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Jamal Hossaini-Hilali

mes cris,
mes écrits

Recueil de textes

1
Hossaini-Hilali J.

2
Jamal Hossaini-Hilali

mes cris,
mes écris
Recueil de textes

Dépôt légal 2002/1978


ISBN 9954-8227-0-4

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Les mots de l’écrit valent
mieux
que les maux de l’oral !

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Avant-propos

Les physiologistes passent et les grenouilles restent. Ce


dicton bien connu en biologie fait rappeler son corollaire
aussi bien connu dans le domaine de l’information : les
mots passent, les écrits restent. C’est du moins ce que j’ai
appris en voulant compiler ces différents écrits épars pour
en faire un recueil de textes. En relisant ce que j’ai écrit à
un certain moment, je me suis vite rendu compte que
parfois j’ai eu tort, des fois j’ai eu raison. N’est ce pas là
commence l’humilité scientifique ? C’est un exercice dans
lequel j’ai trouvé une grande satisfaction. Une sorte de
thérapie à moindres frais. Parfois, j’ai regretté de ne pas
avoir tenu un vrai journal, bien détaillé, des différents
événements dont j’ai été témoin. Car par la suite l’oubli
s’installe au fil du temps et de l’âge.
De quoi, s’agit-il en fait ? Et bien tout simplement d’un
recueil d’articles et de textes qui a première vue n’ont pas
de liaison organique. La seule liaison est qu’ils ont été
écrits par une personne qui réagit le plus naturellement du
monde à différents sujets et aspects de la vie quotidienne
et professionnelle. De la chèvre au Maroc à celle de la
Palestine tout en passant par la politique d’importation de
génisses améliorées. Des pistes de l’information aux

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autoroutes de l’ignorance. Du clonage, du parlement et
enfin de la sincérité comme moteur du développement.
Je tiens à remercier vivement mon ami A. Tafasca, qui
m’a ouvert la revue Terre & Vie où j’ai publié séparément
quelques-uns uns de ces articles. Mais surtout, je le
remercie pour son enthousiasme et son encouragement à
écrire et à figer en prose quelques discussions bien
animées.
Je dédie ces modestes cris et écris à mon épouse et à
mes deux filles, Ilhame & Ghita, qui n’ont ménagé aucun
effort pour me perturber chaque fois que je m’attable
devant l’ordinateur pour écrire et mettre en forme ce
recueil.
J’invite les lecteurs de me faire-part de leurs remarques,
suggestions et critiques et rappelez-vous les physiologistes
passent et les grenouilles restent. Bonne lecture.

Casablanca 2002

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L'enveloppe .........et
le développement.

Il y a plusieurs catégories d'enveloppes. La première est


celle qui a une connotation péjorative et malsaine. Elle
peut être bien ou peu garnie. On peut la recevoir ou la
donner au-dessus ou au-dessous d'une table. Le
dictionnaire Larousse la décrit comme suit: "somme
d'argent donnée à quelqu'un". Rassurez-vous, Je ne vais
pas vous parler de ce genre d'enveloppe et ceci pour la
raison suivante: Je pense, et j’espère que ce genre
d'enveloppe va être une pratique en voie de disparition vu
les changements que connaît notre pays actuellement.
Ce que je vise est tout simplement l'enveloppe. Oui
c'est bien ça: le morceau de papier plié de manière à
former une pochette et destiné à contenir une lettre, une
carte etc... (Larousse). Terminez mon histoire et vous me
direz ce que vous en pensez.
Cela fait une dizaine d'années que je suis fonctionnaire.
Vu mon travail, je dois dire que j'envoie et reçois du

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courrier assez fréquemment. Jusqu'à présent rien de plus
normal. Je dois dire qu'à chaque fois que je veux envoyer
une lettre par poste, je trouve une difficulté à trouver
l'enveloppe qui présente les dimensions adaptées à mon
courrier. Essayons de voir les enveloppes que
l’administration met à ma disposition. Le premier type
c'est la petite enveloppe rectangulaire (longueur=18 cm,
largeur=12 cm). Elle n'est pas pratique pour contenir une
feuille de format normal (format dit A4 de longueur de 31
cm et largeur de 21 cm). Un seul moyen pour y arriver,
c'est de plier la feuille en 4. Ce n'est pas pratique parce que
ça gonfle l'enveloppe et vous n'utilisez pas tout son
espace. A l'ouverture, votre lettre présente au minimum
deux plis, un vertical et un autre horizontal. Or, si vous
voulez que votre lettre ne prenne des plis, et vieillisse dans
une administration, il faut qu'elle n'en est pas à l'arrivée.
Ce genre d'enveloppe est adaptée aux cartes postales mais
dans ce cas, je vous conseille d'envoyer votre carte sans
enveloppe. Vous payerez moins cher en timbres postaux.
Le deuxième type d’enveloppe disponible est le format
moyen (L=26 cm, l=18 cm). Je ne sais pas non plus à quoi
il sert. Elle ne peut pas contenir une feuille ou un
ensemble de feuilles de taille normale (A4). Pour y arriver,
il faut plier votre document en deux. Vous arriverez au
même mauvais résultat que précédemment. Enfin, le 3ème
type disponible, c'est le grand format (L=40,5 cm, l=27,5
cm). Cette enveloppe peut contenir un ensemble de

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feuilles de taille normale sans qu'elles soient pliées. Mais
là aussi, il y a un pépin: il reste trop d'espace, et le contenu
de votre enveloppe commence à flotter à l'intérieur. Ceci
présente un inconvénient majeur pour la sécurité du
transport postal. Généralement ce genre d'enveloppe est
utilisé plutôt comme pochette en papier et fourre-tout.
Je précise bien qu'il s'agit d'une affaire de dimensions.
Je ne veux pas avoir un papier plus blanc et par
conséquent plus cher et plus polluant. Je ne veux non plus
d’une enveloppe avec une fenêtre transparente laissant
apparaître l'adresse du destinataire et donc plus chère. Je
veux une enveloppe avec la même qualité de papier mais
avec des dimensions adaptées. Ceci requiert tout
simplement un re-dimensionnement avec même un gain de
papier. Essayez d’estimer le gain de papier accusé sur
chaque enveloppe et multipliez le par le nombre total
d'enveloppes utilisées pendant des années. Je ne suis pas
spécialiste de calcul, mais je pense que ça doit faire des
tonnes de papiers de gagné ou une petite forêt épargnée.
Puisque je ne suis pas vieux ou ancien dans le métier,
j'ai demandé à mon beau-père qui a commencé dans la
fonction publique vers les années 60. Il m'a confirmé que
depuis ce temps là, il reçoit du service du matériel et
fournitures pour bureau les mêmes enveloppes (pas la
première catégorie, je précise). Il est maintenant près de la
retraite, et il n'a jamais constaté un iota de changement

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dans les formes et les dimensions d'enveloppes (de
deuxième catégorie, bien entendu).
Pourquoi ce conservatisme?. C'est une chose que tout
un chacun peut changer. La personne qui s'occupe de
l'achat des fournitures peut demander des enveloppes
adéquates. Si le problème la dépasse, son chef ou le chef
de son chef peut le résoudre. Le fabricant des enveloppes
est-il conscient de ce problème?. Est ce que quelqu'un lui a
dit ou demandé de fabriquer des enveloppes avec des
dimensions adaptées?. Comment un petit problème
comme celui-ci peut être résolu efficacement, sans perte
de temps, d'argent, et sans "Hailala"?. Pourquoi les
neurones spécialisés dans les fonctions " modifier, adapter
et changer " n'ont-ils pas fonctionné ? Sont-ils sclérosés?
Si oui, pourquoi?. Pour quoi la mécanique du progrès ne
s'est elle pas déclenchée?. Les roulements sont-ils en bon
état pour transmettre le mouvement? Mieux encore,
existent-ils des roulements?
Combien de fois, il a été entendu çà et là, qu'on ne peut
pas changer une pratique, une conduite ou une procédure
parce qu’il y a un texte législatif qui bloque, et par
conséquent il faut changer les textes, ce qui demande
évidemment plus de temps. Mais pourquoi on ne
s'intéresse pas à changer et adapter les procédures et les
pratiques qui ne dépendent pas d'un texte, et qui requièrent
tout simplement un accord et une décision interne. Je serai

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très surpris d'apprendre que les dimensions d'enveloppes
que l'administration marocaine doit acheter sont régies par
un décret ou arrêté ministériel.
Ce sont là des questions que je me pose tout le temps.
Et pour faire fin à mes remontrances j'ai tout simplement
décidé de les écrire comme je les sens. Mais en les
écrivant, je ne pouvais pas ignorer la tête que commence à
avoir le lecteur de ces lignes. Je me suis mis à sa place et
j’ai commencé à avoir de la migraine. Oui, je parle à toi
cher lecteur (je vous tutoie, et alors ?). Suis-je entrain de te
parler d'un vrai ou d'un faux problème? That is my
question? Je ne le sais vraiment pas. Je te laisse la peine et
le plaisir d’en juger? Cependant, Je suis convaincu que le
développement n'est que l'accumulation (par addition ou
synergie) de petits progrès réalisés quotidiennement, dans
différents domaines et d'une façon soutenue dans le temps.
On ne peut pas être développé en agriculture et sous-
développé dans le domaine de la santé, l'éducation, ou
celui des enveloppes. Le développement est un tout. C'est
à prendre ou à laisser. Voulez-vous que je te l'enveloppe ou
c'est à consommer tout de suite. Salut.

Casablanca, 1996

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Soyons sincères…..tout
simplement

La télécommande à la main, je zappais dans l'espoir de


tomber sur un programme somnifère qui m'aiderait à
trouver un sommeil juvénile. C'est sans doute l'effet de
l’âge comme me l'a fait observer un ami berbère. Je n'ai
trouvé rien d’intéressant dans les différentes chaînes
satellitaires. Tout en zappant, j’ai décidé de m’arrêter à
notre première chaîne. Il y avait une émission qui semblait
à première vue intéressante. L'animateur, qui a rassemblé
autour de lui des spécialistes chevronnés de l'Histoire,
discutait du Comment et du Pourquoi du déclin des
civilisations et des sociétés. Déclin qu'on appelle plus
communément aujourd'hui sous-développement. Les
invités, pour la plupart des enseignants universitaires,
expliquaient le déclin des civilisations par tout un jargon
politico-économique : diminution de l'activité économi-
que, marasme économique, chômage, dette, faiblesse de la
croissance, faiblesse de l'armée etc... Les thèses et les
antithèses se succédèrent sans fin. Les solutions et recettes

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furent proposées pour sortir du déclin.
A l'approche de la fin de l’émission, l'animateur donna
la parole à l'assistance. Une assistance choisie et bien
ciblée formée apparemment d’étudiants universitaires qui
faisaient semblant d’écouter ce que les éminents
professeurs racontaient et qui ont été mis dans le plateau
de télévision non pas pour animer le débat mais plutôt
pour pallier en partie à la pauvreté du décor. Je fus
extrêmement et agréablement surpris par l’intervention
d'un jeune homme de l'auditoire qui, en quelques phrases
et sans discours rébarbatif, a résumé sa vision des choses
avec une précision japonaise. Ses paroles étaient d'une
clarté telle que j'ai pu les noter avec facilité une fois
l’émission terminée. Ce jeune homme expliqua le déclin
des sociétés et des civilisations par la perte de quelques
valeurs essentielles sans lesquelles toutes tentatives de
développement se trouvent vouer à l'échec dès le départ.
Les meilleurs plans du monde (Plan Marshall, Plan
d'Ajustement structurel et j'en passe) sont des mort-nés
sans ces conditions préalables. Ces conditions sont pour le
développement ce que les épices sont pour un bon repas.
La première valeur, souligne le jeune homme, nécessaire
au développement des nations et citoyens s'est l’honnêteté
et la sincérité. En effet, il faut un minimum d’honnêteté
pour qu'un groupe ou collectif puisse réfléchir, discuter,
proposer et mettre en pratique tout ce qui a été réfléchi et
pensé. Un climat de suspicion tue les initiatives et

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neutralise les efforts. La deuxième valeur, poursuit le
jeune homme, pour sortir du sous développement, c'est la
volonté de changer. En effet, une société qui se plaît dans
le sous-développement et qui croque à pleines dents le
déclin ne peut point changer même si on lui concocte le
plus parfait des plans de développement. Enfin, le jeune
homme fait remarquer que ces deux valeurs doivent être
partagées par la masse des citoyens et par ceux qui les
gouvernent.
J'ai admiré cette intervention car elle a mis le doigt sur
un point fort négligé dans nos réflexions sur le
développement et le changement au sein de notre société.
A l’école, on nous apprend les mathématiques, les sciences
naturelles, et dernièrement les droits de l'homme mais on
ne nous apprend pas l’honnêteté et la sincérité en tant que
valeurs morales et facteurs de production. A la maison, les
parents excellent à aider leur enfants à faire leur devoir,
leurs paient des cours à domicile ou un enseignement bien
branché mais sont-ils aussi vigilants à inculquer à leurs
enfants un minimum d’honnêteté. Quant à la rue, je
préfère ne pas en parler car dans l'état actuel des choses
elle a tendance à prendre aux gens, de force ou de gré, le
peu d’honnêteté qu'ils peuvent en avoir.
L’émission de télévision se termina sur la réflexion de
ce jeune homme. Le sommeil fut difficile à venir et je
zappais avec la télécommande dans l'espoir de trouver un

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autre bon programme somnifère. Je m’arrête à une chaîne
franco-allemande bien connue par la qualité des ses
documentaires et ses émissions-débats. Comme par
hasard, il s'agissait d'une émision-débat qui parlait d'un
sujet semblable. Plus précisément on y discutait avec un
professeur hollandais de l’Université d'Amsterdam de la
relation entre le développement et le bonheur. Vont-ils
dans le même sens? Sont-ils opposés? Le bonheur, cette
sensation subjective, est-il lié à l'argent, à la santé ou à la
religion? Comment diffère la perception du bonheur selon
les hommes et les peuples? Pour répondre à ces questions
intimement liées, la démarche de ce sociologue hollandais
était du moins fort originale et innovatrice. Il réalisa une
enquête internationale via Internet et demanda aux
personnes enquêtées de différentes nationalités s'ils se
sentent heureux ou malheureux dans leurs pays et de
classer cette sensation selon une échelle subjective et
arbitraire (de 0 à 10) afin de jauger le degré de bonheur
dont ils jouissent au sein de leur pays. Le résultat de cette
étude était fort surprenant pour le sociologue. En tête de
classement, il n'y avait pas les Etats Unis d'Amérique (le
pays le plus riche et le plus puissant du monde), ni l'Inde
(pays où il y a le plus grand nombre de religions et de
pieux), ni les îles Tahiti (pays avec des plages tropicales de
toute beauté). En tête de classement se trouvait un petit
pays où l'hiver, avec son froid et obscurité, durait presque
neuf mois. Ce petit pays c'est l’Islande. Le sociologue n'en

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revenait pas. Pourquoi les islandais pensent être les plus
heureux dans le monde alors que le froid et l'obscurité de
l'hiver nordique devraient en principe les rendre les plus
malheureux ?. Poussé par le désir du savoir et de la
connaissance, il voulait avoir le cœur net sur cette
question. Chose pensée chose faite et le sociologue décida
d'aller enquêter sur place. Il partit en Islande et mena des
enquêtes sur place. La conclusion fut comme suit. Les
islandais sont heureux dans leur pays pour deux raisons.
La première c'est qu'ils vivent dans un petit pays où les
gens se connaissent entre eux. La deuxième raison, liée
peut être à la première, est que la plupart des gens sont
honnêtes et sincères.
Cette conclusion m'a rappelé une autre émission de
télévision qui passait le mercredi sur la deuxième chaîne
marocaine (je regarde trop la télévision). Cette émission
était connue pour ses interviews avec des marocains qui
vivent à l'étranger et qui se sont distinguées dans le pays
d’émigration par le poste de responsabilité occupé ou par
leur émergence dans les secteurs scientifique, littéraire ou
artistique. Je me rappelle deux marocains qui ont fait
carrière aux Etats Unis d’Amérique. L'un est directeur
dans un grand hôtel à New York et l'autre et le directeur
commercial d'une société de construction aéronautique.
Ces deux grands responsables ont commencé leur carrière
au Maroc et ils ont par la suite immigré. L'animateur de
l’émission leur demanda quelles étaient les raisons de leur

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succès aux Etats-Unis. La réponse des deux hommes fut la
même et peut se résumer en deux points: 1/Le mérite par
le travail et 2/ Dans les lieux de travail, les gens (de la
femme de ménage au P.D.G.) sont sincères et honnêtes.
Pour sortir du sous-développement il y a plusieurs
voies: celle de la droite, de la gauche, du centre, du
libéralisme, du socialisme, de la démocratie et de la social-
démocratie. On essaye et on réessaye les méthodes, les
écoles de pensées et les courants politiques. Mais en
donnant nos voix aux voies on oublie l'essentiel à savoir
l’honnêteté et la sincérité. La droite ne peut être droite
sans honnêteté et sincérité. La gauche sera gauche sans
honnêteté et sincérité. Arrêtons de zapper et soyons tout
simplement honnêtes et sincères.

Rabat, 2001

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Des minutes bien
parlementaires

Nous sommes le 2 janvier 2002. La date est d’une


importance capitale dans cette promenade. Nous sommes
mercredi. Le jour a aussi son importance. Vous allez vite
comprendre pourquoi. Je suis fatigué. Je sais que ce n’est
pas bien. C’est le début de l’année, le début de la semaine
et je suis déjà éreinté. Peut être que l’ambiance qui règne
actuellement dans le lieu de mon travail y est pour quelque
chose, ou plutôt, ce sont quelques événements familiaux
vécus en cette fin d’année 2001 qui y sont pour quelque
chose. Aussi, j’ai décidé de rentrer à la maison un peu
plutôt. J’avais déjeuné en centre ville de Rabat et je
longeais le trottoir du Boulevard Mohammed V pour me
diriger à la gare. Lorsque j’arrive au siège du parlement il
fallait que je me faufile entre le grillage du parlement et
les grosses voitures stationnées complètement sur le
trottoir et laissant à peine un demi-mètre pour le passage
des piétons. Les représentants de la nation ont le droit de
stationner sur le trottoir en plein jour et devant même la

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maison du législatif. Il y a bien sur un grand parking
derrière la façade principale du parlement mais il n’est pas
systématiquement utilisé. A quoi bon d’être un
parlementaire si on enfreint pas la loi ! Ce stationnement
en sur le trottoir n’est pas l’exclusivité des parlementaires
au Maroc. Une autre catégorie de personnes suit le même
comportement: Ce sont les enseignants-chercheurs et le
personnel de la faculté de droit de Rabat-Agdal.
J’arrive à la maison vers 4 heures de l’après-midi. Je
prépare un verre de thé à la menthe et à l’absinthe. Comme
je n’étais pas d’humeur à entreprendre quoi que ce soit, je
fais marcher la télévision et me voilà transporté à la
vitesse de la lumière au sein de l’hémicycle du parlement
marocain. Le débat était houleux. J’entendis un ministre
X, présent bien sur, dire qu’il a été chargé de la part de son
collègue le ministre Y (absent bien sûr) de porter à la
connaissance de l’honorable conseil que celui-ci a eu un
empêchement gravissime et qu’il ne peut venir répondre à
la question de l’honorable parlementaire A. Avant de
continuer, je précise que les ministres seront désignés par
X, Y, Z et les parlementaires par A, B, C. Ceci est
important pour décrire le plus fidèlement possible la scène
et pour comprendre ce qui suit.
Le parlementaire A a demandé la parole. Le président
de la séance lui dit poliment qu’il ne peut la lui donner que
s’il s’agissait d’un point d’ordre rentrant dans le cadre de

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la procédure (Al mistara). Le parlementaire lui répond que
c’est justement le cas. Ayant la parole, le parlementaire A
dit, avec son accent marackchi, : Monsieur le président, Je
ne vois pas pourquoi le ministre Y s’excuse de son
absence. En effet, la question ne lui a pas été adressée. La
question a été adressée au Premier ministre. J’ai adressé
ma question intitulée : ce qui se passe dans le pays à
Monsieur le Premier Ministre. Depuis le début de la
législature de cet honorable parlement presque 15 000
questions orales ont été posées au Premier Ministre qui, à
ce jour, n’a jamais daigné venir personnellement à cet
honorable hémicycle répondre ne serait ce qu’une seule
fois. Alors qu’on le voit recevoir des visiteurs, assister à
un spectacle théâtral et participer aux funérailles. Je ne
comprends pas ce comportement.
Le président de la séance était obligé d’arrêter le
parlementaire A ayant remarqué que son intervention
sortait du cadre d’un point d’ordre concernant la
procédure, et dit avec un air demi-ferme de passer à la
question suivante. Et bien non. On n’allait pas passer à la
question suivante. Il fallait répondre aux griefs du
parlementaire A contre le Premier ministre et ça aurait été
une faute tactique impardonnable de passer à la question
suivante alors que le message du parlementaire A retentit
encore dans les oreilles des téléspectateurs comme moi.
Deux avocats allaient être de la partie. Le premier n’est
que le ministre X, avocat de son métier, marackchi lui

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aussi, qui s’est vu dans l’obligation de défendre son
Premier ministre et qui a pris la parole en disant : toutes
les questions envoyées au premier ministre sont orientées
vers le ministre selon le contenu de la question. Si la
question parle de l’agriculture le Premier ministre
l’oriente vers le ministre d’agriculture. Si elle s’agit d’un
problème lié à l’enseignement, le Premier ministre dirige
la question vers le ministère de l’enseignement et ainsi de
suite. Cela se faisait couramment et ce n’est pas
spécifique à cette législature. Par conséquent la remarque
du parlementaire A n’est que de la manœuvre politicienne
devant une caméra bien allumée. Le deuxième avocat qui
allait prendre la défense du Premier ministre est le chef du
groupe parlementaire du parti de celui-ci. Camaraderie et
solidarité obligent, il s’est vu dans l’obligation de
répondre aux griefs portés à l’encontre de son camarade.
Mais un problème persiste. Comment faut-il manœuvrer
pour prendre la parole et dans quel cadre ? C’est très
simple. Il va prendre la parole dans le cadre d’un point
d’ordre concernant la procédure. Une fois prise, il peut en
profiter pour faire passer sa contre-attaque. C’est
apparemment un subterfuge bien rodé dans cette place.
Ainsi soit-il !. Le président de la séance (de la majorité
bien sur) flairant la situation donna la parole au
parlementaire B qui dit : Je pouvais comprendre
l’entonnement du parlementaire A sur le fait que ce n’est
pas le Premier ministre qui allait répondre à la question.

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Mais cet entonnement n’est plus de mise puisque
l’honorable parlementaire fait partie du Bureau et donc il
a été présent lors de l’établissement de l’ordre du jour. Or
dans celui-ci (il montre la feuille) il est bien indiqué que
c’est le ministre Y qui allait répondre à la question orale
posée par le parlementaire A. Si le parlementaire A
s’opposait vraiment à cela, il aurait manifesté son
opposition lors de l’établissement de l’ordre du jour.
Accepter un ordre du jour et venir en pleine séance
télévisée le bombarder n’est que manœuvre politicienne.
Je voyais que le coup a été bien senti par le parlementaire
A et je me disais que le Premier ministre pouvait
s’enorgueillir d’avoir des avocats qui maîtrisaient bien le
verbe. Maîtrisent-ils aussi bien l’action ? Ça c’est une
autre question.
Le président de la séance décida, cette fois ci, pour de
bon, de passer à la question suivante. Comme à
l’accoutumée, le président annonça l’intitulé de la
question, celui qui l’a posée (parlementaire C) et le
ministre à qui elle a été adressée. C’était un ministre Z. Le
ministre X, présent, a pris la parole pour dire que le
ministre Z a été retenu par un empêchement majeur et
qu’il s’excuse de ne point pouvoir venir. Le parlementaire
C, qui a posé la question, a demandé la parole usant de la
même technique que ces prédécesseurs. Ses paroles
pouvaient se résumer comme suit : Je veux à tout prix
poser ma question même si le ministre Z est absent. En

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fait, le ministre n’a pas été retenu par un empêchement. Il
est en ce moment même dans son bureau à Rabat. Il s’est
excusé juste pour ce dérober de ma question. Ma question
qui intéresse l’usine de liège à Salé. J’ai tout un dossier (il
montre un dossier). Je souhaite divulguer tout, dire tout.
La majorité a commencé par des manœuvres pour
préparer les élections avant le terme. Je souhaite poser
ma question même si le ministre est absent. Ma question
est inscrite dans l’ordre du jour. Alors on doit se
restreindre à ce qui est inscrit dans l’ordre du jour, décidé
par le bureau et envoyé à tous les honorables
parlementaires.
La situation se compliqua. Le président de la séance a
bien senti l’orage qui s’annonce. Il ne faut absolument pas
montrer en tant que président de séance qu’il fait deux
poids et deux mesures. Alors il va essayer d’utiliser la
technique de « oui, mais » et dit ce qui suit : moi aussi,
monsieur l’honorable parlementaire C, je suis navré de
l’absence du ministre Z. Si celui-ci avait prévenu le
bureau à temps, on aurait pris les dispositions nécessaires
pour remplacer la question par une autre. Cependant, le
cas de poser une question alors que le ministre est absent
n’a jamais été posé. En effet, l’intérêt de la séance des
questions orales n’est pas de poser des questions mais
l’intérêt est d’entendre les réponses. Par conséquent, je ne
peux vous donner la parole, monsieur le parlementaire C,
juste pour poser votre question sachant à l’avance qu’elle

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va rester sans réponse. Le parlementaire C ne veut rien
savoir. Il veut poser sa question arguant que lui aussi est
dans une situation délicate. Il a retiré d’autres questions
pour avoir celle-ci de poser. Maintenant, le ministre après
avoir donné son accord se retire et lui se retrouve sans
question posée (ni l’âne ni 7 francs). D’autres
parlementaires s’y mêlent. On revient à la question du
règlement intérieur et son interprétation. Enfin et pour
résumer, les parlementaires de l’opposition décident de
quitter la séance en signe de protestation. Un café bien
cassé à Balima vaudrait peut être mieux que cette
discussion interminable sur l’interprétation d’un règlement
intérieur.
Le débat a duré environ 45 minutes. Je vois devant moi
les représentants de la nation discutaillaient sur une lacune
du règlement interne ou une mauvaise interprétation de
celui-ci. Comment vont-ils se comporter devant des textes
de lois qui exigent plus de professionnalisme ?
Je me suis alors rappelé un détail fort présent dans les
autres parlements et qui malheureusement est en
apparence absent dans le parlement marocain. Ce détail
c’est la présence au milieu de l’hémicycle, généralement
entre le siège du président et les sièges des parlementaires,
de quelques personnes qui ont pour rôle de noter et
d’écrire tout ce qui se dit. C’est une mission importante de
laisser une trace écrite pour les générations futures, afin

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que celles-ci puissent juger. Pour que les historiens
puissent analyser et écrire l’Histoire. Et c’est un message
fort de pédagogie de monter que cette mission est bien
accomplie par le parlement. Là, je me suis alors demandé
si ce genre de minutes existe pour le parlement marocain
et quelle est la procédure pour que le citoyen normal
puisse consulter ce qui a été dit dans une séance du mois X
et de l’année Y. Fort probablement, cela ce fait mais dans
quelques conditions. Comment les 45 minutes que je viens
de suivre seront transcrites dans les registres officiels ?
En parlant des minutes une autre question simple m’est
venue à l’esprit. Influencé par un certain sens économique
que je commence de plus en plus à maîtriser, je me suis
laisser flâner et je me suis alors amusé à quantifier, même
grossièrement, ce que coûte la minute parlementaire pour
le contribuable. Si on suppose qu’un parlementaire touche
40 000 dirhams par mois et qu’il est supposé travailler 22
jours par mois et 8 heures par jour et qu’il y a 60 minutes
dans une heure. Le calcul donne que la minute d’un
parlementaire coûte 3.78 Dh (40000/22x8x60). Le coût
total de ce débat sur les règlements internes et la procédure
(Al mistara) a coûté au contribuable, si on suppose qu’il y
a 350 parlementaires, la bagatelle de 350x45x3.78= 59535
Dh. A Chacun d’imaginer d’autres façons pour dépenser
cette somme. Mieux encore, je suis tombé quelques jours
plus tard sur le budget de fonctionnement de la première
chambre pour l’année 2001. Le budget global de gestion

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est de 212 millions de dirhams et les salaires et indemnités
raflent environ 169 millions de dirhams. Cela donne un
budget global annuel de 212+169=381 millions de
dirhams. Soit un peu plus que 1 million de dirhams par
jour. Le budget de la deuxième chambre se situe au
alentour de la même fourchette. La conclusion est que le
contribuable paye à peu près 2 millions de dirhams par
jour pour le fonctionnement des deux chambres
parlementaires. En plus de cela il paie l’électricité pour
regarder ce …….
Comme chez les anciens prisonniers, le temps se divise
en deux étapes : avant et après. Il faut comprendre par là
avant et après la prison. Pour les citoyens du tiers-monde,
le temps se divise aussi en deux : avant et après la
parabole. Oui ce moyen de transparence, de voyage, de
culture et de communication qu’on se permet de percher
même sur le toit des bidonvilles et dans les villages du
Haut-Atlas. Avant, les états pouvaient cacher, manipuler et
mentir. Après c’est devenu difficile. En zappant sur le
canal parlementaire d’un pays comme la France,
l’Angleterre ou en regardant les séances d’audition du
congrès américain, le téléspectateur de n’importe quel
pays est rapidement transporté vers une autre ambiance et
une autre façon de gérer la séance des questions orales.
Celle-ci devient une séance imprimée par une certaine
solennité. Le gouvernement vient au complet ou presque.
Les parlementaires, représentants de la nation y participent

26
au complet ou presque. Les questions directes se
succèdent comme une eau de source. Les réponses aussi
directes se succèdent sans artefact. Le Premier ministre est
présent, jugeant et jaugeant la capacité de répliquer, de
convaincre et de persuader des membres de son
gouvernement. Les personnes n’abusent pas du temps qui
leur est imparti. Le président de la séance fait rarement
intrusion pour ramener les différents interlocuteurs à
l’ordre. D’un côté, on explique et on essaye de convaincre.
De l’autre, on écoute l’autre et on essaye de répondre dans
la politesse et la bonne humeur. Le débat est ouvert et le
citoyen jugera le moment voulu.

Rabat 2002

27
Les pistes de l'information

L'Internet commence à s'imposer en tant que réseau


mondial et comme un outil de référence d'information.
Même les organisations internationales n'y échappent pas.
Dans le dernier bulletin d'information sur les ressources
génétiques animales édité par la FAO, l'Editeur annonce la
couleur et demande au lecteur son opinion sur une
éventuelle édition électronique. De même, la Revue
CERES publiée par la FAO n'est plus éditée sur papier et
s'est limitée à une édition électronique. D'autres
institutions et organismes sont entrain de suivre la même
voie. Ce choix est justifié principalement par des
considérations budgétaires. L'édition sur papier coûte plus
cher. Il est utile de rappeler que ces revues sont
principalement destinées à la masse des lecteurs et
utilisateurs dans les pays en voie de développement. Une
question évidente alors se pose: Comment ces lecteurs
peuvent y accéder alors que leur pays sont en « voie
d'internetation » ou même « sous internetés ».
Dans un article percutant intitulé « Internet et

28
l’Afrique: les autoroutes de l'ignorance », publié dans
AGRO TECH, les auteurs se préoccupent des
répercussions perverses de telles mesures sur les lecteurs
africains où avoir un téléphone est un luxe, avoir du papier
pour écrire est aléatoire et avoir une enveloppe convenable
pour expédier une lettre n'est pas certain. Les auteurs nous
donnent quelques indicateurs dont il faudra toujours se
rappeler et avoir présents à l'esprit lorsqu'on parle
d'informatique et d'Internet. Au Canada et en Suisse on
compte environ 10 ordinateurs par 1000 habitants. On en
compte 0,009 en Tunisie, 0,008 au Maroc et 0,0002 en
Côte d'Ivoire
J’ai eu l’occasion de faire mes premières navigations en
1995 lorsque j’ai eu l’occasion de visiter un laboratoire de
Physiologie en Allemagne. De retour au Maroc, j'ai
commencé à entendre parler d'Internet, Web, Provider etc.
Comme d’autres, j'ai commencé à répéter ces mots pour
tenir un semblant de discussion et afficher un air branché,
l’air du temps.
Dernièrement, j'ai entendu que mon lieu de travail est
«interneté ». C’était une bonne nouvelle, car je me suis dis
que sans me déplacer de ma chaise, je pourrai surfer sur le
Net. Mon espoir était à la mesure de ma déception. En fait,
il s’agissait d’un seul poste d’ordinateur localisé dans la
bibliothèque et réservé uniquement à la messagerie
électronique (pas de consultation de page web). Les

29
utilisateurs, forts nombreux, doivent se déplacer à la
bibliothèque, faire souvent la queue pour consulter leur
courrier. J’ai pris la résolution de ne jamais utiliser ce
poste et à chaque fois que des gens me demandaient si j’ai
une adresse électronique je répondais par la négative.
Se déplacer à la bibliothèque (situé à environ 400 m de
mon bureau) autant faire le déplacement à un cybercafé.
On peut y rencontrer des personnes intéressantes, on n’est
pas obligé de faire la queue et surtout on peut naviguer à
son aise. Je partais alors souvent au cybercafé pour avoir
le cœur net sur cet Internet. J'ai découvert un monde
d'informations et de labyrinthes. Débutant comme je suis,
je n'ai pas surfé sur le Net mais plutôt je m'y suis noyé.
De là, je me suis fait une modeste conviction. Avant de
bien utiliser l’Internet pour communiquer, il faut tout
d'abord avoir bien perfectionné le papier. Or dans un pays
où la grande partie de l'information est orale, passer à
l’écrit et par conséquent au papier, serait une prouesse
considérable, pour ne pas dire une révolution. En d'autres
termes, pour aller des autoroutes de l'ignorance à celle de
l'information, il serait utile et sage de passer d'abord par
les pistes de l'information.

Rabat, 1997

30
La photo numérique à
Tnine d’Ourika

En août et comme chaque année je suis parti vers le


haut Atlas. C’est ma Costa del sole à moi. Comme
d’habitude je me suis arrêté au Village Tnine d’Ourika
pour me reposer un petit peu et prendre des forces avant
d’entamer la vraie montagne! En se baladant dans les
petites échoppes du village, je me suis trouvé dans une
petite boutique qui vendait des cassettes audio. En effet,
j’ai la manie d’acheter des cassettes de la musique locale à
chaque fois que je me trouve dans un lieu ici ou ailleurs.
En voulant payer le vendeur, je le voyais entrain
d’imprimer des photos d’identité pour une cliente qui
attendait. Dans un coin, il avait tout ce qu’il faut : un
ordinateur, un scanner et une imprimante. Ma curiosité
aidant, j’ai entamé la discussion avec le propriétaire de la
boutique. C’était un jeune homme de 20 à 25 ans
originaire de Tinghir, de l’autre coté de la montagne. Le
créneau qu’a trouvé ce jeune homme est simple. Il
s’agissait de scanner des photos d’identité ancienne et de

31
les imprimer. L’opération ne dure pas plus de 10 min et le
prix est aussi intéressant : 15 dirhams pour 4 photos. Dans
ce village, il n’y a pas de photographe ou plutôt il n’y a
pas de laboratoire pour développer et tirer les photos. La
petite demande n’aurait pas permis un tel investissement.
La seule possibilité offerte au citoyen c’est de descendre à
Marrakech, se faire photographier et revenir. En
comptabilisant les frais et les risques du voyage, le prix
des 4 photos à 15 Dh à Tnin d’Ourika est plus intéressant
pour le client pressé. Il est aussi évident que ce prix laisse
pour le vendeur de ce service un petit bénéfice.
Thomas Watson, qui était le premier président d’IBM
en 1947 avait dit : Je ne pense pas qu’il y ait un marché
pour plus de cinq ordinateurs dans le monde.
Actuellement, il est vendu à peu près 100 millions
d’ordinateurs par an. Le pauvre Watson serait abasourdi et
drôlement surpris s’il savait que l’ordinateur est utilisé
dans une petite échoppe à Tnine d’Ourika (et non pas
d’Erika comme il l’aurait prononcé).
Ce constat fait par hasard à Tnine d’Ourika m’a amené
à réfléchir sur un point non moins intéressant. Il s’agit de
la relation entre la recherche scientifique et le besoin des
gens. En effet, ce n’est qu’une fois la recherche
scientifique descend à la rue chez les citoyens normaux
comme vous et moi qu’elle devient une chose palpable en
d’autres termes une technologie. Cette idée de départ m’a

32
amené à me demander sur mon travail de recherche que je
fais ou que j’essaye de faire. Et ce un jour ce travail aura
l’occasion d’aboutir sur une technique simple utilisée et
utilisable par un agriculteur à Tnine d’Ourika. C’est une
question fondamentale qui doit être un souci de tout
chercheur qui se respecte. Moi, je ne me soucis pas trop de
savoir si mes recherches vont aboutir à une technique ou
un procédé vulgarisable. Ce n’est pas parce que je ne me
respecte pas. Mais tout simplement parce que j’ai une
excuse ou plutôt un alibi. Et il est de taille en apparence.
En effet, mon champ de recherche (physiologie) est plutôt
catégorisé dans ce qu’on appelle communément la
recherche fondamentale.
Je ne vais pas m’aventurer ici dans la polémique et la
fausse distinction entre la recherche dite fondamentale et
la recherche dite appliquée qu’on entend ça et là. Je pense
que c’est une fausse distinction. Lorsque j’étais plus jeune,
au collège, on nous apprenait en géographie mondiale
qu’il y a les pays développés en Agriculture et ceux
développés en Industrie. La chose qu’on a omis de nous
dire, à tort ou à raison, c’est qu’ils s’agissaient des mêmes
pays. Et donc la distinction est fausse. Le même
raisonnement reste valable pour la recherche scientifique.
Les pays qui possèdent une infrastructure de recherche
scientifique fondamentale sont les mêmes qui sont les plus
avancés en recherche appliquée car les mécanismes qui
régissent les deux branches sont les mêmes.

33
Oukaimeden, 2001

34
Dix millions d’internautes
en l’an 2010

Dans un éditorial d’un quotidien économique daté du


18 avril 2002 je lis que le secrétaire d'Etat de la Poste,
des Télécommunications et des Technologies de
l'Information (SEPTTI) annonce, et ce n’est pas la
première fois, que son département a une vision pour le
développement des nouvelles technologies de
l’information au Maroc. Laquelle vision s’articule autour
d’un objectif majeur à atteindre à savoir 10 millions
d’internautes en l’an 2010! L’éditorialiste ne manque pas
d’ajouter que sûrement le ministre s’est inspiré du même
chiffre rond qu’on commence à entendre pour le secteur
du tourisme à savoir 10 millions de touristes en l’an 2010.
Même à supposer que la population d'internautes double
tous les ans (elle est estimée à un demi-million
actuellement), ce chiffre est hors d'atteinte.
Il est vrai qu’il faut être ambitieux dans la vie et qu’on
ne peut pas faire de la politique si on manque

35
d’optimisme. Mais connaissant les contraintes de notre
environnement il est peu probable pour ne pas dire farfelu
de fixer un tel objectif d’ici 8 ans. Pour le secteur des
télécommunications il aurait été plus raisonnable de fixer
comme objectif un téléphone fixe par ménage ou avoir
comme but à moyen terme la réduction du coût des
communications comme d’autres pays où la
communication locale est presque gratuite. Lors d’une
conférence de presse, le responsable du SEPPTI était
incapable de répondre à une question pertinente d’un
journaliste. En effet, ce responsable disait que 10 millions
d’internautes en l’an 2010 était un objectif raisonnable et
pour preuve il se basait sur la réussite du projet de la
téléphonie mobile après la libéralisation du secteur. Le
journaliste lui simplement rappelé qu’il est erroné
d’appliquer la logique de la téléphonie mobile pour
l’Internet car 100% des marocains savent parler et
seulement 30% savent lire et écrire.
Vers les années 80, lors des séminaires et des
conférences nationaux dans presque tous les domaines, la
mode était la stratégie en l’an 2000. Je peux en témoigner
car moi-même j’ai assisté à plusieurs de ces conférences
dans le domaine de l’agriculture, et le lecteur qui
s’intéresse à cette question n’a qu’à aller consulter la
presse de ces années. Petit à petit l’aiguille du temps qui
ne connaît point de relâche continua son tic-tac fatidique.
Les années passèrent doucement et sûrement et les

36
orateurs qui parlaient de « la situation actuelle et
perspectives de développement en l’an 2000 »
commencèrent à s’apercevoir que l’an 2000 est pour
bientôt et les objectifs fixés il y a une vingtaine d’années
pour l’an 2000 sont hors d’atteinte. Alors pour ne pas
tomber dans le ridicule à l’approche de l’horizon 2000, ils
ont trouvé une astuce très simple à savoir pousser cet
horizon en avant et donner au citoyen-consommateur-
téléspectateur un horizon plus lointain. Car enfin de
compte c’est quoi la définition d’un horizon ? c’est tout
simplement une ligne qu’on atteint jamais.
Je ne suis pas un stratège du management ni un
imprégné de la haute finance pour prouver, chiffres et
coûts financiers à l’appui, que 10 millions d’internautes
est un objectif hors de portée dans les conditions actuelles
au Maroc. Cependant, il y a des indicateurs fort simples et
des réalités quotidiennes qui confirment ceci. Au Maroc,
les familles riches et qui ont les moyens ne sont pas
obligatoirement équipées d’ordinateurs. Et les personnes
moins aisées (moyenne classe) qui font l’effort de l’avoir
ne sont pas connectées. A peine elles s’en sortent pour
payer la facture du téléphone fixe et je sais qu’elles
tremblent à l’ouverture de la lettre contenant cette fracture
(oui fracture avec un r et ce n’est pas une faute de frappe).
Quant aux plus démunis qui ont d’autres chats à fouetter
(le pain, le médicament, l’habitat, etc.…) leur dernier
souci reste une séance de chat en internet. Pour ceux là,

37
parler d’Internet reste un non-sens au sens philosophique
du terme.
Un autre indice qu’on oublie fort malheureusement et
qui est fort indicatif de la situation actuelle d’Internet au
Maroc et qui peut renseigner sur son développement futur
est le niveau de connections d’une catégorie bien définie
de la société à savoir les enseignants. Est-ce qu’on s’est
posé la question de savoir combien d’enseignants dans le
primaire, le secondaire et le supérieur possèdent
actuellement dans leur lieu de travail un ordinateur digne
de ce nom et une connexion digne de ce nom. Je parle de
cette catégorie de citoyens, non pas par solidarité
corporative, mais parce que c’est une tranche de la société
qui, par la nature même de son travail, est amenée à
chercher de l’information et l’échanger.
Mais revenons à notre éditorial et le parallélisme entre
10 millions de touristes et 10 d’internautes pour l’an 2010.
J’y ai réfléchi à maintes reprises et je l’ai scruté pendant
longtemps comme si j’allais résoudre une énigme ou
chercher la solution à un casse tête chinois. Et soudain
jaillit un éclair d’intelligence dans mon lobe occipital
comme une lumière qui jaillit peut être une seule fois dans
la vie d’un génie. Je l’ai trouvée, oui je l’ai trouvée
commencerai-je à murmurer. J’ai trouvé la solution de
l’énigme. On aura en l’an 2010, 10 millions de touristes et
10 millions d’internautes. Oui c’est possible et c’est

38
simple : tous les internautes seront des touristes qui vont
amener avec eux leur ordinateur portable et leur téléphone
portable et qui continueront à communiquer tout en
profitant du soleil du Maroc. Décidément celui qui a dit
que les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent
n’avait pas du tout tort. Salut.
Casablanca, 2002

39
Le virement n’est pas passé,
il ne passera jamais

Au travail, le scoop est une sorte de bêtise poétique.


Une personne (un enseignant ou autre) s’est amusé à
envoyer par courrier électronique un petit poème
critiquant la cadence et la lenteur de l’administration au
sein de l’institut. Rien d’extraordinaire jusqu’à présent.
Puisque tout ce qu’il a dit, d’autres personnes n’arrêtent
pas de le dire et de le redire en prose ouvertement dans les
réunions officielles et non officielles sans se cacher le
visage. Ce fait divers et anodin allait prendre un tournant
d’une autre ampleur. On pense déjà à un enseignant alors
qu’il peut s’agir d’une personne faisant partie de l’institut
mais qui n’est pas un enseignant. Il peut même s’agir
d’une personne en dehors de l’institut qui aurait facilement
accédé et utilisé une liste de diffusion pour distribuer sa
petite poésie. Personnellement, je trouve l’initiative un peu
malhonnête et un petit peu à la limite de l’éthique
universitaire. En effet, un universitaire doit avoir le
courage des ses idées. Il doit les exprimer, les défendre et

40
en débattre à visage découvert.
Le syndicat s’est mêlé apparemment à cette affaire et le
sujet est devenu la priorité dans les buvettes et les
bureaux. Les dernières inondations du mois de décembre
2001 observées dans la région de Berrechid et à
Mohammedia sont passées en arrière plan. L’avenir de la
campagne agricole ou de l’université marocaine dans le
troisième millénaire est devenu une banalité devant cette
petite grande poésie. J’ai même remarqué que des
enseignants généralistes commencent à s’intéresser à la
cryptologie. Ils essayent d’après le style de la poésie
d’imaginer les candidats potentiels qui auraient écrit ces
vers. Ils ont peut être pensé que du diagnostic des vers
zoologiques aux vers poétiques il n’avait qu’un pas à
franchir. D’autres, qui, par ailleurs, ne se sont jamais
intéressés à l’informatique, commencent à prendre goût à
cet outil en se demandant s’il est possible de connaître
l’origine d’un e-mail. Je les ai vus gloser des phrases pris
appris à la sauvette d’un manuel informatique : Oui, c’est
possible à condition que l’adresse IP soit reconnue par le
serveur et que l’application Firewall soit installée dans le
hub. Bref vous voyez le genre.
Seul dans mon bureau, porté loin dans une sorte de
rêverie semi-consciente je voyais devant moi les collègues
et amis que j’ai eu le plaisir de rencontrer sous d’autres
cieux. Je me rappelle les discussions lors du Café

41
time dans un laboratoire étranger. On parlait du film d’hier
à la télé, de tel match ou de tel accident de la route, mais
on parlait aussi science, des méthodologies et des
difficultés à surmonter. Il y avait un équilibre des thèmes
et des préoccupations. On sentait l’éthique et l’ambiance
universitaire comme on sent le safran. Mais comme le
safran, cet or rouge de Taliouine, il y le vrai et le faux. Le
faux ressemble au vrai par sa couleur, son extérieur, et sa
physionomie mais il n’en a pas l’essence.
Soudain j’ai été réveillé de ma torpeur par le
claquement de la porte. Un collègue, ayant remarqué que
la porte de mon bureau était entrouverte, entra pour me
souhaiter les meilleurs vœux et la bonne année d’usage.
Nous bavardâmes un tout petit peu et en voulant sortir il
me demanda comme s'il venait de se rappeler quelques
choses: au fait, Jamal, est ce que tu ne sais pas par hasard
si le virement bancaire est passé. Poliment, et
honnêtement je lui ai répondu que je n’en ai aucune idée.
La demande de mon collègue, que je respecte fort bien par
ailleurs, vient à point nommé pour mettre de l’alcool iodé
à une plaie déjà entrouverte.
Je me suis alors demandé si ce n’était pas la raison
essentielle de sa visite. C’est une tactique bien connue de
la communication à la marocaine. Le plat de résistance de
communication est laissé à la fin. Au début on baratine, on
prend le hors-d’œuvre, le dessert et les amuse-gueules.

42
Nous avons tous en mémoire cette image un peu typique
de nos mères et sœurs qui pour dire au revoir à une amie
ou une parente au seuil de la maison s’éternisent devant la
porte sauf si la pluie ou un regard indiscret venait de les
déranger. Parfois l’au revoir dure plus longtemps que la
visite elle-même.
Je disais que la question de mon collègue, aussi
légitime et innocente soit-elle, m’a tout simplement laissée
hagard. Je me suis dis :Voilà, les enseignants chercheurs
sont réduits à cela. A se demander si le virement est passé
ou non. Les temps sont-ils devenus difficiles ? Il y a en
cette fin-début d’année des charges supplémentaires, il
faut payer l’assurance, la vignette, la traite de la petite
villa construite au prix de maints sacrifices pour avoir
l’impression d’être propriétaire. Propriétaire de quoi ?
D’une illusion peut être ?. N’appartenant pas à la classe
populaire, n’ayant pas les moyens solides des riches, la
classe des enseignants-chercheurs est ballottée entre ces
deux mondes aux moyens diamétralement opposés.
L’enseignant-chercheur se prive de beaucoup choses,
matérielles mais surtout morales (indépendance, esprit
critique) pour pouvoir payer la petite semaine à sa famille
dans une résidence à Marbella ou faire placer ses enfants
dans une mission étrangère. Car il s’est pertinemment que
le système dans lequel il travaille et défend parfois ne
marche pas. Sous d’autres cieux cela s’appelle de la
schizophrénie.

43
Ces idées me taraudaient l’esprit et je me suis vite senti
fatigué voire un peu évidé. J’ai alors décidé de rentrer à la
maison tout en me disant que ce n’est pas un bon début
pour une année qui commence.

Rabat 2002

44
Les vertus nutritionnelles et
thérapeutiques du lait
de chèvre

Imaginez un troupeau de chèvres se baladant dans les


rues des quartiers chics des Orangers ou de l'Agdal, de la
ville de Rabat, sous l’œil averti d'un berger. Il est 7 heures
du matin et les habitants des villas sont réveillés au son
des grelots. Ils sortent de leur maison, casseroles ou autres
récipients à la main, pour acheter du lait. Devant la villa,
le berger fait traire la chèvre, se fait payer et poursuit sa
route. Cette image pittoresque peut paraître même
bizarroïde pour les gens de notre génération, alors qu'elle
était une scène banale de la vie quotidienne de nos parents
et grands-parents dans les années 30 et 40. Ceci montre
que le lait de chèvre était largement consommé et
dépassait sans aucun doute la part de 4 % que représente la
contribution actuelle du lait de chèvre dans la
consommation du lait à l'échelle nationale. Cependant, un
regain d'intérêt pour le lait de chèvre est en train de

45
s'opérer à l’échelle mondiale et timidement à l’échelle
nationale. Ceci est dû principalement à la prise de
conscience progressive par la communauté scientifique et
celle des consommateurs des mérites nutritionnels et
thérapeutiques du lait de chèvre comparativement à
d'autres espèces et spécialement la vache(1).
En effet, les matières grasses du lait de chèvre
présentent quelques spécificités qui les rendent plus
digestibles que celles du lait de vache. Primo, la taille
moyenne des globules gras du lait de chèvre (3,49 µm de
diamètre en moyenne) est inférieure à celle des autres
espèces, et notamment la vache (4,55 µm de diamètre en
moyenne). Secundo, la composition en acides gras du lait
de chèvre présente aussi des particularités. En effet, la
teneur en acides gras à courtes et moyennes chaînes est
plus importante dans le lait de chèvre que dans celui de
vache. Conjointement ces deux facteurs contribuent à
rendre les matières grasses du lait de chèvre facilement
dégradées par les enzymes du tube digestif (lipases). En
plus, les acides gras à chaînes courtes et moyennes sont de
bonnes sources d'énergie pour les enfants en phase de
croissance et sont doués d'actions hypo-cholestérolémi-
ques en inhibant le dépôt du cholestérol dans différents
tissus de l'organisme.
Les protéines du lait de chèvre présentent aussi
quelques spécificités. Lorsqu'elles coagulent au niveau de

46
l'estomac, elles forment des agrégats plus petits et plus
friables que ceux du lait de vache, ceci les rend plus
faciles à digérer par les enzymes du tube digestif
(protéases).
La biodisponibilité du fer contenu dans le lait de chèvre
est plus grande que celle du lait de vache. Des études
récentes ont montré que des rats atteints d'anémie
présentent une meilleure croissance corporelle et
hépatique, ainsi qu'une meilleure régénération de
l'hémoglobine lorsqu'ils sont alimentés à base de lait de
chèvre comparativement au lot témoin alimenté à base du
lait de vache. Cependant, il faut être attentif au fait que le
lait de chèvre est généralement pauvre en vitamine acide
folique et en vitamine B12, ce qui peut entraîner des
anémies chez les enfants nourris uniquement à base du lait
de chèvre.
Le lait de chèvre présente une action antiacide
meilleure que celle du lait de vache. C’est la raison pour
laquelle il est conseillé en médecine traditionnelle dans le
traitement des ulcères gastriques. Pour cet aspect, il existe
même des différences liées à la race. L'action antiacide du
lait de la chèvre nubienne(2) est plus grande que celle de la
chèvre alpine. Il est fort probable que le lait de la chèvre
locale marocaine serait doué d'une action antiacide qui se
rapproche plutôt de la chèvre nubienne. En effet, du point
de vue génétique, la chèvre noire marocaine est plutôt

47
proche de la chèvre nubienne. Deuxième élément à
prendre en considération est la forte teneur en protéines
chez la chèvre noire marocaine. Ce type de chèvres
produit une faible quantité de lait, certes, mais il s’agit
d’un lait plus concentré en matières protéiques et en
matières grasses comparativement aux races européennes
par exemple (3). Or la teneur en protéines et en phosphates
sont les principaux déterminants de l'action antiacide du
lait.
Parmi les raisons qui contribuent au regain d'intérêt
pour le lait de chèvre est son effet hypo-allergisant
comparativement au lait de vache. L'allergie au lait de
vache, à différencier de l'intolérance au lactose, s'installe
généralement durant les 6 premiers mois de la vie de
l'enfant. Les symptômes sont variables et englobent des
rhinites, des diarrhées, des douleurs abdominales et de
l'urticaire. Plusieurs études scientifiques ainsi que des
observations empiriques confirment que les personnes
souffrant d'une allergie installée au lait de vache tolèrent
mieux les protéines du lait de chèvre. Ceci est
probablement dû à la faible teneur du lait de chèvre en un
type de caséine qui est hautement allergisant.
En conclusion, on peut dire qu'à qualité hygiénique
égale par rapport au lait de vache, le lait de chèvre
présente des caractéristiques nutritionnels (meilleure
digestion, absorption des nutriments) et thérapeutiques

48
(action antiacide et action hypo-allergisante) plus
appréciables. C’est une raison supplémentaire pour
reconsidérer l’élevage caprin dans une stratégie globale de
développement des zones rurales marginalisées.

Rabat, 1995

(1) Voir article de Park Y.M. publié dans Small Ruminant


Research. 14, 431-437
(2) Chèvre d’origine soudanaise (ancienne Nubie) et qui a
été importée aux USA, où elle a été développée et
améliorée pour une meilleure production laitière.
(3) HOSSAINI-HILALI et al. 1993. Small Ruminant
Research. 12, 271-285

49
Le prestige, l'élevage et
la dégradation des pâturages

Au Maroc, on commence de plus en plus à entendre ça


et là un discours plus qu'alarmiste sur l'état de dégradation
de l’environnement. De plus en plus, des manifestations
voient le jour sous le même thème pour sensibiliser
l'opinion publique et les décideurs : nos parcours et nos
forêts se dégradent à une vitesse dangereuse.
Il est superflu de continuer sur la lignée classique et
inonder le lecteur de chiffres et de statistiques "hautement
significatifs" en relatant telle ou telle étude afin de
démontrer la situation alarmante de dégradation des
ressources naturelles. Pour en être convaincu, il suffit de
faire un tour entre la forêt de la Maâmora et la Cédraie
d'Azrou et de parcourir les plateaux pastoraux de
Timahdite. Sur une distance de 300 bornes, le voyageur
pourra remarquer et déguster le goût amer de l'état de
dégradation des différents paysages. Selon tout un chacun
la responsabilité incombe à l'autre.

50
Dans les espaces pastoraux collectifs, le prestige du
système "seigneurial" contribue, par élevage interposé, à la
dégradation des ressources, en pratiquant une saignée
verte. C'est la situation qui prévaut dans les plateaux de
Timahdite, région pastorale du Moyen Atlas connue par la
prédominance de l'élevage ovin.
Dans cette région, il existe de grands et gros éleveurs
de par les effectifs qu'ils possèdent. Malheureusement, ils
sont loin d'être les meilleurs du point de vue efficacité
d’élevage. Nous avons eu l’occasion lors d’une étude au
Moyen Atlas de rencontrer et de visiter un de ces gros et
grands éleveurs.
L’un deux porte très bien son surnom (le fou). Ce
surnom lui a été donné par la communauté car notre
bonhomme est toujours à la recherche de plus de
troupeaux, plus de bois, plus d’argent et plus de pouvoir.
Cet éleveur possède dans une de ses points fixes (M'hata)
14 bergers. Chaque berger a en charge environ 300 brebis.
Faites le compte! Une visite inopinée de bon matin vous
fait découvrir un paysage désolant. Les agneaux meurent à
la naissance piétinés par le reste du troupeau. Aucun effort
n'est fait pour améliorer les conditions d'hébergement des
animaux. Au petit matin, les cadavres sont évacués avec la
litière. Un chien a devant lui des agneaux morts et ouverts.
Il est gavé. Il n'en veut plus. Dans cet élevage la mortalité
des jeunes dépasse les 50 %, et le propriétaire ne réagit pas

51
pour améliorer la productivité de son troupeau. Ceci peut
paraître à première vue comme un non-sens et anti-
logique.
On peut se demander à quoi sert-il de garder des brebis
toute une année, que celles ci agnellent et de ne pas
s'occuper des produits au moment opportun. Quelle perte!
C'est du moins ce que penserait tout esprit cartésien
imprégné de bon sens. Mais, cet éleveur a une autre
logique. Tout simplement il profite du système sans
scrupule, ni pour les ressources pastorales ni pour les
petits et moyens éleveurs qui veulent travailler, qui font
tout leur possible pour sauvegarder leur troupeau.
La logique de notre éleveur est la suivante: Le pâturage
relève du domaine du collectif est le "seigneur" augmente
d'une façon frénétique l'effectif de son troupeau. Ainsi, il
peut ratisser large comme un"chalutier" dans ce don de
Dieu qui est l'Atlas. Sa présence peut même parfois
étouffer les petits et moyens éleveurs. A l'arrivée de
l'aliment de bétail pour régions sinistrées, ce type d'éleveur
est le premier et le mieux servi. La dotation étant fonction
de l'effectif possédé et ne dépend ni des résultats de
productivité enregistrée ni de l'évaluation, même
subjective, de l'état de nécessité. Mieux encore, une fois
reçue, cette dotation en aliments pour bétail n'ira pas aux
brebis pour sauvegarder le cheptel reproducteur, mais
plutôt au lot d'engraissement. En effet, même avec un taux

52
de mortalité des agneaux de l’ordre de 50% et vue
l’effectif des brebis qu’il possède, cet éleveur ne risque
pas d’avoir une pénurie en agneaux pour l’engraissement
ou pour la vente directe au marché. Il continuera toujours,
le jour du souk, à amener un camion plein de moutons.
En poussant le raisonnement plus loin, on peut
s'apercevoir qu'une forte mortalité des agneaux est le but
recherché car c'est la solution d'une équation à plus d'une
inconnue. D'une part, notre éleveur ne pourra pas
engraisser toute sa production en agneaux s’il était obligé
d'acheter l'aliment au prix et aux conditions du marché.
D'autre part, le fait d'avoir un grand effectif le fait inscrire
dans la liste des grands. Il acquiert ainsi un certain
prestige.
Mais ce n'est pas du prestige pour le prestige à la
manière citadine. Il s'agit dans ce cas d'un prestige
productif. Du moins ce prestige lui permet d'être parfois
respecté parfois craint par tous. On ne peut rien ou presque
lui refuser. Cet état de chose lui permet en conséquence de
créer des relations d'alliance (mariage ou autres) qui
renforceront et réconforteront sa situation. Il y a petit à
petit création d'une mafia de gros éleveurs qui se
permettent de faire des razzia dans les pâturages collectifs
et dans les forêts adjacentes.
Ces hommes ont des tentacules partout et ils peuvent
mobiliser pour un rien tout un monde. Aussi une sorte de

53
paix armée s'établit entre l'administration et ses gens. Que
faut-il faire? Comment faut-il manœuvrer? Je ne le sais
vraiment pas. Mais, ce qui est certain, c'est qu'il faut
penser à l’assainissement de la campagne comme on vient
de l'entamer en ville(1).
Azrou 1996

(1) Par la suite, on s’est rendu compte que


malheureusement la campagne d’assainissement
entamée en ville en 1996 a eu des conséquences
inverses de ce qu’on pouvait s’attendre d’un
assainissement.

54
Le didacticiel dans l'enseignement
de la physiologie animale

Comme d'autres matières, l'enseignement de la


physiologie animale requiert des séances de travaux
pratiques (TP) pour concrétiser les notions reçues en cours
magistral. Comparativement à d'autres disciplines, les TP
en physiologie animale présentent une particularité de
taille: Il s'agit d'étudier un processus physiologique dans
un tissu ou organisme vivant. De ce fait, le succès de la
manipulation n'est pas toujours certain. En plus, la
préparation de l'animal ou du tissu à étudier nécessite
généralement plus de temps. Une des solutions pour
pallier à ses contraintes est l'utilisation des logiciels de
simulation.
L'intérêt des logiciels de simulation dans
l'enseignement des travaux pratiques en Physiologie
Animale est multiple:
1. Il permet une économie d'argent: le prix de
l'installation d'une manipulation en physiologie animale

55
peut aller de 50 000 Dh (Perméabilité membranaire) à 200
000 Dh (unité d'étude d'un organe isolé). En plus, si on
souhaite faire le même T.P. durant une même séance, il
faut multiplier le prix unitaire par autant de postes de
travail souhaités. En revanche, les logiciels de simulation
ne nécessitent qu'un ordinateur (10000 Dh), qui peut par
ailleurs être utilisé à d'autres fins, et le logiciel (1000 à
3000 Dh).
2. Il permet une bonne préparation de l'étudiant à la
situation réelle. En fait l'étudiant pourra réaliser son T.P.
en dehors de l'ambiance stressée des séances faites sur
l'animal vivant. Tout celui ou celle qui a déjà réalisé des
travaux pratiques en physiologie animale se rappelle ce
stress. En effet, dans une situation de T.P. en condition
réelle, l'étudiant est plutôt hanté par l'idée que l'animal de
laboratoire utilisé peut d'un instant à l'autre n'être plus de
ce monde. Il ne peut pas se concentrer sur le type
d'observations à réaliser ou encore réfléchir sur une
explication éventuelle des résultats. Le fait d'avoir réalisé
une simulation lui donne un repère. Il pourra être plus
attentif et mieux armé durant la séance en situation réelle à
observer et émettre des hypothèses pouvants expliquer un
résultat donné. Pasteur n'a-t-il pas dit que "Dans les
champs de l'observation, le hasard ne favorise que les
esprits préparés"(1854).
3. L'étudiant peut refaire autant que possible la séance

56
de simulation jusqu'à assimilation complète de la
manipulation.
4. L'hébergement et l'utilisation des animaux de
laboratoire deviennent de plus en plus sujets à des règles et
des lois draconiennes. Plusieurs laboratoires à l'étranger
ont tout simplement arrêté de pratiquer des travaux
pratiques sur des animaux parce que le respect des
nouvelles lois et directives nécessiterait des
investissements énormes (construction de nouvelles
animaleries etc) et la pression des associations de
protection des animaux est devenue de plus en plus
incontournable.
Alors l'utilisation des didacticiels de simulation ne
présente que des avantages? Peut-on envisager un
enseignement pratique, digne de ce nom, qui soit basé
uniquement sur des simulations en ordinateur? La réponse
est certainement NON. Et ceci pour une simple raison: le
futur vétérinaire praticien ou chercheur qu'on souhaite
former aura à manipuler, à travailler et à réfléchir sur un
organisme vivant avec toute sa complexité et son
hétérogénéité. En général la courbe bien dessinée des jeux
de simulation est une trouvaille rare dans un contexte
réalististique. Cependant, le didacticiel peut, s’il est bien
ciblé, être un support complémentaire dans l'enseignement
pratique. C'est dans cette optique où s'insère l'introduction
de didacticiels pour l'enseignement pratique de la

57
physiologie animale en deuxième année vétérinaire à
l'Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II.
L'utilisation des animaux de laboratoire, même avec ses
résultats parfois aléatoires, a été maintenue. Le choix des
logiciels de simulation à intégrer a été fait de façon à ce
qu'il soit un complément de la manipulation réalisée en
conditions réelles. L’évaluation faite par les étudiants eux-
mêmes va dans le même sens. En effet, la proportion des
étudiants souhaitant réaliser les TP de Physiologie
Animale uniquement sur ordinateur, uniquement sur des
animaux ou sur les deux a été respectivement de 4, 18 et
78 %. Lorsqu’on demande aux étudiants leur appréciation
générale de l’utilisation de logiciel de simulation en
Physiologie Animale (note 1=très médiocre, note 5= très
bien), tous les étudiants ont émis des notes comprises entre
3 et 5. Enfin, 100 % des étudiants souhaiteraient que le
Centre de Documentation Agricole soit doté de tels outils
pédagogiques pour une utilisation libre (en dehors des
heures de cours). Ceci s’explique en partie par la qualité
du message mais aussi par la fascination qu’exerce l’outil
informatique sur les nouveaux utilisateurs. Cependant il
est utile de rappeler une réalité: en 1996, 30% des
étudiants en 2ème année vétérinaire n’ont jamais touché
un ordinateur. Les TP de Physiologie Animale a été leur
première expérience.
Rabat, 1996

58
La vache laitière : quelle race
pour quel environnement ?

J'ai encore en mémoire les noms des vaches qui


formaient le petit troupeau de l'élevage de mon grand père
ainsi que la couleur de leur robe. Elles étaient tous des
vaches Roumi, ce qui signifie étymologiquement
« Originaire de Rome », de différentes couleurs: noir et
blanc, rouge et blanc, rouge tachetée de blanc. Après mes
études, j'ai appris que ces couleurs correspondaient à des
races: Pie-noire Frisonne, Pie-rouge, Montbéliarde etc.
Ces vaches n'étaient pas des starlettes de production
laitière mais elles étaient des starlettes d'adaptation au
milieu.
Je me rappelle que durant une dizaine d'année, le
troupeau de mon grand-père était constitué des mêmes
vaches. La vache continuait à produire jusqu'à sa mort
naturelle au sein de l’exploitation ou son abattage
d’urgence. Cette situation présentait plusieurs avantages.
D'une part, le renouvellement des vaches se faisait par des

59
génisses élevées sur l'exploitation. D'autres part,
l'hétérogénéité relative du troupeau assurait un minimum
de diversité biologique. Enfin, et c'est le plus important,
les vaches étaient d'une longévité notoire (une dizaine
d'année). Cet élément est malheureusement peu pris en
considération dans le choix des races à vulgariser en vue
de l'augmentation de la production nationale en lait dans
les conditions d'élevage locales. La question est d'actualité
car, sur le terrain, il est facile de constater l'existence d'un
courant de Hosteinisation(1) à outrance. Une question
simple à laquelle je souhaiterais avoir une réponse ou un
élément de réponse est la suivante: Quelle est la durée de
vie MOYENNE d'une vache de race Holstein au Maroc?
Dans les pays occidentaux, où les animaux sont bien
identifiés et la carrière des animaux facilement traçable,
cette donnée est disponible. Mais, elle est souvent passée
sous silence pour ne pas dire occultée par les vendeurs de
paillettes. Par exemple, en Suède, la durée de vie de la
vache Holstein suédoise (SLB) est d'environ 50-60 mois.
Oui, on commence maintenant à compter la durée de vie
des vaches en mois et non pas en année. En d'autre terme,
la vache arrête sa carrière productive avant d'accomplir ou
même d'entamer sa troisième lactation. La durée de vie de
la vache Holstein ou ses cousines apparentées (Pie-noire
Holsteinisée, PrimeHolstein) dans d'autres pays
occidentaux devrait se situer au même niveau, sinon
moins. Cet arrêt précoce de carrière s'explique

60
principalement par l'abattage et la réforme des animaux
pour cause de maladie. En effet, il faut toujours garder en
mémoire que plus on sélectionne pour améliorer la
production laitière, plus on augmente la réceptivité des
animaux vis-à-vis de quelques maladies qu'on peut appeler
"pathologies de production". Le taux de réforme élevé fait
que le système Holstein est un système qui, pour se
perpétuer et se maintenir, a besoin d'un grand nombre de
génisses de remplacement: Il s’agit d’un système
génissivore.
D'autres pays développés ou en voie de développement
ont opté pour d'autres solutions dans le choix des races
dans leur politique d'amélioration de la race locale.
L'objectif est de choisir le génotype le plus adapté aux
contraintes du milieu. Le mot d'ordre est le même: garder
toujours une part du sang local pour préserver la rusticité
et l'adaptation au milieu. Cette part varie de 25 à 50%
selon les pays et les milieux. Examinons quelques
exemples pour illustrer ceci.
En Inde une politique de croisement a été instaurée
pour améliorer la production laitière. La principale
décision est de ne pas dépasser 62.5 % de sang étranger
(Holstein ou autre dans tout croisement) pour garder une
certaine rusticité.
Au Viêt-nam, la race locale Sinhd qui est
trypantolérante(2) est croisée avec la Holstein ou la

61
Frisonne. Le croisement est arrêté à la 3ème génération
(F3). En effet un croisement d'absorption poussée à
l'extrême serait désastreux pour le cheptel.
De même, l'Australie a développé pour ses zones arides
et chaudes une race synthétique à partir de la Frisonne et
de la Sahiwal. En effet, la Sahiwal est une race qui
présente un avantage de marque. Elle est résistante aux
maladies transmises par les tiques (piroplasmose et
théleiriose communément appelée au Maroc Bousfir car
provoquant un ictère). Vu les bons résultats obtenus en
Australie, Cette race synthétique (Sahiwal X Frisonne) a
été exportée vers d'autres environnements difficiles (Viêt-
nam, Malaisie, Kenya etc) avec des résultats satisfaisants.
Au Maroc, les maladies transmises par les tiques causent
des dégâts économiques importants pour l'éleveur
marocain. Malheureusement, l'éleveur marocain est encore
peu conscient du mode de transmission de la maladie et
par conséquent de sa prévention. Récemment, lors d'une
discussion avec un groupe d'éleveurs seul 10 % étaient
convaincu que Bousfir est une maladie transmise par les
tiques. Les autres pensent que la cause de la maladie est
l'apparition de la chaleur, le froid, la combinaison des
deux, le changement brusque de l'alimentation ou tout
simplement le mauvais œil du voisin ! Ceci montre le
manque à gagner dans le domaine de la formation, de la
sensibilisation et "la mise à niveau" des connaissances des
éleveurs. N'oublions pas la réalité. Presque 60% des

62
marocains sont encore analphabètes. En milieu rural la
situation est pire. La Holsteinisation ne peut se faire sans
alphabétisation.
D'après les chiffres officiels, le Maroc a importé de
1994 à 1997 un total de 90 716 génisses (Tableau 1). Ce
nombre n'est pas négligeable. Il correspond à 20-25% du
cheptel bovin laitier d'un pays comme la Suède ou le
Danemark. En supposant que ces génisses sont restées
toutes en vie et qu'elles arrivent à produire 6000 litres par
lactation et par an (ce qui est une performance facilement
atteinte dans les pays d’origine exportateurs). Ces génisses
devraient augmenter la production nationale annuelle de
147, 252, 476 et 544 millions de litres respectivement pour
les années 1994, 95, 96, et 97 (4ème Colonne, Tableau 1).
Or, l'effet de ces importations sur la production laitière
était presque nul (5ème colonne du tableau 1).

Ces exemples montrent que pour un environnement


donné, il faut proposer et vulgariser un génotype donné.
La race Holstein peut être avantageuse pour un duo
éleveur-environnement de production favorable. A
l'échelle nationale, l'éleveur laitier (facteur humain) est
considéré comme un simple facteur technique parmi
d'autres. Je pense qu'il mérite une attention plus grande et
mieux ciblée. L'éleveur, à travers ses connaissances, son
expérience et son comportement, est le maître d'une

63
gestion donnée, bonne ou mauvaise.
Tableau 1 : Importation des génisses de race pure et
production laitière durant les années 1994-1997 au Maroc
Année A B C D
1994 24 586 24 586 147 950
1995 17 434 42 020 252 830
1996 37 244 79 275 476 850
1997 11 441 90 716 544 945
A : Nombre de génisses importées par an; B : Cumul
des génisses importées ; C : augmentation de la
production nationale de lait (en millions de litres)si les
génisses importés sont restées en vie et produisaient 6000
litres/vache/an. D : Production laitière nationale réelles
(millions de litres)
Dans un article, publié dans la Terre Marocaine en
1931 décrivant les grands problèmes de l'élevage laitier au
Maroc, l'auteur dit texto que "On ne s'improvise pas
éleveur. C'est un métier excessivement difficile qui exige
des connaissances nombreuses, variées, étendues, surtout
dans les pays subtropicaux comme le Maroc où l'Eleveur
n'a pas devant lui une doctrine séculaire, admise par tous,
facile à suivre". Je pense qu'une part de ce message est
toujours d'actualité.

64
Uppsala, Suède, 1997

(1) Holsteinistaion signifie une augmentation du sang


Holstein dans un troupeau de vaches améliorées. La
Holstein est une race bovine qui a été développée et
sélectionnée aux USA à partir de la Frisonne
européenne.
(2) Ce sont des races de vaches qui peuvent être élevées
dans un milieu où prévaut la trypanosomiase : maladie
parasitaire due à un protozoaire qui vit dans le sang
comme la maladie du sommeil chez l’homme.

65
Situation de l’élevage caprin
en Palestine

Il ne se passe pas un jour sans entendre dans les


différents médias le mot Palestine et/ou Territoires
Occupés. Ceci laisse penser que le citoyen arabe est bien
informé de la réalité de cette terre et du peuple qui y vit.
Par réalité, je pense à la vie de tous les jours et aux
péripéties quotidiennes. Par exemple, on peut se demander
quelle est la monnaie en cours en Palestine, actuellement?
Les écoles sont-elles dirigées par des palestiniens ou par
des israéliens? Si un palestinien souhaite voyager à
l’étranger, quel passeport utilisera-t-il? Des questions
simples auxquelles on n’est pas en mesure d’apporter des
réponses précises. Avec le temps et l’accumulation des
petites choses ignorées, le citoyen arabe moyen se trouve
de plus en plus désinformé sur ce sujet au lieu d’en être le
plus informé.
Pour mieux rapprocher le lecteur arabe en général et
marocain en particulier de la réalité en Palestine, j’ai

66
estimé intéressant et pédagogique de donner un aperçu sur
l’élevage caprin en Palestine en mettant l’accent sur les
contraintes qui freinent son développement. Cet article
n’est pas le résultat d’une investigation personnelle
réalisée sur le terrain que j’aurai bien aimé faire, mais
plutôt un résumé d’un article paru dans la revue
Capricorne (vol 9, 1996) et écrit par le Dr Muriel Vigneron
qui a travaillé en Palestine dans le cadre des actions
menées par Vétérinaires Sans Frontières (V.S. F.).

67
Les races caprines : Le cheptel caprin en Palestine est
composé d’environ 250 000 chèvres. Il est formé de la
race locale (Baladi) et d’une race hybride issue du
croisement de la race Baladi et de la chèvre Shami (chèvre
de Damas d’origine syrienne). La race Baladi est bien
adaptée aux conditions du milieu mais elle est peu
productive. La race hybride est plus productive en lait
mais son prix d’achat la rend inaccessible pour l’éleveur
palestinien moyen. Les chèvres Baladi produisent en
moyenne 150 litres par an alors que les chèvres de race
croisée produisent en moyenne 250 litres.
Les produits laitiers : Les chèvres sont élevées pour la
viande et le lait, mais sont intéressantes plutôt pour le lait.
Le lait de chèvre est mélangé avec du lait disponible des
autres espèces sur l’exploitation. Les palestiniens, en
majorité, ne boivent pas le lait cru: Presque toute la
production est transformée au niveau familial, et les
produits sont commercialisés sur les marché local.
Divers produits laitiers sont fabriqués traditionnel-
lement. Les plus importants sont le Yaourt, Le Labaneh et
le Jibneh. Le Labaneh est une sorte de fromage blanc,
plutôt acide. Il est obtenu par maturation lactique du
Yaourt qui est égoutté dans une poche en coton pendant 24
heures après salage. Chez les Bédouins, on sèche le
Labaneh au soleil après avoir ajouté beaucoup de sel
jusqu’à complète déshydratation. On obtient alors des

68
Kichik qui sont des sortes de galets de poudre de lait salée.
Elles ont l’avantage d’être conservées plusieurs mois au
sec. Quant au Jibneh, il s’agit d’un fromage de type Feta.
Le lait est additionné de présure et chauffé à 30 °C. On ne
fabrique pas de beurre fermier, qui est d’ailleurs très peu
consommé.

69
Pathologie du troupeau caprin : Avant 1995,
l’administration israélienne n’a rien entrepris face à la
situation sanitaire du cheptel (1). Quelques zoonoses
montrent une très forte prévalence. On citera l’exemple de
la brucellose qui prévaut au sein de la population animale
et humaine due à la consommation de produits laitiers
fermiers non stérilisés. En effet beaucoup d’éleveurs ne
font pas bouillir le lait avant la transformation ou la
consommation. Il faut rappeler que la brucellose chez
l’homme est un problème sérieux de santé publique
(connue aussi sous le nom de fièvre de Malte). Elle peut
entraîner la stérilité chez l’homme.
Ressources alimentaires : La Palestine est
principalement formée de collines recouvertes d’oliviers,
d’arbres fruitiers, de vignes ou de désert. Seules quelques
vallées permettent la culture de céréales ou de fourrages.
Aussi la paille, le foin, céréales et tourteaux sont achetés
du marché israélien. Cette opération est peu intéressante
pour l’éleveur palestinien vu la différence entre les deux
niveaux de vie. Le manque de connaissance sur le
rationnement des aliments et le changement brusque de
l’alimentation entraîne plusieurs cas d’entérotoxemie(2).
La gestion de la reproduction connaît aussi quelques
défaillances. Le nombre de boucs par femelles à saillir
n’est pas adéquat. On observe aussi une utilisation
intensive des éponges vaginales, achetées d’Israël, pour

70
induire les chaleurs mais malheureusement avec des
résultats médiocres.

71
Les actions menées par VSF : Devant cette situation
Vétérinaire Sans Frontières en collaboration avec PARC
(ONG palestinienne) ont entrepris plusieurs actions. La
principale reste le contrôle de la brucellose. En effet après
3 ans d’enquêtes sur le terrain et plusieurs rencontres avec
différents intervenants de la santé animale et humaine, un
consensus s’est dégagé pour établir un programme de
contrôle de la brucellose consistant principalement en la
vaccination de tout le cheptel ovin, caprin et bovin.
Malheureusement, ce programme ne peut être appliqué
que si Israël autorise l’importation des vaccins. Des
actions de formation et de sensibilisation ont été aussi
entreprises dans une ferme expérimentale près de
Naplouse pour des démonstrations de conduite de
l’élevage en général. Un deuxième axe d’action est la
recherche des ressources alimentaires alternatives. Par
exemple l’incorporation des grignons d’olives dans les
rations d’engraissement ou la culture d’acacia dans les
collines arides.

72
En guise de conclusion : 30 ans d’occupation, le
contrôle des frontières du territoire palestinien, l’absence
de politique agricole ont été autant d’handicaps au
développement. Le jeune Ministère de l’agriculture et les
services vétérinaires commencent à se structurer, mais ils
devront éviter le piège qui consiste à copier d’emblée des
systèmes d’élevage des autres pays c’est à dire à importer
par exemple des races plus productives, mais pas
forcément adaptés aux conditions locales et aux
connaissances et savoir-faire des paysans palestiniens.

Casablanca, 2000

(1) En relisant cette article en avril 2002 en plein re-


occupation israélienne des territoires de l’autorité
palestinienne, le problème des chèvres m’est apparu
insignifiant et négligeable à comparer aux atrocités
commises par l’armée israélienne (massacre de Jenine
entre autres).

(2) Maladie aiguë des petits ruminants due au


développement dans le tube digestif de bactéries de
type Clostridium et qui est favorisée par le changement
brusque de l’alimentation.

73
74
Le premier clone humain
a-t-il été créé ?

C’est l’ACT (Advanced Cell Technology), une société


américaine de biotechnologie basée au Massachusetts, qui
est la première à avoir prétendu la production du premier
clone d’embryon humain. La chose n’est pas vraiment une
surprise car après la fameuse brebis Dolly tout le monde
savait pertinemment que la question n’est qu’une affaire
de temps et/ou de barrière éthique. Les responsables
d’ACT disent que leur intention ultime n’est pas de
produire des bébés humains mais plutôt de développer une
méthode pour obtenir des lignées embryonnaires humains
à utiliser à titre thérapeutique.
En effet, la cellule embryonnaire est dite pluripotente
ou omnipotente à savoir qu’elle possède toutes les facultés
des cellules spécialisées et par conséquent elle est capable
de se développer en différentes lignées cellulaires (cellule
musculaire, cellule nerveuse, cellule du pancréas par
exemple). Cette faculté peut être utilisée à bon escient

75
pour produire des cellules spécialisées utilisées comme
greffes dans le traitement des maladies graves comme le
diabète et la maladie de Parkinson. Collecter des cellules
spécialisées d’un embryon cloné présente le grand
avantage d’être tout à fait compatible avec les cellules du
donneur puisque dans ce cas le donneur est lui même le
receveur.
Les méthodes : Les chercheurs de l’ACT ont utilisé
deux méthodes différentes pour produire des embryons
clones. Les deux méthodes ont été essayées avec succès
chez les animaux mais n’ont jamais été utilisées chez des
embryons humains auparavant.
La première méthode est la technique du transfert du
noyau. C’est la méthode utilisée pour la brebis Dolly et
dans laquelle l’ADN (Acide désoxyribonucléique) du
noyau d’un œuf (ovule fertilisé) est remplacé par L’ADN
d’une cellule collecté d’un adulte. Une fois mise dans
l’ovule, la cellule adulte commence à se multiplier comme
un vrai embryon. Cet embryon est la copie exacte du point
de vue patrimoine génétique (clone) à la cellule adulte.
Dans le cas du clone de l’embryon humain, l’ACT a utilisé
19 œufs obtenus de 7 volontaires et seulement 3 ont pu se
développer au stade 4 ou 6 cellules embryonnaires.
La seconde technique est appelée parthénogenèse. Ce
mode de reproduction est utilisée dans la nature chez
quelques insectes comme les abeilles. Pour comprendre

76
cette méthode, il faut rappeler que dans l’œuf fertilisé, la
moitié des chromosomes provient du père et l’autre moitié
provient de la mère. Dans le cas de la parthénogenèse, les
chromosomes maternelles vont se dupliquer sans
fertilisation. La production des clones d’embryon par
parthénogenèses est éthiquement plus acceptable car ces
embryons ne peuvent jamais se développer en fœtus et
donc la possibilité d’en faire des bébés clones est écartée
dès le départ. L’ACT a utilisé 22 œufs pour la technique de
parthénogenèse et seulement 6 œufs se sont développés au
stade dit blastomère avec une cavité. Ceci veut dire que
l’embryon dans ce cas a pu arriver à un stade plus
développé que celui obtenu par la première méthode.
L’ACT a déjà obtenu des lignées cellulaires
embryonnaires par parthénogenèse chez le singe.
Est-ce légal ? Est-ce éthique ? L’opposition affichée
par les autorités américaines concernant le clonage des
embryons humains ne concerne que les laboratoires et les
institutions gouvernementales. Le clonage humain réalisé
par l’ACT est tout à fait légal au USA puisque L’ACT est
une société privée qui n’obtient pas de subventions
fédérales.
La plus part des scientifiques s’oppose au clonage
reproductif chez l’homme par lequel on souhaite avoir et
créer des fœtus viables mais sont plutôt favorable au
clonage thérapeutique dans lequel on souhaite avoir des

77
cellules embryonnaires qu’on peut utiliser comme greffes.
Ces scientifiques espèrent que les législations et les
masses médias distinguent entre les deux cas de figure.
L’homme a-t-il été cloné ? L’annonce de la firme
américaine (ACT) a suscité, en plus de la question
d’éthique, un certain scepticisme chez certains
scientifiques qui posent le problème de la viabilité des
clones d’embryons humains produits par l’ACT. Ian
Wilmut, le fameux scientifique britannique au Roslin
Institue qui a cloné la brebis Dolly, postule que les
résultats de la firme américaine ACT sont très
préliminaires. En effet, un embryon humain est supposé
doublé de nombres de cellules chaques 24 heures alors que
les embryons les plus développés obtenus par la firme
américaine n’ont jamais pu réussir à atteindre cette vitesse
de multiplication: L’embryon avait 6 cellules alors qu’il
est supposé, dans les conditions normales, en avoir 60. On
peut alors dire qu’il est déjà mort avant sa naissance. A
cette question, les scientifiques de la firme américaine
(ACT), qui ont publié leurs résultats dans le Journal of
Regenerative Medicine, acceptent le fait que la recherche
dans ce domaine soit à un premier stade et que les résultats
sont préliminaires mais vu l’importance et le potentiel
prometteur de ces résultats ils ont décidé de les publier
sans attendre les confirmations nécessaires.
Et l’avenir ? L’approche de l’utilisation thérapeutique

78
des cellules obtenues à partir d’un clone humain est une
voie qui va certainement révolutionner la médecine de ce
siècle. Du point de vue technique, un grand obstacle reste
à surmonter : C’est de donner une jeunesse aux cellules
clonées. Si la médecine évoluait comme évolue
actuellement l’informatique, la solution à ce problème
technique pourrait être obtenue la semaine prochaine (1).

Rabat 2001
(1) Au mois d’avril 2002, un événement venait confirmer
cette tendance. Un médecin italien, fervent défenseur
du clonage reproductif humain, annonçait qu’une
femme est enceinte d’un embryon cloné de 8 semaines
environ.

79
Sommaire

Avant-propos 1
L’enveloppe et le développement 3
Soyons sincères …..tout simplement 8
Des minutes bien parlementaires 14
Les pistes de l’information 24
La photo numérique à Tnine d’Ourika 27
Dix millions d’internautes en l’an 2010 31
Le virement n’est pas passé, il ne passera jamais 36
Vertus nutritionnelles et thérapeutiques lait de chèvre 41
Le prestige, l’élevage et la dégradation des pâturages 46
Le didacticiel dans l'enseignement de la physiologie 51
animale
La vache laitière : quelle race pour quel environnement?55
Situation de l’élevage caprin en Palestine 62
Le premier clone humain a-t-il été crée ? 68

80
81

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