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Affect et pathologie
PSYCHOSOMATIQUE
RECHERCHE EN
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RECHERCHE EN
PSYCHOSOMATIQUE
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Affect et
pathologie
Sami-Ali
François Marty
Albert Danan
Sylvie Cady
Lidia Tarantini
Daniel Sibony
Michèle Chahbazian
Leila Al-Husseini
Martine Derzelle
Nayla Karroum
Jérôme Englebert
Centre International de Psychosomatique
Collection Recherche en psychosomatique
dirigée par Sylvie Cady
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Dans la même collection
Le cancer – novembre 2000
La dépression – février 2001
La dermatologie – mars 2001
La clinique de l’impasse – octobre 2002
Identité et psychosomatique – octobre 2003
Rythme et pathologie organique – février 2004
Psychosomatique : nouvelles perspectives – avril 2004
Médecine et psychosomatique – septembre 2005
Le lien psychosomatique. De l’affect au rythme corporel – février
2007
Soigner l’enfant psychosomatique – février 2008
Affect refoulé, affect libéré – mars 2008
Entre l’âme et le corps, les pathologies humaines – octobre 2008
Handicap, traumatisme et impasse – janvier 2009
Soigner l’allergie en psychosomatique – octobre 2009
Entre l’âme et le corps, douleur et maladie – août 2011
Psychosomatique de l’enfant, de l’adolescent et de l’adulte –
janvier 2012
La psychomotricité relationnelle – mars 2012
Psychosomatique et maladie d’Alzheimer – juin 2012
Sexologie et psychosomatique relationnelle - mars 2013
Cancer et pychosomatique relationnelle – juin 2013

Éditions EDK/Groupe EDP Sciences


25, rue Daviel
75013 Paris, France
Tél. : 01 58 10 19 05
Fax : 01 43 29 32 62
edk@edk.fr
www.edk.fr

© Éditions EDK, 2013


ISBN : 978-2-7598-1140-3
Il est interdit de reproduite intégralement ou partiellement le présent
ouvrage – loi du 11 mars 1957 – sans autorisation de l’éditeur ou du
Centre Français d’Exploitation du Droit de Copie (CFC), 20, rue des
Grands-Augustins, 75006 Paris.
Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie

M. Sami-Ali
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Introduction
Affect et pathologie
Professeur M. Sami-Ali
Toute psychothérapie, qui touche à l’âme et au corps et qui se
veut novatrice, doit entraîner une autre vision de la thérapeutique.
Cet ouvrage entend montrer qu’à partir de la relation donnée, il est
possible de créer des méthodes psychothérapiques nouvelles pour
prendre soin des personnes présentant une pathologie psychosoma-
tique à un moment crucial de leur vie affective. Psychothérapies qui
ne s’avèrent efficaces que parce qu’elles constituent avant tout des
moyens de faire des découvertes, dans le sens de la connaissance
affective de l’autre. Disons-le clairement il ne s’agit pas ici d’ap-
pliquer une méthode, au risque de s’enfermer dans la redondance,
mais plutôt de créer pour que chacun, selon ce qu’il fait, ce qu’il
est, apporte librement sa contribution. Et il est important que tout
cela aboutisse à un ensemble où peuvent se reconnaître l’unité et la
diversité d’une seule et même situation relationnelle et affective.
Si, d’un bout à l’autre de ces travaux, l’affect et la pathologie
psychosomatique constituent le fil conducteur de toute visée thé-
rapeutique, il y a là comme une manière de restituer à la relation
affective et à la conscience onirique une place qui doit lui revenir,
mais que ne cesse d’occulter une adaptation s’effectuant à l’inté-
rieur d’un contexte socioculturel marqué par le banal.

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Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie

François Marty
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Agir à l’adolescence, une autre
façon de penser les émotions ?
Affect, émotion et pathologie à l’adolescence

François Marty
Parler des émotions à l’adolescence, c’est parler de ce qui se
manifeste, motive et émeut (met en mouvement) l’adolescent qui
accoste aux rivages de la puberté. L’émotion est aussi en elle-
même un mouvement : parler de ce qui bouleverse l’adolescent
de l’intérieur amène à évoquer ses conduites, ce qui le pousse à
agir, mais aussi à penser, pour tenter de se dégager de l’emprise
qu’exerce sur lui la force de ses pulsions. Parler de l’adolescence
et de ses émotions, c’est assurément envisager les rapports que
l’adolescent entretient avec son corps changeant et avec celui
de l’autre. Davantage encore qu’un lieu pour ressentir ce qui
affecte l’enfant devenant pubère, l’adolescence est un véritable
processus dont le travail consiste à nommer, contenir et finale-
ment donner sens à tous ces éprouvés. C’est pourquoi la vio-
lence des émotions ressenties (amour, haine, ennui, colère, peur,
tristesse, honte, culpabilité, stupeur…) témoigne de la violence
des transformations subies par l’adolescent, elles sont comme
autant de signes de la profondeur de la métamorphose pubertaire,
elles témoignent de l’intensité de sa sensibilité. C’est lorsque
l’adolescent est coupé de ses émotions et de son monde interne
que survient la pathologie. C’est à ce moment-là qu’il peut être

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Recherche en psychosomatique

amené à agir, à passer à l’acte, pour tenter de lutter contre ce qui


le menace du dedans.
Le terme de « passage à l’acte » renvoie à l’idée selon laquelle le
sujet qui agit ainsi passerait d’un état à un autre, en l’occurrence de
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la parole à l’action. Cette façon de rendre compte de l’observation
oppose l’agir et la pensée, comme deux registres étrangers l’un à
l’autre. Peut-être conviendrait-il de s’interroger sur cette différence
pour envisager cette clinique de l’acte autrement : l’agir, comme la
parole, pourrait être pensé comme un moyen auquel il est fait appel
pour tenter de symboliser les émotions, voire d’élaborer des trau-
matismes insuffisamment travaillés psychiquement.

La place de l’émotion, entre corps et histoire

L’agir ne s’opposerait pas à la pensée, mais s’originerait dans


des sensations, voire des émotions, insuffisamment intériorisées.
L’émotion pourrait être définie comme une expérience subjective
se situant entre le perceptif et l’élaboratif, entre l’affect et la repré-
sentation. De ce point de vue, on peut envisager l’agir adolescent
comme une émotion qui cherche à se nommer, à se représenter, qui
cherche à faire sens. Le corps est un lieu d’anticipation et d’ex-
périmentation de la vie émotionnelle1, les mouvements corporels
étant des façons d’explorer le champ des émotions. La gestuelle, les
attitudes corporelles sont des mises en situations, voire des mises
en acte, dans l’espace et le temps, nécessaires à la gestion de la
sensibilité.
Le corps est le théâtre de l’âme, il met en scène ses mouve-
ments intimes, y compris dans le rêve. Le sens des situations se
découvre par le mouvement, aussi imperceptible soit-il, parfois2.
De ce point de vue, la mémoire est avant tout mémoire du corps,
elle est évolutive et non statique. Elle lie souvenirs et émotions et
contribue à créer un univers temporel où affects, souvenirs et fan-

1. Dans son ouvrage, A.R., Damasio, L’erreur de Descartes. La raison des émo-
tions, Paris, Odile Jacob, 1995, l’auteur développe l’idée selon laquelle la capacité
de ressentir ou d’exprimer des émotions nous aide à prendre certaines décisions et
à programmer nos actions.
2. Par rapport à ce sujet, on peut se référer à A. Berthoz, Le sens du mouvement,
Paris, 1997.

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Affect et pathologie

tasmes se mêlent. La mémoire est affective. L’acte est peut-


être, vu sous cet angle, une émotion qui ne se pense pas, qui ne
s’inscrit pas dans cette mémoire affective, mais qui n’en consti-
tuerait pas moins une tentative du sujet pour qu’elle fasse sens.
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Prenons l’exemple du cas Emma, cas princeps commenté par
Freud comme illustrant sa première théorie du traumatisme et de
l’hystérie : l’émotion qu’elle ressent est la peur d’entrer seule dans
une boutique. Cette peur obsédante, qui fait symptôme, reste in-
compréhensible si on ne la relie pas à d’autres éléments, dont leur
association fait traumatisme. Ce dont Emma se souvient après sa
puberté donne un sens sexuel à une émotion vécue dans l’enfance,
émotion liée à un attentat sexuel dont elle avait été victime – occa-
sionnant confusément chez elle plaisir et déplaisir confondus. Le
sens sexuel de l’événement n’apparaît clairement qu’après-coup,
après le travail psychique du processus d’adolescence (génitalisa-
tion du corps et réécriture du sexuel infantile). Ce sont elles (génita-
lisation et réécriture) qui permettent à Emma d’éprouver (dans son
corps) et de qualifier (par cette réécriture) ces émotions. Le trauma-
tisme par séduction ne se dévoile à ses propres yeux qu’au moment
où le sens sexuel de cette scène est perceptible par elle, lui révélant
du même coup le plaisir associé à l’attentat dont elle a été victime.
Freud reviendra sur cette notion de traumatisme vécu par l’enfant
et interprété par l’adolescent pour lui préférer une autre théorie qui
remplace le traumatisme réel par le fantasme. Finalement, pour
Freud, ce qui est traumatique, c’est le sexuel.
Le corps occupe dans l’histoire d’Emma une place centrale au
niveau de la scène traumatique de l’enfance et de celle de l’adoles-
cence. L’émotion éprouvée par Emma implique le corps d’enfance
(être touchée par l’épicier, mais aussi éprouver du plaisir), comme
le corps génital (être vue par de jeunes hommes riant qui lui rap-
pellent le déplaisir lié au souvenir de la scène de l’enfance, mais
aussi l’éprouvé de plaisir, vécu dans l’attirance sexuelle pour l’un
des jeunes vendeurs). L’émotion n’est perçue que dans la mesure
où le corps sert de mémoire de l’événement et qu’il a subi une
mutation suffisante pour rendre intelligible la scène, ou du moins
pour lui donner son sens sexuel. La scène devient traumatique
par le rapprochement de deux événements éloignés l’un de l’autre
dans le temps, séparés par le seuil pubertaire. L’émotion prend
corps et le sens se dessine en lien avec l’histoire, entendue ici
comme l’histoire du sexuel en soi.

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Recherche en psychosomatique

L’émotion est ce qui, du point de vue de l’étymologie, met en


mouvement3. Cette mise en mouvement est celle du corps, ici géni-
tal, qui donne à Emma la trame sensible et sensuelle d’une histoire
que l’analyse lui dévoile. Dans son cas, l’angoisse (liée au souvenir
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du plaisir et déplaisir confondus) s’est transformée en phobie hysté-
rique. Le contexte du symptôme est celui de la sexualité ; l’histoire,
une répétition, par souvenir interposé, d’un plaisir éprouvé mêlé
à du déplaisir et de la culpabilité. Emma est émue d’être objet du
désir d’un autre/pour un autre, cette scène suscitant en elle plaisir et
déplaisir. L’émotion lui dévoile la trame du désir dont elle est objet
et sujet à la fois. Emma prend la fuite devant son propre désir et le
souvenir de la scène chez l’épicier et développe une conduite patho-
logique de type phobique devant le risque d’une répétition de la
scène, en évitant la rencontre avec l’objet phobogène qui se trouve
être devenu (depuis l’enfance) un objet génital. Mais l’angoisse
peut prendre parfois d’autres tours, s’exprimer selon des scénarios
différents et se traduire selon d’autres modalités.

La violence, expression de l’angoisse

En effet, l’angoisse est traitée différemment selon la structure


psychologique du sujet. Les névrosés déplacent l’angoisse sur le
corps par conversion, comme chez l’hystérique, sur les objets (per-
sonnes ou situations) chez les phobiques, sur les pensées chez les
obsessionnels. Les psychotiques clivent et dénient la part de réalité
traumatogène, source d’angoisse qu’ils tentent ainsi de maîtriser en
cherchant à transformer la réalité externe, alors que dans la névrose,
il s’agit d’une tentative de transformation de la réalité interne4.
Chez les adolescents dont la structure de personnalité repose sur

3. Émotion vient du latin populaire « exmovere » et du latin classique « emovere »,


qui signifie « mettre en mouvement », in Bloch O., von Wartburg W., Dictionnaire
étymologique de la langue française, Paris, PUF, 1986, p. 219.
4. Sur cette question on peut se référer au texte de S. Freud, 1924, La perte de
la réalité dans la névrose et dans la psychose, in Névrose, psychose et perversion,
Paris, PUF, 1978, pp. 299-303 et celui de S. Ferenczi, 1913, Le développement
du sens de réalité et ses stades, in Œuvres Complètes, Paris, Payot, 1978, tome II,
pp. 51-65.

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Affect et pathologie

des bases narcissiques fragiles5, le traitement de l’angoisse peut se


faire par le recours à l’agir. L’angoisse d’être manipulé, que l’ado-
lescent éprouve à l’occasion de l’avènement de la puberté, contri-
bue à développer sa fragilité narcissique. Qu’il traverse ce senti-
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ment en l’éprouvant a minima, et en tentant de contenir l’angoisse
qu’il génère par des conduites de réassurance (comme, classique-
ment, le recours au miroir – stations nombreuses et parfois longues
face à la glace), ou bien qu’il éprouve ce sentiment avec une telle
intensité qu’il développe pour s’en protéger une problématique hy-
pocondriaque ou paranoïaque, tout adolescent est confronté, d’une
façon ou d’une autre, à une relation d’emprise, voire au syndrome
d’influence. L’adolescent doit se défendre violemment contre l’em-
prise de l’objet dont il se sent la victime désignée, comme s’il cher-
chait ainsi à se dégager de cette relation « négative ». Il lutte contre
le sentiment d’être manipulé par l’autre, comme il sent son propre
corps manipulé par la puberté. C’est la prégnance de ce sentiment
qui rappelle dans son attitude celle des sujets qui se trouvent sou-
mis au syndrome d’influence. Dans cette pathologie, les idées ou
pensées semblent répétées en écho ou devancées, les actes com-
mandés. Le malade éprouve de violentes impressions d’emprise,
d’envoûtement, comme si ça parlait à l’intérieur de lui, dans son
ventre, dans sa gorge. « Le sujet se sent pour ainsi dire tout à la
fois dédoublé et doublé par un Autre qui redouble par son action
extérieure (influence) et son action intérieure (possession) le pou-
voir qu’il exerce sur sa chose, cette chose qu’est devenu le sujet en
devenant l’objet de cette contrainte ou de cet asservissement »6. Ces
idées délirantes procèdent de mécanismes projectifs par lesquels le
sujet se libère d’affects douloureux en les projetant sur l’autre. Dès
lors, ils deviennent les affects de l’autre. Si ce syndrome n’apparaît
que dans des cas pathologiques rares à l’adolescence, le schéma
qui organise ce sentiment (être le jouet de l’autre, voire éprouver
la peur de devenir fou, de ne plus contrôler ses pensées), est en

5. Dans son rapport intitulé « La névrose de l’enfant, l’expérience du psychana-


lyste chez l’enfant et chez l’adulte devant le modèle de la névrose infantile et de
la névrose de transfert », S. Lebovici note : « Les futurs psychopathes souffri-
raient d’une insuffisance d’apport narcissique primaire maternel, ce qui conforte
une autre constatation également mentionnée, l’insuffisance de l’estime de soi et
l’idéal du moi paternel dans la configuration œdipienne. Il y aurait ici chez la mère
carence en fantasme œdipien concernant son propre père et son mari », in RFP,
1980, XLIV, p. 775.
6. Ey H., Bernard P., Brisset C., Manuel de psychiatrie, Paris, Masson, 1989.

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Recherche en psychosomatique

revanche beaucoup plus fréquent au moment de l’entrée en puberté.


L’emprise physiologique de la puberté semble s’étendre à la vie
psychique. Le vécu émotionnel est projeté sur l’autre, dans l’autre.
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L’agir transforme la réalité

Quelle que soit l’organisation psychique sous-jacente, l’agir


transforme la réalité en donnant un autre cours aux choses7. Lorsqu’il
est commis, la réalité n’est plus la même qu’avant, les données du
problème ont changé. La réalité externe n’est pas déniée : elle est
travaillée, modelée par l’agir qui la transforme en l’adaptant aux
possibilités internes du sujet. C’est un agir8 qui se met au service
des exigences pulsionnelles pour modifier la part de réalité qui n’est
pas compatible avec ces exigences, le recours à l’agir contribuant à
écouler l’afflux d’excitations dans la décharge motrice9.
Cette conception suppose un degré de développement suffi-
sant du moi pour envisager une quelconque visée adaptative, de-
gré de développement du moi qui, dans le cas de la délinquance,
par exemple, fait précisément problème. La question de la trans-
formation de la réalité et celle du degré insuffisant de développe-
ment du moi peuvent s’illustrer à propos du mensonge et du vol,
lorsque l’un et l’autre deviennent des modalités habituelles d’agir.

7. On pense ici au coup d’épée d’Alexandre le Grand qui trancha ainsi le nœud
gordien. Le roi Gordias qui avait fondé la ville de Gordion, en Phrygie, possédait
un char dont le timon était attaché avec un nœud si complexe que personne ne
parvenait à le défaire. Celui qui réussirait à dénouer le lien serait alors maître du
monde (de l’empire d’Asie). Avant Alexandre, personne n’avait réussi à défaire le
nœud. En le tranchant d’un coup d’épée, Alexandre résolut la question. Cet épi-
sode de la vie d’Alexandre illustre la façon dont un grand chef militaire et politique
doit agir, avec force et détermination, et finalement sans état d’âme. Si trancher
ce qui ne se dénoue pas est une nécessité politique, l’indécision étant dans ce cas
fatale au bon gouvernement de la Cité ou du pays, le recours à ce mode de réso-
lution d’un problème montre également le risque qu’il fait courir au commun des
mortels par son caractère brutal, impulsif, nécessairement violent. Ne risque-t-on
pas de voir s’installer à nouveau la loi du plus fort ?
8. Dans « Personnages psychopathiques à la scène », 1906, in Résultats, Idées,
Problèmes, I, Paris, PUF, 1984, pp. 123-129.
9. C’est la position qu’adopte Freud en 1895 dans « Qu’il est justifié de séparer
de la neurasthénie un certain complexe symptomatique sous le nom de « névrose
d’angoisse », in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1978, pp. 15-38.

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Affect et pathologie

La falsification de la vérité constitue peut-être une façon d’ignorer


ou de nier une partie de la réalité qui revêt un aspect déplaisant,
comme si celui qui ment soumettait la réalité à des déformations
qui la rendrait supportable. Cette soumission au principe de plaisir
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fait apparaître une régression dans le fonctionnement de l’appareil
psychique. Ce mode de défense primitif contre le déplaisir menace
la distinction entre réalité interne et réalité externe, le menteur pou-
vant alors, grâce au clivage, se mentir à lui-même et croire davan-
tage à cette néo-réalité qu’aux reproches venant de sa conscience
morale ou de l’entourage. C’est également ce principe que l’on
retrouve à l’œuvre pour le vol, le voleur agissant sur le mode du
principe de plaisir10. Certains adolescents empruntant régressive-
ment un chemin, jadis arpenté dans l’enfance, ont recours à l’agir
comme à une modalité particulière qui leur permettrait de traiter
leur angoisse en transformant la réalité. Ce schéma trouve son ori-
gine dans la mise en acte de la décharge motrice qui emprunte le
même mode primitif d’évacuation de la tension, liée à l’apparition
de l’angoisse, que celui qui est à l’œuvre chez le nouveau-né. En
l’absence d’image mentale (non encore constituée), le bébé répond
durant son sommeil par des gestes accompagnant des éprouvés
d’origine somatique. Cette agitation motrice, non encore mentali-
sée, tend à disparaître au fur et à mesure que le travail de représenta-
tion et le langage s’installent. Le travail de figuration qui s’élabore
au cours du rêve transforme cette voie, dite courte, pour lier l’exci-
tation somatique à des représentations mentales. Mais on peut voir
dans ce qui s’ébauche ainsi pour le bébé le lien puissant qui lie acte
et pensée, la motricité constituant le support de la représentation.
Dans l’acte adolescent, la décharge motrice réinstaure cette voie
primitive de résolution des tensions, dans un mouvement régressif,
assurant ainsi l’évitement de la douleur de penser. La conflictualité
psychique nécessite un certain travail de liaison entre excitations
d’origine somatique et représentations mentales, puis entre repré-
sentations, les unes entrant au service d’une instance psychique, les
autres s’y opposant. Le conflit psychique suppose un certain degré
d’élaboration du moi, une capacité à supporter la frustration et le
travail de transformation inhérent à la vie psychique elle-même qui
se développe en intériorisant des excitations ou des tensions prove-
nant de la réalité externe, somatique.

10. C’est le pont de vue que développe A. Freud en 1965 dans Le normal et le
pathologique chez l’enfant, Paris, Gallimard, 1968.

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Recherche en psychosomatique

Le recours à l’agir comme tentative de régulation des


émotions
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L’agir vise à l’obtention du plaisir par l’évitement du conflit
interne, source potentielle de tension et de déplaisir. La magie de
l’acte délictueux, par exemple, réside dans le triomphe narcissique
qu’occasionne cet acte. L’obtention du plaisir de décharge surpasse,
dans ce cas, toute autre considération.
L’élaboration psychique, en revanche, tire son plaisir du travail
de liaison des affects et des représentations. Penser devient un plai-
sir à partir du moment où des liens peuvent s’établir entre des élé-
ments épars qui n’avaient pas pu être mis en relation jusque-là, et
qui, du fait de leur rapprochement, acquièrent un sens nouveau11.
C’est ce que l’on observe en analyse lorsqu’un patient réalise ce
type de lien qui éclaire différemment une situation jusque-là énig-
matique, ou source d’angoisse. Il s’agit souvent de la levée d’un
refoulement qui donne accès à des contenus de pensée rétablis-
sant le cheminement des chaînes associatives qui conduisent à la
source d’un conflit. La résolution, même partielle, de ces nœuds
d’angoisse et de déplaisir provoque un sentiment de libération chez
le patient qui peut profiter de ce gain psychique pour la suite de son
travail analytique. Mais ce travail d’élaboration suppose une capa-
cité à contenir psychiquement le conflit, ce qui permet de l’analyser
ensuite dans le transfert ; ce qui n’est pas le cas chez les adoles-
cents recourant à l’agir. Le travail de penser suppose aussi la pos-
sibilité de lier des représentations actuelles à des traces mnésiques,
des vestiges du passé qui resurgissent à l’occasion d’événements
récents. Leur signification échappe précisément à la conscience du
sujet tant que le présent n’est pas lu à la lumière du passé, tant que
l’actuel n’est pas relié d’une façon ou d’une autre à des expériences
(infantiles) antérieures. L’accès au sens de ces situations est rendu
d’autant plus difficile aux adolescents en général, et aux adoles-
cents « délinquants », en particulier, que le retour du vécu infantile
est évité, parce qu’il est source de menace. Se souvenir, à l’ado-
lescence, risque de faire resurgir le lien incestueux et parricide de
l’Œdipe infantile, comme si l’adolescent faisait passer dans l’acte
un éprouvé qu’il serait dangereux de se remémorer.

11. On peut penser que ce rapprochement est quasi impossible dans la psychose
où de puissants clivages empêchent l’émergence du sens.

14
Affect et pathologie

L’acte prendrait-il la place d’une pensée, d’une émotion, d’un


souvenir qui ne peut s’élaborer ou est-ce la trace d’un vécu infantile
traumatisant qui barre l’accès au souvenir et à l’affect de déplai-
sir, voire de souffrance qui resurgirait avec lui ? L’acte chez l’ado-
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lescent criminel peut avoir cette valeur économique de l’évitement
du conflit interne, dans la mesure où l’objet ne semble jamais être à
l’intérieur de soi mais dans la réalité externe, dans l’autre. La réa-
lité interne étant source de menace, le souvenir étant fui, la réalité
psychique se construit dans un système où la réalité externe sert
d’extension à la réalité interne. C’est comme si, pour le criminel,
la cause de son angoisse se trouvait dans une extériorité qui lui sert
d’exutoire. Détruire cette partie, source d’angoisse, ou agir par un
acte qui situe le conflit en dehors de soi dans un espace externe,
constituent des modalités fondamentales du fonctionnement psy-
chique d’un grand nombre d’adolescents criminels ; modalités fon-
damentales qui les protègent contre le risque d’un effondrement.
Dans cette économie psychique de l’agir, l’ensemble du théâtre de
la vie psychique est expulsé/projeté à l’extérieur. La scène n’est pas
à l’intérieur de soi, mais à l’extérieur. La constitution d’une intério-
rité réfléchie, d’un en soi, ou d’un « moi », n’est pas posée comme
une possibilité interne. Le conflit est agi dans le rapport avec les
objets externes (externalisation du conflit) ; le sentiment d’exister
est atteint au prix de cette expulsion de la conflictualité psychique,
ou, du moins, c’est là ce qui est recherché par ces adolescents. On
peut se demander, en effet, si l’expulsion de la conflictualité agie
sur les objets externes est de nature à leur offrir la possibilité de res-
sentir l’existence d’une vie psychique, d’un monde et d’un espace
internes. L’expulsion traduit ce mouvement propre à la pulsion qui
primitivement est une poussée (Drang) qui tend à la recherche de
satisfaction. L’accomplissement du travail de la pulsion (sa pous-
sée) est violente, nécessitant pour chacun une élaboration mentale
qui lie cette excitation (d’origine somatique) à un objet représen-
table (élaboration d’ordre psychique).
C’est ce même mécanisme de projection qui fait vivre à l’ado-
lescent sa puberté comme une attaque traumatique, comme s’il en
était victime, dans un éprouvé de persécution et de haine qui le
pousse à se défendre contre ce sentiment. Lorsqu’il n’arrive pas à
contenir ces éprouvés persécuteurs, il cherche à l’extérieur de lui un
responsable (comme dans le cas d’un traumatisme réel), à se sentir
victime d’un préjudice. La violence est alors éprouvée comme ve-
nant des objets externes, dans un mécanisme de nature paranoïaque

15
Recherche en psychosomatique

qui m’a conduit à qualifier ce mécanisme de « paranoïa ordinaire de


l’adolescent » : l’adolescent projette sur l’autre des affects de haine,
comme dans cette scène du film de M. Kassovitz, La haine, où le
héros joue à être haineux ; en mimant ce personnage dans le miroir,
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il finit par le devenir. Il finit par se prendre pour quelqu’un qui est
victime de la haine de l’autre (son image au miroir), ce qui le fonde
à éprouver à son tour de la haine. L’adolescent construit sur ce
mode un objet paranoïaque, signe que le pubertaire est perçu par lui
comme attaque externe. Le traumatisme met en scène une causalité
externe qui situe l’objet persécuteur en dehors du sujet traumatisé12.
Le montage persécutif innocente le sujet et le place comme objet
de la persécution de l’autre. Un tel montage, alimenté par l’iden-
tification projective, cherche à se mettre au service du processus
de subjectivation, ce mode économique de traitement de la réalité
permettant au sujet d’étayer son sentiment d’existence sur les objets
externes. Il est vraisemblable que les traces laissées par le trauma-
tisme favorisent le recours à l’agir, cette modalité de résolution des
tensions que met en œuvre l’agir, empruntant les mêmes voies que
celles du traumatisme. La difficulté dans le travail psychique d’inté-
riorisation que l’on observe chaque fois que l’adolescent a recours
à l’agir semble répondre à ce que nous avons mis en évidence dans
le travail du traumatisme. Dans les deux cas, recours à l’agir et trau-
matisme viennent à la place du conflit psychique, soulignant la dif-
ficulté rencontrée par ces adolescents à intérioriser, et symboliser,
un conflit. Dans les deux cas, le sujet est coupé de ses émotions.

La stratégie de l’araignée

Il existe peu d’espèces animales qui, pour survivre, se nourrissent


avec leur bouche, mais ne rejettent rien de ce qu’elles ont ingéré.
Pourtant, cette espèce existe : il s’agit d’araignées. Elles creusent
une cavité dans la terre où elles mettent leurs proies. Dans cette ca-
vité, elles déversent leurs sucs gastriques qui pré-digèrent la nourri-
ture, la dégradent au point de ne laisser que ce qui est ingérable sans

12. P. Gutton a consacré un texte important sur ce thème du traumatisme à l’ado-


lescence « Le traumatisme à l’adolescence : son expérience, sa source, la vulnéra-
bilité », in Marty F. (dir.), L’illégitime violence. La violence et son dépassement à
l’adolescence, Ramonville-Saint-Agne, Érès, 1997, pp. 21-31.

16
Affect et pathologie

reste, ce qui est nécessaire et suffisant pour survivre à la dépense


d’énergie. Ces animaux ne possèdent pas d’espace interne, de sys-
tème digestif, qui leur permettait d’accueillir la nourriture, de la
digérer en rejetant les produits inassimilables par leur organisme.
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Ils n’effectuent pas ce processus interne, parce qu’ils accomplissent
une opération similaire en l’effectuant en dehors d’eux. Leur fonc-
tion digestive est hors de leur espace interne.
Les adolescents criminels se comportent comme ces araignées.
Ils semblent ne pas avoir d’espace interne qui leur permette de
digérer mentalement l’affect menaçant, la tension ou l’angoisse.
Ils mettent à l’extérieur d’eux cette tension en la faisant porter à
d’autres, ou par d’autres. Le criminel a besoin d’un complice, ob-
jectif et souvent involontaire de son incapacité à gérer l’angoisse,
qui deviendra sa victime dans la décharge tensionnelle de l’acte.
Mais il a aussi besoin d’un autre – qui l’aide à gérer cette angoisse
interne – autre qui est parfois celui qui supporte l’intentionnalité du
crime, celui au nom de qui se commet le crime.

Fonction prothétique du recours à l’acte

L’acte est l’équivalent du processus de pré-digestion de l’arai-


gnée, l’autre constituant son réceptacle. Le crime et le recours à
l’acte sont des modalités prothétiques. Ce sont des prothèses psy-
chiques qui permettent à ces adolescents de continuer à vivre, à
survivre aux attaques internes dont ils se vivent comme étant les
victimes. L’acte, dans ce cas, est un opérateur externe qui supplée
à une difficulté d’inscrire dans le psychisme des expériences infan-
tiles, souvent vécues comme traumatiques, par ces adolescents cri-
minels. Démunis de ces outils d’élaboration que sont les défenses et
les processus de mentalisation, ils construisent leur subjectivité sur
ce mode de l’externalisation des objets internes ; ils se construisent
une « subjectivité externalisée ». La stratégie de l’araignée est alors
l’image de l’identification projective. L’acte est ici prothèse de la
pensée, et non seulement son court-circuit13. Mais c’est aussi une
voie potentielle d’élaboration, l’autre servant d’appui au travail

13. Nous avions développé cette idée du court-circuit de la pensée qui fait relier
acte et épilepsie dans un même schéma de violence interne non élaborée, dans
« Hercule ou la colère des dieux », Adolescence, 1989, 7, 1, pp. 189-195. Nous

17
Recherche en psychosomatique

psychique visant au maintien de l’angoisse à son niveau le plus bas.


Se sentir vivant face à la menace d’effondrement ou d’anéantisse-
ment devient possible par le recours à l’acte. C’est ainsi que l’acte,
fut-il délinquant, peut devenir signe d’espoir14, appel à l’autre pour
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tenter de résoudre une énigme impensable, inimaginable pour
l’adolescent lui-même.
Dans la clinique de l’agir adolescent, lorsque le recours à l’agir
violent vient ainsi se donner comme une défense contre l’angoisse
d’anéantissement, il y a souvent quelque pertinence à questionner
le contexte familial dans lequel vit, ou à vécu l’enfant, l’adolescent.
De fait, une tentative de compréhension du vécu pathologique de
certains adolescents (voie de compréhension dans laquelle nous
engage, par ailleurs, le schéma du traumatisme) révèle souvent que
leur contexte familial est un univers où règne la violence, l’inces-
tuel, voire l’inceste. C’est ce que l’on observe souvent dans les cas
d’adolescents violents qui agissent pour lutter contre leur angoisse
d’abandon. La puberté devient une circonstance qui permet que se
produise la concordance entre la défaillance (carences affectives
précoces) du milieu externe et la fragilité narcissique interne liée
aux transformations pubertaires. L’adolescent se sent ainsi double-
ment « abandonné » (au sens exact où A. Aichhorn15 l’entendait).
Lorsque des événements traumatiques vécus dans l’enfance entrent
en résonance avec l’effraction pubertaire, ils précipitent ces adoles-
cents dans des agirs violents. C’est ce que nous pouvons observer
dans les crimes commis contre des pairs. Dans ces cas, le trauma-
tisme pubertaire répète le traumatisme infantile et l’adolescence ne
constitue pas un temps possible d’élaboration du « traumatisme par
séduction » (traumatisme pubertaire). De fait, les carences précoces
qui existent au niveau des processus de symbolisation ne permettent
pas de contenir ces excitations et donnent lieu à des agonies pri-
mitives, à une détresse sans nom, impensable, avec des réactions
d’empiétement liées aux interactions pathologiques avec l’environ-
nement maternel16. Dans ce cas, il y a « traumatisme par carence ».

revenons sur cette conception maintenant pour mettre en évidence la tentative


d’élaboration du conflit psychique que représente l’acte.
14. Cf. Winnicott D.W. (1967), La délinquance signe d’espoir, in Conversations
ordinaires, Paris, Gallimard, 1988, pp. 1-110.
15. Aichhorn A. (1925), Jeunesse à l’abandon, Toulouse, Privat, 1973.
16. Cf. à ce sujet Winnicott D.W. (1964), La peur de l’effondrement, NRF, Paris,
Gallimard, 1975, 11, pp. 35-44.

18
Affect et pathologie

C’est le cumul de ces deux types de traumatismes (« traumatisme


cumulatif ») qui peut conduire l’adolescent à avoir recours à l’agir,
envisagé alors comme un mode de traitement du traumatisme et de
l’angoisse qui lui est liée.
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L’adolescence confronte l’enfant devenant pubère à la violence
de ses éprouvés. Pour y faire face, il a habituellement recours au
processus d’adolescence qui lui permet d’élaborer psychique-
ment des transformations somatopsychiques qui, sans ce recours,
le conduisent à des difficultés psychopathologiques plus ou moins
graves. C’est lorsque les émotions qui émaillent ces transforma-
tions pubertaires, parce qu’elles sont trop violentes, ne sont pas
prises en compte par l’adolescent que les risques sont les plus forts.
L’adolescent aux bases narcissiques fragiles a tendance à vivre ce
qui se passe en lui comme une source potentielle de menace. Pour
s’en défendre, il expulse son monde interne en le projetant sur les
objets externes, attribuant à l’autre la violence qu’il ne peut contenir
en lui et élaborer. Le recours à l’acte17 constitue une tentative para-
doxale d’appropriation subjective de ses propres émotions en les
attribuant à l’autre et en attaquant l’autre pour tenter d’en finir avec
ces éprouvés menaçants. Coupé de son monde interne, étouffant
toute perspective d’accès à son imaginaire, tenant à distance ses
émotions, l’adolescent risque de se perdre de vue et de fonctionner
au plan psychique sur un mode fonctionnel et adaptatif de surface,
mode favorisant l’éclosion de dysfonctionnements d’ordre psy-
chosomatique et de décompensations plus ou moins graves. L’agir
pourrait être considéré dans ce contexte comme l’expression d’une
difficulté majeure d’élaboration du conflit interne ; mais, en même
temps il apparaît comme une tentative de traiter psychiquement la
violence interne qui le déborde. Plutôt que d’envisager une cou-
pure radicale qui opposerait acte et pensée, nous proposons ici de
considérer l’acte comme une façon, certes étrange, d’apprivoiser
un monde interne menaçant. Ainsi, vie psychique et vie corporelle
ne sont pas deux registres qui s’ignorent mais au contraire deux

17. On peut se référer aux travaux de Florian Houssier qui a développé un point de
vue très original sur ce sujet, dès sa thèse (1998), « Le recours à l’acte délictueux
à l’adolescence. Fonction de la limite entre monde interne et monde externe », et
dans plusieurs de ses articles, dont « Transgression et recours à l’acte à l’adoles-
cence : une forme d’appel à l’objet », Annales Médico-psychologiques, 2008, 166,
9, pp. 711-716.

19
Recherche en psychosomatique

réalités qui ne peuvent se penser l’une sans l’autre. L’acte sert de


trait d’union bruyant, témoignant des risques d’une dérive, d’une
difficulté à rapprocher les deux rives de notre vie, celle du corps et
celle de la vie psychique, mais constituant aussi un pont entre ces
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deux pans de la réalité. Une autre façon de dire que l’être est fon-
cièrement psychosomatique.

20
Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie

Albert Danan
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Statut de l’affect dans les
pathologies hystériques

Albert Danan
L’hystérie n’est plus la jeune et fraîche viennoise du début du
siècle, elle est devenue une respectable vieille dame qui vient tout
juste de souffler ses 110 bougies.
Il semble qu’elle ait eu du mal à vieillir tranquillement car bien
des misères lui ont été causées.
Elle a perdu depuis longtemps, outre-Atlantique, ses lettres de
noblesse et son droit de séjour dans la sacro-sainte bible qu’ont été
les successifs DSM.
En plus, pour beaucoup, c’est une entité qui est contestée et est
en passe d’être confondue avec d’autres pathologies telles que les
troubles bipolaires ou les états limites.
Il n’en reste pas moins que, même décriée, l’hystérie a servi de
pierre angulaire à l’édifice psychanalytique bâti par Freud et conserve
sa prééminence fondatrice dans le champ des psychothérapies.

Dans cet ouvrage, ce thème paraît mériter sa place, tant l’affect


traverse l’hystérie depuis sa genèse, jusque dans son expression cli-
nique, pour finir par marquer ses limites théoriques.
De surcroît, revenir à une lecture psychosomatique de l’hystérie
va nous permettre de réviser nos fondamentaux, tant ce chapitre
balaye l’ensemble des points clés de la théorie relationnelle.

21
Recherche en psychosomatique

Classiquement, c’est bien la mise de coté de l’affect, la repré-


sentation séparée sous l’effet du refoulement, qui est à l’origine de
la pathologie hystérique ; celle-ci ne va s’exprimer symptomatique-
ment qu’à l’occasion de l’échec de ce refoulement et de son retour
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dans le champ de la conscience sous la forme de manifestations
conversives.

Le symptôme hystérique n’a bien sûr que faire de l’anatomie


et son sens est en connexion exclusive avec l’imaginaire : il a une
valeur symbolique, et est à interpréter exactement comme un rêve
dont on peut considérer qu’il est un équivalent.
Le problème est qu’on a longtemps voulu réduire l’hystérie à la
seule association d’une personnalité et d’un symptôme conversif.

Des questions ont fini par être soulevées car la clinique dévoile
très souvent des associations peu académiques, tels que des symp-
tômes hystériques qui côtoient des manifestations psychotiques, ou
même des lésions organiques.
Du point de vue de nos manuels d’étude, cela reviendrait à vou-
loir faire cohabiter l’eau et le feu, tant ces entités s’excluent les unes
les autres : tel patient est névrotique ou psychotique, il ne peut pas
être les deux à la fois !
Notre objectif est, à partir d’une observation clinique, de repé-
rer ces autres pathologies ignorées qui cohabitent à côté des symp-
tômes conversifs classiques.
Celles-ci concernent aussi bien des manifestations psychotiques,
des atteintes organiques lésionnelles, ou encore des dépressions,
c’est-à-dire autant de choses qui ne sont ni repérées, ni intégrées
dans la clinique et la théorisation freudienne sur l’hystérie.

C’est là que la pensée de Sami-Ali apporte un éclairage essentiel


quand il introduit la notion de variabilité symptomatique qui définit
toute pathologie comme « un processus psychosomatique soumis à
un principe de variabilité tel que le psychique alterne avec le soma-
tique et inversement ».
C’est ce principe qui permet d’expliquer la coexistence de toutes
ces différentes parties du même tout, dans l’hystérie, et de rendre
compte de l’Unité d’un fonctionnement psychique masqué par la
diversité de ses expressions.

22
Affect et pathologie

Limite clinique de l’hystérie

La clinique de l’hystérie reflète bien les statuts contradictoires


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de l’affect dans cette pathologie. Comment en effet comprendre des
symptômes aussi paradoxaux, mais tout aussi caractéristiques, que
sont l’hyper-expressivité et le théâtralisme, d’une part et la belle
indifférence de l’autre, autrement que par le passage obligé à la
question de l’affect, qui, chez l’hystérique, connaît des destins va-
riables, en plus ou en moins.

Nous avons tous en tête des descriptions ou des souvenirs de


patientes hystériques relatant des faits plutôt dramatiques avec cer-
taine distance émotionnelle et affective, au point qu’il ait pu être
question de dissociation hystérique dans les traités sur la question !
Je parle de souvenir tant il est vrai que ces tableaux se sont
énormément raréfiés et que la rencontre avec la belle hystérique
procède, de plus en plus, de l’exception, dans le champ de nos pra-
tiques occidentales.

Aujourd’hui, la clinique a quasiment gommé l’hystérie des


manuels de psychiatrie, et ce diagnostic se discute avec d’autres
entités tels que les troubles bipolaires et les états limites. L’hyper-
expressivité et la séduction hystériques sont-elles cliniquement si
éloignées que cela du ludisme hypomaniaque ?

L’apparition de phénomènes psychotiques au sein de structures


clairement hystériques posait problème ? Qu’à cela ne tienne, on a
créé le concept de psychose hystérique pour contourner la difficul-
té, dont beaucoup se souvienne, mais dont personne ne parle plus.
La véritable question est celle de la spécificité du symptôme
conversif et de son quasi monopole sur la clinique de l’hystérie

L’affect et limite culturelle de l’hystérie

Sauf à devoir traverser la méditerranée, cette pathologie du


corps imaginaire a quasiment disparu dans sa richesse expressive ;
on retrouve, ça et là, quelques formes remaniées, frustes et le plus
souvent intellectualisées.

23
Recherche en psychosomatique

En revanche, les aspects symptomatiques concernant les patho-


logies du comportement, mais aussi les pathologies psychosoma-
tiques, au sens d’atteintes lésionnelles du corps réel, connaissent
une véritable efflorescence dans nos sociétés.
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L’Orient, en revanche, conserverait une répartition inverse, de
sorte que c’est ce gradient entre Orient et Occident qui mesure tout
le chemin qui mène de l’hystérie à la psychosomatique, c’est-à-dire,
des pathologies du corps imaginaire, à celles du corps réel. Ceci, en
définitive pose la question du statut de l’imaginaire et de l’affect
dans ces différents espaces culturels.
Nous savons, depuis le Haschisch en Égypte, combien il est
incongru sous ces latitudes de demander à un patient s’il rêve, tant
le rêve fait partie intégrante du fonctionnement de l’individu, mais
appartient également au champ social dans la mesure où les rêves
sont partagés et font partis des échanges quotidiens, et où à la limite
on rêve pour l’autre.

La consommation de cannabis en Orient prend également une


polarité très différente de ce que nous observons chez nous, dans
le sens où elle s’inscrit dans une dimension culturelle ; celle-ci est
mise au service de la socialisation et de l’imaginaire comme té-
moigne la place de l’humour qui lui est associé.
De telle sorte que ce phénomène n’exerce pas le même effet
abrasif sur l’affect et le rêve, que sur nos patients toxicophiles.

Chez ces derniers, le rêve et l’affect, de façon générale,


connaissent un destin plus problématique : ils sont malmenés au
point que le retour de l’activité onirique, et surtout la survenue du
premier rêve, dans nos thérapies, sont traqués comme de véritables
pépites d’or.

Tout cela procède, sans doute, d’une pression culturelle et so-


ciale qui tend à ériger la norme en culte, la performance et l’émula-
tion en obligations, le rythme et le temps en une course haletante, ce
qui conduit de plus en plus l’individu à faire l’économie de ce qu’on
appelle une vie psychique.

Or l’hystérie n’est que cela, c’est-à-dire jeu, fantaisie, rêve et


imaginaire.

24
Affect et pathologie

Ainsi l’homo occidentalis, parce que son imaginaire est mal-


mené au profit d’un surinvestissement de la réalité objective, est
en passe de perdre sa subjectivité, et son préconscient de perdre en
épaisseur.
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Les diversités expressives de l’hystérie : la variabilité
symptomatique

Revenons sur cette coexistence de différentes plans de patholo-


gies au sein même de la clinique de l’hystérie : celle-ci, non seu-
lement ne se limite plus au symptôme conversif, mais lui associe
volontiers des pathologies somatiques lésionnelles, et, ou des mani-
festations du registre psychotique.

Freud avait lui même repéré, non sans perplexité, cette possi-
bilité, sans en donner de réelle explication ; il aurait préféré avan-
cer dans son élaboration théorique sur l’hystérie, et remettre à un
plus tard, jamais réellement advenu, la réponse à la question du saut
mystérieux du psychique dans le somatique. Tout juste entrevoit-
il la complaisance somatique comme point d’attache possible au
corps réel.

Sami-Ali a sans doute apporté une contribution explicative ma-


jeure à cette question, quand il a introduit la notion de variabilité
symptomatique : celle-ci fait référence à la possibilité d’un refou-
lement alternant de la fonction de l’imaginaire, de sorte qu’il défi-
nit toute pathologie « comme un processus psychosomatique sou-
mis à un principe de variabilité tel que le psychique alterne avec le
somatique et inversement ».

La fonction de l’imaginaire et ses destins

Je crois nécessaire de faire un arrêt-image sur ce point, afin de


bien faire préciser pour ceux qui ne seraient pas familiers de ce
concept, sans vouloir faire insulte aux autres, que ce refoulement
de la fonction de l’imaginaire est spécifique en ce sens qu’il il porte

25
Recherche en psychosomatique

sur une « fonction ». La fonction projective, qui est ce qui permet


au sujet de rester activement au contact de son imaginaire, ses fan-
tasmes, ses affects, et en gros de sa subjectivité.
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Son refoulement a pour effet, inversement, d’interrompre cette
connexion et d’instaurer un moi désertifié, coupé de sa subjectivité,
inscrit dans un fonctionnement caractériel ou dans le banal, qui est
proche, tout en étant différent, de la pensée opératoire, ce que nous
pourrons peut-être développer dans la discussion.
Il se singularise du refoulement décrit par Freud parce que ce-
lui-ci ne porte pas sur une fonction mais sur des représentations et
contenus qui peuvent être pulsionnels, affectifs.

Ce refoulement de la fonction de l’imaginaire, qui est à com-


prendre comme résultant d’une force active, va connaître différents
destins : il peut être totalement et durablement réussi, laissant pré-
valoir les pathologies désaffectées de l’hyper-normalité, du banal,
et de l’adaptation, dans lesquelles l’affect est le neutre, et qui déter-
minent la somatisation du corps réel, dite du littéral.

À lui seul le banal ne suffit pas à expliquer l’émergence d’une


pathologie organique : le refoulement de la fonction de l’imagi-
naire ne devient déterminant que s’il est confronté à une situation
d’impasse.
Il peut (le refoulement) être totalement mis en échec de sorte que
l’imaginaire aura la part belle comme dans les riches pathologies
conversives de l’hystérie : ici l’affect est à la fête si je puis dire
(hyper-expressivité, séduction), et la somatisation concerne le corps
imaginaire et reste dans un registre symbolique.

De l’issue de la situation d’impasse dépend l’évolution du sujet


vers la santé, la maladie, la névrose ou la psychose : la psychose
peut représenter une façon d’aménager la situation en prenant des
libertés avec les réalités de l’impasse et s’en échapper, et trouve de
cette façon une place dans la clinique de l’hystérie.
Enfin, ce refoulement de la fonction de l’imaginaire peut être
alternant, c’est-à-dire être par moment présent, puis absent, ou
bien l’inverse, laissant le champ tour à tour à des pathologies diffé-
rentes, ce dont rend parfaitement compte le concept de variabilité
symptomatique.

26
Affect et pathologie

Ce concept explique combien, dans toutes les observations


d’hystérie, notamment celles des cas princeps de Freud – que sont
le cas Dora, Miss Lucie, et Anna. O –, on voit cohabiter des symp-
tômes névrotiques conversifs, des symptômes somatiques et des
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symptômes psychotiques, qui se déclinent en relation étroite avec
la disponibilité de l’affect. Dora, Miss Lucy, et Anna. O présentent
toutes les trois des manifestations conversives hystériques.

Cependant, la question du somatique soulevée par l’asthme de


Dora, les troubles de la vision binoculaire d’Anna. O, et enfin la
sinusite ethmoïdienne de Miss Lucy, n’est jamais abordée.
C’est-à-dire que les manifestations du corps réel sont passées
sous silence dans leur rapport possible au fonctionnement psycho-
dynamique de ces patientes.
De la même façon, les mouvements psychotiques repérables
dans l’observation de Dora, qui, à un moment, présentera une os-
cillation paranoïaque, et les hallucinations olfactives de Miss Lucy
ne sont pas repérées non plus, par Freud, comme des limites pos-
sibles à son élaboration.

En ce qui concerne les manifestations conversives, son génie a


certainement été de pouvoir les corréler à des motions pulsionnelles
ou des affects refoulés, portant sur des traumatismes, généralement
sexuels, de l’enfance.
Chez ces sujets, la confrontation à l’âge adulte, à une situation
en correspondance associative avec ces affects refoulés, va être res-
ponsable de l’échec du refoulement et du retour sous une forme
déguisée des « contenus » affectifs mis de côté.
Ainsi le bras qui se paralyse, de façon totalement atypique sur le
plan neurologique et anatomique, correspond à la suppression de la
fonction motrice pour supprimer l’affect agressif, totalement inac-
ceptable pour la conscience, et qui pourrait pousser à frapper une
mère trop intrusive, un père trop autoritaire par exemple, ou encore
à supprimer le risque de céder à une tentation libidinale masturba-
toire trop coupable, etc.
Le symptôme correspond bien à un retour de contenus affectifs
refoulés et sa signification n’est pas d’emblée évidente ; elle doit
être recherchée et décodée comme un songe.
À l’inverse, dans ces mêmes observations, on rencontre des
symptômes somatiques lésionnels, et des symptômes psychotiques,

27
Recherche en psychosomatique

par lesquels Freud semble peu concerné, et que la seule théorie psy-
chanalytique ne permet pas d’expliquer.

Le principe classique, suivant lequel la pathologie du corps réel


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est en corrélation négative avec l’imaginaire, c’est-à-dire que plus
imaginaire et affects sont présents moins la pathologie se fera dans
le corps réel et, inversement, reste un principe très utile pour com-
prendre ces processus.

Comme cela a été dit, son association au principe de variabi-


lité symptomatique permet de mieux comprendre la diversité des
formes sémiologiques de l’hystérie, qui non seulement ne sont
pas contradictoires, mais témoignent au contraire de l’unité du
somato-psychique.
Ce qui vient d’être dit pourrait se résumer, tout simplement, au
fait que, chez un même individu, il peut exister des variations du
niveau de disponibilité de l’imaginaire et de l’affect, en fonction
des circonstances et du moment ; et ce sont justement ces variations
qui vont privilégier l’apparition de tel plan symptomatique plutôt
que tel autre.

L’ouverture : penser l’unité

La théorie relationnelle nous semble être un outil opérant pour


intégrer les contradictions apparentes, contenues dans une clinique
contemporaine de l’hystérie.
Dans « Penser le somatique », Sami-Ali repère le fait que dans
les trois observations princeps précitées, corps réel de la somatisa-
tion, corps imaginaire du symptôme conversif, et projections psy-
chotiques cohabitent.
Faire le constat de cette cohabitation ne suffit pas, il faut en
rendre compte théoriquement. Les fluctuations du niveau de fonc-
tionnement et de disponibilité de l’imaginaire permettent précisé-
ment de faire ces liens.

Freud rencontre Miss Lucy la première fois au décours d’un


processus infectieux ORL qui allait en s’améliorant, précisé-
ment au moment où les phénomènes hystériques connaissent une
recrudescence.

28
Affect et pathologie

Inversement, plus tard, l’apparition de la sinusite ethmoïdienne


coïncide avec une amélioration des phénomènes hystériques et
correspond à une aggravation de la pathologie ORL, qui finira par
entraîner un arrêt de la prise en charge.
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Ainsi, c’est l’équilibre psychosomatique, pourvu d’une tem-
poralité et d’un rythme particulier, qui scande l’évolution de la
symptomatologie.
Des mouvements psychotiques ont ponctué l’évolution, repé-
rables au travers d’un processus érotomaniaque et d’hallucinations
olfactives (odeurs de brûlé).

Maladie organique infectieuse, hallucinations olfactives, pro-


cessus projectifs et processus conversifs sont les différentes fa-
cettes d’une seule et même pathologie qui relèvent de l’équilibre
psychosomatique.

C’est la corrélation négative existant entre imaginaire et soma-


tisation (plus l’imaginaire peut se déployer, et moins grand sera le
risque de somatisation), qui permet de saisir le lien entre les diffé-
rents plans, et d’entrevoir l’unité du fonctionnement psychique.
La variabilité symptomatique est constante dans la clinique de
l’hystérie ; elle met en jeu des fluctuations incessantes de l’imagi-
naire, de la projection et de la somatisation unis par une corrélation
négative.

On peut ainsi entrevoir comment l’équilibre psychosomatique


préside à cette variabilité symptomatique et comment l’hystérie, si
elle peut être comprise par la psychanalyse, doit être, comme celle-
ci, repositionnée dans un cadre plus large et qui les englobe : « La
Psychosomatique ».
Dès lors, c’est la disponibilité de l’affect qui conditionne les dif-
férentes expressions symptomatiques, non seulement dans l’hysté-
rie, mais dans toute la clinique psychosomatique.

Celle-ci, telle qu’elle a été conçue dans la théorie relationnelle,


est davantage à comprendre comme une épistémologie de la rela-
tion que comme une théorie de la clinique à proprement parler.
En effet, la dimension relationnelle est prépondérante au sein de
cette épistémologie parce qu’elle conditionne le statut de l’affect et
la genèse de l’imaginaire.

29
Recherche en psychosomatique

Car si l’imaginaire peut être affecté dans sa constitution par un


étayage problématique, comme dans le cas d’une relation à une
mère dépressive par exemple, sa récupération ultérieure de même
que celle de l’affect sont rendues possibles, par exemple, par le
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biais d’une relation thérapeutique positive.

Les différents degrés de disponibilité de l’affect et de l’’imagi-


naire, ainsi que le concept de variabilité symptomatique, préfigurent
la notion d’une unité somato-psychique, dont la qualité conditionne
le fonctionnement de chaque individu, ce à quoi nous introduit de
façon plus explicite la lecture de « Penser l’Unité » le dernier ou-
vrage de Sami-Ali dont il nous est ainsi donné de saisir la cohérence
et le cheminement de la pensée dans le temps.

De cette façon, dans les pathologies addictives, le sujet a per-


du cette unité parce qu’il est totalement coupé de lui-même, tant
l’accès à l’affect et à l’imaginaire sont grevés par la pathologie de
l’objet unique.
Nous avons affaire à un sujet dont le moi, désertifié et désaf-
fecté, est incapable de coïncider avec lui-même, corps et âme.
Dès lors, l’effort thérapeutique au-delà du simple sevrage, va
devoir consister à favoriser cette possibilité pour le sujet de récupé-
rer cette coïncidence et un peu d’unité, en essayant juste de rendre
l’affect plus supportable pour lui.

Illustration clinique

La rencontre

Brigitte, jeune femme de 40 ans, consulte pour un problème de


claudication sine materia, dans un climat fortement dépressif cor-
respondant de toute évidence à une névrose hystérique. Cette dé-
pression survenait peu de temps après la visite de sa mère adoptive,
décrite comme peu aimante, rigide, sévère et surmoïque. Brigitte
avait quitté sa ville natale pour tenter d’échapper à son emprise.
Enseignante, Brigitte vit avec une amie plus âgée qu’elle dans une
relation symbiotique où l’homosexualité revêt davantage l’allure
d’une quête affective maternelle.

30
Affect et pathologie

Elle m’explique qu’avant de me consulter, elle avait vu un magné-


tiseur car elle se pensait ensorcelée, téléguidée par sa mère, faisant
entrevoir les prémices d’un possible développement psychotique.
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L’entretien m’apprendra qu’elle est traitée par lithium depuis
une dizaine d’années ; ce traitement avait été instauré à l’occasion
d’une première dépression vingt ans plus tôt, à l’âge de 21 ans, au
moment du choc de la révélation brutale de son adoption.

Premier rêve, cadre directeur de la thérapie

Alors que jusque-là elle n’avait aucun souvenir d’une quel-


conque activité onirique, au terme de quelques entretiens, elle me
rapportera un premier rêve fondamental qui la met en scène en pro-
menade sur un massif montagneux. « À la suite d’un croche-patte,
elle fit une chute et se voit tomber dans un ravin ; elle parvient à se
raccrocher à un arbre solidement enraciné et, progressivement, en
prenant appui sur celui-ci, elle parvient à se rehausser sur la terre
ferme… ».
L’existence de cette dépression est fondamentalement un repère
car elle est le signe d’une impasse véritable à plusieurs niveaux :
• Une impasse actuelle puisque la patiente souffre de ne pouvoir
véritablement quitter sa mère à cause du sentiment de perte into-
lérable et en même temps l’impossibilité de continuer à subir sa
tyrannie intrusive qui pourrait la conduire à la folie.
• Une impasse originelle à laquelle fait écho la précédente,
représentée par son abandon précoce et son adoption sans amour
véritable.
• Après son adoption, Brigitte connaît déjà une dépression pro-
fonde avec anorexie qui signale l’impasse de la relation vécue avec
sa mère adoptive ; si elle est présente, elle l’envahit, si elle est ab-
sente elle l’abandonne.
• Toute sa pathologie infantile est à comprendre dans le cadre
de cette impasse relationnelle qui va la conduire jusqu’à l’hospita-
lisation de trois semaines pour anorexie et qui favorisera l’appari-
tion de troubles somatiques multiples dans l’enfance (constipation,
abcès du poumon, allergie, urticaire, otites récidivantes).
Ces manifestations somatiques se prolongeront à l’âge adulte
(fibrome utérin, syndrome de Raynaud, migraine, colite, zona,
hypothyroïdie).

31
Recherche en psychosomatique

Fonctionnement psychique de Brigitte

À vingt ans, la révélation de son abandon a été un traumatisme.


Tout son fonctionnement va dès lors s’organiser dans une cou-
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pure par rapport à ce passé, par un refoulement caractériel, et la
suppression des rêves qui constituent le lien privilégié entre le pré-
sent et le passé. La prescription du lithium par le premier médecin
renforce cette tendance au refoulement en agissant sur le sommeil
paradoxal et en supprimant les rêves.
Deux tentatives pour supprimer ce traitement pharmacologique
se sont soldées par un échec, car cela confrontait la patiente à une
résurgence traumatique de son passé au travers de l’activité oni-
rique, et était l’équivalent symbolique d’une perte de béquilles
psychiques.

Le symptôme conversif chez Brigitte

Si la boiterie s’inscrit dans un foisonnement de manifestations


somatiques mais également psychotiques (thème de l’ensorcelle-
ment par la mère), elle n’en reste pas moins, et avant toute chose,
un symptôme hystérique.

Ce dernier condense des significations de niveaux différents.


L’enracinement dans une signification libidinale hétérosexuelle
problématique est largement suggéré par la gestuelle et le rythme
de claudication qui, chez elle, pourrait revêtir un aspect lascif. Elle
comporte toute la signification névrotique de la problématique hys-
térique : autour d’une représentation sexuelle traumatique infantile
refoulée ; cela se confirmera par l’association qui l’amènera à évo-
quer les jeux très ambigus avec un prêtre sur les genoux duquel elle
avait plaisir à s’ébattre vers l’âge de six ans.

Cette même problématique réapparaîtra plus tard dans le cadre


d’une relation platonique entretenue avec un autre prêtre qui sera
obligé de fuir devant ses assauts épistolaires et sa quête affective
incessante.
Ce symptôme reflète sa dépendance et son ambivalence à l’égard
de sa mère, vis-à-vis de laquelle elle ne sait sur quel pied danser ; la
boiterie survient électivement lors de chaque conflit avec celle-ci.
Au-delà, l’accès au sens de ce symptôme, la boiterie, nous
est donné par le premier rêve. Que dit ce premier rêve ? Celui-ci

32
Affect et pathologie

s’inscrit bien dans une dynamique transférentielle ; si les racines so-


lidement ancrées de l’arbre suggèrent l’appui trouvé dans la relation
thérapeutique, la dimension phallique ne doit pas être oubliée, tout
comme celle contenue dans l’immense bâton de berger sur lequel
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elle prenait appui de façon ostentatoire lors de certains paroxysmes.
Ce rêve fait également référence à la chute.

L’évolution et le déroulement de la thérapie

On note une amélioration progressive au plan clinique, et le tra-


vail psychothérapeutique est orienté sur l’accès à la représentation
hétérosexuelle traumatique refoulée ; il se centre également sur la
notion d’impasse relationnelle à la mère, la nécessité de l’aider à
surmonter la dépression, de permettre un accès au symbolisme du
symptôme, de dépasser l’ambivalence et la culpabilité à l’égard de
sa mère, d’aborder enfin le problème de sa précarité narcissique et
de son angoisse de l’abandon.
L’impasse relationnelle à sa mère demeure le centre du pro-
blème. L’accès à l’imaginaire, grâce à la thérapie et à une première
suppression du lithium, permet de trouver une issue en autorisant
l’inscription de ce dilemme, à la fois dans le corps imaginaire de sa
claudication hystérique, et également dans le rêve.

Son amélioration lui permettra de se sentir suffisamment forte


pour rompre avec sa mère. Rupture salvatrice, car elle redira, tout
comme quelques mois auparavant, comment elle s’est sentie enva-
hie et influencée par elle.
Ces thèmes d’influence montrent comment la psychose a pu être
envisagée comme une autre possibilité de sortie de l’impasse.

L’évolution sera marquée par la survenue d’une hystérectomie


liée à l’aggravation d’un fibrome préexistant. Cet événement la
plongera dans une dépression mélancolique, alimentée d’une rage
autodestructrice qui l’amènera à évoquer cet utérus pourri en elle,
en l’assimilant à l’enfant pourrie qu’elle fut dans le ventre de sa
mère ; elle voudrait se détruire pour détruire tout cela en elle : son
utérus, l’enfant qu’elle fut, l’utérus de sa mère et enfin sa mère.
Ces images d’emboîtements symboliques donnent une illus-
tration intéressante d’un aspect du fonctionnement psychique,
que l’on pourrait nommer sous le terme d’« Espace d’inclusions
réciproques ».

33
Recherche en psychosomatique

Cette dépression se soldera par une hospitalisation au cours de


laquelle surviendra un virage maniaque de l’humeur, confirmant à
ma grande surprise l’hypothèse d’une psychose maniaco-dépres-
sive qui avait justifié la prescription du lithium, et dont elle récla-
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mera la reprise à ce moment.
Psychose maniaco-dépressive et névrose hystérique sont pour
un psychiatre des entités quasi antinomiques, dont la coexistence
est difficile à expliquer par le recours aux références théoriques
psychiatriques ou psychanalytiques habituelles.

Cette reprise du lithium amènera une stabilité thymique, mais


une disparition des rêves ainsi que l’apparition d’une patholo-
gie somatique polymorphe : colite, hyperthyroïdie, syndrome de
Raynaud, zona, migraines ; cela en l’espace de quelques mois et à
l’occasion de situations délicates, telles que la nécessité d’organiser
un placement en maison de retraite pour sa mère devenue trop âgée,
alors que son amie s’oppose à la venue de celle-ci, et à ce projet.
Cette nouvelle impasse la confronte à son passé, à un moment
où elle ne dispose plus d’activité onirique à cause de la reprise du
lithium. Dès lors, la seule solution à ce conflit indépassable reste
l’inscription dans le corps réel de la maladie organique, du fait de
l’indisponibilité de l’imaginaire.

Pour conclure

Nous avons affaire en Occident, comme dans cette observation,


à des formes remaniées d’hystérie dans lesquelles se juxtaposent
plusieurs plans :
– un plan psychotique (épisode maniaque, délire) ;
– un plan psychonévrotique (personnalité et syndrome conver-
sif : boiterie) ;
– un plan somatique (toutes les maladies).

La seule possibilité de repérage théorico-clinique satisfaisant


nous paraît représenté par la notion du statut de l’imaginaire aux
différents moments de l’évolution, et de sa confrontation aux situa-
tions d’impasse.

34
Affect et pathologie

Nous voyons parfaitement dans cette observation comment


l’impasse est représentée par la relation à une mère qui, si elle est
présente, envahit la patiente et qui, si elle est absente, la plonge
dans les affres d’un abandon déjà vécu. Cette impasse se double
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d’une impasse thérapeutique (échec de l’abandon du lithium) ; cela
entraîne notre patiente dans une quête affective traduite par une
pseudo-relation homosexuelle, où ce qui est en jeu est la tentative
de retrouver un objet maternel satisfaisant.
C’est cela même que pointe de façon originale Escande dans son
ouvrage, comme une problématique centrale chez l’hystérique, qui
se retrouve à la recherche d’un objet maternel illusoire au travers
des multiples avatars relationnels et sexuels, dans lesquels l’hysté-
rique se perd, et qui conduit à une impasse certaine.

C’est la corrélation négative existant entre imaginaire et soma-


tisation (plus l’imaginaire et le rêve pourront se déployer, moins
grands seront les risques d’atteintes organiques et inversement), qui
permet de saisir le lien entre ces plans et d’entrevoir le fonctionne-
ment psychique, dans une unité et une continuité.
Ne pas prendre en compte cette variabilité dans la pratique ex-
poserait au risque d’une méconnaissance des problèmes de fond,
et, dans la pratique, à adopter une attitude trop stricte, susceptible
d’induire des ruptures relationnelles préjudiciables.

35
Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie

Sylvie Cady
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Affect et pathologie en relaxation
psychosomatique relationnelle

Sylvie Cady
Comment permettre à un sujet qui s’abrite derrière sa maladie
à reprendre existence puisque tout, y compris la maladie, constitue
une manière de ne plus manifester son affect et ses désirs ?
L’observation de Mme F. vient y répondre : elle est âgée de 41
ans, diabétique (insulino-dépendante) et atteinte d’un cancer du sein.
Un lien dans son histoire entre l’identité du sujet, l’imaginaire et
l’affect intervient dans la structuration de la personnalité.
Les situations affectives ainsi que les phénomènes biologiques
internes vont être abordés dans une reconstruction de son histoire.
Toute une thématique autour du stress lié au rythme du corporel,
porté par le rythme du temporel, est le support de son évolution.
Le point d’ancrage de ses difficultés affectives se situe autour de
l’abandon, qui fonctionnent en tant qu’impasse. Mme F. vient de
subir un accident somatique dû aux perturbations de son diabète
déréglé, entre autres, par différentes chimiothérapies. Elle a été re-
trouvée dans la rue sans connaissance, puis très vite, c’est le coma
avec clonies et perte des urines. Au réveil, elle s’est sentie très mal
dans son corps avec des problèmes d’identité, ce qui la pousse à
consulter.
Depuis trois ans, Mme F. est atteinte d’un cancer du sein, mais
initialement il n’est pas nommé. En revanche, rapidement, elle ex-
plique qu’elle est très mal dans sa peau, depuis dix ans, date qu’elle

37
Recherche en psychosomatique

ne reliera que beaucoup plus tard à l’apparition de son diabète1. Elle


associe à ce malaise corporel le fait qu’elle s’est toujours battue dans
sa vie : pour étudier, pour trouver du travail pour se marier… car les
relations affectives ont toujours été difficiles. « Depuis la mort de
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ma mère, ma vie est un grand vide, mon corps va mal. Le diabète,
le cancer, quand est-ce que cela va s’arrêter », s’exclame-t-elle ?
Elle n’a pas besoin de s’étendre sur ses rêves, cela fait long-
temps qu’elle ne sait plus ce que c’est (ce qui coïncide avec la mort
de sa mère). Avant elle rêvait, mais ce n’était rien d’autre que ses
difficultés affectives, qu’elle ruminait toute la journée.
« De toute façon, je suis très occupée, je n’ai pas le temps, je me
suis affectivement isolée et si je pouvais rêver, je m’arrangerais pour
le mettre de côté : l’affection des gens, le rêve, çà ne sert à rien ! ».
Cette hyperactivité n’est pas nouvelle, la détente, je n’ai jamais
su ce que c’est. Encore moins maintenant où je me sens « coin-
cée » affectivement et corporellement. Mon mari, lui, dit que je
suis tendue, mais je ne le ressens pas. On ne peut s’empêcher de
penser à la lutte décrite antérieurement. Cette expérience tonique
semble soutenir un corps problématique. C’est pourquoi j’engage
notre discussion sur la possibilité d’une psychothérapie, alors qu’on
lui a conseillé une relaxation, qui peut être, quand elle le désire, une
étape successive.
Effectivement, le choix de la psychothérapie lui paraît plus judi-
cieux. Cette période durera trois mois ; elle permettra de préci-
ser les détails de sa vie tant ils sont confus, et difficilement mis en
image.

La psychothérapie

1. Dans son enfance, Mme F. se rappelle avoir entendu dire qu’à


huit mois elle subit une hémorragie méningée : beaucoup plus tard,
elle en fera le lien affectif avec sa mise en nourrice chez les grands-
parents, avec son frère de 2 ans son aîné. Le père, à cette époque,
accomplit son service militaire à l’étranger. La mère ne peut prendre
en charge ses enfants, à cause de son travail. Notons que cet épisode

1. Le diabète apparu autour de son mariage. Le cancer autour du deuil maternel.


C’est pour elle une maladie normale du vieillissement (cf. le cadre adaptatif de
l’apparition de cette maladie).

38
Affect et pathologie

somatique fait référence à une situation triangulaire doublée de la


problématique de quitter.
2. Mme F., après cet incident, retourne vivre au domicile mater-
nel. C’était une enfant gentille et douce, collée à sa mère, qui préfé-
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rait sa fille et qui était ravie de sa présence autour d’elle. Le retour
du père au foyer, alors que le frère reste chez les grands-parents,
coïncide avec l’apparition d’un eczéma géant : à cette époque, la
mère abandonne sa fille pour s’occuper de son mari.
Ces eczémas, par la suite, vont suivre un va-et-vient, ce que
Mme F. reliera à ses difficultés relationnelles et affectives tant à la
maison qu’à l’extérieur.
3. Son mariage fut affectivement difficile, d’autant plus que la
précarité de son identité sexuée, due à cette relation très peu diffé-
renciée avec sa mère, et à des identifications autres, impossibles,
l’amènent à une activité sexuelle chaotique. « Ceci » dit-elle « met-
tait la relation affective du couple dans l’impasse ». C’est là qu’ap-
parait le diabète. D’une difficulté quant à la différence que sous-
tend sa période allergique, elle passe à toute une confusion entre soi
et non-soi autour de l’apparition du diabète ; ceci rend la sexualité
encore plus problématique que la relation.
4. Depuis le deuil maternel, le refoulement de la fonction de
l’imaginaire et le registre de banalisation des affects et de l’acti-
vité sexuelle ont enlevé à cet acte un plaisir souvent incertain.
Actuellement, l’activité sexuelle n’existe plus et elle se dit coincée
affectivement. C’est à cette période qu’apparait le cancer.
Pendant cette période de psychothérapie, la patiente fonctionne
dans l’adaptation. Le plan de l’affectivité est banalisé : tout le
monde est vécu de la même manière. Avec l’absence imaginative,
la patiente ne vit que dans le présent, le passé est coupé d’elle et le
futur n’existe pas. Aussi, pour Mme F., le fil décousu de son his-
toire qu’elle refait sienne constitue une première étape pour l’ima-
ginaire : la mise en image de la vie affective lui permet une « re-
identité ». « J’aime bien venir ici, dit-elle, je vous raconte à vous
mes petits ennuis, ce que je faisais avec tout le monde, je le fais
maintenant uniquement avec vous ». Cette relation affective unique
trouve sa proximité dans l’élaboration de la fonction tonique, une
préoccupation attribuée par Mme F. à sa thérapeute. C’est ainsi
qu’une discussion autour de ce sujet se poursuit. Depuis quelques
temps, dit-elle, « j’ai trop de tonus parce que je n’ai pas assez de
tonus ». Ceci doit être compris comme une attitude dépressive inex-
primée, « je suis obligée d’emmagasiner de l’effort tout le temps »

39
Recherche en psychosomatique

ajoute-t-elle. « Depuis la mort de ma mère, je suis comme un puzzle


qui se défait et qu’il faut soutenir ». Le tonus se réfère donc égale-
ment au problème d’identité. La relation affective la pose tonique-
ment, elle le précise, « je me rends compte en parlant avec vous
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de mes contractions car ma tension est moins importante. Peut-être
pourrais-je essayer votre détente ? ».

On voit apparaître ici un début de relation imaginaire projec-


tive où la thérapeute représente une image unique proche. Ceci est
visible dans le rapprochement spatial que la patiente effectue vers la
thérapeute, pendant la séance, et dans son discours.

Parallèlement, un recouvrement de l’imaginaire, qui se précise


dans la relation affective retrouvée, vient nourrir la récupération
d’équivalents du rêve, que peuvent être les mots lorsqu’ils sont
attachés à une certaine image : « réidentité » ainsi que « puzzle »
font partie de cette reconstruction imaginative. Cet affect identi-
taire de Mme F., perdu lors du deuil maternel, se trouve rehabité
dès l’anamnèse par son histoire. Tout ceci permet la découverte de
la situation d’impasse, liée au deuil de la mère. L’affect est la base
de cette assise personnelle qui la structure. C’est pourquoi un face-
à-face qui évite la perte relationnelle est choisi initialement par la
patiente pour la relaxation psychosomatique.

La psychothérapie en relaxation psychosomatique

L’abord du diabète et de son fonctionnement

Des mouvements qu’elle a choisis avec la thérapeute en face à


face2 et qui n’utilisent ni la contraction, ni la détente3, mais les arti-
culations que l’on bouge en flexion ou rotation, et qu’elle dynamise
autour du domaine latéral4, permettent d’aborder une autre étape :
celle de la phase diabétique, autour de son mariage. Là, la différen-
ciation renvoie au deuil.

2. Pour l’aspect relationnel et affectif (sans différenciation).


3. Pour l’aspect dépressif et la problématique de la différenciation choisie par elle.
4. Pour la problématique de la différenciation.

40
Affect et pathologie

Le domaine de la différenciation latérale choisi par elle s’inscrit


dans une différenciation relative de la relation à la thérapeute : car
la différenciation n’est acceptable que si l’autre fonctionne comme
double narcissique où elle est l’autre. Et si son côté gauche, paraît
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plus facile pour agir dans cette relation, c’est qu’il est projective-
ment celui de la latéralité de l’autre en face et qu’elle le ressent
comme plus proche de l’autre. C’est dans cet espace qu’elle se sent
bien. Son côté droit s’éloigne de l’autre et est de ce fait tendu. Il
existe donc une différenciation problématique mais elle fonctionne
en tant que différenciation : c’est ce que l’on retrouve dans le fonc-
tionnement allergique. Or, ici, l’utilisation de la gauche n’est en fait
pas aussi simple, car avec la proximité il y a le risque d’être trans-
parent à l’autre et la limite entre soi et l’autre s’efface. On rejoint ici
un problème d’identité, celui du soi et du non-soi et de sa confusion,
que l’on retrouve dans le fonctionnement du diabétique. Aussi, pen-
dant la relaxation, s’est-elle mise à penser que lorsqu’on parle à
une relation amicale ou avec une thérapeute, celle-ci peut lire dans
les pensées : « Je suis redevenue transparente » dit-elle. Pour la
patiente, en effet, l’autre à l’extérieur détermine une relation qui
peut s’ingérer à l’intérieur, on l’admet, en même temps on le refuse,
tout cela est en pleine confusion et ceci est lié à l’affect.
Plus tard, elle découvre que pour elle cette confusion identitaire
affective est amenée par son mariage qui arrangeait le couple paren-
tal : à cette époque, elle a été abandonnée par sa mère tout comme
lors de sa disparition.

L’abord du fonctionnement de la personnalité de la patiente


et de l’abandon

Avec le retour de cette pathologie psychosomatique allergique


liée à l’affect retrouvé, elle relate une autre période de sa vie, celle
qui correspond à ce phénomène allergique. Nous abordons de ce
fait cette autre étape de l’évolution psychothérapeutique en relaxa-
tion psychosomatique par des mouvements spatiaux choisis par elle
qui suscitent chez la patiente l’abord de la différenciation à partir
de son corps dans l’espace. Ceci lui permet une analyse de l’affect
chez elle qui part d’un repérage affectif maternel, puis d’une évo-
lution depuis le diabète vers un repérage affectif banalisé, adapté à
la demande extérieure, en vue d’éviter la relation trop affective et
la confusion (le diabète avec son système adaptatif participe à cette
élaboration).

41
Recherche en psychosomatique

En fait, la mère est d’abord décrite comme une relation affective


unique pour sa fille. Ce qui pose le problème du père. Le père est
apparemment exclu de cette relation affective. La mère est idéali-
sée par ce dernier. Il la décrit comme une « femme raisonnable »
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car il n’a jamais eu besoin de la raisonner, puisque les décisions
de sa femme sont toujours justes. Or, depuis la mort de cette der-
nière, rien n’a changé ; car ce sont les pensées et les désirs de son
mari qu’elle énonçait : l’un et l’autre vivaient finalement en sym-
biose. Ainsi, cette position du mari, liée aux idées exprimées par la
mère se révèle être un système relationnel construit, qui permet à
ce dernier d’avoir sa place, et de lutter contre la prédominance de
la relation mère-fille. De toute évidence, le mariage de leur fille
arrangeait finalement le couple parental. Là, la séparation fait réfé-
rence au deuil de la relation parentale, ce qui correspond au fond de
l’impasse affective : le diabète, puis le cancer s’inscrivent dans ce
phénomène.
La compréhension de l’impasse permet à Mme F. de substituer
à la banalité de l’affect une relation affective où la thérapeute fonc-
tionne en tant qu’image maternelle. Par la suite, cette impasse affec-
tive qui peut aborder la différenciation lui assure une identité. Cette
existence personnelle se traduit par une existence dans la différen-
ciation sur le plan de l’imaginaire. On assiste alors à l’émergence
d’une « cascade de rêves ». D’abord un espace planté d’arbres,
ceux-ci veulent se différencier ou se quitter les uns des autres. Les
panneaux de signalisation qui y sont accrochés s’effondrent (pour
la patiente, il s’agit de l’affect lié au deuil maternel) ; au loin, une
image qui sert de repère apparaît (pour la patiente, il s’agit de la
relation affective de la psychothérapie).
Dans le deuxième rêve, deux personnes se regardent : l’une sert
de miroir à l’autre (pour la patiente, il s’agit de la relation affective
et identitaire au thérapeute). Le mouvement régressif se poursuit
avec un troisième rêve : elle est étudiante, elle se bat pour obtenir
une formation, elle veut en travaillant prendre son indépendance,
mais elle ne le peut pas (pour la patiente, il s’agit de l’élaboration
de la psychothérapie actuelle). Avec les deux personnes du rêve
suivant, on est au cœur du problème de la séparation liée à l’indé-
pendance : deux personnes se quittent, leurs images sont déchirées,
elle ressent un grand vide : sa tête est vide, d’autant plus qu’elle
se trouve maintenant dans une maison inconnue avec son père. Un
visage indifférencié homme-femme se pose sur la figure paternelle,
ce qui la rassure. À partir de son analyse, il apparaît que les deux

42
Affect et pathologie

premiers rêves correspondent à la perte des repères adaptatifs et


à la mise en place d’une relation de double narcissique où l’autre
s’inscrit dans la relation affective maternelle, restituant la relation
allergique de son enfance. Être autonome renvoie à la séparation
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et à la perte de sa propre image. Aussi, avec le rythme présence-
absence des séances de la psychothérapie, la thérapeute la renvoie
à la séparation.
En définitive, ces rêves révèlent à notre patiente que le deuil lié
à la séparation et à l’autonomie de l’image maternelle constitue le
fond de son problème affectif.

Deuil et séparation : l’impasse du cancer

C’est ce que Mme F. élabore maintenant en demandant la possi-


bilité de se séparer de la thérapeute, en choisissant son autonomie
dans la relation à partir de la rythmicité temporelle : elle décide de
l’horaire et du rythme des rendez-vous pour la psychothérapie en
relaxation psychosomatique.
Par la suite, en séance, la patiente ose « briser le temps » et se
relever avant la limite temporelle supposée être déterminée par la
thérapeute5. Dans la nuit qui suit cette entrevue, elle rêve qu’elle
n’a plus de montre : elle l’a cassée. Cela lui rappelle son enfance,
où elle n’en portait jamais : c’est sa mère qui régissait tout. « Avec
sa mort, la montre s’est cassée et moi avec le cancer » précise-t-elle
maintenant. « Car toute relation n’avait du sens qu’en fonction de
la relation affective maternelle. J’ai envie et je ne supporte plus de
retourner là dedans ». Ici progression et régression s’entrecroisent ;
nous nous décidons ensemble pour un mouvement entièrement per-
sonnel. Ceci lui permet d’analyser le fonctionnement du stress face
à l’impasse.

La problématique du stress

1. Lorsqu’elle était enfant et allergique, le stress ne lui posait


pas de problème, sa mère réglait tout, elle n’avait qu’à se glisser
dedans. En grandissant (vers 17 ans), elle ne pouvait plus être câli-
née par sa mère, elle a trouvé le temps et son rythme pour remplacer

5. Le temps de relaxation après l’exécution des mouvements est libre.

43
Recherche en psychosomatique

les caresses. Faire en même temps les mêmes activités que sa mère,
ou suivre un programme établi par elle, amenait à une extrême dé-
tente. Quand cette relation à l’affectif n’existait plus, elle se sentait
« défaite » et son malaise se traduisait par l’allergie.
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2. Après son mariage (ou période diabétique), un temps confus
et stressé s’est mis en place. Pour s’en sortir, elle a dû le faire sou-
tenir par de l’inaffectif adapté au temps social. Avec le deuil, elle
tombe dans le stress du vide et c’est la déstabilisation diabétique
et celle du cancer. Car la perte de la mère l’a faite glisser dans le
chaos de la perte affective identitaire et la maladie. Un stress dû à
une contraction considérable le laisse constater : il maintient une
dépression inexprimée. Ni tension ni détente ne sont de ce fait pos-
sibles. Avec mon aide, elle relie cela au fait qu’elle se situe à un
« carrefour de sa vie : aucun des chemins n’a une issue », car avec
le deuil maternel, explique-t-elle, elle a demandé à son mari une
prise en charge affective totale. Ce dernier, perdant en partie une
propre image maternelle avec cette disparition, ne peut tenir ce rôle.
Ici l’impasse de la différence se répercute sur le corporel et c’est en
cela que le biologique se trouve modifié.
L’élaboration plus précise de cette difficulté corporelle et affec-
tive, qui joue un rôle d’impasse, permet d’aborder enfin le cœur du
problème. Ceci est soutenu par une activité onirique harmonieuse
liée à la récupération du rythme corporel dans la différence tension-
détente autour de l’élaboration de l’impasse. Ceci est visible face
au temporel qui se différencie en : avant, pendant, après. Dans la
nuit qui précède la visite à la thérapeute, Mme F. rêve de sa mère et
d’elle-même. Elle raconte : « Toutes deux sont dans deux hôpitaux
séparés. Elle ne peut aller voir sa mère, alors que les deux pendules
des deux hôpitaux marquent l’identique ou même heure. Rester dans
le temps maternel pour conserver ma mère et ne plus pouvoir y être,
dans la mesure où mon mari ne peut jouer le rôle maternel, bloque
considérablement toute issue ». Ayant pris conscience de cette diffi-
culté lors de la séance, elle continue le rêve de l’hôpital en séance : la
pendule de l’hôpital où se trouve la mère donne l’horaire renvoyant à
l’époque de la mort maternelle ; l’hôpital de la patiente indique l’hi-
ver : la porte de la chambre s’ouvre vers la relation affective. Dans
les semaines qui suivent, elle rêve qu’elle se trouve dans un espace
actuel, qui lui semble s’ouvrir vers une relation en profondeur et un
vide acceptable, parce qu’il y a une relation affective différente grâce
à son autonomie et elle se détend. Ceci correspond à la dissolution
de l’impasse, liée au deuil et à la non différenciation dans la relation

44
Affect et pathologie

affective et corporelle. Autour de cette élaboration qui touche au


psychique et au corporel, le biologique se modifie. On assiste à une
amélioration de son symptôme cancéreux. En effet, jusqu’à mainte-
nant, le problème du cancer n’a pas été vraiment abordé. Mme F. fait
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remarquer maintenant qu’elle se sent mieux et que son traitement
chimiothérapique est espacé. Puisqu’elle va mieux, elle m’explique
qu’elle a désormais besoin de plus d’autonomie, pour que son corps
puisse trouver son propre rythme. C’est pourquoi, elle décide de par-
tir seule en voyage, en quête d’une identité.

Cette évolution de son autonomie, qui se met progressivement


en place, fut un moment essentiel dans la constitution de sa per-
sonnalité. Durant ce voyage, elle a même été danser, éprouvant du
plaisir lié à la relation affective amicale et au stress qui se libère
dans un corps qui n’est plus « coincé ». Mais elle ressent quelque
difficulté à la main gauche, où se manifestent de légers tremble-
ments. Pour elle, en effet, la gauche reste liée à la prise de distance,
d’où une angoisse corporelle et des hésitations. Nous sommes ici le
plus proche possible d’un fonctionnement corporel en rapport avec
le corps imaginaire. Ceci lui permet de comprendre la différence
entre les relations affectives et amoureuses. Et, à son retour, Mme
F. reprenant des relations affectives avec son mari d’une manière
différente, car pour elle avec plus d’affect, trouve dans les relations
sexuelles un plaisir et une détente tels qu’elle les avait imaginés lors
de son voyage auparavant. D’une part, la récupération d’un affect
lié à l’imaginaire permet cette situation relationnelle au rythme cor-
porel qui se réharmonise. D’autre part, la chimiothérapie est défini-
tivement arrêtée.
Parallèlement, son mode relationnel affectif s’ouvre à l’exté-
rieur : elle recommence à fréquenter ses amis et veille à ce que son
mari ne souffre pas trop de son évolution (on est là dans l’intériori-
sation de la différence affective).
Enfin, elle commence à parler de la maladie et de sa peur qu’elle
n’osait ni éprouver, ni exprimer. Le deuil possible a fonctionné
comme un stress inélaborable. Elle s’est interdit d’y penser. Ce
stress traduit par l’hyperactivité a bien enfermé ce phénomène psy-
chique. Psychique et somatique sont donc bien pris dans un même
phénomène d’impasse relationnelle.

*
* *

45
Recherche en psychosomatique

Cette observation clinique tourne autour d’une impasse dont le


premier moment est constitué par la problématique affective, liée à
la différence et à l’identité dans l’allergie. Ici, en effet, le système
immunitaire fonctionne par excès, les anticorps agissant contre les
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éléments non nocifs, sont considérés comme antigènes. La différen-
ciation entre soi et non-soi est difficile, elle crée un problème d’iden-
tité. Comme l’a montré M. Sami-Ali, l’impasse dans l’allergie sur-
vient du fait que la différence existe et n’existe pas en même temps.
Si le diabète touche également le système immunitaire dans un
fonctionnement paradoxal, il y a une confusion entre le soi et le
non-soi. L’impasse réside dans cette contradiction. Notons à cet ef-
fet qu’on retrouve une identité de langage avec les immunologistes.
Gachelin dans « Corps et histoire » montre « qu’il suffit d’une dimi-
nution d’activité des cellules T suppressives, d’une augmentation
des cellules T amplificatrices, pour laisser libre cours à la produc-
tion d’anticorps aberrants par les cellules B. Une modification de
la structure spatiale d’un antigène suffit à le faire prendre pour un
étranger, au lieu de l’identifier comme une structure soi ».
Avec le cancer, l’impasse continue. Le sujet est alors aux prises
avec un corps coincé soutenant un puzzle corporel qui se défait.
Pour se maintenir, Mme F. a recours à la tension, et l’adhérence au
cadre rigide imposé remplace la relation affective vivante à l’autre.
Elle y perd son identité, ce qui évite la différence, et c’est dans cette
relation surmoïque désaffectée qu’elle peut trouver un semblant de
corporalité.
En fait, ce que l’on nomme stress n’est en réalité qu’une situa-
tion d’impasse, conditionnant en partie le processus de la patholo-
gie psychosomatique.
Un article de Jacques et Maïté Coppey (biologistes travaillant à
l’Institut Curie), intitulé « Le cancer, une réalité déroutante », fait
le point dans ce domaine. Il montre que les modes d’existence de
chacun peuvent comprendre des facteurs de risque. Dans ceux-ci,
ils situent « le stress chronique » et « vivre en isolement excessif ».
C’est le cas de Mme F.
Le stress, ici, fonctionne en tant que situation d’impasse, jouant
un rôle face à la pathologie somatique et ceci constitue un autre
facteur de l’impasse. En fait, se différencier est assimilé au stress
corporel de la séparation et ceci d’autant plus qu’il est vécu comme
un deuil. Ceci renvoie à l’impasse initiale, qui s’est constituée très
tôt dans l’histoire de la patiente, avec la perte de la relation ma-
ternelle lorsqu’elle était âgée de 8 mois. À cet âge, l’expérience

46
Affect et pathologie

est difficilement représentable, mais il en restera une trace, une


cicatrice. Par la suite, une autre situation d’impasse de la différen-
ciation, autour de la séparation avec le retour du père, se traduit
par la crise allergique. La relation fusionnelle mère-père fait que
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cette séparation renvoie à un deuil. L’allergie autant que le diabète
constituent une réponse directe à une impasse liée à l’affect et sup-
portée par le stress.
Enfin, avec le cancer, l’impasse se resserre de nouveau et un
refoulement de la fonction de l’imaginaire et de l’affect est plus
prégnant.
Mme F. s’isole affectivement. Aussi, sans activité de rêve, sans
possibilité représentative, la patiente traduit, par des tensions, un
stress indépassable, et elle n’a pas conscience de ce qui se passe
dans son corps, ni dans son esprit.
D’une part, son ignorance lui permet de se défendre, et elle est
à mettre en parallèle avec la non-élaboration du deuil. D’autre part,
cet état de tension crée un malaise corporel non reconnaissable, qui
l’empêche de maîtriser la situation relationnelle et affective.
Impasse et affectivité sont donc les données essentielles de cette
approche thérapeutique en psychothérapie et en relaxation psycho-
somatique. Toute une dynamique, autour de l’affect et du rythme
corporel, sous-tend une telle organisation. Au départ, il s’agit de
faire le lien entre la relation au vécu telle quelle et le plan de l’affec-
tivité. Tout part d’un affect écrasé, où l’autre et les événements ont
réduit la présence de l’objet relationnel affectif. Pour la patiente,
en effet, un espace affectif impossible, depuis le deuil maternel,
détermine un isolement excessif lié à une dépression inexpri-
mable. Pour pallier cela, la tension bloque le tonus, la temporalité
est « coincée ». Sans avant ni après, la mort maternelle engloutit
son affectivité et son imaginaire et elle n’est plus capable d’exister
dans son histoire. Rendre l’autre présent autrement, et s’ouvrir à
l’imaginaire, qui permet la compréhension de l’impasse, c’est par
là même rendre le sujet vivant et accessible à la relation affective.
La pathologie psychosomatique se trouve prise dans cette relation
imaginaire et affective. C’est aussi permettre une élaboration du
symptôme corporel. Donc, le travail thérapeutique s’engage ici à
libérer l’affect et l’imaginaire.
Pour conclure sur le fonctionnement de la psychothérapie re-
lationnelle, j’aimerai reprendre ces propos d’Henri Michaux6 qui

6. Henri Michaux. L’espace du dedans. Paris, Gallimard, 1989.

47
Recherche en psychosomatique

définissent bien le cheminement de la psychothérapie relationnelle :


« La difficulté est de trouver l’endroit où l’on souffre. S’étant ras-
semblé, on se dirige dans cette direction, à tâtons dans sa nuit,
cherchant à le circonscrire, puis à mesure qu’on l’entame, le visant
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avec plus de soin car il devient petit, petit, dix fois plus petit qu’une
tête d’épingle, vous veillez cependant sur lui, sans lâcher, avec une
attention croissante, lui lançant votre euphorie jusqu’à ce que vous
n’ayez plus aucun point de souffrance devant vous, c’est que vous
l’avez bien trouvé ».

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Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie

Lidia Tarantini
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Le trésor de Julie
Respects des traditions et
souffrance psychique

Lidia Tarantini
Lorsqu’une femme, généralement d’origine africaine, cherche
l’aide d’un thérapeute pour de graves problèmes psychiques, elle
ne met presque jamais en relation son malaise psychique ou même
psychosomatique avec la pratique de MGF (mutilation génitale fé-
minine) subie dans l’enfance.
Cet épisode semble représenter le « grand refoulé » et si elle
est forcée à en parler, elle le fait plutôt avec le médecin ou avec le
gynécologue, mais seulement en cas de complications physiques –
les risques de la grossesse et de l’accouchement – qu’elle associe
avec difficulté et parfois avec stupeur à cet événement maintenant
lointain dans le temps.
Ce qui reste entièrement ignoré, c’est en revanche les résonances
psychiques profondes que cette expérience traumatique a produit et
les signes qu’elle a laissés pas seulement dans le corps, mais aussi
dans la psyché.
Pour une femme africaine, la pratique de MGF fait partie d’un
parcours normal d’acquisition identitaire, pour devenir femme par
la manière « juste » et approuvée par la communauté.
Pour le thérapeute, la première et la plus difficile des tâches
sera de réussir vraiment à faire converger l’attention et le souve-
nir sur l’aspect traumatique et d’extrême souffrance de ce terrible

49
Recherche en psychosomatique

moment, plutôt que sur les plaisants souvenirs de la fête, des ca-
deaux, ou des compliments reçus pour le courage montré. Mais
ce que la conscience ne veut pas accueillir et qui est enfoui au
fond de la mémoire, capsulé et enkysté, provoque cependant des
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dommages psychiques et des souffrances, dont la cause semble
inexplicable et mystérieuse : dépressions, attaques de panique,
véritables psychoses, hallucinations ou encore, plus souvent inex-
plicables, malaises physiques résistants à n’importe quel médica-
ment. « L’impensable », que le souvenir des souffrances subies
représente, devient une sorte d’attracteur énergétique qui capture
presque toutes les énergies vitales, en bloquant le développement
sain de la personnalité.
Cette problématique devient explosive lorsque s’y ajoutent les
problèmes liés à l’immigration, ce qui porte les femmes à vivre et
à se confronter avec des pays de culture et de traditions très dif-
férentes des leurs. Cette acquisition identitaire, payée à prix cher,
mais qui dans le pays d’origine de toute façon fonctionnait et avait
un sens, risque en revanche de devenir un élément de désorienta-
tion ultérieure dans le nouveau contexte. Vivre dans un pays qui
ne comprend pas, et qui carrément condamne pénalement une pra-
tique fondamentale pour les valeurs de sa propre culture, met les
femmes africaines dans une situation psychique insoutenable. Ne
pouvant pas l’ignorer ou la renier, mais non plus penser qu’elle
soit compatible avec le « nouveau monde » que, pourtant, elles ont
souhaité et cherché, les met dans une situation d’impasse totale,
dont la sortie est souvent représentée par la dérive psychiatrique ou
psychosomatique.
La première étape possible pour les aider à trouver les moyens
plus égosyntoniques pour sortir de l’impasse, c’est de faire en sorte
qu’elles puissent commencer à se rappeler et à raconter l’expérience
vécue de la mutilation dans sa réelle crudité et pas seulement pour
la satisfaction d’avoir été fortes et courageuses, en exprimant et en
élaborant ces sentiments de trahison vis-à-vis des mères, d’agres-
sivité et même de haine pour ceux qui les ont faites horriblement
souffrir. Ne jamais se l’être accordé représente souvent un des obs-
tacles majeur au procédé de la thérapie.
Mais il est également essentiel qu’elles soient rassurées sur
le fait que les valeurs dont les MGF sont les garants, des valeurs
telles que la pureté, la fidélité, le respect du mari, la féminité,
soient des valeurs valables et respectées même par la société
d’accueil, et que la fidélité peut être un « fait de tête et pas de

50
Affect et pathologie

couture », comme disait, à la fin d’un parcours psychothérapeu-


tique, une jeune femme éthiopienne. Même les lois qui interdisent
les MGF, et punissent les contrevenants, devraient être vues seule-
ment comme des lois qui veulent protéger les femmes, leur santé
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et celle de leurs filles et pas seulement comme des lois punitives.
C’est pour cela que les respecter ne signifie pas trahir soi-même,
ses propres attachements et ses ancêtres, mais cela signifie per-
mettre que même les valeurs de la société dans laquelle on a déci-
dé de vivre trouvent l’espace et le respect dans leur vie et surtout
dans celle de leurs filles, qui très probablement continueront à
vivre dans cette société, peut-être pour toujours. Ainsi, même les
ancêtres ne se sentiront pas trahis et accepteront de continuer à les
protéger. Je pense qu’il est important que les femmes immigrées
sentent, de la part du thérapeute, un sincère désir et une saine
curiosité de connaître et comprendre leur culture et les pratiques
qui les caractérisent. Même celles les plus lointaines de sa vision
du monde, en remportant une impulsion humaine à stigmatiser,
même silencieusement, ce qui a dû sembler irrecevable. Le thé-
rapeute doit être en mesure d’exercer un accueil sincère, en dépit
de la différence et aussi dans le caractère inacceptable de ce qu’on
lui raconte.
Seule cette attitude, si elle est sincère et pas masquée d’hypo-
crisie charitable, peut porter lentement ces femmes souffrantes à
s’ouvrir et avoir confiance, premier pas indispensable pour qu’on
instaure une alliance thérapeutique, le seul vrai moyen dont dispose
le thérapeute au-delà des diverses théories.
L’histoire de Julie pourrait être considérée comme un
exemple de ce qui a été exposé jusqu’ici, une sorte de paradigme
de comment les choses peuvent aller lorsque, deo concedente,
la thérapie fonctionne. Dans ce cas, un élément fondamental a
été l’introduction du Jeu de sable, dont je parlerai brièvement
plus loin. Cette technique non verbale a permis à Julie de sur-
monter une situation de stagnation, à partir du moment où la
parole ne pouvait plus dire davantage. Ce « davantage indi-
cible » contenait cependant la « vérité » de la souffrance et de la
problématique psychique de Julie. Pouvoir le dire, pas avec les
mots, mais avec le geste, avec le corps, avec les mains et avec la
construction des représentations dans le sable, a permis à Julie
de dépasser le blocage, de reprendre le travail avec la parole et,
à la fin, d’intégrer ce non-dit enkysté, qui interdisait à l’énergie
psychique de Julie de circuler librement et créativement.

51
Recherche en psychosomatique

L’histoire de Julie

Julie vient chez moi sur l’indication d’un collègue psychiatre


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qui l’avait suivie en hôpital après une tentative de suicide. C’est une
jeune femme de vingt ans, très jolie, avec de grands yeux noirs sur
un visage intense et souffrant.
Elle est accompagnée, la première fois, par ses parents adop-
tifs, âgés, angoissés et incrédules. Julie, me disent-ils, a toujours été
une fille sereine, obéissante, soumise et studieuse. Julie se tait et je
comprends qu’il ne sera pas facile réussir à conquérir sa confiance
et sa familiarité. Je dis aux parents qu’à partir de cet instant mon
rapport sera exclusivement avec Julie, que rien de ce qui se pro-
duira en séance ne leur sera référé, et que je ne voudrai plus avoir
de contact avec eux, même pas téléphoniquement, étant donner que
Julie est majeure. Seule Julie sera libre de raconter, si elle voudra,
ce que nous nous dirons. Je perçois le visage de Julie s’illuminer et
je comprends avoir posé le premier petit tasseau pour la construc-
tion d’une relation entre nous. Les parents, un peu étonnés au début,
comprennent que ma requête n’est pas de vouloir les exclure, mais
c’est une modalité thérapeutique, et comme telle ils l’acceptent
pour le bien de leur fille à laquelle ils sont sincèrement liés.
Ainsi débute un parcours intense et participatif qui durera trois
ans et dans lequel j’utiliserai le Jeu de sable, au moment où le mot,
qui avait aussi permis la prise d’acte des aspects et des probléma-
tiques fondamentales dans la vie de Julie, semblait cependant avoir
épuisé son pouvoir de transformation.
Julie a trois ans lorsqu’elle arrive en Italie avec sa mère. Elles
sont originaires d’un petit pays près d’Asmara et sont accueillies
par un couple sans enfants auprès duquel la mère est employée
comme domestique. Le couple s’affectionne beaucoup à la petite
Julie, qui est traitée et éduquée comme leur fille.
Chaque été, elle retourne pour un mois au pays d’origine et, en
septembre, elle reprend l’école à Rome. C’est une élève studieuse,
obéissante, elle a des souvenirs sereins de cette période. Elle a
quelques amies, mais elle se rappelle avoir toujours été une enfant,
ensuite une adolescente, plutôt réservée et silencieuse. Lorsqu’elle
a 13 ans à l’improviste sa mère meurt brusquement d’un infarctus
et, sans attendre, le couple entame des démarches pour l’adoption.
Depuis, elle ne retourne plus en Érythrée, les rapports avec la famille
d’origine se font toujours plus rares, jusqu’à cesser complètement.

52
Affect et pathologie

Ceci ne semble pas trop la troubler, parce que maintenant elle se


sent italienne, même si elle est un peu différente. Et pas seulement
pour la couleur de sa peau.
Elle poursuit avec succès des études supérieures et obtient son
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baccalauréat scientifique. Pendant qu’elle fréquente encore le lycée,
elle fait la connaissance d’un garçon plus âgé de quelques années,
elle tombe amoureuse de lui et lui aussi d’elle. Ils se fréquentent
avec le consentement des parents, ils font des projets pour le futur,
peut-être un jour le mariage, et même les familles commencent à se
fréquenter. Un jour, cependant, à l’improviste, il la quitte.
Julie tente de se suicider en se jetant de la fenêtre. Avec beau-
coup de délicatesse et avec une grande souffrance partagée, je tente
de lui demander si elle s’est faite une idée du motif du geste appa-
remment incompréhensible de son fiancé… Ce sont des séances dif-
ficiles et douloureuses, faites de très longs silences et de réticences.
À la fin, elle me dit que la rupture s’était produite lorsqu’elle avait
consenti à avoir un rapport physique avec lui et il « avait décou-
vert » avec horreur qu’elle n’était pas comme les autres femmes…
C’est seulement alors qu’elle me raconte, pour la première fois,
comment pendant ces mois de vacance en Érythrée, lorsque elle
avait sept ans, la mère avait organisé une grande fête, tout le village
s’était rassemblé et, avec l’approbation des notables, elle avait été
« purifiée » et ainsi elle était devenue un membre de la communauté
des femmes à laquelle même sa mère appartenait. Elle se souvient
du sentiment d’orgueil pour ce qui, dans son pays, était considéré
comme un grand honneur. Elle se rappelle de la fête, des cadeaux,
des compliments reçus, des choses, dit-elle, qu’ici en Italie sont
inimaginables.
Découvrir cependant que son fiancé avait fui face à cette révé-
lation lui avait fait perdre complètement le sens de soi : était-elle
cette fille « pure » et « honorée », comme disait sa mère, une fille
qui possédait un précieux « trésor caché », ou une femme horrible
et « différente » qui faisait fuir les hommes ? Quelle était son iden-
tité ? Se jeter dans le vide avait représenté pour elle, à cet instant,
l’unique solution, parmi deux voies sans issue : ni ici, ni là.
Maintenant il fallait avoir le courage d’entrer ensemble, en
séance, dans ce vide noir que le geste de se jeter représentait pour
elle, et dans lequel peut-être il y avait des choses jamais dites et
confessées, même pas à elle-même. Mais pour ceci la parole ne
suffisait plus, il fallait essayer une autre route. À travers l’utilisation
du Jeu de sable, lentement Julie commence à revivre l’expérience

53
Recherche en psychosomatique

traumatique de l’infibulation, pas seulement en se rappelant des


discours de sa mère avec les autres femmes, qui exaltaient la
force, le courage et la pureté des filles érythréennes « cousues ».
Commencent, en effet, à émerger même les souvenirs des terribles
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douleurs pendant les menstruations, les difficultés à uriner, les in-
fections, les cystites dont elle ne devait parler à personne, même pas
aux nouveaux parents, parce que personne ne devait connaître son
« trésor caché ». Seul l’élu, l’époux, aurait su. Après la mort de sa
mère et l’issue de ses retours en Érythrée, Julie avait dû faire une
sorte de refoulement de sa condition physique, elle n’en avait plus
parlé avec personne, même pas avec soi-même.
En utilisant une sorte de pensée magique, elle avait réussi à nier
le problème, en rendant tout effet inexistant. Même en thérapie, le
récit de la cérémonie, qu’elle me racontera seulement après de nom-
breux mois, n’était pas considéré comme le motif central de son
malheur. Seulement, avec le temps, elle commencera à se rendre
compte que, depuis toute petite, elle avait vécu entre deux mondes :
en Érythrée où elle se sentait une reine, honorée et respectée de
tous, une vraie femme, une femme de valeur, et en Italie où elle
était, de toute façon, la fille d’une bonne. Elle se souvient que quel-
quefois s’insinuait en elle le doute dérangeant que son « trésor »,
pour lequel elle avait tant souffert, pouvait avoir une valeur aussi
ici. Une pensée très vite oubliée.
Mais ce que surtout Julie avait eu besoin d’éliminer, c’était la
véritable expérience vécue pendant cette cérémonie de l’enfance :
la douleur terrible, la souffrance, le sentiment d’avoir subi une
violence qu’elle, petite, n’imaginait pas aussi grave, le sentiment
d’avoir été trahie et dupée même par sa mère.
Non, ceci elle ne pouvait pas le supporter, et alors tout le sup-
plice devait être recouvert du souvenir idéalisé des cadeaux, des
éloges, des compliments et des promesses d’un futur splendide avec
un mari amoureux et fier d’elle. Toutefois, pendant les séances,
avec l’aide du Jeu de sable, elle commence à se rappeler de la partie
refoulée et à éprouver pour la première fois un sentiment presque de
haine pour sa mère. Elle comprend que c’était justement cet inac-
ceptable sentiment qu’il fallait tenir loin de la conscience et avec lui
ce qui l’avait provoqué.
Toutefois, pendant que, lentement, Julie commençait à confesser
à soi-même d’avoir haï sa mère, elle avançait aussi sur un chemin
possible de pardon. Le pardon pour cette mère trop immergée et liée à
la tradition dont elle n’avait pas réussi à se séparer, en sauvant sa fille,

54
Affect et pathologie

mais même pour le fiancé, trop jeune et mal préparé pour pouvoir
comprendre un monde dont il ne connaissait même pas l’existence.
Ce sont des séances terribles. Remplies de larmes, de colères,
mais aussi d’authentique commotion et de tendresse pour cette fil-
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lette, qui avait été prise entre deux mondes, persuadée de possé-
der un trésor caché, vis-à-vis du quel, comme une revanche, Julie
se promet et me promet qu’elle consacrera sa vie pour qu’aucune
autre fille ne subisse ce qu’elle a vécu. L’énergie qu’émane cette
promesse est incroyable et elle est capable de donner à sa vie un
nouveau sens, la signification forte d’un projet qui implique même
les autres. Julie est « guérie ». Guérie du besoin de cacher à soi-
même et au monde ce qu’un temps elle considérait comme un pri-
vilège et qu’aujourd’hui elle considère presque comme une honte.
Ce qui s’est passé ne peut pas être changé, mais peut toutefois se
transformer en une force et une énergie de vie ; elle est maintenant
convaincue qu’elle aura à offrir au futur mari des « valeurs » et des
trésors qui n’auront rien à voir avec son corps torturé.
Nous décidons de nous dire au-revoir.
Je revois Julie lorsqu’elle a trente ans. Elle ne me téléphone pas
pour une consultation mais pour me voir et me faire une « surprise ».
Dès que j’ouvre la porte de mon cabinet, elle me dit, rayonnante :
« Docteur, je vous porte mon trésor ! » Elle tient dans ses bras un
splendide bébé de quelques mois avec deux merveilleux yeux noirs.
Elle me dit aussi qu’elle s’est inscrite à l’Université et qu’elle veut,
après le diplôme, faire la médiatrice culturelle pour les femmes de son
pays et pour toutes les femmes victimes de mutilations et de violence.

Qu’est-ce que c’est le Jeu de sable

Il est né comme un jeu thérapeutique pour les enfants dans les


années 1930 en Angleterre. Cette méthode fut reproposée par Dora
Kalff, élève de Jung, mais en l’utilisant dans la thérapie des adultes.
Les éléments du jeu sont au nombe de trois : un container de métal,
de couleur bleue et de dimensions standard, avec à l’intérieur du
sable et des objets miniatures, pierres, coquilles, pièces de bois, etc.,
qui reproduisent une sorte de vocabulaire incarné dans les objets.
Au patient, on explique qu’il peut construire à son gré des représen-
tations, de manière la plus instinctive possible, sans penser, comme
s’il faisait un rêve en présence de l’analyste. Après, ils regarderont

55
Recherche en psychosomatique

ensemble la représentation, en devenant, à l’occasion, le regard de


l’analyste, « un regard qui écoute ».
Les mains qui construisent des scènes dans le sable mettent en
marche un dialogue sans mots avec le monde psychique interne, qui
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peut ainsi se révéler de manière directe, sans le traditionnel intermé-
diaire de la parole, souvent trop contrôlé par la censure rationnelle.
Le sable se révèle en outre être un matériel doué de grandes
potentialités : il active des fantaisies de contact et de fusion avec
le corps maternel, il peut être employé, décomposé, tourmenté et
pénétré par les mains, en retrouvant toujours sa forme originaire
indestructible. Ceci active des fantaisies réparatrices et rassurantes
face aux situations de souffrance psychique, chargées souvent de
sentiments de culpabilité et d’agressivité.
Les objets utilisés pour construire les représentations, bien
que conservant leur signification littérale, assument immédiate-
ment la valeur symbolique d’être autre de ce qu’ils semblent être.
Exactement comme cela se passe dans les jeux d’enfants dans les-
quels, par exemple, le manche à balai devient un magnifique cheval,
le Jeu de sable permet aussi à l’adulte de laisser l’imagination et
la fantaisie prendre la place de la pensée rationnelle à laquelle il
est habitué et avec laquelle il contrôle les émotions. Ainsi libérées,
elles peuvent devenir les protagonistes de la scène, surtout les émo-
tions plus anciennes et oubliées qui sont restées pour ainsi dire ins-
crites de manière inconsciente dans le corps. C’est le corps même
du patient qui, en bougeant autour du bac à sable et en touchant
réellement les objets, les remet en vie, grâce à ce monde en minia-
ture qui peut recevoir et représenter, de façon visuelle et immédiate,
les couches plus obscures et douloureuses de son psyché souffrant.

Les sables de Julie

Ces sables ont été construits au cours d’une année et à distance de


plusieurs mois l’un de l’autre. Chacun d’eux a représenté la « mise
en scène » des moments émotifs importants, caractérisés par des
jaillissements de contenus profonds, pour lesquels le mot semblait
insuffisant ou trop rationnellement réductif. C’est seulement après la
construction du 4° sable que Julie prendra complètement conscience
de ce que son inconscient et la mémoire inscrite dans le corps avaient
voulu rendre visible dans une façon explicite et surprenante.

56
Affect et pathologie

Premier sable

La séparation est nette entre les deux mondes. Celui de son pays
d’origine, plein de dons, de choses colorées, de nourriture et de mu-
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sique et celui où elle vit, qui est organisé, mais froid, banal, moderne.
Au milieu, un fleuve qui divise où il n’y a pas de pont. Entre les deux
mondes, il n’existe pas de possibilité de contact et aucun être vivant
n’y habite. Ce fleuve rappelle avec évidence l’image d’une coupure.

Deuxième sable

On voit clairement encore la séparation entre les deux mondes ;


toutefois, il y a certaines variantes significatives. Au centre apparaît
une figure féminine, qui fait l’intermédiaire et tente une possible

57
Recherche en psychosomatique

intégration. Les deux mondes commencent même à être habités par


des figures humaines. On est cependant frappé par l’espace laissé
vide en haut à droite. Est-il le lieu du refoulement ?

Troisième sable
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Julie commence à se souvenir de la scène et des vécus de la
« fête ». Auprès des cadeaux, de la nourriture et de la musique, à
demi-caché dans le sable, il y a un serpent. Quelque chose de sour-
nois et de dangereux qui pourrait peut-être gâcher la cérémonie.
L’espace en haut, cette fois à gauche, continue à être vide.

Quatrième sable

C’est le sable du souvenir de la souffrance, accompagné de


chaudes larmes libératrices. En haut à gauche apparaissent les

58
Affect et pathologie

« femmes noires », figures informes et inquiétantes. Au centre, un


objet coupant auprès d’une petite fille étendue à terre. En bas, des
animaux féroces, des dents pointues qui mordent et déchirent les
chairs. La partie droite de la sablière, laissée libre, semble indiquer
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un espace possible pour le changement. Est-ce là que Julie voudra,
peut-être, construire son possible futur ?

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Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie

Daniel Sibony
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La fibromyalgie à l’épreuve
de l’investigation de la
psychosomatique relationnelle

Dr Daniel Sibony
Il est ici question d’une observation effectuée chez une patiente
souffrant de fibromyalgie afin d’éclairer le caractère déterminant du
processus relationnel à l’œuvre pour le destin psychosomatique de
l’individu.

L’investigation psychosomatique de la maladie fibromyalgique


lors de cette observation a en effet permis de mettre en perspective,
durant l’entretien clinique, l’importance de la relation qui se noue
avant, pendant et après la naissance. Dans ce cas précis, la situation
d’impasse relationnelle a concerné la relation avant la naissance, ne
créant ni possibilité de retour en arrière, ni possibilité de se projeter
en avant.
Cette impasse fige dès le départ le temps et l’espace corporel,
obligeant le sujet à s’adapter en créant un pseudo-réel et un imagi-
naire s’articulant autour de l’affect et de son destin œdipien.

En corrélation avec la situation d’impasse, nous retrouvons éga-


lement des pathologies du corps réel, préférentiellement d’ordre
immunitaire, alternant avec la maladie fibromyalgique. Ces patho-
logies du corps réel – sur lesquelles nous reviendrons ultérieu-
rement – montrent par leur biais toutes les difficultés liées à la

61
Recherche en psychosomatique

triangulation ou, plus précisément, toutes les difficultés liées aux


avatars de la différenciation soi/non soi anté-œdipienne.

Dans la présente observation, la vie humaine répète l’impasse de


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départ avec, au centre, une problématique temporelle traduisant la
forme de l’impasse, et où la linéarité du temps, comme la répétition
identique du temps (circularité), mènent à l’épuisement.
Cet aspect chronique issu du clivage relationnel entre corps réel
et corps imaginaire n’est que la redondance d’une situation d’im-
passe relationnelle précoce créant une opposition entre temporalité
linéaire et temporalité circulaire. Ainsi, pour éviter tout affect, on le
neutralise en se coupant de la temporalité circulaire, de son histoire
subjectivement articulée ; pour cela, on coupe la représentation de
l’affect et l’affect de la représentation.

L’investigation psychosomatique telle qu’elle est pratiquée dans


cet entretien préliminaire met en œuvre une relation médecin-malade
optimale et propédeutique afin d’investiguer dans ses aléas – cli-
niques, événementiels, relationnels – à la fois le corps réel et le corps
imaginaire du patient. Cette approche relationnelle va permettre la
mise en évidence d’une sémiologie où entrent, à parts égales, le mode
de fonctionnement imaginaire ou non imaginaire de l’être humain,
en même temps que les situations conflictuelles dépassables ou non
dépassables (impasse), auxquelles il a été confronté.

Dans ce cas de fibromyalgie, l’imaginaire est caractérisé par


une formation symptomatique, ou un équivalent à sens secondaire,
qui reflète partout une même problématique régressive et précoce
en lien avec la situation d’impasse. Celle-ci gouverne en effet, de
façon essentielle, un fonctionnement névrotico-adaptatif travaillant
sans relâche avec le refoulement de l’affect.

Le trouble fonctionnel dans la fibromyalgie est issu du refoule-


ment de l’affect et de la représentation ; il est comme un compromis
répétitif de l’impasse sous l’angle fonctionnel qui permet d’éviter
de replacer le fonctionnement du patient dans l’impasse affective
de départ.
La douleur physique a valeur de reconnaissance et permet de se
procurer une identité objectivement acquise ici et maintenant, per-
mettant ainsi d’éviter la souffrance psychique (la souffrance trau-
matique) en tant qu’expérience subjective.

62
Affect et pathologie

À travers ce cas clinique, nous verrons que la subjectivité est


écartée dès la conception, obligeant la relation à emprunter la voie
de l’adaptation et privilégiant ainsi le mode neutre.
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La pathologie fibromyalgique

La symptomatologie est assez univoque, dominée par des dou-


leurs musculaires diffuses accompagnées d’une fatigue souvent
intense et de troubles du sommeil, dans un contexte d’anxiété et
de dépression. Elle concerne, dans la majorité des cas, les femmes
entre 30 et 50 ans, mais l’homme, l’enfant et l’adolescent peuvent
également être touchés.
La douleur, toujours étendue et diffuse, peut débuter au cou et
aux épaules, pour s’étendre ensuite au reste du corps, notamment,
au dos, au thorax, aux bras et aux jambes. Elle est permanente mais
aggravée par les efforts, le froid, l’humidité, les émotions et le
manque de sommeil, et s’accompagne de raideurs matinales.

La distinction entre douleur articulaire et musculaire est d’autant


plus difficile que les patients ont l’impression d’un gonflement des
zones douloureuses et de paresthésies des extrémités en l’absence
de tout signe objectif d’atteinte articulaire ou neurologique.
Une fatigue chronique est signalée par plus de 9 patients sur
10, prédominant le matin, peu sensible au repos et en apparence
inexpliquée.
Les troubles du sommeil sont également quasi constants : dans
plus de 90 % des cas, le sommeil est perçu comme léger et non ré-
parateur, quelle que soit sa durée. Il est rare que les patients passent
une bonne nuit avec, au réveil, moins de douleur et de fatigue.
À ces difficultés peuvent s’ajouter un syndrome des jambes sans
repos et des périodes d’apnée.
L’enregistrement électroencéphalographique (EEG) confirme
l’anomalie du sommeil avec, dans la plupart des cas, l’apparition
d’ondes pendant la période de sommeil avec mouvements oculaires
lents.
D’autres symptômes peuvent compléter cette triade fonda-
mentale (douleurs diffuses – fatigue chronique – troubles du som-
meil) : colopathie fonctionnelle, céphalée à type de migraine ou de
céphalée de tension, douleurs pelviennes, cystalgie à urines claires,

63
Recherche en psychosomatique

dystonie temporo-mandibulaire, dysautonomie avec hypotension


orthostatique, troubles cognitifs, troubles de la concentration et sur-
tout symptômes d’anxiété et de dépression.
La fibromyalgie, définie en 1992 par l’OMS, possède depuis de
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multiples théories étiologiques contradictoires ; se dégagent essen-
tiellement des arguments en faveur d’une altération des mécanismes
centraux de la douleur.
Tout se passe comme si les sujets fibromyalgiques présentaient
une hyperalgésie généralisée, dont l’étiologie et la nature primaire
ou secondaire de la douleur chronique n’ont pu être déterminées.
Les différents points de vue sur la fonctionnalité du symp-
tôme répondent soit au trouble somatoforme, soit au syndrome
post-traumatique.

Le Cas : Mme S.
Mme S. se rend régulièrement au centre anti-douleur pour effec-
tuer des transmissions magnétiques neuro-cérébrales. Adressée par
son médecin généraliste, ce dernier a particulièrement insisté, au
point de la convaincre, pour la continuation de sa prise en charge
psychiatrique

– Mme S.
Voici ses premiers mots :
« j’ai été suivie durant 2 ans par un psychiatre à Angers, c’était
pour accepter la maladie, je crois que je l’ai maintenant acceptée,
il y a des jours où j’ai 70 ans le matin et des jours où j’ai 10 ans
(ce poncif reviendra sans cesse dans le discours de Mme S), je suis
actuellement suivie par le docteur B. qui continue à me prescrire le
traitement antidépresseur ; cela fait 1 an que je suis arrivée d’An-
gers à Nice, et je vais régulièrement au centre anti-douleur pour les
neuro-transmissions. Cela me faisait du bien au début mais mainte-
nant les douleurs reviennent très rapidement ; on m’a expliqué que
c’était un endroit du cerveau qui ne fonctionnait pas bien : le doc-
teur B. m’a dit de venir en parler avec vous, vous auriez compris
quelque chose à ces douleurs, alors je viens voir ».

Elle n’a, semble-t-il, rien trouvé à voir, en atteste l’annulation


de son troisième rendez-vous, juste avant les vacances d’été, et sa
« disparition » depuis.

64
Affect et pathologie

Mme S. est une jeune femme âgée de 48 ans qui se présente à


mon cabinet les traits fatigués, épuisée par la douleur. C’est une
petite femme blonde, paradoxalement sthénique dans son corps et
dans ses expressions de langage.
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Mme S. ne fournit aucune association directe ou libre.
Mais, par l’intermédiaire des miennes, elle porte en revanche un
léger intérêt pour l’échange, surtout durant la deuxième partie de la
première consultation.
Une relation médicale de nature d’emblée didactique, dès le
premier entretien, a généré une amélioration de l’élaboratif et de
l’échange. Le deuxième entretien et l’ensemble des éléments re-
cueillis témoignent de l’appétence relationnelle de ces patients et de
la possibilité d’effectuer des liens autorisant un mouvement trans-
férentiel. Elle rapportera d’ailleurs trois rêves lors du deuxième
entretien.

Durant la quasi-intégralité des 2 entretiens, le discours de Mme


S. reste cependant monocorde, dénué de toute expression affective
manifeste. Ses phrases sont brèves, simples et rapides.
Elle va énoncer, factuellement, dans une chronologie ordonnée
et repérée grâce aux différentes activités professionnelles, les évé-
nements de sa vie, en ignorant pour certains les aspects trauma-
tiques – comme par exemple se retrouver SDF au sens strict du
terme, durant deux années, à l’âge de 16 ans.
Selon Mme S., l’origine de ses troubles vient d’une accumula-
tion qui dure depuis 10 ans, suite à une rupture sentimentale dou-
blée d’une période sans travail ; rupture sentimentale qui se soldera
par une dépression sévère avec perte de poids importante nécessi-
tant une hospitalisation à domicile et un arrêt de travail de 5 mois
– qui va, selon ses dires, aggraver la dépression elle-même. Cette
dépression majeure date de 2005.
« J’ai remonté la pente grâce à la reprise du travail ».
« C’est le travail aussi qui me sauve de mes douleurs, j’oublie
parfois ma douleur grâce au travail ».
« C’est que je n’arrive pas à m’arrêter, combien de fois mon
responsable me demande de rentrer chez moi, des fois je pleure au
travail, mais je n’arrive pas à rester chez moi, alors que je sais qu’il
faut que je le fasse ».
« J’ai pas le temps de voir le temps passer ».
« Même à la plage je ne peux pas tenir en place ».

65
Recherche en psychosomatique

Nous sommes d’emblée dans la pathologie de la temporalité.

En effet, le temps consacré au travail a été le conflit majeur entre


sa mère et elle durant toute son enfance.
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« J’étais pas très douée à l’école, je ne le faisais pas exprès, cela
rendait folle ma mère qui me forçait à travailler en m’enfermant
dans ma chambre. Si j’avais des mauvaises note, elle me tapait vio-
lemment, c’était surtout des claques, elle ne savait pas faire autre-
ment, elle a fait comme on lui a fait, oui ses parents la battaient pour
les mêmes raisons ».
« C’était sans cesse, ‘‘tu ne feras jamais rien dans ta vie’’, sur-
tout dès l’entrée en sixième : ‘‘T’es nulle, t’es grosse’’. Jusque-là
c’était normal pour moi ces coups ! Je ne connaissais que ça, je
pensais que c’était comme cela qu’on s’occupait des enfants, elle
était très colérique, très brute de pomme ».

C’est-à-dire ?

« Une femme qui fonce, qui a du mal à parler d’elle ».

Pourquoi elle l’était ?

« Parce que je lui ai parlé récemment il y a un an, et ça je le lui


ai reproché… l’école. Je l’ai bousculée un peu, je lui ai reproché,
par exemple quand j’avais une mauvaise note, c’est pas comme
cela que l’on fait avec un enfant, on va voir quelqu’un, on va voir
un prof, on parle à l’enfant ; là j’ai été virulente, mais c’est normal
aussi, on lui a pas appris, pour l’époque cela ne se faisait pas, pas
trop d’éducation, je lui ai dit tout ça parce qu’elle ne comprend
pas pourquoi j’ai toujours quelque chose qui ne va pas à cause de
la fibromyalgie. J’ai pas été très cool même si j’ai été dévalorisée
toute mon enfance par elle. En fait, tout ça est parti parce que ma
maladie ne se voit pas (verbe voir à nouveau), genre ‘‘tu te plains
tout le temps tu dis que tu es tout le temps fatiguée, quand je viens
te voir tu es fatiguée’’. Je lui ai dit écoute maman j’aimerais bien
ne pas être fatiguée, j’aimerais bien ne pas avoir 70 ans le matin ou
me lever en pleurant ; et puis cette journée c’est pas passé, je lui ai
dit tout ce que j’avais jamais osé lui dire ».

Comment a-t-elle réagi ?

66
Affect et pathologie

« Elle a pleuré, c’est sorti ‘‘brute de pomme’’, j’y ai été un peu


fort, je lui ai dit : maman ça y est maintenant il faut voir les choses
autrement, il faut grandir, il faut que maintenant on ait d’autres
rapports ».
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C’est la première fois que vous l’avez vue pleurer ?

« Non parfois, quand j’étais petite elle pleurait, tellement elle


était énervée contre moi. J’ai compris plus tard qu’elle avait de la
peine de ne pas savoir faire autrement ».

En fait, ce que vit Mme S., à travers sa maladie, c’est toute sa


relation à une mère dépressive, qui elle-même ne savait exprimer
ses affects, ses sentiments et qui, chaque fois qu’elle avait ce type
de demande, se cachait derrière le travail pour signifier sa recon-
naissance ou son intérêt pour sa fille.
Mais, en même temps que cette mère était sévère, autoritaire,
agressive, elle était capable de partager le même sort que celui
de sa fille. Par exemple, elle pouvait pleurer avec elle. Ainsi, de
la même manière, elle perdait son rôle de mère, pour devenir une
enfant. Ce principe de tout ou rien, de qui est qui, sans distance ou
la plus grande distance, va obliger Mme S. enfant à s’adapter en
refoulant affect et représentation de façon massive, et générer ainsi
l’impossibilité de se constituer un espace et un temps à partir du
corps propre.

Or, si l’identification à cette mère caractérielle et surmoïque


semble l’emporter sur la projection, c’est parce que celle-ci fige la
projection autour de l’objet unique qui devient tous les objets ; pour
cela, elle n’en fait pas moins partie d’une importante activité de
l’idéalisation et de l’imaginaire.
En fait, pour Mme S., le but est d’effacer les limites entre son
objet et elle, transformant l’autre qui est soi en double. Le double
est ici en l’occurrence signifié par le travail et la douleur phy-
sique devenant, le plus objectivement possible, le formel du réel
maternel.
C’est la mise en place d’une attitude caractérielle qui fonctionne
par le contre-investissement de l’imaginaire et de l’affect allant
de pair avec un surinvestissement du réel, en maintenant un cli-
vage corps réel/corps imaginaire. Corps réel et corps imaginaire
coexistent dès lors sans lien.

67
Recherche en psychosomatique

La problématique propre au « travail » chez Mme S. va, durant


l’adolescence, se transformer. Lorsqu’elle s’engagera dans la vie
active, là aussi, le tout ou rien la convertira en hyperactive.
Son travail actuel dans lequel elle évolue depuis une dizaine
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d’années est une manufacture de fabrique pour tout ce qui concerne
l’enfant. Elle est aujourd’hui directrice adjointe d’un grand magasin.
Par ailleurs, toujours dans le domaine professionnel, elle a ac-
quis un brevet d’éducation sportive et un BAFA, des disciplines en
grande partie fonctionnelles.

Elle dira assez fière d’elle-même :


« J’ai fait toute seule comme une grande, ça m’a permis d’être
moins sensible ».

La maltraitance du corps imaginaire se perpétue ainsi par un


rythme de travail assimilable à une cadence effrénée, lui permet-
tant de tout oublier – y compris ses douleurs – jusqu’à aller s’occu-
per également du travail des autres : suppléer, remplacer, achever,
rendre énormément service à tout le personnel. Une reconnaissance
largement rattrapée au final à travers le monde du travail où elle
reste tout le temps active, autant pour elle que pour les autres.

« Je suis une affective », dira-t-elle pour son sacerdoce.

C’est au moment de l’adolescence que S. cherche à s’émanciper


en dehors de sa mère. S’étant auto-proclamée nulle à l’école à force
de se l’entendre dire, à 16 ans, elle partira de la maison d’un com-
mun accord avec sa mère, désespérée de voir sa fille ne rien faire.

Cette aventure qui a duré plus d’un an et demi, suite à une déci-
sion qui a tout du passage à l’acte, est à l’origine – comme elle le
dit – de sa liberté et de sa « débrouille ». Sa vie de clocharde, igno-
rée par sa mère, l’obligera à lui mentir et à lui raconter, par l’inter-
médiaire de son père, ce qu’elle voulait. Elle dira que le mensonge
(première ébauche d’une différenciation) lui a permis à ce stade
d’avoir beaucoup de force et de ruse face à sa mère, avec laquelle à
l’époque elle était extrêmement fâchée.
Le père servait de lien entre elle et sa mère malgré son côté ef-
facé et soumis : d’après ses dires, il subissait autant que Mme S. le
caractère tyrannique de son épouse.

68
Affect et pathologie

Elle dira de son père qu’il lui a dit tout au long de sa vie une
seule et même vérité :
« Je ne t’ai pas élevée, je n’ai pas eu le temps, j’étais toujours
au travail ».
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Cette obligation de travailler va solutionner pour elle le pro-
blème de la séparation durant la coupure avec sa mère, en neutra-
lisant l’affect, puisqu’en appliquant sur elle-même la méthode de
coercition de la mère à l’égard du temps, elle retrouvera le modèle
et le fonctionnement surmoïque corporel maternel – par le travail.
C’est aussi ce qui lui permettra de ré-intégrer le domicile familial
deux ans plus tard, autorisation acquise par le travail. Car trouver
du travail était non seulement une réassurance, mais un gage de
stabilité pour la mère ; gage qui deviendra à partir de cette période
celui de la patiente.

Chez Mme S., en pleine période d’adolescence, au décours de


cette séparation, s’opère un processus de répression de l’affect qui
échappe à la conscience, destiné à occulter une détresse infantile et
une situation œdipienne bloquée.
Le double paternel (c’est-à-dire le même que soi) soumis et ob-
tempérant par adaptation à l’épouse, passe sa vie à travailler aussi ;
le père est lui-même pris dans le double maternel, lui-même pris
dans le double avec l’enfant, et ainsi de suite. Le maintien du sem-
blable est partout dans ce trio.

Durant la séparation, à cette époque de l’adolescence, face à


l’irruption du refoulé sous forme de cauchemars, le refoulement
puis les insomnies et les angoisses intenses (qu’elle imputera à sa
condition plus que précaire plutôt qu’à la séparation, selon la moda-
lité du refoulement extérieur) vont former une attitude caractérielle
permanente par le contre-investissement de l’imaginaire, allant de
pair avec un sur-investissement du temps social – du temps réel
pour elle.

Mais cette période de maîtrise réussie ne sera qu’une accalmie


temporaire entre elle et sa mère. En effet, le choix homosexuel de
Mme S. va créer une deuxième scission avec la mère, c’est-à-dire
une absence de relation, tout au plus, ou une relation conflictuelle,
tout au moins. Cette forme de lien durera jusqu’à cette fameuse

69
Recherche en psychosomatique

discussion, l’année précédant les entretiens, à propos de sa mala-


die et pour laquelle Mme S. se sent à maintes reprises coupable et
en même temps rassurée en devenant « brute de pomme » à son
tour.
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Plus tard, sa sexualité sera exclusivement homosexuelle, à l’ex-
ception d’une seule et unique expérience hétérosexuelle, pour faire
plaisir à sa mère et pour tenter une fois de plus d’améliorer la qua-
lité de la relation. Mais cela ne durera pas très longtemps.
Elle vivra sa première expérience de couple homosexuel en 1993
et coupera pour un long moment les liens avec sa mère vis-à-vis de
laquelle elle se sentira longtemps coupable d’être homosexuelle.
Cette relation va durer 8 à 9 ans et, pour la résumer, on dira qu’elle
va revivre au début une relation passionnée à une nouvelle figure
maternelle qui deviendra par la suite tout aussi distante, exigeante
et insensible aux affects : un double de la relation maternelle. Mais,
à travers cette relation, elle constatera et conclura que de toutes les
façons elle ne sera jamais entendue : ici elle fera un lien avec la
place qu’occupait son père.
Elle finira par rencontrer le vide, qu’elle s’efforcera de remplir
toujours à l’aide du travail, tout en se sentant fautive de « travailler
autant », un cercle vicieux va de nouveau s’installer.

Vide d’une mère absente de sa présence ; une mère omnipré-


sente mais absente affectivement, fonctionnant comme un surmoi
corporel qui va laisser Mme S. se vider d’elle-même, se débattre
jusqu’à l’épuisement.

Toute la relation est fondée sur un processus d’indistinction


entre soi et l’autre entraînant par là même une confusion des sexes,
mobilisée par un rapport de perfection et d’idéalisation jamais attei-
gnable, comme sans limite et où même l’activité de travail ne tien-
dra plus ses promesses pour servir de cadre et de repère.

De cette union homosexuelle naîtra un enfant en 1995 dont elle


dira immédiatement à son sujet :

« C’est l’enfant que je n’aurai jamais et que j’ai ».

Aussitôt elle sourira, surprise par l’ambiguïté de sa propre


phrase.

70
Affect et pathologie

Pour s’expliquer, elle cherchera très vite à conclure en disant


que dans le couple elle aurait voulu porter l’enfant mais qu’il n’en
a pas été ainsi. Elle n’en dira pas plus malgré mes expressions
interrogatrices.
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Ce couple se sépare en 2002, sans crise, sans heurt, sans conflit :
un processus de banalisation avait envahi depuis le quotidien, une
sorte de double maternel dans lequel chacune d’entre elles hyper-
investissait l’enfant selon des modes radicalement opposés, et ce
jusqu’à ses 16 ans.

« Je n’ai pas souffert de cette séparation, nous sommes deve-


nues amies. Ça s’est transformé en amitié, plus d’amour, ça s’est
reporté sur Julien (l’enfant) ».

Quant à la séparation avec l’enfant, elle n’exprimera aucune


manifestation affective, elle répondra que tout s’est bien passé, y
compris d’en être éloignée, et que de toute façon aujourd’hui il a
dorénavant sa vie indépendante du couple parental.

Cette confusion, mère-fille/enfant-adulte/féminin-masculin, va


se trouver ébranlée par la rencontre d’une autre femme. Cette der-
nière, bi-sexuelle, va créer un contexte de jalousie en relation à un
homme qu’elle finira par épouser.
Cette femme sera à l’origine de toute une série de manifestations
pathologiques car, par son intermédiaire, elle introduira le tiers hé-
téro-sexuel et donc la différence. Elle créera des enjeux où le désir
se confronte à une dialectique présence-absence pour laquelle notre
patiente reste démunie sur le plan de l’imaginaire.
De la rencontre en 2003 jusqu’à la rupture en 2005, de nombreux
torticolis chroniques mettant hors-jeux tout l’hémicorps gauche et
annonçant par-là, sur le mode fonctionnel, tous les conflits liés à la
différenciation, soi-l’autre/féminin-masculin/droite-gauche.

À l’occasion d’une expérience relationnelle, les conflits re-


mettent ici en question les limites du corps dans l’espace et dans
le temps, générant une problématique fondamentale concernant
l’identité corporelle.
Il existe un hiatus projectif entre l’instauration d’un espace
corporel propre (autonomie) et l’espace de la représentation
par la projection de l’espace corporel. Ce hiatus, c’est la rupture

71
Recherche en psychosomatique

entre l’expérience personnelle de l’espace et du temps et de leur


représentation.

L’introduction de la Sexualité par cette autre femme, qui sera par


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ailleurs à la fois initiatrice et révélatrice, sera l’occasion pour notre
patiente de se rendre compte qu’elle perdait tout sens de l’orienta-
tion : elle oubliait tout, perdait tout – de nombreuses fois ses clés de
voiture – « perdait la tête », et les trahisons de sa partenaire par la
suite la rendaient folle (dit-elle).

La période de rupture sera associée à un psoriasis sévère, prin-


cipalement sur le visage et le cuir chevelu qui perdure légèrement
jusqu’au moment des entretiens thérapeutiques.

Cette pathologie auto-immune, dans les mêmes termes, tra-


duit toute la difficulté d’un soi immunitaire face à la différence.
Pathologie révélatrice de l’impasse qui consiste à ne pouvoir se po-
ser comme différent par rapport à la mère. Un seul et même conflit
existe au départ chez la mère et la fille, et au sein même de la rela-
tion biologique immunitaire : occulter la présence du tiers (la patho-
logie est toute entière relationnelle).

La pathologie immunitaire questionne la relation précoce mère-


enfant, tant dans la mise en place des horloges internes qu’autour de
la circularité des échanges.
Une seule et même problématique demeure : elle concerne
l’identité personnelle et la difficulté de distinguer le soi du
non-soi.
La constitution d’une subjectivité à travers l’identité de visage
reste primordiale pour le respect de l’altérité (Sami-Ali). En effet, le
visage est ce qui nous personnalise, nous définit le plus et qui nous
appartient le moins ; tout extérieur le visage nécessite une média-
tion à travers le miroir ou le visage de la mère.
L’enfant acquiert le visage de la mère pendant un premier temps ;
il n’existe qu’un seul visage acquis par la circularité d’échange
d’affects entre la mère et l’enfant ; puis, progressivement, l’image
de soi se dégage de l’image de l’autre en même temps que le regard
converge et devient expressif.
À huit mois, la possibilité de percevoir un autre visage, celui de
l’étranger, crée une angoisse que Spitz a nommé la peur de l’étran-
ger (angoisse du 8e mois), révélant une angoisse de séparation ; ce

72
Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie

que l’expérience contredit car, avec la présence de la mère, l’an-


goisse est plus forte.
L’angoisse de dépersonnalisation est plutôt liée à la perception
de la différence, à la reconnaissance d’un autre visage à côté de celui
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de la mère qui est aussi le sien propre ; sentiment de dédoublement,
sentiment d’être différent de soi, sentiment de perte d’identité.

La question de l’identité se pose ici non seulement en fonction


de la subjectivité du visage, du visage que l’on se reconnaît mais
également en termes de sexe et de nom.
Elle se pose également en termes biologiques à travers le soi
immunologique.

Mme S. est fille unique, sa naissance a nécessité une césarienne


et une brève séparation, suite à une grossesse difficile.

À la question pourquoi unique, elle répondra :


« Ma mère très jeune était incapable d’amour, d’aimer les
enfants ».
« Ma mère ne voulait pas d’enfant, c’est elle qui me l’a dit, elle
sautait les escaliers de l’immeuble : ‘‘je voulais que tu te décroches,
j’ai essayé plusieurs fois, mais tu t’accrochais’’, je vous le dis elle
est brute de pomme ».

Elle rajoutera aussitôt que sa mère lui a dit récemment qu’elle


était contente maintenant d’avoir une fille.
Cette dernière remarque encouragea Mme S. à pardonner, par
culpabilité d’être différente.
« Il a fallu que, pour elle, ce soit moi qui revienne toujours ;
c’est ma mère, c’est mes parents quand même ».

La rupture avec sa deuxième partenaire va petit à petit être oc-


cultée par un psoriasis sur le cuir chevelu qui l’obligera à se raser.
Ainsi, la perte des cheveux entraînera une perte de reconnaissance
du visage qui se déroulera en même temps que la perte de l’autre à
travers lequel elle se reconnaissait.
Cet état d’indétermination, d’absence d’identité, alimente de-
puis la naissance une angoisse de se perdre dans l’autre et de se
perdre sans l’autre.
Cette identification qui consiste à faire un avec l’objet perdu
va l’entraîner vers une dépression anorexiante : plus la force de

73
Recherche en psychosomatique

manger, de bouger, une perte de poids associée à une absence de


sensation de faim entretenant une relation signifiant à l’autre son
refus de vivre. Il faut reconnaître là la forme ultime d’une impasse
relationnelle où le symptôme est entièrement somatique et corporel.
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La récupération de ses facultés physiques et psychiques se fera,
comme elle a pu se le dire, un an plus tard :
« Un homme averti en vaut deux ».
Que l’on peut entendre dans ce cas en faisant référence au
double, comme « un corps averti en vaut deux ».

Une discipline particulière lui permettra de sortir de sa


dépression.
En effet, elle reviendra à elle en ayant pris des résolutions tant
physiques (sport) que psychiques : elle élèvera le seuil de vigilance
en même temps qu’elle essaiera d’apprendre à dire non. Elle s’y
prendra également en modifiant le rythme et le tonus musculaire
corporel. Tension musculaire qui va subir une surenchère et se gé-
néraliser progressivement par l’intermédiaire d’une hyperactivité
qui, paradoxalement, deviendra le moyen de se détendre.
Un vrai cercle vicieux se met en place pour à la fois éviter et
rendre méconnaissable l’affect lié à la perte (perte de soi ou de
l’autre qui revient au même). Cette impasse, dont la forme est
pernicieuse, double la contradiction de l’origine pour aboutir à
l’impensable.
Cette tension musculaire va finir par générer une hyperalgé-
sie venant figer l’affect en un événement corporel constitué par la
douleur.
Le travail qui représente « l’étendard maternel » devient le re-
mède et le poison.

La douleur existe maintenant en soi et engage la fonction objec-


tivable tant sur le plan de la reconnaissance (l’identité) que sur celle
de la pensée.
La fibromyalgie, comme une Migraine du corps chez notre pa-
tiente, possède une de ses particularités : les 16 points douloureux
sont tous situés sur l’hémicorps gauche (hémicrâne-hémicorps).

Trois rêves, restitués au cours du deuxième entretien, vont venir


à la fois nous aider à conclure et nous permettre de nous apercevoir

74
Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie

comment les rêves reflètent, à leur manière, les problématiques sou-


levées lors de ces deux entretiens.
À la question de savoir si elle se souvient de ses rêves, elle
répondra :
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« Bizarrement, je ne m’en souviens que si on m’en parle. Je fais
surtout des cauchemars, mais les rêves c’est plutôt rare. Je fais
moins de cauchemars ces dernières années ».

Cette atteinte musculaire globale, hyperalgique, invalidante,


s’accompagne aussi d’un trouble du sommeil à type d’insomnie, ne
permettant à la patiente qu’un repos partiel la nuit, avec un réveil et
un coucher douloureux.
Une sorte d’anarchie temporelle (pathologie du rythme), liée à
ces insomnies douloureuses, va venir complexifier un rythme déjà
peu constitué en dehors du travail qui le structure. Or, ce travail finit
par mener à la fatigue, nécessitant un repos qui mène lui-même à la
douleur, douleur l’empêchant de dormir : une impasse temporelle
d’origine fonctionnelle.
Bouger devient impossible, ne pas bouger également.

Premier rêve

Pour la patiente, le malaise à se situer dans le temps se double


d’un malaise à se situer dans l’espace, l’espace corporel comme le
temps corporel n’étant pas constitués, le premier rêve en témoigne :

« Je suis avec mon voisin sur mon lieu de travail, mon ancien
lieu de travail sur le plan du décor, pas le même décor que là où
c’est censé se dérouler, mon employeur est là et me dit ‘‘Tu as mal
à ce point’’ ?, je réponds oui d’un signe de tête, j’ai des grimaces
de douleur, je pleure, je prends une fourgonnette blanche pour res-
pirer un peu, pour m’échapper du job. J’emprunte des routes dans
Rouen que je connais très bien dans la réalité, alors que là je me
perds, les rues sont nouvelles, je ne sais plus où je me trouve, dans
quelle ville ? Je suis perdue, je me dis que c’est pas bien, je perds
du temps, il faut que je retourne au travail, il faut que je retrouve
mon job ».

Le rêve s’emploie à refléter la confusion des temps et des lieux.


La projection absolue œuvre pour mieux nous montrer que le corps
est un espace non latéralisé, dont les limites ne sont pas circonscrites

75
Recherche en psychosomatique

(Mme S. confond la droite et la gauche) ; on tourne en rond pour


revenir au point de départ sans l’avoir presque jamais quitté.

Les quelques associations d’idées à propos de ce rêve porteront


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sur la présence du voisin, du moins elle en sera très intriguée (voi-
sin = voir « in », comme le thérapeute), et de la blancheur qui sera
également dans le prochain rêve.
Quand je lui demande ce qu’évoque pour elle la couleur
blanche, elle fera allusion à son ancienne voiture qui était blanche.
Cependant, un peu plus tard, devant la ré-apparition dans le deu-
xième rêve de la couleur blanche, elle rajoutera, après que j’ai pu
la stimuler, que cette couleur peut lui inspirer la propreté, l’image
propre ou pure de soi, la bonne image sans problème, neutre, im-
maculée, non ostentatoire (sourire de Mme S. à propos de ses nom-
breux adjectifs).

S’il en va de la neutralisation des affects, il en va également pour


la représentation d’être effacée ou absente.
Le deuxième rêve reflète de toute évidence.

Deuxième rêve

« On me tire dessus, c’est une balle perdue ; je vois quelqu’un


qui court dans la rue et puis je me prends une balle perdue au ni-
veau de la cheville – gauche, précise-t-elle à ma demande – ça fait
comme un cratère. Je rentre chez moi : y a mon PDG qui regarde
la plaie, il est inquiet, il me dit : ‘‘Tu ne peux pas rester comme
ça’’. Il manipule la plaie, c’est comme de la pâte à modeler, y a
pas de sang, voilà (ici la thématique du visuel réapparaît)… euh,
ah oui ! Là, j’ai une amie qui est là, assise sur un fauteuil, sur le
coin de la pièce, qui regarde et dit pas un mot et là j’ai une grosse
serviette blanche autour de moi ; je suis entourée d’une grosse ser-
viette blanche ».

C’est ici que j’effectuerai le rappel de la fourgonnette blanche.

Ce refoulement de l’affect et de la représentation dans le rêve


(comme dans la réalité), a entraîné la patiente dans un premier
temps vers le constat « qu’en effet, il n’y avait pas de sang » puis par
associations d’idée sur le fait qu’elle reste impassible, neutre, sans
réaction, quasi-stoïque ; faisant écho à son caractère et sa personne.

76
Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie

Ni affect, ni représentation. Et on peut se demander à propos de


ce rêve si le travail d’investigation n’opère pas déjà sur des conflits
insolubles de type œdipiens et qui ne peuvent se concevoir, privés
d’affect et d’imaginaire.
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Il existe également une autre modalité ou l’affect est coupé de
la représentation : elle peut pleurer le matin aussitôt après le réveil,
sans savoir pourquoi.

Troisième rêve

« Je suis dans un bar, mon ancien travail, cette fois ci c’est le


vrai décor (car c’est ce décor qu’elle avait transposé dans son pre-
mier rêve). Je me dispute avec mes parents, disant que ce sont eux
qui font des réflexions que je ne supporte pas. J’ai qu’une hâte,
c’est de partir mais je n’arrive pas à bouger et je me retrouve dans
un hôtel en train de ranger des voitures miniatures qui sont dans
des boîtes en verre, voilà ça fait bizarre.
Je m’énerve dans ce rêve mais je ne réponds pas, sans doute
parce que c’est sans cesse, c’est tout le temps, comme dans la réa-
lité. Ma mère est rancunière : par exemple, c’est comme avec ma
tante, elle me dit que puisqu’elle ne téléphone pas je ne lui télépho-
nerai pas, c’est une enfant, parfois une véritable gamine ».

Elle m’apprendra qu’elle collectionne les petites voitures les


Mini-Austin au 1/49e : « je fais les vide-greniers, les catalogues, à
la recherche de vieux modèles qui coûtent le plus cher ».

C’est un ami, il y a quelques années, qui lui a transmis cet en-


gouement pour les toutes petites voitures de collection.

Cela lui permettra de dire qu’enfant elle avait très peu de jouets.

« Pour les parents, les cadeaux c’était une trousse, des cahiers,
des chaussures, c’était un monde d’adultes, c’était très strict à la
maison, ou alors les jeux étaient éducatifs ».

Cette magnifique image d’inclusion réciproque de la petite voi-


ture (image de la mère-image de soi en tant que représentation de
la fonction image du corps) emprisonnée dans une boîte de verre,

77
Recherche en psychosomatique

condense les différents aspects contradictoires de l’impasse que le


rêve tente de rendre non contradictoire.
– Cet objet ressemblant a priori à un jouet pour enfant est aussi
un objet de collection pour adulte (problématique de la différencia-
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tion adulte/enfant).
– La fonction « locomotion » est représentée par l’objet voiture,
prisonnière d’un espace dont les limites sont transparentes (neutres)
et propices à toute illusion sur la limite franche de la séparation et
sur le déplacement (problématique de l’espace). Aussi doit-on rap-
peler ici que Mme S. se décrit comme étant elle-même prisonnière
d’une inertie dans le rêve.
– Le temps figé est lui-même constitutif de l’objet : ce sont les
plus vieux modèles qui sont recherchés (problématique du temps).
Ici, le modèle de voiture choisi préexiste à la naissance de Mme S. ;
sa problématique du temps se caractérise donc tout au moins par le
fait d’être hors temps, tout au plus par la négation du temps.

Conclusion

La déception amoureuse, à laquelle le corps sexuel fut intime-


ment lié, confère à la manifestation douloureuse et à l’impotence
motrice leur dimension historique, restituant un processus de répé-
tition, où le temps circulaire répétitif épuise le fonctionnement. La
solution privilégiée par Mme S., face à la culpabilité rendant impos-
sible d’exister, de se séparer ou de se réunir, se négocie à travers
une passivité en lien contradictoire avec l’activité, au centre d’un
fonctionnement caractériel.
La relation intrinsèque comme extrinsèque reste tributaire d’une
temporalité contradictoire et les deux temporalités linéaire et circu-
laire mènent à l’épuisement une fois de plus.
Par l’analyse des rêves, comme par l’analyse de son fonctionne-
ment, plusieurs cas de figure mènent à l’impasse ; la contradiction,
le cercle vicieux, l’alternative absolue du tout ou rien, et par-delà
l’impasse, mènent à la maladie fibromyalgique qui mène à son tour
à l’impasse.

Ce travail d’investigation vous a été proposé dans le but de dé-


terminer cette pathologie par rapport au mode de fonctionnement
relationnel en corrélation positive et négative avec l’imaginaire

78
Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie

face à une situation d’impasse relationnelle qui se joue ici avant la


naissance.
Dans ce cas clinique, la constitution temporelle médiatisée
par la relation précoce mère-enfant, d’emblée contradictoire, ins-
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taure un rythme biologique répétitif qui va devenir pathologique,
à l’aide d’un temps subjectif et adaptatif fermés sur eux-mêmes,
acheminant ainsi l’organisme vers l’épuisement et la douleur
musculo-squelettique.

Loin d’établir une confirmation chez les patients fibromyal-


giques, notre propos est celui de confirmer un matériel relationnel
pouvant opérer autant dans la relation transférentielle que dans la
relation au réel.

NB : Cette quatrième étude montre également l’importance de


la relation au sein de la thérapeutique car si Mme S. n’a pas donné
suite aux entretiens, c’est que le travail dû à l’investigation l’a sans
doute propulsée de trop près vers quelques réactions émotionnelles
lui faisant entrevoir son agressivité à l’égard de sa mère et provo-
quant la peur de vivre une éventuelle séparation avec celle-ci. Ainsi,
éviter de revenir en consultation montre tout l’enjeu qu’elle n’est
pas en mesure de confronter.

79
Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie

Michèle Chahbazian
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Histoire individuelle, histoire
familiale et destin de l’affect

Michèle Chahbazian

Anna

Anna est une femme d’une cinquantaine d’années. Mince et fine,


plutôt charmante, elle semble pressée, comme impatiente et lasse à
la fois. Elle explique qu’elle fait des crises d’angoisses insuppor-
tables dont il faut absolument la débarrasser au plus vite. Elle ne
comprend pas ce qui lui arrive, dans la mesure où il n’y a rien de
grave dans sa vie. En fait, c’est depuis que sa fille unique a quitté la
maison pour ses études qu’elle ne va pas bien. Lorsqu’elle est seule,
elle se sent déroutée et affolée. Elle n’y comprend rien.
Je lui demande de me raconter un peu sa vie pour que je la
connaisse mieux. Elle ne sait que me dire : « Il n’y a rien de parti-
culier. Je me suis séparée il y a des années du père de ma fille. Je
l’ai élevée sans problème. Sa scolarité est bonne et elle fait actuel-
lement une classe préparatoire, alors je ne lui parle pas trop de
mon état, pour ne pas l’inquiéter ».
Sur le plan affectif, elle a eu une relation de quelques années
avec un homme qu’elle appréciait beaucoup ; cependant, comme
elle n’était pas prête à le suivre partout dans son rythme d’activité, il
a préféré la quitter. Elle s’en remet difficilement, même si elle a une
nouvelle relation, pour ne pas rester seule. Quand je lui demande

81
Recherche en psychosomatique

si elle travaille, elle me dit avoir arrêté à la suite d’une leucémie


chronique développée il y a quelques années. Je lui fais remarquer
que tout ne va pas si bien, puisqu’elle a une maladie sérieuse, mais
cela lui semble quasi anecdotique. Son inquiétude est toute centrée
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sur son angoisse actuelle, qu’elle ne parvient pas à comprendre. Le
médecin traitant lui a proposé un traitement, mais elle ne veut pas
entendre parler de médicaments psychotropes, ça lui fait trop peur,
elle pense que si elle en prend elle ne sera plus elle-même.
Lors des entretiens ultérieurs, elle se montre assez désespérée,
son affolement est pathétique. J’essaie de lui montrer que ce qu’elle
vit en ce moment est assez perturbant, avec sa maladie, le départ de
sa fille, la relation amoureuse passée dont elle semble ne pas avoir
fait le deuil.
Pour elle, il n’y a aucun lien entre son état psychique actuel et
tout cela. Tout simplement, elle ne se reconnaît pas. Elle n’a jamais
été comme ça.
Il me semble que son état témoigne d’une totale perte de repères.
Et puisqu’elle ne cesse de me réclamer des explications, je me lance
dans des approximations théoriques, disant qu’à mon sens, notre
construction s’opère dans un équilibre entre mental et corporel, et
que c’est le corps qui nous apporte les repères les plus stables qui
soient. Je lui propose une hypothèse : si elle n’a pas bien investi son
corps propre, peut-être que ses repères se sont construits autour de
son activité professionnelle et de son contexte relationnel, selon un
fonctionnement, donc, qui est un appui moins solide et permanent
que l’étayage corporel. D’après ce qu’elle m’a dit, avec sa fille,
elles ont fonctionné en binôme depuis des années, et c’est depuis
son départ qu’elle va si mal.
Elle reconnaît que le départ de sa fille l’a ébranlée : « Depuis
qu’elle n’est plus à la maison, je ne supporte plus d’y rester, alors
je sors, je vais voir mon ami, j’essaie de bouger ». Mais elle persiste
à répéter que sa réaction n’est pas normale. Je lui confirme qu’il y a
quelque chose qui ne va pas, qu’elle s’en est aperçue puisqu’elle est
venue me consulter. Mes paroles semblent l’atterrer.
C’est comme si elle avait attendu que, d’un geste de la main, je
chasse le brouillard dans lequel elle se trouve ; or ce que je dis là est
tout simplement une confirmation de son malaise. Et cela lui paraît
abominable.
Je suis très embarrassée car si je minimisais son ressenti, je ne
pourrais pas rester dans la proximité avec son intérieur qu’exige
l’établissement d’une bonne relation thérapeutique, mais en

82
Affect et pathologie

confirmant son malaise, c’est comme si je lui donnais une réalité


que jusque-là elle avait tenté de fuir.
Sa perte de repères me semble flagrante, aussi j’essaie de la
rassurer en lui disant que généralement des symptômes comme
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l’angoisse qui la tenaille, ont un sens, et viennent exprimer un désé-
quilibre à rajuster, ce que je vais l’aider à faire. Elle insiste : « Vous
allez m’aider n’est-ce pas ? », comme si elle se sentait suspendue
à un fil.
Je lui précise cependant qu’il va falloir un certain temps pour que
nous comprenions précisément ce qui se passe, et qu’en attendant
peut-être qu’un léger traitement pourrait l’aider si la souffrance est
trop grande. J’ai le sentiment de lui donner à choisir entre la peste
et le choléra. Néanmoins j’essaie d’être contenante, et lui propose
de la voir très régulièrement.
Lors d’un entretien ultérieur, elle reprend ses mêmes plaintes.
Pour explorer un peu plus ce qui se passe en elle, je lui demande
si elle garde le souvenir de ses rêves, mais elle me répond qu’il y a
des années qu’elle ne rêve pas. Et l’affolement reprend le dessus.
Je me sens dans l’urgence de répondre à sa demande, car elle me
dit que si elle reste comme ça elle va devenir folle. Inquiète, je
lui dis que si c’est vraiment intolérable, il est possible d’envisager
une hospitalisation. Là elle me regarde comme si je l’avais insul-
tée, me disant que ça n’est absolument pas possible. Il me semble
pourtant impératif de lui apporter quelques repères, et ne sachant
trop comment, je reprends mes hypothèses explicatives. Je prends
soin toutefois, car j’ai bien conscience, que ce que je lui dis sera
totalement plaqué, de lui préciser qu’il s’agit de repères théoriques
qui me sont très personnels, et qui correspondent à un modèle de
fonctionnement possible. Je lui reparle du corps, en des termes que
bien sûr elle comprend mal. Pour argumenter mon approche, je pro-
pose l’exemple de la latéralité qui nous permet de nous structurer,
et se détermine en fonction du corps. Et je souligne que cet inves-
tissement corporel se met en place très tôt dans la vie, et qu’il est
souvent fonction de la réassurance dont on a bénéficié dans la petite
enfance.
Je lui demande donc de me raconter son histoire de vie. Elle me
dit qu’effectivement, sa mère n’a jamais été maternelle.
Jusqu’à aujourd’hui, elle s’est évertuée en vain à établir une
relation avec elle. Elle semble triste et désolée en évoquant toutes
ses tentatives infructueuses d’être aimée de sa mère. Mais elle ne
lui en veut pas. Elle m’explique que sa mère a été enceinte d’elle

83
Recherche en psychosomatique

très jeune, vers 17 ans, alors qu’elle n’était pas en couple. C’est
sa grand-mère maternelle qui s’est occupée d’elle, contre l’avis du
grand-père très rejetant, qui ne voulait pas de cet enfant. Mais quand
elle a eu 2 ans, la grand-mère est morte, et le grand-père les a mises
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à la porte. Fort opportunément, sa mère a été recueillie par un grand
avocat très humain, qui l’a embauchée comme secrétaire et l’a aidée
à s’en sortir. Je ressens en elle comme un très ancien désespoir à ne
jamais avoir été capable de gagner l’amour de cette mère, une très
grande compassion aussi à son égard. Le rôle important de l’avocat
qui les a recueillies me rappelle un magnifique film libanais que j’ai
vu peu de temps avant, mettant en scène de façon exceptionnelle les
guerres, et la violence fratricide dans ce pays, autour d’une théma-
tique œdipienne terrible.
Tiré d’une pièce de théâtre, il s’appelle « Incendies ». L’héroïne
du film est victime des horreurs de la guerre, elle a un enfant né
de l’amour très jeune, qui sera abandonné et qu’elle passe sa vie à
espérer retrouver. Puis elle met au monde des jumeaux issus d’un
viol, qu’elle ne pourra jamais aimer, mais qu’elle élèvera avec l’aide
d’un vieux notaire bienveillant.
Je ne peux m’empêcher de lui citer le titre du film, et comme
elle ne le connaît pas, de lui en narrer le thème. Elle m’arrête en
me disant qu’elle l’a vu. Je lui dis alors que lorsqu’on a vécu de
telles atrocités, on ne peut plus aimer. Et tout à coup, je ressens que
quelque chose en elle lâche. Comme si l’immense et pesante digue
d’une culpabilité infantile massive s’était brutalement effondrée.
Magie de la rencontre des inconscients et des hasards, qui, en
une séance, et parce que j’avais écouté l’intuition qui, contre toute
éthique, m’avait fait incontournablement associer ces deux histoires,
a permis une avancée spectaculaire dans le cours de la thérapie.
Ceci dit, peu de temps après, elle me dit que, puisque ses an-
goisses se sont apaisées, elle préfère ne pas poursuivre plus avant
cette thérapie qui, dit-elle, la bouscule trop.
Cette histoire ne restera donc qu’une vignette clinique illustrant
combien l’histoire familiale oblitère parfois l’histoire individuelle,
en pesant très lourdement sur le rapport entretenu à l’affectivité.
L’interruption de la prise en charge a conduit à m’interroger sur
la pertinence de mon intervention ; cependant, je me sentais moi-
même prise dans une impasse, et n’ai pas trouvé d’autre manière
de répondre à sa demande qui me semblait très urgente, compte
tenu de l’évolution en cours d’une pathologie chronique grave, la
leucémie.

84
Affect et pathologie

Pour continuer dans le registre des répercussions affectives de


l’histoire familiale, je vais évoquer un autre cas.

Donia
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J’ai suivi Donia plusieurs années, mais à un rythme tout juste
mensuel.
Femme très investie professionnellement, mère de 3 enfants,
elle vient me voir alors qu’on lui a donné mon nom il y a plus de
10 ans. Elle ne parvient pas à trouver un équilibre : elle est tendue,
fatiguée et dort très mal depuis longtemps déjà. Elle dit avoir tou-
jours voulu se différencier de sa mère, même si elle lui a été collée
toute l’enfance. Elle s’efforce sans cesse, et évoque tout avec un
grand sourire. Elle ne parvient pas à se poser, a peur de ses pen-
sées, s’agite pour les éviter et ne parvient jamais à se détendre. Le
diagnostic récent d’une thyroïdite de Hashimoto lui donne à penser
que ses problèmes en réalité sont purement organiques.
Après plusieurs séances, nos entretiens semblent l’apaiser un
peu. Elle décide de faire du yoga et de se remettre à la peinture
qu’elle aime beaucoup. Elle me rapporte un rêve vague : il y est
question d’une tante maternelle et d’un prénom « Joïa » dont elle
me dit qu’il signifie bijoux en espagnol.
Lors de notre première entrevue, pour m’expliquer qu’on parlait
peu dans la famille, elle m’avait dit qu’elle n’avait pas annoncé la
mort de son père à ses enfants, et que lui-même avait enterré des
bijoux de famille qu’on n’avait pas retrouvés car il n’avait jamais
dit où.
Nous évoquons la tension corporelle à maintes occasions car
elle présente des dorsalgies fréquentes. Elle a également un passé
allergique depuis des années. Je l’encourage à faire des liens, elle
les perçoit, puis son raisonnement revient toujours vers la rationa-
lisation et le déni.
Elle dit fonctionner avec des tas de modèles en tête, et avoir sur-
tout le souci de ne pas être dans la continuité de l’histoire parentale.
Sa mère était une femme immature et dépressive. D’origine juive
espagnole, elle avait perdu toute sa famille en déportation.
Nos échanges autour de la différence, et le fait qu’elle puisse
enfin parler d’elle, l’aident un peu à se détendre et elle retrouve le
sommeil. Dès lors, elle n’évoque plus grand-chose de personnel.

85
Recherche en psychosomatique

La prise en charge se maintient cependant parce que, malgré


des avancées, surgissent souvent des moments de mal-être. Alors
qu’elle me semble s’autoriser à exister plus, et qu’elle se relâche,
il y a une période de vacances. De retour, elle me raconte avoir fait
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une crise d’angoisse et de quasi-dépersonnalisation qui l’a conduite
aux urgences. À l’hospitalisation qu’on lui a proposée, elle a pré-
féré partir à l’étranger dans la famille de son mari. De retour, elle se
sent mieux mais encore très perdue, elle fait des rêves répétitifs où
elle est dans une vie collective type colonie ou clinique, elle ne sait
où aller, ne parvient pas à s’habiller, se fait pipi dessus. Je ressens
l’insupportable de la perte.
Elle fait un rêve où elle est dans un hôtel de luxe, mais se baigne
nue devant tout le monde, sans aucun espace d’intimité.
Elle dit avoir le sentiment de vivre des choses à la place de sa
mère, alors qu’elle voudrait s’en détacher. Enfant, elle était très
timide et très en demande à son égard.

« Si elle ne venait pas me dire bonne nuit, je ne m’endormais


pas ».

J’entends que son corps est resté collé à sa mère, comme pour
éviter la séparation, et qu’elle a vécu dans sa tête. Lorsque sa mère a
été enceinte d’elle, sa première enfant, elle a vomi pendant 9 mois,
a perdu ses cheveux, des dents, et même l’odorat.
Même si sa réticence est grande, elle exprime enfin sa plainte.

« Ma vie s’est arrêtée à 14-15 ans ».


« Depuis toute petite, la tristesse s’est incrustée en moi ».
« Une des choses qui m’a le plus traumatisée est d’être inca-
pable de faire une roulade en sport ».

Si elle a toujours du mal à s’écouter, elle en prend à présent dou-


loureusement conscience.
En peignant, elle a associé la couleur rouge à une corrida ef-
frayante à laquelle elle avait assisté enfant, accompagnée de son
père. La dimension symbolique réapparaît, comme si jusqu’ici elle
avait eu interdiction de faire appel à un certain niveau de profon-
deur en elle.
Pendant plusieurs mois, ce qui dominera ses plaintes sera la
fatigue. Pour cette femme jusqu’ici hyperactive et peu à l’écoute
d’elle-même, cette étape, même si elle est mal vécue, signifie

86
Affect et pathologie

qu’enfin le corps est présent, et ressenti. Avec cette lourdeur ca-


ractéristique de la réappropriation d’un corps réel, alors qu’elle ne
fonctionnait depuis l’enfance qu’avec un corps imaginaire. Je vais
l’aider à accepter ces sensations, même si elles ne lui conviennent
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pas du tout a priori, de façon à ce qu’elle accompagne le change-
ment. Elle s’aperçoit qu’elle a toujours eu du mal avec le change-
ment, et plus généralement avec le passage du temps.
Plus tard, elle s’étonnera d’avoir acquis du recul, alors même
qu’elle est enfin capable d’être spontanée et d’exprimer ce qu’elle
ressent. Elle trouve ça paradoxal.
Je souligne que si elle se sent mieux exister dans son corps, qui
est plus présent et mieux investi, il n’y a pas là de mouvement para-
doxal. Le corps étant un peu la maison qui abrite notre intérieur, le
fait qu’il soit enfin fonctionnel permet à son intérieur d’avoir un
espace propre, de s’y mouvoir à l’aise, et se sentir libre de s’expri-
mer, tout en s’autorisant, si elle le souhaite, à garder des choses
pour elle avec un certain recul donc, et sans qu’elle se sente pour
autant coupable ou en danger.
Auparavant, se sentant transparente, soit elle luttait contre ses
propres ressentis, soit elle les révélait aux autres. Ces deux mouve-
ments étaient douloureux et coûteux en énergie.
Elle était dans l’ alternative exclusive du tout ou rien, qui ne
laisse pas de place pour l’existence dans un corps réel, mais pose des
repères idéalisés qui n’engendrent que frustration ou hyperactivité.
Notre travail avance, que je ne peux évoquer en détails faute de
temps, mais qui lui permettra peu à peu de lâcher un rythme for-
mel et imposé pour retrouver un rythme propre, avec des sensations
nouvelles, au plan sexuel par exemple.
Lors de nos derniers entretiens, elle me fait remarquer qu’elle a
beaucoup changé, elle se sent vivante à présent, dans son corps, elle
parvient à différencier ce qui est de son espace et ce qui concerne
autrui, elle peut se positionner et garder pour elle des choses de son
intimité, ceci sans culpabilité enfin. Elle me raconte avoir lu des
écrits à propos des Anglais qui avaient envoyé leurs enfants loin de
chez eux pendant la guerre, pour les protéger des bombardements,
et elle associe à un rêve :
Elle mettait un bébé qui ressemblait à un fœtus dans une bou-
teille, hermétiquement fermée, et le confiait à un inconnu, ravie de
se dire qu’ainsi elle allait le protéger.
Au réveil, elle trouvait ça terrible. Et quand je lui ai demandé ce
qu’elle en pensait, elle m’a répondu très émue : « Ça me fait penser

87
Recherche en psychosomatique

à ma mère, à ce qu’elle a vécu alors qu’adolescente pendant la


guerre elle avait été hospitalisée pour une appendicite, et que pen-
dant ce temps-là il y avait eu une rafle à la maison, qui a emporté
son père, sa mère et son frère vers des camps de concentration ».
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Ce cas, dont je n’ai retenu que quelques grandes lignes, montre
l’intrication qui se produit entre l’histoire personnelle et l’histoire
familiale, portée par la relation affective bien sûr.
J’ai évoqué la souffrance maternelle de la perte terrible survenue
à l’adolescence, dans une période qui questionne tant la féminité
que l’autonomie, et en lien au corps par la maladie, qui a provo-
qué, chez cette enfant sensible, une difficulté à la séparation et à un
investissement corporel harmonieux. Le clivage mental/corporel a
permis une construction très adaptée, au détriment du corps propre,
selon un rythme conforme, ignorant la dimension affective pourtant
toujours présente mais enfouie et coupable.
Dans ce contexte, la différence a toujours été problématique, ce
qui a participé grandement à ses choix et ses difficultés de vie : ma-
riage avec un homme culturellement très différent, orientation ho-
mosexuelle d’un de ses enfants extrêmement mal vécue et déniée,
notamment par le père dont l’origine et l’éducation ne pouvaient lui
permettre de l’accepter.
La sortie de l’impasse est passée par la récupération d’un rythme
propre et d’un corps investi, contenant et sensible. Cela a été per-
mis par un travail sur la différence entre intérieur et extérieur, soi
et autrui, et la récupération d’une affectivité légitime, dépassant la
culpabilité.
Dans l’enfance, elle a lutté contre sa propre différence, en niant
son corps et en se collant à sa mère. Elle se blessait très vite dès
qu’elle avait une quelconque activité, et sa mère avait coutume de
lui dire « reste assise sur un banc sinon tu vas encore te casser
quelque chose ». Corps et sexualité étaient malvenus. Lorsqu’elle a
eu ses règles vers 10 ans, sa mère qui ne l’avait pas informée, lui a
passé un livre qui expliquait la chose.
Mais, à l’adolescence, période où sa mère s’était elle-même
trouvée dans l’impasse compte tenu de son histoire, elle a adhéré à
une identité de surface, conforme au modèle social et dans l’hype-
ractivité. L’impasse pour elle restait transitoire, avec la probléma-
tique allergique.
Mais l’épuisement du fonctionnement a mené à la thyroïdite et
à la dépression. Pour retrouver son identité, elle a dû récupérer son
corps propre et ses affects qui étaient restés dans le collage à la

88
Affect et pathologie

mère. Les phrases qu’elle m’a dites alors font bien plus référence à
l’histoire maternelle qu’à la sienne propre.
Le dernier rêve, évoqué avec beaucoup d’émotion, résume toute
la problématique qui a présidé à sa construction : se refermer her-
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métiquement, pour se préserver, face à la séparation et à la perte, in-
tolérables, mais en se refermant ainsi, se couper de la relation, et se
retrouver perdue et séparée. Les seules relations possibles sont avec
des inconnus, dans la différence, et selon la conformité sociale. Le
fœtus enfermé et isolé représente autant ce que la mère a mis en
place avec elle, que le rapport qu’elle-même a entretenu avec son
propre intérieur. Nous voyons ici comment le rapport à soi, à son
propre intérieur et à l’affectivité, est souvent transmis de la mère à
l’enfant aussi sûrement que l’est la langue maternelle.
Le détail de cette prise en charge pourra faire l’objet d’un déve-
loppement ultérieur pour montrer combien tous ces aspects sont
intimement intriqués et doivent donc être traités de façon concomi-
tante pour que la thérapie aboutisse.

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Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie

Leila Al-Husseini
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Affect et allergie chez une
adolescente

Leila Al-Husseini
Cet exposé propose de vous présenter un travail avec une jeune
patiente allergique et asthmatique où la problématique de l’identité oc-
cupe une position centrale dans la relation thérapeutique. En effet, selon
Sami-Ali, si la question de l’identité se pose en termes de différence et
de distance dans chaque relation à l’autre, dans le cas de l’allergique
cette question se pose en terme de sa difficulté à instaurer une distance
avec autrui, à la fois au niveau relationnel et au niveau immunitaire1.
C’est donc dans ce terrain que s’enracinent toutes les difficultés de
l’allergique.
Il s’agit ici d’une situation qui engage la patiente et sa famille dans
une impasse relationnelle. La thérapie essaiera de dégager la patiente de
cette impasse.
Avant de présenter ce travail, je vais vous parler brièvement de l’es-
pace de la relation thérapeutique et de la technique de l’Art-thérapie que
j’utilise dans ma pratique.
Mon travail clinique se constitue et se développe dans une exigence
créatrice qui m’a amenée à privilégier l’atelier comme lieu de mon ac-
tivité thérapeutique. L’utilisation de la peinture au sein de la relation
explore la couleur comme moyen d’accéder au contenu refoulé. Cela est
déterminé par l’instantanéité des affects qui peuvent émerger pendant
l’acte de mélanger et de superposer les couleurs sur la surface à peindre.

1. Voir Sami-Ali, L’impasse dans la psychose et l’allergie, Paris, Dunod, 2001/

91
Recherche en psychosomatique

La libération de l’activité onirique est un objectif central dans mon


travail avec le patient. En effet, d’après Sami-Ali, l’absence de rêve
signifie le refoulement de l’imaginaire.
L’utilisation de la couleur peut stimuler l’activité onirique et en par-
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ticulier le souvenir du rêve. Rêve sans lequel le travail thérapeutique
ne pourra s’accomplir car il est le lien qui éclaire ce qui se passe dans
l’actuel, en résonance avec le passé.
Il est important de souligner la différence entre la relation thérapeu-
tique, ici, et celle d’une relation basée uniquement sur l’écoute et la
parole. La parole dans l’art-thérapie n’est pas le tremplin de la scène
thérapeutique ; elle vient au secours des émotions qui apparaissent pen-
dant la peinture, effectuant ainsi un passage entre le présent et le passé.

Alice

Le travail thérapeutique avec cette jeune patiente s’est accompli pen-


dant une période de neuf mois, il y a une dizaine d’années. L’intérêt de
ce cas est toujours actuel.
Alice est une jeune fille de treize ans, elle est la cadette d’une fratrie
de deux enfants dont l’aîné est un garçon de dix-sept ans. Elle est venue
me voir accompagnée de sa mère très préoccupée par la situation de sa
fille. En effet, Alice souffre depuis longtemps d’un eczéma associé à un
asthme et sa maladie est actuellement en pleine crise malgré une médi-
cation fortement dosée à base de corticoïdes. Les symptômes persistent
et le médecin traitant envisage d’augmenter le traitement afin d’empê-
cher que les poumons se remplissent d’eau. Les mains d’Alice, ainsi que
plusieurs parties de son corps, sont couvertes de lésions accompagnées
de démangeaisons intolérables qui perturbent son sommeil. La taille
mince et frêle d’Alice lui donne l’air très jeune. Mais la gravité qui se
reflète dans ses grands yeux lui confère presque une sorte de vieillesse.

Première rencontre

Au cours du premier entretien, la maman d’Alice parle d’elle


comme si elle était absente et répond souvent aux questions qui
s’adressent à sa fille. La maladie organique est le point focal de
son discours. Elle m’en dresse un bilan clinique très précis et très

92
Affect et pathologie

détaillé, elle décrit l’évolution de la maladie et les symptômes avant


et pendant la crise, ainsi que les différents traitements utilisés.
En même temps, elle donne l’impression de parler de son propre
corps.
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Alice semble se confiner dans un certain mutisme. Cependant,
elle est attentive au moindre échange. Et malgré son silence, elle
paraît exercer une sorte de pouvoir sur sa mère. En effet, la mère
sollicite, verbalement ou du regard, l’approbation de sa fille, chaque
fois qu’elle répond à sa place.
Par ailleurs, Alice n’est pas passive. Durant cette première
séance, elle emprisonne la main de sa mère dans les siennes et la
manipule nerveusement comme s’il s’agissait d’un objet. De cet
échange entre Alice et sa mère se dégage une certaine tension, mais
la mère ne proteste pas, et ne retire pas sa main.
Dès la première séance, je suis en face de cet univers spécifique
de l’allergie. La confusion des identités règne sur l’ensemble de
cette relation mère-fille et crée un espace brouillé, laissant émerger
la difficulté d’être d’une adolescente à la place de laquelle sa mère
parle.
Le bilan de cette première rencontre met en évidence qu’Alice
est allergique depuis qu’elle a un an. Par ailleurs, il existe un terrain
allergique familial. En effet, le frère aîné est allergique, la mère et la
grand-mère maternelle sont asthmatiques toutes les deux.

La démarche thérapeutique

Ma deuxième rencontre avec Alice se fait sans sa mère. Je com-


mence à lui présenter l’atelier de peinture et les différents matériaux
et lui signifie sa liberté de choisir.
Faire un choix semble l’embarrasser, la déranger. Elle hésite un
long moment devant les couleurs exposées dans des godets sur une
table. Ensuite, elle prend un papier et un pinceau très fin et com-
mence à peindre très lentement trois fleurs rouges minuscules qui
sortent de la même tige et me dit : « Ces fleurs me font penser à
notre jardin ».
Devant ces fleurs suspendues dans l’espace et d’après sa ré-
ponse, me vient à l’esprit l’idée du lien et de l’arrachement.
Son attitude envers moi reste distante et réservée, et lorsque je
lui demande si elle aime la peinture à l’école, elle répond par une

93
Recherche en psychosomatique

grimace dédaigneuse que non, elle ajoute aussi que cela l’ennuie
plus que tout autre chose et qu’elle déteste l’esprit de compétition
qui règne pendant la séance de peinture. J’essaie de la rassurer en
lui expliquant la différence qu’il y a entre faire de la peinture à
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l’école et peindre chez la thérapeute. Elle ne se montre pas très
enthousiaste mais je sens qu’elle m’écoute attentivement.
Pendant nos premières séances, ses récits me semblent des chro-
niques racontées avec distance et fatalisme. Deux espaces s’y op-
posent : l’extérieur étranger, menaçant voire persécuteur, est surtout
celui de l’école, et l’intérieur protecteur et rassurant, est celui de la
famille. Elle semble souffrir du premier et s’identifier au second.
Ce mode de pensée n’est en réalité, chez Alice, que l’indice
d’une difficulté à exister et à constituer sa propre identité dans une
situation excluant la différence de l’autre, lequel est perçu comme
différent de soi.
Les parents d’Alice possèdent un bon niveau socioculturel. Ils
appartiennent à une bourgeoisie protestante cultivée, pratiquante.
Leurs activités dans la paroisse les amènent parfois à imposer à leur
fille de participer aux colonies de vacances organisées par l’école.
Alice est réticente à le faire et connaît des épisodes de crises aiguës
chaque fois qu’elle est éloignée de chez elle contre son gré. Ces
crises nécessitent parfois une hospitalisation en urgence. La situa-
tion est identique en ce qui concerne la participation d’Alice aux
activités sportives de son école. Les parents pensent qu’elle doit
assumer comme tout le monde les exigences fixées, en dépit de la
situation particulière qu’ils ne peuvent cependant pas ignorer. Cette
position paradoxale n’épargne pas la relation avec la thérapeute à
qui ils signifient à plusieurs occasions qu’elle ne doit pas contrecar-
rer leurs valeurs éducatives.

La peinture

Au début, Alice préfère les crayons de couleur et résiste à uti-


liser la gouache. Cela semble l’angoisser. Je ne sous-estime pas sa
crainte et j’attends qu’elle se sente plus à l’aise dans la relation avec
moi. Je suis persuadée qu’il faut trouver un moyen pour la rassurer,
moyen qui respecte son rythme lent et sa sensibilité méfiante. Je lui
propose de faire son portrait pendant qu’elle explore les couleurs
en faisant des mélanges et des touches libres. Alice s’étonne de ma

94
Affect et pathologie

demande, mais elle l’accepte avec un sourire. J’ai alors le sentiment


que mon regard est devenu pour elle non seulement justifié, mais
qu’il peut maintenant se poser sur son visage sans la déranger. Le
temps de cette séance s’écoule désormais d’une façon très fluide.
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J’arrive à observer son visage, ses émotions et ses réactions face à
sa propre peinture et à ma présence.
Ainsi commence notre relation comme une sorte d’apprivoise-
ment dans la proximité et la distance, dans un espace à la fois réel
et imaginaire. Le portrait terminé est assez fidèle à la réalité, mais
Alice semble regarder un visage inconnu et me dit : « il est beau ce
visage ». Est-ce un compliment pour la thérapeute ou une décou-
verte d’elle-même ?
Une ouverture dans notre relation se fait sentir.
Alice ne se souvient pas de ses rêves pour le moment. À cause
de multiples réveils nocturnes, elle est souvent fatiguée pendant la
journée. Mais, malgré sa fatigue, elle est une bonne élève sauf en ce
qui concerne les activités sportives : « la séance de sport est un vrai
calvaire, je suis la dernière et on se moque de moi tout le temps ».
De plus, elle n’a pas d’ami et la seule amie qu’elle ait réussi à avoir
vient de partir dans son pays d’origine. Cet événement peut être
le déclencheur de sa crise actuelle, aggravant son allergie et son
asthme car cette amie était pour elle comme « une sœur jumelle ».
Alice ne se souvient pas d’avoir vécu une vie normale, sans mala-
die. « Ce qui me gêne le plus dans cette maladie, c’est le regard des
autres… j’étais et je suis toujours un objet de moquerie à l’école.
On m’évite et parfois on me traite de vieille à cause de l’aspect de
mes mains ».
Son discours résigné semble sans affect, comme si elle parlait de
quelqu’un d’autre. Mais sa résignation ne cache pas un désespoir
qui lui semble sans issue.
Quelques séances plus tard, Alice se souvient d’un épisode aller-
gique grave où son père avait dû l’amener à l’hôpital, le soir, en
urgence. Ses mains étaient gravement infectées. Un médecin est
venu l’examiner. Il a ensuite appelé trois autres collègues ou étu-
diants (il s’agissait d’un hôpital universitaire) et tout le monde s’est
intéressé à ce phénomène médical en oubliant parfaitement la petite
fille qu’elle était et qui avait à peine quatre ans.
Alice m’avoue avoir beaucoup perdu de sa confiance envers le
monde des adultes à partir de cet événement vécu comme un vrai
traumatisme. Elle a le sentiment de ne pas avoir été traitée comme
une enfant mais comme un objet bizarre.

95
Recherche en psychosomatique

Ce souvenir marque un moment important dans la relation théra-


peutique. La patiente commence à avoir confiance en cette relation.

Alice et l’écriture
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Alice est une jeune fille très intelligente et extrêmement sen-
sible, elle lit beaucoup et a une connaissance qui dépasse le niveau
scolaire. Elle a un discours allégorique qui l’a probablement coupée
de ses camarades de classe qui trouvent qu’elle parle un langage
« trop compliqué » ; de son côté, elle les considère « trop bornés et
ignorants ». À l’école, si on la surnomme « la vieille » c’est proba-
blement à cause de ses mains desséchées mais aussi à cause de la
sagacité propre à son langage.
Comme Alice est toujours méfiante face à l’utilisation de la
gouache, je décide de faire une séance d’écriture pour valoriser son
point fort et favori. Il s’agit d’écrire son prénom et son nom sur un
papier, verticalement, en lettres détachées. Il lui faut ensuite trou-
ver cinq mots qui commencent par cette même lettre et les placer
horizontalement en regard de chaque lettre. Après cette étape, je de-
mande à Alice d’associer librement une couleur à chacun des mots
qu’elle a créé. L’ensemble devient un matériau à partir duquel elle
peut créer un texte et plus tard une peinture.
Alice va s’appliquer pendant deux séances avec apparemment
un seul souci : celui d’intégrer littéralement tous les mots. Son texte
devient un simple exercice de style un peu scolaire. Mais Alice
semble fière du résultat.
Cet exercice met en évidence une richesse de vocabulaire qui
évoque la solitude : « seule, perdue, île, lointaine, larmes, immo-
bile, triste, souvenir, automne, temps perdu…, etc. ».

Peinture, affects et rêves

Lors de la séance suivante je propose à Alice de faire de la pein-


ture en s’inspirant des couleurs qu’elle a mises à la place des mots
dans la séance précédente. Elle peint des feuilles d’automne déta-
chées, semblables les unes aux autres. Une tristesse fugace apparaît
dans son regard posé sur les feuilles, et quand je lui demande ce

96
Affect et pathologie

que ces feuilles représentent pour elle, Alice me dit sur un ton ému:
« rien ». Son « rien » résonne chargé de beaucoup d’affect qu’elle
ne veut ou ne peut pas communiquer. A t-elle trouvé un lien entre
elle et ces feuilles fragiles ?
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Lors d’une autre séance Alice me raconte, pour la première fois,
le souvenir d’un rêve qui s’est répété à plusieurs reprises, rêve d’an-
goisse qui semble continuer à avoir un impact sur elle.

Rêve 1

« Je suis un personnage d’un livre je ne peux pas y rester car


le livre se referme sur moi et je ne peux non plus partir car je n’ai
nulle part où aller ».
Ce rêve actualise la fragilité et la difficulté d’Alice à trouver sa
place dans la réalité. Il y a dans ce rêve la condensation de sa propre
image, image d’un personnage fictif – c’est-à-dire qui n’existe pas
– et qui renvoie à ce « rien » concernant les feuilles mortes dans sa
peinture.
L’angoisse d’Alice s’estompe pendant les semaines suivantes
mais sa démarche en peinture reste hésitante. En dépit de ses diffi-
cultés, Alice fait des touches et des tracés qui semblent surgir du ha-
sard et du vide ; ses gestes sont indécis et ne parviennent pas encore
à définir leur autonomie par rapport à l’espace où ils s’inscrivent.
C’est sa propre affirmation comme être qui est en cause. Mais les
couleurs qu’elle élabore lentement possèdent un degré de cohérence
suffisante pour lui permettre de continuer et d’avoir confiance en
son travail. Durant cette période, les touches ne quittent pas l’hori-
zontalité pure et l’on est toujours dans un espace bidimensionnel
qui domine tout.
Plus le temps passe et plus Alice est confiante en notre relation.
Une force créatrice s’engendre en elle et les rêves sont de plus en
plus présents.
Elle accepte de se détendre et de respirer profondément avant
chaque séance de peinture. À présent, elle peint avec un engagement
visible, elle crée des couleurs en s’appliquant à faire ses propres
mélanges et accepte les contrastes qu’elle a rejetés auparavant. Elle
constate maintenant qu’elle aime s’exprimer en peinture et ne tarde
pas à me dire que c’est différent de ce qu’elle fait en classe où tout
le monde copie un objet unique. Et quand je lui demande de me
parler un peu plus de la différence entre les deux situations, elle
répond qu’en classe elle est obligée de faire vite, ce qui induit du

97
Recherche en psychosomatique

stress, alors qu’ici elle est libre et découvre un autre monde, à son
propre rythme, sans être jugée.
Je propose à Alice d’essayer de peindre avec les doigts. Elle me
demande si ce n’est pas allergène et je réponds que non. Je cherche
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par là à obtenir un moment de régression qui la libère un peu de
ses contraintes inhibitrices. Elle va peindre directement avec ses
mains en une projection sans distance entre elle et la feuille. Son
visage s’anime alors d’une joie bouleversante. On dirait, dans ce
moment régressif, qu’elle est une enfant de deux ans qui tapote et
crée des formes avec les couleurs et laisse les empreintes de ses
mains entières. Elle rit et crie de joie. On est loin de la fille sombre,
perfectionniste et hésitante. Durant cette séance, Alice a joué et elle
a pris plaisir au jeu. À la séance suivante, elle me signale son éton-
nement à constater la régression de son allergie : « Rien. Rien » dit-
elle en me montrant très fière l’amélioration visible de l’état de ses
mains. Elle m’attribue un rôle magique, une toute-puissance. Elle
me suppose un savoir intarissable et me pose parfois des questions
qui dépassent mes compétences. « Pourquoi les celtes ont-ils dis-
paru ? ». Elle amène à la séance des hiéroglyphes qu’elle espère me
voir déchiffrer. Elle s’intéresse beaucoup à l’histoire de la région
d’où je viens. Elle me questionne sur tout ce qui la préoccupe et me
communique ses idées sur le monde. Elle m’impressionne avec ses
larges connaissances sur beaucoup de sujets mais je m’inquiète de
sa vision du monde trop pessimiste et trop sombre pour une adoles-
cente de son âge.
Elle développe un sens de l’humour poignant qui montre qu’elle
a un imaginaire riche et de plus en plus de rêves occupent la scène
de nos séances.

Rêve 2

« Je suis en train d’aller à pieds dans une ville, le voyage est


pénible, je suis poursuivie par des créatures féroces et méchantes,
mais j’arrive à leur échapper, non sans difficulté, une femme étran-
gère, mais gentille, m’aide à me sauver de mes ennemis en me ten-
dant sa main avant de tomber dans leur piège ».

Alice habite dans une ville, la thérapeute vit et habite dans


une autre ville. Dans son rêve, Alice est obligée, pour atteindre
sa destination, de passer inévitablement par ma ville. La femme
étrangère mais gentille n’est autre que moi. La perspective que

98
Affect et pathologie

ce rêve entrouvre à Alice lui donne la possibilité d’échapper à ce


qui la menace et d’intégrer l’autre comme diffèrent, mais gentil.
Contrairement au premier rêve où elle n’est qu’un personnage fic-
tif bloqué dans un espace contrariant et contraignant, ici l’espace
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s’ouvre, elle est en train d’entreprendre un voyage et de faire face
activement à ses angoisses.
Plus tard, un autre rêve marque un progrès significatif dans le
déroulement de la thérapie. Il fait ressurgir des souvenirs impor-
tants et permet à Alice de faire des liens avec son vécu.

Rêve 3

« Je suis dans un jardin avec d’autres jeunes et nous voulons


danser. Une jeune fille a les mains bandées et coupées. Personne
n’accepte de la prendre par les mains pour danser avec elle sauf
moi. La fille me remercie et pleure de joie ».

Alice me raconte que cette jeune fille aux mains coupées res-
semble beaucoup à une de ses camarades de l’école primaire qui
l’avait ridiculisée à cause de ses mains marquées par l’eczéma. Par
l’acte agressif de cette camarade de classe, les autres élèves avaient
regardé les mains d’Alice avec dégoût et s’étaient éloignés d’elle
dans tous les jeux collectifs. Le fait de me raconter ce douloureux
souvenir la fait pleurer pour la première fois, et lui permet de me
parler de sa souffrance comme étant à l’origine de l’évitement des
autres, à seule fin de ne pas s’exposer au rejet. Dans ce rêve, Alice
exprime sa colère envers cette fille en lui faisant subir un grand
châtiment (les mains coupées) mais, en même temps, en lui tendant
ses mains, Alice montre un humanisme et une supériorité d’âme.
Avec son sens de l’humour noir, Alice me dit qu’elle est prête à se
débarrasser de cette grandeur d’âme si cela lui permettait de ne plus
souffrir.

Des problèmes et des angoisses

Vers la fin de cette première année, avant les vacances de Noël,


Alice me semble tendue et me dit qu’elle n’a pas envie de faire de
peinture et peut-être même qu’elle va interrompre la thérapie. À tra-
vers ses pleurs très amers, elle a pu me faire comprendre qu’elle vit

99
Recherche en psychosomatique

un moment très difficile à l’école et en famille. Je propose à Alice


de me parler d’abord de ses problèmes avant de décider de la suite
de la thérapie. Elle accepte : à l’école elle se trouve acculée à choisir
entre deux clans qui divisent la classe. Qui n’adhère à aucun d’entre
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eux subit les représailles des deux. De plus, elle a des examens de
mathématique à préparer et doit également donner un récital de vio-
lon. Son professeur de musique lui a imposé un morceau. « Non
seulement je n’aime pas ce morceau mais je le joue très mal. Ce
qui me rend malade dans cette histoire, c’est l’attitude inexplicable
de mon professeur et tout ce que mes parents trouvent à me dire
c’est ‘‘travailles bien et tu arriveras’’. Ils ne me comprennent pas et
m’imposent toujours leur volonté ».
Ces contraintes lui semblent insurmontables et sa culpabilité à
vouloir agir autrement l’amène à s’auto-punir en arrêtant la thérapie.
Je réalise qu’Alice est en danger de rechuter dans sa maladie,
et sa culpabilité peut lui faire perdre ce qu’elle a pu développer
avec moi jusqu’à présent. Elle est très déstabilisée sous le poids
de ses problèmes. Je lui demande alors comment elle compte s’y
prendre pour résoudre ces problèmes. Alice est trop angoissée pour
réfléchir, ce qui m’oblige à être plus explicite dans mon rôle péda-
gogique. Je lui dis alors que je comprends très bien sa détresse,
mais que la seule chose qui doit compter pour elle c’est d’essayer
de relativiser ses problèmes afin de se protéger et de trouver des
solutions possibles.
Alice m’écoute attentivement et semble soulagée et décide de
poursuivre sa thérapie. Quand ses parents arrivent, ils s’étonnent de
la voir si calme et beaucoup moins angoissée. Plus tard, j’ai appris
qu’elle avait réussi, sans l’intervention de ses parents, à changer
de morceau de musique et à gérer sa situation vis-à-vis des clans à
l’école.
Lors d’une ultérieure séance Alice me raconte un rêve angois-
sant sur fond de grande culpabilité. Comme si à chaque fois qu’elle
arrive à acquérir une distance et un espace personnel en dehors de
l’emprise familiale, sa culpabilité resurgit et sape ses efforts.

Rêve 4

« Je suis dans une grande cour. Il y a des étudiants avec


leurs cartables. J’ai dix-huit ans mais tout le monde m’évite car
j’ai la tuberculose et je vais bientôt mourir. Je me réveille très
angoissée ».

100
Affect et pathologie

À partir de ce nouveau rêve, je me rends compte de la difficulté


d’Alice à se séparer de sa famille et à devenir autonome. Dans ce
rêve, avoir dix-huit ans signifie avoir l’âge où elle ira à l’université
dans une autre ville et devra donc quitter ses parents. La maladie
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mortelle évoquée dans le rêve est une métaphore de son asthme.
Ainsi le rêve actualise l’angoisse de la séparation d’avec la mère et
la peur de se perdre. Ce rêve lui donne l’occasion de me parler d’un
grand-père paternel mort de tuberculose quand elle avait quatre ans,
à la période même de sa visite traumatisante à l’hôpital. Le climat
de cette séance est extrêmement triste mais Alice semble se libérer
des angoisses que ce rêve a pu déclencher.

L’amélioration d’Alice et la fin de la thérapie

À présent, la peinture d’Alice prend plus d’espace et évoque la


musique. Elle représente des éléments : la mer, le lac, les montagnes
et le ciel, la lumière. Alice va beaucoup mieux. Son visage devient
rayonnant, elle me semble joyeuse et plus détendue. Elle a quatorze
ans ; elle s’intéresse à l’anthropologie et veut devenir écrivain de
romans fantastiques. C’est alors que ses parents m’annoncent leur
décision de suspendre la thérapie.

Voici le rêve de la dernière séance

« Ça concerne un livre… C’est un personnage que j’ai inventé


dans ma tête pendant la journée et il est revenu dans le rêve mais
autrement :

Rêve 5

« C’est une elfe, ses parents ont été tués par des Nazgûls. Elle a
été adoptée par des parents qui ont le secret de guérir les maladies
graves, mais ils n’ont le droit de guérir de la mort que trois fois.
Elle apprend à guérir et devient plus savante que ses parents adop-
tifs. La première personne qu’elle fait guérir, c’est Aragorn qui va
devenir le roi des elfes. Et puis elle voyage beaucoup. Les elfes
l’appellent ‘‘la voyageuse’’ dans leur propre langue. Elle doit partir
comme éclaireur dans une forêt qu’on appelle la Lothlorien. Là-
bas, plus tard, elle va rencontrer des voyageurs et part avec eux à la

101
Recherche en psychosomatique

recherche de ceux qui savent se battre. Elle rencontre des ennemis


et gagne la bataille grâce aux arbres qui parlent, les pires ennemis
du peuple qui ont tué ses parents. Elle se fait blesser, mais ses amis
les guérisseurs la sauvent encore et elle devient la dirigeante de ce
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peuple avec une robe blanche ».
L’elfe et sa trajectoire combattante symbolisent-ils le désir
d’Alice de s’approprier son propre espace et sa propre identité ?
La thérapeute apparaît-elle comme un recours sous la forme des
parents adoptifs qui peuvent guérir seulement trois fois ?
Alice a-t-elle accompli une partie de ses objectifs dans le voyage
au sein de la relation thérapeutique ?
Mon sentiment est qu’Alice et moi avons déjà parcouru un
bon chemin pour essayer de changer les termes de l’impasse qui
l’enferme.
La décision des parents de mettre prématurément un terme à la
thérapie pose la problématique de la prise en charge de l’enfant et
de l’adolescent. Durant le travail thérapeutique, Alice a pu très vite
récupérer ses rêves, ses souvenirs, et ses affects refoulés. Ils se sont
régulièrement actualisés dans la relation. Son état physique s’est
visiblement amélioré !
Enfin, par son dernier rêve, Alice semble avoir conquis une
certaine autonomie et une certaine conscience de sa culpabilité.
L’ensemble du travail me permet de penser qu’Alice a réussi à trou-
ver des armes pour forger sa propre identité et ainsi mieux contrôler
sa maladie.
Pourra-t-elle les conserver et les développer ?…

Bibliographie
Sami-Ali. Le rêve et l’affect, une théorie du somatique. Paris, Dunod, 1997.
Sami-Ali. Corps réel Corps imaginaire. Paris, Dunod, 1991.
Sami-Ali. L’impasse dans la psychose et l’allergie. Paris, Dunod, 2002.

102
Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie

Martine Derzelle
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Que viennent chercher les
douloureux chroniques ?

Martine Derzelle
« Avec les mots qu’ils disaient sans comprendre
On leur a fait des linceuls pour s’étendre »
Jean-Patrick Capdevielle
(« C’est dur d’être un héros »)

En guise d’introduction, un peu d’histoire d’abord…

La douleur, toujours très présente en médecine, est restée jusqu’à


une période très récente peu ou pas soulagée. Puis, l’anesthésie a
fait son apparition pour les actes chirurgicaux, mais les soins ou
les examens douloureux continuèrent d’être redoutés des patients
jusqu’à ces toutes dernières années. Les « patients douloureux chro-
niques », dénomination institutionnelle et médicale par quoi il faut
entendre, dans la définition « académique »,les patients porteurs
d’une douleur d’une durée supérieure à 3 à 6 mois, ne bénéficiaient
toujours pas de soins particuliers.
Ce n’est que beaucoup plus tard que sont apparues des « consul-
tations de la douleur », une des nouvelles formes de la modernité
dans son rapport à la douleur, où des plaintes nombreuses et variées
ont pu être prises en charge. Certaines de ces douleurs étaient in-
contestablement somatiques et l’approche médicale a pu enfin les

103
Recherche en psychosomatique

soulager, totalement ou en grande partie, mais d’autres douleurs,


manifestement plus complexes et dont l’étiologie renvoyait à de
nombreux facteurs de nature fort différente : médicaux, psycho-
logiques, sociologiques, professionnels, etc., furent mises en évi-
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dence. Et dans ces cas particuliers, la réponse médicale classique
n’était pas toujours suffisante pour les traiter
À cette époque, où seules des structures spécialisées prenaient
en charge ce type de pathologie, les douleurs somatiques étaient
les plus fréquentes et leur traitement eut, en plus du soulagement
des malades, de nombreuses conséquences positives. Cela permit
d’éviter les décompensations psychologiques graves dues à l’ex-
cès de douleur ainsi que des interventions chirurgicales effectuées
dans l’espoir d’un soulagement mais qui, bien souvent, géné-
raient des complications supplémentaires et un soulagement très
passager.
Ainsi, le début des « centres de la douleur », outre la prise en
charge et le soulagement de très nombreux patients douloureux
chroniques, a permis de lutter contre une certaine iatrogénie, no-
tamment en évitant des interventions inutiles.
Quelques décennies plus tard, ces mêmes centres continuent
leurs très utiles missions, mais un certain nombre d’éléments ont
varié. Ils sont de plusieurs ordres :
– la proportion de patients ayant des douleurs organiques
diminue au profit de patients ayant des douleurs nettement
« psychogènes » ou du moins ayant une comorbidité psycho-
pathologique importante. Les modifications sociologiques
(chômage, crise économique, transformations du couple et
de la famille, etc.) doivent ici être évoquées, ainsi que le fait
que, sur le long terme, l’« offre crée la demande » ;
– le nombre très insuffisant de psychiatres et/ou de psy-
chologues dans les structures de la douleur. Cela a pour
conséquence que la plupart des patients ne peuvent béné-
ficier ni d’un bilan psychologique, ni surtout d’un suivi
psychothérapeutique ;
– la demande des tutelles de mettre en place des structures
de la douleur dans tous les départements, y compris dans
des secteurs où peu de médecins se destinaient à prendre en
charge ce type de pathologie, entraîne, deux conséquences :
• la pluridisciplinarité, qui est une obligation légale,
imposant trois médecins de spécialités différentes
dont un psychiatre, est peu respectée ;

104
Affect et pathologie

• de nombreux médecins sont amenés à prendre en


charge des patients douloureux chroniques sans avoir
un intérêt particulier ni pour le fait psychologique ni
pour une approche globale des patients, ce qui est
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problématique avec ce type de malades.

Les conséquences de cette évolution ?

Ce problème n’ayant pas été abordé, excepté dans une enquête


de 2008 (M. Constantin-Kuntz, M. Dousse), je ferai donc part de
mes réflexions à partir de mon expérience clinique, d’un peu plus
d’une vingtaine d’années, dans le cadre de la consultation de la dou-
leur du Centre de Lutte contre le Cancer de Reims, où, de concert
avec le chef du service d’anesthésie-réanimation, nous recevons de
très nombreux patients douloureux chroniques, la plupart en échec
thérapeutique. La spécificité de cette consultation tient à la présence
systématique et conjointe d’un somaticien et d’une psychanalyste.
C’est dire qu’un nombre important de patients, dont la douleur est
à forte composante psychologique, n’ont souvent été pris en charge
jusque-là que par des médecins organicistes, dont les diagnostics
psychologiques sont très approximatifs et dans certains cas, totale-
ment erronés. Pire, la pratique nous enseigne que certains ignorent
ou réfutent toute dimension psychologique, dès lors qu’elle est sup-
posée être à l’origine de la douleur et non pas sa conséquence, et on
peut lire ainsi, dans certains manuels d’algologie, que les psychal-
gies sont très peu nombreuses. La réalité est qu’elles sont souvent
non diagnostiquées ou confondues avec des douleurs mixtes chez
des patients présentant une épine irritative sur laquelle se décharge
l’angoisse. L’épine irritative est prise, à tort, pour une organicité
vraie et traitée comme telle, la partie psychologique étant ignorée
ou sous-estimée.
Cela renforce naturellement le patient dans la croyance d’une
étiologie organique et soutient ses résistances à aborder la dimension
psychologique et émotionnelle. Il est clair, en effet, que, face à des
patients douloureux chroniques, bien assurés dans leur conviction
d’une cause exclusivement organique à leurs douleurs, négligeant
tout ce qui serait de l’ordre de la souffrance morale, bref totalement
clivés, les choix, eux-mêmes totalement clivés, de la médecine mo-
derne ne peuvent les accompagner dans un processus thérapeutique

105
Recherche en psychosomatique

permettant de dépasser les clivages. Il serait plus juste, en pareil cas,


de parler de collusion entre le déni de la complexité des variables
dans la prise en charge des douloureux chroniques et la préférence
de ces derniers pour la sensation plutôt que l’affect.
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Le constat de notre quotidien…

Qu’elle soit d’expression physique ou psychique, la douleur


incite le patient à chercher de l’aide alors que, pour le thérapeute,
elle constitue un défi complexe, une mise à l’épreuve de son savoir
théorique comme la pratique de son art…
À quoi assistons-nous ? Lorsque la douleur se fait rebelle, s’obs-
tine, résiste, ne peut être réduite au silence en dépit d’un « shopping
médical » souvent fort impressionnant, alors s’inaugure fréquem-
ment le temps d’une étrange course : celle que j’appellerai de « la
vraie cause », qui n’a vraisemblablement pas encore été trouvée,
si l’on en croit le caractère infructueux des différentes thérapeu-
tiques successivement proposées C’est que la conception médicale
classique repose sur l’hypothèse implicite d’une relation monotone,
linéaire entre le désordre physiopathologique initial et le phéno-
mène douloureux proprement dit.
Cette « course à la vraie cause » revêt schématiquement trois
formes essentielles bien connues :
– le marathon ou activisme exploratoire ;
– le rejet dans la classe inférieure de l’amateurisme ou
psychiatrisation ;
– l’envoi sur un autre stade, possiblement olympique quand
ses pratiques sont hautement ritualisées, ou adresse à une…
consultation de la douleur.
• Le marathon ou activisme exploratoire, d’abord. S’il
est parfois justifié comme ultime tentative d’identifi-
cation du mécanisme initiateur d’une douleur aiguë
dont on sait par ailleurs que, mal évaluée et/ou mal
traitée, elle peut faire le lit de la chronicité, force est
toutefois de constater qu’il est le plus souvent un
tenant-lieu de réponse à la persistance d’une plainte
douloureuse, aveu et déni d’impuissance mêlés met-
tant à la question les fondements mêmes de l’identité
médicale. Escalade sans fin d’examens biologiques

106
Affect et pathologie

en radiographies multiples et explorations sophisti-


quées, il est aussi la croyance erronée que le manque
est dans la science, pas dans le sujet, la croyance erro-
née surtout qu’une douleur chronique s’explique né-
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cessairement par l’unique persistance du mécanisme
initiateur. Et, à ce sujet, la tendance à valoriser des
diagnostics somatiques de facilité, tels qu’arthrose,
tendinite, méga-cul-de-sac, etc., ne saurait tromper.
• L’envoi chez le psychiatre, ensuite. Autre version
de la même quête. « C’est psychique ». Lorsque ces
mots sont lâchés, entendus généralement comme
un démenti d’organicité et un rejet dans la classe
inférieure, celle de l’imaginaire et de la subjectivité,
bien plutôt que comme un élargissement possible de
l’horizon, s’ouvre alors le second acte d’un dialogue
parfois tragique dont le protagoniste majeur, prenant
le relais du somaticien, n’est autre que le psychiatre.
Certes, ce type de diagnostic peut être tout-à-fait cor-
rect dans certains cas. Mais, posé avec circonspec-
tion, il ne peut l’être que sur la double argumentation
d’une absence ou insuffisance de cause organique et
de l’existence d’un désordre psychique. Façon de dire
que, loin de constituer un diagnostic d’élimination
somatique, il doit être « positif », c’est-à-dire étayé
sur un faisceau d’arguments incluant des critères de
positivité psychologique. Faute de quoi, le dualisme
douleur organique/douleur psychogène induit trop
souvent des attitudes maladroites, mal interprétées
par le patient, qui y voit le reflet d’une incompré-
hension ou, pire, d’une méfiance de son médecin.
Ce dernier, pensera-t-il, estime que sa douleur n’est
pas réelle, voire qu’elle est « simulée ». Il n’est nul
besoin d’insister sur le préjudice porté à la relation,
le patient se trouvant alors renforcé dans son déni des
implications psychologiques de sa douleur. Quand
on aura de plus précisé qu’une douleur initialement
somatique peut fréquemment évoluer vers un tableau
de douleur surdéterminée, la prudence s’impose.
• La consultation de la douleur, enfin. Ou plutôt « les »
consultations de la douleur. Pluridisciplinaires, multi-
disciplinaires, transdisciplinaires, elles ont en partage

107
Recherche en psychosomatique

un recrutement commun de douloureux chroniques


épuisés de leur course en même temps que le recours
à un modèle multi-factoriel de la douleur à la valeur
heuristique certaine en ce qu’il implique l’analyse
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objective de chacun des facteurs dans une perspec-
tive interactive et évite ainsi l’écueil de l’exclusion
réciproque des dimensions. Telle est, en tous les cas,
leur déclaration d’intention. Si les deux premières dé-
nominations (pluridisciplinaires, multidisciplinaires)
invitent à penser que les différentes facettes seront
prises en compte, elles ont en effet le désavantage de
redupliquer un saucissonnage que démentent en fait
rarement leurs pratiques.
• À quoi il faut ajouter qu’essentiellement centrées sur
l’identification de la cause, soit le mécanisme ini-
tiateur, somatique, neurogène ou psychogène , elles
ne peuvent échapper à la dichotomie que pourtant
elles annoncent vouloir éviter et dont on peut dou-
ter qu’elle ait sa pertinence quand il ne s’agit pas de
douleur récente.
• Et si, face au douloureux chronique, plus que l’éven-
tuelle mauvaise identification du mécanisme initia-
teur, qui supposerait, chose étrange, une régulière
incompétence des intervenants qui ont précédé, le
véritable problème était celui de l’échec des traite-
ments portant sur la cause ? Si, face au douloureux
chronique, plus que la recherche de la vraie cause,
souvent convenablement identifiée antérieurement
en termes de mécanismes physiopathologiques, le
véritable problème était celui des mécanismes d’exa-
cerbation et d’entretien, régulièrement plus détermi-
nants que le mécanisme de constitution de la douleur,
le véritable problème était celui de la fonction de la
douleur constituée ?

Une autre « logique » pour dépasser l’impasse

Cette interrogation, indissociable d’un abandon de la recherche


de la causalité du premier temps (pourquoi cette douleur ?),au

108
Affect et pathologie

bénéfice d’une recherche de sa finalité (pour quoi cette douleur ?)


est précisément au centre de la troisième perspective, transdiscipli-
naire, qui est la nôtre et je la qualifierais volontiers de « perspective
économique », reprenant là un terme capital de la terminologie freu-
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dienne bien apte à désigner le point de vue qui envisage l’insertion
d’un symptôme dans une organisation d’ensemble, sans préjuger
de sa cause. Parfois désigné aussi du terme évocateur de « causa-
lité d’après-coup », en totale rupture avec la conception médicale
classique, le point de vue économique explique le maintien d’un
phénomène par sa finalité plutôt que par sa cause. S’agissant d’une
douleur devenue chronique, la question sera donc : de quelle éco-
nomie d’ensemble participe-t-elle ? Quelle est sa fonction ? À quoi
sert-elle ? Tout cela à entendre au plan inconscient, bien entendu.
Adopter le point de vue économique pour expliquer la chronicité
d’une douleur signifie donc :
– renoncer à la dichotomie organique/psychique et lui préférer
la séquence genèse/entretien ;
– renoncer à la causalité linéaire et lui préférer une causalité
circulaire ;
– renoncer au point de vue de la constitution de la douleur et
lui préférer celui de la fonction de la douleur constituée.
« Pourquoi ça dure ? ». La réponse à cette interrogation, qui est
en réalité celle de l’articulation du mécanisme initiateur au méca-
nisme d’entretien dans l’histoire personnelle du patient, passera
alors au plan de la clinique par la prise en compte de deux séries
d’arguments incluant des critères de positivité et ayant la particu-
larité d’être les deux versants, intrasubjectif et extrasubjectif, du
même processus :
– la place de la douleur dans l’économie psychopathologique
considérée ou dans le cadre de quels troubles névrotiques ou
psychotiques la douleur chronique s’intègre-t-elle ?
– la place de la douleur dans l’économie relationnelle consi-
dérée ou à quelle place le thérapeute est-il mis par le patient
dans la relation dont la plainte douloureuse est l’apparent
enjeu ?
• La place de la douleur dans l’économie psychopa-
thologique. En fait, si les symptômes des douleurs
corporelles somatiques peuvent être utilisés par la
quasi-totalité des entités de la nosologie psychia-
trique, c’est le plus souvent dans le cadre de troubles
névrotiques que trouvera à s’intégrer la douleur

109
Recherche en psychosomatique

chronique, les pathologies psychotiques constituant


un faible pourcentage parmi les patients consultant
pour douleur. Certes, des phénomènes douloureux
peuvent parfois s’observer au cours des psychoses
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paranoïaques comme des psychoses schizophré-
niques, rattachables à des réinterprétations anxieuses
ou délirantes de sensations physiologiques banales,
mais seule l’hypocondrie paranoïaque, conviction
délirante d’être atteint d’une maladie grave, suscite
d’importantes difficultés dans la relation malade-
médecin, en raison du risque de passage à l’acte
médico-légal qu’elle comprend. Les diagnostics psy-
chopathologiques le plus fréquemment associables
à celui de la douleur chronique sont en fait ceux de
dépression, de conversion hystérique, d’hypocondrie
et de fonctionnement psychosomatique. Cette hétéro-
généité montre bien qu’il est en réalité plus fructueux
de raisonner en termes d’articulation qu’en termes de
causalité directe et univoque. En effet, l’expérience
clinique met bien en évidence qu’au bout d’un certain
temps d’évolution, il se révèle toujours très délicat
sinon impossible de discerner ce qui, dans la genèse,
revient à des éléments purement somatiques et ce qui
doit être imputé à des éléments de « structure ».
• Des besoins inconscients semblent évidemment
chercher une réponse au travers de ces mécanismes
d’entretien d’une douleur initialement somatique. La
séquence douleur/cri/réconfort est bien connue ; l’as-
sociation douleur/punition est très fondamentale dans
le « choix » d’un symptôme douloureux. Des identifi-
cations à des personnes douloureuses de l’entourage
peuvent également être mises en jeu. Si la dimension
inconsciente reste le domaine du psychanalyste, au
plan de sa pratique quotidienne, il sera toutefois utile
à tout thérapeute de pouvoir articuler en termes de
mécanisme les différentes dimensions auxquelles il a
affaire : retentissement-déclenchement-recours-mu-
tation-cercle vicieux, etc.
• La place de la douleur dans l’économie relationnelle.
Autre indicateur d’importance dans l’articulation
du mécanisme initiateur au mécanisme d’entretien.

110
Affect et pathologie

Parce que toute plainte douloureuse est forcément re-


doublée d’un scénario relationnel au sens où, recours
à l’autre soignant, elle lui assigne nécessairement
une place spécifique, elle est toujours étroitement
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liée, quelque hystérique ou réelle que soit sa nature,
à une fantasmatique personnelle qu’il conviendra de
repérer. On entend par fantasmatique personnelle
l’ensemble des images mentales ou scénarios d’un
sujet qui le mettent en scène dans l’expression de
ses pulsions et qui donnent sens à ce qu’il tente de
mettre en acte dans la réalité. S’agissant de la dou-
leur, la relation soignant-soigné aura ainsi réguliè-
rement à être décodée comme la nième répétition
par le sujet douloureux d’une mise en position de
l’autre comme « bonne » ou « mauvaise mère ». Rien
d’étonnant à cela : nos vagissements et nos plaintes,
tous informels qu’ils fussent, primaient sur les autres
contraintes de la mère, et même sur les privilèges
du père. Interprétés comme douleur par la mère, ils
constituaient pour le nourrisson un accès privilégié
à cette dernière et parfois même son mode d’être
aimé le plus intraitable, les douloureux chroniques
et les hypocondriaques en particulier le savent bien.
Dans la relation duelle soignant-soigné s’impose de
la sorte toujours la présence d’un tiers implicite :
celui de l’image maternelle qui conditionne le rap-
port du patient à sa douleur et dont il conviendra
donc de débusquer le fantasme sous-jacent. Aux dia-
gnostics psychopathologiques le plus fréquemment
associables à celui de douleur chronique seront ainsi
régulièrement jointes les dynamiques relationnelles
suivantes : dépression et demande d’assistance, hys-
térie et réduction à l’impuissance, hypocondrie et
demande de reconnaissance, fonctionnement psycho-
somatique et demande d’empathie.
Parce qu’elle est le mode d’interpellation initiale de l’autre, on
le comprend, la plainte douloureuse a donc forcément une remar-
quable fonction de lien. C’est pourquoi la nécessité de la laisser être
pour que du sujet puisse exister se fait parfois sentir. Dans ces cas,
plus qu’un symptôme à éradiquer, comme il est appris aux étudiants
en médecine, elle est une « autre allure de la vie »…

111
Recherche en psychosomatique

La sensation plutôt que l’affect

Le patient douloureux chronique, mais l’homme douloureux en


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général aussi, consulte de préférence un « somaticien » voire un
spécialiste de la douleur, mais rarement un spécialiste de la psyché.
D’emblée, il ressentirait cet « envoi au psy » comme un refus de prise
en compte de son symptôme, et pour tout dire comme une exclusion.
S’il veut fréquemment obtenir du praticien un diagnostic et des trai-
tements qui le confortent dans sa conviction d’organicité, sans doute
est-ce pour se protéger d’une prise de conscience difficile et doulou-
reuse. Il est donc pertinent d’évoquer une véritable collusion entre
cette demande et les nombreuses dérives réductrices de la médecine
moderne, bien propres à faire le choix du déni de la complexité des va-
riables dépendantes (psychologiques, sociales et environnementales).
Cette « résistance », ce recours défensif au corps et à ses sensa-
tions surtout douloureuses a évidemment un « coût » que l’ordinaire
de nos consultations ne manque pas de manifester :
– la plupart des patients douloureux chroniques que nous rece-
vons sont en échec thérapeutique depuis des années, la plu-
part n’ont pas eu de bilan psychologique, la psychopathologie
sous-jacente n’a pas été évaluée, les diagnostics manquent de
précision : états anxieux et/ou dépressifs, fibromyalgie, etc. ;
– le plus souvent, les traitements psychotropes sont impres-
sionnants et les personnes transformées en « zombies » avec
des conséquences qui renforcent l’état de maladie : impos-
sibilité de conduire, difficultés de communication avec l’en-
tourage, problèmes professionnels, voire arrêt de travail… ;
– ce qui est le plus navrant, c’est qu’ils n’ont plus d’espoir. Le
message est bien passé : « la médecine ne peut plus rien pour
eux », si ce n’est leur apprendre à vivre avec leur douleur,
ce qui est un renforcement négatif. Évidemment, certains
patients ont des histoires de vie dramatiques, des patholo-
gies complexes qui les installent dans la chronicité, parfois
même ils ont des bénéfices secondaires, mais il n’en reste
pas moins vrai que, sans diagnostic clairement établi et sans
traitement adapté, ils n’ont aucune chance de « s’en sortir » ;
– par ailleurs, certains patients ayant une composante psy-
chologique importante ne sont pas forcément des malades
« psychiatriques ». C’est là qu’existe un vrai problème : sou-
vent le médecin essaie de différencier les patients organiques

112
Affect et pathologie

des patients psychiatriques, mais lorsqu’une personne a une


douleur d’étiologie psychique, elle peut tout à fait n’appar-
tenir ni à une catégorie ni à l’autre. Dans ces cas-là, le sujet
souffre d’une douleur morale qui n’arrive pas à s’expri-
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mer et qui va s’inscrire dans le corps, donnant le change
pour une douleur organique, et cela n’a rien à voir avec la
« folie ». Il existe aussi des pathologies psychiatriques pou-
vant, entre autres, s’exprimer par des douleurs qui peuvent
prendre une allure délirante : mélancolie, schizophrénie… Il
est très important de différencier ces deux catégories de pa-
tients, car les uns relèvent d’une équipe psychiatrique, et les
autres relèvent de psychothérapeutes capables d’entendre la
souffrance et d’aider les personnes à cheminer sur ce dou-
loureux parcours de la reconnaissance de ce qui les a blessés
dans leur histoire.
Souvent, la souffrance et l’angoisse du patient ne sont ni abor-
dées ni parlées, mais colmatées et référées à des symptômes ou à
des maladies « bouche-trous ». Le fait psychologique n’est ni en-
tendu ni compris et donc non traité. Il est réduit à un symptôme
médical de type psychiatrique et, comme le plus souvent en mé-
decine, le symptôme est considéré comme un mauvais objet dont
il faut se débarrasser. Alors que ce qui peut aider ces personnes
c’est, au contraire, de ne pas renier cette partie d’eux-mêmes et de
reconnaître leurs souffrances, leurs blessures, les situations qui les
agressent, les gens qui les détruisent, les drames qu’ils n’ont pas
pu assumer et dépasser. C’est ce travail qu’ils ont à faire : la souf-
france doit être parlée, écoutée et partagée. La voie à parcourir pour
diminuer la douleur ressentie dans le corps, par ces patients mais
d’origine psychique, c’est de les aider à reconnaître et à affronter
leur souffrance. Ce chemin est difficile mais il est incontournable
et douloureux. La douleur morale fait souffrir et parfois plus que
la douleur physique, et c’est une des raisons qui font que certains
patients l’expriment par le corps…

La plainte douloureuse, bouclier devant


une excitation psychique

Nous avons souvent reçu à la consultation des personnes adres-


sées par des médecins ne sachant plus que faire. Ces personnes, très

113
Recherche en psychosomatique

inquiètes, nous apportent un syndrome douloureux et une masse


de documents médicaux : examens, scanners, IRM, tous négatifs.
On apprend assez vite la réalité d’un deuil récent ou ancien, que
le patient évoque mais dont il ne parle pas. Il existe une identifi-
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cation touchante avec la personne disparue mais le clivage est tel
que l’évocation d’une relation entre la perte et la maladie n’a aucun
sens pour le malade crispé sur sa position narcissique vigoureuse-
ment défendue : le malade, c’est lui. Et, dans ces cas, le corps, par
sa douleur, annule la souffrance psychique, ou la limite, tout en la
représentant.
Il faut savoir entendre chez ces sujets l’appel muet que
contient l’expression répétée de la douleur. Il s’agit d’un appel
de consolation. Elle suppose une régression difficile à percevoir
derrière l’activité déployée par les patients assaillis de sensations
corporelles multiples et erratiques et à l’affût de pathologies sans
cesse repoussées par les médecins. Chez eux, la douleur, somme
toute « externe », interdit à une souffrance « interne » vécue
comme dangereuse ou difficile, de s’exprimer. Le corps aide le
psychisme.
Dans tous ces cas d’investissement de la douleur du corps, la
sensation est préférée à l’affect. A. Green avait dit de l’affect qu’il
était un regard sur le corps ému. Regarder suppose une certaine
distanciation par rapport à la chose regardée. La sensation « ne se
regarde pas », elle se contente d’être un ressenti. C’est d’ailleurs la
raison du « choix » préférentiel de la douleur car l’affect, regard, ra-
mènerait des représentations indésirables, relancerait le psychisme.
Quand l’investissement de la douleur physique s’est solidement
ancré dans le psychisme, la position obtenue est extrêmement so-
lide. Dans le nouveau système qui s’est installé, l’excitation c’est
la douleur, et la décharge de l’excitation, c’est aussi la douleur. Ce
jeu circulaire est très économique, et maintient automatiquement
l’affect à distance. Ce système est solide et rassurant et, de plus,
permet cette chose si rassurante chez l’être humain : l’expression
de la plainte avec sa double fonction d’appel au secours et d’af-
firmation du besoin de soin. Mais la nécessité de la plainte n’est
pas équivalente à la demande de soins ! C’est pourquoi il est sans
doute possible de parler de « solution douloureuse » chez un certain
nombre de ces patients pour qui, comme le dit Joyce Mac Dougall :
« Le paradoxe de la demande de ces patients est d’être libéré de
leur symptôme alors qu’en fait leur solution algique constitue une
tentative d’autoguérison ».

114
Affect et pathologie

À la recherche d’un « avis de réception » maternel…

« J’ai vu tel et tel médecin, j’ai vu tous les grands professeurs,


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j’ai connu telle ou telle institution, j’ai pris toutes les thérapeu-
tiques possibles : ça ne m’a rien fait ! » nous disent beaucoup de
patients douloureux chroniques, car il faut se souvenir que nous
arrivons en fin de course après un long parcours médical fait de
déceptions. L’affirmation de la maladie douloureuse et de son incu-
rabilité semble une « nouvelle valeur » dans la mise en échec de
tous les praticiens rencontrés. Le patient se présente comme narcis-
sisé masochiquement par le fait d’être celui qui souffre le plus au
monde, qu’il n’est entendu par personne, qu’il est plus fort que ce
que le monde médical lui propose. Et on entend clairement, derrière
ces affirmations parfois caractérielles, des phrases non prononcées,
pourtant explicites, du type : « Tu peux faire ce que tu veux, tu ne
me guériras jamais ! ». N’oublions pas, dans ces moments-là, que
le modèle qui doit être inscrit en filigrane ou en arrière-fond dans
notre écoute est le modèle maternel. Ces violents rappels à l’ordre,
que sont ces demandes de réparations de l’impossible mère idéale,
doivent être entendus, inscrits dans le psychisme du thérapeute afin
de leur conférer un « avis de réception » et pour que la trace qu’ils
laissent produise ultérieurement un retour thérapeutique. Le malade
a été « reconnu ». Peut-être doit-on faire intervenir ici la notion
« d’endurance primaire », qui est, dans ces circonstances, celle du
thérapeute. Cette endurance devrait lui permettre en quelque sorte
d’encaisser une violence qui laissera sa trace potentiellement utili-
sable, mais ne donnera lieu à aucune rétorsion. On peut penser aussi
à la violence primaire de P. Aulagnier et, à l’écart, qui permet à l’en-
fant et à la mère de s’adapter et qu’elle appelle l’état de rencontre.
Il faut étonner le patient, pas seulement par ce genre de réactions à
sa violence mais par une position d’ensemble permettant de créer,
dans son psychisme, une différence.
Sans doute faut-il savoir écouter les modalités de ce narcissisme
douloureux et aussi comment le patient le supporte et ce qu’il en dit.
Cela, il n’a souvent pas pu le faire entendre ni avant ni ailleurs. On
touche là à l’essentiel : la partie dépressive de son moi. La source
pulsionnelle que représentait l’objet perdu a disparu. Cette source a
été remplacée par la douleur. Si cet objet pulsionnel était une pro-
jection de soi dans le monde par défaut de liaison de libido narcis-
sique, sa disparition est une catastrophe. Elle fait apparaître un vide.

115
Recherche en psychosomatique

L’objet et le soi ont fait naufrage ensemble. Un joueur de pelote


basque qui n’a pas de fronton où lancer sa balle ne peut plus jouer.
Accepterons-nous, au milieu de la répétitivité des plaintes, de
rétablir ou de réinventer une surface de jeu ? Accepterons-nous la
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nécessité de la plainte, le besoin de la faire entendre, qui est coex-
tensif de notre deuil à faire de la « furor sanandi » ? Les patients
douloureux chroniques veulent nous faire vivre ce qu’ils ont connu,
revivre ce qu’ils ont subi, et nous demandent d’être une mère idéale,
réparatrice, que souvent ils n’ont pas connue, non pas dispensatrice
de soins mais tout simplement « consolante ». Car la « mère s’es-
tompe mais pas sa nécessité »…

116
Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie

Nayla Karroum
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Les troubles psycho-affectifs chez
l’enfant libanais

Nayla Karroum
Cas cliniques de deux enfants libanais qui ont vécu la guerre et
qui réagissent par des pathologies fonctionnelles autour d’un travail
thérapeutique en relation avec des situations conflictuelles.

117
Recherche en psychosomatique

« Les roquettes pleuvent de part et d’autre de la capitale em-


brasant le ciel de Beyrouth. Le souffle de chaque obus secoue les
entrailles des immeubles encore debout, leurs silhouettes branlantes
racontent le drame de chaque famille. Celles qui sont ensevelies
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sous les décombres, celles qui ont fui vers des cieux plus cléments
ou encore celles qui croient fermement que nul au monde ne pourra
les déraciner de leur chère terre.

Dans la rue des enfants jouent avec des éclats d’obus… Ils sont
presque contents d’imiter les grands.

Tout enfant a besoin d’un espace vital pour évoluer, apprendre


à rire, à jouer, à développer sa spontanéité, à assouvir sa curiosité ;
or, dans le contexte traumatisant qui lui est imposé, l’abri devient
cours de recréation, chambre à coucher, salle à manger et salle de
bain. Pas de ventilation propre, mais une pollution écœurante, mê-
lant l’odeur du tabac aux vomis des peureux, dans une atmosphère
exécrable… Les chasses d’eau ont été éventrées et la rouille suinte
des tuyauteries dans les caves… La lueur des bougies remplace le
beau soleil méditerranéen.
La guerre jeta des milliers de petits dans la tornade angoissante
de la peur. Ils faisaient souvent pipi au lit. Ils ne voulaient plus man-
ger à des heures précises en raison de l’inconstance des situations :
les accalmies puis les rounds, puis les accords, puis les malentendus,
puis les séquestrations… Un écheveau surprenant qui déstabilise les
plus solides en déroulant son absurdité sur toute l’enfance du pays.
Pas plus grand que trois pommes, Mohamed, ramasse méticu-
leusement ses soldats de plomb pour les enrôler dans l’armée en
disant : « Je veux les offrir au commandant en chef de l’armée car
tous ses soldats sont entrain de mourir », dit-il à sa mère.

Une guerre continue… Les événements traumatiques se succè-


dent, des émotions s’expriment. La succession des événements tra-
giques augmentant le traumatisme psychique.
Quel futur d’enfants qui grandissent dans des familles meurtries,
affectés par le deuil traumatique des morts, le poids des blessés, la
violence des adolescents ?
Quel futur d’enfants plantés sur les écrans des chaînes télévisées
face à des cadavres de mort et des étangs de sang ?
Quel futur pour ces enfants qui prennent les salles de classes
dans les écoles comme abri et refuge ?

118
Affect et pathologie

L’école, la guerre, l’imaginaire, les liens affectifs se trouvent


mêlés.

À travers les générations, les difficultés se multiplient progres-


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sivement, la guerre a pris l’autre facette, établissant une relation
essentielle où la problématique temporo-spatiale est mise en jeu, où
les deux notions d’espace et de temps ont leur origine dans le corps
représenté par ses enfants de guerre, où le temps se réduit aux évé-
nements souffrants qui ne cessent de se répéter sans projection vers
l’avenir et qui permette de minimiser en soi le rythme.
Des enfants à souffrances multiples, des enfants phobiques, des
enfants à troubles psychotiques, des enfants à troubles de l’humeur,
des enfants à troubles du comportement alimentaire, des enfants à
troubles névrotiques arrivant aux troubles des apprentissages et aux
troubles psycho-affectifs.

Les illustrations cliniques articulées englobent un travail pro-


jectif de l’affect et des angoisses, une expérience en mouvement,
un cœur dont les battements ont créé son sens et les étapes de son
élaboration ; son mouvement atteignant la souffrance des enfants.
Un fruit de mes années d’expériences cliniques mettant en mots
ce que la guerre a réduit en cendres…
Enfant de guerre, psychologue des enfants de guerre, une réso-
nance est forte en émotions.
Le traumatisme bouleverse l’économie de l’énergie psychique
et bouleverse les équilibres des anciens refoulements, des angoisses
de castration peuvent être réveillées par la peur d’une blessure phy-
sique, il révèle une réaction d’urgence, d’un moi « effectif bloqué
et débordé massivement dans toutes les capacités d’adaptation ».
Réalité et imaginaire se trouvent mêlés.
Pour Lacan (1966), le sujet par défaut du fantasme protecteur se
trouve brutalement confronté au réel brut et son rêve devient cauche-
mar ; le réel traumatique est donc ce qui est impossible à dire, qui
fait trou dans le signifiant et ce réel, dans son lien à la pulsion, est ce
qui est ramené sans cesse à la même présence par la répétition.
Les travaux de Sami-Ali sur la théorie relationnelle se retrouvent
dans les deux illustrations allant du fait que toute pathologie fonc-
tionnelle autant qu’organique, se trouve d’emblée prise en relation
avec une situation allant du conflit soluble, selon ses modalités
qui caractérisent la psychologie freudienne, au conflit insoluble,
l’impasse.

119
Recherche en psychosomatique

Mohamed et ses cauchemars à répétition

Un jour, Mohamed m’a dit :


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« Je ne sais pas pourquoi, je ne sais pas,
Je veux savoir et bien travailler, mais je n’arrive pas. »

Les cauchemars de Mohamed, exprimés dans ses dessins, ren-


voient à son traumatisme vécu suite à la guerre de 2006, le renvoient
à l’agi et à la symbolisation de sa phobie projetant à l’extérieur ce
qu’il a vécu, son effroi comptabilisent sa vie personnelle, scolaire,
familiale et sociale.
Mohamed est réintégré dans le cursus ordinaire au cours de l’an-
née 2010-2011 suite à la psychothérapie.

Mohamed se sent dans l’incapacité d’avancer en utilisant les


mots « je ne sais pas », « je n’arrive pas ». Il est bloqué par son
angoisse.

Ces cauchemars répétitifs, son instabilité, ses troubles des ap-


prentissages et son comportement agressif envers les autres, ont
affecté son rendement scolaire et relationnel. L’illustration clinique
de Mohamed qui souffre de ses cauchemars, dénote sa souffrance
et son traumatisme.

Mohamed, âgé de 6 ans, fils unique d’une famille composée de


trois filles et un garçon, il est le cadet entre la fille aînée et les ju-
melles. Dans son histoire familiale, Mohamed est issu d’une famille
musulmane chiite. Les parents analphabètes.
Dans l’histoire de la grossesse et de la naissance, Mohamed est
un enfant prématuré (8e mois) ; ne présentant aucune complication
de naissance.
Dans le récit de la mère, Mohamed est traumatisé par les événe-
ments successifs de la guerre 2006, l’enfant avait un an.

Il répète les mêmes phrases dans les séances :

« Je sais tout et je ne veux pas mourir, j’ai peur de la guerre… »

120
Affect et pathologie

Mohamed présente des difficultés dans les apprentissages, un


déficit de l’attention mais il est autonome avec un bon développe-
ment social, une bonne motricité, des troubles articulatoires car la
problématique langagière est une manière de prendre distance vis-
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à-vis de la situation angoissante vécue chez l’enfant autour de la
castration, les cauchemars traduisent une relation collée mais ambi-
valente à la mère dont la cause se révèlera par la suite. Aussi il ne
cesse de répéter : « Je t’aime beaucoup maman ».

Une problématique œdipienne où il refuse, attise ce conflit œdi-


pien, dans le cas de Mohamed, l’organisation psychosomatique du
langage est marquée par l’absence de la mère pendant la guerre et
c’est la période où l’enfant avait le plus besoin d’elle.

Depuis la guerre, une relation contradictoire s’établit où il se


colle à la mère car elle s’est montrée absente pendant cette période,
et une peur se fait sentir. Ce collage le protège d’une séparation, la
peur qu’elle s’en aille ne permet pas au langage d’atteindre com-
plètement sa cible relationnelle. Le langage s’inscrit et s’efface, le
trouble articulatoire transmet cette hésitation. Ses cauchemars de
perte de la relation maternelle vont dans ce sens. Et ceci d’autant
plus qu’il aborde la problématique œdipienne avec le rapproche-
ment (si dangereux s’il y a perte) et l’agressivité face au père qui
représente tout ce qui est à l’extérieur, c’est-à-dire l’horreur de la
possibilité d’une agressivité mortelle avec la guerre dont il a été
acteur. Aussi l’articulation de la parole vers l’extérieur est en diffi-
culté. Articuler c’est faire passer le langage par soi. Ne pas articuler
c’est ne pas être auteur de cette situation langagière qui est propul-
sée dans cet extérieur qui fait peur. Tout un imaginaire affectif œdi-
pien sous-tend cette situation relationnelle portée par le langage.

Sylvie Cady dans sont livre « Soigner l’enfant psychosoma-


tique » montre que le trouble du langage est un état psychosoma-
tique dominé par le trouble affectif où l’expression de la parole est
médiatisée par l’imaginaire dans le corps.

« Ces cauchemars ne me laissent pas tranquille dans mon corps »


disait Mohamed difficilement.

La famille de Mohamed collabore parfaitement avec l’équipe


soignante à l’école, mais le père de Mohamed n’a jamais été signalé

121
Recherche en psychosomatique

ni dans ses dessins ni dans ses discours, renvoyant à la situation


collée à la mère, mais conflictuelle, où tout le monde est assimilé à
son père. Le père, vécu comme celui qui va à l’extérieur, est l’objet
de la phobie.
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Pour se protéger d’un imaginaire œdipien qui fait peur parce
qu’il correspond à l’agressivité réelle dont le père a été auteur,
l’enfant assimile son père à sa mère. Mais cette défense n’est pas
entièrement possible car l’imaginaire et la réalité communiquent.
Son discours au cours de la thérapie est envahi par des paroles
imaginatives telles que :
« Les avions occupent tout mon rêve, la guerre, les bombarde-
ments et un sac noir m’attaque de derrière la porte. »

Être dans le rêve est une manière d’être ailleurs et de se défendre


d’une réalité problématique. Mais son imaginaire est effrayant. Il
comprend des images, des pensées faisant rappel au traumatisme
que Mohamed ne cesse de répéter :

« Dans tous mes rêves, je vois ces chars d’assaut qui se dirigent
vers moi, des pierres jetées sur moi, un serpent, un fantôme…
quand j’ai grandi j’ai su qu’il y avait ce qu’on appelait guerre… »

L’angoisse imaginaire œdipienne se mêle à la réalité de ce qu’il


a vu.

« Un monstre », « Le cou d’un monstre »,


« La tête d’un monstre »,
« Deux monstres qui se serrent. »

La répétition du mot « monstre » dans plusieurs plans fut repré-


sentée dans son dessin, montrant l’intensité de l’agressivité œdi-
pienne chez Mohamed, pris par les événements de la guerre au
Liban, ses paroles envahissent son discours et son quotidien rela-
tionnel. Son père est réellement un tueur. Ceci se fait à l’extérieur.
La phobie le protège d’une telle situation.

122
Affect et pathologie
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Les dessins de Mohamed au cours des séances témoignent de
sa forte angoisse de mort, sa violence s’exprime difficilement vers
l’extérieur, il éprouve du mal à sortir les mots avec son langage car
tout ce qui est extérieur est vécu comme dangereux. Ceci apparaît
dans la description de ses dessins à travers ses paroles. Les couleurs
mettent en relief l’insécurité vécue par Mohamed, exprimant son
affect, réactivée dans ses rêves et ses cauchemars qui ne le quittent
pas.
« Ce rêve est un cauchemar qui ne me quitte pas. » dit-il

Les cauchemars ont permis à Mohamed de mettre ses angoisses


à l’extérieur. Le conflit de ce fait ne se referme pas en impasse.
Dans son dessin, il relate une peur inexplicable, une voiture à sa
droite qui voulait l’écraser en forme de poisson, un serpent à sa
gauche qui venait vers lui et à sa gauche un monstre qui rentrait
de la fenêtre vers lui en bleu. Tout ce monde voulait le dévorer. On
voit ici que le conflit se pose dans l’espace du langage, un espace
sans distance où tout est dévoré et dévorant. Aussi le conflit est lié
à l’oralité lieu du langage.

« Ce dessin, c’est ce que je ressens de dedans dans le rêve, je suis


confus comme ça, comme si j’étais enfilé avec un cordon noir. »
c’est-à-dire attaché à sa peur.

123
Recherche en psychosomatique
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Les dessins permettent à l’enfant de prendre de la distance vis-
à-vis de ses angoisses. Ceci dynamise chez l’enfant un début de
défense. Ainsi à propos de ce dessin, il exprime : « Moi je dois être
fort ! ».
Les cauchemars et les rêves de Mohamed découlent de son trau-
matisme de guerre qui l’effraye, ceci le place dans une situation
conflictuelle. « Le rêve et les dessins représentent le conflit, facteur
déterminant d’un trouble instrumental ».

Chez d’autres personnes qui ont vécu aussi la guerre et qui


n’avaient pas la possibilité d’utiliser les cauchemars par refoule-
ment de la fonction de l’imaginaire, cette même situation se trans-
forme en impasse, facteur incident d’une pathologie qui peut aller
de l’allergie au cancer. Il faut noter, chez ces enfants : aucune pos-
sibilité d’évacuer des angoisses par l’imaginaire, n’y d’avoir accès
à ce qui se passe en lui.

Avec cette nouvelle séance, on aborde le fond du problème


conflictuel. Très rapidement, l’enfant s’exprime :

« Mon père était militaire dans la guerre de juillet 2006 et il a


abattu plusieurs hommes… Et moi, si je meurs j’irai au paradis…
Maman a avorté plusieurs enfants,
on était chez ma grand-mère après la guerre… »

124
Affect et pathologie

Et il insista à dessiner ce qui s’est passé avec sa mère.

Comment peut-on inscrire dans le temps un événement devenu


hors temps, figé dans un temps suspendu, inassimilable, irréel car
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de l’ordre du cauchemar ? Là où le cauchemar arrête l’évolution de
toute pathologie et protège l’enfant de plonger dans l’impasse.

Mohamed a présenté le paradis après la mort et a complété les


deux dessins précédents par un troisième.

Dans son rêve, il a regroupé dans le paradis l’homme en rouge


entre le rose et le marron en haut, la femme qui est sa mère en posi-
tion d’avortement dans la partie rose à droite et à gauche lui qui est
mort et qui monte au paradis.
Le père et la mère sont identiques, c’est-à-dire auteurs de mort.
Voilà l’explication de cette ambivalence vis-à-vis de sa mère : la
relation fusionnelle renvoie à une mort possible de l’enfant. La dif-
férenciation renvoie à ce même phénomène. L’existence de l’enfant
à l’extérieur à travers le langage s’en trouve bloqué.

Une fois ce conflit révélé, l’enfant se risque à se différencier de


sa mère car elle devient protectrice. C’est le thème de ce nouveau
dessin.

125
Recherche en psychosomatique
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Mohamed y dessine sa propre famille, il met sa mère en avant,
décollée de lui au premier plan, tandis que lui, sa sœur et son père
sont au deuxième plan.
Dans la description de son dessin, Mohamed explique que sa fa-
mille est en train de courir à cause des bombardements ; leur maison
est située à côté de la mer, la maman a couru la première pour sau-
ver la famille. Elle porte son voile colorié par Mohamed en orange
et la couleur rouge sur le corps. L’impression des visages dénote
l’effroi, la peur et l’angoisse.
Mohamed a choisi de la fratrie, la sœur qu’il aime et qui le ras-
sure (sa famille est formée de trois filles et un garçon). Dans les
détails corporels, Mohamed s’identifie à la mère (cf. les détails du
visage) et sa sœur au père. La sœur représente son image dépla-
cée. L’absence de la bouche peut dénoter la culpabilité orale et son
incapacité de parler du vécu, le manque de la bouche et du nez peut
dénoter un fantasme de castration, face à un conflit œdipien. La va-
lorisation du personnage de la mère par Mohamed, par la grandeur
et ses couleurs, va dans ce sens, cela dénote un fort attachement sur
le plan affectif.
Les événements traumatisants peuvent être destructifs dans
le fonctionnement habituel de l’être humain et peuvent toucher à
l’identité individuelle, à ses convictions inconscientes et aux images
de son monde intérieur malgré les structures défensives dont le psy-
chisme se charge.

126
Affect et pathologie

Mohamed est très attaché à ses grands-parents paternels aussi


bien qu’à sa mère et il a peur qu’elle ne meure. Suite à la guerre,
l’enfant développe un trouble sphinctérien (l’énurésie). Ceci s’ins-
crit dans une pathologie psychosomatique liée à la situation conflic-
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tuelle autour de la problématique œdipienne.

Cette situation nous renvoie à la référence maternelle avec le


problème du père. « Le rythme présence-absence, ponctué par les
jeux qui reprennent la problématique de la perte, permet à l’enfant
de dépasser cette angoisse. Cette illustration clinique renvoie à un
travail psychothérapique. Le symptôme psychosomatique y a une
valeur relationnelle.

Dans la psychothérapie, le rythme présence-absence confronte


l’enfant à la possibilité de quitter sans problème. Par la suite, la pos-
sibilité de mettre tout un imaginaire œdipien à l’extérieur grâce au
récit des rêves, puis de prendre de la distance par rapport au conflit
à travers les dessins, a une valeur élaboratrice. Ceci va permettre au
conflit de se résoudre. Parallèlement, langage et énurésie trouvent
une issue positive.

Alain et son comportement violent

« La guerre c’est le fait de tout casser, des dégâts partout », dit Alain.

« Moi j’ai peur de mourir, je n’aime pas faire la guerre. »

Les séances thérapeutiques ont commencé par un discours mon-


trant l’angoisse et la peur chez l’enfant suivis par les paroles de la
mère qui dit :

« Je disais à Alain que ce sont des feux d’artifices, la vie continue


normalement.
Après la mort de mon frère, c’était un choc, je ne pouvais pas voir
des images douloureuses mais tout ira bien… »

127
Recherche en psychosomatique

« Même s’il y a la guerre, on va bien, on s’est habitué et la vie


continue. »
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Dans la violence, la peur, l’inquiétude, l’agressivité, l’agitation,
la distraction ; une description traduit le vécu émotionnel d’Alain
qui s’identifie à la guerre en adoptant ce langage de combattant :
casser, dégâts.

Rejeter la situation qu’il a vécu dans le plan de l’imaginaire, en


jouant cette situation pour s’en défaire, mais elle ne fait qu’attiser
son angoisse en tournant en rond.

Ces mots se traduisent par des gestes et des paroles au cours de


ses entretiens ; Alain cherchait toujours à m’impressionner par les
jouets qu’il emmenait avec lui aux entretiens (des jouets de guerre
tels que les pistolets de toutes formes) ; il cherche dans mon expres-
sion un sourire, une révolte, un apaisement, une sécurité, une conti-
nuité ; moi qui ai vécu les moments impressionnants de la guerre au
cours des premières années de ma vie ; mon regard croise le regard
d’Alain, un croisement de lignée transgénérationnelle, de deux ni-
veaux sociaux culturels différents, mais un croisement d’une vérité
commune : la peur de la guerre qui lui a été transmise par son héri-
tage familial transgenérationnel et qu’il continue à vivre.

L’héritage transgénérationnel est exprimé par deux émotions


décalées dans le temps et dans l’espace pour un événement trau-
matique. Son discours est dominé par des objets de guerre tels que
« bombe, fusée, du sang qui coule sur les gens, etc. », réactivant les
souvenirs chez l’enfant qui renvoient à un travail de mémoire.

Alain, 6 ans, aîné d’une famille composée d’une sœur cadette et


d’un nouveau-né garçon ; dans son histoire familiale, Alain est issu
d’une famille catholique.
Alain ne présente aucune complication, mais l’enfant était trop
fragile avec un problème gastrique (reflux).
Après la guerre de 2006, Alain présente des troubles des appren-
tissages ; il souffre d’un problème oculaire ; il est agité avec un
manque d’attention et de concentration et se fait traiter par médi-
cament (Ritaline®). Alain présente un trouble du comportement, un
trouble sphinctérien, un problème de succion, des actes de violence

128
Affect et pathologie

et une phobie ; il est suivi en orthophonie pour son langage oral et


écrit.

Le problème oculaire de l’enfant et plus précisément son stra-


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bisme qui fait référence à quitter ; il se colle à la situation, ce qui
génère plus d’inquiétude et ce qui lui fait peur ; reprise dans sa pro-
blématique œdipienne avec une relation d’ambivalence vis-à-vis du
père, relation œdipienne sexuée, ceci se traduit par une angoisse,
facteur déterminant d’une régression qui fait porter ce conflit sur
l’organe sexuel avec parallèlement l’énurésie.

Il y a une régression à une situation orale, maternelle avec la


succion.

Le problème visuel peut mettre l’accent sur la relation entre la


vision et la constitution de l’espace dedans-dehors.

L’énurésie, la succion de son pouce, se rapprocher de sa mère,


va dans le sens de la régression, la régression à la mère est une
manière de ne pas être dans cette situation affective liée au père qui
tourne en rond et qui aurait pu se traduire en impasse.

Le dessin d’Alain dénote son angoisse profonde et son désir.


Il schématise la guerre selon l’approche de sa mère en dessinant
les lignes jaunes, rouges et oranges comme du feu d’artifices, des

129
Recherche en psychosomatique

éclairs (adapte le langage de sa mère) car elle lui disait toujours que
les bruits des bombardements qu’ils entendaient, ressemblaient à
des feux d’artifice. Il me décrit la scène comme s’il la vivait dans
l’instant ; l’avion qui brûle, la maison détruite, les cadavres, le sang
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et son père qui aide les gens.

L’événement vécu et décrit par Alain subjectivement et sa ren-


contre avec le réel de la mort, le pousse à mettre autant de cadavres,
autant de morts.

La réactivation des scènes de violence chez Alain a crée chez


lui des troubles traumatogènes avec l’apparition des troubles com-
portementaux allant vers la prise de médicaments, une régression
au stade oral (succion sans arrêt du pouce), un trouble sphincté-
rien (énurésie) ; il ronge ses ongles et montre des séquelles qui in-
fluencent le cadre scolaire touchant son langage écrit et la nécessité
d’une orientation vers des « classes spécialisées ».
Le seul personnage vivant dans le dessin d’Alain était son père,
l’image paternelle qui représente pour lui la force, le pouvoir du
père qui essaie d’aider les gens, Alain veut être comme son père.
Le monde adaptatif sur lequel repose la mère d’Alain est vécu
comme stressant. Ainsi, l’accent se pose non sur l’événement trau-
matique, mais sur le vécu par le sujet de l’événement et sa rencontre
avec le réel de la mort.

130
Affect et pathologie

La défense du pays contre les ennemis est ancrée dans l’édu-


cation des jeunes libanais et Alain représente la force par les trois
armes qu’il va utiliser pour se défendre : les couteaux représentent
la fratrie, sa fratrie qui est reliée et unie malgré les difficultés ; leur
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forme symbolise le foyer familial, une tente, le couteau à gauche,
c’est Alain ; celui de la droite, c’est sa sœur et celui qui est au milieu
c’est son frère.

Une représentation des trois objets phalliques symbolisant la


force, les lames supérieures des deux couteaux droite et gauche, le
petit couteau le pénètre.

La clinique du conflit psychique s’accompagne du vécu exposé


par des situations traumatogènes comme chez Alain, où l’effroi, la
perception, le sentiment d’abandon et le sentiment de culpabilité
s’imposent. L’effroi est l’état du sujet au moment du traumatisme ;
une néantisation :

« Je ne pouvais pas avoir peur, par faute de temps,


ma tête s’est subitement arrêtée. »

disait Alain qui voyait sortir les cadavres de la région de Beyrouth


pendant la guerre de 2006. Cette image correspond à un envahisse-
ment du néant avec le réel de la mort ; un moment où l’affect et la
représentation sont absents.

Avec le couteau du père identique à celui de la mère, on est


bien dans un processus de régression où le père est l’équivalent de
la mère. Ce qui protège en partie du conflit œdipien. Car le conflit
persiste dans la mesure où l’enfant se situe dans la différence. Et
c’est sa peur imaginaire maintenant verbalisée face à son père qui
pourrait le tuer, qui sert à analyser la situation. Ici le rapport à la
réalité d’un fonctionnement paternel de protection devient sensible,
ce qui permet à l’enfant de dépasser la situation conflictuelle. Plus
tard, ses amis et les autres enfants vont lui montrer le chemin de
l’identification. C’est dans ce cheminement qui dépasse le conflit
lié à la régression que l’énurésie et le strabisme se récupèrent. En
devenant « grand », la succion du pouce disparaît.

131
Recherche en psychosomatique

Conclusion

À partir d’observations cliniques d’enfants pris en psycho-


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thérapie, d’une part, la place d’un conflit d’angoisse chez un
sujet au fonctionnement riche sur le plan de l’imaginaire se voit
être un facteur déterminant d’une pathologie énurétique. Chez
d’autres enfants mis dans une situation similaire, mais dont le
fonctionnement de la personnalité est dépourvu de potentialité
imaginative, une même situation s’est vue fonctionner en tant
qu’impasse, facteur déterminant d’une pathologie organique.
D’autre part, dans la deuxième observation, la régression est une
manière de régler parfois totalement, ici en partie, le conflit.

Les dessins d’enfant sont l’expression de l’affect et de la


pathologie.
Dans tout dessin, l’importance est grande de la structuration
individuelle car elle génère ou modifie une organisation corporelle
et spatiale. L’image du corps s’y inscrit dans toute une histoire psy-
cho-affective et somatique. Le sujet se projette à travers des scéna-
rios créés par lui et dont l’histoire fait référence à sa mémoire ou
à la problématique spatiale et corporelle du moment. Une lecture
d’une certaine représentation corporelle ainsi qu’une spatialisation
ont un sens face aux difficultés affectives de l’enfant. Aussi les re-
présentations corporelles, autant que les espaces, sont gérés par une
personnalité qui inclut ou non l’imaginaire, l’affect et la pathologie.
La feuille de papier fonctionne comme une surface réfléchissante
sur le mode spéculaire. Des souvenirs affectifs personnels ajoutés
à ceux subtilisés aux autres, toute une histoire se déroule dans un
tableau. Elle s’inclut dans le collectif d’une société. Ici la guerre
crée un miroir collectif. Chaque sujet le vit en fonction de son
histoire affective. Ceci détermine le plan possible de l’expression
d’une pathologie.

132
Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie

Jérôme Englebert
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Le piège du « pathomorphisme »
et ses alternatives

Jérôme Englebert
Outre le néologisme proposé en titre, cette contribution s’arti-
cule autour des concepts d’« adaptation », et de la « pathologie
de l’adaptation ». Ces deux derniers ne nécessitent pas, pour qui
connaît les travaux de Sami-Ali, d’être expliqués prioritairement.
Aussi, dans un premier temps, je vous propose de nous pencher sur
ce que je propose d’appeler le « pathomorphisme ». Dès lors, mon
propos va se développer en trois étapes : la première va consister à
définir ce que l’on peut entendre par pathomorphisme, la seconde
discutera des notions d’« adaptation » et de « pathologie d’adap-
tation » ; enfin, le troisième temps de mon développement sera
consacré à une discussion de la place des théories de Sami-Ali eu
égard au pathomorphisme et en quelque sorte à chercher à unifier
les trois termes de mon titre. Nous verrons que c’est dans la dimen-
sion anthropologique de la psychosomatique relationnelle que l’on
trouvera les ressources qui pourront être convoquées pour déjouer
ce piège du pathomorphisme. Pour continuer sur le développement
du titre que j’ai annoncé, je peux donner un premier indice sur ce
que j’entendrai par les alternatives au piège. C’est la préoccupation
anthropologique qui sera la toile de fond de cet écrit et une notion
qui agira en quelque sorte en sourdine tout au long de mon propos.
Je propose de conserver à l’esprit cette dimension anthropologique
sur laquelle je reviendrai lors de ma conclusion.

133
Recherche en psychosomatique

Le piège du « pathomorphisme »

Le « pathomorphisme » apparaît dans toute préoccupation


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psychopathologique ; c’est-à-dire lorsqu’il y a une pathologie, un
trouble du psychisme, ou, pour citer Jaspers (1913), une « expé-
rience psychique anormale ». Outre le contexte dans lequel on le
retrouve, on peut se demander de quoi il s’agit fondamentalement.
Le pathomorphisme apparaît donc lorsque nous nous préoccupons
de psychopathologie, il s’agirait même de l’obstacle majeur de la
démarche psychopathologique. La principale ambigüité qui naît
lorsque l’on qualifie sa démarche de psychopathologique consiste
à considérer que le sujet que l’on étudie s’inscrit, de façon automa-
tique, dans le giron de la maladie mentale. Ou, dit autrement, on
peut se demander si la démarche compréhensive de la psychopatho-
logie peut être adaptée pour tout sujet rencontré dans un dispositif
clinique ou s’il doit nécessairement avoir une psychopathologie ;
une psychose, une paranoïa, une névrose obsessionnelle, une dé-
pression, etc.
Quelle réponse peut-on donner à cette tendance à « pathologi-
ser » le sujet ? On peut répondre que, concrètement, la position
du clinicien ne peut pas être différente en fonction de la présence
ou l’absence d’une psychopathologie car si nous disions que notre
méthode ne s’applique pas à tout sujet (et donc pas à ceux indemnes
de maladie mentale), que, par exemple, nous ne travaillons qu’avec
des schizophrènes ou des dépressifs, nous rencontrerions une diffi-
culté pratique inhérente à la « sélection » du sujet.
Le sujet, quelle que soit la motivation de la rencontre clinique,
doit être considéré a priori avec la complexité qui caractérise tout
individu et il est impossible anticipativement, je dirais même de
façon antéprédicative, de le sélectionner précisément parce qu’il
présenterait une pathologie mentale. En effet, on ne peut envisa-
ger de sélectionner un sujet sur base d’une donnée qui sera mise
en évidence par l’analyse que l’on veut lui porter. Doit-on alors
considérer qu’un sujet qui rencontre un psychopathologue devient,
subitement, un sujet porteur d’une psychopathologie ? Il est évident
que non. Mais nous touchons ici à un problème que l’on rencontre
dans toute réflexion psychopathologique, consistant en la possibi-
lité d’une considération du sujet en dehors du pathologique. Voilà
ce que nous appelons le piège du pathomorphisme. On décline les
déviations anormales des traits de caractère, du vécu émotionnel, de

134
Affect et pathologie

la dynamique identitaire alors qu’on s’intéresse finalement peu aux


dimensions de base de la personne.
Cette remarque s’adresse à un bon nombre – sinon à l’ensemble
– des considérations psychopathologiques et, peut-être plus spé-
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cifiquement encore, des théories de la personnalité. Le pathomor-
phisme semble inhérent à la possibilité de penser la personnalité.
Le DSM-IV et le futur DSM-V donnent l’exemple le plus évi-
dent puisqu’à aucun moment ces manuels ne proposent une défi-
nition de la personnalité dépourvue de troubles. Implicitement,
il semble qu’il y ait une « norme » de personnalité ne présentant
pas de trouble, indifférenciée et commune à tout un chacun. En
revanche, si trouble de la personnalité il y a (le DSM-IV parle de
Critères diagnostiques généraux des troubles de la personnalité), il
est entendu qu’il y a des différences et l’on parlera alors de person-
nalités antisociale, borderline, schizotypique, etc. La personnalité
« non-troublée » serait commune à tous, et c’est lorsqu’elle devien-
drait pathologique qu’il y aurait un sens à la rendre spécifique. Une
impression d’un travail réalisé à l’envers peut s’emparer du clini-
cien qui a donc les outils pour identifier une situation « anormale »
mais n’a pas de points de repère pour déterminer de quelle norme
le trouble s’écarte.
À y réfléchir de plus près, c’est peut-être de Freud que l’on peut
repartir pour comprendre cette difficulté qu’ont la psychologie et
la psychopathologie pour comprendre ce que nous pourrions appe-
ler l’« homme normal » ou pour concevoir l’« homme sain » (si
tant est que de tels concepts existent). On pourrait probablement
même remonter jusqu’à Hippocrate. Mon propos ne cherche pas
l’exhaustivité et l’exactitude d’un point de vue historique. Je sug-
gère de repartir de Freud car ses propositions à ce sujet demeurent
très actuelles dans de nombreuses pratiques cliniques.
L’un des apports les plus fondamentaux de Freud, révélé entre
autres dans ses Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), est l’abo-
lition de la barrière entre le normal et le pathologique. Avec sa théo-
rie de la névrose, Freud montre pertinemment que le mécanisme
fondateur de la pathologie est au cœur de la psychologie de tout un
chacun. La névrose devient le modèle de base de compréhension
de l’« homme normal ». À partir de cette découverte, le « normal »
dans la représentation psychopathologique ne sera plus indemne,
il est frappé du pathologique. Si Freud ne donne pas de modèle de
l’homme normal, il n’explique pas plus dans ses travaux ce que doit
devenir le sujet une fois « guéri » par la psychanalyse. On peut, de

135
Recherche en psychosomatique

ce point de vue, se référer au texte de Freud, limpide à ce propos,


L’analyse avec fin et l’analyse sans fin (1937).
Il y a d’ailleurs au niveau de la théorie de la névrose un nœud
théorique paradoxal puisque le mal qu’il faut soigner est la né-
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vrose, mais il est également ce qui confère les assises de « sujet
normal ». L’objet de la pathologie, du trouble, de l’expérience
psychique anormale est ce qui est également source de la struc-
ture psychique de l’individu, le terreau de sa personnalité. Bien
entendu, cet exemple de la névrose vaut aussi pour ce que la psy-
chanalyse appelle la structure psychotique et la structure état-li-
mite. La position freudienne marque ici le début d’une tradition
qui sera entretenue, notamment, par le fait que les cliniciens sont
généralement confrontés à des sujets présentant un trouble et pas
à des sujets indemnes de souffrance psychologique ou de manifes-
tation psychopathologique (dans le langage de la recherche scien-
tifique, on pourrait dire que les cliniciens n’ont pas d’échantillon
« contrôle » ou de groupe « témoin »). Le « matériel » clinique,
permettant l’élaboration théorique, souffre de ce paradoxe du
pathomorphisme.
Après le DSM et Freud, on peut observer également que les
théories les plus modernes et les plus actuelles de la personnalité
souffrent également de ce pathomorphisme qui semble agir comme
une sorte de prisme, déformant le regard sur le sujet. On peut
prendre comme exemple la théorie « très à la mode » des tempéra-
ments telle que l’a développée Cloninger (1999, 2003 ; Cloninger
et al., 2012), et qu’a reprise Akiskal (2001, Akiskal et al., 2006) en
la reliant à l’étude des troubles bipolaires. Cette théorie identifie
quatre types fondamentaux de tempéraments : « cyclothymique »,
« hyperthymique », « dysthymique » et « dysphorique », auxquels
on ajoute un cinquième tempérament dit « anxieux ». On peut ob-
server, comme pour les propositions freudiennes, que les thèmes
utilisés pour désigner ces tempéraments fondamentaux reposent
sur ce que l’on pourrait appeler une « matrice pathologique » et
indiquent une déviation anormale plutôt que les déclinaisons
simples de l’émotivité de base de la personne. C’est l’anormalité,
c’est le trouble qui donne les points de repère à la construction de
la psychologie non troublée, non pathologique. On pourrait ajou-
ter également les fondements du test de personnalité le plus cé-
lèbre et le plus utilisé dans le monde qu’est le MMPI. Ses échelles
cliniques reposent toutes sur cette logique du pathomorphisme :
échelle de dépression, d’hypocondrie, de psychopathie, d’hystérie,

136
Affect et pathologie

de paranoïa, etc. Chacune des échelles du test indique un score


qui signifie le positionnement du sujet en rapport à ces différentes
dimensions pathologiques de la personnalité.
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* *
*

Alors, évidemment, ce constat doit être nuancé. Et on peut, je


pense, rencontrer cette nuance avec Minkowski, qui est comme
vous le savez un des plus célèbres psychopathologues. Minkowski
semble se poser la question dans le sens inverse. Il rappelle, dans
son Traité de psychopathologie (1966), qu’une personne normale,
indemne de toute problématique, sans trouble, n’est qu’une norme
abstraite, sans aspérité, sans adhérences et de laquelle on a extrait
toute dimension humaine… Pour Minkowski, il s’agit tout autant
d’une entreprise délicate que de chercher à décrire l’homme nor-
mal. Il est pour lui d’une certaine façon impossible de définir un
psychisme qui serait dépourvu d’éléments troublés. C’est cet argu-
ment qui lui permet de prononcer sa formule célèbre : « faire de la
psychopathologie c’est faire la psychologie du pathologique et non
pas une pathologie du psychologique ».
On observe donc qu’il est particulièrement complexe et péril-
leux de poser cette question du normal et du pathologique, entre un
pathomorphisme et un « normomorphisme », appelons-le comme
ça, qui serait la tendance inverse qui consiste à croire, de façon
tout aussi erronée, qu’il existe un homme normal et qu’il puisse
être décrit. On voit donc que pour échapper au piège du pathomor-
phisme, il conviendra de conserver à l’esprit de se garder de cher-
cher à décrire un homme normal qui ne représente qu’une norme
abstraite qui est, pour reprendre les termes de Minkowski, « à peine
viable ».
Après cette longue introduction que je viens de consacrer à la
définition de ce problème épistémologique du pathomorphisme, je
voudrais maintenant mettre en évidence que l’on peut trouver dans
les travaux de Sami-Ali des éléments susceptibles de déjouer ce
que je vous ai proposé d’appeler un piège. Selon moi ces éléments
reposent sur les notions d’adaptation, d’imaginaire et de relation
qui sont les nœuds d’une véritable réflexion anthropologique
consacrée à l’homme. Une anthropologie qui échappe au patho-
morphisme mais également, nous allons le voir, qui échappe à la
recherche tout aussi fallacieuse de l’homme normal.

137
Recherche en psychosomatique

Adaptation et pathologie de l’adaptation :


de Canguilhem à Sami-Ali
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Je vous propose de partir de Sartre lorsqu’il observe que « la
condition essentielle pour qu’une conscience puisse imager [est]
qu’elle ait la possibilité de poser une thèse d’irréalité » (Sartre,
1940, p. 351). En effet, si la condition a priori de l’imaginaire
est la possibilité de dépassement du réel, une absence de cette
condition inscrit le sujet et son environnement dans le banal et
dans un rapport paradoxal au mécanisme d’adaptation. Ce constat
réalisé par Sami-Ali dans Le banal (1980) amène à redéfinir le
concept d’adaptation, et il semble bien que ce concept ne puisse
être compris correctement si on ne lui intègre pas une logique de
modification et de transformation de l’environnement. Au fond,
il semble que le mécanisme d’adaptation puisse se décliner de
deux façons. Nous sommes ici très proches des propositions de
Georges Canguilhem dans son essai sur Le normal et le patholo-
gique lorsqu’il précise :

« En fait il y a adaptation et adaptation […]. Il existe une forme


d’adaptation qui est spécialisation pour une tâche donnée dans un milieu
stable, mais qui est menacée par tout accident modifiant ce milieu. Et il
existe une autre forme d’adaptation qui est indépendance à l’égard des
contraintes d’un milieu stable et par conséquent pouvoir de surmonter les
difficultés de vivre résultant d’une altération du milieu. […]. En matière
d’adaptation le parfait ou le fini c’est le commencement de la fin des es-
pèces » (Canguilhem, 1966, p. 197).

Il y a donc deux perspectives en matière d’adaptation.


Premièrement, une hyper-adaptation au réel qui a pour conséquence
de conserver un environnement strictement identique et inchangé.
Dans cette (hyper) réalité, l’organisation de l’espace, du temps et
des rythmes vient de l’extérieur et n’est pas modulée par la sub-
jectivité du sujet. Nous avons alors un espace et pas de territoire et
l’objectivité prime sur la subjectivité ; c’est le banal tel que le décrit
Sami-Ali (1980). La seconde configuration est celle de l’adapta-
tion à un environnement dans lequel le réel est, en partie du moins,
manipulable et « territorialisable ». Cette adaptation, « déstabili-
sée » par l’imaginaire, parvient à intégrer la nouveauté et le change-
ment. L’équilibre dialectique entre les rythmes produits par le sujet

138
Affect et pathologie

et ceux produits par l’environnement est conservé. L’« adaptation


humaine », celle teintée de subjectivité, peut s’exprimer.

Le mécanisme d’adaptation précisé, nous pouvons approfon-


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dir ce que grâce à Sami-Ali (1980) nous appelons « pathologie de
l’adaptation ». Comme le suggère ce dernier, il s’agit d’un fonction-
nement psychique dominé par la répétition stéréotypée, l’absence
d’imaginaire et l’impossibilité d’investir subjectivement le vécu
quotidien : « La pathologie de l’adaptation […] est cette forme
particulière de fonctionnement normal dans laquelle les traits de
caractère remplacent les symptômes névrotiques ou psychotiques,
alors que l’adaptation s’effectue au détriment du rêve et de ses
équivalents » (Sami-Ali, 1977, p. 84-85). En ce sens, le banal est
une pathologie de l’adaptation qui consiste en une adhésion par-
faite du sujet à son environnement. Ce « collage » ne tolère pas
la moindre faille, il subsiste, sans le moindre grain de sable qui
viendrait perturber cette « machine à objectivité ». Avec le banal, il
n’est plus possible de nier le réel car ce dernier est le seul et unique
recours à l’organisation d’un quotidien qui ne peut dorénavant plus
que se répéter.
Nous sommes encore fort proches de Canguilhem qui déjà ob-
servait l’existence paradoxale des « maladies de l’adaptation » :

« Sous le nom de maladie de l’adaptation, il faut entendre toutes sortes


de troubles de la fonction de résistance aux perturbations, les maladies
de la fonction de résistance au mal. Entendons par là les réactions qui
dépassent leur but, qui courent sur leur lancée et persévèrent alors que
l’agression a pris fin. C’est le cas ici de dire, avec F. Dagognet : « Le
malade crée la maladie par l’excès même de sa défense et l’importance
d’une réaction qui le protège moins qu’elle ne l’épuise et le déséquilibre.
Les remèdes qui nient ou stabilisent prennent alors le pas sur tous ceux
qui stimulent, favorisent ou soutiennent » » (Canguilhem, 1966, p. 205).

Nous pouvons préciser que la thèse principale de Canguilhem


dans Le normal et le pathologique (1966) est de concevoir le « pa-
thologique » comme une expérience novatrice et positive, qui ne
se contente pas de s’écarter de la norme existante mais qui crée
une nouvelle norme. Canguilhem récuse le postulat d’Auguste
Comte pour qui le pathologique n’est qu’une variante quantitative
du normal, mesurable en degrés, en plus ou en moins, par rapport
à cette norme. Selon lui, toute situation oscillant entre normal et

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Recherche en psychosomatique

pathologique doit être référée à son environnement et être recontex-


tualisée. La vie ne peut être considérée comme étant indifférente
aux conditions dans lesquelles elle se développe et doit être envi-
sagée dans une perspective dynamique. Grâce à Canguilhem, nous
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pouvons comprendre que l’adaptation équivaut à la capacité de
changer de milieu sans se mettre en danger, c’est-à-dire d’envisa-
ger une modification autant de soi-même que de l’environnement,
incluant un certain équilibre.
Ainsi, finalement, la pathologie de l’adaptation repose sur un
double paradoxe, inscrit au niveau de ses deux termes, car, outre
le fait qu’il s’agit d’un ersatz d’adaptation, nous avons également
affaire à une pseudo-pathologie, puisqu’il n’y a pas ici de redéfi-
nition d’une norme différente. Le sujet s’adapte au même, c’est là
sa dimension pathologique. Nous pourrions dire que dans le banal,
même la pathologie semble ne pas appartenir au sujet ; il est, en
quelque sorte, hors du processus pathologique qui le façonne. C’est
donc bien la totalité de l’expérience du sujet qui est organisée de
l’extérieur.

Le projet anthropologique de Sami-Ali : l’imaginaire


et le relationnel

Reprenons notre thèse sur le « pathomorphisme », brièvement et


synthétiquement. Que ce soit Freud, le DSM, les théories actuelles
de la personnalité, ou le MMPI, toutes ces théories de la personna-
lité reposent sur une norme pathologique sous-jacente. Il y a une
vision du monde implicite dans toutes ces théories psychologiques
qui reposent en réalité sur une incapacité fondamentale à penser
l’homme.
Au fond, c’est selon nous d’une anthropologie dont nous avons
besoin pour penser l’homme. Et c’est précisément le grand apport
de la psychosomatique relationnelle de Sami-Ali. Celui-ci résulte
dans le fait qu’il s’agit d’une anthropologie. Rappelons qu’une des
premières publications de Sami-Ali était de s’intéresser à la prosti-
tution au Caire, ce qui est une préoccupation bien plus anthropolo-
gique que psychopathologique. On pourrait avoir une lecture simi-
laire pour l’essentiel de ses livres qui reposent généralement sur ces
mêmes préoccupations. À ce sujet, son ouvrage anthropologique
par définition est bien Le banal (1980) qui est un essai qui cherche à

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Affect et pathologie

inclure le pathologique mais en l’inscrivant dans une anthropologie


de l’imaginaire et de l’altérité. Je pense également à ses travaux les
plus récents comme Penser l’unité (2011).
Sans le développer ici en détail, on retrouve ces préoccupations
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dans de nombreux courants de la pensée de l’homme. Je pense à
Nietzsche qui, pourtant également « maître du soupçon » selon l’ex-
pression consacrée de Ricœur, propose une conception de l’homme
guéri de ses névroses : le « surhomme », alors que Freud reste em-
bourbé dans cette vision de l’homme sain reposant sur sa névrose
qui construit sa normalité. Si Freud échoue à concevoir cet homme
guéri, Nietzsche y parvient, tout comme Marx, troisième maître
du soupçon qui conçoit les lendemains qui chantent. De ces trois
maîtres, on remarquera que c’est celui qui rencontrait des patients,
qui se proposait de les soigner qui est celui qui, paradoxalement,
ne parviendra jamais à proposer un modèle de la guérison et de
l’évolution.
On peut également citer Sartre dans ce qui est pour moi un de
ses textes les plus essentiels et malheureusement trop méconnu :
l’Esquisse d’une théorie des émotions (1939). Dans ce texte, Sartre
cherche à « mener à bien une analyse de la « réalité humaine »,
qui pourra servir de fondement à une anthropologie » (p. 14). Il
fait d’ailleurs une hiérarchie claire entre démarches anthropolo-
gique et psychologique : « […] avant de débuter en psychologie »,
il convient de partir de « cette totalité synthétique qu’est l’homme »
et d’établir son « essence » (Ibid.).
Après Nietzsche, Marx et Sartre, on peut également citer
Binswanger et le courant de la psychopathologie phénoménolo-
gique. Pour ce dernier, toute psychopathologie doit procéder d’une
anthropologie implicite qui assure une sorte de « charpente épisté-
mologique ». Lorsqu’il précise sa méthode d’analyse existentielle,
il dit : « Par analyse existentielle nous entendons une recherche
anthropologique c’est-à-dire une recherche scientifique dirigée sur
l’essence de l’être-homme » (Binswanger, 1970, p. 51).
Alors pour terminer, je voudrais répéter que, selon moi, les tra-
vaux de Sami-Ali s’inscrivent dans cette perspective de la pensée
anthropologique. Échappant au pathomorphisme et à ses pièges, sa
théorie présente en outre ce second avantage qui consiste à échapper
également au problème que nous avons aussi brièvement détaillé du
normomorphisme. Car, grâce à son anthropologie de l’imaginaire
et de la relation (que j’aurai finalement peu développée ici puisque
vous la connaissez), il pose, comme je l’ai détaillé, la question de

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Recherche en psychosomatique

l’adaptation pathologique : c’est-à-dire le « banal » ou « pathologie


de l’adaptation ». Mais il pose également l’équation de l’adaptation
efficiente, celle qui allie « adaptation à l’environnement » et « pré-
servation des compétences subjectives de l’homme » grâce à l’ima-
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ginaire. Dès lors, la théorie de la psychosomatique relationnelle par-
vient à réaliser cette alliance subtile et délicate qui consiste à penser
l’homme en dehors du pathologique mais également en dehors de
la normalité ; elle conçoit l’homme à travers toutes ses aspérités,
en tenant compte de toute l’adhérence qui en fait un être complexe
mais en l’inscrivant dans une anthropologie de l’imaginaire et de la
relation qui fait de chaque sujet un individu. Un individu qui est, a
priori, à la fois anormal et également non-pathologique.

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Recherche en psychosomatique. Affect et pathologie

Table des matières


M. Sami-Ali...................................................................................5
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Introduction - Affect et pathologie
François Marty .............................................................................7
Agir à l’adolescence, une autre façon de penser les émotions ?
Affect, émotion et pathologie à l’adolescence
Albert Danan ..............................................................................21
Statut de l’affect dans les pathologies hystériques
Sylvie Cady .................................................................................37
Affect et pathologie en relaxation psychosomatique
relationnelle
Lidia Tarantini ...........................................................................49
Le trésor de Julie : respects des traditions et souffrance
psychique
Daniel Sibony..............................................................................61
La fibromyalgie à l’épreuve de l’investigation de la
psychosomatique relationnelle
Michèle Chahbazian ..................................................................81
Histoire individuelle, histoire familiale et destin de l’affect
Leila Al-Husseini ........................................................................91
Affect et allergie chez une adolescente
Martine Derzelle.......................................................................103
Que viennent chercher les douloureux chroniques ?
Nayla Karroum ........................................................................117
Les troubles psycho-affectifs chez l’enfant libanais
Jérôme Englebert .....................................................................133
Le piège du « pathomorphisme » et ses alternatives

Bibliographie ............................................................................145

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