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1.

INTRODUCTION
L’accès à la justice est un droit fondamental consacré par divers instruments
juridiques nationaux et internationaux. Ainsi, la Déclaration universelle des droits de
l’Homme de 1948 qui se présente dans son domaine comme l’idéal à atteindre par
les Peuples et les Nations, stipule en son article 8 que :

«Toute personne a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales


compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui sont
reconnus par la constitution ou par la loi ».

Plus loin, son article 10 souligne que :


«Toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue
équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui
décidera, soit de ses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute
accusation en matière pénale dirigée contre elle ».

L’accès à la justice est aussi un concept central pour toutes les questions touchant à
la justice en ce qu’il est un indicateur de la bonne qualité du fonctionnement des
institutions judicaires. En règle générale, il exprime la possibilité de porter une affaire
devant une juridiction pour faire valoir ses droits ou demander réparation lorsque ces
derniers ont été bafoués.

Mieux, l’accès à la justice a un caractère transversal puisqu’il renvoie à la thématique


générale de promotion de la bonne gouvernance. C’est probablement en raison de
son importance, qu’au Niger, divers mécanismes ont été, soit institués par la loi, soit
développés par la pratique juridictionnelle ou associative en vue de garantir
l’effectivité de ce droit humain fondamental. Cette évolution est d’autant plus
pertinente que l’emprise du droit sur les différentes manifestations de la vie
économique, politique et sociale, devient de plus en plus forte.

Paradoxalement, il est ressorti de nombreuses analyses que sous l’angle de l’accès


notamment, la justice est encore loin de répondre aux attentes des justiciables.
Même s’il est possible de voir dans certaines de ces critiques la manifestation d’une
défiance plus globale vis-à-vis de l’autorité publique, leur récurrence en dit long sur
une réalité dont les contours ne semblent pas totalement maîtrisés.

En effet, l’accès à la justice est certes libre, mais inégal compte tenu des barrières
multiformes qui séparent cette institution des justiciables. Ces barrières sont
géographiques, économiques, culturelles, sociales, psychologiques/temporelles.
Qu’elles agissent cumulativement ou isolément, elles traduisent les défis majeurs
auxquels l’institution judiciaire doit faire face pour contribuer au développement en
libérant l’Homme de la peur de l’oppression.

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2. LE DEFI RELATIF AUX BARRIERES ECONOMIQUES :

Ces distances économiques portent notamment sur :

 L’accès non équitable à la défense :


Même si l’accès à la justice est gratuit, le plaideur doit faire face aux frais
d’établissement des actes de procédure et surtout ceux relatifs à l’accès à la
défense. En effet, les chances d’un plaideur de faire valoir ses points de vue
et de défendre ses droits devant une juridiction, sont subordonnées dans de
nombreux cas, à l’assistance d’un professionnel (avocat). Ces derniers sont
organisés au sein d’un Barreau rattachés à la Cour d’appel de Niamey, et sont
compétents pour assister et/ou représenter les parties aux procès.
Actuellement, le Barreau du Niger se compose de cent dix-sept (117) avocats
titulaires et quinze (15) avocats stagiaires, qui sont en mesure, nonobstant la
modestie de leur nombre, de faire face au volume du contentieux existant.

Toutefois, du fait de la situation de pauvreté d’une grande partie de la


population, le nombre de dossiers dans lesquels des avocats sont constitués
demeure marginal au regard du nombre total des affaires traitées par la
justice. En d’autres termes, l’assistance d’un défenseur professionnel reste
encore exceptionnelle, et limitée aux couches relativement aisées de la
population. Ainsi, la différence de situation matérielle facilite la défense des
droits des uns, et rend aléatoire la promotion des droits des autres ;

 L’inadéquation de l’offre de justice à la demande correspondante :


Le ratio nombre de magistrats/nombre d’habitants reste très faible au Niger.
Le pays compte moins de trois cent (300) magistrats pour une population
estimée à plus de dix-sept (17) millions d’habitants. La faiblesse des effectifs
actuels de magistrats et de greffiers ne permet pas d’appliquer pour l’instant,
toutes les dispositions de la loi d’organisation judiciaire, et conséquemment de
répondre à toutes les demandes de justice. L’indigence des ressources
matérielles et financières affecte négativement les conditions de travail du
personnel judiciaire et conséquemment son rendement. Du fait de ce qui
précède, il en résulte un profond déséquilibre entre l’offre et la demande de
justice. Ce déséquilibre se nourrit surtout de la quasi-absence d’avocats
installés hors de Niamey. Cette situation engendre dans beaucoup de cas une
impossibilité physique pour les justiciables résidant hors de Niamey, d’accéder
aux services d’un avocat. Pire, elle se ressent dans la qualité des décisions de
justice dont certaines sont mal rédigées parce que la défense n’a pas été
assurée.

La concentration des avocats à Niamey est liée à l’absence d’un marché


«porteur» à l’intérieur du pays du fait notamment de la forte centralisation qui
caractérise le système administratif et politique nigérien.
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Elle semble être aussi la conséquence d’un système procédural qui fait de
l’intervention de l’avocat une faculté et cela dans tous les domaines et à tous
les niveaux de juridiction ;

3. LE DEFI INHERENT AUX DISTANCES GEOGRAPHIQUES :


LA FAIBLESSE DU MAILLAGE JUDICIAIRE :
En dépit des efforts fournis par les pouvoirs publics pour améliorer le
«maillage» du territoire national au plan juridictionnel, l’accès des populations
à la justice en terme géographique, reste un défi considérable au Niger. En
tout état de cause, il est loin d’être satisfaisant du fait d’une implantation des
juridictions qui n’est pas toujours fonction d’une distribution les tâches tenant
compte de la répartition des populations et de la demande de justice.
L’implantation des juridictions ne tient pas non plus compte de l’enclavement
de certaines zones du pays. Du fait de ce qui précède, l’accès à la justice
demeure une pure virtualité pour certaines populations notamment rurales,
particulièrement celles qui résident dans les zones enclavées. Les audiences
foraines qui devaient servir de palliatif à l’éloignement de certains justiciables
de la justice ne se tiennent que de façon irrégulière faute d’une bonne
planification et d’un soutien financier adéquat. De plus, lorsqu’elles arrivent à
se tenir, elles se limitent, dans la pratique, à des audiences d’état-civil, alors
qu’elles devraient en principe couvrir tous les contentieux.

4. LE DEFI LIE AUX BARRIERES CULTURELLES :


L’ANALPHABETISME ET LE PLURALISME JURIDIQUE :
Le contexte nigérien est caractérisé par un fort taux d’analphabétisme des
adultes ce qui limite l’accès de ces derniers au droit et aux procédures qu’il
prévoit. Cette population ne connaît pas les lois et les procédures judiciaires
existantes et perçoit la justice non pas comme un service public chargé de
protéger et de reconnaître ses droits, mais sous l’angle du spectre répressif.
Dès lors, elle craint d’y recourir où d’y être attraite au point que de nos jours
encore, l’une des sources de fierté d’un paysan est d’affirmer qu’«il n’a jamais
mis pied dans un cabinet de juge ».

L’emprise négative de l’analphabétisme sur l’accès à la justice pour une partie


de la population nigérienne est amplifiée par le pluralisme juridique lequel lui
confère un véritable effet de grossissement. En effet, le droit nigérien est
caractérisé par la coexistence d’un droit écrit dit moderne produit par l’Etat,
avec un droit coutumier né de la volonté populaire et fortement influencé par
des règles du droit musulman. Ce faisant, le droit nigérien devient en soi
difficile d’accès car sa dualité le rend insaisissable et encourage des
manipulations au détriment de certaines couches de la population notamment
les femmes.

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5. LE DEFI INHERENT AUX DISTANCES SOCIALES :
LA FAIBLESSE DE LA COMMUNICATION JUDICIAIRE :
La culture d’autorité innerve toute l’institution judiciaire en ce que son emprise
est si forte que la justice semble éprouver des difficultés à se concevoir et à
apparaître comme un service public. L’opinion la perçoit comme une institution
renfermée dont elle ignore les règles et procédures qui apparaissent très
complexes à ses yeux. L’institution judiciaire semble avoir intériorisé fortement
la logique d’autorité au point qu’elle n’a pas su développer une communication
appropriée susceptible de changer sa perception aux yeux des justiciables et
conséquemment son accessibilité. Ainsi, l’accueil des justiciables dans les
services judiciaires reste une source de préoccupation. L’émiettement des
juridictions a contribué à dérouter davantage le justiciable qui cherche
manifestement un dispositif susceptible de l’informer et l’orienter.

6. LE DEFI RELATIF AUX BARRIERES TEMPORELLES/PSYCHOLOGIQUES :


LA LENTEUR DANS LE TRAITEMENT DES DOSSIERS JUDICIAIRES :
En dépit de l’absence d’indicateurs fiables et renseignés sur l’efficacité du
système judiciaire nigérien, les informations disponibles dans ce domaine font
état de la persistance de trop longs délais de traitement des affaires judiciaires
aussi bien devant les juridictions inférieures que devant les hautes juridictions.
Cet allongement des procédures est imputable à :
i) La mise en délibéré des affaires souvent pour plusieurs mois avec des
possibilités de prorogation une ou deux fois. Quelquefois, le délibéré est
rabattu pour reprise des débats ;
ii) Les renvois souvent intempestifs ordonnés parfois pour des motifs légers ;
iii) Les retards dans la rédaction des décisions en ce que lorsqu’une décision
de justice est rendue, il s’écoule un délai souvent très long entre la date de
son prononcé et celle à laquelle elle sera rédigée.
Cette lenteur observée dans le traitement des dossiers judiciaires contribue à
détourner les justiciables des juridictions, et à rechercher d’autres voies pour
le règlement de leurs différends.

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