La chaleur d'hydratation
Il faut ici s’intéresser à deux aspects du problème: la quantité finale Q(∞) de chaleur
dégagée et qui donne la cinétique de dégagement de chaleur.
La quantité finale dépend de nombreux facteurs. Les principaux sont :
– la composition du clinker. Tous les constituants du ciment n’apportent pas la
même contribution en termes de dégagement de chaleur. On notera l’influence
du C3A et du C3S (tableau 6.2). En général, ce dernier étant prépondérant dans
les ciments, la chaleur d’hydratation en sera largement dépendante.
– les ajouts. Lorsque l’on remplace une partie du clinker par des fillers inertes,
une cendre volante, des fumées de silice, etc., la chaleur finale en est modifiée.
La valeur de Q(∞) doit alors être estimée en tenant compte des différentes réactions,
qui de plus peuvent être couplées [SCH 92, WAL 00] ;
– la composition du béton, le dosage en ciment et le rapport E/C, notamment. La
chaleur dégagée dépend évidemment du dosage en ciment. Dans le cas des
bétons à faible E/C, l’hydratation peut être incomplète, ce qui réduira la quantité
de chaleur dégagée;
– le pourcentage d’armatures. Pour des pièces très ferraillées, la quantité de chaleur
dégagée peut être réduite de manière significative.
La cinétique de réaction est, quant à elle, fonction :
– de la composition du clinker: tous les composants ne réagissent pas à la même
vitesse. On notera cependant que C3S et C3A qui réagissent le plus rapidement
sont également les hydrates dont la réaction dégage le plus de chaleur [COP 60];
– de la surface spécifique du ciment. Plus cette surface est importante plus le
ciment sera réactif;
– des ajouts. Les réactions pouzzolaniques sont plus lentes que l’hydratation du
ciment. On a donc une modification de la cinétique de dégagement de chaleur;
– des adjuvants. Sans parler des accélérateurs et retardateurs de prise, les fluidifiants,
par exemple, ont un effet d’écran vis-à-vis de l’hydratation du ciment
[BUI 84];
– de la quantité de chaleur déjà dégagée Q(t) et de la température absolue T(t).
Cette dépendance s’exprime au moyen de la loi d’Arrhénius qui traduit le caractère
thermoactivé de la réaction [REG 80, BYF 80]:
(2)
où Ea est l’énergie d'activation de la réaction et R la constante des gaz parfaits.
Cette loi est fondamentale dans la modélisation du béton au jeune âge. Elle a deux
conséquences. La première est que le paramètre Q ne peut pas être éliminé entre l’équation de la
chaleur et la loi d’Arrhénius. En d’autres termes, l’état thermique du
béton ne peut être décrit uniquement à l’aide de la température. On a besoin de connaître
la quantité de chaleur dégagée Q(t) ou le degré d’hydratation1 ξ = Q(t)/Q(∞).
La loi d’Arrhénius est une véritable loi d’évolution de ce paramètre. Le degré d’hydratation
est calculé, au même titre que la température, par la résolution des équations
présentées.
La seconde conséquence est qu’il suffit d’effectuer un essai calorimétrique, qui
donne f(Q), pour prédire le taux de chaleur générée sous différentes conditions.
Il existe plusieurs méthodes expérimentales calorimétriques (comparées notamment
dans [WAI 92] et [LIV 91]) pour la détermination de l’évolution du dégagement
de chaleur pendant l’hydratation. Les plus courantes pour le béton sont:
– la calorimétrie adiabatique; elle repose sur le fait que, en conditions parfaitement
adiabatiques (tout échange de chaleur est empêché vers le milieu extérieur,
dont la température est maintenue, par asservissement, égale à la température au
coeur de l’éprouvette), la quantité de chaleur dégagée est déductible de l’élévation
de température par simple multiplication par la capacité thermique du béton
(en supposant celle-ci constante);
– les essais semi-adiabatiques; ces essais recourent à un matériel plus simple et
moins coûteux : on suit au long de l’hydratation la température d’une éprouvette
de béton, de diamètre 16 cm et de hauteur 32 cm, placée, dès sa fabrication, dans
une boîte calorifugée, dont on connaît les déperditions thermiques; il est dès lors
possible de revenir à une courbe adiabatique théorique en corrigeant la courbe
des températures mesurées des pertes du calorimètre et en traduisant la thermoactivation
à l’aide de la loi d’Arrhénius [ACK 88]. La comparaison d’essais au
calorimètre adiabatique et d’essais semi-adiabatiques montre cependant que,
même après correction, il existe une différence entre les résultats obtenus à partir
des deux appareils. Cela peut provenir de la réaction elle-même: les températures
atteintes ne sont pas les mêmes dans les deux appareils, et il est possible que
la quantité Q(∞) dépende de la température. La manière de corriger les résultats
de l’essai semi-adiabatique (qui suppose un régime permanent de pertes) peut
aussi être incriminée [SED 93]. Selon l’épaisseur des pièces à étudier, on pourra
donc utiliser ou pas l’essai semi-adiabatique. Pour les pièces très massives, on
lui préférera l’essai adiabatique.
La loi d’Arrhénius est également à la base du concept de temps équivalent. Le
temps équivalent te est celui qu'il aurait fallu à la réaction d’hydratation pour at-teindre, à 20 °C, son
état actuel (mesuré par exemple par le degré d’hydratation Suivant ce concept, on peut, à partir d’une
courbe maîtresse (relation résistancetemps
équivalent) prévoir les résistances au jeune âge du béton [BYF 80,
CAR 83, TOR 92, DAL 93]. C'est ce principe qui est utilisé sur chantier dans les
maturomètres pour prédire les résistances à court terme [CHA 96].
Dans la loi d’Arrhénius le paramètre fondamental est l’énergie d’activation Ea. Il
a été mis en évidence aussi bien expérimentalement que par modélisation et simulations,
que Ea dépend d'abord du ciment [BRE 82, DAL 02], puis de l’adjuvantation,
de la température, de l’avancement de la réaction d’hydratation [BRE 82,
DAL 93], de la durée de la période dormante (notamment si elle très longue)
[DAL 04].
Comme ce paramètre est absolument fondamental dans la prévision de la résistance,
des efforts particuliers ont été faits pour sa détermination. Les travaux de
[DAL 04] ont permis de définir une méthode de détermination de Ea. Ce paramètre
peut être également déterminé sur MBE (mortier de béton équivalent) à l’aide
de calorimètres Langavant [DAL 98]. Enfin, une réflexion collective a également
abouti à des recommandations applicables aux chantiers utilisant la méthode
[DAL 04]. Ces recommandations portent sur: la régularité de la fabrication, le
choix des points de mesures de la température dans l’ouvrage, le choix de l’instrumentation,
l’étalonnage au laboratoire et sur chantier, et la mise en place de
contrôles de conformité. Plus récemment, des travaux ont été conduits afin d’étudier
l’influence de la maturité au décoffrage sur la qualité des parements en béton
et la durabilité du béton de peau [NAC 02].
Le problème thermique fait également intervenir des conditions aux limites. En
général, celles-ci s'expriment comme un flux de chaleur à travers les surfaces
d’échanges:
(4)
où Ts est la température de surface et Text la température du milieu ambiant. Le
coefficient λ modélise globalement le processus d'échange avec le milieu extérieur,
en caractérisant la plus ou moins grande isolation du béton en fonction du
type de coffrage choisi (bois, métal, bâche isolante, surface libre) et des données
climatiques (surface ventilée ou abritée) [LAP 82]. λ peut ainsi varier de 0,5 à
6 W/m2/K [ACK 88]. Pour des structures très élancées (comme les dalles de pont
par exemple), une estimation correcte de la valeur des coefficients d'échange est primordiale et un
calage de ces paramètres par rapport au chantier souvent nécessaire 1.
Lorsque tous les paramètres des équations (1), (2) et (4) sont bien maîtrisés, la simulation
des températures est en bon accord avec l’expérience (voir par exemple
[TOR 95]). Il est donc possible de prédire les élévations de température, de tester
l'effet de formulations différentes, de durée avant décoffrage, etc., dès lors que le
problème industriel le justifie.
4.5.2. Comportement mécanique
À partir des champs de température et de degré d’hydratation, et en supposant une
décomposition des déformations en parties élastique, inélastique, retrait, fluage et
thermique, on peut estimer les champs de contraintes. Les modèles utilisés sont
fondés sur des concepts variés et dépassent le cadre de cet ouvrage. On trouvera
des exemples de modélisations dans [BOU 92, TOR 95, ACK 96, SCH 02], [SCH
04] ou [ACK 04].
5. CONCLUSION
La fissuration la plus pénalisante pour la durabilité des ouvrages en béton est la
fissuration précoce. Elle donne, en effet, des fissurations ouvertes. Elle est, en
pratique, toujours évitable. Voici cinq précautions élémentaires pour prévenir
presque toutes les fissurations précoces (il faut noter que les quatre premières relèvent
des règles de l’art qui devraient être toujours appliquées):
– composer le béton de manière à ce que son dosage en éléments fins (ciment
compris) soit optimal (mélange à porosité minimale), et choisir la dimension du
plus gros granulat compatible avec la dimension du coffrage et l’encombrement
de l’armature. On réduit ainsi le risque de fissures par tassement du béton frais et
on assure une rétention correcte de l’eau de gâchage;
– appliquer une brumisation ou choisir un produit de cure efficace; l’appliquer
correctement et en temps voulu au dosage recommandé. On réduit et parfois
même on supprime ainsi le risque de fissuration plastique;
– veiller à la régularité des approvisionnements et de toutes les opérations de la
chaîne de mise en oeuvre;
– prendre en compte, dès la conception de l’ouvrage, le risque de retrait thermique
après prise dans le cas des ouvrages de masse;
– s’affranchir du risque de retrait thermique dans le cas d’ouvrages traités thermiquement
en soignant le procédé de préfabrication et, notamment, la durée de cure, la vitesse de montée en
température et de refroidissement, et la température
maximale au coeur de la structure.
Revenons au cas des bétons traités thermiquement mis à profit surtout dans les
usines de préfabrication afin d’accélérer leurs acquisitions de résistances. En
1983, Marc Mamillan pouvait écrire: « le traitement thermique constitue le
moyen le plus efficace pour obtenir la résistance nécessaire au démoulage en
quelques heures ». Ceci n’est plus tout à fait exact aujourd’hui. Le développement
des bétons de hautes performances, avec l’usage d’adjuvants et d’ajouts minéraux
(et notamment des fumées de silice, qui font maintenant partie de certains ciments)
a montré qu’il était possible d’obtenir des résistances mécaniques très élevées
à des âges inférieurs à 24 heures, et ceci pour un coût global qui est du même
ordre.
Il faut ajouter à cela que les formulations modernes – celles des BHP notamment
– conduisent à une augmentation des résistances finales, en même temps qu’à une
amélioration de la plupart des caractéristiques qui contribuent à la durabilité du
matériau.