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ISSN 0296-4449

mensuel d’informations économiques et sociales


septembre 2012
3€ 

Les asymétries
informationnelles
Renaud Chartoire

Les travaux fondateurs d’Arrow et d’Akerlof ont À partir des années soixante, des
travaux épars se sont développés,
ouvert un nouveau champ de l’analyse économique, celui visant à remettre en question certaines
de ces hypothèses. Ces travaux ont
débouché sur une «  nouvelle microé-
des asymétries d’information, centré sur les concepts conomie  » particulièrement féconde,
puisqu’elle a permis la construction
de sélection adverse et d’aléa moral. Dans de nombreux de modèles au contenu prédictif et
explicatif plus performant, et ce dans
domaines, les travaux théoriques mais aussi empiriques un plus grand nombre de champs
d’application [1]. Cette microéco-
ont révélé la fécondité de ce champ pour analyser nomie, si elle reprend la plupart des
outils et des méthodes de la microé-
conomie traditionnelle, s’en écarte sur
le fonctionnement de l’économie. C’est le cas notamment
plusieurs points, dont l’un des princi-
paux est d’analyser les comportements
pour le marché du travail, les marchés financiers ou des agents économiques dans un cadre
d’information imparfaite. L’hypothèse
les systèmes de santé. Parallèlement, l’économie de de rationalité de ces agents est main-
tenue, mais ils doivent, dans leur prise
l’information s’est développée au travers de la recherche de décision, intégrer cette absence au
moins partielle d’information.
des formes de contrats permettant de limiter la perte Afin de présenter ce champ de
recherche, nous allons dans un premier

d’efficacité engendrée par L a microéconomie traditionnelle,


qui a accompagné les débuts
de l’école néoclassique, reposait sur
temps définir et présenter ce que sont
les asymétries informationnelles, avant
d’appliquer successivement ce concept au
la présence d’asymétries un ensemble d’hypothèses commu- comportement des acteurs sur le marché
nément regroupées sous le vocable du travail, puis sur les marchés financiers
d’information. de «  concurrence pure et parfaite  ». et enfin dans le domaine de la santé. 1
Que sont les « asymétries cette situation à propos du marché des mutuellement avantageux (ceux entre
informationnelles » ? voitures d’occasion, «  The Market for acheteurs désireux de voitures de bonne
Lemons », pour reprendre le titre de son qualité et vendeurs possédant ce type de
L’économie de l’information est donc article. Il a montré que sur ces marchés, voiture) n’a pas pu être réalisée. L’équi-
partie intégrante de cette nouvelle mi- le vendeur possède une information (dite libre de marché en situation d’asymétrie
croéconomie. Au moment de faire leurs « information privée » ou « information d’information est donc sous-optimal.
choix, les individus devront faire face à cachée ») sur la qualité de la voiture qu’il L’aléa moral est une situation voisine
une information qui peut être inégale- vend et que ne possède pas l’acheteur : mais différente. Là aussi, un agent éco-
ment distribuée entre les individus, de il connaît la manière dont il l’a conduite nomique possède une information que
telle sorte que certains possèdent une et dont il en a suivi la maintenance. Or, l’autre n’a pas ; mais cette fois-ci, l’in-
information que d’autres n’ont pas. Dans au moment d’entrer sur ce marché, les formation ne porte pas sur un paramètre
ce cas, on parle alors d’asymétries infor- acheteurs ne connaissent pas la qualité exogène mais sur une action que l’agent
mationnelles, et l’information devient des voitures. Ils prennent donc un risque économique peut – ou non – commettre.
ainsi une ressource pour les agents qui à l’achat, surtout si leur choix se porte Le marché de l’assurance est à cet égard
la possèdent et qui peuvent l’utiliser à sur les voitures les plus chères. Dans un révélateur. L’assureur prend en charge
leurs propres fins. Cette approche per- marché de concurrence pure et parfaite, le financement des dépenses liées à la
met de mettre en avant les comporte- les biens échangés sont homogènes et survenue d’un risque, par exemple, un
ments stratégiques des coéchangistes  ; les prix véhiculent toute l’information accident de voiture ou encore un arrêt
celui qui possède l’information se de- nécessaire aux prises de décisions opti- de travail pour cause de maladie. Cepen-
mande comment l’utiliser au mieux, males des agents économiques. Là, il dant, une fois couvert, il est possible que
et celui qui ne la possède pas va tout n’en est pas de même, car si les vendeurs l’assuré change de comportement et
mettre en œuvre pour la faire émerger de voiture de bonne qualité n’accepte- adopte une attitude plus risquée, car il
ou en tout cas pour faire en sorte que ront pas de les vendre à bas prix, il est sait que les conséquences de ses actes
celui qui en est possesseur soit incité à aussi tout à fait possible qu’un vendeur, sont prises en charge par l’assurance.
la révéler (encadré 1). tentant de profiter de l’ignorance des L’assureur est ainsi face à une asymétrie
Ces stratégies et leurs conséquences acheteurs, propose à un prix élevé un informationnelle, et l’assuré peut pro-
sur l’équilibre de marché vont être au véhicule qu’il sait pourtant de mauvaise fiter de son information privée sur son
cœur des travaux de l’économie de qualité. Ainsi, parmi les voitures vendues comportement pour faire subir des coûts
l’information. Elles vont reposer sur la au prix le plus élevé, il est totalement additionnels à l’assureur. Une fois de
distinction entre situation de sélection plausible que certaines ne valent pas ce plus, l’équilibre qui en résulte est sous-
adverse et d’aléa moral. prix. Pour limiter les risques, les ache- optimal, comme nous le précisons dans
La sélection adverse est une situa- teurs vont donc se rabattre vers les véhi- la dernière partie.
tion qui advient quand, lors d’une tran- cules les moins chers, qui sont nécessai-
saction, un agent économique détient rement de plus mauvaise qualité. À ce
sur le bien ou service échangé une infor- prix, les vendeurs de voitures de bonne Une première application :
mation constitutive de celui-ci sur la- qualité décident de ne pas les vendre ; le le marché du travail
quelle il n’a pas de prise, et qui n’est pas marché évince ainsi les « bons » produits,
à la connaissance du coéchangiste. C’est et le résultat des échanges est sous- La sélection adverse  : au moment
Akerlof, en 1970, qui a mis en lumière optimal car une partie des échanges de réaliser l’embauche d’un futur sala-
rié, l’employeur ne peut parfaitement
connaître son niveau d’efficacité et
Encadré 1. Pourquoi évaluer les vendeurs sur eBay ? l’ensemble de ses caractéristiques pro-
David Masclet et Thierry Pénard, économistes de l’université de Rennes, ont réalisé en 2006 dans ductives. Il peut tenter de limiter l’in-
le cadre de travaux relevant de l’économie expérimentale des expériences visant à déterminer com- certitude en mettant en place des pro-
ment une relation de confiance reposant sur la divulgation d’informations privées peut émerger sur cédures fines de sélection des dossiers
un marché d’enchères tel que celui de eBay. Ce site fait apparaître en effet à la fois les situations avec entretien d’embauche, mais cette
de sélection adverse et d’aléa moral. Sélection adverse, car les objets échangés sont le plus souvent
d’occasion : comment être sûr en tant qu’acheteur de la qualité supposée et attendue du produit incertitude ne saurait être réduite à
désiré ? Aléa moral, car une fois la commande passée, comment être certain que le vendeur respec- zéro. Nous sommes donc bien dans le
tera, par exemple, les délais d’expédition ? Pour ce faire, les sites de mise en vente où des particu- cas d’une asymétrie informationnelle,
liers apparaissent, tels eBay ou AmazonMarketPlace, ont mis en place des procédures d’évaluation le candidat étant a priori mieux informé
des vendeurs par les acheteurs eux-mêmes. En les évaluant, ils annoncent aux autres acheteurs
que l’employeur sur ses caractéristiques
potentiels l’information sur le vendeur qu’ils ont eux-mêmes tirée de leur relation marchande. Est-il
fiable ? Quel est l’état de qualité des produits qu’il vend ? Ce produit correspond-il à ce qui avait été professionnelles.
présenté dans l’annonce ?… Avec ce système, écrivent les auteurs, « chacun est donc incité à être le L’aléa moral : une fois le salarié em-
plus honnête possible pour recevoir des évaluations positives et acquérir une bonne réputation, qui bauché, quel degré d’effort va-t-il four-
permettra de mieux acheter et mieux vendre dans les transactions futures ». On se retrouve donc bien nir ? L’asymétrie informationnelle porte
dans une procédure visant à faire révéler publiquement l’information privée détenue par certains
bien alors sur une action, celle du sala-
agents économiques.
2 rié qui est seul en mesure de connaître
le degré d’effort qu’il réalise par rapport Une autre approche est la « théorie performance des travailleurs, voire
à ses capacités. On se retrouve alors du salaire d’efficience  », développée même sur les résultats financiers de
dans un cas typique de relation princi- par Yellen en 1984 à la suite d’une pre- l’entreprise pour en faire des «  créan-
pal-agent telle qu’analysée par la théo- mière intuition présentée par Leibens- ciers résiduels  ». On retrouve ce qui
rie de l’agence  : cette relation désigne tein en 1957 avançant que l’employeur a déjà été présenté dans le cadre de
un ensemble de problèmes rencontrés a intérêt à proposer un salaire supé- la sélection adverse, sauf qu’ici cette
lorsque la situation d’un acteur, nommé rieur au salaire d’équilibre du marché. rémunération ne sert pas à attirer ceux
le « principal » (ici l’employeur), dépend En effet, les postulants annoncent à qui se savent déjà les plus productifs,
de l’action ou de la nature d’un autre l’employeur un salaire de réservation, mais à inciter les travailleurs en place
acteur, «  l’agent  » (ici le salarié), sur en deçà duquel ils refuseront l’emploi à élever leur niveau de productivité.
lequel le principal est imparfaitement proposé. Comme ce sont des agents L’employeur peut aussi proposer
informé. économiques rationnels, ce salaire un salaire d’efficience. Ce dernier est
de réservation dépend de ce qu’ils supérieur au salaire d’équilibre et indé-
Faire face au problème savent être leur niveau de producti- pendant de la performance. Le salarié
de la sélection adverse vité et correspond à ce qu’ils auraient peut ainsi se dire que s’il ne réalise pas
Dans le cadre de la sélection adverse, pu espérer gagner ailleurs. Le salaire le niveau d’effort attendu, il risque de
l’objectif de l’employeur est de faire en de réservation annoncé est donc une perdre son travail. Cela doit donc l’inci-
sorte que seuls les salariés les plus pro- fonction croissante de leurs apti- ter à atteindre ce niveau. Toutes les en-
ductifs se présentent à l’embauche, et tudes. En proposant un salaire élevé, treprises étant également rationnelles,
que les moins productifs renoncent à l’employeur élimine donc les candida- elles ont tout intérêt à agir de la sorte,
le faire d’eux-mêmes. En agissant ainsi, tures ne correspondant pas à ses at- tant et si bien que le salaire de marché
les chercheurs d’emplois révèlent leur tentes de productivité. devient supérieur au salaire d’équilibre,
information personnelle sur leur niveau ce qui génère du chômage involontaire.
de productivité, qui était, rappelons- Faire face au problème Évidemment, le risque de licenciement
le, inconnue de l’employeur. Comment de l’aléa moral pour le salarié dépend aussi des coûts
procéder ? Il existe plusieurs modalités La logique est la même dans le cas de rotation de la main-d’œuvre pour
pour ce faire. de l’aléa moral. Pour savoir si le sala- l’entreprise. Si ces coûts sont impor-
La première a été présentée par rié engagé met réellement en œuvre tants, les salariés savent que la proba-
Spence en 1973 dans sa «  théorie du l’effort qu’il est capable de déployer et bilité d’être licencié est faible, et qu’ils
signal  », qui consiste à avancer qu’un pour lequel il a a priori été embauché, peuvent donc sans doute se permettre
diplôme n’est pas en soi le gage d’une l’employeur peut mettre en place une sans trop de risques de « tirer au flanc ».
productivité supérieure, mais qu’il est coûteuse et contraignante procédure Dans ce cas, il faut que l’entreprise pro-
un signal envoyé par un candidat à un de contrôle de cet effort sur le lieu pose un salaire d’autant plus élevé pour
employeur pour prouver ses compé- de travail. Il peut aussi proposer une parvenir à ses fins. Akerlof en 1982 en
tences ou du moins des compétences rémunération en partie gagée sur la a donné une interprétation en termes
supposées supérieures à celles des
autres postulants n’ayant pas le même
Encadré 2. Le jeu de la réciprocité sur le marché du travail
niveau de diplôme. Dans ce cadre, la
comparaison des différents CV devrait L’économie expérimentale a développé des jeux en laboratoire permettant de tester la validité de
permettre aux employeurs de distin- certaines théories, dont celle du salaire d’efficience. Soit deux joueurs ne pouvant communiquer,
guer ceux qui seront a priori les moins dont un joue l’employeur et l’autre le travailleur. L’employeur fixe un salaire entre 0 et 10 euros qu’il
annonce au travailleur, qui en retour décide de réaliser un niveau d’effort sur une échelle de 0 à 10.
productifs. Faire des efforts est «  coûteux  » pour le travailleur mais rentable pour l’employeur  ; chaque
La seconde a été développée en niveau d’effort coûte 0,25 euro au travailleur, mais rapporte 3 euros à l’employeur. Au total, le gain
1976 par Rothschild et Stiglitz. Leur de l’employeur est égal à ce que lui rapporte le travailleur (3 x le niveau d’effort) moins ce qu’il
« théorie du filtre » avance que la forme lui coûte (son salaire), et celui du travailleur est égal à son salaire retranché du coût de son effort
(0,25 x le niveau d’effort).
des contrats proposés peut inciter les Comme l’employeur fixe le salaire à l’avance, l’intérêt du travailleur, afin de maximiser son gain,
agents économiques à révéler l’infor- est de fournir un effort nul. Comme l’employeur anticipe cela, il choisit rationnellement de proposer
mation dont ils disposent. Ainsi, un un salaire nul, c’est-à-dire de ne pas embaucher le travailleur. Or, dans les études expérimentales,
contrat qui proposerait un salaire fixe ceux qui jouent les employeurs offrent en moyenne un salaire de 5 euros, et ceux qui jouent les
travailleurs un niveau d’effort entre 2 et 4, ce qui est conforme avec l’approche du don/contre-don
relativement restreint mais une prime
d’Akerlof.
de performance élevée devrait per- Fehr et Gächter en 2001 ont un peu compliqué le jeu, en proposant aux employeurs la possibilité
mettre d’attirer uniquement les travail- de sanctionner le travailleur qui ne mettrait pas en œuvre le niveau d’effort souhaité. Selon la théorie
leurs qui se savent les plus productifs ; de l’agence, une telle possibilité de sanction devrait être incitative et générer chez le travailleur
un niveau d’effort plus élevé. Or, les jeux effectués montrent exactement l’inverse ! Il semble ainsi
alors qu’un contrat avec un fixe élevé et
que proposer un salaire élevé sans le coupler avec des possibilités de sanction soit le moyen le plus
une prime faible ne permettrait pas de efficace pour inciter les travailleurs à réaliser le niveau d’effort attendu du fait du salaire proposé.
distinguer les candidats en fonction de
leur niveau de productivité. Source : d’après [3, p. 103-104]. 3
d’« échange de dons » : le salaire élevé fondamentale » des titres financiers, qui cherchait à le revendre plus cher que ce
proposé par l’employeur peut être consi- est égale à la valeur actualisée du flux de prix, il ne trouverait pas preneur  ; et
déré comme un don, tandis que l’éléva- revenus futurs auxquels cet actif donne moins cher, il ne serait pas rationnel. Une
tion du niveau d’effort qui en résulte de droit. Concernant les actions, ce sont les des conséquences importante de cette
la part du travailleur peut être pensée dividendes qui doivent donc être anti- théorie est qu’il n’est en moyenne pas
comme un contre-don (encadré 2). cipés. Or, dans le cadre d’anticipations possible de faire « mieux » que le marché,
Au niveau macroéconomique, on rationnelles, les agents économiques c’est-à-dire de surperformer, car chaque
aboutit bien à un équilibre sous-optimal, vont prendre en compte toute l’informa- investisseur fait reposer ses choix sur les
puisque cela ne correspond pas au plein- tion disponible au moment de réaliser mêmes informations que les autres.
emploi, équilibre consécutif à l’exis- leurs anticipations. Si par exemple cette Afin de tester cette théorie, trois
tence d’asymétries d’informations et à information induit une hausse actua- formes d’efficience informationnelle
la manière dont les agents économiques lisée future des dividendes de 10  %, la ont été définies [4]. Au sens faible, un
mettent en place des procédures spéci- valeur du titre devrait automatiquement marché est efficient si les cours des
fiques pour faire face à ces asymétries. s’accroître de 10 %. En effet, si quelqu’un actifs reflètent l’information disponible

Des tests du salaire d’efficience


Encadré 3. Efficience informationnelle et évolution
Il existe des tests empiriques de l’exis-
du cours de l’action TF1
tence de formes de salaire d’efficience,
qui reposent sur l’idée suivante. Les Ce document nous montre comment a évolué le cours de l’action TF1 durant le match de Coupe du
disparités de salaire devraient être monde France-Uruguay du 6 juin 2002. Lors du premier match, la France avait perdu face au Sénégal
et si elle perdait ensuite contre l’Uruguay, elle aurait été automatiquement éliminée de la Coupe du
expliquées par des différences de pro- monde, dont TF1 avait acheté très cher les droits de diffusion. La seule façon pour TF1 de rentabiliser
ductivité, c’est-à-dire indirectement de cet achat était que la France aille le plus loin possible dans cette Coupe, afin qu’un maximum de
capital humain. Si des personnes ayant téléspectateurs regardent les matchs, et qu’elle puisse ainsi vendre le plus cher possible ses écrans
un capital humain et des caractéristiques publicitaires.
À 14 heures précise Thierry Henry, attaquant de l’équipe de France, est expulsé, alors même qu’il
productives identiques, travaillant dans reste près de 70 minutes de match à jouer et que le score est de 0-0. Or, comme on peut le voir sur
une même entreprise ou non, et une fois le graphique, à 14 heures le cours de l’action TF1 s’effondre. Comment l’expliquer ? En reprenant
annulé les différences annexes (sexe, la thèse de l’efficience informationnelle. L’expulsion d’Henry, information immédiatement rendue
nationalité) qui pourraient induire des publique par toutes les chaînes retransmettant en direct le match dans le monde entier, a permis aux
agents économiques de revoir immédiatement à la baisse leurs anticipations de dividendes futurs
discriminations salariales, disposent de concernant l’action TF1. Il s’en est suivi une diminution de la valeur fondamentale de l’action, auto-
salaires non équivalents, alors cet écart matiquement prise en compte par le marché.
peut être une mesure de politiques de Le score final a été de 0-0 et la France perdit une grande partie de ses chances de qualification (la
salaire d’efficience différencié en fonc- défaite face au Danemark quelques jours après entérina l’élimination de l’équipe de France). Au total,
la diminution de la capitalisation boursière (prix d’une action x nombre d’actions cotées) s’est élevée
tion des coûts de rotation spécifiques à 170 millions d’euros entre le début et la fin du match contre l’Uruguay.
aux entreprises ou secteurs concernés. Ce test permet ainsi de valider la théorie de l’efficience au sens semi-fort, car les agents écono-
C’est ce qu’ont cherché à mesurer Jean- miques ont bien pris en compte toute l’information disponible. Par contre, il ne permet pas de savoir
Michel Plassard et Gabriel Tahar en 1990 si le cours de l’action reflète bien sa valeur fondamentale, car pour cela il faudrait connaître le mon-
tant de la réduction des bénéfices de TF1 lié à cette élimination prématurée, et par extension celle
[6]. Ils ont abouti à la conclusion qu’une des dividendes qui seront versées en fin d’année aux actionnaires. Or, justement, cette information
partie des différences de salaire inter- n’est pas connue. Il est par exemple possible que les agents économiques aient surréagi, et que la
sectorielles ne pouvait être imputée à diminution de la valeur de l’action ait été supérieure à celle découlant de l’évolution de sa valeur
des variables individuelles de formation fondamentale. Dans ce cas, le graphique ci-dessous ne permet pas de valider la thèse de l’efficience
informationnelle.
ou démographiques, et devait donc être
consécutive à l’existence d’une relation 32,5
d’efficience dans la fixation des niveaux
Source : Marie-Hélène Broihanne,
de rémunération. Maxime Merli, Patrick Roger, Finance
32,0 comportementale, Economica, 2004.

Une seconde application :


le marché financier 31,5

L’analyse des marchés financiers a été


31,0
marquée, à partir des travaux de Fama
dans les années soixante, par la théorie
de l’efficience informationnelle qui sup- 30,5
pose que sur le marché financier le prix
des titres reflète instantanément toute
l’information disponible. Cette théo- 30,0
rie repose sur l’existence d’une «  valeur 13 : 00 13 : 30 14 : 00 14 : 30 15 : 00 15 : 30 4
sur l’historique des cours. Au sens semi- qui devraient connaître une augmenta- Une troisième application :
fort, ils doivent refléter toute l’informa- tion importante dans un futur proche. l’économie de la santé
tion publique relative à ces actifs. Enfin, Les évolutions de ce panier sont com-
au sens fort, les cours doivent incarner parées à celles de la moyenne du mar- La santé est un autre domaine impor-
toute l’information, publique et privée. ché, symbolisée par l’indice Dow Jones, tant d’application des théories relatives
Dans le cadre d’asymétries information- et par celle d’un autre panier choisit aux asymétries informationnelles [2].
nelles, seule l’efficience au sens fort, aléatoirement en… lançant des flé- Tout d’abord, se pose là aussi le pro-
du fait de l’existence de telles asymé- chettes. Au final, les experts ont fait blème de la sélection adverse, à partir du
tries, est remise en question. De nom- moins bien que ce panier dans 39  % moment où ce sont ceux qui présentent
breux tests s’attachent à corroborer les des cas, et moins bien que l’indice dans a priori le plus de risques qui ont un maxi-
formes faible et semi-forte (encadré 3). 49  % des cas. Une telle expérience mum d’intérêt à signer un contrat d’assu-
En revanche, plusieurs types de travaux semble montrer que les experts, qui rance. Rothschild et Stiglitz en 1976 ont
tendent à remettre en cause la forme sont censés disposer d’informations ainsi montré que la population assurée
forte. plus pertinentes que le reste de la po- présentant un niveau de risque plus élevé
Les premiers portent sur les délits pulation, n’obtiennent pas de manière que celui de la population générale, l’assu-
d’initiés. Ce sont Niederhoffer et Os- convaincante de meilleurs résultats reur devait augmenter les primes. Or, cela
borne en 1966, puis Jaffe en 1974 qui que ceux du marché, ce qui tendrait à inciterait les assurés présentant les risques
ont ouvert la recherche sur ce sujet. valider la théorie de l’efficience. Cette les plus faibles à résilier leur contrat, ce
Ils montrent tous que certains inves- expérience va dans le sens des tra- qui entraînerait un cercle vicieux (aug-
tisseurs, et plus particulièrement les vaux réalisés par Jensen à la fin des mentation des primes ➪ résiliations
insiders qui sont principalement des années soixante et qui montraient que ➪ augmentation des primes) amenant à
dirigeants de société spéculant sur sur une période donnée, seuls 2 parmi terme à une disparition du marché de l’as-
leurs propres titres, réalisent des profits 115 fonds américains professionnels surance. Pour éviter cela, les compagnies
«  anormaux  », c’est-à-dire découlant dans la gestion de titres financiers sont incitées à mettre en place des poli-
d’informations sur la valeur future des qu’il avait suivis étaient parvenus à tiques d’« écrémage des risques » visant à
actifs qu’eux seuls étaient en mesure battre le marché. Cela correspond à ce ne pas assurer ceux présentant le risque le
de détenir, ce qui correspond à un délit qu’avait avancé Malkiel en 1973 dans plus élevé, par exemple en imposant des
d’initié. A Random Walk Down Wall Street  : conditions drastiques à l’acceptation des
Les seconds portent sur l’analyse des « En matière de sélection d’actions, un assurés (une personne d’un certain âge
performances des portefeuilles gérés chimpanzé, les yeux bandés, qui lance aura de grandes difficultés à assurer un
par des professionnels, afin de savoir si des fléchettes sur le Wall Street Journal crédit immobilier) ou en élevant le coût
ces derniers réalisent des profits « anor- peut faire aussi bien que les experts. » de l’assurance en fonction des caracté-
maux  », sans que cela ne corresponde Cependant, une étude réalisée par Ippo- ristiques de l’assuré (une personne ayant
à des délits d’initiés. Une expérience lito en 1989 et portant quant à elle sur déjà connu des soucis cardiaques se verra
est réalisée par le Wall Street Journal 143 fonds pour la période 1965-1984 imposer un coût d’assurance de son crédit
depuis 1988. Elle consiste à demander montre au contraire que ces fonds réa- qui pourra se révéler dissuasif). Ou alors,
à quatre experts de la Bourse de New lisent en moyenne des performances là aussi comme sur le marché du travail, la
York de sélectionner un panier d’actions légèrement supérieures au marché. forme des contrats proposés peut inciter

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5
les assurés à révéler leur risque ; pour se –  en l’occurrence, la probabilité d’obtenir final, auront le moins généré de dépenses
faire, l’assureur peut proposer un contrat des journées d’arrêt maladie. de santé. Cela n’est pas dû au fait que
avec une prime d’assurance faible mais Mais, comme l’a montré Arrow en les assurés en question lorsqu’ils sont
une franchise élevée. Celui qui se sait 1963, il existe aussi un risque moral malades réalisent moins de dépenses
en danger refusera ce contrat, en préfé- ex post, qui est lui caractérisé par le fait de santé, mais au final qu’ils sont en
rant à l’inverse une prime élevée et une que l’assuré, une fois le dommage opéré, moyenne moins souvent malade. Cette
franchise faible. Le problème de sélection ne va pas tout mettre en œuvre pour mini- étude montre aussi qu’à moyen terme,
adverse (le marché ne sélectionne que les miser les coûts liés à sa prise en charge par l’état de santé des membres de l’échan-
«  mauvais risques  ») peut donc être do- l’assureur. C’est ainsi que les personnes qui tillon, quel que soit le système d’assu-
miné par un autre problème de sélection bénéficient aux États-Unis d’une couver- rance qu’ils avaient souscrit, est équiva-
(le marché ne sélectionne que les « bons ture maladie ont des dépenses de santé en lent, ce qui signifie que ceux qui auront
risques  »), lequel est avant tout un pro- moyenne plus élevée que les non-assurés. généré moins de dépenses de santé du
blème d’équité, puisque ceux qui ne par- Une solution pour éviter ce problème est fait de leur contrat ne subiront pas de
viennent pas à s’assurer sont ceux qui ont de mettre en place des systèmes de rem- dégradation de leur état de santé.
la santé la plus fragile. boursements fixés en fonction de la pa-
Une solution possible peut alors thologie et qui sont identiques pour tous,
consister à rendre l’assurance santé obli- mais cela pose de redoutables difficultés Conclusion
gatoire et imposer aux faibles risques (les techniques et éthiques dans un système
jeunes par exemple) une prime d’assurance tel que celui de la santé. Les asymétries informationnelles ont
plus élevée. Ainsi, l’assureur rentre dans Une expérience menée par la RAND été introduites dans l’analyse écono-
ses frais sans empêcher les plus âgés, par Health Insurance Experiment aux États- mique par le courant néokeynésien, mais
exemple, de s’assurer. Et, les plus jeunes, Unis dans les années soixante-dix est à sont aujourd’hui au cœur de tout un en-
qui seront âgés un jour, ne subiront pas sur cet égard instructive. Menée auprès d’un semble de programmes de recherche. La
l’ensemble de leur existence un système échantillon de 8  000  personnes repré- nouvelle microéconomie s’est en partie
de prélèvement injuste. sentatives de la population américaine, développée à partir des outils ainsi mis
Par ailleurs, l’existence même d’un elle a montré que plus la contribution en lumière, ce qui a permis à la théorie
mécanisme d’assurance entraîne-t-il un financière individuelle des assurés aux économique de construire des modèles
relâchement de l’attitude des assurés ? La dépenses de soin qu’ils ont générées au contenu explicatif et prédictif plus
décision récente de mise en place d’une est importante, plus le montant de ces fécond qu’auparavant.
journée de carence dans la fonction pu- dépenses diminue. En clair, les incita-
blique et de l’augmentation d’une journée tions financières permettent bien de
correspondante dans le secteur privé en est réduire l’aléa moral, puisque ceux qui Renaud Chartoire
un bon exemple. Pourquoi une telle journée ont les contrats induisant le copaiement Enseignant en hypokhâgne B/L au lycée Guist’hau
de carence  ? L’idée sous-jacente est que le plus élevé sont aussi ceux qui, au de nantes
les caisses d’assurance-maladie sont face
à une situation d’aléa moral, car elles ne
sont pas en mesure de connaître le niveau Bibliographie
d’effort réalisé par les assurés afin de rester
en bonne santé. En mettant en place une
telle journée, l’espoir du principal –  en [1] Cahuc Pierre, La Nouvelle Microéconomie, Paris, La Découverte, 1999, coll. « Re-
l’occurrence la puissance publique qui est pères ».
responsable du financement des caisses [2] Chambaretaud Sandrine et Hartmann Laurence, « Économie de la santé : avan-
d’assurance-maladie – est que la perspec- cées théoriques et opérationnelles », Revue de l’OFCE, n° 91, 2004.
tive d’une perte d’une journée de salaire en [3] Elber Nicolas et Willinger Marc, L’Économie expérimentale, Paris, La Découverte,
cas d’arrêt maladie incite les travailleurs à 2005, coll. « Repères ».
mettre en œuvre les « efforts » nécessaires [4] Lardic Sandrine et Mignon Valérie, L’Efficience informationnelle des marchés
pour éviter cet arrêt. On se trouve ici dans financiers, Paris, La Découverte, 2006, coll. « Repères ».
une situation de risque moral ex ante, car [5] Perrot Anne, Les Nouvelles Théories du marché du travail, Paris, La Découverte,
le problème réside dans l’incitation qu’ont 1992, coll. « Repères ».
les assurés à diminuer leurs efforts de pré- [6] Plassard Jean-Michel et Tahar Gabriel, « Théorie du salaire d’efficience et dis-
vention, ce qui risque de conduire, si rien parités non compensatrices : évaluations à partir de l’enquête FQP », Économie &
n’est fait, à un accroissement du dommage Prévisions, n° 92-93, 1990.
755A3865

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