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MASACCIO, par André Chastel (extrait de « L’Art italien », coll.

Tout l’Art
Flammarion.

Voir aussi article de l’Universalis sur le blog « Sfumato » :


http://www.blogg.org/blog-36699-billet-masaccio-287046.html

et Encyclopédie de l’Agora :
http://agora.qc.ca/mot.nsf/Dossiers/Masaccio

MASACCIO

En plein succès du style amolli de Lorenzo Monaco, de la manière chatoyante et enrichie


de petits motifs naturalistes de Gentile da Fabriano, le jeune Masaccio (1401-1428) affirma
soudain une nouvelle peinture, rigoureusement hostile aux gentillesses, aux éléments de
l'art gothique. Les sources anciennes indiquent que Masaccio fut l'élève de Masolino (1383 -
vers 1447), et c'est avec lui qu'on le trouve, en février 1426, chargé d'orner la chapelle
Brancacci au Carmine (couvent) de Florence ; il semble que l'aîné ait subi
momentanément l'ascendant du jeune peintre qu'il formait, et il serait excessif de les
séparer radicalement comme si Masaccio s'était défini contre son maître. Celui-ci tendait,
comme Ghiberti en sculpture, à assouplir les schémas gothiques et à les conserver comme
cadre d'innovations portant avant tout sur la perspective et le modelé. Son dessin gagne en
vigueur, des premières madones (1422-23) à celle de l'église Saint-Étienne à Empoli (voir
celle de l’Eglise des carmelites de Pise) ; Masolino se rend en 1427 en Hongrie à l'appel de
Pippo Spano (interrompant ses travaux au Carmine), puis à Rome en 1429, où il continue le
travail de Masacccio à Saint-Clément, puis à Saint-Fortunat de Todi, à Castiglione d'Olona ;
aux fresques du baptistère, Festin d'Hérode, Baptême du Christ..., on voit qu’un espace
assez largement articulé par des portiques en perspective et des formes robustes ne lui
paraissent pas inconciliables avec la douceur insinuante du Trecento. Ils en sont plutôt pour
lui un accroissement piquant ; des frises de putti, le célèbre panorama de Rome indiquent
même d'autres voies d'enrichissement et une sensibilité en éveil.
Masaccio prend un autre point de départ; sa parenté d'esprit avec Donatello est telle que
le peintre a vraisemblablement reçu l'impulsion du sculpteur ; comme lui, il a besoin de
figures d'un calibre puissant, d'une humanité solide, indifférente à la grâce, mais
robuste et d'une frappe héroïque. L'insistance presque exclusive sur le modelé et les
valeurs ramène au sérieux profond (note prof ; « gravitas », à la sévérité plastique
de Giotto. La leçon, administrée avec une énergie sans précédent, aura une immense
portée. Mais le départ entre Masaccio et son maître n'est pas toujours aisé et la chronologie
de ces années décisives reste délicate. Dans la Sainte Anne (entre 1420 et 1424, Offices),
qui reprend un type canonique du Trecento, la Madone et l'Enfant, d’un modelé large et sûr,
sont de Masaccio, ainsi que l'ange de droite, où, pour une fois, il y a recherche du joli. Dans
le polyptyque, aujourd'hui démembré, de Pise (1426), Masaccio concentre son attention sur
la lumière qui frappe avec franchise des volumes plus consistants ; les figures de saints
trapus ont l'impérieuse vitalité des prophètes de Donatello au campanile. Voir
Adoration des mages (Berlin) et Saint Paul à Pise.
La chapelle du Carmine décorée des Scènes de la vie de saint Pierre est l'une des plus
étudiées de tout l'art italien.
Voir p. ex : Masaccio et Masolino, Saint Pierre baptise les néophytes, 1426. Fresque, 255 x
162 cm. Florence, Santa Maria del Carmine, chapelle Brancacci.

Le choix de la vie de saint Pierre n`est pas sans rapport avec la politique florentine
favorable aux pontifes romains.( Sur Guelfes et Gibelins voir article de l’historien
Jacques Heers sur clio.) Seulement le brusque départ mal expliqué en 1427 des deux
peintres, à qui l'ouvrage avait été confié, a laissé celui-ci inachevé : il a été complété
soixante ans plus tard par Filippino Lippi : sur deux cent cinq giornate de fresques,
cent trente et une reviennent aux deux premiers. Il est admis aujourd'hui que
Masaccio, malgré son jeune âge, n'intervient pas ici comme aide mais comme collègue de
Masolino ; ce qui revient à celui-ci, ce sont la Prédication et surtout la Guérison de l'infirme
sur la fameuse place de ville en perspective avec maisons florentines et, sur l'arc d'entrée,
Adam et Ève au Paradis, figures de convention dans un espace cohérent. La main de
Masaccio se reconnaît à la plénitude du volume et au désir d'accentuer l'autorité ,
l’authenticité des types : comme Dante aux Enfers parmi les morts, la réalité humaine se
reconnaît maintenant à l'ombre nette qu'elle projette. Dans la scène du Tribut, c'est sur un
paysage nu rocheux, comme ceux de Giotto, que s'enlèvent des apôtres bronzés, aux drapés
et aux gestes dignes (dignitas). Dans l'autre panneau, la Distribution des aumônes, le
caractère fruste, paysan des personnages, est accentué par un éclairage dramatique, d'une
poignante intensité. Masaccio sait composer la scène en choisissant un point de fuite au
niveau du spectateur, de telle sorte que toutes les têtes, proches ou lointaines, se
trouvent à la même hauteur (règle de d'isocéphalie) ; mais il n'en tire que des
rapprochements pathétiques de regards et aucun jeu pittoresque.

À Rome, où il mourut brusquement à vingt-sept ans, en pleine force, Masaccio doit avoir
travaillé la Crucifixion de la chapelle Sainte-Catherine Saint-Clément (achevée par
Masolino), et à un polyptyque pour Sainte-Marie-Majeure, dont un fragment a été
récemment retrouvé à Florence il laissait encore à Sainte-Marie-Nouvelle La Trinité : une
crucifixion enlevée sur une arc en perspective plongeante. Entre deux donateurs au
type vigoureusement marqué, qui reçoivent la même lumière, entrent dans le même espace
que la Vierge et Saint Jean. La peinture, devenue le plus rigoureux des langages,
confère aux êtres une grandeur, une gravité, une dignité faite de concentration,
d'acceptation de soi et de mesure qu'on ne connaissait plus depuis longtemps en Occident.

La période de 1430 à 1440 offre une sorte de vide à Florence. Masacclo est mort,
Masolino ne revient pas ; la crise financière due à la guerre avec Milan l'institution du
catasto ( : « cadastre » ) ou contribution fiscale proportionnelle non sans rapport avec le
thème du Paiement du tribut, limite les commandes. De nouveaux maîtres n'apparaissent
pas. Seules les commandes des Médicis, à leur retour définitif en 1434, et le chantier du
dôme, restent actifs. C'est le moment où Alberti publie sa plaquette De pictura (1436),
laquelle, sur le modèle des «rhétoriques», il traite des principes de l'art (la perspective),
de l'œuvre (le dessin, le modelé, la couleur) et de l'artiste (les lois de composition). Ce
mémorable exposé dessine, plutôt qu'un mémento du nouveau style, une sorte de
programme de la peinture future, une anticipation née de la culture humaniste qui
apercevait dans Pline les formules du grand art à retrouver, et de la confiance de
quelques esprits avancés.

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