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Magali Ayache, Hervé Dumez
Magali Ayache
ESCP-Europe et Université Paris-Ouest
Hervé Dumez
CNRS / École Polytechnique
http://crg.polytechnique.fr/v2/aegis.html#libellio
AEGIS le Libellio d’
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Volume 7, numéro 2
Le texte montre que le risque de circularité a été perçu très clairement par le maître
viennois. Sa réponse est l’obligation de se mettre à l’écoute de la totalité du matériau
(ici le discours du patient au cours de la cure), l’analyste s’interdisant de choisir dans
ce matériau, au moins dans un premier temps pour ne pas polluer l’analyse par ses a
priori. Transposée, cette technique signifie qu’il faut lire plusieurs fois l’ensemble de
son matériau de recherche de la première à la dernière page (comptes rendus
d’entretiens, documents, etc.) en s’interdisant de « stabilobosser » quoi que ce soit ou
de prendre des notes, pour s’imprégner de l’ensemble du matériau en tant que
totalité. C’est en procédant ainsi que l’attention flottante peut conduire au repérage
de thèmes récurrents. C’est ainsi en tout cas qu’Erikson voit les choses dans le cadre
de la cure psychanalytique :
[...] what Freud has called « free-floating attention », an attention which
turns inward to the observer’s ruminations while remaining turned outward
to the field of observation, and which, far from focusing on any one item too
intentionally, rather waits to be impressed by recurring themes. (Erikson,
1958, p. 72)
La réponse au risque de circularité donnée par la théorisation ancrée est l’exacte
antithèse de la démarche freudienne : elle consiste au contraire dans une première
étape à découper systématiquement tout le matériau (sans résidu aucun) en unités de
sens, et à coder ces unités de sens. Comme on le sait, ces unités de sens peuvent être
un paragraphe, quelques phrases, une phrase seule, une expression ou même un mot.
Comme on le sait également, ce découpage est un casse-tête pour tous ceux qui
entendent présenter la démarche du codage aux néophytes : ce découpage est le
fondement même de la démarche. Or, personne ne sait exactement pourquoi et
comment un mot ou une phrase peuvent parfois constituer une unité de sens, et
parfois n’être pas considérés en eux-mêmes comme des unités de sens et être alors
noyés dans une unité de sens plus vaste. Et si le choix du découpage reste finalement
une décision du chercheur, n’est-on pas tombé, avant même d’avoir commencé le
codage proprement dit, dans le bon vieil impressionnisme méthodologique de la
subjectivité éclairée du chercheur ? Laissons de côté cette première aporie, et
continuons. Une fois le découpage en unités de sens de la totalité du matériau
effectué, la deuxième étape consiste à associer à chacune de ces unités de sens une
phrase ou un paragraphe qui en explique l’essence. Il s’agit là du coding, c’est-à-dire
du codage proprement dit. La troisième est la réduction du code, c’est-à-dire de la
phrase essentielle, en un mot : il s’agit du naming2. La quatrième est la réduction des
étiquettes, pour identifier des concepts. La cinquième, appelée parfois codage axial,
est la recherche de relations entre les concepts (il existe de très nombreuses
présentations de la théorisation ancrée – on peut, entre beaucoup d’autres, se
reporter à Dumez, 2004).
2. Le fait que le français
« codage » recouvre à la
Le dilemme : le codage « pur » est impossible en pratique, le codage fois les mots anglais coding
théorique est un oxymore et naming rend beaucoup de
textes méthodologiques
Depuis des années, l’un des auteurs, avec Alain Jeunemaître, fait faire un exercice de parus en français ambigus
codage aux étudiants des masters de recherche Gestion et Dynamique des et flottants. En ne faisant
pas cette distinction, ils
Organisations (GDO) et Management des Organisations et des Politiques Publiques présentent en effet le
(MOPP). Un exposé est fait sur ce qu’est le codage selon la théorisation ancrée, puis codage comme le simple
un compte rendu d’entretien est distribué avec tâche pour les étudiants, répartis en étiquetage d’une unité de
petits groupes, de réaliser un exercice pratique. Ce dernier dure une heure et demi. À sens par un mot. Encore une
l’issue de l’exercice, une page et demi a généralement été codée en moyenne. Encore, fois, ceci n’est pas le codage
à proprement parler et nous
une année, un groupe composé de deux étudiantes s’excusa-t-il : « Nous n’avons pas allons, à plusieurs reprises,
dû bien comprendre le sens de l’exercice, nous n’en sommes qu’à la moitié de la revenir dans ce texte sur ce
problème central.
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page 1 ». Il fallut expliquer que c’était ce groupe qui avait sans doute le mieux
compris la démarche… C’est exactement le sens de l’exercice : faire comprendre aux
étudiants ce qu’est un codage réel – découpage des unités de sens, coding, naming,
sans même parvenir aux questions de réduction des codes, de saturation desdits
codes, de recherche des relations entre les concepts… – et son impossibilité
pratique. Si le codage prend à peu près une heure par page, même avec un effet
d’apprentissage (dont il faut d’ailleurs se méfier, le codage ne devant surtout pas
devenir automatique), le codage de 30 entretiens de 15 pages en moyenne (estimation
basse) prend 450 heures, et celui de 50 entretiens 750 heures. À raison de six heures
de codage par jour, il faut compter environ trois à quatre mois temps plein en
s’accordant juste les dimanches. En pratique, le codage « pur », façon théorisation
ancrée originelle, est probablement impossible. Ce qui relativise beaucoup tout ce qui
a été écrit sur le sujet3.
D’où l’évolution qu’a connue la technique avec des références centrales et
postérieures, façon Strauss et Corbin (1998) ou Miles et Huberman (2003). D’où l’idée
de codage théorique. On n’affronte plus le matériau brut en se forçant par un codage
systématique à casser tout préjugé venant de cadres théoriques, on code en référence
à des questions théoriques prédéfinies. Mais, bien évidemment, on retombe dans le
problème de la circularité évoqué plus haut et magnifiquement présenté par le maître
viennois. Le codage demeure-t-il codage, s’il devient « théorique » ? On peut en
douter.
Par ailleurs, si le codage « pur » est impossible en pratique, il comporte
probablement une erreur fondamentale dans sa conception.
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Cette idée se combine avec une autre naïveté : deux chercheurs codant
indépendamment le même matériau devraient parvenir à un même découpage en
unités de sens et à un même étiquetage, ce double codage étant censé garantir la
rigueur scientifique de la démarche. Il est même possible, disent certains textes, de
calculer les taux de recouvrement des deux codages indépendants. On est ici en plein
scientisme. Et le flottement est tel qu’il arrive de voir des travaux qui se réclament
d’un paradigme interprétativiste et expliquent en même temps sans sourciller qu’ils
ont pratiqué le double codage sur le matériau ! Par ailleurs, s’il faut deux à trois mois
à temps plein pour coder une trentaine ou plus d’entretiens, on serait vraiment
curieux de savoir comment s’est opéré le double codage, et qui a accepté de passer les
deux mois temps plein à double coder pour un doctorant ou un collègue… On
répondra qu’on peut échantillonner. C’est impossible sur un codage « pur » dans
lequel il faut saturer les catégories trouvées. C’est possible sur un codage
« théorique » (les catégories sont données par la théorie et on les retrouve dans le
matériau). Mais quel est alors l’intérêt du double codage ? Confirmer la circularité de
la démarche ? Si les catégories sont données par la théorie, c’est au contraire les
dissonances du codage qui sont seules potentiellement intéressantes : elles sont en
effet susceptibles de révéler des anomalies. C’est donc sur le non-recouvrement des
deux codages qu’il faudrait travailler, pas sur les confirmations de codage entre
codeurs indépendants.
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peu comme procède Socrate dans Le Sophiste pour essayer de caractériser la pêche à
l’hameçon, découpant successivement chaque catégorie en deux catégories exclusives
– A et non A pour aboutir à la définition de cette activité – technè). Dans la réalité,
tout objet, tout être, appartient évidemment à de multiples catégories. D’autre part,
le fait de chercher un nom de catégorie pousse à ne saisir les ressemblances que de
très loin, en aboutissant à des catégories fourre-tout difficiles à manier et qui
n’éclairent pas grand’chose. Le codage se révèle ainsi décevant : on voulait sauver la
richesse extrême du matériau et on se retrouve avec des catégories très générales et
appauvrissantes… C’est que les catégories trop générales ne permettent pas un
travail fécond sur des ressemblances et différences : les ressemblances sont trop
vagues (regroupant des unités de sens trop diverses) et les différences sont trop fortes
pour être précises (du fait justement de cette diversité). Le travail réel de
comparaison à partir de ressemblances/différences doit porter sur des catégories qui
n’opèrent pas une trop grande montée en généralité et sur des différences qui ne
soient pas trop profondes.
Le codage multinominal
Récapitulons. Chaque unité de sens découpée peut renvoyer – et renvoie
généralement en pratique – à plusieurs catégories ou noms. Le codage, dès lors, doit
être multiple ou plurinominal. Les éléments de sens doivent être rapprochés d’autres
éléments de sens selon des systèmes de ressemblances distincts. Imaginons qu’une
recherche ait été menée, par entretiens, dans différents secteurs, sur les relations
clients-fournisseurs. Si l’on veut tester le fait qu’il y ait « un point de vue client » et
un « point de vue fournisseur », il faut coder ce que disent les acteurs selon qu’ils
appartiennent à un client ou à un fournisseur. On ne peut pas coder une unité de sens
selon ce dont elle parle (la confiance par exemple), sans tenir compte du fait qu’il
s’agit du discours d’un client ou d’un fournisseur. Peut-être, in fine, s’apercevra-t-on
qu’il n’y a pas de différence significative dans les discours tenus, selon qu’on est
client ou fournisseur. Mais on ne peut mener l’analyse de la manière dont est perçu le
phénomène de la confiance, si on n’a pas codé à la fois autour du phénomène de la
confiance et autour de l’appartenance de celui qui tient le discours. L’unité de sens
renvoie à la fois à ce qui est dit de la confiance et à un point de vue possible. Un
codage peut également porter sur le statut de l’acteur qui parle : ce dernier est-il au
contact régulier client-fournisseur, ou est-il en position de décider sans être
réellement au contact ? Si l’on prend les discours des PDG des clients et des
fournisseurs, et celui des équipes qui travaillent sur les projets développés en
commun, on peut faire l’hypothèse que le discours sur la confiance ne sera pas le
même. Il faut donc que le codage permette le travail sur les ressemblances/différences
en étant multiple, donc en permettant de rapprocher une unité de sens de plusieurs
séries d’autres unités de sens, selon des natures différentes de ressemblances.
Premier point donc, le codage apparaît naturellement plurinominal, chaque unité de
sens renvoyant à plusieurs mots exprimant plusieurs séries possibles de
ressemblances. Associer l’idée de codage à l’idée qu’une unité de sens doit être placée
sous une seule étiquette apparaît très réducteur.
Second point, ce codage plurinominal doit être hiérarchisé et la hiérarchisation la
plus simple est le codage binominal. L’idée est ancienne, elle vient d’Aristote via la
scolastique et s’exprime traditionnellement ainsi : « Definitio fit per genus proximum
et differentiam specificam » (la définition procède par le genre le plus proche et la
différence spécifique). Ce type d’approche a connu un développement scientifique
puissant dans les sciences de la vie avec Linné. Toute espèce est définie par le nom du
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que les alliances horizontales et verticales n’étaient peut-être pas de même nature, et
demandaient donc une analyse séparée, et qu’en même temps, elles étaient peut-être
interdépendantes. Dans l’extrait cité, on s’aperçoit que l’on pourrait s’attendre à une
alliance verticale Lufthansa et DFS dans une logique nationale (le principal client
allemand du fournisseur de service de contrôle aérien allemand s’allie à ce dernier),
qui se combine avec une alliance verticale non nationale (un client allemand
important du contrôle aérien suisse s’allie avec le fournisseur de service de contrôle
suisse), qui conduirait à une sorte de triple alliance combinée horizontale et verticale
(Lufthansa, DFS, Skyguide). Or ce n’est pas ce qui se produit. Skyguide s’allie avec
la France. Donc, il semble y avoir indépendance possible, c’est ici le cas, entre les
alliances verticales et horizontales. La question de recherche qui émerge est :
comment et pourquoi ?
Une chose saute aux yeux (et l’exemple a été choisi pour cette raison) : le codage
multiple (monominal, binominal et trinominal) est aussi long que l’unité de sens
codée. L’unité de sens n’est pas rapprochée d’une seule série d’autres unités de sens,
comme dans le codage classique (par exemple, « stratégies d’alliances »). Elle est
rapprochée de tous les extraits qui concernent l’Allemagne, de tous les extraits qui
concernent la Suisse, de tous les extraits qui concernent les acteurs du changement,
et particulièrement de la sous-série qui concerne les compagnies aériennes comme
acteurs du changement, de tous les extraits qui concernent les modalités du 5. C o m m e d a n s t o u t e
démarche de codage sont
changement, et plus particulièrement la sous-série sur les alliances, qui se décompose également apparus des
elle-même encore en deux autres sous-séries, les alliances verticales et les alliances codes « hapax », c’est-à-
horizontales. Dès lors, le travail sur les ressemblances et différences implique un dire un code renvoyant à
travail sur un total maximal de sept séries constituées par les différents codes. À une seule et unique unité de
l’issue du codage, le matériau apparaît quadrillé de multiples manières et non d’une sens. Sur plus de deux cents
pages de matériau, un
seule. Les codes sont multiples, hétérogènes et bricolés (nous y reviendrons, ici des acteur est seul à évoquer la
codes portant sur les pays, simples étiquettes, coexistent avec des codes binominaux possibilité de l’existence de
reposant sur une approche genre/différence spécifique, et même trinominaux parce corruption dans le secteur.
que cela est apparu potentiellement intéressant)5. Le fait que personne d’autre
n’ait évoqué ce fait veut-il
Lors de l’ensemble du processus de codage, une idée centrale est apparue : le lien dire qu’il s’agit d’une
entre la problématique des frontières organisationnelles et celle des subventions aberration individuelle, ou
croisées. Tout changement des frontières visibilise des flux (notamment financiers) et que la corruption existe, de
manière très limitée ou plus
en opacifie d’autres, il révèle des subventions croisées ou les voile (Dumez & génér ale, mais que
Jeunemaître, 2010). personne n’en parle (ce qui
serait assez normal si elle
Cette approche a été rendue possible sur 200 à 300 pages de matériau par plus d’une existe bel et bien) ? Les
semaine bloquée et intense (minimum huit heures par jour) de codage. Le codage codes hapax sont un des
multiple rend évidemment mieux compte de la richesse et de l’ambiguïté des unités casse-tête de la pratique du
de sens qu’un codage de type étiquetage mononominal. Conduisant à un quadrillage codage, qui ne peut, encore
une fois, être rendu
du matériau selon plusieurs entrées sérielles, il fait surgir plus de résultats. Mais, il est
totalement rigoureux : faut-
évidemment complexe. Sur des volumes de matériau plus importants, il peut il les considérer comme ces
apparaître d’une lourdeur décourageante. petits faits inexpliqués qui
peuvent renverser les
Il est alors possible de tenter une autre approche. théories les mieux admises,
ou comme un « bruit »
Le codage multithématique normal dans la démarche de
codage ? Le chercheur est
Une autre voie a été recherchée par le second auteur de ce papier. La recherche porte seul à décider. Le travail de
sur l’étude de la relation entre les managers et leur supérieur hiérarchique. Elle a été ressemblance/différence ne
de nature abductive. Une première phase a été menée, avec pour orientation peut cependant pas
fonctionner dans ce cas, le
théorique les questions de justifications et d’acceptations dans l’action managériale chercheur se trouvant face à
(Ayache & Laroche, 2007 ; Ayache, 2008). Durant cette phase, vingt entretiens semi- une différence pure sans
référence à une
ressemblance possible.
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directifs à partir d’un guide inspiré par ces orientations théoriques ont été conduits
avec des managers, pour un total d’environ trois cents pages de retranscription. Cette
phase a abouti à l’élaboration d’un modèle de la relation entre le manager et son
supérieur (Ayache & Laroche, 2010). À partir de là, une seconde campagne
d’entretiens a été menée. Les entretiens sont restés semi-directifs, le guide prenant les
éléments du modèle comme simple orientation théorique. Trente-cinq entretiens ont
été réalisés durant cette campagne, et quatre des managers rencontrés ont accepté un
nouvel entretien, deux un troisième. La retranscription fait environ cinq cent pages.
Ce matériau pose deux problèmes. Le codage façon théorisation ancrée sur un tel
volume est en pratique impossible. Ne parlons même pas d’un double codage… Bien
évidemment, un codage à partir des catégories issues du modèle est possible mais le
risque de circularité est évident : retrouver les éléments du modèle, par nature
simplificateur – c’est la définition même du modèle – dans un volume de cinq
cents pages n’est guère difficile mais ne présente aucun intérêt scientifique. Dans de
telles conditions, prétendre avoir « validé » le modèle serait épistémologiquement
absurde.
La démarche adoptée a été différente. Elle a consisté à pratiquer ce que nous
proposons d’appeler un codage multithématique. Ce type de codage repose sur trois
principes :
prendre des thèmes en nombre suffisant pour quadriller le matériau et ne pas
structurer prématurément l’analyse ;
chercher l’hétérogénéité des thèmes. Certains sont des sortes de templates, des
cadres méthodologiques formels permettant de découper le matériau (par
exemple, les cadres temporels : le début de la relation, les points de
basculement ou turning points) ; d’autres viennent des théories, comme la
confiance ; d’autres enfin sont issus du matériau lui-même, à partir d’un
codage façon théorisation ancrée mené sur quelques comptes rendus
d’entretiens tirés au hasard ; c’est le cas de l’espace (dans les entretiens, les
managers évoquent la proximité ou l’éloignement spatial(e) avec leur
supérieur, comme une dimension de la relation).
Rechercher le recoupement possible des thèmes entre eux, de manière à ce que
des extraits d’entretiens se retrouvent dans des thèmes différents. En réalité, le
nombre important de thèmes et leur caractère hétérogène facilitent ces
recoupements. Ces derniers forcent le chercheur à regarder le même extrait
d’entretien selon des systèmes de ressemblances/différences divers, c’est-à-dire
selon des manières de voir différentes.
En appliquant ces principes, quatorze thèmes ont été retenus :
le début de la relation
les moments marquants ou « turning points »
les attentes sur les tâches à faire
le mode de fonctionnement de la relation
la fréquence des échanges
l’attention à la relation
la confiance
le contenu des échanges
la dimension affective
l’espace
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les outils
les intérêts personnels
qui est le chef ?
la rationalisation de la forme de la relation
Le matériau a alors été découpé et les unités de sens ont été regroupées par thème
(avec des recoupements, comme il vient d’être dit). On ne peut pas parler de
paragraphes dans ce cadre, puisque les entretiens n’en comportent pas par définition
(le manager indique rarement dans la conversation qu’il procède à l’équivalent d’un
changement de paragraphe). Il est arrivé qu’une phrase fasse référence à deux
thèmes. Dans ce cas, la question qui se posait était celle du découpage de l’unité de
sens. Si cela ne se révélait pas possible, le choix a été de placer le verbatim dans les
deux thèmes et d’indiquer dans le document que le verbatim se trouvait également
dans tel autre thème. C’est donc dans le cadre des thèmes que l’analyse des
ressemblances et différences a été systématiquement menée. Elle s’est appuyée sur
une sorte de codage binominal qui a consisté à identifier des sous-thèmes par
différence spécifique avec le thème général. Elle a cherché à faire apparaître des
patterns de la relation, des sortes de motifs récurrents (« pattern » est difficilement
traduisible en français). Prenons par exemple le thème « attentes sur les tâches à
faire ». Il a permis de rassembler tous les extraits d’entretiens qui faisaient référence
à la manière dont les managers percevaient et géraient les « attentes » de leur
supérieur hiérarchique à leur égard. La comparaison systématique a permis de mettre
en évidence deux patterns très opposés sur cette question des attentes. Certains
managers perçoivent les attentes du supérieur comme évidentes, banales, structurées
à la fois par des dispositifs matériels (entretien d’embauche, fiche de poste, entretien
annuel, etc.) et par l’interaction claire avec le supérieur (qui expose ses attentes). En
cas de problème, une nouvelle interaction clarifie les choses. D’autres managers
présentent la question des attentes sous un jour beaucoup plus compliqué : le
supérieur lui-même ne sait pas ce qu’il attend exactement du manager, et, en
conséquence, les attentes se devinent, se décryptent, se découvrent dans l’action,
avec des processus de feedback qui peuvent réussir ou échouer. Une question de
recherche consiste alors à comprendre pourquoi ces deux perceptions existent dans le
vécu des acteurs et quelles relations elles entretiennent l’une avec l’autre (s’opposent-
elles ? Se combinent-elles en pratique ? Les acteurs passent-ils de l’une à l’autre en
fonction du développement de la relation ?).
Le codage conduit donc, par un travail systématique sur les ressemblances (ici des
extraits d’entretiens regroupés autour du thème général des attentes dans la relation
supérieur/subordonné) et sur les dissemblances entre ce que disent les acteurs, à la
mise en évidence de choses inattendues, ici une contradiction profonde entre les
perceptions des acteurs.
Conclusions
Au terme de cet article consacré à la pratique du codage dans la démarche
qualitative, plusieurs points nous semblent mériter que l’on y revienne.
Il nous paraît que deux images fausses de cette pratique se sont répandues dans la
littérature.
La première consiste à penser que le codage est à la démarche qualitative ce que les
techniques économétriques sont au modèle hypothético-déductif : le gage de la
rigueur scientifique. Dans cette perspective, le codage doit être rendu le plus
rigoureux possible, et, par exemple, le double codage indépendant doit être
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