Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
B 168
Toxidermies
médicamenteuses
Diagnostic
DR Denis JULLIEN, DR Sophie GRANDE, PR Michel FAURE
Clinique dermatologique et INSERM U346, hôpital Édouard-Herriot, 69437 Lyon Cedex 03.
Aspects cliniques
La reconnaissance d’entités cliniques distinctes permet,
compte tenu des particularités sémiologiques et du
pronostic rattaché à chacune d’entre elles, d’orienter la
prise en charge thérapeutique. 1 Éruption érythémateuse.
est le plus souvent un antibiotique (aminopénicillines, • L’histologie est le plus souvent non spécifique. Elle
macrolides, pristinamycine…), mais de très nombreux peut parfois montrer un aspect faisant évoquer un lym-
autres produits peuvent être en cause (inhibiteurs cal- phome cutané T.
ciques, anticonvulsivants, allopurinol, cimétidine, para- • L’éruption apparaît habituellement 2 à 6 semaines
cétamol…). L’exposition au mercure (bris de thermo- après la prise médicamenteuse mais peut être retardée
mètre, application de topique mercuriel, etc.) est une jusqu’à 3 mois. L’évolution après l’arrêt du médicament
cause fréquente de pustulose exanthématique aiguë peut être marquée par une succession de rémissions et
généralisée. de rechutes s’étalant sur une période de un à plusieurs
• La réalisation de tests épicutanés (patch-tests) peut mois. Les principaux produits en cause sont les anti-
aider de manière rétrospective à imputer un médicament convulsivants aromatiques (phénobarbital, carbamazépine,
suspect en reproduisant de manière localisée les lésions. hydantoïnes), la dapsone, la sulfasalazine, les calcium-
Une confirmation histologique doit être réalisée. bloquants, l’allopurinol, la minocycline. La réactivation
du virus HHV6 pourrait favoriser la survenue de cette
Syndrome d’hypersensibilité toxidermie.
médicamenteuse ou DRESS (Drug Reaction
with Eosinophilia and Systemic Symptoms) Pseudolymphomes médicamenteux
Il associe aux signes cutanés des anomalies hémato- Rares, ces toxidermies qui peuvent survenir entre
logiques et viscérales qui sont responsables d’une mortalité quelques jours et plusieurs années après le début de la
estimée à 10 %. L’éruption cutanée, diffuse, apparaît prise médicamenteuse, s’installent souvent de manière
brutalement dans un contexte fébrile et myalgique. Les insidieuse et ne conduisent le patient à consulter que
lésions peuvent être maculo-papuleuses et infiltrées, tardivement.
prendre l’aspect d’une dermite exfoliative généralisée, • On distingue deux formes cliniques principales :
d’une érythrodermie (fig. 7). Il existe souvent une attein- – les formes érythrodermiques simulent un lymphome T
te œdémateuse du visage avec un renforcement périorbi- cutané (syndrome de Sézary, mycosis fongoïde) tant
taire, des adénopathies de grande taille. Les anomalies du point de vue clinique qu’histologique. L’éruption
hématologiques associent une hyperéosinophilie qui est cependant particulière par sa symétrie et sa prédo-
peut être majeure et une hyperlymphocytose faite minance aux fesses ;
de lymphocytes atypiques. L’hyperéosinophilie est vrai- – les formes nodulaires sont constituées de lésions
semblablement responsable d’une partie du retentissement uniques ou multiples, regroupées ou diffuses, qui peu-
systémique. Il faut redouter une hépatite cytolytique, vent être papuleuses, en plaques ou le plus souvent
une néphropathie interstitielle, une pneumopathie inter- nodulaires (fig. 8). Histologiquement, il s’agit surtout
stitielle, une myocardite à éosinophile. de pseudolymphomes de type B.
• Les hydantoïnes sont une cause classique de pseudo- Purpuras vasculaires, vasculites
lymphomes. Mais ces réactions ont également été médicamenteuses
décrites avec l’allopurinol, l’association amiloride-
hydrochlorothiazide, la carbamazépine, la ciclosporine, Apparaissant de 7 à 21 j après la prise médicamenteuse
la fluoxétine, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (moins de 3 j en cas de réintroduction), ils sont constitués
de l’angiotensine. de lésions infiltrées, palpables, sensibles, avec parfois
des éléments urticariens, des ulcérations, des bulles
Réactions de photosensibilité hémorragiques, des nécroses (fig. 10). Rarement, il existe
une atteinte viscérale (digestive, rénale, cardiaque, pulmo-
On distingue 2 types de photosensibilisation médica- naire). Du fait de sa rareté (< 10 % des causes), l’origine
menteuse : médicamenteuse d’un purpura vasculaire reste un dia-
– les réactions phototoxiques, qui peuvent survenir gnostic d’élimination.
chez tous les sujets prenant un médicament photo- • De très nombreuses classes médicamenteuses peu-
sensibilisant et qui dépendent uniquement de la dose vent être en cause.
du médicament et de l’importance de l’exposition • L’histologie est non spécifique et correspond le plus
solaire. Il s’agit de réactions photochimiques rapides ; souvent à une vascularite des petits vaisseaux de type
– les réactions photoallergiques qui ne surviennent leucocytoclasique. Plus rarement, il s’agit d’une vascu-
que chez des sujets prédisposés et préalablement larite nécrosante du type périartérite noueuse.
sensibilisés. Elles peuvent être déclenchées par Des purpuras thrombocytopéniques peuvent également
des doses minimes du médicament et un faible être induits par des médicaments.
ensoleillement. Il s’agit de réactions immunologiques,
différées.
Dans le premier cas, l’aspect est celui d’un « coup de
soleil » typique (fig. 9) alors que dans le second cas,
les lésions sont plus polymorphes, pouvant prendre
un aspect maculo-papuleux, eczématiforme, urticarien
et débordent les zones exposées. La réaction photo-
allergique peut, dans de rares cas, persister à l’arrêt
du traitement en cause, on parle alors de dermatite
chronique actinique.
• Les médicaments responsables appartiennent à de
très nombreuses classes et certaines molécules peuvent
être à la fois phototoxiques et photosensibilisantes.
10 Vascularite médicamenteuse.
Tests réalisés
1. In vitro
11 Érythème pigmenté fixe.
Il n’existe aucun test fiable utile au diagnostic de toxider-
mie, la seule exception étant le dosage des IgE spécifiques
• Les principaux médicaments responsables sont disponible pour certains médicaments (pénicilline, ampi-
les cyclines, les pyrazolés , les sulfamides, la disulone, cilline, amoxicilline, insuline…). L’intérêt de ce dosage
l’aspirine, le paracétamol. reste limité aux toxidermies mettant en jeu une réaction
d’hypersensibilité de type I (urticaire, angio-œdème).
TABLEAU I
Principaux signes histologiques cutanés orientant vers un processus toxique*
Épiderme Derme
TABLEAU II
Délais d’apparition de réactions cutanées aiguës après le début du traitement
• L’utilisation plus large des patch-tests, prick-tests et du traitement, existence d’une récidive en cas de réintro-
intradermoréactions dans l’exploration de toxidermies duction accidentelle) et 4 critères sémiologiques (sémio-
urticariennes à d’autres médicaments ou de toxidermies logie évocatrice ou non évocatrice, existence d’un fac-
érythémateuses est encore en cours d’évaluation et reste teur favorisant validé, présence ou absence d’une
débattue, les principaux problèmes étant, plus que le explication non médicamenteuse, résultat d’un examen
risque, la sensibilité et la spécificité de ces tests. complémentaire spécifique fiable quand un tel examen
• Dans les eczémas médicamenteux, les patch-tests existe). En cas d’imputabilité intrinsèque identique pour
peuvent être une aide précieuse au diagnostic. plusieurs médicaments, c’est l’imputabilité extrinsèque
• Le test de provocation qui consiste à réintroduire le qui tranche. ■
médicament pour reproduire les lésions est éthiquement
illicite compte tenu du risque qu’il fait courir au patient.
• Quel que soit le test envisagé, son résultat n’a de Points Forts à retenir
valeur que s’il est positif ; en effet, une toxidermie peut
ne se déclencher qu’en présence d’un facteur favorisant
présent de manière transitoire. Ainsi, il existe une • Une toxidermie initialement « bénigne »
incidence élevée des rashs à l’ampicilline lors des peut toujours évoluer vers une forme grave
mononucléoses infectieuses, mais la réintroduction du potentiellement létale.
médicament à distance de l’épisode viral n’entraîne le • La réintroduction d’un médicament ayant
plus souvent pas de réaction cutanée. entraîné une toxidermie d’évolution favorable
peut être à l’origine d’une toxidermie
Médicament en cause d’évolution létale et est donc illicite.
• Toute toxidermie doit être déclarée au centre
En l’absence d’arguments formels, imputer la responsa- régional de pharmacovigilance.
bilité d’un médicament dans la survenue d’un événement • Certains facteurs favorisant la survenue de
indésirable relève donc d’une démarche probabiliste. En toxidermies sont identifiés : infections virales
France, il existe une méthode officielle qui sépare l’im- (mononucléose infectieuse, infection par le virus
putabilité extrinsèque (fondée sur l’existence de cas de l’immunodéficience humaine [VIH],
identiques préalablement rapportés pour le même produit) infection par le cytomégalovirus [CMV],
et l’imputabilité intrinsèque (qui ne concerne que le cas anomalies du métabolisme des médicaments
clinique observé). Le score d’imputabilité intrinsèque par les systèmes de détoxification (acétyleurs
s’échelonne de I0 (paraissant exclue) à I4 (très vraisem- lents), maladies auto-immunes (lupus
blable). Il se fonde sur 3 critères chronologiques (com- systémique), hémopathies (leucémie lymphoïde
patibilité du délai d’apparition de la réaction après le chronique).
début du traitement (tableau II), évolution après l’arrêt
POUR APPROFONDIR
Cinq à huit pour cent des syndromes lupiques sont induits par des
De très nombreux tableaux cliniques peuvent correspondre à une médicaments. Il s’agit en fait de tableaux cliniques et biologiques
toxidermie et le propos de cet article n’est pas d’en dresser une liste s’apparentant avant tout au lupus érythémateux aigu disséminé. Les
exhaustive. Les formes regroupées dans ce paragraphe cherchent uni- signes cutanés ne sont présents que dans 20 % des cas. Les anticorps
quement à illustrer cette diversité. antinucléaires sont présents à taux élevés et les anticorps anti-histones
sont fréquemment positifs. En revanche, on ne retrouve que rare-
Déclenchement, exacerbation ou simulation ment des anticorps anti-DNA natif et anti-Sm. L’absence de signes cli-
d’une autre dermatose niques et biologiques précessifs à l’introduction du traitement, la
réversion des signes à l’arrêt du traitement et l’éventuelle récidive en
Un psoriasis peut être aggravé ou déclenché par la prise de β-bloquants, cas de réintroduction conduisent à retenir le diagnostic. Les princi-
de lithium, d’antipaludéens de synthèse, de sels d’or, d’anti-inflamma- paux médicaments responsables sont : hydralazine, procaïnamide, iso-
toires non stéroïdiens, d’interféron… niazide, méthyldopa, chlorpromazine, quinidine, anticonvulsivants,
antithyroïdiens…
Certains médicaments peuvent générer ou pérenniser une acné sur
Les pemphigus induits par les médicaments sont volontiers de type
un terrain prédisposé alors que d’autres induisent des éruptions
superficiel et peuvent s’installer plus d’un an après le début du traite-
acnéiformes qui se caractérisent par leur aspect monomorphe, sur-
ment. Quatre-vingts pour cent des médicaments inducteurs possè-
tout papuleux et pustuleux. Les principaux produits responsables
dent un groupement thiol, un pont disulfure ou un cycle contenant du
sont les corticoïdes, le lithium, la vitamine B12, l’iode, le brome, l’iso-
soufre (D-pénicillamine, captopril, pyrithinol, thiopronine, sels d’or,
niazide, les hydantoïnes, les barbituriques, l’amineptine, la ciclospori-
pénicilline, ampicilline). Sont également inducteurs la rifampicine, la
ne…
phénylbutazone, les β-bloquants, le piroxicam et l’héroïne.
Des éruptions lichénoïdes ou eczématiformes peuvent également Certaines pemphigoïdes bulleuses peuvent êtres induites par la spiro-
survenir. nolactone et, à un moindre degré, par les neuroleptiques.
La porphyrie cutanée tardive est le plus souvent la conséquence d’un Plusieurs cas d’induction de dermatoses à IgA linéaire par la vanco-
déficit en uroporphyrinogène-décarboxylase hépatocytaire. Il en mycine et les anti-inflammatoires non stéroïdiens ont été rapportés.
résulte un trouble du métabolisme des porphyrines, substances qui Des dermatomyosites et des réactions sclérodermiformes sont
interviennent dans la synthèse de l’hème. L’accumulation de ces pré- rapportées à des prises médicamenteuses.
curseurs photosensibilisants est responsable de la symptomatologie.
La porphyrie cutanée tardive peut être révélée ou exacerbée par les
barbituriques, la rifampicine, la griséofulvine, les sulfamides, les Halogénides végétantes
œstrogènes Elles se caractérisent par une fragilité cutanée avec pré-
sence de lésions bulleuses et érosives localisées dans les zones photo- Il s’agit de lésions chroniques se présentant sous forme de placards
exposées et notamment au dos des mains auquel s’associe classique- suintants recouverts de croûtes, associant des pustules et une hyper-
ment une hyperpilosité de la région malaire. plasie épidermique. Il faut rechercher la prise de dérivés iodés ou
bromés.
L’acide nalidixique, le furosémide, les tétracyclines, le naproxen
, l’amiodarone, la ciclosporine peuvent induire une pseudoporphyrie. Nécroses hémorragiques
Le tableau clinique est identique à celui de la porphyrie cutanée tardive
mais il n’y a pas d’anomalies du métabolisme des porphyrines. Elles sont dues aux coumariniques et à l’héparine.