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Shiva de Badami, époque Chalukya, VIème siècle

UPANISHADS DE SHIVA
 

Kaivalya Upanishad
Upanishad de l'Indépendance absolue

Traduite et annotée par M. Buttex


D'après la version anglaise du Swami Madhavananda
Publiée par Advaita Ashram ,Calcutta
 

Remarque préliminaire : KAIVALYA : 1) état transcendant d'indépendance absolue; isolement, non-conditionnement, par
détachement ou exclusion du non-Réel par l’âme; 2) délivrance, libération, union avec l’Être absolu (Brahman) que réalise le pur
jnanin; béatitude suprême.

1
 

Om ! Puisse-t-Il nous protéger tous deux; Puisse-t-Il nous nourrir tous deux;
Puissions-nous travailler conjointement avec une grande énergie,
Que notre étude soit vigoureuse et porte fruit;
Que nous ne nous disputions pas, et que nous ne haïssions personne.

Om ! Que la Paix soit en moi !


Que la Paix gagne mon environnement !
Que la Paix soit en les forces qui agissent sur moi !
 

             1. Ashvalayana alla trouver le Seigneur Paramesthi (Brahma) (1) et lui demanda : « Seigneur,
enseigne-moi la Connaissance de Brahman, le Très-haut, que cultivent toujours les êtres bons, qui est
occultée, et par laquelle un homme sage met instantanément en fuite les actes négatifs et atteint au
Purusha (2) , le plus élevé de tous les êtres. »

1 Paramesthi : le Souverain suprême, la Volonté suprême.


2 Purusha : Principe psychique universel : 1) le véritable Moi; 2) la Conscience suprême, substrat de toutes
les opérations de la substance, Prakriti.

             2. Et le Grand Maître, Brahma, lui répondit : « Connais-Le au moyen de la foi, de la dévotion et de la
méditation. Ce n'est ni par le travail, ni par une descendance, ni par la richesse, mais par la renonciation,
que certains ont atteint l'immortalité.

             3. Il se trouve plus haut que les cieux, siégeant dans la caverne (Buddhi) (1) qui brille, et seuls ceux
qui se maîtrisent parfaitement peuvent L'atteindre – les maître de soi, les purs d'esprit, qui ont
fermement établi la nature de la Réalité grâce au savoir du Védanta (2) cumulé à la renonciation du
Sannyasin (3) . Entrant dans la sphère de Brahma à l'époque de la dissolution cosmique, ils acquièrent
même la libération de ce qui semble une suprême immortalité pour l'univers manifesté.

1 Buddhi : La Raison, l'Intellect, le facteur dans l'appareil psychique qui perçoit et détermine. Souvent
traduit par « le mental » avec connotation de sagesse, d’intellect supérieur. Selon la physiologie yoguique,
l'atome-germe de la conscience est situé dans le chakra du cœur, l'anahata. Cf. Hridaya, dahara.
2 Védanta : Le couronnement, la fin (anta) des Védas : les Upanishads.
3 Sannyasin : 1) l’ascète qui a renoncé à tout; 2) le 4ème stade (ashrama) de la vie brahmanique.

             4-5. En un lieu retiré, assis dans une posture aisée à tenir longtemps, en état de pureté, maintenant
bien érigés le cou, la tête et le tronc, il faut vivre (désormais) dans le dernier des stades de la vie
brahmanique. Ayant contrôlé tous ses sens, on salue son propre Maître avec révérence, et l'on médite sur
le lotus dans le cœur (Brahman), sans souillures, pur, clair et serein.

             6. On médite sur Brahman, qui est impensable, non-manifesté bien qu'infini dans ses formes, qui est
le bon, le pacifique, l'Immortel, l'origine des mondes, sans commencement ni milieu ni fin, l'unique et le
seul, l'omniprésent, la Conscience et la Félicité, le sans-forme et le merveilleux.

             7. Méditant sur le Seigneur le plus élevé de tous, Shiva, l'époux de Uma (1) , puissant, aux trois yeux
(2) , au cou bleu, serein, l'ascète parvient à Lui; Il est la source de tout, le témoin de tout et Il se trouve au-
delà de l'obscure ignorance (avidya).

1 Uma : « La Paix de la Nuit » - L'une des manifestations de la Mère des Dieux, la Grande Déesse, en tant
que Connaissance éternelle se propageant à travers l'univers infini. Elle est l'épouse de Shiva sous son aspect

2
de Seigneur-du-Sommeil.
2 Les trois yeux de Shiva sont le soleil, la lune et le feu, ce dernier étant l'œil frontal de la perception
transcendante, dont la vision est purement intérieure, et qui voit l'avenir. L'œil solaire voit le présent, l'œil
lunaire voit le passé.

             8. Il est Brahma, Il est Shiva, Il est Indra, Il est l'Immuable, le Suprême, l'Auto-luminescent. Lui
seul est Vishnu, Il est Prana (1) , Il est le Temps et le Feu, Il est la Lune.

1 Prana : L’énergie vitale sous-jacente à toute la manifestation cosmique, individuelle et collective. Le


souffle de la respiration, le principe de vie.

             9. Lui seul est tout ce qui fut et tout ce qui sera, Il est l'Éternel; Le connaissant, on transcende la
mort; il n'existe aucune autre voie vers la libération.

             10. Lorsque l'on voit l'Atman dans tous les êtres, et tous les êtres dans l'Atman, on atteint au
suprême Brahman – on ne L'atteint par aucun autre moyen.

             11. Utilisant l'Atman comme l'arani (1) inférieur et le Om comme l'arani supérieur, par la friction
répétée de la connaissance, l'homme sage consume tous ses liens.

1 Arani : « Matrices » du feu sacrificiel: les morceaux de bois dont le frottement fait jaillir l’étincelle.

             12. Vivant dans son soi qui est pris aux filets d'illusions de Maya (1) , c'est lui, le jiva (2) qui
s'identifie à son corps physique et accomplit les actes les plus divers. Dans l'état de veille, c'est lui, le jiva,
qui trouve satisfaction dans les objets de jouissance les plus variés, tels que femmes, nourritures,
boissons, etc.

1 Maya : La Puissance (shakti) de Brahman se manifestant en tant qu’univers phénoménal; la manifestation


sous son aspect grossier, subtil et causal. Maya est synonyme d’ignorance (avidya), les illusions découlant de
la confusion entre l'existence relative et la réalité; car elle est la grande Enchanteresse qui possède 2 pouvoirs
: avriti ou avarana shakti ( pouvoir d’obnubilation) et vikshepa shakti ( pouvoir de projection).
2 Jiva : L’individualité vivante, l’âme individuelle, dans son état de non-réalisation de son identité avec
Brahman.

             13. Dans l'état de rêve, le jiva ressent plaisir et peine dans une sphère d'existence créée par sa
propre Maya, son ignorance. Dans l'état de sommeil profond, quand toute chose est dissoute et n'existe
plus qu'à l'état causal, le pouvoir de tamas (1) , la non-manifestation par inertie, s'empare du jiva et il
n'existe plus que sous sa forme de félicité.

1 Gunas : Les 3 qualités ou modes d'être inhérents à l'univers phénoménal, à savoir Sattva, ou la qualité du
bien, de lumière et calme; Rajas, ou la qualité d'activité, passion et agitation; Tamas, ou la qualité de
ténèbres, inertie et illusion.

             14. De nouveau, en conséquences de ses imprégnations mentales (1) , ce même jiva retourne à l'état
de rêve, puis à l'état de veille. Le jiva s'ébat dans les trois cités (2) – mais c'est de Lui qu'a jailli toute leur
diversité. Il est, Lui, le substrat, la félicité, la Conscience indivisible, en laquelle ces trois cités se
dissolvent.

1 Samskara : Impression (empreinte ou tendance) mentale latente, laissée ou provoquée par le karma, bon
ou mauvais, accumulé soit au cours des existences antérieures, soit pendant la vie présente.
2 Les trois cités (tripura): Les 3 états de conscience : veille (jagrat –la conscience se meut sur le plan
physique), rêve (svapna – la conscience se meut sur le plan subtil) et sommeil profond (sushupti – la
conscience s'est retirée dans le corps causal).

             15. De Lui, jaillissent Prana (l'énergie vitale), le mental, tous les organes, le ciel, l'air, le feu, l'eau, et

3
la terre, laquelle est le support de tout ceci.

             16. Cela (1) qui est le Suprême Brahman, l'Âme universelle, la base incommensurable de l'univers,
Cela qui est plus subtil que toute subtilité, et éternel – Cela est toi-même, et tu es Cela (2) .

1 Tat : « Cela », l’Absolu dont on ne peut rien dire, sinon que Lui seul est, en vérité; le principe transcendant
et infini, qui est Vérité, connaissable par la seule expérience intime... le véritable et unique Moi.
2 TAT TVAM ASI : « Cela, toi aussi tu l’es », un des mantras (mahavakyas) par lesquels le Védanta affirme
l’identité du jiva et de Brahman.

             17. « Cela qui manifeste les phénomènes, tels les trois états de conscience – Cela je le suis, je suis ce
Brahman » – dès lors qu'on réalise cette vérité, on est libéré de toute entrave.

             18. « Ce qui constitue l'objet de jouissance, le jouisseur et la jouissance, dans les trois cités – Je suis
différent de tout cela. Je suis le Témoin, la pure Conscience, l'éternel Bien.

             19. En Moi, et en Moi seul, toute chose prend naissance, en Moi toute chose repose, et en Moi toute
chose est dissoute. Je suis ce Brahman, l'Un sans second.

             20. Je suis plus infime que l'infiniment petit, de même Je suis le plus grand, incomparablement; Je
suis l'Univers dans toute sa diversité; Je suis l'Ancien des Jours, le Purusha (1) et le Régent universel; Je
suis la Lumière radieuse, je suis le Bien absolu.

1 Purusha : cf. shloka 1. Par extension, notamment dans les Upanishads, Purusha se réfère à Brahman en
tant qu'Homme Cosmique, « possédant mille têtes, mille yeux, mille jambes, incluant la Terre dans son
corps, se diffusant dans toutes les directions, à l'intérieur de l'animé comme de l'inanimé » dit aussi le Rig
Véda.

             21. Bien que sans bras ni jambes, Je détiens un pouvoir d'une ampleur impensable; Je vois sans le
secours des yeux, J'entends sans le secours des oreilles. Je suis omniscient, et Je diffère de tout le
manifesté. Nul ne peut Me connaître. Je suis l'Intelligence éternelle.

             22. C'est Moi seul l'objet de l'enseignement des Védas, c'est Moi qui ai révélé le Védanta et les
Upanishads, et Je reste l'absolu Connaisseur des Védas. Pour Moi, il n'est ni mérite ni démérite, aucune
destruction ne peut M'atteindre, Je n'ai pas eu de naissance, Je ne possède pas d'identité propre associée
à un corps possédant des organes.

             23-24. Pour Moi, il n'existe ni terre, ni eau, ni feu, ni air, ni éther. » Si l'on réalise de cette façon le
Paratman (1), qui siège dans la cavité du cœur, qui est indivisible et sans second, qui est le Témoin de
tout, au-delà de l'existence comme de la non-existence – on atteint au pur Paratman Lui-même.

1 Paratman : Le Soi suprême; synonyme de Brahman ou Atman, l’Esprit suprême.

             25. Celui qui étudie le Shatarudriya (1) , est purifié comme s'il avait été consumé par les Feux : il est
purifié du péché de boisson, du péché d'homicide sur un Brahmane, et de tout acte pernicieux commis
sciemment ou par mégarde. En vertu de cette purification, il trouve dorénavant son refuge en Shiva, le
Seigneur suprême. Celui qui appartient au quatrième et plus haut ordre de la vie brahmanique (2) , devrait
répéter ce mantra en permanence ou tout au moins une fois par jour.

1 Shatarudriya : « les cent fils de Rudra » - les compagnons du dieu Shiva sous son aspect destructeur de
Rudra, qui collaborent à la destruction. Ici, se réfère probablement à un mantra du Shiva Tantra.
2 Cf shloka 3, note 3.

             26. Ainsi l'on atteint à la Connaissance qui détruit les réincarnations répétées au sein de l'océan du

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Samsara (1). En conséquence de cette Connaissance, on atteint au fruit du Kaivalya (2) ou libération.
Oui, en vérité, on atteint à la libération.

1 Samsara : La roue d'activités incessantes dans l'univers manifesté, royaume de l'éternelle Maya.
L’existence phénoménale, l’océan de la transmigration. Cycle indéfini des morts et des renaissances, auquel
l’homme ne peut échapper que par la réalisation (libération, en conséquence !), fruit de la sadhana.
2 Kaivalya : cf. note préliminaire.

Om ! Puisse-t-Il nous protéger tous deux; Puisse-t-Il nous nourrir tous deux;
Puissions-nous travailler conjointement avec une grande énergie,
Que notre étude soit vigoureuse et porte fruit;
Que nous ne nous disputions pas, et que nous ne haïssions personne.

Om ! Que la Paix soit en moi !


Que la Paix gagne mon environnement !
Que la Paix soit en les forces qui agissent sur moi !
 

Ici se termine la Kaivalyopanishad, appartenant au Krishna-Yajur Véda.

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