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Université de Lille

Sciences Humaines et Sociales


UFR DECCID

Département de Sociologie et Dévelopement Social


M2 Intervention et Développement Social
Gestion des Organismes Sociaux

Approche sociologique et professionnelle du


développement social
Semestre 1 – Session 1

Perrine Vigroux – 31706538 Marion Carrel

1
Sommaire

Introduction........................................................................................................................................3

I – Participation et empowerment : éléments de définitions..........................................................3

II – Participation en collectivités territoriales.................................................................................8


A. Démarche participative externe : le village d’Arvieu dans l’Aveyron99........................................9
B. La participation en interne, l’expérience d’Ali Bettayeb...............................................................11

III – Participation en entreprise privée : « évaporation du politique » dans la coopérative


SuperQuinquin.................................................................................................................................13

IV – Participation et travail social................................................................................................. 18


A. Trois manières de voir l’empowerment par les travailleurs sociaux (Carrel, Rosenberg, 2014)...18
B. La participation comme fin en soi, l’expérience au Centre Social
Projet...................................................................................................................................................19

Conclusion.........................................................................................................................................20

Bibliographie.....................................................................................................................................21

Annexes..............................................................................................................................................23

2
Le développement social et la participation citoyenne
Enjeux, tensions, perspectives

Introduction
Cette synthèse s’inspire de l’intervention de Marion Carrel dans le cadre de l’UE 1
« Approche sociologique et professionnelle du développement social ». Ce séminaire nous a apporté
plusieurs éléments de définitions quant à la participation, l’empowerment et leurs liens avec le
travail social.
Notre propos s’ouvre avec des éléments de définitions sur la participation et
l’empowerment. Ensuite, nous tâcherons d’exposer plusieurs exemples, tirées d’expériences
personnelles ou d’autres interventions durant cet UE, concernant la participation en collectivités
territoriales, dans des entreprises privés ou encore dans le travail social 1. Grâce à ces expériences,
nous tenterons de voir comment la participation peut s’appliquer de manière concrète.

I – Participation et empowerment : éléments de définitions

Triple impensé autour de la notion de participation


Tout d’abord, il est important de noter que la définition de la participation reste encore très
large et floue. En effet, L. Blondiaux parle d’un triple flou autour de la notion de démocratie
participative2. On trouve un flou conceptuel 3 autour de cette notion puisque les diverses théories,
notions et débats rendent la frontière entre délibération et participation imprécises. Certains utilisent
ces deux mots sans pour autant les distinguer. Nous pouvons remarquer aussi un flou procédural 4,
législatif. Diverses lois sont en vigueur, mais elles exposent uniquement des principes généraux.
Ces principes législatifs ne permettent pas de penser la manière de mettre en place les potentielles
procédures ou les dispositifs. Enfin, il existe aussi un impensé politique 5 autour de la participation.
L’objectif politique qui se trouve en amont de la mise en place de dispositifs participatifs n’est
jamais précisé. Certains pays comme la France voient la participation comme une fin et comme un

1. Ayant peu d’expérience dans le travail social, les exemples sur la sphère privé et les collectivités territoriales seront
davantage développés.
2. Blondiaux L. (2005), « L'idée de démocratie participative : enjeux, impensés et questions récurrentes » in Bacqué M-
H., Gestion de proximité et démocratie participative, La Découverte, pp. 119-137
3. Ibid.
4. Ibid.
5

3
moyen. Ceci est d’autant plus fort que beaucoup d’élus se questionnent sur l’utilité et le rôle que
doivent jouer ce genre de dispositifs.
Du fait de ce triple impensé, les acteurs de terrains peinent à trouver des outils et un intérêts
à mettre en place des démarches participatives. De plus, le manque d’objectifs politiques et la vision
de la participation comme une fin tend à créer de la déception chez les citoyens.

Eléments de définitions
Malgré ce constat, nous tenterons de définir ce qu’est la participation. Pour ce faire, nous
pouvons dire que la démocratie participative se trouve au croisement de la démocratie directe et de
la démocratie représentative. D’une part, la démocratie représentative est un système dans lequel, le
pouvoir de souveraineté est délégué à des élus. Dans cette organisation, ce sont les représentants des
citoyens qui prennent les décisions. Ici, les citoyens ont un pouvoir qui est uniquement limité au
vote. D’autre part, la démocratie directe est un système où il existe une égalité de tous les citoyens
devant la parole et la décision. Bien que la citoyenneté y était limitée, la démocratie grecque est
souvent pris en exemple pour illustrer ce principe.
Durant le séminaire, nous avons vu que nous pouvons parler de démocratie participative
lorsqu’il y a des éléments de démocratie directe dans les institutions, lorsque le pouvoir de décision
est partagé, que ce soit par des salariés, des citoyens, etc. La démocratie participative peut, par
exemple, permettre aux citoyens de voter des projets de manière plus régulière que lorsqu’ils élisent
leur Président de la République tous les cinq ans. En d’autres termes, le dictionnaire en ligne de la
participation Dicopart propose la définition suivante : « la démocratie participative désigne
l’ensemble des procédures, instruments et dispositifs qui favorisent l’implication directe des
citoyens dans le gouvernement des affaires publiques »6.
D’autres chercheurs valorisent l’idée de démocratie délibérative provenant des théories de J.
Habermas. Ce philosophe met en valeur l’existence d’un espace public comme lieu de
communication et de débats sur des questions d’intérêts communs entre personnes privées 7. En
étudiant les débats de la bourgeoisie de la fin du XVIII è siècle, cet auteur théorise le principe de
publicité (au sein de leur espace public) qui supposent que les personnes privées, libres et
autonomes, font un usage public de leurs raisons. Ici, le pouvoir exécutif et législatif doit être
soumis au jugement de ces personnes privées8. En fait, « Le principe de Publicité est le principe de
contrôle que le public bourgeois a opposé au pouvoir pour mettre un terme à la pratique du secret

6. http://www.dicopart.fr/fr/dico/democratie-participative, consulté en décembre 2018


7. Habermas J. (1978), L'espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société
bourgeoise, Paris, Payot, réed 1988.
8 Ibid.

4
propre à l'Etat absolu »9. La démocratie délibérative doit être nourri des différentes délibérations qui
se déroulent dans cet espace public.

Nous avons pu voir qu’il existait deux conceptions principales de la démocratie. On trouve
aussi deux conceptions de l’intervention à mener auprès des habitants des quartiers populaires dans
l’oeuvre de M. Carrel de 2013, Faire participer les habitants ? Citoyenneté et pouvoir d’agir dans
les quartiers populaires. Lorsque ces diverses conceptions se croisent, apparaissent différentes
conception de la participation10. Le tableau suivant, exposé durant le séminaire, tente de synthétiser
ces différentes positions :

Conception de l’intervention à mener


(auprès des habitants des quartiers populaires)
Égalitaire Différentiel
(tous les citoyens sont égaux, traités (démarche adaptée à certains
de la même manière) publics)

Conception de la Démocratie
1. Participation inutile 2. Injonction participative
démocratie représentative
(fonctionnement des
institutions, organismes Démocratie
4. Développement du
qui organise l’action participative/ 3. Participation citoyenne
pouvoir d’agir
sociale, etc) délibérative

1. La participation inutile
Dans ce positionnement, il est considéré que la démocratie représentative fonctionne
correctement et qu’il n’y a pas de traitement différentiel à adopter quant à l’intervention vers un
public spécifique. Ici, l’idée est que la participation n’apporte rien à l’intérêt général et est une perte
de temps. Cette conception peut être visible dans les cas de projets de rénovation urbaine où les
projets sont présentés aux habitants lorsque leurs conceptions est achevée ou presque. La
participation qui est demandée aux habitants n’est alors pas décisive dans la construction de ces
projets. Elle porte sur des détails. Ici, certains parlent de « simulacre de la participation ».

2. Injonction participative
Ici, les habitants ont l’entière responsabilité de la participation. C’est à eux de se former, de
se mettre à niveau afin de participer aux différentes instances existantes. Les personnes n’ayant pas
9. Ibid.
10. Ici, bien que l’œuvre soit basée sur la participation des habitants en quartier populaire, ce tableau semble
mobilisable dans d’autres situations.

5
de connaissances « légitimes » n’ont pas à remettre en question les institutions en place. Elles
doivent s’instruire et se former pour ne plus être des « handicapées de la citoyenneté ».

3. Participation citoyenne
Dans ce positionnement, il y a l’idée qu’il faut insérer du débat et de la co-décision avec les
habitants. Ici, tous les citoyens doivent être traités de manière égalitaire. Cela peut passer par une
transformation des procédures, de la loi, pour plus de participation ; par exemple, en contraignent
les collectivités à organiser des débats publics ouverts à tous. Le but de la participation citoyenne
est de lutter contre le « drame du cens caché » selon les termes de Daniel Gaxie en 1978. Cet auteur
dénonce le fait que, malgré le suffrage universel existant depuis 1948, les élus de nos sociétés
restent, en majorité, des membres de classes sociales supérieures.

4. Développement du pouvoir d’agir (ou Empowerment)


Les acteurs de ce positionnement estiment qu’il doit y avoir des pratiques particulières à
avoir selon les publics. Ils insistent sur la nécessité de démocratiser les institutions. Les habitants
ont déjà un savoir, un pouvoir, une expertise que l’on peut qualifié d’ « expertise d’usage » qui
doivent être développés pour qu’ils puissent les exprimer. Le défi est de rendre visible le potentiel
déjà existant des habitants. Cela peut passer par deux formes d’actions :
- le débat : avec, par exemple, les groupes de qualifications mutuelles comme ceux qu’a
étudié S. Rosenberg. Ces groupes ont une démarche qui consiste à mettre ensemble un groupe
d’habitants et un groupe de professionnels afin de les inciter à trouver la source d’un problème de
manière collective. Les séances ont lieu 2 jours par mois pendant 6 mois (dans certains cas) et
permettent la production d’un diagnostic et de préconisations pour améliorer la situation. Les
usagers sont rémunérés et les professionnels participent aux réunions sur le temps de travail.
- l’action collective : avec, par exemple, l’Alliance Citoyenne, Stop le contrôle au faciès, qui
sont des organisations qui s’inspirent du Community Organizing d’Alsinky. Elles peuvent être
considérées en quelques sortes comme des syndicats d’habitants ou d’individus qui se mettent au
service du développement de l’action collective. L’Alliance Citoyenne adopte une démarche
« d’aller vers » les habitants afin qu’ils s’expriment sur les problèmes qu’ils rencontrent dans leur
quartier. Lorsque des problèmes communs sont repérés, les habitants concernés sont mis en lien afin
qu’ils mettent en place une campagne d’actions non violentes pour se défendre et demander aux
institutions d’agir. Depuis 2010, Stop le contrôle au faciès récoltent des plaintes d’individus ayant
subi des contrôles policiers au faciès afin de les rendre visible et de les mettre en relation avec des

6
avocats. L’association opère un travail de conscientisation des individus et de lobbying auprès des
élus pour qu’ils légifèrent sur le traitement juridique de cette pratique.

Le dévloppement du pouvoir d’agir, l’empowerment


Au vu de le place accordée à l’empowerment lors de la séance, nous précisons la définition
sociologique de cette notion. Selon les sociologues M.-H. Bacqué et C. Biewener, le développement
du pouvoir d’agir est le processus par lequel un individu ou un groupe acquiert les moyens de
renforcer sa capacité d’actions à la fois individuelle et collective. M.-H. Bacqué et M. Mechmach
ont produit en 2013 un rapport quant à la participation dans les quartiers politique de la ville
(transmis au Ministère de la Ville)11. Ils préconisent un double mouvement de pratiques qui
devraient être lancé en France :
- développer une « vraie » démocratie participative dans le sens où les dispositifs et actions

mises en place doivent associer les participants aux prises de décisions.

- accompagner, encourager l’organisation collective des minorités en finançant des

associations citoyennes et collectives dans les quartiers12 et en faisant du développement social

ascendant, communautaire et collectif13.14

Les trois versions de l’empowerment, du développement du pouvoir d’agir)


Comme pour la notion de participation, il existe une forte ambiguïté sur ce qu’est
l’empowerment. Comme nous l’avons mentionné durant le séminaire, M.-H. Bacqué a mis en
lumière trois versions de l’empowerment qui circule dans la société :
- une version néolibérale où le développement du pouvoir d’agir est de la responsabilité des
individus qui doivent se sortir de leurs conditions. Ici, nous pouvons voir le lien avec le
positionnement de la participation n°2 du tableau précédent, l’ « injonction participative ».
- une version radicale qui vise la transformation de la société et qui est assez politique. Son
but premier est l’émancipation des précaires. Cela passe notamment par l’action collective, comme
nous l’avons vu avec l’Alliance Citoyenne ou Stop le contrôle au faciès, pour aboutir à des
institutions et une redistributions plus juste dans la société.

11. Bacqué M.-H. et Mechmache M., Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera plus sans
nous. Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires, rapport rendu au ministre de la Ville le 8 juillet 2013,
CGET, 2013.
12. Les auteurs appellent à la création d’un Fond d’interpellation.
13. Cf, « action collective » mentionnée plus haut
14. Le professionnel social doit aussi aider les gens à s'organiser, à porter leurs idées, à montrer vers la confrontations
(l'obligation de l'ISIC dans la formation des travailleurs sociaux va dans ce sens).

7
- une version sociale libérale travaillant sur la version de l’émancipation mais sans aller dans la
remise en cause réelle de l’institution ou du système. Des débats sont mis en place mais ils se
déroulent de manière moins conflictuelles que dans la version radicale. Ici, nous trouvons quand
même un but d’amélioration des institutions existantes.

La définition de ces notions n’est pas toujours évidentes, pourtant, depuis quelques années,
nous voyons apparaître plusieurs projets de lois15 ou de préconisations de la pratique de
l’empowerment dans le travail social16. Aussi, nous pouvons constater que les sociétés coopératives,
qu’elles soient SCOP ou SCIC sont en nette augmentation. Plus de 300 entreprises adoptant ce
statut ont été créées en 201717. La médiatisation de ces dispositifs de participation montre que, que
ce soit dans la sphère publique, entrepreneuriale ou dans l’intervention sociale, ces démarches sont
fortement plébiscités.
Nous tenterons, à travers différents exemples, de voir quelles formes peut prendre la
participation dans différentes cadres.

II – Participation en collectivités territoriales


Comme nous l’avons vu durant le séminaire, un article de M. Carrel et S. Rosenberg montre
que, les rares débats en collectivités territoriales porte sur la nature de la participation, du
développement du pouvoir d’agir et de son utilité. Ces questions proviennent du fait de l’existence
des différentes versions de l’empowerment et probablement du triple flous autour de la définition de
la participation.
Le 6 décembre, Ali Bettayeb (responsable de la mission concertation de Pôle Education-
Citoyenneté à la Région Nouvelle A quitaine) nous a montré l’intérêt de la participation pour le
personnel des services des collectivités et pour les élus, en dehors de la visée politique
démocratique. En fait, il nous a exposé les arguments que nous pourrions utilisés plus tard en
collectivité pour convaincre nos potentiels collègues et les élus de faire de la « vraie participation »
selon ses mots. Selon lui, les services des collectivités ont tout intérêt à être dans une démarche

15. Loi d’orientation pour la ville (1991) ; loi Barnier sur l’instauration du débat public (1995) ; loi SRU qui rend la
concertation obligatoire pour tout Plan Local d’Urbanisme, Loi Vaillant (2002) au sujet des conseils citoyens dans les
villes de plus de quatre-vingt mille habitants, Loi Lamy (2014) où on trouve l’obligation des conseils citoyens dans les
quartiers prioritaires de la politique de la ville, etc.
16. Obligation de l’enseignement d’Intervention Social d’Intérêt Collectif (ISIC) dans la formation de certains
travailleurs sociaux.
17. http://www.les-scop.coop/sites/fr/les-chiffres-cles/

8
participative parce que cela leur permet de rentrer dans un certain cadre réglementaire mais aussi de
rendre le service plus efficace. Aussi, la participation des habitants ou des employés permet
d’anticiper certains problèmes et de faire de la prospection. Quant aux élus, la participation peut
avoir des avantages pour eux en termes d’électorat et est utile pour prendre le pouls des administrés.
De plus, l’expertise d’usage recueillie permet de pouvoir contourner l’unique expertise technicienne
auquel ils ont accès.
Dans cette partie, nous mettrons en lumière une expérience lors d’un stage dans un SCOP
implantée dans une commune rurale ayant mis en place un dispositif participatif externe, destiné
aux habitants. Ensuite, nous décrirons une des expériences exposés par Ali Bettayeb dans sa région
Nouvelle-Aquitaine : participation interne des agents techniques et d’entretien.

A. Démarche participative externe : le village d’Arvieu dans l’Aveyron


Durant l’été 2018, j’ai eu la chance de réaliser un stage dans la SCOP Laëtis. Cette
entreprise propose des solutions multimédias et e-commerce pour de nombreuses villes et
collectivités territoriales en France. Pour se lancer, les deux fondateurs de l’entreprise avaient lancé
un appel à mise à disposition à titre gracieux d’un local dans différentes communes du canton de
Cassagnes-Bégonhès (12). La commune d’Arvieu avait été la seule à répondre à cette demande.
Depuis sa création, la SCOP pratique le mécénat vers des projets locaux, et est un partenaire
privilégié de la commune d’Arvieu.
Arvieu est une commune rurale du département de l’Aveyron. Elle fait 4700 hectares 18 et
compte 822 habitants au recensement de 201419. A cette période, le constat est clair : la commune
souffre d’une chute démographique importante. Le conseil municipal sortant en 2014 décide de se
tourner vers sa population pour tenter de trouver des solutions efficientes face au défi
démographique du village. Il lance alors le programme « Arvieu 2020 ».. Après plusieurs réunions
publiques qui ont réunis en moyenne une centaine de personnes (soit 12,5 % de la population
communale totale), les habitants ont été invités à travailler en petit groupe sur une thématique qui
les intéresse. Se sont alors créés dix conseils villageois ayant chacun sa spécialité 20 qui concevront
ensuite une pluralité de projets qui formeront ensuite, le tiers-lieu « Le Jardin d’Arvieu ». En effet,
plusieurs habitants étaient désireux de rénover l’ancienne salle de spectacle (salle des Tilleuls) du
village qui n’était plus aux normes. D’autres ont estimé qu’il était nécessaire de mettre en place un
groupe de bénévoles pour accueillir les nouveaux arrivants afin de faire visiter le village et ses

18. De La Chesnais E. (2019), « Arvieu, ce village numérique qui défie le déclin démographique », Le Figaro, Édition
du 7 janvier 2019, p.16
19. https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/3292622/dep12.pdf, consulté en juillet 2018.
20 Cf annexe n°1

9
infrastructures, les aider à trouver un logement, etc. Certains ont choisi la transition écologique, le
développement du commerce et de l’économie ou encore l’accès à la santé dans le village, etc.
Après de nombreux temps de travail, plusieurs projets ont été proposée et lancés par la
mairie et l’intercommunnalité :
- la rénovation de la salle des Tilleuls a été enclenchée et en partie financée par la commune
et l’intercommunalité. Une association s’est ensuite créée pour organiser la programmation.
L’inauguration du bâtiment se fera en janvier 2019.
- les participants de conseil villageois visant le développement du commerce et de l’activité
économiques ont demandé à Laëtis de gérer une partie de la nouvelle activité qui sera créée par le
tiers-lieu.
- des réflexions sur les besoins de certains services ont poussé les employées de la
médiathèque du village à créer une Maison de Services Au Public (MSAP). Celle-ci a été inaugurée
en juin 2018.
- les personnes travaillant sur la transition écologique ont proposé un projet de chaudière à
bois pour chauffer tous les bâtiments concernés par les projets mentionnés ci-dessus.

Plusieurs conseillers municipaux m’ont alors confié que tout ceci était devenu possible parce
que les réunions plénières avaient permis de fixer un objectif commun pour tous les participants :
rendre le village d’Arvieu plus attractif et améliorer le confort pour tous dans le village.
Aussi, certaines techniques d’animation semblent avoir fait leur preuve. Concernant les
travaux de la salle des Tilleuls, l’architecte a accepté de venir avec des plans dessinés au crayon à
papier pour que les habitants puissent faire des suggestions sur l’instant. Aussi, concernant le projet
global, une maquette 3D a été réalisée pour que tout le monde puisse travailler en se visualisant
dans le lieu et surtout « en laissant de côté son égo ». Une majorité des élus du conseil municipal
d’Arvieu sont en faveur de la participation dans le village et en reconnaissent les bénéfices en
indiquant que certaines remarques leur avaient permis de faire des économies sur les projets de
travaux. Par exemple, plusieurs artistes sont venus donner leur avis sur le futur équipement de la
salle de spectacle : ils ont signalés que certaines technologies leur paraissaient inutiles. De plus,
plusieurs personnes en situation de handicap sont venus apportés leur expertise pour penser
l’aménagement des lieux selon les normes en vigueur. Nombreux sont les éléments proposés par les
participants à « Arvieu 2020 » qui ont été conservés dans les projets finaux. Ici, nous trouvons une
belle illustration de la citation suivante de M. Carrel : « La participation, alors, « beaucoup de bruit
pour rien » ? (Blondiaux et Fourniau, 2011). Non, si les pouvoirs publics se donnent les moyens de
dépasser l’injonction participative ! Il s’agit d’innover pour que la participation citoyenne contribue

10
à la fois à améliorer les politiques sociales et à déclencher des dynamiques d’émancipation »21. La
participation à ces réunions m’a permis d’avoir un aperçu concret de ce que peut être les « forums
hybrides »22 de M. Callon, P. Lascoumes et Y. Barthe puisque beaucoup d’entre elles se sont
organisées comme des rencontres entre experts professionnels d’une problématique et le savoir
profane des usagers (ou futur usagers).

Cette expérience semble faire écho à la position n°3 du tableau détaillé dans la partie
précédente : « Participation citoyenne ». En effet, un dispositif participatif a été mis en place sans
aucune distinction d’intervention entre les publics. Le fait que ces réunions soient ouvertes à tous a
permis à certains habitants du village de s’exprimer et de s’investir alors qu’ils ne le faisaient pas
avant. Cependant, certains personnes ont refusé de se déplacer ou n’ont pas osé le faire. Cet élément
semble être une éventuelle cause des critiques formulées au niveau local23.

B. La participation en interne, l’expérience d’Ali Bettayeb24


Lors de son intervention, Ali Bettayeb a mis l’accent sur la nécessité de faire de la
participation depuis la réforme territoriale des régions. En effet, les employés connaissent des
conditions très différentes en fonction des territoires. Dans le cas de la Nouvelle Aquitaine, la fusion
de l’Aquitaine, de la région Poitou-Charentes et du Limousin a entraîné une dégradation des
conditions de travail des agents d’entretien et d’accueil des lycées qui représentent 80 % du
personnel de région. Le nombre d’arrêts maladie rendaient visible la pénibilité de leur travail. Dans
ce cas, la participation avait pour but initial de faire se rencontrer les agents et les trois directions de
la compétence « Lycée » : la Direction de la Construction et de l’Investissement, la Direction
Education et la Direction des Ressources Humaines. Avec ces trois directions, Ali Bettayeb a dû co-
construire le « pourquoi » de la participation des agents. Ils ont alors créés 3 ateliers portant sur :
l’aménagement des locaux, les possibilités de carrière et de promotion, les équipements.
Les trois directions et ce responsable de la mission de concertation du Pôle Education-
Citoyenneté sont alors partis à la rencontre des agents d’entretien et d’accueil sur plus de 30 dates.
Plus de 80 % des agents d’accueil et d’entretien ont participé à ces rencontres ce qui montre leur

21. Carrel M. (2017), « Injonction participative ou empowerment ? Les enjeux de la participation », Les politiques
sociales , 3&4/2017, p. 82-92
22. Callon M., Lasoumes P., Barthe Y. (2001), « Forums hybrides », in Callon M., Lascoumes P., Bartge Y., Agir dans
un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Seuil.
23. Ceci ne peut être l’unique raison des critiques proférés à l’encontre du conseil municipal et du projet. Ce village
connaît, depuis plusieurs décennies, une division forte en termes politiques.
24. Responsable de la mission de concertation du Pôle Education-Citoyennté dans la région Nouvelle Aquitaine.

11
utilité et l’attente de réponses de la part de ces employés. A la suite de tous ces ateliers, trois
problèmes étaient visibles :
- en matière d’équipement de protection individuelles, le matériel est inadapté et
inconfortable.
- en ce qui concerne les locaux, ils ne sont souvent pas conçu en tenant compte de l’activité
des agents. Par exemple, certains lycée avaient seulement un local technique au rez-de-chaussée sur
des bâtiments de plusieurs étages.
- certains équipements, étant lourds et devant être portés de manière répétés, rendaient les
conditions de travail difficile (tables, chaises, vaisselles).
A la suite de ces conclusions, un grande réunion a eu lieu pour rédiger la synthèse des
ateliers mais surtout, écrire des éléments de réponses afin que le Président de Région puissent
trancher en faveur (ou non) de certaines propositions. Les préconisations furent les suivantes :
- cinq jours de congés payés de plus pour les agents chargés de la vaisselle.
- associer les agents à la définition des besoins lorsque des travaux sont prévus (obligation
d’instance de concertation)
- prévoir la généralisation de mobilier plus léger sur un an.
Toutes ces dispositions ont été adoptés et semblent correspondre aux demandes des employés
rencontrés.

Ici, il semblerait que cette expérience relève de la position n°4 de la participation, à savoir
« Développement du pouvoir d’agir » puisque ce dispositif est ciblé sur une certaine catégories
d’employés de la région. On voit aussi une forme de « forums hybrides »25 puisque les directeurs de
services du pôle Lycée sont allés à la rencontre de l’expertise d’usage des agent d’accueil et
d’entretien. L’adoption des mesures qui ont été formulées après le dispositif montre que la
concertation des profanes débouche sur des réponses concrètes pour améliorer le service public.

25. Callon M., Lasoumes P., Barthe Y. (2001), « Forums hybrides », in Callon M., Lascoumes P., Bartge Y., Agir dans
un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Seuil.

12
III – Participation en entreprise privées : « évaporation du politique » dans la
coopérative SuperQuinquin

Mon mémoire de recherche réalisé en M1 Intervention et Développement Social à


l’université de Lille 3 portait sur la construction du supermarché coopératif SuperQuinquin qui a
ouvert ses portes dans le quartier lillois de Fives en avril 2017. Ce projet affiche divers objectifs :
offrir une alimentation saine, responsable et écologique au plus grand nombre, reprendre le contrôle
sur sa consommation grâce à une fonctionnement coopératif, et enfin, s’élever contre la grande
distribution. Après souscription, chaque consommateur a alors accès à l’offre du magasin et
s’engage à effectuer trois heures de bénévolat par mois pour assurer le fonctionnement quotidien de
l’activité. Afin de mener cette recherche, j’ai moi-même pris une souscription dans la coopérative
dans le but de réaliser des observations participantes (permanences, assemblées générales) et des
entretiens semi-directifs avec des coopérateurs.
Selon les statuts de la coopérative, La coopérative est dirigée et représentée par un
président(e) qui est élu pour une durée de deux ans. Il est « investi […] des pouvoirs les plus
étendus pour agir au nom de la coopérative dans la limite de l’objet social » mis à part pour les
décisions qui sont soumises à l’accord de l’assemblée générale ou du comité de gouvernance. La
coopérative se doit d’organiser un minimum de quatre assemblées générales par an. Ces assemblées
peuvent débattre et voter sur toutes les questions mises à l’ordre du jour. Elle sont convoquées par la
présidence, le comité de gouvernance ou sur la demande d’au moins 10 % des sociétaires. L’ordre
du jour de chaque réunion est fixé par un comité particulier et la présidence se doit de fournir à tous
les sociétaires les documents nécessaires pour voter en toutes connaissances de causes. Les associés
de catégories A et B26 disposent d’une voix quel que soit le nombre de parts dont ils disposent. En
ce sens, les prises de décisions suivent le principe « une personne, une voix ». Certaines décisions
sont soumises à l’unanimité : la transformation de la société en société coopérative européenne,
l’augmentation des engagements de tous les associé, le transfert du siège social à l’étranger. Pour
que le vote ait lieu, 10 % des associés doivent être présents. Après ce constat, nous pouvons voir

26. Le capital social du supermarché est divisé en trois catégories de parts sociales. D’une part, les parts sociales de
catégories A sont destinées aux « associés consommateurs » qui souhaitent bénéficier directement des services produits
par la coopérative. C’est ce type de part qui a été souscrit pour réaliser l’observation participante. Cependant, il ne suffit
pas de faire l’achat de cette action pour bénéficier de l’offre du magasin. Les coopérateurs doivent aussi réaliser trois
heures de bénévolat par mois. D’autre part, il existe des parts sociales de catégories B pour des personnes qui souhaitent
contribuer au capital de l’entreprise sans avoir accès aux services proposés. Les coopérateurs de SuperQuinquin les
appellent « les parts soutiens ». Les souscripteurs de parts de catégorie A et B ont un droit de vote en assemblée
générale. Enfin, les parts sociales de catégories C bénéficient d’avantages particuliers. En effet, les souscripteurs de ce
type d’actions sont rémunérés à la fin de chaque année d’exercice selon un taux fixé en assemblée générale. Les
détenteurs de ces parts doivent être « agréés par l’assemblée générale » et n’ont pas de droit de vote.

13
que cette organisation mélange des principes de démocratie représentative (président, comité de
gouvernance), de démocratie directe (« une personne, une voix ») mais aussi qu’elle considère que
certains coopérateurs doivent être formés pour être aptes à la prise de décision («  présidence se doit
de fournir à tous les sociétaires les documents nécessaires pour voter en toutes connaissances de
causes »).
Durant cette étude, nous avons pu voir qu’il existe une distorsion entre les statuts qui
valorisent une dynamique de débats et de participation et la réalité de celle-ci. Nous avons pu
observer une forme « d’évaporation du politique » en assemblées générales. En effet, les entretiens
semi-directifs ont mis en exergue l’existence de plusieurs débats principalement autour des points
suivants : priorité accordée à la production biologique, gestion stricte du bénévolat, rapport au
quartier et mixité sociale au sein de la coopérative. Les différents enquêtés rencontrés ont
argumenté leurs positionnements en soulevant diverses questions politiques. Nous avons observé
dans les discours une forme de montée en généralité dans le sens où les interrogés mettaient en
lumière leur conception de la société idéale, la critique de certaines institutions actuelles. Certains
développent aussi leurs propos sur les outils qui doivent être mis en place pour atteindre la société
qu’ils considèrent comme idéale. Par exemple, Arthur mobilise la théorie du colibri de Pierre Rabhi
pour justifier son engagement dans la consommation locale et durable : « Soit on change le monde,
soit on essaie d’agir au local pour changer le monde et […] il faut cultiver son jardin dans le sens
agir à son échelle comme dans la théorie du colibri ». Cependant, l’expression de ces questions
politiques se fait difficilement en assemblée générale. En effet, les interventions des coopérateurs
portent plus souvent sur des questions pratiques : comment organiser le bénévolat si le nombre de
coopérateur continue d’augmenter, quand les cartes de membres seront-elles prêtes, comment
choisit-on les produits ? Les diverses discussions avec les adhérents nous apprennent que, derrière
ces interrogations organisationnelles, il existe des réflexions plus générales mais elles peinent à être
formulées dans l’espace public27 que représente l’assemblée générale. Cette idée a été très
perceptible lors de l’entretien mené avec Marine. En effet, des questions sur le fonctionnement
pratique de la structure l’a amené à s’exprimer sur des idées plus globales comme lorsqu’elle nous
explique qu’il est impensable pour elle d’ouvrir le dimanche même si le nombre de coopérateurs le
permet.
« J’ai lu attentivement […] l’avant dernier compte rendu, où il parlait d’ouvrir le dimanche et ça, moi, je trouve
que c’est non quoi ! Enfin … C’est … Je trouve que ça correspond pas du tout aux valeurs du projet, à mes

27. « En théorie, l’espace public est défini comme l’ensemble des institutions permettant aux simples citoyens de
discuter librement et sur un pied d’égalité, souvent de questions d’intérêt général, et parfois de s’unir en un corps » in
Eliasoph N (1998), L’évitement du politique. Comment les Américains produisent l’apathie dans la vie quotidienne,
Paris, Economica, p. 20.

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valeurs. [...] Les gens qu’on fait travailler le dimanche, c’est le Sephora des Champs Elysées quoi, c’est pas
SuperQuinquin ! »
Marine
Aussi, les échanges au sein du magasin ne traite pas de questions politiques. Lors d’une
permanence, un consommateur demande aux personnes en caisse s’il existe une carte de fidélité du
magasin afin d’obtenir des réductions après avoir atteint un certain montant d’achat. Le directeur du
magasin qui était alors présent lui avait répondu en riant : « Ce n’est pas la politique de la
maison ! ». Cette réponse n’a pas été accompagné d’une explication plus étayée. Pourtant, le choix
de ne pas délivrer de carte de fidélité et de ne pas mettre en place de réductions a une raison d’ordre
politique. Ce choix dépend d’une certaine conception de la consommation et de l’activité du
magasin.
Ces données de terrain font écho aux travaux de N. Eliasoph qui parle d’un « évitement du
politique »28. Cette chercheuse a réalisé un travail de terrain dans diverses associations aux Etats-
Unis et a observé un phénomène similaire. Devant les journalistes, les militants et bénévoles qu’elle
a suivi restreignaient leurs discours à des dimensions égoïstes et pratiques alors que les
conversations entendues en « coulisse » montraient un fort intérêt pour le collectif et des réflexions
politiques poussées. Les personnes qu’elle a interrogé justifient leur engagement dans des causes
parce que ce sont des thématiques qui « les touchent de près ». D’ailleurs, lorsque nous demandons
aux coopérateurs de SuperQuinquin pourquoi ils se sont engagés, leurs intérêts personnels
apparaissent en premier lieu : prix, regroupement dans un même magasin de produits de
consommation engagée très divers, proche du domicile (dans certains cas), etc. Durant son enquête,
N. Eliasoph montre que, malgré un « rétrécissement du champ des préoccupations » apparent dans
l’espace public, ses enquêtés sont soucieux de la politique. A SuperQuinquin, derrière les
interrogations pratiques audibles en assemblée générale, nous trouvons des conceptions plus larges.
A l’assemblée générale du mois de mars, Marine, qui s’était attardée un long moment en entretien
sur l’idée qu’il fallait prioriser la consommation locale à la consommation bio, a simplement posé la
question : « Quelles sont les arbitrages qui sont fait dans le choix des produits ? ». Aussi, les travaux
de N. Eliasoph montrent que les échanges autour de ces réflexions politiques se font dans des cadres
plus intimes et non lors des réunions qui regroupent tous les bénévoles de l’association. Ce
phénomène semble donc très proche de « l’évaporation du politique » 29 que l’on constate dans
l’assemblée générale de SuperQuinquin. Par exemple, Marine parle de la montée des produits bio et
non locaux dans les rayons du magasin et de la difficulté de prendre la parole en assemblée générale
avec son entourage et en petit groupe.
28. Ibid.
29. Ibid.

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« Dans mon entourage […] Je sais que quand on est en AG tout seul, à chaque fois quand on débriefait avec les
gens que je connais, qui sont à SuperQuinquin, il y a plein de questions qu’on a envie de poser et qu’on ose pas
poser quand on est tout seul entre guillemets »
Marine
Ici, nous observons qu’il est difficile pour les participants de « parler en son nom » 30. Nous
avons donc cherché les éventuelles causes de cette évaporation du politique en assemblées
générales à SuperQuiquin.
Tout d’abord, lorsque la question sur le déroulement des assemblées générales a été posée,
certains enquêtés ont exprimé un sentiment d’illégitimité dans la prise de parole sur certaines
thématiques. En effet, il existe un « noyau dur » 31 de coopérateurs présents depuis le début du
projet. Marine a clairement confié : « Je ne me sens pas légitime face à ceux qui sont engagés
depuis le début du projet ». Durant plusieurs entretiens, il a été nécessaire de signaler aux
interviewés qu’il n’y avait pas de « bonnes » ou « mauvaises » réponses, notamment lorsqu’il leur
était demandé de rappeler les valeurs du magasin. Les enquêtés ont parfois été déstabilisé par cette
question. Aussi, l’idée de compétence entre en compte dans ce sentiment d’illégitimité dans le sens
où certaines personnes interrogées considèrent ne pas maîtriser suffisamment certaines thématiques
pour prétendre commenter certains points de fonctionnement de la coopérative. Les bénévoles
rencontrées par N. Eliasoph explique qu’il s’engage dans des causes qui « les touchent de près ».
Cette expression est en fait utilisée pour dire que les militants agissent dans des domaines où ils
estiment que leur participation aura un effet, qu’ils peuvent « y faire quelque chose ». En effet,
lorsque l’enquêtrice les interroge sur certains sujets dans lesquels ils ne sont pas engagés, plusieurs
répondent : « qu’est – ce que je peux y faire ? Y mettre le feu ? » 32. Dans le cas de SuperQuinquin,
les coopérateurs qui n’ont pas certaines compétences, notamment dans le champ économique,
n’interviennent pas sur certains sujets. Ils ne se sentent pas légitimes de critiquer une proposition
s’ils n’ont pas les connaissances pour proposer autres choses. Ce sentiment d’illégitimité face à des
personnes qui semblent maîtriser les différents aspects du projet vient donc brider l’expression de
certaines questions en assemblée générale. Il existe aussi une confiance envers l’équipe salariée
dans le sens où les coopérateurs leur délèguent la prise de décision. L’existence de cette confiance,
couplé avec le sentiment d’illégitimité, peut elle aussi jouer un rôle dans l’expression restreinte en
assemblée générale. En plus de se sentir illégitime, les coopérateurs ont confiance dans les
propositions du « noyau dur » et des salariés qui disposeraient des compétences nécessaires à la
compréhension globale du projet.

30. Ibid.
31. Selon les termes de Viviane.
32. Op.cit.

16
Ensuite, les observations participantes ont permis de repérer la place particulière du
directeur du magasin dans les échanges. Le directeur du magasin de SuperQuinquin est aussi un
initiateur du projet. Avant d’être élu à ce poste, il a longuement travaillé en amont sur le projet avec
deux autres personnes et a activement participé aux actions menées par l’association de
préfiguration de la coopérative. Les observations de terrain et les brefs échanges avec lui ont montré
une forme de contrôle de sa part. Sa participation, ancienne et fondatrice, peut expliquer son
investissement dans le contrôle des informations qui circule à propos du projet. En effet, je lui ai
envoyé un courriel pour afficher mes demandes d’entretiens à l’entrée du magasin. Après une
réponse tardive, le gérant m’a alors demandé de lui montrer l’affiche que je souhaiterais diffuser
avant de me donner son accord. Je lui ai alors envoyé le document et suis restée sans réponse
pendant près de dix jours. Ensuite, j’ai pu discuter avec lui après un bénévolat mais il s’est alors
montré très distant. A la fin de cet échange, il m’a alors dit qu’il me recontacterait ce qui n’a jamais
été fait. De plus, j’ai constaté que certains coopérateurs avaient déjà affiché des demandes privés sur
le tableau blanc à l’entrée du magasin : « Cherche cours de guitare », « Cherche baby-sitter », etc.
Peut-être que cette attitude est due au fait que le directeur du magasin ne disposait pas de temps et
que mon projet de recherche ne l’intéressait guère mais il semble vouloir contrôler les informations
circulant sur le projet. Son attitude en assemblée générale participe parfois au manque d’expression
de certaines questions. En effet, lors de la réunion du mois de mars 2018, un coopérateur a pris la
parole en demandant des informations sur la rémunération des salariés. L’interrogateur avait fait la
demande de cette information par courriel et était resté sans réponse. Le directeur du magasin, avant
de donner l’information, a alors pris quelques minutes pour signaler que « ce n’est pas le genre de
question que l’on pose en assemblée générale » avec un ton très cassant. Pourquoi cette question ne
peut-elle pas être posée ? La gêne et l’agacement provoqué par cette question montre l’envie de
laisser certains sujets en dehors du débat. Un problème de communication semble présent. En effet,
une des personnes rencontrées en entretien à formuler son désir de participer à la commission
chargée de l’implantation du projet dans la friche de Fives Cail. Elle a aussi transmis différentes
questions, notamment sur la question de l’ouverture le dimanche ou sur le fonctionnement de la
commission achat. Elle est restée sans réponse. Ici, il faut reconnaître que la gestion d’un tel projet
avec seulement trois salariés et un service civique est périlleuse. Les employés manquent
certainement de temps pour répondre à toutes les demandes des coopérateurs. Cependant, certaines
attitudes semblent montrer une forme de contrôle sur ce qui se passe dans et à propos du magasin ce
qui influence l’expression de certaines questions en assemblée générale.
Le malaise quant à la participation semble s’être accentué après la fin de l’enquête puisque
nous pouvons voir que l’assemblée générale du mois d’octobre 2018 a été très perturbée par les

17
requêtes de certains coopérateurs qui déplorent le fait que le comité d’ordre du jour ne soit pas
réellement mis en place, que le pouvoir des coopérateurs est trop restreint. Ils dénoncent aussi un
manque de diffusion d’information notamment vis-à-vis du projet de déménagement de la
coopérative33.

Dans le cas de SuperQuinquin, nous pouvons nous demander si la participation qui est
organisée au sein de cette entreprise n’est pas celle de la position n°2 « Injonction participative ».
En effet, il semblerait que la démocratie représentative prenne le pas sur la démocratie participative
qui est mis en valeur dans les statuts et la communication du supermarché. La version de
l’empowerment appliqué semble être la version néolibérale puisque des documents sont envoyés
aux coopérateurs et c’est à eux de s’en saisir pour pouvoir participer, ou au moins se sentir légitime
de le faire. Il n’y a pas réellement de concertation sur l’expertise d’usage des coopérateurs dans le
magasin. Pourtant, ce sont bien eux qui le font fonctionner grâce aux trois heures mensuelles de
bénévolat par souscripteur et leurs achats.

IV – Participation et travail social

A. Trois manières de voir l’empowerment par les travailleurs sociaux (Carrel, Rosenberg,
2014)
Lors de la séance, nous avons cité une étude mené par, M. Carrel et S. Rosenberg en 2014
qui montrait trois manières de voir la recherche de l’empowerment par les professionnels du travail
social. Pour une majorité des professionnel rencontrés en entretien, la recherche de l’empowerment
est associée à l’amélioration de sa pratique professionnelle. Selon eux, faire de l’action collective
fait d’eux de meilleurs professionnels. Une autre partie d’entre eux considère que le développement
du pouvoir d’agir en groupe permet d’améliorer la situation des publics. Dans cette vision, les
personnes restent des usagers qui sont mis en action par les professionnelles. Ces personnes ont une
conception plutôt individuelle de l’empowerment et elles considèrent que celui-ci peut faire évoluer
les personnes mais pas les politiques publiques. Enfin, une dernier groupe d’enquêtés pensent que le
développement du pouvoir d’agir permet de transformer les institutions dans le sens d’une plus
grande justice sociale. Ici, on trouve l’idée que les personnes dispose déjà de ressources qui peuvent
être mobilisés. Les personnes ayant exprimé cette conception ont, pour la plupart d’entre eux, des

33. Cf Annexe n°2

18
connaissances en matière d’éducation populaire ou de pratiques professionnelles étranges, des
expériences de voyages.

B. La participation comme fin en soi, l’expérience au Centre Social Projet du Faubourg de


Béthune
Concernant le travail social, il m’est possible de partager l’expérience du Projet
Professionnel Tutoré réalisé lors du M1 Intervention et Développement Social. Notre groupe de
travail devaient mettre en place une démarche « d’aller vers » les habitants afin de repérer les
besoins éventuels dans le cadre de la rédaction du nouveau contrat de projet du Centre Social Projet
situé dans le quartier Faubourg de Béthune. Après plusieurs rencontres avec la direction, nous avons
mis en place un questionnaire. Nous avions alors préconisé de « faire avec » les habitants pour
répondre à ces questions afin de dépasser certaines difficultés de lecture ou de compréhension. De
plus, nous avions convenu que les travailleurs sociaux pourraient profiter de leurs rendez-vous pour
recueillir des données au sujet du centre social. Notre groupe d’étudiantes devaient diffuser le
questionnaire dans l’espace public et lors des distribution de déjeuner organisée dans les locaux du
centre par le Resto du Coeur.
Cependant, malgré les différentes réunions où nous signalé qu’il y avait un manque
d’investissement de la part des employés du centre pour la passation de l’enquête, nous avons
constaté qu’une grande partie des travailleurs sociaux ne diffusaient pas le questionnaire. Aussi, les
données ont clairement montré que le principe de « faire avec » n’avait pas été mis en application
avec certains enquêtés. Enfin, lorsque nous avons transmis notre travail au centre social, aucun
accusé de réception ne nous a été retourné. Il semblerait que le courriel envoyé n’est même pas été
ouvert.

Dans ce cas, l’injonction participative semble assez claire. Notre mission de stage semble
avoir été mise en place pour pouvoir justifier d’action de participation auprès des financeurs du
centre. De plus, la fédération des centres sociaux de France semble valoriser la participation dans
ces structures.
Par ailleurs, sachant que cette association dispose déjà d’un grand nombre d’adhérents, que
nous pouvons qualifier « d’habitués », nous nous sommes demandés si le centre avait un réel intérêt
à se rapprocher d’un public qu’il peine déjà à accompagné depuis plusieurs années.

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Conclusion

En conclusion, les effets des démarches de participation et de l’empowerment dépendent


fortement des objectifs fixés par les personnes qui les mettent en place. Bien que la participation
citoyenne, ouverte à tous, a de réels effets sur le territoire et ses acteurs comme nous l’avons vu
dans l’exemple rural d’Arvieu, certaines configurations nécessitent la mise en place de démarche
particulière afin de recueillir l’expertise d’usage de personnes plus éloignées des institutions et d’un
engagement plus traditionnel. Ce savoir profane doit d’autant plus être valorisé lorsqu’il provient
d’individus concernés par les services qui doivent être améliorés grâce à la concertation. De plus,
nous pouvons faire l’hypothèse que certaines structures adoptent des démarches apparemment
participatives du fait d’un effet de mode. Dans ce cas, la participation fait souvent l’objet d’une
communication intense vers l’extérieur. Cependant, un point de vigilance doit être posé afin de
s’assurer que ces initiatives permettent un développement du pouvoir d’agir avec un objectif réel
d’émancipation sociale.

Cet exercice a été très enrichissant puisqu’il m’a permis de mettre en relation mes
expériences quant à la participation avec des connaissances que j’ai pu acquérir durant mon
parcours universitaires. Cela m’a permis de remarquer que je manque de pratique sur
l’empowerment et la participation dans le cadre de l’intervention sociale. De ce fait, la partie sur ce
sujet n’a pas pu être développée en conséquence.

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Bibliographie

• Articles
Bacqué Marie-Hélène et Mechmache Mohamed, Pour une réforme radicale de la politique de la
ville. Ça ne se fera plus sans nous. Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires,
rapport rendu au ministre de la Ville le 8 juillet 2013, CGET, 2013.

Blondiaux L. (2005), « L'idée de démocratie participative : enjeux, impensés et questions


récurrentes » in Bacqué M-H., Gestion de proximité et démocratie participative, La Découverte, pp.
119-137

Callon M., Lasoumes P., Barthe Y. (2001), « Forums hybrides », in Callon M., Lascoumes P., Bartge
Y., Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Seuil

Carrel M. (2017), « Injonction participative ou empowerment ? Les enjeux de la participation », Les


politiques sociales , 3&4/2017, p. 82-92

De La Chesnais E. (2019), « Arvieu, ce village numérique qui défie le déclin démographique », Le


Figaro, Édition du 7 janvier 2019, p.16

Habermas J. (1978), L'espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de


la société bourgeoise, Paris, Payot, réed 1988.

• Sources web
Dictionnaire en ligne de la participation, Dicopart
URL : http://www.dicopart.fr/fr/dico/, consulté en décembre 2018

Site de la SCOP Laëtis


URL : https://www.laetis.fr/agence/a-propos-de-nous, consulté en novembre 2018

Site de la mairie d’Arvieu


URL : https://www.arvieu.fr, consulté en novembre 2018

21
Site Les Scop.coop
URL : http://www.les-scop.coop/sites/fr/les-chiffres-cles/

Insee, recensement de l’Aveyron, données 2014


URL : https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/3292622/dep12.pdf,

• Mémoire
Perrine Vigroux, « La construction d’une coopérative contemporaine. SuperQuinquin, supermarché
lillois », Mémoire de master en Intervention et développement social, sous la direction de Paul
Cary, Université de Lille, 2018, 79 p.

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