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Dermatologie

B 168

Toxidermies
médicamenteuses
Diagnostic
DR Denis JULLIEN, DR Sophie GRANDE, PR Michel FAURE
Clinique dermatologique et INSERM U346, hôpital Édouard-Herriot, 69437 Lyon Cedex 03.

Points Forts à comprendre Prurit


C’est la plus élémentaire des toxidermies et il ne faut
• Les toxidermies ont une présentation pas la méconnaître. Le plus souvent il s’agit d’un prurit
clinique polymorphe et, dans la majorité généralisé. Il peut être isolé ou précéder une éruption.
des cas, non spécifique. De très nombreux médicaments peuvent être respon-
• Les toxidermies les plus fréquentes (éruptions sables : opiacés, barbituriques, sels d’or, antipaludéens
érythémateuses, urticariennes) ont le plus de synthèse, inhibiteurs de l’enzyme de conversion de
souvent une évolution favorable. l’angiotensine…
• Les formes cliniques les plus graves
(syndrome d’hypersensibilité, syndrome Éruptions érythémateuses
de Stevens-Johnson, syndrome de Lyell,
choc anaphylactique) représentent moins Elles représentent près de la moitié des toxidermies.
de 5 % des toxidermies. Elles débutent 7 à 14 j après l’introduction du médica-
• En l’absence d’explorations paracliniques ment, plus tôt s’il s’agit d’une réintroduction. Souvent
et de tests biologiques spécifiques, la mise en prurigineuses, elles sont volontiers polymorphes et peuvent
cause d’un médicament dans une toxidermie associer des lésions maculo-papuleuses, scarlatini-
(imputabilité) repose sur une démarche formes, morbilliformes, purpuriques ou urticariennes
probabiliste. plus ou moins étendues (fig. 1). La fièvre, quand elle
• L’arrêt précoce du médicament imputable existe, est rarement marquée et il n’y a habituellement
est une priorité. pas d’énanthème, ce qui aide à différencier ces lésions
des maladies infectieuses éruptives. Elles guérissent le
plus souvent sans séquelles en 2 à 10 j avec une fine
desquamation. Rarement, mais de manière imprévisible,
elles peuvent évoluer vers une toxidermie beaucoup plus
Par définition, les toxidermies représentent les effets grave. L’apparition de signes cliniques habituellement
dermatologiques cutanés indésirables secondaires à présents dans le syndrome de Stevens-Johnson, le syn-
l’administration systémique d’un médicament. Dans la drome de Lyell ou le syndrome d’hypersensibilité (v.
pratique, on étend cette définition à certains accidents infra) doit donc être méticuleusement dépistée.
provoqués par des produits utilisés par voie topique.
Les toxidermies sont un des effets secondaires les plus
fréquents des médicaments. Leur fréquence augmente
avec la consommation médicamenteuse et est ainsi
plus élevée chez la femme et le sujet âgé. Leur
présentation clinique est extrêmement polymorphe et
elles peuvent, en dehors de tableaux plus spécifiques,
simuler de nombreuses dermatoses (voir : Pour appro-
fondir).

Aspects cliniques
La reconnaissance d’entités cliniques distinctes permet,
compte tenu des particularités sémiologiques et du
pronostic rattaché à chacune d’entre elles, d’orienter la
prise en charge thérapeutique. 1 Éruption érythémateuse.

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TOXIDERMIES MÉDICAMENTEUSES

• L’examen histologique cutané montre des anomalies Syndrome de Stevens-Johnson


peu spécifiques. L’origine iatrogénique des manifesta- et nécrolyse épidermique toxique
tions observées peut cependant être suspectée devant (syndrome de Lyell)
une vacuolisation de la membrane basale associée à une
exocytose lymphocytaire, une prénécrose du corps La symptomatologie débute après 1 à 3 semaines, dès la
muqueux associée à une nécrose monocellulaire des première introduction du médicament, par des mani-
kératinocytes, la présence d’éosinophiles. festations pseudo-grippales rapidement suivies d’une
• Les médicaments responsables sont le plus souvent atteinte muqueuse (conjonctivite, kératite, ulcérations
les antibiotiques (aminopénicillines, sulfamides anti- des muqueuses buccales, nasales et génitales). L’atteinte
bactériens), les anticomitiaux (carbamazépine, diphényl- cutanée initiale est douloureuse, prédomine au tronc, à
hydantoïne, lamotrigine), l’allopurinol, le captopril, la la racine des membres. Il s’agit le plus souvent de
salazopyrine, la D-pénicillamine, les sels d’or, les anti- macules pourpres prenant parfois un aspect de cocardes
inflammatoires non stéroïdiens. « atypiques » (lésion bulleuse centrale entourée d’un
seul cercle) (fig. 3) qui s’étendent en 1 à 5 jours tandis
Urticaire que les décollements apparaissent pour réaliser l’aspect
typique en « linge mouillé plaqué sur la peau » (fig. 4).
Au 2e rang des toxidermies, l’urticaire aiguë d’origine Le frottement d’une de ces zones met à nu le derme réa-
médicamenteuse (fig. 2) ne présente aucune particularité lisant le signe de Nikolsky. Il existe fréquemment des
clinique qui aide à la différencier des autres causes bulles aux paumes et aux plantes alors que le cuir cheve-
d’urticaire. Quelques minutes ou quelques heures séparent lu est habituellement respecté. Le syndrome de Stevens-
habituellement la prise médicamenteuse et la réaction Johnson n’est qu’une forme limitée de syndrome de
cutanée. L’urticaire peut être isolée ou s’associer à un Lyell dans lequel, par définition, la surface de peau
angio-œdème. Ce dernier peut aussi survenir de manière décollée reste inférieure à 10 % de la surface corporelle.
isolée. Non prurigineux, il correspond à un œdème de
l’hypoderme et du derme et donne une sensation de
tension cutanée. Sa localisation aux voies aériennes
supérieures peut engager le pronostic vital. L’autre com-
plication potentiellement létale est la survenue d’un choc
anaphylactique. On estime ainsi qu’une anaphylaxie
survient dans 0,2 p. 1 000 des traitements par pénicilline.
• L’examen histologique n’a pas d’intérêt.
• Les principaux médicaments en cause sont les
β-lactamines, l’aspirine et les anti-inflammatoires non
stéroïdiens, les anesthésiques généraux, les produits de
contraste iodés hyperosmolaires, les sérums, les vaccins,
les dérivés sanguins. Les inhibiteurs de l’enzyme de
conversion de l’angiotensine et à un moindre degré les
pénicillines sont responsables d’angio-œdèmes. Le
céfaclor peut être responsable d’une réaction urticarienne
tardive, survenant 7 à 10 j après la première prise, qui
s’intègre dans le cadre d’une maladie sérique. 3 Syndrome de Stevens-Johnson : cocardes « atypiques ».

2 Urticaire. 4 Nécrolyse épidermique toxique (syndrome de Lyell).

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Les signes généraux et les désordres hydroélectrolytiques


sont rapidement importants. Le pronostic est volontiers
aggravé par l’existence d’une atteinte hépatique, digestive,
hématologique et (ou) rénale. L’atteinte pulmonaire est
également fréquente puisqu’on estime que 27 % des syn-
dromes de Lyell présentent une atteinte pulmonaire préco-
ce. La dyspnée associée à une hypersécrétion bronchique
et la gazométrie (hypoxémie et alcalose respiratoire)
orientent le diagnostic. La radiographie pulmonaire est
normale. Le décès survient dans environ 30 % des syn-
dromes de Lyell et 5 % des syndromes de Stevens-
Johnson, le plus souvent du fait d’une détresse respiratoire
aiguë, d’une défaillance polyviscérale ou d’un sepsis.
L’arrêt précoce du médicament responsable est associé
à un meilleur pronostic. Dans les cas favorables, la cicatri-
5 Érythème polymorphe : cocardes « typiques ».
sation cutanée est obtenue en 1 à 3 semaines (plus pour
les lésions muqueuses). Des séquelles à type de cicatrices
pigmentaires, de dystrophies unguéales, de synéchies
muqueuses (notamment vaginales), ainsi que des séquelles Pustulose exanthématique aiguë
oculaires parfois sévères peuvent être observées. généralisée
• L’histologie montre une nécrose de l’épiderme sur
toute sa hauteur et permet d’éliminer notamment une Elle est caractérisée par l’installation aiguë, d’une éruption
épidermolyse staphylococcique aiguë, de bon pronostic, de plusieurs centaines de pustules non folliculaires,
qui se caractérise par un clivage sous-corné. stériles, sur fond érythrodermique et œdémateux, associée
• Les médicaments les plus souvent en cause sont les à une fièvre élevée. L’éruption débute souvent au visage
sulfamides antibactériens, les anticomitiaux (phéno- qui est congestif puis s’étend pour prédominer au tronc
barbital, phénytoïne, carbamazépine, acide valproïque, et aux grands plis (fig. 6). Elle peut plus rarement débuter
lamotrigine), l’allopurinol, la chlormézanone, et parmi dans les plis. Un purpura, des cocardes atypiques et des
les anti-inflammatoires non stéroïdiens les pyrazolés et lésions muqueuses peuvent être associés aidant à diffé-
les oxicams. De nombreux autres antibiotiques et anti- rencier la pustulose exanthématique aiguë généralisée
inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont également du psoriasis pustuleux. L’évolution est favorable en
responsables. La névirapine, un inhibiteur non nucléo- 10 j et suivie d’une fine desquamation.
sidique de la transcriptase inverse du virus de l’immuno- • La biopsie cutanée objective des pustules sous-cornées
déficience humaine de type 1 (VIH1) est responsable associées à un important œdème dermique, un infiltrat
d’un nombre particulièrement important de syndromes polymorphe périvasculaire souvent riche en éosinophiles,
de Lyell. Compte tenu du fait qu’il induit par ailleurs des foyers de nécrose kératinocytaire. L’hyperleuco-
une toxidermie érythémateuse chez 30 % des patients cytose secondaire à une polynucléose est constante.
qui le reçoivent, sa mise en place nécessite une sur- • Pour des médicaments d’usage fréquent, le délai
veillance clinique particulièrement vigilante. d’apparition est très bref (< 48 h) et correspond en fait
vraisemblablement à une réintroduction. Dans d’autres
Érythème polymorphe cas, le délai est de 7 à 21 j. Le médicament responsable

On considère actuellement que cette maladie est avant


tout d’origine infectieuse (herpès simplex virus 1 et 2,
Mycoplasma pneumoniæ…) et exceptionnellement
secondaire à une prise médicamenteuse. Les lésions
muqueuses sont similaires à celles du syndrome de
Stevens-Johnson, mais les lésions cutanées correspondent
à des cocardes « typiques » formées d’une lésion centrale
papuleuse infiltrée ou bulleuse entourée de 2 cercles
concentriques (fig. 5). Ces cocardes prédominent habituel-
lement aux extrémités, elles s’accompagnent volontiers
d’une sensation de brûlure et ne sont pas prurigineuses.
Des cocardes « atypiques », des lésions urticariennes
peuvent accompagner les lésions typiques. Le pronostic
est bon et l’évolution se fait spontanément vers la guérison
en 2 à 6 semaines. Dans moins de 5 % des cas, on observe
des récidives, parfois pluriannuelles accompagnant le
plus fréquemment des poussées herpétiques. 6 Pustulose exanthématique aiguë généralisée (PEAG).

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est le plus souvent un antibiotique (aminopénicillines, • L’histologie est le plus souvent non spécifique. Elle
macrolides, pristinamycine…), mais de très nombreux peut parfois montrer un aspect faisant évoquer un lym-
autres produits peuvent être en cause (inhibiteurs cal- phome cutané T.
ciques, anticonvulsivants, allopurinol, cimétidine, para- • L’éruption apparaît habituellement 2 à 6 semaines
cétamol…). L’exposition au mercure (bris de thermo- après la prise médicamenteuse mais peut être retardée
mètre, application de topique mercuriel, etc.) est une jusqu’à 3 mois. L’évolution après l’arrêt du médicament
cause fréquente de pustulose exanthématique aiguë peut être marquée par une succession de rémissions et
généralisée. de rechutes s’étalant sur une période de un à plusieurs
• La réalisation de tests épicutanés (patch-tests) peut mois. Les principaux produits en cause sont les anti-
aider de manière rétrospective à imputer un médicament convulsivants aromatiques (phénobarbital, carbamazépine,
suspect en reproduisant de manière localisée les lésions. hydantoïnes), la dapsone, la sulfasalazine, les calcium-
Une confirmation histologique doit être réalisée. bloquants, l’allopurinol, la minocycline. La réactivation
du virus HHV6 pourrait favoriser la survenue de cette
Syndrome d’hypersensibilité toxidermie.
médicamenteuse ou DRESS (Drug Reaction
with Eosinophilia and Systemic Symptoms) Pseudolymphomes médicamenteux
Il associe aux signes cutanés des anomalies hémato- Rares, ces toxidermies qui peuvent survenir entre
logiques et viscérales qui sont responsables d’une mortalité quelques jours et plusieurs années après le début de la
estimée à 10 %. L’éruption cutanée, diffuse, apparaît prise médicamenteuse, s’installent souvent de manière
brutalement dans un contexte fébrile et myalgique. Les insidieuse et ne conduisent le patient à consulter que
lésions peuvent être maculo-papuleuses et infiltrées, tardivement.
prendre l’aspect d’une dermite exfoliative généralisée, • On distingue deux formes cliniques principales :
d’une érythrodermie (fig. 7). Il existe souvent une attein- – les formes érythrodermiques simulent un lymphome T
te œdémateuse du visage avec un renforcement périorbi- cutané (syndrome de Sézary, mycosis fongoïde) tant
taire, des adénopathies de grande taille. Les anomalies du point de vue clinique qu’histologique. L’éruption
hématologiques associent une hyperéosinophilie qui est cependant particulière par sa symétrie et sa prédo-
peut être majeure et une hyperlymphocytose faite minance aux fesses ;
de lymphocytes atypiques. L’hyperéosinophilie est vrai- – les formes nodulaires sont constituées de lésions
semblablement responsable d’une partie du retentissement uniques ou multiples, regroupées ou diffuses, qui peu-
systémique. Il faut redouter une hépatite cytolytique, vent être papuleuses, en plaques ou le plus souvent
une néphropathie interstitielle, une pneumopathie inter- nodulaires (fig. 8). Histologiquement, il s’agit surtout
stitielle, une myocardite à éosinophile. de pseudolymphomes de type B.

8 Pseudolymphome médicamenteux de type B, aspect


nodulaire.

Dans les 2 cas, des adénopathies peuvent être présentes


mais il n’y a habituellement pas d’atteinte viscérale.
L’évolution se fait en quelques semaines après l’arrêt du
7 DRESS syndrome (Drug Reaction with Eosino- médicament vers la disparition des lésions cutanées et
philia and Systemic Symptoms). ganglionnaires.

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• Les hydantoïnes sont une cause classique de pseudo- Purpuras vasculaires, vasculites
lymphomes. Mais ces réactions ont également été médicamenteuses
décrites avec l’allopurinol, l’association amiloride-
hydrochlorothiazide, la carbamazépine, la ciclosporine, Apparaissant de 7 à 21 j après la prise médicamenteuse
la fluoxétine, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion (moins de 3 j en cas de réintroduction), ils sont constitués
de l’angiotensine. de lésions infiltrées, palpables, sensibles, avec parfois
des éléments urticariens, des ulcérations, des bulles
Réactions de photosensibilité hémorragiques, des nécroses (fig. 10). Rarement, il existe
une atteinte viscérale (digestive, rénale, cardiaque, pulmo-
On distingue 2 types de photosensibilisation médica- naire). Du fait de sa rareté (< 10 % des causes), l’origine
menteuse : médicamenteuse d’un purpura vasculaire reste un dia-
– les réactions phototoxiques, qui peuvent survenir gnostic d’élimination.
chez tous les sujets prenant un médicament photo- • De très nombreuses classes médicamenteuses peu-
sensibilisant et qui dépendent uniquement de la dose vent être en cause.
du médicament et de l’importance de l’exposition • L’histologie est non spécifique et correspond le plus
solaire. Il s’agit de réactions photochimiques rapides ; souvent à une vascularite des petits vaisseaux de type
– les réactions photoallergiques qui ne surviennent leucocytoclasique. Plus rarement, il s’agit d’une vascu-
que chez des sujets prédisposés et préalablement larite nécrosante du type périartérite noueuse.
sensibilisés. Elles peuvent être déclenchées par Des purpuras thrombocytopéniques peuvent également
des doses minimes du médicament et un faible être induits par des médicaments.
ensoleillement. Il s’agit de réactions immunologiques,
différées.
Dans le premier cas, l’aspect est celui d’un « coup de
soleil » typique (fig. 9) alors que dans le second cas,
les lésions sont plus polymorphes, pouvant prendre
un aspect maculo-papuleux, eczématiforme, urticarien
et débordent les zones exposées. La réaction photo-
allergique peut, dans de rares cas, persister à l’arrêt
du traitement en cause, on parle alors de dermatite
chronique actinique.
• Les médicaments responsables appartiennent à de
très nombreuses classes et certaines molécules peuvent
être à la fois phototoxiques et photosensibilisantes.

10 Vascularite médicamenteuse.

Érythème pigmenté fixe


Il est toujours d’origine médicamenteuse. Quelques
minutes à quelques heures (< 24 h) après l’ingestion du
médicament apparaît une sensation de prurit ou de brû-
lure localisée qui précède la survenue de 4 à 5 lésions
ovalaires de 1 à 10 cm de diamètre, érythémateuse, œdé-
mateuses, parfois bulleuse (30 %). Exceptionnellement,
l’atteinte bulleuse peut être généralisée. Le siège des
lésions est ubiquitaire et il peut exister des lésions
9 Réaction phototoxique. muqueuses, surtout génitales. L’état général est conservé.
La guérison obtenue en une semaine laisse une cicatrice
pigmentée bien limitée (fig. 11). La réintroduction du
médicament entraîne typiquement des récidives localisées
• Les explorations photobiologiques – photo-patch/ aux zones cicatricielles pigmentées qui peuvent s’ac-
prick-tests médicamenteux, mesure de la dose compagner de l’apparition de nouvelles lésions.
érythémale minimale UVA et (ou) UVB avant et après • La réalisation de tests épicutanés sur les zones
la prise orale du médicament suspect – peuvent aider pigmentaires séquellaires peut aider à imputer un
au diagnostic. médicament donné.

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TOXIDERMIES MÉDICAMENTEUSES

Évoquer le diagnostic de toxidermie doit conduire à


réaliser une enquête minutieuse cherchant à identifier
l’existence, la nature et la chronologie précise de toutes
les prises médicamenteuses du patient. Plusieurs éléments
peuvent gêner le diagnostic : la prise d’un médicament
pour ce qui est en réalité le premier symptôme de la
réaction cutanée (biais protopathique), l’oubli par le
patient qu’il a pris un médicament ou le fait qu’il ait pris
quelque chose qu’il ne considère pas comme un médica-
ment (biais de mémoire), la prévalence importante de la
prise médicamenteuse dans la population française adulte.

Tests réalisés
1. In vitro
11 Érythème pigmenté fixe.
Il n’existe aucun test fiable utile au diagnostic de toxider-
mie, la seule exception étant le dosage des IgE spécifiques
• Les principaux médicaments responsables sont disponible pour certains médicaments (pénicilline, ampi-
les cyclines, les pyrazolés , les sulfamides, la disulone, cilline, amoxicilline, insuline…). L’intérêt de ce dosage
l’aspirine, le paracétamol. reste limité aux toxidermies mettant en jeu une réaction
d’hypersensibilité de type I (urticaire, angio-œdème).

Démarche diagnostique 2. In vivo


Rarement réalisables et potentiellement dangereux, on
Arguments pour l’origine médicamenteuse considère actuellement qu’ils n’ont d’intérêt que dans
des situations bien définies.
La 1re étape consiste à établir un diagnostic précis de la • La place des explorations photobiologiques et des
dermatose en se basant sur ses caractéristiques cliniques, tests épicutanés dans l’exploration des pustuloses exan-
biologiques, histologiques. Exceptionnellement, on est thématiques aiguës généralisées, des érythèmes pigmentés
face à un tableau spécifique de toxidermie : argyrie, éry- fixes et les réactions de photosensibilité a déjà été abordée.
thème pigmenté fixe et, à un moindre degré, syndrome • Chez les patients suspects d’allergie aux β-lacta-
de Lyell. Le plus souvent, il s’agit d’un tableau non mines ou aux anesthésiques, la recherche d’une hyper-
spécifique (éruption maculo-papuleuse, urticaire, etc.). sensibilité immédiate par prick-tests puis intradermo-
Il faut alors savoir évoquer systématiquement l’hypothè- réaction (IDR) faite en milieu hospitalier permet de
se d’une toxidermie et s’aider de la présence de dépister ceux réellement à risque. Ces tests sont fiables
certaines atypies sémiologiques. et peuvent être pratiqués, en cas d’urgence, dans la
L’histologie cutanée, évocatrice d’une dermatose don- semaine suivant un accident anesthésique. Pour les
née, n’apporte en revanche pas d’arguments spécifiques β-lactamines, on considère qu’un test Allergopen néga-
pour son étiologie médicamenteuse. Tout au plus la tif permet de reprendre la pénicilline V ou G sans risque
présence de certains signes atypiques oriente vers une d’anaphylaxie grave. Cependant, ce test ne permet pas
toxidermie (tableau I). de dépister les allergies à l’amoxicilline.

TABLEAU I
Principaux signes histologiques cutanés orientant vers un processus toxique*

Épiderme Derme

Vacuolisation de la basale Infiltrats périvasculaires mononucléés


Prénécrose épidermique Œdème en flaque
Nécrose monocellulaires (corps hyalins) Hyperplasie fibroblastique
Exocytose lymphocytaire
❑ logettes intra-épidermiques
❑ microfoyers d’aspect lichénoïde
Migration pigmentaire
Nécrose du canal excréteur sudoral Nécrose du peloton sudoral
* D’après Thomine.

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TABLEAU II
Délais d’apparition de réactions cutanées aiguës après le début du traitement

Délai évocateur Proportion


[réintroduction] des causes
versus 1re prise médicamenteuses

Érythème pigmenté fixe [quelques heures] à < 24 h 100 %


Syndrome d’hypersensibilité 3 à 6 semaines 100 %
Syndrome de Stevens-Johnson, Lyell 7 à 21 j +++
[< 48 h] > 95 %
Pustulose exanthématique généralisée [quelques heures à < 48 h] +++
14 à 21 j > 90 %
Éruption érythémateuse [< 3 j] - 7 à 14 j 60 à 80 % (adulte)
Photoallergie [quelques heures] - 7 à 21 j ?
Phototoxicité quelques heures ?
Urticaire/angio-œdème quelques minutes à quelques heures 10 %
Purpura vasculaire [< 3 j] - 7 à 21 j < 10 %
Maladie sérique 7-14 j ?
[réintroduction] : délais de survenue lors de la réintroduction du médicament ; 1re prise : délai de survenue lors de la 1re prise du médicament.

• L’utilisation plus large des patch-tests, prick-tests et du traitement, existence d’une récidive en cas de réintro-
intradermoréactions dans l’exploration de toxidermies duction accidentelle) et 4 critères sémiologiques (sémio-
urticariennes à d’autres médicaments ou de toxidermies logie évocatrice ou non évocatrice, existence d’un fac-
érythémateuses est encore en cours d’évaluation et reste teur favorisant validé, présence ou absence d’une
débattue, les principaux problèmes étant, plus que le explication non médicamenteuse, résultat d’un examen
risque, la sensibilité et la spécificité de ces tests. complémentaire spécifique fiable quand un tel examen
• Dans les eczémas médicamenteux, les patch-tests existe). En cas d’imputabilité intrinsèque identique pour
peuvent être une aide précieuse au diagnostic. plusieurs médicaments, c’est l’imputabilité extrinsèque
• Le test de provocation qui consiste à réintroduire le qui tranche. ■
médicament pour reproduire les lésions est éthiquement
illicite compte tenu du risque qu’il fait courir au patient.
• Quel que soit le test envisagé, son résultat n’a de Points Forts à retenir
valeur que s’il est positif ; en effet, une toxidermie peut
ne se déclencher qu’en présence d’un facteur favorisant
présent de manière transitoire. Ainsi, il existe une • Une toxidermie initialement « bénigne »
incidence élevée des rashs à l’ampicilline lors des peut toujours évoluer vers une forme grave
mononucléoses infectieuses, mais la réintroduction du potentiellement létale.
médicament à distance de l’épisode viral n’entraîne le • La réintroduction d’un médicament ayant
plus souvent pas de réaction cutanée. entraîné une toxidermie d’évolution favorable
peut être à l’origine d’une toxidermie
Médicament en cause d’évolution létale et est donc illicite.
• Toute toxidermie doit être déclarée au centre
En l’absence d’arguments formels, imputer la responsa- régional de pharmacovigilance.
bilité d’un médicament dans la survenue d’un événement • Certains facteurs favorisant la survenue de
indésirable relève donc d’une démarche probabiliste. En toxidermies sont identifiés : infections virales
France, il existe une méthode officielle qui sépare l’im- (mononucléose infectieuse, infection par le virus
putabilité extrinsèque (fondée sur l’existence de cas de l’immunodéficience humaine [VIH],
identiques préalablement rapportés pour le même produit) infection par le cytomégalovirus [CMV],
et l’imputabilité intrinsèque (qui ne concerne que le cas anomalies du métabolisme des médicaments
clinique observé). Le score d’imputabilité intrinsèque par les systèmes de détoxification (acétyleurs
s’échelonne de I0 (paraissant exclue) à I4 (très vraisem- lents), maladies auto-immunes (lupus
blable). Il se fonde sur 3 critères chronologiques (com- systémique), hémopathies (leucémie lymphoïde
patibilité du délai d’apparition de la réaction après le chronique).
début du traitement (tableau II), évolution après l’arrêt

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TOXIDERMIES MÉDICAMENTEUSES

POUR APPROFONDIR

Diversité des toxidermies Induction de dermatoses auto-immunes

Cinq à huit pour cent des syndromes lupiques sont induits par des
De très nombreux tableaux cliniques peuvent correspondre à une médicaments. Il s’agit en fait de tableaux cliniques et biologiques
toxidermie et le propos de cet article n’est pas d’en dresser une liste s’apparentant avant tout au lupus érythémateux aigu disséminé. Les
exhaustive. Les formes regroupées dans ce paragraphe cherchent uni- signes cutanés ne sont présents que dans 20 % des cas. Les anticorps
quement à illustrer cette diversité. antinucléaires sont présents à taux élevés et les anticorps anti-histones
sont fréquemment positifs. En revanche, on ne retrouve que rare-
Déclenchement, exacerbation ou simulation ment des anticorps anti-DNA natif et anti-Sm. L’absence de signes cli-
d’une autre dermatose niques et biologiques précessifs à l’introduction du traitement, la
réversion des signes à l’arrêt du traitement et l’éventuelle récidive en
Un psoriasis peut être aggravé ou déclenché par la prise de β-bloquants, cas de réintroduction conduisent à retenir le diagnostic. Les princi-
de lithium, d’antipaludéens de synthèse, de sels d’or, d’anti-inflamma- paux médicaments responsables sont : hydralazine, procaïnamide, iso-
toires non stéroïdiens, d’interféron… niazide, méthyldopa, chlorpromazine, quinidine, anticonvulsivants,
antithyroïdiens…
Certains médicaments peuvent générer ou pérenniser une acné sur
Les pemphigus induits par les médicaments sont volontiers de type
un terrain prédisposé alors que d’autres induisent des éruptions
superficiel et peuvent s’installer plus d’un an après le début du traite-
acnéiformes qui se caractérisent par leur aspect monomorphe, sur-
ment. Quatre-vingts pour cent des médicaments inducteurs possè-
tout papuleux et pustuleux. Les principaux produits responsables
dent un groupement thiol, un pont disulfure ou un cycle contenant du
sont les corticoïdes, le lithium, la vitamine B12, l’iode, le brome, l’iso-
soufre (D-pénicillamine, captopril, pyrithinol, thiopronine, sels d’or,
niazide, les hydantoïnes, les barbituriques, l’amineptine, la ciclospori-
pénicilline, ampicilline). Sont également inducteurs la rifampicine, la
ne…
phénylbutazone, les β-bloquants, le piroxicam et l’héroïne.
Des éruptions lichénoïdes ou eczématiformes peuvent également Certaines pemphigoïdes bulleuses peuvent êtres induites par la spiro-
survenir. nolactone et, à un moindre degré, par les neuroleptiques.

La porphyrie cutanée tardive est le plus souvent la conséquence d’un Plusieurs cas d’induction de dermatoses à IgA linéaire par la vanco-
déficit en uroporphyrinogène-décarboxylase hépatocytaire. Il en mycine et les anti-inflammatoires non stéroïdiens ont été rapportés.
résulte un trouble du métabolisme des porphyrines, substances qui Des dermatomyosites et des réactions sclérodermiformes sont
interviennent dans la synthèse de l’hème. L’accumulation de ces pré- rapportées à des prises médicamenteuses.
curseurs photosensibilisants est responsable de la symptomatologie.
La porphyrie cutanée tardive peut être révélée ou exacerbée par les
barbituriques, la rifampicine, la griséofulvine, les sulfamides, les Halogénides végétantes
œstrogènes Elles se caractérisent par une fragilité cutanée avec pré-
sence de lésions bulleuses et érosives localisées dans les zones photo- Il s’agit de lésions chroniques se présentant sous forme de placards
exposées et notamment au dos des mains auquel s’associe classique- suintants recouverts de croûtes, associant des pustules et une hyper-
ment une hyperpilosité de la région malaire. plasie épidermique. Il faut rechercher la prise de dérivés iodés ou
bromés.
L’acide nalidixique, le furosémide, les tétracyclines, le naproxen
, l’amiodarone, la ciclosporine peuvent induire une pseudoporphyrie. Nécroses hémorragiques
Le tableau clinique est identique à celui de la porphyrie cutanée tardive
mais il n’y a pas d’anomalies du métabolisme des porphyrines. Elles sont dues aux coumariniques et à l’héparine.

Troubles pigmentaires Alopécies, hypertrichoses

Les hyperpigmentations résultent de l’accumulation dans le derme de


métaux lourds (thésaurismose) et (ou) de pigments (mélanine, lipo- Hypertrophie gingivale
fuscine, hémosidérine). L’arsenic donne une hyperpigmentation
maculeuse du tronc, l’argent (argyrie) une hyperpigmentation gris
ardoisée prédominant aux zones découvertes et les sels d’or (chryso-
cyanose) une pigmentation bleu grisâtre diffuse. Les antipaludéens de
synthèse induisent des taches pigmentées bleu noir prétibiales et du
POUR EN SAVOIR PLUS
visage. Un aspect de chloasma peut être observé avec les hydantoïnes
Bégaud B, Evreux JC, Jouglard J, Lagier G. Imputabilité des effets
et les œstrogènes. L’amiodarone est responsable après la 2e année de
inattendus ou toxiques des médicaments, actualisation de la
traitement d’une pigmentation d’aspect grisâtre pseudocyanique, dans
méthode utilisée en France. Therapie 1985 ; 40 : 111-8.
les zones découvertes. La minocycline entraîne une pigmentation gri-
sâtre des zones inflammatoires préexistantes. La bléomycine est res- Roujeau JC, Wolkenstein P. Réactions cutanées aux médicaments.
ponsable d’une pigmentation brunâtre linéaire d’aspect flagellé. In : Saurat JH, Grosshans E, Laugier P, Lachapelle JM (eds).
Dermatologie et maladies sexuellement transmissibles, 3e édition.
Les hypopigmentations peuvent être secondaires à l’application d’hy- Paris : Masson.
droquinone.

2052 LA REVUE DU PRATICIEN 2000, 50

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