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Synthèse -

Éthique et sciences
biologiques: volet
biomédical
Solène Peltier
Université Laval
30 novembre 2023
Définitions de la santé
• Chaque définition annonce différentes valeurs, différentes conceptions de l’être
humain et de sa relation au monde;
• La conception de la santé est modifiée par les découvertes scientifiques et les
innovations technologiques:
• Les connaissances peuvent changer notre compréhension des maladies, du corps humain et de
l’environnement;
• Les technologies changent nos manières d’agir au plan social;
• Les sciences et les technologiques modernes sont imbriqués et modifient en profondeurs les sociétés;
• L’innovation technologique est le moteur de l’économie capitaliste;
• L’acteur principal de ce domaine de recherche est les États-Unis. Ils orientent les axes de la recherche
biomédicale. Cela signifie que les pratiques et les normes biomédicales développées aux États-Unis
s’imposent au-delà de leurs frontières.
Les ÉU possèdent un système de santé qui est basé sur un
système d’assurances privées. Dépendant du salaire de
l’individu, différentes gammes de services sont couvertes.
• Il s’agit d’un système de santé inégalitaire et asymétrique, où la
valeur de la vie d’une personne est liée à son revenu et dépend ainsi
de la capacité de payer de l’utilisateur.
Les solutions (techniques et technologies) américaines ne
sont pas toujours applicables ou même souhaitables dans
un système de santé universel (c.-à-d. gratuit et accessible
à tous).
• Le budget du gouvernement étant limité, il faut faire des choix
collectifs et politiques.
La définition de la santé est le reflet des priorités
économiques, politiques et socioculturelles.
Définition de la santé : Organisation Mondiale
de la Santé
« La santé est un état de complet de bien-être physique et mental et ne
consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. » OMS,
1946.
• Cette définition est instaurée pendant l’après-guerre. Elle est grandement influencée
par le contexte politique et la volonté internationale de reconstruction et de paix;
• Transforme la santé en un objet qui est quantifiable par des « indicateurs de santé »
et des « déterminants sociaux de la santé »;
• L’idée du mieux-être n’est pas nouvelle: elle est au cœur du mouvement hygiéniste
du 19e siècle.
Critique de la définition de la santé de l’OMS
La critique de Daniel Callahan dans Roots of Bioethics:
• Définition qui idéalise l’idée de santé: atteindre le bien-être complet n’est
pas un objectif réaliste;
• Peut mener à une surmédicalisation: phénomène dans lequel des traitements médicaux
excessifs, inutiles ou inappropriés sont appliqués à des individus, souvent entraînant
des conséquences négatives pour ces derniers ou encore pour la santé publique en
général;
• Revenir au « sens commun » et retirer le terme « complet » de la définition de la santé
permettrais d’en faire un idéal moral, une condition nécessaire, mais non suffisante,
au bonheur collectif.
Définition de la santé de l’OMS et bioéthique

• Les politiques de santé publique ainsi que les systèmes de santé de


nombreux pays sont influencés par la définition de l’OMS;
• Le développement du « modèle égalitaire » de la relation patient,
médecin au ÉU (1970-1990) en réaction au paternalisme médical;
• Modèle de relation patient, médecin pensé par Beauchamp et Childress
dans « Principles of Biomedical Ethics » (1979)
• Quatre grands principes qui modèlent la relation patient, médecin: l’autonomie du
patient, la bienfaisance du médecin, « ne pas nuire » comme principe médical, la
justice comme traitement équitable pour tous. (Voir la première liste des valeurs)
Application de la philosophie de Michel
Foucault à la définition de la santé de l’OMS
• Biopolitique: concept qui décrit la manière dont les institutions et les
gouvernements cherchent à réguler la vie des populations;
• Médicalisation des problèmes sociaux: certaines caractéristiques humaines
(sociales) sont médicalisées;
• Pouvoir disciplinaire et professionnel: Les médecins et les professionnel.les
paramédicaux sont devenus les gardiens du bonheur et du bien-être collectif.
• La santé publique est ici comprise comme un instrument politique de l’état.
La santé est politique et l’État entreprend de gouverner la vie des humains à
travers cette institution.
La santé selon George Canguilhem
• « L’homme est sain pour autant qu’il est normatif relativement aux
fluctuations de son milieu. Les constantes physiologiques ont, selon
nous, parmi toutes les constantes vitales possibles, une valeur
propulsive. Au contraire, l’état pathologique traduit la réduction des
normes de vie tolérées par le vivant, la précarité du normal établi par la
maladie. » (Canguilhem, Le normal et le pathologique, 1966, p.155)
• Le rapport normatif à la vie de l’état pathologique: c’est un état qui
admet le passage à de nouvelles normes parfois supérieures parfois
inférieures aux normes précédentes.
Corps vécu
• La vie déploie ses normes à l’intérieur des paramètres du corps vécu, dans un état
évolutif, mais métastable.
• Le corps tel qu’il est vécu par la personne, tel qu’il est compris par l’individu.
• Le concept de corps vécu représente la nature existentielle et intime de la
relation de l’individu à son corps
• Il n’y a pas d’idée du corps vécu, ce n’est pas le corps qu’on peut connaitre au
sens classique du terme.
• La santé du corps vécu, c’est une relation de soi à la vie, c’est une unité de vie.
• Premier pôle du concept de santé selon Canguilhem
Corps connu
• Le corps connu est l’objet des sciences biomédicales.
• Le corps est devenu mesurable par des appareils techniques. Le corps
connu est établi par les faits des sciences.
• Le corps connu n’est pas en santé ni n’est malade.
• Cette idée du corps ne correspond pas au corps vécu, mais est en
quelque sorte un idéal obtenu à travers la technique médicale et
scientifique.
• Deuxième pôle du concept de santé chez Canguilhem
Lien entre corps vécu et corps connu
• Le cadre médical du thérapeutique exprime l’idée de réparation d’un état pathologique à travers le corps
connu où est objectivée la maladie par le diagnostic.
• Canguilhem en conclut donc que la santé se réfère à cette relation de l’individu à son corps vécu qui est
de nature intime et existentielle;
• Écart entre la manière scientifique/médicale de comprendre le corps, le corps connu et le corps vécu.
L'expérience corporelle d'une personne ne se limite pas à des faits anatomiques, mais englobe également
des aspects subjectifs et émotionnels qui sont essentiels pour comprendre pleinement la santé et le bien-
être d'une personne.
• La rencontre entre le patient, qui détient la connaissance vécue de son corps propre, et le médecin, qui
détient la connaissance de l’idée du corps des sciences biomédicales, fait office de point entre les deux
concepts.
• Cette relation, qui cherche la restauration de la santé initiale, exprime le critère médical du thérapeutique.
Innovations technologiques et transformations
du vivant
• 1970 : diagnostic prénatal (débat sur le choix de l’embryon et sur l’eugénisme)
• 1977 : première fécondation in vitro Louise Brown (débat sur l’enfant parfait)
• 1984 : Zoé, première naissance à partir d’un embryon congelé
• 1990 : bactéries et plantes transgéniques (débat sur les OGM)
• 1996 : clonage animal Dolly la brebis clonée (débat sur la transformation à l’identique)
• 1998 : recherches sur les cellules-souches embryonnaires humaines pour la médecine régénératrice (débat
sur le statut moral de l’embryon humain relancé)
• 2015 : modification du génome d’embryon humain en vue de la correction d’un gène responsable de la
Bêta-Thalassémie (Chine). Tentative similaire aux É.-U. en 2017. (débat sur les limites de l’édition du
génome)
• 2018 : naissance de jumelles en Chine dont le génome a été modifié au stade embryonnaire par l’édition
du génome (CRISPR-cas9)
La santé améliorative
• Le paradigme de la recherche biomédicale repose sur la biologie
moléculaire qui est à la fois la connaissance des éléments du vivant,
mais aussi la modification des fonctions du vivant. Diffère de la
physiologie qui correspond à la relation entre normal-pathologique.
• L’enjeu de la modification/transformation du vivant et des êtres
humains est sous-jacent à l’idée d’une santé améliorative (d’où
l’importance des débats sur le statut moral de l’embryon humain).
Questionnements sur la nature humaine
• L’enjeu éthique concerne la modification/transformation du vivant et des êtres humains:
est-ce que toute modification ou transformation est moralement acceptable?
• Faut-il transformer le génome des embryons humains? À quelles fins? Thérapeutique
(maladies génétiques) ou amélioratives? Pour créer une nouvelle espèce humaine
(transhumanisme)?Pour dépasser la nature humaine (posthumanisme)?
• Discussions actuellement très vives sur le statut moral de l’embryon humain et les
limites de l’édition du génome humain.
• Le problème de la règlementation internationale. Faut-il interdire des champs de
l’innovation technologique?
L’avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral (2002) de J.
Habermas pose l’hypothèse de l’émergence d’une nouvelle forme
d’eugénisme: l’eugénisme libéral.
• Plusieurs formes possibles: individuel et privé, ou encore soutenu par l’état
au plan financier, mais facultatif.
• Pourraient créer de nouvelles normes sociales: l’individu se sentirait
comme tenu, voire obligé, de devenir responsable de sa santé génétique et
de celle de sa descendance au point même de vouloir l’améliorer
génétiquement.
De la médecine ameliorative à
l’anthropotechnie
• Jérôme Goffette (2006) pose la question: comment conserver la médecine dans le critère du
thérapeutique et faire basculer les techniques amélioratives dans l’anthropotechnie?
Trois champs d’interventions dans la modification du corps :
1. les techniques concernant le contrôle de la procréation humaine et des débuts de la vie;
2. les techniques concernant les modifications externes et l’identité corporelle. Elles
s’alimentent directement au désir individuel et à la perception de soi et de son identité
personnelle.
3. Les techniques de la performance qu’elles soient physiques ou mentales. Sont incluses ici
les formes de dopage du sport de haut niveau ainsi que les psychostimulants.
Le transhumanisme
• Vision optimiste de l’avenir de l’être humain augmenté – transformé par la technique.
• Déterminisme technologique
• Un enthousiasme technophile sans limite promet le bonheur individuel et collectif grâce à ses
capacités transformatrices.
• Ce désir d’amélioration est a priori non seulement une finalité morale bonne, mais appartient
en propre à l’espèce humaine qui n’aurait cessé d’évoluer que grâce aux techniques.
• Face à la plasticité du vivant, le transhumanisme se pose comme l’exploration de toutes les
possibilités.
• L’idée du méliorisme: être meilleur, plus performant et dépasser les limites de soi du point
de vue de la matérialité biologique.
• On cherche à atteindre un certain niveau de contrôle sur le soi et son
corps, c.-à-d. sur son esprit et sa condition physique.
• Le transhumanisme représente un idéal inatteignable sur bien des
niveaux. Cet idéal, bien qu’inaccessible, constitue tout de même la
mesure de réussite pour cette idéologie.
Le posthumanisme
• On cherche à dépasser le courant philosophique de l’humanisme moderne en affirmant la
fin de l’homme.
• « l’obsession de s’arracher à la nature, par laquelle on a souvent décrit l’esprit moderne,
s’est donc transmuée en une aspiration à transgresser la nature humaine » Jean-Michel
Besnier, 2009, Demain les post-humains. Le futur a-t-il encore besoin de nous? Paris,
Hachettes
• L’homo sapiens n’existera plus : la malédiction de la mortalité sera effacée par la
technique.
• On cherche à dépasser ce qui fait de nous des êtres humains : notre conscience et peur de la
mort. On cherche à dépasser cet état mortel qu’est le nôtre; sans aucun doute s’agirait-il de
l’ultime amélioration.
La santé écologique
Comment sortir de cet enferment sur soi porté par la santé améliorative et qui s’inscrit
dans l’idéologie de la performance individuelle?
• Penser plus largement notre relation à notre environnement, qu’il soit naturel ou
artificiel.
• Sortir de soi, penser nos relations aux autres, soit aux humains sur la planète – même
s’ils sont loin- aux autres vivants (animaux, plantes), mais aussi les paysages dans
lesquels nous vivons – les grands centres urbains, la campagne ou la forêt. Ressentir les
liens que nous avons avec ce qui nous entoure.
• Inclure l’environnement ne se réduit pas à évaluer des risques sur la santé humaine.
• À l’heure des changements climatiques, d’autres forces commencent à influencer notre
perception et notre compréhension du monde ainsi que celle de notre santé.
Défis globaux du 21e siècle
• Les changements climatiques
• L’accroissement de l’écart entre les riches et les pauvres
• L’augmentation de la population mondiale et les
phénomènes migratoires provoqués par l’instabilité
politique
• La perte de la biodiversité et l’extinction de masse des
espèces, qui nous affecte de manière discrète et
insidieuse.
Le développement durable
• Rapport Brundtland de 1987
« Le développement durable est un développement qui répond aux
besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures
de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le
concept de ‘besoins’, et plus particulièrement des besoins essentiels des
plus démunis, et à qui il convient d’accorder la plus grande priorité et
l’idée des limitations que l’état de nos techniques et de notre organisation
sociale impose sur les capacités de l’environnement à répondre aux
besoins actuels et à venir. »
Objectifs du rapport
• Réconcilier le développement économique avec le développement humain et
la protection de l’environnement.
• Un monde humain durable (soutenable) dans les limites de la nature (des
écosystèmes). (reconnaissance de la valeur intrinsèque de la nature)
• Répondre aux « besoins » humains en particulier des plus démunis. (Principe
de justice)
• « Répondre aux besoins présents sans compromettre la capacité des
générations futures de répondre aux leurs ». (Responsabilité envers les
générations futures)
Les Objectifs du Développement durable
(ODD)
• « Objectifs du développement durable »: un programme très ambitieux qui touche tous les pays
(2015-2030). « Transformer notre monde », 17 objectifs reliés à différents aspects du
développement durable et 169 cibles, 244 indicateurs.
• Les ODD: des outils pratiques pour les politiques des gouvernements.
• Des indicateurs pour mesurer la performance des États et les comparer les uns les autres.
• Quelques questions:
• Modèle top-down. Comment mobiliser les gens à l’échelle locale si l’État ou l’ONU à travers ses programmes
leur imposent une certaine façon de faire ou de penser?
• Comment penser une démocratie à l’échelle locale pour des solutions adaptées.
• A-t-on une vision globale - une éthique des relations entre les êtres humains et la nature - pour être capable
d’interpréter, de contextualiser les différentes solutions possibles à ces problèmes complexes et globaux?
• Peut-être alors y a-t-il différents développements durables?
.

https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/
Redéfinir le concept de santé: la santé
écologique
Les polluants et les conditions fondamentales de la vie: l’air, l’eau, les
aliments:
• Une eau non polluée pour ne pas tomber malade comme ces millions
d’enfants à travers le monde des pays du Sud qui faute d’accès à de
l’eau potable sont atteints de diarrhée ou de parasitoses.
• Un air non pollué par les millions de voitures qui non seulement
polluent l’air, mais contribuent aux changements climatiques et sont
directement responsables des maladies pulmonaires comme l’asthme.
• Un sol non contaminé par des déchets toxiques et les plastiques.
• Une alimentation variée et saine, avec le moins possible de pesticides
(voire sans), locale et accessible, voire biologique, qui fait vivre les
agriculteurs locaux.
Milieu de vie
• Le milieu: notre relation à l’espace – historique, l’habiter, la culture.
• C’est également la nature, et la nature, c’est là où surgit la culture.
• Le milieu est relation
La santé écologique
• La santé écologique, c’est:
• La relation au milieu, qu’il soit naturel ou artificiel
• Individuellement, la santé écologique c’est être en relation plus
équilibrée/harmonieuse avec un milieu façonné par la nature et la culture qui permet
l’épanouissement personnel.
• Collectivement, la santé écologique reconnait les limites des écosystèmes et notre
interdépendance avec les conditions de vie de la nature
Concrètement, la santé écologique demande que nous changions nos
modes de productions et de consommations pour se tourner vers la
création culturelle;
Des systèmes et pratiques politiques plus engageantes et participatives,
axés sur des idéaux de libertés et d’égalité;
Une volonté de restriction matérielle; la mise en avant de la valeur de
frugalité;
Plusieurs manières de faire et plusieurs voies sont possibles pour
atteindre ces idéaux de vivre ensemble, voies qui prennent le bien-être et
l’épanouissement des autres vivants et de l’environnement en compte en
plus de celui des humains.

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