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BACTÉRIES LACTIQUES ET MÉTABOLISMES FERMENTAIRES

Auteure : Alyssa Carré-Mlouka (Maître de Conférences, MNHN)

Les bactéries lactiques revêtent depuis très longtemps une importance fondamentale dans l’alimentation
humaine. En effet, ces bactéries sont responsables des fermentations dites lactiques, utilisées de manière
empirique depuis des millénaires. Des traces archéologiques ont été retrouvées en Egypte, indiquant que
l’Homme maîtrise les procédés de caillage du lait depuis le néolithique. Très rapidement dans l’histoire de
l’Homme, les bactéries lactiques ont été exploitées pour la production d’aliments fermentés lactés comme les
yaourts ou les fromages, mais également des produits à base de légumes, de céréales, de poissons ou de
viande.

Que sont les bactéries lactiques ?


Les bactéries lactiques sont des microorganismes procaryotes, sans noyau. Elles sont dites à coloration Gram
positive : cela signifie qu’elles possèdent, à l’extérieur de leur membrane plasmique, une paroi relativement
épaisse chargée de les protéger des stress environnementaux. Ce sont des bactéries qui peuvent être
observées au microscope sous formes de bâtonnets ou de coques (Figure 1), qui sont immobiles et incapables
de sporuler.

Figure 1. A gauche des bactéries sous forme de coques : Streptococcus pyogenes (grossissement x900), à droite des
bactéries sous forme de bâtonnets : Lactobacillus acidophilus (un bâtonnet mesure 1,5 à 6µm de long). Domaine public

Les bactéries lactiques sont des germes de culture difficile qui exigent des milieux riches et complexes,
contenant de nombreux nutriments : glucides, acides aminés, acides gras, sels, vitamines. Les bactéries
lactiques forment un groupe assez vaste et hétérogène, qui se définit par la capacité à réaliser des voies
métaboliques particulières, appelées fermentations lactiques et dont le produit final est l’acide lactique (Figure
2). Le développement de bactéries lactiques entraîne donc une acidification du pH due à l’accumulation d’acide
lactique, les bactéries lactiques tolérant très bien des pH relativement bas. Le groupe des bactéries lactiques est
constitué de 12 genres principaux, dont Enterococcus, Lactobacillus, Lactococcus, Leuconostoc, Pediococcus,
et Streptococcus. Ces bactéries sont ubiquistes, on peut les trouver naturellement dans des environnements

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divers, seules ou en symbiose avec d’autres organismes vivants : matériel végétal en décomposition, intestins
des mammifères, surface de la peau des animaux…
Certaines bactéries lactiques sont pathogènes pour l’Homme, comme par exemple Streptococcus pyogenes,
l’agent de la scarlatine, ou Streptococcus pneumoniae, qui peut être impliqué dans des infections de la sphère
ORL, voire certaines méningites bactériennes. D’autres sont des membres habituels et bénéfiques de la flore
microbienne humaine : c’est le cas notamment de Lactobacillus acidophilus, dont la présence dans le vagin des
mammifères aide à maintenir un pH acide, empêchant ainsi la colonisation par des champignons responsables
de mycoses.

Figure 2. L’acide lactique et sa forme ionisée, le lactate : produit final des fermentations lactiques © MNHN

L'intérêt des bactéries lactiques dans notre alimentation


De nombreuses bactéries lactiques, naturellement présentes sur les matrices alimentaires, sont à l’origine de
fermentations utilisées par l’Homme pour transformer les produits alimentaires, afin d’en modifier le goût, la
texture, et/ou d’en améliorer la conservation, un critère essentiel au cours de l’histoire humaine, les aliments
étant parfois rares et facilement dégradés. Par fermentation, on entend une transformation naturelle d’un
aliment, liée à la présence de bactéries, et généralement réalisée à l’abri du dioxygène et de la lumière afin
d’éviter le développement de moisissures. Une fermentation consiste donc en une dégradation des nutriments
présents dans l’aliment par des bactéries lactiques, qui vont produire de l’acide lactique faisant baisser le pH et
inhibant ainsi la croissance d’autres microorganismes, susceptibles d’altérer les aliments. Les aliments
fermentés, étant pré-dégradés par les bactéries lactiques, sont généralement assez digestes et bien tolérés.
L’acidification du pH par l’acide lactique est la base de la conservation des aliments fermentés, qui peuvent
être ainsi gardés à température ambiante pendant plusieurs mois. Elle procure également le goût aigre de
certains aliments fermentés. De plus, certaines bactéries lactiques produisent également des substances
antibiotiques de nature peptidique, appelées bactériocines, pour éliminer les bactéries compétitrices. Par
exemple, Lactococcus lactis produit de la nisine, une bactériocine inhibant la croissance des pathogènes
alimentaires Listeria monocytogenes et Staphylococcus aureus. La nisine est d’ailleurs utilisée actuellement
comme conservateur alimentaire.
Examinons à présent les bases biochimiques des fermentations lactiques, afin de comprendre leur intérêt pour
les bactéries, mais aussi de mieux cerner les mécanismes régulant ces voies métaboliques dans les matrices
complexes que sont les aliments.

Fermentations lactiques versus respiration aérobie


Si de nombreux organismes vivants produisent l’énergie nécessaire à leur croissance grâce à la respiration
aérobie, ce n’est pas le cas des bactéries lactiques qui utilisent à cette fin d’autres voies métaboliques ne
nécessitant pas de dioxygène : les fermentations dites lactiques. La respiration comme les fermentations sont
des processus d’oxydation de composés organiques, dont le transfert d’électron est assuré par divers
transporteurs (NADH par exemple). L’énergie libérée au cours de ces réactions est stockée sous forme de
composés riches en énergie, essentiellement de l’ATP, mais aussi d’autres molécules comme le glucose-6-
phosphate, l’acétyl-coA ou le phospho-énol-pyruvate.

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Dans la respiration aérobie, le glucose est oxydé lors de la glycolyse puis le cycle de Krebs. Au cours de ces
voies métaboliques, de l’ATP est formé, par phosphorylations au niveau du substrat, où des groupements
phosphates riches en énergie liés à des composés organiques intermédiaires sont transférés directement sur
l’ADP. Des composés réduits sont aussi produits (NADH et FADH 2), qui sont réoxydés par la chaîne de transfert
d’électrons mitochondriale. Cela génère un gradient proto-moteur permettant le fonctionnement de l’ATP
synthétase : de l’ATP est alors produit, par phosphorylation oxydative. Dans la respiration aérobie, le glucose
est entièrement oxydé. Cela permet la production de 38 molécules d’ATP, à partir d’une molécule de glucose
(Figure 3).
Dans les fermentations lactiques, l’ATP est uniquement produit par phosphorylations au niveau du substrat,
lors de la glycolyse (Figure 3). Elles ne permettent donc pas une oxydation complète du glucose. Selon la
fermentation lactique, une ou deux molécules d’ATP sont produites à partir d’une molécule de glucose. Les
fermentations lactiques sont donc moins productrices d’énergie que la respiration aérobie.

Figure 3. Bilan de production d’ATP par respiration aérobie et fermentation lactique (pour information les composés R' et
R'H2 correspondent à NADH et FADH2 évoqués plus haut) © MNHN

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Différentes voies de fermentations lactiques
Les fermentations lactiques ont comme produit final l’acide lactique, un acide faible qui fait baisser le pH. Un
milieu dépourvu de dioxygène favorise les fermentations lactiques, bien que la présence de dioxygène n’inhibe
pas les enzymes impliquées dans ces voies métaboliques. On distingue deux voies de fermentations
lactiques (Figure 4) :
 la fermentation homolactique, constituée de la voie de la glycolyse (également appelée voie d’Embden-
Meyerhof) puis de la conversion de 2 molécules de pyruvate en 2 molécules de lactate. Divers hexoses
(glucides à 6 carbones), comme le glucose, le fructose, le mannose, le galactose, le lactose ou le saccharose
peuvent être oxydés par cette voie. La fermentation homolactique apporte un gain net de 2 ATP par molécule
de glucose oxydée. Cette voie est réalisée par les bactéries dites homofermentaires, appartenant aux genres
Lactococcus, Lactobacillus, et Streptococcus.
 la fermentation hétérolactique, quant à elle, est aussi appelée voie des transcétolases. En plus de l’acide
lactique, les produits finaux de cette fermentation sont également le CO 2, l’éthanol, et en plus faible
proportion selon le substrat initial oxydé, l’acide acétique et le glycérol. Des hexoses, voire certains pentoses
(glucides à 5 carbones), peuvent être utilisés comme substrat initial. La fermentation hétérolactique à partir
du glucose apporte un gain net d’une seule molécule d’ATP. Les bactéries dites hétérofermentaires,
appartenant aux genres Lactococcus ou Leuconostoc, réalisent la fermentation hétérolactique.
D'autres voies métaboliques fermentaires, comme la voie du citrate, sont à l'origine de composés carbonés
volatils conférant un arôme particulier aux aliments fermentés.

Figure 4. Deux voies de fermentations lactiques © MNHN

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Des fermentations spontanées ou contrôlées de nos aliments
Les aliments fermentés peuvent être l’objet d’une fermentation spontanée, réalisée par les bactéries lactiques
naturellement présentes à la surface de l’aliment, ou d’une fermentation contrôlée, après ajout de ferments
lactiques. Les ferments lactiques consistent généralement en un mélange à haute concentration de souches
bactériennes soigneusement sélectionnées pour leur capacité à réaliser les fermentations lactiques, mais aussi
leurs propriétés organoleptiques. En industrie agro-alimentaire, on les appelle aussi « levains » ou « starter »,
puisque leur ajout permet de faire débuter la fermentation de l’aliment. Il existe des ferments lactiques adaptés
selon le type d’aliment fermenté, et l’effet recherché dans l’aliment. La composition en est jalousement gardée
par les industriels producteurs d’aliments fermentés.

Pour en savoir plus :


 D. Drider, H. Prévost, Bactéries lactiques. Physiologie, Métabolisme, Génomique et applications
industrielles, Economica Anthropos (2009).
 G. Corrieu, F.-M. Luquet, Bactéries Lactiques. De la génétique aux ferments, Lavoisier/Tec et
Doc (2008).

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