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L’information des droits de la défense dans le procès pénal

La procédure pénale est obsédée par la maîtrise de l’information. L’efficacité des investigations
suppose qu’elles ne soient pas connues des personnes qui ne participent pas à la procédure, et
justifie que les personnes concernées ne soient pas prévenues des actes réalisés. Ce souci d’efficacité
des investigations préparatoires doit toutefois se concilier avec l’efficacité des droits de la défense.
À cet égard, le premier des droits de la défense est sans doute d’être informé de l’existence de ces
droits. La croissance des droits de la défense s’est donc accompagnée de l’information sur ces droits
de la défense. Le meilleur exemple concerne l’encadrement de la garde à vue. Depuis la loi n° 93-2 du
4 janvier 1993, et la création de l’obligation d’informer la personne gardée à vue d’un certain nombre
de droits, l’attention portée aux droits du suspect n’a cessé de croître, ainsi que l’obligation
corrélative d’en informer la personne. De nombreuses réformes sont intervenues depuis, jusqu’à ce
que soit consacré un droit à l’information dans le cadre des procédures pénales1. Ce « droit d’être
informé de ses droits procéduraux »2 dépasse la seule garde à vue et démontre l’importance de
porter à la connaissance des personnes concernées par une procédure pénale les droits dont elles
sont titulaires.

Ratio legis. Ces informations relatives aux droits de la défense poursuivent plusieurs objectifs. Il peut
s’agir de compenser la vulnérabilité du suspect pendant la phase d’enquête. Il peut également s’agir
de faire respecter une forme de loyauté aux autorités en charge des investigations et d’assurer une
forme d’équilibre de la procédure pénale. L’information des droits de la défense permet le respect
du droit à un procès équitable, en portant à la connaissance des personnes concernées les droits
qu’elles peuvent exercer. Pourtant, l’augmentation de l’information des droits de la défense ne
s’accompagne pas nécessairement d’une augmentation des pouvoirs processuels des parties. En ce
sens, le procès pénal reste dominé par une asymétrie d’informations entre l’autorité publique et les
parties privées3.

Titulaires du droit à l’information. Le droit d’être informé des droits de la défense appartient aux
personnes concernées par la procédure pénale. La victime de l’infraction est constamment informée
de ses droits4. Rappelée au deuxième paragraphe de l’article préliminaire du Code de procédure
pénale, cette obligation se retrouve aux articles 10-2 et 10-3 du Code de procédure pénale.
L’information délivrée est importante et concerne : le droit d’obtenir réparation du préjudice, le droit
de se constituer partie civile, d’être assisté par un avocat, d’être aidé par des associations, de saisir la
CIVI, d’être informé sur les mesures de protection existantes, etc. « Installée » dans le procès pénal5,
la victime bénéficie d’une information complète sur ses droits procéduraux mais aussi non
procéduraux. Pendant l’instruction, la partie civile doit être informée de l’état d’avancement de
l’information6. Lorsqu’une mesure dite alternative aux poursuites est mise en œuvre, la victime
bénéficie également d’une information, destinée à préserver son droit à réparation7. Une certaine
confusion peut même exister lorsque la victime est entendue pendant l’audience en qualité de
témoin et se constitue ensuite partie civile, avant les réquisitions du ministère public8. L’information
apportée à la victime sur la possibilité de se constituer partie civile prend alors tout son sens,
puisque, faute d’avoir la qualité de partie, la victime ne peut être assistée par un avocat9.

Au contraire de la victime, le suspect ne bénéficie pas d’un droit général d’être informé tout au long
de la procédure pénale. Pour préserver la recherche de la vérité, le législateur ne prévoit cette
information que ponctuellement et graduellement, selon la phase procédurale concernée. Il existe
une « concordance nécessaire entre la notification expresse d’un droit et son exercice effectif par la
personne soupçonnée ou poursuivie »10, de sorte que lorsqu’un droit ne peut pas être exercé, il
n’est pas porté à sa connaissance. Le droit d’être informé, « préalable indispensable à la
contradiction »11, n’est pleinement effectif que lorsque la personne est poursuivie et a, en
conséquence, accès au dossier.

Évolution du droit à l’information. « “Vaches sacrées” de l’époque actuelle »12, les droits de la
défense « constituent un objet juridique mal identifié parce qu’ils ne sont pas définis de façon précise
et que leur contenu est assez largement incertain »13. C’est donc par leur fonction qu’il convient de
les appréhender : « protéger les intérêts de la personne poursuivie dans le procès pénal »14. Deux
situations sont alors à distinguer. Durant la phase d’enquête, les droits procéduraux sont notifiés au
suspect qui n’a pas d’accès général aux informations détenues par les enquêteurs. Par la suite, si le
suspect est poursuivi, le jeu du contradictoire suppose qu’il s’informe lui-même pour pouvoir exercer
ses droits de la défense, ce qui requiert qu’il ait accès aux informations détenues par les autorités. Le
droit à l’information prend donc la forme d’un droit à la notification (I) ou d’un droit d’accès aux
informations (II).

I – La notification des droits de la défense

Lorsque l’information des droits de la défense est délivrée au suspect, elle est parcellaire, en ce sens
qu’elle ne porte pas sur l’ensemble des droits de la défense, ce qui suppose d’en expliquer le contenu
(A). La délivrance de cette information est loin d’être neutre pour le suspect, de sorte qu’il convient
d’en étudier les effets (B).

A – Le contenu de l’information

L’information est délivrée tout au long du procès pénal, mais son contenu varie selon la phase du
procès pénal. Les références à l’obligation d’information sont nombreuses, qu’il s’agisse de
l’information délivrée lors de l’audition libre15, la garde à vue16, de l’audition d’un témoin assisté17,
de l’interrogatoire de première comparution18, de l’audience de placement en détention
provisoire19 ou de la phase de jugement20. Dans chacune de ces circonstances, l’information est
destinée au suspect ou à la personne poursuivie. L’information délivrée varie en fonction de la
situation procédurale de la personne. Il s’agit, pour l’audition libre, de la qualification, de la date et
du lieu présumés de l’infraction ; du droit de quitter les lieux ; du droit d’être assisté par un
interprète ; du droit de faire des déclarations, de répondre aux questions ou de se taire ; du droit
d’être assisté par un avocat ; de la possibilité de bénéficier de conseils juridiques dans une structure
d’accès au droit. Pour la garde à vue, il s’agit de l’information du placement en garde à vue, de sa
durée et des prolongations possibles ; de la qualification, de la date et du lieu présumés de
l’infraction ; des motifs de la garde à vue ; du droit de faire prévenir un proche et l’employeur21 et
de communiquer avec ces personnes ; du droit d’être examiné par un médecin ; du droit d’être
assisté par un avocat ; du droit de consulter certaines pièces du dossier22 ; du droit de présenter des
observations au procureur de la République ou au juge des libertés et de la détention.

Étrangement, l’information portée à la connaissance du prévenu ou de l’accusé peut sembler légère


comparativement à la personne suspectée entendue librement ou en garde à vue. En effet, au cours
de l’audience, le président a seulement pour obligation d’informer la personne poursuivie de son
droit d’être assisté par un interprète, et de son droit de faire des déclarations, de répondre aux
questions posées ou de se taire23. La différence est logique : lors de la phase de jugement, la
personne poursuivie a accès à l’ensemble des informations qui seront discutées contradictoirement.
En conséquence, l’information des droits de la défense peut être résiduelle à ce stade.

Malgré ces références fréquentes à l’information devant être délivrée au suspect ou à la personne
poursuivie, l’article préliminaire du Code de procédure pénale ne consacre pas une obligation
générale d’information des droits de la défense, au contraire de l’information délivrée à la victime. Le
deuxième paragraphe précise en effet que « l’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie
des droits des victimes au cours de toute procédure pénale ». En revanche, il ne prévoit pas une
obligation semblable pour les personnes suspectées ou poursuivies. Certes, il est fait référence à
l’équilibre des droits des parties, au droit d’être informé des charges retenues et d’être assisté d’un
défenseur, mais on cherchera en vain dans l’article préliminaire une référence à une information des
personnes suspectées ou poursuivies au cours de toute procédure pénale. La seule obligation
générale, prévue à l’article 803-6 du Code de procédure pénale, concerne les personnes faisant
l’objet d’une mesure privative de liberté. La création européenne d’un « statut juridique du
suspect »24 n’a donc pas entraîné de généralisation de l’information des droits de la défense. Malgré
l’augmentation de l’obligation d’information, de nombreux actes ne s’accompagnent d’aucune
information particulière : la privation de liberté ou le jugement sont les principaux instants d’une
procédure où l’information mérite d’être délivrée.

L’absence d’information ou le caractère incomplet de l’information délivrée confirme le caractère


profondément déséquilibré de la procédure pénale. Cette limitation du contenu de l’information des
droits de la défense se justifie par l’inutilité de délivrer une information qui ne correspondrait pas à
un droit invocable. L’asymétrie du procès pénal en général, et de sa phase préparatoire en
particulier, peut être tout entière résumée dans cette délivrance d’informations parcellaires. Si
l’information est une arme procédurale, sa maîtrise obéit inévitablement à une stratégie : ce qui est
révélé compte tout autant que ce qui ne l’est pas. La loi oblige la délivrance d’une information
précise, mais laisse également une grande marge de liberté aux acteurs judiciaires. Le procès pénal
est organisé autour de la recherche de la vérité, confiée aux autorités judiciaires. En conséquence,
cette finalité prime sur l’exercice des droits de la défense, qui ne peuvent être effectivement exercés
que lorsque les éléments de preuve ont été recueillis. Il est donc cohérent que l’information sur ces
droits de la défense ne soit pas pleine et entière au stade où ces droits ne peuvent guère être mis en
œuvre.

L’information délivrée n’a donc pas pour objet de permettre un plein exercice des droits de la
défense, mais s’analyse davantage en un rééquilibrage procédural destiné à éviter une trop grande
disparité dans l’hypothèse d’une privation de liberté. Cette différence de pouvoirs se traduit
également par les effets limités de cette information.

B – Les effets de l’information

La procédure pénale a ceci de particulier que les droits de la défense peuvent être exercés par des
personnes qui ne sont pas encore parties à la procédure. La tautologie voudrait alors que les droits
de la défense susceptibles d’être exercés soient ceux qui ont été portés à la connaissance de la
personne. Pourtant, des droits peuvent être notifiés sans qu’ils puissent être exercés. Ensuite,
l’importance de la notification est telle qu’il est nécessaire de s’intéresser à la sanction de l’absence
d’information.

Notification des droits sans exercice. Il existe pourtant des hypothèses où l’information délivrée ne
permet pas d’exercer le droit porté à la connaissance du suspect. Ces cas concernent par exemple
l’audition immédiate du gardé à vue, sans attendre l’expiration du délai de deux heures pour
l’intervention de l’avocat, autorisée par le procureur de la République25. Des raisons impérieuses
tenant aux circonstances particulières de l’enquête, soit pour permettre le bon déroulement
d’investigations urgentes, soit pour prévenir une atteinte grave et imminente à la vie, à la liberté ou à
l’intégrité physique d’une personne, permettent également de reporter l’intervention de l’avocat 26.
Ce report est également prévu pour les infractions relevant de la criminalité organisée27. L’on songe
également au cas où le procureur de la République décide de reporter l’information du proche28.
Informé d’un droit, le suspect peut donc être dans l’incapacité de l’exercer si cela constitue un
obstacle trop important à la manifestation de la vérité.

Sanction de l’absence d’information. Dès lors que l’information relative aux droits de la défense doit
être délivrée, il est nécessaire de sanctionner les manquements à cette obligation. Par exemple, la
méconnaissance de l’obligation d’informer le prévenu de son droit de faire des déclarations, de
répondre aux questions qui lui sont posées, ou de se taire, fait nécessairement grief29. La
jurisprudence est également riche de décisions relatives à la notification tardive des droits du gardé à
vue, considérée comme une cause de nullité d’ordre privé assimilée à une cause de nullité d’ordre
public. Tout retard dans la notification des droits, non justifié par une circonstance insurmontable,
porte nécessairement atteinte aux droits de la personne concernée30. Sous cette sévérité apparente,
la Cour de cassation fait en réalité preuve d’une certaine souplesse, soumettant parfois la nullité en
cas d’absence d’information à la preuve d’un grief. Il en va ainsi de l’absence de remise du formulaire
exigé par l’article 803-6 du Code de procédure pénale31, ou de l’absence d’information sur la date et
le lieu présumés de l’infraction32. Dans le même esprit, la notification au gardé à vue d’un mauvais
motif de garde à vue n’entraîne pas la nullité de la mesure. La Cour de cassation précise qu’il
incombe à la chambre de l’instruction de contrôler que la mesure de garde à vue remplit les
exigences de l’article 62-2 précité, et que dans l’exercice de ce contrôle, elle a la faculté de relever un
autre critère que celui ou ceux mentionnés par l’officier de police judiciaire33. Elle préserve
également la validité du placement en garde à vue lorsque, privé de liberté pour une infraction
donnée, le suspect est interrogé sur d’autres infractions : seules les auditions effectuées sont
annulées s’il en est résulté une atteinte effective aux intérêts du suspect34. L’absence d’information
est donc sanctionnée, mais de manière variable selon l’information omise. Les nécessités de la
recherche de la vérité justifient que le suspect ne dispose pas à ce stade d’un droit à tout savoir, au
contraire de l’instant où toute l’information devra lui être accessible.

II – L’accès aux informations

Lorsque le suspect devient poursuivi, devant une juridiction d’instruction ou de jugement, le dossier
de la procédure doit être mis à sa disposition. Cette question de l’accès au dossier est révélatrice des
jeux de pouvoirs pendant la phase préparatoire du procès pénal (A). Une nouvelle forme de mise à
disposition de l’information se développe : la motivation des décisions (B).

A – L’accès au dossier

Ce n’est que lorsque l’information est complète, par l’accès au dossier, que la défense peut être
entière, grâce au jeu du contradictoire.

Une fois partie au procès, la victime aura accès au dossier, au cours de l’instruction35 ou du
jugement36. Il en va de même pour le suspect pendant l’instruction37 ou le jugement38. Tant que la
victime ou le suspect n’est pas partie au procès pénal, il n’existe pas de droit d’accès à l’information
détenue par les autorités. Le procureur peut toutefois permettre l’accès au dossier : il a la maîtrise de
l’information délivrée pendant la phase d’enquête39. Ultérieurement, les parties obtiendront
également l’information leur permettant d’exercer les droits de la défense, grâce à la motivation de
la décision.

Pendant l’enquête. Pour la Cour de cassation, l’absence d’accès au dossier pendant cette phase ne
porte pas atteinte aux droits de la défense, l’accès au dossier étant pleinement effectif lors de la
phase de jugement, au cours de laquelle d’éventuelles irrégularités de l’enquête pourront être
soulevées par la personne poursuivie40. Il n’y aurait donc pas d’intérêt à délivrer une information
complète à un stade où aucun juge ne peut être saisi pour statuer sur la régularité d’un acte. La Cour
européenne n’y voit pas d’atteinte aux règles du procès équitable, considérant « que des restrictions
à l’accès au dossier aux stades de l’ouverture d’une procédure pénale, de l’enquête et de
l’instruction peuvent se justifier par, notamment, la nécessité de préserver le secret des données
dont disposent les autorités et de protéger les droits d’autrui »41. Dès lors, « l’article 6 de la
Convention ne saurait être interprété comme garantissant un accès illimité au dossier pénal dès
avant le premier interrogatoire par le juge d’instruction, lorsque les autorités nationales disposent de
raisons relatives à la protection des intérêts de la justice suffisantes pour ne pas mettre en échec
l’efficacité des investigations »42.

Au stade de l’enquête, le procureur de la République est ainsi le maître de la délivrance de


l’information. La loi du 3 juin 2016 a certes modifié les règles d’accès au dossier, mais de manière
très parcellaire. Le nouvel article 77-2 du Code de procédure pénale prévoit deux hypothèses dans
lesquelles le procureur de la République peut communiquer le dossier de l’enquête. Cette
communication peut d’abord intervenir à la demande de la personne suspectée entendue librement
ou gardée à vue. La demande de communication peut être faite un an après l’audition. Le procureur
ne mettra le dossier à disposition que si l’enquête lui paraît terminée et qu’il envisage de poursuivre
la personne par citation directe ou convocation par procès-verbal. Dans cette hypothèse, la victime
doit également être informée de sa possibilité de consulter le dossier. Cette communication peut
ensuite intervenir à l’initiative du procureur de la République, à tout moment de la procédure.
L’entier dossier peut être communiqué, ou seulement une partie, au suspect ou à la victime. Le
procureur est le seul décideur : « Si la demande est permise, l’accès n’est pas garanti »43. Le Code de
procédure pénale n’a d’ailleurs prévu aucune obligation d’information sur ce droit, certes très virtuel,
d’accès au dossier de l’enquête, de sorte qu’il apparaît comme un droit de la défense très relatif. Ce
« semblant de contradictoire dans la phase de clôture de l’enquête »44 apparaît donc bien illusoire.
Cette « avancée tout à fait modeste » consacre ainsi la « conception française de l’enquête, qui
considère la personne mise en cause comme un sujet passif de la procédure »45. Ainsi doté d’un rôle
quasi-juridictionnel46, le procureur de la République préserve une grande liberté dans la
communication de l’information, ce que confirme l’absence de recours contre un éventuel refus de
communication, sans pour autant que cela heurte le droit à un recours juridictionnel effectif47.

Une solution simple, qui permettrait de concilier les exigences de recherche de la vérité propres à la
phase policière et les droits de la défense, consisterait à prévoir un accès complet au dossier, à
l’image de l’instruction, « à partir du moment où la personne est déférée au parquetier qui va
orienter la procédure »48. Il ne s’agirait que d’une anticipation relative de l’accès au dossier qui
permettrait à la personne suspectée de mieux préparer sa défense. Une telle hypothèse ne devrait
pas prospérer en l’état du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice49,
qui ne contient aucune disposition relative à une meilleure information au stade de l’enquête. Cela
ne fait que confirmer que le procureur de la République est l’homme fort de la procédure pénale :
ses pouvoirs se renforcent sans qu’il en aille de même pour les droits de la défense 50. Les différentes
informations portées à la connaissance du suspect pendant l’enquête apparaissent dès lors bien
insuffisantes à permettre l’équilibre de cette phase du procès pénal.

Pendant l’instruction et le jugement. L’information délivrée permet d’exercer les droits de la


défense. Ainsi, la personne entendue librement ou gardée à vue connaît l’infraction qui lui est
reprochée : il s’agit pour elle de se défendre sur une qualification précise. La délivrance de
l’information cadre ainsi les questions qui peuvent être posées au suspect. L’information apportée
peut également permettre d’élaborer une stratégie dans le cadre des procédures négociées. Au
stade de l’instruction, lorsque l’accès au dossier est rendu possible, l’information obtenue conjuguée
à la saisine in remdu juge d’instruction fixe les limites des investigations réalisées. Au stade du
jugement, la qualification est davantage figée : s’il appartient aux juges répressifs de restituer aux
faits dont ils sont saisis leur véritable qualification, c’est à la condition que le prévenu ait été mis en
mesure de se défendre sur la nouvelle qualification envisagée51. Exceptionnellement, la
requalification peut même être interdite : c’est le cas de la correctionnalisation judiciaire légalisée52,
opérée par l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel53, qui fige définitivement la
qualification retenue.

Une fois l’information accessible aux parties, l’égalité des armes doit être respectée. Le principe du
contradictoire exige que chaque élément de preuve soit soumis à la discussion contradictoire : c’est
une obligation que de porter à la connaissance des parties les éléments du débat. Mais le
contradictoire n’est qu’un droit de la défense parmi d’autres54, de sorte qu’informé de son droit de
se taire, le prévenu ou l’accusé peut décider d’adopter une défense passive. S’il est essentiel à
l’exercice des droits de la défense, il ne faudrait toutefois pas réduire cet exercice au seul accès au
dossier. « À river sa lecture au seul dossier d’instruction ou de police, l’avocat reste prisonnier du
prisme de l’accusation, des problématiques échafaudées par les policiers et le juge d’instruction.
Certes, il doit les analyser pour les critiquer. Mais, il ne peut cantonner son argumentaire à la seule
réfutation des moyens de l’accusation. Il se doit d’affirmer ceux de la défense, de développer des
arguments nouveaux, extérieurs au dossier »55.

B – L’accès à la motivation

La motivation revêt une grande importance en matière pénale, en ce qu’elle permet la


compréhension par un accusé de sa condamnation, qu’elle démontre « aux parties qu’elles ont été
entendues et, ainsi, de contribuer à une meilleure acceptation de la décision. En outre, elle oblige le
juge à fonder son raisonnement sur des arguments objectifs et préserve les droits de la défense »56.
L’évolution des rôles des acteurs de la procédure pénale fait apparaître de nouvelles exigences de
motivation.

La motivation des jugements. Une nouvelle forme d’information permettant l’exercice des droits de
la défense apparaît avec la motivation des décisions. Cette motivation n’est certes pas une
nouveauté s’agissant de la décision relative à la culpabilité de l’individu. Toutefois, sous l’influence de
la Cour européenne des droits de l’Homme, de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel, de
nouvelles formes de motivation sont apparues, qui permettent aux parties d’avoir une pleine
connaissance des éléments ayant justifié une décision. Le premier mouvement a concerné la
motivation des arrêts d’assises, instaurée par la loi du 10 août 201157. Plus récemment, la Cour de
cassation est venue poser le principe de la motivation des peines correctionnelles58. Le Conseil
constitutionnel a ensuite posé le principe de la motivation de la peine prononcée par les cours
d’assises59. Enfin, la Cour de cassation a étendu cette obligation de motivation aux peines
contraventionnelles60. La motivation permet donc à la personne concernée d’exercer son droit au
recours en toute connaissance de cause. Certes, la motivation des décisions des tribunaux
correctionnels n’est le plus souvent rédigée que si un appel est formé, mais le principe et la
complétude de cette motivation permettront un exercice éclairé du droit d’appel. L’article 502,
alinéa 2, du Code de procédure pénale prévoit que l’appel peut être limité aux peines prononcées, à
certaines d’entre elles ou à leurs modalités d’application : l’exigence de motivation du prononcé de la
peine peut ainsi permettre que la peine prononcée soit la plus adaptée61.

La motivation des ordonnances du JLD. Surtout, la Cour de cassation porte désormais une attention
particulière à la motivation des ordonnances du juge des libertés et de la détention autorisant un
acte extraordinaire d’investigation. Dans deux arrêts du 23 novembre 201662, la chambre criminelle
a ainsi précisé que l’exigence légale de motivation « s’impose au regard des droits protégés par la
Convention européenne des droits de l’Homme et en tenant compte de l’évolution du statut et du
rôle juridictionnel du juge des libertés et de la détention voulue par le législateur ; que cette
motivation constitue une garantie essentielle contre le risque d’une atteinte disproportionnée au
droit au respect de la vie privée [ou à la liberté individuelle] de la personne concernée et doit
permettre » au justiciable de connaître les raisons précises pour lesquelles l’acte a été autorisé. La
nécessité de cette motivation ne permet certes pas, en l’état, d’offrir à la personne concernée un
recours immédiat contre la décision du juge des libertés et de la détention. Toutefois, elle est une
manière d’informer le suspect sur les raisons ayant justifié l’autorisation de l’acte et, ainsi, de mieux
exercer sa défense lorsque la régularité de l’acte pourra être remise en cause. L’équilibre lors de la
phase d’enquête n’est pas encore atteint, mais les droits du suspect en sortent malgré tout quelque
peu renforcés, puisqu’il a la possibilité d’être informé pour exercer ensuite ses droits de la défense.

Dans le même ordre d’idée, le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la
justice prévoit toutefois d’inclure un nouvel article 802-2 du Code de procédure pénale qui
permettrait à toute personne ayant fait l’objet d’une perquisition ou d’une visite domiciliaire d’en
demander l’annulation devant le juge des libertés et de la détention, si aucune poursuite n’a été
exercée six mois après l’accomplissement d’un tel acte. Un tel contrôle juridictionnel intervenant
pendant l’enquête est révélateur de la nouvelle place du juge des libertés et de la détention au cours
de l’enquête. Serait ainsi créée la possibilité de contester la régularité d’un acte avant la saisine d’un
juge d’instruction ou d’une juridiction de jugement. Ce recours compenserait l’extension des
pouvoirs d’enquête. L’on ne peut que regretter que cette évolution du rôle du juge des libertés et de
la détention, futur « juge de la légalité de la procédure »63, soit, une fois de plus, envisagée de
manière parcellaire64, sans réflexion globale sur son rôle dans la phase d’enquête. Cette
contestation pourrait être élargie à d’autres actes de l’enquête. L’accès à l’information permettant
d’exercer les droits de la défense a donc vocation à croître, lentement et progressivement.

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