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Grigoroiu Raluca

Anul II Master, Studii francofone

Réécritures de Don Juan au XXe siècle

Le thème concerné par notre travail de dissertation, à savoir le donjuanisme, constitue


une source d’écriture vraisemblablement inépuisable. En témoigne la multitude des avatars que
Don Juan a connus au fil du temps. Du fait même de sa fécondité littéraire, le mythe
donjuanesque suscite de nombreux questionnements qui, suivant les objectifs de chaque analyse,
aboutissent à des lectures des plus originales. Au sein des examens qui interrogent les traitements
de Don Juan, notre démarche est donc loin d’être singulière, mais sa pertinence résulte de
l’intention d’étudier une problématique du mythe qui, tout en étant d’actualité, n’a pas été
approfondie. De plus, notre démarche ne se constitue non plus en une recherche isolée, vu
qu’elle s’inscrit dans le prolongement d’une étude du mythe déjà initiée avec le mémoire de
licence.
Après avoir montré dans le travail précédent le caractère cosmopolite d’un donjuanisme à
portée universelle, nous nous proposons dans la dissertation d’enrichir cette démonstration. A la
fois, il est question d’engager un nouveau débat autour des métamorphoses que le mythe de Don
Juan subit le long de sa circulation d’une version à l’autre. Sur ce point, le problème qui se pose
vise plus précisément les mutations que deux réécritures donjuanesques du XXe siècle – la
version d’Henry de Montherlant et celle de l’auteur canadien Heinz Weinmann – sont
susceptibles de provoquer au niveau de la structure traditionnelle du mythe. Ainsi, remarque-t-on
que l’enjeu de cette nouvelle étude du donjuanisme c’est de rendre compte sur le devenir d’une
histoire sans discontinuité. Pour y parvenir, notre investigation privilégie un examen en trois,
volets, ce qui correspond à une structure tripartite du travail.
Dans un premier temps, il s’agit de définir le donjuanisme en tant que réalité mythique.
Pour ce faire, une conceptualisation préalable de la notion de mythe s’impose, ce qui nous

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permettra de distinguer le mythe ethno-religieux du mythe littéraire auquel Don Juan se rattache.
Une fois établi le caractère littérarisé du mythe donjuanesque, nous pourrons procéder à
l’explication de son dynamisme et son mythisme ainsi qu’à la relevée de sa structure invariante.
C’est ce qui fait d’ailleurs l’objet des trois chapitres de la première partie de notre mémoire.
Quant à la deuxième partie, elle comporte une brève étude diachronique visant à faire
ressortir les différents visages que Don Juan a empruntés le long des siècles. Démarche
consubstantielle à la restitution du vaste ensemble donjuanesque, l’exploration historique qui
nous occupe ici n’a point pour but de retenir exhaustivement toutes les mises en scène du
donjuanisme. Elle ne s’arrête que sur certaines approches représentatives qui, depuis les
premières variantes (parmi lesquelles celle fondatrice de Tirso de Molina et celle emblématique
de Molière) jusqu’aux versions modernes, ont marqué l’évolution d’un thème universel.
Analysées sous un regard intertextuel à même de mettre en évidence la présence des invariants
du mythe, les versions retenues apparaissent comme des cas de variation sur un donjuanisme sui
generis.
Suivant cette perspective de l’intertextualité, les deux réécritures du XXe siècle dont
l’examen recouvre la troisième partie du mémoire sont au même titre que les variantes qui les
précèdent des formules dérivées d’une structure mythique sous-jacente. C’est dans cette optique
que nous entendons analyser La mort qui fait le trottoir d’Henry de Montherlant et Don Juan
2003 de Heinz Weinmann afin de démontrer que ce sont des versions qui, tout en partageant
certains traits du donjuanisme, en donnent des représentations singulières. Si nous avons choisi
d’examiner ces pièces c’est justement parce qu’elles nous ont semblé fort intéressantes en tant
qu’illustrations particulières d’une weltanschauung universelle. Ce qui distingue les deux textes
par rapport à d’autres traitements du même type c’est leur préoccupation de rendre des portraits
insolites de Don Juan, tout en assurant le dialogue avec la littérature donjuanesque traditionnelle.
Répliques éloignés d’un modèle hérité de la tradition, les deux avatars modernes de Don Juan
sont des personnages qui ont une conscience aiguë de ce qu’ils représentent comme figure
mythique. C’est ce qui en fait des héros légendaires incapables d’échapper à leur propre
condition.
Outre leur singularité en tant que reconfigurations d’un prototype préexistant, les versions
de Montherlant et de Weinmann présentent une autre particularité qui en fait des pièces
référentielles convenables à notre approche du mythe. A l’instar des autres variantes qui ont fait

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l’objet des analyses antérieures du donjuanisme (le drame tirsien Le trompeur de Séville et le
Convive de pierre et le Dom Juan de Molière) et qui servent des sources à l’interprétation des
Don Juan du XXe siècle, les représentations modernes relèvent elles aussi du genre dramatique.
Or, cette unité d’ordre générique n’est pas sans importance dans la constitution d’un corpus
cohérent. Etant donné le nombre impressionnant des traitements du mythe donjuanesque,
n’importe quelles autres versions modernes auraient pu être retenues. Mais nous avons exclu
d’avance les récits poétiques ou narratifs que la littérature consacre à Don Juan au XXe siècle
justement pour éviter de brouiller l’homogénéité du corpus. D’autre côté, la préférence pour les
textes dramatiques se justifie encore pour des raisons fonctionnelles. Terrain du simulacre par
excellence, le théâtre est en effet le mode de représentation le plus convenable à la mise en scène
d’un Don Juan « comédien de l’amour1 ».
Manifeste à travers un effectif considérable de textes qui prennent comme sujet le
donjuanisme, la vastitude que nous venons d’invoquer ne pose moins de problèmes au niveau de
données bibliographiques. Comme on se trouve devant une thématique extrêmement généreuse
du point de vue des sources existantes, le répertoire critique n’a pas été facile à construire. Pour
constituer une bibliographie pertinente pour notre problématique du mythe, nous avons dû opérer
une sélection à l’intérieur du corpus disponible sur le thème de Don Juan. Aussi, n’avons-nous
retenu que ces ouvrages qui, tout en étant à notre portée, se sont ajustés aux besoins de notre
analyse.
Tout en constituant la prémisse d’une recherche susceptible d’être engagée selon
différentes perspectives, la richesse qui caractérise la littérature donjuanesque constitue à la fois
un inconvénient dans l’approche du mythe. S’il est donc bien vrai que la thématique du
donjuanisme offre de la liberté à celui qui s’applique à l’étudier, elle n’est cependant pas une
source d’écriture facile à investiguer. Même si on se propose d’étudier isolément telle ou telle
variante mythique, il faut souligner qu’elle ne fonctionne pas comme une œuvre indépendante,
mais comme une pièce composante d’un riche réseau intertextuel. Faute d’une mise en rapport
des différentes versions d’une même histoire, il n’y aurait pas une véritable connaissance du
phénomène donjuanesque.
Le jeu de constantes et de variables qui sous-tend la dynamique de la réécriture
donjuanesque est ce qui assure finalement la pérennité d’un mythe qui ne cesse d’être revisité

1 Jean Rousset, Le mythe de Don Juan, Paris, Armand Colin, 1978, p. 82.

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avec chaque nouvelle réappropriation. Face à ce processus continu de réinvestissement
sémantique, toute lecture que l’on fait du donjuanisme, loin d’être définitive (comme ce n’est pas
le cas d’aucune lecture d’ailleurs), ne fait qu’ouvrir la voie à de futures réinterprétations.

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