d'équilibre
ANALYSES ET RECHERCHES
MAROGEST – Société de Gestion Flexibilité du Dirham
La libéralisation des échanges, la libre circulation des Parallèlement, la banque centrale travaille sur la mise
capitaux et le développement de nouvelles formes en place du ciblage de l'inflation qui consiste à faire
de concurrence sont quelques facteurs structurants correspondre le taux d’inflation à un taux cible ou à
de la nouvelle économie mondiale. La crise de 2007- une fourchette de taux cibles déterminés à l’avance
2008 a rappelé combien les interdépendances entre par la banque centrale.
les pays développés, les pays émergents et en
Dans la présente note de recherche, nous dresserons
développement sont fortes. Cette interdépendance
une revue des facteurs tangibles incitant le Maroc à
est particulièrement forte dans le domaine monétaire
percer dans le chemin de la flexibilité du Dirham.
et financier, et surtout entre pays à devises
Cette revue qui se veut intégrale, diagnostique les
convertibles. Au Maroc, la politique monétaire tant
incohérences de la politique conduite actuellement
au niveau de sa conception que de sa gestion, a
par BAM, expose les fondamentaux théoriques
permis de garantir une grande stabilité,
incitant à la flexibilité et mesure le degré de leur
particulièrement dans un contexte fortement tendu.
adaptabilité avec les spécificités du Maroc.
La valeur du Dirham est restée à l’abri des
fluctuations qui secouent la plupart des marchés. Nous enchainerons ensuite par une étude d’impact
Mais dans un contexte d’ouverture, cette fixité à un de la libéralisation du régime de change. Le premier
prix cher sur la crédibilité de la banque centrale, volet examiné concernera le redoutable risque de
particulièrement quand l’objectif de maintien de la dévaluation du Dirham. Alors que dans l’ensemble,
parité du change diverge de celui de l’équilibre les analyses des services du FMI incitent l’Etat
monétaire interne. marocain à aller vers plus de flexibilité de son régime
de change en indiquant que le taux de change du
Techniquement, le Maroc adopte actuellement un
Dirham correspond aux paramètres économiques
régime administré où c’est Bank Al Maghrib qui fixe
fondamentaux, la dégradation de la position
le taux de change sur la base d’une parité fixe avec
extérieure en 2016 (déficit de transactions courantes
rattachement à un panier de devises (60% de l'euro,
de 3,9% imputable à l’accélération des importations
40% du dollar). La monnaie marocaine dispose
et à la remontée du prix du pétrole) nous incite à
d'une petite marge de fluctuation de 0,3% à la
examiner si le Maroc est toujours éligible au passage
hausse comme à la baisse. Le Dirham évolue donc
à un régime de change flexible. Afin de tester cette
actuellement dans un corridor de 0,6% au niveau
assertion l’approche adoptée dans ce travail est celle
duquel la banque centrale intervient pour acheter ou
des fondamentaux. Elle s’inspire du modèle
céder la devise.
théorique d’Edwards (1989) et fait appel à un
modèle vectoriel à correction d’erreurs (VCEM).
30
I. Motivations de la flexibilisation de la 25
15
change s’impose. Autrement, on va se heurter à une la réalisation de son objectif assigné. En effet, les
incompatibilité, connue dans le jargon économique régimes de change fixe subordonnent la politique
par « l’impossible trinité de Mundell ». monétaire à la défense de la parité de change au
risque de déroger de l’objectif de stabilité des prix.
Figure 1 : Triangle de Mundell En somme, il s’avère incompatible d’utiliser ce
système pour la réalisation simultanée de l’équilibre
interne (stabilité des prix) et l’équilibre externe
(stabilité du taux de change). En effet, dans une
situation caractérisée par des pressions à la baisse sur
la monnaie nationale, les interventions des autorités
monétaires pour soutenir la parité de change,
peuvent impacter négativement l’objectif d’inflation
par la création de pressions inflationnistes et réduire,
en conséquence, la crédibilité de la banque centrale.
Cette situation est résumée, une fois encore, dans le
triangle d’incompatibilité de Mundell, selon lequel
on ne peut cohabiter l’objectif de stabilité des prix
avec celui de régime de change fixe dans un
environnement de libre circulation des capitaux.
peut creuser le déficit du compte courant et drainer 2014) : le faible niveau des prix du pétrole et de
les réserves de change à l’étranger (c’est le cas du l’alimentation, ainsi que la bonne campagne agricole
Mexique en 1994, les pays asiatiques : la Corée du ont réduit les factures d’importations de carburants
et de produits alimentaires, tandis que les niveaux
sud, la Malaisie, la Philippine et l’Indonésie en 1997,
d’exportations d’automobiles et des envois de fonds
le Brésil en 1999). Ces différents pays ont suivi un des travailleurs expatriés sont restés élevés. Les
ancrage nominal fixe ou une parité glissante « entrées de capitaux sont vigoureuses et stables, et la
crawling peg » qui était difficile de supporter avec la dette extérieure est viable. Les réserves de change
sortie massive de capitaux au moment de la crise. ont augmenté : elles représentent environ 110 % du
niveau ARA (l’indice d’adéquation des réserves qui
est calculé par le FMI) et 154 % du niveau ajusté de
II. Impact de la libéralisation du régime manière à tenir compte des contrôles existants des
de change mouvements de capitaux, à fin 2015. La position
extérieure globale nette du Maroc a commencé à
s’améliorer en 2015 : après être tombée de -50% du
a) Risque de dévaluation du Taux de PIB en 2010 à -67 % du PIB en 2014, elle a avoisiné
Change Effectif Réel (TCER) -64 % du PIB fin 2015 et devrait atteindre -56 % du
PIB à moyen terme.
L’évaluation du solde extérieur, qui repose sur les Maintenant, avec la dégradation de la position
données de 2015, indique que le Dirham est plus ou extérieure en 2016, et l’aggravation du solde du
moins aligné sur les paramètres économiques compte courant, passant de 2,2% en 2015 à 3,9% en
fondamentaux. La méthode du solde courant 2016 sous l’effet de l’accélération des importations,
indique que l’écart du solde courant par rapport à la conjuguée à une hausse du prix du pétrole (après la
norme est de 0,6 % du PIB, ce qui correspond à une baisse exceptionnelle enregistrée en 2015), le taux de
sous-évaluation du Dirham d’environ 2,0%, et la change du Dirham a toutes les chances de s’écarter
méthode de la viabilité extérieure indique une sous- une fois encore de ses paramètres fondamentaux,
évaluation de 11,7%. Cependant, la méthode du taux rendant le Maroc inéligible au passage à un régime
de change effectif réel fait apparaître une de change flexible. Afin de tester cette assertion,
surévaluation du Dirham de 9,1%. Globalement, les l’approche adoptée dans ce travail est celle des
deux premières méthodes, qui ont été utilisées dans fondamentaux qui s’inspire du modèle théorique
les rapports antérieurs du FMI, indiquent un d’Edwards (1989). Suivant ce dernier, le taux de
réalignement notable du Dirham par rapport aux change d’équilibre est celui qui évolue en fonction
paramètres économiques fondamentaux au cours des fondamentaux et qui assure simultanément les
des deux dernières années. équilibres internes et externes « Voir annexes 2 et
3 ».
Graphique 2 : Ecart TCER et Taux de change d'équilibre
Graphique 3 : Evolution du Taux de change effectif réel et du
15% taux de change d’équilibre
10% 120
TCER
5%
TCEquilibre
0% 110
2013 2014 2015
-5%
-10% 100
-15%
être contenus et gérables. Le potentiel de La figure indique que tout choc baissier sur le taux
transmission du taux de change à l’indice des prix à de change réel entraîne une réaction rapide mais de
la consommation est relativement faible en faible amplitude du niveau général des prix. Celui-ci
moyenne. Les analyses du FMI estiment à fin 2013 augmente à la suite du renchérissement des
que l’élasticité de la transmission est d’environ 0,25 à importations des produits intermédiaires et à
court terme et de 0,18 à moyen terme. l’augmentation de la demande étrangère de produits
locaux, puis il connaît un ralentissement à partir de
Relation Inflation - Masse monétaire - Taux de
la troisième année en réponse à la baisse de la
change
demande locale des produits finis d’origine extérieur.
A court terme, une dépréciation de la monnaie La rapidité de la réaction des prix aux variations du
locale entraîne une hausse de l’inflation puisque les taux de change peut-être expliquée soit par une
produits importés deviennent plus chers à l’intérieur flexibilité des prix surtout des produits finis
et donc moins compétitifs ; il s’agit de l’effet-prix importés, soit par une politique monétaire
d’une baisse du taux de change effectif réel. accommodante et peu crédible. Devereux (2001) a
A moyen terme, les importations baissent en volume mis en évidence que, dans certains pays (exemple le
entraînant ainsi une baisse de l’inflation importée Mexique), les importateurs ajustent immédiatement
suite à une perte de compétitivité des biens leurs prix proportionnellement à la hausse de leurs
d’importation par rapport aux produits locaux. coûts suite à la dépréciation du taux de change.
Pour évaluer ces effets à court terme et à moyen Taylor (2000) suggère que, si les entreprises
terme, on estime un modèle VAR(p) qui fait manquent de confiance dans la politique monétaire,
intervenir également le choc monétaire (M3). alors elles ne tardent pas à transmettre
L’ordre du retard est choisi sur la base du critère de l’augmentation de leurs coûts aux prix, car elles ne
Schwarz. voient pas que cette dépréciation du taux de change
pourrait être transitoire.
Résultats et interprétations Pour mieux discerner la transmission des chocs sur
le taux de change à l’inflation, on fait recours à
L’examen de l’ampleur du pass-through des chocs l’analyse de la décomposition de la variance. Le
sur le taux de change aux variables du modèle et en tableau suivant reporte les résultats de cette
particulier à l’inflation nous a permis de mesurer les décomposition qui met en évidence la part de
effets d’une dépréciation du taux de change. La chaque variable du modèle dans l’explication de la
réponse impulsive (représentée par le trait continu) variation de l’indice des prix à la consommation.
est établie au cours d’un horizon de 9 ans (voir
Figure ci-après). Tous les chocs sont standardisés à Tableau 2 : Décomposition de la variance
1% ; et donc, l’axe vertical indique le pourcentage de
la variation approximative de la transformée Période LOGIPC LOGTCER LOGM3
logarithmique de l’indice du prix à la consommation
0 100,00 - -
en réponse à choc de 1% de la transformée
logarithmique sur le taux de change. 1 an 93,39 2,91 3,70
2 ans 79,24 7,56 13,20
3 ans 62,80 11,25 25,95
4 ans 48,67 12,93 38,40
5 ans 38,17 13,05 48,78
6 ans 30,76 12,34 56,90
7 ans 25,57 11,32 63,11
8 ans 21,86 10,27 67,86
9 ans 19,17 9,32 71,52
chocs de la masse monétaire, alors que seulement étrangères est limitée (et activement gérée sur le plan
7,5% est expliquée par les chocs de taux de change. de la structure par monnaie et taux d’intérêt) : il ne
A la quatrième année, la part des chocs du taux de s’agit donc pas d’une source de risque majeure.
change augmente modérément alors que celle de la
masse monétaire triple. Sorties de capitaux : il est peu probable
Ces résultats montrent que le taux de change ne joue qu’un assouplissement du taux de change entraîne
pas un rôle important comme déterminant de la des sorties de capitaux à grande échelle, car les
variation des prix au Maroc. En fait, il semble y contrôles existants des mouvements de capitaux
avoir d’autres facteurs qui déterminent l’inflation au limitent la capacité des résidents à convertir en
Maroc, notamment la fluctuation de la demande monnaies étrangères leurs soldes en dirhams ou à
intérieure surtout avec des saisons agricoles très déplacer leurs fonds offshores.
différenciées qui entraînent des fluctuations
majeures des prix des produits de consommation.
III. Expériences récentes en matière de
En outre, les entreprises marocaines sont peu
compétitives par rapport aux entreprises étrangères ; libéralisation : Cas de l’Egypte
et tendent ainsi de supporter une part de
l’augmentation du coût de production afin de La réforme de change est loin de faire l’unanimité
préserver leur part de marché. sur la scène économique et financière. Bon nombre
De plus, l’administration des prix de certaines des d’acteurs montre un certain scepticisme et pointe du
composantes du panier de l’indice des prix à la doigt une réforme décrétée par le FMI aux
consommation, fait de sorte que l’impact de la conséquences négatives sur l’économie. Cette prise
hausse des prix de certains produits importés relevée de position est souvent inspirée d’expériences de
n’est que partiel sur les prix des produits locaux, et pays ayant opté pour le passage à un régime de
ce en relation avec les subventions qu’accorde l’Etat change flexible avec les conséquences que cela a
à ce type de produits. entrainé sur leurs économies. Le cas le plus récent
est celui de l’Egypte qui a vu sa devise se déprécier
c) Divers risques liés à la libéralisation du de près de 60% en novembre dernier, d’où l’intérêt
régime de change d’exposer les circonstances dans lesquelles ce
chantier a été conduit et de mettre en évidence les
Même si le passage du Maroc à un régime de change différences qui existent entre l’économie marocaine
flexible n’est pas sans risques, ces derniers semblent et égyptienne.
globalement maîtrisés et gérables. Trois importants Dans un premier temps, Il convient de rappeler que
volets sont brièvement examinés dans ce point. Il l’Egypte s’est vue « imposer » le passage au régime
s’agit du risque de dégradation de la situation des de change flexible. Elle intervient comme réponse
établissements bancaires, du risque d’aggravation aux réclamations du FMI qui s’apprêtait à accorder
l’encours la dette publique et de celui de sorties un prêt de 12 Mrds de dollars sur trois ans. Or, pour
massives de capitaux. le cas du Maroc, la situation est totalement
différente, car ce changement de régime est
Banques : l’effet direct d’une dépréciation volontaire et graduel. L’absence de contraintes à ce
du dirham sur les bilans des banques serait positif, niveau permet au Royaume d’entamer le processus
car les banques ont davantage d’actifs que de passifs d’une manière progressive et préparée, procurant de
en monnaies étrangères. Les effets indirects sur la la sorte au Dirham une certaine protection contre de
qualité du crédit seront probablement limités aussi, fortes et brusques variations.
car la part des prêts en monnaies étrangères dans le Sur le volet de la réglementation de change, une
total des prêts dans l’économie est inférieure à 4 % différence majeure entre les deux pays mérite d’être
(et les emprunteurs en monnaies étrangères peuvent mise en exergue. En Egypte, le compte de capital est
couvrir leurs engagements dans ces monnaies). totalement ouvert tandis que la réglementation
marocaine impose certaines restrictions en termes de
Dette publique : la dette publique est viable circulation de capitaux. Avec ces restrictions, le
et la part de la dette publique libellée en monnaies Maroc est mieux couvert contre les opérations sur
MAROGEST – Société de Gestion Flexibilité du Dirham
devises pour des fins spéculatives, lesquels peuvent Graphique 4 : Avoirs Officiels de Réserves
être à l’origine d’une détérioration brutale de la 30000 9
8
parité de change. 25000
7
20000 6
Tableau 3 : Cadre Macro-économique Maroc VS Egypte 15000
5
4
10000 3
2
5000
Maroc Egypte 1
0 0
2015 2016 2015 2016
nov.-16
août-16
juil.-16
mai-16
juin-16
avr.-16
sept.-16
févr.-16
janv.-16
déc.-16
oct.-16
mars-16
déc.-15
Croissance
4,50% 1,10% 4,20% 3,80%
du PIB
AOR - Egypte (En Millions $) AOR - Maroc (En Millions $)
Inflation
(Moyenne 1,50% 1,60% 10,90% 10,10% AOR en mois d'importations - Egypte AOR en mois d'importations - Maroc
Annuelle)
Solde Le deuxième indicateur de stabilité du cadre
budgétaire -4,30% -4,10% -11,50% -12,10% macroéconomique du royaume est celui de
(En % du PIB)
Solde l’inflation. Depuis plusieurs années, la variation de
courant (En % -2,20% -3,90% -3,70% -5,80% l’indice des prix est maintenue au Maroc à des
du PIB)
niveaux inférieurs à 2%. Or, lorsque la flexibilité a
Endettement
du Trésor (En 64% 65% 89% 95% été mise en place en Egypte, l’inflation frôlait les
% du PIB) 20% et a dépassé la barre des 30% post-
libéralisation.
Ensuite, il faut noter que le cadre macro- Pour les autres agrégats, l’endettement du Trésor se
économique est totalement différent entre les deux limite à 64% du PIB au Maroc alors qu’il frôle les
pays. Malgré les vulnérabilités du modèle de 95% en Egypte. En ce qui le concerne, le déficit
croissance Marocain (dépendance de l’économie des budgétaire s’inscrit dans une tendance baissière pour
aléas climatiques), le bilan actuel de l’économie atteindre en 2016 4,1% du PIB au Maroc tandis qu’il
marocaine (solidité et la résilience des fondamentaux dépasse les 12% en Egypte.
économiques) demeure de loin meilleur que celui de
l’Egypte.
𝑇𝐶𝐸𝑞𝑢𝑖𝑙𝑖𝑏𝑟𝑒𝑡
= 0,000148 𝑃𝑃𝐴𝑡 − 1,711 𝐵𝐶𝑡
+ 2,627 𝑅𝐶𝑡 − 136,93