Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
© SFODF, 2020
https://doi.org/10.1684/orthodfr.2020.6 Article original
MOTS CLÉS : RÉSUMÉ - Introduction : Depuis des décennies, les orthodontistes et les parodon-
Parodontie / tistes répétent à l’envi que l’orthodontie n’a pas de conséquences néfastes sur le paro-
Orthodontie donte lorsque celui-ci est sain ou assaini. Or, une revue systématique de la littérature
met à mal cette antienne et conclut qu’il y a une absence de preuves fiables des effets
positifs de l’orthodontie sur la santé parodontale avec, dans les meilleures conditions
parodontales, de légers effets néfastes. Il est donc de la responsabilité de l’orthodon-
tiste de faire que le coût parodontal d’un traitement orthodontique soit le plus faible
possible. Comment faire pour que ce « au mieux » ne se transforme pas en un « au
pire » ? Matériels et méthodes : Afin de réduire au maximum les conséquences délé-
tères des traitements orthodontiques sur le parodonte, l’orthodontiste doit pouvoir
préciser quels sont les patients sur lesquels elle/il peut, d’emblée, envisager un traite-
ment orthodontique et ceux sur lesquels une prise en charge parodontale est néces-
saire avant tout. L’orthodontiste doit donc se transformer, pour quelques minutes, en
parodontiste afin de reconnaître les huit signes des pertes d’attache et les six facteurs
de risque des parodontites, décrits dans cet article. Discussion : Le diagnostic doit
prendre en compte les besoins en matière de parodontie et d’orthodontie, qui ne
pourront être efficaces sans la motivation du patient et des praticiens.
KEYWORDS : ABSTRACT – Let’s be a periodontist… for only a few minutes ! Introduction : For several decades,
Periodontics / orthodontists and periodontists have repeated that orthodontics have no harmful consequences on the
Orthodontics periodontium when it is healthy or treated. However, a systematic review of the literature undermines this
common refrain and concludes that there is a lack of reliable evidences of the positive effects of orthodontics
on periodontal health with, in the best periodontal conditions, slight adverse effects. It is therefore the
responsibility of orthodontists to keep the periodontal cost of orthodontic treatment as low as possible. How
to make sure that this « at best » does not turn into an « at worst » ? Materials and Methods : In order to
minimize the deleterious consequences of orthodontic treatment on the periodontium, the orthodontist must
be able to specify which patients she/he can immediately consider providing orthodontic treatment and those
on whom periodontal treatment is mandatory before all. The orthodontist must therefore transform, for a few
minutes, into a periodontist in order to recognize the eight signs of loss of attachment and the six risk factors
for periodontitis, exposed in this article. Discussion : Both needs for periodontal and orthodontic treatment
have to be measured and would not be efficient without the patient’s and the practitioners’ motivation.
41
42 Orthod Fr 2020;91,41–46
superficielle ou modérée. De plus, selon les études examens complémentaires (radiographies, moulages,
et les pays, 15 à 20 % des adultes présentent une empreintes optiques, photographies, analyses cépha-
parodontite agressive, c’est-à-dire une parodontite lométriques, diagnostics ventilatoires, diagnostics
qui apparaît très tôt dans la vie de l’individu et qui occluso-articulaires…).
se traduit par d’importantes pertes d’attache. Plus Le diagnostic parodontal mené par l’orthodon-
récemment, en 201720, sur la seule région PACA, tiste va suivre une démarche similaire : quelques
seul un quart des patients examinés a un parodonte questions à poser au patient au travers de l’interro-
sain ; 75 % présentent une pathologie parodontale gatoire, un examen clinique parodontal simple, un
à des degrés divers. Un quart présente une gingivite sondage parodontal localisé à certaines dents, un
et près de la moitié une parodontite avec des poches bilan rétro-alvéolaire long-cône à systématiser pour
parodontales et une alvéolyse irréversible. les adultes car, comme le précise la HAS2, c’est le
Dans le syllabus remis à chaque participant à ses seul examen radiographique qui permet d’évaluer
formations (un grand merci à Frank Pourrat), Bjorn l’alvéolyse. La collection de ces différentes données
Zachrisson rappelle que, s’il est peut-être dispropor- doit permettre à l’orthodontiste de pouvoir recon-
tionné d’envoyer tout patient vers le parodontiste naître les huit signes des pertes d’attache et les six
avant un traitement orthodontique, c’est logique- facteurs de risque des parodontites avant de référer,
ment et d’abord à l’orthodontiste de reconnaître les si nécessaire, le patient vers le parodontiste.
signes des parodontites. L’orthodontiste devra donc rechercher la présence
Au cours des soixante dernières années, des d’un ou de plusieurs des huit signes suivants :
milliers d’articles, de chapitres d’ouvrages majeurs – les saignements gingivaux,
et de conférences ont conclu que les effets parodon- – les douleurs et les sensibilités,
taux des traitements orthodontiques sont mineurs – les abcès et les suppurations,
lorsque le parodonte est soit d’emblée sain, soit – les récessions gingivales,
assaini. Une récente revue systématique de la litté- – les mobilités dentaires,
rature4 concernant les effets des traitements ortho- – les migrations secondaires,
dontiques sur la sante parodontale met à mal ces – les bourrages alimentaires,
certitudes. Avec 24 000 références initiales, seules – la mauvaise haleine.
douze études ont été retenues, dont onze non
randomisées. Cette revue systématique montre 3. Le fondamental d’abord
que, dans les meilleures conditions parodontales, on
observe 0,03 mm de récession gingivale, 0,13 mm La dernière classification des maladies parodon-
d’alvéolyse et 0,23 mm de poche en plus par rapport tales7 n’a que quelques mois et l’objectif de cet article
à un groupe témoin sans traitement. n’est pas de la décrire en détail. Mais, quelle que soit
Les questions que doit se poser tout orthodontiste la classification, l’orthodontiste doit être à même de
sont donc très claires. Comment faire pour que ce préciser si le patient présente un parodonte sain ou
« au mieux » ne se transforme pas en un « au pire » ? assaini, une gingivite ou une parodontite.
Comment faire pour que le « coût parodontal » d’un
traitement orthodontique soit le plus faible possible 3.1. Un parodonte sain
? L’orthodontiste doit être à même de préciser
quels sont les patients sur lesquels il peut, d’emblée, Il ne présente aucun signe de l’inflammation
envisager un traitement orthodontique et ceux sur (rougeur, œdème, gonflement) et aucun saigne-
lesquels une prise en charge parodontale est néces- ment au brossage ou à la stimulation proximale.
saire avant tout déplacement dentaire provoqué. Radiographiquement, la distance entre la jonction
L’orthodontiste se doit donc de prévenir, de réduire émail-cément et le sommet d’un septum interden-
et/ou d’éviter les effets délétères de ses traitements taire est de 1 à 2 mm. Il n’y a donc aucune alvéolyse. Le
sur les tissus parodontaux. L’orthodontiste est donc sondage délicat ne provoque aucun saignement et les
un parodontiste qui s’ignore… trop souvent ! mesures de sondage vont de 1 à 4 mm.
Bien qu’il s’agisse d’une réaction physiologique, nisme, il est des moments d’activité de la parodon-
la gingivite sera toujours prise en charge. En effet, tite avec des pertes d’attache (burst), suivis par de
toute parodontite étant d’abord précédée d’une longues périodes d’absence d’activité. Un gonfle-
gingivite, prendre en charge la gingivite permet de ment de la gencive peut correspondre à un épisode
prévenir l’apparition de la parodontite. d’activité. Il faut aussi ne pas hésiter à réaliser une
Enfin, un patient fumeur ne saigne souvent pas palpation du parodonte vers le bord de la gencive
des gencives. La vasoconstriction périphérique, qui peut faire alors apparaître un liquide jaunâtre qui
conséquence de la tabagie, masque un des signes n’est rien d’autre que du pus. Ces infections peuvent
majeurs des maladies parodontales en réduisant le agir comme de véritables réservoirs bactériens12 et
volume sanguin irrigant les gencives. Et un patient des bactéries ont été trouvées jusque dans les tissus
fumeur présente donc un risque élevé de développer parodontaux mous et durs1,17.
une parodontite.
Conséquences cliniques : Il ne faut pas se limiter à 4.4. Est-ce que vos gencives se rétractent ?
poser la question. Il faut vérifier s’il existe un saigne- C’est souvent ce qui peut motiver une consulta-
ment à la stimulation lors de l’examen clinique. Un tion car le patient pense qu’il va perdre ses dents. Un
moyen très simple de le mettre en évidence est de diagnostic différentiel devra être fait entre :
passer une brossette interdentaire entre quelques – une récession gingivale, c’est-à-dire un défaut
dents. Le saignement au sondage reste cependant le localisé, plus souvent à la face vestibulaire, dont
moyen le plus significatif. l’origine est multifactorielle : inflammation gingi-
vale due à la plaque ou à un brossage traumatique
4.2. Est-ce que vos gencives sont sensibles sur une déhiscence osseuse préexistante ;
ou douloureuses ?
– et une migration en direction apicale du parodonte
L’inflammation a pour conséquences la synthèse sur toutes les surfaces de la racine résultant de la
d’une multitude de composants, eux-mêmes hautement parodontite avec la perte d’attache et l’alvéolyse.
phlogogènes et algogènes. Les polymorphonucléaires Le bilan rétro-alvéolaire long cône aide à faire ce
neutrophiles (PMNs) sont recrutés par les agents infec- diagnostic en visualisant l’os proximal.
tants (bactéries, parasites, virus…), vont quitter par Conséquences cliniques : L’examen clinique pourra
diapédèse l’arbre circulatoire et, avec d’autres molécules, mettre en évidence des récessions et, en fonction du
vont entraîner un œdème exerçant des pressions jusque sens du déplacement dentaire, permettra de poser
dans la gencive. Le brossage peut donc être douloureux l’indication d’éventuelles chirurgies de recouvrement
au niveau gingival. La gingivite ulcéro-nécrotique en est ou de renforcement, avant ou après l’orthodontie11.
l’exemple parfait car les gencives sont si douloureuses
que le brossage est quasiment impossible. Un patient 4.5. Est-ce que vos dents sont mobiles ou ont
qui a présenté un épisode de gingivite ulcéro-nécrotique changé de position ? Avez-vous des aliments
s’en souvient toute sa vie ! qui se coincent entre les dents ?
L’alvéolyse et la survenue de poches parodontales Les mobilités ou les migrations secondaires sont
laissent une surface de racine exposée, soit dans la une des caractéristiques des parodontites et sont
poche, soit directement dans la cavité buccale et souvent multifactorielles. L’inflammation gingivale,
les fluides, surtout froids ou sucrés, peuvent aussi la pression du tissu de granulation et la perte d’at-
provoquer des sensibilités, dentaires en l’occur- tache peuvent entraîner des mobilités, mais aussi
rence, en raison des tubilis dentinaires exposés. des migrations dentaires et l’ouverture d’un point de
Conséquences cliniques : Lors de l’examen clinique, contact facilitant un tassement alimentaire. Il n’est
un diagnostic différentiel permettra de faire la diffé- d’ailleurs pas rare qu’après contrôle de l’inflamma-
rence entre une sensibilité gingivale ou dentaire, tion et la réparation tissulaire consécutive, on observe
cette dernière étant souvent associée à des réces- une réduction des mobilités14 et, parfois, la réduction
sions gingivales, donc une exposition radiculaire. ou la disparition d’un diastème secondaire15.
4.3. Avez-vous déjà eu des gonflements 4.6. Pensez-vous avoir mauvaise haleine ? Vous
des gencives ? a-t-on déjà dit que vous avez mauvaise haleine ?
Dans l’équilibre instable entre les bactéries de la Dans 85 % des cas, la mauvaise haleine est
plaque dentaire et le système de défense de l’orga- d’origine buccale9. Les données recueillies dans les
Dersot JM. Et si je devenais parodontiste… pendant quelques minutes ! 45
3. Axelsson P. Diagnosis and risk prediction of periodontal 12. Herrera D, Roldan S, Sanz M. The periodontal abscess: a
disease. Chicago: Quintessence Publishing Co., 2002, 463p. review. J Clin Periodontol 2000;27:377-386.
4. Bollen AM, Cunha-Cruz J, Bakko DW, Huang GJ, Hujoel PP. 13. https://www.ladepeche.fr/article/2012/04/12/1329448-
The effects of orthodontic therapy on periodontal health: a pres-de-la-moitie-des-francais-touches-par-des-saignements-
systematic review of controlled evidence. J Am Dent Assoc occasionnels-de-leurs-gencives.html
2008;139:413-422. 14. Kerry GJ, Morrison EC, Ramfjord SP, et al. Effect of
5. Bosy A, Kulkarni GV, Rosenberg M, McCulloch CA. periodontal treatment on tooth mobility. J Periodontol
Relationship of oral malodour to periodontitis: evidence 1982;53:635-638.
of independence indiscrete subpopulations. J Periodontol 15. Kumar V, SA, Thomas CM. Reactive repositioning of patho-
1994;65:37-46. logically migrated teeth following periodontal therapy.
6. Bourgeois D, Bouchard P, Mattout C. Epidemiology of Quintessence Int 2009;40:355-358.
periodontal status in dentate adults in France, 2002–2003. 16. Loe H, Theilade E, Jensen E. Experimental gingivitis in man.
J Periodontal Res 2007;42:219-227. J Periodontol 1965;36:177-187.
7. Caton J, Armitage G, Berglundh T, Chapple I. Jepsen S, 17. Saglie R, Newman MG, Carranza Jr FA, Pattison GL. Bacterial
Kornman K, et al. A new classification scheme for periodontal invasion of gingiva in advanced periodontitis in humans.
and peri-implant diseases and conditions - Introduction and J Periodontol 1982;53:217-222.
key changes from the 1999 classification. J Clin Periodontol 18. SFODF. 82e réunion scientifique. Conférence de Birte
2018;45:45(Suppl 20);S1-S8. Melsen. Saint-Malo, mai 2010.
8. Charon J. La prévention primaire en Parodontie, collection 19. Socransky SS, Haffajee AD, Goodson JM, Lindhe J.
Mémento. Paris: Editions CdP, 2013, 97p. New concepts of destructive periodontal disease. J Clin
9. Dersot JM. La mauvaise haleine. Prise en charge au cabinet Periodontol 1984;11:21-32.
dentaire. L’Information Dentaire. Cahier Rédactionnel de 20. UFSBD – URPS. Enquête épidémiologique sur les mala-
Formation Médico-Dentaire Continue 2000:1-13. dies parodontales en Région PACA, janvier 2017. https://
10. Dersot JM. Le contrôle de plaque, un élément essentiel du urps-paca-chd.fr/wp-content/uploads/2018/12/Leaflet-
succès du traitement orthodontique. Orthod Fr 2010;81:33-39. PAROPACA_120218_V141-copie.pdf
11. Dersot JM. Gingival recession and adult orthodontics: a 21. Yaegaki K, Sanada K. Volatile sulfur compounds in mouth
clinical evidence-based treatment proposal. Int Orthod air from clinically healthy subjects and patients with perio-
2012;10:29-42. dontal disease. J Periodontal Res 1992;27:233-238.