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Bilan

de bégaiement
pour l'adulte
et approche
rééducative
Bilan de Bégaiement
pour l'adulte
et approche rêéducative
Collection Tests & matériels en orthophonie
Dirigée par Catherine Pech-Ceorgel et Florence Ceorge

Titres parus
Parler et lire avec les idéo-pictos
Méthode d'aide au langage et à l'apprentissage de la lecture
B. Chauvin-Tailland, 2001, 77 pages
La conscience phonologique
Test, éducation et rééducation
D. Delpech, F. Ceorge et E. Nok, 2001, 152 pages
Manuel pratique de lecture labiale
D. Haroutunian, 2002, 128 pages
Test d'orthographe
Le petit Poucet (Texte étalonné du CE 1 à la 3e)
C. de Plazaola, F. Cauthier, M.F. Arsicaud, C. Pech-Ceorgel, 2003, 7B pages
Des mots et des phrases
A.M. Sanaani, 2OO4,98 pages

Chez Ie même éditeur


Collection Actualités en rééducation orthophonique
Dysphonies et rééducations vocales de l'adulte
Coordonné par C. Klein-Dallant, 2001, 356 pages
Approches et remédiations des dysphasies et dyslexies
Sous la direction de C. Pech-Ceorgel et F. Ceorge, 2002, 165 pages
La Sclérose Latérale Amyotrophique : quelle prise en charge orthophonique ?
Coordonné par A. Bianco, D. Robert, 2002,163 pages
Paralysies faciales
Coordoné par P. Catignol et C. Lamas, 2004, 145 pages

Collection Voix, parole, langage


l-'équilibre et le rayonnement de la voix (livre + CD)
B. Amy de la Bretèque, 1997,128 pages.
Soigner la voix
J. Sariati, 1998, 128 pages.
ta déglutition après chirurgie partielle du larynx
Lise Crevier-Buchman, S. Brihaye et C. Tessier, 1998, 100 pages.
Le trac
trac, stress, anxiété, problèmes de communication
E. Fresnel, 1999,105 pages
À l'origine du son : le souffle
B. Amy de la Bretèque, 2000, 128 pages
La voix de l'enfant
J. Sarfati, A.-M. Vintenat, C. Choquart, 2002, 95 pages
La voix après chirurgie partielle du larynx (livre + CD)
L. Crevier-Buchnman, S. Brihaye, C. Tessier, 2003, 205 pages

Collection Le monde du verbe


Du silence à la voix
C. Heuillet-Martin et L. Conrad, 1997,317 pages.
Une voix pour tous
C. Heuillet-Martin, H. Carson-Bavard et Anne Legré
Tome I - La voix pathologique, 2" édition - 1997,204 pages.
Tome ll - La voix normale et comment l'optimaliser, 2" édition - 1997,216 pages.
De la voix en orthophonie
l. Ammann, 1999, 131 pages.
Un manuel du bégaiement
M.-C. Monfrais-Pfauwadel, 2000, 363 pages.
Rééducation des troubles de l'alimentation et de la déglutition
C. Senez, 2002,180 pages.
À pleine voix
C. Delamarre, 200J, 152 pages.
La réhabilitation de la déglutition chez l'adulte
Le point sur la prise en charge fonctionnelle
V. Woisard et M. Puech , 2003, 41 1 pages
Dix histoires pour l'orthophonie
F. Estienne, 2004, 3OO pages.
202 exercices pour les incompétence vélopharyngée, les dysfonctionnement tubaires
et les troubles articulatoires
F. Estienne, N. Deggouj, L. Derue, F. Vander 2003,1 31 pages.
AXU CD-Rom
F. Ceorge, C. Pech-Ceorgel, B. Nazarian, 2003.
Test d'attention soutenue : PASAT modifié CD
Adaptation française
B. Naegele, S. Mazza,2003.
Bilan de Bégaiement
pour ltadulte
et approche rééducative

C. de Plazaola
F. Gauthier

OsolAr
TABLE DES MATIERES

I ntrod u ct io n

H istorique .. 11

Quelques réflexions sur le bégaiement . 17

Présentation du bégaiement 21

Objectifs et intérêt de ce bilan 25


Présentation des épreuves et support théorique .. 27
Bilan de bégaiement, livret de passation 39
Exploration des différentes situations de parole 43
Observation du patient : comportements concomitants 49
Fondement de la démarche rééducative 53

Les grands axes de la rééducation 57


1u'axe de la rééducation :travail de la conscience statique 61

Exercices de statique.. 65
2" axe de la rééducation : la conscience du souffle.... 71

3" axe de rééducation : travail de la conscience vocale 77

4" axe de la rééducation : la conscience linguistique.. B3

Etudes de cas 93

Conclusion 111

B ibl iograph ie ... 113


lntroduction

n assiste actuellement à la mise en place de démarches impor-


tantes, en particulier de la part de I'APB (Association Parole Bégaiement),
en faveur du dépistage et de la prévention de plus en plus précoces du
bégaiement chez le jeune enfant. Pour notre part, nous avons souhaité
établir un bilan à l'usage de l'adulte et l'adolescent autonome, qui souf-
frent de ce trouble depuis de nombreuses années.

ll existe bien sûr plusieurs batteries de tests et d'excellents bilans fouillés


pour le sujet adulte. Le bilan que nous proposons ici a pour objectif de
mettre à la disposition des praticiens, médecins phoniatres et orthopho-
nistes, un outil d'évaluation du bégaiement à travers, d'une part, une
anamnèse qui permet de retracer les grandes lignes des origines et de
l'évolution du trouble, d'autre part des épreuves qui testent les différentes
situations de parole, dans l'optique de parvenir avec le patient, dans un
laps de temps convenable (ni trop bref, ni trop lourd) à une perception
synthétique du trouble.

Nous n'oublions pas que le bilan est un lieu de rencontre où le patient qui
bégaie, plus que tout autre, doit trouver une écoute bienveillante et où le
praticien se doit de l'amener à définir, à l'aide du bilan, aussi objectivement
que possible ce que la P.N.L.appelle l'E.P. (état présent) afin qu'à l'issue de
cette rencontre s'établisse un ( contrat ) entre thérapeute et patient en vue
de la concrétisation de l'E.D. (état désiré) que l'on devra tâcher d'amener
le patient à définir, là aussi, le plus lucidement et objectivement possible.
En effet il est fréquent que le patient, à la question : ( De quelle manière
souhaitez-vous parvenir à parler à l'issue de la prise en charge ? ,
réponde: ( Comme vous )) ou n Comme les gens qui parlent bien )... se
référant ainsi soit à une parole académique, soit, en tout état de cause, à
une parole extérieure à eux. lls trahissent par là une carence de l'estime
de soi et nous fournissent l'occasion d'exposer la conception que nous
avons d'une ( vraie > parole (la leur, émaillée ou non, selon les situations,
d'accidents et non exempte de scories, mais authentique et fluide dans
son ensemble) selon notre éth ique.

Ce faisant nous donnons la possibilité au patient de connaître l'objectif et la


démarche que nous lui offrons, dans le respect et l'intégrité de sa personne.

De ces notions de respect et d'intégrité découlent les o termes du contrat >


oral qui vont lier patient et thérapeute tout au long d'un parcours au cours
duquel l'objectif sera à plusieurs reprises rappelé, et l'n état présent ))
éventuellement ré-objectivé dans son évolution par étapes. Cette prise en
charge, rarement inférieure à 1an ou supérieure à 2 ans, se fera au début
au moins au rythme de 2 (ou de 3) séances hebdomadaires.

Cause ou conséquence, les troubles psychologiques associés requ iè-


rent, à des degrés divers selon les patients, un accompagnement psy-
chologique QUi, mis en place à une moins grande fréquence que les
séances de rééducation orthophonique, sera d'une aide inestimable
dans la résolution du trouble. En effet, comme M. le Dr Le Huche (te
bégaiement option guérison), nous croyons, et notre expérience nous
l'a prouvé, gu€ ce trouble trouve souvent une véritable résolution (le
patient ne bégaie plus et progressivement voit s'estomper la crainte de
rechute). Toutefois, ce soutien peut, en fonction de l'histoire person-
nelle du patient, être mal accepté. ll sera souhaitable de ne jamais insis-
ter tout en lui exposant tout le bien qu'il pourrait en attendre et il n'est
pas rare de voir les patients, méfiants ou inquiets à cet égard, y recou-
rir volontiers par la suite.

Toujours dans le cadre de l'établissement du < contrat >, il sera essentiel


d'insister sur la disponibilité que cette rééducation va leur demander et
sur les implications qu'elle aura sur leur vie, du fait de la contrainte du
rythme des séances (assiduité) et du fait que cette démarche ne saurait
aboutir sans une vigilance quasi constante à tout ce dont se nourrit [a
parole et que la rééducation va successivement aborder.

Par ailleurs, fonder la démarche rééducative en fonction de l'E.D. défini


implique que la séance de bilan ne prenne pas fin sans que le thérapeute
ait illustré de la manière la plus concrète possible (schémas anatomiques
à l'appui) le fonctionnement des organes phonateurs (l'instrument de
musique) et celui des instances neurologiques
du langage , la parole étant
le lieu magique où fusionnent soma
et psyché.
Enfin se pose lu question :enregistrer
ou ne pas enregistrer le bilan ?

ll va de so; o.'".|'enregistrement requiert le


consentement du patient, c€
qui est facile à obtenirâufait de la bonne volonté aveugle qu,il
généraleme,nt, ffiàis au prix d'une manifeste
souffrance qri risque de fausser plus
moins lourdement les performances, ou
ces sujets étant classiquement révul-
sés à la perspective de laisser une
iru.. de leur parole. ll est clair qu,au
décours de la rééducation, et dans la
confiance instau rée,patient et thé-
rapeute se lamenteront de ne pas
avoir ce témoignage objectif de l,état
initial' qui serait un précieux matériau
d.e.oÀfuraison pou r valoriser de
man ière objective les progrès
accomplis (souvent sous-estimés par
patient)' mais la conctusion est que le
le souci'de-respect du patient (et
est primordial) nous conduit à répondre ceci
non rnoru, tl a.àii" quesrion.
Ce bilan a été
r-c crduure
élaboré au sern
sein d'une
d,une équipe
équi de thérapeutes de l,hôpital de
la Timone, à Marseille, par une orthophoniste
(M-" Claude
nrste (M,"" plazante\ o",
cle plazaola)
claude de en

d1;ili;'r'ï;ï,,i:iil:i:
'r;;:"Ëiïin'"lf:ii
qntlf ion J.' Àz{me l^ F\r r\ Fr r .

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r:ç (r .-,r rr rulJnonte qul ont recueilli
données et dont on trouvera en bibl ibliographie les noms et le titre
il i.' .,;= "1?ï:", "
de nos ::investigations.
à b a s e o n t, iïË ##;
:.."i" ; ;, oi ;l j ; J ,. fl
ii :
C'est ce bilan validé scientifiquement,
standardisé et étalonné jusq u'en
2003 sur une population de 45 sujets,
qu'utilise l'équ ipe de la
consu lta-
Rtï;ffiiliil:i::
Historique

Le bégaiement dans I'Histoire


Le bégaiement se rencontre dans toutes les sociétés et ce depuis toujours.
llsemble que la première apparition du bégaiement dànt les écrits
remonte au début du Moyen Empire Egyptien, c'est-à-dire aux environs
du XX" siècle avant l'ère chrétienne. De plus, l'anthropologie a permis de
découvrir de nombreux termes, issus de diverses cultures, désignant le
bégaiement. ll est intéressant de remarquer la formation onomatôpéique
de ces mots. Voici quelques exemples très représentatifs de l'aspect oral
de ce trouble :

o en égyptien : TUHUH TUHUHU


o en turc : KEKE KEMEK
o en hawal'en : UU UUS
.en sioux : EYE-H DA-SNA-SNA
. en hindoustanais : LARBARAHA
o en anglais: to STUTTER
o en espagnol : TARTAMU DEAR

Dans la langue française, le mot bégayer, apparu au XV" siècle, trouve


son origine dans le cri de la chèvre :
o lnitialement, au Xl" siècle, bêler, onomatopéique, désigne le cri du
mouton, ffiâis aussi de la chèvre.
o Vers 1235, on trouve béguer, QUi distingue le cri de la chèvre de celui
du mouton. Le terme s'est étendu à l'homffie, d'où les adjectifs beggue,
11
becgue. lci, la dérivation s'est faite à partir du cri de la chèvre et non à
partir du nom de l'animal.
o Vers 'l 305, le mot bégueter, in itialement util isé pou r la chèvre,
s'adresse désormais à l'homme.
o Enfin, en 1 41 6, le mot besgoyer (bégayer), dérivé de bégueter, est uti-
lisé spécifiquement pour l'homme.

On notera le caractère dévalorisant de ces termes : le bégaiement paraît


si peu humain que des appellations in itialement réservées aux an imaux
semblent f inalement conven ir.

Le bègue en tant que personnage


Tout au long de l'Histoire de l'humanité, les bègues furent perçus de
d iverses façons par les sociétés.

Dans la trad ition judéo-ch rétien ne, le bègue avait pour fonction sacrée
celle d' intercesseur. lntermédiaire entre l'homme et la divinité, on lui
prêtait la faculté de comprendre la parole divine.

Mo'ise et Virgile en furent les plus importantes illustrations.

Le trait contradictoirequi caractérise le bègue dit paradoxal est que celui-


ci est un professionnel de la communication. Aussi, il n'a de cesse de
chercher à corriger ses troubles du langage et ce, au prix d'une grande
volonté et de réelles souffrances.

Ainsi peut-on citer des orateurs notoires tels Démosthène, Alcibiade,


Timoclès ou, plus près de nous, Camille Desmoulins.

Nous avons cité ici le cas de bègues ayant su passer outre leur bégaie-
ment, voire s'en servir pour exister. Mais lorsque le bègue se trouve pris
au piège par son trouble, il est alors la cible de toutes les moqueries et
plaisanteries : il devient objet de dérision.

De plus, les bègues exhibés, montrés comme des monstres de foires, ras-
suraient ceux qui n'avaient pas à supporter de quelconques infirmités.
Et, que ce soit dans la Comedia dell'arte ou de nos jours dans les pièces
dites de boulevard, les bègues continuent d'amuser le public: le spec-
tacle perdure.

Le bègue peut étonnamment détenir le pouvoir absolu et, dans le même


temps, engendrer le rire, les moqueries:ainsi en est-il du bègue sou-
verain. Certaines figures de l'Histoire témoignent de ce paradoxe,
12
notamment Battos devint roi de la ville de Cyrène, du fait d'un quiproquo
de langage, ré de deux acceptions d'un radical pouvant signifier
( bègue ) ou ( roi )).

Nous pouvons encore citer Claudius Romanus, empereur romain, Louis


ll, roi de Franc€, Qui, diminué par son bégaiement, ne dut son trône qu'à
l'abandon d'une partie de ses droits et de ses prétentions.

Enfin, Louis Xlll Le Juste, que l'on aurait pu nommer Louis Xlll Le Bègue,
tant les témoignages de son bégaiement s'avèrent nombreux. L'un de ses
précepteurs justifiait son profond dédain des Lettres du fait de sa difficulté
dans l'expression orale. Plus tard, Son discours de n majorité reconnue )
se fait sans trace de bégaiement aucun et a pour conséquence de faire
cesser les écrits sur son infirmité : le roi est-il guéri ou le sujet doit-il res-
ter tabou ?

Pourtant, le bègue s'est vu également attribuer son infirmité à la seule


volonté des Dieux afin qu'il prisse comprendre leur message. Mais s'il
accepte son trouble sans combattre, résigné, il prête le flanc aux moque-
ries et il apparaît d issemblable des autres.

Enfin, s'il possède le pouvoir souverain, il peut le perdre du fait de ce


même hand icap.

Evolution des traitements du bégaiement


Comme nous l'avons vu précédemment, la présence du bégaiement dans
l'Histoire est très ancienne, ainsi que son caractère universel. ll a donc
été recensé très tôt comme l'un des grands maux de l'humanité et a inévi-
tablement fait l'objet de différentes conceptions et traitements associés.
Heureusement, ces théories et traitements du bégaiement ont évolué au
cou rs des siècles.

Au tout début, le bégaiement s'insérait dans la théorie des humeurs.


Ainsi, le ( sang mauvais ) et les ( humeurs noires ) des bègues provo-
quaient en eux, selon Hippocrate (-370 av. ).-C.), une sécheresse de la
langue entraînant son mauvais fonctionnement. Les traitements indiqués
alors furent l'upplication de sangsues et les saignées afin de rendre aux
bègues des humeurs plus ( adaptées ). Cette théorie des humeurs se
maintiendra jusqu'au XVlll" siècle.

La langue fut longtemps considérée comme le siège principal de la parole


et son mauvais fonctionnement comme la cause essentielle du bégaiement.
11
Si les humeurs du bègue furent jugées comme la base cle ce problème, on vit
tout de même apparaître des nuances faisant intervenir l'aspect de la langue
elle-même (Aristote), ou le tempérament du bègue (calien, )oo).

Ce ne fut que vers l'an mil qu'Avicenne, médecin arabe, exposa une
théorie plus empreinte de modernisme impliquant le sysême nerveux
dans l'explication du bégaiement. Mais son influence, pourtant grande
dans tout le milieu médical européen, ne fut pas appliquee au b?gaie-
ment.

L'évolution des théories sur le bégaiement se poursuivit, faisant naître


successivement de nouveaux traitements :

vers 1 33 6, cuy de chauliac parlait de convulsions et paralysies momen-


tanées de la langue sans en donner la cause. ce fut Mercu rialis, vers
1558, qui imagina deux possibilités différentes selon le caractère trop sec
ou trop humide de la langue.

Au début du XVll" siècle, Francis Bacon pensait qu'un refroidissement


anormal, en raidissant la langue des bègues, àurait entravé sa mobilité. Le
traitement proposé consistait en des bains de vin chaud.

Le courant l" plus important fut celui des théories qui mirent en cause la
taille et la mobilité de la langue plutôt que sa température ou son taux
d'humidité. Les traitements devinrent cette fois ptus radicaux, car passant
par la chirurgie.

Les techniques de glossotomie différèrent au rythme des causes invo-


quees :
o section du frein de la langue pour une langue trop courte,
. incision latérale pour une langue trop large,
o incision apicale pour une langue trop longue...
D'autres opérations furent également pratiquées, notamment l'incision de
la racine de la langue par Diffenbach (1841 ). Le but était ici de supprimer
les spasmes de la langue lors du bégaiement en la séparant de son inner-
vation. Velpeau et Amussat, chirurgiens, appliquèrent dans le même but
des sections plus ( subtiles ) de nerfs linguaux selon les anomalies lin-
guales observées.

Ces pratiques se généralisèrent, du fait des résultats encourageants


annoncés...
Mais en 1817,ltard, qui suspectait une faiblesse de la langue, décida de
son soutien par l'emploi d'une fourchette en ivoire. Quelques années
plus tard, Mrs Leigh (1825) utilisera des tiges en coton.

14

I
Alors que les n bains et les béquilles, rencontraient un succès relatif, les
pratiques de glossotomie continuaient. Ces dernières se retrouvent
encore de nos jours, notamment sous la forme de section du frein de la
langue par Hunt (19G7).

Peu à peu, l'interprétation du trouble l'inséra dans les troubles du lan-


8a8e, permettant le développement de techniques de rééducation. En
effet, au début du XX" siècle, le bégaiement fut davantage perçu comme
un ( défaut élocutoire , pouvant se réédrquer que comme un o ral orga-
nique ).

Notons que l'Histoire rapporte des exemples ponctuels et isolés de réédu-


cation du bégaiement :
' rééducation fondée sur de nombreux et divers exercices de diction et
de respiration, comme ce fut le cas pour Démosthène,
o rééducation à caractère pédagogique, qu'appliqua
Jean Héroard au
Dauphin de France, futur Louis XIll (1 614),
' rééducation rythmique prônée par Columbat au XVlll" siècle et qui
consistait à parler en suivant un mouvement du bras,
' vers 1832, Bell instaura de nouveaux exercices de diction laborieux,
comme de parler avec un coupe-papier entre les dents,
' enfin, c'est égalerrtent au XlX" siècl. que Catlin fonda sa rééducation
sur la correction de soi-disant mauvaises habitudes du bègue.
Puis avec Freud vint l'ère de la psychanalyse mais, par suite d,un échec
il conclut que cette forme de thérapie ne pouvait s'adapter à cette rnful
die. Cependant, ceux qui prirent son relais continuèrent dans cette voie,
qualifiant cette affection de < névrose ) en convenant qu'il fallait la com-
battre par la psychothérapie.

Dans la seconde moitié du XX" siècle, divers abords rééducatifs ont vu le


jour:
. la relaxation (Jackobson, Shrjltze...),
. les méthodes cognitivistes (Bandura),
o les thérapies comportementales,
' les servothérapies (utilisant le renforcement proprioceptif et les bases
gnosopraxiques avec le D.A.F., Delayed Audio Feedback),
o les psychothérapies,
o la scénothérap ie,
' la rééducation psycho-rythmique de fuzlmes Borel-Maisonny et Dinville,
fondée sur la théorie de l'insuffisance lingui-spéculative de E. pichon,
o la méthode des six malfaçons du D' F. Le Huche,
o le traitement du D'C régory (lui-même très nourri de l'approche de Van
Riper) aux USA.
Mentionnons éSalement le succès très médiatisé de la méthode de
l'lnstitut d'Elimination du Bégaiement (lmpoco) fondée sur la violence
15
et le rudoiement du patient par lui-même avec facilitations rythmiques
brutales.

Françoise Estienne, François Le Huche, Marie-Claude Pfaurt,adel et Anne-


Marie Simon sont en langue f rançaise les principaux acteu rs de la
recherche contemporaine dans ce domaine.

Dans le même temps, en Allemagne et aux Etats-Unis, certains avancè-


rent l'hypothèse de déficits de synchronie dans l'animation des nombreux
muscles concernés dans la production du langage.

D'autres, tels Orton et Travis (1g20), confirmèrent l'idée que cette syn-
chronie est réglée par l'hémisphère gauche du cerveau, dominant pour le
I angage.

Ainsi, au début du XX" siècle, se créèrent de nombreux centres de réédu-


cation, notamment aux Etats-Unis, où le but était de rétablir la fluence à
l'aide d'exercices de chant, de parole rythmée, de respiration ample. Les
stages s'avéraient longs, coûteux, laborieux, dévalorisants pou r les sujets,
pour des résultats temporaires disparaissant à long terme.

Dans l'avenir, ce seront peut-être les bègues Qui, en pratiquant eux-


mêmes leur propre thérapie, apporteront leur pierre à l'édifice dans le
domaine des tiaitements, par exemple par les groupes de self-help
(entraide, restons Français !).

Tandis que parallèlement de prodigieux progrès permettent de dévelop-


per les connaissances, les bègues, rabaissés d'une manière outrageante,
offensés au fil des siècles par certaines techniques barbares et revenant
immanquablement à la ( case départ >, ont par la force des choses créé
leurs propres méthodes, même si elles peuvent s'avérer pénibles, com-
plexes et demandant aussi beaucoup de temps.

Possédant l'avantage du ( vécu )) sur les autres thérapeutes, ils peuvent


être à la base d'avancées spectaculaires en acceptant d'être à l'aise dans
leur communication verbale en dépit de leur trouble.

Et même le bègue sévère, sera au moins en accord avec lui-même, maî-


trisant de nouveau sa parole et ses émotions.

16
3S

il-
lcl

l-

l- auelques réfl exions


;
t\ sur le béguiement

Le bégaiement est un trouble de la communication verbale orale qui


affecte 1 % de la population quel que soit le pays,soit environ 600.000
personnes en France. ll affecte majoritairement le sexe masculin (1 fille
pou r 4 garçons environ), les gauchers ou plus préc isément les per-
sonnes mal latéralisées, et la situation de gémellité semble en favoriser
l'émergence.

L'étiologie, mal définie, évoque :

Des causes liées à I'hérédité : on retrouve en effet fréquemment des


antécédents familiaux (ascendants et collatéraux), mais l'angoisse
même liée à ce qui est souvent perçu comme une ( tare ) (avec res-
sentiment pour la belle-famille...) ou comme une fatalité, ainsi que l'in-
fluence du modèle familial ont sans doute une importance dans la
manifestation de ce trouble.
On n'a pas mis en évidence à ce jour de gène du bégaiement, les
recherches s'orientent actuellement vers un ( gène du comportement >
du bégaiement... Remarquons que dans le cas de jumeaux il n'est pas
rare de voir'l'un des deux seulement bégayer, celui qu'il est convenu
d'appeler le jumeau (( dominant ) parlant fluidement... confortable-
ment installé dans sa ( place ,. La littérature en rapporte également des
témoignages (cf. La petite Fadeffe de Ceorge Sand).
Des causes liées â un déficit langagier qu i sapent le plaisir et la
compétence de l'échange verbal et de l'expression de la personne.
17
M'" Borel-Maisonny et M. Pichon les premiers ont insisté sur cette
étio log ie.
Des causes liées à des troubles psychologiques souvent en relation avec
la personnalité de la mère, ses exigences, ses névroses (Mélanie Klein).

ll semble que de toutes façons un faisceau de causes soit nécessaire (et


non une cause isolée) à l'émergence de ce trouble. ll entraînera en tout
état de cause une telle souffrance de par son caractère flagrant de trahi-
son du sujet par sa parole, que le versant psychologique quoi qu'il en
soit prédominant. "ri

En effet, le bégaiement apparaît souvent dès les premières années, à un


des moments les plus im@rtants de l'évolution de la vie affective.

C'est un trouble profond du langage qui constitue une perturbation direc-


tement liée à l'ensemble des comportements.

On remarque souvent chez les sujets bègues un comportement immature,


qui pourrait s'inscrire dans une relation très dépendante à la mère qui se
montre ou qui est vécue comme possessive et tyrannique, ce qui entraîne
une véritable angoisse; ou une mère anxieuse, peu proche, peu démons-
trative q u i provoq ue, de l'agress ivité chez l'enfant. O

L'environnement joue aussi un grand rôle: le bégaiement peut être


aggravé par des réactions familiales, par exemple s'impatienter, deman-
der à la personne qui bégaie de parler mieux - ce qui renforce le senti-
ment de cu lpabilité.

On peut dire ainsi que le bégaiement est un trouble du comportement.

Tout le monde s'accorde (comme nous l'avons déjà dit) à situer l'âge
d'apparition du bégaiement vers 2't'ans, 3 ans ; c'est, au niveau du cycle
de l'identité, l'étape où se développe le pouvoir de penser ; l'enfant doit
affirmer son importance vis-à-vis de son entourage; il doit penser par lui-
même et prendre sa place dans la constellation fam iliale.

ll doit accéder à la connaissance de ses besoins, il doit découvrir ses


limites, il doit dire ( NON ), se heurter aux autres, établir son indépen-
dance, exprimer son opinion. C'est à cette période qu'on aborde les pro-
blèmes concernant la séparation, la responsabilité et la réflexion. ll
acquiert l'autonomie de la parole par laquelle il se différencie de l'Autre
et prend sa place.

Si cette étape se déroule mal, l'enfant est incapable de mettre ses capa-
cités intellectuelles au service de ses sentiments ou de ses besoins. ll peut
1B
I
y avoir des ruptures dans le discours, une non-adéquation de celui-ci à
ses perceptions et à ses aspirations.

Confusément, inconsciemment, il peut se sentir trahi par son outil verbal


ou déstabilisé par des injonctions contradictoires et souvent inconsl
cientes aussi de ses personnages de référence. Pris dans le double dis-
cours d'une mère qui aspire à le conserver ( bébé D, mais l'incite
verbalement à grandir, ou tiraillé par des exigences excessives, l'enfant
devient ce que l'on perçoit parfois comme de n petits adultes, auxquels
on ne laisse pas la o place , de grandir.

S'il sent que son entourage lui demande de o se dépêcher de grandir r, il


renoncera à ses besoins au profit de la pensée; il aura peur de dépendre
ou d'avoir besoin de quelqu'un.

Si au contraire, il sent qu'on désire qu'il ( reste petit r, il acceptera d'être


dépendant pou r éviter la séparation ; c'est la pensée qu'il sacrifiera à ses
beso i n s et à ses se nti me nts .

S'il y a mentalisation, c'est que le sujet se place sous le signe de l'idéali-


sation et du narcissisffi€, c'est-à-dire du désir de toute puissance.
).Ducasse dit: n La honte que peut ressentir la personne bègue renvoie
à son narcissisme blessé, à cette faille supposée dans l'image qu'il donne
à voir, avec la crainte toujours sous-jacente de n'être ni accepté, ni
aimé )). Marie-Claude Pfauwadel dit que dans la problématique du
bégaiement, les blessures narcissiques engendrent les plus grandes dou-
leurs, et les plus grandes inhibitions qui sont de véritables freins à l'élan
de l'être, probablement l" plus grand dommage que le bégaiement puisse
faire à la personne bègue.

Pour vivre sainement, il faut avoir un narcissisme positif fondé sur une
réelle estime de soi. Chez le sujet bègue, le narcissisme est défaillant. ll
existe une vulnérabilité narcissique ; soit il se vit (( victime )), soit il doit
prouver et se prouver à lui-même non pas qu'il a honte de lui, mais qu'il
est différent. ll se sent différent, il ressent beaucoup mais peut difficilement
mettre des mots dessus.

Chez l'adulte, le bégaiement est quelquefois assuffié, il ne pose pratique-


ment plus de problèmes, même chez ceux qui doivent prendre la parole
en public. Si son histoire personnelle ne lui a pas donné une image posi-
tive, la société peut lui en donner une; il peut retrouver un équilibre dans
sa vie professionnelle; il peut entrer dans son (( rôle ,, il est dans ce que
l'on appelle le ( masque )) et cela fonctionne bien, il a trouvé une exis-
tence; même si cet équilibre demeure précaire ou construit sur une sur-
adaptation.
19
Pour d'autres adultes, le bégaiement est très mal supponté. lls viennent
consulter, car ils vivent ce trouble comme une r,éritable infirmité. Très
souvent, ils veulent un traitement bref :des thérapies bnèr,es qui agis-
sent sur le comportement et permettent d'obtenir plus rapidement des
rés u ltats .

Le bégaiement est aussi le symptôme d'autres difficultés. Certains sont


très inhibés, paralysés devant tout rapport social, très introrrertis et soli-
taires, ils fuient les autres et ainsi parlent de moins en moins.

Leur désir de parler est diminué dans la mesure où leur agressivité pro-
fonde est inhibée. On peut y trouver une explication de la prédominance
si importante chez les garçons puisqu'il est reconnu plus de tendances
agressives chez eux ou/ comme dit Lacan, de n l'agression ,. Même si les
filles sont tout aussi agressives, socialement parlant l'agressivité est plus
reconnue chez les garçons.

D'autres sont terrorisés lorsqu'ils doivent s'adresser à des supérieurs hié-


rarchiques, et d'une manière générale leur bégaiement s'accentue lors-
qu'ils sont dans des situations qui ont une valeur affective particulière.

Souvent on remarque chez un sujet bègue un caractère obsessionnel,


avec de nombreux rituels. D'autres ont de véritables phobies. Mais prati-
quement tous développent rn sentiment de peur, d'anxiété, voire de ter-
reur/ de frustration, ainsi qu'une mauvaise représentation d'eux-mêmes.
lls sont très rigides, et ont d'énormes difficultés à dire u NON )).

On peut améliorer le bégaiement de certains sujets en agissant sur des


conflits caractériels actuels, âlors que nous savons très bien que l'origine
de ce trouble est dans des fixations très archai'ques. On lui apporte une
écoute compréhensive pour l'aider à s'affirmer comme un être pensant. ll
faudra construire une expérience positive au niveau de la confiance ;
nous avons confiance en eux et ils peuvent avoir confiance en eux-
mêmes, la confiance de base étant la pierre angulaire de la personnalité
vitale. On l'amène à l'autonomie et à la responsabilisation, otr l'aide à
passer du vécu d'une personne souffrante à celui d'une personne récon-
ciliée avec elle-mêffie, à transformer un vécu de gêne, de honte en un
vécu de gagnant.

20
Présentation du bégaiement

Les accidents de parole proprement dits, qui ont la plupart du temps


leur origine dans un mal-être, une image négative de soi, s'accompa-
gnent souvent de mouvements et'mimiques involontaires qui parasitent
davantage encore l'expression orale du sujet bègue. ll en décou le
d'autres problèmes psychologiques importants. Le patient sera souvent
amené à suivre un traitement composé d'une double prise en charge
thérapeutiq ue.

Le bégaiement physiologique
Les hésitations et répétitions sont normales entre 2 et
4 ans, alors que
l'acqu isition de la parole se développe au décours de la maturation
neurologique de la commande motrice. Elles disparaissent générale-
ment vers l'âge de 6 ans, mais peuvent resurgir au cours d'épisodes
occasionnelt qui correspondent à des moments de stress, tout particu-
lièrement si l'enfant a présenté antérieurement un retard de parole,
entrave précoce au plaisir de la communication verbale. Le bégaie-
ment de la petite enfance, ou bégaiement physiologique, peut s'expli-
quer par le décalage entre le développement mental et les capacités
d'expression phon ique de l'enfant. Au-delà de cette période, le bégaie-
ment se chronicise.

21
I
Les disfluences

Le bégaiement comprend des troubles de la parole proprement dits, ce


que l'on entend:les disfluences, plus les signes accompagnateurs, ce
que l'on voit:les signes concomitants. Ces deiniers font partie intégrante
du bégaiement et sont liés aux accidents de parole.

Les disfluences peuvent prendre différents aspects, et seront à observer


et
à relever tout au long des épreuves
' des répétitions spasmodiques d" phonèmes, de syllabes, de mots ou
de groupes de mots, parfois même de phrases entières. Ces répéti-
tions sont involontaires, incoercibles, variables dans le temps et
selon les circonstances. Elles touchent dans BO Zo des cas lu prem ière
syllabe de la phrase ou de la rhèse, fondant le recours à I'ERASM
(easy relax approach smooth movement) de la méthode rééd
u cative
C régory.
o des arrêts de la parole, des coups de glotte, également incontrôlables.
Ce sont des blocages dans le déroulement d, aiscours,
Qui surviennent
sur le premier mot ou au milieu d'une phrase, alors brusquement inter-
rompue. Parfois le blocage est tel que le sujet ne peut poursuivre son
d iscou rs.
o l'association, à des degrés divers, des deux aspects précédents: après
l" blocage initial, on obserVe la répétition explosivé de certaines syl-
labes. Les consonnes semblent favoriser le bégaiement, mais chaque
sujet peut ayoir son phonème, sa syllabe élective ou son mot d,achop-
pementpréférentiel. Le rythme de la parole peut être altéré au point àe
rendre difficile la compréhension du discours.
o des prolongations d" phonèmes, des troubles du débit (accélérations),
des variations du fondamental usuel de la voix (corrélées avec des fluc-
tuations émotion nelles), des stéréotypies verbales sont aussi très carac-
téristiques du trouble et seront à consigner.
o des conduites d'évitement : les blocages peuvent porter sur un seul
mot, sur plusieurs mots précis, ou encore sur quelques phonèmes, des
occlusives le plus souvent, mais il peut s'agir de constrictives ou même
de voyelles initiales. Le sujet concentre toute son attention sur les mots
ou les phonèmes n dangereux ). ll utilise,Ces périphrases ou des syno-
nymes pour les éviter, ce qui rend le discours laborieux et lui confère
un ton d'étrangeté. De plus, généralement, l'angoisse qu'éprouve le
sujet quant à l'articulation de ces mots ou phonèmes va majorer, voire
déclencher le bégaiement.
Le Pr Crégory a dit à ce sujet: < Bégayer, c'est ce qui se passe quand
on
a peur de bégayer. D, soulignant le caractère anticipateui a, trouble, ce
qui amènera à travailler avec le patient à une reconnaissance et à un
déconditionnement des signes précurseurs.
22

I
o ll existe une autre forme de bégaiement où celui-ci, discret, est mas-
qué par des formules de remplissage. ll peut s'agir de formules habi-
tuelles:o heu... vous savez ), procédé non propre au bègue, mais qui
permet à la personne d'organiser sa pensée.

Les srSnes concomitants


Les signes concomitants sont rarement absents, et quand ils sont présents,
ils font partie intégrante du bégaiement. lls se composent de diffusions
toniques, surtout au niveau du haut du corps mais qui peuvent atteindre
les membres inférieurs, ainsi que des troubles liés à l'état de tension du
su jet.

Les plus fréquents sont les suivants :

. diffusions toniques au niveau du visage, de la tête, du cou, des


épaules, des membres supérieurs et/ou inférieurs, etc...
o troubles respiratoires (coordination pneumo-phonique, parole inver-
sée...)
o déslutitions pénibles et intempestives au décours du discours,
o troubles vasomoteurs et sécrétoires.

D'autres troubles peuvent également être associés au bégaiement :


o troubles de l'articulation (dans 25 % des cas)
o troubles du langage (dans 1o To des cas), à type de manque du mot,
d'utilisation de mots-valises (truc, mach in)
o troubles de l'organisation rythmique
o troubles de la latéralisation et de la dom inance latérale.
Obi ectifs et intérêt
de ce bilan

L" bégaiement, nous l'avons déjà souligné, est un trouble qui invalide
la vie relationnelie de l'individu. Notre désir d'apporter notre aide aux
personnes bègues est allé de pair avec l'idée que pour ce faire, il était
indispensaUe''de posséder, en premier lieu, une idée précise du trouble,
toutefois
un état complet du bégaiement, un profil détaillé du bègue sans
que le bilan soit trop pesant pour le patient.

Au terme de cette consultation, à laquelle nous aurons consacré envi-


ron t heure, nous aurons établi la forme de bégaiement, la nature des
accidents de parole et des signes accompagnateurs ainsi
que leur degré
de gravité.

Nous ferons également la relation entre le trouble proprement dit


et les
souffrances pslchologiques du sujet. En effet, tant que ces dernières
ne
qu'un travail
seront pas reconnues (par le patient et le thérapeute) et tant
persister'
ne sera pas effectué à ce niveau, les troubles auront tendance à
plan de
Au terme de ce bitan, nous pourrons établir pour chaque sujet un
rééducation orthophonique personnalisé, aucun patient n'étant
réduc-
tible à une généralité, et les informations contenues dans le bilan nous
nous avons
servant de base à son élaboration. En ce qui nous concerne/
psycho-
le souci de dissocier la prise en charge orthophonique du suivi
thérapeutique, conscientes que nous sommes d'æuvrer, sur
le plan
25
orthophonique, dans le domaine de l'ici et maintenant, tandis que la
souffrance de l'histoire et du vécu du sujet est entendue dans un ( lieu ))
distinct. En conséquence, nous proposons presque toujours une double
prise en charge orthophonique et psychothérapeutique.

Le temps du bilan sera le lieu crucial de la mise en confiance du patient:


en définissant l'< état présent > et l'< état désiré r, nous pourrons établir
un contrat qui tiendra compte du principe de réalité. Ainsi permettrons-
nous au sujet de commencer à prendre sa o place , dans cette démarche
rééducative en tant que véritable sujet de sa parole.

26
Présentation des épreuves
et support théorique

Anamnèse
o Origine de Ia démarche z

La démarche peut être personnelle ou avoir été suggérée par un tiers. Si


tel est le cas, il sera nécessaire de déterminer l'identité de cette personne,
la nature de la suggestion, €Xplicite ou itplicite (conseil amical, insinua-
tion, remarque désagréable, regard significatif, moqueries, expression de
mépris) ainsi que la manière dont le sujet l'a ressentie.

Si la démarche est personnelle, cela signifie que le patient a d'ores et déjà


posé la première pierre à I'édifice de sa rééducation, ayant pris conscience
de ses troubles, et trouvé le courage et le dynamisme de faire cette
démarche.

o Mobile de Ia démarche z

Le patient recherche-t-il une amélioration de sa parole dans un but pré-


cis, d'ordre familial, professionnel, social...

Par exemple, il est fréquent que le mobile soit d'être à même d'affronter
un oral d'examen, un entretien d'embauche ou, à l'occasion d'une pater-
nité, dès les premiers mots d'un premier enfant, le souci de ne pas nuire
au langage de l'enfant.

o De quand date Ie bégaiement :

On considère que dans le développement de l'enfant, il y a plusieurs


étapes au cours desquelles la structure de la personnalité est fragilisée.

A 2't',3
ans, on parle souvent de bégaiement physiologique, se référant
à un défaut de synchronisation entre émotions, pensée et outil verbal. On
sait que sur 4 enfants qui bégaient à cet âge-là, l'un développera un
bégaiement confirmé. De la façon dont l'environnement aura forgé sa
perception de lui-même, sa confiaRce en lui-même et en l'autre, dépen-
dra cette évolution. C'est le sentiment de confiance de base qui lui per-
mettra de surmonter les déconvenues des aléa verbaux.

Ensu ite, vers 6-7 ans, l'enfant con naît u ne nouvel le étape au cou rs de
laquelle il rencontre une nouvelle exigence de performance, lors de
laquelle il doit conquérir sa place et affirmer son identité dans l'accession
à la o grande école > et confronter sa compétence orale à l'acquisition du
code de l'écrit.

Enfitr, à l'adolescerice (vers l'âge de 14 ans) se situe la o mue > dont parle
Françoise Dolto (Le complexe du homard) avec, une fois encore, une
déstabilisation:l'enfant est poussé, avec plus ou moins de heurts et de
saccades, vers un statut qui peut l'angoisser encore plus qu'il ne le séduit,
à l'accession duquel il peut ne pas se sentir prêt et dont il peut ne se sen-
tir ni digne, ni capable.

C'est à ces trois charnières du parcours que l'on peut voir se déclarer un
bégaiement. Notons que ces étapes de l'apparition du trouble signent
toutes un problème de déstabilisation, perte de repères, de place et de
sécu rité, et que plus le trouble sera ancien, plus il sera ancré.

ll est exceptionnel qr'il apparaisse à l'âge adulte, sauf en cas de trauma-


tismes importants (accidents, deuils...).

o Modalités d'installation, circonstances d'upparition :

L'installation peut avoir été progressive, insidieuse (le sujet ne peut


évoquer de facteu r déclenchant) ou brutale, et il n'est alors pas rare
que le sujet évoque un événement précis, de l'ordre d'une déstabilisa-
tion, perte de repères, peur de l'inconnu ou de l'insécurité, menace
2B
I
(naissance d'un petit frère ou sæur, chute, déménagement, conflits
entre les parents, etc. . . )

o Description du trouble par Ie patient :

Celle-ci est de première importance dans le jugement de l'objectivité du


sujet par rapport à son trouble. On notera la distorsion entre l'apprécia-
tion du trouble par le patient et sa qualité objective, observée par le thé-
rapeute (nombre d'achoppements, de reduplications de phonèmes, de
n syllabes, de mots, présence de prolongations, etc...)
n
f On demande l'analyse en termes de présence et d'intensité des dis-
l- fIuences, selon les deux paramètres suivants :
o la situation,
o l'interlocuteur.
F I facteurs qui augmentent le trouble.
c, Ces éléments sont divers:fatigue, milieu, soucis, colère, émotion, exci-
r-1
tation. . .
U
I facteurs qui diminuent le trouble.
lls sont également nombreux et variables : médicaments, famille, repos,
e co lère, sérén ité. . .
p

e I y a-t-il des situations de ror.unication où la parole est entièrement


!'
t, fluide ?

l- Le patient doit énumérer ces situations et tenter de donner une explication.

r liste des situations de parole qu'il redoute.


f-l Le patient doit établir cette liste. L'exam inateu r le gu ide dans sa
t recherche.
e
I forme du bégaiement.
On observe de quelle manière il le perçoit, il le ressent. Le minimise-t-il
l'exagère-t-il ? On note également ses éventuelles remarques quant nr*
causes de ses accidents de parole. Par exemple : < Mes pensées vont plus
i'ite que ma parole. ))...

I signes associés.
Le patient les énumère en précisant leur nombre, leur importance (dis-
it
i c rets, notoires, inval idants).
e \ous devrons par la suite comparer ces observations avec celles que
l-
nous aurons effectuées, afin d'établir le degré d'objectivité du
e oatient.
)g
I ce qui le gêne le plus dans son bégaiement.
L'objectif est de déterminer si la gêne ressentie est endogène, c'est-à-dire pro-
voquée par le fait même de bégayer, ou exogèn€, à savoir cléclenchée par le
regard des autres vis-à-vis de son bégaiement.
Nous séparons en deux points cette question pour permettre au bègue
d'exprimer davantage de choses par rapport à son bégaiement, étant
entendu que le désagrément provoqué par le regard des autres est sou-
vent généré par l'idée que se fait le sujet bègue du contenu de ce regard.

Remarque
Cette analyse permet de nous éclairer sur la personnalité, le mode de
fonctionnement du sujet.

Traitements antérieurs et résultafs :

Le su
Le jet
sujet cite les
les ddifférentes
ifférentes thérapies qu'i
qr l a pu entreprendre
I thérapie orthophonique pédiatrique

I thérapie comportementale et cogn itive

r traitement psychologique (relaxation, scénothérapie, psychanalyse,


psychothérap ie)

I méthode Tomatis

I traitement médicamenteux

r stages intensifs (et de quel ordre: méthode éradicative, palliative, de


contrôle, ou de n guérison, selon le D,Le Huche).
On est souvent édifié par la persévérance avec laquelle certains patients
persistent dans la recherche d'une solution à leur détresse en dépit de
nombreuses déconven ues.

Antécédents héréditai res :

Certains pensent que des cas de troubles du langage et/ou de la parole


dans l'entou rage peuvent accroître les risques de bégaiement.

De plus, il est à noter l'importance du n modèle , dans la construction de la


parole.
Peut-être est-il plus judicieux de s'interroger sur la place que le sujet a pu
prendre par sa parole dans la constellation familiale... nnais ce sera le
domaine de l'intervention psychothérapeutique.
30
I
Latéralité :

On note plus fréquemment que la moyenne une latéralité non homogène


chez ces patients, ce qui induit un flou dans les repères au niveau -pry-
chomoteu r.

Par ailleu rs, les recherches les plus récentes mettent en évidence une per-
turbation de la latéralisation corticale dans la tâche de communication
verbale.

Certaines études tendent à prouver que les gauchers ont une plus grande
propension au bégaiement et surtout qu'une latéralité floue prive Ë sujet
de points de repères et donc de sécurité.

ll sera intéressant de faire la part de la latéralité acquise et de la latéralité


innée, on pourra être amené à demander, en cas de suspicion d,une
absence de dominance (voire ambidextrie) un bilan complet de latéralité
de M'" Auzias à un psychomotricien.

o Sociabilité :
L'objectif est d'établir la personnalité du bègue dans son enfance, sa
place dans sa fam ille, ses relations avec les aâu ltes et les enfants, l'ins-
tallation de son langage oral et écrit.

Puis on s'interroge sur ses rapports familiaux, sociaux et professionnels


actu e ls.

ll est important de constater son évolution afin de voir si les schémas de


l'enfance persistent ou ont été dépassés.

o Qu'attendez-vous de cette consultation ?

Cette question est essentielle quant à la motivation du sujet pour une


rééd ucation orthophon iq ue.

Certaines person nes consu ltent pou r des raisons d iverses : se rassu rer,
faire un premier pas vers l'acceptation du bégaiement sans pour autant
désirer une prise en charge immédiate ou être vraiment prêtes à s'inves-
tir dans la rééducation.

Lors du l'établissement du ( contrat >, nous insisterons sur la disponibi-


lité et la mobilisation (en temps, en vigilance, en efforts) qu'impliquera la
31
I
rééducation qu'il s'apprête à entreprendre, de manière à être certains de
son adhésion.

Remarque :

Tout au long de cette anamnèse, il est capital de calibrer le sujet afin de


percevoir les éventuels non-dits, le contenu implicite de ses réponses, ses
frustrations et sentiments d'impuissance, son insécurité et son déplaisir face
à sa parole. Tous ces points seront pris en compte lors de la rééducation.

Les epreuves
(elles testent les d ifférentes modalités de la parole)

Bilan d'articulation
doit répéter après l'examinateur des phonèmes, des syllabes, des
Le sujet
logatomes, des mots et des phrases regroupant toutes les difficultés arti-
culatoires de notre langue.

Les voyelles orales sont données en couple avec la nasale correspondante


(a - an). Les autres items sont proposés un à un.

Cette épreuve nous permet de juger d'une part si le sujet est à notre
écoute, d'autre part s'il existe un trouble d'articulation associé à son
bégaiement.

Lecture indirecte
Le texte utilisé pour cette épreuve et les deux suivantes est la fable de lean
de la Fontaine : La cigale et la fourmi.

La répétition se fait vers après vers, jusqu'à la fin si possible.

Le patient doit entièrement calquer sa parole su r celle de l'exam inateu r.


ll doit adopter sa mélodie, son rythme et son déb it.
Cette épreuve cible encore plus la capacité d'écoute et de restitution
mélodique du sujet.

Lecture
Le texte doit être lu, par le patient, à voix haute et en entier dans la mesure
du possible. En cas de trop grosses difficultés, l'épreuve sera abrégée.
32
I
L'examinateur devra signaler ce fait lors de la cotation.

Nous notons, outre les accidents de parole, le débit, la prosodie et


l'exactitude de la lecture afin de nous rendre compte si le patient est à
l'écoute de l'auteur dont il restitue le message et de lui-même dans son
ora I isation .

Parole récitée
Les deux items précédents (lecture indirecte et lecture)ont permis de pré-
i parer cette épreuve, par une réactivation du souvenir de cette fable, la
plus communément rencontrée à l'école par les enfants. Outre cette faci-
litation, nous avons choisi La cigale et la fourmi pour les paramètres
expressifs (mépris, indignation, nai'veté) du dialogue.

La récitation porte sur les 6 derniers vers, qui seront d'abord lus à voix
basse, puis récités. C'est une autre façon de tester la disponibilité
d'écoute du message; le patient est-il capable d'être suffisamment atten-
tif au texte (< branché externe ,, pour employer une expression de P.N.L.)
pour en restituer une brève partie en mémoire immédiate sans en modi-
fier la forme.

Notre choix s'est porté sur les six derniers vers afin de pouvoir mieux
apprécier la parole récitée en situation de dialogue (style direct) et pour
les divers sentiments exprimés : suspicion, na'r'veté, sarcasme...

Parole automatique
Le patient doit compter de 1 à 20, puis décliner les jours de la semaine,
les mois, les saisons et éventuellement dire une prière, s'il en connaît.
La langue dans laquelle la prière est donnée n'a que peu d'importance,
l'intérêt de ce test portant essentiellement sur la fluidité de la parole
liée à un langage automatique, lui-même conditionné par un appren-
tissage ancien.

Ceci nous amène à différencier cette épreuve de la précédente.

En effet, la parole récitée nécessite un effort de rétention immédiate tan-


dis que le langage automatique apparaît spontanément sur demande, lié
à une mémoire ancienne.

î1
JJ
I
Parole chantée
C'est une situation de parole réputée facilitante. En effet, il est exception-
nel de bégayer sur la parole chantée.

Tout d'abord le locuteur n'a pas à fournir sa propre parole, à mouler sa


pensée dans le langage.

Ensuite le rythme et la mélodie fixée sont un puissant support, un cadre


rassu rant, sécu risant.
Or le bégaiement est un trouble étroitement lié à la perte de repères spa-
tio-temporels, kinesthésiques, affectifs et à l'insécurité qui y est liée.

La plupart des sujets ont horreur de chanter, déclarent détester leur voix et
chanter faux. On laisse au patient le choix de la chanson dans un réper-
toire de chansons populaires françaises (tl pleut bergère, etc...). Nous tes-
tons ici la fluidité, le rythffi€, la capacité d'écoute et d'auto-écoute sur
support musical, et nous notons si le sujet chante juste, information essen-
tielle quand on sait Qu'o avoir de l'oreille , est une des conditions de l'ac-
quisition du langage. Malgré l'absence de statistiques sur ce point, notre
expérience nous a montré qu'une majorité écrasante de patients chan-
taient faux, de manière plus ou moins flagrante. Le fait de chanter juste
eVou d'aimer chanter est un facteur pronostique très positif.

L'exactitude dans la restitution du texte est également un paramètre capital


de la qualité de l'< écoute > du sujet, paramètre déjà testé lors de l'épreuve
de parole récitée. Citons l'exemple d'un patient qui, chantant sur modèle
< La mer qu'on voit danser... > chanta n La mer l'on voit danser... ))

Nous porterons une attention particulière à la distribution syllabique.


Quelle est la capacité de transposition forme oraleÆorme écrite selon la
redistribution syllabique qui s'opère dans le passage de l'écrit à l'oral ?
Par exemple, toute personne ayant suivi un cursus scolaire u normal , en
France a appris très tôt à repérer le découpage syllabique d'un texte écrit.
Elle n'est toutefois pas inféodée à ce découpage lors du passage à l'oral
et reste alors capable de maîtriser l'un et l'autre code, ce qui ne semble
pas être le cas chez une majorité de sujets bègues.

Prenons l'exemple de la chanson Jean de la lune: dans les paroles o... et


jaune et vert comme un perroquet >. L'ordre de découpage écrit conven-
tionnel est :
jau-ne-et-vert-com -me-un-per-ro-quet
alors que la redistribution syllabique orale, soulignée par le rythme de la
mélodie de la chanson est
lzol - [ne] - [ver] - [ko] - [môéJ -[pe] -[ro] -tk€l
?A
On constate que la reproduction chantée agit comme une pierre de
touche de ce paramètre de la parole, trahissant une raideur dans le geste
d'appropriation du Verbe.
Cette caractéristique est plus difficilement mise en évidence dans le regrou-
pement des signifiants dans les autres situations de parole, la prosodie étant
de toutes façons entravée par les disfluences.

On voit tout le parti qu'on pourra tirer, dans la rééducation, du travail de


l'écoute et de la pratique du chant pour une réappropriation des paramètres
prosodiques du discours. La prise de conscience et le travail du regroupe-
ment des signifiants en vue de messages divergents (comme dans : Emilie
dit: le maître est malade ou: Emilie, dit le maître, est malade) dans la
parole non chantée en découlera plus facilement puisque, comme le dit
Marie-Claude Pfauwadel dans la véritable somme qu'est son ouvrage Un
manuel du bégaiement: < la parole est régulée par Ie silence, pàt cette
forme particulière de silence qu'est la pause active... ))

Parole spontanée (récit)


Nous demandons au sujet de nous raconter ses dern ières activités
(week-end, vacances...) ou de parler d'un événement qui lui tient à
cæur, afin de nous rendre compte de l'importance du bégaiement en
langage spontané, sur une évocation personnelle.

Epreuve intonative
Elle vise à examiner la prosodie, dont les paramètres sont le rythffie, la
hauteur, l'intensité et le tempo. Comme le dit joliment Marie-Claude
Pfaurnredel (Un manuel du bégaiement) : ( La prosodie est ce qui n'est
plus de Ja voix, pas encore de Ia parole, mais déjà du sens ).

Les sujets bègues ont habituellement désinvesti la fonction expressive du


langage, pris qu'ils sont dans leur terreur de bégayer, et présentent ordi-
nairement une parole décrite comme monocorde et inexpressive,
dépourvue de variations de hauteur, d'intensité de rythmes (absence ou
carences de pauses signifiantes).
Nous proposons au patient :

. la restitution d'une phrase:


(( Le réfrigérateur estvide ), selon 4 schémas intonatifs (indigné - neutre
- dubitatif - interrogatif)
tout d'abord sur modèle (parole différée), puis sur consigne sans modèle
o la lecture libre d'une autre phrase selon les mêmes schémas intonatifs :

( La porte est restée ouverte >.


35
La cotation
Les épreuves

Pour toutes les épreuves, otr observera les perturbations du débit (nor-
mal en moyenne à 4 à 7 syllabes/sec) qui sont inhérentes au trouble et
étroitement liées à l'angoisse ressentie par le sujet au moment de la
parole.

En général, on note un débit très accéléré, précipité comme dans une


tentative de se débarrasser de l'acte de parole. La désorgan isation
pneumo-phonique est cause d'un essoufflement (certains sujets allant
jusqu'à se plaindre de suffocations) qui explique aussi cette précipi-
tation.

Par ailleurs, sans le signaler au patient, on notera son type de déglutition,


primaire ou adulte.
S'il a gardé une déglutition primaire, cela peut être corrélé à un trouble
de l'articulation, mais cela nous signalera surtout un trouble dans son
développement personnel avec un problème de maturité psycho-affective
(stade oral).

Pour chaque épreuve, on relève systématiquement le nombre de :


o ruptures de rythmes
. répétitions
. bredou illements
o pauses non sign if icatives désorgan isatrices du message
o variations anarch iques de la fréquence vocale
. blocages
o ruptures totales de la parole
o substitutions
o prolongations
. om issions
o adjonctions
. évitements (périph rases)
o stéréotypies verbales (formules vides : donc, car...)

Tous ces accidents de parole sont répertoriés de la façon suivante


. <3:léger
o entre3et5:moyen
. 5 : sévère
o >5:trèssévère
Ces qualificatifs seront utiles pour définir le degré de gravité du bégaie-
ment lors du diagnostic.

36
I
On note aussi le débit (la normalité étant de 4 à 7 syllabes par seconde)
. +:unpeu rap ide
. ++ : rapide
o +++ : très rap ide
. - : un peu lent
. -- : lent
o --- : très lent
Enfin, la prosodie :

o + : normale
. - : altérée
. -- : très altérée

Les signes concomitants


lls sont donc relevés tout au long du bilan et cotés de la manière sui-
vante :
' ces signes sont séparés en plusieurs groupes (au niveau du visage, au
niveau du regard, etc...)
o chaque signe présent est noté'l point, le total étant sur le nombre de
signes appartenant au groupe.
Par exemple, le premier groupe de signes ( au niveau du visage > est noté
sur7.

D'autre part, on note la gêne que peut provoquer ce signe:


o + : discrète
. ++ : notoire
o +++ : invalidante
----...-
-

N.B, : Au cours de ces deux étapes, on relèvera systématiquement tous les


signes associés de nature à entraver la communication.

77
Bilan de bégaiement
Livret de passation

Anamnèse
Date de passation :

Nom :
Prénom :

Date de naissance :

Nationalité :

Adresse:

TéI. :

Profess ion :
Constellation familiale:

Loisirs:

I Qu'est-ce qui a décrenché cette démarche ?

I De quand date le bégaiement ?

I Modalités d'installation : circonstances déclenchantes


?

39
t Description du trouble par le patient
* variabilité du trouble (selon :

les situations, les interlocuteurs)


* facteurs qui augmentent le trouble
* facteurs qui diminuent le trouble: :

* y a-t-il des situations de communications où la parole est entièrement


flu ide ?

o lesquelles ?

o pou rq uoi ?

* liste des situations de parole qu'il redoute:


. téléphone :
o prise de parole dans un groupe
:
o rendez-vous professionnel
:

o s'adresser à un supérieur
:

o s'adresser à un inconnu :
o autres :

* description précise du bégaiement par le patient


o forme du bégaiement :
o les signes associés:
moteurs (mouvements involontaires...) :
respiratoires (blocages...) :
vasomoteurs (rougeurs, transpirations...) :
autres man ifestations clin iques (onychophagie, hyper-émotivité,
migraines...) :

ce qui le gêne le plus dans son bégaiement :


. le fait même de bégayer ?
o le regard des autres ?
T le bégaiement a-t-il déjà éré traité 7.
* orthophon ie : 1

* psyehothérapie :
à<
relaxation:
* méd icaments :
* autres :
I Y a-t-il eu des résultats au traitement ? :

I L'amélioration a-t-elle été constante ou non ? :


* si non, pourquoi ? :

r Antécédents ( héréditaires ,
* bégaiement :

* bredou illement
:

40
i:il{m

. !I

* tachylalie :
* bradylalie :
* autres troubles du langage et de la parole

I Latéralité :
* quelle main utilisez-vous pour écrire ?
* clignez de l'æil.
* faites le geste de donner un coup de pied dans un ballon.
* quand vous devez indiquer un itinéraire, trouvez-vous facilement les
termes < tourner à droite, à gauche , ?
* devant un escalier à double révolution, vous di rigez-vous spontané-
ment et sans hésitation vers la droite ou vers la gauche ?

r Sociabilité dans votre histoire


* avec la fratrie :
* avec le père :
* avec la mère :
* avec les autres enfants :
* avec les adultes :
* avec les enseignants :
* installation du langage oral :
* installation du langage écrit :

r Sociabilité actuelle :
* avec les proches :
* avec les collègues :
* avec les supérieurs hiérarchiques:
* avec les inconnus:
I Qu'attendez-vous de cette consultation (Etat désiré) ?
Exploration des di fférentes
situations de parole

I Bilan d'articulation :

* Voyelles orale/nasale :
A-an o-on é-in æ-un
* Consonnes :
Occlusives : pa ta ka ba da 8a
Constrictives : cha ja SA ZA VA fa
Liqu ides et nasales : la ra Ya ma na 8na
* Semi-voyelles :
Oui ui te oi

* Associations ,ortonu{iiques :
D iconson nes : pra tra cra gra dra fra vra
Bra pla bla gla cla fla vla
Devant occlusives :ska sta spa
Associations complexes: ksa gza spli psa kta
Devant consonnes : orku erpi irto orgou erbin

43
* Mots de Tardieu :
1 . musique 13. magastn
2. pied 14. il neige
3. bouton 15. Robert
4. joujou 16. perdu
5. cochon 17. paletot
6. caf é 18. fou r
7. train 19. trou
B. chapeau 20. avion
9. ennemi 21 . gâteau
1 0. bébé 22. fru it
11 .
leçon 23. taxi
12. brouette 24. travail

* Mots d'lnizan :
Top inambou r lnstabilité
Nabuchodonosor Sardanapale
Cosmopolite Désenchantement
Excommu n ication Constantinople
Fam iliarité lrrévocablement
* Phrases
ll fait tout
J'ai perdu ma bicyclette.
Maman a m is le paraplu ie dans le jard in.
J'aimera is bien m'asseoir dans l'herbe toute fraîche.

r lecture indirecte :

I Lecture :

,a'

Parole rédtée

44
' '*'***'*'w
rrl*'

-,

r Séries automatiques :
* comptage de 1 à 20
* jours de la semaine :
* mois de l'année :
* saisons:
* prière :

I Parole chantée :

r Récit spontané :

I Epreuve intonative :
a ( Le réfrigérateur est vide ,
* assertion neutre
* ton dubitatif
* interrogation
'< ind ignation
a - sur modèle
b - sans modèle
lecture : ( La porte est restée ouverte
* assertion neutre
* ton dubitatif
* interrogation
* indignation
I Oébit de la parole :

/
r Déglutition :

45
WWryff,MN

Appréciation du bégaiement par I'examinateur :


La cigale et la fourmi

La Cigale, ayant chanté


Tout l'été
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
o Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'Oùt, foi d'animal,
lntérêt et principal. )
La Fourmi n'est pas prêteuse :
C'est là son moindre défaut.
o Que faisiez-vous au temps chaud ?

Dit-elle à cette emprunteuse.


Nuit et jour, à tout venant,
Je chantais, ne vous déplaise.
Vous chantiez ? j'en suis fort aise
Eh bien ! dansez maintenant. )

47
Observation du patient :
Comportements
concomitants

Au niveau du visage : /7
I palpitation des ailes du nez
I froncement des sou rc i ls :

I plissement du front :

I tremblement des lèvres :


r tremblement de la langue :
r hypo-ouverture buccale :

I autre :

Au niveau du regard : /s
t fuite du contact visuel :
r fermeture momentanée des yeux (au moment même du bégayage) :

r clignement des paupières :


I révulsion des yeux :

I autre :

.-.---=-- 49
Au niveau du tronc et du corps : /7
I avancée, basculement progressif de la tête vers l'arrière
I torticolis spasmodique :

t turgescences des vaisseaux du cou :

I soulèvement inspiratoire ou pré-inspiratoire des épaules


I gestes des mains :

I gestes des pieds :

I autre :

Au niveau de la respiration : /s
I inspiration phonatoire anormalement rapide et brève
I inspiration phonatoire insuffisante :
I inspiration anormalement longue :
I inspiration anormalement bruyante :
T pause en suspension à la fin de l'inspiration et phonation en apnée
I incoord ination des reprises respiratoires :
T blocages respiratoires :
I autre :

Au niveau de la voix et de la prosodie i /10


T voix trop grave :
I voix trop aiguë :
I timbre rauque et éraillé :
T timbre voilé et assourdi :
I peu ou pas de variations de hauteurs
I peu ou pas de variations d'intensité :
t intensité trop faible:
I intensité trop élevée :
I manque de projection vocale :
I autre :

Au niveau de la coordination resp i rat ton/v oix/ arti cu -


lation : /g
I démarrage trop abrupt :
r arrêt trop abrupt :
I inspiration sonorisée :
I utilisation de o pauses remplies , du type
50
I
.g1ffiU

r début ou fin par des formules stéréotypées en excès :


r bruit de coup de glotte avant le démarrage de la parole :
r montée et descente spasmodique du larynx quelques milli-secondes
avant que le son ne sorte :
I autre :

Signes vasomoteurs : /s
I rougeu r :

I pâleu r :
t transpiration:
I moiteur :
I autre :

Autres manifestations cliniques /4


I onychophagie :
I hyper-émotivité :

r migraines:
I autre :

51
Articulation Lecture Lecture Parole Séries Parole Récit Epreuve
indirecte récitée automatiques chantée intonative

Répétitions

Bredouillements

Blocages

Rupture totale
de la parole

Débit/sec.

Substitutions

Omissions

Adjonctions

Prosodie
Fondements
de la démarche rêéducative

o L'homme n'est ni ange ni bête ,.


Pasca I

L" parole est un phénomène extrêmement cornplexe qui met en jeu


la personne tout entière, dans ses paramètres psychiques, intellectuels
et organiques. Un sujet parlant produit une symphonie dont ni lui, ni
ses iÀt"rlocuteurs (ou auditeurs) ne discerne la multitude d'instruments
qui concourent à son unicité, à son authenticité. Qu'un seulde ces ins-
tru ments (souff le, voix, organes phonateu rs, affect, pensée) soit en
décalage avec les autres, et c'est ta fêlure. Oui dit fêlure ne dit pas
effond rement.

Cependant, si nous oublions t'orchestre et si nous n'en discernons pas les


parties, en revanche nous sommes tout à fait sensibles à l'harmonie qui
en résu lte, et nous percevons tou jou rs instantanément les fail les dans
l'harmonie du discours. Un hiatus alerte l'émetteur (l'inconscient chef
d'orchestre) et le déstabilise. S'il est déstabilisé, son interlocuteur ne le
sera pas moins. Le bégaiement, ou trébuchement dans une dynamique
d'ordinaire bien huilée, est contagieux.
C,est habituellement dans la petite enfance que se manifeste la première
ébauche (le premier pattern) de ce trouble, puisque nous avons dit que
53
l'on ne voyait qu'exceptionnellement surgir le ttégaiement à l'âge
adulte ; l'enfant, surpris par l'intrusion d'un obstacle à l'écoulement de
sa parole (en gén éral à l'âge où les circuits neuronaux clu langage ne
sont pas encore suffisamment performants et face à une pression émo-
tion nelle, quel le q ue soit son origine et essentiel lement au cou rs des
grandes étapes de la constitution de sa personnalité) réagit par une
angoisse, voire une colère, une impatience quienrayent encore davan-
tage l'engrenâg€, accroissent et multiplient les décalages entre les dif-
férentes parties de l'orchestre. Dans une attitude inconsciemment
perverse (terminologie psychanalytique) ,l'enfant se fait le lieu du désir
de l'autre. Le rôle du regard d'autru i, de l'attente qu i pèse, de l'an-
goisse en retour de l'entourage, est déterminant dans la mise en place
d'un dérèglement qui s'installe rapidement comme une habitude,
comme un conditionnement dans cet acte hautement automatisé
qu'est l'émission de la parole. Le sujet émet et reçoit en retour des
ondes d'angoisse Qui, pour ne pas être visibles, n'en sont pas moins
presque palpables (le langage en porte la marque, qui dit que l'atmo-
sphère est lourde, le silence pesant et même < à couper au couteau ,).
Ce silence, pauses silencieuses actives harmon isées dans le regroupe-
ment des signifiants et dont se nourrit l'éloquence dans le tempo,
devient alors muraille infranchissable, contre laquelle se raidit le sujet
(et l'interlocuteur, en miroir). Ces pauses ou reduplications involon-
taires désorganisent le discours, /'écartèlent, le défigurent. Le cercle
vicieux est mis en place très vite, étayé par une perception doulou-
reuse d'étrangeté, de trah ison, d'échec.
Aucun de nous ne prend la mesure du miracle d'équilibre, d'harmonie
que représente la production, puis l'échange de ces unités phonémiques
en ( COnCert >.

De même qu'il nous est impossible, assistant à un match de tennis,


d'analyser les paramètres impliqués dans les automatismes acquis et
adaptés à chaque situation particulière par les joueurs. Le miracle de
la parole et le miracle de l'échange verbal sont aussi fulgurants et nous
en sommes encore beaucoup moins conscients : ils se sont forgés dans
la ( longue ) période de la petite enfance, au cæur de la rencontre
(des rencontres) avec nos référents les plus fondamentaux (mère...),
avec le monde et en perpétuel va-et-vient et dialogue sensoriel avec
n ou s-mêmes.

Nourri du plaisir généré par ces rencontres et par ces échanges ( musi-
calisés > dans les voix, les prosodies, tout l'univers sonore, le langage ver-
bal s'est tissé au plus profond de nous sans frontière entre état interne
(tristesse, joie, pu lsions ...), geste mote u(, K démarche sensu-actorielle > et
transmutation en signe, langage ( lingui-spéculatif ) pour reprendre les
concepts éminemment parlants de M. Pichon.
54
l
l C'est cette globalité de l'acte de parole que l'on s'attachera à exposer au
) patient dès l'issue de la séance de bilan, car c'est sur cette globalité que
l nous fonderons notre approche rééducative, €t c'est elle aussi qu i nous
amènera à proposer au patient un accompagnement psychothérapeu-
tique. ( L'homme n'est ni ange ni bête... )) : la parole, acte divin, est aussi
charnel, incarnation du verbe.

Si le trouble, chez le petit enfant (qui est en pleine formation de sa per-


sonnalité) peut être abordé d'une manière plus diffuse, plus indirecte et
mettant en jeu des stratégies plus fondées sur le mimétisme et sur l'in-
fluence, nous nous proposerons, avec un sujet dont les schèmes neuro-
physiologiques et comportementaux sont déjà bien ancrés (qui a par
ailleurs l'usage d'une réelle capacité d'analyse et de représentation men-
tale), d'utiliser et de renforcer cette capacité de mise à distance et de
conscience pour le ramener à lui-même et en quelque sorte ( se réappri-
voiser )... se réconcilier avec sa propre globalité, en rencontrant chacune
des instances de sa parole.

ll s'agit de partir en reconnaissance d'un territoire dévalorisé (pour


reprendre une image d'Analyse Transactionnelle, le sujet est OK- OK +,
c'est-à-dire que dans sa perception de lui-même et de l'autre existe un
terrible décalage au profit d'autrui) et de le redécouvrir dans ses compé-
tences, dans sa puissance, dans son intuition innée de l'équilibre.

ll s'agit, pour nous référer encore à une démarche d'A-l de guider le


patient, à travers les Permissions qu'il pourra prendre, avec les
Protections qu'il pourra se mettre, vers la redécouverte de sa Puissance
dans le Plaisir, de tout ce qui sous-tend la parole.

Car si le patient vient avec une demande précise pour la ( production ))


de la parole, il est conduit à exposer aussi, au travers du bilan, les souf-
frances, précises ou globales, physiques et morales, qui font le halo du
trouble, et il sera accessible à la métaphore (en procédant par métaphores
et paraboles, nous recourrons à I'enseignement de la P.N.L. qui nous dit
que c'est ainsi que l'on parle au ( sensible )) et que l'on (( entre dans le
territoire )) de l'autre pour lui parler son langage) de l'iceberg: la face
visible (trouble de l'élocution) ne saurait exister, ni donc régresser sans la
face cachée qui la sous-tend.
Les grands axes
de la rêéducation

o Il s'agit de s'embarquer harmonieusement


sur le mouvement des choses ,
Pau I Claudel

e cette phrase de Claudel, nous retiendrons l'esprit dans lequel


nous inviterons le patient à se mettre, et nous la citerons comme une sorte
de résumé du parcours rééducatif que nous lui proposons.

De quoi s'agit-il en effet ?

r de s'embarquer l'image est heureuse, qui véhicule l'idée de


confiance : on se confie à la barque, Qui sera portée par l'élément liquide,
qui en épousera les mouvements, la fluidité.
r harmonieusement - il ne suffit pas de s'en remettre à la barque, de
devenir cette barque portée par l'élément pu issant auquel elle se confie,
il faut encore être en harmon ie (harmon ie : ajustement, accord) avec cet
élément.
r sur le mouvement - tout ce qui vit est en mouvement (en biologie :
résu lte des entrées et des sorties de liqu ide, sang, sève, dans d ivers
organes) et les émotions ne sont étymologiquement (du latin emovere
via le latin populaire exmovere) que des mises en mouvement de la
57
sensibilité. Par parenthèse, on ne peut émouvoir sans être ému soi-même
(dictionnaire encyclopéd ique Larousse).
D'un point de vue ( mécanique ,, l'être humain est en perpétuel mouve-
ment depuis sa conception. ll vit au rythme des battements de son cæur
et de celui de sa mère d'abord, harmonieusement, puis, séparé de cette
fusion maternelle, il vit au rythme également de sa respiration QUi,
quelque 20.000 fois par jour et d'une manière tout aussi inconsciente que
les pulsations du sang, scande le temps qui passe, tout en rejetant l'oxyde
de carbone et en assimilant l'oxygène de l'air qui est son milieu de vie.
Du milieu aqueux, du liquide amniotique dans lequel il baignait et au
prix d'une véritable révolution, il est entré dans le milieu aérien. Ce
souffl€, Qui est devenu synonyme de vie (ne dit-on pas ( jusqu'à son der-
n ier souff le )) est mouvement, lu i aussi, essentiel.

I le mouvement des choses - terme très général, il ne signifie pas objet,


sans doute, mais dans son flou sémantique, il est plutôt porteur d' une
évocation très élargie du milieu autant que de la personne : l'être humain
vient au monde, il vient du monde maternel lui-même inclus dans le
monde, àu sein du règne animal gui, comme le règne végétal, est < har-
monieusement > lié au rythme biologique de Ia terre qui est son milieu
de vie, mais il y vient par une révolution qui le fait passer de l'élément
aquatique à l'élément aérien.
Ce faisant, et bien que brutalement arraché à la symbiose avec le rythme
maternel, il emporte au plus profond de lui, d'une part les marques de sa
posture archai'que (lové autour du point d'attache ombilical), d'autre part
les pulsations de son cæur, qui sont, de temps immémorial, ses propres
marqueurs temporels.

Donc, s'il s'agit de s'embarquer harmonieusement sur le mouvement des


choses, il s'agit de se remettre à l'écoute de ce mouvement. Et ce mou-
vement suppose une impulsion, laquelle s'appuie sur un support, un
point d'équilibre.

D'autre part, les troubles posturaux que l'on observe si fréquemment


chez les sujets qui bégaient (en général de l'ordre du retrait, buste en
arrière, tête rétractée...) révèlent une sorte d'esquive et signent, autant
que les troubles respiratoires, tout aussi fréquents, une difficulté à occu-
per son espace ou, symboliquement, sa place.

La communication, qui passe à 10 7o seulement par les mots, 30 % par la


voix et à 60 % par le non verbal, s'en trouve lourdement marquée. En vérité,
ces troubles posturaux sont un élément de communication (rien n'est neutre
dans une présence, dans une rencontre), mais ils mettent le sujet en porte-
à-faux en trahissant son malaise, et le communiquent également à l'interlo-
cuteur, qui renvoie inconsciemment à son tour au sujet une réponse du
(R
d', '{th"

même ordre (projection ou rétraction) laquelle renforce le déséquilibre.


Chacun de nous est un microcosme qui trouve sa place et gère son espace.
ll sera bon d'amener le patient à prendre conscience de sa sphère corporelle
personnelle. Elle s'articule autour de 3 espaces :

I l'espace intime zone de sécurité et d'abandon, espace affectif, de 15

à 40 cm environ : parole sera murmure.

I t'espace personnel - de B0 cm à 1 m 20 environ. C'est le cercle que


l'on peut délimiter autour de soi en tendant le bras, en allongeant la
jambe. Ce périmètre est un espace de protection, que les exercices de sta-
tique vont permettre de rendre palpable. C'est la concrétisation de notre
espace privé. Franchir les limites de cet espace peut être vécu comme
une intrusion et instinctivement nous nous sentirons en alerte. C'est la
bon ne d istance pou r l'échange verbal .

I l'espace social - de 1 m 20 à 2 m 10 environ. C'est la sphère neutre


dans laquelle on est à l'aise pour communiquer ( formellement >.

ll sera précieux par la suite de voir comment, par l'intensité variable de


la voix, la parole se régule (du chuchotement aux alentours de 25à30d8
au cri : 90 dB) à ces différents espaces.

59
ler axe de la rééducation :
travail de la conscience
statique

onscience, étymologiquement, signifie connaissance, qui se définit


à son tour essentiellement comme ( conscience de sa propre existence )),
d'où l'expression ( perdre connaissance ) et, d'après Littré < état d'esprit
de celui qui connaît et discerne ,

Nous rechercherons, pour le patient, cet ( état d'esprit, si rassurant


qu'est le discernement de soi, à travers les grands axes qui sous-tendent
l'expression des ( mouvements ) ou émotions qui nous traversent, autant
qu'ils sous-tendent la communication verbale in fine.

Le prem ier axe de la rééd ucation sera donc le travail de la statiQUe,


bien que ce terme paraisse paradoxal, puisque l'une de ses acceptio n s/
en tant qu'adjectif, est : ( qui n'a pas de mouvement ) (encyclopéd ie
Larousse).

ll faut donc considérer que la statique est l'équilibre des forces et la défi-
nition de l'encyclopédie Larousse est encore ici très éclairante : ( Cette
science a une importance capitale dans l'art de la construction et
quoique les machines soient faites pour être en mouvement, l'etude
61
I
de leurs conditions d'équilibre donne en réalité la clef de tous les
phénomènes du fonctionnement normal ,.

Le travailde la statique (posture) dans la rééducation vise donc à remettre


le sujet en contact avec les ressources d'équilibre qui sont en lui. On lui
expliquera que par cette approche, on se propose de faire d'une pierre
deux coups, à savoir prendre soin de l'instrument de musique (prisque
l'émission de la parole a pour origine physique un support apparenté à
un instrument, support qui sert de colonne au souffle phonatoire) pour en
optimiser la performance, mais surtout et avant tout permettre au patient
de modifier son attitude vis-à-vis de lui-même en l'amenant à ( s'écou-
ter > au sens kinesthésique du mot, et par là accéder à la perception de
son état interne. Là encore, il suff it d'écouter les id iotismes de notre
langue :< être dans son assiette ) renvoie bien à une métaphore équestre,
laquelle pointe au sens propre l'importance de o l'assise r.

La perception évidente de l'équilibre aveugle qu'il sera conduit à


découvrir en lu i-même, la reprise de contact avec son centre de gra-
vité (au niveau ombilical...) sera de la première importance pour
l'amener progressivement à revaloriser son estime de soi, sa conf iance
en soi-même. Comme la langue française le dit bien, sur le registre
populaire, de quelqu'un qui consacre avant tout son champ de
conscience à sa propre personne: ( il se regarde le nombril )) ; or les
personnes qu i bégaient, loin de se regarder le nombril, autrement dit
de se complaire dans le narcissisffie, se perçoivent obscurément, et
souvent trahissent dans leurs postures mêmes, qu'elles sont en déca-
lage profond par rapport à cet équilibre et à leur centre de gravité. Tel
le funambule qui s'avance sur le fil, l'homme parlant signe et rectifie
son éq u i I ibre et ponctue spontanément ses propos par les mouvements
de son balancier. Ce balancier, ce seront les mouvements spontanés de
ses segments supérieurs, bras, avant-b rast cou, tête... C'est ce dont le
sujet qu i bégaie est privé, entravé qu'il est par des tensions réaction-
nelles qui vont jusqu'à être génératrices de douleurs et qui accroissent
la perception de déséquilibre statique qui retentit sur la parole. Des
exercices de détente, relaxation selon la méthode de Jacobson, la
méthode ( les yeux ouverts ) de Le Huche ou le training autogène de
Shtiltze peuvent s'avérer indispensables si le sujet est très envahi par
sa tension, et donc peu d ispon ible. Marie-Claude Pfauwadel constate
qu'ils permettent une réelle prise de conscience du corps, qu'elle
appelle (( une réconciliation avec le corps )), ce qui nous ramène aux
exercices de statique.
Ces exercices de statique que nous leur proposerons auront pour effet,
non seulement de restaurer la confiance induite par la redécouverte de
leur stabilité corporelle, non seulement de leur permettre de renforcer la
représentation mentale positive de leur schéma corporel, mais d'éliminer
62
I
les diffusions toniques (visage, cou, membres supérieurs) par un recen-
trage sur l'axe central du corps.

On insistera sur le fait qu'ils ne doivent en aucun cas être considérés et


pratiqués comme une gymnastique, mais comme une reconnaissance de
l'harmonie des différents segments par rapport à la recherche d'un point
central d'équilibre.

Pratiqués debout et de préférence face à un miroir où l'on peut se voir


entièrement (d'où l'importance d'un minimum d'espace de la pièce), les
exercices débuteront par la recherche de la bascule du bassin, par oppo-
sition à la position cambrée: on part mains coiffant les hanches, en se
cambrant au maximum, et on bascule le bassin vers l'avant, €fl cessant
simplement de tirer les épaules en arrière. On sera amené à fléchir léSè-
rement les genoux et à contracter les fessiers et les quadriceps, alors qre
s'opère une détente totale de la partie supérieure du corps:les ruint
vont glisser des hanches, les épaules s'affaissent, la sensation est celle de
quelqu'un qui, les bras raidis par l'effort, poserait les valises qui lui
tiraient les bras.

A partir de cette position, otr demande au patient de ressentir le ballant


des bras, la détente des muscles de la nuque, des épaules et du dos; on
lui demande de se représenter l'empilement des vertèbres et de savourer
la sensation d'équ ilibre et de détente obtenue.

Dans le même esprit, on propose des exercices proches de celui des 5


charnières de Le Huche.

Par ailleurs, on travaillera le déverrouillage des épaules l'une après


l'autre, puis ensemble, et on fera éprouver au patient la connaissance
innée du point d'équilibre des segments de son corps impliqués dans la
communication (et dans l'expression) par les exercices de retour automa-
tique (0 pour la tête et 1 pour les bras). Sa perception de la symétrie
autant que de la souplesse de sa cage thoracique sera renforcée par
l'exercice de l'éventail. (voir illustrations et descriptions p. 65 à 69)

Ces exercices de statique pourront et devront être pratiqués chez


lui par
le patient quotidiennement, mais la correction de leur exécution devra
être vérifiée régulièrement, car à l'usage on observe de fréquentes et
dommageables dérives.

C'est en tous cas au cours de ces exercices que le sujet est con,Cuit à
modifier sa perception de lui-même en changeant de position d'écoute.
En général dévoré par sa hantise de bégayer et obsédé par sa perception
négative de lui-même, le sujet consacre toute son énergie psychique à
63
l'image que l'autre peut avoir de lui. Son champ de conscience est envahi
par l'autre, on observe un déséquilibre à son détriment (et ceci est sou-
vent vérifié par un retrait de la tête et même du haut du torse).

Si les exercices sont pratiqués dans l'esprit demandé, l'équilibre est ren-
versé à son profit, il crée une trace positive dans son expérience et son
image de soi. Surtout il acquiert une aptitude à re-susciter, par l'image
mentale, la position d'équilibre et de détente avec laquelle il a été en
contact au cours des exercices (tel Saint-Thomas, il a été conduit à < tou-
cher,,, à éprouver pour savoir), ceci par simple ébauche de la bascule du
bassin, et il a de nouveau la liberté d'éliminer ainsi les tensions qui l'en-
vahissent lors des occurrences de bégaiement.

64

I
Exercices de statique :

De 1 à 17 : exercice global de prise de contact avec la position d'équi-


libre :
1. Position de départ, en bascule du bassin, genoux légèrement flé-
chis, mains jointes.

2 et3. Les mains se mettent dos à dos, les doigts se crochettent

4. Mains crochetées au n iveau des yeux les bras sont étirés vers
l'avant, Ie bassin basculé au maximum.

5 et 6. Ramener vers soi en redressant le corps.

7. Avant-bras réunis, les mains sont posées à plat dos sous le menton.

B. Position de l'offrande, de nouveau extension des bras mains à plat


au niveau des yeux, jambes fléchies et épaules tirées vers l'avant.

9. Redresser la colonne vertébrale en ramenant les mains dos à dos


vers le torse et en redressant les jambes; les mains plongent, dos à dos,
vers le bas.

1 0. Les mains ressortent, dos à dos, les doigts crochetés, dans un mou-
vement d'extension maximale, talons soulevés.

11 . Ouverture latérale des bras perpendiculairement au corps.

12. Fléchir légèrement les coudes et "pousser les murs".

13 et 14. Bras écartés, doigts des mains écartelés, abaisser les bras en
extension maximale jusqu'au niveau des hanches.

15. Relâcher les poignets et les mains.

1 6. Relâcher les avant-bras, alors que les bras restent tendus (attitude
d, pingouin).

17. tout le tronc. Remonter en balançant légèrement le tronc


R elâcher
pour sentir le ballant des bras.
65
I
/
1
I'

-l '1,

*
/L\
{iN
{}/

7*
Jb Âry

67
Exercices de retour automatique de la tête
et du bras

A.Du bras :à droite, puis à gauche (commencer par le côté directeur),


tirer au maximum le coude vers l'arrière ; l'avant-bras est " posé" au
niveau de la poitrine et glisse progressivement sur le côté. Relâcher brus-
quement Ia tension du bras pour Iaisser l'avant-bras retourner spontané-
ment à sa place initiale.

B-C-D-E. De la tête :

B. lncliner progressivement la tête à droite (puis à gauche, ou l'in-


verse :commencer par le côté dominant) vers l'épaule. Quand la flexion
a atteint son maximum, cesser simplement la contrainte et laisser la tête
remonter à son rythffi€, comme une branche qu'on aurait tirée repren-
drait sa position d'équilibre spontanément.

C. Tirer au maximum la tête en arrière jusqu'à sentir la base du crâne.


Pu is laisser la tête reprendre seu le sa position d'équ ilibre.

D.
Enfoncer le menton dans la poitrine, puis laisser la tête reprendre
seule sa position d'équilibre.

E. Exercice de la porte de saloon :tourner progressivement la tête vers


l'arrière comme pour voir quelqu'un se trouvant derrière soi. Puis relâ-
cher totalement la tension et laisser la tête revenir à sa position centrale
d'équilibre :tous ces mouvements sont à faire en douceur et procurent la
sensation d'une connaissance innée de l'éqrilibre des segments (comme
si un ressort comprimé se détendait). Le plus important sera de prendre
conscience de cet équilibre et de l'utiliser pour pouvoir le réévoquer par
l'image mentale.

6B
I
s
)e axe de la rééducation :
La conscience du souffl e
< Peu importe que la terreur soit parfaitement
déraisonnable pourvu qu'elle existe >
Charles D ickens

L'emploi d'un nom n'étant jamais neutre, et parce que le mot fait
image, c'est plus volontiers par n souffle, que nous parlerons du phéno-
mène physiologique de la respiration au patient. Du reste, on parle c las-
siquement du ( souffle phonatoire ).

Parce que si la respiration est, quelque 20.000 fois par jour, le rythme de
notre survie et le facteur de la vibration laryngée (matière première de la
réalisation phonétique), le souffle sert la métaphore de l'élan (le souffle
épique de l'épopée), de l'audace, voire du ( culot > (o il ne manque pas
de souffle r, n il ne manque pas d'air )...), de la vie même (o jusqu'à mon
dern ier souff le , ).

Marie-Claude Pfauwadel rapporte, d'après Y.V. Leloup, QUe les premiers


< Thérapeutes > pratiquaient, pour guérir quelqr'un, l'art de le n faire res-
pirer ,. ( Mettre son souffle au large et observer toutes les tensions, blo-
cages et fermetures qui empêchent la libre circulation du souffle
c'est-à-dire l'épanouissement de l'âme dans un corps ).
Le travail de la statique (assorti éventuellement de la détente), en restau-
rant < l'assiette ), a eu pour but de recentrer le patient sur lui-même, de
le remettre à l'écoute de soi, et d'obtenir que se dénouent ces ( tensions, blo-
cages ) qui perturbent la libre circulation du souffle.

Par son caractère archai'que et hautement automatisé de nrécanisme vital, le


souffle effraie. La seule évocation du travail sur le souffle déstabilise celui du
patient ! Or les perturbations de la respiration sont la règle chez les personnes
qui bégaient. Ces perturbations sont étroitement corrélées du reste chez tout
un chacun avec les émotions et les réactions du plexus.

On observe souvent un mode de respiration thoracique supérieur, avec des


inspirations brèves etfréquentes, un rythme précipité et une parole en apnée,
ou même une sonorisation sur l'inspiration (parole en respiration inversée),
quientraînent parfois jusqu'à une véritable suffocation. Ceci pour la gêne res-
piratoire dans la parole, alors même que le mode respiratoire, hors parole, est
insuffisant et de type supérieur.

Le travail fait sur le socle (par référence à F. Le Huche) et éventuellement sur


la détente a posé la première pierre à la récupération d'un repère stable et
fiable pour le sujet, en lui-même et pour lui-même. Nous lui avons expliqué
tout le bien qu'il pouvait attendre de cette auto-écoute et de la maîtrise men-
tale de sa respiration. Nous avons partagé avec lui, planches anatomiques à
l'appui (on se référera avec avantage aux croquis de l'ouvrage Anatomie et
physiologie des organes de la voix et de la parole de F. Le Huche aux éditions
OVEP), notre connaissance du fonctionnement de la statique. Nous ferons de
même pour l'anatomie et la physiologie de la respiration. Ces explications,
au service de la physiologie de la phonation et de la parole, ont été, nous
l'avons déjà dit, ébauchées lors du bilan. C'est maintenant le moment de
nous y appesantir. La désorganisation du souffle est un des éléments du
trouble que le sujet vit le plus comme une trahison et comme une menace
dont le caractère inéluctable plane sur lui sans qu'il comprenne exactement
comment cela survient, comment cela se passe, d'où la présence d'une véri-
table terreur liée à l'imprévisible et à l'immanent. ll est très demandeur d'ex-
plications, et se rassure énormément quand il peut avoir une image à
évoquer, à comparer avec ce qu'il ressent, et être amené à comprendre.
L'un de ces patients m'a un jour répondu, face à ces explications, alors que
j'insistais sur le fait que rationaliser un fonctionnement, le visualiser, l'objec-
tiver, bref en prendre une vraie conscience, par notre cortex, rassurait la
masse limbique, sujette à terreurs et cauchemars: ( Oui, c'est sûrement ce
qu'on appelle un dragon de papier ! , exprimant bien, je pense, la partdéme-
surée que prennent les peurs et les déformations subjectives de l'image de soi
dans le processus désorganisateur du bégaiement.

Nous illustrerons donc au maximum l'appareil respiratoire en le schématisant


toutefois à des fins de facilitation (à ce sujet, voir l'excellent ouvrage de
Benoît Amy de la Bretèque A l'origine du son : le souffle aux éditions Solal).
Nous insisterons sur l'amplitude des mouvements du diaphragme et su r l,ar-
ticulation de la cage thoracique, tant dans ses dimensions de souplesse que
de protection. Des détails frappants (tels que la superficie des alvéoles pul-
monaires : 200 m2 au total, soit la surface d'un terrain de tennis) donneront
au sujet le sentiment de la capacité de son souffle. Des précisions telles que
f'alternance régulière d'une inspiration et d'une e*piration toutes les 4
secondes envito-fi, le fait que l'inspiration augmente les 3 dimensions de la
cage thoracique et détermine un appel d'air qui varie d'un demi-litre (inspi-
ration spontanée) à deux litres (inspiration forcée), ce qui revient à inhaler jus-
qu'à 12.000 litres d'air par jour seront utiles. C'est par l'observation du
thérapeute exécutant ces mouvements respiratoires, maint uppliquées contre
les côteS, PUis par la pratique de ces mêmes mouvements, que le patient per-
cevra la puissance et le rythme profond de ce fonctionnement.

ll pourra alors observer et ressentir (cela aidant ceci) Qu€, par un effet de pres-
sion et d'abaissement du diaphragme, on note une projection de la paroi
abdominale, que si l'accroissement de la capacité thoracique se fait bien
dans les 3 dimensions, les épaules restent pratiquement stables (contraire-
ment à ce qui se produit lors d'une prise d'air précipitée, où elles s'élèvent
brusquement par inspiration thoracique supérieure) et que la respiration tho-
raco-abdominale < leste , le sujet au niveau même de son centre de gravité,
qu'il a été amené à reconnaître lors de la prise de conscience de la ràtiqr".

Le réapprivoisement du fonctionnement du souffle sera long et progressif. ll


est difficile au début de ressentir la priorité de l'étage bas, qu'ii s'Jgisse de
l'expiration ou de l'inspiration, et de se représenter intimement les éàges du
souffle. C'est pourquoi on les schématisera de la façon suivante:

a1
/J
I
et on insistera sur le fait que le dernier o étage > représente la réserve de der-
nière limite à laquelle on ne doit pas toucher en règle générale.

Pour parvenir à une conscience profonde du fonctionnenrent u normal )),


confortable et moyen du souffle, il peut être utile de commencer par la posi-
tion allongée, dans laquelle une resp iration calme objective le soulèvement
de la paroi abdominale.

On fera, d'abord allongé si nécessaire, puis debout (toujours en position de


légère bascule du bassin) des exercices lents de n vidange > totale, en com-
mençant par l'étage abdominal et en contrôlant avec la main et face au miroir
(contrôles tactile et visuel visant à l'élaboration de l'image mentale avec sou-
bassement kinesthésique), bouche fermée et lèvres molles, n ch... , bruit de
la soupape de la cocotte-minute.
On demande l'image mentale la plus précise possible du niveau d'air, avec
arrêts aux étages successifs. Le torse s'affaisse progressivement, et on
parvient à l'apnée à vide, qui doit être perçue comme un temps d'équi-
libre... et non d'asphyxie ! Classiquement, elle peut être tenue une
minute sans sensation pénible.
Puis le patient inhale de nouveau l'air (par le nez ou par la bouche,
comme il le désire, en sachant que l'inspiration nasale sera plus pro-
gressive et plus lente, don c préférable) en veillant à (( l'empiler , dans
le même ordre que lors de l'expiration, c'est-à-dire en commençant
par le bas (étage no 1). ll contrôle la dilatation abdominale et indique
du tranchant de la main les niveaux successifs, avec une légère pause
à chaque étape. ll doit bien ressentir (et vérifier, au toucher et par Ie
miroir) la prise de volume (le torse se ( regonfle r, comme un bon-
homme Michelin qui se serait affaissé, les épaules basculent d'avant en
arrière).

Ces exercices, pour ingrats qu'ils soient, auront le mérite de rendre


fam i I ier u n fonction nement redouté pou r son caractère étranger, anar-
chique et tout aussi imprévisible dans sa désorganisation que les acci-
dents de parole, et de désamorcer l'angoisse liée à cette
imprévisibilité : le patient aura à volonté (et très vite on lui demandera
de pratiquer ces ( arrêts sur image ) à plusieurs reprises dans la jour-
née) la capacité de repérer sa posture dans le moment, ainsi que le
niveau de son souffle.

ll pourra ainsi avoir une conscience du processus d'hypo-ventilation


corrélé à son mal-être dans la situation d'échange verbal, et par là
même, il aura la liberté de stopper le cheminement de l'angoisse.

Au-delà des exercices n à outrance n de vidange totale, qui auront per-


mis une représentation claire et une maîtrise du processus de la respi-
ratiofl, on proposera des exercices de gestion du souffle thoraco-abdo-
minal, avec respect de la réserve d'air résiduel (étage 4), ce qui don-
nera accès aux ( arrêts sur image ) évoqués plus haut.

Nous ferons l'éloge du bâillement : le patient est généralement non


seulement victime d'une limitation de son amplitude diaphragmatique
et de sa capacité thoracique, il est aussi et par là même en règle géné-
rale bloqué dans son accès au bâillement, et ceci également du fait de
la connotation négative qui s'y attache. Dans notre civilisation, le
bâillement est et a été de temps immémorial considéré comme une
manifestation de sans-gêne, voire de débraillé, synonyme d'impoli-
tesse et de manque de tenue. Bien plus, au Moyen-Age, il était perçu
comme un acte dangereux: le diable était supposé s'engouffrer dans
cet orifice béant imprudemment ouvert à son entreprise ! Le sujet
encourt donc un double danger et prend un double risque :en s'aban-
donnant au bâillement, il prend le risque de n s'embarquer sur le mou-
vement )) de son corps, auquel il ne fait pas conf iance, et il perd les
repères visuels, le bâillement entraînant une fermeture des yeux, il
prend aussi le risque de livrer à son interlocuteur une image encore
plus dévalorisée de lui-même, celle d'un laisser-aller déplacé, hon-
teux. Le bâillement, dilatation interne délicieuse si l'on s'y abandonne,
massage intérieur qu i recrée l'harmon ie des d iff érentes cavités (thora-
cique, Iaryngée, pharyngée, buccale, voire rhino-pharyngée) qu'il par-
court en repoussant le diaphragffi€, le voile du palais, la base de la
langue, s'apparente à un vêtement confortable dans lequel on se mou-
lerait sans être gêné aux entournures, à un lit moelleux qui épouserait
notre corps sans restriction. Pou r le patient, son ébauche est souvent
stoppée net, son enchaînement entravé contre sa volonté (en tout cas
sa volonté consciente). Nous lui montrerons comment le provoquer, à
l'issue d'un exercice d'expiration-inspiration complètes : visualiser les
(( couches )) superposées, puis inhaler une (( gorgée )) d'air supplé-
mentaire, qu i comblera l'arrière-gorge et la gorge (le gou lot), le f lot
( déborde )) et le mécanisme du bâillement est enclenché... pour peu
que l'on s'y abandonne.

B ien entend u, nos démonstrations ne seront pas su ivies d'u n effet


immédiat et nous ne lui demanderons pas de se livrer au bâillement
sous nos yeux, pour autant qu'il ait investi notre personne et le terri-
toire du cabinet d'une manière confiante et sécurisante. Nous nous
bornerons à lu i conseiller de tenter cet exercice seu I chez lu i, pu is
bientôt à l'abri de sa voiture, aux feux rouges... quand le cæur lui en
dira. L'expérience montre que le jour vient où certaines séances de
rééducation sont envah ies par des bâillements à répétition... Comme
me l'a dit un patient : (( Je me lâche )... et c'est très bien ! Ce n'est
peut-être au début q ue devant nous, mais c'est u ne grande prem ière
75
I
dans la permission que le sujet se donne alors d'écouter le bien-être
de
son souffle, de tout son corps, en lui donnant la priorité sur les
sujets
que nous commencions à aborder. Les protections dont parle
l,A.T., il
Itt indispensable qu'il continue à se les mettre, par rapport au regard
d'autrui en particulier, et la puissance du souffle qu'il r"nt (et se repré-
sente) circuler en lui ne va faire que conforter la confiance
déjà décou-
verte et fondée par les exercices antérieurs.

Le terme de priorité est important, car c'est cette priorité à


soi qu,it
commence à poser ce faisant, efl laissant la première place, dans
son
champ de conscience, à cette activité nuglèr* aussi redoutée que
méprisée. C'est cette notion de priorité à roi qui va être le fil d,Ariane
de tout le traitement, quelle que soit l'étape abordée r pour précieux
que puissent être les exercices proposés, leur principale vertu réédu-
cative réside dans ce principe de retour à toi. Plus que toute autre
chose, il s'agit de se recentrer sur soi. Voilà qui n'est envisageable que
pour autant que [a perception de soi devienne (re-devienne) gratifiante
et c'est à cette condition seulement que te regard de o l'autre )
cessera
de hanter le sujet et d'exercer sa pression déitabilisante, véritable
æil
de Car'n... ll..vq de soi que la prise en charge psychothérapeutique pra-
tiquée parallèlement aide puissamment lé patient dans ce chemine-
ment.
j

i
l
I

Je axede la rêéducation :
travail de la conscience
vocale

A l'origine n'est pas le mot, mais la phrase, une modulation.


Ecoutez le chant des oiseaux ))
Blaise Cendrars

es patients que nous rencontrons, interrogés sur leur voix, déclarent


tout d'abord ne pas avoir de notions claires sur la production de la voix
en général, ensuite avouent trouver la leur o horrible ,, o affreuse )...

La plupart du temps, leur jugement est évidemment excessivement


sévère
et il arrive que cette voix ( horrible ) soit chaude, bien timbrée, équili-
brée et agréable à entendre... pour nous ! Cette subjectivité expri." bi"n
alors le manque d'indulgence du patient à son propre égard, rn.ur"nce
d'estime de soi, son trouble du schému .orpor.i.

Mais il arrive très souvent aussi que leur fondamental usuel soit en effet
un peu décalé par rapport à ce que l'on attendrait en fonction de leur
conformation physique, à ce que l,on s'attendrait à entendre.

77
Trop basse ou trop la voix témoigne alors elle aussi d'un déséquilibre.

Parfois, elle présente d'autres troubles, elle peut être détimbrée, blanche,
nasonnée, ou rauQU€, éraillée, témoignant de l'effort fourni pour l'émettre
dans les tensions internes.

Au plan de l'intensité, elle peut être trop forte ou beaucoup plus souvent
trop faible, gênante pour l'interlocuteur et si éloquente au sujet du mal-
être de celui qu'elle trahit.
Notre voix nous traduit en effet, par ses qualités (hauteur, timbre, inten-
sité) elle exprime notre état interne, elle est messagère à notre insu de
notre être le plus profond et de ses états changeants. Mais si l'on peut par-
ler ici de trahison, c'est au même titre que pour la statique, la posture, le
souffl€, Quitrahissent le locuteur :au lieu de se reposer sur sa voix, la per-
sonne bègue se sent là encore invalidée, desservie, il existe un h iatus
entre son état psychique, mental, physique, hiatus qui se concrétise aussi
au niveau de l'émission vocale.

( La bouche, ce joli de la voix ) l. Renard


Si la métaphore de J. Renard est heureuse, elle correspond à u ne con nais-
sance très rudimentaire des mécanismes de la voix. Et pour les patients
bègues, c€ joli n id devient hélas souvent un étouffoir, une cage d'où l'en-
vol se fait si péniblement.

Comme le dit Marie-Claude Pfauwadel, la première étape, et l'urgence,


ce sera donc toujours d'informer : ( On ne traite bien que les individus
qui comprennent ce qui leur arrive >.

On commence donc par fournir au patient les connaissances élémen-


taires les plus concrètes possibles sur l'anatomie et sur la physiologie de
l'appareil vocal, la soufflerie, le larynx, les cavités supra-laryngées.

On insiste sur dynamique du souffle, si pertinemment analysée par


Benoît Amy de Bretèque, que nous allons l'écouter :

( On dégage les notions de colonne d'air et de point d'appui du so u ffl e.

C'est la colonne d'air [...] une colonne a une base et un sommet ; ici, le
soutien de la sangle abdominale d'une part, et le point d'appui du souff le
d'autre part.

L'installation d'une colonne d'air bien contrôlée confère une impression


de stabilité durant le temps d'une rhèse: il a le souffle bien calé, la voix
bien ( placée ,.
-7ô
/o
I
lirilill
,,1]'

Le deuxième niveau, de pression plus faible, met en jeu u ne masse d'air


allant d'un point d'appui du souffle à l'ouverture sur l'extérieur. La cavité
(supra-laryngée) qu i la contient < livre sa résonance ) : c'est l'amplifica-
teur...

Le troisième n l'air ambiant. ll


iveau, ayant la pression la plus faible, est
peut être lu i aussi le siège de phénomènes de résonance qui ont un
i m pact en retou r su r l'ém ission vocale , .

Nous aurons bien sûr à cæur de traduire en métaphores adaptées à


chaque patient (( entrer dans son territoire r) ces trois niveaux, ce jaillis-
sement, cette alchimie à laquelle participe bien sûr, oh combien, le fac-
teur émotionnel. Mais si l'émotion colore la voix (qu'on pourra décrire
comme ( blanche de peur ), (( vibrante d'indignation )), ( chaude d'en-
thousiasme ) ou < cinglante r...) et passe dans sa musique, chez un sujet
angoissé, tendu, cette émotion mobilisera anarchiquement tous les
rù.tes qui concourent à la réatisation vocale. C'est pourquoi tous les
auteurs (notamment F. Le Huche) s'accordent à préconiser le recours à la
relaxation. Là encore il s'agit de se débarrasser des tensions parasites. On
ré-évoquera les diverses approches, comme le training autogène de
Sch ultz, dont le point de départ est mental, ou la relaxation de Jacobson,
axée sur une prise de conscience de l'opposition contraction/relâche-
ment, en prenant pour cible des organes qui jouent un rôle dans la pho-
nation: mâchoires, langue, lèvres, muscles cervicaux, larynx. Cette
détente loco-régionale viendra compléter celle qui a été pratiquée lors du
travail postu ral.

La conscience du souffle (le patient ayant appris à reconnaître et à


accroître sa capacité thoraco-abdominale) permet au sujet de visualiser la
colonne d'air et de ressentir la pression sous-glottique. Même dans les
accès,Ce bégaiement, à cette étape de la rééducation, il est capable de
repérer le paisage de Ia respiration costo-diaphragmatique (confortable et
ample) au mode sterno-costal, qui fournit une pression sous-glottique
moins efficace et qui, de surcroît, donne une perception déséquilibrée
vers le haut du schéma corporel. Quand il s'aperçoit qu'il s'est engagé
dans ce déséquilibre, au lieu de procéder par inspirations courtes et pré-
cipitées, qui accroissent la sensation de déséquilibre et bientôt de suffo-
cation, et s'apparentent aux mouvements désordonnés de la personne
qui, prise dans un tourbillon et en train de se noyer, s'affole et s'agite en
sens inverse de ce qu'il faudrait faire,le patient devient capable de stop-
per t'enchaînement en expirant à fond, puis de reprendre son souffle en
costo-d i aph ragm ati q ue.

On commencera le couplage pneumo-phonique par des soupirs sonori-


sés, des ronronnements qui rassurent le patient. On lui demande avant
7q
tout de ressentir les vibrations, de les situer, de se les représenter
dans son
cou, dans sa nuque, au niveau des lèvres, du sternum. Dans
ces exercices
les vibrations sont diffuses, intimes. Elles correspondent
réserve (on ne peut envisager d'amener un sujet rétif n
, àt) début, à sa
à sortir > d,emblée
sa voix). En revanche, à partir de ces ronronnements,
on lui demandera,
guidé par notre exemple, de descendre dans les graves,
en sentant égale-
ment avec sa main posée sur le haut de la poitrine, les vibrations
sternâles,
puis de remonter graduellement au niveau du pharynx (les
trois étages du
pharynx, avec contrôle des vibrations dans la nuque
au niveau de l,oro-
pharynx), puis de les situer dans la bouche, contre les
dents (posées en
contact léger, elles se mettront à vibrer, comme des verres dans
une vitrine)
puis, en continuant l'ascension, de passer au registre
de tête.
ces ( voyages ) vont réapprivoiser re sujet avec ses vibrations vocales.
Hors de l'acte de parole, la voix perd sa connotation dangereuse,
elle se
met à exister (( pour le plaisir r, pour le jeu, c,est la fonction jubilatoire
de l'expression vocale.

On peut alors, en partant d'un profond soupir sonorisé, abaisser la


man-
dibule: ( mmm a ) en demandant au sujet de ressentir ce
tal au niveau
de l'oro-pharynx : n dans la gorge ).

L'image
L ll ' du geyser
'q6\. \JLr \( jaillisseur
6çy)sr (n Jdliltsseur ) en lslanoa$)t
islandais), qul
qui a tondé
fondé le principe
princi de
la respiration basse, devient ici celle de la fontaine dont le
canon, grand
ouvert, laisse sortir le flot. Bien souvent le patient a une réaction
de
retrait, et, bien que s'exécutant (il ouvre la bouche, certes) utilise
le recul
inconscient de la base de langue pour retenir sa voix. En général
il suffit
de le lui faire remarquer pout qr'il y remédie et observe al6r, que
sa voix
sort bien timbrée (à ce stade, il est bien au fait des valeurs
des cavités de
résonance, il les ressent autant qu'ir se les représente).

Les membres iupérieurs sont partie prenante dans ces exercices


d,ex-
pression de la voix:toujours avec la métaphore de la
fontaine, on va
accroître l'ouverture buccale en figurant avec les mains un (
canon ))
carré qui dirigera la vibration (la turbulence des molécules
d,air) hori-
zontalement devant lui, en prolongeant le résonateur buccal.

les.avlnt-bras, les bras sont les supportersde la parole, les sup-


!::.Tii?l
ports de la voix. lls l'accompagnent, prennent le relais de l,o élan inspi-
ratoire > (F. Le Huche). Le patient entre en contact avec un
sentiment de
1,1'.:t^îlr?
t.t.: moment il commence à aimer êrre enregisrré, à appré-
cier de ré-écouter ce ( mmm a )), puis ce < a >... tout seul.

c'est le bon moment pour lui faire appréhender le volume sonore qu'il
peut déployer, et apprécier l'intensité dont sa voix est capable.
ll est ind is-
BO
I
pensable que la pièce où l'on travaille soit suffisamment spacieuse (pla-
fond haut) et pas trop, de façon à ce qu'il prisse, après avoir < canalisé,
cette voix bien placée dans l'oro-pharynx, l'ouvrir en éventail et s'en
représenter les ondes sonores envah issant l'espace. Au sens propre, le
patient prend la place, s'en empare, prend sa place, par l'exercice de sa
voix, dans le temps et dans l'espace.

) avec cette voix (glissades, sirènes, pro-


La consigne sera alors de u jouer
jections, murmures, ronronnements), tant dans la direction de la (( hau-
teur ) que de l'intensité, chez soi, pour soi, d'abord.
C'est sur l'exercice, au sens large, de cette puissance, de ce pouvoir
sonore (qui a déjà pris racine dans le bâillement sonorisé en tout premier
lieu) que nous allons fonder le travail de la conscience linguistique afin
de pouvoir u donner de la voix dans tous les sens du terme !

B1
I
{e axe de la rééducation :
La conscience linguistique

Aller du signe à la chose signifiée


o
c'est approfondir le monde, c'est aller vers Dieu. ))
Albert Camus

ous entrons dans le domaine précis de la préoccupation initiale du


patient. Mais nous y entrons portés par le mouvement, deven, plaisir, de
l'émission vocale, elle-même sous-tendue par l'écoute des mouvements
du sou ffle, I u i-même sous-tendu. . .

Le sujet, conscient des potentialités de son corps, vivant < instrument de


musique D, a été aussi conduit à percevoir le rôle modulateur du regard
dans les interactions verbales, ainsi que les valeu rs de ses postu res et
gestes dans l'espace comme des n signaux kinétiques , (Birdwhistell) dont
la double valeur renforce le locuteur dans son espace personnel et faci-
Iite la perception et la compréhension du message, dans sa dimension
impl icite, pour l' interlocuteur.

ll va aborder le champ de son patrimoine linguistique avec plus de


confiance. ll s'agit de désamorcer l'angoisse, la tension de l'articula-
r)')
OJ
I
tion de la parole par un passage en douceur du souffle sonorisé à la
formation des voyelles (étymologiquement la voix avec laquelle
sonne la consonne dans la syllabe) ce qui s'est déjà fait dans l'exer-
cice du bâillement sonorisé, du soupir sonorisé, dans l'exploration de
la portée et de la pu issance du ( a ) dans le travail de prise de
conscience de la voix.

De toutes les ressources de la langue maternelle (et maternante) c'est


par la rencontre et la réconciliation avec le matériau phonétique que
nous allons aborder le travail de la conscience phonologique, qu i
comprendra le travail de conscience (compréhension et pratique) des
phonèmes, avec leurs traits distinctifs articulatoires et acoustiques, et
le travail de conscience prosodique (faits linguistiques ( supra-seg-
mentaux ,).

Ce n'est pas sans un clin d'æil au M. Jourdain de Molière que nous serons
amenés à partager avec le patient ce que nous savons des phonèmes et
de la manière dont nous les produisons, à partir de la (( matière pre-
mière ) laryngée, au moyen des positions respectives de la mâchoire, de
la langue, du voile du palais et des lèvres.

Nous distinguerons l'émission des voyelles et celle des consonnes.

Les voyelles,principaux vecteurs du timbre propre à notre voix et de ses


harmoniques, sont issues du renforcement d'une fréquence fixe du son
laryngé, QUi donne lieu à la réalisation de deux formants (pharyngé et
buccal) par voyelle.

Le système vocalique du français est très riche, puisqu'il compte 16


sons-voyelles (et c'est pourquoi on peut l'appeler la langue des
nuances), même si dans la pratique la plupart des locuteurs se
contentent de 12, voire 10 (par abandon, par exemple, de la distinc-
tion fermé = tel - eilouvert = [e] = est) ce qui ne nous empêchera pas
de mettre le patient en contact avec cette gamme vocalique complète
en lui montrant les valeurs oppositionnelles discriminantes de ces
distinctions. Une fée n'est pas un fait, une bette diffère d'une bête
etc. . .

Pou r être précis, nous évoquerons le triangle vocalique de M'" Borel


Maison ny

B1

I
3ûû0

1000

600 800

en constatant que toutes les voyelles s'inscrivent à l'intérieur de ce tri-


angle.

On distingue les voyelles ouvertes tllde robe, [e] de fée, [a] de patte, tæl
de peur, et les voyelles fermées tol de seau, [e] de fait, tol de pâte , l@l
de peu, selon la position de l'appareil buccal (mâchoire et langue plus ou
moins abaissées).

On d istingue également les voyelles antérieu res ou postérieu res


selon que la résonance se fait plutôt dans la partie bu..al" ou pha-
ryn gée.

Quant aux voyelles nasales, elles seront perçues à partir des voyelles
orales, avec u n travail de représentation mentale de la vibration
nasale par abaissement du voile du palais, et grâce à une écoute
ki nesthésique fine favorisée le cas échéant par objectivation au miroir
de C latzel.

La présentation du système consonique se fera aussi sur le mode neutre


et scientifique: les consonnes sont les bruits de l'air qui circule dans les
cavités suprapharyngées, selon la position de ces dernières. On obtient
les distinctions suivantes :
1. orales ou nasales, selon participation ou non de la cavité nasale,
B5
2. occlusives: c'est l'image du barrage qui cède sours la pression de l'air
ou constrictives:comme leur nom l'indique, elles sont produites par res-
serrement entre
I lèvre inférieure et incisives supérieures,
* la partie pré-dorsale de la langue et la région alvéolaire,
I la partie postérieure du dos de la langue et la partie postérieure,
voire vélaire, du palais.

ou liquides: par lâchage de l'appui de la langue sur les alvéoles

3. sourdes ou sonoresl selon qu'elles peuvent se réaliser séparément sans


vibration laryngée ou pas.A ce sujet, on observera que par suite de la
coarticulation les phonèmes sourds (classiquement plus u forts >) peuvent
( déteindre ) sur leurs voisins, par phénomène partiel d'assimilation, €t
qu'il est rare d'entendre l'adverbe ( absolument > correctement émis, le
tbl étant généralement assourdi en lpl de même point articulatoire, mais
sourd par contamination du tsl ...apsolument !

Ce qui sera vraiment intéressant dans la rééducation sera, en s'appuyant sur


un schéma objectif des traits phonétiques des phonèmes, d'en faire ressen-
tir toutes les caractéristiques par le patient, de manière à ce qu'il acquière
d'une part le sentiment de puissance et de satisfaction lié à la connaissance
précise du code phonologique de sa langue, d'autre part le plaisir sensoriel,
voire sensuel, de la réalisation de ce clavier phonématique.

ll y aura souvent un important travail praxique à faire avec ces patients,


car il n'est pas rare que la longue ( habitude ) de la dépossession des
schèmes sensori-moteurs du langage verbal articulé s'accompagne d'une
incapacité à positionner correctement les organes articulatoires, voire
d'u ne hypoton ie oro-faciale.

il n'est pas rare non plus qu'en faisant des investigations dans
Par ailleurs,
leur mémoire et auprès de leurs parents, ces patients s'aperçoivent qu'ils
n'ont jamais (ou presque) exploré les capacités mimiques de leur visage
(grimaces) pour des raisons complexes (et souvent pour obéir aux injonc-
tions parentales : < tiens-toi bien )), ( ne te fais pas remarquer >, etc...) et
qu'ainsi ils ont été privés d'un support précieux de l'éloquence, du plai-
sir d'exprimer et de communiquer. Ce sera le moment, dans le lieu privi-
légié du cabinet, de pratiquer une salutaire ( régression ) en se livrant
(avec nous) à toutes sortes de (( grimaces )... ce qui bousculera pas mal
leur éventuelle rigidité et les tabous de l'éducation...
<A noir, E blanc, lrouge, U vert, O bleu :voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes. >
A. Rimbaud
B6
I
ilr!'
riliil

{irrl

.fli,

Mais ce plaisir de l'expression mimique, cette jubilation de l'émission


exacte, autant que personnelle, de la mise en bouche des phonèmes ne
serait qu'une reconquête partielle et formelle, si nous ne plongions avec
eux dans l'éloquence du matériau phonétique.

C'est pourquoi nous envisagerons les voyelles (tout d'abord) comme l'ex-
pression des émotions qu'elles ont vocation à exprimer.

C'est bien sûr par le ( a )), cri primal, que l'on commencera. Nous
demandons au patient tout ce que le u ah ) peut évoquer. Petit à petit,
et parfois si nécessaire sur notre exemple, il retrouvera le (( ah ah ah ))
du rire homérique (par évocation d'une scène désopilante), le ( ah ))
de l'effroi, celui de l'enthousiasme, le plus difficile étant le gronde-
ment de la rage, venu des viscères, et en gén éral de si longue date
contenu, refoulé.

Accompagné de tout le corps, ce mouvement verbal des émotions pro-


fondes, chevillées au corps, est un passage fondamental de la réédu-
cation. Si le patient éprouve trop de résistances pour s'y livrer en notre
présence, nous lui demandons de les reprendre en tête à tête avec lui-
même. ll doit évoquer des situations, des interlocuteurs qui ont suscité
ces élans, mais qui les ont aussi bridés, à cause d'une peur profonde
et archai'que qu'il ne nous appartient pas d'élucider (c'est le domaine
du psychologue), mais qu'il devra bientôt identifier comme un dragon
de papier !

( Le nom de Parme, une des villes où je désirais le plus aller depuis que
j'avais lu La Chartre;tse, m'apparaissait compact, lisse, mauve et
doux... )
M. Proust

Pour notre compte, ce qui importe, c'est qu'il découvre, ici et mainte-
nant, quelle volupté peut procurer le réinvestissement de ce domaine si
longtemps vécu comme étranger et plein de chausse-trapes.
L'entraînement au parler vocalique (selon Lennon) permet au patient de
s'appuyer sur la structure vocalique des signifiants, en ( passant la rivière
à gué >r, sur le noyau vocalique des syllabes. C'est un exercice qui paraît
difficile, voire ingrat au début, mais qui s'avère très efficace pour mini-
mlser les aspgritqs des consonnes : ou - i - i - i - er - es - a - é - i - és
- es - on - o - es...
A partir de l'émission et de l'écoute totale (kinesthésique, auditive, fan-
tasmatique) autrement dit synesthésique, des voyelles (comparer le rire
guindé, pointu: hi ! hi ! hi ! et le rire gras:ah ! ah ! ah !), on ira à
ffilrrt

l'évocation similaire des consonnes (grondement retenu et menaçant du


[r] dans la gorge, valeur onomatopéique des occlusives sourdés, vio-
lentes : [t] et tkl : toc ! tic, tac, pop, etc...) et on se livrera à un important
travail d'évocation verbale.
Dans quel mot entend-on [t], sec et fort ?...tape,...ti rer,...toupet, etc... Le
(( ou )) suggère le doux...amour, chouchou (les publicistes
des 3 Suisses
ne s'y sont pas trompés: ( Chouchoutez-vous une image à vous r).Le
(( i , pique... hérisser, le n f > est furtif... fuir !...Associé au
1rl il est rude,
revêche : frotter, friction, etc...

( De la musique avant toute chose... ))

P. Verlaine

ll s'agit de s'embarquer harmonieusement sur le mouvement des choses,


disait Claudel. C'est ici le moment de s'embarquer su r l'analyse, ou plu-
tôt sur l'écoute, à l'écoute, à la découverte des faits prosodiques, ou
( supra-segmentaux )), comme les appelle Martinet. Ce sont les faits d'ar-
ticulation relatifs à l'intensité sonore (élan articulatoire), la hauteu r (fré-
quence) ou l'intonation, ainsi que les phénomènes de variation de temps
(étirement/contraction des syllabes), de rythme (laxe ou scandé:je t'in-
/rer/ùt, tu m'entends ? je t'in-/p1-ldtg) qui font partie intégranre de l'elo-
quence, ainsi que les phénomènes d'accents, dans une langue comme la
nôtre, par nature peu tonique et par conséquent d'autant plus sensible à
ces phénomènes quand ils surgissent à des fins contrastives.

Nous travaillerons la perception du rythme et de l'accent en reprenant de


vieilles chansons françaises, des marches, des cantiques, dans lesquels
souvent on observe une alternance de rythmes qui va de pair avec l'évo-
cation d'émotions plus intenses ou plus légères et s'harmonise également
avec les signifiants employés: Minuit Chrétiens (Noel d'Aàam) ou
Derrière chez nous y a un étang sont de petits chefs-d'æuvre du genre,
mais ils sont légion dans ce type de ce que l'on peut appeler de tà titte-
ratu re chantée.

S'embarquer harmonieusement sur le mouvement des choses, c€ sera


aussi écouter, vibrer à l'unisson du rythme et des ruptures de rythme des
vers de Racine (Phèdre, Bajazet...), Molière et tous nos grands auteurs,
parfois pour le plaisir uniquement (cf. la valeur purement poétique de ce
vers de Phèdre: o La fille de Minos et de Pasiphaé ,), ffiâis le maître-mot
du choix de nos références sera de notre part l'écoute des intérêts propres
du patient (et parfois, entrer dans son territoire signifiera fortement sortir
du nôtre... mais ce sera pour élargir son territoire, comme le recom-
mande la P.N.L. !).

RR
jillil

fl.

Tout ce travail se fait bien entendu en séances, mais doit se poursuivre


entre les séances par une préoccupation quasi constante (entrer en réédu-
cation, c'est presque entrer en religion...) de ce qui a été rencontré, res-
senti autant que compris, ou alors compris au sens fort du terme, pris
avec soi, pendant la séance.

En général, quand nous atteignons ce stade, le patient ne bégaie plus


avec nous depuis longtemps. ll faut qu'il arrive à réévoquer par le prin-
cipe de l'ancrage (technique de P.N.L.), c'est-à-dire de l'évocation s'ap-
puyant sur une sensation corporelle choisie par lui, l'état d'équilibre dans
lequel il s'exprime avec nous, de manière à pouvoir le transposer dans les
situations à risque.
ll sera utile de travailler inversement l'évocation de ces situations à risque
en séance comme l'explique F. Estienne (les Bégaiements) sous forme de
psychodrames, Pour qu'il s'entraîne à désamorcer la charge émotive géné-
rée par tel type de situation ou d'interlocuteur. Renforcer sa sphère perton-
nelle et son auto-écoute est un des objectifs essentiels de la prise en charge.

Enfin, le langâBe, reconnu dans ses dimensions articulatoires, sonores et


fantasmatiques, possède une interface visible, fleuron de sa couronne et
fondement de sa stabilité :son image graphémique. Le dicton affirme que
(( Les paroles s'envolent, mais les écrits restent > et nous l'entendrons,
€fl
ce qui nous concerne, dans le sens où ce qui possède un caractère visuel
constitue également un repère, un point d'appri, une sécurité aussi bien
qu'un marquage spatio-temporel.

C'est pourquoi nous proposerons au patient un travail d'< auto-lecture ) :


au moment même où les mots sortent de notre bouche, ils se matériali-
sent, si nous le souhaitons, sous nos yeux, comme sur un écran placé à
la limite de notre sphère corporelle. Ce sont nos yeux qui écrivent sous
la dictée de notre voix. Cet écran imperceptible aux yeux de l'interlocu-
teur renforce l'espace personnel du sujet et son geste scripteur imaginaire
contribue éSalement à ralentir le débit de sa parole, ce qui constitue aussi
l'un des buts recherchés.

On obtiendra ce résultat par deux types d'exercices:tout d'abord par


appropriation d'une phrase lue et retranscrite dans un premier temps à
l'identique (mêmes caractères typographiques) en la répétant, en utilisant
la mémoire visuelle immédiate, puis en la < retranscrivant > mentalement
en cursive; ensuite, en s'astreignant à tracer sur une feuille les mots
(quelconques) qui sortent de notre bouche, simultanément de phonies en
graph ies correspondantes.

Le peu de cas que font la plupart du temps d'eux-mêmes les patients qui
bégaient et la révérence plus ou moins consciente et en général absurdement

injustifiée qu'ils ont envers l'interlocuteur constituent un obstacle au ren-
forcement de l'espace de communication dans lequel ils peuvent et doi-
vent trouver l'équilibre de leur expression. Le travail de conscience
phonologique que nous venons d'évoquer, élargi à la conscience lexicale
et syntaxique, permet inconsciemment au sujet de légitimer l'espace (et,
partant, le temps) qu'il accorde à sa parole, le sentiment de respect dû se
déplaçant de l'interlocuteur à l'objet même de la parole.

ll s'agit de la notion de priorité, QUi, inhérente, au sens propre, à notre


condition humaine, (impossible d'inverser la priorité dans l'ordre de suc-
cession des événements de la vie, rigoureusement ordonnés sur l'axe
temporel) se retrouve transposée au sens figuré avec l'acception d'impor-
tance relative. Toute la rééducation se fonde sur la perception de priori-
tés, de choix qui amènent le sujet à faire passer au premier plan de ses
préoccupations, successivement la perception et l'image mentale de sa
statigu€, de son souffle, de ses vibrations vocales, etc...,€t, ce faisant, de
sa propre personne, dans son champ de conscience, par rapport aux
autres. ll s'ensuit une mise à distance de l'interlocuteur dont la prégnance
exerçait su r le patient u ne pression destabil isante.

Nous invitons le su jet à u ne activité métal ingu istiq ue en l'amenant à


considérer que l'énoncé d'informations, dans la relation de faits, obéit
à cette même règle de priorité: dire par exemple que ( Les fraises que
i'ai mangées au dessert étaient délicieuses )) revient à tradu ire, pou r
l'interlocuteur, la priorité de ces fruits dans mon champ de conscience
(d'où la prévalence des caractéristiques morphosyntaxiques du nom
( fraises )) et l'accord évident du participe passé qui décrit leur état:
(( mangées )), après le passage de l'action), alors que la priorité aurait
pu être donnée à l'action de manger : ( )'ai mangé au dessert des
fraises délicieuses )) ce qu i refou le au second plan l'objet de cette
action, au profit de l'action elle-même (d'où l'absence d'accord du
participe).

C'est la même notion de priorité dans l'énonciation des segments mini-


maux qui a été découverte dans le travail de la conscience phonologiQue,
avec la mise en bouche des phonèmes et leur prise de place (ordre et
espace) dans la succession phonémique, puis syllabique à l'intérieur du
signifiant (gerbe n'est pas berge et nous travaillons les contrepèteries). Là
encore nous pouvons nous référer à un dicton qui constitue plutôt un
conseil, une règle de vie, une maxime.
(( Une place pour chaque chose,
et chaque chose à sa place. ,
Selon la place du phonème, de la syllabe, du mot (la robe de soie, la soie
de la robe) ,l'information change et rien n'est anodin dans l'ordre d'énon-
ciation, pas plus que dans le choix, fût-il inconscient, des signifiants.
90
I
On trouve un matériau précieux pour tout ce travail métalinguistique
dans l'æuvre de F. Estienne, et plus particulièrement dans Langage et dys-
orthographie T2 : Ie Iangage en action (Editions universitaires), qui per-
met de pratiquer une gymnastique verbo-mentale de manipulation des
énoncés et des concepts non seulement dans leur ordre d'énonciation,
mais également dans la priorité relative des informations en fonction de
l'ambigui'té liée à certains énoncés, que ce soit du point de vue lexico-
sémantique : K )'ai trouvé ce billet vert , (champ sémantique du verbe) ou
du point de vue grammatico-syntaxique, ambigui'té orale qui sera préci-
sément levée par l'écrit : o La femme qu'il aimait lui rendit visite > et < la
femme qui l'aimait lui rendit visite ,.

Par parenthèse, les ambigui'tés lexico-sémantiques sont parfois sources de


quiproquos, cocasseries dont nous ne nous privons pâs, la dimension
ludique étant indispensable à la rééducation, car rien ne se reconquiert
(n i ne s'acqu iert, cf . les comptines utilisées par les enfants) dans le
domaine de l'humain, sans le plaisir (4u'" P. de la P.N.L.). A ce sujet, je ne
résiste jamais au plaisir de citer le cas d'une collègue et amie, qui, ayant
pratiqué un renvoi d'appel téléphonique, reçut par l'intermédiaire de sa
mère le message suivant :

Allo, M'"A ?
Non, M'u A est au cabinet.
Eh ben, dites-lui qu'elle en sorte, c'est urgent !
Le tout saupoudré d'une bonne dose d'accent populaire marseillais !

Voici également un quiproquo savoureux, lié lui aussi à une ambigui'té


lexico-sémantique très révélatrice, el le aussi, du point de vue du locuteur.
Ceci est arrivée à une amie distraite (et peu habituée à se placer au pre-
mier plan...).
Se trouvant à la banque pour retirer de l'argent au guichet, à l'époq ue
(bientôt ante diluvienne) où cela était possible au moyen d'un chèque,
cette amie demanda : ( A quel ordre dois-je rédiger le chèque ? > et l'em-
ployée ayant répondu : ( A moi-même D, mon amie s'écria: ( L'en n u i,
c'est que je ne connais pas votre nom )) !

Rien n'est neutre dans la manière dont nous énonçons ou interprétons les
messages, car ils expriment le prisme de notre sensibilité, de notre vécu,
dans lequel nous prenons la réalité. C'est cette expérience que nous amè-
nerons le patient à manipuler par ces jeux de langage, QUi le conduiront,
encore une fois, à éprouver la maîtrise de son langage, Sâ puissance, en
lui donnant aussi le goût de ralentir le débit de son discours pour mieux
le percevoir: le TCV ne permet pas de jouir du paysage... et peut-être,
sans aller jusqu'à la bradylalie du voyage en diligence, peut-on moduler
la vitesse d'élocution par référence, àu moins par moments, et selon son
état interne, àu bon vieux train à vapeur...
91
.F

Le patrimoine linguistique n'est pas un vainmot: le patient est amené à


redécouvrir, à réinvestir, à se réapproprier un gisement précieux aux
dimensions desquelles il n'avait pas été amené à songer et dont le carac-
tère métaphorique (cf. le conte les deux sæurs dans lequel les mots sont
métamorphosés, pour l'une, en perles, pierres précieuses et fleurs, pour
l'autre en vipères et crapauds) contribue maintenant à fonder toute la
valeu r.
Par la réappropriation de ce fonds dont il rentre en jouissance, il
conçoit à la fois un sentiment de puissance et de respect, et pour ce
patrimoine, et pour lui-même, QUi s'est découvert apte à le reconnaître
et à le maîtriser.

92
I
Etudes de cas
A titre d'illustration, nous présentons ici
quelques études de cas

'l t'
cas :

La démarche du jeune L. est très précise, il a d'énormes difficultés à par-


ler avec ses amis et il en souffre beaucoup. Dès qu'ils sont plus de deux
il bégaie énormément.

C'est un garçon de 15 ans, scolarisé en 3" à Marseille.

ll est Portugais, sa famille est arrivée en France lorsqu'il avait 3 ans, âge
auquel il dit avoir commencé à bégayer.Son adaptation en maternelle a
été très difficile, il pleurait beaucoup et ne voulait pas se séparer de sa
maman; il avait trois sucettes, une dans la bouche et une dans chaque
main ; il ne parlait pas français et chez lui, même actuellement, ses
parents ne communiquent qu'en portugais.

Son père, maçon, parle mal le français ; sa mère fait des ménages et elle
non plus n'est pas à l'aise dans la langue française. Seul son frère aîné
qui a 19 ans, parle français sans problèmes.

Dans sa famille, il y a des antécédents de bégaiement: un oncle paternel


et un cousin ont eux aussi des difficultés d'élocution. Précisons que tous
deux ont aussi émigé en France et à Marseille.
93
L n'a iamais consulté auparavant. S'il se "rappelle" avoir bégayé depuis
l'âge de 3 ans, il trouve que cette année son bégaiement s'est aggravé.

ll semble qu'avec l'adolescence, L. ait envie de s'intégrer dans un groupe


d'amis, alors que jusqu'à présent, il vivait en vase clos, les dimanches et
jours fériés étant passés en famille et avec des am is Portugais. Ses seu ls
compagnons de jeu jusqu'à présent étaient son frère et son cousin.

L. est pris dans cette double appartenance; à son arrivée en France, il a


souffert de ses difficultés d'intégration (il bésayait surtout en français, très
peu en portugais) et aujourd'hui son évolution et son désir de se lier aux
adolescents qui l'entourent sont tels qu'il bégaie plus dans sa langue
maternelle. Cet été, il est allé passer le mois d'août au Portugal et ion
bégaiement a terriblement augmenté (sa difficu lté s'étant inversée, il
bégayait en portugais et pratiquement plus en français). Où est sa place ?
Un travail de réassurance, de prise de confiance en lui était indispen-
sable. ll est lui, il existe. llfallait mettre des mots sur ce malaise pour qu'il
puisse le penser et le dépasser et prendre sa place en acceptant ses deux
appartenances. Depuis le mois de septembre, il semble avoir trouvé ses
marques et cela va beaucoup mieux, il va falloir ancrer cette progression,
pour qu'il puisse à la fois être à l'aise dans son milieu d'origine autant
qu'avec ses amis. L. ressentira alors que ce n'est pas parce qu'il ouvre son
territoire qu'il rejette ses racines.

A l'examen orthophonique, on relevait au premier bilan :

I Au moins autant que les accidents de parole eux-mêmes et les pauses


désorganisatrices du message qu'ils entraînent, ce qui était flagrant dans
la parole de L., c'était sa physionomie très figée, inexpressive, douce et
docile, et comme résignée.
Une autre constante très nuisible à la communication et à la valeur
expressive était son hypophonie obligeant à tendre l'oreille, et qui confé-
\ rait un caractère monocorde à la mélodie du discours.
i/ I au plan de la statique, on observait une tête enfoncée entre les épaules
t'
I et des membres supérieurs raides et crispés
r au niveau du souffle, une respiration thoracique supérieure avec tns-
pirations faibles et précipitées, une mauvaise synchronisation pneumo-
phon iq ue \ 1a

r en ce qui concerne la voix, un fondamental usuel en Ré2 tout à fait \


\
adapté à sa conformation, tant à sa taille qu'à son âge.
lnterrogé sur ce qu'il ressentait physiquement, L. répondit : o Rien )).
Question né su r sa propre analyse du trouble pour lequel il venait
consu lter, il d it bloquer su r le tpl essentiellement, et décrivit des
-,,{f.

condu ites d'évitement telles que la périphrase. Lors de ces commentaires,


son souffle devint court et haletant.
A la question : ( Quelles sont les situations qui te font le plus achop-
per ? D, il dit : ( Devoir parler en public > ; ( le moins achopper, : ( le
téléphone ) (sic...)
Quant aux interlocuteurs les plus redoutés, il s'agissait des copains.
r une latéralité homogène à droite
r examen de l'articulation normal
I parole répétée (texte La cigale et la fourmi) satisfaisante. Bonne écoute
r en situation de parole spontanée, on notait des accidents de parole
fréquents (toutes les 6 à7 syllabes environ) à type de blocage direct avec
reduplications de 3 à 5 pour la première syllabe ou Ie premier phonème
du mot. Ces blocages en posture pré phonatoire assortis d'un écarquille-
ment des yeux affectaient davantage les occlusives antérieures [tl - tdl et
bilabiales tpl - tbl,
r lecture : meilleure que la parole conversationnelle. Toutefois, on relève
de fréquents blocages en posture pré phonatoire, suivis de deux ou trois
répétitions de la première syllabe, ceci toutes les dix ou quinze syllabes:
av - av - avant l'août, ffoi - foi d'animal, intérêt et principal
la - la - la fourmi n'est pas prêteuse, etc...
I récitation : pas de changement par rapport à la lecture. La prosodie est
mauvaise, peu expressive, avec peu ou pas de variation de hauteur de la
voix, et un mauvais regroupement des signifiants
r séries automatiques : préservées
t chant: on retrouve la qualité de la parole répétée. L. dit aimer chan-
ter ( parfois D, et chante juste, ce qui est de bon pronostic. Toutefois le
rythme est peu marqué avec une absence importante de participation
gestuelle ou mimique
r récit: la parole spontanée est émaillée des mêmes accidents que la
parole lue et récitée
r épreuve intonative : satisfaisante sur modèle, échouée sur sa propre
prod uction.
Les blocages (pauses non signifiantes) et la mauvaise qualité de la proso-
die, l'absence d'élan dans le geste phonatoire, plus que les reduplica-
tions, réduisent les quatre situations évoquées à une production unique et
peu informative.
A la question:( Comment voudrais-tu parler à la fin de la rééduca-
tion ? >>, L. répondit: n Comme vous ).

Conclusion: il est impossible de faire abstraction de la situation de L.,


écartelé entre deux appartenances, entre deux références cu ltu relles et
95
I
,'.: ,.n'::,lsuffiIl

phonologiques. Même s'il s'agit de deux cultures judéo-chrétiennes et de


deux langues n latines ,, des divergences profondes existent entre le por-
tugais et le français. La situation d'isolement déterm iné choisie par sa
famille et sa propre adhésion à cette appartenance lui rendent l'insertion,
huit heures par jour et cinq jours par semaine dans un collège français,
artificielle, bien qu'il ne soit pas, dans ce contexte scolaire, coupé de ses
camarades.

L.a, comme on dit, n de l'oreille, et un penchant naturel pour la mélo-


die, ce qui lui permet de reproduire avec précision et bonheur non seu-
lement les paroles, mais la mélodie (pauses et élans, rythmes et tempo)
dans les situations sécurisantes où il se sent guidé :chant, parole répétée,
articulation, épreuve intonative sur modèle. Nous nous garderons d'y voir
la parole du perroquet, car sa physionomie, dans ces épreuves, s'éclaire,
traduisant le plaisir, même si son corps reste encore figé.

Par ailleurs, les accidents de parole s'inscrivent dans un contexte plus


global d'incertitude et de perte de repères.

Néanmoins nous savions, à l'issue du bilan, L. et moi, QUe nous pouvions


ensemble nous appuyer sur :
I son goût de la mélodie,
r ses repères spatiaux liés à une latéralité franche et homogène.

Le contrat fut donc conclu sur une prise en charge à raison de séances
bi-hebdomadaires, avec un travail qui aborderait la conscience du
souffle, la conscience vocale, la conscience lingu istique, avec, si néces-
saire et à la demande, des aides et des éclaircissements dans l'un ou
l'autre des domaines évoqués ou des retours sur les étapes déjà explo-
rées, en cas de besoin. L. s'est déclaré déterminé à faire de cette
démarche une priorité. ll a bien compris les interactions entre la pensée,
les émotions, les mouvements qu i en décou lent, les véh icu lent, les
expriment, ainsi que, du point de vue ( mécanique )), les différents
étages de l'appareil phonatoire.

Rendez-vous a été pris par avec la psychologue.

Nous nous sommes donc qu ittés sur cet engagement de respect, de


confiance et de partage mutuels avec pour perspective une réappropria-
tion de son corps parlant (dans toutes ses dimensions), de son ( instru-
ment de musique ) en vue d'une récupération légitime du plaisir de
parler et de communiquer.
Au plan concret, les séances ont débuté au rythme de deux par semaine, et
un travailde prise de conscience de l'équilibre des différentes composantes
96
l
i ,,fi5iill1'ffïll!$m

de son corps (tête, tronc, épaules, bras) autour de son centre de gravité
(approximativement ombilical) et de la ( mouvance , de son corps, dans le
sens où l'espace circonscrit par les mouvements naturels et non bridés de
ses segments supérieurs constitue une sorte de ( fief ,, lequel peut aussi
s'évoquer comme la sphère corporelle personnelle dont parlent les spécia-
listes en communication.

Au décours des exercices de déverrouillage des épaules et des cinq char-


nières de Le Huche, L. a progressivement repris contact avec cet espace,
il a appris à observer la posture des personnes en train de communiquer
autour de lui, il a progressivement pu réévoquer l'image mentale de sa
propre personne se mouvant au rythme de ses émotions (au sens le plus
commun). A cet effet, nous avons aussi fait des exercices où nous nous
croisions, nous ( rencontrions ) (échange de regards, de poignées de
main), exercices préconisés par F. Estienne (A. Van Hout et F. Estienne:
Les bégaiemenfs) et extrêmement profitables.

L. ayant progressé très rapidement au cours de cette première étape de prise


de conscience de la statique et de réappropriation de son espace person-
nel, nous avons tout naturellement, mais avec plus de difficultés abordé le
travail de prise de conscience du souffle. ll a eu beaucoup de mal à dis-
cerner les ( étages )) de la respiration et surtout à percevoir le caractère
naturel de l'apnée à vide, avec au début un geste respiratoire très raide et
des reprises d'air anarchiques. Pendant deux ou trois séances, un travail en
position allongée avec détente de type Jackobson à base de tension détente
et concentration de son attention sur les segments tels que poings, biceps,
puis masséters, nuque, enfin abdominaux, s'est avéré efficace.
Quand enfin cette maîtrise de la représentation mentale et de la libre cir-
culation du souffle a été acquise, nous sommes passés à la synchronisa-
tion pneumo-phonique par le truchement du bâillement sonorisé. A ce
stade et en dépit de quelques passages de découragement (au début du
travail du souffle, L. avait le sentiment que son trouble s'intensifiait alors
que dès les premières séances lors du travail de la statiQU€, c'était l'in-
verse qui s'était produit), L. a changé d'allure générale, il déclare se sen-
tir plus à l'aise, prendre la parole plus facilement et plus volontiers à la
maison et avec ses camarades, et < ne plus se laisser passer devant dans
une file d'attente sans protester ) !

En ce qu i concerne la conscience vocale, le travail s'est révélé particu-


lièrement facile, rapide et gratifiant. En effet, nous avons déjà signalé
qu'avec un fondamental usuel en Ré2, L. ne présentait pour tout trouble
au niveau vocal qr'une réelle hypophonie et surtout une image péjora-
tive d'un organe vocal pourtant chaud et bien timbré.
Nous sommes donc partis de l'émission et de l'écoute du tol d'un
bâillement sonorisé, porté par la pu issance du souffle et accompagné
97
I
du soulèvement naturel des épaules et des membres supérieurs, tête
légèrement renversée avec la perception du recu I de la base de la
langue. Puis ont suivi le soupir sonorisé, la reprise du lol sans bâille-
ment, avec l'image du canon de la fontaine de plus en plus large,
langue abaissée et < support > des mains, bras élargis et mains ouvertes
simultanément avec l'épanouissement de l'émission vocale.

Nous avons par la suite eu recours (rapidement puisque L. possédait déjà


un fondamental usuel d'une hauteur satisfaisante, et qu'il s'agissait avant
tout de lui en faire prendre conscience) à des exercices d'échelles (des-
cendons à la cave, puis remontons, par étag€s, au grenier) avec percep-
tion tactile des vibrations sternales, dorsales, etc... et sommes revenus au
travail de la projection, avec image du volume à remplir de vibrations
colorées (synesthésie) plutôt que de la cible, car nous recherchions plus
le plaisir sensoriel du feu d'artifice émanant de sa bouche (u ce joli nid
de la voix ,) et de tout son corps que l'efficacité, la performance du geste
vocal. D'abord intimidé et retenu dans sa voix, L. s'est bientôt plu à res-
sentir et à se représenter l'épanouissement des ondes sonores autour de
lui. ll a alors accepté l'enregistrement et s'est plu à les réécouter. Nous
avons travaillé l'éventail sonore avec des sirènes, des jets d'eau, des émis-
sions continues et discontinues, toujours accompagnées de l'image de la
pelote basque (mon corps est la cesta Ila raquette], et ma voix, la pelota)
ou du jet dont on discerne les gouttes grâce à la lumière qui filtre et per-
met de voir s'il est tendu, ou plus lâche, toujours en fonction d'un état
interne plus ou moins ( dense )) ou plus ou moins flou, mais toujours
aussi en relation avec une perception de o l'assiette >.

L. chantait d'ores et déjà juste avant la prise en charge. Aussi avons-nous


abordé le travail de la conscience linguistique de pair avec le plaisir du
chant. Quel meilleur exemple de prosodie (mélodie et intensité adaptées
à l'intention de l'expression et du message) que la marche des Rois
Mages, où la musique de Lully, à la fois alerte et majestueuse, met en
valeur (et réciproquement) le caractère éclatant des phonèmes [t], [d],
[b], Ipl dans la séquence:( trois rois debout parmi les étendards )). Ne
sent-on pas bien claquer fièrement au vent les étendards portés sur ce
char o doré de loules parts > ? Accentuer le caractère occlusif de ces pho-
nèmes dans le chant, puis sans le support mélodique s'est avéré un exer-
cice très fructueux. D'une manière générale, nous avons mis l'accent sur
la vocation expressive des phonèmes de cette man ière : rencontrés
d'abord en accord avec une mélodie et inclus dans la chaîne des signi-
fiants, L. était amené à en discerner la valeur particulière dans ce
contexte (par exemple, les constrictives dans la séquence ( en plein goleil
j'ai lroid , : nous avons prolongé le [s] et le [f] pour mieux en ressentir le
caractère insinuant et frissonnant). Pu is nous avons isolé les phonèmes
pour en cerner les potentialités, avec un travail d'évocation verbale (un
9B
toi, un moi) avec des signifiants qui les comportaient, de préférence en
position initiale, puis quelle qu'en pût être Ia place dans le mot et ceci
quelle qu'ait pu par ailleurs en être la graphie (lengalion, phénomène...).

Ce travail avait pour but, non seulement de mettre L. à même d'éprouver


du plaisir dans la manipulation sensuelle des mots en lui en faisant ren-
contrer les multiples dimensions (synesthésies), non seulement de l'ame-
ner à savourer la ( matière première )) du (( Verbe )) dans sa dimension
poétique et jubilatoire, mais aussi de lui permettre de se décontaminer,
d'une part, de l'approche didactique du langage, précisément en le met-
tant en contact avec la gamme phonématique indépendamment du code
de correspondance graphémique, et d'autre part, de l'expérience peu gra-
tifiante de l'effort articulatoire qu'avaient revêtu ces signifiants dans sa vie
de locuteur bègue.

Cela faisait huit à neuf mois que nous travaillions au rythme de deux
séances par semaine, et il nous parut qu'une séance hebdomadaire suffi-
rait dorénavant. A ce stade, nous sommes convenus qu'il pourrait se
mettre en connivence avec lui-même quelques minutes par jour, pour
savourer tel ou tel phonème que nous venions de rencontrer plus parti-
culièrement, par exemple en employant telle ou telle tournure, en réfé-
rence parfois à un film (u C'est cela, oui... , de Th Lhermitte).

De la même manière, je l'ai incité à relever les tics verbaux des personnes
de son entourage et éventuellement à les reprendre à son compte, avec
la double intention de se rendre conscient des éléments verbaux dans
toutes leurs dimensions signifiantes, intentionnelles et subreptices (par
subreptices j'entends tout ce qu'un tic verbal peut révéler, à qui sait l'en-
tendre, de celui qui l'emploie:un adolescent qui emploie par exemple
sans arrêt ( perso ) pour dire u personnellement, nous renseigne sur ses
fréquentations, son appartenance à un groupe, à une tendance, sur
l'image qu'il a et transmet de lui, etc...) d'une part, et par ailleurs de ren-
forcer son espace personnel par ce choix délibéré et ce clin d'æil à lui-
même. Ce faisant, L. continuait à transformer sa perception de l'acte de
parole dans trois dimensions : tout d'abord, celle de l'objet même, vivant,
vibrant, signifiant de Ia langue, ensuite celle de sa propre personne, dans
le plaisir de s'approprier cette parole en étant libre de la manipuler en
connaissance de cause, enfin celle de l'interlocuteur, chez lequel il pre-
nait enfin plaisir à reconnaître les arcanes d'une parole qu'il était libre de
saisir au bond pour la relancer, ou pas.Bref, son espace de liberté par
rapport à la parole s'accroissant dans le plaisir, L. me déclara, quelque
seize mois après notre première rencontre, qu'il était prêt à voler de ses
propres ailes, sa parole, semaine après semaine, s'étant avérée à
l'épreuve des situations les plus difficiles. Passer un bilan de fin de réédu-
cation ne fut pas envisagé, pas plus que pour un locuteur quelconque...
99
ï

La rééducation avait connu une interruption d'un mois,pendant lequel il


s'était rendu dans son pays d'origine et avait re-bégayé beaucoup plus
dans sa langue maternelle (mais là encore il fallait b;r.orp redéfinir les
critères de cette < maternité >). ll est vrai que cette coupure s'étant située
quelque huit mois après le début de la prise en charge, elle avait pu revê-
tir un caractère de déséquilibre qui expliquait ce phénomène de rechute
dans une langue dont nous n'avions en tout état de cause pas abordé la
pratique ensemble, n'ayant travaillé qu'en français. A son retour, nous
avions du reste pratiqué une nouvelle passation de bilan pour refaire le
point.
Actuellement la rééducation est terminée depuis quatre mois et ses entre-
tiens psychothérapeutiques ont pris fin peu après . L., sans être devenu
expansif , a conservé sa capacité à participer à des discussions, tant fami-
liales qu'amicales, sans être gêné par des troubles d'élocution. ll ne se vit
plus bègue. De même, son hypophonie ne s'est plus manifestée, ce que
j'ai pu constater moi-même lors d'une visite de contrôle.

le cas a
a

M. D. vient consulter pou r d'importantes d ifficu ltés d'élocution.

ll a 36 ans et dit bégayer depuis l'âge de 3 -4 ans.

ll est actuel lement agent ad m in istratif dans un hôpital, son emploi ne lui
demande pas de prendre beaucoup la parole, mais dès qu'il doit parler
avec quelqu'un, il est très gêné et pour éviter ce malaise, il parle de moins
en moins.

ll n'a qu'un seul ami qu'il voit peu et sa vie sociale est très limitée. ll fait
du vélo le dimanche matin, puis reste chez lui.

ll vit avec sa mère ; il est fils unique. Son père est décédé depuis 10 ans/
il était militaire, assez rigide et s'occupait peu de son fils. Sa mère tra-
vaillait au recrutement militaire, maintenant elle est à la retraite. lls sont
très proches. Avant sa naissance, e lle avait fait 2 fausses couches.

M.D. a vécu de nombreux non-dits traumatisants dans sa relation mater-


nelle :on ne parle jamais des fausses couches que sa mère a faites avant
sa naissance. ll est né dans l'angoisse de mort de sa mère qu i l,a couvé,
surveillé, protégé. ll était complètement pris dans son désir à elle.
Une véritable relation fusionnelle a éloigné l'Autre. personne ne peut
exister, il fallait que M. D. puisse parler toute cette charge d'émotion, et
100
I
même d'aliénation pour anrorcer une existence autonome où sa propre
parole prenait place et oùr l'ouverture à l'autre devenait possible.
M. D. a suivi plusieurs traitenrents avant cette consultation. ll est allé
chez une orthophoniste, il ciit que cela l'a aidé, mais son bégaiement le
gênait toujours. ll a alors entrepris une psychanalyse, mais il s'est décou-
ragé et s'est arrêté, car là non plus il ne voyait pas de réelle amélioration.
ll a ensuite essayé la nréthode Tomatis, mais sans résultat; il a donc aban-
donné, décidant d'arrêter toute tentative de thérapie. Mais cette année il
a la possibilité d'évoluer dans son travail ;son nouveau poste lui deman-
derait plus de contacts, y compris répondre quelquefois au téléphone, ce
qui pour lui est une véritable torture; aussi a-t-il décidé de consulter à
nouveau.

C'est un homme très réservé, il a une vie très routinière : il se rend à son
travail, déjeune chez lui tous les jours, et le soir il rentre directement à
son domicile. L'été, il va quelquefois se baigner à la mer, mais toujours
seul. Sa mère, avec qui il vit, a des amies avec lesquelles elle sort, joue
aux cartes, va faire de la gymnastique toutes les semaines.

Lorsqu'ils sont tous les deux, ils parlent, mais peu et à l'occasion de repas
de famille, il s'isole, ne communique pratiquement pas si ce n'est pour
répondre par ( oui > ou par ( non ).

ll dit ne pas aimer sorti r, car il a peur du regard des autres. S'il va au res-
taurant, il a l'impression que tout le monde a les yeux fixés sur lui et c'est
une épreuve épouvantable.

Si son apparence est tout à fait normale, on voit qu'il n'est absolument
pas sûr de lui ; peu autonoffi€, on le sent encore très dépendant de sa
mère qui, en fait, est la seule personne présente dans son existence.
A la fin de cette consultation qui s'est déroulée en deux temps (un entre-
tien avec la psychologue et un bilan orthophonique), nous lui proposons
une double prise en charge, c€ qu'il accepte aussitôt.

Cette adhésion à notre proposition ne nous avait pas étonnées, car il nous
avait expliqué sa difficulté à dire (( NON ). ll y a maintenant huit mois
qu'il vient régulièrement une fois par semaine en entretien psychothé-
rapeutique et 3 fois par semaine en rééducation orthophonique. ll a
énormément progressé, sa voix est plus grave, son trouble d'articulation
a totalement d isparu et son élocution est beaucou p plus f lu ide. Son
comportement est totalement différent; il est souriant; il a accepté de
participer à un groupe et s'est lié d'amitié avec tous les membres ; il
parle, va au restaurant;sa vie a pris une dimension différente. ll n'a plus
d'attitude d'excl usion.

I01
I
Au premier bilan orthophonique de M. D., on pouvait noter :

I en parole spontanée :
* une fréquence très importante d'occurrences de bégayages (à envi-
ron 4O o/. du matériau verbal)
* des laryngospasmes avant les émissions
vocales
* des blocages en posture préphonatoire
avec trémulations labiales et
une fixité des yeux
* puis un brusque débondement avec reduplication de syllabes à type
de mitraillette
* des reprises inspiratoires de type thoracique supérieur en bout de
souffl€, à la limite de la suffocation, et trop brèves
* une prosodie très altérée du fait des pauses non signifiantes et de la
précipitation du débit
* un fondamental à environ 190 Hz, anormalement élevé pour sa
taille, son sexe et son âge
* un timbre voilé, témoignant d'un accolement imparfait des cordes
vocales.
Le patient déclare qu'il n'y a pas de situation de communication où la
parole soit entièrement fluide. Sa latéralité s'étant révélée floue, un bilan
complémentaire de latéralité de Mme Auzias a été demandé et a attesté
d'une faible prédominance à droite (60 %) qu'il s'agisse de latéralité
innée ou acquise. Cependant M. D. utilise la main droite pour écrire et
ne s'est jamais considéré comme un gaucher contrarié.
Dans le domaine de la sociabilité, il se décrit comme traqué depuis tou-
jours et recherchant la solitude comme un refuge.
ll déclare que la peur du regard des autres exerce une pression constante
sur lui, et qu'après avoir consulté un grand nombre de spécialistes de
médecine interne pour tachycardie et aérophagie chroniques, il doit se
rendre à l'évidence que ces troubles ne sont autres que des manifestations
cliniques de son hyperémotivité.

I Au bilan d'articulation: de même qu'en parole spontanée, un assour-


i
dissement systématisé du d'r t, du v â f, une dénasalisation non systé-
matisée du ô (in) + t (è), et une interposition linguale (sigmatisme
i

ll interdental) sur ch t/l donné en S [s] et i t*t substitu é en z [z] . Ce zézaie-


I
ment est constant dans toutes les situations de parole et confère un carac-
tère puéril à celle-ci, majoré par l'élévation du fondamental usuel.
i

Au vu du bilan, ur examen complémentaire (test d'intégration phonétique


de Lafon) a été demandé et a révélé un trouble central de l'intégration
phonétique, quantitativement et qualitativement moyen, avec une auto-
correction non exercée.
La liste des mots d'lnizan, à cause de leur longueur (5 et 6 syllabes) a dû
être écourtée (5/10 seulement ont été, très péniblement, répétés).
I les séries automatiques étaient relativement préservées, en dépit d'un
caractère monocorde et d'une parole en bout de souffle.
r La lecture indirecte a témoigné d'une mauvaise capacité d'écoute et
de restitution.
r La lecture ne s'est pas révélée facilitante.
r La récitation s'est avé rée i m poss i b le.
r Chanson: M. D. a déclaré chanter faux (avec le rire du pendu), mais
a fini par accepter de chanter Une souris verte, effectivement faux, et
avec des reprises inspiratoires qui dénaturaient les rhèses.
t Epreuve intonative échouée sur modèle et sans modèle.
Au niveau des comportements accompagnateurs, ce qui prédominait
était le rire du pendu, avec une connotation d'auto-dérision, une turges-
cence des vaisseaux du cou, u o sou lèvement pré-inspiratoire des épau les,
des trému lations labiales et une fu ite fréquente du contact visuel.

M. D. se déclara prêt à s'investir totalement dans la rééducation qui lui


était proposée, mais ce n'est qu'au bout d'un mois environ que son
regard devint confiant, cessant de fuir et témoignant d'une réassurance
cap ita le.

M. D. se montra non seulement assidu et impliqué dans la démarche


rééducative, ffids fit preuve d'une adhésion intelligente à la démarche de
réappropriation de ses capacités élocutoires, avec des analyses fines et
pertinentes, souvent pleines d'humour, des paramètres observés sur autrui
(ce faisant, de ( gibier )) il devenait ( chasseur )... et desserrait l'étau
d'angoisse généré par le regard de l'autre).

Du fait de sa dyslalie et de son déficit d'intégration phonétique, nous


avons été amenés à consacrer très rapidement un peu de temps à chaque
séance à une prise de conscience des praxies (relèvement de l'apex de la
langue impossible au début) et à un travail de son schéma corporel, ainsi
qu'à une rencontre fine et précise des paramètres acoustiques autant
qu'articulatoires de la gamme phonématique.
ll ne se séparait guère, les trois premiers mois, du schéma représentant la
cavité buccale et la position des organes phonateu rs pour chaque
consonne, de manière à pouvoir faire sa ( gymnastique de langue ) entre
les séances... même si, les premiers temps, il s'est plaint de... courbatures
dans la langue ! Quoi qu'il en soit, le sigmatisme régressa très rapidement
et, au bout de trois mois, il venait à bout du chasseur sachant chasser sans
son chien et de Justine ajustant son justaucorps (et autres ( virelangues ,,),
même si, dans la parole spontanée, ladite spontanéité pâtissait de l'effort
de contrôle qu'il devait encore exercer sur la position de sa langue.

103
I
ror***n*'w

En revanche, la rééducation du souffle s'avéra longue et difficile: M. D.


comprenait la nécessité de l'ancrage de l'inspiration avec d iaphragme en
position basse, mais s'affolait à l'approche de l'apnée à vide, et reprenait
brutalement son souffle bien avant la fin de l'expiration.

Nous avons procédé à de nombreuses séances de détente avec


concentration sur des points précis de ses articulations, de manière à
lui faire ressentir, à la faveur de cette détente, le rythme souple et
ralenti de son souffle. ll s'est rendu à plusieurs reprises au bord de la
mer par temps calme, de manière à s'imprégner du ressac et à se
détendre dans la contemplation du mouvement régulier du mouve-
ment des flots.

Quant à sa voix, nous avons multiplié les exercices d'écoute sur le o a >>,
f .l voyages vers le bas, pu is vers le haut, avec perception tactile des
vibrations sternales, jugales... jusqu'à ce qu'enfin ce travail, au prix d,une
vigilance quotidienne, aboutisse à une reconnaissance de son équilibre
aux environs de 120 Hz. Ceci n'a pu être obtenu avec naturel et
confiance que lorsque M. D., réconcilié avec l'écoute de son équilibre
statique, a pu sonoriser un bâillement naturel (mais jamais en ma pré-
sence... mes propres bâillements persistant à l'amuser plus qu'autre
chose !)

C'est du reste de la reconquête de ce fondamental usuel que M. D. se


déclare actuellement le plus fier... et à juste titre, car ce faisant, il s,est
donné une ( assise ) qui, jointe à l'élimination de son zézaiement, contri-
bue à restaurer Srandement son schéma corporel et son image de soi. Dès
la fin du premier mois, M. D. m'a appelée au téléphonJrn" fois par
semaine, de manière à affermir l'appui visuel par représentation mentale.
Puis nous avons élaboré des situations d'appel, en cabinet, par exemple
pour demander des renseignements au 12, ou à des établissements com-
merciaux. Actuellement M. D. réussit à contrôler son débit et se rassure
beaucoup à l'écoute de sa propre voix, il est très satisfait des progrès
accomplis à ce niveau également.

Huit mois s'étant écoulés avec une évolution indéniable, nous sommes
convenus de pratiquer un nouveau bilan afin de faire le point et d'envi-
sager le passage à deux séances par semaine.

Les résultats du bilan se sont avérés concluants:l'articulation est cor-


recte, la fréquence des bégayages a chuté de 40 "/o à 30 "/o, permettant rCe
passer du diagnostic de bégaiement très sévère à celui de bégaiement
modéré. La voix est maintenant mieux timbrée et le souffle mieux
contrôlé. ll reste à souhaiter que M. D. parvienne à accepter d,inter-
romPt€, en parole spontanée, un mouvement de parole dont il sait à
104
I
l'avance qu'il va échouer, pou r prend re le temps de repositionner son
souffte (et ses épau les), mais il a encore beaucoup de mal à s'autoriser
cette prise de temPs.

ll se sent encore trop souvent (( le couteau SUr la gorge )), avec priorité
il
absolue à l,attente de l'interlocuteu r. Mais sa lectu re est normalisée,
marque bien les pauses signifiantes et prend plaisir, dans le chant, à res-
sentir la note juste et les variations de rythme.

Nous passons à deux séances hebdomadaires, avec un maintien de


lafré-
quence du suivi psychothérapeutique qui lui permet de rePrendre ses
marques par rapport à son environnement, et avec le projet de renforcer
sa conscience linguistique par la pratique de la prosodie.

Je cas o
a

Le trouble d,A., 2l ans, s'inscrit dans un contexte plus global d'ancien


retard de langage.

Atteinte d'otites séreuses présumées pratiquement chroniques et impor-


tantes depuis son plus jeune âge et tardivement diagnostiquées,
A., seconde
(peu avant son
d,une fratrie de deux enfants, a dit ses premiers mots tard
troisième anniversaire), puis a présentédes confusions phonétiques si

importantes qu,eiles s'apparentaient à un jargon, au dire de ses


parents.

Le diagnostic ORL n'aétéfait qu'à l'entrée au CP, grâce à la demande de


l,institutrice. ll a alors été pratiqué une adéno'idectomie, une amygdalec-
phoné-
tomie et une pose de drninr. Mais A. souffrait d'une intégration
tique gravement et durablement perturbée.
et de
Surtout, elle avait construit sa perception du monde de l'expression
qui
l'échange verbaux sur un flou douloureux, synonyme d'insécurité et
avait entraîné chez el le u ne défiance profonde envers elle-même et
envers les autres.

Ses parents, confrontés aux difficultés très importantes


qu'avait leur fille,
l'en-
et habitant un petit village dépourvu d'orthophoniste, décidèrent de
voyer chez les grands-parents maternels qui habitaient Toulouse et qui
pourraient ainsi l'accompagner régulièrement chez une orthophoniste'
C,est ainsi qu'A. a eu ,n'rriui de ,êeaucation orthophonique
qui a duré
jusqu,en CMz. Mais l'évolution n'a pas ététrès notable, car son efficacité
était extrêmement compromise par la souffrance d'A. qui se sentait
reje-
tée par sa famille et dévalorisée par ses grands-parents.
105
I!!F"

A. dit à quel point elle a mal vécu la séparation d'avec ses parents et son
frère. Elle avait l'impression que plus personne ne vou lait d'elle ; ses
parents se débarrassaient d'elle et ses grands-parents avaient, par devoir,
à s'en occup€f, mais l'écrasaient en lui montrant à la moindre occasion
ses difficultés et son incapacité à s'intégrer aux autres. Du fait de cette
expérience, A. a dû adopter une attitude de retrait, et une violence inté-
riorisée qu'elle n'a su tradu ire qu'en recherchant une protection conti-
nuelle dans le regard de l'autre.
Lorsque ses parents ont pu être mutés dans une autre région, ils se sont
installés à Marseille et ont pu reprendre leur fille qui a, alors, suivi une
scolarité cahotique et douloureuse, car là aussi elle a subi le rejet des
autres enfants.

Aujourd'hui elle a réussi au bac et elle veut envisager un cursus univer-


sitaire, mais elle est consciente de ses handicaps, de ses difficultés d'élo-
cution ; surtout elle a une véritable terreur du regard des autres, son
sentiment d'exclusion est très fort.

Elle se vit diminuée, dans une position de vie très négative et tout un tra-
vail de revalorisation de sa propre image est indispensable.

En dépit d'une rééducation orthophonique essentiellement axée sur les


acquisitions secondaires (par opposition aux acquisitions premières)
nécessaires au suivi de la scolarité standard, A. n'a jamais, au jour du
bilan, suivi de rééducation du bégaiement, c€lui-ci étant par ailleurs peu
sévère (test Riley et Ril.y).

Aujourd'hui pourtant A., qui a suivi une scolarité pénible, avec plu-
sieurs redoublements, et surtout relationnellement très douloureuse,
ayant été souvent un objet de risée pour ses camarades (qri la trai-
taient régu lièrement de mongolienne !) est parvenue (grâce à des
mesures d'aménagement de tiers temps) à obtenir un baccalauréat et
se trouve à même de formuler une demande précise pour la fluidité de
sa parole.

Elle continue à imputer son sentiment d'échec, dans les domaines scolaire,
amical et sentimental, à la dyslexie, mot consacré qui recouvre pour elle
toutes ses difficultés verbales, sans se borner au versant écrit du langage.

Le bilan orthophonique révèle :


r en parole spontanée : des occurrences de bégaiement fréquentes, du
type clonique marqué avec reproduction en série de trois, parfois quatre
ou même cinq fois la même syllabe initiale, ou les deux première syllabes
de la séquence (ex:êm, êm, êm = même) avec une modulation de type
plaintif *-''-'-* le plus souvent inadaptée au contenu sémantique
1n^
{-

De fréquentes omissions ou substitutions de phonèmes, à type de facili-


tation et qui confèrent à la parole une caractéristique de phonétique
puérile :
strictement â tristement
testâ tesse
texte â tesse
stresse (je stresse) â tresse (je tresse)
le tout accompagné d'une importante hypotonie orofaciale, avec inoc-
clusion labiale.
D'une manière générale, un nasonnement de la parole et au plan de la
voix une réelle hypophonie réactionnelle (25130 dB).
I à l'examen de l'articulation : des confusions orales/nasales (tant dans
le sens de la nasalisation que de l'oralisation), des assourdissements de
sonores et des simplifications de groupes consoniques.
A. manifeste du reste son effroi quand on lui propose les mots d'lnizan.
I les séries automatiques sont épargnées, mais portent la marque d'un
débit précipité.
r lecture : peu expressive, elle pâtit de l'hypophonie d'A., qui consacre
beaucoup d'efforts au respect de l'articulation au détriment de la proso-
die. Les pauses signifiantes sont peu respectées, mais les occurrences de
bégaiement sont plus rares que dans la parole spontanée.
I lecture différée : A. ne man ifeste qu'u ne très méd iocre qualité
d'écoute. la mélodie (variations d'intensité, de hauteur et de rythmes)
n'est pas reproduite, on observe une recrudescence des reduplications, et
même les signifiants sont altérés dans leur forme ou totalement substitués,
en particulier pour les mots-outils.
I récitation : cette situation entraîne une grande confusion chez A., qui
se précipite, hésite, reprend, avec de nombreuses reduplications et des
réactions de prestance (rire du pendu).
t épreuve intonative: échouée avec et sans modèle, de surcroît altérée
dans les éléments mêmes du message (paraphasies phoném iques et
sémantiques).
I chant: ayant fait choix de LJne souris verte, A., très réticente, affirme
chanter faux, avoir besoin d'un modèle. Donc je fournis le modèle, vers
après vers (6 syllabes), ce qui permet de constater qu'en effet non seule-
ment la mélodie n'est pas suivie, mais pas davantage le découpage ryth-
mique des syllabes, ni la phonétique elle-même:ces mes - sieurs me di
- sent (ces messieurs denise...), traduisant un désinvestissement séman-
tiq ue évident.
r au plan de la latéralité, on observe une latéralité hétérogène avec écri-
ture à droite, æil gauche, pied gauche. Dans sa motricité, A. paraît très...
gauche du reste.
1o.7
.W
x{Ill. 'd

r manifestations cliniques de l'affectivité : onychophagie.


Dans sa posture, A. traduit aussi un malaise et une inquiétude, par un port
de tête dévié vers l'avant, un regard hésitant.
La respiration est thoracique supérieure et manque d'assise.
D'une manière générale, sa mélodie kinétique manque d'aisance et de
fluidité et reflète celle de sa parole.
lnterrogée sur ce qu'elle ressent, A. répond qu'elle n'arrive pas à s'en-
tendre parler et qu'elle souffre de cette absence de feed-back.
Les situations les plus redoutées sont le téléphone (et encore plus bien sûr
le répondeur) et la parole en public. Les interlocuteurs qui aggravent le
trouble: les personnes inconnues, les examinateurs (et enseignants en
général), les garçons qui lui plairaient...

Prise en charge: nous nous trouvons donc en présence d'un bégaiement


léger, peu invalidant en tant que tel, mais avec une demande réelle et un
contexte de détresse verbale importante.

Une prise en charge est donc indiquée en vue d'une réappropriation du


clavier expressif qu'il soit kinétiQUe, mimique (corporel stricto sensu),
puis, dans le droit fil de celui-ci, vocal, verbal oral, verbal écrit. Une prise
en charge associée en psychothérapie sera entreprise simu ltanément et
conduite tout au long de la rééducation orthophonique afin de réparer
l'estime de soi, très faible, de A., qui, à l'heure présente, rentrerait dans
un trou de souris si elle le pouvait...

Parallèlement au suivi psychothérapeutique assez soutenu qui était pro-


posé à A. ,la rééducation orthophonique s'est déroulée sur un an à raison
de deux séances hebdomadaires pendant huit mois, puis une séance par
semaine seu lement les quatre dern iers mois.

Elle a porté essentiellement au début sur la notion d'écoute, très difficile


à obtenir. Cette écoute a été d'abord kinesthésique, avec une demande
de reconstruction de l'image mentale du schéma corporel. A. avait essayé
de suivre des cours de yo1a, mais, n'étant pas parvenue à se concentrer,
y avait renoncé. Durant les premières séances, il a fallu endiguer sa logor-
rhée en lui expliquant que je n'étais pas moins à son écoute pour autant,
mais que ce flct verbal venait faire écran au travail d'écoute d'elle-même
que nous avions défini comme une des priorités de sa rééducation.

La mélodie kinétique enfin libéré€, du moins en séances, un travail impor-


tant et qui me semblait urgent a été entrepris dans le domaine de la dis-
crimination phonémique avec exploration auditive et kinesthésique des
d ifférents traits d istinctifs et verbalisation de ceux-ci. A. man ifestait de
nombreuses résistances. Elle était toujours très assidue aux séances, mais
ne trouvait jamais le temps de travailler entre les séances, comme nous en
108
l
étions pourtant convenues, pour prendre soin de sa parole, par exemple
les exercices de cloutage vocalique, pourtant si nécessaires pour elle.

Le travail de conscience phonologique fut donc écourté au profit d'une


écoute supra-segmentale. A. se plaignant toujours de ne pas réussir à
s'entendre, nous avons décidé de travailler un rythme avec un tempo
ralenti, investi corporellement (en battant des mains d'abord, puis en
tapant des pieds, debout avec déplacements scandés alternativement à
droite, puis à gauche :c'est la fill'(1 2 3)l de la meu ni ère (1 2 3 4 5)/qut
dan sait (1 2 3)l avec les gars (1 2 3 4). De manière à ce que le rythme
soit bien perçu, rous substituons aux syllabes le comptage. Quand le sub-
strat mélodique et rythmique est bien ancré, nous martelons les syllabes
de cette bourrée pour passer ensuite au tempo, plus enlevé, de la polka
piquée. A. participe bien en séances, mais avoue ne pas pratiquer en
dehors des séances. Néanmoins, très canalisée, elle parvient à évoluer
dans sa diction et dans sa prosodie. Le contact visuel est meilleur, la voix
moins monocorde.

llest décidé de pratiquer une nouvelle évaluation, gui objective cette


évolution positive dans presque toutes les rubriques, à l'exception de la
parole récitée, qui pâtit encore de son manque d'assurance. Mais, grâce
au travail de la voix chantée, Sâ voix atteint les 40-45 dbs.

Nous déc idons donc de passer une séance hebdomadaire.


Responsabilisée par ce changement, A. se met à évoluer vers une prise
d'autonomie, demande à vérifier les exercices de statique et de conscience
phonologique pour les travailler chez elle, et se déclare assez vite à même
de voler de ses propres ailes... avec un rendez-vous de contrôle à l'horizon
de la rentrée universitaire (nous étions en juillet) et une disponibilité télé-
phonique dont elle a usé à plusieurs reprises entre-temps.

Actuellement elle ( oublie ) de me donner de ses bonnes nouvelles, ce


qu'elle a fait à des intervalles de plus en plus espacés depuis dix-huit
mois, et qui paraît être de très bon augure !

109
Conclusion

Prrr qu'il y ait un interlocuteur, il faut un locuteur. On retrouve dans


la diatectique de l'échange verbal la notion de priorité qui préside à toute
re n co ntre.
Priorité temporelle ; pour être un interlocuteur valable, je me dois de
donner la place (et Ie temps) aux arcanes de ma parole.
Priorité affective : pour être un interlocuteur digne de ce nom, je me dois
de donner la priorité, dans mon champ de conscience, à l'écoute de mon
état interne, de mon assiette, de mon projet et de mes besoins.

tl nous est apparu que, dans la diversité des parcours et des vécus des per-
sonnes qui consultaient dans ta détresse commune d'une amputation de
leur parole, une confusion gén êrale mêlait expression et communication,
avec en facteur commun le manque de distance entre soi-même et l'autre.

A l'issue du bilan que nous proposons, notre souci est que chaque patient
puisse, d'abord, sentir dans le lieu où nous le recevons un espace chaleu-
reux et bienveittant, mais significatif du respect de son intégrité. Dans cet
espace nous souhaitons que chacun de ces patients soit amené à redé-
couvrir les potentialités expressives que recèle sa personne, ici et mainte-
nant, afin qu'il atteigne à cette ( seigneurie de soi-même )), dont parlait
Coethe. Afin que les émotions générées par l'interlocuteur (ou par l'idée
de l'interlocuteur) cessant d'être de véritables déflagrations, il puisse se
donner la permission d'être avant tout présent à lui-même, présent à la
111
l
magie du langage naissant en lui, de lui, pour pouvoir être, et en appa-
rence simultanément (mais voilà un concept bien théorique) présent à
son interlocuteut, Qui sera, et c'est indispensable, second. Dans son par-
cours ( initiatique >, il reste que le patient bègue aura gagn é, à l'issue de
la rééducation, une qualité d'être qu'il n'oubliera pas.

Une prise en charge psychothérapeutique est souhaitable en parallèle pour


permettre au patient de se resituer au sein de son entouraget de mettre des
mots sur un vécu douloureux, de prendre sa place par rapport à l'autre et
être à même d'analyser et de modifier le fonctionnement de la dynamique
familiale. ll pourra ainsi prendre du recul sur son passé et appréhender la
relation avec autrui en se positionnant d'une autre façon, communiquer
avec une autre position de vie et une autre image de lui-même.

Cette approche est fondée sur l'entretien non directif, sur une écoute com-
préhensive. Le but est d'aider le sujet souffrant à ( devenir une personne ).
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SOLAL, Editeur
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