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RÉVAIGNANTES
O NS La viande française U JO
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S supprimée des plats préparés AL

No 1410 Comme
du 21 au 27 mars 2024 www.marianne.net Alain Delon
POURRISSEZ
LA VIE DE VOS
LA VÉRITÉ N’A PAS DE MAÎTRE
HÉRITIERS !
Il n’y a pas que
Dupont de Ligonnès
La carte des
20 disparitions
les plus
mystérieuses
OLIGARCHIE
Les nouvelles
recrues du dîner
du Siècle
DÉBAT
La médecine
doit-elle
être plus chère
pour être Ce président
meilleure ?
qui craint pour
L 12811 - 1410 H - F: 3,50 € - RD

FRANCE MÉTRO : 3,50€ - AND : 4,90€ - D : 7,50€ - BEL : 4,50€ - ESP : 5€ - GR : 5,50€ - IT : 5€ - LUX : 4,90€ - PORT CONT : 5€ - DOM A : 5,50€ - TOM A : 1600XPF - CAN : 8,95CAD - CHF : 6,50CHF - MAR : 50MAD - TUN : 14TND
L’ÉDITO de Natacha Polony
La passion des idées,
la mesure des arguments
a dictature, c’est “ferme ta gueule”. La démocratie,
«L
c’est “cause toujours”… » Jamais le vieil adage n’a
été aussi vrai. Ce n’est pas le silence qui nous menace
mais le trop-plein. La saturation d’insigniiance. Une
double mécanique mortifère détruit la démocratie :
le déferlement d’informations sans hiérarchie ni recul
et le sentiment chez une part croissante des citoyens
qu’ils n’ont plus de prise sur la marche du monde. Et puisque nous n’y
pouvons rien, se disent-ils, autant chercher l’apaisement. Autant se
replier sur le divertissement. À quoi sert encore un journal ? À l’heure
des smartphones, de ChatGPT et des contenus vidéo, à l’heure des
bulles cognitives et du déferlement des pulsions, tout dans cet objet
semble s’opposer à la pente naturelle de l’humanité connectée. Le
monde craque, les empires s’afrontent de plus en plus violemment,
certains en France et ailleurs rêvent de guerre, la société est traversée
par des tensions et des haines qui la déchirent, des risques existen-
tiels se font jour, que ce soit à travers le dérèglement climatique
ou l’extension incontrôlée de l’intelligence artiicielle. Mais tout
cela se mêle avec la dernière polémique
à la mode, avec la nouvelle tendance de
consommation. Et les médias eux-mêmes
sont lancés dans une course à l’audience qui
Nous sommes
les installe comme auxiliaires des réseaux convaincus qu’une
sociaux plutôt que comme instruments du
débat démocratique.
presse refusant
Marianne, dans sa charte fondatrice, ce conformisme,
en 1997, entendait s’opposer au « pancapi- qui est l’autre nom
talisme », au « conformisme », notamment
d’une « ex-gauche parisienne et bourgeoise
de la soumission
néosoixante-huitarde ralliée au néolibéra- aux puissants, peut
lisme le plus dogmatique », à l’« impérialisme
du profit pour le profit », au « démantèlement
retrouver la confiance
des acquis du progrès social », au « repli des citoyens.
nationaliste » et à la « globalisation » pour
défendre la « nation républicaine » intégrée
à l’Europe des peuples, le « primat de la raison », le libéralisme contre
l’oligarchie, le pluralisme et l’universalisme contre le consumé-
risme et l’enfermement communautaire. Pourquoi ? Parce que ce
positionnement, entre gauche républicaine, gaullistes sociaux et
démocrates humanistes, était « comme le tiers état en 1789 : poten-
tiellement majoritaire dans le pays, représentant politiquement fort
peu de choses et, médiatiquement, quasiment rien ».
Les oligarchies sont plus puissantes que jamais, les outils de
décérébration sont à l’œuvre pour rendre impossible toute forme
de démocratie, mais le projet politique d’un journal d’investigation
et d’engagement, capable de fédérer ceux qui croient encore au
gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple, est plus
nécessaire que jamais. C’est ce qui nous a conduits à repenser
Marianne pour que sa voix porte encore davantage. Face à la fatigue
informationnelle et au trop-plein, nous choisissons d’évacuer le
superlu et de nous concentrer sur l’essentiel, les clefs de compré-
hension des grands bouleversements de l’époque, le dévoilement
des mécanismes destructeurs de la démocratie et des processus
oligarchiques, le décryptage des phénomènes qui passent en des-
sous des radars médiatiques et sur lesquels Marianne fut toujours en
pointe : désindustrialisation, abandons de souveraineté, fragilisation
des classes populaires, recul des services publics, désertiication des
territoires, inanciarisation de l’économie, inféodation aux multi-
nationales et dérégulation généralisée, retour de l’obscurantisme
et obsession identitaire…
Un Marianne, surtout, qui refuse l’aberration du modèle actuel
de la presse, fondé sur la dépendance aux annonceurs et l’aug-
mentation délirante des prix. Parce que nous savons que le pouvoir
d’achat des Français est grignoté de toute part, et parce que nous
ne renonçons pas à nous adresser à tous, nous baissons notre prix
à 3,50 €. Et nous faisons le pari que le développement de nouveaux
formats numériques – vidéos, podcasts, grandes séries d’enquêtes –,
ne se fait pas au détriment du papier
mais vient compléter un travail journa-
listique dont le but principal est de vivre
de son lectorat. En efet, nous sommes
convaincus qu’une presse libre, refusant
ce conformisme qui est l’autre nom de la
soumission aux puissants, peut retrouver
la coniance des citoyens. Une presse cri-
tique ? Oui, parce que critiquer, c’est vou-
loir transformer, et parce que cette femme
cheveux au vent et dépoitraillée qui orne
notre une est la Liberté guidant le peuple
et que nous en sommes iers. Nous croyons
que la presse n’est pas là pour suivre les
options politiques que la fatalité impose (et
risque d’imposer en 2027) ni pour choisir
son camp dans l’empire du moindre mal
mais pour rendre possible l’émergence d’options politiques qui
correspondraient enin aux attentes des citoyens.
« La vérité n’a pas de maître », airme notre une. Nous n’en
sommes pas les propriétaires mais notre travail est de la faire
émerger et d’en tirer notre indépendance, contre le prêt-à-penser,
contre la facilité, contre les compromissions. Contre la tentation,
aussi, de latter les lecteurs dans leurs possibles préjugés et de leur
donner à lire ce qu’ils attendent. Un journal, au contraire, doit être
l’antidote aux bulles cognitives des algorithmes et faire le pari de
l’intelligence, du second degré, de l’impertinence, parfois de la légè-
reté ou de l’ironie. Dans une époque où de grands titres renoncent
aux dessins de presse pour ne pas « ofenser » tel ou tel groupe de
pression, le rire est aussi l’airmation de la liberté (et souvent du
courage), et Marianne est ier de ses dessinateurs et de leur mordant.
Ce nouveau Marianne, qui entend marier la passion des idées et la
mesure des arguments, est le fruit de notre ferveur et de la vôtre. M
21 au 27 mars 2024 - Marianne - 3
 No 1410 du 21 au 27 mars 2024
3 L’ÉDITO de Natacha Polony
La passion des idées,
la mesure des arguments
6 Ce que Marianne
en pense
Bons baisers (électoraux) de Russie
Le match : Tocqueville vs Swift
10 Le dessous des cartes
Corse. Quarante ans de clash
11 INDISCRÉTIONS
Le Sénat peut couler le Ceta
12 LE DOSSIER
La viande française disparaît
des plats préparés
Marianne DÉVOILE
21 Les nouvelles recrues
du dîner du Siècle
Marianne PROPOSE
24 Comment sortir de l’emprise
juridique de l’Europe
4 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
12
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CE PRÉSIDENT QUI
18
Ariel F. Dumont (Italie), Julien Lacorie (Israël),
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Marianne DÉBAT RÉDACTRICE EN CHEF TECHNIQUE : Isabelle Michaux (29 33).
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MAQUETTE : Bertrand Lacanal (direction artistique) (29 27),
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Marianne RACONTE Stéphanie Capitolin Deleau (29 32).
30 Ces 20 disparitions qui hantent PHOTO : Frédérique Briard (29 57), Gaëlle Gauducheau (29 28).
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36 Réguler la télé, une histoire
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“Pas de vagues”,
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par Clément Bénech
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posés sur une sélection d’abonnés, ainsi qu’un message “Marianne”
posé sur la totalité des abonnés France.
LE DESSIN de Gros

21 au 27 mars 2024 - Marianne - 5

 Ce que
Marianne
en pense
Le portrait crashé par Hadrien Mathoux
VALÉRIE HAYER
ou l’empire du vide
rôle de manière d’introduire un portrait, mais dresser le pedigree de
D Valérie Hayer, c’est avant tout parler des autres. Ou précisément du
vide intersidéral dont soufre la Macronie : si prompte à évoquer les
« talents », la majorité présidentielle échoue presque systématiquement
à faire émerger des igures d’envergure. Valérie Hayer est l’incarnation
de cet échec : désignée tête de liste de Renaissance aux européennes après
qu’une bonne poignée d’options jugées supérieures ont refusé, elle fait igure
de 12e roue du carrosse macroniste.
Remplacer Stéphane Séjourné, parti au Quai d’Orsay, et succéder à l’inénar-
rable Nathalie Loiseau, tête de liste en 2019 : voilà qui vous situe un personnage.
Fille et petite-ille d’agriculteurs – ascendance rappelée ad nauseam en forme
de clin d’œil au monde rural –, la Mayennaise a connu un parcours classique
en Macronie. Partie pour une carrière politique modeste dans une formation
centriste de seconde zone (dans son cas l’UDI), la trentenaire a accueilli la fusion
des modérés opérée par Macron comme un cadeau de la Providence. Simple
conseillère départementale en 2017, elle init par entrer au Parlement européen
en 2019 avant de prendre la présidence du groupe Renew Europe (les 101 euro-
députés libéraux à Bruxelles) in janvier, un honneur qui l’a émue aux larmes.
Programmée pour séduire les retraités
Dans les portraits qui lui sont consacrés, ceux qui témoignent usent de for-
mules que l’on ressort lorsqu’on n’a pas grand-chose à raconter : la tête de liste
est donc « une bosseuse », qui ne « compte pas ses heures » et, bien sûr, « connaît
ses dossiers ». Idéologiquement, le paysage est aussi monotone. Hayer rabâche
les éléments de langage sur la défense de « l’Europe » contre « la montée du
populisme », « sans dogmatisme et sans tabou » avec l’enthousiasme d’une intel-
ligence artiicielle programmée pour séduire les retraités. Le ton, lui, est méca-
nique, et elle est de ces politiques qui déplorent que
les Français ne « s’intéressent pas assez à l’UE » avant
de fournir illico la justification de cette
désafection par un exposé léniiant sur les
rouages du Parlement européen.
Ceux qui parviennent à ne pas perdre
le il relèveront quelques énormités. Par
exemple lorsque Hayer compare les par-
tisans de la in des hostilités en Ukraine
avec « Daladier et Chamberlain […] à
Munich en 1938 » ou lorsqu’elle explique
« attendre que les acteurs économiques se
positionnent » pour « répondre aux besoins »
sur l’immigration en France, comme si le
pouvoir politique n’était qu’une courroie de
transmission du Medef. Derrière leurs masques
de technocrates insipides, les autoproclamés
« modérés » peuvent se révéler aussi radicaux que les
« extrêmes » qu’ils dénoncent en permanence. M
6 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
DROIT DU TRAVAIL
Uber restera roi
La Macronie semble avoir perdu une bataille,
mais, en fait, elle a déjà gagné la guerre.
Le 11 mars, les États de l’Union européenne
ont approuvé une directive visant à faciliter
la requaliication des autoentrepreneurs
en salariés, contre l’avis de l’exécutif français.
Un vote célébré par de nombreux élus
de gauche : « La surexploitation de faux
indépendants par Uber & Co, c’est ini », a
salué la députée Danielle Simonnet (LFI). Mais
à y regarder de plus près, le gouvernement a
plus que sauvé les meubles. En décembre 2021,
la Commission estimait que son projet ferait
basculer entre 1,7 et 4,1 millions de personnes
dans le salariat, et rapporterait 4 milliards
d’euros de recettes publiques par an.
Cependant, la proposition a depuis été
vidée d’une bonne partie de sa substance.
Notamment du fait d’une retouche opérée
dès juin 2023 par les États membres :
celle-ci a restreint la « présomption de
salariat » créée par le texte aux seuls recours
individuels. Comprendre ceux que
les chaufeurs et livreurs intentent au cas par
cas devant les prud’hommes. Exit en revanche
les « procédures de Sécurité sociale »,
c’est-à-dire les actions de l’Urssaf permettant
de récupérer des cotisations, qui sont bien
plus menaçantes pour les plates-formes.
Contacté par Marianne, le ministère du
Travail conirme que « la France a soutenu »
ce rabougrissement. Puisque tout continuera
de reposer sur des poursuites ponctuelles et
tortueuses, « on restera quasi sur un statu quo
dans la bataille des requaliications », anticipe
l’avocat Fabien Masson, qui avait gagné
face à Uber devant la Cour de cassation
en 2020. Autant dire que le refus opposé
par le gouvernement pourrait passer
pour un caprice d’enfant gâté. Sébastien Grob
Merci confrères !
L’arrière-cuisine
de “Top Chef”
En presque quinze ans, « Top chef », le rendez-vous
culinaire de M6, est entré par la grande porte
au Michelin des émissions phares. Mais en
poussant la porte de l’arrière-cuisine, Télérama
a découvert que les maîtres queux aimaient autant
le business que la confection de petits plats.
Au nom du partenariat, l’écurie « Top chef » multiplie
les collaborations commerciales et vend ses promus
comme des petits pois, à charge pour les stars
des fourneaux de se transformer en marques
à visage humain. Bon appétit quand même !

VLADIMIR POUTINE
Bons baisers
(électoraux) de Russie
ersonne ne pouvait douter de la
P réélection de Vladimir Poutine,
tant le chemin menant à sa vic-
toire avait été déblayé. Une fois les
concurrents potentiels éliminés,
les contre-pouvoirs balayés et la presse
muselée, bref, une fois les principes
démocratiques oubliés, les incertitudes
sont réduites à peu de chose. Le nou-
veau tsar peut donc parader, déguster
son score de près de 88 % et envisager
la suite des événements, qui risque de
ne pas ressembler à un chemin de roses,
tant le conflit en Ukraine pèsera pour
la Russie, à court et, surtout, à moyen
terme. Aux morts et aux blessés, il faudra
en efet ajouter la note d’une économie
de guerre qui laissera des traces.
Pour autant, il est irresponsable de
douter de la popularité de Vladimir
Poutine, exercice sportif en vogue dans
les pays occidentaux. Quoi qu’on pense
de son action, son aura est indiscutable.
La contester par principe n’aide pas à
comprendre la Russie d’aujourd’hui, qui
ne se résume en rien par les jugements
péremptoires que l’on entend ici ou là,
dignes d’un quiz du commentaire le plus
bête. L’essayiste Jean-François Colosimo,
que l’on a connu plus inspiré, a lancé
Le chiffre qui tue
C’est la part des États-Unis dans les ventes
42 % d’armes à l’échelle de la planète, contre 34 % sur
Maxim Shemetov / Reuters
la période 2014-2018. Sur fond de guerre d’Ukraine,
les Américains consolident ainsi leur titre de premier marchand d’armes,
devant la France (11 %), qui enlève la deuxième place à la Russie. Plus de
la moitié des importations d’armes des États européens sont made in America.
Source : Institut international de recherche sur la paix de Stockholm.
UN SCORE
SOVIÉTIQUE
Le président
russe a été réélu
haut la main
dimanche
17 mars pour
un cinquième
mandat.
dans « C Politique », sur France 5 : « Ce
que Poutine redoute le plus, c’est de finir
comme Saddam, comme Kadhafi : d’être
poursuivi et d’être lynché par son peuple. »
Pour le moment, il est plébiscité, et rien
ne permet de tabler sur une autre hypo-
thèse, à moins de prendre ses désirs pour
la réalité. S’il en est ainsi, c’est parce que
Vladimir Poutine a permis à la Russie de
tourner la page de l’humiliation vécue au
lendemain de l’efondrement de l’URSS,
quand les futurs oligarques ont bâti des
empires sur les ruines du pays, avec
l’aide des experts occidentaux, devenus
des fans de Boris Eltsine, l’homme de
tous les abandons.
Les Russes n’ont jamais oublié cette
bérézina économique, sociale, cultu-
relle et diplomatique, symbolisée par
la toute-puissance de l’Otan. La guerre
d’Ukraine s’explique aussi par ce sen-
timent d’encerclement renforcé par la
volonté occidentale d’intégrer Kiev au
front antirusse. Cela ne justiie en rien
la décision criminelle du Kremlin. Reste
que pour éviter le pire et retrouver la
voix de la paix, mieux vaudrait consi-
dérer que Vladimir Poutine n’est pas
près de tomber comme un immeuble
bombardé par un missile. M Jack Dion
Prenons-les au MOT
LOCAL
MAIS EUROPÉEN
Dans un article des Échos
du 23 février intitulé « Le RN
en campagne pour latter
les agriculteurs », le quotidien
écrivait : « Un nombre croissant
d’agriculteurs se laissent séduire
par le discours du RN qui vante
le “localisme” alors que, au début
du siècle, le mouvement fondé
par Jean-Marie Le Pen prônait une
agriculture productiviste capable
de “nourrir la planète”. » En in
d’année 2023, c’est le Moniteur
qui s’intéressait aux « demandes
en faveur de davantage de localisme
dans les marchés publics » qui
« se heurtent souvent au droit de
l’Union européenne ». Dans l’émission
du 4 janvier consacrée au « localisme
alimentaire » sur France Inter,
l’agronome et directrice de recherche
en sociologie à l’Inra Yuna Chifoleau
datait la prise de conscience
de l’intérêt de manger des produits
locaux à l’afaire de la vache folle.
Le mot « localisme » a fait son
apparition dans le Petit Larousse
illustré 2024, preuve de son utilisation
croissante. Il est formé à partir
du mot « local », emprunté au bas-
latin localis « qui a rapport à un lieu »,
dérivé de locus, « lieu », et désigne
un « mode de vie qui privilégie la
consommation de produits locaux »
(le Robert). Pendant très longtemps,
la question de consommer ou pas
des produits locaux ne se posait
même pas. Il est donc amusant de
constater que la mondialisation et
la concurrence libre et non faussée
ont ini par rendre presque militante
la démarche la plus naturelle
qui soit. À l’instar du protectionnisme,
longtemps vu comme une forme
de repli sur soi nationaliste,
le « localisme » commence
à être accepté sans suspicion
de xénophobie, ou presque (lire plus
haut). Il semble donc qu’on puisse
être attaché à ses terres ou à
sa région du moment qu’on ne l’est
pas trop à la nation et qu’on l’est
aussi à l’Europe. M Samuel Piquet
21 au 27 mars 2024 - Marianne - 7
 Ce que
Marianne
en pense
MÉDIAS TICS par Samuel Piquet
Masturbation
chez Hanouna
Q ue pensent les employés d’Hanouna
de sa prestation devant la commission
d’enquête parlementaire ? Seront-ils
admiratifs ou carrément éblouis par leur
patron ? La question est d’autant plus cru-
ciale que les députés LFI n’ont pas brillé,
c’est peu de le dire, par leur pertinence.
Le mystère est vite levé par un premier
chroniqueur en plateau ce 14 mars : « J’ai
l’impression que tout le monde s’est fait un
peu un kif avec cette audition. Y en a qui
ont eu leur petit quart d’heure de gloire. »
Le ton est donné : le jugement sera impar-
tial, quand bien même il s’agira parfois
d’éreinter Cyril. Un autre renchérit : « La
LFI, ils étaient là pour se payer M. Bolloré,
ils étaient là pour se payer Hanouna. C’était
une inale de Coupe du monde pour eux. »
On vous laisse deviner qui est Mbappé.
L’animateur peut alors se livrer à son
exercice favori, la question ouverte,
portant en l’occurrence sur l’évocation
de son salaire : « Est-ce que vous avez
trouvé ça déplacé ? » Et ses employés de
répondre contre toute attente : « Oui, c’est
déplacé. » On se croirait à une réunion LFI
animée par Jean-Luc Mélenchon. Voyant
que ses acolytes maîtrisent l’exercice,
l’animateur poursuit sur sa lancée : « Qui
pour vous a gagné le match ? Vous pou-
vez dire la vérité. » Gros suspense. Une
chroniqueuse répond : « La preuve que
vous avez gagné ce match, c’est que si vous
auriez perdu, vous auriez été la risée des
réseaux sociaux. » « TPMP » se contentera
d’être la risée des grammairiens. Un chro-
niqueur croit enin avoir trouvé la raison
de l’acharnement des députés : « Y a une
forme de jalousie. » Hanouna jubile et en
proite pour citer le rappeur La Fouine : « Il
a envie d’être dans un jacuzzi mais il reste
dans sa jalousie. » Espérons que ça ne don-
nera à personne des idées pour les JO.
Laissons la conclusion à l’un des chro-
niqueurs : « Y a un autre truc qui m’a gêné,
c’est qu’on vous a pas beaucoup écouté. Eux
s’écoutaient beaucoup eux-mêmes. » Et ça,
ça n’arriverait jamais à « TPMP ». M
8 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
Et à la fin, c’est
“le Monde” qui gagne
ebelote. Trois ans après avoir
R négocié en solo avec Google
les fameux « droits voisins » – le
reste de la presse avait dû porter
plainte contre le géant américain
pour grappiller quelques miettes
de ces droits d’auteur numériques –,
le Monde remet ça avec Open AI.
Le président du directoire, Louis
Dreyfus, a en efet annoncé le 13 mars
avoir signé un accord pluriannuel
« qui fera date ». L’enjeu de ce par-
tenariat ? Le quotidien offre ses
archives et ses contenus à venir pour
nourrir les programmes de la mai-
son mère de ChatGPT, en échange
de quoi celle-ci lui garantit une valo-
risation de son audience estimée
à plusieurs millions d’euros annuels
(grâce à une mise en exergue dans
son « moteur de réponses ») et met
à sa disposition ses outils d’intel-
ligence artificielle. Les rémunéra-
tions (puisque l’accord intègre une
quote-part au titre des droits voisins)
que les journalistes en retireront
n’ont pas été précisées – on sait seu-
lement qu’elles seront « conformes
a u x d i s p o s i ti o n s ré g l e m e n ta i re s
actuelles », c’est-à-dire très faibles pour
ne pas dire insigniiantes.
Il a osé le dire
“Je préfère bomber le torse
que d’être à plat ventre
devant Vladimir Poutine.”
GABRIEL ATTAL, PREMIER MINISTRE Assemblée nationale, le 12 mars 2024.
OCCASION MANQUÉE
Le quotidien
aurait pu
endosser un rôle
d’émissaire de la
presse française
pour tenter de
conclure un
bon accord pour
l’ensemble de
la profession.
Au lieu de quoi,
il a encore une
fois joué perso.
Le Monde – qui signe ainsi le même
accord qu’El País en Espagne ou que
le groupe Axel Springer (Die Welt, Bild…)
en Allemagne – proite de son statut de
leader en France ? On aurait tort de le
lui reprocher. En revanche, expliquer
doctement qu’il sera désormais « plus
diicile pour les autres plates-formes d’IA
d’esquiver ou de refuser toute négociation »
et airmer que « cet accord est bénéique
pour l’ensemble de la profession » apparaît
diicile à avaler pour ladite profession,
qui devra probablement se satisfaire de
clopinettes, à supposer qu’elle arrive à
se réunir pour essayer d’arracher une
négociation collective. Dans un monde
merveilleux, le quotidien « de référence »
aurait pu endosser ce rôle d’émissaire de
la presse française et tenter de conclure
un accord cette fois véritablement « béné-
ique pour l’ensemble de la profession ».
Au lieu de ça, il y a fort à parier que
cette dernière s’écharpe pour boufer ce
qu’il reste d’un gâteau au goût déjà amer.
Sauve qui peut ! Car c’est bien de la dis-
parition de notre modèle économique
qu’il s’agit, et face à cette vague de l’intel-
ligence artiicielle qu’on nous annonce
comme « plus imposante encore que celle
du numérique » (dixit le Monde), toute la
presse joue sa survie. M Aurore Malval
Meigneux / Sipa - J.E.E / Sipa

On s’en fout !
Le couple
Mathieu-Casiraghi
Comme l’étale Paris Match,
l’écrivain Nicolas Mathieu,
prix Goncourt 2018,
vit le parfait amour avec
Charlotte Casiraghi, ille
de la princesse Caroline de
Monaco. On leur souhaite
bon vent. Entre le défenseur
du peuple et l’icône de la
mode, la rencontre était
improbable, mais pour
comprendre les pauvres,
rien de tel qu’un
passage chez les riches.
CONSENTEMENT
Viol et démagos
Après s’être opposé à
une déinition européenne
du « viol », Emmanuel Macron
a annoncé devant des
féministes qu’il allait « inscrire
dans le droit français » cette
même déinition. Résumons :
le Code pénal dispose qu’un
viol est commis « par violence,
contrainte, menace ou
surprise ». Sous l’impulsion
d’une partie du monde
politique et associatif, révolté
par le nombre de classements
sans suite des plaintes, il
s’agit d’ajouter une autre
condition : l’absence de
consentement énoncé par la
victime, celui-ci ne pouvant
être déduit de la « simple
absence de résistance ».
Nombre d’experts du droit, à
commencer par le garde des
Sceaux, ont pointé les risques :
basculer vers une inversion
de la « charge de la preuve »,
pilier de notre système
judiciaire. Et, efet pervers,
pousser la justice à
Mary Evans / Sipa - James Gourley / Sipa
décortiquer le comportement
de la plaignante pour sonder
cet éventuel consentement.
Deux arguments à opposer
aux démagos. Et que le chef
de l’État lui-même a balayés
pour 30 secondes de posture
« progressiste ». Thibaut Solano
Le match
Alexis de Tocqueville
vs Taylor Swift
Qui parle le mieux de la démocratie américaine ?
D’un côté, un illustre philosophe et homme politique
français (1805-1859). De l’autre, la star
mondiale de la chanson. Point commun :
leur inluence sur les États-Unis. Par Emmanuel Tellier
Pedigree
Alexis a commencé par faire le tour
des prisons américaines pour en étudier
l’organisation (en mission oicielle, 1831).
Puis s’est passionné pour « cette grande
république » naissante, et en a ausculté
le fonctionnement démocratique balbutiant.
Le système est le bon, il en est certain
(la décentralisation des pouvoirs l’emballe !),
Mais il alerte : de la démocratie à la « tyrannie
de la majorité », la bascule peut être rapide.
Et le « triomphe de l’individualisme » menace,
ce qui pourrait engendrer un « abaissement
du langage » et de la capacité critique.
Postérité
Alexis Pas besoin de recevoir des Grammy
Awards pour être une star. DJ Tocqueville
en est une : ses préceptes exposés dans
De la démocratie en Amérique (publié en 1835)
ont été largement repris et remixés – surtout
dans la seconde partie du XXe siècle. Une belle
carrière sur la longueur : cent quatre-vingt-
neuf ans que ça dure ! Penseur du « primat
du politique », il est un démocrate résolu
mais circonspect. Et si la tyrannie l’emportait ?
Qui va vraiment peser sur l’élection ?
Alexis Même pas capable d’avoir un compte
TikTok, le vieux Tocqueville est-il encore
lu outre-Atlantique – hormis sur les campus
et chez les Obama ?
Taylor, elle aussi, a commencé dans une
sorte de prison, mais mentale et culturelle :
son Tennessee natal, aussi attachant
que rétrograde. Ses racines, elle les honore
sur disques (de la country FM coupée à l’eau
bénite) et se rêve en jeune ille modèle, prête
à marier. Mais en 2018, revirement complet :
son cœur est à gauche, elle vote démocrate
et veut que ça se sache. La voilà artiste libre
et hyperexposée, qui soutient de multiples
actions et associations caritatives. Son fan-club
applaudit… mais son manager et ses assureurs
lui imposent de rouler en voiture blindée.
Taylor Impossible de lister ses récompenses
et records en tous genres. C’est simple,
on nous assure qu’elle est déjà plus célèbre
que les Beatles. Et ses disques, vendus
à 170 millions d’exemplaires dans le monde ?
Depuis Reputation (2017), ils sont bien plus
intéressants que ce que vous imaginez peut-
être. Belles mélodies pop, qu’elle trousse
en personne, et voix sensible qui chamboule
des dizaines de millions de terriens. Respect.
Taylor 18 % de citoyens américains inscrits
sur les listes électorales se disent « enclins
à voter comme elle ». Soit près de 45 millions
de voix. Mais de la coupe aux lèvres… ?
21 au 27 mars 2024 - Marianne - 9
 Le dessous des cartes
Corse
Quarante ans
de clash
Le projet de reconnaissance d’un statut d’autonomie
de l’île de Beauté, issu d’un accord entre Gérald Darmanin
et les élus locaux, divise déjà au sein du Parlement.
Depuis 1982, plusieurs lois ont donné l’occasion aux
familles politiques d’exprimer leur désaccord sur le sujet.
Par Hadrien Brachet
La loi du 2 mars dote
1982 la Corse d’un statut
particulier, compte
tenu de ses « spéciicités », et d’une
Assemblée. Défendu par Gaston
Deferre, le texte est voté par les com-
munistes et les socialistes, espérant
qu’il permettra de « rétablir la paix
civile » en Corse. Pour le RPR, hostile,
Philippe Séguin dénonce un projet
« inutile » et « dangereux ».
10 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
Un nouveau statut de
1991 la Corse est débattu
au Parlement. Les
discussions se polarisent autour de
la notion de « peuple corse », pré-
sente à l’article premier du projet
de loi. Malgré les réticences expri-
mées par Jean-Pierre Chevènement,
le groupe socialiste vote le texte, à
l’exception de l’emblématique radical
Émile Zuccarelli, maire de Bastia. Les
communistes s’abstiennent tandis
que l’UDF et le RPR se prononcent
contre, s’empressant de saisir le
Conseil constitutionnel. Lequel, pré-
sidé par un certain Robert Badinter,
invalide finalement le concept de
peuple corse.
Plus d’un an après
2002 les accords de
Matignon, qui ont
provoqué la démission de Jean-Pierre
Chevènement, un texte discuté au
Parlement prévoit de donner la pos-
sibilité à la Corse d’adapter des lois
ou des règlements nationaux à ses
spécificités. Les socialistes votent
le texte pendant qu’à l’UDF seuls
Raymond Barre et François Léotard le
soutiennent. Au nom du RPR, Nicolas
Dupont-Aignan prévient que « la loi
à géométrie variable n’est pas possible
dans notre pays ». Début janvier 2002,
le Conseil constitutionnel censure
partiellement le texte. M
CONSENSUS Le projet d’accord met une touche
inale au “processus de Beauvau” lancé par le
ministre de l’Intérieur. Ici, à Ajaccio, en 2023.
INDISCRÉTIONS ]
Les “rad-soc”
en rade
Le plus vieux parti de France passera-t-il
l’année ? Fondé en 1901, le Parti radical
(PR) d’Édouard Herriot, de Pierre
Mendès France et de l’actuelle ministre
déléguée aux Collectivités territoriales,
Dominique Faure, frôle la faillite. Après
deux années de pertes, ceux que l’on
nommait les « rad-soc », avant qu’ils
glissent à droite, ont dépassé 1,2 million
d’euros de dettes. Pointant un risque
pour la « continuité de l’activité », les
commissaires aux comptes n’ont pas
certiié l’exercice 2022. La Commission
nationale des comptes de campagne
et des inancements politiques a donc
privé le PR de sa capacité à faire
déiscaliser les dons qui lui sont adressés.
La majorité présidentielle, avec qui le
parti fait partiellement caisse commune,
volera-t-elle à son secours ? E.L. et V.R.
Les CDD du “JDD”
Dans la galaxie Bolloré, on apprécie
les hosties, mais ça ne nourrit pas autant
son homme qu’un CDI. En juin 2023,
après la nomination tapageuse de
Geofroy Lejeune à la tête du Journal
du dimanche, le titre avait vu ses efectifs
fondre. « La rédaction s’est vidée
avec l’arrivée de Geofroy. Il a dû faire
appel à une poignée de journalistes
pour continuer à sortir le titre,
mais, pour la grande majorité,
ils n’ont pas été “cédéisés”, soit pour
des raisons budgétaires, soit par manque
d’organisation », grince un habitué
des couloirs bolloréens. Les grands
remplaceurs ne sont apparemment
pas de grands employeurs. E.H.
Le médaillé d’or
du fonds Marianne
On pensait que son engagement
associatif avait pris in avec l’afaire du
fonds Marianne, révélée par Marianne
et France 2, mais Cyril Karunagaran,
Fanny Hamard / Sipa
l’ancien président de l’Union fédérative
des sociétés d’éducation physique
et de préparation militaire, l’asso en tête
des bénéiciaires du dispositif lancé
par Marlène Schiappa, « bouge encore ».
Et ce, malgré l’intérêt que sa gestion
a suscité jusque du côté du Parquet
national inancier. Le 9 mars,
Cyril Karunagaran convoquait ainsi, en
tant que président, l’assemblée générale
d’une autre structure : le Comité de Paris
des médaillés de la jeunesse, des sports
et de l’engagement associatif. À bien
y réléchir, sa prestation lunaire devant la
commission d’enquête sénatoriale sur les
dysfonctionnements du fonds Marianne
méritait bien une médaille… G.A.
De l’eau
dans leur vin ?
Il y a quelques semaines, le président
du conseil d’administration de Veolia,
Antoine Frérot, et le principal actionnaire
de Suez, Thierry Déau (qui en détient
40 % avec son fonds Meridiam), ont taillé
le bout de gras. Les sujets de tension
ne manquent pas entre les deux groupes.
À commencer par la récente attribution
du plus important marché de l’eau
en Europe (4,3 milliards d’euros)
par le Syndicat des eaux d’Île-de-France du dossier, la grande patronne de Suez
à Veolia, qui avait pourtant accédé n’était pas conviée aux agapes. E.L. et V.R.
à nombre des documents conidentiels
de son concurrent Suez grâce à un bug
informatique (comme Marianne l’a
révélé cet été). Les deux hommes
Sarko lâche Saporta
Le licenciement d’Isabelle Saporta,
ont-ils enterré la hache de guerre ? patronne des éditions Fayard, par l’ogre
Décriée pour sa gestion « timorée » Bolloré, a fait réagir le Tout-Paris.
BRIGITTE BICHONNE BELLOUBET
“Tu n’as d’ordre à
recevoir de personne.”
ENCADRÉ SURTITRE
BRIGITTE MACRON
« Nicole, je transmets les messages d’Emmanuel :
c’est toi le patron, tu n’as d’ordre à recevoir de
personne », voilà ce qu’a glissé, en février, Brigitte
Macron – « femme de », et, semble-t-il, également
conseillère spéciale Éducation du président –
à Nicole Belloubet, la nouvelle occupante
du ministère de l’Éducation nationale.
Son entourage le raconte, alors que la ministre
tente d’assouplir une réforme de Gabriel Attal ain
de la faire avaler à un milieu éducatif vent debout :
l’instauration de groupes de niveau au collège.
Sauf que « Gaby » entend garder la main
«neEXERGUE_c16_bleue
et »
veut pas laisser l’impression d’une reculade.
IlSIGNATURE
a d’ailleurs animé jeudi 14 mars une réunion,
en visio, avec les chefs d’établissement.
Voilà donc Belloubet
TXT 3_medium. M en « patronne »,
mais
Notes coincée entre Attal et les Macron ! M.-E. P.
L'info en plus
Comment le Sénat
peut couler le Ceta
L’afaire rappelle les grandes heures
du gaullo-communisme. Le PCF mûrit
un plan audacieux : faire tomber l’accord
de libre-échange entre l’Union européenne
et le Canada (Ceta) en déterrant le texte,
jamais ratiié par le Sénat, pour que
la chambre haute le rejette, ce qui pourrait
faire capoter l’ensemble du projet.
Soumis au vote lors de la niche parlementaire
du PCF qui se tiendra le 21 avril,
le texte devrait être soutenu par la droite,
en force au Sénat et désireuse de
séduire les agriculteurs… mais aussi par
le reste des forces de gauche. Selon
nos informations, une réunion préparatoire
du groupe socialiste au Sénat a
débouché sur une unanimité en faveur
de l’opposition au Ceta. H.M.
« C’était la protégée de Sarkozy, explique
une personne bien introduite. Entre
la vente de Paris Match à Bernard
Arnault et l’éviction de Saporta, c’est une
double défaite pour l’ancien président. »
L’ex-chef de l’État avait fait une
entrée fracassante en 2020 au conseil
de surveillance du groupe Lagardère,
qui, afaibli par la gestion hasardeuse
de l’héritier Arnaud, a ini par tomber
dans l’escarcelle du pieux Breton Bolloré.
Sarko serait-il donc en perte d’inluence ?
« Pas du tout, lance un proche. Il ne
s’est jamais opposé à la vente de Paris
Match. » Quant à Saporta ? « Le président
a écrit des livres avant qu’elle soit son
éditrice, et il en écrira après ! » L’amitié
d’accord, mais le business d’abord. M.J.
Ce sexe…
qui ne passe pas
Alors qu’un projet de programme
d’éducation à la sexualité allant de la
maternelle à la terminale a été dévoilé
le 5 mars par le Conseil supérieur
des programmes, plusieurs collectifs
à l’inclination conservatrice montent
déjà au créneau. Parmi eux, l’association
SOS Éducation prépare une pétition
pour bannir de l’école les cours
d’éducation à la sexualité pour les moins
de 12 ans. De quoi pimenter les futures
rencontres parents-profs. E.H.
21 au 27 mars 2024 - Marianne - 11
 Alerte rouge
LA VIANDE
FRANÇAISE
disparaît
des plats
préparés
Sous la pression de la grande distribution
et confrontés à la pénurie de certaines viandes,
les industriels agroalimentaires se retrouvent de
plus en plus souvent contraints de sacriier l’origine
France de leurs plats cuisinés. Au bénéice de
poulets, de porcs ou de bœufs venus de très loin,
comme le démontre une enquête de “Marianne”.
Il faut rendre obligatoire un étiquetage clair
et transparent des plats industriels.
Par Géraldine Meignan
12 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
lors que tous les yeux sont rivés sur l’étiquetage
A
de l’origine des viandes dans les cantines et
les restaurants, les enseignes et les industriels
de l’agroalimentaire font, peinards, leur petite
cuisine à l’abri des curieux. Eux, ça fait un bail
qu’ils aichent l’origine des ingrédients dans
leurs plats cuisinés à base de porc, de bœuf,
d’agneau et de volaille, depuis l’afaire des lasagnes à la
viande de cheval roumain, en 2013, qui avait jeté le doute
sur la traçabilité des plats cuisinés. Mais, à y regarder de
plus près, force est de constater que, ces derniers temps,
la mention Origine France tend à céder du terrain au proit
de la viande importée de chez nos voisins européens.
La mention Origine France de plus en plus rare
Pour se igurer l’ampleur du phénomène, nous nous
sommes appuyés sur les informations que la grande
distribution et les entreprises agroalimentaires trans-
mettent depuis 2020 à la base de données Open Food
Facts, qui répertorie tous les ingrédients et les valeurs
nutritionnelles des aliments. Nous les avons ensuite
confrontées aux produits commercialisés aujourd’hui
dans les rayons des supermarchés. Dans de nombreux
cas, l’origine France a disparu pour laisser place à l’ori-
gine UE. Des knacks de poulet Tradilège (MDD [marque
de distributeur] Leclerc) aux raviolis jambon-fromage
Lustucru ; de la rosette Cochonou aux rillettes de poulet
rôti Bordeau Chesnel en passant par les raviolis au bœuf
de Turini (MDD Leclerc).
Oubliées, les grandes promesses post-Covid, qui
avaient pourtant révélé la vulnérabilité de nos sys-
tèmes alimentaires et le besoin impérieux de reprendre
>
N. Vato
le contrôle de nos approvisionnements. Au plus haut
 LE DOSSIER La viande française disparaît des plats préparés

> sommet de l’État, on en avait alors appelé à une plus

grande souveraineté. Fini ce gentleman’s agreement ali-
mentaire, la course à la marge bénéiciaire transforme
en castagne tarifaire les négociations commerciales
entre les enseignes et leurs fournisseurs. Et, évidem-
ment, les agriculteurs français inissent par recevoir les
coups portés par la grande distrib et, dans une certaine
mesure, par les industriels de l’agroalimentaire.
« Il y a une telle pression sur le prix bas que la tentation
de modiier le sourcing est forte. Et il est parfois diicile de
résister en dépit des postures sociétales des entreprises »,
souligne l’expert en grande distribution Olivier Dau-
vers. Or la lambée du prix des matières premières et
de l’énergie a surenchéri le coût de la viande made in
France. « C’est simple, le ilet de poulet français est au-
jourd’hui deux fois plus cher que celui importé de Pologne »,
souligne Yann Nédélec, directeur de l’Anvol, l’interpro-
fession de la volaille de chair (lire ci-dessous). Le choix
est vite fait. Un industriel en témoigne : « Les enseignes
nous dictent leur loi. Elles nous imposent un prix. Ensuite,
à nous de nous débrouiller pour nous approvisionner à
moindre coût. Et tant pis si, parfois, ça nous oblige à choi-
sir de la viande importée. Sauf évidemment lorsqu’il s’agit
d’achalander leurs magasins du Grand Ouest, où ils ont une
peur bleue de voir les éleveurs débarquer. »
Aux pressions commerciales s’ajoutent les aléas de
la production agricole. Il peut y avoir ici ou là, ponc-
tuellement, des tensions dans l’approvisionnement
de certaines viandes. À moins d’arrêter les chaînes
de production, la solution consiste alors à compléter
son sourcing hors de l’Hexagone. Exit, dans ces cas-là,
la mention Origine France du lot. C’est l’argument mis
en avant par Lustucru pour expliquer la disparition de
l’origine France sur ses raviolis frais jambon-fromage :
« Notre fournisseur de viande a élargi récemment son ap-
provisionnement à des pays limitrophes. Nous ne pouvions
prétendre être 100 % français. En revanche, nous le sommes
pour les produits à base de viande de poulet et de bœuf »,
explique un porte-parole de la marque.
Avant
JAMAIS À COURT
D’ARGUMENTS
Pour justifier
le changement
d’origine de
sa viande de poulet
dans ses rillettes,
Bordeau Chesnel
avance des difficultés Ainsi, dans les rayons, c’est une vraie loterie. Ces
de ravitaillement derniers jours, diicile, voire impossible, de trouver un
dues à la grippe jambon commercialisé par Fleury Michon arborant le
aviaire. logo « porc français » à l’exception des trois gammes
mieux-disantes de l’entreprise vendéenne (label
Rouge, Jambon de nos régions et Éleveurs engagés). Les
autres ? Issus essentiellement d’élevages espagnols.
« L’origine de nos pièces varie selon leur disponibilité en
France et selon les écarts de prix entre nos diférents four-
nisseurs français et européens », justiie le groupe. Et que
dire des jambons Herta ? Pour une même référence, on
trouve à la vente, au petit bonheur la chance, du porc
français ou du porc venant de l’UE. C’est, nous explique
la marque, pour répartir les risques d’aléas sanitaires
sur plusieurs zones géographiques. « Les volumes bras-
sés sont tels que le marché français ne peut pas tout absor-

DR

14 - Marianne - 21 au 27 mars 2024

 Après
le ministre de l’Agriculture de l’époque,
Que dit la loi ? Stéphane Le Foll. Ce faisant, la France
En 2017, la France a obtenu de espérait bien convaincre ses voisins
la Commission européenne le droit, européens de la suivre dans cet élan
à titre expérimental, de rendre de transparence. Seulement voilà,
obligatoire l’étiquetage sur après avoir été reconduite,
l’origine du lait et de la viande l’expérimentation a pris in il y a
dans les produits transformés, deux ans. Depuis, la mention de
dès lors que ces denrées représentaient l’origine des viandes n’est plus,
au moins 50 % pour le lait et 8 % pour d’un point de vue strictement légal,
la viande de la composition de ces obligatoire. À la manœuvre : Lactalis.
produits. Il s’agissait alors de rassurer Davantage soucieuse de standardiser
les consommateurs, sidérés d’avoir ses process que de valoriser un terroir,
découvert, avec l’afaire des lasagnes la multinationale a obtenu du Conseil
garnies à la viande de cheval, l’opacité d’État, en mars 2021, qu’il annule
des circuits d’approvisionnement dans le dispositif, jugé illégal.
l’agroalimentaire. La mise en place d’un Tout ça au nom de la libre circulation
logo « viandes de France » avait même des marchandises. Mais, comme le
été proposée par les ilières d’élevage, suggère notre enquête, la pratique
une idée fortement soutenue par de l’étiquetage demeure. M

ber, et les industriels sont obligés de se fournir ailleurs en

Europe. C’est la raison pour laquelle l’origine des jambons
industriels peut varier d’une semaine à l’autre, d’un mois à
l’autre », explique François Valy, président de la Fédéra-
tion nationale porcine. Et de détailler : « On produit en
France 22 millions de porcs, il en faudrait 45 millions pour
être autosuisant. »
Un véritable casse-tête pour le consommateur
Dans l’art de brouiller les pistes, la marque Père Dodu,
avec ses emballages arborant ièrement le drapeau fran-
çais, n’est pas en reste. L’escalope cordon bleu de pou-
let ? Fabriquée avec de la volaille d’origine UE. Mais la
même estampillée sans antibiotiques provient, elle,
d’élevages français. Mieux : les cordons bleus de pou-
let commercialisés chez Lidl dans un format de 400 g
sont issus de poulet made in France. Ceux que l’on re-
trouve partout ailleurs dans un format maxi de 800 g
sont confectionnés avec du poulet UE. Un vrai casse-
tête pour le consommateur soucieux de consommer
français. « Les prix de vente imposés par le marché nous
obligent, pour certains de nos produits, à recourir à de la
viande d’importation moins chère », reconnaît un porte-
parole de Père Dodu, précisant que l’origine France re-
présente 60 % des approvisionnements de la marque.
Sur un mode tout aussi subtil, on trouve actuel-
lement chez Leclerc une saucisse sèche Saint-Azay
(MDD Leclerc) fabriquée à partir de porcs nés et éle-
vés en France… mais abattus en Europe. Transporter
“On produit en France 22 millions
de porcs. Il en faudrait 45 millions
pour être autosuffisant.”
FRANÇOIS VALY président de la Fédération nationale porcine
des animaux vivants depuis la France et les ramener
à la maison découpés en morceaux pour les mettre en
rayon… Pas très écolo.
Pour la volaille, l’aléa sanitaire est venu s’ajouter
aux problèmes de compétitivité de la ilière. La grippe
aviaire a en efet bouleversé l’approvisionnement de
certains plats cuisinés. C’est l’argument avancé par Bor-
deau Chesnel pour justiier la disparition de la mention
Origine France sur ses rillettes de poulet rôti. Mais aussi
par Père Dodu pour ses cordons bleus de poulet « Bons
Plans » : « À la suite des épidémies, nous avons eu en 2023
des problèmes pour nous approvisionner en viande fran-
çaise. Pour ne pas stopper la production, nous avons décidé,
à titre exceptionnel, de les commercialiser avec de la viande
en provenance de Pologne, d’Allemagne ou d’Espagne.
Après la crise et une fois les élevages de nouveau en capa-
cité de produire, nous avons repris notre viande d’origine
France », observe un porte-parole. Ce qui n’est visible-
ment pas le cas de l’entreprise Bordeau Chesnel. Tout
du moins pas encore. Est-ce la raison pour laquelle les
knacks au poulet fumé au bois de hêtre de la marque
Leclerc issu d’élevages français proviennent désormais
de l’UE ? Impossible de le savoir, Leclerc ayant refusé
de nous répondre.
“D’une opacité inouïe”
N’empêche qu’elle a bon dos, la grippe aviaire, dit-on
au siège de l’interprofession de la volaille de chair (An-
vol). « Certes, elle a entraîné une baisse de la production
de volailles de 10 % en France en 2022. Non seulement la
production a repris depuis un an maintenant, mais le poulet
n’est pas la viande qui a été la plus impactée, à la diférence
de la dinde et du canard », souligne son directeur, Yann
Nédélec. Dit autrement, plus les mois passent, moins
>
21 au 27 mars 2024 - Marianne - 15
 LE DOSSIER La viande française disparaît des plats préparés

> l’argument de la grippe aviaire est convaincant pour

justiier la valse des origines.
C’est une tout autre afaire pour les plats à base de
Avant Après
bœuf. En 2023, et pour la deuxième année consécutive,
la production de viande bovine a baissé en France.
Entre les éleveurs qui partent à la retraite, ceux qui
se reconvertissent dans des activités agricoles plus
rémunératrices et les sécheresses récurrentes, qui
imposent d’avoir des systèmes moins intensifs,
le cheptel recule. À tel point que, pour satisfaire
la demande de la restauration et des industriels,
l’importation est devenue un passage obligé.
Entendons-nous bien. Tout cela est parfaite-
ment légal. Les industriels indiquent l’origine des
viandes alors même que, juridiquement, rien ne les
y oblige (lire encadré p. 15). En revanche, mieux vaut
avoir une bonne paire de lunettes et un peu de temps
à perdre pour trouver l’info inscrite le plus souvent en
lettres minuscules au dos de l’emballage parmi une
D ÉPEND ANCE
multitude d’ingrédients. C’est parfois même un vrai En 2023, pour
jeu de piste. Car il faut savoir déjouer les pièges tendus la deuxième année pour rendre obligatoire l’aichage de l’origine des pro-
par les industriels, qui laissent entendre à coups de dra- consécutive, duits alimentaires. Pour l’expert Olivier Dauvers, « il
la production
peaux tricolores que leur produit provient bien de chez de viande bovine faut en inir avec cette hypocrisie où l’origine de la viande
nous alors qu’il n’en est rien. a baissé en France. est visible lorsqu’elle est française, et cachée lorsqu’elle
« C’est d’une opacité inouïe. Ce faisant, on n’aide pas À tel point que, ne l’est pas ».
le consommateur à faire un choix éclairé et à soutenir pour satisfaire Par la voix de leur interprofession, les éleveurs de vo-
la restauration
nos éleveurs. Pourtant, nous avons fait la démonstration et les industriels, lailles veulent même aller plus loin : « Nous demandons que
que, lorsqu’on donne une information claire et sincère l’importation le pays d’origine apparaisse clairement et non plus la simple
au consommateur, les intentions d’achat des marques est devenue mention UE ou non-UE », soutient Yann Nédélec. C’est ce
un passage obligé. sur quoi s’est engagé Lidl pour ses MDD. Et il le fait.
mieux-disantes peuvent être multipliées par deux, voire
par dix », soutient David Garbous, fondateur du collec-
tif « En vérité », une association de marques qui milite Poser de sérieux garde-fous
C’est pour permettre au consommateur de faire un
choix éclairé qu’Olivia Grégoire, la ministre déléguée
chargée des Entreprises, du Tourisme et de la Consom-
“On n’aide pas le consommateur mation, a présenté le 13 mars le lancement d’un indica-
à faire un choix éclairé et à soutenir teur d’origine des produits alimentaires baptisé « Ori-
gine Info » (lire interview ci-contre). Une démarche
nos éleveurs.” DAVID GARBOUS collectif “En vérité” basée sur le volontariat dont le cahier des charges doit
encore être discuté. Autour de la table, industriels et en-
seignes ont juré, la main sur le cœur, ne pas être opposés
à la transparence. « Nous attendons de voir. Une chose est
Moins de viande, moins de qualité sûre, cet indicateur ne sera eicace que s’il est aiché bien
en vue face avant sur les emballages. Et non pas camoulé
Sacriier l’origine France visées par l’ONG, on trouve After Eight sous la forme d’un QR Code accessible via Internet avec
des viandes ne serait-il (Nestlé), Findus, Fleury Michon, pour seule indication UE ou non-UE. Autrement, on n’au-
qu’une première étape ? Maille (Unilever), Milka (Mondelez) ra pas avancé d’un iota », met en garde Camille Dorioz,
L’ONG Foodwatch a récemment et… Bordeau Chesnel et ses rillettes directeur de campagne de l’ONG Foodwatch.
épinglé six marques accusées de poulet rôti. Non seulement Enin, et surtout, il va falloir poser de sérieux garde-
d’avoir dégradé la qualité de certains l’entreprise ne se fournit plus en fous pour que cet outil ne soit pas une nouvelle oc-
de leurs produits en modiiant volaille française, mais la quantité casion pour les industriels de l’agroalimentaire et les
la recette, tout en augmentant de viande de la spécialité charcutière enseignes de la grande distribution d’augmenter de
trop souvent leur prix. Une pratique est passée de 90 à 85 %. La graisse manière indue leurs marges. On a vu ce qu’il en a été
importée des États-Unis baptisée de canard, elle, a carrément disparu avec le retour de l’inlation. « Si l’on veut éviter un efet
« cheaplation », contraction au proit d’huiles végétales. d’aubaine, cette initiative doit s’accompagner d’une trans-
Open Food Facts CC-Sy-SA

des mots anglais « cheap »
(« bas de gamme ou bon marché »)
et « inlation ». Parmi les marques
16 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
Résultat : le Nutri-Score des rillettes
(que la marque n’aiche pas) calculé
par Foodwatch passerait de D à E.
parence totale sur la construction des prix », poursuit
Camille Dorioz. Dit autrement, que le consommateur
soit assuré que le surcoût qu’il est prêt à payer pour
soutenir le monde agricole aille bien dans la poche
des agriculteurs. M G.M.
 “L’information sur l’origine
des ingrédients est un casse-tête”
Olivia Grégoire, la ministre déléguée chargée, notamment, du Commerce, propose la démarche
Origine-Info, un logo qui vise à garantir une plus grande transparence sur la provenance des produits
alimentaires. Propos recueillis par Géraldine Meignan
Marianne : En quoi Origine-Info
permettra au consommateur de faire
un choix plus éclairé ?
Olivia Grégoire : C’est un casse-tête, je vous le De certains, oui, je l’espère, mais pas de tous,
conirme. Même en cherchant scrupuleu-
sement sur l’emballage, il n’est pas aisé de
trouver des informations sur l’origine des
ingrédients d’un produit transformécelles-
ci n’étant la plupart du temps pas dispo-
nibles, ou seulement de manière partielle.
Souvent, on indique quand c’est français,
plus rarement quand ce n’est pas le cas.
Or, pour beaucoup, faire les courses doit
être rapide et eicace. On ne va pas passer
trois heures dans les allées pour trouver
une information sur un produit et lire les
petits caractères. L’objectif est d’aboutir à
une indication visible et compréhensible.
Comment être sûr que la grande
distribution jouera le jeu de la souveraineté
alimentaire avec ses fournisseurs dans
le box des négociations commerciales ?
Le 13 mars, tous les représentants de la
grande distribution étaient autour de la
table pour le lancement de la démarche. Ils
ont tous aiché leur volonté de travailler, de
bonne foi, à ce logo. C’est déjà beaucoup de
dire publiquement qu’on veut plus de trans-
parence. Je crois que les industriels joue-
ront le jeu : plusieurs d’entre eux – D’Aucy,
Bonduelle, Léa Nature – ont indiqué leur
adhésion à la démarche. Il y a un momen-
tum pour réunir tout le monde autour d’une
démarche commune, au proit des consom-
mateurs mais aussi de nos agriculteurs.
Ce logo va-t-il forcément induire
une modiication du comportement
d’achat des consommateurs ?
j’en ai bien conscience. Je n’oublie pas que
de nombreux Français n’ont pas les moyens
de choisir entre deux produits en se référant
uniquement au critère d’origine. Le prix reste
le premier élément de choix pour beaucoup.
L’objectif, c’est que le consommateur ait
toutes les informations à sa disposition. Si
certains peuvent et veulent mettre quelques
centimes ou euros de plus dans un produit
parce qu’il est français, alors tant mieux.
Cette démarche a vocation à être portée
au niveau européen. Quand on voit
la bataille menée à Bruxelles par plusieurs
multinationales contre le Nutri-Score,
ne craignez-vous pas de vous heurter
aux lobbies agroalimentaires ?
Est-ce une raison pour ne pas essayer ?
Pour le Nutri-Score, de grands groupes de
l’industrie agroalimentaire s’y sont oppo-
sés initialement au motif que cela consti-
tuait une démarche « stigmatisante » de
leurs produits, avec un code couleur et une
notion de score ou de note… avant de s’y
mettre progressivement. Origine-Info dif-
fère puisqu’il n’y a pas de notation, et son
but est de donner une information objec-
tive, claire et neutre sur l’origine des ingré-
dients. L’Association nationale des indus-
tries alimentaires (Ania) et l’Institut de
liaisons des entreprises de consommation
(Ilec), qui représentent ces grands groupes
en France, m’ont clairement dit soutenir
la démarche. Il n’y a donc pas une opposi-
tion de principe sur l’objectif poursuivi. M
ELLE Y CROIT Olivia Grégoire, ci-dessous lors de la
Semaine des métiers du tourisme à Paris, le 18 mars,
aux côtés du chef étoilé Mory Sacko (à g.), espère
qu’une information plus accessible poussera certains
consommateurs à privilégier les produits français.

“Pour beaucoup,
faire les courses doit
être rapide et eicace.
Abdullah Firas / Abaca

L’objectif : aboutir à
une indication visible
et compréhensible.”
21 au 27 mars 2024 - Marianne - 17
 Marianne RÉVÈLE
aintenant, [la Russie] a décidé de
«M nous attaquer nous-même[s]. »
Au Salon de l’agriculture, fin
février, le président Macron a
lâché, devant les journalistes,
cette phrase énigmatique. Une formulation
étrange qui pourrait très bien recouvrir un
nous de majesté. Le président pense-t-il vrai-
ment que Vladimir Poutine souhaite s’atta-
quer à sa personne ? Emmanuel Macron a
récemment appelé les Français « à ne pas
céder à la peur ». Mais, lui, joue-t-il à se faire
peur ? « La menace étatique a été rehaussée »,
nous assure un grand ponte du renseigne-
ment. Par « menace étatique », entendre « la
Russie ». Qui pourrait souler sur les braises
de la contestation du président français en
l’ampliiant en amont ou en s’en saisissant
après-coup. Dans le viseur des services de
18 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
Réelle menace ou vraie parano ?
CE PRÉSIDENT
QUI CRAINT
POUR SA PEAU
La sécurité du chef de l’État a été repensée et
renforcée. Et ce ne sont pas les mouvements de foule,
comme au Salon de l’agriculture, que redoute
le plus Emmanuel Macron. Le président nourrit
en particulier une obsession pour l’activisme russe…
Par Marc Endeweld, avec Paul Conge et Laurent Valdiguié
renseignement : d’éventuelles altercations rité présidentielle, composé notamment
lors des déplacements présidentiels (jets des gardes du corps du GSPR (le Groupe de
de projectiles, opérations tarte à la crème, sécurité de la présidence de la République
tentatives de gile…) qui seraient ilmées par constitué de gendarmes et de policiers) – la
des badauds. Ces vidéos pourraient alors fameuse « bulle » dans le jargon –, a donc
Julien de Rosa / AFP
devenir virales sur les réseaux sociaux. Car, été une énième fois reconfiguré, selon
en politique également, le ridicule peut tuer. les informations de Marianne. Depuis des
Depuis les bousculades au Salon de mois déjà, d’autres signes montrent la
l’agriculture, le dispositif assurant la sécu- fébrilité du président et de son entourage.

FÉBRILITÉ “Brigitte Macron a toujours été inquiète
pour lui. Chez elle, il y a la peur du ‘syndrome Kennedy’,
qu’il finisse assassiné”, confie Alexandre Benalla,
ancien chargé de mission à l’Élysée.
À l’Élysée, les personnels chargés de la
sécurité du « PR », comme ils disent, sont
passés en mode alerte rouge : « Protéger
davantage le chef de l’État, c’est l’orientation
qui a été prise, nous explique un haut gradé
de la police. C’est véritablement un sujet pour
le PR. » Selon plusieurs sources, la sécurité
présidentielle a en fait été renforcée dès
l’automne 2023. « Pas de commentaires »,
nous répond cependant le ministère de
l’Intérieur par le canal oiciel.
Menace réelle ? Ou président en mode
parano ? S’imagine-t-il un destin à la JFK,
comme le lui prédisait Bernard Tapie fut un
temps ? Ou, frappé d’hubris, se rêve-t-il en
“ Protéger davantage le chef
de l’État, c’est l’orientation prise.”
UN HAUT GRADÉ DE LA POLICE
martyr, ainsi que se plaisent à l’expliquer
certains observateurs adeptes de la psy-
chologisation du cas Macron ? Après tout,
peut-être le chef de l’État se souvient-il,
comme le raconte à Marianne Alexandre
Benalla, son ancien chargé de mission
à l’Élysée, que, dès la campagne 2017,
« plusieurs plaintes ont été déposées contre
des types suspects qui lui en voulaient,
généralement des gens dérangés » dont
l’un, présent « à tous les meetings », a ini
« interné d’oice » ?
Méfiance et sur-mesure
« Dernièrement, il provoque tellement qu’il
a peur », nous conie une source au cœur
du dispositif de sécurité. « Depuis l’été der-
nier, il a pris entre autres des gros gabarits
pour l’accompagner. Ils sont plus visibles et
plus eicaces aussi pour s’interposer en cas
de mouvement de foule », décrypte la même
personne. Concernant les cortèges prési-
dentiels, il a été décidé d’utiliser davan-
tage de motos suiveuses pour sécuriser
les différents véhicules. De même, lors
des déplacements, il a été demandé aux
préfets de mettre le paquet sur les forces
mobilisées autour de la fameuse bulle,
forces issues soit du GIGN, soit des poli-
ciers du Raid ou de la BRI. « Mais on fait du
sur-mesure, notamment quand le PR souhaite
se déplacer incognito à Paris », remarque un
ancien grand lic.
Parfois, lors de certains voyages, spécia-
lement à l’étranger, il ne serait plus rare que
le président porte un gilet pare-balles sous
son costume. Un voyage en Ukraine a été
annulé, mi-février, très oiciellement pour
raison de sécurité. L’épisode a d’ailleurs
donné lieu à une vidéo falsiiant un jour-
nal de la chaîne France 24 et faisant dire au
présentateur qu’une « tentative » d’assassi-
nat avait été « stoppée par les services secrets
français ». Une vidéo relayée par Dmitri
Medvedev, coutumier des tweets « qui se
caractérisent par une certaine outrance » à
l’égard de Macron, selon les mots policés
d’un conseiller de l’Élysée. C’est peu dire :
l’ancien président russe l’a récemment
décrit en « trouillard zoologique » qui devrait
se munir de « plusieurs paires de caleçons »
pour son futur voyage en Ukraine.
Car un nouveau déplacement prési-
dentiel est bien prévu dans les prochaines
semaines. Et son organisation met les
services de protection sous haute ten-
sion. D’autant plus que, le 6 mars, un mis-
sile russe est tombé à 150 m du président
ukrainien, Volodymyr Zelensky, alors qu’il
visitait le port d’Odessa avec le Premier
ministre grec. « Les services sont préoccu-
pés par ce voyage », assure notre gradé de la
police. Lors de ce genre de déplacements
à haut risque, services de sécurité et de
renseignement travaillent de concert, et
des moyens d’interception, des avions de
transmission Awacs ou même des Rafale
peuvent être utilisés.
Au-delà de la situation internationale,
c’est le ressentiment d’une grande par-
tie des Français à l’égard du président qui
inquiète les hommes chargés de sa sécu-
rité. Après les violences survenues lors du
mouvement des Gilets jaunes, les services
avaient déjà considérablement renforcé et
réorganisé les moyens à leur disposition,
comme le fait de pouvoir exiltrer le pré-
sident de l’Élysée en faisant poser un héli-
coptère dans les jardins du palais. Depuis
cette période, Brigitte Macron craint pour
elle, sa famille et son mari. « Elle a tou-
jours été très inquiète pour lui. Chez elle, il y
a la peur du “syndrome Kennedy”, qu’il inisse
assassiné », conirme Benalla. Qui se sou-
vient : « Dès qu’on est arrivés à l’Élysée, les
efectifs chargés de la sécurité du président
ont immédiatement été doublés par rapport à
ceux qui étaient chargés de celle de François
Hollande. Il y a deux raisons à cela. D’abord,
Macron va au contact, à portée de baffe.
Ensuite, depuis le début, il suscite une forme
d’antipathie. Il électrise. »
La gile reçue lors d’un déplacement du
président dans la Drôme, en juin 2021, est
là pour le rappeler. L’épisode a traumatisé
les équipes du GSPR. Mais pas Macron.
C’est tout le paradoxe du personnage : s’il
semble craindre les menaces, il n’en fait
qu’à sa tête dès qu’il veut entrer en contact
avec la population. Sur le terrain, son goût
pour la transgression et ses mouvements
intempestifs donnent des sueurs froides
à ses gardes du corps, déjà constamment
sous pression. Cela expliquerait un fort
>
21 au 27 mars 2024 - Marianne - 19
 Marianne RÉVÈLE Ce président qui craint pour sa peau
> turnover dans les équipes : « Tout le monde
se barre. Macron est devenu tellement insup-
portable », lâche un ex du GSPR.
Ce n’est pas le seul changement
dans le dispositif autour du président.
Depuis 2022, plusieurs modifications
notables sont intervenues. L’un des plus
proches gardes du corps du président, son
« épaule », Christian Guédon, cet ancien
gendarme du GIGN qui avait assuré sa
sécurité dès 2016 et la campagne de 2017,
et qui avait intégré le GSPR juste après la
victoire, n’est désormais plus à l’Élysée.
Autre poids lourd à avoir disparu du dispo-
sitif : le sous-oicier Michel Gofo, patron
des gendarmes au sein de l’enceinte (mili-
taire) de l’Élysée, un historique des lieux.
Pour ne rien arranger, depuis trois ans, la
hiérarchie de la sécurité présidentielle a
également été chamboulée : in 2021, le
patron de la Direction de la sécurité de la
présidence (DSPR), le gendarme Benoît
Ferrand, a été limogé assez brutalement,
et c’est désormais le policier Georges
Salinas, toujours chef du GSPR, qui
chapeaute l’ensemble.
Ces mouvements laissent entrevoir des
tensions renouvelées entre policiers et
gendarmes. De même, le ministère de l’In-
térieur, s’il garde oiciellement la tutelle
sur les services de sécurité présidentiels,
est souvent bien incapable de savoir ce qui
20 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
est décidé à l’Élysée. À tout cela s’ajoute
une fatigue des équipes élyséennes
après sept années de pouvoir : l’ambiance
semble morose au palais, la chasse aux
fuites n’est pas rare, et le personnel ressent
une méiance de la part du président.
Exigence d’actions
On retrouve cette fébrilité présiden-
tielle sur le front des ingérences russes,
notamment dans le domaine de la « guerre
informationnelle ». « Macron ne supporte
plus qu’on se fasse défoncer par les Russes sur
les réseaux sociaux, et que leur storytelling
s’impose », conie une source haut placée
dans la communauté du renseignement.
Depuis des mois, le président lit avec une
très grande attention toutes les notes qui
remontent de Viginum (le Service de vigi-
lance et protection contre les ingérences
numériques étrangères) ou du SGDSN
(Secrétariat général de la défense et de la
sécurité nationale) sur la guerre informa-
tionnelle en cours. Des notes riches, très
précises, mais cela ne lui suit pas. Au il
des mois, le président a ini par s’impatien-
ter, et réclame aujourd’hui de l’action. « Il
en a marre, il veut des trucs spectaculaires,
mais qui ne marchent pas forcément sur la
durée », s’irrite un homme de l’art.
À la suite de son discours du 9 novembre
2022, dans lequel il évoquait les « menaces
hybrides », Emmanuel Macron avait conié
au Quai d’Orsay la lourde tâche d’agir dans
le domaine. Mais, ces dernières semaines,
il a estimé que les diplomates n’avaient
pas su s’emparer pleinement du dossier.
Résultat, en début d’année, il a poussé une
gueulante auprès de toutes ses équipes
lors d’une réunion avec Alexis Kohler :
« Macron est totalement flippé par les Russes.
Un matin, il a débarqué dans les services de
renseignement et a demandé la création
d’une task force spéciale sur les ingérences
russes, du jour au lendemain. Les collègues
doivent tenir une réunion par jour, ça ne les
emballe pas beaucoup », témoigne un cadre
du ministère de l’Intérieur. Depuis, une
réunion est organisée chaque jour avec
des représentants de la DGSI, de la DGSE
et du Viginum. En réaction, le Quai d’Orsay
organise désormais chaque semaine une
réunion sur les actions de désinformation
menées par des États hostiles à la France
sous la houlette de Luis Vassy, le direc-
teur de cabinet de Stéphane Séjourné,
ministre des Afaires étrangères. À l’Ély-
sée, on nous l’assure : « On constate une
augmentation des attaques cyber et informa-
tionnelles, en particulier venant de la Russie.
Il y a donc bien une vigilance et une mobilisa-
tion de tout l’appareil d’État sur le sujet. » De
quoi rassurer enin Emmanuel Macron ? M
M.E., avec P.C. et L.V.
MOBILISATION
Même s’il a récemment
appelé les Français “à ne pas
céder à la peur”, le chef
de l’État joue-t-il, lui,
à se faire peur ? À l’Élysée,
les personnes chargées
de sa sécurité sont passées
en mode alerte rouge.
Ci-contre, lors de l’ouverture
du Salon de l’agriculture,
le 24 février.
Lewis Joly / Reuters
 Marianne DÉVOILE

BIEN AU CHAUD
“Le Siècle reste un objet
de fantasme. On imagine
souvent de la collusion
Agapes the power

Les nouvelles recrues

et des conflits d’intérêts”,
rapporte un collaborateur
de ministre.

du dîner du Siècle
a première fois, deux attitudes. Certains Vieillot et poussiéreux, symptomatique de l’entre-soi

L des nouveaux invités appréhendent et

arrivent sur la pointe des pieds, accom-
pagnés de leur mentor. Quand d’autres,
rompus aux mondanités, s’y rendent
« sans aucune pression ». L’ex-député Julien
Aubert appartient à cette dernière catégorie.
« Après tout, il ne s’agit que d’un dîner », glisse-
des élites, générateur de fantasmes, le club le Siècle fête
cette année ses 80 ans. Mais il attire aussi de jeunes proils.
Chaque mois, lors de son traditionnel dîner, d’ambitieux
trentenaires et quadragénaires se mêlent aux piliers de
t-il. Un dîner, certes, mais celui du Siècle. Un l’institution. Qui sont-ils et qu’y trouvent-ils ? Par Maël Jouan
mercredi par mois, l’association, qui « a pour
but d’organiser et de favoriser la rencontre de aujourd’hui conseiller à la Cour des comptes. Pourtant, le Siècle cumule les « défauts » :
celles et ceux qui sont particulièrement attentifs Les dîners du Siècle rassemblent grands il est le plus connu des cercles de pouvoir
à la vie publique », selon son manifeste, réunit patrons, politiques, hauts fonctionnaires, censément discrets et jouit en plus d’une
Rachid Bellak / Bestimage

quelque 250 convives sous les lustres des
salons du cercle de l’Union interalliée. « C’est
simple : si vous y êtes convié, vous ne rencontre-
rez que des gens connus, riches ou puissants.
Voire les trois à la fois », poursuit l’ancien élu,
universitaires et journalistes influents, aux-
quels se mêlent avec délectation une poignée
de trentenaires et de quadras désireux de
côtoyer « les hautes sphères de la société »,
selon l’un d’eux.
image vieillotte. Il devait d’ailleurs dispa-
raître à l’aube des années 2000. En sep-
tembre, il fêtera ses 80 ans, plus que l’âge
limite de ses membres (fixé à 75 ans). Alors,
poussiéreux le Siècle ? « Pas du tout ! On est
>
21 au 27 mars 2024 - Marianne - 21
 Marianne DÉVOILE Les nouvelles recrues du dîner du Siècle

> loin de l’image guindée et policée que j’avais

avant d’y entrer, même si les membres sont
très urbains ! », s’exclame une nouvelle
de l’association, d’inceste. L’institution se
heurte aussi à un problème de parité. « Il
y a un vrai sujet de féminisation », explique
recrue – et affronté le vote du conseil
d’administration, il a décroché sa première
invitation. Comme tout nouveau convive,
recrue, qui ne raterait pour rien au monde un proche de Véronique Morali, patronne il fait partie des « membres invités » pen-
un dîner. Et puis, « il y a une véritable stra- de Webedia et troisième femme élue prési- dant une période d’observation (une for-
tégie de rajeunissement, ça n’arrête pas de dente du Siècle en début d’année. « Il y a un malité) avant d’intégrer de manière défini-
rentrer », croit savoir un autre membre, réel efort. À ma table, on atteint très souvent tive le club. Mais si ce préfet a un parcours
Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre la parité », note une ancienne ministre, alors atypique, beaucoup restent du sérail, favo-
d’Emmanuel Macron reconverti dans un que la maîtresse de cérémonie, Marianne risant l’entre-soi. Normaliens, polytechni-
fonds d’investissement consacré à l’im- Bérard-Quélin, renchérit : « L’association ciens et énarques restent surreprésentés.
mobilier. Pour preuve : « La cravate n’est est attentive à ce que les femmes prennent On retrouve ainsi en nombre quelques
plus obligatoire depuis peu », se gausse un les places qui leur reviennent. » Pourtant, anciens camarades d’Emmanuel Macron
jeune entrepreneur, plus habitué à travail- lors du dîner du mois de novembre 2023, au sein de la promotion Léopold Sédar
ler en tee-shirt. seules 81 femmes figuraient parmi les Senghor à l’ENA. En plus de l’actuel chef
300 convives. Sans parler de la très faible de l’État, convié avant qu’il occupe l’Ély-
Sortir de la “consanguinité” proportion de profils issus de ce que l’on sée, et de Julien Aubert, cité précédem-
En novembre 2023, la benjamine était nomme aujourd’hui la « diversité », alors ment, Mathias Vicherat, tout juste démis-
Lucie Basch, 31 ans et fondatrice de Too même que le Siècle se revendique comme sionnaire de la présidence de Sciences-Po,
Good To Go, une application qui permet un reflet de notre société. y a ses habitudes, tout comme Sébastien
aux utilisateurs de récupérer les invendus Le système de cooptation limite l’émer- Veil, petit-fils de Simone Veil, une des pre-
alimentaires à prix réduits. « Il y a encore gence de personnalités qui « sortent du mières femmes à intégrer le Siècle, ainsi
quelques années, c’était impensable de trou- cadre ». Les anciens n’hésitent pas à glisser qu’Amélie Oudéa-Castéra et le banquier
ver un proil si jeune à la table », note un le nom de leurs petits protégés désireux de Sébastien Proto.
habitué. Son âge détonne, et son champ rejoindre le cénacle. Il se murmure ainsi Mais que viennent chercher ces jeunes
d’activité aussi : celui de la tech. « Il faut que Pierre de Bousquet de Florian (69 ans), ambitieux ? Méthodique, un haut fonc-
intégrer les secteurs porteurs, notamment les ancien directeur de cabinet de Gérald Dar- tionnaire liste les trois raisons qui le
métiers liés au Web », explique Marianne manin à l’Intérieur, a suggéré le nom de son poussent à venir s’asseoir tous les mois à
Bérard-Quélin, fille du fondateur (un jour- successeur à ce poste, Alexandre Brugère, une table : « Déjà, c’est très bien organisé et
naliste) et actuelle secrétaire générale 36 ans. Après avoir envoyé son CV – pas- ça ne dure qu’une heure trente. Quand on a
de l’association. « Forcément, quand tu sage quasi obligé pour toute nouvelle un emploi du temps chargé comme le mien,
cherches de nouveaux proils, si ce ne sont pas
des héritiers, il y a de grandes chances que ce
soient des entrepreneurs de la tech », détaille
un des nouveaux participants, qui ajoute,
goguenard : « Et puis, c’est bien, ça permet de
sortir un peu d’une certaine consanguinité ! »
Avant de se reprendre par deux fois, peut-
être par crainte de ne plus être invité :
« Vous n’allez pas l’écrire, hein ? Je n’ai pas dit
ça de manière péjorative. » Il ne faudrait pas
rompre avec l’ambiance feutrée de ce club
élitiste où chacun loue le caractère apaisé
des débats. L’institution veille d’ailleurs
à éviter les conflits. En évitant de placer,
par exemple, le président du directoire du
groupe Canal +, Maxime Saada, dont l’une
des chaînes, CNews, est dans le viseur du
régulateur de l’audiovisuel, l’Arcom (lire
p. 36), à la même table que le président de
l’institution, Roch-Olivier Maistre.
Outre ces nouveaux métiers, bien repré-
sentés, le Siècle cherche à attirer des magis-
trats. Un observateur souligne : « Il y a eu plu-
sieurs départs dans la profession après l’afaire
Duhamel. » Sa belle-fille, Camille Kouchner,
avait accusé le politologue, alors président

SÉRAIL Chaque mois, l’association réunit quelque 250 convives

sous les lustres des salons du cercle de l’Union interalliée.

22 - Marianne - 21 au 27 mars 2024

 c’est appréciable. Ensuite, il y a une grande
diversité d’interlocuteurs, on y apprend tou-
jours quelque chose. Et puis, on ne va pas se
le cacher, ça permet de se faire un réseau. »
L’organisation prend soin d’assurer le
brassage. Il est rare de retrouver un même
convive à sa table deux fois dans la même
année. « À chaque dîner, je récupère les
numéros et parfois, dans les jours qui suivent,
je fais des cafés ou des déjeuners. Souvent,
c’est parce que j’ai accroché avec une per-
sonne, mais, à d’autres occasions, c’est pure-
ment opportun », concède sans vergogne
une jeune membre utilisant avec soin
l’annuaire listant par ordre alphabétique
l’ensemble des présents distribué aux
convives avant chaque repas. À l’heure
des réseaux sociaux, ce bottin pourrait
pourtant paraître éculé. Il se révèle d’une
extrême utilité pour les nouveaux venus.
« Je ne me vois pas donner ma carte de visite
à Pouyanné [le patron de Total, un habi-
tué des lieux] ou à Dominique Seux [direc-
teur délégué des Échos et éditorialiste sur
France Inter], ni leur envoyer un message sur
LinkedIn le lendemain. »
Gwenn Dubourthoumieu
Le Siècle veille à mélanger les étoiles
montantes de la politique (comme les
députés de la majorité Charles Sitzenstuhl,
Maud Bregeon et Clément Beaune ou
“ On ne va pas se le cacher, ça permet
de se faire un réseau.” UN HAUT FONCTIONNAIRE
la forte tête des Républicains Aurélien
Pradié) aux anciennes gloires parfois
déchues. Pour ces politiques, le Siècle
reste un capteur. « On côtoie les petits
commerçants en région le week-end et les
élites une fois par mois. Comme ça, on a l’en-
semble du spectre », ose l’un d’eux. Quant
aux anciens, ils apprécient de voir leurs
poulains gravir les échelons. Une dizaine
de ministres actuels ont ainsi intégré le
club plus ou moins récemment. Parmi les
plus jeunes, Sébastien Lecornu et Gérald
Darmanin. Ce dernier y passait encore
quelquefois une tête au début du pre-
mier quinquennat, faisant fructiier son
carnet d’adresses parmi les poids lourds
de l’économie. Peu cependant y dînent
régulièrement. « Il y a une contrainte d’em-
ploi du temps », assume un ancien ministre
qui a plaisir à revenir s’asseoir parmi les
convives. Un collaborateur y voit aussi
une question d’image : « Le Siècle reste un
objet de fantasme. On imagine souvent de la
collusion et des conflits d’intérêts. Ce n’est
pas génial pour un ministre ou un élu. »
Les membres du gouvernement dis-
posent quand même de quelques capteurs,
notamment par l’intermédiaire de leurs
directeurs de cabinet. Ainsi, si Gabriel Attal
n’a pas répondu à l’invitation du Siècle,
selon le média conidentiel spécialisé dans
les enjeux d’inluence la Lettre, son dir-cab,
Emmanuel Moulin, y a table ouverte. Il y
dînait encore in novembre 2023, alors qu’il
était à la tête de France Trésor, en compa-
gnie d’Alexandre Brugère, le collaborateur
de Gérald Darmanin, d’Adrienne Brotons,
son homologue au cabinet de Roland
Lescure, ou encore de Bertrand Dumont,
alors bras droit de Bruno Le Maire à Bercy.
Mais y parle-t-on politique ?
Conversations confidentielles
« Certains patrons sont fascinés par
ce monde qu’ils connaissent mal et pour
lequel ils montrent une réelle appétence »,
explique Julien Aubert. Un ancien élu se
rappelle une soirée un peu salée. Au len-
demain d’une débâcle électorale mémo-
rable, le moral dans les chaussettes, il se
rend à un dîner avec l’envie de se chan-
ger les idées. « Manque de chance, la plu-
part des discussions et des questions qui
m’étaient adressées ce soir-là tournaient
autour de ma campagne. » Et si les grands
patrons ne dévoilent pas frontalement
leur intention de vote ou leurs opinions,
« on arrive à sentir l’ambiance, explique
un élu. On capte s’ils sont en accord avec la
politique actuelle ou s’ils décrochent. Et en ce
moment, on ressent un désenchantement du
pouvoir macronien ».
L’endroit semble d’autant plus pro-
pice à prendre la température que bon
nombre de membres du club ont fait par-
tie des premiers soutiens d’Emmanuel
Macron. À commencer par l’ancien ban-
quier d’afaires Christian Dargnat, artisan
de la levée de fonds du jeune candidat
en 2017, et qui a remis à proit son car-
net d’adresses en 2022. Les langues ne se
délieront pas davantage, ain de respecter
la règle première du club : la conidentialité
des propos. Mais, au fait, mange-t-on bien
aux dîners du Siècle, payés 87 € par ses
membres ? « Pas génial ! », lâchent plusieurs
anciens au palais habitué aux mets exquis.
« Ils abusent ! C’est super bon ! », balance en
retour une plus jeune. Tout est question de
génération, encore une fois. M M.J.
21 au 27 mars 2024 - Marianne - 23
 Marianne PROPOSE
Libérés, délivrés
Comment sortir de l’emprise
juridique de l’Europe
Auditionné par les juges
du Conseil d’État
en novembre 2023,
l’ancien ministre Arnaud
Montebourg a pointé leur
propre responsabilité dans
la “mutilation juridique”
de la souveraineté française.
“Marianne” révèle le contenu
de sa note… que l’institution
a refusé de publier.
Par Hadrien Mathoux
24 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
a ne pouvait pas bien se passer.
Ç Lorsqu’ils ont convoqué Arnaud
Montebourg pour une audition, fin
novembre 2023, les juges du Conseil
d’État ne s’attendaient sans doute
pas à ce que le passage de l’ancien ministre
de l’Économie tourne à ce point au vinaigre.
La confrontation était en réalité inévitable,
au regard de l’angle d’attaque choisi par le
chantre du made in France : invité à s’expri-
mer sur les causes de la perte de souverai-
neté du pays, Montebourg a pointé le rôle…
du Conseil d’État.
La juridiction suprême de l’ordre admi-
nistratif français réalise chaque année une
étude sur un thème spécifique. En 2024, le
Conseil a choisi de se pencher sur la souve-
raineté, notant que « ce sujet a pris une acuité
particulière dans le débat public depuis une
trentaine d’années sous l’efet, à la fois, de l’in-
tégration européenne et de la libéralisation de
l’économie, et des nouvelles attentes concer-
nant les modalités d’exercice de l’expression
du peuple souverain ». Dans l’optique de pro-
duire un rapport, les magistrats organisent
un cycle de cinq conférences – la prochaine
aura lieu fin avril – mais aussi des auditions
de personnalités.
C’est à ce titre qu’Arnaud Montebourg
s’est invité au Palais-Royal. Retiré de la
vie politique depuis l’échec de sa candida-
ture à la présidentielle 2022, le sexagénaire
entend continuer à peser dans les débats
idéologiques, et notamment sur les enjeux
de souveraineté, qui lui sont chers. Engagé
de longue date pour la « démondialisation »,
le Bourguignon n’a eu de cesse de dénoncer
la trahison du traité de Lisbonne (2007) qui
bafouait le résultat du référendum de 2005,
les multiples « pertes de contrôle de nos leu-
rons industriels », tels qu’Alstom, ou encore
la transformation de la France en « colonie
numérique des États-Unis ».
Face au Conseil d’État, Montebourg a
enfourché un nouveau cheval de bataille :
la dénonciation de la « souveraineté juri-
diquement mutilée », du fait de la « dépos-
session sérieuse et continue des pouvoirs
appartenant au législateur », c’est-à-dire
les politiques élus par le peuple, au proit
d’institutions juridiques qui « fabriquent
à jet continu des décisions rivalisant de zèle
pour écarter nos lois, relativiser leur applica-
tion, interdire tout ou partie de leur contenu
et inventer toutes sortes de règles ain de les
rendre caduques ». Et, parmi les cinq cours
suprêmes, qui sont, rappelons-le, le Conseil
d’État, le Conseil constitutionnel, la Cour


 

   
de cassation, la Cour européenne des droits
de l’homme et la Cour de justice de l’Union
européenne (CJUE), c’est le Conseil d’État
que l’ex-socialiste a choisi de cibler !
“Ils dansaient sur leur siège”
« Je leur ai expliqué qu’ils étaient res-
ponsables de la perte de souveraineté de la
France. Forcément, ils n’étaient pas contents
et dansaient sur leur siège ! », s’amuse Mon-
tebourg auprès de Marianne. Cordial – céré-
monial judiciaire oblige –, l’échange entre
les conseillers d’État et leur procureur du
jour n’en fut pas moins tendu sur le fond,
l’ex-ministre s’attaquant à deux arrêts qu’il
considère comme « deux trahisons » de l’ins-
titution envers la souveraineté française.
À l’issue de son audition, Montebourg a
adressé à Martine de Boisdefre, présidente
de la section des rapports et des études du
Conseil d’État, ainsi qu’au vice-président
du Conseil d’État, Didier-Roland Tabuteau,
LE 5/7
une note étayant ses positions. Coécrit
avec le doctorant en droit public Samuel
Seu et une équipe de « jeunes juristes uni-
versitaires », le document détaille l’argu-
mentaire de Montebourg sur 17 pages (lire
notre résumé). Si l’ex-ministre a fait part au
Conseil d’État de sa « demande oicielle que
ces considérations » igurent dans le rapport,
la réponse de Martine de Boisdefre s’est
révélée négative : le 4 janvier, la magis-
trate a informé l’ancien avocat que sa note,
promise à « alimenter de façon fort utile » la
rélexion du Conseil d’État, ne igurerait pas
dans le rapport, celui-ci étant fermé à toute
« contribution externe ».
Un prétexte purement politique selon
Montebourg, qui estime que le Conseil
d’État n’a pas aimé se voir reprocher ses
propres turpitudes en matière d’affai-
blissement de la souveraineté française.
Confronté à la frilosité des milieux juri-
diques, craintifs à l’idée de « faire de la
>
MATHILDE
MUNOS
 Marianne PROPOSE Comment sortir de l’emprise juridique de l’Europe ?
> politique » et de froisser la plus haute juri-
diction administrative, le Bourguignon
a choisi d’ouvrir le débat à un plus large
public en transmettant sa note à Marianne.
« La lutte contre la perte de souveraineté
juridique est le plus important des com-
bats, martèle-t-il. Les Français n’en sont
pas conscients mais plus de 60 % des lois
adoptées sont des transpositions de direc-
tives européennes. » Arnaud Montebourg
n’est pas seul : beaucoup de spécialistes
ont pointé la tendance d’un grand nombre
de magistrats de haut rang à outrepas-
ser leurs pouvoirs, prétendant dicter
leur loi au législateur – et au peuple qui
l’a élu – au nom d’un « État de droit » qui
ressemble de plus en plus à un gouverne-
ment des juges. D’habitude, les critiques
se concentrent sur le Conseil constitu-
tionnel ou la CJUE, mais Montebourg vou-
drait que les projecteurs se braquent sur
le Palais-Royal : « Le Conseil constitution-
nel prend assez rarement des décisions, alors
que le Conseil d’État a un réel impact sur la
vie des Français », estime-t-il.
Jean-Éric Schoettl, secrétaire général du
Conseil constitutionnel de 1997 à 2007, fait
partie de ces voix qui dénoncent réguliè-
rement cette dérive du pouvoir judiciaire.
Lui-même ancien conseiller d’État, il a lu la
note d’Arnaud Montebourg et en approuve
le contenu. « La note fait mieux que militer,
AGACÉ “Les Français ne sont pas conscients de la situation : plus de 60 % des lois adoptées sont des transpositions
de directives européennes”, déplore l’ancien ministre de l’Économie, Arnaud Montebourg.
26 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
elle démontre », apprécie le magistrat, qui
ne mâche pas ses mots pour décrire la
situation : « S’agissant du droit de l’Union
européenne, les juridictions nationales sont
devenues fonctionnellement des “organes
supplétifs” de la CJUE. »
Révision constitutionnelle ?
Et maintenant, que faire ? Si l’on en
croit Montebourg, « deux points de couture
sur la matrice juridique du pays » émanant
du Conseil d’État suiraient à restaurer
en large partie la souveraineté nationale.
Bien sûr, l’intéressé se fait peu d’illusions
sur les volontés patriotiques des magis-
trats, tout comme Jean-Éric Schoettl : « Le
juge national trouve dans le droit européen
le moyen historique de s’extraire de l’État
national et de dominer celui-ci », com-
mente ce dernier, qui admet que l’hypo-
thèse d’un revirement du Conseil d’État
concernant sa propre jurisprudence est
« hautement improbable ». Et ce, même si
le point de vue des magistrats œuvrant
au Palais-Royal est bien moins uniforme
qu’on pourrait le croire… Schoettl envi-
sage donc une « révision constitutionnelle
pour restaurer une séparation des pouvoirs
conforme à la souveraineté populaire » en
modiiant notamment l’article 55 (voir ci-
contre). En tout cas, le débat sur le Conseil
d’État est désormais ouvert. M H.M.
La note de Montebourg
en deux points
Toufu, aride, charpenté, le document
de l’ancien ministre n’est pas d’un abord
évident pour le profane en droit. En voici
la substantiique moelle. Montebourg part
du constat que la souveraineté juridique
française est « juridiquement mutilée »
par l’action de cours suprêmes qui placent
le législateur dans la position d’un
« slalomeur serré entre les bâtons hérissés
d’interdits illisibles, imperfectibles, instables
et parfaitement illégitimes ». Il s’attaque en
particulier à deux arrêts du Conseil d’État.
Le premier, l’arrêt Nicolo, qui date de
1989, interprète l’article 55 de la Constitution
pour consacrer la supériorité juridique des
traités internationaux sur les lois nationales.
Une décision contestable selon la note,
qui puise dans la jurisprudence des exemples
démontrant qu’il serait au contraire
possible de faire primer la souveraineté
nationale et populaire, notamment
lorsque les intérêts du pays sont en jeu.
Le second, l’arrêt French Data Network,
décidé en 2021, est une réaction à
la décision de la Cour constitutionnelle
fédérale allemande prise l’année précédente.
Celle-ci avait estimé que les institutions
européennes avaient outrepassé leur pouvoir
en bafouant la souveraineté des peuples
dans l’afaire du rachat de titres publics
par la BCE. Le Conseil d’État, sollicité par
Jean Castex, avait au contraire proclamé
sa soumission en se déclarant inapte à juger
de la répartition des compétences entre
l’UE et la France. Selon Montebourg, « s’il
fallait résumer en termes crus et cruels la
jurisprudence du Conseil d’État, elle s’arroge
le droit de constituer la loi nationale lorsque
celle-ci contredit le droit européen, et elle
refuse de contrôler les excès de pouvoir des
institutions européennes lorsque celles-ci
contredisent le droit des traités européens ».
Si l’on suit la note, il serait possible,
voire enfantin, techniquement parlant, de
revenir sur ces deux arrêts et d’engager ainsi
avec les institutions européennes un conlit
permettant de restaurer la souveraineté
juridique française. Mais l’initiative
Éric Dessons / “JDD” / Sipa
d’une telle action revient évidemment
au Conseil d’État… et exigerait que
l’institution se désavoue elle-même.
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“ L A V É R I T É N ’A PA S D E M A Î T R E ”
 Marianne DÉBAT
La bourse et la vie

La médecine
Arnaud Lerouge
Généraliste à Cambrai,
il a proposé une journée
de consultations
gratuites.
doit-elle être Gilles Noël
Vice-président de
l’Association des maires
ruraux de France.

plus chère pour être

meilleure ?
Des milliers de médecins pourraient faire le choix de se déconventionner et priver
ainsi leurs patients de remboursement. En échange d’un meilleur service, assurent-ils.
Au risque d’aggraver les déserts médicaux ? Propos recueillis par Margot Brunet
’ils n’obtiennent pas une augmen- neaux par jour à une trentaine, avec des soins. À la mairie, cette problématique nous

S tation du tarif de la consultation

(26,50 € actuellement), 5 000 méde-
cins menacent de sortir de la conven-
tion qui les lie à l’assurance maladie.
Leurs patients ne seraient alors plus rem-
boursés par la Sécu. En contrepartie, les pra-
ticiens assurent qu’ils auraient davantage de
temps à consacrer à leur patientèle. Arnaud
Lerouge, généraliste à Cambrai (Nord), a
franchi le pas. Gilles Noël, maire de Varzy,
petite commune de la Nièvre, et vice-pré-
sident de l’Association des maires ruraux
de France (AMRF), y voit, lui, une injustice
consultations plus longues. J’ai récupéré
davantage de suivis lourds, de patients chro-
niques. On vient moins souvent me voir
pour des gastros ou des rhumes. Les consul-
tations entièrement remboursées créent
une surconsommation. À 50 €, on réléchit
avant de venir ! Mais on a droit à un médecin
qui prend le temps d’examiner. J’observe
aussi une diminution de mes prescriptions
médicamenteuses. La paperasse est moins
prenante. Je ne me couche plus à minuit, je
n’ai plus de signes de surmenage. On tirera
les leçons après le bilan comptable mais je
revient dans la igure tous les jours. Nous
nous battons pour conserver des urgences
ouvertes, des centres hospitaliers de proxi-
mité, des maternités. L’espérance de vie
est plus faible en milieu rural qu’en milieu
urbain. Un enfant qui naît aujourd’hui à la
campagne a jusqu’à deux années d’espé-
rance de vie en moins qu’un enfant né en
ville. Dans l’imaginaire collectif, il fait bon
vivre à la campagne, il y a des petits oiseaux,
le grand air. Sauf qu’il n’y a pas de médecin.
On y consomme 20 % de soins hospitaliers
de moins. Non pas parce qu’on est moins

DR - Sami Belloumi / MaxPPP

et le risque d’une aggravation des déserts suis à l’équilibre, je ne gagne pas mieux ma malade mais parce qu’il faut faire des kilo-
médicaux. Faut-il un remède de cheval pour vie. Je n’augmenterai pas mes honoraires mètres et des kilomètres pour aller chez
améliorer la médecine ? à 80 €, bien sûr. Mais, si l’État ne peut pas le médecin et qu’on y va trop tard. Dans
nous rembourser 50 €, qu’il ne nous impose les zones les moins bien dotées, les prati-
Marianne : Arnaud Lerouge, depuis que pas un tarif ! ciens les plus proches donnent un coup
vous êtes déconventionné, recevez-vous de main comme ils peuvent, se rendent de
toujours autant de patients ? Gilles Noël, vous craignez temps en temps là où les manques sont les
Arnaud Lerouge : Je pensais perdre des que cela ne creuse des inégalités plus criants. Ils ne le feront plus une fois
patients mais mon emploi du temps est territoriales d’accès aux soins… déconventionnés. Et, en prenant moins de
rempli pour les trois prochains mois ! Certes, Gilles Noël : Bien sûr, le déconventionne- patients, ils risquent d’épuiser les autres !
j’en ai un peu moins : je suis passé de 40 cré- ment va à l’encontre de l’égalité d’accès aux En ville, vous avez 5 km² à couvrir. Dans nos
campagnes, un médecin comme vous en
a 30. Un déconventionnement, c’est poten-
“Au lieu de se préoccuper de nos patients, tiellement une zone d’une telle étendue qui
se retrouve privée de médecins. Là où on
on pense surtout à nos tableaux Excel pour n’a pas assez de médecins, on risque de ne
être rémunérés par la Sécu…” ARNAUD LEROUGE plus en avoir du tout. Ou alors trop chers…
28 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
Arnaud Lerouge : Monsieur le maire, notre
constat est le même. Le vrai problème est
là : des médecins partent prématurément
car ils sont épuisés. Ce constat est vrai éga-
lement dans les villes. Paris ou Toulouse
aussi sont des déserts médicaux. À l’autre
extrémité, des jeunes en stage voient leurs
aînés débordés et ne s’installent donc pas.
Ils font des remplacements mais ne posent
pas leur plaque. Je suis maître de stage oi-
ciel depuis 2018. Dès lors que j’ai annoncé à
mon département de médecine générale
de la faculté de médecine que je me décon-
ventionnais, j’ai été radié, ni plus ni moins.
C’est bien dommage, parce que le déconven-
tionnement attirerait beaucoup de jeunes
médecins à certains endroits sans crainte
de ne pas s’en sortir.
C’est cet argument économique
qui vous a décidé à vous déconventionner
en octobre 2023 ?
Arnaud Lerouge : Cambrai est une ville de
30 000 habitants, 50 000 en comptant l’ag-
glomération. En 2010, on était 40 médecins.
On est maintenant 18. Avec une population
vieillissante, et donc des patients plus com-
plexes à suivre. Depuis mon installation
il y a quatorze ans, j’ai vu les contraintes
administratives et économiques s’accroître.
Quand on prête le serment d’Hippocrate,
on est censé n’avoir que nos patients en
tête. Maintenant, on pense surtout à nos
tableaux Excel pour être rémunérés par la
Sécu… C’est le facteur économique qui nous
dirige ! Avec l’inlation galopante, la non-
augmentation du tarif de remboursement
n’est plus tenable. Énormément de méde-
“Le déconventionnement, ce sont des zones
entières, rurales, qui vont se retrouver
privées de médecins accessibles.” GILLES NOËL
cins libéraux, conventionnés, ont dû abon-
der leur entreprise libérale avec leurs fonds
propres, parfois de 10 000 à 15 000 € pour
rester ouverts. Moi qui suis entrepreneur
dans l’âme, je préfère me déconventionner.
Je fais payer 50 € et je ne suis plus astreint à
faire dix ou quinze heures de travail admi-
nistratif par semaine pour la Sécu.
Gilles Noël : Bien sûr, on comprend que vous
ne vouliez plus être des robots qui croulent
sous la paperasse. Mais, aujourd’hui, quand
on paie 26,50 €, on est remboursé à 70 %.
Malgré cela, on sait que des patients vont
très tard chez le médecin. On ne se fait
aucune illusion : demain, ils n’iront plus,
parce qu’ils n’auront pas 50 €. Certains ne
peuvent pas se le permettre. Ils iront donc
aux urgences. Puisqu’elles sont surchargées,
on leur dira d’appeler le 15 pour réguler les
arrivées. On assiste déjà à des situations
ingérables pour les professionnels de santé,
pour l’administration de l’hôpital, pour les
patients. Quand vous dites que Paris est
un désert médical, laissez-moi rire. Il y a
des soucis, je veux bien l’entendre. Mais
trouver un ophtalmo, voire en changer, on
peut encore le faire dans la capitale. Des
gens meurent des inégalités d’accès aux
soins en France au XXIe siècle, et ampli-
ier cette médecine à deux vitesses ne fera
qu’aggraver la situation. Cela nuira aussi
à la prévention. C’est l’un des principaux
efets pervers à craindre d’un déconven-
tionnement : que les consultations soient
réservées à une patientèle plus aisée, alors
que le reste des citoyens surchargera les
cabinets des généralistes remboursés.
Arnaud Lerouge : La médecine à deux
vitesses, c’est une décision politique.
Depuis que je ne suis plus conventionné,
mes patients sont remboursés 0,61 €, c’est
le tarif d’autorité. C’est ce qui m’a beaucoup
freiné au début, j’avais l’impression de les
abandonner. Mais, en Belgique, les méde-
cins déconventionnés, qui représentent
près de 10 % de la profession, sont rembour-
sés à un niveau bien plus élevé. En France,
maintenir un tarif aussi bas est un choix.
L’équité territoriale, c’est la problématique
des politiques, pas la mienne. Peut-être
que la solution est d’embaucher des méde-
cins fonctionnaires, qui y trouveraient
des avantages : ils accepteraient d’aller en
mission à certains endroits et auraient des
revenus ixes, des horaires ixes. Mais il doit
alors y avoir aussi de vrais libéraux, qui ne
dépendent pas de la Sécu.
Gilles Noël : Vous ne pouvez pas avoir le
beurre et l’argent du beurre. Si vraiment
vous êtes un entrepreneur, mettez votre
siège social en Belgique. Vos patients seront
alors remboursés ! Nous croyons plutôt à la
mise en place de vraies équipes médicales
autour du patient. Malgré les contraintes
inancières de la Sécu, des choses avancent,
le gouvernement essaie de libérer du temps
aux médecins. C’est le cas par exemple
quand il permet aux pharmaciens de déli-
vrer des antibiotiques pour les cystites
ou aux infirmiers de faire les
vaccins. La profession doit
balayer devant sa porte. M
 Marianne RACONTE
Il n’y a pas que Dupont de Ligonnès
Ces 20 disparitions
qui hantent
les enquêteurs
Plus de mille personnes se volatilisent chaque année
en France, à l’instar du petit Émile ou de la jeune Lina.
Près de trois par jour. Dans le lot, potentiellement,
des crimes, sans cadavre ni suspect. Comment expliquer
la persistance de ces mystères ? Par Laurent Valdiguié
n drame silencieux. Invisible à
U
l’échelle nationale. Comme un
scandale à bas bruit. Personne ne
sait combien ils sont exactement.
Dans le maquis des chifres du minis-
tère de l’Intérieur, hors fugues de mineurs,
entre 12 000 et 18 000 disparitions d’adultes
sont signalées tous les ans. Entre une et
deux par heure ! La majorité des afaires
sont résolues soit par des retrouvailles,
soit par la découverte d’un corps. Mais tous
les ans, un gros millier de « disparitions
inquiétantes » restent sans explications.
Ces « mille » s’appellent les « disparus ».
Trois par jour en moyenne.
Tous se volatilisent sans raison connue,
comme des bulles de savon, en un instant.
Cinq cents personnes environ, selon la
plupart des experts, se suicident et leurs
corps ne sont pas retrouvés. D’autres,
un quart selon les estimations, peuvent
faire une mauvaise chute, ou, soufrant
de troubles mentaux ou d’Alzheimer,
s’évaporer dans la nature. Récemment, à
Lyon, il aura fallu plusieurs jours à un mari
pour retrouver sa femme dont il avait été
séparé dans la cohue du métro. Soufrant
d’une maladie dégénérative, elle s’était
perdue et avait été prise en charge par
un hôpital. Le dernier quart des dispari-
tions aurait une cause criminelle, qu’elle
soit accidentelle ou volontaire. Ceux-là
30 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
auraient croisé la route d’un tueur. Le
résultat de cette soustraction macabre
place la barre annuelle à environ 250 ho-
micides, volontaires ou involontaires. Soit
un crime sans cadavre tous les deux jours.
Quatre par semaine ! Au pays du commis-
saire Maigret, une statistique tout aussi
invisible qu’afolante du « meurtre par-
fait ». « On a longtemps prétendu que les
tueurs en série n’existaient qu’aux États-
Unis », observe Philippe Folletet, ancien
commissaire, persuadé de l’existence de
prédateurs en liberté.
Double choc pour les proches
Pour les familles de ces « volatili-
sés », dans tous les cas, la vie emprunte
alors un chemin bordé de questions
sans réponse et de solitude. Personne
n’a vraiment pris la mesure des dou-
leurs et des soufrances que ces drames
singuliers provoquent. Personne ? Pas
tout à fait. Comme Philippe Folletet, ils
sont 650 bénévoles au sein de l’asso-
ciation Assistance et recherche de per-
sonnes disparues (ARPD) à ne pas baisser
les bras. En 2023, l’association a augmen-
té ses efectifs de 50 %, signe probable
d’une prise de conscience. Cette armée
de bonnes volontés, qui couvre désor-
mais la quasi-totalité des départements
de métropole, assiste, enquête, aiguil-
Patrick Leboucher
66 ans, le 12 septembre 2021
à LISIEUX (14)
Passionné de course à pied, il part faire
un jogging pour préparer le marathon
d’Amsterdam, sur un itinéraire qu’il
connaît bien, mais ne rentre pas chez lui.
Marylène Thomas
75 ans, le 15 février 2023
à TRÉDREZ-LOCQUÉMEAU (22)
Elle quitte son domicile
sans prendre ses lunettes de vue.
Maryline Briend
34 ans, le 15 août 2006
à COURMEMIN (41)
La porte de chez elle est ouverte,
télé allumée, papiers et téléphone
à l’intérieur, mais plus de nouvelles.
Erwan Blais
18 ans, le 10 février 2024
à MONCOUTANT-SUR-SÈVRE (79)
Le jeune garçon s’évapore
à la sortie d’une boîte de nuit.
Famille Méchinaud
Jacques, 31 ans, Pierrette, 29 ans,
Éric, 7 ans, et Bruno, 4 ans,
le 24 décembre 1972
à BOUTIERS-SAINT-TROJAN (16)
Le soir de Noël, après un réveillon
chez des amis, la famille rentre chez elle
où attendent les cadeaux des enfants.
Personne ne les reverra.
David Stevenin
29 ans, le 26 septembre 2018
à URT (64)
Il quitte une soirée festive avec son chien
à bord d’une Megane avant de disparaître.
Julie Michel
26 ans, le 19 juillet 2013
au PORT DE LERS (09)
La jeune fille dort dans son véhicule
aménagé sur un parking.
Elle ne sera jamais retrouvée.
lonne les services oiciels. Parfois avec
succès, souvent en vain, mais toujours
dans le dessein d’aider ces familles
embarquées sur le toboggan du malheur.
Toutes ces histoires ont pour point com-
mun un choc initial. Celui, pour les
proches de disparus, d’une perte aussi
soudaine qu’incompréhensible. « On avait
rendez-vous à 15 heures chez un notaire, il
était midi, le frigo était vide. Éric a proposé
d’aller faire des courses. Ça aurait pu être
moi. Je ne l’ai jamais revu », conie Régis
Pique, dont le compagnon s’est volatilisé
à Chatuzange-le-Goubet (Drôme) en sep-
tembre 2016. En 2010, à Échirolles (Isère),
 Christophe Ferreira Lopes
50 ans, le 6 avril 2023 à ORLY (94)
Soignant à l’hôpital Cochin, il prépare sa
ille de 11 ans pour l’école, puis se volatilise.
Olivier Cocquempot
46 ans, le 17 avril 2016 à ANGRES (62)
Il part faire des courses,
décharge sa voiture, et disparaît.
Jean-Joël Abotchi Lina Delsarte
25 ans, le 11 juin 2021 à VALENCIENNES (59) 15 ans, le 23 septembre 2023
Le jeune homme, qui se déplace avec des béquilles, à SAINT-BLAISE-LA-ROCHE (67)
ne donne plus signe de vie à sa famille. La jeune ille quitte son domicile à pied
pour la gare, où elle doit prendre un train
pour rejoindre son petit-ami.

Noureddine Adda
45 ans, le 10 novembre 2013 entre
CHALON-SUR-SAÔNE (71) et LYON (69)
Il prend le train à Chalon-sur-Saône pour
Lyon où il doit prendre un avion pour
l’Algérie. Ses bagages seront retrouvés
dans un train en direction de Paris.
HAUTS-DE-FRANCE
Adrien Fiorello
22 ans, le 6 octobre 2010
NORMANDIE à FIRMINY (42)
GRAND-EST Étudiant à Saint-Étienne, il se rend
ÎLE-DE-FRANCE à Chambéry sans raison apparente
BRETAGNE où sa trace se perd.
CENTRE-
PAYS DE LA LOIRE VAL-DE-LOIRE
BOURGOGNE- Cécile Vallin
FRANCHE-COMTÉ 17 ans, le 8 juin 1997
à SAINT-JEAN-DE-MAURIENNE (73)
Quittant à pied le domicile familial,
elle est vue pour la dernière fois
sur la départementale vers Chambéry.
AUVERGNE-
RHÔNE-ALPES

NOUVELLE-
AQUITAINE
OCCITANIE
Tatiana Andujar Monique Thibert
17 ans, le 24 septembre 1995 65 ans, le 2 juin 2015 dans la forêt
près de la gare de PERPIGNAN (66) du Boscodon à SAVINES-LE-LAC (05)
Elle est la dernière des trois “disparues Ses amis perdent sa trace au cours
de la gare de Perpignan”. d’une randonnée dans le cirque de Morgon.
Nicolas Suppo
30 ans, le 15 septembre 2010
à ÉCHIROLLES (38)
Il quitte son entreprise à la pause déjeuner,
et ne réapparaît pas.
PACA
Nelly Balmain
29 ans, le 8 août 2011
CORSE à SAINT-JEAN-EN-ROYANS (26)
Elle quitte le domicile en scooter
sans téléphone ni argent…
Ni elle ni son scooter ne réapparaîtront.
Corinne Bonfils
55 ans, le 18 juin 2015
à AJACCIO (20)
Émile Elle est vue pour la dernière fois
2 ans et demi, le 8 juillet 2023 dans dans une station-service d’Aspretto,
la commune du HAUT-VERNET (04) mais ne rejoindra jamais son domicile
Le petit garçon quitte le domicile à Ajaccio. Son téléphone borne à 3 h
de ses grands-parents après la sieste. du matin à cinquante mètres de là.

Nicolas Suppo quitte son entreprise à
l’heure de la pause déjeuner. En 2011, à
Saint-Jean-en-Royans (Drôme), Nelly Bal-
main part acheter des cigarettes en scoo-
ter. En 2013, Noureddine Adda est dans un
train en direction de l’aéroport de Lyon.
Un soir de 2006, à Courmemin (Loir-et-
Cher), Maryline Briend laisse la télé allu-
mée en quittant son appartement. En 2015,
Corinne Bonils fait le plein de sa voiture à
Aspretto (Corse). En septembre 2023, dans
le Bas-Rhin, Lina marche le long d’une
route départementale pour aller prendre
son train. En 2016, à Angres (Pas-de-Ca-
lais), Olivier Cocquempot rentre des
DR
courses et décharge sa voiture. À Lisieux,
en 2021, Patrick Leboucher part faire son
jogging. Le soir de Noël 1972, la famille Mé-
chinaud, le père, la mère et les deux ils,
rentre chez elle, à Boutiers-Saint-Trojan
(Charente), pour ouvrir des huîtres et les
cadeaux des enfants. Point commun de
tous ces individus ? Personne ne les a ja-
mais revus vivants. « Pour les familles, c’est
un choc toujours très brutal », conie Ber-
nard Valezy, un ancien policier qui préside
depuis deux ans l’ARPD. Mais un autre
traumatisme, tout aussi violent, les attend
« quand elles apprennent, quelques mois ou
quelques années plus tard, que, faute d’élé-
ments, l’enquête est clôturée », ajoute l’an-
cien policier. Un vide succède à un autre…
Il faut bien le constater, le taux d’élucida-
tion de ces disparitions inquiétantes reste
faible. Très faible.
Manque de moyens
« On m’a dit de revenir dans deux jours. »
Régis Pique se souvient de la réaction des
gendarmes à l’annonce de la disparition
de son compagnon parti au supermarché.
Plusieurs jours plus tard, quand l’enquête a
vraiment démarré, les vidéos de commer-
çants qui auraient pu être utiles avaient été
efacées. Et aucun bornage des téléphones
>

21 au 27 mars 2024 - Marianne - 31

 Marianne RACONTE Ces 20 disparitions qui hantent les enquêteurs
> de la zone n’a été efectué. « On le sait bien,
les quarante-huit premières heures sont déter-
minantes pour collecter des données », soupire
Bernard Valezy. Outre ces classiques
retards à l’allumage, l’association peste
contre l’absence de moyens accordés à
certains dossiers. « Les premiers mois passés,
si rien n’a été découvert, il y a une tendance
à abandonner », regrette Philippe Folle-
tet. Cet ancien policier, vice-président de
l’ARPD pour la région Auvergne-Rhône-
Alpes, connaît par cœur le dossier de Julie
Michel, une jeune ille de 26 ans disparue
le 19 juillet 2013, dont la voiture avait été
retrouvée sur un parking du port de Lers,
un col des Pyrénées en Ariège. Philippe
Folletet n’a jamais lâché prise et a appor-
té avec un autre membre de l’association,
en 2018, de nouveaux éléments à la justice.
« Le dossier avait été classé, et deux procu-
reurs de Foix successifs ont refusé pendant des
mois d’ouvrir de nouvelles investigations, re-
grette l’ancien commissaire. Et puis, quand,
en 2023, un juge a inalement été désigné, des
données téléphoniques avaient été efacées…
ne permettant pas de creuser en direction de
certains suspects identiiés. » Outre le temps,
l’ennemi de ces enquêtes est le manque
de moyens. « À force de rogner les efectifs,
certains parquets préfèrent concentrer leurs
forces sur les urgences du moment plutôt que
sur ces enquêtes complexes et incertaines »,
déplore-t-il. Autre demande de l’ARPD de-
puis des années : rendre obligatoire un pré-
lèvement ADN de toutes les personnes en-
terrées sous X, soit une centaine de corps
par an. Les parquets n’ordonnent pas tou-
jours ce prélèvement, alors que, Philippe
Folletet en est persuadé, cela permettrait
d’expliquer certeaines de ces disparitions.
Guerre des services
Autre constat désolant : l’absence
de ichiers spéciiques. Il existe bien un
fichier des personnes recherchées, le
« FPR », mais, avec ses 500 000 noms, il
regroupe aussi bien les individus traqués
pour défaut de paiement d’impôts que les
évadés en cavale ou les fugueurs. L’ARPD
propose depuis des années la constitu-
tion d’un ichier spéciique aux disparus,
qui soit en partie ouvert et régulièrement
mis à jour. « Nous aimerions aussi la créa-
tion d’un oice interministériel, une struc-
ture composée de gens qui connaissent bien
le sujet et qui soient capables de coordonner
des enquêtes sur le terrain », ajoute Bernard
Valezy. C’est là que le bât blesse. En toile
de fond, l’éternel problème de la guerre
des services entre policiers et gendarmes.
32 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
L’ARPD EN CHIFFRES
Créée en 2003
l’association Assistance et recherche
de personnes disparues compte
650
adhérents
âgés de 19 à 82 ans. Un quart de ses
membres a été policiers, gendarmes,
douaniers ou agents de recherche privés,
10 % sont des proches de disparus.
Pour la seule année 2023,
375 nouveaux membres
et enquêteurs ont été recrutés.
L’association (qui tient son assemblée
générale annuelle ce samedi 23 mars
à Lille) gère à ce jour près de
500 dossiers
de disparition
parmi lesquels des fugues de mineurs
et des disparitions d’adultes.
25 %
des afaires se soldent
par des retrouvailles.
En 2006, quand l’État a créé l’Oice cen-
tral pour la répression des violences aux
personnes (OCRVP), la volonté politique
était de faire travailler les deux forces en-
semble. Il était prévu que le numéro un
de l’OCRVP soit un policier, et son adjoint
un gendarme. Dans les faits, l’OCRVP est
aujourd’hui quasi exclusivement compo-
sé de policiers… et le poste d’adjoint n’est
plus occupé par un gendarme depuis belle
lurette. En 2013, le rattachement de la gen-
darmerie au ministère de l’Intérieur n’y a
rien changé. La gendarmerie a aujourd’hui
sa propre structure, Diane (Division des
afaires non élucidées), chargée des af-
faires de disparus au sein du pôle judi-
ciaire. Entre les uns et les autres, pas fran-
chement de collaboration. De son côté,
l’OCRVP a mis au point sa propre base de
données, Phénix, et la gendarmerie son
propre outil, Caddis. Autre exemple, se-
lon une source policière : les gendarmes
n’ont jamais vraiment partagé, via le logi-
ciel Salvac (Système d’analyse des liens de
la violence associée aux crimes), les infor-
mations concernant Nordahl Lelandais.
N’aurait-il pas fallu pourtant, au moment
d’enquêter sur d’éventuels autres crimes
du tueur de la petite Maëlys – la gendarme-
rie avait ouvert en 2018 une cellule chargée
de reprendre 700 dossiers –, associer les
policiers à toutes ces recherches ?
Ces rivalités, quelles qu’en soient les
causes, ont la vie dure. Dans les dossiers
Lina (disparue le 23 septembre 2023 dans
le Bas-Rhin) et du petit Émile (évaporé
le 8 juillet 2023 au Haut-Vernet, dans les
Alpes-de-Haute-Provence), l’OCRVP,
selon nos sources, a proposé son aide à
la gendarmerie, qui a décliné… « Dans le
cas de Lina, cela ne nous a pas empêchés de
regarder dans notre coin, pondère un haut
fonctionnaire de la police, mais cela en
dit long sur l’état d’esprit des gendarmes
dans ces dossiers qui sont pourtant les
plus complexes. »
L’ombre de tueurs en série
Ce dernier constat, au moins, est parta-
gé par tous : ces enquêtes sans cadavre ni
scène de crime sont, par déinition, les en-
quêtes criminelles les plus ardues. « En la
matière, bien faire les choses au début n’est
pas non plus un gage de réussite », admet
Philippe Folletet. Les afaires sensibles
des dernières années le prouvent : quand
Cédric Jubillar appelle la gendarmerie en
pleine nuit en décembre 2020 pour pré-
venir de la disparition de sa femme, une
patrouille arrive dans l’heure. Le corps de
l’inirmière n’est pas retrouvé à ce jour,
mais les premières constatations, efec-
tuées la nuit même, permettront d’aiguil-
ler l’enquête en direction du mari. Même
intervention rapide après la disparition
du petit Émile ou de Lina. Là encore, il
n’y a pas de corps. Autre point commun
entre ces trois afaires : l’absence de don-
nées téléphoniques. Dans les cas de Lina
et d’Émile, l’exploitation des bornes sur
la zone de disparition n’a pas permis, à ce
jour, de confondre qui que ce soit. Est-ce
parce que les éventuels coupables ont
pris soin d’opérer sans téléphone ? Quant
à Cédric Jubillar, soupçonné d’avoir fait
disparaître sa femme, il est établi qu’il
avait exceptionnellement éteint son télé-
phone cette nuit-là.
Pour les enquêteurs, comment re-
prendre l’avantage sur de potentiels cri-
minels ayant pris soin d’effacer toute
trace physique ou numérique ? Quand
Nordahl Lelandais a été arrêté, in 2017,
pour les meurtres de Maëlys et du caporal
Noyer, une trentaine de familles de Savoie,

d’Isère, de la Drôme se sont manifestées
auprès de l’ARPD. « Il y a eu un alux, se sou-
vient Bernard Valezy. On a pris conscience
que, en dix ans, il s’était passé quelque chose
d’anormal dans la région », ajoute l’ancien
limier, intimement persuadé que ces dis-
paritions cachent l’ombre d’un tueur en
Erik Sampers / Abaca
série et que les Alpes ont été « une zone
de chasse ». Encore aurait-il fallu, au sein
des services judiciaires, que quelqu’un
s’interroge en amont sur cette masse de
EMPAREZ-VOUS DE L’ÉCONOMIE !
QUELLE EUROPE DANS
UN MONDE FRAGMENTÉ ?
PÉNURIE D’EFFECTIFS “Certains parquets préfèrent
concentrer leurs forces sur les urgences du moment”,
déplore Philippe Folletet, vice-président de
l’ARPD pour la région Auvergne-Rhône-Alpes.
en 1986. En 2019, alors que l’afaire Bonfan-
ti avait été classée depuis des années, la fa-
mille, assistée de l’ARPD, a écrit au parquet
de Grenoble, lui demandant de reprendre
certaines vériications en direction d’un
voisin, Yves Chatain. Placé en garde à vue
au printemps 2022, ce routier a finale-
ment avoué le meurtre de Marie-Thérèse
Bonfanti et donné des indications permet-
tant de retrouver des ossements. Incarcé-
ré puis libéré, pour cause de prescription,
Chatain reste soupçonné dans d’autres
dossiers. « Qu’a-t-il fait depuis 1986, lui qui
était routier international ? » interroge, Phi-
lippe Folletet, déplorant des disparitions
disparitions inquiétantes… Et que des re- de pièces et de scellés dans les afaires an-
coupements soient entrepris très tôt pour ciennes. Une autre « absurdité » de taille à
collecter un maximum d’indices dans tous ses yeux : « la circulaire de 2009 ». Ce texte
ces dossiers. Quand, a posteriori, les gen- prévoit de « détruire » des dossiers de dis-
darmes se sont intéressés à ces afaires, les parition trois ans après le classement de
maigres données disponibles n’ont permis l’afaire. « À l’heure du numérique, où tout
aucune avancée. De son côté, Philippe Fol- peut être conservé facilement sans prendre de
letet a travaillé sur les afaires des « dis- place, c’est tout simplement aberrant », em-
parus de Pontcharra », en Isère : Liliane braie Bernard Valezy au nom de l’ARPD. Il
Chevènement, en 1981, Marie-Ange Bil- n’y a pas que le temps qui joue en faveur de
loud, en 1985, et Marie-Thérèse Bonfanti, l’impunité. Souvent, aussi, la bêtise… M L.V.
SOUS LE HAUT PATRONAGE DE MONSIEUR THIERRY BEAUDET
PRÉSIDENT DU CONSEIL ÉCONOMIQUE SOCIAL ET ENVIRONNEMENTAL
30 CONFÉRENCES-DÉBATS
120 INTERVENANTS | AU CESE
DU 2 AU 5 AVRIL 2024
 À LA VOLÉE
ESSENCE ORDINAIRE
34 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
par Jack Dion
Ces agents de Netanyahou
qui ont pignon sur rue
i, par hypothèse funeste, des
S citoyens français désireux de pro-
mouvoir la Russie sur les réseaux
sociaux étaient reçus à Moscou par
Sergueï Lavrov, ministre des Afaires
étrangères de Vladimir Poutine, ce serait
la curée politico-médiatique. Curieuse-
ment, une telle supputation est devenue
réalité avec d’autres personnages, dans
un autre contexte. Mais elle est passée
complètement inaperçue. Une dizaine
d’inluenceurs français pro-Netanyahou
ont été reçus il y a quelques jours à Tel-
Aviv par Israël Katz, ministre des Afaires
étrangères de l’État hébreu, ain de vulga-
riser et de promouvoir le discours de l’ar-
mée israélienne. Vous avez entendu des
protestations ? Moi non plus.
Quand il s’agit de la Russie, le soupçon
est de mise et le procès, lancé sur la foi de
preuves souvent inexistantes. Aujourd’hui,
les espions de Moscou sont partout.
Quiconque ne s’aligne pas sur la logorrhée
par Christophe Guilluy
Le paysan
et l’homme lige
’homme lige, afable : Bonjour mon-
L sieur le Paysan, que vous me semblez
beau, que vous êtes joli sur votre beau
tracteur. Sans mentir, je rêverais de
vous interroger, j’aime la campagne.
D’ailleurs, comme on dit chez vous, je crois,
la terre ne ment pas, non ?
Flatté, le paysan accepta de lâcher
quelques mots : Merci de m’écouter, de
relayer ce que nous vivons.
L’homme lige, sournois : Oh mais c’est
le cœur de mon métier. Je ne suis qu’un
modeste médiateur qui ne travaille que sur
les faits, rien que les faits.
Le paysan : Eh bien, la réalité est assez
simple monsieur. Nous croulons sous les
charges en faisant face à des producteurs
étrangers qui ne respectent aucune des
normes qu’on nous impose.
L’homme lige, inquisiteur : Vous êtes
contre la mondialisation, contre l’Europe ?
Le paysan : Non, nous voulons produire,
mais sans cette concurrence déloyale.
va-t-en-guerre difusée dans les médias est
d’oice assimilé à un membre d’une cin-
quième colonne agissant au profit d’une
puissance étrangère clairement nommée,
dans une ambiance de chasse aux sorcières
permanente. Mais quand des inluenceurs
très spéciaux vont prendre leurs ordres
à Tel-Aviv avant de se répandre sur les
réseaux sociaux sans même prendre de
précautions, nul ne s’offusque. Y aurait-
il donc de bons et de mauvais agents de
l’étranger, en fonction du pays concerné ?
L’un de ces agents d’un type nouveau,
Julien Bahloul, est apparu parfois sur le
petit écran avec l’étiquette « habitant de
Tel-Aviv », alors qu’il est ancien porte-
parole de l’armée israélienne, ce qui en fait
un « habitant » un peu particulier. Il se veut
être « la voix francophone d’Israël ». Avec
d’autres, il reprend le narratif de l’équipe
Netanyahou, ce qui fait dire au porte-
parole du ministre des Afaires étrangères,
Lior Hayat : « Ça fait partie de notre stratégie
L’homme lige, ironique : Ah oui, vous vou-
lez le beurre et l’argent du beurre, le pro-
tectionnisme et les aides de la PAC !
Le paysan, interloqué : Je ne sais pas si vous
le savez, mais un tiers des agriculteurs vit
sous le seuil de pauvreté et deux paysans
se suicident tous les jours.
L’homme lige, agacé : Mais vous croyez
que cela justiie cette violence : des cris, des
huées, sans parler de ce blocage odieux des
rues de Paris ! Et ce refus de dialoguer avec
le président, que vous vouliez « dégager
physiquement ». En fait, vous refusez tout
dialogue démocratique ?
Le paysan : Pas du tout. Mais nous avons
fait le constat qu’il ne sert plus à rien
d’échanger avec des robots pilotés par
les multinationales.
L’homme lige : Complotiste avec ça ! Mais
quelle est votre solution, le retour vers le
passé ? Aux communautés paysannes ?
Le paysan : Absolument pas, nous
prônons un modèle socialement et

sur les réseaux sociaux. » Et d’ajouter : « Le
journalisme a beaucoup changé pendant la
dernière décennie. » Du « journalisme », vrai-
ment, quand on se contente de reprendre
en boucle la propagande israélienne ? Du
« journalisme », quand on ne parle que
des atrocités du 7 octobre pour mieux
évacuer celles qui ont cours à Gaza, où
femmes et enfants meurent de faim sous
les bombes de Tsahal ? Du « journalisme »,
quand ce territoire est interdit d’accès aux
représentants de la presse étrangère ain
que la vérité ne puisse être connue du
monde entier ? Du « journalisme », quand
les reporteurs palestiniens se font tirer
comme des lapins ?
Soyons sérieux. L
  
 -
çais qui se transforment en porte-voix
de Netanyahou salissent à la fois le jour-
nalisme et l’honneur d’Israël, où des voix
paciistes se font encore entendre. Ils ne
sont pas plus honorables que les esprits
irresponsables qui blanchissent les crimes
du Hamas pour faire de cette organisation
terroriste un modèle de « résistance ».
Albert Camus disait du journaliste qu’il
est « l’historien de l’instant ». L’historien.
Pas le faussaire. M
écologiquement durable, pas un retour à
la fourche et au râteau !
L’homme lige, éclate de rire : Parlons-en de
l’environnement ! Vous voulez que nous
parlions de vos algues vertes qui polluent
la plage bretonne où j’ai acheté ma rési-
dence secondaire ?
Le paysan : Monsieur, nous vivons dans
une nature que nous respectons, et si
nous disparaissons, c’est le monde rural
qui sera condamné.
L’homme lige : Disparaître ? Mais vous
fantasmez ? De quoi parlez-vous ?
Le paysan : Du plus grand plan social de
l’histoire, celui des travailleurs de ce pays.
L’homme lige, mielleux : Pour qui votez-
vous ? Vous roulez pour l’extrême droite ?
Le paysan : Je n’ai jamais fait de politique,
je suis ici pour défendre une vie décente.
L’homme lige : Ah ! nous y voilà ! La
décence commune ! Bon, je vais vous
laisser. Passez une bonne soirée.
Le paysan vient d’apprendre que
l’homme lige vit toujours aux dépens de
celui qui l’écoute. Honteux et confus, il jure
qu’on ne l’y prendra plus. M
Retrouvez la chronique de Christophe Guilluy
en alternance avec celle de Jérémie Peltier.
Au laser par Chloé Morin
Chef de guerre :
ç’a eu payé !
u surlendemain d’une visite
A plus que houleuse au Salon
de l’agriculture, Emmanuel
Macron, lors d’un sommet
à Paris, a stupéfié le monde
politico-médiatique en n’excluant
pas l’envoi de troupes occidentales
en Ukraine. « Nous ferons tout ce qu’il
faut pour que la Russie ne puisse pas
gagner cette guerre », a-t-il ajouté.
À tort ou à raison, cette déclaration
a immédiatement été interprétée par
les spécialistes de la communication
comme une manière de chercher à
tourner la page d’une séquence désas-
treuse, dans laquelle chaque nouvelle
concession faite aux agriculteurs sem-
blait devoir inexorablement nourrir
l’escalade de leurs revendications et
de leur colère.
Cette phrase a été largement
décryptée comme une tentative de
remiser au placard les polémiques sur
la crise agricole ou sur le tour de vis
budgétaire. Depuis, Emmanuel Macron
a organisé un vote au Parlement, dont
le caractère non contraignant semblait
accréditer, aux yeux des mêmes spé-
cialistes de la stratégie politique, l’idée
qu’il avait exclusivement pour but de
ranger les responsables politiques
dans deux cases bien nettes : les pro et
les anti-Poutine. Cette stratégie a d’ail-
leurs été explicitée par la présidente
du groupe RN à l’Assemblée, laquelle
a refusé d’avoir à choisir entre être pro-
Poutine et pro-Macron.
L’efet drapeau, compte tenu de la
dramatisation des enjeux par l’exécutif
et par les experts militaires, aurait ainsi
dû fonctionner à plein. Or, selon le der-
nier baromètre Ifop pour Paris Match,
le président-chef de guerre est loin de
bénéicier d’un élan soudain de solida-
rité : à 35 % de bonnes opinions, il reste
plutôt stable (- 1 point). Et 68 % des
Français, selon Odoxa pour Backbone
Consulting et le Figaro, refusent toute
intervention de troupes occidentales
en Ukraine. Comme efet de soule, on
aura vu mieux.
Pourquoi donc cette stratégie ne
fonctionne-t-elle pas ? On peut hasar-
der quelques hypothèses. La fatigue
informationnelle, d’abord, qui conduit
nombre de nos concitoyens à prendre
du champ par rapport au tourbillon de
l’actualité, et son lot de polémiques
aussi bruyantes que brutales. Le trop-
plein de crises, ensuite : agricole, éner-
gétique, du pouvoir d’achat… À force de
cumuler les crises, l’usage du mot perd
tout son sens. Et, sans être munichois,
le peuple français n’est pas particuliè-
rement va-t-en-guerre. Enfin, il faut
bien dire que l’ère du tout-numérique,
des réseaux sociaux et des chaînes d’in-
fo en continu a permis une montée en
compétences du décryptage politique
citoyen. Les gens voient tout, analysent
tout (avec plus ou moins de bonne foi
et de justesse) et adorent deviner le
dessous des cartes et comprendre les
stratégies de billard à trois bandes.
Pour toutes ces raisons-là, les Français
ont sans doute plus de mal aujourd’hui
qu’il y a dix ou vingt ans à ne pas voir
la manipulation ou la tactique de com,
même là où elle ne se trouve pas…
Chef de guerre, ça ne paie plus. M
21 au 27 mars 2024 - Marianne - 35
 Marianne VOUS RAFRAÎCHIT LA MÉMOIRE

Touche pas trop à mon poste !

Réguler la télé,
une histoire très politique
du secteur Agnès Chauveau. À l’époque,
POURQUOI ON EN PARLE L’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, d’autres pays dans le monde disposent
doit se prononcer sur le renouvellement de 15 fréquences TNT déjà d’un régulateur indépendant. Outre-
d’ici à 2025. À ses débuts, l’institution tentait surtout de s’afranchir Atlantique, la Commission fédérale des
communications est créée aux États-Unis
des pressions exercées par le pouvoir. Par Emilien Hertement dès 1934. Au Canada, le Conseil de la ra-
diodifusion et des télécommunications

Q
ui imagine Rachida Dati inaugurer la
nouvelle formule du journal télévisé
de France 2 ? Le 20 avril 1963, dans
une séquence qui apparaîtrait pour
le moins surréaliste aux yeux de nos
contemporains, le ministre de l’Informa-
tion, Alain Peyreitte, débarquait dans les
foyers des Français pour airmer : « Le fait
que j’inaugure cette nouvelle formule du JT
ne signifie pas que le gouvernement veut se
l’approprier. » Une image en noir et blanc
made in ORTF, mais surtout un bel exemple
d’antiphrase qui symbolise les liens de
subordination unissant alors audiovisuel
à mesure que les postes de radio et de télé
se démocratisent dans les foyers, le poli-
tique perçoit bien vite les intérêts qu’il y
aurait à contrôler ces canaux, qui touchent
la population bien au-delà du lectorat de la
presse traditionnelle.
Institution tampon
Mais dans la société française d’alors,
cet audiovisuel cornaqué par le pouvoir
suscite déjà de nombreuses critiques.
« Dès la fin des années 1960, l’intervention
du politique dans le fonctionnement des
médias est de moins en moins bien perçue
canadiennes voit le jour en 1968.
En France, l’idée d’une institution tam-
pon commence seulement à faire son pe-
tit bonhomme de chemin. En 1970, le rap-
port de la commission Paye sur la réforme
du statut de l’ORTF préconise la création
d’une Haute Autorité qui serait « garante de
la qualité des programmes, de l’esprit libéral,
de l’impartialité, de l’indépendance, de l’auto-
nomie, capable d’autorité, à l’égard du pouvoir
comme de l’opinion, dans les circonstances
les plus critiques comme dans l’ordinaire des
jours, accordée au pays et à son temps, à la fois
recours et rempart ». Les politiques restent
Keystone-France

public et pouvoir politique. Replaçons la par l’opinion publique et fait l’objet d’une toutefois frileux à l’idée que cette tutelle
scène dans son contexte. Dans la société dénonciation constante », analyse dans la sur les ondes échappe au contrôle étatique.
post-Seconde Guerre mondiale, au fur et revue le Temps des médias la spécialiste Il faudra attendre l’élection de François
36 - Marianne - 21 au 27 mars 2024

CRISE D’AUTORITÉ En 1970, le rapport de la commission Paye sur la
réforme du statut de l’ORTF préconise la création d’une Haute Autorité
“garante de la qualité des programmes”. Les politiques restent
frileux à l’idée que cette tutelle sur les ondes échappe à leur contrôle.
Ci-contre, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand lors
du débat télévisé de l’entre-deux-tours de la présidentielle de 1974.
Mitterrand en 1981 pour voir la commis-
sion Moinot proposer la création d’une
Haute Autorité. Agnès Chauveau note tou-
tefois qu’en dépit de cette initiative, « le
gouvernement ne souhaite pas vider la tutelle
gouvernementale de son contenu et hésite à
conier trop de prérogatives à cette future ins-
titution. Surtout, il s’assure que son mode de
désignation garantira à la majorité une assise
confortable ». Finalement, la Haute Autorité
de la communication audiovisuelle voit le
jour en 1982. Elle est chargée de garantir
« l’indépendance du service public de la radio-
difusion sonore » mais aussi de délivrer « les
autorisations en matière de services locaux de
radiodifusion sonore par voie hertzienne ».
Questions d’indépendance
Présidée par la journaliste Michèle
Cotta, l’institution dispose aussi d’un pou-
voir essentiel, celui de nommer les prési-
dents des sociétés de radio et de télévision
du service public. Or, même si elle obtient
de larges prérogatives dans le domaine du
respect de la liberté d’expression et du
pluralisme, son fonctionnement ne per-
met pas de couper les liens avec l’exécutif.
« Quand elle n’est pas bloquée par l’étroitesse
de ses pouvoirs, elle est tenue relativement
à l’écart des principales évolutions du sec-
teur », constate Agnès Chauveau. À la
suite des législatives de 1986 et du début
de la cohabitation, après quatre années de
balbutiements, la Haute Autorité est rem-
placée par la Commission nationale de la
communication et des libertés (CNCL).
Créée avec la loi Léotard du 30 sep-
tembre 1986, l’institution va devoir gérer
les décisions prises par le nouveau gou-
vernement de droite, dont la privatisation
INA - Charlon / Gamma / Getty Images - Pictorial Press Ltd / Alamy Stock Photo
SOUS TUTELLE Le 20 avril 1963, le ministre de l’Information,
Alain Peyreitte, annonce, face à Léon Zitrone, la rénovation
du JT, qui devra être professionnel et “dépolitisé”.
de TF1 et la réattribution des cinquième et
sixième chaînes de télévision.
Plus encore peut-être que sa devan-
cière, cette autorité va essuyer une pluie
de reproches quant à son manque d’indé-
pendance. « À l’époque, la CNCL était très
critiquée car elle était entre les mains du gou-
vernement Chirac, souligne Patrick Eveno,
professeur émérite en histoire et spécia-
liste des médias à la Sorbonne. Quand Ro-
bert Hersant vient soumettre son projet de
reprise de La Cinq, il se retrouve en face de
Michel Droit, alors membre de la CNCL, mais
aussi employé de Hersant au Figaro. » Après
une série de scandales, François Mitterrand
juge, en septembre 1987 : « La CNCL ne fait
rien qui puisse inspirer ce sentiment qui s’ap-
pelle le respect. »
Après la réélection du président socia-
liste, la loi du 17 janvier 1989 va poser les
bases d’une institution aux pouvoirs ren-
forcés : le Conseil supérieur de l’audiovi-
suel (CSA, aujourd’hui Arcom). Pour la pre-
mière fois, si un manquement au cahier des
charges est constaté, il peut adresser des
injonctions aux présidents des chaînes pu-
bliques. Côté chaînes privées, un système
de conventions contractuelles permet d’in-
liger des sanctions directes. L’existence de
ce régulateur des médias ne sera plus ja-
mais remise en cause, mais des questions
sur son indépendance continueront de ja-
lonner son parcours jusqu’à aujourd’hui. M
SUR LE PAPIER
Présidée par Michèle Cotta,
la Haute Autorité de la
communication audiovisuelle,
créée en 1982, dispose d’une
prérogative essentielle, celle
de nommer les présidents
des sociétés de radio et de
télévision du service public.
Le classique à (re)découvrir
“LES RAISINS DE LA COLÈRE”
DE JOHN STEINBECK
De la Route 66
au blocage de
l’autoroute A9
AU CINÉMA par John Ford, en 1940, avec Henry Fonda.
« Et, le temps passant, les hommes
d’afaires s’arrogèrent les fermes,
et les fermes s’agrandirent […]
Alors l’agriculture devint industrie […]
les propriétaires imitèrent Rome. »
À l’heure où gronde, en France et partout
en Europe, l’exaspération des agriculteurs,
il est plus que jamais salutaire de se
replonger dans les Raisins de la colère,
de John Steinbeck, publiés en 1939.
Tout commence dans cette Amérique
profonde, celle des grandes plaines de
l’Oklahoma où de modestes propriétaires
et métayers, aux ongles noircis et au
visage tanné, doivent céder leurs lopins
de terre aux banques à qui ils ont eu le
malheur d’emprunter un peu d’argent
après avoir subi le « Dust Bowl », ces
impressionnantes tempêtes de poussière.
Dans ce magistral roman, Steinbeck narre
la fuite des Joad, une de ces familles
qui, comme des milliers d’autres, furent
alors chassées de chez elles. Au cours de
leur périple, ils rêvent d’une Californie
vendue comme une Terre promise, en
réalité un mirage. Parabole romanesque
où fermente un sel révolutionnaire, les
Raisins de la colère empruntent au mythe
de l’exode qui a ici pour tracé le macadam
de la Route 66, pas encore le parangon
un peu vain de la « beat generation », mais
un chemin ténébreux où la faim côtoie
la mort et qu’illumine une solidarité de
classe, dernier rempart d’une dignité que
les puissants ont aussi tenté de leur voler.
Steinbeck critique l’essor d’une agriculture
hors-sol, uniquement inancière, qui
« ne comprend que la chimie », en train de
rompre le rapport de l’homme à la nature.
Un chef-d’œuvre, d’une modernité folle. M
Guilherme Ringuenet
21 au 27 mars 2024 - Marianne - 37
 LE CONTRE-AGENDA
CULTURE
CINÉMA Vous nous suivez ?
“Pas de vagues”, un ilm
à contre-courant
Quand la bande-annonce a com-
mencé à circuler sur les réseaux
sociaux, des commentaires railleurs
ont jailli de claviers divers. Si des
féministes ont suspecté un scénario
anti-#MeToo, côté droite dure, on a
craint une soupe de politiquement
correct : « Un professeur homosexuel en
couple avec un homme d’origine maghré-
bine fait une remarque à la seule élève
blanche de la classe puis se fait mena-
cer par son frère ch’ti », résumait avec
ironie un détracteur. « Les uns nous
reprochent d’être woke, les autres anti-
woke. Peut-être que le ilm dépassera
ces questions-là », espère quant à lui
Pas de vagues, le réalisateur, Teddy Lussi-Modeste.
de Teddy Lussi-Modeste. Résumons l’intrigue de Pas de
Sortie le 27 mars. vagues : un jeune prof de collège est
accusé à tort par une élève de har-
cèlement sexuel. Pris dans les sables
mouvants de l’opprobre, il est bientôt
lâché par son administration (d’où le
titre), une partie de ses collègues et
devient la cible d’une meute d’adoles-
cents. Le dossier de presse a beau faire
référence aux afaires Samuel Paty,
38 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
Par Th ibaut S olan o
Dominique Bernard et plus généra-
lement aux enseignants menacés ou
agressés, on pense davantage à un
#MeToo qui dérape. Et on tremble
avec ce prof idéaliste (François
Civil, très convaincant) confronté
à la religion du « je te crois », selon
laquelle une dénonciation de vio-
lence sexuelle vaut vérité établie.
Parti pris
Alors que le cinéma français est
secoué par les afaires Jacquot, Doil-
lon et autres, le parti pris devient
soudainement moins consensuel.
Sauf qu’il n’est pas assumé par le ré-
alisateur. « C’est un contresens de pen-
ser que le ilm serait un bémol à ce mou-
vement nécessaire à la société, avance
le cinéaste. Il ne remet pas en cause la
parole d’une victime. La jeune ille ne
ment pas, elle a vraiment cru qu’il vou-
lait la séduire. » Une divergence avec
le ilm d’André Cayatte, les Risques
du métier (1967), dans lequel Jacques
Brel incarnait un professeur calom-
nié par des adolescentes.
Prudentissime en interview,
Lussi-Modeste tente l’équilibre :
« Il faut inventer un protocole plus
eicace pour recueillir la parole des
victimes et protéger les professeurs
en danger. Il faut dire non seulement
“je te crois” à la personne qui accuse,
mais il faut aussi laisser la personne
accusée se défendre. » Il n’empêche :
dans Pas de vagues, la mécanique de
l’incrimination publique – et de la
rumeur – qui transforme l’inculpé
en lapin pris dans les phares d’un
poids lourd tourne à plein régime.
Et prospère d’autant plus sur l’incul-
ture et la bêtise.
Gage de crédibilité, Teddy
Lussi-Modeste raconte ici sa propre
expérience : originaire de la com-
munauté des gens du voyage, il
s’est écarté de la voie qui devait le
mener « vers les marchés ou les fêtes
foraines », et quand il ne fait pas de
films (c’est son troisième), il en-
seigne. En 2019, alors qu’il exerçait en
Seine-Saint-Denis, il a subi le même
genre de dénonciation. Son parcours
hors norme lui inspire aujourd’hui
deux sentiments sur l’école : la re-
connaissance, pour lui avoir per-
mis de s’émanciper ; mais aussi la
consternation de voir l’institution
« s’effondrer sur elle-même ». C’est
aussi l’un des messages du ilm. M
INCRIMINATION
François Civil,
convaincant
en prof idéaliste,
est confronté à la
religion du “je te
crois”, selon laquelle
une dénonciation de
violence sexuelle
vaut vérité établie.
Kazak Productions / Frakas Productions / France-3
 Courez-y !
EXPO D’abord, il y a le lieu, l’un des plus
agréables, à Paris, pour se confronter
aux œuvres d’art : le Petit Palais. Ensuite,
il y a l’artiste (rarement) mis en lumière,
le peintre Théodore Rousseau (1812-1867)
et la thématique exposée, « La voix de
la forêt » : un chant d’amour écologique
bien avant l’invention du terme. Et à un
prix abordable à l’heure où les tarifs des
musées et des expos s’envolent : 12 €.
CHANSON FRANÇAISE On vous prévient
assez tôt, car les places risquent de partir
à toute vitesse : un hommage collectif
à l’Auvergnat Jean-Louis Murat
(très apprécié
à la rédaction
de Marianne !) sera
rendu sur la scène
de la Coopérative
de Mai, dans
sa ville de Clermont-
Ferrand, le 25 mai. Le titre de la soirée
dit tout : « Te garder près de nous ».
LITTÉRATURE Originaire du Nebraska,
le romancier américain Dan Chaon
publie Somnambule, un road-movie sur
papier qui mêle dystopie et roman noir
et nous éclaire d’une lueur certes sombre
mais lucide sur les tensions extrêmes
qui traversent son pays, à huit mois
du scrutin présidentiel.
CINÉMA Le ilm italien de l’année 2023
vient enin de sortir en France. Premier
au box-oice
transalpin, avec
5 millions d’entrées
depuis sa sortie
en novembre, Il reste
encore demain
(C’e ancora domani),
en brisant le tabou
des violences domestiques, a suscité
d’immenses débats en Italie. Pour ne rien
gâcher, le ilm (en noir et blanc) de Paola
Cortellesi est superbe.
Martin Charpentier / ANDBZ / Abaca - Arnaud Bertereau - Netlix
THÉÂTRE Fuyez !
Virginie Despentes :
du rock nerveux
au woke neuneu
En découvrant l’affiche, on a cru à un
article du Gorafi. Mais ce qui nous a mis
la puce à l’oreille, c’est que ça semblait
trop satirique pour être faux – donc
ça devait être vrai. Vériication faite, ça
l’est : Despentes, autrice révélée au siècle
dernier par sa plume trempée dans
le rock vénère, a bel et bien été recrutée
comme « artiste invitée » au sein du (hier
encore) prestigieux Théâtre du Nord, à
Lille, dirigé depuis 2021 par David Bobée,
l’un des patrons d’institution les plus
militants de sa génération (il a 46 ans).
Tout, chez cet homme éclairé, semble
ORIGINALITÉ FOLLE Des gens se retrouvent
relever d’un sacriice quasi christique : dans un théâtre pour écrire une pièce…
lui, l’homme blanc privilégié, veut
à tout prix nous dire, nous crier, que or c’est pas facile d’écrire à plusieurs,
100 % des hommes blancs privilégiés ma bonne dame ! C’est qu’il faut
sont des ordures. Et c’est non négociable. savoir, comme l’écrit Libération, laisser
C’est donc sous ce toit bienveillant s’exprimer toutes les « vulnérabilités
que Despentes, pour Woke, a réuni coalisées ». Point particulier : ces gens
trois coauteurs pour iceler sa première sont très fâchés parce que d’autres gens
pièce : une femme, un homme, et son pas gentils utilisent le terme « woke »
ami Paul B. Preciado, qui s’est longtemps à tout bout de champ alors que,
présenté comme un « trans in between merde, quoi, le wokisme, ça n’existe pas.
non opéré », avant de s’identiier par Sauf pour en faire le titre d’une
un nom masculin. Résultat : leur œuvre, pièce bricolée qui expliquerait
par essence « inclusive » (mot compte que ça n’existe pas ? François Darras
triple), propose une mise en abîme d’une NB : c’était à Lille, du 12 au 16 mars,
originalité étourdissante, puisqu’elle et une tournée pourrait suivre.
montre des gens coécrivant une pièce ; Bientôt à la Comédie-Française ?
Ne passez pas à côté
DOCUMENTAIRE Musique
Il était une fois un géant
Clive Davis, né en 1932, est entré dans
l’industrie du disque par la petite porte,

MUSIQUE Depuis sa percée spectaculaire ou plus exactement, en sortant de son bureau

en 2002 – avec Come Away With Me,
premier album soyeux aux 15 millions
de copies écoulées dans le monde –,
la chanteuse et pianiste américaine
Norah Jones n’a jamais déçu. À 44 ans,
cette mélodiste subtile fait une carrière
« à l’ancienne », loin des modes,
et à son rythme. Pas tapageur pour
deux sous, Visions, son neuvième album,
fait igure de rebelle placide dans
un paysage sonore souvent criard.
d’expert-comptable. Sa vie bascule en 1965,
lorsque le patron de Columbia Records
lui dit : « Range tes livres de comptes, tu as
une paire d’oreilles formidable, je te nomme
directeur artistique. » Démarre ainsi une
exceptionnelle carrière de dénicheur de talents,
cinquante années parsemées des tubes des
artistes qu’il chérit et produit : Santana, Janis
Joplin, Paul Simon, Aerosmith, Blood, Sweat and
Tears, Bruce Springsteen, Patti Smith, Whitney
Houston ou encore Billy Joel. Le documentaire
MYTHE En cinquante ans de carrière, Clive Davis a déniché
nombre de talents. Ci-dessus, avec Janis Joplin, en 1969.
The Soundtrack of Our Lives (sur Netlix) célèbre
la vie de ce fou de musique qui s’est intéressé
à tous les styles (jusqu’au rap à la in de sa
carrière), mais permet surtout un voyage dans les
coulisses d’un demi-siècle de musique populaire
américaine. Immanquable. Emmanuel Tellier
21 au 27 mars 2024 - Marianne - 39
 C’EST SON COMBAT

Je veux la vraie
mixité à l’école”
Présidente de l’association No Ghetto, sise dans
le Rhône, Houda Maafer se bat au nom de la mixité
sociale, mais aussi, et c’est plus rare, d’origine,
et dénonce le “manque de courage” des politiques,
y compris de gauche. Par Raphaël Ruier-Fossoul
PROFESSION : consultante en commande publique ÂGE : 48 ans VILLE : Villeurbanne

C’
est une conviction qui a germé
en elle à son arrivée au lycée
Jacques-Brel, à Vénissieux (dans
la métropole de Lyon), l’année de
son bac, en 1993. « J’ai découvert
qu’il y avait des établissements totalement
ségrégués. C’était hallucinant, on était tous
issus de l’immigration… Ce n’est pas la France
telle qu’on se la représente ! » Houda Maafer
se souvient aussi du « manque d’ambition
et d’ouverture d’esprit » de ses camarades
d’alors. Et même des enseignants, qui lui
déconseillaient de s’inscrire en fac de
droit, « en [lui] disant [qu’elle] n’aurai[t] pas
le niveau… » Elle choisit de ne pas les écou-
ter… et deviendra juriste. Elle a fondé son
propre cabinet de conseil en 2023.
Son engagement est intact. « Je viens
de lire le rapport du Sénat sur les atteintes
à la laïcité à l’école, il n’y a pas un mot sur la
mixité. On ne se demande même pas s’il y a un
lien. Partout où la mixité est expérimentée, le
climat s’apaise, les résultats des élèves et les
découvre, en 2019, le projet de construc-
tion d’un nouveau collège à la frontière
entre deux des quartiers les plus pauvres
de l’agglomération lyonnaise, les Min-
guettes, à Vénissieux, et l’Arsenal, à Saint-
Fons. « Ce sera forcément un collège ghetto,
se dit-il alors. Ça m’a hérissé les poils. » Il a
rapidement compris ce que Houda Maafer
pouvait apporter. « Je n’ai pas sa patience !
Je me souviens d’une visio avec un député qui
ne voulait rien entendre. Ça m’a énervé, j’ai
éteint l’ordinateur. Houda est restée et l’a
convaincu de déposer un amendement… »
Bête noire des écologistes
No Ghetto est devenu la bête noire – ou la
mauvaise conscience – des écologistes à la
tête de la métropole de Lyon. « Quand ils ont
gagné, on s’est dit que c’était bon, que le collège
ne se ferait pas. Le premier rendez-vous avec
eux s’est d’ailleurs bien passé. Après, rideau,
on est tombés sur un mur. Et ils ont maintenu
le projet », raconte Farid Ben Moussa. Argu-
valeurs portées par ce parti, dit-elle, c’est
décevant… » Mais elle concède : « La mixité,
c’est compliqué à porter politiquement, parce
que les parents ne sont pas rationnels. On
veut tous ce qui semble le mieux pour nos
enfants… » Les siens ont d’ailleurs fait leur
scolarité… dans le privé. Pour « retrouver
la mixité qu’il n’y avait pas dans le collège
de secteur. » « On ne peut pas demander aux
parents de porter le changement. C’est aux
élus de trancher dans le vif », se justifie cette
lectrice de Tolstoï et de polars.
Véronique Moreira, la vice-présidente
écologiste de la Métropole de Lyon, char-
gée des collèges, loue « une association à
qui l’on doit beaucoup. Ils ont posé ce débat
au niveau national et contribué à la publi-
cation des indices de position sociale (IPS) ».
Elle promet la mise en œuvre d’expérimen-
tations « d’ici à la fin du mandat ou le début
du prochain », en assumant de « prendre le
temps, car c’est un travail long et complexe, il
faut convaincre les parents, les enseignants,
Bruno Amsellem / Divergence pour “Marianne”

conditions de travail des enseignants s’amé-
liorent. » Quand elle entend l’association
locale No Ghetto prôner « le mélange des
élèves des quartiers populaires et des quar-
tiers plus bourgeois », elle ne tarde pas à
les rejoindre. Et devient peu après la pré-
sidente de cette structure née à la suite
du coup de sang de Farid Ben Moussa, un
infirmier et militant associatif, quand il
40 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
ment des écolos selon lui ? « Il ne faut pas les villes, le rectorat… » Houda Maafer y voit
casser les solidarités des quartiers. » surtout « un manque de courage. Des expé-
Houda Maafer regrette « une certaine riences ont été menées à Toulouse et à Paris,
lâcheté électoraliste. Quand on connaît les elles sont très positives. Il est temps d’agir ! » M
“On ne peut pas demander aux
parents de porter le changement.
C’est aux élus de trancher dans le vif.”
 LE POING SUR LA TABLE
La forfaiture du camembert Président
Un fromage d’infamie
qui salit la Normandie
En violation d’une décision du Conseil d’État, le groupe Lactalis
persiste à étiqueter son plâtre industriel en usant d’une formule
interdite par la loi pour cause de tromperie du consommateur.
Jusqu’où le cynisme et l’arrogance d’Emmanuel Besnier iront-ils ?
La vérité sur un scandale.
abriqué en Normandie ». Cela
«F fait trente-deux ans que cette
mention aurait dû disparaître des
boîtes de camembert industriel
au lait pasteurisé. Elle continue
pourtant à igurer sur l’étiquette du célèbre
fromage Président, emblème du groupe
Lactalis, leader mondial de l’industrie
laitière et propriété de la famille Besnier.
Pourquoi doit-elle disparaître ? Parce que,
en vertu de la législation sur les appellations
d’origine protégée en vigueur dans l’Union
européenne, lorsqu’une indication géo-
graphique se réfère à un territoire ou à une
région déinie, en l’occurrence la Normandie,
il est strictement interdit à toute autre pro-
duction laitière ne respectant pas les cri-
tères de l’AOP d’user de ce nom. C’est
précisément sur ce point que la notion
de protection de l’appellation prend
tout son sens.
Refus du réel
Le nom Normandie est protégé,
en aucun cas il ne peut désigner
un fromage non conforme
aux principes et aux va-
leurs de l’AOP. Et Pré-
sident encore moins
que les autres, car il
est la négation scien-
tifique, culturelle et
alimentaire de ce que
doit être un authen-
tique camembert nor-
mand. Rien n’est plus
scandaleux et affligeant
aujourd’hui, dans l’univers
agricole français, que de voir le
mot « camembert » accolé à celui de « Pré-
sident », même si cet état de fait n’est pas
par Périco Légasse
illégal, mais dès lors que le mot « Norman-
die » vient s’ajouter à cette aberration, on
bascule dans la forfaiture. Réalité que le
Conseil d’État a établie, à plusieurs reprises,
en termes juridiques très précis, la dernière
en date, jugée cette fois-ci sur le fond, étant
celle du 22 juillet 2022. Le plus paradoxal
est que cette procédure avait été enclen-
chée par le groupe Lactalis lui-même, en
septembre 2020, pour faire annuler une
disposition de la Direction générale de la
concurrence, de la consommation et de la
Il faut six jours
pour élaborer
un camembert
de Normandie AOP.
Il faut six minutes
pour fabriquer
un Président.
répression des fraudes, donc du gouverne-
ment, sommant les industriels de faire dis-
paraître la formule « fabriqué en Norman-
die » des fromages non conformes à la loi,
c’est-à-dire à la déinition que l’appellation
d’origine protégée donne du camembert
de Normandie, la seule, l’unique, la vraie :
au lait cru moulé à la louche. L’avis de la
répression des fraudes ixait la date butoir
du 31 décembre 2020, avec astreinte pour
toute étiquette usant encore de l’expres-
sion interdite. Tous les industriels laitiers
s’y sont conformés, sauf Lactalis. Débouté
à chaque tentative de contournement de
l’AOP, inalement vaincu le 22 juillet 2022,
Emmanuel Besnier s’enferme dans le refus
du réel, le cynisme et l’arrogance, comme
si c’est lui qui avait eu gain de cause. Il est
vrai que sa puissance économique et inan-
cière lui donne les moyens de cracher au
visage du Conseil d’État, tribunal suprême
du droit administratif de la République
française, en toute impunité. Du jamais-vu.
Mépris du consommateur
Mais le plus grave demeure le contenu
du Président, un plâtre issu d’un lait os-
mosé (dont on retire de l’eau par forçage
physique), pasteurisé une première fois à
73° et une deuxième à 90°, issu de vaches
coninées dans une étable, sans aucune
sortie, et nourries au maïs fermenté par
ensilage sous plastique enrichi au tour-
teau de soja brésilien déforestateur.
« 100 % lait normand », stipule le label,
contigu à « fabriqué en Normandie »,
puisque l’usine Président de Dom-
front – dont le coagulateur géant,
contenant 40 000 l de lait, pro-
duit 550 000 fromages par jour,
soit dix par seconde –, se situe
efectivement dans le départe-
ment de l’Orne. Comment peut-
on à ce point mépriser et trom-
per le consommateur ? Libre à
Emmanuel Besnier de produire
sa merde pasteurisée, mais qu’il ne
salisse pas la Normandie avec.
21 au 27 mars 2024 - Marianne - 41
 QUELLE ÉPOQUE !
Comme Delon… et que personne n’en voulait, même gra-
tuitement, vu l’impossibilité de trouver un

Après moi, locataire couvrant les charges et les taxes

annuelles. Autres pistes : un étang (entretien,
responsabilité si noyade du gosse du voisin…),

le une propriété à problèmes (chemins com-

chaos !
munaux à entretenir, droit de passage, haie
litigieuse, élevage de pitbulls à proximité…).

4.
Bidonner la valeur des biens.
Le isc est aux aguets concernant
une éventuelle sous-estimation
du bien, qui le priverait de recettes. On peut
On imagine que les défunts, auréolés de leur statut aussi imaginer une surestimation farfelue,
qui enchantera le isc, mais coûtera bonbon
de candidats au grand voyage interstellaire, ne sont que en droits de succession ou en expertises pour
bienveillance et générosité. Que nenni. Certains sont le faire réévaluer. La marge d’appréciation
reste importante selon les circonstances.
fort mécontents de quitter ce monde et n’ont qu’une idée « Pour des biens atypiques avec peu de compa-
en tête : pourrir la vie de leurs descendants. Le droit raisons, on peut facilement justifier une valorisa-
français leur ofre de réelles possibilités de nuisance… tion allant du simple au double, en fonction des
critères retenus », conie un notaire soucieux
Par Gilles Pouzin et Léa Anderson de sa réputation. Sous le couvert de l’équité
des lots donnés, ces écarts de valorisation,
ertes, il déclinait, Pépé. Tatie n’était relevant de la quotité disponible. Ainsi le habilement glissés dans une donation-par-

C plus la reine des dancefloors, loin de

là, malgré ses trois liftings. Fini les
amants, les vacances sur la côte, la
jeunesse turbulente. Bonjour l’arthrite,
le pacemaker, la poche à pipi… On pourrait
penser que ces malheureux, humiliés par
l’outrage des ans, ne seront pas fâchés de
favori peut hériter du double du mal-aimé.
Et tous deux d’un passeport à vie pour la
rancœur, la haine, la culpabilité.…

2.
Lancer une bombe à retarde-
ment avec une donation-par-
tage pourrie. « Contrairement
tage, créent de lourdes discriminations.

lever le camp. Que leur réconfort sera de
laisser à tous un bon souvenir. Qu’ils auront
à cœur de répartir le juste fruit d’une vie de
labeur. La triste réalité, c’est que les partants
n’ont pas tous cette grandeur d’âme. Croyez-
vous que l’aïeul se projette sans efroi dans
une urne au fond du placard quand vous
continuerez à aller au Franprix ? Il existe tant
à une donation simple, où la valeur des biens
est estimée au moment du décès, la donation-
partage n’est pas rapportable à la succession. La
valeur reste celle du jour de la donation », nous
explique un notaire de la côte d’Émeraude.
Donnez de votre vivant des biens de valeur
équivalente à vos enfants. À iston foufou,
une Porsche 718 Cayman (pousse à l’excès
5.
Léguer votre assurance vie
à votre chauffeur. Jusqu’à
152 500 €, ce « capital décès »
échappe aux règles du partage entre héritiers
réservataires. Jusqu’à 852 500 €, il ne subit
que 20 % de taxes, bien moins que les droits
de succession (45 % pour les frères et sœurs,
55 % pour les nièces et les neveux, 60 % si
sans lien de parenté). Attention toutefois, si
vous êtes mariés sous le régime de la com-
munauté réduite aux acquêts, votre moitié
garde la moitié de l’assurance.

de successions conlictuelles, en particulier
parmi les grands de ce monde (ceux que la
fortune, la beauté et le talent ont comblés,
justement) que l’on doit admettre que cer-
tains moribonds sont prêts à tout pour semer
la zizanie. Ajoutez une rente « prestige »,
de vitesse, exige des réparations incessantes,
perd 17,6 % de sa valeur en cinq ans…). À iille
chérie, un studio bien situé. Quand vous
casserez votre pipe, iille aura un joli patri-
moine et iston un tas de ferraille.
6.
Changer de conjoint en fin
de course. Ah, ils l’attendent
tous, le magot ! Créez la surprise
en vous mariant sur le tard. À votre décès,
Bibiche (ou Bichon) pourra hériter d’un
quart de votre succession en pleine pro-

3.
un fonds artistique à gérer, et vous obtenez Léguer des ennuis. Les associa-
l’abomination de la désolation : les succes- tions ou les fondations philanthro-
sions Picasso, Johnny, Jarre, Delon… piques, parfois désignées comme
légataires de châteaux en ruine, vériient
priété ou opter pour 100 % de votre patri-
moine en usufruit. De quoi mener la grande
vie, empêchant toute transmission jusqu’à
son propre décès (néanmoins, si vous avez

1.
Avantager éhontément un de
vos enfants. Le droit français
permet de léguer à qui bon vous
semble une quotité disponible, en complé-
ment de la réserve héréditaire. Si vous avez
deux enfants, ils peuvent prétendre chacun à
un tiers de votre succession, le dernier tiers
42 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
toujours si ces biens sont vendables avant
d’accepter de tels legs dont elles ne pour-
raient supporter les coûts d’entretien. On
peut enquiquiner à moins. L’heureux héri-
tier d’un espace de parking dans une tour
du XIIIe arrondissement de Paris a réalisé,
à son grand désarroi, qu’il était invendable
des enfants d’une autre union, il n’aura droit
qu’aux 25 % en pleine propriété). Vous pou-
vez aussi lui faire une « donation au dernier
vivant », devant notaire : ça lui assure un
quart de la succession en pleine propriété
et l’usufruit sur les trois quarts restants. Le
pire scénario pour les mioches.
 PICASSO, L’HÉRITAGE
PORTE-MALHEUR
À sa mort, le prolifique
artiste qui “peignait des
tableaux comme s’il
signait des chèques”
(dixit Cocteau) laissait
50 000 œuvres et
un champ de bataille
entre ses héritiers
(conflits, dégoût,
suicides…). Ce tableau
fut cédé à l’État
par Maya Ruiz-Picasso
dans le cadre d’un
arrangement fiscal pour
payer ses droits de
succession. Peint
en 1959, El Bobo donne
une vision peu aimable
de l’enfance. Mais
certains y voient
plutôt un autoportrait
de l’artiste en
nain vicieux.

7.
Gâter vos chouchous pour
leurs anniversaires. En droit
français, les cadeaux échappent
aux successions, à condition d’être « faits à
l’occasion de certains événements, conformé-
ment à un usage, et n’excédant pas une cer-
où les enfants ne sont pas héritiers réserva-
taires, le compositeur Maurice Jarre a placé
sa fortune dans un trust, au proit de sa der-
nière épouse Fui Fong Khong. Ses rejetons,
Jean-Michel et Stéfanie, ont perdu récem-
ment leur ultime recours auprès de la Cour
sœur déshéritant son frère, qu’elle avait
précédemment désigné légataire universel
mais à qui elle reprochait par la suite de
l’avoir mise sous tutelle. La vengeance est
un plat qui se mange froid…

taine valeur » (bulletin oiciel des Finances
publiques). Mais c’est sans retour. Le rapiat
Sacha Guitry voulut requaliier en succes-
sion le coûteux bijou ofert à une épouse qui
le quittait un an plus tard. Il se vit débouter
européenne des droits de l’Homme, qui « n’a
jamais reconnu l’existence d’un droit général
et inconditionnel des enfants à hériter d’une
partie des biens de leurs parents ».
10.
Prévoir une clause fout-
la-merde. Léguer le pac-
tole à votre nièce et son
mari, mais « si aucun enfant n’est né de leur
union trois ans après ma mort, ma fortune sera

9.
« compte tenu de la fortune du disposant »… Faire plusieurs testaments. distribuée aux organismes de bienfaisance. » Ce
Seul le dernier s’impose, annu- testament imaginé par Guy de Maupassant

8.
S’envoler sous des cieux
où le fisc est moins féroce.
Tentant, quand on est riche et
puissant. Installé depuis 1953 aux Etats-Unis,
lant les précédents, à moins qu’il
ne les précise et complète, sans incompati-
bilité. La cour d’appel de Versailles a ainsi
validé en 2023 le dernier testament d’une
dans sa nouvelle l’Héritage serait encore légal
aujourd’hui. Pas mal aussi, le testament gra-
duel sournois : « Je lègue tel bien à ma ille, à
charge pour elle de le léguer à ses enfants. » M
21 au 27 mars 2024 - Marianne - 43
 Mieux vaut
en rire !
Dément Beaune
Lu cette déclaration de Clément Beaune, ancien
ministre des Transports d’Emmanuel Macron,
dans Society : « J’ai un frère qui travaille à l’hôpital
public. On a investi depuis 2017, et surtout depuis
le Covid, énormément de moyens dans l’hôpital public.
Mais quand on lui dit ça, ça le rend fou. » Nous aussi !

MARTINE qui paie ». Mais quand bibi

EN UKRAINE
La romance continue
entre Valeurs actuelles et
David Lisnard. David qui ?
Mais si, le maire de Cannes,
que l’hebdomadaire cherche
à nous vendre, depuis des
mois, comme le renouveau
à droite. Dans sa dernière
livraison, le magazine
propose même, sur sa une,
un reportage « exclusif »
de quatre pages : « Avec
David Lisnard en Ukraine » !
Martine, l’héroïne de la
série de livres pour enfants,
a trouvé un successeur.
Prochain épisode ?
David à la ferme ? David
et le chaton vagabond ?
David petite maman ?
RACHIDA CANTELOUP
L’Express raconte la « vie en
Macronie » de Rachida Dati.
On apprend notamment
que cette dernière s’amuse à
imiter Amélie Oudéa-Castéra.
Quand on a été maire
du VIIe arrondissement de
Paris pendant quinze ans,
rien de plus simple que
d’imiter l’accent…
du VIe arrondissement !
décide, ce sont les autres
qui passent à la caisse.
CARESSÉ DANS
LE SENS DU POIL
« Un “beau gosse” à
l’Écologie », c’est ainsi
qu’est présenté Christophe
Béchu, ministre de la
Transition écologique,
par un JDD enamouré.
Et d’ajouter : « Le ministre le
mieux coifé du gouvernement
s’est imposé comme un
poids lourd de la majorité. »
Il va y avoir des jaloux.
LE SENS (UNIQUE)
DE L’HISTOIRE
Valeurs actuelles sort
un hors-série consacré
à « L’histoire interdite ».
Au programme – accrochez-
vous : « Le tabou des
“intellectuels” de gauche
pro-pédophiles ; de Proudhon
à Jaurès, les socialistes
antisémites ; l’épopée
des croisades ; Louis XVI
réhabilité ; le “Who’s Who”
de la Francisque… » Si, après
ça, on n’a pas envie d’aller
corriger du gauchiste à
la sortie de la fac de Tolbiac,
c’est à n’y rien comprendre !

Bibi aux T’AR TA GUEULE

manettes
Lors d’une rencontre avec
les cadres dirigeants de
l’État, Emmanuel Macron les
a sommés de ne pas freiner
les mesures décidées par
le gouvernement. Sinon,
a-t-il ajouté, « c’est bibi
44 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
À LA RÉCRÉ !
Dans un message vidéo
posté sur sa chaîne Telegram,
le ministre israélien de
la Défense, Yoav Gallant,
a joué les shérifs et lancé
à l’adresse des Palestiniens de
Jérusalem, en plein mois de
ramadan : « Ne nous cherchez
 D’UNE COLONISATION L’AUTRE
Lors d’une conférence sur la transition
énergétique, à Paris, l’ancien président
Barack Obama a lancé : « Quand j’entends
certaines personnes dire qu’il faut coloniser
Mars parce que l’environnement sur la Terre
pourrait se dégrader, qu’il deviendrait invivable…
Mais que dites-vous ? » De manière plus
pragmatique, Netanyahou se contente
de coloniser la Palestine, sans trop polluer
son environnement diplomatique.

pas. Nous sommes prêts, tenue avaient été conviées.

ne commettez pas d’erreur. »
Pas besoin de chercher
Yoav Gallant pour le trouver.
BANDE DE GLADIATEURS
Dans une tribune du Monde,
des personnalités appellent
le gouvernement français
à refuser d’accueillir
les sportifs russes lors des
jeux Olympiques, même
sous bannière neutre, sous
prétexte que ce sont « des
gladiateurs de Poutine ».
Transformer des athlètes
en soldats, c’est une
performance de haut niveau.
DIVERSITÉ À
LA JAPONAISE
Le Premier ministre
japonais, Fumio Kishida,
a dû s’expliquer devant
le Parlement à propos d’un
rassemblement organisé par
des membres de son parti
où des danseuses en petite
Certaines d’entre elles, vêtues
d’un bikini, devaient s’asseoir
sur les genoux des invités
et recevoir avec leur bouche
des billets de banque que
des participants tenaient
entre leurs lèvres. L’un des
organisateurs a conié qu’il
s’agissait de promouvoir la
« diversité ». Son explication
a été diversement appréciée.
Tintin,
roi du ballon
Pour l’Euro de foot, l’équipe
belge aura, dans sa garde-
robe, un ensemble inspiré de
Tintin, le reporteur préféré de
nos voisins, avec un maillot
bleu ciel, un short marron
et des chaussettes blanches.
Il ne manquera que Milou.
Mais les footeux de tous les
pays n’hésitent pas à mordre
dans le ballon (et pas que).

Carrément bien vu
“Il faudrait séparer l’État
du Medef comme on a séparé
l’Église de l’État.”
C’est l’avis d’Olivier Petitjean, coordinateur de
l’Observatoire des multinationales, interrogé par
l’Humanité magazine. Malheureusement, certains
continuent à croire en le saint ruissellement. Une fable
aussi douteuse que celle de la multiplication des pains.

21 au 27 mars 2024 - Marianne - 45

 Mieux vaut en rire !

Une punaise peut

en cacher une autre
L’Autorité de régulation de la communication
audiovisuelle et numérique a « mis en garde »
CNews et Pascal Praud pour avoir établi un lien
entre les punaises de lit et l’immigration.
En revanche, déceler la main de Poutine dans
l’écho médiatique de l’invasion des insectes,
comme l’ont fait toutes les chaînes de télévision,
n’est absolument pas répréhensible.

RENFLEMENT de désinhibition qui l’a

D’INTENTIONS DE VOTE ?
Dans sa chronique politique
pour le Point, la journaliste
Nathalie Schuck écrit, à
propos de Bruno Le Maire :
« Avec un livre à venir
sur sa vision de la France,
le ministre de l’Économie
se positionne à son tour
parmi les prétendants
à la succession. » Son livre,
que tous les Français vont
s’arracher, risque en efet
de tout changer pour 2027.
AMEN
Le directeur de l’école privée
catholique Sœur-Marguerite
de Clichy a été placé en
garde à vue pour usage de
stupéiants et exhibition
sexuelle. Il a été interpellé
à moitié nu dans l’enceinte
de l’établissement, où une
voisine l’a aperçu en train de
se masturber. Aux policiers,
le chef d’établissement a
confessé s’être drogué pour
chercher une forme
conduit à être pris la main
dans la culotte. Amen.
LE GRISBI DE BARBIE
Margot Robbie, qui a incarné
Barbie à l’écran, « est l’actrice
la mieux payée du monde »,
airme le Point, avec
54 millions d’euros en 2023.
Soit plus de trois mille
deux cents années
rémunérées au salaire
minimum. Raisonnable.
Y A-T-IL UN PILOTE
DANS L’AVION ?
Deux pilotes de la compagnie
aérienne Batik Air se sont
endormis lors d’un vol local.
Le commandant de bord
a demandé à son copilote
l’autorisation d’aller faire une
sieste, mais ce dernier s’est
lui-même assoupi pendant
presque une demi-heure. Les
153 passagers et les quatre
hôtesses de l’air sont sortis
indemnes de ce voyage
de deux heures et trente-

“Nous sommes pris en sandwich

entre Renaissance et le RN,
mais ce qu’il y a de meilleur dans
le sandwich, c’est souvent le milieu.”
Signé Brice Hortefeux, député européen (LR),
ancien ministre de l’Intérieur, dans le Figaro.
Le propre du sandwich, c’est qu’il init
toujours par être boufé.

46 - Marianne - 21 au 27 mars 2024

ALERTE GÉNÉRALE
Gabriel Attal a déclaré devant l’Assemblée nationale,
à propos de la guerre en Ukraine : « Une victoire de la
Russie, ce serait un cataclysme pour le pouvoir d’achat
des Français, une inlation alimentaire puissance 10, une
explosion des prix de l’énergie puissance 10. » Sans oublier
une invasion des sauterelles, des inondations incontrôlables,
une généralisation des feux de forêt, et une explosion de
toutes les centrales nucléaires. Ça fait peur.

cinq minutes. Il est toutefois et c’est tout le problème. Puis

recommandé aux pilotes de
ne jamais écouter les discours
de Bruno Le Maire en plein vol.
LES JEUX DU RIDICULE
Dans une interview
accordée au Parisien,
Michel Sardou s’est dit inquiet
pour les jeux Olympiques :
« Les JO, ça va être la
galère. Hidalgo va couper
en deux la Concorde, va tout
interdire, tout m’inquiète. »
Et d’ajouter : « J’ai peur qu’on
passe pour des cons dans
le monde entier. » On ne voit
vraiment pas pourquoi.
Partir un jour
sans retour ?
Le chanteur Kendji Girac
a annoncé son départ pour
le prochain numéro de
« Rendez-vous en terre
inconnue ». Il a conié avoir
eu « un peu peur » au
moment de s’envoler, avec
Raphaël de Casabianca et
toute son équipe, pour
quinze jours vers une
destination mystérieuse.
Mais pourquoi partir si peu ?
Il ne faut surtout pas qu’il
se sente obligé de revenir.
LE TSAR ET LA STAR
Dans un article du Point
intitulé « L’“ambiguïté
stratégique” de
Macron : leçon de chose
militaire pour les nuls », le
chroniqueur Michel Richard
s’interroge : « Qu’y a-t-il donc
de diicile à comprendre
dans le “rien n’est exclu”
de Macron vis-à-vis de
l’Ukraine ? » Absolument rien,
d’ajouter : « Sauf à lui faire un
procès d’instrumentalisation
électorale. » Ce n’est pas
du tout son genre.
DUR DUR D’ÊTRE BÉBÉ
Le Comité d’organisation
des Jeux, qui a déjà essuyé
des critiques concernant le
prix des billets, a maintenu sa
décision d’exiger que tous les
participants aient leur place,
même pour les bébés tenus
dans les bras. Beaucoup de
parents, notamment ceux qui
n’avaient pas encore d’enfant
au moment où ils ont acheté
leurs billets, se sont insurgés
contre cette décision. Pour
la cérémonie d’ouverture, si
Aya Nakamura est conirmée,
on leur conseille quand même
de trouver une baby-sitter.
MICRO-PROBLÈME
La discothèque toulousaine
Le Nine Club voulait organiser
un combat de nains le 11 avril.
Face aux réactions hostiles,
les organisateurs ont décidé
de déplacer la rencontre dans
la commune de Blagnac.
Dans des propos relayés par
la Dépêche du Midi, le maire
de la ville a indiqué vouloir
« prendre un arrêté pour
interdire » ce type
d’événements. « Si c’est
un combat de nains, comme
il le présente dans les vidéos,
ce ne sera pas envisageable !
Si on me dit, par contre,
que c’est une véritable
épreuve sportive, entre deux
personnes de petite taille,
on en discutera. » Bref, on
peut organiser un combat
de nains du moment qu’on
ne l’appelle pas comme ça.
21 au 27 mars 2024 - Marianne - 47

Réagissez en écrivant à Marianne : lecteurs@journal-marianne.com / “Journal des lecteurs”, 28 rue Broca, 75005 Paris
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LE DOS DES SALARIÉS
On reste en contact
Mémoire vive
Il ne faut pas oublier le bilan
de la Macronie au niveau européen :
immigration massive,
accords commerciaux en défaveur
de la France, politique menée
contre notre agriculture…
Olivier, sur TikTok, en réaction à l’édito
de Natacha Polony sur la campagne
Renaissance aux européennes
Constitution, mon amour
Aujourd’hui, nos parlementaires
inscrivent l’IVG dans la Constitution
et c’est très bien. Mais s’ils pouvaient
faire appliquer concrètement l’article 1
48 - Marianne - 21 au 27 mars 2024
FALLAIT QUE ÇA SORTE
ET VOUS
Droit dans le mur de la dette
Depuis quarante ans, l’État vit à crédit et
rembourse la vieille dette au moyen de nouveaux
emprunts. Et la fuite en avant continue !
Jusqu’où ? On ne peut pas vivre éternellement
à découvert : une entreprise irait rapidement
LE DÉBAT SUR marianne.net à la faillite, une famille ne trouverait plus
de crédit. La dette cumulée représente huit fois
les recettes annuelles, soit plus de trois mille
CNews est-elle milliards. Les capitaux étrangers, notamment
ceux des émirs du pétrole, y entrent pour
une chaîne pluraliste ?* 60 % : ainsi l’indépendance de la France est
gravement menacée. Mais le retour à l’équilibre
est impossible à moyen terme, compte tenu des
64 % 36 % engagements de l’État envers ses fonctionnaires,
les retraités, les fournisseurs, etc. Aucune
OUI NON augmentation des recettes n’est à l’ordre
CNews est une chaîne privée Si l’on considère que du jour car la France cumule le plus fort taux de
de la droite conservatrice la droite, la droite de prélèvement et le plus fort déicit. La structure
qui s’ofre le luxe d’inviter une la droite ainsi que l’extrême des recettes devrait être modiiée : moins de
personnalité de gauche de temps droite, toutes tendances TVA, plus de taxes sur les hauts revenus et les
en temps (si elle daigne venir) confondues, sont toujours patrimoines. Quant à l’austérité, elle n’est pas
pour le plaisir de la controverse. très équitablement représentées pour tout le monde : tout va mal mais la Bourse
C’est un média d’opinion, sur CNews, on peut airmer est au plus haut. D’une façon générale, la France
mais il participe du pluralisme que cette chaîne est « pluraliste », vit au-dessus de ses moyens, mais ce sont
au sens où la chaîne est un îlot car on y retrouve en efet les moins favorisés qui sont encore visés.
de « politiquement incorrect » cette palette toute l’année. La rigueur et l’austérité prétendues seraient
dans un océan de bien-pensance. Mais un esprit diicile et tatillon mieux acceptées si elles s’accompagnaient
Il y a un tel unanimisme dans
les médias mainstream que nous
voudra peut-être ajouter
sous cette même étiquette les
d’une réduction des inégalités qui apporterait
une saine relance par la consommation
serions totalement lobotomisés sensibilités du centre, de gauche du plus grand nombre. Roger Basset
si nous n’avions pas une boufée et d’extrême gauche. Pichedru
d’oxygène grâce à cette voix La face cachée du drame paysan
alternative. […] Ce média a un Si la France attire chaque année un grand
avantage unique : il dévoile nombre de visiteurs étrangers, elle le doit pour
des faits dérangeants qui sont une bonne part à ses paysages et à l’excellence
sciemment occultés sur les de sa nourriture. Dans ces deux domaines, le
autres chaînes. Je pense même monde paysan joue un rôle majeur. Il en est bien
que c’est grâce à CNews qu’on * Résultats relevés le 13 mars à 12 heures. mal récompensé. Pour des revenus de misère,
Votez, étayez vos points de vue et
peut parler de pluralisme dans le soutenez les meilleurs arguments sur les paysans travaillent un nombre d’heures
paysage audiovisuel. Aube V. marianne.net/espace-debat/debats considérable, ne prennent que peu de vacances,
subissent les excès des écologistes, sont noyés
sous la paperasse et doivent subir les directives
européennes. Chaque année, on compte de plus
en plus de suicides d’agriculteurs, ce qui atteste
de notre Constitution, ce serait Chaleureux remerciements la gravité de la situation. Yves Briche
bien également : « La France Je n’ai qu’une seule chose à dire :
est une République indivisible, « Merci MM. Valls et Hollande ! Réussir L’usine à gaz des déchets
laïque, démocratique et sociale. » à détruire un parti avec un seul Dans la série « Arrêtez d’emm… les Français », un
Alain J., par message sur Facebook mandat ! Même les spécialistes de nouvel épisode vient de sortir : le tri des ordures
la démolition ne font pas aussi bien. » et des déchets ménagers. Le système actuel en
Ukraine : tout à perdre Jean A., sur Instagram, sous l’article vigueur (bacs verts, bacs jaunes, conteneurs pour
L’Union européenne n’a rien à gagner « Perdre avec Mélenchon ou perdre sans lui : le verre et déchetterie) fonctionnait correctement,
dans ce conlit. Non seulement elle dilemme fatal à gauche » il fallait donc en changer et inventer une usine à
met son économie en danger mais elle gaz pour les déchets fermentescibles. Le principe
s’appauvrit dans tous les domaines ! Dette olympique des composteurs était acquis et naturel pour les
Qui, croyez-vous, sortira bénéiciaire Comment ce pays criblé de dettes habitants de pavillons avec un minimum d’espace
de cet afrontement ? a-t-il pu envisager de pharaoniques vert, mais pourquoi l’imposer à l’échelle nationale
jeux Olympiques en 2024 et remettre aux résidents d’appartements qui devront faire
IP3 Press / MaxPPP
Martin D., sur TikTok, au sujet
de la guerre en Ukraine et ça pour l’hiver 2030 ? plusieurs centaines de mètres avec leur sac
d’une ampliication du soutien européen Véronique C., sur Facebook ou transformer leur voiture en véhicule poubelle ?
Jacques Delaunay
À vous de jouer par Jean-Paul Cordier

Mots croisés Mots fléchés

I II III IV V VI VII VIII IX X VIN SITUATION HOMME FAIT
DU SOLEIL LUCRATIVE DE RADIO POUR DURER

1 TISSU
DE VESTON
POIRES
BIEN MÛRES
ENDUIT
DE TERRINE
HÉROS DE
J. VERNE

2
3 MARCHER

▼
MAL

4 JUSTE
UNE MOITIÉ

5
6 COURS VERS SENSATION

▼
AVRANCHES AUDITIVE
ARME METTRE
7 DU LIMIER À CÔTÉ

8 ÉVITE LES
FRICTIONS

9 SEPT RIVIÈRE

▼
SUR SEPT DU CANTAL
PLAN ON S'Y FAIT
10 D'URGENCE SUER

ENSEIGNE DONNER
Horizontalement : 1. P a p y - b o u m e n t e n u e s h a b il l é e s , a v e c d e s m i n e s e n j o u é e s , e t à EN VILLE UN SENS
l a l é g è r e t é d u p a s • 2. É m i s e n b a s s e f r é q u e n c e . L e s c h a n d e l l e s l u i d o n n e n t d u p i m e n t •
3. P l u s e n u s a g e . I l y a d e s r i s q u e s à v o u l o i r l e r e l e v e r • 4. P r o c è d e à l’ é v a c u a t i o n . C ’ e s t ÉTAT DE

▼
l à q u e l e m é t i e r r e n t r e • 5. U n e p e t i t e b l o n d e à s i l e r . D e s g e n s l i é s d a n s l a m o n t é e • D'UNE FOULE POLYNÉSIE
6. N o n l o i n d e n o u s . U n e t o u r n é e j u s t e p o u r s ’ a m u s e r • 7.I l g î t d e p u i s l o n g t e m p s s u r l a GROUILLANTE POINT
CULMINANT
p l a c e R o u g e . V o il e a u x a l l u r e s p o r t a n t e s • 8. R é l é c h i r d e b r il l a n t e f a ç o n . P a s s é e p a r u n e
t r a n s f o r m a t i o n • 9.I l s n e c a c h e n t r i e n d e s j o l i s c o u p s - d e - p i e d • 10. E l l e s ’ o p p o s e à l a i n
d e la r e p r é s e n t a t io n.
Verticalement : I. P r é o c c u p e r s u i t e à d e p e t i t e s t r a c a s s e r i e s i n c e s s a n t e s • II. L a d a m e
d e s t o il e t t e s b i e n e n v u e a u t h é â t r e • III. O ù l’ o n p e u t d é j à v o i r l’ u s u r e d u t e m p s . O f r e FLEURIT
▼

EN FÉVRIER
u n e p r o m e n a d e a u x A n g l a i s • IV. A d v e r b e d e l i e u . D û à u n g e r m e p a t h o g è n e • V. V é r i i e
DONNER
l a b o n n e c o m b u s t i b il i t é • VI. U n e p e n s é e p o u r N o t r e - D a m e . A u x s c è n e s d ’ h o r r e u r s a n - UN PRIX
g u i n o l e n t e s . I l p o u r r a i t n o u s c h i c o t e r a v e c s a s o u r i s • VII. S o u l é e t p r ê t à t o m b e r . P a s s a
s u r l e d o s • VIII. O n l u i a f a i t p o r t e r l e b o n n e t . A r r i v é à l a i n d u c o n c e r t • IX. F r u i t à
c o n s o m m e r b l e t . C i r c u l e l i b r e m e n t à C u b a • X. O n s ’ y r e n d p o u r d e s a m o u r e t t e s e t d e s
c h o i x d e c œ u r.

Sudoku
5 1 9 8 1
Mots croisés
I
C A
II III IV V VI VII VIII IX X
S S E R O L E S
SOLUTIONS du no 1409
2 A B O U T E R , C E Mots fléchés
T E R R E , L A R D
4 9 1 3
4 E T E I N T , V I E B A C G
5 N I L , D A V A N T C R O C H E T E
7 6 9 6 A S , T U N E R , R
7 I S A R , C R E P U A R C A D E S
8 R A C I N E S , L I
9 4 5 9 E N R A B , E P A R A C Q U I E R T
10 S T A L A C T I T E H U M E R E
7 Sudoku D I E U O R S
3 9 4 5 8 7 1 2 6
3 7 9 2 6 7 1 3 4 5 9 8
O AL M E
8 1 5 6 9 2 7 3 4 A S T RE C F
2 8 3 5 2 8 9 4 6 3 1 7
A I E C H O
9 4 1 3 7 8 2 6 5
3 5 2 7 3 6 2 1 5 4 8 9 C U R A T E U R
6 7 2 8 5 3 9 4 1 R E G E N T E
1 5 3 4 6 9 8 7 2
8 1 6 7 4 8 9 7 2 1 6 5 3 H E R I S S E R
21 au 27 mars 2024 - Marianne - 49
 Le banc public
Des écrivains s’assoient et regardent passer le monde
Clément Bénech
Dernier ouvrage : Un vrai dépaysement, Flammarion, 2023
Horizons funèbres
L’
année dernière, alors que je me livrais devant témoins
à la cérémonie du mariage (ici, temps est laissé au lec-
teur d’applaudir respectueusement, de vitupérer sur les
engagements des hommes ou carrément de s’esclafer),
j’appris que l’abbé Prévost – l’auteur de l’inoubliable
Histoire du chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut – avait
passé les dernières années de sa vie dans la commune de
l’Oise où je convolais en justes noces. Cet homme à la vie rocambo-
lesque, qui avait choqué toute l’Europe avec son histoire d’amour
immorale entre deux hédonistes – laquelle inspirerait Massenet,
Puccini et Gainsbourg –, fut chargé par le prince de Condé d’écrire
l’histoire de sa famille, dont les archives reposaient au château
de Chantilly. Un soir qu’Antoine François Prévost – défroqué,
refroqué, jésuite, soldat, libertin, bénédictin, tout juste plus abbé
que je ne suis cardinal – rentrait des vêpres, par une route qui ne
portait pas encore le doux nom de D924 et qui n’était pas encore
goudronnée, dans cette terre picarde à l’horizontalité à peine
contrariée par une poignée de cathédrales parmi nos plus magni-
iques, il s’efondra, frappé d’apoplexie. C’était en novembre 1763 ;
un calvaire en marque aujourd’hui l’emplacement.
Une légende tenace voudrait que Prévost d’Exiles (le pseudo-
nyme qu’il s’était choisi) se soit rapidement trouvé allongé sur
le macabre divan du légiste ; que celui-ci, appelé en catastrophe,
ayant sans doute laissé un civet sur le feu, ait voulu autopsier illi-
co l’infortuné ; qu’un trait de scalpel empressé dans le ventre ait
fait se redresser l’abbé – qui n’était pas si mort – d’un seul coup ;
que cette lame intempestive lui ait fait enin rendre l’âme. Cette
coquecigrue (on ne parlait pas encore de fake news), baudruche
percée notamment par son biographe Jean Sgard, a peut-être
subi l’inluence romanesque du seppuku de Vatel, survenu, un
siècle auparavant, à quelques kilomètres, pour une histoire de
poisson livré en retard. Il est vrai que cette mort fantaisiste eût
fait un bon rappel à Dieu pour cet homme né un 1er avril, comme
Milan Kundera. Peut-être aussi ajoutait-elle encore d’une façon
plaisante à la légende de cet auteur merveilleux d’inventivité et
d’audace, enterré par la suite dans un prieuré, disparu à l’heure
qu’il est, et dont les pierres servirent à construire les habitations
du village voisin de Saint-Nicolas-d’Acy.
Prévost gît aujourd’hui sous le gazon d’une belle demeure
Directoire. Les habitants du jour ont récupéré sa pierre tom-
bale, posée contre un arbre, à l’abri. Il y a bien un panonceau à
l’entrée de cette propriété. Mais pour la région, c’est tout. Pas
très loin, il y a le triangle d’or de l’Aisne : les maisons natales de
La Fontaine, de Racine et de Dumas, dans un mouchoir de poche.
Modeste mouchoir. Comme nous savons mal nous raconter !
Prévost, allez, d’accord, n’était pas Proust, ni Hugo ; mais bien
des pays se seraient satisfaits d’un barde national de sa trempe.
Ils lui auraient fait une statue ; il aurait eu sa médiathèque, son
collège ; peut-être même l’avers d’une pièce de monnaie. Je sais
ce que les États-Unis auraient fait d’un Prévost. Ils lui auraient
consacré le village en question ; il aurait sa baraque à frites, son
roller coaster, dont les montagnes russes symboliseraient les
états par lesquels l’incorrigible Manon aura fait passer le pauvre
Des Grieux. L’aventurier serait devenu une véritable attraction
de la région, un peu comme le facteur Cheval l’est à Hauterives,
dans la Drôme – où tout s’appelle Cheval, du primeur au coif-
feur. Peut-être avons-nous raison de garder la tête froide, de
ne pas tout transformer en fête et en tourisme. Mais il s’agirait
simplement de remettre de l’ordre – du vertical – dans l’horizon.
De jouer un peu, sans en faire une habitude, les Américains. M
Retrouvez, dans les prochaines semaines, les textes d’Emma Becker, Kamel Daoud,
Benoît Duteurtre, Cécile Guilbert et Jérôme Leroy.