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SCIENCE ET VÉRITÉ

PHILOSOPHIE DE LA SCIENCE

« Depuis trois siècles, la connaissance scientifique ne fait que prouver ses vertus
de vérification et de découverte par rapport à tous autres modes de connaissance. […]
et pourtant, cette science élucidante, enrichissante, conquérante, triomphante, nous
pose de plus en plus de graves problèmes qui ont trait à la connaissance qu’elle produit, à l’action qu’elle
détermine, à la société qu’elle transforme. »,
Edgar Morin, Science avec conscience,
1982.
Objectifs du cours :
- Désacraliser la notion de science
- Permettre la compréhension des caractéristiques de la construction de la « vérité scientifique »
- Ouvrir au rétablissement du sens de la religion et la croyance dans l’horizon de l’humain

Dans notre opinion commune nous avons tendance à déterminer la science et ce qui est scientifique comme étant quelque chose
de « vrai ». Nous les considérons de cette façon car nous considérons que ces affirmations seraient prouvées. Ainsi, les propositions
scientifiques seraient des « vérités » indiscutables. De leur côté, les mythes ou la religion seraient « faux » (« Adam et Eve on le sait
bien c’est faux! »).

Mais voyons les choses de plus près. En effet, l’un des objectifs de notre cours vise à nous débarrasser des idées fausses sur la
science: notamment à nous débarrasser de cette sorte de sacralisation qui l’entoure, et nous permettre comprendre que ce qui est
« vrai » est finalement très problématique, au point de voir si l’on ne devrait pas plutôt se débarrasser définitivement de ce mot. En
effet et le plus paradoxale de l’opinion communément répandue, c’est que celle-ci finit par adopter des postures dogmatiques en
faveur de la science, comme si la science était un répertoire des vérités absolues. Finalement, un cours sur la science nous
permettrait de comprendre la religion et la croyance sous un angle nouveau: autrement que comme une simple amas des récits
démodées, dépassées et fallacieux.

• Extrait T. S. Kuhn: Qu’est-ce que j’ai compris avec cet extrait?


- Qu’est-ce qu’un paradigme?
- Pourquoi il y-a-t-il des révolutions scientifiques?
- Comment se construit la vérité dans les sciences?

Cette pandémie nous a montré quelque chose que la majorité des gens n’avaient jamais vu: même si les gouvernements étaient
entourés d’un «  conseil scientifique  », il n’a pas eu une unanimité des avis scientifiques. Des scientifiques, des médecins, des
chercheurs, avaient des points de vue très différents et même contradictoires tout en revendiquant chacun la scientificité de leur
approche. Les débats autour de la chloroquine ont permis de poser la question de l’alternative entre urgence et effectivité, par
exemple. Certains contestaient les initiatives du professeur Didier Raoult car ses recherches n’auraient pas - par exemple -
contemplé les effets secondaires de son traitement. Pourquoi des telles controverses? Peut-on encore faire confiance à des
scientifiques qui ne se mettent pas d’accord sur ce qui est « vrai », donc de la façon scientifique avec laquelle il faut combattre ce
« satané » de virus pandémique?

Sans vouloir tomber dans l’extrême des «  discours complotistes  » (Hélas, ce n’est pas de la «  vraie  » philosophie!), l’on peut y
admettre la possibilité des intérêts économiques ou politiques en jeu. Dans le jargon scientifique (ou de la fonction publique) cela
s’appelle « conflit d’intérêts ». Pour le comprendre, il suffit d’analyser le cas du pneumologue qui détermine la qualité d’air comme
étant « acceptable » sans mentionner les risques sanitaires, car sa recherche est financée par la compagnie pétrolière qui exploite le
secteur1. Comment ne pas en être dupe et comprendre les limites de ce qu’on appelle scientifique? S’agit-il d’une question
d’autorité? Quelque chose serait vraie du moment où ce sont les autorités scientifiques qui le disent? Est-ce encore plus « vrai » si
ce sont les autorités politiques qui l’affirment? On aurait de quoi se méfier. Mais afin d’y voir plus clair, il nous faut examiner qu’est-
ce que la science et comment elle arrive à déterminer quelque chose comme étant « vrai ». D’ailleurs, la vérité de la science est-ce
la même vérité que celle de la religion?

1. SCIENCE ET PHILOSOPHIE: UNE ORIGINE COMMUNE

Dans un premier temps, la science se trouve assimilée à la philosophie, dans la mesure où de ce qu’il s’agit c’est de se libérer du
mythe et d’entamer une recherche rationnelle. Ce nouveau engagement afin de chercher les raisons des choses et des phénomènes
implique une démarche de rupture avec l’opinion (doxa), c’est-à-dire l’ensemble des « préjugés » des idées reçues ou des « opinions
non suffisamment discernées »2.

1 A ce propos, voir le film: « Erin Brockovich, seule contre tous » du réalisateur Steven Soderbergh (2000) qui retrace la lutte d’une
femme qui découvre que des multiples cas du cancer dans une petite ville en Californie seraient dûs à la pollution de l’eau potable
comme conséquence des exploitations de la compagnie Pacific Gas & Electric Company (PG&E). http://www.allocine.fr/video/
player_gen_cmedia=19477122&cfilm=23980.html

2Le discernement est l’examen judicieux et approfondi d’une idée (proposition) ou d’un jugement. Le fait d’avoir d’autres personnes
qui m’acquiescent ou que partagent mon point de vue n’altère pas le caractère « doxique » de mon opinion. La « doxa » ne devient
pas plus « vraie » par le seul fait de la condescende ou la sympathie populaire, même si celle-ci est démocratique.
La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s’oppose absolument à l'opinion. S'il lui
arrive, sur un point particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent
l'opinion ; de sorte que l'opinion a, en droit, toujours tort. L'opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit
des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître. On ne
peut rien fonder sur l'opinion : il faut d'abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter.

Gaston Bachelard, La formation de l'esprit scientifique, © Librairie Philosophique J. Vrin, 1938

Questions de compréhension:
1. Quelle est le jeu d’opposition qui apparait? A quoi s’oppose la science?
2. Pourquoi l’opinion pense mal, voire ne pense pas du tout?
3. Illustrez à l’aide d’un exemple une opinion fondée sur son utilité

L’objectivité du savoir scientifique veut donc se substituer à la subjectivité de l’opinion, indémontrable, arbitraire et gratuite. Mais
afin de réussir cela, la science a besoin du temps*. En effet, surmonter l’opinion implique déjà un travail* d’analyse, de réflexion et de
compréhension du problème en question afin de dépasser la simple opinion personnelle. Si cela est vrai et si le dépassement de
l’opinion est proportionnelle au volume de travail et du temps d’analyse, alors comment sais-tu que le récit biblique de la création
est faux? Ne s’agit donc pas juste de ta doxa non suffisamment examinée?

2. SCIENCE ET RELIGION

Le propos de cette section consiste à montrer que science et religion ne sont pas « vraiment » opposées. Comme nous l’avons vu,
c’est plutôt l’opinion celle qui s’y oppose. Cependant, il ne s’agit pas non plus de fournir des preuves de l’existence des êtres divins
ni de rallier la foi aux théories scientifiques. Nous ne chercherons pas à trouver des exemples des scientifiques croyants ou des
scientifiques partisans d’une courante religieuse particulière. Pour nous, il s’agit simplement d’indiquer des lignes générales à partir
desquelles comprendre autrement le phénomène religieux3.

L’avènement de la pensée rationnelle déplace le mythe dans sa sacralité et immuabilité. La recherche rationnelle implique déjà une
rupture avec cette imaginaire mythique ou religieux. Ce qu’on pourrait appeler « science » commence à se placer sous l’autorité du
raisonnement formel emprunté aux mathématiques et sur l’expérimentation, c’est-à-dire sur l’observation et l’expérience contrôlée.
Ainsi, l’observation et l’analyse de phénomènes permettraient la contestation du dogme4 religieux.

Dès ce point de vue, l’on pourrait bien affirmer avec Auguste compte que « les croyances religieuses ne conviennent qu’aux esprit
faibles ou à ceux chez qui le sentiment est beaucoup plus énergique que l’intelligence  ». En effet, dans son Cours de Philosophie
positive (1830), Compte développe une sorte de parcours de l’intelligence humaine qui se développe d’après ce qu’il a appelé : « loi
des trois états ». Ainsi, l’esprit humain passe successivement par trois états ou moments théoriques: l’état théologique ou fictif qui
est le plus bas; l’état métaphysique; et l’état supérieur: l’état scientifique ou « positif ».5 Mais on aurait des motifs pour se méfier du
projet positiviste de Compte. Sa confusion provient du fait qu’il met à la science et à la religion sur le même plan alors qu’elles
opèrent sur des registres différents. Ainsi, si bien la science, grâce aux démarches aboutissant à une explication et possible
compréhension d’un phénomène, ne peut répondre que le « comment » d’un phénomène déterminé. Elle ne peut jamais répondre
au « pourquoi » d’un phénomène donné. Sa tâche consiste à nous permettre la maîtrise d’une réalité ou d’un phénomène donné,
mais il n’est pas de sa compétence de nous dire ce que nous devons faire avec cette maîtrise.

Ainsi avec E. Weil, nous affirmons que « les sciences exactes, naturelles et sociales ont tout à voir avec la connaissance, et rien à voir
avec la compréhension du monde dans lequel nous vivons. Elles ne peuvent pas nous fournir de quoi justifier nos décisions
fondamentales ».
Visée: Confusion de rôles :

SCIENCES Comprendre / Expliquer des phénomènes Réponse à des questions du sens à partir des
Réponse à la question « comment » résultats des recherches scientifiques:
Hypothèses et l’établissement des Théories ex: Fonctionnement d’une voiture**
Validité scientifique

RELIGION Message adressé à l’existence humaine Lecture littérale et descontextualdisée des récits
Réponse à la question « pourquoi » Défaut d’interprétation
Interprétation
Foi et sens

3. L’AVÉNEMENT DE LA SCIENCE MODERNE

Le mot « science » n’existe pas en grec ancien, même si les Grecs ont pratiqué un mode d’investigation rationnelle de la nature
cherchant les causes et les premiers principes des phénomènes. Ce que nous appelons « science » n’est que quelque chose de très
récent. Avant la période glaciale, l’art était déjà très développé comme le montrent les admirables peintures rupestres. De son côté,

3 La « religion » en tant que concept philosophique est une notion du programme de philosophie en terminale.

4 Un dogme est un point de doctrine établi comme une vérité fondamentale et incontestable.

5 « Positif » désigne le réel par opposition au chimérique. Il indique la posture purement scientifique du vérifiable
la religion en est probablement contemporaine. L’on pourrait supposer que tus les deux existent depuis 80.000 ans. La science
commence avec Galilée depuis environ 500 ans. Ce n’est que depuis les derniers 150 ans que la science est devenue un facteur
déterminant dans notre vie. C’est ainsi que depuis le Moyen Âge, une courante de pensée que visait à inventer des moyens
permettant de mettre en œuvre l’énergie non humaine, ou d’utiliser au mieux la force animale, moyens et méthodes avec une
efficience jamais atteinte dans l’Antiquité a vu le jour. La modernité s’ouvre avec le rêve de dominer la nature avec ses nouveaux
moyens d’opération. Cet extrait du célèbre Discours de la Méthode (1637) présente d’une façon très claire ce projet:

Sitôt que j'ai eu acquis quelques notions générales touchant la physique, et que, commençant à les éprouver en
diverses difficultés particulières (1), j'ai remarqué jusques où elles peuvent conduire et combien elles
diffèrent des principes dont on s’est servi jusqu'à présent, j'ai cru que je ne pouvais les tenir cachées sans
pécher grandement contre la loi qui nous oblige à procurer autant qu'il est en nous le bien général de tous les
hommes (2).
Car elles m'ont fait voir qu'il est possible de parvenir à des connaissances qui sont fort utiles à la vie, et qu'au
lieu de cette philosophie spéculative (3) qu'on enseigne dans les écoles, on en peut trouver une, pratique, par
laquelle, connaissant la force et les actions (4) du feu, de l'eau, de l'air, des astres, des cieux et de tous les
autres corps qui nous environnent, aussi distinctement que nous connaissons les divers métiers de nos
artisans, nous les pourrions employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres, et ainsi
nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature (5).
Ce qui n'est pas seulement à désirer pour l'invention d'une infinité d’artifices (6) qui feraient qu'on jouirait
sans aucune peine des fruits de la Terre et de toutes les commodités qui s'y trouvent, mais principalement
aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les
autres biens de cette vie; car même l'esprit dépend si fort du tempérament et de la disposition des organes du
corps, que, s'il est possible de trouver quelque moyen qui rende communément les hommes plus sages et plus
habiles qu'ils n'ont été jusqu'ici, je crois que c'est dans la médecine qu'on doit le chercher (7).

Descartes, Discours de la méthode, in ouvres de Descartes, t. I, F. G. Levrault, Vrin, p. 127.

1) Diverses difficultés particulières : concernant l'optique, probablement, où Descartes a découvert les lois de
la réflexion et de la réfraction.
2) «  Le bien général de tous les hommes  » : en énonçant ces thèmes, Descartes donne à voir l'idéal, très
moderne, d'une science conquérante.
3) « Philosophie spéculative » : ici, théorique. Allusion à l'enseignement scolastique.
4) Les actions : c'est-à-dire, ici, les effets.
5) « Nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature » :cette expression fait écho aux idées de Francis
Bacon pour qui « mon ne peut vaincre la nature qu’en lui obéissant ».
6) Artifices : des machines, provenant des applications du savoir.
7) Descartes avait un état de santé très fragile.

A partir du texte:
1. Comment pouvons nous nous rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature »? , avec quels moyens
2. Comment interprétez vous les expressions « notions générales » et « connaissances pratiques »?
De quoi s’agit-il pour vous?
3. Quel est le but fondamental des nouvelles démarches entamées par Descartes?

4. LA METHODE SCIENTIFIQUE:

Pour qu’une affirmation ait un caractère scientifique, elle doit correspondre à une méthode. Celle-ci nous fait penser au scientifique
dans son laboratoire appliquant un rigoureux enchaînement des procédures afin de valider une hypothèse. La formulation d’une
hypothèse est la clé de voûte du processus de la recherche scientifique. Une hypothèse établit ainsi une réponse provisionnelle à un
problème ou phénomène préalablement observé.

In arriving at a scientific law there are three main stages : the first consists in observing the significant facts;
the second in arriving at a hypothesis, which, if it is true, would account for thèse facts; the third in deducing
from this hypothesis consequences which can be teste by observation. If the consequences are verified, the
hypothesis is provisionally accepted as true, although it will usually require modification later on as the result
of the discovery of further facts.

Bertrand Russell, The scientific outlook. Chapter II: Caracteristics of scientific method. London, 1954, p. 58

A partir du texte:
1. Quels sont les pas de la méthode scientifique?
2. Quels expressions l’on utilisé pour parler d’une hypothèse acceptée?
5. QU’EST-CE QU’UNE THÉORIE SCIENTIFIQUE?

Nous avons compris la sorte de processus qui implique l’exigence scientifique lors de l’évaluation d’un argument. Il s’agit ici de
comprendre la façon comme une théorie est établie en sciences.

La manière dont la science parvient à ses convictions est entièrement différente de celle de la théologie
médiévale. L'expérience a montré qu'il était dangereux de partir de principes généraux et de procéder par
déduction, d'abord parce que les principes peuvent être faux, ensuite parce que le raisonnement basé sur ces
principes peut être erroné. La science part, non d'hypothèses générales, mais de faits particuliers, découverts
par observation ou par expérimentation. À partir d'un certain nombre de ces faits, on parvient à une règle
générale, dont, si elle est vraie, les faits en question sont des cas particuliers. Cette règle n'est pas
positivement affirmée, mais acceptée pour commencer comme hypothèse de travail. Si elle est correcte,
certains phénomènes non encore observés doivent se produire dans certaines circonstances. Si l'on constate
qu'ils se produisent effectivement, cela contribue à confirmer l'hypothèse ; sinon, il faut la rejeter et en
inventer une autre. Quel que soit le nombre de faits qui confirment l'hypothèse, cela ne la rend pas certaine,
bien qu'on puisse finir par la considérer comme hautement probable : dans ce cas, on l'appelle « théorie » et
non plus « hypothèse ». Un certain nombre de théories différentes, reposant chacune sur des faits, peuvent
servir de base à une hypothèse nouvelle et plus générale dont, si elle est vraie, elles dérivent toutes ; et
aucune limite ne peut être fixée à ce processus de généralisation. Mais si, pour la pensée médiévale, les
principes les plus généraux étaient le point de départ, pour la science, ils constituent un aboutissement
provisoire, tout en pouvant devenir plus tard des cas particuliers d'une loi plus générale encore.

Bertrand RUSSELL, Science et religion (1935), chap. 1 « Terrains de conflits », trad. P.-R. Mantoux, 0
Gallimard, « Folio »,1990.
A partir du texte:
1. Quel est le contraire de la déduction? Faites un tableau comparatif de ces deux termes et leurs modes d’opération
2. Sous quelles conditions l’on appelle quelque chose une théorie et non plus une hypothèse?
3. A partir du texte, qu’est-ce qu’une théorie scientifique?

***

VIDÉO-DÉBAT: Expliquer ou comprendre


Chaine « La philo en petits morceaux » (Youtube)

6. SCIENCES DURES, SCIENCES MOLLES ?


La science fascine et fait peur. On lui voue même un culte. Notre époque qui ne croit plus en rien croit pourtant
très fort en la science au point même d’en faire une sorte d’idole au sens le plus archaïque: elle est à la fois
vénérée et crainte. En effet, la science semble le seul élément un tant soit peu solide et fiable au sein d’un
monde désenchanté et spontanément sceptique ; pourtant, ses applications sont souvent perçues comme des
menaces terrifiantes : OGM, nanotechnologie, nucléaire, clonage… Bref, la science rassure et terrorise tout à la
fois, à l’instar des divinités de jadis.
Cette divinité moderne a deux faces : l’une est dure (mathématiques, physique…), l’autre molle (histoire,
sociologie…). D’un côté, les sciences exactes de la démonstration et de l’expérimentation, qui semblent solides
parce que « vérifiables ». De l’autre, les sciences de l’homme ou de l’esprit, dont la scientificité et le sérieux ne
cessent d’être soumis à caution, même si elles paraissent plus «  sympathiques  » et accessibles que les
premières.
En réalité, cette distinction est plus complexe. D’abord, les sciences dures ne le sont pas tant que ça. David
Hume (1711-1776) l’avait bien perçu. Aucune science, disait-il, n’a jamais rien vérifié. Prenons une
proposition du type : «  Tous les cygnes sont blancs.  » Pour démontrer sa validité universelle, il faudrait
inspecter tous les cygnes vivants, ce qui est déjà difficile ; mais aussi tous les cygnes passés et futurs, ce qui
est impossible. La science, conclut Hume, ne traite pas du vrai mais seulement du probable. En cela, elle n’est
au fond pas très éloignée de la croyance. Faudrait-il donc être sceptique ? Pas du tout, ajoute le grand
philosophe des sciences Karl Popper (1902-1994), car le but de la science n’est pas de vérifier des hypothèses
mais au contraire de les réfuter, de les « falsifier ». Si l’on ne peut jamais être certain que « tous les cygnes sont
blancs  », il suffit de rencontrer un cygne noir pour être sûr que cette proposition est erronée. Il sera alors
absolument vrai que c’est faux ! Voilà donc ce que recherche la science : non pas produire des vérités vérifiées,
mais bâtir des hypothèses qui s’exposent à la réfutation. D’où l’importance de la communauté scientifique
comme espace ouvert de « conjectures et réfutations ».
Mais à côté de ces sciences, finalement pas si dures, les sciences molles sont parfois tentées de jouer aux
dures ! La sociologie voudra ainsi « traiter les phénomènes sociaux comme des faits » (Émile Durkheim), voire
produire une «  physique sociale  » (Auguste Comte). De son côté, l’histoire prétendra restituer les faits «  tels
qu’ils se sont réellement passés  », etc. Tout se passe comme si ces disciplines jalousaient la supposée
exactitude des sciences exactes et entendaient l’imiter. C’est là une bien périlleuse tentation, car leur
domaine n’est pas celui de la nature et des choses, mais de l’homme et du sens de ses actions. On risquerait
donc de perdre l’homme à trop vouloir le décrire comme un mécanisme ou comme une chose. Alors que les
sciences exactes visent l’explication des phénomènes naturels, les sciences humaines ont un autre but : elles
cherchent la compréhension du sens des faits humains. Les unes insistent sur la causalité, les autres
privilégient la signification, tout en sachant l’une et l’autre que la cause ou le sens ultime leur échappera
toujours. Et cette lucidité n’empêche pas la rigueur ; au contraire, elle la permet.
Des sciences dures qui cherchent sans cesse à dévoiler leurs propres erreurs ; des sciences molles qui
enquêtent en toute rigueur sur un sens inaccessible. On voit qu’il n’y a vraiment aucune raison d’idolâtrer la
science, c’est-à-dire de la craindre ou de la vénérer.

Article issu du Philo magazine n°53 septembre 2011

1. Etablissez un tableau comparatif des types de sciences citées ici

L’article nous dessine l’approche de Popper que la vidéo nous a préalablement présenté. Pour lui, le propre du savoir scientifique est
sa condition de « falsifiabilité ». Ainsi, afin qu’une théorie soit reconnue comme «  scientifique  », il convient qu’elle possède ce
caractère distinctif que c’est la falsifiabilité : une théorie n’est scientifique que si ses énoncés sont susceptibles d’être soumis à des
protocoles d’expérimentation capables d’en montrer la vérité ou la fausseté. Une théorie doit pouvoir être réfutée par l’expérience.
Si ce n’est pas le cas alors elle n’est pas scientifique. Jusqu’ici nous aurions dû retenir que la science ne parle à proprement parler de
«  vérité  ». Dans le langage scientifique, une théorie n’est pas «  vraie  » mais validée par expérimentation, ou tout simplement
hautement probable. Pour Popper, une théorie non est vraie, mais « falsifiable ».

7. C’EST QUOI DONC LA SCIENCE?

Notre analyse nous a permis de comprendre le mode de fonctionnement de la science. Nous avons découvert que celle-ci est une
réalité humaine qui, comme la démocratie, repose sur les débats d’idées, bien que ses modes de vérification soient plutôt rigoureux.
Malgré cela, les grandes théories admises tendent à se dogmatiser, et les grands innovateurs ont toujours eu du mal à faire
reconnaitre leurs découvertes. L’épisode que nous vivons aujourd'hui peut donc être le bon moment pour faire prendre conscience,
aux citoyens comme aux chercheurs eux-mêmes, de la nécessité de comprendre que les théories scientifiques ne sont pas absolues
comme les dogmes des religions, mais biodégradables…6.

*A partir de cet exercice sur la science, définissez avec vos mots le concept de science :)

6 https://lejournal.cnrs.fr/articles/edgar-morin-nous-devons-vivre-avec-lincertitude

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