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G.

Vottéro, “Remarques sur les graphies et la langue des


papyrus de Corinne”,
in

Cl. Brixhe - G. Vottéro, Folia Graeca in honorem Edouard


Will / Linguistica, p. 97-160 (ÉA 50, A.D.R.A.), Nancy
2012.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE
DES PAPYRUS DE CORINNE

Guy VOTTÉRO

0. Longtemps, pour les Modernes, Corinne n'a guère été qu'un nom,
celui d'une poétesse des 6e-5e s., à qui on pouvait attribuer, sur la foi
des citations d'auteurs anciens, une trentaine de vers plus ou moins
bien conservés (et donc compréhensibles) et une quinzaine de syntag-
mes ou de vocables. La découverte du papyrus de Berlin et sa pre-
mière publication par Schubart et Wilamowitz en 1907, puis celles
d'Oxyrhynchos sont venues bouleverser la situation : on y lisait un
texte aux graphies très évoluées, correspondant (très approximative-
ment1) à celles des inscriptions béotiennes de la fin de la période dia-
lectale (i.e. 2e moitié du 3e s. - 1ère moitié du 2e s.). Dès lors la question
de la date du floruit de l'auteur a été posée : Corinne a été située tantôt
fin 6e s. - début 5e s. conformément à la tradition, tantôt au 3e s., en
raison des graphies des papyrus, les deux datations étant défendues
avec des arguments souvent plus subjectifs qu'objectifs (et au final
assez facilement réversibles2 !).
Or, par la (toute) relative ampleur du texte qu'ils procurent, les
papyrus ont faussé l'approche de l'oeuvre de Corinne en focalisant
l'attention des chercheurs et, corrélativement, en marginalisant les
manuscrits : que valent en effet une trentaine de vers, coupés de tout
contexte, face à plus de 260 vers, dont trois passages suivis de 10 à 35
vers assez bien, voire bien conservés (cf. infra § 1.1 ~ 1.2) ?
Beaucoup ont dès lors considéré que le texte de Corinne était "gravé
dans le marbre" et personne n'a posé clairement la question de la
valeur philologique intrinsèque de ces papyrus, alors qu'on connaît le
principe de précaution testis unus, testis nullus (ou en termes plus

1 Cf. infra § 2.2.2.1/3 et 3.1.3. Mais cette approximation est habituellement méconnue, e.g.
les affirmations sans nuances de D. Campbell, p. 2 (§ 1).
2 Cf. infra § 2.2.3.4 et 2.3.
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philologiques, lectio una, lectio nulla)3.


Il m'a donc paru nécessaire de reprendre l'ensemble du dossier, en
tenant compte de la mise à jour des données épigraphiques4, mais
aussi de l'ensemble des documents disponibles.
Plan suivi :
1. LES DONNÉES ANTIQUES SUR CORINNE
1.1. Données textuelles
1.1.0. Sources
1.1.1. Fragments attribués à Corinne cités par les auteurs anciens
1.1.2. Fragments papyrologiques suivis attribuables à Corinne
1.1.3. Fragments 'béotiens' d'attribution incertaine
1.1.4. Conclusion
1.2. Autres données
1.2.1. Fragmenta sine uerbis
1.2.2. Le nom Corinna
1.2.3. Mentions et anecdotes littéraires
1.2.4. Listes des poètes lyriques
1.2.5. La langue utilisée : le point de vue des Anciens
1.2.6. La sculpture
1.2.7. Conclusion
2. LA QUESTION DE LA DATE DE CORINNE
2.1. Historique
2.2. Les arguments utilisés pour une date tardive
2.2.1. Jusqu'en 1953
2.2.2. La tentative de D.L. Page pour synthétiser toute cette démonstration
2.2.3. Les successeurs
2.3. Remarques
2.4. Conclusion partielle
3. ANALYSE CRITIQUE DES DONNÉES DISPONIBLES
3.1. Les données textuelles
3.1.0. Méthodologie
3.1.1. Les papyrus

3 De fait, quand on dispose d'un nombre important de papyrus, comme pour l'oeuvre
d'Homère, on constate que la valeur philologique de ceux-ci est très variable.
4 A titre indicatif on notera que, pour la partie linguistique, Page 1953 appuie principalement
son argumentation sur Bechtel 1921, dont les références épigraphiques ne remontent pas
au-delà de 1912. Or, depuis cette date, le nombre d'inscriptions dialectales béotiennes a été
multiplié par deux, la chronologie et la méthodologie ont été précisées, et la perception du
dialecte en a été modifiée (cf. Vottéro 1996/1, 1998, 2001, 2006).
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 99
3.1.2. Les manuscrits
3.1.3. Tableau récapitulatif des graphies "béotiennes"
3.1.4. Conclusion partielle
3.2. Les données iconographiques
3.2.1. La sculpture
3.2.2. La frise du rhyton n° 47 de Nisa
3.2.3. Les peintures de Pompéi
3.2.4. Les monnaies
3.2.5. Remarques
4. CONCLUSION GÉNÉRALE

1. LES DONNÉES ANTIQUES SUR CORINNE


1.1. Données textuelles
1.1.0. Sources
1.1.0.1. Grammairiens antiques :
- An. Ox. I : Anecdota Graeca e codd. manuscriptis Bibliothecarum
oxoniensium I, éd. J.A. Cramer (Oxford, 1835)
- Apollonius : Apollonii Dyscoli quae supersunt, in Grammatici
Graeci II, 1 (éd. R. Schneider, Leipzig, 1878).
- Choeroboscus : Georgii Choerobosci Scholia, in Grammatici Graeci
IV, 1-2 (éd. A. Hilgard, Leipzig, 1894).
- Eustathe : Eustathii Commentarii ad Homeri Iliadem et Odysseam (6
vol., Leipzig, 1825-1830 ; réimpr. Hildesheim 1960)
- Hephaest. Enchir. : Hephaestionis Enchiridion cum commentariis
veteribus, éd. M. Consbruch, Teubner, Berlin 1906.
- Hérodien : Herodiani Technici Reliquiae, in Grammatici Graeci III,
1-3 (éd. A. Lentz, Leipzig 1867-1870).
- Hesychius : Hesychii Alexandrini Lexicon post Ioannem Albertum,
éd. M. Schmidt (Iéna, 1864)
- A. Hilgard, Excerpta ex libris Herodiani technici (Leipzig, 1887)
- Paroemiograph. : Corpus paroemiographorum graecorum I et II(éd.
E.L. Leutsch et F.G. Schneidewin, Göttingen 1839-1851).
- Phrynichus, Ecloge nominum et verborum atticorum, éd. I. de
Borries, Teubner, Leipzig 1911.
- Priscien : Prisciani Institutionum Grammaticarum Libri, in Gram-
matici Latini II-III (éd. H. Keil, Leipzig 1858).
- Schol. in Dionysii Thr. (Grammatici Graeci I, 3, éd. Hilgard, Leipzig
1901 ; Hildesheim 1965)
- Schol. in Hom. Iliad., R 197 : Scholia Graeca in Homeri Iliadem
Townleyana II, éd. E. Maass (Oxford, 1888).
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1.1.0.2. Papyrus :
- P. Berol. 284 : W. Schubart - U. von Wilamowitz-Moellendorff,
"Griechische Dichterfragmente II. XIV Korinna", BKT V2 (1907) 19-
54 et Taf. VI-VII, Berlin.
- P. bibl. Univ. Giess. 40 : Mitteil. aus der Papyrussammlung der
Giessener Universitätbibliotek 4 (1935), 19-21, Abbild. VII, Giessen.
- P. Oxyr. 2370/2371/2372/2373/2374 : E. Lobel, "New Classical
Fragments. 2370-2374 Boeotian Verses", Oxyrh. Papyri XXIII
(1956), 60-87 et Pl. IX-XI, Londres.
- PSI 1174 : Papiri Greci e Latini 10 (1932), 140-141, n° 1174,
Florence [cf. Coppola, 1931].
1.1.0.3. Editions modernes5 :
- 1908 : G. Crönert, “Corinnae quae supersunt”, Rheinisches Museum
63, 161-189 [= C + n° de fragment]
- 1914 : Th. Bergk, Poetae Lyrici Graeci III4 (Teubner ; Leipzig)
[= B. + n° de fragment]
- 1925 : E. Diehl, Anthologia Lyrica Graeca I (Teubner ; Leipzig)
[= D. + n° de fragment]
- 1940 : J.M. Edmonds, Lyra Graeca III (Loeb ; Harvard)
[= E. + n° de fragment]
- 1953 : D.L. Page, Corinna (Londres ; réimpr. 1963)
[= P. + n° de fragm. ou de p.]
- 1962 : D.L. Page, Poetae Melici Graeci, n° 654-689 (Oxford)
[= P. + n° de § de 654 à 695A]
- 1992 : D.A. Campbell, Greek Lyric IV (Loeb ; Harvard)
[références de Page 1962]
- 1994 : B. Pajares, R. Somolinos, Poetisas griegas (Madrid) [non uidi]
- 1998 : Y. Battistini, Poétesses grecques (Paris)
[références de Campbell]
- 2005 : F.B.M. : R. Torres i Ribé, M. Cappellà i Soler, J. Pòrtulas,
Corinna de Tànagra. Testimonis i fragments (Barcelone,
Fundació B. Metge). [en catalan]

5 Les éditions antérieures, comme celle de F. Orsoni, Carmina novem illustrium femina-
rum…, [Corinne p. 46-48] (Anvers, 1568) ou même J. Ch. Wolf, Poetriarum octo… frag-
menta et elogia, [Corinna p. 42-62] (Hambourg, 1734), n'ont plus qu'un intérêt historique et
bibliophilique.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 101

Les éditions antérieures à celle de Page 1953 sont plus ou moins


dépassées en raison des progrès de la philologie (découverte de nou-
veaux fragments, discussion de certains passages ou de compléments,
…) ; les éditions postérieures (Page 1962, Campbell 1992) ne la rem-
placent pas : elle reste l'édition de référence, car c'est la seule étude
exhaustive disponible (cf. infra § 2.2.2), mais elle doit être complétée,
cf. infra § 1.1.1, <15> et surtout § 1.1.2, <31>, <32>, <33> (ces trois
derniers fragments correspondant au P. Oxyr. 2370 publié par Lobel
en 1956, et introduit par Page dans l'ouvrage de 1962, n° 655) ; l'édi-
tion de la FBM présente une analyse assez succinte, mais complète et
à jour, des questions que posent ces textes, mais, excluant les passages
trop fragmentaires6, elle est avant tout une édition littéraire.
Depuis Edmonds, tous les éditeurs donnent une traduction et il est
facile de s'y reporter.
Une nouvelle numérotation des fragments est utilisée ici : elle vise
à mieux distinguer les différents éléments du dossier7.
1.1.1. Fragments de Corinne cités par les auteurs anciens :
1.1.1.0. Ne sont indiqués ici que les passages mentionnant clairement
Corinne et comportant un texte de/attribué à Corinne. Les fragments
qualifiés de "béotiens" sans autre précision et les simples mentions de
la poétesse sans citation sont relevés infra § 1.1.3 et 1.2.1.
Par ailleurs ce sont les données brutes des manuscrits qui apparais-
sent ici (avec séparation des mots pour faciliter la lecture) ; les correc-
tions ou adaptations proposées par les éditeurs ou critiques sont indi-
quées en note.
1.1.1.1. Vingt-cinq citations pour un total de 28 vers complets :
— Loci certi :
<1> Boiwt'os : 1 v. cité chez Hérodien II, 917, 15-18
[n° 658 ; P. 6 ; FBM 3 ; E. 18 ; D. 6 ; B. 1 ; C. 6]
to§ude m'akar Kron‘idh to§u Poteid'awnos !anax Bo‘iwte8

6 Elle inclut P. Oxyr. 2370/2072, mais non P. Berol. col. II/IV, P. Oxyr. 2371/2073…
7 Elle repose sur les principes de classement suivants : 1) citations d'auteurs anciens (vers
entiers, puis fragments, puis lexèmes isolés, en distinguant à chaque fois citations avec titre
attribué à/par Corinne et citations sans titre) ; 2) fragments papyrologiques suivis ; 3)
fragments d'attribution incertaine (citations antiques, puis fragments papyrologiques).
8 Corr. Wilamowitz : to4u d’e m'akar Kron‘idh, to4u Poteid'awni f'anax Boiwt‘e.
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<2>£Ept4a «ep’i J'hßais9 : 1 v. cité chez Apollonius 93, 26-29


(= 119 B) [n° 659 ; P. 9 ; FBM 4 ; E. 22 ; D. 7 ; B. 6 ; C. 9]
o7um’es d’e komiÒj'entes
<3> Eèuwnum'ih 10 : 2 v. suivis cités chez Apollonius 106, 13 - 107,
17 (= 135 B - 136 C) [n° 660 ; P. 10 ; FBM 7 ; E. 23 A ; D. 8 ; B. 19 ; C. 11]
phdegon j'elwÒa q'ilhs
èagk'alhs elhÒje11
<4> Kat'aplous : 3 v. suivis cités chez Apollonius 77, 5-9 (98 B)
[n° 662 ; P. 13 ; FBM 9 ; E. 27 ; D. 11 ; B. 2 ; C. 14]
n'ikaÒè 7o megaloÒjen'hs12
`Ware'i/‘iwn c'wran tè èapè 7eo§us
p§aÒan èwno'umhnen
<5> Kat'aplous : 1 v. + 1 fragment cités chez Apollonius 82
(= 105 B) [n° 663 ; P. 14 ; FBM 10 ; E. 26 ; D. 12 ; B. 4 ; C. 15]
oèu g4ar t’in 7o qjoner4os
™daimwt™13
<6> "Livre V" (ou II ?14) : 1 v. cité dans l'Hephaestionis Enchiri-
dion p. 9, 19 + Choeroboscus 211 C (= schol. ad loc.) :
[n° 657 ; P. 3 ; FBM 6 ; E. 41 ; D. 1 ; B. 9 ; C. 1]
àh dianek§ws e8udeis; oèu m4an p4aros àhÒja15

— Deux fragments correspondant aux v. 2-5 et 15 de P. Oxyr. 2370,


(cf. infra § 1.1.2, <31>) ; sans titre, mais parfois présentés comme
"prélude à Fero'iwn a' " :
<7> 4 v. suivis cités dans l'Hephaestionis Enchiridion p. 56-57
[n° 655, 2-5 (+ p. 335) ; P. 4 ; [FBM 2] ; E. 1 ; D. 2 ; B. 20 ; C. 2]
kal4a g‘eroia e«iÒom'ena
Tanagr‘ideÒÒi leukop‘eplois
m‘ega dè èem4h g‘egaje p'olis
ligourokwt‘ilaiÒ` èenopa¶is16

9 Mss. et Page 1953 J'hßais ; corr. Page 1962 J'hßhs ; corr. Edmonds et al. Je‘ißhs.
10 Graphie du ms. d'Apollonius, cf. infra § 1.1.4 / 3.1.2.
11 Corr. Boeck : p§hda f4on j'elwÒa q‘ilhs èagk'alhÒè e
» l'eÒjai ; corr. Crönert »el'eÒjh.
12 V. 1 discuté ; v. 2 : `Ware‘iwn vel `Wr‘iwn
13 V. 2 : corr. Ahrens d'hmwn, Edmonds dam'iwtè (= zhmio§utai).
14 Confusion des lettres/chiffres B et E par les copistes ? Texte également présenté comme
" Fero‘iwn e' ", cf. Page 1962, n° 657 .
15 Variations peu importantes.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 103

<8> 1 v. cité dans l'Hephaestionis Enchiridion p. 57


[n° 655, 15 (+ p. 335) ; P. 24 a ; [FBM 2] ; E. 5 ; D. 19 ; B. 13 ; C. 27]
ka’i pent'hkont` oèuyiß'ias17
— Loci incerti :
<9> 3 v. suivis, cités chez Apollonius 51, 12-17 (= 64 C - 65 A)
[n° 664 a ; P. 5 a ; FBM 11a ; E. 11 ; D. 15 ; B. 21 ; C. 23]
m'emqomai d’e ka’i ligour4an Murt'idè »i'wnga
8oti ban4a qo§uÒè ¡eßa Pind'arioio p4ot !erin18
<10> 1 v. + 1 fragment cités chez Apollonius 51, 12-17 (= 64 C -
65 A) [n° 664 a ; P. 5 b ; FBM 11b ; E. 1, 1-2 ; D. 16 ; B. 10 ; C. 24]
^i'wnei hdè hrwwn èaretas19
ceirwadwn
<11> 1 v. + 1 fragment cités chez Apollonius 74 (= 95 C)
[n° 666 ; P. 19 ; FBM 13 ; E. 2 ; D. 14 ; B. 11 ; C. 20]
per’i teo§us £Erm§as p’ot` èareua20
poukte'ui
<12> 1 v. cité chez Apollonius 95 (= 122 A)
[n° 678 ; P. 27 ; FBM 25 ; E. 19 ; D. 25 ; B. 22 ; C. 33]
t4o d'e tis oummiwn21 èakouÒ'atw
<13> 1 v. cité par un grammairien anonyme (P. Egelnolff, Philo-
logus 59 (1960), 249 (= An. Par. III 137, 10 et 351, 11-12)
[n° 674 ; P. 20 ; FBM 21 ; E. 40 ; D. 3 ; B. 23 ; C. 22]
J'eÒpia kallig'enejle qil'oxene mouÒoq'ilhte22
<14> 5 v. isolés, cités dans l'Hephaestionis Enchiridion p. 57
[n° 675 ; P. 24 b-f ; FBM 22 ; E. 6-10 ; D. 20-24 ; B. 14-18 ; C. 28-32]
a) do'uratos 8wÒt` èeq` 8ippw
b) ™kat4a m’en brimo'umenoi™
c) p'olin d` èepr'ajomen proqane'i/'hs
d) glouko4u d'e ™tis !adwn™
e) pel'ekeÒÒi done§itai23

16 V. 1 : kal4a g‘eroia A ; kalag‘ereia I ; 2. leukopeplois vulgo, -plous Fl. ; 3. gega-


je vulgo, gegaÒe A ; 4. -kwt‘ilais «en'opais codd., -hs schol ; discut. infra § 3.1.1.4.
17 Pent'hkont` oèuyiß'ias A, pent'hkontou yiß'ias I ; discut. infra § 3.1.1.4.
18 Corr. Wilamowitz et al. m‘emqomh, Mourtidè , Pind'aroi.
19 Corr. Bergk »i'wnei dèè 7hr'wwn ; Bergk e»ir'wwn.
20 Corr. Wilamowitz &Area.
21 Corr. Bergk oèum‘iwn, Bechtel o7um‘iwn.
22 Corr. edd. : mwÒoq'ileite.
104 GUY VOTTÉRO

<15> 1 v. très corrompu cité chez Phrynichos 309 (363),


s.v. y‘iejos [n° 689 ; P. — ; FBM 36 ; E./D. — ; B. 42 ; C. Dubia 1]
™t4on 7u'alinon pa¶ida j'hÒeis™ 24
<16> 1 v. (?) cité par Théodose (Hilgard p. 18, 22-23 ; cf. Hérodien II,
729, 19 et <23> ?) [n° 684 ; P. 23 ; FBM 31 ; E. 34/35 ; D. 17 ; B. 12/39 ;
C. 26]
L'adontos donakotr'oqou25

1.1.1.2. Deux fragments de vers :


— Locus certus :
<17> `I'olaos : 1v. (?) cité chez Apollonius 88, 15-17 (= 113 B)
[n° 661 ; P. 12 ; FBM 8 ; E. 24 ; D. 9 ; B. 5 ; C. 12]
to'u te n§we
— Locus incertus :
<18> 1 citation très incertaine dans l'Anthologie Grecque (cf.
infra § 1.2.4.3, v. 6) [n° 667 ; P. 16 ; FBM 14 ; E. 16 ; D./B./C. —]
… ka’i Ò'e, K'orinna,
jo§urin `Ajhna'ihs èaÒp'ida melyam'enan

1.1.1.3. Sept lexèmes isolés :


<19> bront§as (= bront§hÒas) cité in Schol. in Hom. Iliad., p. 219,
R 197 [n° 680 ; P. 29 ; FBM 27 ; E. 22 A ; D. — ; B. 35 ; C. 10]
<20> »e^‘in (= dat.)
cité chez Apollonius 82, 25-26 (= 106 B)
[n° 681 ; P. 30 ; FBM 28 ; E. 14 ; D. — ; B. 36 ; C. 36]
<21> «emo§us (= «emo§u) cité chez Apollonius 74, 10-13 (= 95 C)
[n° 682 ; P. 31 ; FBM 29 ; E. 12 ; D. — ; B. 37 ; C. 37]
<22> jr§anux jr'anukos (= jr'onou) cité par Choeroboscus 80, 20-21
[= 65 A] (cf. Hérodien II 742, 2)
[n° 683 ; P. 32; FBM 30 ; E. 37 ; D. — ; B. 38 ; C. 38]
<23> N‘edwn (Gn. N‘edwntos) cité par Choeroboscus 75, 18-19 [= 63 A]
(= Hérodien II 729, 21-22) (cf. <16> ?)
[n° 684 n. ; P. 23 disc. ; FBM — ; E. 35 ; D. — ; B. 39 ; C. 26 disc.]

23 Corr. a) Bergk d'wratos, Nachmanson d'orfatos ; al. 9wtè et èepè ; b) edd. brim'wme-
noi ; Hermann k'arta ; c) Bergk !eprajè 7o m‘en ; proqane‘is cod. AP, -'hs cod. I ; d)
Crönert, Bergk d’e t§us (= to¶is) èa^'idwn ; e) Boeck et al. done¶ith, Page 1953 done¶itai,
Page 1962 don¶ith.
24 Var. poda ; corr. Scaliger pedajhÒeis.
25 Corr. Bergk -tr'oqw.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 105

<24> t'onjwn ("viande dans le filet") cité par Hésychius, s.v.


[n° 685 ; P. 33 ; FBM 32 ; E. 38 ; D. — ; B. 40 ; C. 39]
<25> qr'attw (= qr'azw) cité par Eustathe, Il. 824, 25-28 ; Od.
1654, 26-27 ; An. Ox. 62, 16-21
[n° 687 ; P. 35 ; FBM 34 ; E. 39 ; D. — ; B. 41 ; C. 41]

1.1.1.4. Longtemps ces citations ont été notre seule source de connais-
sance de l'oeuvre de Corinne, soit au total une trentaine vers plus ou
moins complets et 7 lexèmes. Elles font connaître le titre de cinq
poèmes, Boiôtos, Les Sept contre Thèbes, Les Filles d'Euonymos, Le
Retour et Iolaos ; est également mentionné un “Livre V” (ou II ?). Le
texte qu'on lit peut être fautif ou mal assuré (cf. les notes 8-25 et infra
§ 1.1.4).

1.1.2. Fragments papyrologiques suivis attribuables à Corinne


N'est indiquée ici que la liste de ces fragments26. Pour le texte
complet on se reportera à Page 1962 ou Campbell, mais on trouvera
infra (§ 3.1.1) la reproduction des trois passages les mieux conservés,
avec commentaire et discussion.
1.1.2.1. P. Berol. 284 (2e s. ap. J.-C., provenant d'Hermopolis/ El Achmounein) :
<26> col. I : 53 v., dont 20 bien ou assez bien conservés
[n° 654 a ; P. p. 10-11 et 19-22 ; FBM 1 ; E. 32 ; D. 4 ; B. — ; C. A]
<27> col. II : 51 v., dont aucun n'est bien conservé
[n° 654 a ; P. p. 12-13 et 26-27 ; FBM — ; E. 33 ; D. 5 ; B. — ; C. A X + B I-VIII]
<28> col. III : 51 v., dont 36 bien ou assez bien conservés
[n° 654 a ; P. p. 14-15 et 22-26 ; FBM 1 ; E. 33 ; D. 5 ; B. — ; C. B IX-XVIII]
<29> col. IV : 52 v., dont aucun n'est bien conservé
[n° 654 a ; P. p. 15-17 ; FBM — ; E. — ; D. — ; B. — ; C. B XIX-XXIX]
<30> 5 fragments peu utilisables (restes d'une 5e colonne ?) :
a) 4 débuts de v. [n° 654 b ; P. p. 17 ; FBM/E./D./B. — ;
b) 5 débuts de v. C. C-G]
c) reste de 3 v.
d) 7 milieux de v.
e) 7 fins de v.

26 Il m'a paru inutile de redonner intégralement le texte de ces papyrus : il ne présente aucune
variante, puisque chaque passage ou fragment n'est connu que par un seul document ; seuls
peuvent se poser de menus problèmes de lecture (e.g. West 1996).
106 GUY VOTTÉRO

1.1.2.2. P. Oxyr. 2370 (ca. 200 ap. J.-C.) :


<31> 23 v., dont 14 bien / assez bien conservés (prélude à l'oeuvre ? ;
les v. 2-5 et 15 recoupent 2 citations de manuscrits, cf. supra <7> et <8>)
[n° 655, 1 ; P. — ; FBM 2 ; E./D./B./C. —]
<32> 2 fragments peu utilisables
a) 3 milieux de v. [n° 655, 2-3 ; P. — ; FBM/E./D./B./C. —]
b) reste de 2 v.
<33> 1 fragment de 8 v. mal conservés
[n° 655, 4 ; P. — ; FBM/E./D./B./C. —]

1.1.2.3. Ces deux papyrus totalisent donc 267 v., parmi lesquels seuls
73 sont réellement utilisables. Ils ne donnent aucun titre, mais ils
traitent deux thèmes mythologiques : la joute d'Hélicon et de Cithéron
(<26>) et les filles d'Asopos (<27>, <28>), qui s'inscrivent bien dans la
mythologie béotienne ; on a donc été tenté d'en faire les titres de deux
autres poèmes attribuables à Corinne (cf. le témoignage de la Souda ?,
infra § 1.2.3.9, ligne 4) ; un autre passage (<31>) pourrait être un
prélude (à l'ensemble de l'oeuvre ?, cf. infra § 2.2.3.1).

1.1.3. Fragments 'béotiens' d'attribution incertaine


1.1.3.1. Citations d'auteurs anciens
<34> 1 syntagme cité dans An. Ox. I 172, 16 (cf. n° 35)
[n° 676 a ; P. 25 a ; FBM 23a ; E. 3 ; D. 10, n. ; B. 26, n. ; C. 35]
«es MouÒ§wn27
<35> le même (?) cité dans An. Ox. I 278, 18-19
[n° 676 a ; P. 25 a ; FBM — ; E. 3 ; D. 10, n. ; B. 26, n. ; C. 35]
(t4o boiwtik4on) MouÒ'awn
<36> 1 syntagme cité dans An. Ox. I, 172, 18 (cf. I, 160, 21 ??)
[n° 676 b ; P. 25 b ; FBM 23b ; E. 4 ; D. 10 ; B. 26 ; C. 13]
«eÒÒè `Arciptol‘emou28
<37> 1 v. cité chez Apollonius 75 (= 96 A)
[n° 677 ; P. 26 ; FBM 24 ; E. 30 ; D. 13 ; B. 24 ; C. 18]
te§us g4ar 7o kl§aros
<38> 1 syntagme cité chez Apollonius 95, 9 - 95, 22 (= 122 A)
[n° 679 ; P. 28 ; FBM 26 ; E. 13 ; D. 26 ; B. 25 ; C. 34]
7am§wn d'omwn

27 Corr. edd. mwÒ'awn.


28 Corr. Ahrens : «eÒÒ'arci pol‘emw.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 107

<39> 1 lexème cité chez Apollonius 95, 9 - 95, 22 (= 382 B)


(cf. <12> ?) [— ; P./FBM/E./D. — ; B. 22 n. ; C. —]
oumeiwn : Boiwtoi
<40> 1 v. cité par Priscien I, 28 (= 36)
[n° 669 ; P. 18 ; FBM 16 ; E. 15 ; D. 18 ; B. 8 ; C. 25]
™kallic'orw cjon4os O7ur‘ias joug'athr™29

1.1.3.2. Fragments papyrologiques


• P. bibl. Univ. Giess. 40 (ca. 100. ap. J.-C.) :
<41> 1 v. ou fragment de v. [n° 695 b ; P. 38, ii 2 ; E. 39 ;
FBM/D./B./C. —]
èuktër(as) mhmal—a—t…30
• P. Oxyr. 2371 (1er s. ap. J.-C.)
<42> 1 fragment de 16 v. très mal conservés
[n° 691 ; P/FBM/E./D./B./C. —]
• P. Oxyr. 2372 (milieu 2e s. ap. J.-C.)
<43> 37 fragments très mal conservés et peu utilisables
a) 3 milieux de v. [n° 692 ; P. — ; FBM 38 ; E./D./B./C. —]
b) restes de 2 v.
• P. Oxyr. 2373 (2e-3e s. ap. J.-C.)
<44> 5 fragments peu utilisables [n° 693 ; P/FBM/E./D./B./C. —]
• P. Oxyr. 2374 (ibid. ; 2 s. ap. J.-C.)
e

<45> 13 fragments très mal conservés et peu utilisables


[n° 694 ; P/FBM/E./D./B./C. —]
• PSI 1174 (1er s. ap. J.-C.) : ce fragment comprend une fin de poème
de 7 v. (= <46>) et le début d'un autre de 5 v. (= <47>) ; les vers sont
incomplets à G. et à D. et les deux fragments sont séparés par un titre :
<46> 7 parties de v. [n° 690 ; P. p. 18-19 et 27-28 ; FBM 37a ;
E. — ; D. 5 A-B ; B. — ; C. —]

29 Leçons diverses, e.g. kallicorou, O7ureias, jougater. D'autre part le commentaire


accompagnant ce vers est très imprécis : (Aeoli) enim joug'athr dicunt pro jug'athr, ou
corripientes, uel magis u sono u soliti sunt pronuntiare… Mais les deux graphies ou et le
nom Hyria orientent vers le béotien, et peut-être Corinne.
30 Texte lu *o«iktras maimalat , et attribué à Corinne en raison des graphies U et H (cf.
Page 1953, p. 44-45).
108 GUY VOTTÉRO

<47> 5 parties de v. avec titre : `Or‘eÒtas31


[n° 690 ; P. p. 18-19 et 27-28 ; FBM 37b ;
E. — ; D. 5 A, B ; B. — ; C. —]

1.1.3.3. L'attribution à Corinne de ces 66 fragments (dont seulement 2


vers complets) repose uniquement sur les graphies “béotiennes”. C'est
peu et cela sous-entend que, contrairement aux traditions antiques32, il
n'y a pas eu d'autres poètes béotiens. L'argumentation de West qui
défend cette position33 est forcée : si en effet, quand ils citent une
forme comme béotienne, les grammairiens grecs utilisent beaucoup
plus souvent les expressions o»i Boiwto‘i ou boiwtik§ws que 7ws
Korinna…34, il serait imprudent de considérer que derrière le terme
de “Béotien(s)”… il faille toujours lire “Corinne”35.
L'évocation dans l'Anthologie Grecque (cf. <18> et § 1.2.4.3) d'une
Corinne chantant "l'impétueux bouclier d'Athéna" pourrait relever du
même genre de confusion chez certains Anciens36. De même le frag-
ment <47>, intitulé `Or‘eÒtas, n'est pas sans surprendre37, il n'est
donc certain que Corinne en soit l'auteur.

31 West (C.Q. 20, 1970, 283) complète ces vers et y voit un poème composé pour un choeur
de jeunes-filles (= parthénée) ; il est suivi par Campbell.
32 Cf. Vottéro 1998, 201-2 ; Bernard 61-62, 70.
33 1970, p. 279 : “If the fragments are not Corinna, what are they ? It is true that Plutarch
apparently knew a poem of the blameworthy Murtis. But he was a Boeotian […]. The
Alexandrians Apollonius Dyscolus and Herodian, working at the same period, can only
quote Corinna for Boeotians forms. That the burghers of Hermopolis and Oxyrhynchus in
the second and third centuries had any Boeotian poetry to read other than Corinna seems to
me highly unlikely”.
34 Plus de 300 citations utilisent ce vocabulaire général, à comparer aux références données
supra § 1.1.1.
35 Cette assimilation n'est explicite, et donc assurée, que dans une dizaine de cas, e.g. infra §
1.2.5.1/2. L'assimilation peut aussi être faite avec Pindare, e.g. An. Ox. I 175, 27 - 176, 3. Et
d'autres auteurs ??
36 On ne connaît en effet aucune allusion à ce thème dans l'oeuvre connue de Corinne
(citations littéraires ou papyrus).
37 Cf. Page 1953, p. 28 : “This title is surprising. There is no other evidence that Corinna
wrote of anything but local Boeotian lore ; and very littke is know of any connexion
between Orestes and Boeotia”. Contra Coppola, West 1970/1990.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 109

1.1.4. Conclusion
L'oeuvre de Corinne compte actuellement environ 300 vers, dont
l'attribution n'est guère discutée, et parmi eux un tiers seulement offre
un sens plein. Cinq titres sont cités, deux autres possibles. Malgré ce
faible volume, Corinne est devenue la poétesse la mieux connue après
Sappho, mais c'est une connaissance encore bien incomplète.
Il est évident que les papyrus ont considérablement accru et renou-
velé notre connaissance de cette oeuvre : les papyrus sont les seuls à
présenter des passages suivis, permettant de saisir le sens de chaque
poème ; ils sont également beaucoup plus cohérents que les manus-
crits38. Ils constituent donc la base de toute étude sur Corinne.
Mais il est nécessaire de noter aussi que : a) aucun des éléments du
dossier actuellement disponible (citations antiques ou papyrus) n'est
antérieur au 1er s. ap. J.-C. ; b) les papyrus ne nous donnent chacun
qu'une seule leçon du texte ; nous ne disposons d'une autre leçon,
grâce aux manuscrits, que pour deux très courts passages de 4 et 1
vers (cf. <7>, <8> et § 3.1.1.5), qui permettent d'ailleurs de rattacher
sûrement le P. Oxyr. 2370 à l'oeuvre de Corinne ; c) l'exploitation des
papyrus, croisés avec les données des manuels de dialectologie du
début du 20e s., a incité à réécrire les citations des manuscrits, en les
"béoticisant" de plus en plus39, e.g. <1> !anax Bo‘iwte --> f'anax
Boiwt‘e (cf. note 8) ; <2> £Ept4a èep’i J'hßais --> J'hßhs, voire
Je'ißhs (cf. note 9) ; <14> done¶itai --> done¶ith --> don¶ith (cf. note
23) ; mais, alors que les graphies des papyrus ne se rencontrent
qu'exceptionnellement dans les manuscrits (cf. <3>), personne n'a réel-
lement posé la question de la légitimité de cette réécriture ; or il est
difficile d'apprécier la valeur intrinsèque du texte, généralement uni-
que, des papyrus.
Et, au final, certains ont remis en cause la date de Corinne.

1.2. Autres données


On dispose encore d'autres renseignements sur Corinne, en plus de
son nom : des allusions littéraire et des documents iconographiques,
tous indirects et tardifs.

38 Mais cet aspect positif a une explication simple (infra) et son revers, cf. infra § 3.1.1.2-5.
39 C'est-à-dire en leur donnant les graphies des 3e-2e s. considérées comme typiquement
béotiennes, cf. supra § 0.
110 GUY VOTTÉRO

1.2.1. Fragmenta sine uerbis


Sont regroupés ici les passages d'auteurs antiques faisant allusion
au contenu de l'oeuvre de Corinne sans citation textuelle précise ; ils
n'apportent donc rien du point de vue linguistique. Les références sont
données d'après les éditions de Page 1953 et 1962, auxquelles on se
reportera pour le détail :
• P. 7/n° 670 : Itonos était fils d'Amphiction et était né en Thessalie
• P. 8/n° 671 : Ogygos était fils de Boiotos
• P. 11/n° 656 : Corinne a raconté dans le livre I des G‘eroia l'his-
toire d'Orion et de ses filles Métioché et Ménippé
• P. 15/n° 673 : caractère et actes d'Orion
• P. 17/n° 668 : Apollon a appris d'Athéna à jouer de la flûte
• P. 21/n° 665 : Corinne a raconté l'histoire des filles de Minyas, roi
d'Orchomène
• P. 22/n° 672 : Oedipe a tué la Sphynge et le renard de Teumessos
• P. 34/n° 686 : Corinne a appelé la Carie "Phénicie"
• P. 36/n° 688 : Corinne reprochait à Pindare d'"atticiser" (cf.
l'emploi du verbe èagor'azein au livre I des Parthénées)
• Pausanias IX 20, 1 : Tanagra était fille d'Asopos et non d'Eole
• P. Oxyr. 2438 (= XXVI, 1961, 2-3) et P. -/n° 695 A : Pindare était
le fils de Scopélinos.

1.2.2. Le nom Corinna


• C'est un nom formé sur le radical *korw- "jeune garçon ou jeune-
fille" (selon le suffixe) avec le traitement normal en béotien, sans
allongement compensatoire, du groupe *-rw, et élargi par un suffixe
F. -inna d'origine obscure, mais à valeur hypocoristique40 ; la forme
obtenue peut à son tour recevoir un suffixe F. -o:, également à valeur
hypocoristique41. Ce nom est très rare, et c'est dans le corpus épigra-
phique béotien qu'il est le mieux attesté (2 ex. !) :
- Korina (épitaphe de Tanagra, IG VII 1161, 4em/3em)
- Korinnw (épitaphe de Coronée, IG VII 2982, 4e-2e)
- Korinn@'o (dédicace sur vase, Athènes, ca 510 av. J.-C., cf. LGPN
II) ;

40 P. Chantraine, La formation des noms en grec ancien, § 159, Paris 1933.


41 Et d'ordinaire précédé d'une géminée, cf. G. Vottéro, Procédés d'expressivité dans l'ono-
mastique personnelle de Béotie, in P. Roesch, La Béotie antique (Paris 1985), 406, § 1.2.2, 4.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 111

LGPN III B relève également un masculin K'orinnos en Locride


Oponte.
• ultérieurement, le nom K'orinna a plusieurs fois servi chez les
poètes latins à désigner une femme aimée, cf. :
— Ovide (- 43, + 17) : Corinne a été l'inspiratrice de ses poèmes de
jeunesse (Tristes IV, 10, 60 ; Amours, passim ; Art d'aimer III,
538), c'était une jeune femme très belle, orgueilleuse, capricieuse,
perfide, infidèle, mais pas une poétesse
— Martial (1er s. ap. J.-C.) évoque dans ses Epigrammes (5, 10, 10 ; 8,
73, 10 ; 12, 44, 6) la Corinne d'Ovide, inspiratrice du poète ;
• puis ce nom devient celui d'hétaïres :
— Anth. Grecque, 5, 125, 3 (attribuée au poète Bassos, 1er s. ap. J.-C.)
— Lucien (2e s. ap. J.-C.) : Dialogue des courtisanes VI ;
• enfin, beaucoup plus tard, en 1807, Corinne est l'héroine d'un
célèbre roman de Mme de Stael, Corinne ou l'Italie : c'est une artiste
complète (littérature, peinture, musique, danse), mais c'est dans la
poésie qu'elle excelle ; au livre II, chap. 1, sont évoqués sa beauté, son
talent, son génie. L'influence de l'Antiquité est évidente et d'ailleurs, à
plusieurs reprises, elle est comparée à Sa(p)pho. Ce roman a provoqué
des réactions en Angleterre (avec des réécritures42), et a été adapté au
théâtre en France43. Au 20e s. il a également inspiré la nouvelle de
Noëlle Roger, Les Amours de Corinne (Paris 1931).
Mme de Stael s'est donc inspirée à la fois de l'image de la poétesse
très belle (cf. infra Pausanias § 1.2.3.4) et de celle de la femme aimée.

1.2.3. Mentions et anecdotes littéraires


1.2.3.0. Renseignements personnels
Sont regroupés ici, chronologiquement, tous les témoignages sur la
biographie de Corinne ou permettant de la localiser dans le temps44.

42 E.g. : The Corinna of England and a Heroine in the Shade ; a Modern Romance, [auteur
anonyme], Londres 1809.
43 Cf. H. Monier de la Sizeranne, Corinne. Drame en trois actes et en vers, représenté pour la
première fois le vingt-trois septembre 1830.
44 Citations et traductions sont empruntées à la CUF, sauf absence de mention.
112 GUY VOTTÉRO

1.2.3.1. Properce, Elégies, 2, 3, 21-22 [éd. Teubner, 1984] :


9 Nec me tam facies, quamuis sit candida, cepit […]
19 et quantum, Aeolio cum temptat carmina plectro,
par Aganippeae ludere docta lyrae,
et sua cum antiquae committit scripta Corinnae
carmina †quae quiuis† non putat aequa suis45.
Il s'agit là du témoignage littéraire assuré le plus ancien : 2e moitié
du 1er s. av. J.-C. ; l'adjectif antiqua laisse supposer plusieurs siècles
avant l'époque de Properce (mais combien ?).

1.2.3.2. Stace, Silves, 5, 3, 159 (1er s. ap. J.-C.) :


150 quantus equum pugnasque virum decurrere versu
Maeonides quantumque pios ditarit agrestes
Ascraeus Siculusque senex, qua lege recurrat
Pindaricae vox flexa lyrae volucrumque precator
Ibycus et tetricis Alcman cantatus Amyclis
155 Stesichorusque ferox saltusque ingressa viriles
non formidata temeraria Chalcide Sappho,
quosque alios dignata chelys. Tu pandere doctus
carmina Battiadae latebrasque Lycophronis atri
Sophronaque implicitum tenuisque arcana Corinnae46.
Le père de Stace, poète et maître de poésie, expliquait donc non
seulement Homère et Hésiode, mais aussi Simonide (? ; 6e pm-5e am),
Pindare (v. 520-445), Ibycos (6e pm), Alcman (7e s.), Stésichore (6e),

45 “Ce n'est pas tant la beauté [de Cynthia], pourtant éclatante, qui m'a séduit…que (de la
voir) s'essayer, le plectre en main, aux chants éoliens, rivalisant sur la lyre avec les Muses
d'Aganippè et leurs doctes jeux, et se mesurer par ses écrits à l'antique Corinne, des chants
que n'importe qui estime non égaux aux siens” (trad. D. Paganelli, modifiée au v. 22).
46 “Avec quelle puissance le poète de Méonie sait décrire en ses vers les combats des cour-
siers et des guerriers, combien le vieillard d'Ascra et celui de Sicile ont enrichi le religieux
homme des champs, la loi qui régit le retour des souples rythmes de la lyre de Pindare, et
d'Ibycos qui en appela aux oiseaux, et d'Alcman chanté par la sévère Amyclées, et du fier
Stésichore, et de l'audacieuse Sappho qui entra dans les défilés où ne s'engageaient que les
hommes, sans craindre une Chalcis, et de tous les autres que la cithare a jugés dignes d'elle.
Tu possédais l'art d'expliquer les chants du fils de Battos [= Callimaque] et les énigmes de
l'obscur Lycophron, et l'embrouillé Sophron, et les mystères de la maigre (?) Corinne”
(trad. H.J. Izaac).
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 113

Sappho (v. 600), Callimaque (v. 300-240), Lycophron (3e s.) Sophron
(5e pm), et Corinne.
L'auteur paraît d'abord citer les noms de manière à peu près chro-
nologique jusqu'à Pindare, mais l'ordre adopté ensuite vient ôter toute
possibilité de datation pour Corinne. On retiendra seulement a) qu'elle
était comptée parmi les poètes grecs encore étudiés dans la deuxième
moitié du 1er s. ap. J.-C. ; b) que la compréhension de son oeuvre était
difficile pour les Romains (cf. la langue et les thèmes locaux, ou sim-
plement les graphies ?). Mais que signifie exactement tenuis : sens
quantitatif, musical, stylistique47 ? Et à qui est-elle comparée, à
Pindare ? Tenuis a-t-il un lien avec le surnom de Mu¶ia, "la Mouche",
donné par la Souda48 ?

1.2.3.3. Plutarque, De gloria Atheniensium, 347 f - 348 a (46-120) :


£H d’e K'orinna t’on P'indaron, !onta n'eon ¡eti ka’i t§Ì logi'o-
thti Òoßar§ws cr§wmenon, «enouj'ethÒen 7ws !amouÒon !onta ka’ië
m4h poio§unta m'ujous, 9o t§hs poihtik§hs !ergon eøinai Òumß'eßh-
ke, gl'wÒÒas d’e ka’i katacr'hÒeis ka’i metaqor4as ka’i m‘elh
ka’i ®ujmo4us 7hd'uÒmata to¶is pr'agmaÒin 7upotij'enta. Sq'odrè
oàun 7o P'indaros «epiÒt'hÒas to¶is legom‘enois «epo‘ihÒen «eke¶ino
t’o m‘elos:
$`IÒmhn4on çh cruÒal'akaton Mel'ian,
çh K'admon çh Spart§wn »ier’on g‘enos èandr§wn,
çh t’o p'anu Òj‘enos £Hrakl‘eous
çh t4an <Diwn'uÒou polugaj‘ea tim'an>.$
deixam‘enou d’e t§Ì Kor‘innÌ, gel'aÒaÒa èeke¶inh t§Ì ceir’i de¶in
¡eqh Òpe'irein, èall4a m4h 8ol‹ t§‹ jul'ak‹. 49.

47 Toutes ces hypothèses ont été envisagées, sans qu'aucune ne s'impose réellement.
48 Cf. infra § 1.2.3.9.
49 “Comme Pindare, dans sa jeunesse, faisait trop étalage de son aisance verbale, Corinne lui
reprocha de manquer de goût et de ne pas composer de mythes, ce qui se trouve être l'objet
propre de l'art poétique, mais de prendre comme base de travail mots rares, catachrèses,
variations d'expressions, chants et rythmes pour agrémenter le fond. Alors Pindare, suivant
ses conseils à la lettre, composa ce chant fameux :
Est-ce l'Isménos ou Mélie à la quenouille d'or,
Est-ce Cadmos ou la race sainte des Spartes,
Ou la force légendaire d'Héraclès
Ou la…
114 GUY VOTTÉRO

On ne rencontre pas d'autre anecdote sur Corinne dans l'oeuvre


abondante de Plutarque50, et elle n'est connue que par lui. Certains y
ont vu un récit de circonstance (donc inauthentique) destiné à illustrer
la différence de style entre les deux poètes, bien que Pindare paraisse
reprendre ici les thèmes locaux, favoris de Corinne. S'il est difficile de
juger de la réalité effective de cette scène, en revanche l'authenticité
de ce petit traité n'est pas contestée et, comme Plutarque était très bien
informé des réalités béotiennes, on doit considérer que la contempo-
ranéité de Corinne et de Pindare était non seulement bien connue en
Béotie, mais de plus était admise de tous au 1er s. ap. J.-C. (cf. infra).

1.2.3.4. Pausanias 9, 22, 3 (2e s. ap. J.-C.) :


Kor‘innhs d’e, 9h m'onh d4h «en Tan'agræ !æÒmata «epo‘ihÒe, ta'u-
ths !eÒti m’en mn§hma «en periqane¶i t§hs p'olews, !eÒti d’e «en t§‹
gumnaÒ‘i‹ graq'h, tain‘iæ t4hn keqal4hn 7h K'orinna «anadou-
m‘enh t§hs n'ikhs 8eneka 9hn P‘indaron ¡æÒmati «en'ikhÒen «en
J'hßais. Qa'inetai d‘e moi nik§hÒai t§hs dial‘ektou te 8eneka,
8oti àÌden oèu t§Ì qwn§Ì t§Ì Dwr‘idi 8wÒper 7o P‘indaros èall4a
7opo‘iæ Òun'hÒein !emellon A«iole¶is, ka’i 8oti àhn guna‘ikwn t'ote
d4h kall‘iÒth t4o eøidos, e¡i ti t§Ì e«ik'oni de¶i tekma‘ireÒjai51.
Pausanias distingue clairement les faits (tombe, tableau, victoire
sur Pindare dans un concours) de ses interprétations (les motifs de la
victoire : emploi du dialecte, beauté). Mais comment peut-il être sûr
que le vaincu est Pindare ? Les noms des protagonistes étaient-ils
écrits ou l'identification de Pindare était-elle évidente et suffisait-elle à
éclairer la scène (auquel cas on arriverait à la même conclusion qu'au

Quand il le montra à Corinne, celle-ci lui dit en riant qu'il fallait semer à la main et non à
plein sac” (trad. F. Frazier et Chr. Froidefond) ; ce poème a été ensuite repris par Pindare,
cf. Hymnes I, 1-5, et aura une certaine célébrité (cf. Lucien, Icaroménippe 27).
50 Mais le De musica du Pseudo-Plutarque en rapporte une autre, cf. supra § 1.2.1 (P. 17/
668).
51 "C., la seule poétesse lyrique de Tanagra, a sa tombe à un endroit bien en vue de cette cité,
et dans le gymnase il y a un tableau représentant Corinne la tête ceinte d'une bandelette
pour la victoire qu'elle a remportée sur Pindare dans un concours lyrique à Thèbes. Il me
semble qu'elle a vaincu grâce à l'emploi du dialecte, parce qu'elle n'a pas chanté en dorien
comme Pindare, mais dans le dialecte que des Eoliens devaient comprendre, et parce qu'elle
était alors la plus belle des femmes, s'il faut en croire le portrait".
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 115

§ précédent) ? Par ailleurs sa présentation de la langue de Corinne est


un peu contournée et laisse entrevoir la fréquentation des grammai-
riens (cf. infra § 1.2.5). Il introduit également le thème de la beauté de
Corinne, qui peut permettre de comprendre comment celle-ci est
devenue l'idéal de la femme aimée chez plusieurs écrivains (mais cela
suppose que Pausanias reprend ici une tradition ancienne, antérieure
d'au moins deux siècles à son époque, cf. supra § 1.2.3.1/2).

1.2.3.5. Tatien (2e s. ap. J.-C.), Adversus Graecos 33 et 35, mentionne


une statue de Corinne, oeuvre du sculpteur Silanion (4e s. av. J.-C.,
contemporain de Praxitèle). Voici le détail de son témoignage (qui a
été très discuté, cf. infra § 2.1-2 et 3.2.1.3) :
(33) Ka’i di4a t§hs gunaikwb‘itidos èaÒchmone¶ite. Pr'axil-
lan …ë L'uÒippos èecalko'urghÒen, mhd’en e«ipo§uÒan di4a t§wn
poihm'atwn cr'hÒimon, Learc'ida d’e Men'eÒtratos, Silan‘iwn
d’e Sapq4w t'hn 7eta‘iran, &Hrinnan t4hn LeÒß‘ian Nauk'udhs,
Bo^'iÒkos Murt‘ida, Mur4w t4hn Buzant‘ian KhqiÒ'odotos,
G'omqos Praxagor‘ida ka’i `Amq‘iÒtratos Kleit'w. T‘i g'ar moi
per’i `An'uths l'egein, TeleÒ‘illhs te ka’i MuÒt'idos ; t§hs m’en
g'ar Eèujukr'aths te ka’i KhqiÒ'odotos, t§hs d’e Nik'hratos, t§hs
d’e `AriÒt'odotos e«iÒin o»i dhmiourgo‘i. MnhÒarc'idos t§hs
`EqeÒ‘ias Eèujukr'aths, Kor' i nnhs Silan' i wn, Jaliarc‘idos
t§hs `Arge‘ias Eèujukr'aths…
(35) Ta§uta m4en oàun oèu parè !allou maj4wn èexej'emhn, poll4hn
d4e «epiqoithÒas g§hn, ka’i to§uto m’en ÒoqiÒte'uÒas t4a 7um'e-
tera, to§uto d’e t'ecnais ka’i «epino'iais «egkur'hÒas polla¶is,
!eÒcaton d4e t§Ì £Rwma'iwn èendiatr'iyas p'olei, ka’i t4as èaqè
7um§wn »ws aèuto4us èanakomiÒje'iÒas èandri'antwn poikil'ias
katamaj'wn. O!u g4ar, 7ws ¡ejos «eÒt’in to¶is pollo¶is, èallotr‘iais
d‘oxais tèamauto§u krat'unein peir§wmai, p'antwn d’e 0wn èapo-
poi'hÒomai aèut’os t’hn kat'alhyin to'utwn ka’i t4hn èana-
graq4hn Òunt'attein bo'ulomai52.

52 “(33) … Rien de plus inconvenant que votre gynécée. Lysippe a représenté en bronze
Praxilla qui n'a rien écrit d'utile dans ses poèmes, Ménestratos Léarchis, Silanion la
courtisane Sappho, Naucydès Erinna de Lesbos, Boïscos Myrtis, Céphisidotos Myro de
Byzance, Gomphos Praxagoris et Amphistratos Clito. Car que dire d'Anytè, de Télésillè et
de Mystis ? L'une a été représentée par Euthycratès et Céphisodotos, l'autre par Nicératos,
116 GUY VOTTÉRO

1.2.3.6. Clément d'Alexandrie, Stromates IV, 19, 122 (2e - 3e s. ap. J.-
C.) :
Param‘empomai to‘inun t4as !allas di4a t4o m§hkos to§u l'ogou,
m'hte t4as poihtr‘ias katal‘egwn, K'orinnan ka’i Tel‘eÒillan,
Mu¶i'an te ka’i Sapq'w53.
On retrouve ici trois des quatre noms de l'épigramme d'Antipater
(cf. infra § 1.2.4.3). L'auteur introduit le nom de Muia, qu'il distingue
clairement de Corinne, à la différence de la Souda (infra).

1.2.3.7. Elien, Varia historia, 13, 25 (2e - 3e s. ap. J.-C.) :


P'indaros 7o poi'hths èagwniz'omenos «en J'hßais èamaj'eÒi
peripeÒ4wn èakroata¶is 7htt'hjh Kor'innhs pent'akis. `El'egcwn
d‘e t4hn èamouÒ'ian aèut§wn 7o P'indaros Ò§un èekale¶i t4hn K'orin-
nan54.
Comme souvent chez Elien on constate ici la confusion de
plusieurs anecdotes antiques : a) la victoire de Corinne sur Pindare
rapportée par Pausanias (cf. supra § 1.2.3.4) ; b) l'appellation de
"porcs" que Pindare évoque pour le peuple béotien55 ; c) le thème des
Béotiens incultes que l'on rencontre souvent chez les écrivains athé-
niens, et que résume bien Antagoras de Rhodes dans son étymologie

l'autre par Aristodotos, comme Mnésarchis d'Ephèse par Euthycratès, Corinne par Silanion,
Thaliarchis d'Argos par Euthycratès… (35) Ce que je viens de vous exposer, je ne l'ai pas
appris d'un autre, mais je l'ai appris en parcourant beaucoup de pays, tantôt en enseignant
vos idées, tantôt en me mettant au courant de beaucoup d'arts et d'inventions, enfin en ayant
séjourné dans la ville de Rome, où j'ai vu les diverses statues qui ont été transportées de
chez vous chez eux. Car je ne m'applique pas, comme le font d'ordinaire la plupart des
gens, à fortifier mes opinions par celles d'autrui, mais je veux mettre en ordre tout ce dont
j'ai acquis la connaissance et que j'ai rejeté, et le rédiger” (trad. A. Puech, Le discours aux
Grecs de Tatien, Paris 1903). — N.B. : à la ligne 7, j'ai réintroduit la leçon des mss :
MuÒt‘idos, corrigée à tort en NoÒÒ‘idos d'après Brunn (qui se fondait sur l'épigramme du
§ 1.2.4.3, cf. infra note 64), en fonction de la découverte de Coarelli (cf. infra § 3.2.1.3).
53 “Je laisse de côté les autres (femmes) pour ne pas être trop long, sans dresser la liste des
poétesses, comme Corinne et Télésilla, Muia et Sappho”.
54 “Le poète Pindare, lors de concours à Thèbes, tomba sur des auditeurs ignares et fut vaincu
cinq fois par Corinne. Blâmant l'inculture de ces gens, Pindare traitait Corinne de truie”.
55 Dithyr. frag. 10 (= Scht. 83) : àhn 8ote Ò'uas t4o Boi'wtion ¡ejnos e ¡ nepon. Mais Pindare
évoquait le passé et ne visait pas Corinne en particulier (cf. la citation de Themistius).
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 117

du nom Boiwt'os, "celui qui a des oreilles de bovin"56. Ce passage


d'Elien est donc fort sujet à caution, notamment si on le compare au
texte suivant.

1.2.3.8. Themistius, Orat. 27, 334 b (4e s. ap. J.-C.) :


Ka4i g4ar d4h ka’i 7h Boiwt‘ia cwr'ion èamaj‘ias eøinai «ed'okei:
ka’i 8un tina, oøimai, Boiwt'ian èek'aloun, e«is èapaideuÒ'ian t4o
q§ulon «epiÒk'wptontes: èall` 8omws P'indaros ka’i K'orinna ka’i
£HÒ‘iodos oèuk èemol'unjhÒan t§Ì Òu^'i57.
Themistius tente ici de concilier l'image traditionnelle des Béotiens
incultes et la place non négligeable occupée par les poètes béotiens
dans la littérature grecque antique. L'ordre adopté pour présenter les
trois poètes ne paraît pas pertinent (sauf ordre inverse ?). En revanche
la mention de Corinne signifie qu'à cette époque elle n'était pas
seulement un nom (à moins que son association à Pindare ne relève de
l'automatisme !).
1.2.3.9. La Souda (10e s. ap. J.-C.) :
Kor‘inna, `Acel‹od'orou ka’i Prokrat‘ias, Jhßa‘ia çh Tana-
gra‘ia, maj'htria M'urtidos: èepwn'omaÒto d’e Mu¶ia: lurik'h:
«en'ikhÒe d’e p‘entakis 7ws l'ogos P'indaron: !egraye bißl‘ia e' ,
ka’i «epigr'ammata ka’i n'omous luriko'us.
Kor‘inna JeÒp‘ia, lurik'h : o»i d’e Korinj‘ian e«ir'hkaÒi:
n'omous luriko'us.
Kor‘inna newt'era, Jhßa¶ia, lurik4h, 7h ka’i Mu¶ia klhje¶iÒa58.
Cette notice à triple entrée a fait couler beaucoup d'encre : y a-t-il

56 Paroemiograph. II, p. 333 : `Antag'oras… èanag‘inwÒkwn par4a Boiwto¶is t4o t§hs


Jhßa^‘idos gr'amma, «epe’i oèude’is «epeÒhma‘ineto, kle‘iÒas t4o b‘ißlion, “e«ik'otws,
!eqh, kale¶iÒje Boiwto‘i: bo§wn g4ar àwta !ecete” ; cf. Vottéro 1998, § 5.1.2.
57 “Car la Béotie passait précisément pour être une terre d'ignorance ; et, à mon avis, on
appelait du nom de Béotie une truie [cf. Pindare, Ol. VI, 90], parce qu'on se moquait de
l'inculture de sa population. Mais ni Pindare, ni Corinne, ni Hésiode n'ont été salis de ce
nom de truie”.
58 “C., fille d'Achélôodoros et de Procratia, de Thèbes ou Tanagra ; élève de Myrtis ; surnom-
mée “la Mouche” ; poétesse lyrique ; elle triompha 5 fois de Pindare, selon la tradition ; elle
écrivit 5 livres, des épigrammes et des compositions lyriques” […].
118 GUY VOTTÉRO

eu une ou plusieurs Corinnes59 ? En fait il est probable qu'il s'agit d'un


seul et même personnage, avec une série de confusions dans le nom
(cf. Kor‘inna et Korinj‘ia) et la cité (assimilation Tanagra = Béotie
= Thèbes ["capitale" de la région] = Thespies [cité des Muses]). On notera
également le retour du nombre 5 : 5 victoires, 5 livres de poèmes.
Enfin la notice sur Pindare ne recoupe que partiellement celle-ci :
pas un mot sur Corinne, seule Myrtis est mentionnée (comme maître
de Pindare). Dès lors les renseignements fournis sont bien incertains,
mais ne sont certainement pas tous à écarter.
1.2.3.10. Eustathe, Comment. ad Il., 509, 18-19 (12e s. ap. J.-C.) :
1Oti d’e ka’i guna¶ikes àhÒan oèu m'onon !allws Òoqa’i, èall4a
ka’i melopoio’i, oèu m'onon «ek t§hs ®hje‘iÒhs Prax‘illhs d§hlon,
èall4a ka’i Sapqo§us ka’i Kor‘innhs ka’i "Hr‘innhs60.
On retrouve ici quatre des noms de la liste des poétesses lyriques
(cf. infra § 1.2.4.3).
1.2.3.11. Vitae Pindari, p. 8, 15 (dates inconnues) :
T§‹ d’e liguqj'oggwn «ep‘ewn mel‘ewn jè 7upoj'hmwn
¡epleto d¶ia Kor‘inna: jeme‘ilia dè !wpaÒe m'ujwn
t4o pr§wton61.
Ce passage renvoie à l'anecdote rapportée par Plutarque (cf. supra
§ 1.2.3.3), avec quelques modifications.

1.2.4. Listes des poètes lyriques


1.2.4.0. Les grammairiens d'Alexandrie ont donné une liste62, dite
'canon d'Alexandrie', qui présente usuellement neuf noms (cf. les neuf
Muses), avec des variantes dans l'ordre de citation : Pindare, Bacchy-

59 De même la Souda mentionne deux Pindares, le second, lui aussi poète lyrique et Thébain,
neveu du premier !
60 “Qu'il y ait eu des femmes non seulement particulièrement sages, mais aussi poétesses,
cela est évident non seulement à cause de Praxilla dont il a été question, mais aussi à cause
de Sappho, Corinne et Erinna”.
61 “Mais c'est la divine Corinne qui lui inspira des vers et des chants retentissants ; c'est elle
qui, la première, lui apprit les lois des mythes” (d'après Croiset p. 382).
62 Elle remonterait à Aristarque de Samothrace et Aristophane de Byzance (3e-2e s.), selon
Quintilien, Inst. Orat. 10, 1, 54 + 60 ; en 10, 1, 61-64, Quintilien évoque 9 poètes lyriques,
mais il n'en cite que 4 : Pindare, Stésichore, Alcée, Simonide.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 119

lide, Sappho, Anacréon, Stésichore, Simonide, Ibycos, Alcée, Alcman


(Anth. Pal. 9, 184) ou Pindare, Simonide, Stésichore, Ibycos, Alcman,
Bacchylide, Anacréon, Alcée, Sappho, Anacréon (Anth. Pal. 9, 571) ;
or Corinne n'apparaît pas.
1.2.4.1. Mais le nom de Corinne peut être rajouté à cette liste, comme
dixième nom, e.g. :
• Schol. in Dionysii Thr. 21, 18-19 :
Geg'onaÒi d’e luriko’i o»i ka’i pratt'omenoi èenn'ea, 0wn t4a èon'o-
mat'a «eÒti ta§uta, `Anakr'ewn, `Alkm'an, `Alka¶ios, Bakcul‘i-
dhs, &Ißukos, P‘indaros, SthÒ‘icoros, Simwn‘idhs, Sapq'w,
ka’i dek'ath K'orinna.
• Proleg. in Pindarum Per’i lurik§wn poiht§wn (A. Boeckh,
Pindari opera quae supersunt, II, 1, 7, Leipzig 1821) :
Luriko’i poihta’i mouÒik§wn èæÒm'atwn e«iÒ’in «enn'ea, «enn'ea d’e
ka’i a»i kajè 7hm§as t§wn je‘iwn èæÒm'atwn è‹da‘i. T4a d’e èon'omata
t§wn proeirhm‘enwn poiht§wn e«iÒi t'ade: `Alkm'an, `Alka¶ios,
Sapq'w, SthÒ‘icoros, &Ißukos, `Anakr'ewn, Simwn‘idhs, Bak-
cul‘idhs, ka’i P‘indaros. Tin’es d’e ka’i t4hn K'orinnan.

1.2.4.2. La liste peut aussi comporter directement dix noms (elle appa-
raît alors comme un ajustement de la présentation précédente), e.g. :
• Tzetzès, Scholia in Lycophronem I, 252 (éd. Chr. Gottfried
Müller, Leipzig 1811) :
Luriko’i d’e èonomaÒto’i d'eka: SthÒ‘icoros, Bakcul‘idhs,
&Ißukos, `Anakr‘ewn, P‘indaros, Simwn‘idhs, `Alkm'an, `Al-
ka¶ios, Sapq4w ka’i K'orinna.

1.2.4.3. Enfin on peut voir apparaître une liste “parallèle” de neuf


poètesses lyriques :
• Anth. Pal., 9, 26, l5 (épigramme attribuée à Antipater de Thessalonique :
1er s. av. J.-C.), cf. supra <18>.
T'aÒde jeogl'wÒÒous £Elik4wn ¡ejreye guna¶ikas
8umnois ka’i Maked4wn Pier‘ias Òk'opelos,
Pr'hxillan, Moir'w, `An‘uths Òt'oma, j§hlun 1Omhron,
4 LeÒßi'adwn Sapq4w k'oÒmon «euplok'amwn,
&Hrinnan, Tel‘eÒillan èagakl'ea ka’i Ò'e, K'orinna,
jo§urin `Ajhna'ihs èaÒp'ida melyam'enan,
NoÒÒ‘ida jhl‘uglwÒÒon «id’e glukuac'ea M‘urtin,
120 GUY VOTTÉRO

8 p'aÒas èaen'awn èerg'atidas Òel'idwn.


èenn'ea m’en Mo‘uÒas m'egas Oèuran'os, «enn'ea dè aèut4as
Ga¶ia t'eken jnato¶is !aqjiton eèuqroÒ‘unan63.
Si l'attribution à Antipater était bien assurée, on aurait là un des deux
témoignages les plus anciens sur Corinne. Mais on a ici, au v. 6, la
seule mention pour Corinne d'un poème à connotation guerrière (cf.
supra § 1.1.3.3).

1.2.5. La langue utilisée : le point de vue des Anciens


1.2.5.1. Elle est assimilable au dialecte béotien vernaculaire
• Apollonius 74, 10-13 (= 95 C) : 7h èemo§us, koin4h oàuÒa Sura-
kouÒ‘iwn ka’i Boiwt§wn, kaj4o ka’i K'orinna ka’i `Ep‘icarmos
«ecr'hÒanto, pr4os «en‘iwn èed'okei <m§allon> katwrj§wÒjai t§hs
d‘ica to§u s proqerom‘enhs, e¡ige t4a e«is w l'hgonta e«is ous
kat4a genik4hn l'hgei64 (cf. supra <21>)
• Apollonius 95, 23 - 96, 6 [= 122 A - B] : …ë £Um§wn: a8uth koin’h
ka’i Dwri‘ewn …ë: oèume'iwn Boiwto‘i: $t4o d‘e tis o7um‘iwn èakou-
Ò'atw$ K'orinna (cf. supra <38>)
• Apollonius 106, 13 - 107, 17 (= 135 B - 136 C) : A«iole¶is met4a to§u
F … 7omo‘iws ka’i Boiwto‘i. K'orinna Eèuwnum‘ihs… (cf. supra <3>)
Cette présentation, qui rattache le béotien à l'éolien, est la plus
usuelle. C'est la position que soutient Pausanias (cf. supra § 1.2.3.4),
même si l'emploi du verbe m‘ellw introduit une restriction qui
rappelle le texte 1.2.5.2.

63 “Ces femmes aux accents divins, l'Hélicon les a nourries de chants, et le rocher macédo-
nien de Piérie : Praxilla, Moirô, l'éloquente Anytè, l'Homère des femmes, Sapphô, parure
des Lesbiennes aux belles boucles, Erinna, l'illustre Télésilla et toi, Corinne, qui chantas
l'impétueux bouclier d'Athéna, Nossis aux accents de femme et Myrtis douce à entendre,
qui toutes produisirent des pages éternelles. Le grand Ouranos engendra neuf Muses ; neuf
aussi, Gaia mit au monde ces femmes, pour les mortels impérissable joie” (trad. G. Soury).
C'est la mention de Nossis ici, qui avait inspiré à Brunn la correction de MuÒt‘idos en
NoÒÒ'idos (cf. supra note 52).
64 "Le mot «emo§us, commun aux Syracusains et Béotiens, conformément à l'emploi qu'en ont
fait Corinne et Epicharme, paraît pour certains plus correct que la forme présentée sans le s,
puisque les mots terminés par ô se terminent par ous au génitif".
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 121

1.2.5.2. Elle est différente du béotien vernaculaire :


• Schol. in Dionysii Thr. 469, 27 - 470, 3 (date incertaine : av. ou
apr. J.-C. ?) : eøidos … 7h gl§wtta t§hs dial'ektou ka’i «en ta¶is
dial‘ektois a»i gl§wttai: di'alektos d‘e èeÒti qwn§hs e¡idos. De¶i
g4ar gin'wÒkein 8oti kaj` »ek'aÒthn di'alekton e«iÒi gl§wttai
polla‘i, 7ws 7up4o m’en t4hn Dwr'ida 7h t§wn Lak'wnwn ka’i `Ar-
ge'iwn ka’i Spartiat§wn ka’i MeÒhn‘iwn ka’i Korinj‘iwn ka’i
Sikel§wn ka’i Jhßa'iwn ka’i 8oÒoi èap4o to'utwn metoik'ias !eÒcon,
7up4o d’e t4hn A«iol‘ida 7 h boiwtiak4 h , 0 Ì k' e crhtai K' o rina,
ka’i LeÒß‘iwn, 0Ì k‘ecrhtai Sapq'w: …ë65.
Ce texte est unique dans sa formulation, mais il est très riche dans
ses analyses : a) allusion indirecte à la confédération béotienne (cf. la
metoik'ia indiquée ici) ; b) distinction entre le parler de Thèbes (et de
la confédération béotienne) et l'"éolien" de Corinne et de Sappho ; c)
assimilation du parler béotien vernaculaire avec le dorien. De tous les
textes antiques c'est celui qui est le plus proche de la réalité linguis-
tique66.

1.2.6. La sculpture
1.2.6.1. Il ne nous est parvenu qu'une seule oeuvre au nom de
Corinne : une statuette de 48 cm de haut (socle compris), conservée au
Musée A. Vivenel de Compiègne ; KORINNA est gravé sur le socle
[fig. 1-3, p. 123].
S. Reinach, qui a beaucoup contribué à faire connaître cette
oeuvre67, a réussi à l'imposer dans le dossier de Corinne, malgré des
débats sur son authenticité (irrégularité et qualité médiocre du travail,
tête rajoutée ou non, restaurations maladroites) ; cette statuette serait
une copie d'époque romaine de la Corinne de Silanion, sculpteur

65 "Le parler est une forme du dialecte et à l'intérieur des dialectes il existe les parlers ; un
dialecte est une forme de langue. Et il faut savoir que pour chaque dialecte il existe
plusieurs parlers, comme sous (le terme) dorien le parler des Laconiens, des Argiens, des
Spartiates, des Messéniens, des Corinthiens, des Siciliens, des Thébains et de tous ceux qui
cohabitent avec eux, et sous (le terme) éolien le béotien qu'utilise Corinne et le lesbien
qu'utilise Sappho".
66 Cf. Vottéro 2006, notamment § 1.1 et 4.1/2.
67 RA 32 (1898), 161-166, et surtout 36 (1900), 169-175.
122 GUY VOTTÉRO

athénien sur bronze, contemporain de Praxitèle et de Lysippe, mal


connu, mais spécialisé dans le portrait68, et cité dans le 'catalogue des
sculptures' du Discours aux Grecs de Tatien (cf. supra § 1.2.3.5).
Les caractéristiques de cette statuette ont permis de définir un style
de représentation de Corinne propre à Silanion, constitué de deux
traits essentiels : a) la coiffure "en côtes de melon", et b) le drapé
particulier du vêtement, qui se retrouvent tous deux notamment dans
les Tanagras du 4e s.

1.2.6.2. A partir de ces deux traits caractéristiques et d'une ressem-


blance avec la statuette de Compiègne, on a étendu les recherches aux
autres musées et, peu à peu, une liste d'oeuvres a été établie, qui
constitue une source de portraits de Corinne "potentiels"69 :
a) têtes et bustes :
— tête : Glyptothèque de Munich70 [fig. 4-5, p. 123]
— tête : Museum für Vor- und Frühgeschichte Berlin, K 205 (collec
tion Schliemann)71 [fig. 6-7, p. 123]
— tête : Musée Chiaramonti (inv. 1464) [fig. 8, p. 123]
— buste féminin (hermès) : Arndt-Amelung-Lippold, n° 1188 et 1189
(Londres, collection Astor)72 [fig. 9-10, p. 123]
— 2 bustes féminins : Morcelli-Fea-Visconti, Description de la Villa
Albani, n° 333 et 1041, Rome 1869.
b) le drapé
— 2 statues sans tête ni bras : Palazzo Rospigliosi73 et Palazzo dei
Conservatori74.

68 Cf. E. Schmidt, "Silanion der Meister des Platonbildes", J.d.A.I., 47 (1932), 239-303
[Corinne 281-285] ; Ch. Picard, Manuel d'archéologie grecque. La sculpture III, chap. 7
""Deux indépendants : Silanion et Euphranor", 781-853.
69 En effet aucune de ces oeuvres ne porte de nom et elles sont souvent incomplètes (tête,
buste ou corps).
70 Cf. Furtwaengler n° 210 ; Reinach 1903, pl. 221-2.
71 Cf. Arch. Anzeiger 1891, 80, n° 33-34 ; Schmidt, 281 et 285 ; Picard, 807-810.
72 Cf. Reinach 1903, pl. 223-4.
73 Les tête et bras actuels sont rapportés ; Furtwaengler 1897, p. 27, n° 37 ; Reinach 1931, p.
305 [6].
74 Arndt P. - Brugmann F., Griechische und römische Porträts n° 143-144, Munich, 1909 ;
Reinach 1931, p. 675 [6].
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 123
124 GUY VOTTÉRO

Légende : 1-3 : statuette de Corinne, Musée Vivenel (Compiègne). Photos Hutin et Schryve.
4-5 : tête de jeune fille, Glyptothèque de Munich (d'après Reinach 1903).
6-7 : tête de jeune fille, Berlin, coll. Schliemann.
8 : tête de jeune fille, Rome, Musée Chiaramonti.
9-10 : tête de jeune fille, Londres, coll. Astor (d'après Reinach 1903).

1.2.7. Conclusion
Tous ces textes et documents sont indirects et tardifs, donc souvent
sujets à caution. L'authenticité de la statuette de Compiègne est
contestée, comme le témoignage de Tatien (cf. supra § 1.2.3.5).
Mais on notera qu'aucun des témoignages littéraires antiques ne
discute l'ancienneté de Corinne.

2. LA QUESTION DE LA DATE DE CORINNE

2.1. Historique
• Jusqu'en 1907 (publication du P. Berol. par Schubart et Wilamo-
witz), Corinne était considérée comme contemporaine de Pindare (cf.
les traditions antiques, qui font de Corinne, Myrtis et Pindare des
contemporains, voire des rivaux, et la statue de Silanion) ; elle aurait
donc vécu aux confins du 6e et du 5e s. La publication de ce papyrus
n'a pas eu pour conséquence immédiate une remise en cause de la date
de Corinne ; certes la langue du nouveau texte renouvelait les connais-
sances et présentait des irrégularités nombreuses, mais on considérait
que le texte avait été réécrit à une date tardive, et donc modernisé, et
que, comme toute langue poétique, on avait affaire à une langue en
partie artificielle75.
• A partir de 1930 et un article d'E. Lobel, un courant d'idées s'est
développé en faveur d'une date beaucoup plus tardive, vers 200 ;
Lobel s'appuie originellement, et principalement, sur les graphies des
papyrus.
• Cet article de Lobel rejoignait une longue démonstration d'A.
Kalkmann (1887) portant sur le témoignage de Tatien, et qui concluait
ainsi : "für die Kunstgeschichte haben Tatians Nachrichten über
Kunstwerke keinen Werth. Nur wenige seiner Angaben sind authen-
tisch ; das scheinbar Glaubiche leidet unter der Masse des Unglau-

75 Cf. Wilamowitz, ibid. ; Meillet ; Nachmanson.


REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 125

bichen" (p. 523). Cet article, qui a eu et a encore un certain retentis-


sement76, faisait donc disparaître pour Corinne toute donnée anté-
rieure au texte des papyrus.

2.2. Les arguments utilisés pour une date tardive


2.2.1. Jusqu'en 1953
2.2.1.1. On peut résumer ainsi l'argumentation en faveur d'une date
tardive :
• Les fragments papyrologiques livrent un ensemble de textes
inédits qui renouvellent complétement notre connaissance de l'oeuvre
de Corinne, en fournissant des passages suivis, et qui présentent des
graphies cohérentes, alors que les manuscrits n'offrent que de miséra-
bles fragments et des graphies souvent diverses et fautives ; il faut
donc privilégier les données papyrologiques.
• Le nom Corinne a été ajoutée à la liste des 9 lyriques (cf. § 1.2.4),
Corinne est donc plus tardive que les autres poètes.
• Tous les témoignages antiques assurés sont largement postérieurs
à la date traditionnelle donnée à Corinne (ils datent au plus tôt du 1er s.
av. J.-C.), excepté le lien établi avec Silanion (4e s.). Or l'article de
Kalkmann ruine le témoignage de Tatien, qui apparaît comme une
pure invention destinée à frapper l'imagination de son public.
2.2.1.2. Lobel ajoute d'autres arguments :
— le schéma métrique est inexplicable et apparaît incorrect ;
— le f est habituellement noté ; cela oblige donc, par ex. en <28>, 46,
à reconstituer une finale de datif "étolien" (d4hm'on-------ëreuwn
étant à lire d4hm'onus f»ekouëreuwn) qui n'est attestée en béotien
qu'à une date tardive ;
— l'emploi courant du n éphelcystique, qui n'est pas béotien et traduit
l'influence de la koiné ;
— la répartition des formes brèves et longues des datifs pl. de 1ère et
2e déclinaison ;
— la forme cru——ou÷Òoë‡aei‘inas77 (<26>, 21-22) qu'il faut corriger en
crouÒo‡a^¶is et qui est un atticisme.
Il n'y a donc rien d'archaïque dans la langue et la versification de
Corinne ; dès lors il n'y a aucune raison de supposer "that she lived at

76 Cf. encore Page 1953, 73-74, n. 6 ; West 1990, 557 ; mais cf. Bernard 101-107.
77 Sur les formes avec lettres superscrites cf. infra § 3.1.1.
126 GUY VOTTÉRO

a time when the form in which her poems were made public corres-
ponded exactly […] to the form in which the papyrus of Berlin pre-
serves them".
Plusieurs des arguments de Lobel sont affaiblis par l'utilisation
abusive qu'il fait des lacunes du papyrus (e.g. le datif "étolien"), ou
par le constat évident que Corinne prenait des libertés avec le dialecte
béotien. Mais il avait jeté le doute et est à l'origine d'une vaste contro-
verse entre partisans de la date tardive et opposants78.
2.2.1.3. La principale réponse à la thèse de Lobel est constituée par
l'ouvrage de N. Cupaiuolo, paru en 1939. L'auteur mène sur une
centaine de pages une étude complète sur Corinne et son œuvre : les
traditions, l'iconographie, puis les fragments de papyrus disponibles
(<26-30> et <45/46>), avec un commentaire linguistique, métrique et
littéraire, et conclut ainsi : la poésie de Corinne se caractérise par sa
"simplicité primitive", dans la continuité de la tradition épique, parti-
culièrement celle d'Hésiode ; le mètre est "simple", voire "naïf", à
l'opposé de celui de Pindare, de même que l'inspiration purement
locale. Et N. Cupaiuolo défend la datation ancienne.

2.2.2. La tentative de D.L. Page pour synthétiser tous les argu-


ments en faveur d'une datation tardive
2.2.2.0. D.L. Page a procuré deux éditions des poèmes de Corinne :
— 1) une première édition comportant le texte du P. Berol. 284 et des
fragments cités par les Anciens avec traduction, commentaire phi-
lologique, linguistique et métrique, et un chapitre consacré à la data-
tion de Corinne ; c'est le fascicule intitulé Corinna (Londres, 1953) ;
cette édition reste la plus complète scientifiquement ;
— 2) une édition revue et corrigée comprenant un texte complété
(essentiellement par l'inclusion du fragment livré par P. Oxyr. 2370),
un apparat critique restreint et des lectures qui s'éloignent à plusieurs
reprises de celles de 1953 (avec une nette tendance à aligner les
graphies sur celles des papyrus et à uniformiser) ; c'est le recueil des
Poetae Melici Graeci, n° 654-689 (Oxford, 1962).

78 D. E. Gerber (1994) donne une bibliographie critique des années 1920-1993. Voir égale-
ment, jusqu'en 2010, Burzacchini 2011, p. 10-12, 19-20, 32-39, 85-94, 110-114, 119-121 et
surtout 135-138.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 127

2.2.2.1. Pour tenter de dépasser les arguments habituellement utilisés,


Page 1953 (59-60, 65-67, 74-75, 78-84) propose de recourir à l'analy-
se linguistique interne, en se fondant sur les graphies des inscriptions
et plusieurs études mettant en évidence les particularités du dialecte
béotien79.
Il s'appuie notamment sur les éléments graphiques suivants, qu'il
résume p. 6780 :
— */e:/ noté EI, mais pas encore I ==> fin 4e s.
— */ai/ noté H, mais pas encore EI ==> fin 3e s.
— */u/ noté OU, mais pas encore IOU ==> 3e s.
— */oi/ noté U, mais seulement OI dans les datifs sg. thématiques
==> 2e moitié du 3e s.,
avec des considérations sur l'uniformité graphique des textes qui sont
très éloignées des réalités épigraphiques et des préoccupations des
graveurs antiques.
En conclusion, et après avoir écarté dans une longue note81 l'argu-
ment de la statue de Silanion, il propose pour Corinne une date autour
de 200, avec des limites extrêmes de 225 et 175.
Page complète sa démonstration avec les arguments évoqués avant
lui (cf. supra § 2.2.1.1), et avec la métrique dont il dit : "for nothing in
our knowledge of Greek metre had prepared us for the discovery that
choriambic-dimeter system of the so-called polyschematist type had
been evolved earlier than the fast few decades of the fifth century
B.C. Hitherto they appeared to us to be a relatively late production of
metrical experiment, characteristic of the maturity of Attic drama […]
Whe should … argue that what first appears late in the most exalted
Attic poetry might nevertheless have existed early in the most humble
Boeotian".
2.2.2.2. Mais les données linguistiques utilisées par Page sont aujour-
d'hui dépassées82, les dates proposées pour ces graphies sont, pour la

79 Cf. p. 46 : il cite principalement IG VII, Schwyzer DGE, Bechtel 1921, Feyel 1941 et
1942.
80 Ils sont détaillés p. 59-60.
81 Note 6, p. 73-74 ; Page y déforme parfois les arguments de Kalkmann et il leur ajoute des
éléments très subjectifs, voire aventureux (cf. la découverte de F. Coarelli) !
82 Cf. supra note 4.
128 GUY VOTTÉRO

plupart, beaucoup trop basses. En effet les inscriptions présentent la


situation suivante (cf. aussi infra § 3.1.3) :
— */e:/ est noté I dès le début du 5e s.
— */ai/ est noté H au début du 4e s., et EI dans la 2e moitié du 3e s.
— */u/ est noté OU au début du 4e s., et IOU dès le milieu du 3e s.
— /oi/ est noté U au début du 3e s., précisément dans des datifs sg.
thématiques (cf. IG VII 2960 et 3583)
Il n'y a donc pas de cohérence entre les graphies des inscriptions et
celles des papyrus, et on ne peut s'appuyer sur les premières pour
démontrer que Corinne utilisait le dialecte parlé en Béotie vers 200
av. J.-C.
Par ailleurs, même s'il voit bien la difficulté (cf. p. 49), Page n'est
pas sensible aux conséquences à tirer des graphies p§hs, ph_d—as,
p'hdwn83, qui, par rapport à des formes non dialectales comme k'aÒ-
Òon—jh, k'wras, t'ade…, présentent en plus une hypercorrection
révélatrice (cf. infra § 3.1.1.3).
Enfin les autres arguments, tels celui de la métrique ou du style (p.
75-84), relèvent plus de la subjectivité que de l'analyse scientifique84.
2.2.2.3. La démonstration n'est donc pas probante, et Page en est
conscient, car il conclut (p. 84) : "it seems to me clear that our general
conclusion must be that there is not sufficient evidence available from
internal and external sources to establish the date of Corinna with
certainty" ; et, dans son ouvrage de 1962, il écrit en introduction (p.
325) : "Pindarine aequalis an saec. iii a.C. post vixerit Corinna
nescimus : vid. Lobel…, Page… ; manet res in ambiguo".

83 Il faut mettre à part la forme £Erm§as (cf. infra § 3.1.1.3) que Page associe à p§hs, mais qui
est la forme normale dans les inscriptions, cf. infra note 97.
84 Il est vrai que, malgré la découverte des fragments papyrologiques, les remarques d'A.
Croiset [1913], 383, sont toujours d'actualité : "malgré la découverte des nouveaux
fragments de papyrus nous n'avons de l'art de Corinne qu'une connaissance insuffisante" et
"ce qu'il y a peut-être de plus intéressant dans ce que nous savons aujourd'hui de Corinne,
c'est que nous comprenons mieux pourquoi tant de poètes, vite oubliés de la postérité, ont
pu cependant charmer leurs concitoyens, grâce à leur connaissance des mythes locaux et au
talent de les mettre en œuvre dans le dialecte même du pays. On comprend aussi le regain
d'intérêt qu'ils ont pu exciter chez les mythographes et les grammairiens, par les matériaux
qu'ils leur fournissaient : c'est ce qui a préservé leurs noms d'un oubli total".
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 129

On retiendra de cet ouvrage la précision de l'étude, la clarté métho-


dique de la présentation et, après de menues corrections85, la défini-
tion qu'il donne de la langue de Corinne : "une langue littéraire, écrite
à la manière béotienne et admettant sporadiquement des faits de
béotien vernaculaire".

2.2.3. Les successeurs


2.2.3.1. West (1970, 1990) reprend les mêmes arguments de base et
les résume ainsi :
• Une édition des poèmes de Corinne a été faite fin 3e ou début 2e s.
av. J.-C. ;
• Les textes connus ultérieurement dérivent de cette édition ;
• Auparavant Corinne est inconnue en Grèce, ou alors elle ne
l'aurait été que localement (et c'est peu probable) ;
• Comme l'avait déjà suggéré Lobel, les graphies des papyrus
correspondent vraisemblablement à celles utilisées à l'époque même
de Corinne ;
• L'ensemble des fragments retrouvés ne peut provenir que de
Corinne ;
• Le témoignage de Tatien est sans valeur, comme la statuette de
Compiègne.
Mais il cherche à les consolider et à les élargir en introduisant des
considérations stylistiques :
• La poésie de Corinne est totalement différente de ce que nous
savons de la lyrique chorale grecque à l'époque de Pindare ;
• Le début du poème <31> donne l'impression d'être l'introduction à
un recueil de poèmes (un livre) ; or cette pratique n'est pas attestée
avant le 3e s. (Posidippe) ; de plus le mètre utilisé rappelle le schéma
que l'on trouve dans les péans d'Aristonous (334 av. J.-C.) et Limenius
(128 av. J.-C.) ;
• En <26>, 12-18, il est fait allusion à une version de la naissance de
Zeus (caché par les Courètes) usuelle au 3e s., mais non attestée avant
les Bacchantes d'Euripide [représentées à Athènes en 406] ;

85 Page tend à confondre langue (littéraire) et dialecte (vernaculaire), graphies et phonétique.


La définition qu'il donne rejoint d'ailleurs celle, plus simple, de Maas, RE s.v. Korinna
1395 : "eine gemeingriechische Dichtersprache mit böotischer Färbung".
130 GUY VOTTÉRO

• Le vocabulaire présente un caractère tardif évident :


- emplois inconnus à l'époque ancienne : dzajei 86 (<28>, 13)
pour des personnes, #ag'—e—irw pour un inanimé ne sont pas antérieurs
au 4e s. ; mo*urië—adeÒÒ—_i employé comme adjectif n'est pas attesté
avant Rhesus 913 (= 4e s.) ; tad` ('emelÚ—em) n'a de parallèle que chez
Callimaque (frag. 194 et 228)
- mots ou formes isolés : lajr'adaën (<26>, 14) et krouq'ad@an
(<28>, 20), tan‘ik'a (<26>, 16) pour 7an‘ika ;
- mot inconnu à l'époque ancienne : k'—ajëektos (<26>, 29), qui
est employé pour la première fois chez Démosthène ;
- présence d'atticismes : cru—ou÷Òoë‡aei‘inas (<26>, 21-22) qui
doit être probablement corrigé en crouÒo‡a^¶is ; doue¶in (<28>, 15) ;
- formation récente : lig_ourokwtiël—us (<31>, 5 / <7>) est un
composé déterminatif avec 2e élément de sens verbal, signifiant "(de
mes accents) qui babillent mélodieusement" ; or, dans cet emploi, on
attendrait au 5e s. ligu-kwt'ilo-
- expressions d'apparence récente, comme l'accumulation des
qualificatifs en <13>, ou la formulation du vers <28>, 43 ;
- absence d'archaismes : krat'ounei (<28>, 16 : emploi), pi_je-
tan (<28>, 19 : forme de Du.), §wrjen (<28>, 22 : désinence et emploi),
mëantoÒë'ounw (<28>, 25 ; emploi comme adj.) se rencontrent après
le 5e s.
Bref Corinne ne peut avoir vécu avant le 3e s., ni même la 2e moitié
du 3e s.
2.2.3.2. Campbell n'entre pas dans le détail de l'argumentation, mais il
transforme en (quasi-)certitude les hypothèses de Page, cf. p. 1-2, § 1 :
"it is almost certain… ; "since they are spelled…".
2.2.3.3. Les tenants de la datation ancienne ont réagi immédiatement :
K. Latte d'abord, qui insiste sur les archaïsmes de la langue de
Corinne, puis d'autres spécialistes comme Allen-Frel, qui se chargent
l'un de l'aspect linguistique, l'autre de l'iconographie, et Davies, qui
reprend point par point les arguments de West pour les critiquer.
Gentili et Lomiento sont les premiers, à ma connaissance, à faire état
de la découverte de F. Coarelli, qui met à mal les arguments de
Kalkmann (cf. infra § 3.2.1.3).

86 Sur les formes avec lettres superscrites cf. infra § 3.1.1.


REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 131

Il faut mentionner aussi G. Burzacchini, qui a republié en 2011 dix


articles (parus entre 1978-79 et 2002) consacrés à Corinne : études
philologiques et lexicales, commentaires littéraires, métrique.
2.2.3.4. Un autre courant d'idées87 préfère ne pas trancher en faveur de
l'une ou l'autre thèse (mais avec néanmoins souvent une petite préfé-
rence pour la datation ancienne), et reconnaît qu'il n'est pas facile de
faire le partage entre style archaïque et style archaïsant, en raison
notamment de notre faible connaissance de l'oeuvre de Corinne et
même de la lyrique antique. C'est ainsi que Segal (1985) écrit : "her
metres are simple and regular, a fact which may suggest archaism, or,
conversely, the metrical simplification of the later period".

2.3. Remarques :
1) Sur les témoignages littéraires : ils sont tardifs, généralement
imprécis (il ne s'agit jamais d'études sur Corinne), parfois confus,
mais aucun ne peut être totalement écarté (e.g. la Souda) ; et, parmi
eux, les témoignages de Plutarque et de Pausanias doivent nécessaire-
ment être pris en compte, soit, dans le cas de Plutarque, parce qu'il
s'agit d'un auteur très bien informé de l'histoire de la Béotie, soit, pour
Pausanias, parce qu'il est un observateur attentif et s'intéresse particu-
lièrement au passé de la Grèce.
2) Sur les critiques modernes : hormis les graphies, qui seront
étudiées infra, elles portent sur le style, les images et le vocabulaire de
Corinne. Or beaucoup d'entre elles reposent sur des appréciations
purement littéraires, qui, compte tenu des énormes lacunes dans notre
connaissance de la littérature grecque antique, ne peuvent donner que
des résultats partiels et faussés88.

87 E.g. Segal 1975, Henderson.


88 On estime habituellement à environ 10% les œuvres qui nous sont parvenues ! Pour
mémoire, du "cycle épique" il ne reste que l'Iliade et l'Odyssée, des 17 livres de Pindare
seuls 4 et des fragments divers nous sont parvenus ; pour Eschyle, 7 pièces sur 73 ou 90,
pour Sophocle, 7 pièces complètes sur plus de 120, pour Euripide, 19 sur 92 ; et sur 200
noms de poètes tragiques mentionnés, nous ne connaissons guère que les 3 Attiques. De la
poèsie lyrique ancienne, il ne reste que des bribes. Certes les oeuvres disparues n'étaient pas
toutes des chefs-d'oeuvre (cf. Aristote, Poétique 8, 1-2 ; 18, 8 ; 23, 3-4), mais, comme
toutes celles qui reçoivent actuellement un prix littéraire, elles contribuaient à la vie cultu-
relle et artistique et étaient une source d'inspiration même pour les grands artistes (e.g. le
132 GUY VOTTÉRO

D'ailleurs on parvient à des constatations bien différentes quand on


prend en compte l'épigraphie ou la chanson89 : ainsi Gallavotti, qui
préfère qualifier le dimètre choriambique de Corinne de dimetro
libero90, écrit : "il dimetro coriambico di Corinna […] che si sussegue
con schemi svariati in una stessa poesia, è l'esempio più clamoroso di
una versificazione preletteria e popolaresca, ancora persistente in un
"età letteratissima" ; et Lambin montre que, dans les chansons, le
rythme iambo-choriambique peut être adapté à des contextes très
variés, puisque, dans le recueil retrouvé chez Athénée (XV, 693f -
695f), sur un total de vingt-deux chansons, on en a 4 à caractère reli-
gieux, 4 gnomique, 7 héroïque, 3 amoureux ou joyeux et 3 proverbial.
2.4. Est-ce à dire que la démarche proposée par Page doit être
abandonnée ? Non, mais il faut revoir l'ensemble du dossier, en élimi-
nant les ajouts ou corrections indus, et en l'actualisant réellement.

3. ANALYSE CRITIQUE DES DONNÉES DISPONIBLES


3.1. Les données textuelles
3.1.0. Méthodologie : a) j'ai repris les graphies des papyrus telles
qu'elles sont reproduites, avec un apparat critique complet, dans les p.
10-17 de l'ouvrage de Page 1953 et dans les Oxyrhynchus Papyri
XXIII, excepté quand des corrections ultérieures ont été apportées (cf.
Ebert 1978 ; West 1996). Pour les manuscrits ce sont les données
brutes, avant corrections, qui sont utilisées (cf. supra § 1.1.1.0).
3.1.1. Les 3 passages les mieux conservés des papyrus
3.1.1.0. Exemples de texte :
— 1. P. Berol. 284 (2e s. ap. J.-C. ; cf. supra § 1.1.2.1, <26>, <28>)
<26> col. I [n° 654 a ; P. p. 10-11 et 19-22 ; E. 32 ; D. 4 ; B. — ; C. A]
1 ----------------ëuÒteqanon
----------------ëg§wg` ep’i d§h

fameux "que diable allait-il faire dans cette galère ?" des Fourberies de Scapin II, 7, que
Molière a 'emprunté' à Cyrano de Bergerac).
89 C. Gallavotti, Metri e ritmi nelle iscrizioni greche, 86-87 (Rome, 1979) ; G. Lambin, La
chanson grecque dans l'Antiquité, 267-268 (Paris 1992).
90 Page parle de "polyschmématiste" ; le sens est fondamentalement le même (= une très
grande variété de rythmes), mais le point de vue technique est opposé.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 133

----------------ëep` 'akr@u
----------------ë©ord@‘a_—_s
5 ----------------ë—ar§_wnt` oreiwn jhran
----------------ë.—i q§oul—on —orni-
-----------------ë
-----------------ë
-----------------ëh'—i
10 --------------- geënejl@a :
-----------------ëd#a ©—i—ona (ou —t—ina)
------------ë_p......ë K'w—rë—ei-
tes-----ëÚan dzajei....ë—as
.....ës antroi : lajr'adaën 4ag-
15 koë—u—l—om‘eitao Kr'onw, t_. .ëikanin)
.ë—an‘ik'a ni_n kley—e _ma—k—hra Reia
...ë'alan _t`aëjanatwn —e—Ò-
. —. ële timan : tad` 'emelÚ—em
makaras d` —a_utika MouÒ'_wÒh
20 qëeremen y—aqon 'etë—atton
kroëuqian kalpidas en cru—ou- es
Òoë‡aei‘inas : t4@u d` 8ama pantesë §wrjen :
pleiionas d` ei´e—j„ile Kij4hrwn
taca d` Erm§as an'e‡a—nenë
25 niën #ao'uÒ@as er—atëan 7ws
eë_—le n@ikan —Òteqaën@uÒin
...ë. . at'w. anek‘oÒmion
....ëres : tw de n—oos geg'ajei :
.------ loëuphÒi —k'—ajëektos
30 calepë§hÒin fel—ikëwn . e-
-------ë —l#itt'ad—a pëetran .
----ë—ken d` —oroës : ^@èuktr§ws
----ëwn 7o#uÚoëjen . e¡ireiÒe
----ëm mo*uri?ë—adeÒÒ—i l'a§us :
…/…
<28> col. III [n° 654 a ; P. p. 14-15 et 22-26 ; E. 33 ; D. 5 ; B. — ; C. B IX-XVIII]
…/…
_t—an de p'hdwn tris mëen ecei
Deu—s pateir pantwën baÒileus :
tr@is de pontw gameë medwn
15 Potidawn të—an de doue¶in
Q@§ußos lektraë krat'ounei
–––
134 GUY VOTTÉRO

tan d` ian M'hasë agajos


p§hs Ermas : 7outë–w gar Erws
kh K'oupris pi_jetan . t#iws teous
20 en domws bantas . krouq'ad@an es
k'wr@as ’enni` el'eÒjh :
–––
th pok` eir'ww_n —g—e_n'_ejlan tai
eÒgenn@'aÒon_j` eimijiëwn : ekg—e—n—naÒontai
k'aÒÒonjh poëlouÒpë_er'ies
25 t` #ag'—e—irw t` e—s mëantoÒë'ounw hrwek
_t–r_i—podos wit--------ë
–––
t'ode geras k-----ë_n
es pente‘ikontaë _krater–wn
— om'hmwn p‘e—t . . .ës proq@‘a-
30 tas Òemnwn adoëutwn lacwn
ayeudeian Akrhëq‘ein :
–––
pr@'atoi menë gar Latëo^idas
dwkè E_uw_no'umoi . tripodwn
eÒs iw_n creëiÒmws en‘epein, ek
35 ton _dè _es gas balwn Ourieus .
tim—anë _d_euteros ^iÒcen :
–––
p§hs _Potëid'awnos : ep'i-
tè Wariëwn 7amos gen‘etwr
ghan fë'an —app@aÒ'amenos : anakthÒam' s
40 cw men w–r—anoën amq‘epei
t@iman _d---ën 8outan
–––
t'wnek---ën enepw
tè atrë‘e_kian creiëÒmologon :
t#o4u de ... ike tè aë_jan'at@us eike
45 k4h l'ou-----------ëqrenas gëamhjeiÒs
d4hm'on----------ëreuwn ëhrh tou gh-
–––
7ws ‘eq—a -------ë —p—er7ag‘eis : manë—tos
ton dè AÒwpos aÒëpaÒiws
dexias _eqayamë_en_os :
50 d'akr#o'u tè oktal?ë_lwn proßalwnë
wdè ameiyato që_wnh :
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 135

— 2. P. Oxyr. 2370 (ca. 200 ap. J.-C. ; cf. supra § 1.1.2.2, <31>)
[n° 655, 1 ; P. — ; E./D./B./C. —]
<31> (les v. 2-5 et 15 recoupent 2 citations de manuscrits, cf. <7> et <8>)
...ëllwnios---------ë
ei, ‘ Arei—s-------ë
epi me _Teryicor. ----ë
k#ala, fer§o^iè a^iÒomenan--ë
Tanagr‘ideÒÒi l_eukopeplusë
mega dè em§h—s —fleflaje polisë
5 lig_ourokwtiël@u— s enophsë
ot_ti ga——r —megal—-------ë
yeu_d.ë_Ò..ë—ado—me----ë
---ë_n_tw, ghan, euroucwronë
logia dè e—pn paterwn----ë
10 _koÒm‘eiÒaÒa f:idio------ë
—parjeën@uÒi kata-----ë
poë_ll—a m_e_n K_a-------------ë
gè arcëagon koÒm---------ë
--------ës : polla dè Wri÷wnaë
—g—a_n
15 --------ë—me´n„ kh, pente'i÷kontè ë
--------ë 7ouyib‘ias ph_d—as
----- nouë——mqhÒi migiës
-------ë Lißouan : _k--------ë
--------ë—jhÒ---------ë
—fir#'iw´n„ koran . -------ë
20 kal—a:fi:de¶_in ar---------ë
 . ëhan@» .n t‘ikt--------ë
---ë.teketo t . --------ë
-----ë...ë..--------ë

3.1.1.1. Les annotations91


Le texte de ces deux papyrus se présente en lectio continua et en
colonnes ; de l'un à l'autre on observe des caractéristiques communes,

91 Les données chiffrées qui suivent portent sur les 3 passages des papyrus cités (qui sont les
mieux conservés et donc les plus représentatifs).
136 GUY VOTTÉRO

mais aussi plusieurs différences à noter :


• P. Berol. 284 présente de nombreuses annotations ; on rencontre
ainsi :
— des marques de structuration du poème ou des vers :
- indication des strophes, cf. <28> (mais non <26>)
- points en haut : en fin de vers, e.g. <26>, 22/34, <28>, 13/36 (ils
ponctuent souvent les strophes, e.g. <28>, 21/31/36…), mais aussi en
milieu de vers, e.g. <26>, 14/18/22/28/32… ; <28>, 18/37)
- points en bas : en milieu de vers, e.g. <26>, 30/33 ; <28>, 19/20/33, et
en fin de vers, cf. <26>, 31
- tiret en début du vers : 1 ex., cf. <28>, 29
- apostrophes indiquant les élisions de fin de mot, e.g. <26>, 2/3/5/17/
18… ; <28>, 17/21/22/23/25… ; leur emploi semble systématique ;
— divers types de diacritiques :
- esprits rudes et doux : ils sont rares (7 ex. à l'initiale : <26>,
22/25/33 et <28>, 18/41 ; 1 ex. à l'intérieur après -r- : <28>, 47)
- accents : ils manquent dans près de la moitié des cas, certains vers
pouvant comporter un accent pour chaque mot (e.g. <28>, 21/24/25/37),
d'autres aucun (e.g. <28>, 13/14/35/51) ; en fait c'est la situation intermé-
diaire qui prévaut : quelques mots par vers ; trois termes portent une
double accentuation : .ë—an'ik'a ni_—n (<26>, 16), l'a§us (e.g. <26>, 34) et
d4hm'on (<28>, 46)
- signes de la longue et de la brève : 26 ex. (18 longues : <26>, 3/4/
10/22/26…, <28>, 14/16/29… ; et 8 brèves : <26>, 11/25/31/33, <28>, 19/25/44/
50)
- tréma : 3 ex. indiquant une diérèse (<28>, 32) ou un début de mot ?
(<26>, 32 ; <28>, 36)
- lettres superscrites : 18 ex., dont 11 pour ei (<26>, 5/13/28/33, <28>,
12/15/16/31/34/40/51), 3 pour eii (<26>, 22/23), 1 pour ouÒ'_wÒ (<26>, 19), 1
pour u—ou (<26>, 21), et 1 pour dza (<26>, 13) ;
— des scholies marginales (à droite) : on en a 13 exemples pour 17
mots ou parties de mots.

• P. Oxyr. 2370 présente beaucoup moins d'annotations : ainsi un


terme comme ghan n'est pas accentué ici (<31>, 8/21), alors qu'il l'est
en <28>, 39 ; il en est de même pour phdas (<31>, 16, à comparer à
<28>, 12).
Au total on relève les éléments suivants : absence de marques de
strophes ; cinq points en haut (<31>, 10/14/18/20) et trois 'virgules' (<31>,
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 137

2/8) ; trois apostrophes (<31>, 2/4/14) ; un esprit (<31>, 16), neuf accents
(<31>, 2/3/4/10/15… ; soit moins de la moitié des mots), cinq indications
de quantité (<31>, 2/5/11/19/21?), deux trémas (indiquant une diérèse,
<31>, 2), deux lettres superscrites (e—pn, <31>, 9 ; f:i, <31>, 20), et aucune
scholie.

3.1.1.2. Le rôle de ces annotations


La moitié des termes ne porte aucune annotation ; pourquoi ?
S'agit-il d'une distribution aléatoire, ou non ? Voici ce qu'on observe :
— Les scholies marginales sont des transpositions sous forme plus
claire (graphie/phonétique) de termes typiquement béotiens, et donc
peu compréhensibles par des lecteurs non dialectophones :
- la préposition «en suivie de l'Acc. (<28>, 20), qui indique la
destination (= att. e«is/«es)
- la préposition «es/«eÒs (<28>, 25/35), qui marque l'origine (= att.
«ek/«ex) et non la destination (= att. e«is/«es)
- le démonstratif/article th (<28>, 22) valant *tai (= att. aÛi)
- le possessif t#iws (<28>, 19) valant teo'us
- une finale d'adjectif : #ag'—e—irw (<28>, 25) transcrite -hrw
- deux formes verbales difficiles : eÒgenn@'aÒon_j` (<28>, 23 =
ekg—e—n—naÒontai), et surtout app@aÒ'amenos (<28>, 38) rendu par
anakthÒam' s.
Les autres exemples sont invérifiables à cause des lacunes du texte.
La transposition est donc faite a minima quand la forme est inter-
prétable par un lecteur cultivé (et donc habitué aux variations des
langues littéraires), cf. tai, ekg—e—n—naÒontai (formes "doriennes")
ou -hrw (forme épique) ; elle aboutit aussi à des formes d'attique-
koinè ou ionien («es, «ek, teo'us) ; il peut s'agir enfin d'une véritable
traduction en attique-koinè, cf. anakthÒam' s.
— Quand un radical apparaît sous deux formes phonétiques, c'est la
forme marquée (i.e. inhabituelle, et donc 'bizarre' !) qui reçoit une
annotation, cf. kora (<31>, 19) ~ k'wr@as (<28>, 21) et K'w—rë—ei-tesë
(<26>, 12) ;
— Tous les termes d'interprétation difficile pour les Modernes (cf.
infra § 3.1.1.3) présentent une ou plusieurs annotations : accent, quan-
tité, lettres superscrites ; c'est le signe que, dès l'Antiquité, ils faisaient
difficulté ;
— Parmi les termes sans annotation on trouve essentiellement des
formes peu ou pas marquées dialectalement, et donc banales :
138 GUY VOTTÉRO

- verbes, e.g. kleye (<26>, 16), bantas (<28>, 20), lacwn


(<28>, 30), balwn (<28>, 35), enepw (<28>, 42)…
- substantifs, e.g. : aëjanatwn (<26>, 17), timan (<26>, 18),
kalpidas (<26>, 21), noos (<26>, 28), pëetran (<26>, 31), baÒi-
leus (<28>, 13), domws (<28>, 20), tripodos (<28>, 26), qrenas
(<28>, 45) …
- adjectifs, e.g. makaras (<26>, 19), pantes (<26>, 22),
agajos (<28>, 17), Òemnwn (<28>, 30)…
- particules, adverbes, e.g. autika (<26>, 19), taka (<26>, 24),
gar (<28>, 18)…

Il ressort de ces faits que, généralement92, ce sont les termes


pouvant présenter des difficultés d'interprétation pour un lecteur
cultivé (notamment dans le cadre d'une scriptio continua) qui sont
concernés par ces annotations ; celles-ci sont avant tout destinées à
permettre l'identification des formes que la graphie ou la langue uti-
lisées rendent obscures, par référence à une norme littéraire fondée sur
la poésie épique ou lyrique (à coloration dorienne) et l'attique-koinè.
La portée linguistique de ces annotations pour la langue de Corinne
s'en trouve donc fortement réduite. Ainsi les tentatives93 pour définir
l'accent béotien à partir des papyrus se heurtent à ce constat :
comment faire la part entre ce qui relève de la norme littéraire évo-
quée supra et la réalité de l'accent béotien (s'il en diffère). Les quel-
ques écarts accentuels que l'on peut relever ne mènent pas loin et
peuvent même être contradictoires, e.g. MouÒ'_wÒh (N. pl. paroxyton,
<26>, 19) et k'aÒÒonjh (proparoxyton, <28>, 24), k'—ajëektos (<26>,
29 ; = att. kajekt'os), .ë—an'ik'a ni_n / d'akr#o'u tè (accent d'enclise,
<26>, 16 et <28>, 50).

92 On peut sans doute s'interroger sur l'absence d'annotations pour des formes telles que :
qëeremen (<26>, 20), Deus pateir (<28>, 13), ghan (<28>, 39 ; <31>, 8/21), th
(<28>, 22), qëwnh (<28>, 51), ou, au contraire, sur la présence d'accents pour des termes
'transparents' comme : Kr'onw (<26>, 15), ‘etëatton (<26>, 20), gen‘etwr (<28>, 38) ; en
fait les deux premiers exemples sont attestés dans la littérature (lyrique dorienne ou Aristo-
phane + formule religieuse), les trois suivants illustrent un 'béotisme ordinaire' (AI --> H) ;
pour la deuxième catégorie je n'ai pas d'explication précise, hormis le zèle du copiste (?).
93 Cf. Hermann, Bonfante.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 139

3.1.1.3. Les formes remarquables


Dans ces deux papyrus apparaissent un certain nombre de formes
qui, dès l'Antiquité, ont attiré l'attention et sont habituellement citées
comme caractéristiques du "dialecte béotien" de Corinne. A la lumière
de ce que l'on connaît actuellement du dialecte épigraphique, elles
peuvent être classées en plusieurs catégories :
— Formes incertaines :
- Akrhëq‘ein (<28>, 31), cru——ou÷Òoë‡aei‘inas (<26>, 21-22) sont
trop incertaines pour qu'on puisse les exploiter !
- fer§o^iè (<31>, 2) et —fir#'iw´n„ (<31>, 19) restent obscures
- —p—er7ag‘eis (<28>, 47) : la forme du préfixe devant voyelle n'est
pas attestée pour l'instant dans les inscriptions
- la reconstitution de mo*urië—adeÒÒ—i (<26>, 34) n'est pas sûre (cf.
West 1996, 22 : *moulië—adeÒÒ—i est possible) ;
— Formes ordinaires :
- ^iÒcen (<28>, 36) doit être considéré comme l'imparfait d' ¡iÒcw
ainsi que l'indique la traduction de Page (p. 24), et non l'aoriste d' «ecw
(en application d'une prétendue 'règle phonétique béotienne' sans
fondement !)94 ;
- l'emploi de la nasale éphelcystique, comme dans l'exemple précé-
dent ou dans Òteqaën@uÒin (<26>, 26) est banal dans les textes métri-
ques, même si le béotien en tant que tel l'ignore
— Formes authentiquement béotiennes (ou fort susceptibles de l'être):
- app@aÒ'amenos (<28>, 39) (= èan(a)-paÒamen-) a un correspon-
dant presque exact dans la forme tappamata95 (= tè èan(a)-pama-
ta) d'IG VII 3172 (Orchomène, fin 3e s.)
- 8outan (<28>, 41) a la forme radicale usuelle en béotien
- e—n (<28>, 20), e—s/eÒs (<28>, 25/34), kh (<28>, 25/34) sont usuels
dans l'épigraphie dialectale
- Deus (<28>, 13) n'est attesté que chez Aristophane, mais c'est la
forme phonétiquement attendue96

94 Cf. Brixhe Cl. , "Energie articulatoire et phonétique béotienne", in P. Roesch - G. Argout,


La Béotie Antique, 367-368 (CNRS, Paris, 1985).
95 Cf. P. Teyssier, "Notes de dialectologie béotienne II". RPhil. 66 (1940), 136-142.
96 Ach. 911 : ¡ittw De'us ; chez Platon, Phédon VI, 62 A, l'interjection est déformée : ¡ittw
Ze'us.
140 GUY VOTTÉRO

- £Erm§as (<26>, 24 et <28>, 18) est la forme que les inscriptions inci-
tent à reconstituer97.
On pourra ajouter ici les deux formes verbales suivantes, qui, a
priori (même si elles ne sont pas attestées dans les inscriptions), pré-
sentent une phonétique compatible avec celle du béotien98 :
- a^iÒomenan (<31>, 2) : la diérèse marquée par le tréma sur i
correspond à ce que l'on attend (*aweid- —> a-i:d-)
- eÒgenn@'aÒon_j` (<28>, 23) : la forme du préfixe et la graphie
tardive de la désinence (-nj è pour *-ntai) sont dialectales ;
— Faux béotismes (= formes poétiques "habillées à la béotienne") :
- #ag'—e—irw (<28>, 25) : ce terme n'apparaît pas dans les inscriptions,
il est donc difficile d'arriver à une certitude ; mais une contraction en
finale de voyelles de timbre a et o n'est pas caractéristique du dialecte
béotien99 ; il vaut mieux partir directement de la forme épique èag'hrw
(cf. Homère, Hésiode) "béoticisée" par substitution de EI à H ;
- ghan, ghan,  . ëhan (<28>, 39, <31>, 8/21) sont des formes
épiques "béoticisées", le radical dialectal étant ga- (cf. gas, <28>, 35)
- geg'ajei/en‘epein (<26>, 28 ; <28>, 34) sont des formes épiques (cf.
l'absence d'augment pour l'une, le radical et la désinence pour l'autre)
avec surcaractérisation graphique : on attendrait la graphie EI (pour
*E/H primitif représentant *e: et *e + e) ; l'aboutissement I de l'évolu-
tion est attesté dans les inscriptions de la fin du 3e s., mais ne se ren-
contre pas en dehors de ces deux cas dans les papyrus retrouvés ;
- dzajei. (<26>, 13) n'est pas béotien (malgré son d-) ; il est
emprunté à la langue poétique (Homère, Hésiode, Pindare…) et a été
"béoticisé" par la substitution de d à z, sur le modèle de Deus =
Ze'us…
- fide¶_in (<31>, 20) relève de la langue poétique "béoticisée" par
adjonction d'un f, la forme béotienne attendue étant fidemen ;

97 Cf. Vottéro 1995, 107 et 115.


98 De même, pour ce qui est de la forme du nom de Thespies (J‘eÒpia, <13>), l'ethnique a
toujours la graphie JeÒpieus/JeiÒpieus, aussi loin qu'on remonte avec les inscription
(cf. BCH 50, 1926, 390, n° 4 : début 5e s. ; IG VII 3233 : milieu 5e s.).
99 On évoque d'ordinaire la contraction dans les 1ères p. pl. verbales *a + o-men —> -wmen ;
mais on est ici en position intérieure. Or en finale, dans les mots accentués, on constate que,
là où l'attique présente une contraction, le béotien maintient deux voyelles, cf. les Gn. sg. -
ao, et pl. -awn (seul l'article ayant une contraction : twn).
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 141

- k'wr@as (<28>, 21 ; à comparer à koran, <31>, 19, et le nom


Korinna) : avec l'allongement compensatoire du o de *korw- (cf. w),
cette forme relève de la koina100 lyrique "béoticisée" (ou remplacé par
w : Pindare présente en effet un radical kour-, e.g. Ol. 2, 23 ; 13, 65 ;
Pyth. 3, 39 ; 4, 103…)
- l#itt'ad—a (<26>, 31) : seule la forme liÒÒ- est attestée dans la
littérature grecque (cf. TLG), et, notamment, litt- n'existe pas en
attique, l'un des trois dialectes, avec le béotien et l'eubéen, à présenter
le traitement -tt- des groupes *C sourde + j/w intérieurs101 ; on
pourrait certes supposer que le béotien aurait conservé une forme de
radical que l'attique aurait perdue, mais il est tout aussi envisageable
(et peut-être même plus vraisemblable) que la graphie -tt- soit une
hypercorrection ;
- p'hdwnë (<28>, 12), p§hs (<28>, 18/37), ph_d—asë (<31>, 16) :
comme l'indique justement Page (p. 49), le terme béotien correspon-
dant est dissyllabique [pa-id-]102 ; la graphie H est donc un faux dia-
lectisme, qui s'explique si l'on part de la forme de langue poétique103
monosyllabique [p-ai-d-] "béoticisée" ;
- _Potëid'awnos (<28>, 37) est une forme hybride, à radical béotien
(reconstitué d'après <1>) et à finale épique (cf. PoÒeid'awnos chez
Homère : Il. XIII, 19 ; XX, 67… ; Od. 1, 20 ; 4, 386… et Hésiode : Frag. 16,
12 ; 150, 27…) ; on attend en dialecte *Potidaonos (cf. IG VII 2465) ;
— Forme étrangère au contexte poétique : un seul terme est claire-
ment dans ce cas, doue¶in (<28>, 15), et ses attestations littéraires sont
toutes liées à la koiné ionienne-attique (Aristote, Théophraste…) ; les
seules formes béotiennes de génitif attestées dans les inscriptions sont
duo (3 ex.) et duoin (1 ex.)104 ; doue¶in est donc une forme étrangère

100 On distingue par ce terme une langue poétique mêlée de traits linguistiques divers, mais à
coloration dorienne (en @a), différente de la koinè épique à coloration ionienne (en h).
101 Cf. Cl. Brixhe, Phonétique et phonologie du grec ancien. I Quelques grandes questions,
25-92 (Louvain-la-Neuve, 1996) ; Vottéro 2006, 136-137.
102 Cf. les graphies des inscriptions : Paeidi (Cabirion, 5ed) ; Kaßiru kh Paidi… (ibid.,
3epm) ; paillos (Lébadée, 3epm) / paeillu (Tanagra, 3ef/2ed) / paiillos (Tanagra,
3epm) ; Paillea et Paellia (même personnage, Orchomène, 3epm).
103 E.g. Homère, Hésiode, Pindare (Ol. 1, 10 ; 6, 30… ; Pyth. 3, 92/100…).
104 Cf. Vottéro G., "Le système numéral béotien", Verbum 3-4 (1994), 267 et 292 ; le dialecte
tendait donc à faire de duo un mot invariable.
142 GUY VOTTÉRO

au dialecte ; peut-elle avoir sa place dans un texte poétique en


"béotien tardif" ? J'en doute. Wilamowitz proposait d'y voir une cor-
rection fautive du copiste qui n'aurait pas compris *dou§un valant
*duoin. C'est fort possible, mais invérifiable.
— Le problème des crases : on a deux exemples assurés105 de crase
dans les textes de Corinne :
- k'aÒÒonjh (<28>, 24) = *ka4i ¡eÒÒonjh (= ¡eÒÒontai)
- ceirwadwn (<10>) = *ka’i e»irw'adwn
Les faits béotiens sont d'interprétation délicate : les crases sont assez
fréquentes à date ancienne (une trentaine d'ex.), mais elles ont disparu
à la fin du 5e s., et, compte tenu de l'emploi de l'alphabet épichorique,
il est difficile de certifier le résultat obtenu ; mais, dans un cas au
moins, pour *-ai — V, il est vraisemblable qu'il y a eu élision du 1er
élément106, cf. :
— ai + eu --> eu : tè Eèutr@etiqant@o (<*tai Eèutr@eti-, IG VII
3467, Thespies, 5e am)
En effet une contraction entraînerait la reconstitution au 5e s. d'une
diphtongue à 1er élément long e:i107, alors que toutes ces diphtongues
ont disparu dès le 6e s. ; c'est donc plus qu'improbable du point de vue
phonologique108 ; dès lors reste l'élision. Celle-ci est également envi-
sageable dans :
— ai + e --> e : kè `Epicar@es (<*kai `Epic-, Acraiphia, BCH
104, 1980, 73-76, n° 3 ; 2e moitié du 6e s.)
— ai + a --> a : tè Ajanai (<*tai `Ajan-, BCH 32, 1931-32,
187-188, fig. 4, Ariarte, fin 6e - début 5e s.),
même si dans ces deux exemples on ne peut écarter la possibilité d'une
voyelle longue issue de contraction (cf. Aristophane, Ach. 834 :
kèhpicarittai = *ka’i «epi-109).
On attendrait donc chez Corinne *kè «eÒÒonjh (ou kèhÒÒonjh ?),
comme on a ceirwadwn (= *kè e»irw'adwn, avec élision). La forme

105 Le kèam‘e (= *ka’i «em‘e) proposé par Wilamovitz (col. iv, 30, Page 16) est mal assuré :
kam‘ei‡--, mais illustrerait la même situation que k'aÒÒonjh, s'il était vérifié.
106 Cf. Bile M.-Brixhe Cl., Kratylos 1983 [1984], 125-26.
107 D'où la transcription de Dittenberger : thèutrhtiq'antw.
108 Cf. aussi Vottéro 1995, 103-110 et 115.
109 Cette forme se rencontre dans le passage 'béotien' de la pièce, mais la valeur linguistique
du témoignage d'Aristophane est incertaine (cf. Vottéro 2006, 107).
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 143

k'aÒÒonjh est un atticisme ou une hypercorrection "béoticisante" (à


partir d'une forme en *kèhÒÒ- ?).
On constate ainsi que les formes citées dans ce paragraphe forment
un ensemble extrêmement composite, et qu'elles ont subi un nombre
important de corrections, voire d'hypercorrections graphiques, pour
"faire béotien".

3.1.1.4. Le vocabulaire
Deux termes sont apparus dans la discussion sur la date de
Corinne, au titre non pas des graphies utilisées, mais de leur forma-
tion. Il s'agit de deux adjectifs :
— —k'—ajëektos (<26>, 29) : comme l'indique West, ce terme n'est
pas attesté avant Démosthène, Contre Midias, 3, 1 ; est-ce à dire qu'il
ne peut être plus ancien ? On constatera d'abord qu'il s'agit d'un terme
rare (le TLG en présente un peu plus de 30 exemples sur 1500 ans de
littérature environ), et c'est chez Plutarque, un des auteurs dont
l'œuvre est la mieux conservée, qu'il est le plus représenté (8 ex.). Or
il est difficile de s'appuyer sur des données très partielles ou rares
pour arriver à une certitude (cf. supra § 2.3).
Par ailleurs l'adjectif dérivé kajektik'os apparaît à 3 reprises chez
Aristote110, contemporain de Démosthène ; or c'est dans la 2e moitié
du 5e s. qu'à partir de l'ionien scientifique et philosophique se répand à
Athènes (puis en attique et, de là, dans les autres dialectes) la mode
des adjectifs dérivés en -ik'os111 ; il faut donc vraisemblablement
faire remonter la date d'emploi du simple kajekt'os au moins à la fin
du 5e siècle.
— Le composé lig_ourokwtiël- (<31>, 5 ; <7>) n'est pas néces-
sairement un composé déterminatif (cf. supra p. 130) ; il peut s'agir
d'un composé copulatif112 ("dvandva") signifiant "[de mes accents]
babillards et mélodieux".

110 Cf. Topiques 125b, 18 ; Problem. 963a, 21 ; Hist. Anim. 635b, 3.


111 Cf. A. López Eire, "L'influence de l'ionien-attique", in Cl. Brixhe, La koinè grecque
antique II. La concurrence, 31-35 (Nancy 1996), qui s'appuie sur plusieurs pièces
d'Aristophane (Cavaliers, Nuées, Guêpes, notamment).
112 L'appréciation de West 1970, 285, sur cette possibilité : "a blatant portmanteau", relève
de la pure subjectivité.
144 GUY VOTTÉRO

Les données disponibles actuellement ne permettent pas d'affirmer


que ces adjectifs ne peuvent être anciens et sont donc tardifs.

3.1.1.5. Comparaison entre les papyrus et les manuscrits


Chacun des papyrus ne nous donne qu'une leçon du texte de
Corinne (cf. supra 1.1.4). Mais, pour 5 vers, il est possible de compa-
rer la leçon d'un papyrus à celle de plusieurs manuscrits : il s'agit des
textes <7> et <8> et des v. 2-5 et 15 de <31>. On peut constater alors
de nombreuses différences :
<7> manuscrits <31> P. Oxyr. 2370 (v. 2-5)
kal4a g' eroia eè i Òom'ena k#ala fer§o^iè a^ i Òom'enan--ë
Tanagr‘ideÒÒi leukop'eplois Tanagr‘ideÒÒi _l_eukop'eplusë
m'ega dè «em4h g'egaje p'olis mega —dè em§h—_s fleflaje p'olisë
ligourokwt‘ilaiÒ` «enopa¶is lig_ourokwt‘iël—u@ s «enop§hsë
<8> manuscrit <31> P. Oxyr. 2370 (v. 15)
ka’i pent'hkontè oèuyiß'ias kh pente‘ikontè ë 7ouyiß‘ias
La moitié des mots est concernée par des variations (7 sur 14), et
ce que l'on observe dans les manuscrits montre que les copistes ne
comprenaient pas toujours le texte qu’ils recopiaient ! C'est particuliè-
rement net pour le 1er vers :
- méconnaissance de f et création d'un terme inconnu113
- mauvais découpage de la séquence geroiaeiÒomena et, finale-
ment, un sens peu satisfaisant (e« i Òom'ena = savoir ?)
Le v. 3 fait aussi difficulté avec «em4h : les copistes ont accentué le
texte comme un nominatif, mais on attendrait ici *«em4a (mal interprété
et confondu avec un neutre ?) ; si l'on maintient -h, on est obligé de
corriger en «em§h s, en le rattachant aux deux datifs du vers suivant,
mais avec une graphie différente (de telles variations se rencontrent
dans les inscriptions, mais sont plus rares dans les textes littéraires).
L'esprit doux d'oèuyiß'ias et la variante du ms I penthk'ontou
yiß'ias (cf. note 17) indiquent que les copistes n'avaient pas fait le
lien avec l'adverbe 8uyi.
Mais en même temps on constate que le système graphique utilisé
est bien moins évolué, avec des graphies correspondant généralement
à celles de la première moitié du 4e s., date de l'adoption de l'alphabet

113 Mais le sens exact et l'étymologie de fer§o^ia sont encore inconnus actuellement !
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 145

attique en Béotie114, cf. ligourokwt‘ilaiÒ` èenopa§ i s, leukop‘e-


plois, ka‘ i , pent'h kontè .
On notera également la forme divergente du composé ligouro-
k'wtilos : féminin de thème en -a: dans les manuscrits, forme
épicène dans le papyrus.
On entrevoit ainsi pour ces cinq vers l'existence de deux traditions
graphiques, mais aussi textuelles, différentes : la première, avec des
graphies du 4e s. dans les manuscrits ; la seconde, avec des graphies
du 3e s. , dans le papyrus.
Et, pour ces deux passages des manuscrits comme pour les autres,
les éditeurs modernes ont modifié les graphies en fonction de celles
du papyrus, e.g. Diehl n° 2 et 19 : leukop'eplus, ligourokwt'ilhs
èenop§ h s, k' h , pente' i kontè (id. Bergk, Crönert).
Il est donc nécessaire de vérifier si les leçons des manuscrits
dans leur ensemble ne présenteraient pas une certaine cohérence, une
fois éliminées toutes les corrections apportées par les éditeurs moder-
nes (cf. supra notes 7-24 et 26-28).

3.1.2. Les manuscrits


Texte et graphie peuvent présenter des variations plus ou moins
importantes, mais peu de passages sont désespérés et il est générale-
ment possible d'obtenir un texte commun à une majorité de manus-
crits. Si l'on s'en tient donc au texte brut tel qu'il a été établi (cf. supra
§ 1.1.1.1-3 et 1.1.3.1), on constate les faits suivants :
— I note i 32 ex. (textes <1 à 9/11 à 15/20/36/39>)
*e + V 2 ex. ? (textes <4 ?/12>)
*ei 1 ex. (texte <11>)
— H note *e: 7 ex. (textes <1/2/4/7/8/9/11/12/14d/15/17/38/39>)
*ai 5 ex. (textes <3/4>)
+ e: non béotien : 2 ex. (textes <1/7 ?>)
— EI note *ei 3 ex. (textes <1/6/15>)
*e + V 1 ex. (texte <38>)
*i + V 1 ex. ? (texte <4>)
*e: 3 ex. (textes <10/14c ?/14e>)
+ crase pour *ai + e: 1 ex. (texte <10>)

114 Plus précisément 1ère moitié du 4e s. (et probablement vers 375), cf. Vottéro 1996/2.
146 GUY VOTTÉRO

— AI note *ai 8 ex. (textes <5 ?/7/8/9/14e/15>)


*e: 1 ex. ? (texte <1>)
— OI note *oi 4 ex. (textes <1/7/14b>)
— U note u 2 ex. (textes <3/9>)
— OU note u 13 ex. (textes <1/2/4/7/8/9/11/12/14d/15/17/38/39>)
*ou 3 ex. (textes <5/6/12>)
+ *o: non béotien : 6 ex. (textes <13/14a/14b/34/35/36>)
+ *o: de génitif non béotien : 5 ex. ? (textes <1/4/11?/16/21>)
Ces graphies divergent assez fortement de celles des papyrus, qui
ne sont présentes que dans un seul texte d'Apollonius Dyscole (<3>)
sur les cinq qui nous sont parvenus de son œuvre.

3.1.3. Tableau récapitulatif des graphies "béotiennes"


Il est possible dès lors de comparer les graphies rencontrées dans
les inscriptions béotiennes à celles des textes de Corinne115 (papyrus
et manuscrits) :
Valeur Inscriptions Inscriptions Inscriptions Manuscrits Papyrus
e e e e e
phonét. —> 4 am 4 m-3 m 3 pm - 2
*ei EI, I, ê, E I, EI, EII I, EI, EII, E, H EI [3], I [1] eI, I,eiI

i(:) I, EI I, EI, E I, EI, II, E I [32], EI [2] I


*e + V EI, E, I, ê I, EI, E I, E, EI I , E [2], EI [1] I, eI, eiI, EI
[3]

e+C E E E, EI, I, H E E
*e: E, EI, I, ê EI, H, E EI, I, H, E H [8], EI [3], AI? EI, eI [2]
*ai AI, AE, A, H H, AI H, AI, EI, I, E AI [7], H [2], E* H
a+i AI, AEI AI AI, AII, AEI, AE AI , H [1] [1] H , AI [1]
[2]

*oi OI, OE, O OI, U U, OI, EI, I OI [5] U, sauf OI


(Dt. sg.)
u(:) U, OU OU, U OU, U OU [13], U [2] OU, uOU
*ou OU, U OU OU OU [3] OU
N.B. : 1) les différentes graphies rencontrées pour une même valeur phonétique
sont classées de gauche à droite par ordre de fréquence ;
2) la colonne "inscriptions —> 4e am" correspond aux graphies en alphabet
épichorique, où voyelles longues et brèves ne sont pas distinguées et où la lettre H
ne note pas une voyelle (excepté dans un texte thébain de la 1ère moitié du 4e s., IG

115 Pour le détail des graphies des inscriptions, cf. notamment G. Vottéro, "A propos du signe
ê en béotien", in Verbum n° 3-4 (1995-96), 299-339.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 147
VII 2427)116 ;
3) dans la colonne "manuscrits", AI? et E* correspondent à un passage très
incertain (<5>) ou à des confusions graphiques d'époque très tardive (<3>) ;
4) dans les colonnes "manuscrits" et "papyrus", les chiffres entre [ ]
indiquent le nombre d'occurrences.

On constate donc que :


1) les graphies des manuscrits correspondent globalement aux
graphies du 4e s. : *e: est encore souvent écrit H (cf. <1/4/6/8/10/13/
14c/15>), *ai est encore écrit majoritairement AI (cf. <2/7/8/ 9/14e>),
*oi est écrit OI, pas encore U (cf. <1/7/9/14b>) ; seuls deux textes se
distinguent : <3> avec ses graphies semblables à celles des papyrus
(cf. a + i écrit H dans phdegon, = p§hda f'on) ou très tardives (confu-
sions de timbre et de quantité dans elhÒje, = »el‘eÒjai), et <5> avec
un terme très incertain ;
2) les graphies des papyrus manquent de cohérence ou ne corres-
pondent pas aux usages béotiens ; ainsi :
— *e + C. est toujours écrit E, alors que les inscriptions des 3e
pm-2e s. montrent une confusion graphique généralisée pour noter *ei,
i(:), e (+ V ou C), *e: et *ai ;
— la règle de répartition entre U et OI pour *oi relevée par Page
(et d'autres, cf. supra § 2.2.2.1) ne correspond pas du tout à ce que l'on
observe dans les inscriptions (ce serait presque l'inverse !)
— l'utilisation de H pour a + i dans pa^is est une aberration
dialectale (cf. supra § 3.1.1.3), dont il faut tirer toutes les consé-
quences : le texte primitif de Corinne utilisait probablement (pour des
raisons métriques ?) non pas la forme dissyllabique béotienne, mais la
forme monosyllabique pa¶is de la langue poétique ; la graphie H n'a
pu qu'être introduite postérieurement au 2e s. av. J.-C. et à la dispa-
rition du dialecte béotien, par un copiste qui a cru bien faire de "béoti-
ciser" le texte, en appliquant sans discernement117 des équations gra-

116 Cf. Vottéro 1996/2, § 1.2.2.


117 Les notations des grammairiens ou scholiastes antiques remontent, pour la plupart, au 2e
s. ap. J.-C. au plus tôt (Apollonius, Hérodien …), i.e. à une époque où le dialecte béotien
était mort depuis longtemps et n'était plus accessible que par les oeuvres littéraires, ouvra-
ges érudits (se copiant mutuellement…), ou très rarement par les inscriptions. En fait
aucun de ces auteurs, excepté peut-être Denys le Thrace (qui est antérieur à l'ère
148 GUY VOTTÉRO

phiques formulées par les grammairiens à partir de ce qu'ils avaient


retenu des usages béotiens tardifs.
Les seules inscriptions présentant des maladresses du même genre
(mais pas identiques) sont celles qui ont été gravées à une date tardive
hors de Béotie (Oropos, Magnésie du Méandre, Séleucie de Cilicie)118
par des graveurs locaux ignorant le dialecte béotien.
3.1.4. Conclusion partielle
3.1.4.1. Ce ne sont pas les graphies des inscriptions béotiennes qui
sont la référence des papyrus actuellement disponibles, mais les cor-
respondances que les grammairiens avaient établies avec plus ou
moins de maladresses119 (et qui leur permettaient par exemple d'expli-
quer le texte homérique à partir du béotien !)120.
On constate par ailleurs une correspondance remarquable autour de
la date du 2e s. après J.-C. entre les principaux papyrus disponibles
actuellement et l'œuvre des deux plus grands grammairiens antiques
dont nous ayons des extraits, Apollonius Dyscole et Hérodien. La
recopie des textes de Corinne peut s'inscrire dans un courant intellec-
tuel de redécouverte de l'œuvre de poètes et poètesses tombés dans
l'oubli, par les élites gréco-romaines cultivées, à la suite d'un travail
d'“exégèse” des grammairiens121 aboutissant à une réédition de ces
poèmes au 2e s. ap. J.-C.

chrétienne, mais dont l'oeuvre n'est connue que par des scholies de date incertaine) n'a pu
avoir une connaissance directe du dialecte béotien, cf. Vottéro 2006, § 1.1.1 et 1.3.3.
118 Cf. Vottéro 1996/1, n° 48, 49, 56, p. 74 et 77. Le palmarès des Charitesia (ibid n° 63)
gravé à Orchomène au début du 1er s., à une époque où le béotien avait disparu comme
forme vernaculaire depuis près d'un siècle, présente des hyperdialectismes dus à un
mélange de faits de différentes époques (e.g. aèulafudos), mais est exempt de
confusions d'ordre dialectal.
119 Comparer An. Ox. I 346, 5-8 (pa¶ides (Iliade, A 255) : pa¶is !onoma koin4on t§‹ g'enei:
mon§hres jhluk4on t4o da¶is: …ë: o»i d’e Boiwto’i t4hn ai d‘iqjoggon e«is h
tr‘epontes, p§h^is l'egouÒin èant’i to§u pa¶is: …ë), Apollonius 87, 7-8 [= 111 C] (èall`
¡iÒws e« n t§Ì kat4a di'aÒtaÒin diair'eÒei «eÒt‘in, 7ws k‘o6ilon, p'a6is…) et Apollonius
106, 13 - 107, 17 [= 135 B - 136 C] (phdegon j‘elwÒa q‘ilhs, cf. supra § 1.1.1.1, <3>).
120 Cf. Vottéro 2006, § 1.1.1.3. Le fragment de papyrus <44>, 1, 14 présente un autre bel
exemple de "béoticisation" d'une forme homérique : epè euripuo (= *Eèur‘ipoio).
121 C'est aussi vers cette même époque qu'ont été gravés les poèmes de Julia Balbilla et qu'on
observe dans les inscriptions de Lesbos un regain d'intérêt pour l'œuvre de Sappho (cf. R.
Hodot, Le dialecte éolien d'Asie, 12, 19, 22-23, Paris, 1990).
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 149

3.1.4.2. La langue de Corinne est une langue poétique composite, et


donc artificielle, empruntant une bonne partie de son vocabulaire et de
sa morphologie à l'épopée (notamment Hésiode) ou à la koina lyrique.
Ainsi on notera :
— pour le vocabulaire : ni_n (<26>, 16), Reia122 (<26>, 16), t'ode (<28>,
27), enepw (<28>, 42), otti (<31>, 6), qui s'ajoutent aux termes déjà
cités § 3.1.1.3
— pour la morphologie : les Dt. en *-oisi —(Òteqaën@uÒin <26>, 16) et
*-aisi (loëuphÒi <26>, 29), l'absence d'augment dans les verbes
(kleye <26>, 16 ; dwkè <28>, 33, …), la nasale éphelcystique.
Ces emprunts peuvent recevoir une coloration graphique béotienne,
mais celle-ci est d'époque tardive ; il n'est donc pas nécessaire de cor-
riger la graphie ou dans l'adjectif mouÒoq‘ilhte (<13>), car c'est le
vocalisme usuel dans la langue épique et il n'est pas absent de la koina
lyrique (e.g. Pindare, Ol. 1, 15)
La présence d'éléments typiquement béotiens est réelle, mais ceux-
ci ne sont jamais dominants123, e.g. dans la séquence <28>, 37-39 (ap-
p@aÒ'amenos) : tous les autres termes présentent une coloration
'dorienne' ou épique banale, y compris p§hs et ghan avant l'applica-
tion des graphies "béotiennes" à une époque tardive (cf. supra §
3.1.1.3) ; de même pour <28>, 40-41 (8outan). Les éléments béotiens
sont là pour faire "couleur locale" !

3.2. Nouvelles données iconographiques


3.2.1. La sculpture
3.2.1.1. L'étude technique de la statuette de Compiègne n'a pas pro-
gressé : il est probable que des analyses physico-chimiques poussées
permettraient de déterminer si la pierre utilisée pour la tête est bien la
même que celle du corps, ou encore si le ciseau employé pour la taille
est bien le même, mais ces analyses n'ont pas encore été réalisées (et
ne le seront peut-être jamais !).
En revanche il est un détail que S. Reinach n'a pas entièrement
exploité : il précise dans son article de 1900 que la statuette représente

122 Selon la relecture de West 1996 ; cette forme est bien attestée chez Hésiode, Théog.
123 Ils représentent moins de 5 % du vocabulaire et sont moins nombreux que les faux
béotismes !
150 GUY VOTTÉRO

une jeune femme tenant des deux mains un volumen, avec, à ses pieds,
un coffret à papyrus (scrinium) contenant quatre papyrus (visibles par
le dessus, cf. les précisions de la p. 169) ; au total on compte donc
cinq rouleaux, qui peuvent correspondre aux cinq livres de poèmes
que la tradition attribue à Corinne (cf. la Souda, § 1.2.3.9)124.

3.2.1.2. Autres propositions d'identification :


Le catalogue de portraits de Corinne "potentiels" s'est enrichi :
— "Statue féminine à tête portrait"125 (très abimée) : J. Marcadé,
"Sculptures argiennes I", BCH 81 (1957) p. 429-432, n° 8, fig. 15 et
16 + pl. VII
— statue de pied dite "la petite Herculanéenne" : Athènes, Musée
Archéologique National (inv. 1827)
— "Draped Statue of a Woman : Possibly Corinna" : V. Karageorghis,
Sculptures from Salamis, I, 22, n° 13 et pl. XX (Nicosie 1964)
— une statue sans tête, ni bras droit : Musée national de Palerme126.
Mais aucune de ces statues ne porte d'inscription.

3.2.1.3. Du nouveau sur le témoignage de Tatien : ce témoignage a été


conforté par la redécouverte due à F. Coarelli, à l'occasion de ses
recherches sur le portique de Pompée à Rome, de trois bases de
statue : l'une portait l'inscription M'uÒtis ÷ `AriÒtod—o—t , que Coarelli
a rapidement identifiée avec la poétesse Mystis, dont la statue, oeuvre
d'Aristodote, un sculpteur inconnu jusqu'alors, est mentionnée par
Tatien (cf. supra § 1.2.3.5 et note philologique à l. 7). Sur les deux
autres bases, les inscriptions sont trop fragmentaires pour être recons-
tituées, mais elles confortent le témoignage de Tatien sur les statues
qu'il affirme avoir réellement vues à Rome et qu'il énumère dans son
discours.
Il n'y a donc plus de raisons objectives pour rejeter l'existence
d'une statue de Corinne par Silanion127.

124 Cette constatation est écartée par Cupaiuolo (31-32), car "l'edizione di Corinna non
ancora aveva visto la luce" (!) ; or il y a bien eu un texte du 4e s. (cf. supra § 3.1.3.1, 1).
125 Le bas du corps manque à partir du genou.
126 N. Bonacasa, Ritratti greci e romani della Sicilia, 157, n° 224 et tav. XCII, Palerme,
1964.
127 On trouvera chez Sauron, 262-264, et Bernard, 97-118, tous les détails montrant l'intérêt
de la découverte de Coarelli.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 151

3.2.2. La frise du rhyton n° 47 de Nisa


En 1948-49 des archéologues soviétiques ont mis au jour dans
l'ancienne ville de Nisa (proche d'Achgabat, capitale du Turkménis-
tan) une cinquantaine de rhytons en ivoire comportant en partie haute
une frise, et datables du 2e s. av. J.-C. L'un d'eux, le n° 47, présente 12
personnages qui ont d'abord été identifiés comme Héphaistos et les
Muses. [fig. 1-3, p. 152]
P. Bernard écarte avec raison cette interprétation (par ex. on voit
clairement dix femmes et un satyre) et, après avoir montré qu'il s'agis-
sait de femmes de lettres, il identifie Corinne en n° 2 grâce à son atti-
tude qui présente des analogies certaines avec la statuette de Com-
piègne (elle tient un volumen à plat dans les mains, fig. 3, p. 152), puis il
démontre que le personnage masculin central est Hésiode, reconnais-
sable à sa houlette de berger.
Et l'auteur présente cette frise comme la reproduction d'une exèdre
de poétesses, œuvre d'époque hellénistique, et il se réfère à d'autres
exemples connus à Thespies même, pour les Muses128, et ailleurs dans
le monde grec, pour des allégories, des poètes et penseurs129…

3.2.3. Les peintures de Pompéi


Sur les murs de Pompéi, K. Schefold130 a proposé d'identifier
Pindare, Corinne et Myrtis dans les personnages d'une scène présen-
tant un homme jeune à la barbe courte, assis sur une chaise à dossier,
jouant de la lyre, et faisant face à deux femmes debout, dont l'une
semble jouer elle aussi de la lyre, et qui paraissent commenter ce
qu'elles entendent. [fig. 4, p. 153]
Une scène semblable se retrouve, réduite à deux personnages
semble-t-il (mais les peintures sont généralement très abîmées), à
quatre autres reprises à Pompéi, cf. Pompei. Pitture e mosaici I, 161-
162, 2 ex. : fig. 71 et 72 (bien conservée) ; III, 820, fig. 51 ; V, 463,
fig. 70. [fig. 5, p. 153]
Les noms des personnages ne sont pas écrits, mais la fréquence de
la scène, représentée à différents endroits de la ville131, suggère une

128 Cf. IG VII 1796-1805 (fin du 1er s. av. J.-C.


129 Bernard p. 70-74.
130 P. 284-285, Abb. 162 ; = Pompei. Pitture e mosaici, V, 380 fig. 7.
131 Regio I, insula 4, 5, 25 ; Regio V, ins. 2, 4 ; Regio VI, ins. 14, 38 et 43.
152 GUY VOTTÉRO

anecdote très connue dans l'Antiquité aux environs de l'ère chrétienne,


et on pense aux témoignages de Plutarque, de la Souda (cf. § 1.2.3.9)
et même de Pausanias (cf. supra § 1.2.3.3/4).

Illustrations
Légende : 1-3 : rhyton n° 47 de Nisa ; vue d'ensemble ; vue partielle de la frise ; dessin
développé de la frise (d'après G. Lecuyot), in P. Bernard
4 : fresque de Pompéi représentant Pindare, Corinne et Myrtis (?)
5 : fresque de Pompéi représentant Pindare et Corinne (?)
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 153

3.2.4. Monnaies
M. Bieber132 propose de voir sur une monnaie d'Orthagoria (près de
Stagire), représentant Artémis, l'influence de la Corinne de Silanion.
D'autre part K. Schefold133 identifie Corinne sur une monnaie de
bronze de Thespies.

3.2.5. Les données iconographiques n'apportent donc aucune preuve


formelle, mais elles fournissent un faisceau d'éléments en faveur de
l'existence d'une statue de Corinne datant du 4e s. Par ailleurs elles ne
remettent pas en question, elles non plus, l'association de Corinne et
de Pindare.

132 P. 44 et fig. 123.


133 P. 408-409, Abb. 285.
154 GUY VOTTÉRO

4. CONCLUSION GÉNÉRALE
1) Le papyrus de Berlin et celui d'Oxyrhynchos n° 2370 contien-
nent donc, outre le texte support :
— des annotations marginales souvent pertinentes et traduisant une
réelle connaissance du dialecte béotien ; elles sont destinées à éclairer
des lecteurs non dialectophones en donnant les équivalents poétiques
ou attiques usuels, e.g. èanakthÒam' s explicitant èappaÒamenos (<
*èan(a)-paÒam-) ;
— des diacritiques (accents, esprits, macrons…) destinés à per-
mettre un décryptage du texte selon les règles de la langue poétique
ou de l'attique ; mais, comme tels, ils ne sont pas probants pour le dia-
lecte béotien ;
— des lettres superscrites, notamment ei pour i, explicitant cer-
tains usages graphiques béotiens ; ce sont aussi des aides à la lecture
selon la norme poétique ou attique ;
— de faux béotismes : p§hs, p§hdas, ghan, kaÒÒonjh, dzajei.,
qui révèlent à la fois une méconnaissance du dialecte béotien et,
pourtant, une volonté de "faire béotien", selon les normes établies par
les grammairiens (non dialectophones !) d'époque impériale.
Ces deux textes révèlent donc plusieurs niveaux de compréhension
et de connaissance de la langue de Corinne, allant de bon à mauvais,
et sont probablement issus de recopies successives, certains copistes
appliquant mécaniquement des équations graphiques avec des résul-
tats absurdes ou incohérents, tels qu'on n'en trouve que dans les
inscriptions béotiennes tardives et gravées hors de Béotie.
2) Le texte de Corinne tel qu'il nous apparaît dans ces deux papyrus
ne peut être ancien ; son intérêt essentiel est de procurer une connais-
sance bien plus complète de l'œuvre de Corinne que les fragments
livrés par les manuscrits.
Il traduit aussi un regain d'intérêt à l'époque impériale pour une
poésie oubliée (et c'est un aspect du goût archaïsant manifesté chez les
poètes latins, cf. supra § 1.2.3.1/2).
Son intérêt dialectal est en revanche très faible, puisque le texte
actuellement lisible mêle à quelques éléments béotiens indiscutables
des faits appartenant à la koinè épique ou à la koina lyrique, ainsi que
des éléments encore obscurs pour nous, voire aberrants.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 155

3) La langue (et non le dialecte) de Corinne est ainsi une langue


poétique composite, et donc artificielle, écrite à la manière béotienne
(mais cette coloration graphique, légère au 4e s., a été fortement
accentuée par les copistes d'époque tardive sous l'influence des gram-
mairiens) et admettant sporadiquement des faits de béotien vernacu-
laire, qui venaient appuyer la tonalité régionaliste de l'œuvre.
4) La liste des neuf poètes lyriques que l'on cite souvent pour
écarter l'ancienneté de Corinne ne peut avoir la signification qui lui est
donnée. A partir du moment où l'on établit une liste de neuf noms sur
le modèle de celle des neuf Muses, et qu'on dispose déjà de huit noms
d'hommes célèbres, il ne reste de place que pour une femme : c'est
donc naturellement qu'elle est prise par Sappho, dont la poésie se dis-
tingue par son originalité, son universalité et sa qualité technique.
Si l'on estime comme certains Anciens que les poétesses sont insuf-
fisamment représentées et que Corinne mériterait d'être citée, il n'y a
que deux possibilités : a) rajouter Corinne en dixième position (cf.
supra § 1.2.4.1/2), ou b) créer une liste de neuf poétesses lyriques (cf.
supra § 1.2.4.3).
La dixième place attribuée parfois à Corinne ne signifie donc pas
qu'elle est une poétesse tardive, mais que, sans être l'égale de Sappho,
elle se distingue des autres poétesses grecques (dont l'œuvre a généra-
lement disparu pour nous, mais qui existait encore à l'époque impé-
riale). La remarque de Quintilien (Inst. Orat. 10, 1, 54) à propos
d'Apollonios (de Rhodes) qui in ordinem a grammaticis datum non
uenit, quia Aristarchus atque Aristophanes, poetarum iudices, nemini
sui temporis in numerum redegerunt134" ne signifie pas non plus que
Corinne est nécessairement leur contemporaine.
5) Pour la question de la date de Corinne il faut prendre en compte
les éléments suivants :
— il existe une tradition graphique plus ancienne que celle des
papyrus, qui remonte à la première moitié du 4e s. (date de l'adoption
de l'alphabet attique en Béotie)
— l'existence d'une statue de Corinne, œuvre du bronzier athénien

134 "Apollonius n'est pas compris par les grammairiens au nombre des auteurs dont ils ont
donné la liste, parce qu'Aristarque et Aristophane, qui étaient les juges des poètes, n'ont
fait mention d'aucun écrivain de leur temps".
156 GUY VOTTÉRO

Silanion dont l'acmè se situe dans la 2e moitié du 4e s., est fort


probable ; et la statuette de Compiègne, représentant une jeune femme
tenant dans ses mains un papyrus déroulé, en est vraisemblablement
une copie en miniature ; l'article de Kalkmann est ainsi la parfaite
illustration des théories hypercritiques du 19e s. mises à mal par les
découvertes ultérieures ;
— la tradition faisant de Corinne un des maîtres et une rivale de
Pindare est bien attestée en Béotie, comme en témoignent Plutarque et
Pausanias ; elle semble même largement répandue au-delà (cf. les
fresques de Pompéi ?).
Il est donc fort probable, à défaut de preuves formelles, que
Corinne est une poétesse antérieure au 4e s. Dès lors pourquoi ne pas
accepter la date, fin 6e s. - début 5e s., que suggèrent toutes les tradi-
tions antiques ?

BIBLIOGRAPHIE

[Pour les sources textuelles, cf. supra § 1.1.0].


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