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Guy VOTTÉRO
0. Longtemps, pour les Modernes, Corinne n'a guère été qu'un nom,
celui d'une poétesse des 6e-5e s., à qui on pouvait attribuer, sur la foi
des citations d'auteurs anciens, une trentaine de vers plus ou moins
bien conservés (et donc compréhensibles) et une quinzaine de syntag-
mes ou de vocables. La découverte du papyrus de Berlin et sa pre-
mière publication par Schubart et Wilamowitz en 1907, puis celles
d'Oxyrhynchos sont venues bouleverser la situation : on y lisait un
texte aux graphies très évoluées, correspondant (très approximative-
ment1) à celles des inscriptions béotiennes de la fin de la période dia-
lectale (i.e. 2e moitié du 3e s. - 1ère moitié du 2e s.). Dès lors la question
de la date du floruit de l'auteur a été posée : Corinne a été située tantôt
fin 6e s. - début 5e s. conformément à la tradition, tantôt au 3e s., en
raison des graphies des papyrus, les deux datations étant défendues
avec des arguments souvent plus subjectifs qu'objectifs (et au final
assez facilement réversibles2 !).
Or, par la (toute) relative ampleur du texte qu'ils procurent, les
papyrus ont faussé l'approche de l'oeuvre de Corinne en focalisant
l'attention des chercheurs et, corrélativement, en marginalisant les
manuscrits : que valent en effet une trentaine de vers, coupés de tout
contexte, face à plus de 260 vers, dont trois passages suivis de 10 à 35
vers assez bien, voire bien conservés (cf. infra § 1.1 ~ 1.2) ?
Beaucoup ont dès lors considéré que le texte de Corinne était "gravé
dans le marbre" et personne n'a posé clairement la question de la
valeur philologique intrinsèque de ces papyrus, alors qu'on connaît le
principe de précaution testis unus, testis nullus (ou en termes plus
1 Cf. infra § 2.2.2.1/3 et 3.1.3. Mais cette approximation est habituellement méconnue, e.g.
les affirmations sans nuances de D. Campbell, p. 2 (§ 1).
2 Cf. infra § 2.2.3.4 et 2.3.
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3 De fait, quand on dispose d'un nombre important de papyrus, comme pour l'oeuvre
d'Homère, on constate que la valeur philologique de ceux-ci est très variable.
4 A titre indicatif on notera que, pour la partie linguistique, Page 1953 appuie principalement
son argumentation sur Bechtel 1921, dont les références épigraphiques ne remontent pas
au-delà de 1912. Or, depuis cette date, le nombre d'inscriptions dialectales béotiennes a été
multiplié par deux, la chronologie et la méthodologie ont été précisées, et la perception du
dialecte en a été modifiée (cf. Vottéro 1996/1, 1998, 2001, 2006).
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 99
3.1.2. Les manuscrits
3.1.3. Tableau récapitulatif des graphies "béotiennes"
3.1.4. Conclusion partielle
3.2. Les données iconographiques
3.2.1. La sculpture
3.2.2. La frise du rhyton n° 47 de Nisa
3.2.3. Les peintures de Pompéi
3.2.4. Les monnaies
3.2.5. Remarques
4. CONCLUSION GÉNÉRALE
1.1.0.2. Papyrus :
- P. Berol. 284 : W. Schubart - U. von Wilamowitz-Moellendorff,
"Griechische Dichterfragmente II. XIV Korinna", BKT V2 (1907) 19-
54 et Taf. VI-VII, Berlin.
- P. bibl. Univ. Giess. 40 : Mitteil. aus der Papyrussammlung der
Giessener Universitätbibliotek 4 (1935), 19-21, Abbild. VII, Giessen.
- P. Oxyr. 2370/2371/2372/2373/2374 : E. Lobel, "New Classical
Fragments. 2370-2374 Boeotian Verses", Oxyrh. Papyri XXIII
(1956), 60-87 et Pl. IX-XI, Londres.
- PSI 1174 : Papiri Greci e Latini 10 (1932), 140-141, n° 1174,
Florence [cf. Coppola, 1931].
1.1.0.3. Editions modernes5 :
- 1908 : G. Crönert, “Corinnae quae supersunt”, Rheinisches Museum
63, 161-189 [= C + n° de fragment]
- 1914 : Th. Bergk, Poetae Lyrici Graeci III4 (Teubner ; Leipzig)
[= B. + n° de fragment]
- 1925 : E. Diehl, Anthologia Lyrica Graeca I (Teubner ; Leipzig)
[= D. + n° de fragment]
- 1940 : J.M. Edmonds, Lyra Graeca III (Loeb ; Harvard)
[= E. + n° de fragment]
- 1953 : D.L. Page, Corinna (Londres ; réimpr. 1963)
[= P. + n° de fragm. ou de p.]
- 1962 : D.L. Page, Poetae Melici Graeci, n° 654-689 (Oxford)
[= P. + n° de § de 654 à 695A]
- 1992 : D.A. Campbell, Greek Lyric IV (Loeb ; Harvard)
[références de Page 1962]
- 1994 : B. Pajares, R. Somolinos, Poetisas griegas (Madrid) [non uidi]
- 1998 : Y. Battistini, Poétesses grecques (Paris)
[références de Campbell]
- 2005 : F.B.M. : R. Torres i Ribé, M. Cappellà i Soler, J. Pòrtulas,
Corinna de Tànagra. Testimonis i fragments (Barcelone,
Fundació B. Metge). [en catalan]
5 Les éditions antérieures, comme celle de F. Orsoni, Carmina novem illustrium femina-
rum…, [Corinne p. 46-48] (Anvers, 1568) ou même J. Ch. Wolf, Poetriarum octo… frag-
menta et elogia, [Corinna p. 42-62] (Hambourg, 1734), n'ont plus qu'un intérêt historique et
bibliophilique.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 101
6 Elle inclut P. Oxyr. 2370/2072, mais non P. Berol. col. II/IV, P. Oxyr. 2371/2073…
7 Elle repose sur les principes de classement suivants : 1) citations d'auteurs anciens (vers
entiers, puis fragments, puis lexèmes isolés, en distinguant à chaque fois citations avec titre
attribué à/par Corinne et citations sans titre) ; 2) fragments papyrologiques suivis ; 3)
fragments d'attribution incertaine (citations antiques, puis fragments papyrologiques).
8 Corr. Wilamowitz : to4u d’e m'akar Kron‘idh, to4u Poteid'awni f'anax Boiwt‘e.
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9 Mss. et Page 1953 J'hßais ; corr. Page 1962 J'hßhs ; corr. Edmonds et al. Je‘ißhs.
10 Graphie du ms. d'Apollonius, cf. infra § 1.1.4 / 3.1.2.
11 Corr. Boeck : p§hda f4on j'elwÒa q‘ilhs èagk'alhÒè e
» l'eÒjai ; corr. Crönert »el'eÒjh.
12 V. 1 discuté ; v. 2 : `Ware‘iwn vel `Wr‘iwn
13 V. 2 : corr. Ahrens d'hmwn, Edmonds dam'iwtè (= zhmio§utai).
14 Confusion des lettres/chiffres B et E par les copistes ? Texte également présenté comme
" Fero‘iwn e' ", cf. Page 1962, n° 657 .
15 Variations peu importantes.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 103
23 Corr. a) Bergk d'wratos, Nachmanson d'orfatos ; al. 9wtè et èepè ; b) edd. brim'wme-
noi ; Hermann k'arta ; c) Bergk !eprajè 7o m‘en ; proqane‘is cod. AP, -'hs cod. I ; d)
Crönert, Bergk d’e t§us (= to¶is) èa^'idwn ; e) Boeck et al. done¶ith, Page 1953 done¶itai,
Page 1962 don¶ith.
24 Var. poda ; corr. Scaliger pedajhÒeis.
25 Corr. Bergk -tr'oqw.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 105
1.1.1.4. Longtemps ces citations ont été notre seule source de connais-
sance de l'oeuvre de Corinne, soit au total une trentaine vers plus ou
moins complets et 7 lexèmes. Elles font connaître le titre de cinq
poèmes, Boiôtos, Les Sept contre Thèbes, Les Filles d'Euonymos, Le
Retour et Iolaos ; est également mentionné un “Livre V” (ou II ?). Le
texte qu'on lit peut être fautif ou mal assuré (cf. les notes 8-25 et infra
§ 1.1.4).
26 Il m'a paru inutile de redonner intégralement le texte de ces papyrus : il ne présente aucune
variante, puisque chaque passage ou fragment n'est connu que par un seul document ; seuls
peuvent se poser de menus problèmes de lecture (e.g. West 1996).
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1.1.2.3. Ces deux papyrus totalisent donc 267 v., parmi lesquels seuls
73 sont réellement utilisables. Ils ne donnent aucun titre, mais ils
traitent deux thèmes mythologiques : la joute d'Hélicon et de Cithéron
(<26>) et les filles d'Asopos (<27>, <28>), qui s'inscrivent bien dans la
mythologie béotienne ; on a donc été tenté d'en faire les titres de deux
autres poèmes attribuables à Corinne (cf. le témoignage de la Souda ?,
infra § 1.2.3.9, ligne 4) ; un autre passage (<31>) pourrait être un
prélude (à l'ensemble de l'oeuvre ?, cf. infra § 2.2.3.1).
31 West (C.Q. 20, 1970, 283) complète ces vers et y voit un poème composé pour un choeur
de jeunes-filles (= parthénée) ; il est suivi par Campbell.
32 Cf. Vottéro 1998, 201-2 ; Bernard 61-62, 70.
33 1970, p. 279 : “If the fragments are not Corinna, what are they ? It is true that Plutarch
apparently knew a poem of the blameworthy Murtis. But he was a Boeotian […]. The
Alexandrians Apollonius Dyscolus and Herodian, working at the same period, can only
quote Corinna for Boeotians forms. That the burghers of Hermopolis and Oxyrhynchus in
the second and third centuries had any Boeotian poetry to read other than Corinna seems to
me highly unlikely”.
34 Plus de 300 citations utilisent ce vocabulaire général, à comparer aux références données
supra § 1.1.1.
35 Cette assimilation n'est explicite, et donc assurée, que dans une dizaine de cas, e.g. infra §
1.2.5.1/2. L'assimilation peut aussi être faite avec Pindare, e.g. An. Ox. I 175, 27 - 176, 3. Et
d'autres auteurs ??
36 On ne connaît en effet aucune allusion à ce thème dans l'oeuvre connue de Corinne
(citations littéraires ou papyrus).
37 Cf. Page 1953, p. 28 : “This title is surprising. There is no other evidence that Corinna
wrote of anything but local Boeotian lore ; and very littke is know of any connexion
between Orestes and Boeotia”. Contra Coppola, West 1970/1990.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 109
1.1.4. Conclusion
L'oeuvre de Corinne compte actuellement environ 300 vers, dont
l'attribution n'est guère discutée, et parmi eux un tiers seulement offre
un sens plein. Cinq titres sont cités, deux autres possibles. Malgré ce
faible volume, Corinne est devenue la poétesse la mieux connue après
Sappho, mais c'est une connaissance encore bien incomplète.
Il est évident que les papyrus ont considérablement accru et renou-
velé notre connaissance de cette oeuvre : les papyrus sont les seuls à
présenter des passages suivis, permettant de saisir le sens de chaque
poème ; ils sont également beaucoup plus cohérents que les manus-
crits38. Ils constituent donc la base de toute étude sur Corinne.
Mais il est nécessaire de noter aussi que : a) aucun des éléments du
dossier actuellement disponible (citations antiques ou papyrus) n'est
antérieur au 1er s. ap. J.-C. ; b) les papyrus ne nous donnent chacun
qu'une seule leçon du texte ; nous ne disposons d'une autre leçon,
grâce aux manuscrits, que pour deux très courts passages de 4 et 1
vers (cf. <7>, <8> et § 3.1.1.5), qui permettent d'ailleurs de rattacher
sûrement le P. Oxyr. 2370 à l'oeuvre de Corinne ; c) l'exploitation des
papyrus, croisés avec les données des manuels de dialectologie du
début du 20e s., a incité à réécrire les citations des manuscrits, en les
"béoticisant" de plus en plus39, e.g. <1> !anax Bo‘iwte --> f'anax
Boiwt‘e (cf. note 8) ; <2> £Ept4a èep’i J'hßais --> J'hßhs, voire
Je'ißhs (cf. note 9) ; <14> done¶itai --> done¶ith --> don¶ith (cf. note
23) ; mais, alors que les graphies des papyrus ne se rencontrent
qu'exceptionnellement dans les manuscrits (cf. <3>), personne n'a réel-
lement posé la question de la légitimité de cette réécriture ; or il est
difficile d'apprécier la valeur intrinsèque du texte, généralement uni-
que, des papyrus.
Et, au final, certains ont remis en cause la date de Corinne.
38 Mais cet aspect positif a une explication simple (infra) et son revers, cf. infra § 3.1.1.2-5.
39 C'est-à-dire en leur donnant les graphies des 3e-2e s. considérées comme typiquement
béotiennes, cf. supra § 0.
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42 E.g. : The Corinna of England and a Heroine in the Shade ; a Modern Romance, [auteur
anonyme], Londres 1809.
43 Cf. H. Monier de la Sizeranne, Corinne. Drame en trois actes et en vers, représenté pour la
première fois le vingt-trois septembre 1830.
44 Citations et traductions sont empruntées à la CUF, sauf absence de mention.
112 GUY VOTTÉRO
45 “Ce n'est pas tant la beauté [de Cynthia], pourtant éclatante, qui m'a séduit…que (de la
voir) s'essayer, le plectre en main, aux chants éoliens, rivalisant sur la lyre avec les Muses
d'Aganippè et leurs doctes jeux, et se mesurer par ses écrits à l'antique Corinne, des chants
que n'importe qui estime non égaux aux siens” (trad. D. Paganelli, modifiée au v. 22).
46 “Avec quelle puissance le poète de Méonie sait décrire en ses vers les combats des cour-
siers et des guerriers, combien le vieillard d'Ascra et celui de Sicile ont enrichi le religieux
homme des champs, la loi qui régit le retour des souples rythmes de la lyre de Pindare, et
d'Ibycos qui en appela aux oiseaux, et d'Alcman chanté par la sévère Amyclées, et du fier
Stésichore, et de l'audacieuse Sappho qui entra dans les défilés où ne s'engageaient que les
hommes, sans craindre une Chalcis, et de tous les autres que la cithare a jugés dignes d'elle.
Tu possédais l'art d'expliquer les chants du fils de Battos [= Callimaque] et les énigmes de
l'obscur Lycophron, et l'embrouillé Sophron, et les mystères de la maigre (?) Corinne”
(trad. H.J. Izaac).
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 113
Sappho (v. 600), Callimaque (v. 300-240), Lycophron (3e s.) Sophron
(5e pm), et Corinne.
L'auteur paraît d'abord citer les noms de manière à peu près chro-
nologique jusqu'à Pindare, mais l'ordre adopté ensuite vient ôter toute
possibilité de datation pour Corinne. On retiendra seulement a) qu'elle
était comptée parmi les poètes grecs encore étudiés dans la deuxième
moitié du 1er s. ap. J.-C. ; b) que la compréhension de son oeuvre était
difficile pour les Romains (cf. la langue et les thèmes locaux, ou sim-
plement les graphies ?). Mais que signifie exactement tenuis : sens
quantitatif, musical, stylistique47 ? Et à qui est-elle comparée, à
Pindare ? Tenuis a-t-il un lien avec le surnom de Mu¶ia, "la Mouche",
donné par la Souda48 ?
47 Toutes ces hypothèses ont été envisagées, sans qu'aucune ne s'impose réellement.
48 Cf. infra § 1.2.3.9.
49 “Comme Pindare, dans sa jeunesse, faisait trop étalage de son aisance verbale, Corinne lui
reprocha de manquer de goût et de ne pas composer de mythes, ce qui se trouve être l'objet
propre de l'art poétique, mais de prendre comme base de travail mots rares, catachrèses,
variations d'expressions, chants et rythmes pour agrémenter le fond. Alors Pindare, suivant
ses conseils à la lettre, composa ce chant fameux :
Est-ce l'Isménos ou Mélie à la quenouille d'or,
Est-ce Cadmos ou la race sainte des Spartes,
Ou la force légendaire d'Héraclès
Ou la…
114 GUY VOTTÉRO
Quand il le montra à Corinne, celle-ci lui dit en riant qu'il fallait semer à la main et non à
plein sac” (trad. F. Frazier et Chr. Froidefond) ; ce poème a été ensuite repris par Pindare,
cf. Hymnes I, 1-5, et aura une certaine célébrité (cf. Lucien, Icaroménippe 27).
50 Mais le De musica du Pseudo-Plutarque en rapporte une autre, cf. supra § 1.2.1 (P. 17/
668).
51 "C., la seule poétesse lyrique de Tanagra, a sa tombe à un endroit bien en vue de cette cité,
et dans le gymnase il y a un tableau représentant Corinne la tête ceinte d'une bandelette
pour la victoire qu'elle a remportée sur Pindare dans un concours lyrique à Thèbes. Il me
semble qu'elle a vaincu grâce à l'emploi du dialecte, parce qu'elle n'a pas chanté en dorien
comme Pindare, mais dans le dialecte que des Eoliens devaient comprendre, et parce qu'elle
était alors la plus belle des femmes, s'il faut en croire le portrait".
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 115
52 “(33) … Rien de plus inconvenant que votre gynécée. Lysippe a représenté en bronze
Praxilla qui n'a rien écrit d'utile dans ses poèmes, Ménestratos Léarchis, Silanion la
courtisane Sappho, Naucydès Erinna de Lesbos, Boïscos Myrtis, Céphisidotos Myro de
Byzance, Gomphos Praxagoris et Amphistratos Clito. Car que dire d'Anytè, de Télésillè et
de Mystis ? L'une a été représentée par Euthycratès et Céphisodotos, l'autre par Nicératos,
116 GUY VOTTÉRO
1.2.3.6. Clément d'Alexandrie, Stromates IV, 19, 122 (2e - 3e s. ap. J.-
C.) :
Param‘empomai to‘inun t4as !allas di4a t4o m§hkos to§u l'ogou,
m'hte t4as poihtr‘ias katal‘egwn, K'orinnan ka’i Tel‘eÒillan,
Mu¶i'an te ka’i Sapq'w53.
On retrouve ici trois des quatre noms de l'épigramme d'Antipater
(cf. infra § 1.2.4.3). L'auteur introduit le nom de Muia, qu'il distingue
clairement de Corinne, à la différence de la Souda (infra).
l'autre par Aristodotos, comme Mnésarchis d'Ephèse par Euthycratès, Corinne par Silanion,
Thaliarchis d'Argos par Euthycratès… (35) Ce que je viens de vous exposer, je ne l'ai pas
appris d'un autre, mais je l'ai appris en parcourant beaucoup de pays, tantôt en enseignant
vos idées, tantôt en me mettant au courant de beaucoup d'arts et d'inventions, enfin en ayant
séjourné dans la ville de Rome, où j'ai vu les diverses statues qui ont été transportées de
chez vous chez eux. Car je ne m'applique pas, comme le font d'ordinaire la plupart des
gens, à fortifier mes opinions par celles d'autrui, mais je veux mettre en ordre tout ce dont
j'ai acquis la connaissance et que j'ai rejeté, et le rédiger” (trad. A. Puech, Le discours aux
Grecs de Tatien, Paris 1903). — N.B. : à la ligne 7, j'ai réintroduit la leçon des mss :
MuÒt‘idos, corrigée à tort en NoÒÒ‘idos d'après Brunn (qui se fondait sur l'épigramme du
§ 1.2.4.3, cf. infra note 64), en fonction de la découverte de Coarelli (cf. infra § 3.2.1.3).
53 “Je laisse de côté les autres (femmes) pour ne pas être trop long, sans dresser la liste des
poétesses, comme Corinne et Télésilla, Muia et Sappho”.
54 “Le poète Pindare, lors de concours à Thèbes, tomba sur des auditeurs ignares et fut vaincu
cinq fois par Corinne. Blâmant l'inculture de ces gens, Pindare traitait Corinne de truie”.
55 Dithyr. frag. 10 (= Scht. 83) : àhn 8ote Ò'uas t4o Boi'wtion ¡ejnos e ¡ nepon. Mais Pindare
évoquait le passé et ne visait pas Corinne en particulier (cf. la citation de Themistius).
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 117
59 De même la Souda mentionne deux Pindares, le second, lui aussi poète lyrique et Thébain,
neveu du premier !
60 “Qu'il y ait eu des femmes non seulement particulièrement sages, mais aussi poétesses,
cela est évident non seulement à cause de Praxilla dont il a été question, mais aussi à cause
de Sappho, Corinne et Erinna”.
61 “Mais c'est la divine Corinne qui lui inspira des vers et des chants retentissants ; c'est elle
qui, la première, lui apprit les lois des mythes” (d'après Croiset p. 382).
62 Elle remonterait à Aristarque de Samothrace et Aristophane de Byzance (3e-2e s.), selon
Quintilien, Inst. Orat. 10, 1, 54 + 60 ; en 10, 1, 61-64, Quintilien évoque 9 poètes lyriques,
mais il n'en cite que 4 : Pindare, Stésichore, Alcée, Simonide.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 119
1.2.4.2. La liste peut aussi comporter directement dix noms (elle appa-
raît alors comme un ajustement de la présentation précédente), e.g. :
• Tzetzès, Scholia in Lycophronem I, 252 (éd. Chr. Gottfried
Müller, Leipzig 1811) :
Luriko’i d’e èonomaÒto’i d'eka: SthÒ‘icoros, Bakcul‘idhs,
&Ißukos, `Anakr‘ewn, P‘indaros, Simwn‘idhs, `Alkm'an, `Al-
ka¶ios, Sapq4w ka’i K'orinna.
63 “Ces femmes aux accents divins, l'Hélicon les a nourries de chants, et le rocher macédo-
nien de Piérie : Praxilla, Moirô, l'éloquente Anytè, l'Homère des femmes, Sapphô, parure
des Lesbiennes aux belles boucles, Erinna, l'illustre Télésilla et toi, Corinne, qui chantas
l'impétueux bouclier d'Athéna, Nossis aux accents de femme et Myrtis douce à entendre,
qui toutes produisirent des pages éternelles. Le grand Ouranos engendra neuf Muses ; neuf
aussi, Gaia mit au monde ces femmes, pour les mortels impérissable joie” (trad. G. Soury).
C'est la mention de Nossis ici, qui avait inspiré à Brunn la correction de MuÒt‘idos en
NoÒÒ'idos (cf. supra note 52).
64 "Le mot «emo§us, commun aux Syracusains et Béotiens, conformément à l'emploi qu'en ont
fait Corinne et Epicharme, paraît pour certains plus correct que la forme présentée sans le s,
puisque les mots terminés par ô se terminent par ous au génitif".
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 121
1.2.6. La sculpture
1.2.6.1. Il ne nous est parvenu qu'une seule oeuvre au nom de
Corinne : une statuette de 48 cm de haut (socle compris), conservée au
Musée A. Vivenel de Compiègne ; KORINNA est gravé sur le socle
[fig. 1-3, p. 123].
S. Reinach, qui a beaucoup contribué à faire connaître cette
oeuvre67, a réussi à l'imposer dans le dossier de Corinne, malgré des
débats sur son authenticité (irrégularité et qualité médiocre du travail,
tête rajoutée ou non, restaurations maladroites) ; cette statuette serait
une copie d'époque romaine de la Corinne de Silanion, sculpteur
65 "Le parler est une forme du dialecte et à l'intérieur des dialectes il existe les parlers ; un
dialecte est une forme de langue. Et il faut savoir que pour chaque dialecte il existe
plusieurs parlers, comme sous (le terme) dorien le parler des Laconiens, des Argiens, des
Spartiates, des Messéniens, des Corinthiens, des Siciliens, des Thébains et de tous ceux qui
cohabitent avec eux, et sous (le terme) éolien le béotien qu'utilise Corinne et le lesbien
qu'utilise Sappho".
66 Cf. Vottéro 2006, notamment § 1.1 et 4.1/2.
67 RA 32 (1898), 161-166, et surtout 36 (1900), 169-175.
122 GUY VOTTÉRO
68 Cf. E. Schmidt, "Silanion der Meister des Platonbildes", J.d.A.I., 47 (1932), 239-303
[Corinne 281-285] ; Ch. Picard, Manuel d'archéologie grecque. La sculpture III, chap. 7
""Deux indépendants : Silanion et Euphranor", 781-853.
69 En effet aucune de ces oeuvres ne porte de nom et elles sont souvent incomplètes (tête,
buste ou corps).
70 Cf. Furtwaengler n° 210 ; Reinach 1903, pl. 221-2.
71 Cf. Arch. Anzeiger 1891, 80, n° 33-34 ; Schmidt, 281 et 285 ; Picard, 807-810.
72 Cf. Reinach 1903, pl. 223-4.
73 Les tête et bras actuels sont rapportés ; Furtwaengler 1897, p. 27, n° 37 ; Reinach 1931, p.
305 [6].
74 Arndt P. - Brugmann F., Griechische und römische Porträts n° 143-144, Munich, 1909 ;
Reinach 1931, p. 675 [6].
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 123
124 GUY VOTTÉRO
Légende : 1-3 : statuette de Corinne, Musée Vivenel (Compiègne). Photos Hutin et Schryve.
4-5 : tête de jeune fille, Glyptothèque de Munich (d'après Reinach 1903).
6-7 : tête de jeune fille, Berlin, coll. Schliemann.
8 : tête de jeune fille, Rome, Musée Chiaramonti.
9-10 : tête de jeune fille, Londres, coll. Astor (d'après Reinach 1903).
1.2.7. Conclusion
Tous ces textes et documents sont indirects et tardifs, donc souvent
sujets à caution. L'authenticité de la statuette de Compiègne est
contestée, comme le témoignage de Tatien (cf. supra § 1.2.3.5).
Mais on notera qu'aucun des témoignages littéraires antiques ne
discute l'ancienneté de Corinne.
2.1. Historique
• Jusqu'en 1907 (publication du P. Berol. par Schubart et Wilamo-
witz), Corinne était considérée comme contemporaine de Pindare (cf.
les traditions antiques, qui font de Corinne, Myrtis et Pindare des
contemporains, voire des rivaux, et la statue de Silanion) ; elle aurait
donc vécu aux confins du 6e et du 5e s. La publication de ce papyrus
n'a pas eu pour conséquence immédiate une remise en cause de la date
de Corinne ; certes la langue du nouveau texte renouvelait les connais-
sances et présentait des irrégularités nombreuses, mais on considérait
que le texte avait été réécrit à une date tardive, et donc modernisé, et
que, comme toute langue poétique, on avait affaire à une langue en
partie artificielle75.
• A partir de 1930 et un article d'E. Lobel, un courant d'idées s'est
développé en faveur d'une date beaucoup plus tardive, vers 200 ;
Lobel s'appuie originellement, et principalement, sur les graphies des
papyrus.
• Cet article de Lobel rejoignait une longue démonstration d'A.
Kalkmann (1887) portant sur le témoignage de Tatien, et qui concluait
ainsi : "für die Kunstgeschichte haben Tatians Nachrichten über
Kunstwerke keinen Werth. Nur wenige seiner Angaben sind authen-
tisch ; das scheinbar Glaubiche leidet unter der Masse des Unglau-
76 Cf. encore Page 1953, 73-74, n. 6 ; West 1990, 557 ; mais cf. Bernard 101-107.
77 Sur les formes avec lettres superscrites cf. infra § 3.1.1.
126 GUY VOTTÉRO
a time when the form in which her poems were made public corres-
ponded exactly […] to the form in which the papyrus of Berlin pre-
serves them".
Plusieurs des arguments de Lobel sont affaiblis par l'utilisation
abusive qu'il fait des lacunes du papyrus (e.g. le datif "étolien"), ou
par le constat évident que Corinne prenait des libertés avec le dialecte
béotien. Mais il avait jeté le doute et est à l'origine d'une vaste contro-
verse entre partisans de la date tardive et opposants78.
2.2.1.3. La principale réponse à la thèse de Lobel est constituée par
l'ouvrage de N. Cupaiuolo, paru en 1939. L'auteur mène sur une
centaine de pages une étude complète sur Corinne et son œuvre : les
traditions, l'iconographie, puis les fragments de papyrus disponibles
(<26-30> et <45/46>), avec un commentaire linguistique, métrique et
littéraire, et conclut ainsi : la poésie de Corinne se caractérise par sa
"simplicité primitive", dans la continuité de la tradition épique, parti-
culièrement celle d'Hésiode ; le mètre est "simple", voire "naïf", à
l'opposé de celui de Pindare, de même que l'inspiration purement
locale. Et N. Cupaiuolo défend la datation ancienne.
78 D. E. Gerber (1994) donne une bibliographie critique des années 1920-1993. Voir égale-
ment, jusqu'en 2010, Burzacchini 2011, p. 10-12, 19-20, 32-39, 85-94, 110-114, 119-121 et
surtout 135-138.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 127
79 Cf. p. 46 : il cite principalement IG VII, Schwyzer DGE, Bechtel 1921, Feyel 1941 et
1942.
80 Ils sont détaillés p. 59-60.
81 Note 6, p. 73-74 ; Page y déforme parfois les arguments de Kalkmann et il leur ajoute des
éléments très subjectifs, voire aventureux (cf. la découverte de F. Coarelli) !
82 Cf. supra note 4.
128 GUY VOTTÉRO
83 Il faut mettre à part la forme £Erm§as (cf. infra § 3.1.1.3) que Page associe à p§hs, mais qui
est la forme normale dans les inscriptions, cf. infra note 97.
84 Il est vrai que, malgré la découverte des fragments papyrologiques, les remarques d'A.
Croiset [1913], 383, sont toujours d'actualité : "malgré la découverte des nouveaux
fragments de papyrus nous n'avons de l'art de Corinne qu'une connaissance insuffisante" et
"ce qu'il y a peut-être de plus intéressant dans ce que nous savons aujourd'hui de Corinne,
c'est que nous comprenons mieux pourquoi tant de poètes, vite oubliés de la postérité, ont
pu cependant charmer leurs concitoyens, grâce à leur connaissance des mythes locaux et au
talent de les mettre en œuvre dans le dialecte même du pays. On comprend aussi le regain
d'intérêt qu'ils ont pu exciter chez les mythographes et les grammairiens, par les matériaux
qu'ils leur fournissaient : c'est ce qui a préservé leurs noms d'un oubli total".
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 129
2.3. Remarques :
1) Sur les témoignages littéraires : ils sont tardifs, généralement
imprécis (il ne s'agit jamais d'études sur Corinne), parfois confus,
mais aucun ne peut être totalement écarté (e.g. la Souda) ; et, parmi
eux, les témoignages de Plutarque et de Pausanias doivent nécessaire-
ment être pris en compte, soit, dans le cas de Plutarque, parce qu'il
s'agit d'un auteur très bien informé de l'histoire de la Béotie, soit, pour
Pausanias, parce qu'il est un observateur attentif et s'intéresse particu-
lièrement au passé de la Grèce.
2) Sur les critiques modernes : hormis les graphies, qui seront
étudiées infra, elles portent sur le style, les images et le vocabulaire de
Corinne. Or beaucoup d'entre elles reposent sur des appréciations
purement littéraires, qui, compte tenu des énormes lacunes dans notre
connaissance de la littérature grecque antique, ne peuvent donner que
des résultats partiels et faussés88.
fameux "que diable allait-il faire dans cette galère ?" des Fourberies de Scapin II, 7, que
Molière a 'emprunté' à Cyrano de Bergerac).
89 C. Gallavotti, Metri e ritmi nelle iscrizioni greche, 86-87 (Rome, 1979) ; G. Lambin, La
chanson grecque dans l'Antiquité, 267-268 (Paris 1992).
90 Page parle de "polyschmématiste" ; le sens est fondamentalement le même (= une très
grande variété de rythmes), mais le point de vue technique est opposé.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 133
----------------ëep` 'akr@u
----------------ë©ord@‘a_—_s
5 ----------------ë—ar§_wnt` oreiwn jhran
----------------ë.—i q§oul—on —orni-
-----------------ë
-----------------ë
-----------------ëh'—i
10 --------------- geënejl@a :
-----------------ëd#a ©—i—ona (ou —t—ina)
------------ë_p......ë K'w—rë—ei-
tes-----ëÚan dzajei....ë—as
.....ës antroi : lajr'adaën 4ag-
15 koë—u—l—om‘eitao Kr'onw, t_. .ëikanin)
.ë—an‘ik'a ni_n kley—e _ma—k—hra Reia
...ë'alan _t`aëjanatwn —e—Ò-
. —. ële timan : tad` 'emelÚ—em
makaras d` —a_utika MouÒ'_wÒh
20 qëeremen y—aqon 'etë—atton
kroëuqian kalpidas en cru—ou- es
Òoë‡aei‘inas : t4@u d` 8ama pantesë §wrjen :
pleiionas d` ei´e—j„ile Kij4hrwn
taca d` Erm§as an'e‡a—nenë
25 niën #ao'uÒ@as er—atëan 7ws
eë_—le n@ikan —Òteqaën@uÒin
...ë. . at'w. anek‘oÒmion
....ëres : tw de n—oos geg'ajei :
.------ loëuphÒi —k'—ajëektos
30 calepë§hÒin fel—ikëwn . e-
-------ë —l#itt'ad—a pëetran .
----ë—ken d` —oroës : ^@èuktr§ws
----ëwn 7o#uÚoëjen . e¡ireiÒe
----ëm mo*uri?ë—adeÒÒ—i l'a§us :
…/…
<28> col. III [n° 654 a ; P. p. 14-15 et 22-26 ; E. 33 ; D. 5 ; B. — ; C. B IX-XVIII]
…/…
_t—an de p'hdwn tris mëen ecei
Deu—s pateir pantwën baÒileus :
tr@is de pontw gameë medwn
15 Potidawn të—an de doue¶in
Q@§ußos lektraë krat'ounei
–––
134 GUY VOTTÉRO
— 2. P. Oxyr. 2370 (ca. 200 ap. J.-C. ; cf. supra § 1.1.2.2, <31>)
[n° 655, 1 ; P. — ; E./D./B./C. —]
<31> (les v. 2-5 et 15 recoupent 2 citations de manuscrits, cf. <7> et <8>)
...ëllwnios---------ë
ei, ‘ Arei—s-------ë
epi me _Teryicor. ----ë
k#ala, fer§o^iè a^iÒomenan--ë
Tanagr‘ideÒÒi l_eukopeplusë
mega dè em§h—s —fleflaje polisë
5 lig_ourokwtiël@u— s enophsë
ot_ti ga——r —megal—-------ë
yeu_d.ë_Ò..ë—ado—me----ë
---ë_n_tw, ghan, euroucwronë
logia dè e—pn paterwn----ë
10 _koÒm‘eiÒaÒa f:idio------ë
—parjeën@uÒi kata-----ë
poë_ll—a m_e_n K_a-------------ë
gè arcëagon koÒm---------ë
--------ës : polla dè Wri÷wnaë
—g—a_n
15 --------ë—me´n„ kh, pente'i÷kontè ë
--------ë 7ouyib‘ias ph_d—as
----- nouë——mqhÒi migiës
-------ë Lißouan : _k--------ë
--------ë—jhÒ---------ë
—fir#'iw´n„ koran . -------ë
20 kal—a:fi:de¶_in ar---------ë
. ëhan@» .n t‘ikt--------ë
---ë.teketo t . --------ë
-----ë...ë..--------ë
91 Les données chiffrées qui suivent portent sur les 3 passages des papyrus cités (qui sont les
mieux conservés et donc les plus représentatifs).
136 GUY VOTTÉRO
2/8) ; trois apostrophes (<31>, 2/4/14) ; un esprit (<31>, 16), neuf accents
(<31>, 2/3/4/10/15… ; soit moins de la moitié des mots), cinq indications
de quantité (<31>, 2/5/11/19/21?), deux trémas (indiquant une diérèse,
<31>, 2), deux lettres superscrites (e—pn, <31>, 9 ; f:i, <31>, 20), et aucune
scholie.
92 On peut sans doute s'interroger sur l'absence d'annotations pour des formes telles que :
qëeremen (<26>, 20), Deus pateir (<28>, 13), ghan (<28>, 39 ; <31>, 8/21), th
(<28>, 22), qëwnh (<28>, 51), ou, au contraire, sur la présence d'accents pour des termes
'transparents' comme : Kr'onw (<26>, 15), ‘etëatton (<26>, 20), gen‘etwr (<28>, 38) ; en
fait les deux premiers exemples sont attestés dans la littérature (lyrique dorienne ou Aristo-
phane + formule religieuse), les trois suivants illustrent un 'béotisme ordinaire' (AI --> H) ;
pour la deuxième catégorie je n'ai pas d'explication précise, hormis le zèle du copiste (?).
93 Cf. Hermann, Bonfante.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 139
- £Erm§as (<26>, 24 et <28>, 18) est la forme que les inscriptions inci-
tent à reconstituer97.
On pourra ajouter ici les deux formes verbales suivantes, qui, a
priori (même si elles ne sont pas attestées dans les inscriptions), pré-
sentent une phonétique compatible avec celle du béotien98 :
- a^iÒomenan (<31>, 2) : la diérèse marquée par le tréma sur i
correspond à ce que l'on attend (*aweid- —> a-i:d-)
- eÒgenn@'aÒon_j` (<28>, 23) : la forme du préfixe et la graphie
tardive de la désinence (-nj è pour *-ntai) sont dialectales ;
— Faux béotismes (= formes poétiques "habillées à la béotienne") :
- #ag'—e—irw (<28>, 25) : ce terme n'apparaît pas dans les inscriptions,
il est donc difficile d'arriver à une certitude ; mais une contraction en
finale de voyelles de timbre a et o n'est pas caractéristique du dialecte
béotien99 ; il vaut mieux partir directement de la forme épique èag'hrw
(cf. Homère, Hésiode) "béoticisée" par substitution de EI à H ;
- ghan, ghan, . ëhan (<28>, 39, <31>, 8/21) sont des formes
épiques "béoticisées", le radical dialectal étant ga- (cf. gas, <28>, 35)
- geg'ajei/en‘epein (<26>, 28 ; <28>, 34) sont des formes épiques (cf.
l'absence d'augment pour l'une, le radical et la désinence pour l'autre)
avec surcaractérisation graphique : on attendrait la graphie EI (pour
*E/H primitif représentant *e: et *e + e) ; l'aboutissement I de l'évolu-
tion est attesté dans les inscriptions de la fin du 3e s., mais ne se ren-
contre pas en dehors de ces deux cas dans les papyrus retrouvés ;
- dzajei. (<26>, 13) n'est pas béotien (malgré son d-) ; il est
emprunté à la langue poétique (Homère, Hésiode, Pindare…) et a été
"béoticisé" par la substitution de d à z, sur le modèle de Deus =
Ze'us…
- fide¶_in (<31>, 20) relève de la langue poétique "béoticisée" par
adjonction d'un f, la forme béotienne attendue étant fidemen ;
100 On distingue par ce terme une langue poétique mêlée de traits linguistiques divers, mais à
coloration dorienne (en @a), différente de la koinè épique à coloration ionienne (en h).
101 Cf. Cl. Brixhe, Phonétique et phonologie du grec ancien. I Quelques grandes questions,
25-92 (Louvain-la-Neuve, 1996) ; Vottéro 2006, 136-137.
102 Cf. les graphies des inscriptions : Paeidi (Cabirion, 5ed) ; Kaßiru kh Paidi… (ibid.,
3epm) ; paillos (Lébadée, 3epm) / paeillu (Tanagra, 3ef/2ed) / paiillos (Tanagra,
3epm) ; Paillea et Paellia (même personnage, Orchomène, 3epm).
103 E.g. Homère, Hésiode, Pindare (Ol. 1, 10 ; 6, 30… ; Pyth. 3, 92/100…).
104 Cf. Vottéro G., "Le système numéral béotien", Verbum 3-4 (1994), 267 et 292 ; le dialecte
tendait donc à faire de duo un mot invariable.
142 GUY VOTTÉRO
105 Le kèam‘e (= *ka’i «em‘e) proposé par Wilamovitz (col. iv, 30, Page 16) est mal assuré :
kam‘ei‡--, mais illustrerait la même situation que k'aÒÒonjh, s'il était vérifié.
106 Cf. Bile M.-Brixhe Cl., Kratylos 1983 [1984], 125-26.
107 D'où la transcription de Dittenberger : thèutrhtiq'antw.
108 Cf. aussi Vottéro 1995, 103-110 et 115.
109 Cette forme se rencontre dans le passage 'béotien' de la pièce, mais la valeur linguistique
du témoignage d'Aristophane est incertaine (cf. Vottéro 2006, 107).
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 143
3.1.1.4. Le vocabulaire
Deux termes sont apparus dans la discussion sur la date de
Corinne, au titre non pas des graphies utilisées, mais de leur forma-
tion. Il s'agit de deux adjectifs :
— —k'—ajëektos (<26>, 29) : comme l'indique West, ce terme n'est
pas attesté avant Démosthène, Contre Midias, 3, 1 ; est-ce à dire qu'il
ne peut être plus ancien ? On constatera d'abord qu'il s'agit d'un terme
rare (le TLG en présente un peu plus de 30 exemples sur 1500 ans de
littérature environ), et c'est chez Plutarque, un des auteurs dont
l'œuvre est la mieux conservée, qu'il est le plus représenté (8 ex.). Or
il est difficile de s'appuyer sur des données très partielles ou rares
pour arriver à une certitude (cf. supra § 2.3).
Par ailleurs l'adjectif dérivé kajektik'os apparaît à 3 reprises chez
Aristote110, contemporain de Démosthène ; or c'est dans la 2e moitié
du 5e s. qu'à partir de l'ionien scientifique et philosophique se répand à
Athènes (puis en attique et, de là, dans les autres dialectes) la mode
des adjectifs dérivés en -ik'os111 ; il faut donc vraisemblablement
faire remonter la date d'emploi du simple kajekt'os au moins à la fin
du 5e siècle.
— Le composé lig_ourokwtiël- (<31>, 5 ; <7>) n'est pas néces-
sairement un composé déterminatif (cf. supra p. 130) ; il peut s'agir
d'un composé copulatif112 ("dvandva") signifiant "[de mes accents]
babillards et mélodieux".
113 Mais le sens exact et l'étymologie de fer§o^ia sont encore inconnus actuellement !
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 145
114 Plus précisément 1ère moitié du 4e s. (et probablement vers 375), cf. Vottéro 1996/2.
146 GUY VOTTÉRO
e+C E E E, EI, I, H E E
*e: E, EI, I, ê EI, H, E EI, I, H, E H [8], EI [3], AI? EI, eI [2]
*ai AI, AE, A, H H, AI H, AI, EI, I, E AI [7], H [2], E* H
a+i AI, AEI AI AI, AII, AEI, AE AI , H [1] [1] H , AI [1]
[2]
115 Pour le détail des graphies des inscriptions, cf. notamment G. Vottéro, "A propos du signe
ê en béotien", in Verbum n° 3-4 (1995-96), 299-339.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 147
VII 2427)116 ;
3) dans la colonne "manuscrits", AI? et E* correspondent à un passage très
incertain (<5>) ou à des confusions graphiques d'époque très tardive (<3>) ;
4) dans les colonnes "manuscrits" et "papyrus", les chiffres entre [ ]
indiquent le nombre d'occurrences.
chrétienne, mais dont l'oeuvre n'est connue que par des scholies de date incertaine) n'a pu
avoir une connaissance directe du dialecte béotien, cf. Vottéro 2006, § 1.1.1 et 1.3.3.
118 Cf. Vottéro 1996/1, n° 48, 49, 56, p. 74 et 77. Le palmarès des Charitesia (ibid n° 63)
gravé à Orchomène au début du 1er s., à une époque où le béotien avait disparu comme
forme vernaculaire depuis près d'un siècle, présente des hyperdialectismes dus à un
mélange de faits de différentes époques (e.g. aèulafudos), mais est exempt de
confusions d'ordre dialectal.
119 Comparer An. Ox. I 346, 5-8 (pa¶ides (Iliade, A 255) : pa¶is !onoma koin4on t§‹ g'enei:
mon§hres jhluk4on t4o da¶is: …ë: o»i d’e Boiwto’i t4hn ai d‘iqjoggon e«is h
tr‘epontes, p§h^is l'egouÒin èant’i to§u pa¶is: …ë), Apollonius 87, 7-8 [= 111 C] (èall`
¡iÒws e« n t§Ì kat4a di'aÒtaÒin diair'eÒei «eÒt‘in, 7ws k‘o6ilon, p'a6is…) et Apollonius
106, 13 - 107, 17 [= 135 B - 136 C] (phdegon j‘elwÒa q‘ilhs, cf. supra § 1.1.1.1, <3>).
120 Cf. Vottéro 2006, § 1.1.1.3. Le fragment de papyrus <44>, 1, 14 présente un autre bel
exemple de "béoticisation" d'une forme homérique : epè euripuo (= *Eèur‘ipoio).
121 C'est aussi vers cette même époque qu'ont été gravés les poèmes de Julia Balbilla et qu'on
observe dans les inscriptions de Lesbos un regain d'intérêt pour l'œuvre de Sappho (cf. R.
Hodot, Le dialecte éolien d'Asie, 12, 19, 22-23, Paris, 1990).
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 149
122 Selon la relecture de West 1996 ; cette forme est bien attestée chez Hésiode, Théog.
123 Ils représentent moins de 5 % du vocabulaire et sont moins nombreux que les faux
béotismes !
150 GUY VOTTÉRO
une jeune femme tenant des deux mains un volumen, avec, à ses pieds,
un coffret à papyrus (scrinium) contenant quatre papyrus (visibles par
le dessus, cf. les précisions de la p. 169) ; au total on compte donc
cinq rouleaux, qui peuvent correspondre aux cinq livres de poèmes
que la tradition attribue à Corinne (cf. la Souda, § 1.2.3.9)124.
124 Cette constatation est écartée par Cupaiuolo (31-32), car "l'edizione di Corinna non
ancora aveva visto la luce" (!) ; or il y a bien eu un texte du 4e s. (cf. supra § 3.1.3.1, 1).
125 Le bas du corps manque à partir du genou.
126 N. Bonacasa, Ritratti greci e romani della Sicilia, 157, n° 224 et tav. XCII, Palerme,
1964.
127 On trouvera chez Sauron, 262-264, et Bernard, 97-118, tous les détails montrant l'intérêt
de la découverte de Coarelli.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 151
Illustrations
Légende : 1-3 : rhyton n° 47 de Nisa ; vue d'ensemble ; vue partielle de la frise ; dessin
développé de la frise (d'après G. Lecuyot), in P. Bernard
4 : fresque de Pompéi représentant Pindare, Corinne et Myrtis (?)
5 : fresque de Pompéi représentant Pindare et Corinne (?)
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 153
3.2.4. Monnaies
M. Bieber132 propose de voir sur une monnaie d'Orthagoria (près de
Stagire), représentant Artémis, l'influence de la Corinne de Silanion.
D'autre part K. Schefold133 identifie Corinne sur une monnaie de
bronze de Thespies.
4. CONCLUSION GÉNÉRALE
1) Le papyrus de Berlin et celui d'Oxyrhynchos n° 2370 contien-
nent donc, outre le texte support :
— des annotations marginales souvent pertinentes et traduisant une
réelle connaissance du dialecte béotien ; elles sont destinées à éclairer
des lecteurs non dialectophones en donnant les équivalents poétiques
ou attiques usuels, e.g. èanakthÒam' s explicitant èappaÒamenos (<
*èan(a)-paÒam-) ;
— des diacritiques (accents, esprits, macrons…) destinés à per-
mettre un décryptage du texte selon les règles de la langue poétique
ou de l'attique ; mais, comme tels, ils ne sont pas probants pour le dia-
lecte béotien ;
— des lettres superscrites, notamment ei pour i, explicitant cer-
tains usages graphiques béotiens ; ce sont aussi des aides à la lecture
selon la norme poétique ou attique ;
— de faux béotismes : p§hs, p§hdas, ghan, kaÒÒonjh, dzajei.,
qui révèlent à la fois une méconnaissance du dialecte béotien et,
pourtant, une volonté de "faire béotien", selon les normes établies par
les grammairiens (non dialectophones !) d'époque impériale.
Ces deux textes révèlent donc plusieurs niveaux de compréhension
et de connaissance de la langue de Corinne, allant de bon à mauvais,
et sont probablement issus de recopies successives, certains copistes
appliquant mécaniquement des équations graphiques avec des résul-
tats absurdes ou incohérents, tels qu'on n'en trouve que dans les
inscriptions béotiennes tardives et gravées hors de Béotie.
2) Le texte de Corinne tel qu'il nous apparaît dans ces deux papyrus
ne peut être ancien ; son intérêt essentiel est de procurer une connais-
sance bien plus complète de l'œuvre de Corinne que les fragments
livrés par les manuscrits.
Il traduit aussi un regain d'intérêt à l'époque impériale pour une
poésie oubliée (et c'est un aspect du goût archaïsant manifesté chez les
poètes latins, cf. supra § 1.2.3.1/2).
Son intérêt dialectal est en revanche très faible, puisque le texte
actuellement lisible mêle à quelques éléments béotiens indiscutables
des faits appartenant à la koinè épique ou à la koina lyrique, ainsi que
des éléments encore obscurs pour nous, voire aberrants.
REMARQUES SUR LES GRAPHIES ET LA LANGUE DE CORINNE 155
134 "Apollonius n'est pas compris par les grammairiens au nombre des auteurs dont ils ont
donné la liste, parce qu'Aristarque et Aristophane, qui étaient les juges des poètes, n'ont
fait mention d'aucun écrivain de leur temps".
156 GUY VOTTÉRO
BIBLIOGRAPHIE