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Acrocyanose
B. Planchon, M.-A. Pistorius
Plan ■ Physiopathologie
¶ Introduction 1 La physiopathologie de l’acrocyanose est loin d’être établie. [1]
¶ Physiopathologie 1
Faute de travaux scientifiques importants sur ce sujet, les
données actuellement établies sont le fruit de l’observation
¶ Aspects cliniques 2 clinique et des données des explorations fonctionnelles non
¶ Principaux diagnostics différentiels 2 invasives telles la capillaroscopie et la pléthysmographie
¶ Complications 3 digitale.
¶ Examens complémentaires 3 Le mécanisme de base reste une hypertonie sympathique [2]
Capillaroscopie 3 avec hypersensibilité [3, 4] au froid ayant pour conséquence un
Exploration hémodynamique microcirculatoire 4 vasospasme au niveau des artères distales accompagné d’une
stase veinulocapillaire conduisant à une désaturation en
¶ Principes thérapeutiques 4
oxygène et à l’aspect cyanique des extrémités.
¶ Conclusion 4 Cette exclusion de la circulation sous-cutanée la plus distale
conduit à une dérivation du sang vers les shunts artérioveineux
dermiques moyens et profonds. [3]
Cette dysrégulation neurovasculaire est localisée au niveau
des zones de régulation thermique que sont les pieds, les mains,
le menton, le nez, les oreilles. Une composante centrale
■ Introduction hypothalamique a été évoquée par de nombreux auteurs,
notamment au cours des acrocyanoses de l’anorexie mentale. [2,
Le terme d’acrocyanose a été créé en 1896 par Crocq pour 5, 6] La perte de poids en elle-même est un facteur pathogénique
définir un état de cyanose permanent des extrémités survenant non négligeable imputable à une disparition, entre autres, de la
le plus souvent chez un sujet jeune de sexe féminin. Dans sa thermoprotection lipidique.
forme primitive, il s’agit indiscutablement de l’acrosyndrome Des anomalies de la thermogenèse sont actuellement évo-
vasculaire le plus fréquent, sans gravité alors qu’il est souvent quées impliquant notamment deux peptides importants, le
pris à tort comme l’expression d’une « mauvaise circulation ». neuropeptide Y et la leptine. [7] Le neuropeptide Y est synthétisé
Une bonne connaissance sémiologique de cet acrosyndrome est dans le noyau arqué de l’hypothalamus antérieur ; il est
nécessaire et doit permettre au clinicien : orexygène et inhibe la thermogenèse. La leptine est synthétisée
• de savoir rassurer les patients sur la bénignité évolutive de en périphérie dans les tissus adipeux bruns. Sa sécrétion est
leur acrosyndrome ; proportionnelle à la masse graisseuse mais elle a à l’inverse du
• d’en connaître néanmoins les principales complications neuropeptide Y un rôle anorexigène et stimulant de la
évolutives que sont : thermogenèse.
C la gêne esthétique avec ses répercussions psychologiques, Jusqu’à ce jour, en revanche, aucun travail scientifique ne
C une prédisposition à la survenue d’engelures, confirme la part au moins dominante d’un facteur hémoréolo-
C une tendance aux surinfections mycosiques, gique dans la pathogénie de l’acrocyanose. Néanmoins, le
C une prédisposition aux retards de cicatrisation. vasospasme, le refroidissement des extrémités constituent des
La recherche d’un phénomène de Raynaud souvent associé conditions hémodynamiques délétères sur la microcirculation et
doit être systématique car elle modifie significativement la déformabilité érythrocytaire et participent certainement à
l’enquête étiopathogénique. l’expression cyanique
Angéiologie 1
19-2520 ¶ Acrocyanose
■ Aspects cliniques
L’acrocyanose se rencontre habituellement chez la femme
jeune, maigre, de morphotype longiligne souvent neurotonique
et habituellement dans un contexte familial d’acrosyndrome
(phénomène de Raynaud, acrorhigose, acrocyanose), voire
d’insuffisance veineuse (terrain d’acroïodèse décrit par Franco).
Le début est précoce dans la vie, le plus souvent au cours de
la deuxième décennie lors de la période pubertaire. La patiente
vient consulter pour une cyanose touchant préférentiellement
les mains mais parfois les pieds. Habituellement la cyanose
prédomine sur le dos des doigts mais peut aussi toucher le dos
de la main jusqu’au poignet (Fig. 1). Le menton, le nez et les Figure 3. Engelures des doigts.
oreilles peuvent également être atteints par le processus cyani-
que. Les mains sont par ailleurs froides, souvent insensibles, et
le siège d’une très fréquente hyperhidrose qui représente parfois
le motif de consultation. Il n’est pas rare sur ce fond d’acrocya-
nose de noter des épisodes de périonyxis mycosique (Fig. 2) ou
de retard de cicatrisation d’une plaie souvent banale.
Fait important, il n’est noté aucun trouble trophique, notam-
ment à type de nécrose, aucune sclérodactylie, aucune télan-
giectasie périunguéale.
Le temps de recoloration après compression pulpaire est très
lent, témoin direct du vasospasme au froid. Cette lenteur de
recoloration peut être également observée lors de la manœuvre
■ Principaux diagnostics
différentiels
On saura éliminer très facilement les cyanoses liées à une
hypoxie chronique (insuffisance cardiaque, insuffisance respira-
toire, méthémoglobinémie) qui sont des cyanoses permanentes,
non modulées par le refroidissement et touchant également les
Figure 2. Périonyxis compliquant une acrocyanose. muqueuses, notamment les lèvres.
2 Angéiologie
Acrocyanose ¶ 19-2520
■ Complications
Habituellement l’acrocyanose est un acrosyndrome vasculaire
banal, bénin si le patient peut se prévenir du froid. En revan-
che, l’exposition prolongée au froid, notamment profession-
nelle, peut entraîner des complications trophiques parfois
sévères et difficiles à traiter. Parmi ces complications trophiques,
on notera :
• la survenue d’engelures (Fig. 3) notamment lors d’un
réchauffement rapide ; lors de la phase de réchauffement, les
doigts deviennent boudinés, prurigineux, surtout sur les faces
dorsales pouvant conduire à des complications trophiques à
type d’ulcères ou de lésions bulleuses, voire nécrotiques ;
• un périonyxis mycosique périunguéal ou des mycoses
unguéales (Fig. 2) sont rencontrées de façon non exception-
Figure 5. Capillaroscopie : stase veinulaire particulièrement marquée nelle, toujours très difficiles à traiter sur le plan médical ;
au niveau du réseau dermique veineux superficiel.
• en cas de traumatisme, la cicatrisation est souvent difficile à
obtenir en raison de l’hypovascularisation distale ;
• le retentissement esthétique, et parfois l’importance de
l’hyperhidrose d’accompagnement ne sont pas sans consé-
quences psychologiques chez une femme jeune et doivent
être pris en compte.
• On peut également rencontrer chez les patients atteints d’une
acrocyanose une symptomatologie douloureuse articulaire des
doigts, d’horaire mixte, qualifiée de « polyarthralgie vasomo-
trice ». [8] Elle serait la résultante de phénomènes vasomoteurs
localisés au niveau de la synoviale articulaire.
■ Examens complémentaires
Aucun examen complémentaire n’est indispensable devant
une acrocyanose typique accompagnée d’un examen clinique
négatif. Les seules acrocyanoses nécessitant de tels examens sont
les acrocyanoses survenant de façon tardive après la troisième
décennie, en l’absence de contexte familial. Le bilan sera
prioritairement orienté alors vers une affection de type hémor-
rhéologique, type polyglobulie, agglutinine froide, cryoglobuli-
némie, sans oublier la recherche systématique d’une maladie
sclérodermique.
Dans tous les autres cas, la patiente doit être rassurée, le
recours à deux examens complémentaires pouvant toutefois être
discuté :
• l’examen capillaroscopique ;
• une exploration hémodynamique de la microcirculation type
Figure 6. Livedo racemosa (diagnostic différentiel du livedo réticulé).
pléthysmographie ou laser-doppler.
Capillaroscopie [9]
L’œdème bleu de Charcot sera évoqué devant une cyanose
unilatérale d’un membre. Le mécanisme est déclenché par un Elle sera surtout réservée aux formes intriquées à un phéno-
garrottage volontaire du membre, souvent difficile à mettre mène de Raynaud ou lorsque l’on retrouve la notion de phase
en évidence. Cet œdème bleu de Charcot survient le plus cyanique paroxystique pouvant faire craindre un phénomène de
souvent chez une femme jeune dans un contexte hystérique Raynaud larvé associé. L’examen capillaroscopique aura alors
et a déjà conduit, lors de la consultation, à de multiples pour objectif d’éliminer toute arrière-pensée de maladie scléro-
examens complémentaires surprenant tous par leur dermique en recherchant des dystrophies capillaires évocatrices
normalité. type mégacapillaires. Le diagnostic est parfois difficile. En effet,
Les acrocyanoses paroxystiques sont à assimiler à un authen- l’aspect capillaroscopique habituel d’une acrocyanose associe un
tique phénomène de Raynaud. Elles sont très souvent rencon- vasospasme au niveau de l’artériole distale et surtout une
trées au cours de la maladie sclérodermique et nécessitent le importante stase veinulocapillaire se drainant dans un plexus
bilan étiologique requis face à ce type d’acrosyndrome. papillaire sous-dermique particulièrement visible (Fig. 5, 7).
Le livedo reticularis doit être distingué du livedo racemosa, en Cette dilatation veineuse doit être distinguée du vrai mégaca-
« arbre mort », purpurique et permanent ; ce dernier est lié non pillaire qui correspond à une dilatation pseudoanévrysmale du
pas à un vasospasme artériolaire mais à une obstruction des capillaire aussi bien sur son segment artériolaire que veinulaire.
artérioles terminales conduisant à une image purpurique du Cependant, certaines formes intermédiaires peuvent être de
réseau de distribution artériolaire atteint (Fig. 6). diagnostic hésitant.
Angéiologie 3
19-2520 ¶ Acrocyanose
“ Points forts
• L’acrocyanose est un acrosyndrome vasculaire [12]
symétrique et permanent des extrémités en rapport avec une
vasoconstriction excessive au froid.
• L’acrocyanose est volontiers déclenchée ou aggravée
par une perte de poids.
• Dans sa forme typique, l’acrocyanose ne nécessite
aucun examen complémentaire.
• Aucun traitement vasculotrope n’est actuellement
justifié dans la prise en charge thérapeutique d’une
acrocyanose.
4 Angéiologie
Acrocyanose ¶ 19-2520
[8] Caroit M, Rouveix JM. Les polyarthralgies vasomotrices. Rev Rhum [11] Planchon B, De Faucal PH, Essboui S, Grolleau JY. A quantitative test
Mal Osteoartic 1978;45:499-507 (de la naltrexone. Pediatrie 1989;44: for measuring reactivity to cold by the digital plethysmograph
203–12). technique: application to 66 control subjects and 65 patients with
[9] Vayssairat M, Priollet P. Atlas pratique de capillaroscopie. Paris: Les Raynaud’s phenomenon. Angiology 1986;37:433-9.
éditions de la Revue de Médecine; 1983.
[10] Boccalon H, Marguery MC, Ginestet MC, Puel P. Intérêt du couplage [12] Schmidt C, Schmitt J, Demande G. La réactivité vasculaire au froid.
du test thermique et de l’hémodynamique cutanée par doppler au laser. Étude chez le sujet normal et dans les acrosyndromes vasculaires. J Mal
Étude des acrosyndromes vasculaires. J Mal Vasc 1987;12:100-9. Vasc 1984;9:29-33.
Toute référence à cet article doit porter la mention : Planchon B., Pistorius M.-A. Acrocyanose. EMC (Elsevier SAS, Paris), Angéiologie, 19-2520, 2005.
Angéiologie 5