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DEUXIEMES OBSERVATIONS EN REPONSE

DE MADAME LELIA LE BER


Requête n° 23905/07 de Madame Lélia LE BER c. France devant la
COUR EUROPENNE DES DROITS DE L'HOMME
enregistrée au Greffe de la Cour le 5 juin 2007

A MM. les Président et Conseillers composant la 5ème Section de la


COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME

POUR :

Madame Lélia Hortense LE BER, née FOURNIER, le 15 décembre 1921 à


PORQUEROLLES (Var), de nationalité Française, domiciliée Villa Fournier,
Ile de Porquerolles, 83400 HYERES, ci-après dénommée "Madame Le Ber".

Ayant pour Avocats :

- Monsieur le Bâtonnier Laurent COUTELIER Avocat au Barreau de


TOULON, y demeurant Le Cygne 4 155 avenue Franklin Roosevelt, et

- Maître Laurent CHAMBAZ, associé de la SCP UGCC & ASSOCIES,


Avocat au Barreau de Paris, y demeurant 47 rue de Monceau, 75008
Paris.

CONTRE :

La République française (ci-après dénommée l'"Etat")

PLAISE A LA COUR

A. Sur la demande de satisfaction équitable

I. Sur l’argumentation de l’Etat au terme de laquelle Madame LE BER

1
aurait soi-disant mésestimé la porté de la réglementation d’urbanisme.
1.L’Etat fait une fois encore preuve de cynisme et de duplicité en oubliant tous
les écrits ayant présidé à la signature à la signature de l’acte de vente.
2.Est-il besoin de rappeler que le procès-verbal de la Commission Nationale
des Opérations Immobilières et de l’Architecture1 indique :
« En particulier, le droit de construire sera figé et ne sera pas lié aux règlements
d’urbanisme ».

3.L’Etat ne pouvait être plus clair sur le fait que les droits à construire
conservés par les vendeurs ne seraient plus fonction des règlements
d’urbanisme mais seraient fixés ne varietur dans l’acte de vente.
4. L’Etat oublie-t-il le rapport de Monsieur Jérôme MONOD 2 du 4 Janvier
1971 qui faisait une différence entre les époux RICHET qui entendaient quitter
l’île et les trois autres héritiers FOURNIER dont Madame LE BER au sujet
desquels il écrivait :
«Ils entendent continuer à participer à la vie de Porquerolles. Une des conditions
qu’ils ont apportée était d’ailleurs que je précise par lettre les intentions
générales de l’Etat quant à l’avenir de l’Ile. Ils faisaient donc une condition sine
qua non de la conservation d’un domaine personnel d’une certaine importance
(une cinquantaine d’hectares en moyenne) qui leur permettrait de poursuivre à
la fois une exploitation agricole (et pour Mme LE BER la gestion d’un hôtel
restaurant de qualité) et de garder la disposition de leurs propriétés
personnelles éventuellement agrandies en fonction des besoins de leur assez
nombreuse famille»

5. L’Etat oublie-t-il encore que pour conforter Madame LE BER dans la


croyance que ses droits à bâtir seraient figés, ceux-ci ont figuré de façon
individualisée dans tous les documents d’urbanisme jusqu’au POS de 1995 et,
notamment, dans le projet de POS de 1978 qui regroupait les droits à bâtir sur
un terrain mis à disposition par l’Etat.
6. Mais il est vrai que plus le temps passait, plus l’acte de vente de 1971
s’éloignait et plus la mémoire de l’Etat devenait défaillante.
7.L’Etat oublie-t-il enfin le rapport du BERU agissant pour le Ministre de la
Culture et de l’Environnement dans lequel il est écrit :
« Or, lors des acquisitions, et pour en faciliter la négociation, l’Etat a conclu
avec les vendeurs des accords aux termes desquels des droits à construire ont
été reconnus à certaines parcelles qui sont restées leur propriété personnelle : il
s’agit de volumes assez importants… »

8.Madame LE BER n’a nullement mésestimé la partie de la règlementation


d’urbanisme et d’environnement, mais a simplement mésestimé la faculté de
l’Etat de ne pas honorer ses engagements, ce qui est différent.
9. C’est en effet l’Etat qui a présenté à Madame LE BER l’avantage qui existait

1
Pièce 23, p. 3 : Procès-verbal de la Commission Nationale des Opérations Immobilières
et de l’Architecture.
2
Pièce 22 : Rapport de Monsieur Jérôme MONOD du 4 Janvier 1971

2
à traiter avec lui, car lui seul pouvait tout en les limitant garantir les droits à
construire sur les parcelles restant la propriété de Madame LE BER.
10.Cet avantage prétendu justifiait l’offre d’un prix inférieur à celui proposé
par lui promoteur.

II. Sur l’évaluation du préjudice

L’Etat soutient que l’évaluation du préjudice matériel telle que fixée par
11.
Madame LE BER ne saurait être retenu au motif que « la proposition du
promoteur sur le montant de laquelle repose l’indemnisation demandée par la
requérante ne constituait pas assurément une véritable offre ».

12. Comme Madame LE BER l’a rappelé dans sa demande de satisfaction


équitable, le calcul de son préjudice avait été assis sur les documents de l’Etat,
à savoir :

- le procès-verbal du 18 Janvier 1971 de la Commission Nationale des


Opérations Immobilières 3

- l’évaluation du Service des Domaines 4

- le Comité Interministériel restreint 5

- le rapport de Messieurs LEFEVRE et PHILIPPE 6


13.Constatant que l’Etat, dans son mémoire en défense, en vient à mettre en
doute, dans le cadre de la présente procédure, les affirmations et constatations
de ses propres services, Madame LE BER a sollicité le concours d’un Expert
en la personne de Madame BAIXE-RIVOLET, expert immobilier agréé par la
Cour d'Appel d'Aix-en-Provence, membre de la Compagnie Nationale des
Experts Judiciaires.
14.Madame BAIXE-RIVOLET a déposé un rapport en valorisant les terrains et
les droits à bâtir en fonction des critères habituellement appliqués par les
experts évaluateurs fonciers.

3
Pièce 23 : le procès-verbal du 18 janvier 1971 de la Commission Nationale des
Opérations Immobilières
4
Pièce 3 : Rapport du Service des Domaines du 14 novembre 1969
5
Pièce 4 : Rapport de Communication sur l’Ile de Porquerolles établi par le Comité
Interministériel restreint d’aménagement du territoire en Février 1970
6
Pièce 29 : Rapport de Messieurs LEFEVRE et PHILIPPE auprès de la Commission
Nationale des Opérations Immobilières et de l’Architecture.

3
15. Les conclusions de ce rapport sont les suivantes :

VALEUR EN 1971
- Terrain LE BER 164ha 40a 38ca 1 287 97I €
- Droits à bâtir des terrains tels que définis dans l’acte de 1971 515 707

1 778 870 €

VALEUR EN 1985
- Terrain de164ha 40a 38ca 2 139 531€
- Droits à bâtir des terrains 59ha 38a 98 ca 4 212 064 €

6 351 595 €
VALEUR EN 2009 DES DROITS A BATIR FIGES ET NON
DELIVRES A MADAME LE BER
9 390 000 €

16.Madame LE BER, dans le souci de chiffrer sa demande en fonction des


seuls éléments fournis par l’Etat, a sous-évalué son préjudice tel qu’il ressort
du rapport de Madame BAIXE-RIVOLET.7
17.Madame LE BER maintient cependant sa demande de satisfaction équitable
à la somme de 5.503.077 €.
18.En effet, était notamment prévue la réalisation d’un établissement pour
enfants handicapés car Madame LE BER avait une fille handicapée qui
malheureusement est décédée sans que le projet de sa mère n’ait pu prendre
corps du fait de l’attitude de l’Etat.

7
Pièces 53 et 54 : Rapport de Madame BAIXE-RIVOLET et ses annexes en date du 13
janvier 2010

4
19.La réalisation d’un établissement pour enfants handicapés n’avait aucun
caractère spéculatif et, en conséquence, Madame LE BER, nonobstant les
conclusions de Madame BAIXE-RIVOLET, n’entend pas amplifier sa
demande d’indemnisation.
20.Il résulte cependant du rapport d’expertise que la somme de 5.503.077 €
constitue la satisfaction équitable minima à laquelle peut prétendre Madame
LE BER.

III. Sur la proposition de calcul présentée par l’Etat

21.Sans doute conscient de l’obligation d’indemniser Madame LE BER, l’Etat


propose son propre mode de calcul et valorise les droits à construire conservés
par Madame LE BER à 132.000 €.
22. La valorisation des droits à construire à un tel montant est totalement
dérisoire
23.L’Etat, après avoir réévalué ces droits à 1.100.000 €, prétend appliquer un
abattement de 50 % « pour tenir compte des avantages qu’a pu tirer la requérante de la
politique menée en la matière par l’Etat ».

24.Madame LE BER ne peut que s’insurger sur le caractère gratuit et infondé


de telles affirmations.
25. L’action de l’Etat n’a pas apporté de plus value particulière à Porquerolles.
26.Les chemins ne sont pas entretenus, l’Etat a construit plus de 4 500 m² au
milieu de l’Ile.
27. L’évolution du prix de l’immobilier a été identique à celui de tous les
terrains situés dans la région des Maures.
28. Notamment, l’Etat n’établit pas, et ne pouvait d’ailleurs pas établir, que
l’augmentation du prix du foncier soit liée à son intervention.
29. En réalité, tous les prix des terrains sur la Côte d’Azur dont connu une
augmentation importante qui est liée à la situation géographique et climatique
sur lesquelles actions, l’Etat n’exerce aucune influence.
30.Certaines parties de la région des Maures telle que la presqu’île de SAINT
TROPEZ ont d’ailleurs connues des progressions de la valeur de l’immobilier
supérieures à celles de Porquerolles.
31. L’Etat ne saurait s’arroger le mérite d’une augmentation de la valeur de
l’immobilier à laquelle il est étranger.

5
B. Sur l’épuisement de voies de recours internes

32.Comme Madame LE BER a eu l’occasion de l’affirmer, toutes les voies de


recours internes ont été épuisées et ont abouti à un arrêt de la Cour de
Cassation du 19 décembre 2006 8
33.Le fait que Madame LE BER ait formulé une demande d’indemnisation sous
forme de dommages et intérêts n’est pas de nature à la priver du droit de saisir
la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
34.L’argumentation de l’Etat est d’autant plus inacceptable que Madame LE
BER disposait du libre choix de solliciter soit l’annulation des conventions
passées, soit l’attribution de dommages et intérêts comme le Ministère de la
Culture et de l’Environnement l’a rappelé dans le préambule de l’Etude
d’impact sur l’Ile de Porquerolles9.
35.La Cour constatera que l’Etat viole le principe de l’Estoppel en soutenant
devant elle que Madame LE BER, « qui prétend que l’Etat française n’a pas
exécuté ses obligations issues de l’acte de vente de 1971, disposait donc bien
d’un recours effectif en droit interne pour obtenir l’annulation de cet acte »,
alors que le même Etat concluait devant la juridiction judiciaire française 10 :
« Par ailleurs, et toujours sur ce terrain de la résolution, il ressort de la lecture des contrats
de vente que la demanderesse a entendu renoncer à son droit de demander la résolution du
contrat.

Afin d’opposer une telle clause à Madame LE BER, il reste toutefois à savoir si elle peut
renoncer par avance au droit de demander la résolution.

Une telle question est controversée.

En effet, on enseigne généralement qu’une pareille clause devrait être interdite : l’article 1184
C. Civ. étant étroitement lié au pouvoir du Juge de veiller à la bonne foi entre cocontractants,
il n’est possible d’y revenir, ni expressément ni tacitement.

L’opinion contraire est cependant soutenue : la résolution n’étant nullement d’ordre public, il
doit être permis aux parties de convenir qu’elles se contenteront de l’action en exécution (ici
impossible) ou en dommages-intérêts et qu’elles ne demanderont pas la résolution.

8
Pièce 21 : Arrêt de la Cour de Cassation du 19 décembre 2006
9
Pièce 28 : Préambule de l’Etude d’impact de l’Ile de Porquerolles réalisée par le
Ministère de la Culture et de l’Environnement en mars 1977.
10
Pièce 40 : Conclusions signifiées par l’Etat le 10 décembre 1997.

6
Une décision récente a, du reste, précisé que la renonciation au bénéfice des dispositions de
l’article 1184 du Code Civil est possible dès lors qu’elle n’est pas équivoque (Cass. 7 mars
1984, Bull. civ. IV, n° 93, p. 78 ; JCP 1985 II 20407, note DELEBECQUE ; RTDci. 1985, 164,
obs. J. Mestre ; Com. 12 février 1980, Bull. civ. IV, n° 80, p. 61, D. 1981, 278, note
AUBERTIN).

Dès lors, en application de cette jurisprudence, la clause rédigée en des termes clairs dans
l’acte de vente est opposable à la demanderesse.

En conséquence, le Tribunal ne pourra que débouter la requérante de sa demande d’indemnité


dont devrait être assortie la résolution du contrat ».

36.Ainsi, devant la Cour Européenne, l’Etat Français soutient que Madame LE


BER aurait disposé d’une action résolutoire alors que devant la juridiction
judiciaire française l’Etat avait fait observer, non sans pertinence, que figurait
dans l’acte de vente (rédigé par l’Etat lui-même au travers du Préfet) une
renonciation au droit de demander la résolution.
37.Madame LE BER ne pouvait donc demander que des dommages et intérêts
mais il est particulièrement choquant de voir l’Etat soutenir que Madame LE
BER disposait d’une action résolutoire après avoir affirmé et démontré le
contraire devant le Tribunal de Grande Instance de TOULON, contraignant
Madame LE BER à faire le choix de la seule action en dommages et intérêts.
38.Madame LE BER réitère enfin sa demande tendant à voir sa cause exposée
oralement à l’occasion d’une audience.

Observations présentées à Strasbourg, le 15 janvier 2010

________________________ _______________________
Laurent Coutelier Laurent Chambaz
Avocat au barreau de Toulon Avocat au barreau de Paris

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