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Physiopathologie de l’obésité:
molécules, mécanismes, modèles
K. G. Hofbauer
Figure 1.
Répartition de la population
en fonction de l’index de masse disposition génétique prédisposition mutation
normale génétique monogénique
2
index de masse corporelle (kg/m )
termédiaire de récepteurs périphériques ou cien leptos pour mince). Elle manque chez les
centraux, ces substances influencent des neu- souris ob/ob qui, en raison d’une mutation
rones dans le tronc cérébral, conduisant ainsi spontanée du gène ob, sont incapables de syn-
à la cessation de prise de nourriture. Cette ré- thétiser une leptine active. Le comportement
gulation à court terme de l’appétit conditionne alimentaire perturbé de ces souris ainsi que
le volume et la durée du repas et agit ainsi l’adipose qui en résulte peuvent être normali-
comme modérateur de l’apport calorique. Mais sés par substitution en leptine exogène [3, 5].
pour la régulation à long terme, il est important Déjà peu après la découverte de la leptine, il de-
d’accorder le comportement alimentaire aux vint manifeste que cette hormone n’induit pas
réserves d’énergie de l’organisme, ce qui im- qu’une diminution de l’appétit mais comporte
plique une information des centres correspon- aussi d’autres effets, parmi lesquels en parti-
dants du cerveau sur l’état du stock de tissu culier une influence sur des systèmes endo-
graisseux. Par des expériences de parabiose crines, sur la régulation de la maturation
sur des souris génétiquement obèses appelées sexuelle et sur la capacité de reproduction,
souris ob/ob, on a déjà depuis longtemps dé- ainsi que sur la régulation de dépense énergé-
montré que de tels signaux sont effectivement tique. Ainsi, à côté du comportement alimen-
envoyés de la périphérie vers le système ner- taire, la leptine semble adapter encore d’autres
veux central. Lorsque la circulation de telles fonctions du corps aux réserves énergétiques
souris obèses était reliée à celle d’animaux de présentes. En présence d’une quantité élevée
contrôle sains, on observait une diminution de de tissu graisseux, la concentration plasma-
poids des animaux obèses, ce qui fit postuler tique de leptine augmente, conduisant à une in-
l’existence d’un facteur de minceur circulant hibition de l’appétit, qui inhibe la poursuite de
[5]. l’apport énergétique. Lorsque la graisse corpo-
relle est en petite quantité, les faibles concen-
trations de leptine signalent un manque
Déficit en leptine et modèles d’énergie qui ne conduit pas seulement à une
animaux de l’obésité augmentation de l’appétit, mais aussi à une élé-
vation réversible du pouvoir de reproduction,
L’identité de l’hypothétique facteur de minceur évitant ainsi les dépenses énergétiques pour
a été élucidée il y a seulement quelques années, des fonctions de nécessité non vitale. La capa-
lorsqu’on a pu montrer que dans le tissu grais- cité fonctionnelle du système immunitaire
seux, l’expression du gène ob (ob pour obésité) pourrait aussi être liée à la grandeur des stocks
induisait la synthèse d’une protéine compor- de graisse par l’intermédiaire de la leptine, per-
tant 133 acides aminés et un poids moléculaire mettant ainsi d’expliquer la diminution des
de 16 000. En raison de son effet amincissant, défenses immunitaires lors d’un manque
cette protéine a été dénommée leptine (grec an- chronique d’apport de nourriture. On peut ainsi
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penser qu’au cours de l’évolution, le rôle de la d’un patient à l’autre. La situation en cas d’obé-
leptine fut plutôt celui d’une hormone de la faim sité non génétique est par ailleurs d’autant
que celui d’une hormone de la satiété [3, 5]. moins comparable à celle résultant d’un déficit
héréditaire en leptine que dans le premier cas,
les grandes quantités de tissu graisseux vont
Résistance à la leptine dans de pair avec des concentrations plasmatiques
l’obésité clinique de leptine élevées. Donc, la question est plutôt
de savoir pourquoi, chez ces patients, la prise
de nourriture était anormale avant le début
Peu après la première description d’un déficit
du traitement, en dépit des valeurs élevées de
génétique en leptine comme facteur d’obésité
la concentration de leptine au départ. Ceci
chez les souris ob/ob, on a découvert des muta-
pourrait indiquer que, chez ces patients, s’est
tions correspondantes chez l’homme. Ces rares
développée une résistance à la leptine suite à
cas de déficit héréditaire en leptine concernent
une production chroniquement élevée de cette
des patients qui, dès l’enfance, souffrent d’une
substance. L’administration de doses élevées de
faim inextinguible et d’une obésité importante.
leptine exogène ne parviendrait pas à vaincre
Comme chez les souris présentant un déficit en
cette résistance à la leptine [3, 5].
leptine, les symptômes peuvent chez ces pa-
tients être améliorés par l’apport de leptine
exogène. On a alors formé de grands espoirs de
pouvoir également traiter l’obésité usuelle non
Les neuropeptides comme fac-
génétique par l’administration de leptine. Les teurs pathogéniques de l’obésité
résultats de la première étude clinique utilisant
une leptine humaine recombinante furent sur- La leptine agit sur des récepteurs spécifiques
prenants. En effet, une efficacité notoire sur le dans l’hypothalamus, dont l’activation in-
poids corporel ne se manifesta qu’après des fluence d’autres médiateurs centraux impor-
doses élevées et les effets furent très différents tants pour la prise de nourriture. Ainsi, la lep-
Figure 2.
Régulation lente du stock de tissu graisseux par différents mécanismes hormonaux.
La quantité de leptine synthétisée dans le tissu graisseux puis libérée dans le sang dépend du nombre et de la
grandeur des adipocytes. La leptine circulante atteint divers organes périphériques et pénètre dans le système
nerveux central en traversant la barrière hémato-encéphalique. Par stimulation de récepteurs hypothalamiques
spécifiques, elle y provoque une diminution de la production de peptides stimulant l’appétit tels que le neuro-
peptide Y (NPY) l’Agouti-Related-Protein (AGRP), ainsi qu’une augmentation de la production de peptides inhi-
bant l’appétit tels que l’hormone a-mélanocytes-stimulante (a-MSH). Par leur action sur divers sous-types de
récepteurs, ces peptides influencent la prise de nourriture et la dépense d’énergie, ainsi que diverses fonctions
endocriniennes, parmi lesquelles la capacité de reproduction. De la même manière que la leptine peut exercer
une action sur d’autres systèmes effecteurs, le NPY et l’a-MSH sont aussi gouvernés par d’autres systèmes de
régulation, ce qui constitue une mise en réseau complexe de ces médiateurs.
autres
Leptine effets centraux Hypothalamus systèmes
effecteurs
tine entraîne d’une part une inhibition de la for- culier. Ce n’est que chez les souris ob/ob pré-
mation de substances stimulant l’appétit telles sentant un déficit en leptine, que cette inter-
que le neuropeptide Y (NPY), d’autre part la sti- vention génétique entraînait une prise pondé-
mulation de la formation de substances inhi- rale moins prononcée. Cette constatation in-
bant l’appétit telles que l’hormone a-mélano- dique que, chez les souris ob/ob, une activité
cytes-stimulante (a-MSH) (figure 2). NPY augmentée est partiellement co-respon-
sable de l’augmentation de la prise de nourri-
Neuropeptide Y ture. Cependant, à part dans ce modèle d’obé-
Le NPY est l’un des plus puissants parmi les fac- sité extrême, aucun autre cas expérimental n’a
teurs connus pour déclencher l’appétit. Chez les pu démontrer une telle influence du knockout-
rats ou les souris, l’administration aiguë de NPY NPY. Il faut donc admettre que le NPY endogène
dans les ventricules cérébraux ou directement n’influence la prise de nourriture que sous cer-
dans l’hypothalamus démultiplie beaucoup la taines conditions. Par ailleurs, on ne peut ex-
prise de nourriture. L’administration centrale clure que le manque de NPY chez les souris
chronique sur plusieurs jours entraîne une aug- knockout-NPY puisse être compensé par
mentation du poids corporel ainsi qu’une aug- d’autres mécanismes, de sorte que cette défi-
mentation des concentrations plasmatiques cience n’aurait aucune répercussion, même si
d’insuline, de corticostérone et de triglycérides, dans les conditions normales elle joue un rôle
donc un état correspondant au syndrome cli- important. Des expériences aiguës et chro-
nique de l’obésité [6]. Il fut donc d’autant plus niques avec des antagonistes du NPY sur diffé-
étonnant de constater que les souris chez les- rents modèles animaux pourraient en principe
quelles on avait bloqué la synthèse de NPY par fournir des éclaircissements sur cette question,
une intervention génétique («NPY-knockout- mais en fait n’ont fourni jusqu’ici aucun résul-
mice»), ne montraient pas de phénotype parti- tat définitif [6].
Figure 3.
Mécanismes moléculaires dans la pathogenèse de l’obésité chez les souris Agouti (Ay).
La leptine augmente la production d’hormone a-mélanocytes-stimulante (a-MSH), laquelle agit sur divers
sous-types de récepteurs. Dans la peau, l’a-MSH stimule les récepteurs mélanocortine MC-1, qui sont
les médiateurs d’une production de mélanine augmentée, ce qui entraîne à long terme une coloration sombre
du pelage. Au niveau de l’hypothalamus, l’a-MSH stimule les récepteurs MC-4 qui sont les médiateurs d’une
diminution de la prise de nourriture, ce qui entraîne à long terme une diminution du poids corporel. La pro-
téine Agouti, une substance inhibitrice endogène qui dans les conditions physiologiques n’est produite que
dans la peau, bloque l’action de l’a-MSH sur les récepteurs MC-1 et entraîne ainsi à long terme une coloration
claire du pelage. Si en raison d’une mutation, le gène Agouti est également exprimé au niveau de l’hypothala-
mus (expression ectopique), il y aura là aussi un blocage de l’action de l’a-MSH, ce qui conduira à long terme à
une prise pondérale. La symptomatologie de l’obésité chez les souris Agouti (Ay) est donc due à une sur-
expression normotopique et ectopique du gène Agouti. Dans la figure, les flèches noires indiquent les proces-
sus normaux; les traits doubles indiquent les blocages par la protéine Agouti et les inscriptions sur fond gris
les altérations consécutives à ces blocages.
Leptine
protéine Agouti
a-MSH protétine Agouti
follicule pileux Hypothalamus
contrôle
récepteurs récepteurs
MC-1 MC-4
Figure 4.
Formation et fonction du tissu appétit résistance à l'insuline rétention de sel
graisseux.
Les pré-adipocytes résultent de la
transformation des cellules
souches mésenchymateuses.
cerveau foie muscle rein
Après une phase de prolifération,
les pré-adipocytes se différencient
CNS
en adipocytes. Chacune de ces
étapes est sous contrôle de divers résistine
facteurs endocrines, paracrines et leptine TNF a AGL angio-
autocrines. La fonction des adipo-
cytes ne se résout pas au seul
tensinogène
stockage des graisses, mais com-
porte aussi la formation et la libé-
ration de divers médiateurs. En adipocyte
plus de la leptine, ces médiateurs stockage des graisses
comprennent le facteur de né-
crose tumorale a (TNFa), différenciation pré- contrôle endocrine,
la résistine, les acides gras libres
et l’angiotensinogène. Ainsi,
adipocyte paracrine et
le tissu graisseux peut influencer prolifération
la fonction d’autres organes, aussi
autocrine
bien dans des conditions transformation cellule
physiologiques que physiopatho- souche
logiques.
(PPARg), est un autre mécanisme de la produc- contribuer à une morbidité et une mortalité
tion de tissu graisseux, important aussi chez augmentées par le biais d’une dysrégulation
l’homme. Etant donné que l’effet antidiabétique des systèmes cardiovasculaire, métabolique et
de la thiazolodindione (glitazone) est produit endocrinien [8].
par l’activation de ce récepteur g, l’augmenta-
tion de tissu graisseux et la prise pondérale
constituent les effets secondaires les plus fré- Régulation de la dépense
quents de cette substance. énergétique: nouvelles protéines
De récentes recherches indiquent que le tissu
graisseux n’est pas seulement important pour de découplage
le stockage des triglycérides, mais possède
aussi des fonctions endocrines, paracrines et La dépense énergétique d’un organisme se di-
autocrines (figure 4). A côté de la formation de vise en trois composantes: la dépense énergé-
leptine précédemment décrite, d’autres élé- tique basale, qui correspond aux besoins de
ments participent à ces fonctions, comme la maintien des fonctions des cellules et des or-
production du facteur a de nécrose tumorale ganes et qui est influencée par l’âge, le sexe et
(TNFa) et la formation de résistine, un facteur des facteurs génétiques; la dépense énergétique
décrit récemment pour la première fois, lequel nécessaire au déploiement de l’activité phy-
doit, comme le TNFa, être impliqué dans l’ap- sique, dont l’ampleur peut osciller très large-
parition de la résistance à l’insuline. Ces dé- ment; et finalement la dépense énergétique
couvertes méritent cependant d’être vérifiées et pour la production de chaleur, pour laquelle il
des différences d’espèce entre la souris et faut tenir compte des effets thermiques de la
l’homme pourraient relativiser la portée cli- nourriture comme des exigences de la régula-
nique de ces facteurs. tion thermique.
Après le foie, le tissu graisseux est aussi un im- Au cours de ces dernières années, on a fait de
portant lieu de production d’angiotensinogène, remarquables progrès dans l’analyse de la
le précurseur de l’angiotensine II. Une produc- thermogenèse. A côté du tissu graisseux blanc,
tion augmentée de cette protéine pourrait in- des animaux de laboratoire tels que les rats et
fluencer aussi bien la régulation de la pression les souris possèdent encore en plus du tissu
sanguine que la fonction rénale, mais la preuve graisseux brun, lequel est riche en mitochon-
définitive d’un tel rôle en cas d’obésité n’a jus- dries et contribue à la régulation thermique.
qu’ici pas été apportée. Les acides gras libres Cette activité est rendue possible grâce à la pro-
provenant du tissu graisseux jouent au téine de découplage 1 (uncoupling protein 1,
contraire certainement un rôle métabolique im- UCP 1) et elle est sous contrôle du système ner-
portant. Ces exemples montrent comment de veux sympathique par l’entremise de récep-
grandes réserves de tissu graisseux pourraient teurs b-3 (figure 5). Chez l’homme, ce type de
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Figure 5.
Fonction des mitochondries dans
la thermogenèse.
Dans les mitochondries, l’oxyda- + +
membrane mitochondriale
tion de substrats tels que les H H interne
acides gras libres (AGL) produit
un gradient de protons ou ions H+
à travers la membrane mitochon-
driale interne. Ce gradient peut
servir d’une part à la production
d’ATP par l’ATP-synthétase, NAD+
d’autre part à la production de e- oxydation
FAD
chaleur par la protéine de décou- AGL
plage. Si la production de chaleur
est augmentée, celle d’ATP est
ADP ATP NADH
diminuée, en vertu de quoi FADH2 Chaleur
la protéine de découplage peut
indirectement aussi influencer
les processus sous dépendance
de l’ATP.
+ +
ATP H H protéine de
+ +
synthétase H H
découplage
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