la sexualité – c’est la principale idée du film – racon­ talk to girls at parties (2017)
tée par des vampires québécois, en somme. C’est un premier long qui
fait un peu court métrage pimpé, avec son esthétique à base de photo Pays Canada • De Ariane Louis-Seize • Avec Sara Montpetit, Félix-Antoine
Bénard, Noémie O’Farrell… • Durée 1 h 30
nocturne et de néons, mais Vampire humaniste cherche suicidaire

20 MARS | 20 MARS | 20 MARS |


KARAOKÉ LAISSEZ-MOI CABRINI
© DR

© DR

© DR

Une chanteuse d’opéra ridiculement bour­ Mère très dévouée à un fils en situation de En 1946, sœur Francesca Cabrini est cano­
geoise est recueillie par la femme de handicap, Claudine (Jeanne Balibar) s’ac­ nisée pour avoir dévoué sa vie aux droits
chambre de son hôtel luxueux, après un corde chaque semaine un jour de liberté en des immigrés italiens sur le sol améri­
bad buzz médiatique. Cette dernière l’en­ couchant avec des hommes de passage… cain. Après Sound of Freedom, Alejandro
traîne dans une compétition de karaoké et Avec ce portrait d’une quinqua qui aspire Monteverde raconte son histoire. Il semble
en profite pour lui ouvrir les yeux sur la à une vie romanesque, Maxime Rappaz cependant oublier qu’un personnage central
réalité de la France populaire. Même si le instaure une atmosphère mélancolique et féminin ne rend pas un film automatique­
duo Laroque/Tagbo convainc, Karaoké se hors du temps. Mais la thématique du fan­ ment militant… Mais quoi de mieux que de
limite à une comédie bourrée de clichés sur tasme est traitée d’une manière vue et revue, surfer sur la vague féministe pour porter un
la confrontation des classes, et au discours au sein d’une direction artistique qui nous discours religieux ? La finalité : un récit qui
faussement politique. u BASTIEN ASSIÉ laisse sur notre faim. u DAMIEN LEBLANC tourne en rond et donne le vertige. u LC

Pays France • De Stéphane Ben Lahcene • Avec Pays Suisse, France • De Maxime Rappaz Pays États-Unis • De Alejandro Monteverde
Michèle Laroque, Claudia Tagbo, David Mora… • Avec Jeanne Balibar, Thomas Sarbacher, • Avec Cristiana DellAnna, David Morse, John
• Durée 1 h 29 Pierre-Antoine Dubey… • Durée 1 h 33 Lithgow… • Durée 2 h 20

78 Avril 2024
En salles

20 MARS |

BIS REPETITA
Entre teen movie et romance, Louise Bourgoin et
Xavier Lacaille tiennent les rênes de cette comédie
hilarante, parfaitement ouvragée.

Delphine (Louise Bourgoin) est prof de latin dans un lycée de pro­


vince. Elle a cinq élèves qu’elle occupe pendant quelques heures

© STEPHANIE BRANCHU
hebdomadaires selon un contrat tacite. Contre une paix royale, la
prof leur colle d’office un 19 de moyenne. Et au fond, qui pour la
blâmer ? Les ennuis commencent quand sa classe est sélectionnée
Xavier Lacaille et Louise Bourgoin (au premier plan)
pour un concours d’excellence à Naples. Les cinq branleurs et leur
enseignante démissionnaire vont donc devoir représenter la France
à cette compétition. Ils sont accompagnés dans leur voyage par le et surtout à l’équilibre de la distribution où chaque membre du trou­
neveu de la proviseure, un polard obsédé par sa thèse et l’enseigne­ peau acnéique tient sa place. Mais l’ensemble repose beaucoup sur
ment des langues anciennes. Bis repetita incarne à la perfection le les épaules de Xavier Lacaille qui montre un sens du slapstick étour­
renouvellement de la comédie française dont on vous parle dans dissant et s’impose ici comme le petit frère d’Amalric. u
ce magazine : Émilie Noblet réussit un premier film constamment GAËL GOLHEN
drôle, intelligent et touchant. Les gags sont écrits (ET joués) à la per­
fection, les personnages évitent tous la caricature et la réalisatrice se ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ P.R.O.F.S. (1985), Comment je me suis disputé… (ma vie
permet même quelques belles échappées de pur cinéma (des embar­ sexuelle) (1996), Les Beaux Gosses (2009)
dées antonioniennes avec une Bourgoin d’enfer). Le plus étonnant,
c’est que ce mélange entre le teen movie, la romance et la comé­ Pays France • De Émilie Noblet • Avec Louise Bourgoin, Xavier Lacaille,
Noémie Lvovsky… • Durée 1h 26
die d’hypokhâgneux fonctionne à merveille. Cela tient à l’écriture,

20 MARS |

AVERROÈS ET
ROSA PARKS
Après Sur l’Adamant, Ours d’or 2023, Nicolas
Philibert continue à explorer la psychiatrie dans
un nouveau documentaire de haute volée.

Quand un film en appelle un autre… et même deux (La Machine


à écrire qui sortira le 17 avril). En renouant, vingt­cinq ans après
© DR

La Moindre des choses, avec le thème de la psychiatrie dans Sur


l’Adamant, Ours d’or à Berlin l’an passé, Nicolas Philibert n’avait
sans doute pas anticipé qu’il ne s’arrêterait pas en si bon chemin. l’apparente normalité à la folie dure, fruit de paranoïas aussi dan­
Il a tiré un fil qui l’a poussé à aller rencontrer ailleurs que sur cette gereuses pour les malades que pour leur entourage. Traversé par la
péniche, qui offre un cadre de soins et des ateliers culturels, des même humanité que Sur l’Adamant, avec des respirations permet­
malades en souffrance psychique. Plus précisément à Averroès et tant d’encaisser et digérer les moments déchirants qui le peuplent,
Rosa Parks – qui donnent leur nom à son nouveau documentaire –, Averroès et Rosa Parks est d’abord et avant tout un hommage aux
deux unités de l’hôpital Esquirol (appartenant lui aussi au Pôle de soignants, à leur capacité d’écoute, à leur don d’eux­mêmes, et à ce
psychiatrie Paris­Centre). Une fois encore, le résultat impressionne sourire apaisant qui ne les quitte jamais y compris dans les situa­
par cette capacité inouïe de Philibert à capter (toujours sans voix off tions les plus critiques. u TC
ni commentaire) des moments incroyablement intimes sans faire de
ses spectateurs des voyeurs. Toujours à bonne distance pour ne pas ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ 12 jours (2017), Funambules (2022), Sur l’Adamant (2023)
se faire intrusif, mais refusant de détourner le regard même quand Pays France • De Nicolas Philibert • Documentaire • Durée 2 h23
les échanges entre malades et soignants basculent en un instant de

Avril 2024 79
20 MARS |

IMMACULÉE
Le casting d’Euphoria continue de transiter avec
réussite au cinéma. Après Reality et Tout sauf toi,
Sydney Sweeney s’essaie cette fois à l’horreur.

Cecilia (Sydney Sweeney), une jeune religieuse américaine, est


recueillie par un couvent au fin fond de l’Italie. À mesure qu’elle

© BBP IMMACULATE, LLC


s’intègre au groupe et s’occupe des sœurs mourantes, elle observe
une atmosphère étrange, qui atteint son paroxysme lorsqu’un
miracle survient : bien que vierge, elle serait tombée enceinte.
Sydney Sweeney et Álvaro Morte
Concis et efficace, ce long métrage étonne de prime abord par son
scénario. Alors qu’on pouvait s’attendre à ce que l’horreur trouve
son origine dans la spiritualité et que le film soit une énième varia­ fait contemporaines comme le sort d’une grossesse non désirée, et
tion du film de possession, Immaculée dévie de ce programme tout impressionne par la solution qu’il apporte (que l’on aurait cru ini­
tracé et remet plutôt en question les structures patriarcales et d’en­ maginable dans le cinéma américain), dans une séquence finale
fermement des femmes, ici symbolisées par ce couvent dirigé par sidérante, où la violence n’a d’égal que le talent d’interprétation de
un homme (Álvaro Morte, El Profesor de La Casa de Papel). Par ce Sydney Sweeney. u NICOLAS MORENO
retour aux fondamentaux qui firent le succès de la nunsploitation
dans les années 70, outre quelques screamers dispensables, le film ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ Le Couvent de la bête sacrée (1974), Benedetta (2021),
se révèle être une véritable surprise lorsqu’il apparaît clairement que La Nonne (2018)
la grossesse sera son enjeu décisif. En transposant plutôt bien les
codes du genre horrifique à une oppression systématique de Cecilia, Immaculate • Pays États-Unis, Italie • De Michael Mohan • Avec Sydney
Sweeney, Simona Tabasco, Álvaro Morte… • Durée 1 h 29
corps comme psyché, le film surprend à poser des questions tout à

20 MARS | 20 MARS |
UNE FAMILLE LE MONDE EST À EUX
En 2018, Catherine Cor­ « C’est différent, mais ça
sini s’attaquait au récit a pour but qu’on réus-
d’autofiction de Christine sisse. » Le moins que
Angot, Un amour impos- l’on puisse dire, en effet,
sible, qui remontait à la c’est que c’est différent.
© SYLVIE BISCONI

racine de sa tragédie : la Au lycée Delacroix de


rencontre de ses parents, Drancy, Jérémie Fonta­
menant à l’inceste que nieu, prof d’économie aux
© DR

lui fera subir son père. allures de jeune loup de la


Cinq ans plus tard, Angot reprend les rênes de sa propre histoire. finance, tente une « expérimentation inédite ». Chaque année, les
Exorciser son traumatisme par l’écriture ne semble plus suffisant, élèves de terminale les moins prometteurs de ce lycée de banlieue
il s’agit maintenant de chercher réparation. Alors, l’autrice devient défavorisée subissent un intensif coaching afin d’obtenir le saint
réalisatrice. La plume devient caméra. Une caméra embarquée Graal : baccalauréat et, si affinités, admission en classe prépara­
avec laquelle Christine Angot confronte un ennemi de taille : toire. La méthode et le film, réalisé par le prof lui­même, laissent
le silence. Par un besoin vital de le briser, elle hausse la voix et parfois songeur. Tout passe par la discipline (les parents, réguliè­
entame (parfois de force) le dialogue avec ceux qui ont été com­ rement sollicités par SMS, sont invités à devenir partie prenante
plices, pour finir par s’immiscer dans la zone de confort du spec­ de l’éducation des enfants), et cette mécanique a parfois l’allure
tateur. En résulte un documentaire brut et incisif, inconfortable de cruauté, voire du mépris de classe. Aussi agaçant soit­il par
mais nécessaire, dans lequel résonne la colère d’une femme qui moment, ce documentaire pose cependant d’importantes questions
plus jamais ne se taira. u LC sur le poids du déterminisme social, et ce que cela coûte de s’en
extraire, de plein ou contre son gré. u EMMA POESY

Pays France • De Christine Angot • Documentaire • Durée 1 h 22 Pays France • De Jérémie Fontanieu • Documentaire • Durée 1 h 15

80 Avril 2024
En salles

27 MARS | 27 MARS | 27 MARS |


MÊME SI TU VAS O CORNO, UNE PATERNEL
SUR LA LUNE HISTOIRE DE FEMMES

© LES FILMS DU CLAN : MICRO CLIMAT STUDIOS


© AMADOR LORENZO
© DR

Accueillis par un professeur d’université, Dans l’intimité d’une chambre, une femme L’incapacité de l’Église à se moderniser ins­
quatre étudiants réfugiés syriens racontent en aide une autre à avorter. Cette scène d’ou­ pire les cinéastes. Dans Magnificat, Virgi­
leurs vies passées dans un pays en guerre, verture constitue le point névralgique de ce nie Sauveur racontait l’histoire d’une femme
leurs souvenirs en France et leurs projets drame choc, qui raconte le destin d’une devenue prêtre en réussissant à garder le
d’avenir. Entre les allers­retours du noir et infirmière reconvertie dans l’avortement secret sur son sexe. Ronan Tronchot met, lui,
blanc à la couleur et les passages en ani­ clandestin en période franquiste. Si le sujet en scène un prêtre qui voit débouler dans sa
mation, le documentaire tente de dynamiser est important, le film trimbale son héroïne vie son ex et l’enfant de 11 ans qu’il a eu avec
leurs témoignages mais peine à dépasser la d’un lieu à l’autre sans savoir où aller. De elle avant d’entrer dans les ordres. Porté par
monotonie des séquences. Laurent Rodri­ l’avortement à la prostitution, de l’exil à la un Grégory Gadebois une fois encore remar­
guez compile les bribes de vie quotidienne libération sexuelle, on peine à cerner les quable, le film reste trop scolaire dans la
de ces jeunes en quête d’une identité poli­ intentions de la réalisatrice dans ce trop­ conduite de son récit pour aller au­delà de la
tique et culturelle. u BA plein de canevas. u YOHAN HADDAD simple illustration de son sujet. u TC

Pays France • De Laurent Rodriguez O corno • Pays Espagne… • De Jaione Camborda Pays France • De Ronan Tronchot • Avec Grégory
• Documentaire • Durée 1 h 33 • Avec Janet Novás, Julia Gomez… • Durée 1 h 45 Gadebois, Géraldine Nakache… • Durée 1 h 32

27 MARS |

L’AFFAIRE ABEL TREM


Primé à la Mostra de Venise, ce film hongrois
plonge au cœur du mensonge et sonde avec malice
le spectateur sur la véracité de ce qu’il voit.

Tout commence par un bobard. Celui que va naïvement raconter


Abel (Gáspár Adonyi­Walsh, magnétique) pour justifier son échec
au baccalauréat d’histoire, sans se rendre compte qu’il vient d’ac­
© VAJDA­REKA8

tiver une réaction en chaîne. Car en expliquant à son père nationa­


liste qu’il ne s’est pas simplement planté à son oral mais qu’il en a
Lilla Kizlinger et Gáspár Adonyi-Walsh
été injustement recalé par son professeur libéral car il portait une
cocarde, le jeune homme, dépassé par les événements, va déclen­
cher un virulent scandale médiatique. De là, Gábor Reisz s’amuse. coiffeuse, la coiffeuse à sa voisine, et ainsi de suite, jusqu’à se
En déclinant l’histoire selon trois points de vue différents (Abel, le retrouver déposséder d’un petit mensonge initialement amplifié
père, l’enseignant) et en jouant avec l’ambiguïté, le réalisateur prend sans arrière­pensées… Avec brio, Gábor Reisz explore comment
un malin plaisir à piéger le spectateur. Un classique effet Rashômon une histoire peut se métamorphoser à force de passer dans la bouche
qui brouille les pistes, et nous incite à questionner la fiabilité des d’intermédiaires que la politique a nécrosés. u LC
perceptions : lequel de ces personnages voit les événements comme
ils le sont réellement ? En plus d’une structure narrative espiègle, ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ L’Innocence (2023), Elephant (2003), 71 Fragments
L’Affaire Abel Trem s’avère particulièrement sagace dans son évoca­ d’une chronologie du hasard (1995)
tion des dérives du colportage de rumeurs. Car rien n’est plus rapide
que le bouche­à­oreille : un père qui en dit trop à son médecin, Magyarázat mindenre • Pays Hongrie, Slovaquie • De Gábor Reisz • Avec Gáspár
Adonyi-Walsh, István Znamenák, András Rusznák… • Durée 2 h 07
le médecin qui répète tout à son chauffeur, le chauffeur à la

Avril 2024 81
27 MARS |

KUNG FU PANDA 4
Retour du panda bagarreur dans un opus traversé
en sourdine par une interrogation sur le temps qui
passe… Marrant, véloce, efficace : du travail de Po.

Huit ans se sont écoulés depuis Kung Fu Panda 3. Les enfants nés
à l’époque du premier volet seront bientôt adultes. Le temps file.
Ça s’entend d’ailleurs dans la voix de maître Shifu – celle de Dustin
Hoffman, en VO, de plus en plus caverneuse. Et dans ses propos,
aussi, quand il annonce au début du film qu’il est temps pour Po, le

© DR
panda expert ès­kung­fu, de céder à quelqu’un d’autre son titre de
« Guerrier Dragon » et d’envisager une reconversion en chef spiri­ quelle créature – bonne astuce de scénario pour rameuter d’anciens
tuel de la vallée de la Paix. Mais Po, héros encore immature mal­ adversaires de Po et affirmer la dimension « best of » et rétrospec­
gré les années au compteur, peut­il s’assagir, lui qui n’aime rien tant tive de cet épisode. Le temps file, on regarde en arrière. La série des
que botter des fesses entre deux dégustations de raviolis ? Kung Fu Kung Fu Panda n’aura peut­être pas engendré de très grands films,
Panda, cette franchise qui carbure aux intrigues génériques et aux mais force est d’admettre qu’à force de persévérance, Po a gagné ses
bons moments vite oubliés, peut­elle prétendre à l’historicité des galons de vrai héros de cinéma. u FRÉDÉRIC FOUBERT
grandes sagas ? C’est la (petite) tension théorique à l’œuvre dans ce
quatrième opus, par ailleurs surtout rempli de péripéties rigolotes, de ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ Dragons 3 : le monde caché (2019), Kill Bill : volume 2
combats virtuoses et de vannes débitées avec entrain par un casting (2004), Tigre et dragon 2 (2016)
vocal grand style. Awkwafina double une renarde débrouillarde qui
va aider Po/Jack Black à affronter la très méchante lézarde Camé­ Pays États-Unis • De Mike Mitchell & Stephanie Stine • Avec les voix (VO)
de Jack Black, Awkwafina, Viola Davis… • Durée 1 h 34
léone, super personnage capable de prendre l’apparence de n’importe

27 MARS | 27 MARS |
LA PROMESSE VERTE APOLONIA, APOLONIA
Plus qu’un succès, un Né du coup de foudre de
phénomène de socié­ la réalisatrice Lea Glob
té ! Avec Au nom de la pour son sujet (l’artiste
terre, Édouard Bergeon Apolonia Sokol), Apo-
a marqué durablement lonia, Apolonia suit le
les esprits comme on a parcours de cette peintre
pu le constater lors de la danoise sur treize années,
Félix Moati et Alexandra Lamy récente crise agricole où il de ses études aux Beaux­
© DR

© DR

apparaît toujours comme Arts de Paris au début de


une référence. S’il a touché aussi juste, c’est parce qu’il connaissait sa carrière aux États­Unis, jusqu’à sa pleine consécration. S’il reste
son sujet sur le bout des doigts, la tragédie qu’il racontait ayant été quelque chose de fondamentalement irrésolu dans ce film (pour­
vécue par sa famille. Pour son deuxième long, au lieu de creuser quoi avoir suivi cette peintre plutôt qu’une autre ? Qu’a­t­elle de
le même terrain, il a choisi de partir ailleurs. La Promesse verte particulier ?), la trajectoire d’Apolonia Sokol s’avère, au bout du
met en scène le combat d’une mère pour sauver son fils, injuste­ compte, plutôt passionnante. De sa relation bouleversante avec la
ment condamné à mort en Indonésie car piégé après avoir voulu Femen ukrainienne Oksana Shachko aux pratiques scandaleuse­
dénoncer les actions illégales d’exploitants d’huile de palme. Le ment néolibérales du marché de l’art américain, le documentaire
geste est noble mais sa non­maîtrise précise du sujet l’entraîne à donne à voir suffisamment de séquences originales pour dépasser
simplement singer en moins bien des dizaines de films du même le stade du simple exercice égocentrique. On regrettera juste sa
type. Sans souffle, enchaînant les situations convenues, ses deux forme trop éparse pour véritablement développer un propos sur
heures paraissent interminables. u TC l’art contemporain aujourd’hui. u NM

Pays France • De Édouard Bergeon • Avec Alexandra Lamy, Félix Moati,


Sofian Khammes… • Durée 2 h 04 Pays Danemark, Pologne • De Lea Glob • Documentaire • Durée 1 h 55

82 Avril 2024
En salles

27 MARS | 27 MARS |
JOUR DE MERDE LOS DELINCUENTES
Harcelée par son ex­mari Morán, employé de
toxique, rabaissée par sa banque sans histoire,
boss et accompagnée par décide un beau jour de
son gosse insupportable, voler une grosse somme
Maude doit se rendre en d’argent dans le coffre de
plein milieu de la forêt son lieu de travail. Son
québécoise pour apporter plan ? Après avoir purgé
Réal Bossé et Eve Ringuette 7,5 millions de dollars à Daniel Elias et Margarita Molfino une courte peine de pri­
© DR

© DR
Gaétan Dubois, gagnant son, Morán pourra profi­
du loto, et l’interviewer. À bout de nerf et noyée par les obliga­ ter de l’argent caché au préalable par son collègue Roman, homme
tions, elle se confronte à un homme déconnecté de la réalité. Ce discret qui sait se faire oublier. De ce postulat délirant, Rodrigo
qui devait être un rapide aller­retour se transforme en une journée Moreno contourne le film de casse pour se pencher sur les consé­
interminable lorsque l’heureux bénéficiaire se révèle être aussi quences d’un acte aussi démesuré, préférant ignorer la bêtise du
étrange que déconcertant. Après une vingtaine de courts métrages, geste afin de mieux se concentrer sur ses exécutants. Le motif
Kevin T. Landry signe pour son premier long un thriller en huis du braquage devient alors un formidable prétexte pour parler de
clos aux airs de comédie qui témoigne de son expérience pour le l’hypocrisie d’hommes obnubilés par l’argent, qui n’hésitent pas à
montage et la direction d’acteurs. En jouant sur un humour façon­ changer de personnalité afin d’assouvir leur soif de virilité. Grâce
né par son rythme, Jour de merde est dominé par une violence à sa durée fleuve, Moreno prend le temps de dérouler son truculent
froide mais toujours en retenue : comme un ras­le­bol au bord de récit, enchaîne les twists, et impose un parfum burlesque qui n’est
l’explosion. u BA pas sans rappeler le cinéma des frères Coen. Un bonheur. u YH

Pays Canada • De Kevin T. Landry • Avec Eve Ringuette, Réal Bossé, Pays Argentine, Chili, Brésil, Luxembourg • De Rodrigo Moreno
Louka Bélanger-Leos… • Durée 1 h 31 • Avec Daniel Elias, Esteban Bigliardi, Margarita Molfino… • Durée 3 h 10

27 MARS |

LE JEU DE LA REINE
La vie de Catherine Parr, dernière épouse du roi
Henri VIII. Derrière le récit d’empowerment
féminin, un film en costumes plutôt académique.

Le Brésilien Karim Aïnouz, célébré notamment pour son fabuleux


mélo La Vie invisible d’Eurídice Gusmão (2019), change d’air et
de braquet avec ce projet de prestige, tourné en anglais, avec stars
au générique (Alicia Vikander, Jude Law) et sélection en compéti­
Jude Law et Alicia Vikander
© DR

tion au Festival de Cannes. Mais ce qui faisait la singularité de son


cinéma se dissout dans un film de facture passe­partout, plus for­
maté que véritablement porté par une vision d’auteur. Adapté d’un d’assurer le spectacle en roi mourant d’une vilaine infection de la
best­seller signé Elizabeth Fremantle, Le Jeu de la reine brosse le jambe, crado et libidineux, puant et vociférant, confirmant avec
portrait de Catherine Parr, sixième et dernière femme d’Henri VIII, cette performance très divertissante la tournure bouffonne qu’est en
souverain à la réputation de Barbe­Bleue anglais qui avait l’habitude train de prendre sa filmo, après son rôle de Capitaine Crochet dans
de décapiter ses épouses. Parr est une reine éclairée, séduite par le le dernier Peter Pan. Mais même cette amusante prestation histrio­
protestantisme. Cet attrait pour la modernité va la faire passer pour nique, au final, finit par sembler mécanique. u FF
une hérétique et mettre son existence en danger… Aïnouz envisage
la relation entre Parr et son monstrueux époux comme un drame sur ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ Les Tudor (2007), Le Dernier Duel (2021),
la violence domestique, à la lisière du huis clos horrifique. Mais sa Tulip Fever (2017)
célébration de l’empowerment féminin, qui plaque sur la période un
point de vue très contemporain, est au fond assez banale, et finit par Firebrand • Pays États-Unis, Grande-Bretagne • De Karim Aïnouz
• Avec Alicia Vikander, Jude Law, Eddie Marsan… • Durée 2 h
dessiner les contours d’un nouvel académisme. Jude Law se charge

Avril 2024 83
27 MARS |

PAS DE VAGUES
Teddy Lussi-Modeste signe un film passionnant
de nuances et de complexité autour d’un prof
accusé de harcèlement par une de ses élèves.

Pas simple de débarquer en salles avec un vent contraire, surtout


de manière aussi injuste ! En février, la bande­annonce de Pas de
vagues a enflammé le net, ses contempteurs reprochant au film…
tout ce qu’il n’est pas ! C’est­à­dire le portrait à charge, sans nuance,
François Civil

© DR
d’une collégienne semblant accuser à tort de harcèlement son pro­
fesseur. Comme un geste provocateur sur un sujet de société brûlant.
Or, dans ce scénario coécrit avec Audrey Diwan, Teddy Lussi­ aussi comment la hiérarchie va abandonner ce dernier par peur du
Modeste (Jimmy Rivière) cherche justement l’inverse : raconter la qu’en­dira­t­on. Dans notre monde dopé aux faits divers, où toute
complexité de situations trop souvent racontées de manière mani­ tentative de parole équilibrée est balayée par la course au buzz, Pas
chéenne. Un geste d’autant plus fort et résilient qu’il s’est lui­même de vagues apporte un contrepoids essentiel. Ne vous fiez pas aux
retrouvé dans une situation similaire alors qu’il enseignait en ban­ rumeurs, plongez au cœur de la complexité qu’il propose. u TC
lieue parisienne (il a été blanchi). Plus que la vérité sur ce qui s’est
réellement passé, Pas de vagues insiste sur la notion de percep­
tion des choses. Il montre, par exemple, comment la jeune Leslie ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ Detachment (2012), Un métier sérieux (2023), La Salle
a réellement cru être harcelée parce qu’à trop vouloir être proche des profs (2024)
de ses élèves et cool, son prof (François Civil, remarquable) a créé
– involontairement – de la compétition entre eux et le sentiment Pays France • De Teddy Lussi-Modeste • Avec François Civil, Toscane
Duquesne, Shaïn Boumedine… • Durée 1 h 32
d’en délaisser certains quand il en préférait d’autres. Le film décrit

3 AVRIL | 3 AVRIL |
LE VIEIL HOMME ET L’ENFANT QUELQUES JOURS PAS PLUS
Thröstur Leó Gunnarsson et Expulsé de son exploi­ Critique rock… trop
Hermann Samúelsson tation du fin fond de rock, Arthur a fini par
l’Islande pour cause de pousser le bouchon trop
travaux pour une centrale loin. Après le saccage de
hydroélectrique, un vieil sa chambre d’hôtel, son
homme taiseux acquiert rédac’ chef décide de le
© PIXELLEPHOTO

une maison dans la ban­ coller aux infos générales.


lieue de Reykjavik. Bien Benjamin Biolay et Camille Cottin Un nouveau poste où il
© DR

que guère original, le va se retrouver à couvrir


portrait de ce bourru au grand cœur ne manque pas de charme. l’évacuation d’un camp de migrants. Un changement radical qui
Jusqu’à ce que le récit bascule : alors qu’il a pris sous son aile l’en­ va bousculer son destin quand mis KO par un CRS, il tombe sous
fant des voisins, délaissé par ses parents séparés, ceux­ci vont le le charme de la responsable d’une association de réfugiés et, pour
soupçonner d’intentions pédophiles… que ne dénie pas le petit la séduire, accepte d’accueillir un jeune Afghan chez lui. Sur un
garçon, qui sait pourtant que tout est faux. Là, un autre film com­ sujet proche du dernier Nakache & Toledano, Julie Navarro signe
mence, plus dérangeant, moins écrit d’avance. Mais, hélas, Ninna un premier long métrage savoureux où, à l’exception d’une der­
Pálmadóttir botte en touche et ne questionne jamais la raison de nière ligne droite trop mièvre, l’équilibre entre chronique socié­
la trahison de cet enfant envers cet homme qui lui avait redonné tale, comédie et romantisme fonctionne à merveille. Son film a
le sourire, conscient que ce « sacrifice » va ressouder ses parents. cependant un atout majeur : Benjamin Biolay, irrésistible d’auto­
Jusque dans une prouesse finale maladroite. Comme si la cinéaste dérision (la scène où il ironise sur sa propre chanson est un régal)
avait eu peur de sa propre audace. Dommage. u TC dans la meilleure composition de son parcours de comédien. u TC

Solitude • Pays Islande, Slovaquie • De Ninna Pálmadóttir • Avec Thröstur Pays France • De Julie Navarro • Avec Benjamin Biolay, Camille Cottin,
Leó Gunnarsson, Hermann Samúelsson... • Durée 1 h 15 Amrullah Safi… • Durée 1 h 43

84 Avril 2024
En salles

3 AVRIL |

YURT
Portrait d’un adolescent tiraillé entre laïcité et
éclosion religieuse dans la Turquie de 1996,
ce premier film frappe par sa force émotionnelle.

Il faut bien s’y faire : situer un film dans les années 90 relève
désormais du récit historique et de la chronique d’un passé révolu.

© DULAC DISTRIBUTION
C’est le cas pour le réalisateur Nehir Tuna, qui raconte ici de façon
semi­autobiographique le tournant de l’année 1996 en Turquie à
travers l’histoire d’Ahmet, garçon de 14 ans envoyé dans un inter­
Doga Karakas et Can Bartu Aslan
nat religieux par son père qui cherche à inculquer à son fils pureté
et droiture. Mais la particularité du quotidien d’Ahmet est qu’il fré­
quente le jour une école privée laïque où l’ambiance idéologique divers et variés. Ne reculant devant aucune tentation stylistique
est très différente de celle du pensionnat et des études coraniques (l’intense noir et blanc de l’image laisse place en cours de film à
qu’il retrouve le soir. Laïcité le jour et Islam la nuit : le tiraillement des couleurs plus éclatantes), cette reconstitution d’une époque aux
de l’adolescent illustre à merveille la profonde division de la société conséquences encore vivaces impressionne par son énergie et son
turque qui a vu le jour au milieu des années 90, moment où le pou­ ampleur sensorielle. u DL
voir islamiste s’est invité dans la vie politique et où des oppositions
brutales ont secoué le pays. Cette toile de fond est surtout l’occa­ ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ Stand by me (1986), Billy Elliot (1999), Les Herbes
sion pour le cinéaste de dresser le puissant portrait d’une adoles­ sèches (2023)
cence bouillonnante où le jeune héros va, entre amitiés naissantes,
troubles collectifs et amours frustrées, se forger sa propre vision Pays Turquie, Allemagne, France • De Nehir Tuna • Avec Doga Karakas,
Can Bartu Aslan, Ozan Çelik… • Durée 1 h 56
du monde et trouver son indépendance au milieu d’entourages

3 AVRIL | 3 AVRIL | 3 AVRIL |


LA BASE DIEU EST UNE FEMME LES EXPLORATEURS :
L’AVENTURE
FANTASTIQUE
© DR

© DR

© DR

Vadim Dumesh nous embarque dans un Ce documentaire est une porte ouverte sur Rien n’est plus puissant que l’imagination.
monde peu exploré par les caméras : la un autre : le film sur la communauté des Alfonso, garçon casse­cou, transforme lui­
base de taxis de l’aéroport de Roissy où les Kunas du Panama (où la femme est sacrée) même sa vie en aventure : un moulin devient
chauffeurs attendent d’être dispatchés dans réalisé en 1975 par Pierre­Dominique une créature géante, une voiture devient un
les terminaux. Un travail de longue haleine Gaisseau, invisible jusque­là pour cause de dragon menaçant, et lui devient chevalier,
indispensable pour se faire accepter qui s’est faillite mais dont une copie a été miraculeu­ par la seule force de ses fabulations. Avec
étalé sur plusieurs années (Covid inclus). sement retrouvée. Peyrot raconte l’histoire ses amis Arthur et Victoria, bien réels eux,
Mais la durée de son documentaire joue de ce film et l’excitation des Kunas en le il se met en tête de sauver les habitants de
contre lui et, en 72 minutes, il doit se conten­ découvrant, dans un geste à la fois cinéma­ sa ville d’un homme d’affaires vaniteux.
ter d’empiler les témoignages et portraits de tographique, sociologique et ethnologique. Drôle et pétillant, rempli de courses­pour­
chauffeurs sans aller plus loin que le simple Malgré tout, une certaine primauté à la suites épiques, aucun doute que ce joli film
constat des choses. On en ressort frustré. u TC cérébralité tient un peu trop à distance. u TC saura exalter les plus jeunes. u LC

Pays France • De Vadim Dumesh • Documentaire God is a woman • Pays Panama, France, Suisse Quixotes – The Heirs of La Mancha • Pays Allemagne
• Durée 1 h 12 • De Andrés Peyrot • Documentaire • Durée 1 h 25 • De Gonzalo Gutiérrez • Animation • Durée 1 h 27

Avril 2024 85
3 AVRIL |

BLACK FLIES
En suivant des urgentistes dans les ténèbres new-
yorkaises, Jean-Stéphane Sauvaire transcende
un matériau classique par son regard halluciné.

La New York des urgences, des gyrophares dans la nuit, des vies bri­
sées aperçues à la volée, le temps de charger le brancard dans l’am­
bulance, direction l’hôpital le plus proche… C’est un matériau connu,
une iconographie balisée (d’À tombeau ouvert à la série New York 911)

© DR
Sean Penn et Tye Sheridan
dont s’empare dans Black Flies (découvert en compétition à Cannes)
le Français Jean­Stéphane Sauvaire, adaptant un livre de Shannon
Burke, romancier qui a lui­même été paramedic à New York. Tye plus haut point d’intensité, et d’y rester. Une ligne de dialogue résume
Sheridan joue Ollie Cross (on entend « Holy Cross », la Sainte Croix), le mélange de prosaïsme et de lyrisme du film : « Il y a nous [les
apprenti urgentiste, qui veut devenir médecin, guérir le monde, le urgentistes], les morts et les mourants. » La conclusion (une compi­
sauver – quand il n’est pas dans sa tenue d’ambulancier, il porte un lation de vues new­yorkaises sur fond de Wagner, qui donne l’impres­
blouson lui faisant des ailes d’ange dans le dos. Aux côtés d’un vieux sion que Sauvaire ne peut plus s’arrêter de filmer) dit superbement que
briscard lessivé joué par Sean Penn, il va entamer un voyage de plus cette histoire est sans fin. u FF
en plus dangereux dans la cour des miracles new­yorkaise. Peut­on
traverser les ténèbres sans se laisser happer par elles ? Après Johnny ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ À tombeau ouvert (2000), Colors (1988), New York 911
Mad Dog et Une prière avant l’aube, Sauvaire poursuit sa quête d’un (1999)
cinéma sensoriel, hypnotique, où l’envie d’élévation spirituelle se mêle
au réalisme brutal, à une volonté d’uppercut, créant à l’arrivée une Asphalt City • Pays États-Unis • De Jean-Stéphane Sauvaire • Avec Tye
Sheridan, Sean Penn, Katherine Waterston… • Durée 2 h
sensation de vérité semi­hallucinée. L’idée est d’atteindre d’emblée le

3AVRIL | 3 AVRIL |
DRIVE-AWAY DOLLS IL PLEUT DANS LA MAISON
Margaret Qualley et Depuis que les frères C’est l’été en Wallo­
Geraldine Viswanathan Coen ont décidé de mener nie, il fait chaud, mais
des carrières solo, Joel les vacances ne sont
a signé une adaptation pas à l’ordre du jour
très arty de Macbeth, qui pour Purdey et son frère
manifestait son besoin de Makenzy. Entre un père
changer d’air. Et Ethan, disparu et une mère
alors ? Désormais associé Purdey et Makenzy Lombet absente, les deux sont
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à sa femme Tricia Cooke, comme livrés à eux­


il signe avec Drive-Away Dolls une compilation des pires tics du mêmes, précarisés dans une maison qui tombe en ruine. Elle, fait
cinéma coenien. Deux copines lesbiennes (l’une prude, l’autre délu­ des ménages dans un complexe hôtelier ; lui, vole des touristes de
rée) y sont poursuivies de la Côte Est à la Floride par des criminels toutes les façons possibles. Deux manières âpres de rappeler le bon
qui veulent récupérer la mystérieuse valise qu’elles ont emportée temps de ceux qui ont le temps et l’argent de partir en vacances,
par mégarde dans leur voiture de location… Accents texans­ploucs là même où vivent ces deux adolescents, forcés de grandir trop
pas drôles, autoréférences fatiguées à Fargo et The Big Lebowski, vite pour s’en sortir. Le film intéresse surtout pour les rapports de
prestation cartoonesque ratée de Margaret Qualley… Si l’action classe qu’il distille dans chacun de ses personnages, et qui parfois
du film se passe dans les 90s, c’est, nous dit­on, parce que le scé­ les surpasse, à l’image d’une discussion qui dérape brutalement en
nario a été écrit à cette époque­là. Soit celle de l’âge d’or des Coen, tentative de noyade. C’est prometteur, passionnant parfois, mais
quand les frangins enchaînaient les classiques. Et qu’Ethan avait les séquences manquent un peu de force, au montage notamment,
jugé préférable de laisser Drive-Away Dolls au fond d’un tiroir. u FF pour faire oublier les intentions derrière le film. u NM

Pays États-Unis • De Ethan Coen • Avec Margaret Qualley, Geraldine Pays Belgique, France • De Paloma Sermon-Daï • Avec Makenzy Lombet,
Viswanathan, Beanie Feldstein… • Durée 1 h 24 Purdey Lombet, Donovan Nizet… • Durée 1 h 22

86 Avril 2024
En salles

3 AVRIL | 3 AVRIL |
AGRA, UNE FAMILLE INDIENNE SIDONIE AU JAPON
Dix ans après Titli, une Avant­hier en Irlande (À
chronique indienne, le propos de Joan), demain
quadragénaire Kanu Behl en Corée du Sud (A Tra-
poursuit sa fougueuse veler’s Needs, primé à
exploration du nord de Berlin), ici au Japon,
l’Inde avec ce drame Isabelle Huppert voyage,
familial où un jeune s’acclimate et devient le
Mohit Agarwal homme à la libido explo­ Isabelle Huppert et Tsuyoshi Ihara territoire même du film.
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sive sème la confusion Fictions qui deviennent
quand il annonce à ses parents vouloir se marier avec une collègue peu ou prou des documentaires d’une actrice propre à tout reconfi­
de travail. Habile, le scénario imagine une configuration spatiale gurer à son image. Élise Girard avance dans son drame climatisé
originale dans laquelle le héros vit au rez­de­chaussée avec sa en assumant cette (omni)présence. Pour preuve, c’est dans les rets
mère pendant que son père loge à l’étage avec sa maîtresse. Cepen­ de l’imaginaire de Sidonie­Huppert que peut naître un véritable
dant, cette organisation dysfonctionnelle doit changer maintenant trouble. Le spectre d’un mari disparu surgi d’une conscience sou­
que le fils souhaite s’affranchir et, de plus, une société immobilière dain perturbée confronte l’héroïne à sa propre tangibilité. Dom­
va entrer dans l’équation… Par sa mise en scène au cordeau, le mage que ce rapport existentiel reste dans les clous d’un récit où
cinéaste révèle avec brio toute la frustration qui habite une socié­ les pistes intéressantes ne manquaient pourtant pas. Parmi elles : la
té remplie d’étouffants tabous. Et c’est notamment à travers des notion d’écriture, d’inspiration et de traduction, la Sidonie en ques­
scènes de sexe rageuses que ce film remuant réussit à exprimer les tion étant une écrivaine en tournée promo. Coécrit avec la regret­
désirs refoulés d’un monde qui brûle à petit feu. u DL tée Sophie Fillières, ce voyage dépayse beaucoup trop peu. u TB

Agra • Pays Inde, France • De Kanu Behl • Avec Mohit Agarwal, Vibha Pays France, Allemagne, Japon, Suisse • De Élise Girard • Avec Isabelle
Chibber, Rahul Roy… • Durée 1 h 50 Huppert, Tsuyoshi Ihara, August Diehl… • Durée 1 h 35

3 AVRIL | 10 AVRIL |
ET PLUS SI AFFINITÉS SEMAINE SAINTE
Peu convaincus par Leiba, aubergiste juif droit
Jumeaux mais pas trop, dans ses bottes, cherche à
le premier long du duo se protéger lorsque l’un de
Ducray­Meance, et ses employés, un chrétien
encore moins par Senti- belliqueux, le menace de
mental, le film espagnol mort. Nouvelle variation
© JULIEN PANIÉ

Julia Faure et insupportablement mora­ autour du thème de l’an­


Bernard Campan lisateur qu’ils ont choisi Doru Nicolae Bem tisémitisme, Semaine
© DR

de « remaker », on atten­ sainte prend le temps de


dait avec scepticisme le grand triomphateur du festival de l’Alpe dérouler son action et choisit d’épouser le point de vue de Leiba
d’Huez (prix du Public et double prix d’interprétation pour Isabelle afin d’historiographer les années qui précèdent la Shoah. Mais
Carré et Bernard Campan). À tort. Car si la colonne vertébrale du plutôt que de prendre parti pour son protagoniste, Andrei Cohn
récit reste la même (le face­à­face, le temps d’un dîner, entre un choisit d’opposer deux êtres acariâtres, qui utilisent le prétexte de
couple usé par vingt­cinq ans de vie commune et leurs voisins aux la religion afin de libérer leurs pulsions meurtrières. En lorgnant
mœurs débridées) et que la forme n’échappe pas au théâtre filmé, très adroitement vers les grandes œuvres du « slow cinema », le
Ducray et Meance ont réussi à y insuffler de la malice, un zeste film réussit à montrer brillamment la propagation d’une haine
d’émotion qui faisaient défaut à Sentimental, et surtout à rééquili­ insidieuse qui trouve sa justification dans un contexte d’extrême
brer les rôles pour ne plus enfermer le jeune couple (Julia Faure et pauvreté. Le drame laisse alors place, dans une dernière heure
Pablo Pauly, irrésistibles) à des rôles de faire­valoir. La comédie y majestueuse, à un pur objet horrifique. u DAVID YANKELEVICH
gagne, le plaisir pris devant les échanges aussi. u TC

Gefilte Fish • Pays Roumanie, Suisse, France, Turquie • De Andrei Cohn


Pays France • De Olivier Ducray & Wilfried Meance • Avec Isabelle Carré, • Avec Doru Nicolae Bem, Corneliu Ciprian Chiriches, Mario-Gheorghe
Bernard Campan, Julia Faure… • Durée 1 h 17 Dinu… • Durée 2 h 13

Avril 2024 87
3 AVRIL | 3 AVRIL | 10 AVRIL |
XALÉ, LES BLESSURES JEUNESSE MON LES AVENTURIERS
DE L’ENFANCE AMOUR DE L’ARCHE DE NOÉ
© DR

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© DR
La vie quotidienne de jeunes gens, dans une Une bande d’amis de jeunesse qui se Drôle de film, qui tente la relecture de
banlieue de Dakar. Adama annonce à sa sœur retrouvent, après des années qui ont peu à l’arche de Noé façon Star Academy, où deux
Awa qu’il rêve de quitter le pays pour vivre peu distendu le lien qui les unissait, le temps souris organisent un concours de chant pour
en Europe. Tout près, une autre adolescente, d’une après­midi où les non­dits d’hier vont empêcher les prédateurs de bouffer tous les
Fatou, est contrainte par sa grand­mère mou­ remonter à la surface. Pour son premier long animaux. Carburant à un character design
rante d’épouser son oncle. Moussa Sène Absa métrage, Léo Fontaine a choisi d’explorer mollasson en forme de sous­Pixar, entre
ne manque pas d’imagination pour mettre en un terrain tellement arpenté par le cinéma caricature et hyperréalisme, et bourré de
scène cette fable sur la jeunesse condamnée qu’il se révèle incapable de faire entendre vannes qui font jeune (Dieu reproche à
de son pays, notamment ces chœurs, autour une petite musique singulière, la faute à des Moïse de laisser des messages vocaux trop
des acteurs, qui donnent à leurs trajectoires personnages, des situations et des échanges longs car il « préfère les textos »), Les Aven-
des airs de tragédie antique. u EP trop enfermés dans des archétypes. u TC turiers de l’arche de Noé ne conviendra qu’à
un public bien peu exigeant. u SP

Xalé • Pays Sénégal, Côte d’Ivoire • De Moussa Pays France • De Léo Fontaine • Avec Manon
Sène Absa • Avec Nguissaly Barry, Rokhaya Bresch, Matthieu Lucci, Dimitri Decaux… Arca de Noé • Pays Brésil, Inde • De Sérgio
Niang, Roger Salah… • Durée 1 h 41 • Durée 1 h 10 Machado & Alois Di Leo • Animation • Durée 1 h 35

10 AVRIL |

ROSALIE
Abordant le thème de la femme à barbe, Stéphanie
Di Giusto contourne les attentes et livre un film
délicat porté par l’excellente Nadia Tereszkiewicz.

Pour son deuxième long métrage après le remarqué La Danseuse,


Stéphanie Di Giusto a choisi de traiter avec douceur un sujet auda­
cieux et peu exploré par le cinéma contemporain : celui de la femme
à barbe. S’inspirant lointainement de l’histoire de la tenancière de
Nadia Tereszkiewicz
© DR

bar Clémentine Delait, la réalisatrice place l’action dans la France


de 1870 et suit les pas de Rosalie, une jeune femme au corps tout
entier recouvert de poils qui décide d’abord de cacher ce secret hor­ époux angoissé, s’avèrent à ce titre remarquables. Le film se fait par
monal. Mais après avoir épousé le gérant du café d’un village tran­ contre plus prévisible au niveau des seconds rôles et de la descrip­
quille, cette héroïne intrépide va assumer au grand jour son statut tion des réactions hostiles de la foule. Et à défaut de faire totalement
de femme à barbe et la révélation de cette pilosité crée un profond chavirer nos cœurs, cette romance atypique et amère a le mérite
trouble auprès des villageois. Abordé comme une histoire d’amour d’élever nos esprits. u DL
et d’affranchissement presque ordinaire, ce récit sensible évite soi­
gneusement de montrer des cirques ou autres fêtes foraines et pré­
fère insister sur la sensualité d’un corps pas comme les autres. Par ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ La Belle et la Bête (1946), Elephant Man (1980), La Fille
sa singularité et sa liberté, Rosalie semble ainsi apaiser et réparer les de Ryan (1970)
tourments de son mari qui a été traumatisé par la guerre. Les inter­
prétations de Nadia Tereszkiewicz, exceptionnelle de délicatesse Pays France • De Stéphanie Di Giusto • Avec Nadia Tereszkiewicz, Benoît
Magimel, Benjamin Biolay… • Durée 1 h 55
dans le rôle de la femme à barbe, et de Benoît Magimel, parfait en

88 Avril 2024
En salles

10 AVRIL | 10 AVRIL |
PAR-DELÀ LES MONTAGNES QUITTER LA NUIT
Un type passe par la Au cœur de la nuit, un
fenêtre des toilettes, se appel d’urgence signale
saisit d’une barre de fer, à demi­mot l’agression
entre dans un open space, d’une femme dans une
pulvérise son poste de voiture, tétanisée par la
travail avant de se jeter peur, et par son chauffeur.
par la fenêtre. Il répétera Au bout du fil, une opé­
Majd Mastoura cette défenestration dans Veerle Baetens ratrice du 112, troublée.
© DR

© DR
un commissariat. En fait, De longues premières
Rafik (Majd Mastoura vu dans Les Filles d’Olfa) prétend avoir le minutes façon polar, en apnée, qui auront suffi à hanter le reste
pouvoir de voler. Ce que personne ne croit évidemment puisqu’il du film. C’est en reconstituant ce récit et ses zones d’ombre, à la
atterrit toujours, inerte, sur le bitume. Sa belle­mère lui lance sans manière d’un puzzle à trois visages, que les souvenirs de cette nuit
ironie : « Pourquoi tu as tout foutu en l’air ? » Peur du confor­ tragique refont surface. Les trois sont douloureux, différemment.
misme sûrement. C’est en tout cas la direction politique prise par Chacun y fait face à sa manière. Et si les destins sont plus que
le cinéaste Mohamed Ben Attia (Mon cher enfant) qui regarde de prévisibles – celui du combat judiciaire notamment –, Delphine
biais une société middle­class étouffée. Par-delà les montagnes Girard, toujours à bonne distance, ne laisse place ni à l’excès d’em­
intrigue d’abord (dans quel film est­on exactement ?), puis se pose pathie ni au mépris pour ses protagonistes et raconte aussi bien
pour se terrer dans une maison (prise d’otages à rallonge), là où l’agresseur dissimulé et le fils adulé, la victime traumatisée et la
l’on aurait voulu que ce drame fantastique décolle enfin pour de mère/femme en quête de reconstruction. u LOU HUPEL
bon. Voler n’est pas jouer. u TB

Oura el Jebel • Pays Tunisie, France, Belgique… • De Mohamed Ben Attia Pays Belgique, France • De Delphine Girard • Avec Selma Alaoui, Veerle
• Avec Majd Mastoura, Walid Bouchhioua, Samer Bisharat… • Durée 1 h 38 Baetens, Guillaume Duhesme… • Durée 1 h 48

10 AVRIL | 10 AVRIL |
LES 4 ÂMES DU COYOTE ENYS MEN
Une résistance pacifique Si les films de folk horror
s’organise autour d’un reposent parfois unique­
pipeline qui traverse une ment sur une culture et
réserve amérindienne : des pratiques inconnues
un vieil homme raconte du personnage principal
à cette occasion le récit pour faire surgir le réel,
de la création du monde, Enys Men se distingue
des animaux et des êtres Mary Woodvine radicalement par son
© DR

© DR

humains, et notamment la recours quasi exclusif à la


création de Coyote, un esprit polymorphe et trompeur. Les 4 Âmes nature, libérée de toute communauté. Sur une île dans les Cor­
du Coyote s’empare de la mythologie pour raconter le monde : nouailles, une femme observe et étudie une plante, au jour le jour,
rien de bien neuf au programme, mais le film est complètement et écrit dans un précieux carnet son état, stable : « No change. »
à rebours des films d’animation balisés et proprets qui arrivent Il est difficile de ne pas penser à la Jeanne Dielman de Chantal
régulièrement sur nos beaux écrans. Ça paraît banal de dire ça Akerman tant cette femme, seule, répète chaque jour les mêmes
mais le film est vraiment hyper beau, jouant sur les formes et les gestes dans le même ordre, et lutte contre un dérèglement de son
couleurs au gré de l’inspiration et des modulations du récit : le quotidien dont elle ne comprend pas l’origine. Peu à peu, la nature
climax qui rejoue la création d’Adam et Ève donnant naissance à de l’île semble reprendre ses droits, et il suffit d’un raccord ou
la civilisation industrielle est un moment de cinéma et d’écriture d’un indice sonore pour la découvrir sous un autre jour, hostile.
assez ahurissant. Oui, on est bien loin des produits formatés qui Sur cette fleur que l’on pensait immuable, se mirent à pousser les
sous­estiment fortement leur public. u SP fleurs du mal. u NM

Pays Grande-Bretagne • De Mark Jenkin • Avec Mary Woodvine, Edward


Kojot négy lelk • Pays Hongrie • De Áron Gauder • Animation • Durée 1 h 43 Rowe, Flo Crowe… • Durée 1 h 31

Avril 2024 89
En salles

26 AVRIL |

MADAME HOFMANN
Sébastien Lifshitz raconte l’hôpital public à travers
le portrait d’une infirmière fragilisée, sur le point
de prendre sa retraite. Humain et politique.

Tout débute par un rendez­vous chez un médecin. Sylvie Hofmann,


infirmière cadre dans un service oncologique d’un hôpital des
Bouches­du­Rhône et héroïne – dans tous les sens du terme – de ce
documentaire, a perdu l’ouïe. Suspicion d’AVC, surmenage, stress…
Cette scène inaugurale donne le ton de ce qui va suivre : la dernière

© DR
ligne droite, mouvementée, de Sylvie avant son départ à la retraite,
au terme de quarante ans de bons et loyaux services dans le même et d’échanges avec le mari ou la mère, toujours à bonne distance, et
établissement. Sébastien Lifshitz l’a suivie pendant un an. Et une les mêle aux moments où Sylvie Hofmann se confie hors caméra et
fois encore, le réalisateur d’Adolescentes réussit un tour de force en exprime tout ce qu’elle tait à son encontre : ses doutes, ses angoisses,
mêlant longue et courte focale, collectif et individuel. En dressant ce stress qui la ronge… Incroyablement forte et pourtant si fragile.
un état des lieux de l’hôpital public tout en racontant cette femme Le tout en seulement 1 h 44 après un nouveau travail virtuose de
sans filtre, roseau qui plie mais ne rompt jamais malgré les cancers montage. Profondément humain et puissamment politique. u TC
à répétition de sa mère, celui qui la menace à terme, les soucis car­
diaques de son compagnon et son rythme infernal au travail où la
pandémie de Covid n’a fait qu’aggraver une situation déjà chaotique. ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ La Permanence (2016), De chaque instant (2018),
Le film est à son image : jamais désespéré, avec chevillée au corps Revivre (2024)
une foi dans les générations qui arrivent. Lifshitz capte, comme à Pays France • De Sébastien Lifshitz • Documentaire • Durée 1 h 44
son habitude sans commentaire en voix off, ces scènes de groupes

10 AVRIL |

NOUS, LES LEROY


José Garcia et Charlotte Gainsbourg tentent un
road-trip de la dernière chance pour sauver leur
couple. Souvent très drôle, mais surtout émouvant.
© FRANCOIS DOURLEN ­ NOLITA
Sandrine Leroy veut divorcer. C’est comme ça, rien à faire, ses deux
enfants sont grands et plus rien ne la retient dans un mariage dont
la routine et les violences verbales l’étouffent. Mais Christophe,
son loueur de voitures de mari bien trop absent, tente le tout pour
Charlotte Gainsbourg et José Garcia
le tout afin de sauver son couple : un dernier week­end à quatre sur
les routes du passé et les endroits clés de leur histoire familiale.
Assez pour rallumer la flamme ? À partir de ce vrai/faux suspense, zones industrielles ou les petits bleds sont soudain chargés d’une
Nous, les Leroy fait l’anatomie à l’envers d’une histoire d’amour, se flamboyance et d’une humanité insoupçonnées. Un road­trip tra­
plaçant alternativement du point de vue des adultes et des gamins gi­comique à la recherche de la drôlerie dans le pathétique, et inver­
(Lily Aubry et Hadrien Heaulmé, toujours justes). Il y est question sement. La deuxième partie, émouvante car sans concession, offre à
de souvenirs jamais à la hauteur (les lieux revisités par les Leroy ont José Garcia et Charlotte Gainsbourg leur plus belle partition depuis
perdu leur pouvoir de fascination d’antan), de rencontres contrariées longtemps. u FRANÇOIS LÉGER
(un patron de restaurant parfaitement lourdingue ou un caricaturiste
condescendant) et d’une nostalgie dévorante. Grand Prix du festival ALLEZ-Y SI VOUS AVEZ AIMÉ Tandem (1987), Little Miss Sunshine (2006), Funny
de l’Alpe d’Huez, un – premier – film sincèrement charmant, mais People (2009)
qui cherche parfois son rythme, et où le réalisateur Florent Bernard,
notamment coscénariste de Vermines ou du Flambeau, s’impose Pays France • De Florent Bernard • Avec José Garcia, Charlotte
Gainsbourg, Lily Aubry… • Durée 1h43
en héritier du Patrice Leconte de Tandem. Devant sa caméra, les

90 Avril 2024
guide des sorties
AVRIL 2024 - MAI 2024
(Les films que la rédaction n’a pas pu voir avant le bouclage du numéro sont en italique)

> Le Jeu de la reine > Il pleut dans la maison > Sans cœur
20 MARS de Karim Aïnouz de Paloma Sermon-Daï de Nara Normande & Tião
(Critique page 83) (Critique page 86) (déjà critiqué n°544)
> Averroès et Rosa Parks
de Nicolas Philibert > Jour de merde > Jeunesse mon amour > Semaine sainte
(Critique page 79) de Kevin T. Landry de Léo Fontaine d’Andrei Cohn
(Critique page 88) (Critique page 87)
> Bis repetita (Critique page 83)
d’Émilie Noblet > Les Non Non dans l’espace, > SOS Fantômes :
> Kung Fu Panda 4 La Menace de glace
(Critique page 79) programme de courts métrages
de Mike Mitchell & Stephanie Stine de Jason Reitman
> Blue Summer (Critique page 82) > Quelques jours pas plus
de Zihan Gheng de Julie Navarro
> Los delincuentes (Critique page 84)
(déjà critiqué n°546) de Rodrigo Moreno

LES REPRISES
> Cabrini (Critique page 83) > Rocancourt, le film
d’Alejandro Monteverde de David Serero
> Même si tu vas sur la lune
(Critique page 78) de Laurent Rodriguez > Sidonie au Japon
(Critique page 81) d’Élise Girard
> Fanfare (Critique page 87) 20 MARS
de Léo Grandperret > Mon milieu
de Milo Chiarini > Le Vieil Homme et l’enfant > Rouge comme le ciel
> Hors-saison de Ninna Pálmadóttir
de Stéphane Brizé de Cristiano Bortone
> O Corno, une histoire (Critique page 84)
(Critique page 77) de femmes > Le Voyage d’Amélie… Amelie
de Jaione Camborda > Xalé, les blessures rennt
> Immaculée de l’enfance
(Critique page 81) de Tobias Wiesman
de Michael Mohan de Moussa Sène Absa
(Critique page 80) > Pas de vagues (Critique page 88)
> La Jeune Fille et les paysans de Teddy Lussi-Modeste
> Yurt 3 AVRIL
de DK Welchman & Hugh Welchman (Critique page 84)
de Nehir Tuna
(Critique page 77) > Paternel (Critique page 85) > Le Squelette de madame
> Karaoké de Ronan Trochot Morales
(Critique page 81) de Rogelio A. González
de Stéphane Ben Lahcene
(Critique page 78) > La Promesse verte 10 AVRIL
> Laissez-moi d’Édouard Bergeon > Les Aventuriers de l’arche 10 AVRIL
de Maxime Rappaz (Critique page 82) de Noé
(Critique page 78)
> La Théorie du boxeur de Sérgio Machado & Alois Di Leo > Collateral
de Michael Mann
> Le monde est à eux de Nathanaël Coste (Critique page 88)
de Jérémie Fontanieu > Enys Men > Le Fleuve de la mort
(Critique page 80) de Mark Jenkin de Luis Buñuel
> Les Poussières 3 AVRIL (Critique page 89) > Luca
de Jean-Claude Taki d’Enrico Casarosa
> Agra, une famille indienne > Madame Hofmann
> Smoke Sauna Sisterhood de Kanu Behl
de Sébastien Lifshitz > The Hitcher
d’Anna Hints (Critique page 87)
(Critique page 90) de Robert Harmon
(Critique page 77) > La Malédiction: L’Origine
> La Base d’Arkasha Stevenson
> Une famille de Vadim Dumesh
de Christine Angot (Critique page 85) > Le mal n’existe pas
(Critique page 80) de Ryûsuke Hamaguchi
> Black Flies (Critique page 76)
> Vampire humaniste cherche de Jean-Stéphane Sauvaire
suicidaire consentant (Critique page 86) > Le Naméssime
d’Ariane Louis-Seize de Xavier Bélony Mussel
(Critique page 78) > Le Bon sens
d’Alice Aucler et Lisa Verdiani > Niagara
de Guillaume Lambert
> Dieu est une femme
27 MARS d’Andrés Payrot > Nous, les Leroy
(Critique page 85) de Florent Bernard
(Critique page 90)
> L’Affaire Abel Trem > Drive-Away Dolls
de Gábor Reisz
d’Ethan Coen > Par-delà les montagnes
(Critique page 81) de Mohamed Ben Attia
(Critique page 86)
(Critique page 89)
> L’Antilope d’or, la renarde > Ducobu passe au vert
et le lièvre > Les 4 Âmes du Coyote
d’Élie Semoun d’Aron Gauder
de Lev Atamanov et Youri Norstein
> Et plus si affinités (Critique page 89)
> Apolonia, Apolonia d’Olivier Ducray et Wilfried Méance
de Lea Glob > Quitter la nuit
(Critique page 87) de Delphine Girard
(Critique page 82)
> Les Explorateurs : L’Aventure (Critique page 89)
> L’Attaque du bloc d’or fantastique
d’Olivier Goujon > Réconciliation,
de Gonzalo Guttiérez dans les pas des Cathares
> Les Fées sorcières (Critique page 85) de Freddy Mouchard
de Marion Jamault et Cédric Igodt
> Godzilla x Kong : > Rosalie Retrouver toutes les
> La Flamme verte Le Nouvel Empire de Stéphanie Di Giusto critiques sur Premiere.fr
de Mohammad Reza Aslani d’Adam Wingard (Critique page 88)

Avril 2024 91
STRE AMING / VOD / DVD

PRIME VIDEO | Jermaine Fowler, Zac Efron et Andrew Santino

RICKY STANICKY
Voilà dix ans que les frères Farrelly n’ont plus fait
de comédie. Peter reprend le flambeau avec cette
farce déjantée à l’humour bas du front assumé.

Peter sans Bobby, ça donnait plutôt des films à Oscars, à l’image de


son émouvant Green Book, sacré en 2019 par la statuette suprême
(un peu à la surprise générale). Mais cette fois, Peter refait du Farrel­
ly dans le texte, avec cette farce gentiment allumée, qui fleure bon
la bonne vieille comédie des années 2000. Une forme de retour aux

© DR
sources pour le cinéaste, qui offre à John Cena une plateforme idéale
pour étaler son étonnant sens du timing comique, déjà aperçu dans
la série Peacemaker. Cette fois, il incarne un acteur loser, embauché Très drôle. Les gags assument parfaitement de ne pas voler au­dessus
par trois vieux copains d’enfance. Dean, JT et Wes ont inventé le per­ de la ceinture, avec un William H. Macy impayable en patron adepte
sonnage de Ricky Stanicky pour couvrir toutes leurs bêtises et tous de l’« air masturbation » sans le savoir. Pas de doute, on est bien de
leurs excès depuis qu’ils sont petits. Oui mais voilà, aujourd’hui, leurs retour chez les Farrelly ! u CHARLES MARTIN
conjoints respectifs commencent à trouver ça louche. Alors, pour pro­
téger leur secret, ils engagent un « faux » Ricky plus vrai que nature…
Évidemment, le plan ne va pas se dérouler comme prévu. Évidem­ REGARDEZ SI VOUS AVEZ AIMÉ Mary à tout prix (1998), L’Amour extra-large (2002),
ment, l’homme de paille va s’avérer incontrôlable et va totalement Serial Noceurs (2005)
chambouler leurs vies. Le sketch s’écrit tout seul et ne révolutionne
pas le genre, avec ses bons sentiments de rigueur. Mais il a le mérite Pays États-Unis • De Peter Farrelly • Avec Zac Efron, Andrew Santino, John
Cena… • Durée 1 h 48
d’être survolté, sans le moindre temps mort. Et surtout, c’est drôle.

PRIME VIDEO |

AMERICAN FICTION
Jeffrey Wright brille dans cette satire de la bien-
pensance américaine pour laquelle il a décroché
une nomination aux Oscars plus que méritée.

Précédé d’une excellente réputation (prix du public à Toronto, cinq


nominations aux Oscars), American Fiction a débarqué en catimi­
ni sur Prime Video. Serait­il trop « américain » pour cartonner en
France ? Ou trop « noir » ? Si l’on ose poser cette question, c’est parce
Erika Alexander et Jeffrey Wright
© DR

qu’elle est au cœur de son concept. Jeffrey Wright y incarne The­


lonious « Monk » Ellison, un auteur de romans, qui ne connaît pas
de succès malgré son talent évident, jusqu’au jour où il décide de se qui fait écho à Get out, Sorry to bother you ou The Very Black Show.
défouler dans un texte bourré de clichés et de provocations… qui va En pointant du doigt tout un système, Jefferson tire à balles réelles sur
faire un carton. Surtout auprès des lecteurs blancs. Acheté à prix d’or, les producteurs/éditeurs cherchant à tout prix à se montrer plus inclu­
son manuscrit, qu’il a signé d’un pseudo l’obligeant à se créer un alter sifs tout en proposant dans les faits le contraire absolu d’une démarche
ego de toutes pièces, est même rapidement racheté pour en tirer « un bienveillante. Son excellente réputation n’avait rien d’usurpée. u
film à Oscars ». En adaptant Effacement, de Percival Everett, Cord ÉLODIE BARDINET
Jefferson sait qu’il tient entre les mains une matière assez riche pour
ne pas en faire des tonnes au niveau de la mise en scène, même s’il REGARDEZ SI VOUS AVEZ AIMÉ Get out (2017), Sorry to bother you (2019), Youssef
propose quelques idées rigolotes, comme cette manière de donner Salem a du succès (2023)
vie aux gangstas au langage fleuri, nés de l’imagination de Monk. Et
si American Fiction n’est pas sans défauts (certains éléments de l’in­ Pays États-Unis • De Cord Jefferson • Avec Jeffrey Wright, John Ortiz, Issa
Rae… • Durée 1 h 57
trigue sont trop prévisibles), il s’impose grâce à son humour grinçant,

92 Avril 2024
NETFLIX |

SPACEMAN
Un duo inédit et alléchant sur le papier (Adam
Sandler et Carey Mulligan) dans un film d’une
lourdeur et d’un ennui abyssaux.

Voilà un projet qui était passé sous les radars, peu mis en avant par
Netflix alors que sur le papier l’affiche paraissait alléchante. La pre­
mière rencontre sur grand écran entre Adam Sandler et Carey Mul­
ligan au service d’une intrigue… intrigante à souhait (un astronaute
en pleine mission aux confins du système solaire et coupé du monde
Adam Sandler

© DR
depuis des mois voit débarquer dans son vaisseau une mygale géante
qui se met à communiquer avec lui), le tout mis en scène par Johan
Renck, le réalisateur de la série Tchernobyl, et mis en lumière par le bel et bien aux commandes de cette leçon de psychologie de comptoir
chef op habituel de Joachim Trier ! Mais 1 h 47 ne seront pas néces­ plombée par une direction artistique d’une rare laideur. Seule, parce
saires à comprendre pourquoi un silence poli a entouré ce mix impro­ qu’ayant la chance d’être totalement sous­exploitée, Carey Mulligan
bable et calamiteux de Gravity et Donnie Darko. Car une fois la mise sort à peu près indemne de ce naufrage. Mais une question reste en
en place effectuée, le récit s’enferre dans un simple échange entre cet suspens : que sont­ils tous venus faire dans cette galère ? u TC
astronaute, dont la femme enceinte est sur le point de le quitter, et
cette bête géante qui débite, d’une voix d’outre­tombe, une collection
de banalités sur le pourquoi et le comment de l’importance de pré­ REGARDEZ SI VOUS AVEZ AIMÉ Harvey (1950), Kabluey (2007), Gravity (2013)
server son couple. Tout semble si lourdement solennel (accompagné
d’une insupportable musique planante incessante) qu’on croit avoir Pays États-Unis • De Johan Renck • Avec Adam Sandler, Carey Mulligan,
Lena Olin… • Durée 1 h 47
affaire à une parodie du genre. Sauf que le premier degré se révèle

PRIME VIDEO | MY CANAL+ |


IN THE LAND OF SAINTS ALL THE NAMES OF GOD
AND SINNERS Un attentat à l’aéroport
de Madrid. Deux terro­
Oscar Wilde a dit un ristes se sont fait sau­
jour que la seule diffé­ ter avec leur bombe. Le
rence entre les saints et troisième n’en a pas eu le
les pécheurs était que les cran. Et croyant venir au
saints ont un passé et les secours d’un des blessés,
pécheurs un avenir. Belle un chauffeur de taxi le fait
phrase qui résume bien monter dans son véhicule
Liam Neeson Nourdin Batán et Luis Tosar
© DR

© DR

la condition irlandaise au et devient son otage. Voilà


cinéma – et ce film. Dans l’Irlande des 70s, Finbar (Neeson) est le point de départ de ce thriller efficace quand il se concentre uni­
un tueur à gages repenti et un patron de pub. Après un attentat, il quement sur le chemin de croix flippant vécu par cet antihéros
est obligé de reprendre les armes. Tout est là : l’IRA, la violence (campé par le toujours impeccable Luis Tosar) vers une mort qui
expiatoire, le destin trop lourd à porter (la harpe celtique pendant paraît se rapprocher à chaque seconde. Mais au lieu de rester ainsi
que Finbar lit Crime et Châtiment) et la silhouette de Neeson qui se à l’os, le récit vagabonde hélas entre la famille du chauffeur, tou­
détache sur les tourbières… Le film résume jusqu’à l’écœurement jours marquée par un deuil récent, celle des terroristes dépassée
tout le cinéma gaélique, pour le meilleur (les décors et un Neeson par la situation… et la machine peu à peu se dérègle. Les rebon­
granitique) et pour le pire (les clichés à la pelle). Dans le genre, Mar­ dissements se font de moins en moins crédibles, la réalisation perd
tin McDonagh a fait ça mille fois mieux, mais ce ronronnant Saints de sa nervosité et le propos finit par flirter avec une mièvrerie aux
and Sinners se laisse voir, de préférence au coin du feu. u PIERRE LUNN antipodes de la promesse de départ. u TC

Pays Irlande • De Robert Lorenz • Avec Liam Neeson, Kerry Condon, Jack Todos los nombres de Dios • Pays Espagne • De Daniel Calparsoro • Avec Luis
Gleason… • Durée 1 h 46 Tosar, Inma Cuesta, Nourdin Batán… • Durée 1 h 46 • Disponible le 27 mars

Avril 2024 93
SÉRIES

CANAL+ |

LA FIÈVRE
Après Baron noir, Éric Benzekri revient avec une série qui part du milieu du foot pour raconter la
communication de crise et les luttes d’opinion. Aussi fascinante qu’angoissante, sa démonstration met
malheureusement les émotions en sourdine.

vautrant dans le populisme. Mais rivé à des


archétypes, le showrunner fait défiler des
personnages un peu trop rigides (celui de
Girardot ou l’activiste antiraciste…), dont la
fonction neutralise la puissance d’émotion.

THRILLER PARANO. Les images récur­


rentes des écrans de la war room, gimmick
visuel qui traverse la série pour traduire
le climat de divisions et le sentiment d’ur­
© THIBAULT GRABHERR/QUAD+TEN/CANAL+

gence, n’aident pas. C’est paradoxalement


quand elle s’échappe de l’enceinte du club
de foot où se noue l’action et qu’elle inves­
tit d’autres terrains que la série libère son
potentiel. C’est là que La Fièvre monte véri­
tablement dans un enchaînement de cause
à effet de plus en plus destructeur. À ce
Nina Meurisse
moment, grâce à un montage alterné très

G
efficace, l’émotion contamine la société et
râce à Baron noir, Éric Benzekri frénésie. Un footballeur dérape face camé­ la fiction. Le réalisateur Ziad Doueiri, qui
était un peu devenu le Russell T. ra et devant le gotha du métier, les réseaux a réalisé les trois saisons de Baron noir, est
Davies de Years and Years. À sociaux passent en surchauffe, les experts de retour aux manettes et donne à la série
savoir un oracle, la pythie des des chaînes d’info le clouent au pilori et la les atours d’un thriller parano qui tend un
grands mouvements politiques et sociétaux société civile se fracture en deux camps miroir à la France d’aujourd’hui. Rien que
qui agitent la France. À tel point, comme le (pour ou contre). Sa sortie devient un ter­ pour cela, on a très envie de connaître la
racontait récemment un article du Monde, reau fertile des guerres d’influence et des suite. u JONATHAN BLANCHET
que des conseillers présidentiels se seraient passes d’armes entre communicants de crise
pressés au domicile du scénariste pour qui vont manœuvrer pour faire pencher la REGARDEZ SI VOUS AVEZ AIMÉ Years and Years (2019),
découvrir ce que renfermait La Fièvre. Cette balance d’un côté comme de l’autre. Le sujet La Deuxième Guerre civile (1997), Les Hommes
nouvelle série marque son retour à la créa­ est aussi fascinant qu’anxiogène et Benzekri de l’ombre (2012)
tion originale de Canal+. Comme un contre­ se concentre sur la confrontation entre
champ de Baron noir, cette fresque regarde Sam Berger (Nina Meurisse), spin doctor Pays France • Créée par Éric Benzekri • Avec Nina
moins frontalement l’homme politique idéaliste, et Marie Kinsky (Ana Girardot), Meurisse, Ana Girardot, Benjamin Biolay…
• Nombre d’épisodes vus 6/6
que la société qui l’entoure dans toute sa sa némésis qui assoit son leadership en se

LA PAROLE À… Éric Benzekri, scénariste


« Il y a un cousinage venu très rapidement comme bombe dans cet univers. l’impression que quelque
entre Baron noir et point de départ. Pourquoi ? C’était comme une façon pour chose s’est brisé. Ce qui m’a
La Fièvre. C’est Parce qu’il apporte une caisse nous de tester, en tant que intéressé, c’était de savoir si
exactement le de résonance médiatique scénaristes, les capacités de nous étions encore capables
même monde. Mais énorme et qu’il rassemble résistance de sentir le pays, ce qu’il
avant de faire une toutes les générations de de la société. J’ai 50 ans, faudrait faire pour améliorer
série sur des spin Français. Il y a des footeux ma génération a toujours vécu l’état du débat public…
doctors, j’ai d’abord partout ! Avec mes coauteurs, selon une certaine idée du L’écriture de la série m’a fait
cherché un moyen de parler de on a essayé d’imaginer ce qui progrès technologique, du évoluer. Je pense être moins
notre société. Et le football est se passerait si on plaçait une collectif… Aujourd’hui, j’ai inquiet maintenant. » u JB
© DR

94 Avril 2024
APPLE TV+ |

SUGAR
Une série de détective privé postmoderne qui
repose surtout sur l’extraordinaire performance
de Colin Farrell.

© JASON LAVERIS
« Tout était flou, cru et biblique », écrit Pynchon à propos de L.A.
dans son roman Inherent Vice. C’est une bonne manière de résumer
Colin Farrell
cette nouvelle série post­… Inherent Vice. Réalisée par Fernando
Meirelles, Sugar suit les aventures d’un détective engagé par un
mogul hollywoodien pour retrouver sa petite fille. En chemin, il va ce rôle taillé pour lui. Ce personnage de privé philosophe, si cool
croiser des réalisateurs corrompus, des icônes déchues, et toute la à l’extérieur mais si fracassé à l’intérieur, lui permet de ressusciter
faune interlope de L.A. aussi cabossée que lui. Puzzle énigmatique totalement. L’étude de caractère se tient ; les ressacs de souvenirs
qui rendrait hommage à la fois à Altman et Cassavetes et fonction­ traumatiques secouent ; les pulsions de bruit, de peur, de mort qui
nerait comme un haïku désaccordé, ce show rutilant (parfois limite l’habitent tiennent en haleine ; et sa classe et ses remords lui per­
chichiteux) se suit pour deux raisons. D’abord les fixettes ciné. mettent de faire avancer la série entre suavité et mélancolie, entre
John Sugar est un dingue de cinoche et, comme dans Dream On, renoncement et espoir. u PL
cette obsession contamine le récit. Régulièrement, des extraits de
films noirs qui pulsent dans la tête du héros viennent strier l’écran REGARDEZ SI VOUS AVEZ AIMÉ True Detective (2014), Johnny Staccato (1959),
(avouons que c’est toujours agréable de revoir un jeune Kirk Douglas Dream on (1990)
ou un Bogart lessivé). Mais surtout, il y a Farrell. Affûté et stylé
comme jamais. L’ancien country boy dublinois est passé par tous Pays États-Unis • Créée par Mark Protosevich • Avec Colin Farrell,
les états (jeune premier prometteur, épave bouffie par l’alcool et Amy Ryan, Kirby Howell-Baptiste… • Nombre d’épisodes vus 3/8
• Disponible le 5 avril
acteur surdimensionné). Il a su remonter la pente pour arriver à

PRIME VIDEO / PASS WARNER+ |

LE RÉGIME
Kate Winslet impressionne dans cette satire
politique qui navigue entre farce burlesque et
peinture inquiétante des dérives autoritaires…

Trois ans après avoir scotché le monde entier en flic ombrageuse


(Mare of Easttown), Kate Winslet fait son retour dans une presti­
gieuse production HBO. L’actrice britannique change encore de
registre, méconnaissable dans le rôle d’une dictatrice en puissance.
Kate Winslet
© DR

Dans Le Régime, satire politique réalisée par Stephen Frears, elle est
la chancelière au caractère imprévisible, pour ne pas dire tyrannique,
d’un petit pays d’Europe centrale fictif, qui va peu à peu durcir sa fortuite. Tandis que Kate Winslet multiplie les caprices dans son
politique pour s’approprier totalement le pouvoir. Alors que le reste palais, jonglant habilement entre ridicule et charisme terrifiant, la
du monde libre commence à s’inquiéter de cette dérive autoritaire, et caricature étrille ces sauveurs autoproclamés de la nation. La blague
que la révolte gronde dans les rues, elle se laisse influencer par « le n’en reste pas moins glaçante quand elle se confond avec certaines
Boucher », un soldat fanatique qui vient de massacrer des mineurs réalités contemporaines. u CM
en révolte… Malgré ce pitch particulièrement sinistre, Le Régime
n’est pas une série austère ou trop sérieuse. Will Tracy (Succession) REGARDEZ SI VOUS AVEZ AIMÉ Veep (2012), The Dictator (2012), House of Cards
a écrit une étrange comédie, qui navigue singulièrement entre farce (2013)
quasi burlesque et tragédie politique inquiétante. Installant ce drôle
de ton pince­sans­rire, produisant une forme de malaise parfaitement The Regime • Pays Royaume-Uni, États-Unis • Créée par Will Tracy • Avec Kate
assumée, il raconte la confiscation du pouvoir aujourd’hui. Toute res­ Winslet, Matthias Schoenaerts, Guillaume Gallienne… • Nombre d’épisodes
vus 6/6
semblance avec un dirigeant hongrois ou russe n’est pas forcément

Avril 2024 95
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5 BR et 5 DVD du film 10 DVD du film


Hunger Games : La Ballade Simple comme Sylvain
du Serpent et de l’Oiseau chanteur de Monia Chokri
de Francis Lawrence

CONCEPTION GRAPHIQUE © FIDÉLIO. EDITÉ PAR NOUR FILMS


© 2023 LES FILMS DU BÉLIER ­ L.F.P. ­ LES FILMS PELLÉAS ­
FRAKAS PRODUCTIONS ­ GAUMONT ­ FRANCE 2 CINÉMA

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© 2024 GAUMONT VIDÉO

15 DVD du film 10 DVD et 5 BR du film


Le Temps d’aimer Un hiver à Yanji
de Katell Quillévéré d’Anthony Chen
© 2023­TEMPESTA­SRL­AD­VITAM­PRODUCTION­AMKA­
FILMS­PRODUCTIONS­ARTE­FRANCE­CINEMA­SCALED

10 DVD du film
La Chimère
d’Alice Rohrwacher

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Agenda
M A R S – AV R I L

JUSQU’AU 24 MARS DU 22 MARS AU 1ER AVRIL DU 5 AU 10 AVRIL


Victor Erice La septième édition
(Fermer les yeux) de Cannes Séries
sera l’invité réunira, en parallèle
d’honneur du de sa compétition,
Festival du cinéma une solide sélection
espagnol de hors compétition
Nantes qui, outre où l’on pourra
sa compétition, notamment
proposera découvrir, en
notamment la présence de leurs
projection en créateurs, les très
L’excellent documentaire Smoke Sauna ciné-concert du attendues Terminal
Sisterhood clôturera le Festival sublime de Jamel Debbouze,
international de films de femmes de Blancanieves sur une musique d’Alfonso de Fallout de Jonathan
Créteil. Celui-ci rendra notamment Vilallonga, interprétée par l’orchestre Nolan, Kaiser Karl de Jérôme Salle avec
hommage aux réalisatrices Sophie national des Pays de la Loire et un quatuor Daniel Brühl en Karl Lagerfeld, Franklin
Fillières (avec la projection de La Belle et de musiciens flamenco, en présence de de Kirk Ellis et Howard Korder avec
la Belle en présence de sa fille Agathe son réalisateur Pablo Berger. Michael Douglas et Fiasco d’Igor Gotesman
Bonitzer qui en tient l’un des rôles À Nantes. avec Pierre Niney et François Civil.
centraux) et Yannick Bellon (L’Amour violé) www.cinespagnol-nantes.com Jason Priestley, le héros de la série culte
tout en célébrant, le 22 mars, l’heureuse Beverly Hills 90210, viendra présenter la

24 AU 26 MARS
coproductrice d’Anatomie d’une chute, série policière Wild Cards.
Marie-Ange Luciani, qui racontera le À Cannes.
temps d’une table ronde avec son
DU www.canneseries.com
coproducteur David Thion et sa réalisatrice Le Printemps du cinéma est de retour en

9 AU 14 AVRIL
Justine Triet les coulisses de ce succès 2024. Pendant trois jours, c’est l’occasion
planétaire. d’aller découvrir en salles des films
À Créteil. à seulement 5 euros la séance dans les
DU
www.filmsdefemmes.com 6 000 salles de cinéma de notre pays. Danièle Thompson présidera le jury
Dans toute la France. de la compétition toujours très riche du

20 AU 26 MARS
www.printempsducinema.com quatrième festival Reims Polar,
qui a récompensé au fil des années de son
DU
1ER AU 6 AVRIL
Grand Prix La Loi de Téhéran de Saeed
Roustayi, Assault d’Adilkhan Yerzhanov et
DU Limbo de Soi Cheang.
Le 25e festival Music & Cinema de À Reims.
Marseille proposera une compétition de www.reimspolar.com
dix longs métrages mêlant documentaires
(État limite de Nicolas Peduzzi…) et
fictions (Jour de merde du Canadien Kevin
T. Landry), ainsi qu’une master class de
composition musicale de Pablo Pico,
à qui l’on doit notamment la BO du récent
film d’animation de Benoît Chieux, Sirocco
et le royaume des courants d’air.
À l’affiche ce mois-ci d’Et plus si affinités, À Marseille.
Pablo Pauly sera le parrain de la Fête du www.music-cinema.com
court métrage 2024. Cette manifestation
gratuite proposera plus de 17 000
projections dans plus de 4 300 communes
de métropole et d’outre-mer, mais
aussi dans une soixantaine de pays,
où l’on pourra voir les films en présence
de certains réalisateurs, interprètes
et compositeurs de la BO des films
sélectionnés.
Dans toute la France.
www.lafeteducourt.com
PAR THIERRY CHEZE

Avril 2024 97
Le Film

QUI…
… ne fait rire que vous ?
Sans hésiter Les Anges gardiens. Je suis dingue
de ce film, mais je n’arrive pas à convaincre
grand monde. Dès que je le montre, les gens
s’ennuient… C’est vrai qu’il y a trente minutes
au début un peu longues, mais dès que Clavier
et Depardieu débarquent, c’est un festival.

… vous fout les jetons ?


Je ne suis vraiment pas le bon client pour ça. Je
ne regarde aucun film d’horreur pour la simple
et bonne raison que j’ai vraiment peur et que je
passe des moments horribles. Je n’aime pas ce
genre. Je ne comprends même pas pourquoi les
gens s’infligent ça. Ça ne vient même pas d’un
trauma d’enfant. Parce que gamin, ce qui m’a
vraiment fait flipper, c’était Germinal. Je devais
avoir 9 ans et je te jure que le moment où on
coupe la bite de l’épicier du village est
absolument éprouvant…

… est totalement sous-estimé ?


Tout le monde s’accorde à dire que Phantom
Thread est un grand film, mais c’est plus que ça.
C’est un vrai chef-d’œuvre. Plus je le regarde,
plus le film grandit, et plus il m’offre de
nouvelles pistes de lecture. À chaque fois, je me
demande comment P. T. Anderson a pu mettre
cette histoire en images avec autant de
puissance. Pour moi c’est un film immense et
clairement pas considéré à sa juste valeur.

… définit le mieux le polar ?


Série noire. Le personnage ne fait que des
mauvais choix, enchaîne les pires décisions,
mais pour réparer quelque chose, pour faire le
bien. Il va niquer sa vie pour de nobles raisons.
C’est une bonne définition du genre, non ? Et puis
bon… il y a Dewaere, pas dégueu.

… vous a rendu amoureux de son actrice ?


Je peux regarder Carey Mulligan dans n’importe
quoi, mais dans Maestro, elle est incroyable. Elle
m’impressionne, et encore, le mot est faible. Je
me demande comment on peut convoquer
autant de puissance avec autant de légèreté et
de précision. Tout est retenu, contrôlé. Un peu
comme Daniel Day-Lewis. En découvrant ce
film, je me souviens m’être vraiment demandé
ce que c’était que cette performance. Comment
Pabl o P a u l y
© PHILIPPE QUAISSE / PASCO

lo Pauly sera
a-t-elle pu faire un truc pareil ? us si affinités, Pab
isin très libér
é da ns Et pl de lui proposer
Hilarant en vo s Pol ar. L’occasion idéale
m ËL GOLHEN
… ne se regarde qu’entre potes ? du festival Rei phile. u PAR GA
ce mois-ci jury à notre questionnaire ciné
Forcément, L’aventure c’est l’aventure. de répondre

98 Avril 2024
15000 films et séries sur www.premieremax.com
why not productions et topshot films présentent

louise bourgoin xavier lacaille


avec la participation de avec la participation de

noémie lvovsky francesco montanari


Une grande comedie entre
P.R.O.F.S et Les Beaux Gosses
Premiere

AU CINÉMA LE 20 MARS

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