Vous êtes sur la page 1sur 6

[ Dossier

Allergologie

L’allergie alimentaire chez l’enfant


A Nemni*, A. Grimfeld*, J. Just*
* Services de pédiatrie, pneumologie et allergologie, Centre de l’Asthme et des Allergies,
hôpital d’enfants Armand Trousseau, 26 avenue du Dr Arnold Netter, 75012 Paris. Université Paris-VI.

a prévalence de l’asthme et

L des allergies a doublé à la fin


du siècle dernier, notamment
chez les sujets les plus jeunes (1).
FIGURE 1 : RÉACTIONS ADVERSES AUX ALIMENTS.

RÉACTIONS ADVERSES AUX ALIMENTS

Cependant, au début des années


2000, certaines études ont trouvé
une stabilisation de l’augmentation RÉACTIONS NON TOXIQUES RÉACTIONS TOXIQUES
de prévalence de l’asthme et des
allergies (2), ce qui n’a pas été retro-
uvé par d’autres études notamment
pédiatriques (3). Par leur retentisse- Allergies alimentaires Fausses allergies
ment économique important sur la
santé publique, les maladies aller-
giques se situent au 4e rang mondial Type 1 Autres • Histamino-libération non spécifique
selon l’OMS. L’allergie alimentaire Ig E médié types • Intolérance à la tyramine
est souvent la première manifesta- 90% 10% et à la phényléthylamine
tion de l’allergie de l’enfance. Elle • Intolérance aux benzoates
prédispose aux développements • Surcharge en histamine
• Intolérance aux nitrites
ultérieurs des allergies respiratoi- • Intolérance à líalcool
res. C’est dire l’importance d’en
faire le diagnostic le plus tôt possi-
ble pour mettre en œuvre précoce- l’allergie alimentaire liée à un méca- - intolérance aux colorants (tartrazine,
ment les mesures de prévention. nisme immunologique de la toxicité érythrosine) ;
alimentaire liée à la consommation - action directe de certains aliments
d’un produit toxique ou à des toxines riches en acides ou en enzymes pro-
[ DÉFINITION bactériennes (Staphylococcus, Clos- téolytiques sur la muqueuse buccale
tridium), ou encore des fausses aller- qui peuvent entraîner des brûlures des
L’allergie alimentaire est définie gies alimentaires qui ne sont pas lèvres comme le kiwi (riche en
comme l’ensemble des manifestations d’origine immune. Ces dernières enzymes protéolytiques), l’orange ou
cliniques liées à une réponse immuno- peuvent être regroupées sous diverses la tomate (qui sont acidulées) ;
allergique vis-à-vis des allergènes ali- dénominations : - altération de la perméabilité de la
mentaires. Elle relève de mécanismes - réactions de type idiosyncrasique (par muqueuse intestinale par des cofac-
IgE médiés, mais d’autres mécanis- ex. : déficit enzymatique en G6PD) ; teurs d’aggravation de ces fausses
mes non IgE médiés sont possibles - hyperréactivité aux amines biogènes allergies tels qu’infections, médica-
(Figure 1). L’allergie alimentaire IgE (histamine, histidine, tyramine, phény- ments, (AINS, laxatifs…), irritants ali-
médiée (réaction de type I selon la léthylamine) contenues dans certains mentaires (café, thé, alcool, vinaigre,
classification de Gell et Coombs) est la aliments (boissons et aliments fermen- épices…).
mieux définie. Les signes cliniques tés, gibier, charcuterie, poissons, cho-
vont des signes cutanés, digestifs ou colat, le gruyère ou le parmesan râpés) ; [ PHYSIOPATHOLOGIE
respiratoires à l’anaphylaxie parfois - excès de consommation d’aliments
mortelle. histamino-libérateurs comme l’alcool, L’allergie alimentaire résulte d’un dés-
Les réactions immunes non IgE les fraises, les tomates, le chocolat, les équilibre entre une réaction allergique
médiées (réactions de type II, III, IV poissons, les crustacés, etc. ; et les mécanismes de tolérance. Dans
selon la classification de Gell et - intolérance au nitrite de Na, additif les conditions physiologiques, des
Coombs) sont moins bien définies, alimentaire utilisé comme conserva- allergènes alimentaires potentiels
mais leur fréquence est croissante, teur pour ses propriétés antimicrobi- intacts ou partiellement digérés traver-
notamment en ce qui concerne les ennes et antioxydantes ayant la sent la muqueuse intestinale et ren-
formes digestives (10 % des allergies particularité d’accroître la perméabilité contrent le tissu lymphoïde associé à
alimentaires). Il faut encore différencier de la barrière intestinale ; l’intestin (Gut Associated Lymphoid

2 [ Décision thérapeutique en médecine générale • n°31 • mai 2006


FIGURE 2 : ARBRE DÉCISIONNEL POUR LE DIAGNOSTIC DE L’ALLERGIE tion allergénique in utero rend compte
ALIMENTAIRE IgE DÉPENDANTE (D’APRÈS ARDELEAN-JABY, 2000). des réactions allergiques au premier
contact avec l’allergène. L’allergie ali-
Pour le non spécialiste en immuno allergologie mentaire la plus précoce est l’allergie
aux protéines de lait de vache (APLV),
ÉTAPE CLINIQUE ÉTAPE BIOLOGIQUE puis, avec la diversification, arrivent
• Interrogatoire • Tests de dépistage ou d’orientation : l’œuf, le blé et l’arachide. Concernant
• Histoire clinique - Trophatop leur évolution, 60 % des formes diges-
- Phadiatop
• Dosage des IgE totales tives des APLV guérissent avant 2 ans
et 85 % avant 5 ans. À partir de 6 ans,
Orientation positive 90 % des APLV ont guéri. La guérison
▼ de l’allergie à l’œuf survient plus tard.
Allergologue Ainsi, l’allergie à l’œuf peut persister
après 2 ans chez 50 % des enfants
Pour l’immuno allergologue allergiques et chez 34 % des enfants
âgés de plus de 5 ans ; pour les cas
ÉTAPE CLINIQUE restants, l’allergie évoluera vers la gué-
Interrogatoire rison entre 5 et 10 ans. L’allergie à l’a-

Prick tests + test épicutanés rachide va persister dans la majorité
▼ des cas, et seules 10 à 12 % des aller-
ÉTAPE BIOLOGIQUE gies à l’arachide guériront entre 4 et
▼ 16 ans. Certaines allergies de l’enfant
IgE spécifiques unitaires à un trophallergène vont persister à l’âge adulte ; ainsi,
31 % des allergies alimentaires de l’a-
Tests de provocation Pas de tests de provocation dulte ont débuté dans l’enfance (4).
si doute diagnostic car diagnostic certain
ou antécédent d’anaphylaxie [ LES ALLERGÈNES ALIMENTAIRES

Tissue = GALT). Ce réseau immunitaire (2). Ainsi, la fréquence de l’allergie ali- Leur fréquence
extrêmement développé protège mentaire chez l’enfant atteint 5 % à
contre les agents pathogènes ingérés 8 % de cette population, alors que la Les allergènes alimentaires, protéines
et prévient les réactions immunes fréquence des allergies alimentaires naturelles d’origine animale ou végé-
envers les antigènes alimentaires. dans la population générale est de tale, sont appelés les trophallergènes.
L’état de non-réponse immunologique 3,2 % (4). On estime que 90 % des allergies ali-
aux antigènes alimentaires ayant tra- L’évolution naturelle de l’allergie est mentaires correspondent à 7 catégo-
versé la muqueuse intestinale est la désormais bien connue grâce au suivi ries de trophallergènes : lait de vache,
tolérance orale. longitudinal de cohortes d’enfants nés œuf, arachide, fruits à coque, blé, pois-
Chez le jeune enfant, les manifesta- de parents atopiques. 50 % des nour- sons, crustacés (et soja aux USA). Bien
tions cliniques digestives d’allergie ali- rissons de moins de 1 an souffrant du sûr, la fréquence des allergènes retro-
mentaire apparaissent comme une syndrome d’allergies alimentaires uvés va dépendre des habitudes ali-
insuffisance de tolérance digestive aux multiples sont déjà sensibilisés à un mentaires des patients et donc de leur
antigènes alimentaires potentiellement pneumallergène. 88 % des allergies situation géographique. Par exemple,
allergéniques (trophallergènes).Le alimentaires de l’enfant évolueraient en Italie, la farine de blé, de maïs, la
GALT est considéré comme immature vers la guérison entre 5 et 15 ans, tomate et la pêche sont les principaux
et l’allergie alimentaire correspond mais plus de la moitié d’entre elles se trophallergènes ; en Scandinavie, le
alors à différents mécanismes de la transformeront ensuite en allergie premier allergène est le poisson…
classification de Gell et Coombs, respiratoire (3). alors qu’aux États-Unis et en Angle-
surtout I et IV. terre, le premier allergène en cause est
[ HISTOIRE NATURELLE l’arachide et les fruits à coque. Chez le
[ PRÉVALENCE DE L’ALLERGIE ALIMENTAIRE nourrisson, l’œuf, le lait et l’arachide
sont les premiers allergènes.
Une banque de données d’origine L’importance d’un terrain atopique Les allergies aux fruits et aux légumes
française (Cercle d’investigations cli- familial dans la genèse des allergies apparaissent chez l’enfant et leur fré-
niques et biologiques en allergologie alimentaires de l’enfant est indéniable. quence augmente avec l’âge en même
alimentaire = CICBAA) indique que l’al- Dans la parenté au 1er degré, l’atopie temps qu’apparaît une sensibilisation
lergie alimentaire est 4 fois plus fré- est retrouvée dans 67 % des cas aux pollens en raison des allergies
quente chez l’enfant que chez l’adulte (données du CICBAA). La sensibilisa- croisées pollens/fruits et légumes.

Décision thérapeutique en médecine générale • n°31 • mai 2006 ] 3


[ Dossier
Allergologie

Signalons enfin l’évolution croissante FIGURE 3 : NOMENCLATURE ACTUELLE DES ACTES DE BIOLOGIE
pour deux aliments que sont le (d’après l’arrêté du 19/10/94 et avenant du 01/08/2000).
sésame et le lupin qui sont à haut
risque d’anaphylaxie (4). Mélange d’aéroallergènes Mélange de trophallergènes
prescription maximale 1 prescription maximale 3
[ LES RÉACTIONS CROISÉES

La réactivité croisée des allergènes RAST aéroallergènes isolés RAST trophallergènes


est due à la présence d’épitotes prescription maximale 5 prescription maximale 5
communs ou de structures voisines.

Les allergies croisées entre • Du syndrome porc/chat : réaction tères du diagnostic est la guérison des
allergènes d’origine végétale entre viande de porc et les épithélia de symptômes après éviction du lait de
chat. vache. De façon plus exceptionnelle,
Ce sont les plus fréquentes. Les on a décrit une œsophagite à éosino-
pollens de bétulacées (bouleau, noise- [ LES SIGNES CLINIQUES phile qui se traduit par un pseudo-
tier, aulne, charme) peuvent entraîner DE L’ALLERGIE ALIMENTAIRE RGO réfractaire à tout traitement.
des allergies croisées aux fruits. Ainsi, • Les douleurs abdominales et diar-
50 à 70 % des allergiques aux pollens Les atteintes cutanées rhées ou une constipation opiniâtre
de bouleau sont sensibilisés aux fruits et les atteintes de la muqueuse sont encore des formes cliniques de
de la famille des prunoïdées (pomme, buccale l’allergie alimentaire, notamment avec
pêche, poire, cerise, amande, noisette, les protéines de lait de vache.
etc.). 50 % des allergiques aux com- • Le syndrome oral (dit de Lessof) : • Des atteintes sévères de la
posées (armoise et ambroisie) ont une c’est le principal signe d’appel des muqueuse intestinale sont encore
sensibilisation aux aliments de la allergies croisées entre pollens et ali- possibles, qu’il s’agisse des entéroco-
famille des ombellifères, comme le ments végétaux, mais aussi après lites qui se manifestent par une diar-
céleri et la carotte. absorption d’aliments d’origine rhée sanglante provoquant une
On rapproche de ces allergies croisées animale (œuf, volailles) (5). Il se traduit anémie, ou encore de formes plus insi-
pollens/fruits les allergies croisées au niveau bucco-pharyngé par un dieuses comme une entéropathie avec
latex/fruits. Ainsi, on notera l’allergie prurit avec ou sans œdème. Il est plus atrophie villositaire responsable d’une
croisée entre le latex et certains fruits fréquent chez l’adulte que chez l’en- diarrhée chronique provoquant un
et légumes (banane, châtaigne, fant. Les nausées, vomissements et arrêt de croissance (comme c’est
avocat, kiwi, poivron, sarrasin, etc.). gastralgies font parfois suite au syn- souvent le cas avec les protéines de
On retrouve encore l’allergie croisée drome oral (5). Mais d’autres manifes- lait de vache).
entre le Ficus benjamina (plante d’ap- tations à type de rhinite, conjonctivite,
partement), le latex et la figue. asthme, œdème de Quincke, urticaire Les formes respiratoires
On notera également les allergies croi- peuvent survenir si la consommation
sées entre fruits et légumes, comme de l’aliment se poursuit. • Une rhinoconjonctivite peut être une
l’arachide et les autres légumineuses, • L’urticaire aiguë ou récidivante manifestation d’allergie alimentaire
principalement le lupin, les lentilles, le accompagnée ou non d’angio-œdème notamment à l’arachide (4).
pois et le soja, mais aussi d’autres peut être en rapport avec une allergie • Une otite séro-muqueuse a été
fruits à coque comme la pistache, la alimentaire. décrite dans l’APLV.
noisette, noix, amande, noix de cajou, • La dermatite atopique (DA) : les sen- • Un asthme chronique avec une aller-
noix de macadamia, noix de pécan, sibilisations aux allergènes alimentai- gie à la fois aux pneumallergènes et
noix du Brésil. res sont fréquentes au cours de la DA aux trophallergènes est possible. Ce
puisqu’elles sont retrouvées dans 35 à type d’asthme est volontiers sévère
Les allergies croisées 63 % des cas (5). La DA est particuliè- avec risque d’asthme aigu grave
entre les allergènes d’animaux rement sévère lors du syndrome des notamment chez le grand enfant. Ces
allergies alimentaires multiples et crises aiguës graves seraient la pre-
• Des acariens avec les escargots, débute précocement dès les premiers mière cause de décès par allergie ali-
crustacés et mollusques. mois de vie. mentaire (4).
• Des réactivités croisées entre les laits
des différents mammifères : lait de Les formes digestives L’anaphylaxie
vache, de brebis, de chèvre.
• Du syndrome œuf/oiseau : exposi- • Une symptomatologie de reflux • Le choc anaphylactique est une
tion aux allergènes aviaires et sensibi- gastro-œsophagien (RGO) peut être manifestation heureusement rare de
lisation alimentaire à l’œuf. en rapport avec une APLV. Un des cri- l’allergie alimentaire chez l’enfant. Sa

4 [ Décision thérapeutique en médecine générale • n°31 • mai 2006


fréquence est évaluée à 4,9 % (selon Examens complémentaires • Les IgE sériques totales
les données du CICBAA). Les signes En l’absence d’orientation clinique
cliniques débutent quelques minutes à Ils permettent de confirmer la suspi- vers un allergène précis, certains tests
30 minutes après l’ingestion de l’ali- cion clinique. biologiques dépistent le terrain ato-
ment par des bouffées de chaleur, un pique : c’est le cas des IgE sériques
prurit des paumes et des plantes, puis Les tests cutanés allergologiques totales dont l’augmentation chez le
apparaissent une urticaire, un œdème • Ils sont le plus souvent réalisés par la très jeune nourrisson est un marqueur
de Quincke, voire une gêne respira- méthode du prick test. Le prick test pronostique de risque de sensibilisa-
toire laryngée et/ou bronchique, et/ou consiste à faire réagir les cellules mas- tion allergénique.
encore des signes cardio-vasculaires, tocytaires de l’épiderme en les mettant
des douleurs abdominales, des en contact avec l’allergène. Chez le • L’éosinophilie
nausées, des vomissements, une diar- nourrisson de moins de 1 an, les aller- La recherche d’une hyperéosinophilie
rhée aiguë, puis une tachycardie et gènes testés sont systématiquement : sanguine n’a pas d’utilité pour le dia-
une chute tensionnelle. Il faut se méfier le lait (avec l’aliment que boit habituel- gnostic d’une allergie alimentaire.
des réactions en 2 temps avec récidive lement l’enfant), l’œuf, le poisson, l’a-
quelques heures après les premiers rachide, la farine de blé, le soja, la • Les tests de dépistage ou d’orienta-
symptômes, même s’il y a eu un traite- moutarde, le sésame. Le nombre et le tion (Phadiatop®/Trophatop®)
ment symptomatique bien conduit. type d’aliment à tester dépendent Il s’agit de tests de dépistage ou d’o-
• Le syndrome pâleur/léthargie/hypo- dans tous les cas de l’âge et des résul- rientation à différents pneumallergè-
tonie est une forme clinique exception- tats de l’enquête alimentaire. Les nes (Phadiatop®…) ou trophallergènes
nelle observée chez le nourrisson de extraits commerciaux — mais surtout (Fx5®, Trophatop®…) dont la réponse
moins d’un an (4). les aliments natifs plus sensibles — est qualitative (positive ou négative).
sont utilisés pour la réalisation des Pour Wickman (11), un Phadiatop® ou
[ DIAGNOSTIC pricks tests (8). un Fx5® positif est retrouvé chez 24 %
des enfants âgés de 4 ans. Un Phadia-
Interrogatoire • Les tests épicutanés (Atopy Patch top® et un Fx5® positifs chez un nour-
Test des Anglo-Saxons) mettent en risson sont prédictifs dans 97,4 % des
Le diagnostic d’allergie alimentaire fait évidence une sensibilisation de type cas du développement d’une patholo-
appel surtout à la clinique (éviction, retardé. En effet, certaines allergies ali- gie allergique (11).
réintroduction et/ou tests de provoca- mentaires ne sont pas IgE médiées,
tion), les examens biologiques n’étant mais liées à une activité lymphocytaire • Le dosage des IgE sériques spéci-
que des éléments d’orientation dia- T, comme cela est le cas pour de nom- fiques
gnostique. La Figure 2 montre la breuses allergies aux protéines de lait La prescription d’IgE spécifiques diri-
démarche décisionnelle. L’interroga- chez le nourrisson et certains cas de gées contre un allergène est orientée
toire à une place d’orientation capitale dermatite atopique. Ces tests sont par l’interrogatoire et la réalisation des
(8). Il permet de préciser : réalisés en déposant l’aliment pricks tests (10). La valeur prédictive
- les types de symptômes et leur chro- concerné dans une cupule Finn positive d’IgE spécifiques élevées est
nologie par rapport à la prise de l’ali- Chambers de grande taille que l’on considérée classiquement comme
ment ; laisse au contact avec la peau, au inférieure à celle des pricks tests. De
- la fréquence des symptômes et leur mieux 72 heures (7). Les réactions se plus, la présence d’IgE spécifiques —
reproductibilité ; font du simple érythème (+) à l’asso- comme d’ailleurs la positivité des
- les facteurs aggravants comme ciation érythème, vésicules, bulles pricks tests — témoigne de la sensibi-
l’exercice physique, la prise de médi- (+++). Leur interprétation doit toujours lisation biologique IgE médiée à un
caments irritants pour le tube digestif, être corrélée à l’histoire clinique et l’ex- allergène. La preuve de l’allergie cli-
une maladie digestive (colopathie…). position allergénique qui peut être nique n’est apportée que par l’interro-
L’anamnèse sera facilitée par la tenue ancienne ou actuelle (6). gatoire ou le test de provocation à
d’un journal alimentaire sur une ou l’allergène. Cependant, un taux élevé
deux semaines. Les manifestations Les examens biologiques d’IgE spécifiques permettrait d’éviter,
d’allergie alimentaire IgE médiée sont Les examens de laboratoire sont tou- chez certains patients, la pratique des
les plus faciles à reconnaître, car les jours prescrits en seconde intention, tests de provocation (Tableau I). En
symptômes surviennent rapidement après l’interrogatoire et les tests effet, il existerait une relation étroite
après l’ingestion de l’aliment déclen- cutanés allergologiques. Ils permettent entre la concentration en IgE spéci-
chant. Les manifestations immunes de confirmer le type IgE médié ou non fiques dirigées contre un allergène
non liées aux IgE sont plus difficiles à de la réaction allergique (10). Cette (dosée par la technique du CAP RAST)
diagnostiquer, car les délais d’appari- prescription est soumise à la nomen- et la probabilité que cet allergène soit
tion des symptômes sont retardés et clature des actes de biologie médicale responsable des manifestations cli-
les symptômes plus insidieux (9). (Figure 3). niques (12).

Décision thérapeutique en médecine générale • n°31 • mai 2006 ] 5


[ Dossier
Allergologie

TABLEAU I : INTERPRÉTATION DU TAUX D’IgE SPÉCIFIQUES (CAP SYSTEM PARMACIA EXPRIMÉS EN KU/L)
POUR LE DIAGNOSTIC D’ALLERGIE ALIMENTAIRE (D’APRÈS SAMPSON, 2001).
Œuf Lait Arachide Poisson Soja Blé
Allergie si valeurs supérieures
ou égales (pas de TPO nécessaire) 7 15 14 20 65 80
Allergie probable* 30 26 Probabilité de réaction
Pas d’allergie
si valeurs inférieures 0,35 0,35 0,35 0,35 0,35 0,35
(réintroduction à la maison)*
* Chez les patients ayant une histoire très suggestive d’allergie, la réintroduction est réalisée sous surveillance médicale quelle que
soit la valeur des IgE spécifiques. Si la valeur des IgE spécifique dirigés contre un aliment est < 0,35 KU/L et que la réponse au prick
test est négative, la réintroduction alimentaire peut être réalisée à la maison à l’exception d’une histoire clinique très suggestive.

Tests de provocation provocation oral s’il est négatif ou de ses notamment de la luette, mais aussi
grade < 3 (5). l’auscultation pulmonaire, la prise de la
Le test de provocation aux aliments tension artérielle, du débit de pointe,
constitue l’examen clé du diagnostic Le test de provocation orale (TPO) l’existence de douleurs abdominales à
d’allergie alimentaire. Le TPO en simple aveugle, et surtout la recherche de réactions syndro-
en double aveugle (TPODA), reste miques comme :
Le test de provocation labial (TPL) l’examen de référence (13, 14). Le TPO - un rash aux plis de flexion et/ou une
Le test de provocation labiale consiste est réalisé lorsque l’histoire clinique ne urticaire ;
à mettre en contact l’aliment avec donne pas de certitude (notamment en - une réactivation d’un eczéma ;
muqueuse jugale. Quatre grades en l’absence d’accident d’anaphylaxie). - une crise asthme ;
fonction de l’intensité de la réaction Après l’éviction de l’aliment suspecté - un œdème de Quincke, voire un choc
sont définis (5) : qui devrait entraîner une diminution anaphylactique.
- grade 1 : déplissement de la lèvre des symptômes, la réintroduction est La positivité du TPO permet, outre de
inférieure ; réalisée en milieu hospitalier (du fait du confirmer l’allergie alimentaire, de
- grade 2 : plaque d’érythème sur la risque toujours possible d’anaphy- déterminer le seuil de déclenchement
lèvre ; laxie). L’aliment natif est dissimulé de l’accident, ce qui est essentiel pour
- grade 3 : urticaire de la joue et du dans un “véhicule” anallergique et des définir le régime d’éviction, notam-
menton ; doses croissantes sont ingérées ment pour certains allergènes ubiqui-
- grade 4 : œdème gagnant la joue, toutes les demi-heures. Plus l’enfant taires comme l’arachide.
rhinite, larmoiement ; est jeune, plus l’épreuve doit être pru-
- grade 5 : réaction systémique, prurit dente, car le risque de réaction pour Le régime d’exclusion
sur zone d’eczéma, toux. des doses faibles est plus fréquent. Utilisé à titre d’épreuve thérapeutique,
La faible sensibilité du TPL (77,2 %) Les critères de surveillance sont l’ob- il peut être très utile lorsque les signes
impose de poursuivre par un test de servation de la peau et des muqueu- cliniques s’amendent lors de l’éviction
de l’aliment qui doit durer au moins 4
semaines. Les limites de cette procé-
TABLEAU II : TRAITEMENTS D’URGENCE DE L’ALLERGIE. dure sont les cas d’allergies alimentai-
• Conjonctivite, rhinite, syndrome d’allergie orale, urticaire généralisée simple, res multiples.
œdème des lèvres et/ou du visage sans symptômes d’asphyxie (gêne respi-
ratoire) : antihistaminique H1 par voie orale et corticoïde par voie orale (durée Le test de perméabilité intestinale
du traitement : 2 à 5 jours). (TPI)
• Si asthme (bronchospasme aigu) : toux, sifflements, chute du débit expira- Le test de perméabilité intestinale peut
toire de pointe (15 % ou plus des valeurs attendues ou connues) : bêta-2 être réalisé à tout âge. On administre
mimétique d’action rapide utilisant un système d’inhalation adapté à l’âge deux molécules : l’une connue pour
de l’enfant (2 bouffées de spray ou 1 dose de poudre renouvelables 3 fois, à traverser facilement la muqueuse
10 minutes d’intervalle, puis poursuivies 4 à 6 fois par jour pendant 2 jours). (mannitol), l’autre ne la traversant
• Si œdème laryngé (avec signes d’asphyxie), anaphylaxie (symptômes d’at- qu’en très faible quantité (lactulose).
teinte de plusieurs organes, incluant des symptômes respiratoires) et choc Leur dosage dans les urines reflète les
anaphylactique (malaise, agitation, perte de connaissance, collapsus) : adré- quantités absorbées. Le rapport de
naline (Anapen®) en IM dans la face antéro-latérale de la cuisse, à la dose de l’excrétion urinaire de ces deux molé-
0,01 mg/kg (Anapen® 0,15 mg avant 20 kg et 0,30 mg au-delà de 20 kg), à cules est établi avant et après l’inges-
renouveler au besoin au bout de 15 à 30 min., et surtout avis médical d’ur-
gence (faire le 15 depuis un poste fixe ou le 112 depuis un portable). tion de l’aliment. Le rapport urinaire
mannitol/lactulose diminue en cas

6 [ Décision thérapeutique en médecine générale • n°31 • mai 2006


TABLEAU III : RECOMMANDATIONS POUR LA PROPHYLAXIE DE L’ALLERGIE ALIMENTAIRE CHEZ LE NOURRISSON
DE FAMILLES À RISQUE ATOPIQUE.
Académie américaine de pédiatrie Sociétés européennes de pédiatrie
Enfants à risque Atopie biparentale ou parent et fratrie Parent ou fratrie
Régime maternel Non à l’exception possible de l’arachide Non
pendant la grossesse
Régime pendant l’allaitement Oui pour l’arachide, Non
éventuellement pour œuf, lait, poisson
Allaitement exclusif 6 mois, si possible prolongé partiellement 4-6 mois
jusqu’à 12 mois
Éviction des laits à base de soja Oui Oui
Lait hypoallergénique Oui, voire hydrolysat poussé Oui
si pas d’allaitement
Introduction tardive Début avec les aliments
des aliments solides les moins allergéniques à 6 mois, Début au 5e mois
lait à 12 mois, œuf à 24 mois, arachide,
fruits à coque, poisson à 36 mois

d’allergie alimentaire du fait d’une aug- sionnel permettra d’éviter des évic- outcome in non-IgE mediated reactions
mentation de la perméabilité intesti- tions alimentaires par excès. to food in children with atopic dermatitis”.
nale aux macromolécules. Mais, toute J Allergy Clin Immunol, 2001 ; 108 :
altération de la muqueuse intestinale Références 1053-8.
peut entraîner des faux positifs, ce qui 1. Rancé F., Bidat E. Allergie alimentaire 10. Ardelean-Jaby D., Traube C., Ahmad
limite la spécificité de ce test. chez l’enfant. Médecine et Hygiène, W. “La démarche pour le diagnostic de
2000. l’allergie IgE dépendante”. Immunoanal
[ CONDUITE THÉRAPEUTIQUE 2. Moneret-Vautrin D.A., Kanny G., Beau- Biol Spéc, 2000 ; 15 : 334-45.
ET PRÉVENTION doin E. “Allergie alimentaire. Eléments du 11. Wickman M. “The base study-report
DES ALLERGIES ALIMENTAIRES diagnostic clinique et biologique”. from first 4 study years”. EAACI section
Feuillets de biologie, 1996 ; 37 : 11-15. on paediatrics annual symposium. Pre-
Les traitements d’urgence associent, à 3. Moneret-Vautrin D.A. “Atopie et allergie vention of food Allergy, February 8-9,
des degrés divers, les antihistami- alimentaire”. Rev Fr Allergo, 2000 ; 4 : 2002. Padua, Italy.
niques, les corticoïdes, les bronchodi- 466-72. 12. Sampson H.A. “Utility of food specific
latateurs et l’adrénaline (Tableau II). Les 4. Moneret-Vautrin D.A., Kanny G., IgE concentration in predicting sympto-
poussées de dermatite atopique seront Morisset M. Les allergies alimentaires de matic food allergy”. J Allergy Clin
traitées par corticothérapie locale et l’enfant et de l’adulte. Paris, Masson, Immunol, 2001 ; 107 : 891-6.
soins de peau avec des émollients. Le 2006. 13. Dutau G. “Allergies alimentaires et
véritable traitement de l’allergie alimen- 5. Rancé F., Dutau G. Les allergies ali- alternatives diagnostiques : test de pro-
taire est l’éviction de l’allergène en mentaires. Expansion Scientifique Fran- vocation labial, test de provocation oral”.
cause par un régime adapté et souvent çaise. 2004. Rev Fr Allergol, 2000 ; 40 : 728-41.
une prise en charge au sein d’un proto- 6. Lachapelle J.M. “A proposed rele- 14. Moneret-Vautrin D.A., Kanny G.,
cole d’accueil individualisé mis en vance scoring system for positive allergic Rancé F., Dutau G. “Évaluation des
place à l’école et à la crèche. Enfin, la patch test reactions : practical implica- moyens diagnostiques de l’allergie ali-
prévention des allergies alimentaires a tions and limitations”. Contact dermatitis, mentaire dans 113 cas de dermatite ato-
fait l’objet de recommandations des 1997 ; 36 : 39-43. pique”. Rev Fr Allergol, 1996 ; 36 (3) :
académies américaines et européen- 7. Rancé F. “What is the optimal occlu- 239-244.
nes (Tableau III). sion time for the atopy patch test in the
diagnosis of food allergy in children whith
[ CONCLUSION atopic dermatitis ?” Pediatr Allergy
Immunol, 2004 ; 15 : 93-6.
Le diagnostic précoce d’allergie ali- 8. Moneret-Vautrin D.A., Kanny G., Ser-
mentaire est devenu primordial devant geant P. “La diététique thérapeutique des
l’augmentation régulière de sa préva- allergies alimentaires”. Rev Fr Allergol,
lence. Le respect d’une attitude uni- 1999 ; 39 (4) : 325-38.
forme des généralistes, des pédiatres 9. Niggemann B., Reibel S., Roehr C.C.,
et des allergologues en suivant avec Felger D., Ziegert M., Sommerfeld C.
scrupule l’arbre diagnostique et déci- “Predictors of positive food challenge

Décision thérapeutique en médecine générale • n°31 • mai 2006 ] 7

Vous aimerez peut-être aussi