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UNIVERSITE OMAR BONGO REPUBLIQUE GABONAISE

************* Union-Travail-Justice
**********
FACULTE DE DROIT
ET DES SCIENCES ECONOMIQUES
**************
DEPARTEMENT DE DROIT PRIVE
**************
ANNEE ACADEMIQUE

2023-2024

COURS D’INTRODUCTION
A L’ETUDE DU DROIT ET THEORIE
GENERALE DU DROIT

Pr ETIENNE NSIE
Agrégé de droit privé
Faculté de Droit et des Sciences Economiques
Université Omar BONGO
Professeur invité à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Professeur invité à l’Université de Yaoundé II SOA

Notes de cours d’introduction à l’étude du droit et théorie générale du droit.


Pr Etienne NSIE, Agrégé de droit privé. FDSE – UOB/2023-2024. Reproduction et diffusion interdites
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INTRODUCTION

Phénomène et manifestations du droit – Le cours vise à expliquer le


phénomène du droit dans sa diversité, ce qui revient à expliquer le droit (droit
objectif) et les droits (droits subjectifs). Le droit et les droits se manifestent dans
la vie quotidienne des personnes, sans que celles-ci puissent dire réellement ce
qu’est le droit.

Définition du droit – Le mot droit vient du terme latin directum ou directus qui
veut dire direct ou sans détours. Par nature polysémique, le mot droit a
généralement deux sens qui permettent de rendre compte de la globalité du
phénomène juridique.

Compréhension du phénomène juridique – Pour une bonne compréhension de


ce phénomène, il est nécessaire de comprendre les concepts, les catégories et les
raisonnements juridiques, de comprendre le langage du droit qui peut être le
langage usuel ou un langage juridique spécifique. C’est cette connaissance qui
permet de comprendre que l’objet du droit est de délimiter les droits. Autrement
dit, comprendre le phénomène juridique, c’est comprendre que l’objet de la
règle de droit est de délimiter les droits des personnes. En d’autres termes, il
s’agit de comprendre que c’est le droit objectif qui prévoit l’existence et délimite
les droits subjectifs.

Complémentarité entre droit objectif et droits subjectifs – Ce rapport entre le


droit et les droits met en exergue la nécessaire complémentarité entre les deux
sens du mot droit, c’est-à-dire entre le droit envisagé comme une règle régissant
les rapports des hommes dans la société et le droit conçu comme des
prérogatives individuelles reconnues aux personnes et dont elles peuvent se
prévaloir dans leurs rapports avec les autres personnes.

Plan – Pour cette raison, le cours sera articulé autour de la nécessaire


complémentarité entre le droit et les droits, c’est-à-dire entre le droit objectif (1re
partie) et les droits subjectifs (2e partie).

Notes de cours d’introduction à l’étude du droit et théorie générale du droit.


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1re partie : Le droit objectif

Définition du droit objectif - Le droit objectif est l'ensemble des règles


juridiques applicables aux membres du corps social. En d'autres termes, afin de
faciliter l'établissement des rapports entre les différentes composantes de la
société, il existe au-dessus d'elles des règles de conduite auxquelles elles doivent
se référer. Leur finalité est, en effet, de dire à l'Homme ce qu'il peut ou doit
faire, et de lui interdire ce qu'il ne peut ou ne doit faire.

Diversité des règles d’organisation sociale - Cependant, il existe, en dehors de


la règle de droit, de nombreuses autres règles de conduite sociale. Ces règles ne
font pas partie du droit objectif. En conséquence, pour déterminer le contenu du
droit objectif, il convient de bien cerner la notion de règle de droit (titrte1). Dès
lors que la notion sera circonscrite, il conviendra d’étudier les modes de
formation du droit objectif, c’est-à-dire les sources de la règle de droit (titre 2).

Titre 1 : La règle de droit

Identification et compréhension de la règle de droit - Il existe une variété de


règles destinées à régir la vie en société. Parmi ces règles figure la règle de droit.
Son identification parmi les autres règles d’organisation sociale (chapitre 1) est
nécessaire à sa compréhension (chapitre 2).

Chapitre 1 : L’identification de la règle de droit

Caractères et distinction - Pour identifier la règle de droit parmi les autres


règles d’organisation sociale, il convient de faire ressortir ses caractères (section
1). C’est en se fondant sur ses caractères que l’on pourra distinguer la règle de
droit des autres règles d’organisation sociale (section 2).

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Section 1 : Les caractères et les fonctions de la règle de droit

Plan – La règle de droit présente certains caractères (§1) et remplit certaines


fonctions (§2).

§1 : Les caractères de la règles de droit

Plan - Que l’on prenne le droit gabonais d’essence nationale ou le droit de


l’intégration, la juridicité de la règle de droit apparait dans son caractère général
et abstrait (I) et dans son caractère obligatoire (II).

I : Le caractère général et abstrait de la règle de droit

Plan - La règle de droit a un caractère général et abstrait qu’il convient de


définir (A). On réalisera qu’il faut relativiser ce caractère car d’autres règles de
conduite sociale ont aussi un caractère général et abstrait (B).

A : La définition du caractère général et abstrait

Généralité de la loi - Si le droit peut trouver son origine dans un cas particulier,
la règle de droit n’a pas pour fonction de régir des situations particulières. Cela
signifie que la loi doit être la même pour tous. Non seulement elle s’applique sur
l’ensemble du territoire national, mais elle régit en outre tout le corps social.

Fondement du caractère général - Le caractère général de la règle de droit se


déduit du principe d’égalité des citoyens devant la loi consacré au Gabon par les
articles 2 de la constitution, 6 de la déclaration des droits de l’homme et du
citoyen et 3 de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Ces
textes constituent une garantie contre l’arbitraire ou des discriminations de
toutes sortes.

Les manifestations linguistiques du caractère général - Puisque la loi est la


même pour tous, elle est rédigée en des termes généraux qui induisent
l’application à tout le corps social. La généralité de la loi se manifeste,
concrètement, par l’usage de termes impersonnels, de pronoms ou d’adjectifs
indéfinis comme « tous », « chacun », « ceux », « quiconque ».

Illustration du caractère général dans la constitution - On peut à cet égard


citer l’article 2 de la constitution aux termes duquel « Tous les citoyens sont
égaux devant la loi » ou l’article 10 du même texte selon lequel « Sont éligibles
à la Présidence de la République tous les gabonais des deux sexes jouissant de
leurs droits civils et politiques ».

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Illustration du caractère général dans les autres textes - Même lorsque la loi
s’applique à des catégories particulières de personnes, d’actes ou de biens, elle
conserve son caractère général et abstrait à l’égard de ces catégories désignées
selon des critères objectifs comme l’âge, le sexe ou la profession. Par exemple,
l’article 2 de l’Acte uniforme sur le droit commercial général indique que « Est
commerçant celui qui fait de l’accomplissement d’actes de commerce par nature
sa profession».

Droit de l’intégration - Les Actes uniformes de l’OHADA et les règlements de


la CEMAC présentent aussi un caractère général, dans les mêmes termes que le
droit d’essence nationale.

La permanence de la règle de droit - Outre son caractère général et abstrait, la


règle de droit est aussi une règle permanente. Elle est appliquée dès son entrée
en vigueur jusqu’à son abrogation.

Les décisions individuelles - En raison de son caractère général abstrait et de sa


permanence, la règle de droit se distingue des décisions individuelles. Ces
décisions, qui peuvent prendre la forme d’un arrêté de nomination s’appliquent à
des personnes nommément désignées. Il en est de même des décisions en droit
OHADA et des Actes additionnels individuels en droit CEMAC.

Relativité du caractère général - Toutefois, le caractère général et abstrait de


la règle de droit doit être relativisé car les autres règles d’organisation sociale
présente aussi un tel caractère.

B : La relativité du caractère général et abstrait

Rétrécissement du domaine de la règle de droit - Il existe de nos jours une


inflation législative qui aboutit à un rétrécissement du domaine de la règle de
droit. Ce rétrécissement se matérialise par des conditions particulières qui sont
imposées par le législateur pour l’application de la loi. De la sorte, la règle de
droit peut s’adresser à des catégories de plus en plus particulières au point de
perdre son caractère général et abstrait. Entre autres exemples, on peut citer
l’émiettement de la réglementation de la vente en de multiples règles concernant
spécifiquement les consommateurs.

Caractère général des autres règles d’organisation sociale - Par ailleurs, le


caractère général et abstrait de la règle de droit est relatif car le autres règles
d’organisation sociale sont aussi générales et abstraites. Il en est ainsi des règles

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morales et religieuses qui visent l’homme dans son rapport personnel ou en
fonction de ses croyances.

Transition - De tout ceci, il résulte que le caractère général et abstrait n’est pas
déterminant pour identifier la règle de droit. Il doit être combiné avec le
caractère obligatoire.

II : Le caractère obligatoire de la règle de droit

Plan - La définition du caractère obligatoire (A) conduira à se prononcer sur sa


portée (B).

A : La définition du caractère obligatoire

Fondement du caractère obligatoire - La règle de droit est un ordre donné à


tous les membres du corps social qui doivent s’y conformer. Elle est obligatoire
à tous ceux auxquels elle s’applique. Ce caractère obligatoire est fondé sur le fait
que la règle de droit ordonne ou défend. Est ainsi exprimée l’idée d’obligation
que l’on retrouve par exemple dans l’article 211 du code civil qui oblige chacun
des futurs époux à consentir personnellement au mariage au moment de sa
célébration ou dans l’article 219 du même code qui fait obligation à l’officier de
l’état civil de rendre public le projet de mariage, c’est-à-dire de publier les bans,
avant la célébration du mariage.

Règles supplétives de la volonté - Toutefois, si ordonner et défendre revient à


imposer, la règle de droit n’est pas toujours impérative. Il existe en effet des
règles supplétives ou interprétatives de la volonté des parties. Les règles
supplétives de la volonté ne s’appliquent que si les citoyens ne les ont pas
écartées. Le degré d’impérativité n’est plus le même puisque les lois
impératives, à la différence des lois supplétives de la volonté, ne peuvent être
écartées par des conventions contraires.

Soumission de l’Etat à la règle de droit - Le caractère obligatoire de la règle


de droit ne concerne pas que les particuliers. Il s’applique aussi à l’Etat et à ses
démembrements qui doivent exercer leurs attributions conformément à la loi.

Sanction du non-respect de la règle de droit - Pour garantir son respect, la


règle de droit est nécessairement assortie d’une sanction à l’égard de ceux qui
n’auront pas respecté l’ordre ou la prescription légale. Cette sanction a une
nature juridique car elle est nécessairement appliquée par l’Etat. Elle ne peut
être mise en œuvre par les particuliers car la société rejette l’idée de vengeance

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ou d’une justice privée appliquée par les particuliers eux-mêmes. Pour l’exercice
de ce pouvoir de contrainte, l’Etat peut d’ailleurs recourir à la force publique.

Sanction préventive ou répressive - La sanction de la violation de la règle de


droit peut être préventive ou répressive. Elle peut frapper les personnes ou les
actes conclus en toute illégalité. Dans tous les cas, la sanction peut consister en
une exécution forcée, en une réparation sous la forme de dommages et intérêts
ou en une peine pénale qui peut être une amende ou une peine
d’emprisonnement.

Droit de l’intégration – Comme le droit d’essence nationale, les Actes


uniformes de l’OHADA et les règlements de la CEMAC ont aussi un caractère
obligatoire. Ce caractère obligatoire est mis en exergue par le principe de la
supranationalité résultant de l’article 10 du traité OHADA et de l’article 44 du
traité CEMAC. La supranationalité du droit de l’OHADA est reprise dans
chaque Acte uniforme OHADA. Il en est de même dans les règlements
CEMAC.

B : La portée du caractère obligatoire

Relativité du caractère coercitif - Le caractère coercitif de la règle de droit doit


cependant être relativisé. En effet, les autres règles d’organisation sociale que
sont la morale et la religion sont aussi assorties de sanctions. La différence vient
alors de ce que la sanction de la morale et de la religion ne sont pas étatiques.
Seule la sanction du droit est organisée par l’Etat. Pour appliquer la sanction du
non-respect de la règle de droit, les citoyens ont recours aux juges étatiques qui
peuvent requérir la force publique pour imposer l’application de la sanction.

Définition synthétique de la règle de droit - A partir des éléments ci-dessus


exposés, on peut définir la règle de droit comme une règle de conduite sociale,
générale, abstraite et permanente dont le respect est assuré par l’autorité
publique, plus particulièrement par le pouvoir exécutif. Combiné au caractère
général et abstrait, le caractère obligatoire permet d’affiner la distinction entre le
droit et les autres règles d’organisation sociale. D’ailleurs, ce caractère
obligatoire constitue l’une des fonctions de la règle de droit.

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§2 : Les fonctions de la règle de droit

Les quatre fonctions de la règle de droit - La règle de droit remplit quatre


fonctions. En effet, le droit objectif organise, impose, propose et exprime.

I : La fonction organisationnelle

L’organisation des rapports juridiques - La première fonction de la règle de


droit est d’organiser la société, de définir les rapports juridiques qui peuvent
s’instaurer entre les membres du groupe social ou entre ces derniers et les biens.
Ainsi :

- les rapports familiaux sont organisés par le droit de la famille ;


- les biens sont régis par le droit des biens ; les contrats par le droit
des contrats.

II : La fonction d’imposition

Les lois impératives - La deuxième fonction de la règle de droit est d’imposer.


Cette imposition se fait par le biais de lois impératives, c’est-à-dire de lois dont
les particuliers ne peuvent écarter l’application. Il en est ainsi des lois qui
protègent l’ordre public ou les bonnes mœurs.

Manifestation du caractère impératif - Le caractère impératif d’une loi se


manifeste par l’usage d’expression comme « nonobstant toute clause contraire »,
« toute clause contraire est réputée non écrite ».

III : La fonction de proposition

Des modèles d’organisation sociale - La troisième fonction de la règle de droit


est de proposer un ou plusieurs modèles de conduite en société parmi lesquels
les individus vont choisir.

Les lois supplétives - Ainsi en est-il des lois supplétives qui se manifestent par
l’usage d’expression comme « sauf stipulation contraire des parties », « à moins
que les parties n’en disposent autrement ». Elles ne sont applicables qu’autant
que les parties n’y ont pas renoncé expressément. Par exemple, dans le principe,
le contrat se forme par le seul échange des consentements.

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IV : La fonction expressive (expression des valeurs)

L’expression des valeurs - Enfin, la quatrième fonction de la règle de droit est


d’exprimer des valeurs que la société fait sienne et qu’elle entend protéger. Ces
valeurs sont exprimées dans des textes à portée universelle ou régionale comme
la déclaration des droits de l’homme et du citoyen ou la charte africaine des
droits de l’homme et des peuples, qui sont repris et consacrés par la constitution.

Illustration dans la constitution - Exemple, le préambule de la charte


considère que la liberté, l’égalité, la justice et la dignité sont des objectifs
essentiels à la réalisation des aspirations légitimes des peuples africains.

Section 2 : La distinction entre la règle de droit et les autres règles


d’organisation sociale

Plan - La règle de droit doit être distinguée des autres règles d’organisation
sociale comme la règle morale (§1) et la règle religieuse (§2).

§1 : La règle de droit et la règle morale

Distinction et interférences entre le droit et la morale - Le droit et la morale


offrent aux individus des règles et principes destinés à régir leurs vies et leurs
comportements. Mais les deux règles se distinguent (I), même si l’on note des
interférences entre les deux règles (II).

I : La distinction entre les deux règles

Différence d’objectifs et de finalités - Certes, le droit et la morale offrent aux


individus des règles et principes destinés à régir leurs vies et leurs
comportements. Mais les deux règles se distinguent en raison de la différence
d’objectifs qu’elles poursuivent. Celle-ci se reflète dans la forme et la teneur de
chaque règle. Cela tient essentiellement une différence de finalité (A) qui induit
que le contenu des deux règles est différent (B).

A : La différence de finalité entre le droit et la morale

Finalité sociale du droit - L’objectif du droit est restreint car il vise


l’organisation de la société. Les règles de droit poursuivent cet objectif. De ce
point de vue, le droit s’intéresse aux actes extérieurs de l’homme en lui imposant
des devoirs. Certes, le droit s’intéresse aussi aux pensées de l’homme. Mais

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celles-ci doivent être extériorisées, ce qui signifie qu’il doit y avoir un
commencement d’exécution pour qu’elles soient saisies par le droit.
Finalité individuelle de la morale - En revanche, l’objectif de la morale est
plus vaste que celui du droit. En effet, la morale ne contente pas, comme le
droit, d’organiser la société. Elle impose à l’homme des devoirs plus importants
que ceux quoi découlent de la règle de droit. La morale guide l’homme sur le
terrain de la recherche du bien, ce qui va bien au-delà de la simple organisation
de la société.
Le domaine du droit - En d’autres termes, à la différence de la morale, le droit
se meut dans la sphère géopolitique, ce qui veut dire que son domaine (ou
champ d’application) est limité aux frontières d’un Etat, d’une fédération d’Etats
ou d’une organisation supra-étatique.
Le domaine de la morale - Au contraire, les frontières de la morale s’étendent
au-delà de la sphère géopolitique. Il en résulte que si le droit s’intéresse au
perfectionnement de l’organisation sociale, la morale, en revanche, a trait au
perfectionnement des consciences.
Illustrations de cette différence de finalité - Cette différence de finalité entre
les deux règles conduit parfois la règle de droit à s’écarter de toute considération
morale. Des illustrations de cette dissociation entre les deux règles se
rencontrent par exemple en ce qui concerne la prescription extinctive et
l’obligation alimentaire.
La prescription extinctive - S’agissant de la prescription, le droit interdit, passé
un certain délai, de poursuivre en justice l’auteur d’un acte délictueux. C’est la
prescription extinctive qui fait perdre à un acte son caractère juridiquement
répréhensible, lorsqu’un certain laps de temps s’est écoulé. Pourtant, d’un point
de vue moral, cet acte reste toujours délictueux. A la différence du droit, la
morale ignore donc la prescription extinctive.
La prescription acquisitive - La morale méconnaît aussi la prescription
acquisitive. En droit, la prescription acquisitive permet à une personne de
devenir titulaire d’un droit ou propriétaire d’un bien qui appartenait à autrui. Il
suffit, pour ce faire, que la personne exerce le droit ou détienne la chose de
façon prolongée. C’est donc que la possession prolongée est du point de vue
juridique un mode d’acquisition de la propriété d’autrui. Il y a ainsi
dépossession d’autrui, ce que n’admet pas la morale.
L’obligation alimentaire - En ce qui concerne l’obligation alimentaire, force
est de constater que si le droit admet l’existence d’une obligation alimentaire
entre ascendants et descendants, en revanche, il n’en prévoit pas entre
collatéraux. Autrement dit, la règle de droit commande qu’il y ait une obligation
d’entraide réciproque entre parents et enfants. En donnant naissance à un enfant,

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les parents s’engagent à pourvoir à ses besoins. Le droit rétablit l’équilibre en
mettant à la charge des enfants une obligation alimentaire à l’égard des parents
lorsque ceux-ci sont dans le besoin. Mais, il n’impose pas d’obligation
alimentaire entre collatéraux, c’est-à-dire principalement entre frère et sœur,
oncle et neveu, nièce et tante. L’obligation alimentaire entre frère et sœur est
laissée à la conscience de chacun. Seule la morale commande d’aider son frère
en difficulté.

B : La différence de contenu entre le droit et la morale


Le contenu du droit et de la morale - Outre l’importante différence de finalité,
les domaines du droit et de la morale se distinguent aussi quand on s’intéresse au
contenu de chaque règle. En effet, le contenu de la règle peut révéler son
appartenance au droit ou à la morale.
Illustration du contenu du droit en matière pénale - Ainsi de l’article 264 du
code pénal aux termes duquel « quiconque donnera en mariage coutumier ou
épousera coutumièrement une fille non consentante ou âgée de moins de 15 ans
sera puni d’un emprisonnement de un (1) à cinq (5) ans ». Le caractère juridique
de cette règle apparaît avec la force de l’évidence car en même temps que le
législateur interdit un comportement (donner ou épouser à la coutume une fille
non consentante ou âgée de moins de 15 ans), il prévoit la peine applicable en
cas d’inobservation de cette prescription (1 à 5 ans d’emprisonnement).
Illustration du contenu du droit en matière commerciale - Ainsi encore en
matière commerciale où l’article 10 de l’acte uniforme relatif au droit
commercial général prohibe l’exercice du commerce à toute personne ayant fait
l’objet d’une interdiction définitive générale ou temporaire. L’article 12 du
même acte uniforme prévoit que les actes accomplis par l’interdit sont
sanctionnés par l’inopposabilité aux tiers de bonne foi. Le contenu de cette règle
est incontestablement juridique.
La finalité du contenu du droit - Dans ces deux cas, le législateur ne recherche
pas le bien de l’individu mais organise la société. Tel n’est pas le cas du
précepte selon lequel « tu honoreras ton père et ta mère ». Il s’agit, à n’en point
douter, d’une règle morale dont la finalité est le perfectionnement de l’individu.
Conclusion - En définitive, la différence entre le droit et la morale tient au fait
que la règle de droit ne recherche pas le bien ou le perfectionnement intérieur de
l’homme. Il n’a comme finalité que d’organiser la société. Il en résulte que le
droit est moins contraignant que la morale. Cela s’explique par le fait que le
droit n’impose que des règles nécessaires à l’organisation des rapports humains.
Dans cette organisation, il impose des devoirs mais offre aussi des droits à tout
individu. L’inobservation de ces droits et devoirs peut donner lieu à sanction. De

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ce point de vue, le droit est plus contraignant que la morale car il est plus
fortement sanctionnateur que la morale. Il apparaît en effet que les sanctions des
deux règles diffèrent fondamentalement.
Différence de sanction entre les deux règles - Comme la règle de droit, la
règle morale est assortie d’une sanction. La différence de la sanction de
l’inobservation de chacune des deux règles tient plutôt à la nature de cette
sanction. En effet, la sanction externe ou hétéronome du droit contraste avec la
sanction interne ou autonome de la morale.
Sanction externe ou hétérénome du droit - La sanction du droit est externe ou
hétéronome parce que nul ne peut être juge et partie. Les actes juridiquement
répréhensibles sont jugés et sanctionnés par autrui, c’est-à-dire par la
collectivité. Plus spécifiquement, la sanction du non-respect de la règle de droit
est prévue, organisée par la loi et appliquée par le juge, au besoin en ayant
recours à la force publique. Autrement dit, la sanction de la règle de droit est
édictée par l’autorité publique. Pour sa mise en œuvre, il est nécessaire
d’engager des poursuites devant le juge qui l’appliquera si les conditions fixées
par la loi sont réunies.
Nature de la sanction du droit - La sanction du droit peut frapper les personnes
ou les actes. Ce peut aussi être une sanction pénale ou civile.
Illustrations de la sanction en matière pénale - Ainsi, lorsqu’un individu se
rend coupable de vol, il sera puni conformément à l’article 292 du code pénal
d’une peine d’emprisonnement de six mois au moins et de cinq ans au plus et
d’une amende d’un montant maximum de un (1) million de francs CFA. Cette
sanction pénale sera prononcée par la chambre pénale du Tribunal de Première
Instance et appliquée sous le contrôle d’un juge. En matière contractuelle,
l’article 1108 du code civil ancien détermine les conditions de formation du
contrat. Lorsqu’un contrat est conclu sans que les conditions de ce texte soient
respectées, il peut être annulé par le juge. Cette sanction civile frappe non pas
les personnes comme dans le premier cas mais l’acte qu’elles ont conclu qui est
censé n’avoir jamais existé.
La sanction de la morale - Ces caractéristiques de la sanction de
l’inobservation de la règle de droit diffèrent fondamentalement de la sanction du
non-respect de la règle morale. En effet, la sanction de la morale est interne ou
autonome. Cela signifie que chacun est juge et partie. Il appartient à l’auteur de
juger ses propres actes. Il se place alors devant le tribunal de sa propre
conscience. Il en résulte que la sanction de la morale n’intervient que chez ceux
qui se soumettent à la morale. Ceux qui refusent de s’y soumettre échappent à
toute sanction. La sanction de la morale ne fait donc pas intervenir l’autorité
publique. Pour sa mise en œuvre, aucune poursuite n’est engagée devant
l’autorité publique.
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La forme de la sanction de la morale - En outre, si la sanction de la règle de
droit se manifeste par une peine d’emprisonnement ou des dommages et intérêts,
la sanction de la morale, en revanche, prend la forme de regrets ou de remords.
Elle peut également se manifester par la réprobation de la société.
Caractère absolu de la sanction du droit - Ces constations mettent en
évidence le caractère absolu de la sanction de l’inobservation de la règle droit
qui contraste singulièrement avec la relativité de la sanction de la règle morale.
Dans un cas, le contrevenant ne peut échapper à la sanction alors que dans
l’autre la sanction n’est contraignante que pour les individus qui se soumettent à
la morale. Autrement dit, la sanction de la morale va varier en fonction des
individus. On peut ainsi constater la violation d’une règle morale sans que
l’auteur ne soit sanctionné. Toutefois, il arrive que le droit vole au secours de la
morale en transformant en obligations juridiques des préceptes moraux. Dans ce
cas, la transgression de cette règle est alors sanctionnée par l’autorité publique.
Une telle conséquence n’est possible que parce qu’il existe des points de
rencontre entre le droit et la morale.

II : Les interférences entre les deux règles

Influences réciproques entre le droit et la morale - La distinction entre le


droit et la morale n’est pas aussi tranchée qu’il y paraît de prime abord. On a
déjà montré que le droit et la morale visaient à l’organisation de la société. Les
deux règles poursuivent donc des objectifs complémentaires. Il en résulte
qu’elles peuvent exercer les unes sur les autres des influences réciproques. Ces
influences montrent, en réalité, qu’il existe des points d’intersection entre le
droit et la morale. Parfois, la morale influence le droit (A) qui influence lui-
même la morale (B).

A : L’influence de la morale sur le droit


Complémentarité entre le droit et la morale - La société ne peut pas être
organisée autour des seules règles juridiques. D’autres règles parmi lesquelles
les règles morales sont indispensables à l’organisation des rapports humains.
D’ailleurs, comme le droit, la morale vise à l’organisation de la société. De ce
point de vue, les deux règles ont un caractère général, ce qui marque
l’application à l’ensemble du corps social. La morale et le droit apparaissent
alors comme des règles complémentaires. Il s’ensuit que le droit ne peut ignorer
des préceptes qui visent à instaurer l’harmonie entre les hommes.
Illustration de la complémentarité - A cet égard, il suffit de songer aux
principes moraux les plus connus pour se rendre compte que le droit est obligé

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d’en tenir compte. Ainsi, de la prohibition par la morale du meurtre, du vol ou
de l’obligation pour les enfants d’honorer et respecter leurs père et mère. Ces
prohibitions et obligations sont reprises par le droit.
La morale rode autour du droit - C’est ce qui a fait dire à un auteur que la
morale rodait autour du droit. On réalise alors que le droit s’inspire de la morale
pour organiser la société. Le droit intègre et exprime des préceptes moraux sous
la forme d’obligations juridiques. Cette absorption de la morale par le droit peut
se réaliser directement ou indirectement.
Inspiration morale du droit - De façon directe, le droit reprend les principes
moraux en prohibant et sanctionnant les comportements qu’elle prohibe. Il
existe de nombreuses illustrations de cette absorption directe de la morale par le
droit.
Illustrations de l’inspiration morale du droit - Il suffit de songer à l’article
493 du code civil gabonais qui met à la charge de l’enfant, à tout âge,
l’obligation d’honorer et de respecter ses père et mère et autres ascendants. Que
l’on songe aussi, en matière contractuelle, aux articles 6, 1133 et 1134, alinéa 3,
du code civil ancien. Le premier de ces textes interdit de déroger par des
conventions particulières aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes
mœurs. Le second texte annule les contrats qui ont une cause immorale. Quant
au dernier, il exige que les conventions soient exécutées de bonne foi. Le droit
reprend ainsi les notions de bonnes mœurs et de bonne foi qui ont une forte
coloration morale parce qu’elles renvoient aux idées de loyauté et sincérité dans
les rapports humains.
Les références implicites à la morale dans la règle de droit - Il arrive aussi
que le droit se réfère à la morale sans le dire expressément. Comme la morale, le
droit interdit par exemple de porter atteinte aux personnes ou aux biens, ce qui
conduit à prohiber et sanctionner le meurtre et le vol. De la même manière, en
droit de la responsabilité, l’article 1382 du code civil ancien oblige l’auteur
d’une faute à réparer le préjudice qu’a subi autrui du fait de cet agissement. En
droit de la famille, l’interdiction de l’adultère par l’article 266-1 du code civil
gabonais est également fondée sur l’idée de faute que le droit comme la morale
ne peut admettre dans les rapports entre conjoints.
Règles fiscales d’inspiration morale - La morale imprègne aussi des domaines
techniques comme la fiscalité dominée par l’idée d’une participation au
fonctionnement des services publics en fonction de ses facultés contributives.
Le recours à l’éthique - Aujourd’hui encore, l’inspiration morale du droit se
mesure à l’aune des questions liées à l’éthique dans divers domaines. Tel est par
exemple, en droit français, le sens des lois relatives à la bioéthique adoptées en
1994 et modifiées en le 06 août 2004. Ces lois sont dominées par les principes
moraux du respect du corps humain et de la dignité humaine. En matière
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commerciale, la morale fait aussi son entrée à travers le renouvellement des
exigences de loyauté, de solidarité ou de proportionnalité.
Relativité de l’inspiration morale du droit - Toutefois, l’inspiration morale de
la règle de droit ne doit pas être exagérée. Le droit s’inspirera de la morale en
fonction de l’évolution de la société. Il arrive, en effet, qu’un précepte moral soit
adopté ou rejeté par la loi selon l’évolution des mœurs. Tel est par exemple le
cas de l’avortement qui est proscrit au Gabon alors qu’il est admis, sous
certaines conditions, dans d’autres pays. Entrent alors en concurrence des
objectifs inconciliables comme la liberté pour la femme de choisir sa fécondité
et planifier son cycle de procréation et le droit d’un enfant à vivre. Cet exemple
montre qu’en fonction des choix opérés, le droit peut contribuer, par
l’application répétée d’une règle contredisant la morale traditionnelle ou
commune, à faire évoluer la morale.
B : L’influence du droit sur la morale
Evolution de la morale sous l’influence du droit - Si la morale influence le
droit en ce qu’elle constitue une source d’inspiration pour le législateur, il reste
que le droit exerce aussi son influence sur la morale. Cette influence permet à la
règle de droit de faire évoluer la règle morale.
Réformes législatives d’inspiration morale - Il arrive, en effet, que le
législateur initie des réformes qui vont à l’encontre de la morale traditionnelle.
Au moment de son entrée en vigueur, la loi contredit alors la morale. C’est par
l’application répétée d’une telle loi que le corps social admet finalement
l’évolution des mœurs induite par la nouvelle législation.
Illustrations - De nombreuses illustrations de cette action du droit sur la morale
peuvent être recherchées dans l’admission du divorce, la légalisation de
l’avortement dans certains Etats, l’égalisation des droits entre enfants naturels,
même adultérins, et enfants légitimes à une époque où la société était hostile à
de telles réformes. On peut aussi citer des exemples plus récents liés à
l’admission par le législateur français du concubinage homosexuel en 1999
voire, dans certains pays, du mariage homosexuel. Ces exemples montrent que
l’union matrimoniale, c’est-à-dire le mariage, n’est plus le seul mode
d’organisation de la vie familiale et qu’il est désormais possible de l’envisager
en dehors du lien matrimonial, même entre personnes de sexe identique.
D’ailleurs une autre évolution de la morale est actuellement perceptible. Elle
concerne l’aspiration de plus en plus grande des couples homosexuels à
l’adoption.
Création de la morale par le législateur - Le législateur ne se contente pas de
faire évoluer la morale. Il lui arrive parfois de la créer. C’est dans ce sens qu’il
faut comprendre la prolifération de comités d’éthique dans le domaine de la
médecine avec les lois françaises adoptées en1994 et modifiées le 06 août 2004
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sur la bioéthique. Ces lois mettent en exergue le principe fondamental du respect
du corps humain. Ces comités d’éthique se rencontrent aussi en droit des affaires
où ils mettent à la charge des professionnels une obligation de loyauté dans les
transactions commerciales.
Droit facteur d’évolution de la morale - Ces exemples montrent que le droit
est un facteur d’évolution de la morale sociale et qu’il se transforme plus
rapidement. Dès lors que la morale ne peut, en raison des pesanteurs et des
freins sociaux, porter les aspirations d’une partie de la société, le droit vient à
son secours en imprimant un caractère juridique à l’idéal que recherche
l’homme. Dès lors se construit, à l’initiative du législateur, une nouvelle morale
que les individus sont tenus de respecter. La fusion entre la règle de droit et la
règle morale atteint alors son apogée.

§2 : La règle de droit et la règle religieuse

Définition de la règle religieuse - La religion s’analyse comme un système de


croyances qui conduit l’Homme ou une collectivité d’hommes à adorer une
divinité qui se place au-dessus de l’être humain. Comme le droit, l’existence de
la religion se matérialise par des règles assorties de sanctions à l’encontre des
croyants qui ne respectent pas les préceptes religieux.
Plan - A l’instar de la règle morale, la règle religieuse se distingue de la règle de
droit (I). Toutefois, comme pour la morale, il existe des interférences entre la
règle de droit et la règle religieuse (II).

I : La distinction entre les deux règles

Fondement de la distinction des deux règles - La distinction de la règle de


droit et de la règle religieuse est fondée au Gabon sur les dispositions de l’article
2, alinéa 1, de la constitution aux termes desquelles « Le Gabon est une
République indivisible, démocratique, laïque et sociale. Il affirme la séparation
de l’Etat et des religions et reconnait toutes les croyances, sous réserve du
respect de l’ordre public ».
Domaine des deux règles - Le droit et la religion se distinguent par le fait que si
le droit est applicable à tous les citoyens, quelles que soient leurs croyances, la
règle religieuse ne s’applique qu’à une communauté de croyants.
Les buts et les finalités des deux règles - Par ailleurs, les deux règles
poursuivent des buts radicalement différents. En effet, si le droit vise à organiser
la société, la religion, en revanche, vise la destinée et le Salut de l’Homme. La

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règle de droit s’intéresse aux actes extérieurs de l’homme quand la règle
religieuse tend à régir la relation de l’homme avec la divinité.
Caractères de deux règles - Cette relation confère à la règle religieuse un
caractère intérieur car elle s’applique sur un territoire indéterminé. A l’inverse,
la règle de droit a un caractère externe puisqu’elle s’applique sur un territoire
donné. Cette différence de caractère est en réalité la conséquence d’une
différence de finalité entre les deux règles. La religion, sans aucune
considération géographique, régit la relation de l’homme avec la divinité alors
que le droit organise une société donnée dans un espace géographique donné.
Différence de sanction des deux règles - Outre cette différence de finalité, le
droit et la religion se séparent aussi quant à leurs sanctions respectives. La
sanction du droit est organisée par l’Etat qui peut la faire appliquer au besoin en
ayant recours à la force publique. Il s’agit d’une sanction externe. En revanche
la sanction de la religion est interne, d’origine divine car elle met l’Homme en
face de son DIEU. En aucun cas, cette sanction ne peut être prononcée ni a
fortiori exécutée par une autorité étatique.

II : Les interférences entre les deux règles

Principe de non-discrimination - Si la séparation du droit et de la religion est


fondée sur l’article 2, alinéa 1 de la constitution, ce même texte permet de dire
qu’il existe des interférences entre le droit et la religion. En effet, l’article 2,
alinéa 1, de la constitution garantit le respect de toutes les croyances. A sa suite,
l’article 2, alinéa 2, de la constitution proclame l’égalité de tous les citoyens
devant la loi, sans distinction d’origine, de race, de sexe, d’opinion ou de
religion.
Principe de non-discrimination dans la constitution - Cette exigence de non-
discrimination fondée sur l’appartenance religieuse est directement tirée de
l’article 2, alinéa 1, de la DUDH de 1948 qui fait partie du bloc de
constitutionnalité. Or, la Cour constitutionnelle, dans une décision rendue en
1992 a déjà affirmé que le bloc constitutionnalité fait partie intégrante de la
constitution. Les citoyens peuvent donc se prévaloir des droits qui leur sont
reconnus dans ces textes, même s’ils n’ont pas été formellement repris dans les
lois de la République.
Principe de non-discrimination dans le code du travail - Dans le même ordre
d’idées, l’article 8 du code du travail interdit toute discrimination en matière
d’emploi et de conditions de travail fondée notamment sur la religion.
Prise en compte du fait religieux dans le code civil- Il en est de même des
articles 297 et suivants du code civil qui consacrent la séparation de corps qui

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permet le relâchement du lien matrimonial sans que ne soit prononcé le divorce.
Cette institution intéresse particulièrement les citoyens dont les convictions
religieuses interdisent le divorce.
Rapports étroits entre les deux règles - Ces exemples montrent qu’il n’existe
pas en principe d’hostilité du droit à l’égard du phénomène religieux. En effet,
ils attestent de ce que le phénomène religieux imprègne le système juridique
gabonais. Ainsi, en dépit de l’attachement à la laïcité proclamée dans l’alinéa 1
de l’article 2 de la constitution, certaines règles de droit trouvent parfois leur
fondement dans une règle religieuse. Par exemple, l’interdiction du meurtre, du
vol ou de l’adultère est une prise en compte par le droit de préceptes religieux
bien connus selon lesquels « tu ne tueras point », « tu ne voleras point » ou « tu
ne convoiteras pas la femme d’autrui ». Les articles 223 et suivants du code
pénal sanctionnent en effet l’homicide, l’article 292 du code pénal punit le vol
alors que les articles 266 du code civil, 267 et 268 du code pénal punissent
l’adultère respectivement sur le plan civil et au plan pénal.

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Chapitre 2 : La compréhension de la règle de droit

Nécessité de la compréhension du droit - L’identification de la règle de droit


parmi les autres règles d’organisation sociale ne suffit pas à en assurer la
compréhension. En premier lieu se pose la question fondamentale de la
justification de la règle de droit sur laquelle s’affrontent historiquement deux
théories. Cette question des fondements du droit (section 1) en appelle une autre
qui est relative à l’apparition de la règle de droit, c’est-à-dire au processus
d’élaboration, d’entrée en vigueur et de disparition de la règle droit (section 2).
Par ailleurs, la règle de droit ne régit pas uniformément tous les secteurs de la
vie en société. Il existe, en effet, une adaptation de la règle au secteur d’activité
concerné, ce qui renvoie à la question du contenu du droit objectif (section 3).

Section 1 : Les fondements du droit


Droit naturel et positivisme - Le caractère obligatoire est celui qui permet in
fine d’assurer le respect de la règle de droit dans une société. La question se pose
alors de savoir pourquoi, au-delà de l’existence de cette sanction, les hommes
obéissent-ils à la loi. Historiquement deux grands courants de pensées, les
doctrines de droit naturel (§1) et les doctrines positivistes (§2), se sont affrontés
pour expliquer cette nécessité de respecter la règle de droit.

§1 : Les doctrines de droit naturel

Contenu et limites des doctrines de droit naturel - Les doctrines de droit


naturel sont aussi dénommées doctrines jus naturalistes ou doctrines idéalistes.
Il convient d’en déterminer le contenu (I) et les limites (II).

I : Le contenu des doctrines

Droit naturel immuable et universel - Les doctrines de droit naturel ont été
élaborées à partir du postulat qu’au-dessus du droit positif existe un droit naturel
qui est immuable et universel. Pour les tenants de cette doctrine, les hommes
découvrent l’existence du droit naturel à partir de leur seule raison. Ce droit
naturel exprime l’idéal de justice vers lequel doit tendre le droit positif.
Obéissance et désobéissance - Les tenants de ces doctrines affirment donc que
le droit naturel inspire le droit positif qui ne peut lui être contraire. Dès lors, les
citoyens sont enclins à obéir au droit positif. Par un raisonnement a contrario,
les tenants des doctrines du droit naturel considèrent qu’il conviendrait de
désobéir aux lois injustes, parce qu’elles sont contraires à l’idéal de justice que
porte le droit naturel.
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Droit naturel religieux et laïc - Les doctrines de droit naturel se subdivisent en
droit naturel religieux et en droit naturel laïc.
Le droit naturel religieux - Le droit naturel religieux est conçu à partir des
idées développées par des philosophes comme Platon ou Aristote pour lesquels
le droit positif doit être conforme à l’ordre naturel des êtres et des choses. Pour
Aristote, c’est en observant la nature que se révèle le droit naturel, c’est-à-dire
l’ordre, l’idéal de justice, la vérité, le bien ou le respect de la parole donnée.
Ainsi le droit naturel résulte d’une convergence ces règles fondées sur la nature
humaine. Le droit positif doit alors prendre en compte ces règles parce qu’elles
permettent de réaliser l’harmonie entre les hommes et la nature.
Théorie de Saint- Thomas d’Aquin - Saint-Thomas d’Aquin ajoute la touche
religieuse à la théorie philosophique d’Aristote en distinguant plusieurs sortes de
lois. Il oppose ainsi la lex humana, c’est-à-dire le droit positif à la lex naturalis
qui est une loi universelle et intemporelle que révèlent la raison et la lex divina,
c’est-à-dire la loi révélée aux hommes par DIEU.
Origine du droit naturel - Pour Saint-Thomas d’Aquin, le droit positif résulte
d’une convention entre les hommes vivant en société alors que le droit naturel
est révélé par la nature même des choses. Enfin, il existe un droit divin résultant
de l’autorité même de DIEU. Les lois positives peuvent être contraires au droit
naturel mais jamais aux lois divines. Si tel était le cas, Saint-Thomas d’Aquin
recommande purement et simplement la désobéissance aux lois positives
injustes.
Le droit naturel laïc - Au droit naturel religieux s’oppose le droit naturel laïc
né sous la plume de Grotius, de Puffendorf, de Thomasius ou de Domat. Pour
ces auteurs le droit naturel ne nait pas de l’observation de la nature des êtres et
des choses. Il est plutôt la résultante de la prise en compte de la raison humaine.
Ce droit serait rationnel ou volontaire selon les cas. Il naîtrait de l’examen de la
conscience de l’homme.
Les prémisses du contrat social - A travers cette évolution, on voit déjà
poindre le contrat social de Jean-Jacques ROUSSEAU qui est fondé sur
l’égoïsme de l’homme. Pour ROUSSEAU, l’homme ne peut réaliser les
objectifs qu’il se fixe qu’en vivant en société avec les autres hommes, ce qui le
conduit à souscrire des engagements visant à rendre harmonieuse la vie en
société. Ainsi nait l’idée de contrat qui est fondée sur la volonté humaine qui
contracte des engagements qu’il s’oblige à respecter. C’est cette idée de la
volonté source et raison de l’exécution des engagements que l’on retrouve dans
l’article 1134 du code civil ancien selon lequel « Les conventions légalement
formées tiennent lieu de lois à ceux qui les ont faites ».

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II : La limite des doctrines de droit naturel

Critique du fondement du droit naturel - Les adversaires des théories du droit


naturel ont critiqué son fondement en faisant valoir que la diversité des hommes
et des peuples était incompatible avec l’idée de l’existence d’un droit immuable
et universel. En effet, la diversité des hommes et des peuples explique qu’il
existe des différences entre les législations et rend impossible l’existence d’un
droit immuable et universel qui transcenderait le temps et l’espace pour donner
naissance à une idée universelle du juste.

Le droit, un reflet des diversités culturelles - En conséquence, la création du


droit s’expliquerait davantage par les diversités culturelles, la variabilité et le
caractère contingent de l’idéal de justice ou les conflits d’intérêts entre les
membres du groupe social. La règle de droit trouverait moins son origine dans
une prétendue unité de la nature humaine qui secréterait des règles éternelles et
universelles fondées sur la raison et la justice.

Critique du contenu du droit naturel - Outre le fondement, le contenu du


droit naturel a aussi été critiqué par les positivistes. Pour ces derniers, le droit
naturel a un contenu trop dense et immuable alors que l’observation révèle que
le droit est le produit d’une organisation ou de l’histoire.

Relativité des critiques du droit naturel - Malgré ces critiques, il faut


reconnaitre que l’on retrouve la trace de la théorie du droit naturel dans les droits
éternels et universels reconnus aux hommes et aux peuples au-delà de leur
diversité. En effet, la théorie du droit naturel développée par Aristote ou Saint-
Thomas d’Aquin a fortement inspiré les théories libérales qui distinguent les
règles d’organisation sociale imposées par le législateur des règles découlant
d’un ordre spontané qui n’a pas été créé par l’homme.
Prise en compte des théories du droit naturel - La laïcisation des théories du
droit naturel a conduit à considérer, d’une part, que l’homme est la source du
droit naturel et qu’il en résulte des droits immuables et imprescriptibles et,
d’autre part, que le droit naturel vise à protéger des droits imprescriptibles que
l’on retrouve dans la DDHC de 1789, la DUDH de 1948, la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples de 1981 ou la Charte nationale des droits et
libertés de 1990. Tous ces instruments qui font partie du bloc de
constitutionnalité consacrent des droits immuables et universels comme la
liberté, la propriété ou la sûreté. Ces droits trouvent leur fondement dans les
théories du droit naturel.

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§2 : Les doctrines positivistes

Positivisme étatique et positivisme sociologique - Prenant le contrepied des


partisans des théories du droit naturel, les tenants des doctrines positivistes
affirment qu’il n’existe pas un droit naturel transcendant les hommes et les
peuples. Au contraire, le droit est celui qui est applicable dans un Etat à un
moment donné. Il s’agit du droit posé ou établi dont le caractère obligatoire ne
peut être recherché dans un idéal de justice qui rassemblerait les hommes et les
peuples au-delà de leurs différences. Le droit est consacré par l’Etat qui tient
compte de la culture, de l’histoire ou des mœurs. C’est cette réalité positive qui
est au fondement du positivisme étatique (I) ou du positivisme sociologique (II).

I : Le positivisme étatique

L’Etat, fondement du droit - Le positivisme étatique ou juridique a été


développé par les auteurs comme Hegel, Ihering ou kelsen. Pour ces auteurs, la
réalité positive, dans son sens étroit, conduit à considérer que le droit est fondé
sur l’Etat qui a le monopole de la force pour l’imposer comme règle
d’organisation sociale. En conséquence, le positivisme étatique ou juridique ne
s’intéresse qu’aux règles de droit qui ont été consacrées ou établies par l’Etat.
Comme l’Etat a le monopole de la force légitime, la règle de droit ne s’impose
que parce qu’elle exprime la volonté de l’Etat et non un idéal de justice qui
transcenderait les hommes et les peuples.

La théorie pure du droit - C’est particulièrement dans le normativisme de


kelsen développé dans « la théorie pure du droit » que l’on retrouve cette idée
que le droit existe sans qu’il soit besoin de références philosophique, religieuse,
sociologique ou morale. Le droit existe parce qu’il exprime la volonté de l’Etat
et l’analyse de cette règle de droit doit être entreprise sous l’angle de sa forme.

Conformité du droit à la norme fondamentale - Pour Kelsen, ce n’est pas le


contenu de la règle qui fonde sa validité mais sa conformité à la norme
fondamentale qu’il place au-dessus de toutes les autres normes. Ainsi, dans
l’ordonnancement juridique de chaque Etat, la validité d’une norme inférieure
dépend de sa régularité formelle à la norme supérieure. Comme cet
ordonnancement émane de l’Etat, c’est à l’Etat et non au droit naturel qu’il faut
identifier la norme fondamentale et, d’une manière générale, le droit positif.

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Pyramide de Kelsen - Kelsen présente cette hiérarchie entre les normes sous la
forme d’une pyramide au sommet de laquelle il place la constitution, norme
fondamentale et norme de base, au-dessous de laquelle se trouvent la loi, les
décrets, les arrêtés et les circulaires.

II : Le positivisme sociologique

Le droit, un phénomène social - Le positivisme sociologique a été développé


par des auteurs comme Savigny, Auguste Comte, Durkeim et Léon Duguit. Pour
ces auteurs qui s’inspirent de MONTESQUIEU, la réalité positive, dans son sens
large, conduit à considérer que loin d’être fondé sur le droit naturel ou sur la
volonté exprimée par l’Etat, le droit est au contraire un phénomène social ayant
sa source dans les coutumes, les mœurs ou les usages. C’est parce que le droit
tire sa source dans les coutumes, les mœurs et les usages que les hommes
s’obligent à s’y conformer. Ce ne sont pas les finalités du droit qui conduisent
les hommes à le respecter.

Critique des théories positivistes - Les théories positivistes sont critiquées. Le


positivisme étatique tend à réduire le droit à la seule loi et il est difficile de
déterminer le fondement de la norme fondamentale. S’agissant du positivisme
sociologique, il apparait que tous les faits sociaux n’engendrent pas
nécessairement une réaction univoque du droit.

Influence des différentes théories sur la règle de droit - Quoi qu’il en soit,
l’observation conduit à admettre que le droit positif est fondé sur les théories
positivistes. Le positivisme juridique est pris en compte car c’est l’Etat qui
confère à la règle de droit son caractère obligatoire. Quant au positivisme
sociologique, il préside à l’adoption et à l’interprétation de la règle de droit par
la prise en compte de la culture et des mœurs.

Section 2 : L’apparition de la règle de droit

Plan - L'apparition du droit suppose que l’on s’intéresse à son élaboration


(§1), son application (§2) et sa connaissance (§3).

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§1 : L’élaboration de la règle de droit

Plan - L’élaboration de la règle de droit est soumise à certaines conditions (I) et


fait appel à la technique juridique (II).

I : Les conditions d’élaboration de la règle de droit

Finalité de l’élaboration du droit - L’élaboration de la règle de droit vise à


organiser la société pour éviter l’anarchie qui résulterait de l’absence de règle.
Chaque législateur tient compte de cette finalité dans l’élaboration de la règle
de droit.
Haro sur l’injustice - Mais au-delà de cette prise en compte de la finalité du
droit et avant d’initier une réforme législative, les rédacteurs de la règle de droit
évaluent nécessairement l’application des lois antérieures. Ce sont les
insuffisances des lois antérieures qui expliquent l’adoption d’une loi nouvelle. A
cet égard, le législateur peut être guidé par des considérations diverses et variées
dont le but ultime est d’éviter l’injustice.
Prise en compte des sciences auxiliaires - L’atteinte de ce but conduit le
législateur à prendre en compte des sciences auxiliaires comme la sociologie
juridique, l’histoire du droit, le droit comparé, l’analyse économique du droit, la
sociologie ou la psychologie.

II : La technique juridique

Concepts et catégories juridiques - La règle de droit vise à organiser la société


et à consacrer des droits subjectifs. Pour y parvenir, le rédacteur de la règle
utilise une technique juridique qui tient compte de ce que la règle de droit n’est
pas applicable de manière uniforme à l’ensemble du corps social. De ce constat,
on déduit que le contenu de la règle de droit dépend du domaine qu’elle régit.
Mais dans chaque domaine, le rédacteur de la règle de droit identifie des
concepts et des catégories juridiques qu’il met en exergue par l’utilisation d’un
certain langage et par l’usage d’un raisonnement juridique.

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A : Les concepts et les catégories juridiques

Nature des concepts - Les concepts renvoient à l’idée d’une prise en compte du
caractère général et abstrait de l’objet de la règle. Les concepts sont ainsi des
constructions intellectuelles que le législateur, en fonction du but poursuivi, peut
présenter de manière plus ou claire.
Illustrations - Par exemple, le droit consacre des concepts qui constituent des
notions souples comme les bonnes mœurs ou l’ordre public. Le recours à ces
notions permet d’introduire de la souplesse dans l’application de la règle de
droit. Le passage du concept à la catégorie se réalise par l’opération de
qualification. Il s’agit de l’opération intellectuelle consistant à déterminer la
nature d’un droit ou d’un rapport de droit afin de la classer dans une catégorie
juridique existante.
Les catégories juridiques - Les catégories juridiques concourent à
l’ordonnancement scientifique de la règle de droit. Par catégories juridiques, il
faut entendre les cadres dans lesquels s’insèrent les éléments de la vie juridique.
Ces éléments de la vie juridique sont déterminés en tenant compte de leur nature
et de leurs similitudes. C’est la diversité et la variété de ces éléments qui oblige
à procéder à des définitions et des classifications. Ces catégorisations sont
essentielles car le régime juridique applicable peut varier d’une catégorie à une
autre.
Illustrations des catégories juridiques - A titre d’exemples, il existe des
catégories juridiques fondamentales comme les droits, les choses, les actes et les
faits juridiques. De même existe-t-il des catégories particulières qui sont des
sous-groupes des catégories fondamentales. On peut citer à titre d’exemples la
catégorie des droits qui se subdivisent en droit patrimoniaux et en droits
extrapatrimoniaux. Les droits patrimoniaux se subdivisent eux-mêmes en droits
réels et droits personnels. On peut encore citer l’exemple de la catégorie des
actes juridiques à l’intérieur de laquelle on distingue les actes unilatéraux et les
actes bilatéraux. Ces derniers comprennent eux-mêmes des actes à titre onéreux
et des actes à titre gratuit. On peut enfin citer l’exemple du droit pénal qui
distingue les infractions en crime, délit et contravention.

B : Le langage du droit
Langage juridique et non juridique - Les catégories sont mises en exergue à
partir de l’usage d’un langage qui peut être juridique ou non. Le langage non
juridique renvoie à tous les termes du langage commun qu’utilise le législateur
et qui n’ont pas un sens particulier en droit. La connaissance de ce langage est
nécessaire à la compréhension du droit.
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Les mots du langage commun - Mais le législateur peut aussi utiliser des mots
du langage commun ayant un sens particulier en droit. Pour la compréhension de
la règle de droit, il est alors nécessaire de connaître le sens particulier en droit.
On peut à cet égard citer les termes meuble et immeuble dont le sens dans le
langage commun ne correspond pas au sens que l’on donne à ces mots en droit.
Les mots ayant un sens juridique - Outre ces mots du langage commun, le
législateur utilise aussi un langage spécifiquement juridique. Les mots du droit
peuvent paraitre abscons pour le non-juriste ou l’étudiant qui débute des études
de droit. Il faut rechercher leur sens dans le cours, les lexiques de termes
juridiques ou le vocabulaire juridique. La consultation de cet outil indispensable
sera utile pour définir les termes et éviter ainsi un hors-sujet.
Le raisonnement juridique - Pour traduire les concepts et les catégories, le
législateur utilise le langage, juridique ou non juridique, dans un discours et
selon un raisonnement spécifique. La spécificité du discours juridique se
manifeste dans les qualités de clarté, de simplicité, d’intelligibilité et de
concision que l’on attend du juriste. A cet égard, la loi doit être claire, précise et
concise. Ces qualités doivent faciliter la compréhension et l’application de la
règle de droit.
Le raisonnement binaire - Cette règle est présentée selon le raisonnement
binaire qui caractérise les juristes d’expression françaises. D’une manière
générale, la règle de droit s’articule autour d’un raisonnement conditionnel. Elle
présente une hypothèse avant d’envisager les conséquences qui en résultent. Ce
raisonnement binaire est fondamental pour l’application de la règle de droit. Il
s’exprime parfois dans les dualismes suivants : principe/exception ; nature
juridique/régime juridique ; conditions/effets ; droit objectif/droits subjectifs…

§2 : L’application de la règle de droit

Plan - La règle de droit est appliquée selon un processus (I). Il peut être
nécessaire d’interpréter cette règle pour l’appliquer (II).

I : Le processus d’application de la règle de droit

Le syllogisme juridique - Généralement, le processus d’application de la règle


de droit est mis en œuvre à partir du syllogisme juridique qui consiste à
constater des faits (la mineure), à identifier la règle applicable (la majeure) et à
appliquer la règle aux faits (la conclusion). Le syllogisme juridique est ainsi
analysé comme un raisonnement déductif qui consiste à passer du droit au fait et
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des faits au droit. Cette opération de qualification est menée par l’avocat ou le
juge qui en présence d’un fait cherche à le rattacher à une catégorie juridique
afin de déterminer la solution du litige.

Illustration - A titre d’illustration, on peut citer l’article 1382 du code civil


ancien en vertu duquel « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un
dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Ce texte
constitue la majeure, la mineure renvoie à celui qui par son fait fautif cause un
dommage à autrui la mineure et la conclusion l’obligation de réparation du
dommage.

II : Les méthodes d’interprétation de la règle de droit

Exégèse et libre recherche scientifique - En pratique, le raisonnement déductif


ne s’applique pas toujours avec la force de l’évidence. Il est souvent nécessaire
d’interpréter une règle de droit obscure ou ambigüe afin de clarifier son sens et
de déterminer la solution du litige. Devant le silence du législateur, c’est la
doctrine qui a proposé les deux méthodes d’interprétation que sont la méthode
exégétique et la méthode de la libre recherche scientifique.
A : La méthode exégétique
Contenu de l’exégèse - Cette méthode a été mise en exergue par des auteurs
comme Trolong, Demolombre ou Aubry et Rau. Selon ces auteurs, le sens de la
règle de droit doit être recherché dans la règle elle-même. Le sens du droit est
contenu dans la règle de droit. Par ailleurs, comme il est communément admis
que la loi est l’expression de la volonté générale, c’est dans la loi qu’il faut
rechercher la solution aux problèmes sociaux.
Analyse grammaticale et logique de la loi - Le recours à l’analyse
grammaticale et logique permet donc à l’interprète de clarifier le sens que le
législateur a donné à telle ou telle disposition. Cette recherche de la volonté du
législateur se fait par référence aux précédents historiques dans l’hypothèse où
la loi à interpréter a été inspirée d’une loi ancienne.
Le recours aux travaux préparatoires - Outre les précédents historiques,
l’interprète s’intéressera aux travaux préparatoires qui contiennent les exposés
des motifs des projets de loi, les rapports, les procès-verbaux des groupes de
travail qui ont préparé et voté la loi. Le sens de la loi peut aussi être recherché
par l’utilisation de procédés logiques qui rapprochent le droit des sciences
exactes.

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Interprétation littérale et logique - Pour y parvenir, l’interprète procèdera à
une interprétation littérale et logique. Sont alors utilisés des arguments par
analogie, a contrario et a fortiori. De même, à partir des solutions particulières
du législateur, on induira un principe général applicable à d’autres cas, ce qui
conduira à déduire de nouvelles applications particulières. Même si ces
solutions particulières n’ont pas été initialement prévues par le législateur, elles
peuvent être déduites de la lettre et de l’esprit de la loi.
Critique de la méthode exégétique - Mais l’interprète ne doit pas faire dire au
législateur ce qu’il n’a pas voulu dire. La méthode exégétique présente, selon
ses détracteurs, un inconvénient majeur qui peut conduire l’interprète à procéder
à un forçage de la loi, ce qui revient, à partir de l’analyse grammaticale et
logique de la loi, à prêter au législateur une volonté qu’il n’a jamais eue. Ce
risque est d’autant plus élevé quand on utilise la méthode exégétique que le
législateur ne peut tout prévoir dans une loi et qu’il suffit, pour combler cette
lacune, de se référer aux travaux préparatoires qui contiennent l’exposé des
motifs des projets de lois. C’est cette carence fondamentale de la méthode
exégétique qui a conduit une partie de la doctrine à proposer la méthode de la
libre recherche scientifique.
B : La méthode de la libre recherche scientifique
Présentation de la libre recherche scientifique - Elle a été proposée par
François GENY dans un ouvrage intitulé « Méthode d’interprétation et sources
du droit privé ». Soucieux de dépasser les carences qu’il prête à la méthode
exégétique, GENY propose de ne pas nier la volonté du législateur car elle est à
la base de l’adoption de la loi. En conséquence, l’interprète doit effectivement
rechercher la volonté exprimée par le législateur. Toutefois, à la différence de la
méthode exégétique, la recherche de la volonté du législateur doit se limiter aux
cas qu’il a expressément prévus dans loi ou aux faits qu’elle régit.
Condition de recours à la libre recherche scientifique - En revanche, lorsque
la loi n’a rien prévu, il ne sert à rien de rechercher une quelconque volonté du
législateur car il y aurait un risque d’arbitraire. On pourrait ainsi découvrir une
volonté que le législateur n’a jamais exprimée et lui faire dire ce qu’il n’a jamais
dit. Pour GENY, dans l’hypothèse où le législateur n’a rien prévu, il vaut mieux
abandonner la méthode exégétique pour adopter la méthode de la libre
recherche scientifique. En application de cette méthode, l’interprète recherchera
la règle de droit applicable au cas qui lui est soumis en s’inspirant de
considérations historiques, rationnelles, d’opportunité ou d’équité.
Interactions entre l’exégèse et la libre recherche scientifique - En résumé, la
méthode de la libre recherche scientifique ne remet pas fondamentalement en
cause la méthode exégétique. Au contraire, elle la complète dans tous les cas où
le législateur n’a pas exprimé sa volonté, c’est-à-dire dans tous les cas où il n’a
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rien prévu ou lorsque la loi est inadaptée aux réalités sociales. Dans tous ces cas,
le juge dispose d’une certaine liberté non pas pour rechercher une intention
législative qui n’existe pas mais pour combler les lacunes de la loi.
Application combinée des deux méthodes - F. GENY propose donc une
application combinée des deux méthodes et l’on peut observer que le juge civil
a mis en œuvre ces préceptes en interprétant les articles 1384 et suivants du
code civil sur la responsabilité civile extracontractuelle.
Renouveau de l’exégèse - Il convient cependant d’observer qu’il y a eu un
renouveau de la méthode exégétique lié à la refonte des textes du code civil
français qui dataient de 1804. Par ailleurs, il ne semble pas que les interprètes se
soient véritablement affranchis de la loi comme le préconisait GENY.

La méthode déformante - Il apparait plutôt qu’ils ont adopté la méthode de


l’interprétation déformante ou constructive proposée par SALEILLES.
Illustration de la méthode déformante en droit des biens - Un exemple
d’application de cette méthode déformante ou constructive vient du droit des
biens avec l’interprétation de l’article 2279 du code civil ancien. Selon ce texte,
« en fait de meubles possession vaut titre ». A l’origine ce texte était
exclusivement appliqué aux meubles meublants qui existaient au moment de son
adoption. Autrement dit, lors de son adoption, l’article 2279 du code civil n’était
applicable qu’aux meubles corporels. Avec l’évolution économique sont
apparues des valeurs mobilières qui sont une variété de biens meubles. La
question s’est posée de savoir si l’article 2279 du code civil ancien était
applicable à ces biens meubles qui peuvent avoir une nature incorporelle.
Complémentarité entre l’exégèse et la libre recherche scientifique - Se
fondant sur la méthode exégétique, l’interprète a considéré que le législateur
dans l’article 2279 du code civil ancien visait effectivement les biens meubles.
Il en a déduit qu’au regard de l’évolution de l’économie, ce qui est une
référence à la méthode de la libre recherche scientifique, le texte pouvait
s’appliquer aux meubles incorporels que sont les valeurs mobilières, même si le
législateur ne l’avait pas expressément prévu. Cet exemple tiré du droit des
biens montre que la méthode exégétique et la méthode de la libre recherche
scientifique se complètent. Chaque texte doit être interprété en tenant compte de
son contexte. Ce qui conduit, d’une part, à interpréter une disposition par
rapport aux autres aux autres dispositions et, d’autre part, à prendre en compte,
si nécessaire, des considérations historiques, sociologiques ou économiques et
sociales.
Nécessité de combiner les deux méthodes - Il faut donc combiner dans
l’interprétation d’un texte loi la lettre et l’esprit. En recherchant la volonté du
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législateur, l’interprète se livre à une recherche psychologique en partant d’un
texte de loi. Mais cette recherche peut être insuffisante à découvrir le véritable
sens de la loi. Il faut y ajouter, en se fondant toujours sur une loi, la recherche
d’une cohérence des systèmes, ce qui renvoie à une interprétation logique de
cette loi.

Position des juges - Dans tous les cas, les juges, interprètes de la loi, adoptent la
méthode qui leur convient le mieux pour découvrir la ratio legis ou raison d’être
de la loi, pour découvrir le sens ou combler les lacunes de la loi, les juges
utilisent des procédés d’analyse logique dont les plus courants et les plus
importants sont les suivants :

L’argument téléologique - L’argument téléologique s’appuie sur la finalité ou


le but poursuivi par le législateur. En conséquence, la loi est interprétée en
tenant compte des conséquences qu’elle produit dans l’espèce soumise au juge.
Pour aboutir à ce résultat, le juge pourra rechercher la finalité ou le but de la loi
en analysant la loi ou les travaux préparatoires révélant l’exposé des motifs de la
loi.

Le raisonnement a pari ou par analogie - Cet argument permet d’étendre à un


cas semblable pour lequel il n’existe pas de texte, la solution dégagée par une loi
pour un cas. L’argument analogique conduit donc d’appliquer une règle de droit
à des situations identiques qui n’ont pas été prévues par le législateur.

Le raisonnement a fortiori ou à plus forte raison - En tenant compte de cet


argument, l’application d’une règle de droit est étendue à un cas non prévu par
le législateur lorsque cette solution parait adaptée à ce cas. Par exemple, pour le
protéger, la loi interdit au mineur ou au majeur incapable de vendre ses biens. A
fortiori ou à plus forte raison en est-il ainsi en cas de donation qui est un acte
plus grave que la vente.

Le raisonnement a contrario - L’argument a contrario permet d’affirmer que


si l’application d’une règle de droit est soumise à des conditions particulières, on
peut en déduire, a contrario, que la règle inverse est applicable si ces conditions
ne sont pas remplies. L’argument a contrario conduit donc à adopter une
solution inverse de celle préconisée par la loi lorsque les conditions légales ne
sont pas remplies.

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Illustration du raisonnement a contrario - A titre d’illustration, si la loi
interdit à un mineur ou un majeur incapable de vendre ses biens, elle lui permet
a contrario de les louer puisque la location n’entraîne pas une aliénation des
biens.
Les directives d’interprétation - L’interprète peut compléter l’usage de ces
arguments logiques par des directives d’interprétation coutumières formulées
sous forme de maximes. Les plus importantes de ces maximes sont les
suivantes :
Ubi lex non distngut, nec nos distinguere debemus. Il est interdit de distinguer là
où la loi ne distingue pas.
speciala Generalibus derogant. Les lois spéciales ne dérogent aux lois générales
Exceptio est strictisimae interpretationnis. L’exception est d’interprétation
stricte.
Cessante ratione legis cessat ejus dispositio. La loi cesse là où cessent ses
motifs.
§3 : La connaissance de la règle de droit

Entrée en vigueur de la loi - La règle de droit est applicable dès son entrée en
vigueur. Cette entrée en vigueur suppose que la loi soit préalable diffusée (I). On
en déduit dès lors que nul n’est censé ignorer la loi (II).

I : La diffusion de la règle de droit

La vulgarisation du droit - Pour être connue, la règle de droit doit être


diffusée, ce qui revient à la porter à la connaissance du public. C’est
généralement par l’enseignement que le droit est porté à la connaissance du
public. Généralement, cet enseignement est dispensé dans les facultés de droit.
L’apprentissage de la règle de droit est donc le moyen par excellence de la
diffusion du droit auprès d’un certain public. Cette diffusion se fait par les
publications officielles ou par dans des ouvrages ou revues juridiques.

A : Les publications officielles

La diffusion du droit par l’écrit - La diffusion du droit se fait aussi par le


recours à l’écrit qui peut prendre plusieurs formes. En premier lieu, le droit peut

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être diffusé par le biais du journal officiel, qu’il s’agisse du JO de la République
Gabonaise, du JO de l’OHADA ou du JO de la CEMAC.
Les codes - Ce sont les publications officielles qui publient les codes, parmi
lesquels il y a le code civil, 1re et 2e partie, outil indispensable à l’étude du droit
au Gabon. La première partie du code civil est issue de la loi 15/72 du 29 juillet
1972. Quant à la seconde partie, elle est issue de la loi du 30 décembre 1989.
Hebdo-informations - Au Gabon, la carence du JO de la République Gabonaise
est palier par la parution du Journal d’Annonces Légales (JAL), Hebdo
Informations, qui publie aussi les lois et règlements en République Gabonaise.

B : Les ouvrages et les revues juridiques

La diffusion savante du droit - En dehors des publications officielles, le droit


est encore à travers des traités, des manuels ou des revues générales ou
spécialisées ou des recueils de jurisprudence.
Exemples d’ouvrages et revues juridiques - S’agissant des recueils, on peut
citer à titre d’illustration :

Pour le Gabon et l’Afrique :

- Le recueil des arrêts de la Cour de cassation


Il s’agit d’une publication trimestrielle des arrêts rendus par la Cour de
cassation du Gabon en matière civile, commerciale, sociale et pénale. Ces arrêts
sont publiés sans commentaire.

- La revue Afrique Juridique et Politique (AJP).


Il s’agit d’une revue annuelle, éditée par le CERDIP, qui y publie des
articles de doctrine et des chroniques de jurisprudence des chercheurs gabonais
et des autres pays d’Afrique francophone.

- Le Journal d’Annonces Légales (JAL) Hebdo-Informations.

Il s’agit d’un journal d’annonces légales qui publie régulièrement des


contributions d’auteurs gabonais sur différents thèmes du droit. Certains thèmes

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intéressent les étudiants inscrits en Licence 1. Hebdo-Informations est
disponible dans les différents kiosques de la capitale gabonaise et au siège du
journal.

- La revue juridique « Le Penant ».

Il s’agit d’une revue trimestrielle de droit des pays d’Afrique francophone qui
contient parfois des articles relatifs au droit gabonais. Même si la revue ne traite
plus que des questions relatives au droit africain harmonisé des affaires,
l’étudiant trouvera des informations utiles dans les premiers numéros qui
peuvent être consultés à la bibliothèque de l’Ecole Nationale de la Magistrature.

Pour la France

- Le Bulletin des arrêts de la Cour de cassation


Ce bulletin est divisé en cinq parties. Les 4e et 5e parties sont celles de la
chambre commerciale compétente en matière commerciale et de la chambre
sociale compétente en matière sociale. Les trois premières chambres sont des
chambres civiles. On les cite de la façon suivante : l’abréviation de la Cour de
cassation et de la chambre qui a rendu la décision, suivie de la date où la
décision a été rendue, de l’abréviation du bulletin et de deux nombres qui
renvoie au numéro de l’arrêt et à celui de la page.
Exemple : Cass 1re civ, 26 novembre 1998. Bull.civ. I. n°215. p. 90. Cette
référence doit être ainsi lue : arrêt de la première chambre civile de la Cour de
cassation du 26 octobre 1998, publié au bulletin des arrêts de la Cour de
cassation à la première partie, page 90.

- Le recueil Dalloz-Sirey, en abrégé « D.S ».

Il s’agit d’une revue hebdomadaire divisée en quatre parties. La première partie


contient des chroniques et articles de doctrine et est citée de la façon suivante :
F. Zénati, « La saisine pour avis de la Cour de cassation », D.S 1992.chron.247
et s. La deuxième partie est relative à la jurisprudence. Les arrêts et jugements y
sont intégralement reproduits et commentés par des auteurs. On la cite de la
façon suivante : Cass 1re civ, 25 novembre 1998.D.S.1998.II.202, note X. La

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troisième partie contient des informations rapides qui sont des résumés des
décisions récentes suivis d'un bref commentaire fait par un auteur Ex : Cass 1re
civ, 25 novembre 1998.D.S.1998.IR ou Somm. suivi de la page. La quatrième
partie concerne la législation c’est-à-dire tous les textes de lois et décrets.
Le recueil Dalloz-Sirey comporte aussi une partie consacrée aux différentes
tables qui permettent de retrouver rapidement une loi, un article ou un
commentaire d’arrêt publié dans la revue. On y trouve une table alphabétique
par mots-clés des décisions publiées dans l’année, une table chronologique des
décisions publiées intégralement ou en sommaire, une table alphabétique des
notes et chroniques par nom d’auteur et une table alphabétique et chronologique
des lois et décrets. Ces tables servent à rechercher une loi, un article ou une
décision de justice quand on a une référence incomplète ou erronée.

- La semaine juridique ou juris-classeur périodique en abrégé « JCP ».

Comme la précédente revue, le JCP est une revue hebdomadaire divisée en


quatre parties. La première partie contient des articles de doctrine cités ainsi
qu’il suit :

Christian Atias : « La mission de la doctrine universitaire en droit privé ».


JCP.1980.I (partie doctrine).2999 qui correspond au numéro de la rubrique.

La seconde partie (II) est consacrée à la jurisprudence, la troisième (III) aux


textes de lois. Quant à la quatrième, elle contient des sommaires commentés et
des informations. Le JCP est complété, d’une part, par des tables alphabétiques
des études doctrinales et de la jurisprudence publiée intégralement ou en
sommaire et, d’autre part, par une table chronologique des décisions et ainsi
qu’une table alphabétique et chronologique des lois et décrets.

- La Gazette du Palais citée Gaz-Pal

journal paraissant trois fois par semaine et contenant des parties doctrine,
jurisprudence, panoramas (sommaires commentés) et des tables contenant les
références des informations publiées dans le journal mais aussi celles de trente
autres revues juridiques comme le Dalloz ou le JCP ou encore celles des
décisions publiées dans le Bulletin de la Cour de cassation.

- La revue trimestrielle de droit civil en abrégé RTDciv.

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Il s’agit d’une revue spécialisée contenant des études doctrinales approfondies et
des observations sur la jurisprudence en matière de droit civil et de droit
judiciaire privé. A la différence des autres revues, les décisions étudiées ne sont
pas citées, ce qui oblige à consulter d’autres revues pour avoir le texte de la
décision ;

- La revue « Droit de la famille ». Elle contient des études et des chroniques


de jurisprudence exclusivement consacrées au droit de la famille. Quelques
numéros de cette revue peuvent être consultés à la bibliothèque de la Faculté
de droit.

Quel que soit le support de la jurisprudence, il est particulièrement important de


connaître les décisions citées en cours et approfondies en travaux dirigés. Elles
servent à la compréhension de la règle de droit et de son application.
II : La règle « nul n’est censé ignorer la loi »

La présomption de connaissance de la loi - Dès lors que la règle de droit a été


portée à la connaissance du public à travers sa diffusion dans les publications
officielles, elle entre en vigueur et est applicable à l’ensemble du corps social.
Aucun élément de ce corps ne alors arguer de la méconnaissance de son
existence pour se soustraire à l’application de la loi.

La maxime - Pour rendre compte de cette obligation, est consacrée la maxime


latine « nemo censetur ignorare legem, ce qui signifie « Nul n’est censé ignorer
la loi ». Cette maxime signifie que des considérations particulières à un individu
ne peuvent empêcher qu’on lui applique une loi entrée en vigueur.

Conditions préalables à l’entrée en vigueur de la loi – Préalablement à


l’entrée en vigueur, la loi a été publiée au journal officiel ou à Hebdo
Informations. Cette publication vise à informer l’ensemble du corps social de
l’existence d’une loi. Le principe d’égalité des citoyens devant la loi consacré
par l’article 2 de la constitution interdit alors à un citoyen de se réfugier derrière
une prétendue méconnaissance de la loi pour se soustraire à son application. La
loi ayant été publiée, tous les citoyens sont censés la connaître. Il s’agit en
l’occurrence d’une présomption irréfragable qui n’admet pas la preuve contraire.

Etendue de la présomption de la loi - La présomption de connaissance de la


règle de droit publiée ne se limite pas aux lois. Elle s’applique aussi aux textes
réglementaires dès lors qu’ils ont fait l’objet d’une publication.

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Section 3 : Le contenu du droit objectif

Diversité de la règle de droit - L’organisation de la société n’est pas uniforme.


Il existe une pluralité d’activités qui s’y exercent, ce qui rend inadéquate
l’application d’une règle de droit unique. A la pluralité d’activités correspond
une pluralité de règles que l’on distingue en opposant le droit interne et le droit
international.

§1 : Le droit interne

Définition du droit interne - C’est le droit qui est applicable à l’intérieur des
frontières nationales sans qu’il y ait un élément d’extranéité. Parmi les règles de
droit interne, la summa divisio juris consiste à distinguer, en s’inspirant des
Institutes de Justinien, du droit romain et de Portalis dans son « Discours
préliminaire sur le projet de code civil, les règles de droit public (I) des règles de
droit privé (II).

I : Le droit public

Définition du droit public - Selon Portalis, «…Les rapports de ceux qui


gouvernent avec ceux qui sont gouvernés, et de chaque citoyen avec tous, sont la
matière des lois constitutionnelles et politiques… ». De cette conception, on
déduit que le droit public renferme les règles régissant l’Etat et ses
démembrements mais aussi les règles qui régissent les rapports entre les
pouvoirs publics et les particuliers.

A : L’objet et la finalité de la règle de droit public

Objet du droit public - L’objet de la règle de droit public est d’organiser l’Etat,
les collectivités locales (Province, Commune, Département). Le droit public
régit aussi les rapports que ces personnes entretiennent avec les particuliers.

Finalité du droit public - Quant à sa finalité, la règle de droit public recherche


la satisfaction de l’intérêt général ou de l’utilité publique. Elle assure l’exercice
de la puissance publique, ce qui signifie que lorsque l’Etat et les collectivités
publiques agissent en tant que puissance publique, ils sont investis d’un pouvoir
de commandement prééminent qui les soustrait aux règles applicables aux
particuliers. On dit alors qu’ils ont des pouvoirs exorbitants du droit commun
qui leur permet d’imposer, même en ayant recours à la force publique.

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B : Le contenu du droit public

Contenu du droit public - Au regard de ces critères distinctifs, constituent des


règles de droit public :

Le droit constitutionnel qui définit les règles d’organisation de l’Etat et des


pouvoirs publics ainsi que les rapports qu’ils entretiennent entre eux. Il définit
les droits et libertés fondamentaux du citoyen dont il assure la protection.

Le droit administratif qui définit et organise les administrations et les pouvoirs


publics. Il précise leurs modes de fonctionnement et la responsabilité qui leur
incombe. Il régit les rapports de ces administrations avec les particuliers.

Le droit fiscal qui détermine les règles qui permettent de calculer et percevoir
les impôts et taxes que l’Etat et les administrations peuvent réclamer aux
personnes physiques et morales.

Les finances publiques qui déterminent les règles qui organisent le budget de
l’Etat en prévoyant ses dépenses et ses recettes.

II : Le droit privé

Définition du droit privé - Selon Portalis, « Les lois civiles disposent sur les
rapports naturels ou conventionnels, forcés ou volontaires, de la rigueur ou de la
simple convenance, qui lient tout individu à un autre individu ou à plusieurs ».

A : L’objet et la finalité de la règle de droit privé

Objet du droit privé - Au regard de cette définition, le droit privé a pour objet
d’organiser les rapports interindividuels, c’est-à-dire les rapports des personnes
privées entre elles.

Finalité du droit privé - Quant à sa finalité, à travers la règle de droit privé, on


recherche la satisfaction de l’intérêt individuel. Dès lors, les personnes privées
ne peuvent bénéficier des mêmes prérogatives que les personnes publiques.

B : Le contenu du droit privé

Contenu du droit privé - Au regard de ces critères distinctifs, constituent des


règles de droit privé :

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Le droit civil qui constitue le socle commun de l’édifice juridique gabonais. Il
domine tout le droit privé car il régit l’ensemble des rapports et des activités
humains. On dit que le droit civil est le droit commun car il détermine les
concepts applicables à l’ensemble du droit privé auquel il sert de référence en
l’absence de règles spécifiques. Les autres branches du droit privé se sont certes
détachées du droit civil mais elles ne font que régir des applications
particulières.

Domaine du droit civil - Ainsi, le droit civil définit-il les règles relatives à
l’individualisation de la personne, à la famille, aux libéralités aux obligations ou
à la responsabilité. L’essentiel de ces règles est contenu dans le code civil qui
comprend deux parties.

Le droit interne de la concurrence qui définit les règles du jeu de la


concurrence et réglemente les pratiques anticoncurrentielles ainsi que les
pratiques restrictives de concurrence.

Le droit social qui comprend à la fois le droit du travail qui définit les
rapports individuels et collectifs entre employeurs et employés et le droit de la
sécurité sociale qui aménage la protection des individus face aux différents
risques qu’ils courent en leur garantissant des ressources.

Le droit pénal qui définit les infractions et les peines qui leur sont applicables.
Au droit pénal est intimement liée la procédure pénale qui réglemente
l’organisation et la compétence des juridictions pénales ainsi que le déroulement
du procès pénal. Il existe aussi un droit pénal des affaires qui prévoit et punit les
infractions spécifiques à la vie des affaires.

Les matières mixtes - Si le droit pénal est traditionnellement rangé dans les
matières de droit privé, certains auteurs affirment qu’on peut le ranger dans la
catégorie des matières mixtes. Par matière mixte, il faut entendre les matières
qui empruntent à la fois au droit public et au droit privé de sorte qu’on ne peut
les ranger dans l’une ou l’autre des branches du droit.

Illustrations - A titre d’illustration, le droit pénal et le droit fiscal empruntent au


droit public. Le droit pénal définit et punit les infractions. Il assure ainsi l’ordre
social, ce qui relève d’une mission d’intérêt général et, par conséquent, du droit
public. Quant au droit fiscal, il réglemente les rapports des particuliers avec
l’administration fiscale. Si des techniques de droit privé sont utilisées, il reste
que la matière présente un certain particularisme qui la rapproche du droit
public.

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Relativité de la distinction entre le droit public et le droit privé - Dans tous
les cas, la distinction entre le droit public et le droit privé a aujourd’hui une
vertu essentiellement académique. Dans la pratique, que ce soit dans
l’administration ou dans les entreprises, les frontières entre les deux branches du
droit tendent à s’estomper. Il est demandé au juriste d’être pluridisciplinaire, ce
qui le conduit, quelle que soit sa spécialité, à naviguer entre les matières de droit
public et les matières de droit privé.

§2 : Le droit international

Définition du droit international - Le droit international régit les rapports de


droit dans lesquels intervient un élément étranger ou un élément d’extranéité. Le
droit international peut être entendu stricto sensu. S’y ajoutent le droit
supranational applicable au Gabon.

I : Les subdivisions du droit international

Subdivision du droit international - Le droit international se subdivise en droit


international public et en droit international privé.

A : Le droit international public

Définition du DIP - Il regroupe l’ensemble des règles concernant les rapports


entre Etats souverains. Il contient des règles qui permettent de résoudre les
conflits entre ces Etats, en ayant par exemple recours à la CIJ de La Haye.

Le droit international public définit aussi l’organisation, le fonctionnement, la


compétence et les pouvoirs des organisations internationales.

B : Le droit international privé

Définition du droit international privé - Le droit international privé régit les


rapports entre particuliers qui comportent un élément étranger. Le droit
international privé combine à la fois les règles de conflit de lois qui permettent
de déterminer la loi applicable et les règles matérielles qui donnent la solution
du litige.

Illustration - Exemple : divorce d’un gabonais et d’une togolaise, contrat


conclu au Bénin et exécuté au Gabon. Dans ces cas, on recherche la loi
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applicable. Ainsi, le droit international privé regroupe l’ensemble des règles
relatives aux conflits de lois dans l’espace ainsi que celles qui touchent aux
conditions d’attribution de la nationalité et de détermination de la condition des
étrangers.

II : Le droit de l’intégration

Droit de l’OHADA et droit CEMAC - Depuis l’adhésion aux organisations


d’intégration en Afrique noire francophone, le Gabon est membres de certaines
organisations qui ont secrété un droit harmonisé ou un droit communautaire.
A : Le droit uniforme

Il s’agit d’un droit harmonisé

Définition - Par droit uniforme ou harmonisé, il faut entendre le droit primaire


et le droit dérivé des organisations d’intégration juridique que sont l’OAPI,
l’OHADA et la CIMA.

L’OAPI - L’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) a


harmonisé dans les Etats membres dont le Gabon Les droits intellectuels qui
comprennent, d’une part, la propriété littéraire et artistique, c’est-à-dire
l’ensemble de droits reconnus à l’auteur et à sa famille sur ses créations et,
d’autre part, la propriété industrielle, regroupant l’ensemble de règles créant un
monopole d’exploitation (brevets d’invention) ou protégeant les signes
distinctifs contre une utilisation frauduleuse (dessins, marques, nom
commercial).

LA CIMA - La Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance (CIMA) a


harmonisé dans les Etats membres dont le Gabon le droit des assurance.

L’OHADA - L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des


Affaires (OHADA) a notamment harmonisé :

Le droit commercial qui regroupe toutes les règles qui régissent les
commerçants personnes physiques (droit commercial général) et qui traitent de
la définition du commerçant et des actes de commerce ainsi que du fonds de
commerce.

Le droit des sociétés commerciales qui régit les règles de constitution, de


fonctionnement et de dissolution des sociétés commerciales.

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Les procédures collectives qui regroupent toutes les règles qui permettent de
traiter une société en difficulté ou de liquider son passif quand elle n’est plus
viable.

Toutes ces matières relèvent du droit privé.

B : Le droit communautaire CEMAC

LA CEMAC - Le Gabon fait également partie de la CEMAC sous la houlette de


laquelle est harmonisé, dans le cadre de l’UEAC et de l’UMAC, le droit
encadrant les activités économiques et financières. Il en résulte un droit
communautaire qui regroupe à la fois des règles de droit public et des règles de
droit privé.

Contenu du droit communautaire CEMAC - Parmi les règles de droit public,


on peut citer la fiscalité et les finances publiques. Au titre des règles de droit
privé, on peut citer le droit bancaire, le droit financier ou le droit de la
concurrence sur le marché communautaire.

Comme pour les autres organisations d’intégration, s’applique au Gabon à la


fois le droit primaire et le droit dérivé CEMAC.

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Titre 2 : Les sources du droit objectif

Sources directes et sources indirectes – Pour rendre compte de la théorie des


sources du droit, on oppose traditionnellement les sources directes aux sources
indirectes. Les premières sont des sources qui disposent parce qu’elles créent la
règle de droit. Les secondes sont les sources qui proposent. Elles se contentent
en principe d’interpréter la règle de droit.

Bouleversement des sources du droit – L’adhésion du Gabon à des


organisations d’intégration économique et monétaire comme la CEMAC ou
juridique comme l’OAPI, l’OHADA et la CIMA, se traduit par un
bouleversement des sources du droit encadrant les activités économiques. Ce
bouleversement concerne aussi bien les sources directes, celles qui créent
(chapitre 1) que les sources indirectes, celles qui interprètent (chapitre 2) le droit
objectif.

Chapitre 1 : Les sources créatrices du droit objectif

Dualité des sources - Il existe deux principales sources formelles créatrices du


droit. En effet, la règle de droit peut naître de la loi (section 1) ou de la coutume
(section 2).

Section 1 : La loi

Variété et hiérarchie – Le terme loi peut avoir plusieurs sens, ce qui renvoie à
la variété des lois (§1). Cette variété induit une hiérarchie des lois (§2).

§1 : La variété des lois

Lois nationales et lois supranationales – La loi est envisagée aussi bien en


droit interne que dans le cadre d’organisation d’intégration auxquelles le Gabon
est partie. Il faut donc distinguer les lois nationales (I) des lois supranationales
(II).

I : Les lois nationales

La variété des lois nationales - Il existe une variété de lois en droit interne que
l’on classe au regard d’un critère formel qui conditionne leur validité, selon la
pyramide de Kelsen. Il y a, en droit interne, le bloc de constitutionnalité (A), les
lois organiques (B), les lois ordinaires et les ordonnances (C) et les règlements
administratifs (D).
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A : Le bloc constitutionnel

Définition – Le bloc constitutionnel comprend la constitution (1) et son


préambule (2).

1 : La constitution

La loi fondamentale – Pour les tenants du positivisme juridique, la constitution


est la norme fondamentale dans l’ordonnancement juridique d’un Etat. Elle
remplit certaines fonctions qui obligent à en déterminer la notion avant
d’aborder la question de son contenu.

La notion de constitution

Les fonctions de la constitution - Dans tout Etat, l’une des fonctions


essentielles de la constitution est d’organiser la dévolution et l’exercice du
pouvoir dans la cité. Parmi les constitutions modernes, on peut citer l’exemple
de la constitution américaine de 1776 ou de la constitution française de 1791.
Ces constitutions sont notamment fondées sur l’idée d’un contrat social qui
intègre, au-delà de la question de la dévolution et de l’exercice du pouvoir
politique, les règles d’organisation et de fonctionnement des pouvoirs publics de
l’Etat.

La constitution en vigueur - Au Gabon, la première constitution post


indépendance date de 1961. Depuis lors, cette loi fondamentale a fait l’objet de
nombreuses révisions. Aujourd’hui, la constitution en vigueur est issue de la loi
n°3/91 du 26 mars 1991 récemment modifiée par la loi n°0001/2018 du 12
janvier 2018.

Le contenu de la constitution

La subdivision de la constitution - Comme les autres constitutions dont elle


s’est inspirée, la constitution gabonaise fixe les règles de dévolution et
d’exercice du pouvoir ainsi que celles qui organisent les pouvoirs publics de
l’Etat. La constitution comprend le corpus constitutionnel composé de deux
catégories de règles.

L’organisation des pouvoirs publics – La première catégorie de règles est


celle qui fixe l’organisation des pouvoirs publics. Ainsi, le dispositif de la
constitution contient les règles qui fixent l’existence, la structure et le
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fonctionnement des institutions et des pouvoirs publics. Il s’agit, pour
l’essentiel, des règles relatives à la souveraineté nationale aux trois pouvoirs
exécutif, législatif et judiciaire, aux conditions de négociation, de signature et de
ratification des traités et des accords internationaux.

Les droits et libertés fondamentaux - Le corpus constitutionnel fixe aussi les


droits et libertés fondamentaux du citoyen. Ainsi la constitution reconnait-elle
au citoyen des droits et libertés fondamentaux comme la liberté et l’égalité. Ces
principes fondamentaux doivent en principe irriguer tout le droit positif, sauf les
restrictions nécessairement prévues par la loi.

2 : Le préambule de la constitution

Le préambule de la constitution - Le préambule de la constitution énumère des


textes à valeur universelle, régionale ou nationale. On peut à cet égard citer la
déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1948, la charte africaine des
droits de l’homme et des peuples de 1981 ainsi que la charte nationale des
libertés de 1990. Dans sa première décision rendue le 28 février 1992, la Cour
constitutionnelle affirme que le préambule à la même valeur que la constitution
et forme avec elle le bloc de constitutionnalité (Cour constitutionnelle, Décision
n°001/CC du 28 février 1992.

Les droits et obligations du citoyen - Tous ces textes reconnaissent au citoyen


des droits universels et immuables qu’il peut revendiquer devant le juge
ordinaire, même s’ils n’ont pas été transposés dans les lois ordinaires. (citer la
décision de la cour constitutionnelle du 06 novembre 2017 sur le contrôle de
conventionnalité). Ces droits sont contrebalancés par des obligations que doit
assumer chaque citoyen en vertu des lois et dans la mesure prévue par la loi.

Transition – Le préambule précède la constitution avec laquelle elle fait corps.

Transition – C’est la constitution qui prévoit l’existence de lois organiques.

B : Les lois organiques

L’objet des lois organiques – Les lois organiques fixent les modalités
d’organisation et de fonctionnement des pouvoirs publics. Ces lois ne peuvent
intervenir que dans certaines matières limitativement énumérées par la
constitution. Elles font l’objet d’une procédure particulière d’adoption.

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Le domaine des lois organiques - Le domaine des lois organiques est
déterminé par la constitution. Prennent par exemple la forme d’une loi
organique, les règles d’organisation et de fonctionnement des institutions
comme la Cour constitutionnelle, le Conseil Economique, Social et
Environnemental, de la Cour de cassation, du Conseil d’Etat ou de la Cour des
Comptes.

Illustration avec la décision de la Cour annulant les ordonnances prises dans le


domaine de la loi organique mais sans respecter la procédure d’adoption de la
loi organique.

C : Les lois ordinaires et les ordonnances

Plan – L’étude des lois ordinaires (1) précédera celle des ordonnances (2).

1 : Les lois ordinaires

Les lois ordinaires - Par lois ordinaires, on entend la loi au sens formel, c’est-à-
dire les lois votées par le parlement dans les domaines spécifiques déterminés
par la constitution (a). Ces lois sont votées selon une procédure particulière (b) à
l’issue de laquelle la loi entre en vigueur (c).

a : Le domaine de la loi

Par domaine de la loi, il faut entendre les matières sur lesquelles le


parlement peut légiférer. Ce domaine est fixé et délimité par l’article 47 de la
constitution selon lequel, en dehors des cas expressément prévus par la
constitution, la loi fixe les règles concernant :

- les droits civiques, les garanties fondamentales accordées aux citoyens


pour l’exercice des libertés publiques, les sujétions imposées aux citoyens
en leurs personnes ou en leurs biens pour la défense nationale ;

- la nationalité, l’état et la capacité des personnes, les régimes


matrimoniaux, les successions, le statut des étrangers et l’immigration,
l’organisation de l’état civil ;
- la détermination des crimes et délits ainsi que les peines qui leur sont
applicables, la procédure pénale, l’amnistie, la création de nouveaux
ordres de juridiction, le statut des magistrats et l’organisation de la
justice ;

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- le régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et
commerciales.

En, outre, la loi détermine les principes fondamentaux dans les domaines
suivants :

- l’enseignement supérieur, la santé, le droit du travail, le droit syndical,


l’organisation générale de la défense nationale et de la sécurité publique.

La constitution délimite le domaine de la loi en énumérant les matières


qu’elle réglemente. Toutes les autres matières non comprises dans l’article 47,
sont du domaine du règlement, selon l’article 51.

La constitution procède donc à une extension du domaine du règlement


qui régit tout ce qui n’est pas du domaine de la loi. En procédant ainsi, le
constituant affirme la prépondérance du pouvoir exécutif sur le pouvoir législatif

b : L’élaboration de la loi

L’initiative des lois appartient concurremment au gouvernement et au


parlement. Quand l’initiative est prise par le gouvernement, on parle de projet de
loi. Quand l’initiative émane du parlement, il s’agit d’une proposition de loi.

La procédure d’élaboration du projet

Le projet de loi fait l’objet d’une délibération en conseil des ministres,


après avis du Conseil d’Etat. Il est ensuite transmis au bureau de l’une des deux
chambres du parlement.

Quant à la proposition, elle est transmise au gouvernement par le


parlement. Le gouvernement a 60 jours pour examiner le texte. Passé ce délai, le
parlement peut délibérer d’office.

Le projet ou la proposition est examiné par une commission spécialisée


avant délibération en séance plénière. Lors de l’examen du texte, les
parlementaires peuvent exercer leur droit d’amendement, c’est-à-dire leur droit
de modification du texte. Ces amendements sont examinés après l’ouverture des
débats publics.

Le projet ou la proposition est examiné successivement dans les 2


chambres du parlement en vue de l’adoption d’un texte identique. En cas de

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désaccord, une commission mixte se réunit qui propose un consensus sur les
dispositions à l’origine du désaccord.

Si la commission mixte adopte un texte commun, il doit être approuvé


séparément par les deux chambres du parlement. Si elle n’y parvient pas, le
gouvernement saisit l’Assemblée Nationale qui statue définitivement. Le texte
est voté lors d’une séance publique.

c : L’entrée en vigueur de la loi

L’application d’une loi est subordonnée à son entrée en vigueur qui est elle-
même subordonnée à l’accomplissement des trois formalités que sont la
promulgation, la publication et l’expiration d’un délai d’information.

La promulgation – C’est l’acte par lequel le président de la république atteste


l’existence et la régularité d’une loi et en ordonne la publication et l’exécution
par tous ceux qui y sont assujettis. La formule utilisée est la suivante :

Formule de la promulgation - « L’assemblée Nationale et le Sénat ont délibéré


et adopté, le président de la république, chef de l’Etat, promulgue la loi dont la
teneur suit………….texte de la loi/
La présente loi sera enregistrée, publiée selon la procédure d’urgence et
exécutée comme loi de l’Etat ». La date de la promulgation devient alors la date
de la loi.

La publication - Elle a pour objet de faire connaître la loi au public. La loi


paraît alors au J.O ou dans un journal d’annonces légales (JAL) et le terme
promulgation est alors remplacé par le terme publication.

Le délai d’information - Avant son application, les citoyens disposent d’un


délai légal d’information qui leur permet de prendre connaissance de la loi. A
l’expiration de ce délai « Nul n’est censé ignorer la loi », ce qui signifie que la
loi devient obligatoire.

Le délai d’entrée en vigueur de la loi - Selon l’article 2 du code civil, la loi ne


devient obligatoire sur l’étendue de chaque district que sept (7) jours francs
après l’arrive à la sous-préfecture du J.O qui la contient.

La notion de jour franc - Par jour franc, il faut entendre un jour complet, de O
H à 24 H. Par exemple si le J.O arrive le 30 novembre à 13 h à la préfecture de
Makokou, le délai commence expire le 7/12 à O H. La loi entrera en vigueur le
8/12 à O H.
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Le décret d’application - Exceptionnellement, la loi peut prévoir sa date
d’entrée en vigueur en la retardant, par exemple jusqu’à l’adoption d’un décret
d’application.

L’abrogation de la loi - La loi perd son caractère obligatoire dès qu’elle est
abrogée, ce qui signifie qu’elle est annulée par une autre loi aux dispositions
contraires. L’abrogation n’a jamais lieu par désuétude, c’est-à-dire par la non-
application de la loi.

2 : Les ordonnances

Fondement juridique - Les ordonnances sont prises en application de l’article


52 de la constitution qui fixe les conditions dans lesquelles elles peuvent être
prises ainsi que les conditions de leur entrée en vigueur.

a : Les conditions d’adoption de l’ordonnance

Urgence – En application de l’article 52, alinéa 1, de la constitution, le


gouvernement peut, en cas d’urgence, pour l’exécution de son programme,
obtenir du parlement le droit de prendre des ordonnances, pendant l’intersession
parlementaire, dans le domaine normalement réservé à la loi.

Procédure d’adoption – Les ordonnances sont prises en conseil des ministres,


après avis du Conseil d’Etat. Elles sont signées par le Président de la
République.

b : L’entrée en vigueur de l’ordonnance

Publication – Les ordonnances entrent en vigueur dès lors qu’elles ont été
publiées.

Ratification – Au cours de sa prochaine session, les ordonnances doivent être


ratifiées par le parlement qui peut les modifier en y apportant des amendements.

Sanction de l’absence de ratification – les ordonnances qui ne sont pas


ratifiées par le parlement au cours de sa prochaine session sont caduques.

Illustration – La Cour constitutionnelle applique strictement ce principe en


prononçant, dans une décision rendue le 31 décembre 2015, la caducité de deux
ordonnances portant code pénal et code de procédure pénale prises le 11 août
2015. Ces ordonnances n’ayant pas été ratifiées par le parlement au cours de la
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session qui a suivi ont été déclarées caduques. Elles ne sont donc pas entrée en
vigueur et toutes les décisions prises en application de ces ordonnances sont
aussi nulles.

Les ordonnances peuvent être modifiées par une autre ordonnance ou par une

loi.

D : Les règlements administratifs

Selon l’article 51 de la constitution, toutes les matières qui ne sont pas


énumérées par l’article 47 sont du domaine du règlement qui est un texte
émanant du pouvoir exécutif. On distingue les règlements pour l’exécution des
lois (1) et les règlements autonomes (2).

1 : Les règlements d’exécution des lois

L’un des rôles de l’exécutif est d’assurer l’exécution des lois. Pour ce
faire, il prend un règlement qui s’appuie sur la loi antérieure et qui se présente
comme une mesure d’exécution de la loi dont il complète les dispositions et
règle les détails d’exécution.

2 : Les règlements autonomes

Il s’agit de règlements qui découlent des pouvoirs que l’article 51 de la


constitution reconnaît au pouvoir exécutif. Le règlement autonome n’est donc
pas pris en application d’une loi. Il est pris dans un domaine autre que celui que
l’article 47 réserve à la loi.

II : Les lois supranationales

Détermination – Les lois supranationales sont celles qui résultent des


engagements internationaux du Gabon (A) ou de son appartenance à des
organisations d’intégration (B).

A : Les engagements internationaux

Contenu – Les engagements internationaux sont constitutifs du droit


international. Il s’agit des traités, accords et conventions ratifiés par le Gabon et
qui intègrent son ordre juridique à l’issue d’une procédure spécifique.

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Procédure d’entrée en vigueur - Selon l’article 106 de la constitution, les
traités et engagements internationaux sont négociés et ratifiés par le Président de
la République. Ils n’entrent en vigueur qu’en vertu d’une loi de ratification votée
par le Parlement, après vérification par la Cour constitutionnelle de leur
conformité à la constitution s’ils sont ratifiés par le parlement. Avant cette
ratification, les traités et engagements internationaux doivent être déférés à la
cour constitutionnelle qui vérifie, dans un délai d’un mois, leur conformité à la
constitution. S’ils comportent une disposition contraire, ils ne peuvent être
ratifiés et sont alors inapplicables.

B : Les lois supranationales

Identification - Il s’agit des lois secrétées par les organisations d’intégration


auxquelles le Gabon a adhéré. Sont ainsi visés, les droits primaire et dérivé de
l’OAPI, de l’OHADA, de la CIMA et de la CEMAC. Si le droit CEMAC est un
droit communautaire (2), il n’en va pas de même des autres droits qui sont plutôt
des lois uniformes (1).

1 : Les lois uniformes OHADA, OAPI et CIMA

Diversité des lois uniformes – Le Gabon est membre fondateur des


organisations d’intégration en Afrique noire francophone que sont l’OAPI, la
CIMA et l’OHADA. Il s’agit d’organisations d’intégration juridique qui
secrètent à la fois un droit primaire et un droit dérivé qui fait partie intégrante
du droit positif gabonais.

L’OAPI - L’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) a


harmonisé dans les Etats membres dont le Gabon

Le traité OAPI – (Les instruments juridiques de l’OAPI)

Les annexes au traité –

Les droits intellectuels qui prennent la forme juridique d’annexe. Il existe 10


annexes qui interviennent dans le domaine de la loi en droit interne.

La CIMA- La Conférence Interafricaine des Marchés d’Assurance (CIMA) a


harmonisé le droit des assurance dans les Etats membres.

Le traité CIMA – Le traité CIMA vaut loi relative aux assurances dans les Etats
membres.

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L’OHADA - L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des
Affaires (OHADA) a harmonisé le droit des affaires dans les Etats membres.
Comme dans le cadre de l’OAPI et de la CIMA, cette harmonisation intervient
dans le domaine de la loi en droit interne. Comme dans les deux premiers cas, le
Gabon, à l’instar des autres Etats membres, a consenti des abandons de
souveraineté qui ont permis à l’organe normatif de l’OHADA d’adopter des
Actes uniformes. Les Actes uniformes sont l’équivalent de la loi en droit interne.

Les instruments juridiques de l’OHADA – Les instruments juridiques de


l’OHADA sont principalement les Actes uniformes, les règlements, les
décisions et les directives.

2 : Le droit communautaire CEMAC

Notion de droit communautaire - Le Gabon fait également partie de la


CEMAC sous la houlette de laquelle est harmonisé, dans le cadre de l’UEAC et
de l’UMAC, le droit encadrant les activités économiques et financières. Il en
résulte un droit communautaire CEMAC qui prend la forme juridique de
règlements.

Les instruments juridiques de la CEMAC – Les instruments juridiques de la


CEMAC sont principalement les Actes additionnels, les règlements et les
directives.

§2 : La hiérarchie des normes

La théorie de la hiérarchie des normes - L’ordre juridique d’une Etat est


composé de normes qui ne sont pas placées sur le même pied d’égalité.
Certaines normes sont créées selon une procédure déterminée par d’autres
normes. Ainsi, il existe dans l’ordonnancement juridique des normes qui servent
de fondement à la validité d’autres normes. Il se créé ainsi un rapport
hiérarchique entre les normes. Celles qui concourent à la régularité et la validité
des autres sont des normes supérieures. Quant aux normes créées en application
d’autres normes, elles sont dites inférieures. Les normes inférieures ne peuvent
être contraires ni déroger aux normes supérieures.

La pyramide de Kelsen – Kelsen présente cette hiérarchisation des normes sous


la forme d’une pyramide au sommet de laquelle il place la constitution. C’est la
norme fondamentale qui fonde la régularité et la validité de toutes les autres
normes. Ce rapport hiérarchique entre les normes vaut principalement en droit
interne (I).
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Rapport avec les normes supranationales - La hiérarchie des normes est
renouvelée avec l’adhésion du Gabon à des organisations d’intégration qui
secrètent un droit supranational. Se pose alors la question des rapports avec les
normes nationales (II).

I : La hiérarchie des normes nationales

Plan - La présentation de la hiérarchie (A) précédera l’étude du respect de la


hiérarchie (B).

A : La présentation de la hiérarchie

La pyramide de Kelsen - La hiérarchie des normes est présentée sous la forme


de la pyramide issue des travaux de Kelsen qui place la constitution, la norme
fondamentale, au-dessus de toutes les autres normes de sorte que la validité de
ces dernières dépend de leur régularité formelle, c’est-à-dire de leur conformité
à la constitution à laquelle elles ne peuvent être contraires.

Le bloc de constitutionnalité - Au sommet de la pyramide, on retrouve le bloc


de constitutionnalité, c’est-à-dire la constitution à laquelle on intègre son
préambule et les textes auxquels elle renvoie. A cet égard, la Cour
constitutionnelle gabonaise a décidé le 28 février 1992 (Décision n°001/CC du
28 février 1992, in Cour constitutionnelle, Recueil des décisions et avis 1993,
1993, 1994, 1995, p.7) que la conformité d’une loi à la constitution s’apprécie
non seulement au regard des dispositions de la constitution mais aussi en tenant
compte des textes et normes de valeur constitutionnelle « énumérés dans la
constitution auxquels le peuple gabonais a solennellement affirmé son
attachement et qui constituent, avec la Constitution, le bloc de
constitutionnalité ».

Nécessaire conformité au bloc de constitutionnalité - C’est le bloc de


constitutionnalité qui fonde la validité des autres normes dont elle prévoit
l’existence. En conséquence, toutes les normes au-dessous de la constitution
doivent lui être conformes, c’est-à-dire ne pas contenir de dispositions
contraires. Il existe ainsi un lien de subordination des autres normes au bloc de
constitutionnalité.

Les engagements internationaux – En application des articles 87, 106 à 108 de


la constitution, les traités de paix, les traités de commerce, les traités relatifs à
l’organisation internationale, les traités engageant les finances de l’Etat, les
traités modifiant les dispositions de nature législative, les traités relatifs à l’état
des personnes doivent être soumis avant leur ratification à la Cour

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constitutionnelle. Celle-ci vérifie s’ils ne contiennent pas des dispositions
contraires à la constitution. Par ailleurs, ces traités ne peuvent être ratifiés qu’en
vertu d’une loi. Sur le fondement de l’article 87, alinéa 2, de la constitution, le
traité contenant une disposition contraire à la constitution ne peut être ratifié.

Le silence de la constitution –Toutefois, la constitution ne contient aucune


disposition sur la place du traité qui a régulièrement été inséré dans
l’ordonnancement juridique gabonais. La question se pose donc de savoir si les
traités ont en droit gabonais une valeur supra législative, ce qui revient à se
demander s’ils ont une valeur supérieure aux lois nationales.

L’avis de la Cour constitutionnelle – La Cour constitutionnelle fournit des


éléments de réponse à cette question dans l’avis n° 27/CC du 13 août 2013
qu’elle a rendu à la demande du Gouvernement. Dans cet avis, la Cour
constitutionnelle, se fondant sur les articles 84, 84 et 113, alinéa 1, de la
constitution, rappelle que les traités ne peuvent faire l’objet d’une loi
d’autorisation par le Parlement qu’après qu’elle a vérifié leur conformité à la
constitution. Dès lors que la loi d’autorisation est votée, le Président de la
République peut ratifier le traité qui entre en vigueur après sa publication au
journal officiel.

La place du traité dans la hiérarchie des normes - Dès lors que ces conditions
sont réunies, la Cour constitutionnelle, dans l’avis précité, place les traités au-
dessus des lois nationales dans la hiérarchie des normes au Gabon. Puisque les
traités ont une valeur supra législative, les lois nationales ne peuvent contenir des
dispositions qui leur sont contraires. Certes, l’avis de la Cour constitutionnelle a
un caractère consultatif. Mais il donne de précieuses indications sur la place du
traité dans la hiérarchie des normes nationales. Toutefois, il est surprenant que lors
des dernières modifications constitutionnelles, le constituant n’ait pas jugé
nécessaire de trancher définitivement la question en consacrant la primauté des
traités sur les lois nationales. Cette omission est d’autant plus surprenante que les
différentes constitutions gabonaises ont, de 1961 à 1990, toujours placé les traités
au-dessus des lois dans la hiérarchie des normes nationales.

La confirmation de la primauté du traité sur les lois nationales – Quoi qu’il en


soit, usant de son pouvoir d’interprétation de la constitution, la Cour
constitutionnelle a reconnu, conformément à l’avis qu’elle avait émis en 2013, la
supériorité des traités et engagements internationaux sur les lois nationales.

Dans la décision n°039/CC du 06 novembre 2017 rendue à la suite d’un contrôle


par voie d’exception, la Cour constitutionnelle constate que le Gabon a ratifié la
convention internationale sur les droits de l’enfant (CIDE), complétée par les
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principes et lignes directrices des Nations Unis sur l’accès à l’assistance judiciaire
dans le système de justice pénale ainsi que les lignes directrices en matière de
justice dans les affaires impliquant les enfants victimes et témoins d’infraction. Les
articles 2 et 3 de la CIDE prescrivent aux Etats de prendre toutes les mesures
législatives et administratives pour protéger l’enfant contre toutes formes de
discrimination. En matière d’assistance dans le cours d’un procès, cette protection
doit profiter sans discrimination au mineur, qu’il soit auteur, victime ou témoin
d’une infraction. Or, en cas de procès pénal impliquant un mineur, l’article 25 de la
loi n° 39/2010 du 25 novembre 2010 portant régime judiciaire de protection du
mineur ne prévoyait la désignation d’office d’un avocat qu’au profit du mineur
victime d’une infraction. Le texte n’accordait pas la même faveur au mineur auteur
ou témoin de l’infraction. La Cour constitutionnelle a jugé que l’article 25 en cause
était contraire à l’article 2, alinéa 2, de la constitution qui prescrit l’égalité des
citoyen devant la loi et aux articles 2 et 3 de la CIDE. Il en résulte qu’une fois le
traité ou l’engagement international a été régulièrement conclu, ratifiée et publié, il
s’insère dans l’ordre juridique national et se situe, dans la hiérarchie des normes,
au-dessus des lois nationales. Pour consacrer la supériorité du traité ou de
l’engagement international sur les lois nationales, la Cour applique les conditions
qu’elle a déterminées dans l’avis n° 27/CC du 13 août 2013.

Les lois organiques - Au second niveau de la hiérarchie se trouvent les lois


organiques qui ont pour objet de fixer les modalités d’organisation et de
fonctionnement des pouvoirs publics. Ces lois ne peuvent intervenir que dans
certaines matières limitativement énumérées par la constitution. Elles font
l’objet d’une procédure particulière d’adoption. Lorsque cette procédure n’est
pas respectée, la loi est inconstitutionnelle, comme l’a jugé la Cour
constitutionnelle dans la décision n°045/CC du 03 décembre 2015 relative à la
requête tendant à l’annulation de l’ordonnance n°15/PR du 11 août 2015 portant
organisation et fonctionnement de la justice.

Les règlements des assemblées – Au même niveau que les lois organiques se
trouvent les règlements des assemblées, c’est-à-dire les textes qui organisent
l’assemblée nationale et le sénat. Comme les lois organiques, ces textes ont une
valeur constitutionnelle.
Les lois ordinaires et les règlements autonomes - Par lois ordinaires, on
entend la loi au sens formel, les lois référendaires, les décisions du président
prises en vertu de l’article 26, les ordonnances prises en vertu de l’article 52.
Quant aux règlements autonomes, ils sont pris en application de l’article 51 de la
constitution.
La base de la pyramide - Au bas de la pyramide, on retrouve les règlements
d’application des lois ainsi que les arrêtés. Ces textes visent respectivement à

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assurer l’exécution d’une loi ou d’un décret. Il s’agit donc de mesures
d’exécution qui ne peuvent être contraires au texte supérieur.

Transition - Aucune norme inférieure ne peut être contraire à une norme


supérieure et la cour constitutionnelle veille au respect de la hiérarchie.

B : Le contrôle du respect de la hiérarchie des normes nationales

L’organe chargé du contrôle – Aux termes des articles 86 et suivants de la


constitution, il revient à la Cour constitutionnelle d’assurer l’un et l’autre
contrôle.

La double nature du contrôle – Pour s’assurer du respect de la hiérarchie des


normes nationales, il est procédé, selon les cas, à un contrôle de
constitutionnalité ou à un contrôle de conventionnalité des lois.

1 : Le contrôle de constitutionnalité des lois

Contrôle a priori et contrôle a posteriori – Le contrôle de constitutionnalité des


lois est à la fois un contrôle a priori ou contrôle par voie d’action et un contrôle
a posteriori aussi dénommé contrôle par voie d’exception.

Le contrôle a priori – Il est prévu par l’article 84 de la constitution aux termes


duquel la Cour constitutionnelle vérifie obligatoirement la constitutionnalité des
lois organiques et des lois avant leur promulgation. Dans le même ordre d’idées,
la Cour constitutionnelle vérifie la constitutionnalité des ordonnances après leur
publication.

Le contrôle a priori est obligatoire pour les lois organiques et les traités, il est en
revanche facultatif pour les lois ordinaires.

Lois déférées à la cour constitutionnelle – Dans cette optique, de nombreuses


lois ont été déférées à la Cour constitutionnelle dans le cadre d’un contrôle a
priori. Parmi celles-ci, on peut citer le projet d’ordonnance organique de
réforme de la justice qui a été jugé inconstitutionnel par la Cour
constitutionnelle dans la décision n°045/CC du 03 décembre 2015. Pour la Cour
constitutionnelle, le projet en cause est nécessairement inconstitutionnel car
l’exigence du contrôle a priori n’a pas été respectée. L’inconstitutionnalité de ce
projet de texte résulte de ce qu’il contient des matières relevant du champ d’une
loi organique, contrevenant ainsi aux dispositions de l’article 84 de la
constitution.

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Le contrôle a posteriori – Le contrôle a posteriori s’exerce après la
promulgation de la loi, c’est-à-dire après son entrée en vigueur. Selon l’article
86 de la constitution, tout justiciable peut, à l’occasion d’un procès devant le
juge ordinaire, soulever une exception d’inconstitutionnalité à l’encontre d’une
loi ou d’un acte qui méconnaîtrait ses droits fondamentaux.

Historique du contrôle a posteriori au Gabon - Avant 1997, le juge ordinaire


appréciait le bien-fondé de l’exception et, s’il trouvait un motif
d’inconstitutionnalité, il saisissait la cour par la voie d’une question
préjudicielle. Le juge pouvait donc filtrer les exceptions soulever par les
justiciables et freiner ainsi la saisine de la cour.

Evolution du contrôle a posteriori au Gabon -Depuis 1997, le juge ordinaire


n’est plus autorisé à apprécier le bien-fondé de l’exception. Il est obligé de
surseoir à statuer et de saisir la Cour constitutionnelle par la voie d’une question
préjudicielle avant dire droit. En conséquence, il ne statuera sur le fond du litige
qu’après la décision de la Cour qui doit intervenir un mois au plus tard après sa
saisine.

Forme et conditions de l’exception d’inconstitutionnalité – Dans la décision


n°039/cc du 06 novembre 2017 relative au contrôle de constitutionnalité par
voie d’exception des dispositions de l’article 25 de la loi n° 39/2010 du 25
novembre 2010 portant régime judiciaire de protection du mineur, la Cour
constitutionnelle rappelle les conditions de recevabilité de l’exception
d’inconstitutionnalité exercée en application de l’article 86 de la constitution.
Pour la Cour, l’exception d’inconstitutionnalité doit être soulevée à l’occasion
d’un procès devant le juge ordinaire, dès l’ouverture des débats. L’exception
doit être orientée contre la loi applicable au procès et le plaideur doit apporter la
preuve que la loi en cause n’a pas fait l’objet d’un contrôle a priori.

Dès lors que les conditions sont remplies, le juge doit surseoir à statuer et
transmettre à la Cour constitutionnelle le dossier dans lequel figure les
prétentions des parties relativement à l’exception d’inconstitutionnalité.

Décision de la Cour constitutionnelle - La Cour constitutionnelle a deux


possibilités :

 Elle peut déclarer la loi conforme à la constitution, ce qui oblige le juge


ordinaire à appliquer cette loi.
 Elle peut juger la loi contraire à la constitution. Cette loi cesse alors de
produire effet à compter de la décision de la cour. Le juge du siège ne
peut l’appliquer au litige dont il est saisi et le parlement, au cours de la
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prochaine session, est obligé d’en tirer les conséquences, c’est-à-dire
d’expurger la loi des dispositions jugées inconstitutionnelles.

Illustration – Cour constitutionnelle, décision n° 039/CC du 06 novembre 2017


relative au contrôle de constitutionnalité par voie d’exception des dispositions de
l’article 25 de la loi n° 39/2010 du 25 novembre 2010 portant régime judiciaire
de protection du mineur.

Cour de cassation, chambre pénale, arrêt n° 04/2009-2010 du 26 juin 2010,


Affaire M. C c/Ministère des Finances et du Budget, Bulletin des arrêts de
la Cour de cassation N°4 janvier-mars 2014, n° 9, pp. 87 et s.

Le juge judiciaire devant lequel, in limine litis, une exception


d’inconstitutionnalité a été soulevée doit surseoir à statuer, et saisir la Cour
constitutionnelle par la voie d’une question préjudicielle. La Cour criminelle qui
a statué en méconnaissant cette règle fondamentale de l’article 86 de la
constitution expose sa décision à la cassation.

2 : Le contrôle de conventionnalité des lois

Juridiction compétente –Le contrôle de conventionnalité consiste à vérifier la


conformité des lois gabonaises aux traités internationaux conclus par le Gabon.
Ce contrôle de conventionnalité est exercé par la Cour constitutionnelle.

II : La suprématie des normes supranationales

Application obligatoire du droit - Il existe une hiérarchisation entre les ordres


juridiques nationaux et les ordres juridiques supranationaux au profit de ces
derniers. Cette hiérarchie se manifeste par la suprématie des normes
supranationales qui sont d’application obligatoire (A), principe dont le non-
respect est sanctionné (B).

A : L’application obligatoire des normes supranationales

Notion - Le principe de l’application obligatoire vient compléter le caractère


direct et permet d’assurer la primauté de l’ordre juridique supranational sur
l’ordre juridique interne. En effet, l’unité juridique de l’ordre supranational et
son indépendance par rapport aux ordres juridiques nationaux ne peuvent être
réalisées que si le droit supranational revêt un caractère obligatoire. Ce caractère

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obligatoire permet une hiérarchisation des ordres juridiques au profit de l’ordre
juridique supranational.

Applications - C’est dans cette optique que les traités intégrateurs contiennent
le principe de l’application obligatoire du droit dérivé. Ce caractère obligatoire
est fondé sur la supranationalité de la législation supranationale. Dans quatre
arrêts rendus entre 2001 et 2002 (CCJA, arrêt n° 2 du 11 octobre 2001, Juris
OHADA n° 1/02, p. 24 ; arrêt n° 3 du 10 janvier 2002, Juris OHADA n°2/02, p.
23 ; arrêt n° 12 et 13 du 18 avril 2002, Juris OHADA n° 3/02, p. 3 et 10 ; arrêt
n° 18 du 27 juin 2002, Juris OHADA n° 41021, p. 52), la CCJA a clairement
affirmé, en application de l’article 10 du traité, ce caractère obligatoire qui induit
la suprématie de la législation supranationale sur le droit interne des pays
membres.

B : La sanction du non-respect de la suprématie des normes


supranationales

La sanction en cas de non-respect de la hiérarchie – Les normes nationales


contraires à la norme supranationale sont réputées non écrites et on applique la
norme supranationale. C’est ce que rappelle la CCJA dans de nombreuses
décisions.

Le droit positif gabonais - Les juges gabonais doivent, selon les cas, appliquer
le droit interne, le droit international et le droit de l’intégration OAPI, CEMAC,
CIMA et OHADA. C’est l’ensemble de ces règles qui constitue le droit positif
gabonais que tout justiciable peut invoquer devant le juge ordinaire, qu’il
s’agisse du juge judiciaire ou du juge administratif.

Synthèse de la hiérarchie des normes - Pour tenir compte de la théorie de la


hiérarchie des normes, ils devraient écarter l’application des normes nationales
contraires aux traités internationaux et au droit supranational CEMAC ou
OHADA. Dans ce dernier cas, la nécessité de respecter la hiérarchie des normes
applicable au droit supranational doit les conduire à écarter les règles nationales
contraires au droit supranational. Ce faisant, ils respecteront la supériorité du
droit de l’intégration sur le droit gabonais.

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§3 : L’application de la loi

Dualité – La loi est applicable dans le temps (I) et dans l’espace (II).

I : L’application de la loi dans le temps

Notion d’application de la loi dans le temps - Quand une loi en vigueur est
abrogée par une loi nouvelle, il faut déterminer le domaine d’application dans le
temps des deux lois successives. Autrement dit, on se pose la question de savoir
quels faits, quels actes seront effectivement régis par la loi ancienne et la loi
nouvelle. Il s’agit, lorsque deux lois se succèdent de prévenir et, le cas échéant,
résoudre le problème du conflit de lois qui peut survenir.

Droit transitoire - La question peut être tranchée par la loi nouvelle elle-même
qui détermine, dans les dispositions transitoires, sa date d’application.

Exemple de droit transitoire : article 374, alinéa 1, du code civil issu de la loi
du 29 septembre 1972.

A défaut de dispositions transitoires, la question est réglée par l’article 16 du


code civil selon lequel la loi ne statue que pour l’avenir, elle n’a point d’effet
rétroactif sans une manifestation expresse de la volonté du législateur. L’article
16 du code civil pose le principe de la non-rétroactivité (A) et celui de l’effet
immédiat (B) de la loi nouvelle.

A : Le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle

Principe et exception - Après avoir énoncé le principe, il s’agira ensuite de


s’intéresser aux exceptions (2).

1 : L’énoncé du principe

Fondement et finalité du principe en matière civile - Le principe de la non-


rétroactivité de la loi nouvelle est consacré dans les articles 16 et suivants du
code civil. La non-rétroactivité de la loi nouvelle repose sur l’impératif de
sécurité juridique qui doit gouverner les rapports entre les hommes. Ainsi, quand
les parties concluent un acte sous l’empire de la loi ancienne, il est impératif
qu’une loi postérieure à leur accord ne vienne pas l’affecter. C’est pourquoi le
législateur décide que la loi nouvelle ne s’applique pas à la constitution ou à
l’extinction de situations juridiques antérieures à son entrée en vigueur. Dans le
même ordre d’idées, elle ne s’applique pas aux effets déjà passés d’une situation
juridique née avant son entrée en vigueur.

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La force du principe - Il reste alors à dire quelle est la force du principe de la
non-rétroactivité. Autrement dit, on se pose la question de savoir à qui s’impose
le principe. Le principe n’a pas une valeur constitutionnelle. Il a plutôt une
valeur législative.

Imposition au juge - Le principe de la non-rétroactivité s’impose au juge qui


est chargé d’appliquer la loi.

Valeur législative du principe - Mais il apparaît que ce principe n’est pas


consacré par la constitution. Il n’a donc pas de valeur constitutionnelle. Il a
plutôt une valeur législative puisqu’il découle des articles 16 du code civil et 5
du code pénal. En conséquence, le législateur peut prévoir des exceptions au
principe, c’est-à-dire des cas dans lesquels la loi sera rétroactive. Cette
conséquence ressort expressément dans l’article 16 du code civil.

La non-rétroactivité en matière pénale - Outre les articles 16 et suivants, le


principe de la non-rétroactivité est également posé par l’article 5 du code pénal.
Selon ce texte, la loi pénale n’est pas rétroactive, elle ne statue que pour
l’avenir. Ce principe de la non-rétroactivité de la loi n’a pas une valeur
constitutionnelle. Il a plutôt une valeur législative.

2 : Les exceptions au principe

Notion d’exception - Les exceptions signifient que dans certains cas, la loi
nouvelle est rétroactive. La loi nouvelle s’applique à la création, à l’extinction
et aux effets déjà passés des situations juridiques antérieures à son entrée en
vigueur.

Les lois rétroactives - Le législateur peut donc voter des lois rétroactives, s’il
en manifeste expressément la volonté. Autrement dit, une loi ne peut être
rétroactive que si le législateur l’a expressément prévu.

Les exceptions à la rétroactivité - D’une manière générale, il existe trois


exceptions au principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle :

Les lois interprétatives - La première est prévue par l’article 16, alinéa 2, du
code civil. En vertu de ce texte, les lois interprétatives ont par elles-mêmes un
effet rétroactif. On sait qu’une loi est interprétative quand elle précise le sens
d’une loi antérieure obscure. Ce caractère interprétatif de la loi doit clairement
être posé par le législateur qui précise qu’il s’agit d’une loi interprétative. Dans

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ce cas, elle s’applique rétroactivement à la date d’entrée en vigueur de la loi
interprétée.

La rétroactivité in mitius - La seconde exception découle de l’article 5, alinéa


2, du code pénal. Il s’agit du principe de la rétroactivité des lois pénales plus
douces ou rétroactivité in mitius Selon ce principe, la loi ou le règlement moins
rigoureux s’applique dès son entrée en vigueur aux faits non définitivement
jugés. Autrement dit, lorsque le législateur prévoit des peines moins fortes, la loi
est appliquée aux faits commis avant son entrée en vigueur et qui n’ont pas fait
l’objet d’une décision définitive.

Les applications de la rétroactivité in mitius - Dans le même ordre d’idées, si


la loi supprime une infraction, le juge ne peut plus l’appliquer. Il s’agit d’une
application du principe de la légalité des délits et des peines selon lequel le juge
ne peut prononcer une peine que si elle est prévue par la loi au moment où il
statue.

Fondement de la rétroactivité in mitius - La rétroactivité in mitius est fondée


sur un souci d’humanité. Dans la mesure où le législateur lui-même a annulé une
sanction plus lourde, c’est qu’elle n’était pas nécessaire à sanctionner une
infraction. On applique donc la sanction moins lourde s’il n’y a pas eu de
jugement définitif.

Les lois d’organisation judiciaire - La dernière exception est prévue par


l’article 5, alinéa 3, du code pénal. Elle concerne les lois d’organisation
judiciaire, les lois de compétences et de procédure qui s’appliquent
immédiatement, même aux instances en cours, tant qu’un jugement au fond n’a
pas été rendu en premier ressort.

B : L’effet immédiat de la loi nouvelle

Principe et fondement – L’étude du principe (1) précédera celle du et


fondement (2) de l’effet immédiat de la loi nouvelle.

1 : Le principe de l’effet immédiat

Le sens du principe - Quand une loi nouvelle entre en vigueur, elle s’applique
aux faits et actes postérieurs à sa publication. Ce principe de l’effet immédiat de
la loi nouvelle est confirmé par l’article 17 du code civil selon lequel une loi
nouvelle ne modifie ni les conditions d’établissement d’une situation juridique
antérieurement créée, ni les conditions d’extinction d’une situation juridique
antérieurement éteinte. Elle ne modifie pas non plus les effets produits par une

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situation juridique au temps où la loi précédente était en vigueur. On dit alors
que la loi nouvelle a un effet immédiat.

L’exception à l’effet immédiat - Ce principe de l’effet immédiat de la loi


nouvelle ne supporte qu’une seule exception. En effet, la loi ancienne, c’est-à-
dire la loi en vigueur au moment de la formation du contrat, continue à régir les
effets des contrats en cours, sauf dérogation du législateur. Le maintien de la loi
ancienne en matière contractuelle vise à respecter les prévisions des parties lors
de la formation du contrat. Ces prévisions sont nécessairement fondées sur la loi
ancienne, ce qui justifie son maintien.

2 : Le fondement de l’effet immédiat

L’unité de la législation - L’effet immédiat repose sur l’idée d’une unité de la


législation dans un pays. On risque d’aboutir à une confusion inextricable si la
loi ancienne survit trop longtemps et est combinée avec la loi nouvelle. Il y
aurait alors une insécurité juridique car les citoyens ne sauraient pas quelle loi
est applicable à leurs situations juridiques respectives. C’est la raison pour
laquelle le code civil dispose que la loi s’applique immédiatement, sans
contestation possible, à la constitution et à l’extinction des situations juridiques
postérieures à son entrée en vigueur mais aussi aux situations en cours de
constitution ou d’extinction (Article 17). Dans le même ordre d’idées, la loi
nouvelle s’applique aux effets futurs d’une situation juridique née
antérieurement à son entrée en vigueur (article 18).

II : L’application de la loi dans l’espace

Le principe de territorialité des lois – En vertu de ce principe, le droit


gabonais est applicable dans les frontières de l’Etat. Ce principe de la
territorialité concerne essentiellement les lois pénales qui s’appliquent aux
gabonais et aux étrangers vivant au Gabon. Dans cette optique, le droit gabonais
est qualifié de droit interne ou de droit national. Il s’oppose au droit
international.

Le système de la personnalité des lois – Selon ce système, les lois concernant


l’état et la capacité des personnes s’appliquent aux gabonais vivant à l’étranger.

Les solutions du droit international privé – Toutefois, comme chaque pays


dispose de ses propres solutions en cas de conflits de lois, la question reste
entière car ces règles peuvent entrer en conflit avec d’autres règles. Ces conflits
sont réglés par les dispositions du droit international privé.

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La territorialité du droit CEMAC et du droit OHADA – Outre le droit
national, on applique sur le territoire national un droit supranational secrété par
des organisations d’intégration économique et monétaire ou juridique que sont la
CEMAC, l’OAPI, la CIMA et l’OHADA.

La notion d’Etat membre ou d’Etat partie – Le droit supranational s’applique


au Gabon qui est un Etat membre, c’est-à-dire un Etat signataire des traités
constitutifs de ces organisations. L’appartenance à l’une ou l’autre de ces
organisations conditionne l’application du droit secrété par ces organisations. Ce
champ d’application spatial est confirmé le droit primaire et le droit dérivé de
ces organisations. Il en résulte que ce droit supranational ne s’applique pas en
principe dans un Etat tiers.

Section 2 : La coutume

Définition de la coutume - La coutume est une règle de droit qui se dégage


lentement et spontanément des faits et des comportements habituellement suivis
dans un milieu social donné. Elle devient obligatoire en dehors de toute
intervention expresse ou approbation du législateur.

Historique des sources du droit au Gabon - Historiquement et pendant


longtemps, la coutume a été la principale source de droit au Gabon, du moins
dans le domaine de l’état et de la capacité des personnes. Dans ces matières, les
règles applicables ont longtemps eu une origine coutumière. Elles pouvaient
donc varier en fonction de la coutume des personnes en cause. C’est avec la
colonisation que la loi a progressivement supplanté la coutume. On est ainsi
passé d’un droit coutumier et à un droit écrit, le législateur colonial ayant
combattu certaines coutumes comme la dot, la polygamie ou le mariage de la
jeune fille pubère.

Position du législateur national après l’indépendance - Cette œuvre du


législateur colonial a été prolongée par le législateur national après l’accession
du Gabon à la souveraineté internationale. En effet, l’une des premières lois
prises par le législateur à consister à supprimer la dot le 31 mai 1963. Le
législateur pensait ainsi mettre un terme au mariage coutumier qui devait céder
la place au mariage civil.

La résistance des coutumes - Mais la résistance des coutumes a été farouche,


ce qui prouve leur vivacité et l’attachement du corps social à certaines règles qui
fondent la société. On peut mesurer la prégnance de la pratique de la dot et, par

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conséquent du mariage coutumier, dans la pratique constante de cette institution
coutumière dont la célébration a pourtant été érigée en infraction pénale.

Plan - D’ailleurs en codifiant en 1972 le droit de la famille, le législateur a


purement et simplement repris ou maintenu certaines coutumes. Il en est par
exemple ainsi des règles d’attribution du nom (article 94-b) ou de l’option
matrimoniale. C’est dire que la coutume en droit gabonais plus qu’ailleurs a une
véritable force juridique (§2) qui est la résultante de la conception que s’en fait
le corps social (§1).

§1 : La notion de coutume

Eléments constitutifs et formation de la coutume - Même s’il s’agit d’une


règle non écrite, la coutume n’en demeure pas moins une véritable règle de droit
issu d’un usage que l’on croit obligatoire. Apparaissent ainsi à la fois les
éléments constitutifs (I) et la formation de la coutume (II).

I : Les éléments constitutifs de la coutume

Eléments matériel et psychologique - Les deux éléments caractéristiques de la


coutume sont l’élément matériel et l’élément psychologique

A : L’élément matériel de la coutume

La définition et les caractères de l’usage - Il se caractérise par la répétition


d’un comportement, d’un usage prolongé ou d’une pratique que le temps
consacre. En effet, la coutume nait de cette répétition d’une pratique ou d’un
usage. Cette pratique ou cet usage est devenu une habitude. Toutefois, l’usage
ne devient une règle de droit que s’il remplit certains caractères qui sont autant
de conditions de l’existence de la coutume.

Un usage ancien - En premier lieu, l’usage doit être ancien, même si son début
ne peut être daté avec précision. Pour mettre en évidence l’ancienneté de
l’usage, on a ainsi coutume de dire qu’il est pratiqué par le corps social depuis
des temps immémoriaux.

Un usage constant - En second lieu, l’usage doit être constant. La constance


renvoie à l’habitude car l’usage le corps social doit avoir suivi l’usage
habituellement et sans discontinuer.

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Un usage général - En troisième lieu, l’usage doit être général, ce qui signifie
que tout le corps social s’y conforme. La généralité de l’usage explique la force
de l’adage « une fois n’est pas coutume ».

Un usage notoire - Enfin, l’usage doit être notoire, ce qui signifie qu’il doit être
connu de tout le corps social ou, à tout le moins, de la majorité du corps social.
Cette condition d’existence de l’usage pose le problème de la connaissance et de
la preuve de la coutume.

La connaissance de la coutume – Puisque la coutume est habituellement


appliquée par le corps social, elle est connue, y compris du juge auquel il n’est
plus nécessaire d’apporter la preuve de son existence et de sa consistance. C’est
l’application à la coutume de l’adage « nul n’est censé ignorer la loi ». En outre,
dans le cours d’un procès, les plaideurs doivent prouver les faits et non la loi.
Par ailleurs, comme il a connaissance de la loi, le juge doit avoir connaissance
de la coutume. Ce n’est qu’en présence d’une coutume particulière que celui qui
s’en prévaut doit en rapporter la preuve.

Les moyens de preuve de la coutume – La preuve de la coutume se fait par


tous moyens comme des témoignages ou en droit commercial des parères, c’est-
à-dire des attestations par lesquelles une chambre de commerce atteste de
l’existence de tel ou tel usage professionnel.

B : L’élément psychologique de la coutume

Le caractère obligatoire de la coutume - Il se caractérise par la croyance


qu’ont les individus à la valeur de règle de droit de leur comportement, c’est-à-
dire la conviction que leur comportement ou l’usage observé est obligatoire.
C’est parce que dans l’opinion commune une croyance est obligatoire que cette
croyance se transforme en coutume, c’est-à-dire en règle de droit. Par référence
à une expression latine, on dit alors que la coutume est une loi « par sentiment
de nécessité » (Opinio juris seu necessitatis). Ainsi apparait l’élément
psychologique de la coutume. De façon spontanée, les sujets respectent une
croyance qui devient par l’habitude une règle de droit dont le non-respect est
sanctionné.

Illustrations - La dot, clé de voûte du mariage coutumier, l’attribution du


nom de l’enfant

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II : La formation de la coutume

Coutumes populaires et coutumes d’origine savante - Selon une distinction


classique conçue par le Doyen Carbonnier, on oppose les coutumes populaires
aux coutumes d’origine savante. Les coutumes populaires renvoient aux usages
(A) alors que les coutumes d’origine savante s’expriment sous la forme d’adages
ou de maximes (B).

A : Les usages

Notion d’usage - Les usages sont des coutumes populaires qui peuvent être
locaux, professionnels ou conventionnels.

Les usages locaux - Les usages locaux sont ceux qui existent dans une région
ou une ville particulière. Les usages locaux se rapprochent des usages
professionnels qui ont court dans une profession donnée. Ils régissent les
rapports entre les membres de cette profession. les usages professionnels sont
assimilables aux pratiques que l’on observe particulièrement en droit
commercial. Parmi les usages professionnels, on peut en effet citer les usages en
matière commerciale, en matière de contrats internationaux.

Les usages conventionnels - D’autres usages existent, qualifiés d’usages


conventionnels. Ils ont pour objet de déterminer dans les relations contractuelles
les obligations implicites qu’assument les contractants. C’est ce qu’exprime
l’article 1135 du code civil ancien selon lequel « les contrats obligent non
seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur
donnent l’équité, l’usage et la loi. Ce texte affirme clairement que les usages
conventionnels peuvent servir à compléter le contenu des contrats,
particulièrement dans la vente commerciale ou les baux commerciaux. Dans ces
contrats, les usages conventionnels prennent la forme de clauses qui deviennent
de véritables règles de droit lorsqu’elles sont reprises et répétées par les
professionnels dans les contrats.

B : Les adages

Définition de l’adage - Les adages sont des coutumes anciennes conçues par la
doctrine pour donner corps à des règles de droit coutumières. C’est dans cette
optique que Loysel a rédigé les Institutes coutumières dans lesquelles les règles

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de droit sont présentées sous la forme d’adage. Parmi ces adages que l’on doit à
Loysel, on peut citer en matière matrimoniale l’adage « en mariage il trompe qui
peut » qui traduit l’exclusion du dol des vices du consentement admis en matière
de mariage ou en matière de donation, l’adage « donner et retenir ne vaut » qui
exprime le caractère irrévocable de la donation.

Adages repris dans une loi – Certains adages accèdent au rang de véritable
règle de droit lorsqu’ils sont repris dans une loi. Tel est le cas de l’adage « en
fait de meuble la possession vaut titre » qui est repris in extenso par l’article
2279 du code civil ancien.

Les adages non repris dans une loi – D’autres adages sont des règles de droit
alors qu’ils ne sont repris dans aucune loi. C’est parce qu’ils sont obligatoires
que sont censurées les décisions des juges du fond qui ne les respectent pas.

Illustration - On peut à cet égard citer l’adage « nemo auditur propriam


turpitudinem allegans », ce qui signifie que nul ne peut se prévaloir de sa propre
turpitude. La maxime est souvent utilisée pour refuser l’action en restitution
d’une chose versée en application d’un contrat dont la cause est immorale.
Comme autre exemple, on peut citer la maxime « error communis facit jus » en
vertu de laquelle une erreur communément répandue et devenue invincible se
transforme en règle de droit. Il suffit à cet égard que les tiers soient de bonne foi,
ce qui revient à établir qu’ils ont agi en croyant que l’erreur était une véritable
règle de droit.

§2 : Les rapports entre la loi et la coutume

Dualité des sources du droit gabonais - En droit gabonais, la coutume et la loi


ont toujours entretenu des rapports particuliers. Elles constituent des sources de
droit qui se complètent ou rivalisent en fonction de l’évolution de la société. Si
en principe, les codifications intervenues en 1972 et 1989 auraient dû entraîner
la disparition des coutumes, force est de constater qu’il n’en est rien. Les
coutumes restent vivaces dans la société gabonaise. Pour cette raison se pose
encore la question des rapports qu’elles entretiennent avec la loi.
Rapports pacifiques ou conflictuels - Etudier les rapports entre la coutume et
la loi revient à mettre en exergue les liens qui existent entre ces deux notions.
Ces liens ne peuvent être mis en évidence que si l’on fait ressortir le rôle de la
coutume, particulièrement au Gabon où l’introduction du droit écrit et

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l’entreprise de codification des années 1972 et 1989 auraient normalement dû
entraîner la disparition des coutumes. Ce constat résulte de l’étude des rapports
historiques qu’entretiennent les deux normes. Selon les coutumes envisagées, les
rapports avec la loi peuvent être pacifiques (I) ou conflictuels (II).

I : Les rapports pacifiques entre la loi et la coutume

Détermination des rapports pacifiques - Les rapports pacifiques sont des


rapports de coopération entre la loi et la coutume. Ces rapports naissent en
présence de coutumes accessoires à la loi. En effet, certaines coutumes dites
praeter legem sont autonomes car elles complètent la loi en l’absence de tout
renvoi du législateur. Elles permettent de combler les lacunes de la loi dont elles
pallient le silence (A). D’autres coutumes dites secundum legem complètent la
loi en vertu d’un renvoi express du législateur (B).
A : Les coutumes praeter legem

Les coutumes suppléant la loi - Ce sont les coutumes suppléant le silence de la


loi parce qu’elles s’appliquent dans des matières non régies par des textes de loi.
La coutume praeter legem s’applique en dehors de tout renvoi explicite ou
implicite de la loi. De ce point de vue, la coutume comble les lacunes de la loi
car elle la complète sur tous les aspects non réglés par le législateur.

Illustrations en droit civil - Par exemple, en droit de la famille, une ancienne


coutume voulait que la femme mariée portât le nom de son mari ; l’article 236
du code civil gabonais admet la preuve du mariage par l’acte de notoriété
chaque fois qu’il est absolument impossible de se procurer l’acte de mariage par
suite de guerres ou d’embrasements. Selon l’article 2, alinéa 2, de la loi du 31
mai 1963 portant suppression de la dot, en cas de rupture d’un mariage contracté
avant l’entrée en vigueur de la loi, le remboursement de la dot pourra être
réclamée. Autrement dit, on est en présence d’une coutume praeter legem qui
s’applique aux mariages coutumiers célébrés avant l’adoption de la loi.

Illustration en droit commercial - En matière commerciale, la solidarité des


codébiteurs résulte d’une coutume praeter legem.

Délégation - Le problème des coutumes praeter legem vient de ce que dans un


système de droit écrit, le parlement est, en principe, le seul organe interne
habilité à créer directement le droit. Une partie de la doctrine a donc considéré
que l’exclusivité réservée au parlement interdisait qu’une coutume praeter
legem puisse être une source autonome de droit. Cet argument a été battu en
brèche dès lors que le pouvoir exécutif a été autorisé à créer directement le droit
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par le biais de règlements autonomes. On peut à cet effet observer que les
rédacteurs du code civil français s’étaient montrés favorables à la force
obligatoire de la coutume en dehors de toute délégation législative.

Rareté des coutumes praeter legem - Les coutumes praeter legem sont rares
car les questions qui soulèvent des difficultés sont très vite saisies par le
législateur. Cependant, lorsqu’elles existent, ces coutumes sont considérées
comme une source autonome de droit venant combler les lacunes de la loi.

B : Les coutumes secundum legem

Notion - Ce sont les coutumes par délégation de la loi qui y renvoie


expressément. Parce qu’elles bénéficient de cette délégation de la loi, elles
jouissent d’une autorité égale à celle de la loi. Le renvoi à la coutume peut être
exprès ou tacite.

Renvoi express - Lorsque le renvoi est exprès, la coutume s’applique sans que
les justiciables aient manifesté leur volonté. Tel est par exemple le cas des
articles 645 (utilisation des eaux par les propriétaires riverains), 663 (hauteur des
clôtures) et 671 (distance à observer entre les plantations et les clôtures) du code
civil ancien qui renvoient à l’application des usages locaux en matière de
servitudes.
Illustration en droit civil - En matière contractuelle, l’article 1135 du code civil
ancien déclare que « les conventions obligent non seulement à ce qui y est
exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à
l’obligation d’après sa nature ». Il en est encore ainsi de l’article 1159 qui
commande au juge d’interpréter ce qui est ambigu « par ce qui est d’usage dans
le pays où le contrat est passé ».

Renvoi indirect - Le renvoi à la coutume peut aussi être indirect. Dans ce cas, la
coutume a un rôle supplétif.

Illustrations en droit gabonais - Il en est par exemple ainsi de la coutume à


laquelle renvoie l’article 94-b du code civil gabonais. Selon ce texte, en effet, à
défaut d’attribution légale du nom, l’attribution du nom peut se faire
conformément à la coutume. Tel est encore le cas lorsque la loi évoque des
notions coutumières comme « les bonnes mœurs » (article 6 du code civil
ancien) ou « le bon père de famille » (article 1137 du code civil ancien). Ces
concepts auxquels se réfère le législateur ne sont pas définis car leur sens évolue
avec le temps. La coutume a alors pour rôle de compléter la loi en permettant

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leur définition. La coutume joue alors le rôle d’un décret d’application qui
permet l’application de la loi.

Transition - Les coutumes praeter legem et secundum legem complètent la loi à


la suite ou en l’absence de renvoi par la loi elle-même. Dans cette optique, les
rapports entre la loi et la coutume sont pacifiques car il s’instaure une
complémentarité entre les deux normes. Cette complémentarité disparaît lorsque
la coutume contredit la loi. De pacifiques, les rapports entre les deux normes
deviennent alors conflictuels dès lors que la coutume est contra legem.

II : Les rapports conflictuels entre la loi et la coutume

Les coutumes contra legem - Les coutumes contraires à la loi ou coutumes


contra legem corrigent la loi. Se pose alors une question de suprématie. Si le
principe de l’infériorité de la coutume à la loi est admis, il reste que, dans
certains cas, la coutume est exceptionnellement appliquée.

A : L’infériorité de principe de la coutume à la loi


Place des coutumes contra legem - En dehors de la matière commerciale où
l’on admet que les usages commerciaux puissent être contraires à une loi civile,
il n’est pas de bonne politique juridique que deux normes obligatoires et
contradictoires coexistent dans un ordre juridique.

Le primat de la loi - La question est résolue par la constitution qui affirme le


primat de la loi sur les autres sources du droit, particulièrement sur la coutume.
En principe, la coutume ne peut pas prévaloir contre une loi impérative. La
supériorité de la loi sur la coutume s’impose donc dans la hiérarchie des sources
du droit. La suprématie de la loi vaut même lorsqu’elle est en désuétude. La
désuétude suppose que la loi n’est plus appliquée. Mais tant qu’elle n’a pas été
abrogée, elle reste en vigueur. De même, la loi n’est pas abrogée par
l’application d’une coutume contrat legem.

Illustration en droit gabonais - Exemple la pratique de la dot qui est interdite


au Gabon par la loi du 31 mai 1963 alors qu’elle continue d’être la clé de voûte
du mariage coutumier que l’ensemble du corps social continue de pratiquer.
Toutefois, le versement régulier de la dot ne peut impliquer l’abrogation de la loi
du 31 mai 1963.

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Conflit entre le code civil et la coutume - La contrariété entre la coutume et la
loi met en évidence le conflit entre le code civil et la coutume, conflit dont les
juges ont eu à connaître à l’occasion de l’affaire jugée le 7 mars 1996 et qui a
abouti à une lecture contestable des articles 216 et 217 du code civil. Les juges
de la Cour de cassation gabonaise ont purement et simplement interprété ces
textes en se référant aux règles coutumières. Se pose alors le problème de la
délimitation des domaines respectifs de la loi et de la coutume. La coutume
contra legem peut alors inspirer le législateur qui adoptera une loi conforme aux
attentes sociales. De ce point de vue, les coutumes contra legem peuvent alors
être appliquées, malgré l’existence d’une loi.

B : L’application exceptionnelle de la coutume contra legem

Domaine de la coutume contra legem - Il est admis que la coutume puisse être
contraire à une loi interprétative ou supplétive de la volonté des parties. Dans ce
cas, en effet, les parties peuvent écarter l’application de la loi.
Illustration - Ainsi en est-il du don manuel qui est valable en l’absence de l’acte
notarié qu’exige l’article 931 du code civil ancien ou de la solidarité présumée
entre les codébiteurs commerciaux contrairement à l’article 1202 du code civil
ancien.

Conclusion sur le pluralisme des sources du droit au Gabon


Pluralisme des sources du droit au Gabon - Le phénomène juridique obéit
donc à un pluralisme des sources de droit qui correspond lui-même à une
pluralité des moyens d'expression de la règle de droit. Il en résulte que la
coutume est indiscutablement une source de droit au même titre que la loi ou la
jurisprudence.

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Chapitre 2 : Les sources interprétatives du droit objectif

Dualité des sources – Il existe deux sources interprétatives de la loi qui sont la
jurisprudence (section 1) et la doctrine (section 2).

Section 1 : La jurisprudence

Sens de la jurisprudence - La jurisprudence désignait chez les romains la


science du droit, le terme juris signifiant droit était associé au terme prudentia
qui signifiait la connaissance. De nos jours le terme a généralement deux sens.
Dans une première approche, la jurisprudence désigne l’ensemble des décisions
rendues par les tribunaux dans les litiges qui leur sont soumis. Dans une seconde
approche, le terme jurisprudence indique le sens dans lequel les tribunaux
tranchent habituellement un problème de droit qui leur est soumis. C’est ce
pouvoir prétorien que met en œuvre le juge en interprétant la loi, ce qui confère
à la jurisprudence les caractéristiques d’une règle de droit et conduit certains
auteurs à affirmer qu’il s’agit d’une source de droit.

Intérêt théorique de la jurisprudence - La question présente un intérêt


théorique dans un système juridique où la principale mission du juge est
d’appliquer la loi. Il en résulte que les décisions judiciaires n’ont d’autorité
qu’en vertu d’une loi. Même lorsque dans le silence ou l’obscurité de la loi, le
juge est conduit à interpréter une loi, la décision qu’il rend n’a qu’un caractère
subsidiaire. Cette subsidiarité induit notamment que la cassation d’une décision
des juges ne peut être fondée sur la violation d’une jurisprudence. De même,
l’application du principe de non-rétroactivité des lois n’est pas étendue à la
jurisprudence. La raison en est que même la jurisprudence des juridictions
supérieures ne s’imposent pas aux juridictions inférieures et qu’il est toujours
possible d’assister à un revirement de jurisprudence.

Apports de la jurisprudence - Le rapprochement entre la jurisprudence et la


règle de droit s’impose dans la mesure où la loi ne permet toujours de
solutionner toutes les situations particulières qui peuvent se présenter. En
exerçant son pouvoir d’interprétation, le juge comble alors les lacunes de la loi.
Il peut aller parfois jusqu’à la compléter voire la modifier.

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Rapports de la jurisprudence avec la loi - La question se pose alors de savoir
si le pouvoir du juge est équivalent à celui du parlement dont la mission
principale est d’édicter la loi, c’est-à-dire des règles générales et abstraites qui
ont un caractère obligatoire indépendamment des situations particulières qui
peuvent exister. Même lorsque le juge rend une décision en application de son
pouvoir d’interprétation, cette décision ne s’impose jamais aux tribunaux dans
les litiges similaires. La décision ne vaut qu’inter partes, entre les parties au
litige. Elle n’a pas vocation à s’imposer à tous. Apparaît alors la différence
fondamentale avec la règle de droit qui vaut erga omnes, à l’égard de tous les
citoyens.

Force de la jurisprudence - Malgré cette différence fondamentale entre la loi et


la jurisprudence, il reste que l’exercice du pouvoir d’interprétation peut conduire
le juge, dans certaines matières, à créer de véritables règles de droit. Tel est par
exemple le cas en droit de la responsabilité, d’enrichissement sans cause ou
d’abus de droit. Par ailleurs, la force juridique des décisions de justice est
d’autant plus grande que les décisions sont rendues par la Cour de cassation. Les
juridictions inférieures ont alors tendance à s’y conformer même si elles n’y sont
pas obligés. Ce phénomène s’observe particulièrement aujourd’hui en ce qui
concerne le pouvoir d’interprétation des Actes uniformes de l’OHADA par la
CCJA. Ces décisions mettent en évidence l’autorité considérable de la CCJA
qui, à l’instar des juridictions nationales, déploie une activité dans le cadre de
la fonction contentieuse du juge (§1) dont les décisions sont revêtues d’une
certaine autorité (§2).

§1 : Le cadre légal de la fonction contentieuse du juge

Soumission et affranchissement – S’il est nécessaire d’encadrer le juge dans sa


fonction contentieuse (I), il reste que cet encadrement n’est pas absolu car, dans
sa fonction contentieuse, le juge peut être amené à s’affranchir de la loi (II).

I : L’encadrement de la fonction contentieuse du juge

Application d’une loi claire - Lorsque la loi est claire le juge a pour unique
mission de l’appliquer, sans avoir à l’interpréter. Cette application consiste à régler
le litige en se fondant sur la règle de droit telle qu’elle a été votée par le législateur.
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Le juge n’est pas autorisé à s’écarter de la loi mais plutôt à la respecter. Ce faisant,
il respecte le principe de la séparation des pouvoirs consacré par la constitution
gabonaise qui fait du pouvoir législatif qui seul est habilité à prévoir des règles
générales et impersonnelles applicables à l’ensemble du corps social. Dans le
même ordre d’idées, en interdisant au juge de rendre des décisions applicables à
tous, on respecte la nature des pouvoirs qui doit appliquer la loi votée par le
parlement.

Une décision inter partes - Ainsi, le juge ne peut, à l’occasion du règlement des
litiges, édicter de type règle générales et impersonnelles. D’ailleurs, la décision que
rend le juge à l’occasion de tel ou tel litige ne s’applique qu’aux parties aux litiges.
Elle vaut inter partes et non erga omnes. Admettre le contraire reviendrait, à partir
du règlement d’une situation particulière, à édicter une règle générale applicable à
tous. La prohibition des arrêts de règlement (A) et la relativité de la chose jugée (B)
permettent de rendre compte de cette délimitation des pouvoirs du juge dans sa
fonction contentieuse.

A : La prohibition des arrêts de règlement

La justification de la prohibition - Selon Portalis « en laissant à l'exercice du


ministère du juge toute la latitude convenable, nous lui rappelons les bornes qui
dérivent de la nature même de son pouvoir. Un juge est associé à l'esprit de
législation ; mais il ne saurait partager le pouvoir législatif. Une loi est un acte
de souveraineté ; une décision n'est qu'un acte de juridiction ou de magistrature".
Ces propos de Portalis permettent d’expliquer ce qu’est un arrêt de règlement et
pourquoi il a paru nécessaire de l’interdire.

La notion d’arrêt de règlement - La définition de l’arrêt de règlement résulte


de l’article 8, alinéa 4, du code civil selon lequel les juges ne doivent pas, pour
trancher les affaires qui leur sont soumises, se « prononcer par voie de
disposition générale et réglementaire ». S’ils se prononçaient par voie de
disposition générale et réglementaire, les juges formuleraient en réalité une
solution générale applicable aux cas similaires qui leur seraient soumis.

La jurisdictio - Certes, lorsqu’ils sont saisis d’un litige, les juges exercent la
jurisdictio qui les oblige à régler le litige en appliquant une règle de droit. Ainsi,
si la décision des juges s’impose dans un litige particulier, c’est moins au regard
de l’autorité qui leur est conférée que de l’argumentation qu’ils utilisent pour
convaincre les parties du bienfondé de leur décision et de la justice d’une
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manière générale. La jurisdictio explique que les décisions de justice
contiennent obligatoirement deux éléments. D’une part, les motifs de la décision
qui contiennent les propositions générales et abstraites. D’autre part, une
conclusion dans laquelle apparait la décision du juge qui énonce une norme
individuelle applicable au cas qui lui est soumis. L’analyse combinée des motifs
et du dispositif explique la décision des juges et révèle les fonctions de la
prohibition (1) dont le non-respect est par ailleurs sanctionné (2).

1 : Les fonctions de la prohibition

Si l’article 8, alinéa 4, du code civil interdit aux juges, dans l’exercice de leur
fonction contentieuse, de trancher les litiges qui leur sont soumis par voie de
disposition générale et réglementaire, a fortiori leur est-il interdit de rendre des
arrêts de règlement proprio motu, c’est-à-dire de créer, en dehors des litiges qui
leur sont soumis de telles dispositions. En d’autres termes, les juges ne peuvent
prendre une décision si un litige ne leur a pas été soumis. Toute décision prise en
dehors d’un litige ne respecte pas le principe fondamental du contradictoire, ce
qui rapproche cette décision plus du champ de compétence du législateur que
des juges.

En réalité, ce que l’article 8, alinéa 4, du code civil interdit aux juges c’est de
régler le litige qui leur est soumis en édictant une règle qui s’impose pour
l’avenir et de ne pas motiver leur décision en rapport avec les faits dont il a été
saisi.

Par ailleurs, la disposition générale et réglementaire visée à l’article 8, alinéa 4,


du code civil induit que le juge empiète sur le domaine de la loi ou du
règlement, ce qui revient à ne pas respecter le principe de la séparation du
pouvoir judiciaire avec les pouvoirs législatif et exécutif. Il y a ainsi un lien
entre l’article 8, alinéa 4 du code civil et l’article 16 de la DDHC qui figure
dans le bloc de constitutionnalité. Selon ce texte, une société n’a pas de
constitution si elle ne garantit pas les droits des citoyens. Il en est de même si
elle ne respecte pas la séparation des pouvoirs. C’est cette dernière exigence
dont l’article 8, alinéa 4, du code civil assure le respect en interdisant aux juges,
à travers la prohibition des arrêts de règlement, d’empiéter dans le domaine
réservé au législateur qui seul peut édicter une règle générale et impersonnelle.

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Exemple Cour de cassation, 11 novembre 2004. Dans cet arrêt de cassation
sans renvoi, la Cour affirme que, compte tenu de l’importance des principes qui
ont été violés par les juges d’appel, son arrêt a « un caractère normatif ». C’est
l’affirmation de ce « caractère normatif » qui constitue une violation du principe
de la prohibition des arrêts de règlement, tel qu’il résulte de l’article 8, alinéa 4,
du code civil.

On observera que l’article 8, alinéa 4, du code civil vise les juges et non le juge.
Il en résulte que le principe de l’interdiction est applicable non pas au juge pris
individuellement mais au corps judiciaire, c’est-à-dire à l’ensemble des juges (Y
compris le juge constitutionnel, ce qui justifie sa jurisprudence sur la supériorité
des traités sur les lois nationales).

Mais l’interdiction des arrêts de règlement s’applique aussi aux autorités


administratives indépendantes qui cumulent parfois des pouvoirs de réglementation,
d'administration et de juridiction. Ces autorités sont tenues, dans l’exercice de leur fonction
contentieuse, de respecter l’interdiction des arrêts de règlement.

Le champ d’application personnel de la prohibition des arrêts de règlement met


en évidence l’obligation pour les pouvoirs exécutif et judiciaire de respecter le
principe de la séparation des pouvoirs. Ce lien explique aussi la sanction du non-
respect de la prohibition des arrêts de règlement.

2 : La sanction du non-respect de la prohibition

Sanction pénale ou civile - La sanction du non-respect de la prohibition des


arrêts de règlement peut être pénale et civile.

Sanction pénale - La sanction pénale est prévue par l’article 132-1 du code
pénal qui punit de la destitution et, éventuellement, d’une amende maximum de
F CFA de 1 000 000 « les juges, les magistrats du ministère public, les officiers
de police qui se seront immiscés dans l’exercice du pouvoir législatif, (…) par
des règlements contenant des dispositions législative… ». Quant à l’article 132-
2 du code pénal, il punit des mêmes peines « les juges, les magistrats du
ministère public, les officiers de police judiciaire qui auraient excédé leur
pouvoir en s’immisçant dans les matières attribuées aux autorités
administratives, (…) en faisant des règlements sur ces matières ». La sanction

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pénale permet de protéger le parlement et l’administration contre l’immixtion
des juges dans leurs pouvoirs.

La destitution, sanction pénale du non-respect de la prohibition des arrêts de


règlement, est plus sévère que la sanction pénale du déni de justice prévu à
l’article 8,alinéa 3, du code civil.

Sanction civile - Outre la responsabilité pénale, les décisions des juges violant
la prohibition des arrêts de règlement sont susceptibles de cassation, selon les
cas, devant la Cour de cassation nationale ou la Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage (CCJA). Ces voies de recours sont exercées par le justiciable qui
souhaite obtenir le respect de l’article 8, alinéa 4, du code civil.

B : L’autorité relative de la chose jugée

La notion - L’autorité de la chose jugée attachée aux décisions de justice


signifie que, sous réserve des voies de recours, elles ont la force de la vérité
légale qui empêche que la même cause soit à nouveau jugée entre les mêmes
parties dans un nouveau procès. En droit non harmonisé, le principe de l’autorité
relative de la chose jugée est prévu par les articles 376 du code de procédure
civile.

En droit harmonisé CEMAC et OHADA, ce principe résulte des articles 5 de la


convention régissant la Cour de Justice de la CEMAC ainsi que des articles 20
du traité de l’OHADA, 47 et 49 du règlement de procédure de la Cour
Commune de Justice et d’Arbitrage.

Comme la prohibition des arrêts de règlement, le principe de l’autorité relative


de la chose jugée vise à cantonner le juge dans sa fonction contentieuse. La
décision qu’il rend s’applique au cas qui lui a été soumis. Elle n’a pas vocation à
s’appliquer erga omnes. En d’autres termes, seules les parties au litige sont liées
par la décision du juge. Les tiers ne sont pas concernés, de sorte que la décision
du juge ne peut avoir force obligatoire à leur égard. La force obligatoire de la
décision est limitée aux parties Seule la règle édictée par le législateur peut avoir
une telle force qui explique l’obligatoire pour toute la société de la respecter.

En résumé, en vertu de tous les textes précédemment cités, la jurisprudence n’a


pas de portée générale en raison de la prohibition des arrêts de règlement et
l’autorité relative de la chose jugée. En conséquence, elle ne peut être rangée
parmi les sources du droit.

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II : La force créatrice du juge dans sa fonction contentieuse

Saisi d’une contestation, le juge exerce la jurisdictio, ce pouvoir qui consiste à


trancher le litige qui lui est soumis en appliquant les règles de droit. Ce devoir
s’impose au juge dans un système qui interdit aux particuliers de faire justice à
eux-mêmes. Le recours au juge permet ainsi d’éviter le désordre et l’arbitraire
qui résulteraient de particuliers appliquant leurs propres lois. C’est pour éviter
l’arbitraire qu’il est fait obligation au juge d’indiquer la règle de droit sur
laquelle il se fonde pour rendre sa décision. C’est l’obligation de motivation des
décisions de justice qui s’impose même aux juridictions suprêmes. Ainsi, en
application de l’article 8, alinéa 3, du code civil, il pèse sur le juge, sous peine
de sanction (B), une obligation de juger (A) dès lors qu’il est saisi par un
justiciable.

A : L’obligation de juger

Au terme de l’article 8, aliéna 3, du code civil « le juge qui refusera de juger,


sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi, pourra être
poursuivi comme coupable de déni de justice ». Ce texte détermine le principe
(1) et la sanction du non-respect (2) de l’obligation de juger.

1 : Le principe de l’obligation de juger

La notion - L’obligation de juger qui pèse sur le juge se dédouble. Il s’agit à la


fois d’un devoir d’interpréter et d’un devoir de juger.

Le devoir d’interpréter - L’article 8, alinéa 3, du code civil règle la question


des rapports du juge avec la loi en le menaçant de poursuites pour déni de justice
lorsque, saisi par les justiciables, il ne rend pas la justice en prétextant le silence,
l’obscurité ou l’insuffisance de la loi. On déduit de ce texte qu’il pèse sur le juge
un devoir d’interpréter la loi. En effet, il pèse sur le juge un devoir de trancher le
litige, même si la loi est silencieuse, obscure ou insuffisante. L’obligation
d’interpréter la loi signifie que le juge n’en fait pas une application mécanique.
Il dispose d’un pouvoir exclusif d’indiquer, dans le silence ou l’insuffisance de
la loi, le texte sur lequel il fonde sa décision. De même, en cas d’obscurité, il
doit lui restituer son sens en recherchant la volonté du législateur. Dans tous les
cas, le juge ne peut prendre prétextes des lacunes de la loi, que ces lacunes
soient volontaires ou non, pour refuser de juger. En comblant les lacunes de la
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loi, le juge procède à une interprétation créatrice qui fait dire que la
jurisprudence est une source du droit.

Le devoir de juger - Le devoir d’interpréter la loi se double d’un devoir de


juger qui résulte de l’analyse combinée des articles 8, alinéa 3, du code civil et
133 du code pénal. Selon ce dernier texte, en effet, « Tout juge ou tribunal qui,
sous quelque prétexte que ce soit, même du silence ou de l’obscurité de la loi,
aura dénié de rendre la justice qu’il doit aux parties après en avoir été requis,
et qui aura persévéré dans son déni après avertissement ou injonction de ses
supérieurs, sera puni d’une amende de 24 000 à 240 000 francs et de
l’interdiction de l’exercice des fonctions publiques de cinq à vingt ans ».
L’article 133 du code pénal fait ainsi le lien entre l’obligation de juger et l’office
du juge. Sa mission est de rendre la justice. Il ne peut s’y soustraire en se
réfugiant derrière le silence, l’obscurité ou l’insuffisance de la loi. Il doit exercer
sa jurisdictio et il lui est interdit de faire preuve de mauvaise foi. Celle-ci est
évidente quand, rappelé à l’ordre par ses supérieurs hiérarchiques, il persiste
dans son attitude en refusant de juger.

Exemple : Dans la décision interprétant l’article 13 de la constitution de 2018,


article qui prévoyait la vacance définitive, et non pas la vacance temporaire, la
Cour constitutionnelle aurait pu fonder, en partie, sa décision sur l’obligation
de juger à laquelle est soumis tout juge auquel est porté un litige. L’article 8,
alinéa 3, du code civil s’impose aussi au juge constitutionnel qui ne peut se
réfugier derrière le silence de la loi pour refuser de trancher une question qui
lui est soumise.

La portée de l’obligation de juger - Quant à sa portée, non seulement le juge


doit trancher le litige en appliquant les règles de droit, mais il doit aussi
trancher au regard des prétentions des parties au litige. Ce sont, en effet, les
demandes formulées par les parties qui déterminent le cadre du litige. En
rendant la justice, le juge statuer sur ce qui est demandé, tout ce qui est
demandé et seulement ce qui est demandé.

2 : La sanction du non-respect de l’obligation de juger

La sanction pénale - Le juge qui ne respecte pas l’obligation qui lui est faite de
juger encourt une sanction pénale prévue par l’article 133 du code pénal. Selon
ce texte, « tout juge ou tribunal qui, sous quelque prétexte que ce soit, même du
silence ou de l’obscurité de la loi, aura dénié de rendre la justice qu’il doit aux
parties après en avoir été requis, et qui aura persévéré dans son déni après
avertissement ou injonction de ses supérieurs, sera puni d’une amende de 24 000
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à 240 000 francs et de l’interdiction de l’exercice des fonctions publiques de
cinq à vingt ans ».

La sanction contre le juge - A s’en tenir à l’article 133 du code pénal, la


sanction vise le juge qui s’est rendu coupable d’un déni de justice. Il encourt une
amende pénale et une interdiction allant de 5 à 20 ans d’exercer les fonctions
publiques.

L’annulation de la décision - Toutefois, la sanction du déni de justice ne frappe


pas que le juge. Elle touche aussi la décision elle-même que le justiciable peut
attaquer devant des juges supérieurs pour en obtenir l’annulation.

B : La force des précédents judiciaires

Dans le principe, la décision rendue par un juge, même s’il s’agit d’une
juridiction supérieure, ne s’impose pas aux autres juges. Toutefois, lorsqu’il est
saisi par un justiciable, le juge peut rechercher dans la jurisprudence les
décisions rendues dans des affaires similaires. Il pourra s’inspirer de la
jurisprudence antérieure, surtout si elle émane de la cour de cassation, de la
chambre mixte ou, en droit OHADA, de la CCJA. En général, ce travail
d’identification de la jurisprudence est l’œuvre des avocats qui vont aiguillonner
le juge en citant des décisions de justice fréquemment rendues dans le même
sens et au sujet d’affaires similaires.

En s’inspirant des précédents judiciaires, c’est-à-dire des décisions antérieures,


le juge interprète le droit de façon identique. Cette répétition contribue à la
formation de la jurisprudence, ce qui fait parfois dire à la doctrine qu’il s’agit
d’une jurisprudence constante.

Jurisprudence, source de droit - En conclusion, par l’obligation de juger,


même en cas de silence, d’obscurité ou d’insuffisance de la loi, le juger peut
créer la loi afin de régler le litige qui lui est soumis. Cette interprétation créatrice
conduit à ranger la jurisprudence parmi les sources du droit, même si certains
auteurs préfèrent plutôt reconnaitre à la jurisprudence une certaine autorité.

§2 : Le fondement de l’autorité de la jurisprudence

Motivation des décisions et hiérarchie judiciaire - La jurisprudence se forme


à partir des décisions de justice qui s'imposent grâce à leur motivation (I) et à la
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hiérarchie judiciaire (II).

I : La motivation des décisions de justice

Définition - La motivation est le raisonnement juridique qui a conduit le juge à


trancher dans tel ou tel sens. Toutes les décisions de justice doivent en principe
être motivées.

Les motifs de la décision - La motivation apparait dans les motifs de la


décision. Elle consiste pour le juge à justifier sa décision en indiquant la règle de
droit qui la fonde. C’est à partir de cette motivation que l’on met en évidence
l’interprétation de la règle de droit par le juge.

Absence, insuffisance ou contrariété des motifs - En conséquence, l’absence,


l’insuffisance ou la contrariété de motifs permet d’attaquer la décision devant la
cour de cassation ou la CCJA pour en obtenir l’annulation. C’est la raison pour
laquelle l’annulation de la décision pour absence, insuffisance ou contrariété des
motifs est la sanction du déni de justice. Mais cette sanction frappe la décision
et non pas la juge.

Le dispositif de la décision - Outre les motifs, la décision de justice contient le


dispositif. C’est dans le dispositif que le juge, après avoir expliqué dans les
motifs le fondement de sa décision, tranche le litige en désignant la partie qui a
gagné et celle qui a perdu le procès.

II : La hiérarchie judiciaire

Le sens de la hiérarchie – Il existe une hiérarchie entre les juridictions, certains


étant supérieures à d’autres. On distingue à cet égard les juridictions du fond,
composée du TPI et de la Cour d’appel, de la Cour de cassation qui est la
juridiction suprême dans l’ordre judiciaire.

Hiérarchie en droit interne - Les décisions de justice s’imposent d’autant plus


qu’elles sont rendues par les juridictions supérieures. Pour éviter la réformation
de leurs décisions, les juges de première instance se conformeront à la position
de la Cour d’appel du ressort. De son côté, celle-ci, pour éviter la cassation de

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ses arrêts, se conformera à la position de la Cour de cassation.

Hiérarchie en droit OHADA - En droit OHADA, les juridictions nationales ont


tout intérêt, si elles ne veulent pas voir leurs décisions cassées, de se conformer
à la jurisprudence de la CCJA.
Les chambres réunies de la Cour de cassation - En outre, dans la mise en
œuvre du mécanisme du pourvoi en cassation, les chambres réunies de la Cour
de cassation emportent toujours la décision finale. C’est l’interprétation qu’elles
retiennent de la règle de droit qui s’impose à la juridiction de renvoi, c’est-à-dire
aux juges du fond.

Interprétation uniforme de la loi - Ainsi, comme la CCJA pour l’interprétation


du droit OHADA, la Cour de cassation nationale assure l’interprétation
uniforme de la loi. C’est pour assurer cette interprétation uniforme et la
cohérence de l’ordre juridique national ou supranational qu’il existe qu’une
seule Cour de cassation pour la République et une seule CCJA dans l’espace
OHADA.

Les arrêts de la Cour de cassation - Toutefois, les arrêts de la Cour de


cassation n’ont pas tous la même portée sur l’évolution du droit positif. Cette
portée dépend de la nature de l’arrêt qui peut être de rejet, de cassation, de
principe ou d’espèce.

L’arrêt de rejet - Un arrêt de rejet est un arrêt par lequel la Cour de cassation
rejette les prétentions du demandeur au pourvoi en approuvant l’interprétation
de la règle de droit faite par la juridiction dont la décision a été attaquée. L’arrêt
de rejet est rarement investi d’une grande portée. Il en est particulièrement ainsi
lorsque la Cour de cassation se réfère « au pouvoir souverain des juges du
fond ». La Cour signifie alors qu’elle refuse de connaître du problème. L’arrêt
de rejet est alors un arrêt d’espèce, sans grande portée. En général il n’inspire
pas le juge appelé à se prononcer sur une affaire similaire.

Arrêt de rejet et arrêt de principe - Toutefois, il faut prêter une attention


particulière aux arrêts de rejet qui commencent exceptionnellement par un
chapeau comportant l’affirmation d’un principe ou qui édictent un tel principe
dans le corps même de la décision. La Cour de cassation utilise alors des
expressions comme « la cour d’appel a pu à bon droit décider que…. » ou « la
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cour d’appel a pu légitimement décider que…. ». Il faut déduire de ces
formulations que la Cour de cassation approuve la position de la cour d’appel. Il
convient alors d’examiner avec le plus grand soin les arguments juridiques de la
cour d’appel qui peuvent traduire une position nouvelle, surtout si l’arrêt de la
Cour de cassation commence par l’affirmation d’un principe. L’arrêt de rejet
peut alors être un arrêt de principe qui va inspirer les juges du fond dans des
affaires similaires. Dans la jurisprudence gabonaise, l’arrêt de rejet qui est aussi
un arrêt de principe est l’arrêt NKODJE rendu par la Cour de cassation le 7 mars
1996.

Arrêt de rejet par substitution de motifs - De même, il faut accorder une


attention soutenue aux arrêts de rejet procédant par substitution de motif. Tout
en rejetant le pourvoi, c’est-à-dire en approuvant la position des juges du fond,
la Cour de cassation ne reprend pas les arguments de la Cour d’appel. Elle
justifie plutôt la solution par d’autres arguments qui n’ont pas été développés par
les juges du fond. Il faut en déduire que ces arguments n’ont pu être critiqués par
le demandeur au pourvoi. Un arrêt qui rejette le pourvoi par substitution de
motifs a une portée exceptionnelle. Un tel arrêt peut révéler une position de
principe. Le juge du fond doit y porter une attention particulière car il peut
s’inspirer de la décision rendue par la Cour de cassation.

Arrêt de cassation - En général, ce sont les arrêts de cassation qui ont une
portée particulière. Ces arrêts commencent par un chapeau dans l’attendu
liminaire qui comporte une formulation en termes généraux et abstraits. Pour
dégager la portée d’un tel arrêt, il faut examiner l’interprétation que la Cour
donne aux textes visés dans le chapeau. Cette interprétation pourra servir
d’aiguillon aux juridictions du fond dans des affaires similaires.

Illustration – Chambres réunies de la Cour de cassation sur la réparation


intégrale du préjudice. Dans le même sens, un arrêt de la chambre criminelle de
la cour de cassation du 09 septembre 1999, Bulletin des arrêts de la Cour de
cassation N°7, pp 121 et s.

Le revirement de jurisprudence - Enfin, la Cour de cassation peut opérer un


revirement de sa jurisprudence en rejetant le pourvoi formé contre un arrêt ayant
retenu une solution traditionnellement établie. Ce revirement signifie que la
Cour abandonne l’interprétation précédente pour en adopter une nouvelle. Dès

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lors, cette décision doit particulièrement intéresser les juges du fond. Dans la
jurisprudence de la CCJA, on peut citer l’arrêt époux Karim.

Section 2 : La doctrine

La définition de la doctrine - Le concept de doctrine est tiré du mot latin de


docere qui signifie enseigner. Dans cette acception, la doctrine désigne
l’ensemble des opinions émises par les juristes sur des questions de droit. Le
mot peut aussi avoir un sens plus particulier. Dans ce cas, la doctrine est
assimilée à une opinion émise sur une question de droit donnée.

Annonce du plan - Il s’infère de cette définition que la doctrine émet une


opinion sur des questions de droit (§1). Mais il est unanimement admis qu’elle
n’est pas une source de droit. Elle est une autorité qui repose sur la valeur des
opinions qu’elle émet (§2).

§1 : L’opinion doctrinale

Les tenants de la doctrine – La doctrine est composée de juristes, personnes


physiques qui sont souvent des professeurs de droit. On peut aussi ranger dans la
doctrine des professionnels du droit comme des avocats ou des magistrats.

Pluralité de la doctrine – Cette composition de la doctrine met en évidence


l’un de ses caractères fondamentaux qui est la pluralité. Certes, il peut exister
des écoles de pensée qui exprime une opinion particulière sur un problème de
droit donné. Mais l’idée de pluralité signifie que chaque juriste peut à lui seul
constituer une doctrine.

Liberté de la doctrine – La pluralité de la doctrine s’impose d’autant plus que


la doctrine est libre dans l’expression de ses opinions. Il peut ainsi y avoir autant
d’opinions qu’il y a d’auteurs. Comme elle ne tranche pa un litige, la doctrine
peut avoir une préférence, l’essentiel étant que l’opinion émise soit argumentée
en droit.

Les moyens d’expression de la doctrine – La diversité et la liberté de la


doctrine s’exprime à travers les moyens d’expression qu’elle utilise. En effet, les
auteurs peuvent émettre leurs opinions dans des supports aussi divers et variés
que les thèses, les essais, les traités, les répertoires, les manuels, les articles les
chroniques ou les commentaires d’arrêt publiés dans des revues juridiques.

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Transition – C’est à travers ces supports que la doctrine présente son
appréciation de la règle de droit ou de l’application qu’en a fait le juge. Elle met
ainsi en exergue son savoir juridique qui contribue à son autorité.

§2 : L’autorité de la doctrine

Absence de caractère général et obligatoire - Les opinions émises par la


doctrine ne constitue pas une source de droit. Elles ne peuvent avoir un
caractère général et impersonnel. De la même manière, elles ne revêtent pas un
caractère obligatoire.

Le savoir doctrinal – Même si elle n’est pas une source de droit, la doctrine
représente une opinion savante émise sur la règle de droit. La doctrine détient
un savoir juridique incontesté parce qu’elle emporte la conviction des lecteurs,
des profanes ou des autres professionnels du droit.

L’autorité doctrinale - C’est ce savoir qui contribue à forger et renforcer


l’autorité de la doctrine. Sans être une source de droit, la doctrine, à l’instar des
jurisconsultes de Rome, influence le législateur et contribue à la création de la
règle de droit. La doctrine exerce ainsi une influence sur le droit positif

Les illustrations – A titre d’illustrations, on peut citer les opinions doctrinales


émises par Aubry et Rau qui ont conçu la théorie classique du patrimoine qui est
encore appliquée aujourd’hui. On peut aussi citer Paul ROUBIER qui a conçu
les solutions du droit positif en matière d’application de la loi dans le temps.
Les solutions dégagées par cet auteur ont été reprises dans les articles 16 et
suivants du code civil gabonais. Toutefois, la règle suggérée par la doctrine
n’accède à la vie juridique que si elle est reprise par le législateur.

La doctrine n’est pas une source de droit - Il en résulte que malgré son
autorité, la doctrine n’est pas une source de droit. Ses opinions, quoique
savantes, ne lient ni le législateur ni le juge. Les opinions doctrinales ne peuvent
avoir un caractère obligatoire.

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