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LA SURPRISE DE

L’AMOUR

De Marivaux
Personnages

 La Comtesse;
 Lélio;
 Le Baron, ami de Lélio;
 Colombine, suivante de la Comtesse;
 Arlequin, valet de Lélio;
 Jacqueline, servante de Lélio;
 Pierre (Piarrot), jardinier de la Comtesse.
Résumé

 Après avoir été trahi par une femme, Lélio ne veut
plus entendre parler d’amour et décide de se retirer à
la campagne avec Arlequin.
 Dans le nouveau château, Jacqueline, la cuisinière de
Lélio, est éprise de Pierre, le jardinier d’une jeune
veuve du voisinage, qui professe à l’endroit des
hommes les mêmes sentiments que Lélio à l’endroit
des femmes.
Résumé (II)

 Or, Pierre et Jacqueline, pour se marier, ont besoin
du consentement et même d’une petite subvention
de leurs maîtres.
 Dès lors, Lélio et la Comtesse se rencontreront en
cherchant à s’éviter, s’écriront des billets sous
prétexte qu’il est inutile de se voir et qu’ils
s’entendront mieux par écrit.
Résumé (III)

 La Comtesse a également auprès d’elle une femme
de chambre rusée, Colombine, qui s’est jurée de faire
tomber amoureux Arlequin, et qui s’amuse des
agitations de sa maîtresse et les augmente.
 À la fin, maîtres et valets finiront par s’aimer.
Analyse de la pièce (I)

 Il ne faut pas oublier qu’en 1722 ce sont les Italiens
de retour à Paris qui créent La surprise de l’amour.
 La troupe de la Comédie Italienne avait été chassée
pour immoralité par Louis XIV. Le Régent, Philippe
d’Orléans, s’était empressé la rappeler à la mort de
son oncle.
 L’homme qui ne veut plus aimer, la femme qui
méprise les hommes, se rencontrent; l’expérience de
l’amour a brisé en eux le naturel et ils luttent contre
eux-mêmes par le langage.
 Ils dressent à eux deux un portrait terrifiant de
l’amour.
Analyse de la pièce (II)

 Pendant trois actes, sans qu’ils le sachent, leurs
âmes se cherchent et se refusent.
 Mais le couple du valet et de la soubrette parodie
leur manège et les ramènent à la nature.
 Chez Marivaux le langage est une arme de défense
contre le corps et ses désirs.
 Le verbe chez Marivaux laisse deviner un corps
terriblement érotisé.
Le désir dans le théâtre
de Marivaux

 Son premier grand succès fut « Arlequin poli par
l’amour », représenté en 1720 par la Nouvelle
Comédie Italienne.
 L’innovation décisive de cette pièce est de
réintroduire la psychologie au théâtre comique.
 De 1685 à 1715 environ le genre dominant était la
comédie cynique, qui consistait en une âpre satire
des mœurs et dont les personnages sont des
fantoches entièrement déterminés par leur
condition économique et sociale et, par conséquent,
dépourvus de toute intériorité (ex. Lesage)
À chaque personnage sa
personnalité.

 La psychologie que développe Marivaux est une
« métaphysique du cœur » : elle décrit les
mécanismes psychologiques très subtils et très
généraux qui sont ceux des rapports interpersonnels.
 Marivaux ne met pas en présence des êtres fortement
caractérisés par leur ridicule ou leur passion mais
des êtres tout simplement différant par leur sexe ou
par leur condition sociale ou par les deux
ensemble.
Les deux moteurs de la
pièce

 Chez Marivaux l’objet de l’étude est la différence
elle-même, la différence par excellence, sexuelle
et/ou sociale, c’est-à-dire naturelle et/ou culturelle.
 La différence se manifeste par le jeu de deux grands
ressorts qui font progresser l’action: l’amour et
l’amour propre.
Un sentiment dont il
faut être
conscient
 Marivaux a élaboré une problématique qui se
distingue par sa cohérence, sa profondeur et sa
complexité.
 Toutes les comédies de Marivaux retracent une
genèse: genèse du sentiment et genèse de la
conscience.
 Marivaux nous montre comment le désir d’autrui
engendre le désir de reconnaissance ou désir du
désir d’autrui car être c’est valoir aux yeux de
l’autre.
Le théâtre du désir

 On peut donc définir le théâtre de Marivaux comme
le théâtre du désir, à condition de donner au mot
« désir » le sens de « désir de reconnaissance » qui
est le ressort fondamental des relations
interpersonnelles.
 L’action de ses comédies consiste à extérioriser, en
les amplifiant, les mouvements intimes de l’être mis
en présence d’autrui.
L’autre: un reflet de soi

 Il a ainsi dégagé l’essence proprement dramatique
des rapports humains, où chacun cherche à obtenir
de l’autre la confirmation de sa valeur.
Reconnaissance comme
besoin de
 dignité
 Le désir de reconnaissance est parfaitement
légitime lorsqu’il procède d’une exigence de
dignité: il est alors le point d’appui de la
personnalité.
 Il est indispensable d’avoir le sentiment de sa valeur
personnelle, et d’aspirer à la voir reconnue.
Reconnaissance comme
vanité

 La perversion commence lorsque, indépendamment
de toute visée morale, la reconnaissance elle-même
devient la valeur suprême.
 Il s’agit alors d’amour propre et de vanité, de
coquetterie chez les femmes, de fatuité chez les
hommes, de préjugé social chez les riches et les
puissants.
L’amour: une tentation
narcissique

 Tout être social, parce qu’il a besoin des autres pour
se sentir exister, est guetté par la tentation du
narcissisme.
 Nous ne demandons alors à autrui que d’être, par
son regard, un miroir vivant rendant à notre
différent un perpétuel hommage.
L’amour selon
Marivaux

 La forme la plus complexe et la plus intense du
désir de reconnaissance est l’amour, et c’est à ce
titre que Marivaux lui a accordé une si grande place
dans son théâtre.
 Le désir amoureux, selon Marivaux, n’est autre que
l’instinct sexuel idéalisé par le désir de
reconnaissance (par l’amour propre).
Aimer pour s’aimer

 C’est un lieu commun de dire qu’un amant idéalise
l’objet aimé.
 Mais il faut ajouter aussitôt qu’il n’est point d’amant
qui ne souhaite être idéalisé en retour, c’est-à-dire
représenter aux yeux de l’autre l’objet d’élection, la
valeur suprême.
 Aimer est, dans son essence, le projet de se faire
aimer, écrit Jean-Paul Sartre dans l’Être et le Néant
au terme d’analyses qui font écho aux idées de
Marivaux.
Amour et amour
propre

 De nombreux critiques ont écrit que chacune des
comédies d’amour de Marivaux retrace un combat
entre l’amour et la vanité jusqu’au triomphe final
du sentiment, enfin dégagé des conventions et des
mensonges. Mais cette interprétation est fort
simpliste.
 Amour et amour propre, loin d’être des forces
antagonistes, sont des forces convergentes qui
contribuent à la confrontation des êtres
Ne pas avouer ses
sentimentspar orgueil
 Pourtant, il y a indéniablement conflit.
 Il importe donc quels sont donc le lieu et la nature de
ce conflit.
 Le conflit se situe au cœur de l’amour propre lui-
même, qui est habité par la contradiction.
 Si être c’est valoir et si je ne vaux que par le désir
d’autrui, mon être en est étroitement dépendant.
 Avouer naïvement mon désir du désir de l’autre
c’est me mettre à sa merci, donc me placer
imprudemment dans une position d’infériorité qui
compromet la reconnaissance à laquelle j’aspire.
Le désir amoureux est
inavouable

 Le vouloir plaire caractérise la vie sociale et enferme
chacun dans un personnage plus ou moins
naturellement joué.
 La contradiction inhérente à l’amour propre, qui ne
peut se satisfaire qu’en se masquant, s’exacerbe
dans l’amour.
 En effet, la composante sexuelle qui entre dans le
désir amoureux le rend bien plus impérieux et bien
plus inavouable encore que le désir de
reconnaissance.
Des capacités
d’expression
 différentes
 Mais tous les personnages des comédies de
Marivaux ne manifestent pas une égale répugnance
à exprimer leur amour.
 Il est très symptomatique que dans La Surprise de
l’Amour les paysans s’avouent leurs sentiments dès
la scène d’ouverture tandis que les valets attendent
la première scène de l’acte III et les maîtres la
dernière.
 Et encore, ces derniers ne prononcent-ils pas les mots
« Je vous aime ».
Un précurseur de
Rousseau

 C’est que, pour Marivaux, plus l’être s’élève
socialement, intellectuellement, moralement, plus
il se dissocie de la nature organique, de l’univers
des besoins, et plus ses désirs se font complexes,
raffinés et tyranniques.
 Marivaux définit ainsi, 20 ans avant le Discours sur
l’origine de l’inégalité de Rousseau le paradoxe de
la culture, qui est à la fois corruption et élaboration
de la nature.
La surprise des maîtres

 Le paysan et le valet, qui doivent gagner leur
subsistance par le travail de la terre et le service
domestique, restent en contact étroit avec leurs
besoins.
 Tandis que les maîtres, de par leur fortune et leur
position jouissent du privilège d’être servis en tout
et sans effort, ce qui fait qu’ils ignorent l’urgence
vitale des besoins en tant que tels.
 D’où leur stupeur et presque leur panique lorsqu’ils
surprennent en eux les premières exigences
charnelles de l’amour, qu’ils se refusent le plus
souvent à identifier lucidement et se dissimulent à
eux-mêmes aussi longtemps qu’ils le peuvent.
L’émergence des
instincts

 À quoi tient, chez les maîtres, le caractère
bouleversant de cette surprise, qui donne son titre à
deux pièces de Marivaux mais pourrait convenir à
toutes ses comédies d’amour?
 L’unité de leur être, qui est largement factice
(puisque fondé, nous l’avons vu, sur la dénégation
des besoins) vient de voler en éclat parce qu’ils se
trouvent brutalement confrontés au plus intime
d’eux-mêmes, aux exigences de la nature et de
l’instinct.
La contradiction des
sentiments

 D’une part, le désir amoureux des personnages
appelle la réciprocité, tant par amour propre que
par sensualité.
 Mais de l’autre, ce désir ne peut se manifester
clairement de peur d’essuyer une intolérable
rebuffade.
Un duel éternel

 Ce dilemme engendre un véritable duel où il s’agit
d’obtenir l’aveu de l’autre sans se découvrir soi-
même.
 Si bien que toutes les rencontres se font sur le mode
de la feinte ou de la fuite: on se cherche sous un
prétexte (et ce prétexte est bien souvent celui d’un
départ).
Un chemin tortueux

 L’indifférence affectée ou refus de reconnaissance,
puis l’entrée en jeu d’un rival supposé, sont autant
de preuves graduelles auxquelles on soumet le
bien-aimé afin de l’amener à prononcer l’aveu , qui
est acte de soumission et engagement.
Le cercle magique: un
symbole

 Ainsi, les amants, comme enfermés dans un cercle
magique (comme dans La Surprise), ne peuvent ni
se rejoindre ni s’éviter, et prolongent le jeu d’autant
plus qu’il prétendent le refuser, jusqu’au moment
où l’aveu libérateur (comblant à la fois l’amour et
l’amour propre) les met enfin d’accord.
La morale de
Marivaux

Un écrivain libre.

 Marivaux croit à la liberté humaine et y croit si bien
que pour lui elle va sans dire.
 Nulle part dans son œuvre le problème n’est posé de
façon explicite parce que la liberté, pour lui, est
évidence.
Les conditions de la
liberté

 Mais comment et à quelles conditions l’apprentissage
de la vertu (et de la liberté) est-il possible selon
Marivaux?
 Marivaux fait pleinement confidence à l’action
conjuguée du sentiment d’abord et de la raison,
ensuite.
Le Cœur et la Raison

 Sentir, telle est la première manifestation de notre vie
intérieure.
 Mais il faut prendre garde que le verbe sentir, chez
Marivaux, ne signifie pas seulement « recevoir des
sensations » mais aussi, et surtout, « éprouver un
sentiment ».
 La différence est capitale, car le sentiment
marivaudien est mêlé de conscience et marque un
premier degré dans la connaissance de soi.
La surprise comme accès à la
connaissance de soi

 La sensation, certes, est antérieure au sentiment.
 Mais l’individu réduit à ses seules sensations ne
connaît qu’une existence végétative et quasi
animale (comme Arlequin avant son amour pour la
bergère Silvia dans Arlequin poli par l’amour).
 C’est par le sentiment seul que l’individu peut
accéder à l’existence morale, au prix d’une
« surprise » (jouissance ou désarroi) qui
accompagne cette seconde naissance.
L’essentiel c’est de réfléchir

 Le thème de la surprise de l’amour court à travers
toutes les comédies de Marivaux et donne son titre à
deux d’entre elles.
 Mais le sentiment n’est encore que conscience
obscure. L’entendement doit coopérer efficacement
avec lui.
 Réfléchir sur ce qu’on a senti permet d’amener au
grand jour de la conscience des intuitions encore
confuses.
L’idéal marivaudien: une âme lucide et
sincère

 L’âme lucide représente donc l’idéal moral de
Marivaux.
 La morale de Marivaux est une morale de la
sincérité. Morale de la sincérité, sans doute, mais
surtout de la présence à soi.

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