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LAUWERS Laetitia LMUSI2450 Art et musique Séminaire de décembre 2019

André Caplet, Le Miroir de Jésus (1924) et la


peinture renaissante italienne
INTRODUCTION

La musique et la peinture semblent toujours avoir eu bon nombre d’affinités.


Cependant, certains contextes artistiques semblent avoir été particulièrement propices à
l’élaboration d’œuvres établissant des ponts entre les deux arts. C’est le cas notamment de la
période de l’entre-deux-guerres, animée par un vent de retour à l’art sacré et prônant, dans les
Beaux-Arts, un retour aux peintres italiens de la Renaissance et, en musique, une redécouverte
du répertoire de Palestrina et de Victoria. Ce double retour aux sources renaissantes a invité
certains artistes à croiser les disciplines d’une manière particulière, comme l’a fait André
Caplet dans Le Miroir de Jésus. Créé en 1924 au Théâtre du Vieux-Colombier, cet oratorio
tripartite composé du « Miroir de joie », du « Miroir de peine » et du « Miroir de gloire »
(selon la structure des Mystères du Rosaire), s’inspire de sources renaissantes tant musicales
que picturales. La volonté de Caplet de fournir une peinture de ces Mystères et clairement
exprimée dans les paroles clamées par trois voix , juste après le titre : « Quinze petits poèmes
sur les saints mystères du Rosaire qu’Henri Ghéon composa et qu’André Caplet de musique
illustra ».

Au vu du contexte de retour à l’art renaissant dans l’entre-deux-guerres, et de la


volonté claire du compositeur d’ « illustrer de musique » des poèmes consacrés aux Mystères
du Christ, il convient de se poser la question suivante : quels parallèles peut-on établir entre
l’art musical de Caplet dans Le Miroir de Jésus et la peinture renaissante italienne (XVe
siècle) ?

Le présent travail a été réalisé principalement sur base de l’article de Dominique


Escande, « La transposition de l’art du Quattrocento dans Le Miroir de Jésus (1925) d’André
Caplet et ses résonances avec le nouvel art sacré ». Nous n’en avons pas repris la totalité, mais
seulement certains extraits sélectionnés selon plusieurs critères. D’abord, ils devaient être
suffisamment fournis en détails pour permettre de justifier de manière convaincante les
parallèles entre l’œuvre de Caplet et tel tableau – ce qui n’était pas toujours le cas. Ensuite,
nous avons uniquement retenu les extraits focalisés sur le lien entre la musique et la peinture,
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plutôt que ceux qui concernent des aspects purement musicologiques. Enfin, nous avons
choisi de ne pas aborder les quelques liens que Dominique Escande établit avec le nouvel art
sacré car ils sont moins fréquents et moins justifiés dans l’article.

Les informations contenues dans ces extraits seront présentées selon trois angles
d’approche permettant d’identifier des transpositions de caractéristiques de l’art pictural
renaissant dans Le Miroir de Jésus. La structure formelle de l’œuvre sera d’abord évoquée de
manière générale, puis sera approfondie dans l’étude de la circonscription de la partition par
l’instrumentation, les prélude et les voix d’accompagnement. Ces deux premiers points
établiront des parallèles entre Le Miroir de Jésus et des traits généraux de la peinture
renaissante. La troisième partie se concentrera plus spécifiquement sur deux toiles qu’il est
possible de mettre en lien avec le langage musical élaboré par Caplet.
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PRÉSENTATION (Power Point commenté)


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André Caplet est souvent (et injustement) considéré comme un simple épigone de Claude
Debussy (avec qui il a noué une amitié sincère et collaboré 1). Or, il a développé un style
personnel et authentique dominé par l’expression de sa foi chrétienne. Il est l’un des
principaux rénovateurs de la musique sacrée française (repris par Olivier Messiaen). Il a
notamment introduit le religieux dans la musique instrumentale.
Son œuvre majeure et Le Miroir de Jésus, un oratorio de structure tripartite (Miroir de joie,
Miroir de peine, Miroir de gloire), qui correspond à la structure du Rosaire (trois chapelets, le
premier pour les Mystères joyeux, le second pour les Mystères douloureux, et le troisième
pour les Mystères glorieux).
Dans cet oratorio créé en 1924 au Théâtre du Vieux-Colombier, Caplet adapte l’esprit du
plain-chant aux techniques modernes de son temps.

1
Debussy a en effet confié à Caplet la tâche d’orchestrer les actes 2 à 4 du Martyre de Saint Sébastien en 1911,
ainsi que de diriger la première représentation. (ORLEDGE Robert, « Caplet, André (Léon) », dans Grove Music
Online, https://www-oxfordmusiconline-com.:2443/grovemusic/ view/10.1093 (page consultée le 13 novembre
2019).
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L’oratorio illustre 15 sonnets d’Henri Ghéon (sonnets à thématique religieuse, qui relatent,
comme dans les mystères du Moyen-Âge, les principaux événements de la vie de Jésus).
Les premières paroles chantées par trois « voix d’accompagnement » après avoir déclamé le
titre sont : « 15 petits poèmes sur les Saints Mystères du Rosaire qu’Henri Ghéon composa et
qu’André Caplet de musique illustra ». Ce terme fait directement allusion aux techniques
d’illustration picturales.
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La circonscription désigne, en peinture, la manière de tracer les contours. Cette citation

d’André Caplet lui-même permet d’identifier quels moyens il a mis en œuvre pour « tracer les
contours » de sa partition, moyens qui sont aussi des moyens d’unification de l’ensemble.
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Chaque « Miroir » est précédé d’un prélude qui définit son caractère.
Chacun de ces préludes a donc une fonction expressive, et non représentative. Ils permettent
d’unifier l’ensemble par de grandes « surfaces » expressives. Or, les trois passions qu’ils
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expriment (la sérénité, la douleur et la joie) sont trois typologies expressives très présentes
dans l’art pictural du XVe siècle.

Ce que André Caplet nomme les « voix d’accompagnement » sont divisées en deux groupes :
les « choryphées (ou voix d’enfants) » (au nombre de 3 dans la première proposition) et le
« chœur » (composé de 16 personnes).
Les trois « coryphées » déclament les titres et les sous-titres a cappella et apparaissent de
manière ponctuelle dans la partition. Ces voix ont une fonction purement décorative // la
fonction des anges dans la peinture de la Renaissance italienne.
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Ce tableau du Couronnement de la Vierge de Filippo Lippi (1441-1447) présente des


techniques de différenciation d’expression comparables aux procédés employés en musique.
En effet, les expression des anges sont définies par la direction de leurs regards (parallèles ou
dissociés) et par l’impression de sérénité ou l’absence de sourire ; tout comme, dans la
partition de Caplet, les expressions sont suscitées par des mouvements de voix parallèles,
ascendants ou descendants, et sont toujours très retenues et codifiées.

Dans ces deux toiles, les anges ont simplement une fonction de soutien et d’accompagnement.
Il en est de même du rôle des anges dans la partition : leurs thèmes ou mélodies répétés,
soumis à la prosodie du texte, dégagent une impression de monotonie ou d’absence de
caractérisation. Ces voix remplissent la même fonction de soutien et d’accompagnement que
les anges en peinture.
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Grâce à la présence de ces voix d’anges peuplant la partition : comme chez les peintres
primitifs, on retrouve une succession de tableaux complets, viables par eux-mêmes, tout en
formant un vaste ensemble uni par une pensée conductrice.

Piero della Francesca, La Nativité (vers 1470-1475) : la disposition des personnages semble
avoir inspiré la section « La nativité » de Caplet. En effet, le chœur encadre la scène, focalisée
musicalement sur le chant de la Vierge contemplant son nouveau-né
Fra Angelico, L’Annonciation (vers 1430-1432) : la sérénité de la Vierge qui se dégage de ce
tableau est illustrée par le tempo lent et l’irisation des timbres mêlant les cordes aux glissandi
de la harpe. Lorsque la tessiture du morceau s’élève, cela provoque un effet sonore semblable
au halo de lumière qui traverse la toile de Fra Angelico. La toile et la partition présentent un
autre aspect commun : l’une et l’autre sont une peinture simple et claire, facile à retenir et
émouvante, de cette scène bien connue de l’évangile.

CONCLUSION
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Le retour à l’art renaissant qui s’effectue dans l’entre-deux-guerres et la volonté du


compositeur d’illustrer les poèmes d’Henri Ghéon font du Miroir de Jésus une œuvre
hautement figurative.
Caplet s’inscrit pleinement dans le contexte artistique de son époque : il donne un souffle
nouveau à l’art sacré en puisant son inspiration dans les œuvres musicales et picturales de la
Renaissance. Cependant, si Caplet réexploite des sujets très fréquemment illustrés par les
peintres renaissants et s’il s’inspire des expressions qu’ils ont réussi à susciter par leurs toiles,
il ne se limite pas à cela. En effet, il cherche également à transposer, dans sa musique, jusqu’à
la forme même des tableaux. Leur structure, leur disposition, leurs contours, Caplet tente de
se les réapproprier pour mettre en exergue le calme, la noblesse d’allure et la maitrise qui
caractérisent l’art italien renaissant.

BIBLIOGRAPHIE

ALTHAPARRO-MINCK Patricia, « André Caplet (1878-1925) : Le miroir de Jésus », dans


André Caplet. Le miroir de Jésus, [CD audio], Paris, Durand, 1996.
ESCANDE Dominique, « La transposition de l’art du Quattrocento dans Le Miroir de Jésus
(1925) d’André Caplet et ses résonances avec le nouvel art sacré », dans CARON S. et
DUCHESNEAU M. (dir.), Musique, art et religion dans l’entre-deux-guerres, Lyon, Symétrie,
2009, p. 335-346.
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ORLEDGE Robert, « Caplet, André (Léon) », dans Grove Music Online, https://www-
oxfordmusiconline-com.:2443/grovemusic/ view/10.1093 (page consultée le 13 novembre
2019).

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