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Autrice : Mai LEQUAN

METHODOLOGIE : LA DISSERTATION PHILOSOPHIQUE

I - Les principes généraux

La dissertation est l'exercice philosophique par excellence. C'est un lieu privilégié où


s'exerce la pensée d'un sujet déterminé, sur un problème philosophique particulier
(problématique), en analysant et produisant des concepts, en les articulant en un discours
démonstratif rationnellement organisé, et en s'appuyant sur des commentaires et lectures de
textes philosophiques précis (souvent sur des ouvrages d'auteurs classiques). Mais le sujet de la
dissertation n'est pas une subjectivité d'auteur. En effet, l'auteur de la dissertation est auteur au
sens latin de l'auctor, père et garant de son texte, mais il n'est pas auteur au sens institutionnel du
terme : sa pensée n'est, ni ne peut, ni ne doit être absolument originale, créatrice, innovante ; il ne
prétend pas bâtir un nouveau système conceptuel ; elle ne fait pas non plus l'objet de
commentaires secondaires ou de critiques. La dissertation renvoie à l'acte même de philosopher.
Elle ne se réduit pas seulement à un exercice scolaire (à un "test") sur un sujet donné, noté et
réalisé dans un espace et dans un temps limités.
Pour aucun énoncé ou libellé de sujet, il n'existe de modèle en soi de dissertation idéale et
pas davantage un modèle idéal de dissertation valable pour tous les énoncés indifféremment.
Chaque dissertation obéit à des règles propres, dictées par l'énoncé et exprime l'originalité d'une
pensée singulière, même si la pensée dissertative doit s'efforcer de tendre à l'objectivité et à
l'universalité. Cette absence de modèle idéal, d'archétype, qu'on pourrait reproduire
automatiquement ou imiter mécaniquement, tient au fait que la dissertation n'apporte pas une
réponse formelle unique, mais une multiplicité de réponses philosophiques possibles, qui sont
fonction de l'auteur de la dissertation et du problème philosophique posé (directement ou
indirectement) dans l'énoncé. La dissertation n'a donc rien de systématique. Ce n'est pas un objet
technique figé, reproductible selon un mode d'emploi tout fait, qui fonctionne selon des règles et
critères définis, une fois pour toutes, et où l'erreur, l'aléatoire n'auraient pas de place. La
dissertation serait plutôt une sorte d'organisme vivant, laissant certes une marge de manœuvre,
un espace de jeu à ses membres, mais formant un corps structuré et hiérarchisé, où la
problématique fait office de colonne vertébrale, de principe unifiant. La dissertation est un vivant
organisé, plus qu'un objet technique mort, et corrélativement, l'auteur de la dissertation est un
être pensant plus qu'une "machine à disserter". Elle n'a donc pas d'idéal-type. Pour un énoncé
donné, il y a en droit une infinité de dissertations possibles et également valables. Chaque fois, la
dissertation réussie est l'adéquation harmonieuse d'un contenu et d'une forme. Il n'y a jamais,
d'un côté, la forme idéale parfaite de la dissertation, et, de l'autre, des contenus indifférents qui
viendraient remplir cette forme. La dissertation est une forme-contenu organique vivante qui
évolue selon les énoncés. Elle s'adapte à chaque type de sujets. La bonne dissertation est comme
un organisme vivant qui s'habitue bien et vite à un nouveau contexte, à un environnement
inconnu (ou qu'elle feint d'ignorer : le premier regard sur un sujet doit être innocent et libéré de
toutes connaissances scolaires). Il y a autant d'approches possibles d'un problème philosophique
que d'auteurs potentiels de dissertations. Chaque dissertation s'expérimente en contexte. Ce qui
signifie qu'il faut s'entraîner beaucoup, composer un grand nombre de dissertations différentes,
pour progresser et cerner peu à peu le visage en creux de la dissertation réussie. Le modèle doit
se construire petit à petit pour chacun et ne peut être découvert que médiatement, par l'exercice et
l'entraînement répétés, et non venir d'emblée, au départ, en surplomb ou de l'extérieur. Il n'y a
donc pas de recette mécanique toute faite, pas de mode d'emploi préfabriqué en dissertation.
Cependant, il existe une méthode, c'est-à-dire un certain type de chemin, de cheminement
(methodos) dynamique. Grâce à cette méthode, à ce cadre, à ces règles et principes généraux, la

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dissertation échappe à l'arbitraire subjectif. Elle obéit, en effet, à des règles générales de
construction. Un nombre relativement restreint de principes directeurs fondamentaux président à
son élaboration et forment un cadre rigide, à l'intérieur duquel chacun est libre. Il y a, en creux,
un cadre de la dissertation, qui est un idéal régulateur (à la fois accessible en droit et inaccessible
de fait, dont on cherche à se rapprocher asymptotiquement). Ca cadre n'est pas totalement
implicite. On peut tenter de le dessiner : c'est ce qui rend la dissertation réalisable et le progrès
possible. Parmi les principes formels qui constituent le cadre de la dissertation, on peut citer par
exemple, mais on y reviendra, les 5 étapes de l'Introduction : 1) présentation de la perspective
générale et du domaine du sujet, en une introduction non historique mais d'emblée conceptuelle,
2) analyse de l'énoncé : caractérisation ou définition de tous les termes du sujet, des termes
périphériques et des termes opposés, analyse des étymologies, des expressions courantes où
entrent les termes de l'énoncé, 3) délimitation de l'enjeu (présupposés en amont et conséquences
en aval) et mise à l'écart des hors-sujets possibles, 4) dramatisation, mise en crise du sujet :
évaluation du risque, de l'urgence, du degré de nécessité de la question, et énoncé de la
problématique : faisceau de questions reformulant et approfondissant la question formant
l'énoncé, et aboutissant à une question directrice (problématique proprement dite) qui sert d'axe à
l'ensemble de la démonstration et donne sa cohérence à toute la dissertation et 5) suggestion (et
non annonce scolaire) du plan en 3 parties, en maintenant la solution de la 3° et dernière partie
en suspens. La dissertation est une production close, conceptuellement accomplie, formant une
unité cohérente, et devant aboutir à une conclusion ferme, même si la réponse à la question que
la dissertation se pose à elle-même (problématique qu'elle reformule à partir de l'énoncé) est
provisoire, inachevée ou insatisfaisante et invite à des prolongements.
Cette méthode rend aussi l'apprentissage de l'art de disserter possible. Toutefois appliquer
la méthode n'est pas répéter mécaniquement une recette toute faite, mais travailler librement à
l'intérieur d'un cadre général, qu'il faut mettre en pratique à l'occasion de tel ou tel sujet. Les
"règles de l'art" en dissertation ne doivent jamais rester abstraites et formelles : elles doivent
informer des contenus de sens et des problèmes philosophiques déterminés. Elles doivent être
réappropriées par chacun, de manière vivante, souple et singulière, c'est-à-dire devenir un savoir-
faire personnel. Il n'y a pas de mode d'emploi général, valable pour tous les sujets uniformément.
Il n'y a pas davantage de rhétorique passe-partout (langue et pensée vont de pair, fond et forme
ne peuvent être désolidarisés), mais seulement des règles d'usage, des coups de mains, des
savoir-faire pour bien penser, bien écrire et remédier à ses défauts principaux. Mais si la maîtrise
de la langue est capitale pour la clarté et la lisibilité de la dissertation philosophique, on ne doit
jamais céder à un jargon philosophique intempestif (par exemple, le jargon de la
phénoménologie heideggerienne : "l'être-là du déval"). Veiller à rester intelligible à l'honnête
homme. Expliquer les termes techniques qu'on emploie (notamment empruntés à certains
auteurs), ne jamais supposer le sens d'un terme technique connu du lecteur. La dissertation est un
texte écrit, destiné à être lu et corrigé, donc qui doit être (relativement) autonome, autosuffisant,
et lisible (graphie et style).
La dissertation est un exercice de pensée sur un sujet philosophique, le plus souvent
implicitement présent dans l'énoncé. Le problème philosophique (la problématique) n'est presque
jamais l'énoncé lui-même, mais réside dans une reformulation sous-jacente, approfondie et
réinterprétée de l'énoncé. En vertu de sa fonction démonstrative, la dissertation se développe
dynamiquement à partir de raisonnements, d'exemples, d'analyses de concepts et de
commentaires (éventuellement critiques) de textes (philosophiques ou autres) et aboutit à une
conclusion (réponse à la problématique), qui énonce une prise de position, une thèse. La
dissertation consiste donc à démontrer cette thèse, étapes par étapes. Elle s'organise de manière
démonstrative, argumentée, rigoureuse et rationnelle, selon un mouvement de pensée unifiant.
Comme dans un corps organique, chaque partie doit s'articuler à la précédente, suivant un plan
qui doit être lui-même le reflet de la problématique. Chaque assertion doit être, dans la mesure

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du possible, interrogée en elle-même, dans ses présupposés et dans ses conséquences (implicites
ou explicites). L'ensemble du devoir suit un fil directeur (la problématique) et chemine d'un point
de départ (Introduction) à un point d'arrivée (Conclusion). La dissertation est un cheminement de
pensée qui suit un progrès. Son ton est globalement plus interrogatif, zététique (recherche),
critique, qu'affirmatif, assertorique, péremptoire ou dogmatique. Elle ouvre plus qu'elle ne clôt.
Elle interroge plus qu'elle ne répond (sauf en Conclusion).
La langue doit en être soignée. Respecter les règles de ponctuation, de synthaxe et
d'orthographe. Privilégier les phrases courtes, le style simple et clair, transparent, neutre, nuancé
mais ferme, une graphie lisible et une typographie aérée (aller à la ligne par idée – une idée par
paragraphe - et sauter 2 lignes entre 2 grandes parties). Proscrire les astérisques, étoiles, NB, PS,
dessins, schémas, traits de couleurs et autres signes. Ne souligner, pour les mettre en relief, que
les termes décisifs (par exemple les coordinations : A et B ; A ou B). Mettre des majuscules aux
noms propres et à certains termes consacrés (par exemple "Etat", "Eglise", "Dieu"). Mais ne pas
abuser des majuscules pour les noms communs qui sont des concepts généraux et justifier
chaque emploi de majuscule (par exemple "Justice", "Liberté" etc.). Respecter les règles de
typographie : souligner les titres d'ouvrage, écrire entre guillemets les titres de parties ou de
chapitres, souligner les expressions étrangères, ce qui équivaut à l'italique (par exemple aléthéia,
arété, hexis, praxis, poiesis, theoria, politeia, Begriff, Umwelt, Gegenstand, Grundsatz, Prinzip
etc.), même si elles sont entrées dans la langue française (par exemple hic et nunc, ad hominem,
ad hoc, nec plus ultra, a fortiori, conditio sine qua non, ex nihilo, a priori, a posteriori, ipso
facto, de jure, de facto, minimum, maximum etc.). N'utiliser aucune abréviation, par exemple càd
(c'est-à-dire), n° (numéro), § (paragraphe), ex (exemple), s. (siècle). Eviter les familiarités,
expressions inélégantes ou vulgaires (par exemple "être bien dans sa peau", en "avoir marre").
Proscrire les généralités vagues ("de tout temps les hommes ont pensé", "ce problème a depuis
toujours préoccupé les philosophes", "Platon, ce grand philosophe grec"). Eviter les lieux
communs ("Tous les hommes veulent être heureux"), à moins de les démontrer ou de les
critiquer. Eviter les expressions pédantes et égocentriques, en général l'emploi de la première
personne du singulier, sauf quand elle a, dans une analyse, une valeur impersonnelle et
universelle. Préférer les tournures impersonnelles, la troisième personne (par exemple "le
concept se déduit") ou le "on", le "nous" impersonnels. Eviter les néologismes ("injustifiabilité"),
les pléonasmes ("monter en haut de la hiérarchie") et les lourdeurs ("il est possible dans un
premier temps de se poser la question de savoir si, éventuellement, dans certaines conditions on
ne pourrait pas …"). Eviter les fausses nuances et les approximations non justifiées ("peut-être,
pour ainsi dire, en quelque sorte, vraisemblablement, il paraît, il semble, relativement, plus ou
moins, une espèce de, un certain"). Respecter les règles de la citation : pour chaque auteur qu'on
cite, donner la rélérence au texte avec un maximum de précision (titre de l'ouvrage, partie,
chapitre paragraphe, mais sans pagination, référence non universelle). Ne donner que des
citations exactes et fidèles. Ne pas inventer de citations. Indiquer que l'on tronque ou que l'on
modifie une citation d'auteur, pour l'adapter au contexte, par des [...]. Eviter la rhapsodie de
questions, d'exemples sans ordre, la juxtaposition de résumés de doctrines (surtout par ordre
chronologique) et le catalogue d'auteurs.
Travailler montre en main et minuter chaque étape du travail. Par exemple, pour une
épreuve de 7 heures (agrégation) : 2 h15 pour le travail préparatoire (lecture du sujet, brouillon
comprenant l'analyse des notions du sujet, les questions et l'esquisse d'une problématique, le
choix des exemples et des références aux auteurs, le plan détaillé avec les idées directrices de
chacune des 3 grandes parties et de leurs sous-parties) et la rédaction de l'Introduction au propre ;
1h15 pour la rédaction de chacune des 3 parties directement au propre ; 45 min. pour la rédaction
de la Conclusion (brouillon et version au propre) et 15 min. de relecture de l'ensemble du devoir.
Pour une épreuve de 4 heures : 1 h15 pour le travail préparatoire et la rédaction de l'Introduction

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au propre ; 45 min. pour chacune des 3 parties ; 20 min. pour la Conclusion (brouillon et version
au propre) et 10 min. de relecture de l'ensemble.

II – Le travail préparatoire : la compréhension du sujet

1) Prendre le temps de lire, relire, recopier le sujet, sans l'amputer, le modifier,


l'infléchir, ni le réinventer. Il faut respecter le sujet, en mettant au jour sa logique interne et ses
exigences propres et en se laissant guider par le sujet. Ne pas enfermer d'emblée le sujet dans des
formules toutes faites qui emprisonnent la réflexion, la stérilisent et la figent ou l'orientent dans
une unique direction. Ne pas céder à la précipitation d'écrire le brouillon : être dans la "patience
du concept" (G. Lebrun).
2) Se convaincre que le sujet a un sens. N'avoir aucun préjugé, aucune présomption quant
à sa prétendue facilité ou difficulté. Tout sujet est, en droit comme en fait, intelligible.
3) Mettre provisoirement entre parenthèses ses connaissances acquises et sa mémoire. Se
libérer de tout savoir. Ne pas réciter mécaniquement tout ce qu'on sait (ou croit savoir) sur le
sujet. Se demander si ce qu'on sait est vraiment dans le sujet. Adopter une attitude d'innocence,
de naïveté, d'étonnement, d'oubli, de virginité, d'ouverture face au sujet, faire comme si on le
découvrait pour la première fois, d'un regard neuf (surtout si l'on a l'impression d'un sujet "déjà
vu"). Se garder d'assimiler le sujet à un autre sujet déjà traité. Ne rien superposer a priori au
sujet, en surplomb ou de l'extérieur, en convoquant sa mémoire. Laisser le sujet provoquer la
pensée (effet de surprise). Ne considérer que le sujet, rien que le sujet, mais tout le sujet.
4) Délimiter le sujet et prévenir le hors-sujet. Recopier lisiblement le sujet, le garder sous
les yeux sans cesse au cours de la rédaction. Se demander pour chaque pensée si elle appartient
bien encore au sujet et quel est le lien entre elle et le sujet.
5) Analyser le libellé du sujet. Repérer la forme de l'énoncé : concept isolé, article,
(défini ou indéfini), sujet-définition ("Qu'est-ce que … ?"), énumération de 2, 3 ou 4 concepts,
ponctuation, question, citation d'auteur (déguisée ou non) etc. Collecter tous les sens possibles
des termes et expressions de l'énoncé, avant de les trier, de les classer et de les hiérarchiser, pour
ne retenir que ceux qui sont pertinents pour éclairer la problématique philosophique choisie.
Faire fonctionner les libres associations verbales, les jeux de mots, les liaisons insoupçonnées du
vocabulaire. Chercher synonymes, homonymes, faux amis, mots voisins, mots contraires, mots
de même racine étymologique. Enumérer quelques références, citations, auteurs auxquels font
songer certains termes. Définir, ou à défaut caractériser, décrire, désigner, expliquer - déployer,
développer- et exposer (à partir des étymologies, d'exemples concrets ou d'expressions de la
langue courante) tous les termes du sujet sans exception, même ceux qui paraissent de prime
abord peu importants. Eviter les définitions toutes faites (par exemple les définitions de
dictionnaires, souvent abstraites, trop générales, voire erronées). Faire des distinctions
conceptuelles de plus en plus fines entre notions proches, périphériques, connexes. Dégager la
constellation de termes qui environne un concept (par exemple : la constellation "pouvoir,
puissance, violence, force, injustice, contrainte, obéissance, subordination"). Une notion n'est
jamais seule ou isolée. Elle fait partie d'un milieu notionnel et entre en relation avec d'autres
notions. Les notions tiennent ensemble, sont liées les unes aux autres, par un lien de solidarité,
plus ou moins fécond, plus ou moins nécessaire. Selon Platon, la philosophie est la science
dialectique des Idées, mais aussi et surtout des rapports entre les Idées. Décrire la constellation
de sens du ou des termes principaux de l'énoncé, en balayant à la fois les champs d'application de
la notion (scientifique, métaphysique, théologique, moral, politique, juridique, esthétique,
anthropologique etc.) et ses degrés d'intensité (du sens le plus faible au sens le plus fort, du sens
figuré au sens propre, du sens étymologique au sens courant actuel etc.). Maintenir ces
définitions (initiales et provisoires) ouvertes, de façon à pouvoir les modifier, les enrichir, voire
les abandonner dans la suite de la dissertation. La définition philosophique n'est jamais une

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simple convention arbitraire, ni l'enregistrement d'un usage linguistique contrôlé, mais le résultat
d'une démarche génétique visant à l'objectivité et à l'universalité. Elle doit donc en vérité venir
après la démonstration, et non avant elle. La dissertation certes part de définitions provisoires, à
titre de point de départ, mais ce n'est qu'en Conclusion qu'elle peut espérer aboutir à une vraie
définition (définitive). Distinguer les vraies définitions des définitions seulement approximatives.
"Définir, comme l'expression même l'indique, ne doit signifier proprement qu'exposer
originairement le concept explicite d'une chose, en la renfermant dans ses limites. Explicite
signifie la clarté et la suffisance des caractères ; les limites, la précision, de telle sorte qu'il n'y ait
pas plus de caractères que n'en contient le concept explicite ; et originairement veut dire que
cette détermination des limites ne soit pas dérivée d'ailleurs" (Kant, Critique de la raison pure,
"Méthodologie transcendantale", chap.1 "Discipline de la raison pure", Section 1 "Discipline de
la raison pure dans l'usage dogmatique", § 1 "Des définitions", Ak III, 477-478 ; Paris, GF 1987,
trad. Barni et Archambault, p. 556-557).
Il en résulte en premier lieu, qu'il n'existe pas, à proprement parler, de définitions
possibles pour les concepts empiriques, dont l'objet ne nous est connu que par l'expérience. Car
de tels concepts comprennent un nombre indéfini de propriétés ou de caractères (empiriques) que
la seule expérience ne suffit pas à énumérer de manière systématique et exhaustive, ni de
manière originaire et définitive (a priori), ni de manière universelle, nécessaire et objective. "Un
concept empirique ne peut jamais être défini, mais seulement expliqué" (ibid.). Par exemple, le
concept de l'or étant empirique ne peut être défini au sens strict. Tout d'abord, l'or recèle un
nombre indéfini de propriétés qu'on ne peut circonscrire en une liste finie et close (il est
malléable, fusible, inoxydable, doté d'un certain poids, d'une certaine densité, d'une certaine
couleur etc.). Ensuite, l'or ne peut être défini, posé au départ, a priori, antérieurement à ni
indépendamment de l'expérience. On ne peut connaître ce qu'est l'or que parce qu'on
l'expérimente (en physique, en chimie). On ne connaît de l'or que le petit nombre de caractères
qu'on a précisément expérimentés. Mais il en recèle peut-être d'autres. Chaque nouvelle
expérimentation est susceptible de modifier la connaissance scientifique que nous avons de
l'élément chimique or. "On ne se sert de certains caractères que tant qu'ils suffisent à la
distinction ; mais de nouvelles observations en font disparaître quelques uns et en ajoutent
d'autres, de telle sorte que le concept n'est jamais enfermé dans des limites certaines [...]. Le mot,
avec les quelques caractères qui s'y attachent, ne peut offrir qu'une désignation, et non un
concept d'une chose, d'où il suit que la prétendue définition n'est qu'une explication de mot"
(ibid.). Enfin, la définition de l'or n'est ni universelle, ni nécessaire. Pour certains hommes, l'or a
la propriété de ne pas rouiller. Pour certains autres, il est avant tout un métal précieux (éminent
par son prix marchand, sa valeur esthétique etc.).
"En second lieu, on ne peut même pas, à parler exactement, définir aucun concept a
priori, comme par exemple ceux de la substance, de la cause, du droit, de l'équité etc. [...]. [Ici],
l'exacte étendue de l'analyse de mon concept est toujours douteuse, et ne peut être rendue que
probable par un grand nombre d'exemples qui s'y rapportent, mais jamais apodictiquement [de
manière universelle, nécessaire, objective et indubitable] certaine. Au lieu du mot définition,
j'aimerais mieux employer celui d'exposition, qui est plus modeste" (ibid.). Ainsi, selon Kant, ni
les concepts empiriques (donnés a posteriori), ni les concepts donnés a priori ne sont
susceptibles d'être définis à proprement parler. Quels concepts reste-t-il alors à définir ?
En troisième lieu, "il n'y a plus que ceux qui sont arbitrairement pensés sur qui l'on puisse
tenter cette opération. Dans ce cas, je puis toujours définir mon concept ; car je dois bien savoir
ce que j'ai voulu penser, puisque je l'ai formé moi-même à dessein, et qu'il ne m'a été donné ni
par la nature de l'entendement [ou de la raison, a priori], ni par l'expérience [a posteriori], mais
je ne puis pas dire que j'ai défini par là un objet. En effet [...], je ne sais même pas si ce concept a
quelque part un objet [qui lui corresponde en réalité], et ma définition est plutôt une déclaration
(de mon projet) que la définition d'un objet" (ibid.). Par exemple, par le concept de "bouc-cerf",

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Aristote déclare, à titre de projet, penser (et non encore connaître un objet existant) un animal
possible, composé d'un corps de bouc et d'une tête de cerf, mais sans présager encore en rien de
l'existence de pareil animal. Les concepts faits, factices, fantastiques, chimériques (d'objets
seulement logiquement possibles mais non réellement possibles, voire réels), ne sont donc pas
définissables à proprement parler.
En quatrième lieu, "il ne reste donc pas d'autres concepts susceptibles d'être définis que
ceux qui contiennent une synthèse arbitraire pouvant être construite a priori [dans l'intuition pure
de l'espace et du temps] ; il n'y a par conséquent que les mathématiques qui aient des définitions"
(ibid.). Seuls les concepts mathématiques peuvent être définis au sens strict, c'est-à-dire
explicités dans leur clarté et distinction suffisantes, dans des limites, de façon a priori (sans
recourir à l'expérience) et de telle sorte qu'à de tels concepts mathématiques puissent en droit
correspondre des objets réels. Par exemple, le concept mathématique de "cercle" est une
définition au sens strict du cercle (comme l'ensemble des points équidistants d'un centre dans un
plan donné), car cette définition explicite ses caractères distinctifs propres, dans les limites d'une
liste finie, sans recourir à l'expérience, c'est-à-dire a priori et de telle sorte que le concept de
cercle soit expérimentable, qu'on puisse rencontrer des objets (des cercles) réellement existants
dans l'expérience correspondant à ce concept.
Durant le travail préparatoire à la dissertation, on doit donc rechercher des définitions des
termes du sujet, en se demandant pour chaque définition qu'on propose, s'il s'agit 1) d'une simple
explication-désignation (d'un concept empirique), 2) d'une simple exposition (d'un concept a
priori), 3) d'une simple déclaration (d'un concept arbitraire, imaginé, inventé, factice) ou 4)
d'une vraie définition (d'un concept mathématique, c'est-à-dire susceptible d'être posé dans
l'intuition pure spatio-temporelle, à défaut de l'être dans l'intuition empirique). Nommer les
limites, les défauts et les insuffisances des définitions qu'on propose. En général en philosophie,
les définitions sont rarement des définitions de type mathématique et il ne faut pas même
chercher à ce qu'elles le deviennent. Le fait qu'on ne puisse pas définir à proprement parler un
concept, à la façon des mathématiques, prouve au contraire la spécificité de la philosophie, que
Kant souligne. "Les définitions philosophiques ne sont que des expositions de concepts donnés
[par l'entendement ou la raison en leur spontanéité, c'est-à-dire des définitions de concepts a
priori, tels que substance, cause, équité etc.], tandis que les définitions mathématiques sont des
constructions de concepts originairement formés [c'est-à-dire des représentations de concepts
dans l'intuition pure]. Les premières ne sont faites qu'analytiquement par le moyen de la
décomposition (dont l'intégralité n'est jamais apodictiquement certaine) [c'est-à-dire en
remontant, selon l'ordre analytique régressif, du conditionné donné à ses conditions de possibilité
a priori], tandis que les secondes sont faites synthétiquement [c'est-à-dire en redescendant, selon
l'ordre synthétique progressif, des conditions de possibilité a priori au conditionné donné] et
constituent ainsi elles-mêmes le concept que les premières ne font qu'expliquer. D'où il suit : a)
qu'en philosophie on ne doit pas imiter les mathématiques en commençant par les définitions, à
moins que ce ne soit à titre de simple essai [c'est-à-dire à titre de point de départ provisoire,
comme c'est le cas dans l'Introduction d'une dissertation]. En effet, comme les définitions
philosophiques ne sont que des analyses de concepts donnés [a priori par l'entendement ou la
raison purs], ces concepts occupent le premier rang, bien que confus encore, et l'exposition
incomplète précède l'exposition complète [c'est exactement ce qui se produit au cours de la
dissertation, où l'on propose d'abord, en Introduction, des expositions incomplètes de concepts,
avant de donner ensuite, en Conclusion, une exposition complète et parfaite, qui vaut pour une
définition définitive] [...]. Dans la philosophie, la définition, comme clarté appropriée, doit plutôt
terminer l'œuvre que la commencer. Dans les mathématiques au contraire, nous n'avons aucun
concept qui précède la définition [a priori], puisque c'est par elle que le concept est d'abord
donné ; elles [les mathématiques] doivent et peuvent d'ailleurs toujours commencer par là [par
les définitions]. b) Les définitions mathématiques [synthétiques] ne peuvent jamais être fausses

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[...]. Les définitions analytiques [philosophiques] au contraire peuvent être fausses de plusieurs
manières, soit en introduisant des caractères qui n'étaient pas réellement dans le concept, soit en
manquant de cette exacte étendue qui est l'essentiel de la définition, car on n'est jamais
parfaitement sûr de l'intégrité [de l'exhaustivité] de son analyse. La philosophie fourmille de
définitions défectueuses, surtout de définitions qui contiennent bien réellement certains éléments
de la définition, mais non pas tous [...]. Mais [...] on peut aussi employer très utilement des
définitions incomplètes [ce qu'on fait dans l'Introduction et même parfois dans le Développement
de la dissertation], c'est-à-dire des propositions qui ne sont pas encore des définitions, mais qui
sont vraies par ailleurs et par conséquent s'en approchent. Dans les mathématiques, la définition
se rapporte à l'esse [à l'être, à ce qui est] ; dans la philosophie, au melius esse [à ce qui doit être, à
ce qu'il y a de mieux, à ce qui est le plus souhaitable]. Il est beau, mais souvent très difficile, d'y
parvenir" (ibid.).
La dissertation philosophique doit donc, comme l'indique Kant, tendre à proposer de
vraies définitions, c'est-à-dire non pas tant d'impossibles définitions mathématiques, que des
explications les plus complètes posibles, qui comportent tous les éléments requis d'une vraie
définition (mathématique) : explicitation (des caractères clairs et distincts), délimitation (liste
finie et exhaustive de caractères), originarité (a prioricité, indépendance par rapport à
l'expérience) et réalisabilité (concordance possible de l'objet défini avec l'expérience). La
dissertation doit donc tendre à proposer ultimement et analytiquement une définition complète et
proprement philosophique, qui ne soit ni une simple désignation (d'un concept empirique), ni une
simple exposition (d'un concept a priori), ni une simple déclaration (d'un concept arbitraire), ni
une simple définition mathématique (d'un concept construit), mais une explicitation délimitée,
originaire et réalisable. En matière de définitions philosophiques plus qu'en toute autre chose, à
l'impossible nul n'est tenu : il faut être modeste, prudent, patient et critique à l'égard des
définitions qu'on propose. En tout cas, il n'y a (ni en Introduction, ni en Conclusion) aucune
définition idéale définitive (de type mathématique), indépendante du contexte ou du problème,
coupée de toute élaboration dynamique et analytique, et qui mette un terme définitif au débat.
Kant résume ainsi sa pensée sur le rôle, la place et la nature des définitions en philosophie, qui
sont la principale, voire l'unique, tâche de la dissertation. "C'est une précaution qui mérite fort
d'être recommandée dans la philosophie tout entière, quoiqu'elle soit souvent négligée, que celle
de ne pas préjuger les questions par une définition hasardée, avant d'avoir fait du concept une
analyse complète, qui souvent n'est obtenue que très tard" (Kant, Critique de la raison pratique,
Préface, Ak V, 10 ; Paris, PUF, Quadrige, 1989, trad. F. Picavet, p. 7). Il n'est donc pas
nécessaire de vouloir à tout prix donner une définition d'un concept philosophique. Cela peut
même être parfois préjudiciable. A défaut de définition (mathématique idéale ou philosophique
complète), on doit préférer l'explication-désignation, l'exposition ou la déclaration.
Il faut en tout cas s'efforcer, dans l'Introduction et dans le Développement, de distinguer,
de différencier, de séparer, de discriminer les notions entre elles, au sens du krinein grec, qui
forme l'esprit critique selon Kant, tout en recherchant les points communs et les recoupement
entre notions. Il ne faut en effet jamais juxtaposer horizontalement, extérieurement les uns aux
autres, tous les sens possibles d'une notion, mais chercher à recouper, à hiérarchiser
(verticalement), à structurer tous ces sens. Sinon, selon Platon, on n'obtient pas une définition de
la vertu en général (en soi), mais seulement un "essaim" de vertus particulières. Il faut autant
décomposer, analyser la notion en ses multiples sens, en ses mutiples degrés et en ses multiples
domaines d'application, qu'à l'inverse réunir, recouper, synthétiser ces éléments. Pour Platon, la
philosophie dialectique est ce mouvement d'aller-retour du complexe au simple et du simple au
complexe par analyse puis synthèse (Philèbe). Il en va de même pour Descartes (Discours de la
méthode, Règles pour la direction de l'esprit) et pour Kant (Fondements de la métaphysique des
mœurs, Préface) : tous reconnaissent la distinction et la complémentarité entre méthode
analytique et méthode synthétique. Etablir les liens entre les sens et entre les notions : qu'y a t-il

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Autrice : Mai LEQUAN

de commun ou de différent entre les différents sens exposés d'une même notion ? par exemple
entre le travail comme aliénation, le travail comme libération, le travail comme labeur, effort
souffrance, le travail manuel, le travail intellectuel, le travail rémunérateur etc. ; entre la paix
comme pacification, la paix comme endormissement, la paix comme élément juridique, la paix
de l'âme, la paix comme trêve, la paix comme armistice, la "paix des lâches", la "paix des
braves", la "paix fourrée" etc. En quoi tel sens conduit-il génétiquement à tel autre sens de la
même notion ? En quoi tel sens s'oppose-t-il à tel autre, au point qu'ils soient incompatibles ?
Lequel de tous les sens distingués est le plus pertinent philosophiquement pour répondre à la
problématique du sujet ? Quel sens au contraire est limite hors-sujet et fait dériver la dissertation
vers une autre problématique ? Dans cette hiérarchie des sens et des notions, dessiner la
géographie du sujet. Par exemple, en quoi 2 notions sont-elles radicalement extérieures l'une à
l'autre, voire contraires, symétriques l'une de l'autre, se recoupent partiellement l'une l'autre et
délimitent une intersection commune ? Laquelle sert d'accès à l'espace de la seconde, comme une
porte ouvre sur une pièce ? Repérer, dans presque tous les sujets, la grande notion classique qui
fait "sujet de cours", qui détermine le domaine du sujet, en délimite le champ le plus large, et la
notion secondaire qui en détermine l'accès plus précis. Par exemple : dans "Qu'est-ce qu'un
homme libre ?", la grande notion classique de philosophie est la "liberté", mais l'étroite voie
d'accès, par laquelle on doit remonter vers la pièce de la liberté, est la porte "homme". Le sujet
n'est pas la liberté, mais un homme libre. Dans "Peut-on définir le temps ?", la grande notion
classique est "le temps", mais il faut arriver à cette pièce du temps par la porte étroite de la
"définition". Le sujet n'est pas le temps, mais la définition du temps. Dans "Peut-on prouver une
idée ?", la grande notion classique est "l'idée" et la porte d'accès est "prouver". Dans "Tout
pouvoir s'accompagne-t-il de violence ?", la grande notion classique est le "pouvoir", la porte
d'accès est la "violence". Dans "La nature a-t-elle une histoire ?", la grande notion classique est
"l'histoire", la porte d'accès est "la nature". La sujet n'est pas l'histoire en général, mais l'histoire
de la nature. Tout autre accès serait en effet hors-sujet.
6) Choisir des exemples et des références. Il faut trouver, dès le travail préparatoire
(brouillon), les principaux exemples qui seront analysés en détail dans la dissertation et
fourniront la matière à la dissertation. Il faut aussi sélectionner, dès l'étape du brouillon, les
références aux textes philosophiques (ou autres) qu'on analysera. Sur les exemples et les
références, cf. Rédaction, Développement.
6) L'ébauche du plan au brouillon (en 3 parties avec les idées directrices, les transitions
et les analyses prévues, par auteurs). Cf. Rédaction, Introduction.

III – La rédaction

A – L'Introduction

Comme l'indique l'étymologie latine intro-ductio, l'Introduction conduit dans le sujet,


amène le sujet, introduit la perspective générale et le thème d'ensemble du sujet. Elle doit faire
entrer l'énoncé (le libellé du sujet) dans la dissertation, c'est-à-dire dans la réflexion. Position
stratégique, l'Introduction commence la dissertation, en montre les directions principales et
détermine l'état d'esprit du lecteur-correcteur. L'Introduction annonce les grandes lignes du
problème philosophique et formule la problématique (à partir de l'énoncé, où elle n'est contenue
qu'en puissance), sans citer encore aucune œuvre, ni aucun auteur précis. Elle ne se situe pas en
amont du discours philosophique. Elle est déjà de plain-pied dans la réflexion philosophique.
Elle n'est pas une préparation pré-philosophique à la dissertation, mais la première partie
constitutive de la dissertation. Elle tient en un seul long paragraphe sans alinéa, l'unité de forme
renvoyant à l'unité de contenu. L'Introduction comporte 5 étapes, dans l'ordre :

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Autrice : Mai LEQUAN

1) Annonce de la perspective générale sur le sujet, l'introduction du thème. On amène le


sujet (en partant, par exemple, de l'analyse d'une étymologie, d'un exemple ou d'une expression
langagière) et on désigne le champ d'interrogation dans lequel le sujet s'inscrit (par exemple
"Opinion, foi, savoir" touche au champ de la connaissance humaine en général et à ses diverses
modalités). Situer le sujet dans un contexte et montrer en quoi le sujet présente un intérêt
philosophique, comment et pour quelle(s) raison(s) on en vient à se poser telle question. Faire la
genèse du sujet, en se situant en amont de la question posée dans l'énoncé, c'est justifier l'intérêt
philosophique du sujet et donc légitimer le fait même qu'il soit donné comme sujet. Puis insérer,
en le recopieant intégralement et sans modification, le libellé du sujet (quand il s'agit d'une
question ou d'une citation). Cette introduction-présentation ne doit pas être historique (pas même
d'histoire de la philosophie, à moins d'en faire un problème : par exemple, pour "La
souveraineté", on peut se demander, dès le début de l'Introduction, si, quand, comment et
pourquoi le concept de souveraineté n'est apparu qu'à un certain moment de l'histoire et de la
culture, avec la Modernité occidentale ?), mais d'emblée conceptuelle (analyse des étymologies,
des expressions courantes, des jeux de mots afférant à l'énoncé). Eviter les généralités vagues
universelles ("De tout temps, les hommes ont pensé", "On s'est partout et toujours interrogé sur
…", "Ce problème est l'un des plus intéressants et des plus importants de la philosophie…").

2) Analyse de tous les termes du sujet (définition, caractérisation-explication-désignation,


exposition ou déclaration de tous les termes du sujet, même les moindres) et de la forme du sujet
(question, citation, un ou plusieurs concepts, ponctuation, nature des conjonctions de
coordination). Faire varier les champs d'application et le degré d'intensité des termes. Insérer les
analyses préparatoires (brouillon) des termes périphériques, des termes opposés, dessiner la
constellation des notions (par analyse et synthèse, différences et points communs entre notions).
Ne négliger aucune nuance de l'énoncé : par exemple "Croire ou savoir ?", "Croire ou savoir",
"Croire et savoir", "Croire savoir", "Croire que l'on sait", "Croire, est-ce savoir ?" ; "Croire,
savoir et ignorer", "Connaître, comprendre, savoir et croire", "La croyance et la connaissance",
"Les croyances et les connaissances", "Nos croyances et nos connaissances" etc. ; "Tout
prouver", "L'homme peut-il tout prouver ?", "Peut-on tout prouver ?", "Doit-on tout prouver ?",
"Voudrions-nous tout prouver ?", "L'homme veut-il tout prouver ?", "Pourquoi l'homme
voudrait-il tout prouver ?", "Est-il légitime de vouloir tout prouver ?", "Tout prouver, est-ce un
rêve ?", "Quel(s) danger(s) y a t-il à tout prouver ?", "Quel(s) danger(s) y a-t-il à vouloir tout
prouver ?" , "Si l'homme pouvait tout prouver …" etc. ; "Penser sans préjuger", "La pensée sans
préjugé(s)", "Peut-on penser sans préjugé(s) ?", "Doit-on penser sans préjugé(s) ?", "Faut-il
penser sans préjuger ?", "Est-il légitime de penser sans préjugé(s) ?", "En vertu de quelle
nécessité faut-il penser sans préjugé(s) ?", "Penser contre les préjugés" etc.

3) Enoncé des enjeux du sujet (conséquences en aval et présupposés en amont) et


délimitation du hors-sujet : exclure, en le justifiant, tous les problèmes et tous les concepts
proches du sujet, mais dont la dissertation ne traitera pas, parce qu'ils sont à la limite du hors-
sujet. Montrer les ressorts de la question. D'où vient qu'on se pose cette question ? Comment en
vient-on à se la poser en ces termes ? Souligner les risques, l'urgence, le type de nécessité qui
correspond à la question-problème. Ce qui motive une réflexion sur la question, ce qui justifie
l'intérêt philosophique pour ce problème, est-ce un besoin vital, biologique, une exigence de la
raison pure théorique dans son besoin de connaître, une requête de la conscience morale, un
impératif économique, un principe juridique etc. ? Afin déviter le hors-sujet, ne pas confondre,
par approximations et glissements successifs, le sujet avec un autre sujet (déjà connu), ne pas
valoriser immédiatement et indûment un élément du sujet qui conduirait à réduire le problème
d'ensemble à un point de vue étroit. Ne pas prendre les termes du sujet en un sens univoque. Par
exemple, dans «Le prix des idées", le prix n'est pas à interpréter uniquement au sens propre de

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Autrice : Mai LEQUAN

prix marchand, économique, monnayable (les retombées financières de telles ou telles idées),
mais aussi au sens de la valeur théorique, pratique, religieuse, esthétique, idéologique des idées.
Dans "Qu'est-ce qu'un esprit libre ?", ne pas réduire l'expression large d' "esprit libre" à celle,
historiquement et culturellement beaucoup plus étroite, de "libre esprit", en référence au
mouvement des libertins du XVIIème siècle (forme de pensée athée des "esprits-forts"), au
mouvement de la libre pensée (les "libres penseurs") qui se développe au siècle des Lumières,
ou au mouvement libertaire en général (de défense des libertés fondamentales - liberté de penser,
de s'exprimer, de critiquer - et des droits de l'homme) ; ne pas réduire non plus l'expression d'
"esprit libre" au problème métaphysique cartésien de la liberté d'indifférence du libre-arbitre
humain. Bref, ne pas réduire d'emblée un problème ou une expression à un sens monolithique
tout fait et figé. Balayer tous les sens possibles de "esprit libre", par rapport à tous les sens
d' "esprit" et de "liberté". Ne pas réduire, par une lecture obtue, un sujet à un faux problème, sans
intérêt philosophique, qui serait une voie sans issue, une impasse (une aporia). Par exemple,
dans "L'homme fait-il l'histoire ?", ne pas réduire, de manière stérile, le terme "histoire" au récit
ou à la science historique, car dans ce cas, il est évident que l'homme fait l'histoire et le problème
n'a plus lieu d'être. Le problème se pose bien plutôt de savoir s'il est auteur et responsable de
l'histoire, entendue comme succession d'événements, devenir objectif du monde, réalité effective
du devenir humain. Dans "Le don doit-il être désintéressé ?", ne pas réduire le terme "don" à
talent inné naturel, mais à l'acte de donner. Dans "La fin de l'Etat", ne pas réduire la "fin" au
terme, achèvement, mais penser aussi à la finalité, au but, à la fin comme telos. Le faux-
problème ne peut avoir de fonction que s'il est repéré comme tel et analysé en tant que faux. Il
peut en effet être instructif d'analyser en quoi certains problèmes sont faux, c'est-à-dire soit
n'existent qu'en apparence, mais non en réalité, soit sont des apories qui méritent d'être
reformulées en d'autres termes.

4) Enoncé de la problématique à partir d'une mise en crise du sujet.

A - La radicalisation-dramatisation du sujet. La dramatisation-radicalisation-crise du sujet


consiste à faire apparaître un paradoxe, une contradiction, une incompatibilité entre des idées,
des êtres ou des logiques, sous forme de problème, de question, sans fournir encore ni solution ni
réponse. La problématique doit en effet révéler, mettre au jour, faire advenir une tension
inaperçue au premier abord. Par exemple "Peut-on penser la révolution ?", nécessite de mettre au
jour, à titre d'obstacle éventuel à une pensée cohérente du concept de "révolution", la tension
inhérente à ce concept. La révolution recouvre deux pôles : selon l'un, la re-volutio,
étymologiquement désigne le retour périodique du même (par exemple d'un astre sur son orbite,
la révolution des planètes autour du Soleil) et renvoie à un phénomène régulier, caractérisé par
une certaine fréquence et par une répétition de l'identique ; selon l'autre pôle, la révolution
désigne, au contraire, un changement radical, brusque, irréversible, total, un bouleversement, une
rupture définitive avec ce qui précède, par opposition à la simple réforme qui est un type de
changement superficiel, graduel, susceptible d'être abandonné. Le problème (dramatisation-
problématique) est donc le suivant : peut-on encore penser la révolution, en tant que concept
unitaire et cohérent, si toute révolution est en même temps, à la fois, un retour régulier du même
et un changement d'une radicale nouveauté, qui fait date dans l'histoire ? Parfois, le paradoxe est
explicite dans le libellé même du sujet (par exemple "Peut-on nous forcer à être libres ?",
"L'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est-elle liberté ?"). Mais, le plus souvent, il n'y est
qu'implicitement contenu et c'est à l'auteur de la dissertation de le faire apparaître, ce qui est déjà
une amorce de problématisation.

B – La problématisation. La problématique est la reformulation de l'énoncé en d'autres termes.


C'est une question décisive et centrale, qui récapitule synthétiquement tout un faisceau de

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Autrice : Mai LEQUAN

questions qu'on peut se poser sur le sujet ou autour du sujet. Mais ne pas multiplier pour autant
les questions rhétoriques, vagues, oiseuves ou formelles, en les juxtaposant sans ordre. Il faut
hiérarchiser les questions, comme on hiérarchise les notions et les exemples, et ne garder que
celles qui sont en rapport direct avec le sujet. Le questionnement, l'étonnement (le thaumatzein
grec par lequel commence, selon Platon et Aristote, toute philosophie) est essentiel. Il n'y a pas
de philosophie sans questionnement, sans interrogation, sans formulation d'un problème.
Quelques exemples de questions qui peuvent nourrir la question problématique centrale : a) la
question de la définition, de l'être ou de l'essence d'une chose : "Qu'est-ce que … ?", "Peut-on
définir … ?", "Doit-on définir … ainsi … ?", "Comment définir … ?", "Quel(s) sens donner à
… ?", "Quelle est la nature de … ?" ; b) la question de la distinction : "Comment distinguer A de
B ?", "Peut-on distinguer A de B ?", "Doit-on distinguer A de B ?", "Quelle(s) différence(s) y a-
t-il entre A et B ?", " En quoi A diffère-t-il de B ?", "A et B", "S'agit-il d'une différence de degré
ou de nature ?" ; c) la question des conditions de possibilité, du fondement et de l'origine : "Quel
est le fondement de … ?", "Quelle est la raison de … ?", "En vertu de quelle nécessité A est-il
B ?", "Pourquoi A est-il B ?", "A quelle(s) condition(s) A est-il possible ?" , "Dans quelle
mesure peut-on … ?", «Peut-on fonder A en raison ?", "Comment fonder A en raison ?", "Quels
motifs avons-nous de … ?" ; "D'où vient que … ?", "Comment A a t-il pu survenir ?", «Quelle
est la genèse de A ?", "Quel est son mode de production ?", "Comment A a-t-il été fait ou
pensé ?" ; d) la question de la finalité : "Pourquoi A ?", "En vue de quelle(s) fin(s) A a t-il été fait
ou pensé ?", "Où va-t-on si … ?", "Quelle est la destination de A ?", "Quel est le but de A ?",
"Quels sont les effets, les conséquences (théoriques, matérielles, morales) de A ?", "Qu'est-ce que
cela entraîne ?". Les questions posées en Introduction doivent rester suffisamment générales
pour permettre ensuite, dans le Développement, des références à n'importe quel auteur. Les
questions ne doivent pas encore, à ce niveau, être posées par des philosophes, ni renvoyer à des
doctrines ou à des systèmes de pensées déterminés. Les questions doivent laisser entière la future
liberté de référence et ne pas enfermer d'emblée la dissertation dans une unique doctrine. La
problématique fournit l'axe directeur, l'idée principale, la colonne vertébrale de l'organisme
qu'est la dissertation. C'est la question qui approfondit et oriente, en la réinterprétant, la question
ou la formule de l'énoncé. Elle sert d'axe à l'ensemble de la démonstration et donne sa cohérence,
son unité, argumentative et démonstrative, à la dissertation.

5) Suggestion du plan (et non annonce scolaire) en 3 parties. La ou les dernières phrases
de l'Introduction doivent esquisser le cheminement argumentatif dynamique, processuel, de la
dissertation et les principales étapes du Développement, en supprimant les échafaudages
rhétoriques ("dans un premier temps, on traitera la question …") et en ménageant une place pour
la découverte et l'étonnement. Laisser en suspens notamment la solution qui sera apportée dans la
troisième et dernière partie du Développement. Ne pas dévoiler tous les mécanismes, ni a fortiori
toutes les solutions aux questions posées en Introduction.

B – Le Développement

1) Le plan du Développement. Préférer un plan en 3 parties. Ni les numéros ni les titres


des paragraphes ne doivent apparaître comme tels. Supprimer l'échafaudage du plan-brouillon
sur la copie. Veiller à la symétrie, à l'équilibre, à l'homogénéité et à l'égale densité des 3 parties
et de leurs sous-parties (2, 3 ou 4). Ne pas bacler la 3° partie par manque de temps. Les 3 grandes
parties obéissent à la progression argumentative annoncée par la dernière phrase de l'Introduction
(plan) et consiste à modifier, en la faisant rebondir dans 3 directions différentes et successives,
une seule et même question : la problématique donnée en Introduction et qui est elle-même une
reformulation du libellé. Le Développement doit progresser vers une réponse-solution
(provisoire ou définitive, complète ou incomplète) qui sera donnée en Conclusion. Pour ce faire,

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Autrice : Mai LEQUAN

il procède par hypothèses et par confirmation ou infirmation de ces hypothèses. Chaque


paragraphe examine une hypothèse, une idée ou une sous-partie du problème et la traite en
s'appuyant sur au moins un exemple ou sur au moins une référence à un texte philosophique
précis. A l'intérieur de chaque partie, chaque paragraphe doit prouver une thèse et faire avancer
l'ensemble du raisonnement. Il faut, en tête de chaque partie (en détails) et de chaque paragraphe
(plus succinctement), expliquer ce que l'on va tenter d'y démontrer et comment cette
démonstration s'inscrit dans l'ensemble du parcours argumentatif de la dissertation, ce qu'il est
censé apporter, et en quoi il nous rapproche d'une réponse définitive à la question de départ (la
problématique). Chaque paragraphe infirme ou confirme donc une hypothèse émise au départ. Il
peut être une justification ou un démenti, mais doit toujours être argumenté (à partir d'exemples
et / ou de références). Chaque paragraphe examine les présupposés de la thèse qu'il pose (en
amont) ainsi que ses conséquences (en aval). Il se conclut par un bilan synthétique provisoire et
doit proposer un passage, logique ou conceptuel, à une autre (hypo)-thèse. La fin de chaque
paragraphe doit en effet non seulement faire l'état de la question, à ce moment de l'analyse, mais
encore annoncer la transition au paragraphe suivant. Chaque fin de paragraphe doit mesurer le
chemin accompli (par le paragraphe et éventuellement par l'ensemble de la partie ou du devoir)
et définir un nouvel horizon interrogatif, en reprenant et en reformulant le problème
philosophique (problématique) posé en Introduction. Toujours respecter cette continuité de
l'argumentation-démonstration et soigner les articulations (surtout en début et fin des 3 grandes
parties de la dissertation). Il faut lier les analyses les unes aux autres, en allant, si possible, du
simple au complexe, de l'analyse à la synthèse, du latent (apparent) au patent, du contingent à
l'essentiel. La dissertation ne doit jamais développer une seule thèse ou idée, mais examiner
plusieurs points de vue, les faire jouer les uns avec et contre les autres, en un
parlement démocratique des idées. Eviter de traiter, de manière monothétique, dans les 3 parties
consécutives, une même thèse ou doctrine. Varier les références aux auteurs. Ne pas faire une
dissertation entièrement augustinienne, platonicienne ou cartésienne. Discuter chaque doctrine de
manière critique. Toujours se demander si l'on ne pourrait pas, plus judicieusement, soutenir la
thèse inverse. Avoir l'esprit critique, l'esprit de Socrate, qui jamais ne se satisfait d'une réponse
définitive, mais relance toujours le questionnement.
Il n'existe pas de plan-type pour la dissertation mais plusieurs types de plans, plus ou
moins adéquats selon les sujets. On distingue essentiellement trois types de plans possibles :

A – Le plan dialectique thèse-antithèse-synthèse, faute de mieux. Pour être valable, ce


type de plan doit soigner particulièrement les transitions dialectiques entre chacune des 3 grandes
parties, en mettant en jeu, à chaque fois, une crise, un renversement de la logique précédente, un
dépassement spéculatif, qui soit, non pas une simple opposition logique entre une thèse et son
contraire, mais un dépassement-conservation-approfondissement, une Aufhebung au sens
hégélien (mais ce type de dépassement dialectique hégélien d'une thèse par une antithèse n'est
pas toujours possible et ne doit pas être à tout prix calqué sur tout sujet). Ce type de plan doit
aussi veiller à la qualité, à la tenue intellectuelle, à la densité conceptuelle de la synthèse, qui ne
doit pas se contenter d'esquisser une troisième voie intermédiaire entre la thèse et l'antithèse, une
solution molle par défaut. La synthèse doit être une thèse philosophique originale à part entière,
comme le sont la thèse et l'antithèse, et non une non-thèse, une absence de thèse exprimant
seulement une hésitation entre la thèse et l'antithèse précédentes. La synthèse doit être un
dépassement dialectique de l'antithèse, et non un retour timide à la thèse. Par exemple, "Le
langage est-il le propre de l'homme ?" peut être traité par un plan dialectique en 3 parties : 1)
thèse : le langage est, en vertu de la définition du langage et de l'homme, être raisonnable doté de
logos (raison et discours), le propre de l'homme, au sens positif où il désigne un haut pouvoir
d'expression de la pensée rationnelle et de communication entre les hommes, et, plus
généralement, entre les êtres raisonnables, ce qui suppose une différence ontologique nette entre

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Autrice : Mai LEQUAN

l'homme, animal rationale, et l'animal (ainsi que les autres êtres, Dieu, esprits etc.) ; la thèse,
faisant implicitement du langage un pouvoir supérieur, en rapport avec les facultés les plus
hautes de l'esprit humain, ne vaut donc qu'adossée à l'arrière-plan métaphysique d'une certaine
définition de la nature humaine en sa spécificité ; elle équivaut à un éloge du langage humain
comme qualité (cf. Descartes) ; 2) antithèse : mais si l'on met en question la différence
ontologique homme-animal, qui la sous-tend au plan métaphysique, la thèse disparaît et il
devient possible d'admettre des langages autres qu'humains. Il n'y aurait alors que des différences
de degrés, et non de nature, entre le langage humain d'une part (langage au sens propre, strict et
fort) et les langages animaux d'autre part, langages au sens impropre, faible et large, entendus
comme codes de communication (sur les langages animaux, gestuels et / ou chimiques, cf.
Condillac, Benvéniste, Karl von Frisch, Von Uexküll) ; 3) synthèse : en réalité, le langage
comme pouvoir ne serait ni proprement humain, ni proprement animal, mais exprimerait
l'inhumain, l'infra-humain, ce qui, en l'homme, échappe à la raison rationnelle ou raisonnable. Le
langage serait non un pouvoir de la raison logique (logos), mais le lieu d'expression d'une
certaine forme d'impuissance à dire. Le langage serait en tout cas, en creux, l'indice d'une
incapacité à tout dire, le signe d'une possible et fondamentale inadéquation entre le dire et l'être,
de telle sorte que cette inadéquation (cette déficience du langage) soit constitutive de l'être
humain. Ce qui distinguerait la capacité langagière de l'homme de celle de tout être raisonnable
ou même de tout animal, ce serait donc ultimement les failles mêmes du langage, le fond
d'impuissance et l'origine sans-fond sur lequel il s'élève. Le langage renverrait alors à une
spécificité proprement humaine, non plus au sens de la thèse, mais au sens où le langage serait
l'Abgrund (l'arrière-plan absolu, le fond, l'abîme sans fond) de la distinction même entre être
raisonnable et animal. Le langage serait au-delà de la différence ontologique homme-animal
désignant le fond sans fond proprement humain sur lequel se détache la différence ontologique
entre animal et être raisonnable. Le langage serait la marque essentielle de la finitude de l'être
humain, comme le montrent les philosophies fondées sur une critique du langage humain, sur ses
insuffisances (cf. Nietzsche, Bergson etc.).

B – Le plan par gradation d'intensité. Ce plan est l'équivalent du précédent, mais sous
une forme moins radicale et moins dramatique. Les transitions entre parties ne s'y effectuent pas
selon un renversement (dépassement-conservation dialectique) d'une thèse en son antithèse,
c'est-à-dire que ce plan ne progresse pas en mettant en évidence des différences de nature, voire
des oppositions, entre concepts ou entre thèses, mais selon une gradation plus progressive, en
mettant en évidence des différences de degrés entre concepts ou entre thèses. Ici on progresse
d'une partie à une autre en renforçant d'un degré ou d'un cran supplémentaire une qualité,
propriété ou caractéristique. On va, par exemple, d'un sens faible à un sens médian, puis à un
sens fort, voire extrême, ou d'une caractérisque apparente possible à une caractéristique réelle
jusqu'à une caractéristique nécessaire.

C – Le plan thématique libre. Ce plan vaut surtout pour les sujets-notions. Par exemple
"La représentation", "La tolérance", "Le défaut". Il consiste à choisir, à l'intérieur d'une notions
trois thèmes, problèmes ou points de vue (liés entre eux) qui épuisent la notion, comme trois
sous-parties d'un ensemble plus vaste. Aucune règle a priori ne dicte l'enchaînement des trois
aspects. Mais il faut justifier le choix de ces trois thèmes et souligner la nécessité de leur
enchaînement.

2) Les exemples du Développement. Les exemples sont nécessaires car ils fournissent la
matière, la substance de l'argumentation. Ils évitent une pensée purement abstraite. Ils permettent
de mettre la pensée (une thèse par exemple) à l'épreuve, de tester la validité d'une hypothèse ou
d'un raisonnement, en le confrontant à la réalité. Les exemples peuvent être le support, voire le

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Autrice : Mai LEQUAN

ressort, d'une thèse. L'analyse des exemples (positive ou critique) permet d'avancer et de faire
rebondir la question, en reformulant le problème de départ. Les exemples ne sont jamais des
vécus subjectifs singuliers, qui engageraient l'expérience personnelle de l'auteur de la copie. Ne
pas relater une expérience privée, contingente, arbitraire, aléatoire, sans valeur probante,
objective, générale. Eviter en général le "Je", sauf s'il a une valeur universelle. Ce sont le plus
souvent des exemples universels et typiques, analysés comme tels par des écrivains. Un exemple
de passion dévorante, exclusive, maladive, inguérissable peut être la passion de la séduction chez
le héros du Don Juan de Molière, ou la passion de l'avarice chez Harpagon dans l'Avare de
Molière. Il déploie et donne à voir une vérité concrète à portée générale (ici sur la passion). Les
exemples peuvent être tirés aussi de la culture générale classique, par exemple de l'histoire
politique d'un pays, de l'histoire des sciences, voire de l'épistémologie et des sciences elles-
mêmes (sciences formelles, comme la logique, sciences expérimentales comme la physique et la
chimie, sciences exactes, comme la mathématique, ou sciences humaines, comme l'histoire, la
sociologie, la psychologie, l'anthropologie, la psychanalyse, l'éthnologie etc.), de l'art, de la
littérature, de la religion (les religions), des mœurs etc. Eviter, ou alors les traiter très en détails
et avec un angle original ou critique, les grands exemples classiques et maintes fois rebattus de
l'histoire de la philosophie : le "morceau de cire" de Descartes, la "tour" carrée qui paraît ronde
de Spinoza, la "caverne" ou "l'anneau de Gygès" de Platon, la "honte" ou la mauvaise foi de
Sartre, les "cent thalers" de Kant etc. Eviter aussi les clichés : la "pomme de Newton", le "euréka
d'Archimède" etc. L'exemple en lui-même ne suffit pas, de même qu'une référence à un auteur
n'est pas une autorité suffisante. Encore faut-il l'analyser et c'est dans l'analyse qu'on en donne,
plus que dans l'exemple lui-même, que réside sa valeur argumentative. L'exemple doit préparer
ou relancer l'analyse conceptuelle, la réflexion critique, l'interrogation. Sans cela, il est sans
valeur. Eviter des rhapsodies d'exemples redondants, les "essaims" d'exemples, qui ne font pas
progresser le concept. Comme tel, l'exemple (l'avarice d'Harpagon) est encore infra-
philosophique. On doit donc amener le discours de l'exemple au niveau du discours conceptuel,
seul proprement philosophique.

3) Les références du Développement. Ne convoquer les références aux auteurs et aux


textes (philosophiques ou autres) que selon les nécessités de l'argumentation, et non gratuitement
pour eux-mêmes, en un catalogue d'auteurs ou en un résumé de doctrines. Chaque référence doit
répondre à un problème clairement posé en début de paragraphe. Elle doit donc être présentée,
introduite. On doit comprendre son utilité dans l'ensemble du parcours démonstratif. Les auteurs
sont au service de la dynamique argumentative propre de la dissertation, non l'inverse. Les
auteurs sont guidés et leur ordre d'intervention est dicté par la logique propre de la dissertation,
non l'inverse. Ne citer aucun auteur sans problématisation, ni contextualisation préalable. On ne
doit pas se dissimuler derrière les grands auteurs, comme s'ils étaient des garanties suffisantes.
On doit rester l'agent, le principe et l'origine du discours. Ne pas accepter a priori, sans examen
préalable, les thèses d'auteurs. Il faut rester neutre et objectif face à un auteur. Il ne faut ni
s'identifier à un auteur, ni le mépriser. Rester ferme, mais nuancé dans le jugement qu'on porte
sur lui, en essayant toujours, dans un premier temps, de rendre compte de sa thèse, de rendre
raison de son approche, afin de lui donner raison, puis, dans un second temps, prendre du recul
critique par rapport à l'auteur, examiner le pour et le contre de la solution proposée par l'auteur
au problème, et réinsérer sa thèse dans le mouvement dialectique de la dissertation. Pas de procès
d'intention, de déformation caricaturale, de simplification abusive de la pensée d'un auteur : en
respecter et en restituer la complexité et la subtilité. Pas d'allusion brève, en clin d'œil, aux
doctrines et aux auteurs, par exemple, à l'argument du "pari" ou du "divertissement" pascalien, à
la définition kantienne de la "révolution copernicienne". Plus la thèse est célèbre, plus elle doit
être analysée avec soin et originalité. Le recours aux auteurs doit être mesuré quantitativement
(ne pas multiplier les auteurs, 2 ou 3 auteurs par partie est une bonne moyenne ; commenter

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Autrice : Mai LEQUAN

moins d'auteurs, mais mieux) et qualitativement (les analyser longuement, et non par allusions,
en les resituant dans leurs contextes respectifs, en les interrogeant de manière critique et en les
articulant à la démonstration d'ensemble). Ne pas citer une formule d'auteur incomplète ou isolée
de son contexte, ce qui risque d'en pervertir le sens (par exemple le "On les forcera d'être libres"
de Rousseau ou "Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée" de Descartes). Ne citer
entre guillemets que les textes que l'on connaît par cœur, sans erreur et avec leurs références
complètes. Sinon, préférer la périphrase ou ne mettre entre guillemets que certaines expressions
ponctuelles. Pour chaque auteur, toujours citer la référence avec le maximum de précision : titre
de l'ouvrage souligné, titres des partie, chapitre, paragraphe (mais pas de pagination). Pour
chaque auteur analysé, rappeler le contexte de l'œuvre, la perspective, l'enjeu, les finalités, le
vocabulaire technique de l'auteur. Préférer toujours une citation d'auteur à une citation de
commentateur. Par exemple, mieux vaut citer Kant que Delbos ou Philonenko. Eviter en général
les histoires de la philosophie, les ouvrages de seconde main et de vulgarisation. S'en inspirer
éventuellement, mais sans jamais les citer. Pas de "topo", ni de résumé de doctrine : ne rappeler
de la doctrine de l'auteur que ce qui est nécessaire à la reformulation de la question. Ne pas
présenter les références et les auteurs de manière chronologique, comme si l'histoire de la
philosophie oébissait à un progrès linéaire où le dernier venu, parce qu'il est le dernier venu, a le
mot de la fin. Préférer le point de vue synchronique et atemporel au point de vue diachronique et
historiciste. Si la majorité des références du Développement sont philosophiques (commentaires
de textes philosophiques classiques), elles ne sont pas nécessairement toutes philosophiques. On
peut avec profit faire des références non philosophiques, on l'a vu, à des domaines divers de la
culture générale : à l'art (textes de musiciens, de sculpteurs, de peintres, d'architectes, de poètes
etc.), aux sciences (formelles, exactes, expérimentales, humaines etc.), aux textes fondamentaux
des religions (Coran, Bible, mythologies grecque, égyptienne etc.), aux textes juridico-politiques
(code civil napoléonien, constitutions politiques des régimes successifs de la France, Déclaration
des droits de l'homme et du citoyen, traités de paix internationaux, discours politiques faisant
autorité : Démosthène, Thucydide, Thémistocle, Robespierre, Mirabeau, Lénine etc.). On peut
faire des références aussi à des œuvres universelles mi-littéraires, mi-philosophiques et y puiser
des exemples : dans la littérature française (Rabelais, Montaigne, Erasme, Montesquieu,
Rousseau, Diderot, Proust, Camus, Malraux, Aron), ou étrangère (Dostoïevski, Tolstoï,
Shakespeare, Mann, Hesse, Kakfa, Goethe, Schiller, Unamuno etc.). Mais, en tout état de cause,
éviter le catalogue rapide, défilé superficiel, rhapsodie d'auteurs : un tel a dit … ; mais un autre a
dit : … La dissertation n'est pas une série horizontale de références d'auteurs juxtaposées.
Travailler en profondeur plus qu'en accumulation.

C – La Conclusion

La Conclusion répond à la question (problématique) posée en Introduction. Mais, à la


différence des mathématiques, qui résolvent définitivement un problème, la philosophie doit tout
d'abord créer de toutes pièces le problème à partir d'un énoncé. Elle construit donc non
seulement la réponse, mais le problème lui-même. Comme le montre Platon, elle est un art de
questionner, d'interroger, de poser des problèmes judicieux, avant d'être un art de répondre aux
questions et de résoudre les problèmes. Ensuite, à la différence des mathématiques, la réponse
philosophique est provisoire et ouverte. Elle ne clôt pas définitivement la question ou le
problème. C'est aussi une réponse relative, conditionnée (par des hypothèses, des raisonnements,
un cheminement démonstratif), alors qu'en mathématiques, la réponse est inconditionnée et
unilatérale. La réponse apportée en Conclusion à la problématique ne vient pas résoudre le
problème, c'est-à-dire qu'elle ne le fait pas disparaître une fois pour toutes. Elle se contente,
prudemment et modestement, de l'éclairer, de l'exposer, de l'expliciter. En mathématiques, la
solution met fin au problème, tandis qu'en philosophie la réponse ne clôt que provisoirement la

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Autrice : Mai LEQUAN

question. Le questionnement reste ouvert à l'indéfini, à la patience, de sorte que les définitions
philosophiques sont parfois très longtemps différées (cf. Kant). Mais que la réflexion
philosophique en général soit interminable et ouverte à l'indéfini ne signifie pas que la
dissertation et la copie doivent être sans fin. La Conclusion doit conclure, au moins
provisoirement. Elle ferme, clôt, termine, achève, termine et parfait un raisonnement, une
démonstration, en apportant une réponse partielle et provisoire à la question centrale (la
problématique). La Conclusion comprend 4 étapes :
1) Bilan récapitulatif, résumé synthétique de ce qui a été démontré dans la dissertation, le
rappel des acquis.
2) Réponse à la question posée (en problématique), par oui ou par non, mais toujours de
manière ferme et nuancée. Par exemple, essai de définition du concept contenu dans le libellé
"Qu'est-ce qu'un principe ?" : "Un principe, c'est …".
3) Critique (modérée et prudente) et autocritique du parcours effectué dans la
dissertation, justification a posteriori des options choisies et des aspects non traités ou non
développés de la question. Rendre raison de ses choix et de ses omissions (sans les présenter
comme telles). Eventuellement, critique du libellé du sujet, mais avec diplomatie. Montrer, par
exemple, qu'une formulation légèrement différente de la question aurait débouché sur une
réponse sensiblement différente et sur des conséquences autres.
4) Ouverture finale : élargissement de la problématique à une (ou plusieurs) autres
problématiques périphériques ou étroitement liées à la problématique centrale, qui n'ont pu être
qu'effleurées au cours du devoir. Toutefois éviter de conclure sur : "Mais ceci est un autre
problème". Eviter aussi de conclure sur une citation d'auteur, ou sur des arguments entièrement
nouveaux. L'ouverture ne se justifie que si elle est encore en continuité avec la problématique du
sujet. Ce ne doit pas être une ouverture cosmique sur tout et n'importe quoi (par exemple, "Mais
enfin, qu'est-ce que l'homme ?").

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